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Alexandre Dumas LA BOUILLIE DE LA COMTESSE BERTHE Illustrations : Bertall 1844 édité par les Bourlapapey, bibliothèque numérique romande www.ebooks-bnr.com

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Alexandre Dumas

LA BOUILLIE DE LA COMTESSE BERTHE

Illustrations : Bertall

1844

édité par les Bourlapapey, bibliothèque numérique romande www.ebooks-bnr.com

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Table des matières

PRÉFACE .................................................................................. 4

Ce que c’était que la comtesse Berthe. ...................................... 7

Les Cobolds. .............................................................................. 9

Le vieux château....................................................................... 11

L’ambassade. ........................................................................... 13

La bouillie au miel. .................................................................. 17

L’apparition. ............................................................................ 22

Le pain de munition et l’eau claire. ........................................ 31

Waldemar de Rosenberg. ....................................................... 40

La Berceuse. ............................................................................ 44

Wilbold de Eisenfeld. ..............................................................48

Le chevalier Hans de Warburg. .............................................. 51

Hilda. ....................................................................................... 56

La main de feu. ........................................................................ 61

Le chevalier Torald. ................................................................ 64

Les conjureurs d’esprits. ......................................................... 67

Le chevalier à la quenouille. ...................................................86

Le trésor. ................................................................................. 94

Conclusion...............................................................................98

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PRÉFACE

Il faut d’abord vous dire, mes enfants, que j’ai quelque peu parcouru le monde, et qu’à ce titre de voyageur je vous ferai probablement un jour un Robinson, qui ne vaudra sans doute pas celui de Daniel de Foë, mais qui vaudra bien certainement tous ceux qu’on a faits depuis.

Or, pendant un de ces mille voyages dont je vous parlais tout à l’heure, j’étais sur un bateau à vapeur remontant le vieux Rhin, comme l’appellent les Allemands, et suivant des yeux, ma carte et mon guide sur la table, tous ces beaux châteaux dont le temps, pour me servir d’une expression d’un poète de nos amis, a émietté les créneaux dans le fleuve. Chacun venait au-devant de moi, me racontant son passé plus ou moins poétique, lors-qu’à mon grand étonnement, j’en aperçus un dont le nom n’était pas même porté sur ma carte ; j’eus alors recours, comme je l’avais déjà fait plus d’une fois depuis Cologne, à un certain M. Taschenburch, né en 1811, c’est-à-dire la même année que ce pauvre roi qui n’a jamais vu son royaume. Celui auquel je m’adressais était un petit homme représentant assez bien un carré long, tout confit de vers et de prose, qu’il débitait au pre-mier venu qui prenait la peine de le feuilleter ; je lui demandai

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donc ce que c’était que ce château. Il se recueillit un instant, et me répondit :

« Ce château est le château de Wittsgaw.

– Peut-on savoir à qui il appartenait ?

– Certainement. Il appartenait à la famille de Rosemberg, et étant tombé en ruine, vers le treizième siècle, il fut rebâti par le comte Osmond et la comtesse Berthe, sa femme. Cette re-construction donna lieu à une tradition assez singulière.

– Laquelle ?

– Oh ! cela ne vous amuserait pas, c’est un conte d’enfant.

– Peste, mon cher monsieur Taschenburch, vous êtes bien dégoûté. Ah ! vous croyez que votre légende ne m’amuserait pas parce que c’est un conte d’enfant. Eh bien, tenez. »

Je lirai de ma poche un petit volume fort joliment relié et je le lui montrai ; ce volume contenait le Petit Chaperon rouge, Peau d’âne et l’Oiseau bleu.

« Que dites-vous de ceci ?

– Je dis, répondit-il gravement, que ces trois contes sont tout bonnement trois chefs-d’œuvre.

– Et alors vous ne faites plus aucune difficulté de me ra-conter votre légende ?

– Aucune, car je vois qu’elle s’adressera à une personne digne de l’apprécier.

– Mais vous le savez, dans un conte de fées, car je présume que votre légende est un conte de fées ou à peu près…

– Justement.

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– Eh bien, dans un conte de fées, le titre est pour beau-coup ; voyez quels beaux titres : le Petit Chaperon rouge, Peau d’âne et l’Oiseau bleu.

– Eh bien, mon titre à moi n’est pas moins intéressant.

– Quel est-il ?

– La Bouillie de la comtesse Berthe.

– Mon cher monsieur Taschenburch, l’eau m’en vient à la bouche.

– En ce cas, écoutez donc.

– J’écoute. »

Et il commença ainsi :

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Ce que c’était que la comtesse Berthe.

Il y avait un jour un vaillant chevalier nommé Osmond de Rosemberg, lequel choisit pour femme une belle jeune fille nommée Berthe. Berthe n’aurait pas pu se mesurer, je le sais bien, avec les grandes dames de nos jours, quoiqu’elle fût cer-tainement aussi noble que la plus noble ; mais elle ne parlait que le bon vieux allemand, ne chantait pas l’italien, ne lisait pas l’anglais, et ne dansait ni le galop, ni la valse à deux temps, ni la polka ; mais en revanche, elle était bonne, douce, compatis-

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sante, veillait avec soin à ce qu’aucun souffle ne ternît le miroir de sa réputation. Et quand elle parcourait ses villages, non pas dans une élégante calèche, avec un chien du roi Charles sur la banquette de devant, mais à pied, avec son sac d’aumône à la

main, un Dieu vous le rende, dit par la voix reconnaissante du vieillard, de la veuve ou de l’orphelin, lui paraissait plus doux à l’oreille que la plus mélodieuse ballade du plus célèbre Minne-singer, ballade que parfois cependant payaient d’une pièce d’or ceux-là mêmes qui refusaient une petite monnaie de cuivre au pauvre qui se tenait debout à demi nu et grelottant sur la route, son chapeau troué à la main.

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Les Cobolds.

Aussi les bénédictions de toute la contrée retombaient comme une douce rosée de bonheur sur Berthe et sur son mari. Des moissons dorées couvraient leurs champs, des grappes de raisins monstrueux faisaient craquer leurs treilles, et si quelque nuage noir chargé de grêle et d’éclair s’avançait sur leur châ-teau, un souffle invisible le poussait aussitôt vers la demeure de quelque méchant châtelain au-dessus de laquelle elle allait écla-ter et faire ravage. Qui poussait ainsi le nuage noir, et qui pré-

servait de la foudre et de la grêle les domaines du comte Os-mond et de la comtesse Berthe ? Je vais vous le dire.

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C’étaient les nains du château.

Il faut vous dire, mes chers enfants, qu’il y avait autrefois en Allemagne une race de bons petits génies, qui malheureuse-ment a disparu depuis, dont le plus grand atteignait à peine six pouces de haut, et qui s’appelaient Cobolds.

Ces bons petits génies, aussi vieux que le monde, se plai-saient surtout dans les châteaux, dont les propriétaires étaient, selon le cœur de Dieu, bons eux-mêmes. Ils détestaient les mé-chants, les punissaient par de petites méchancetés à leur taille, tandis qu’au contraire ils protégeaient de tout leur pouvoir, qui s’étendait sur tous les éléments, ceux que leur excellent naturel rapprochait d’eux ; voilà pourquoi ces petits nains, qui, de temps immémorial, habitaient le château de Wittsgaw, après avoir connu leurs pères, leurs aïeux et leurs ancêtres, affection-naient tout particulièrement le comte Osmond, ainsi que la comtesse Berthe, et poussaient avec leur souffle bien loin de leurs domaines bénis le nuage chargé de grêle et d’éclairs.

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Le vieux château.

Un jour Berthe entra chez son mari, et lui dit :

« Mon cher seigneur, notre château se fait vieux, et menace de tomber en ruines ; nous ne pouvons rester plus longtemps avec sécurité dans ce manoir tout chancelant, et je crois, sauf votre avis, qu’il faudrait nous faire bâtir une autre demeure.

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– Je ne demande pas mieux, répondit le chevalier, mais une chose m’inquiète.

– Laquelle ?

– Quoique nous ne les ayons jamais vus, il n’est point que vous n’ayez entendu parler de ces bons Cobolds qui habitent les fondations de notre château. Mon père avait entendu dire à son aïeul, qui le tenait d’un de ses ancêtres, que ces petits génies étaient la bénédiction du manoir ; peut-être ont-ils pris leurs habitudes dans cette vieille demeure ; si nous allions les fâcher en les dérangeant et qu’ils nous abandonnassent, peut-être notre bonheur s’en irait-il avec eux. »

Berthe approuva ces paroles pleines de sagesse, et son époux et elle se décidèrent à habiter le château tel qu’il était plu-tôt que de désobliger en rien les bons petits génies.

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L’ambassade.

La nuit suivante, la comtesse Berthe et le comte Osmond étaient couchés dans leur grand lit à baldaquin supporté par quatre colonnes torses, lorsqu’ils entendirent un bruit comme serait celui d’une multitude de petits pas qui s’approcheraient, venant du côté du salon. Au même moment la porte de la chambre à coucher s’ouvrit, et ils virent venir à eux une ambas-sade de ces petits nains dont nous venons de parler. L’ambassa-

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deur, qui était à leur tête, était richement vêtu à la mode du temps, portait un manteau de fourrure, un justaucorps de ve-lours, un pantalon mi-parti et de petits souliers démesurément pointus. À son côté était une épée du plus fin acier, et dont la poignée était d’un seul diamant. Il tenait poliment à la main sa petite toque chargée de plumes, et, s’approchant du lit des deux époux, qui les contemplaient avec étonnement, il leur adressa ces paroles :

Auprès de nous ce bruit est parvenu Que dans l’espoir de vos destins prospères, Un grand désir ce soir vous est venu De rebâtir le château de vos pères.

Eh ! c’est bien fait, car le manoir est vieux ! L’âge a miné le noir géant de pierre, Et l’eau sur vous, dans les jours pluvieux, Filtre au travers de son manteau de lierre.

Que l’ancien burg roule donc abattu, Et qu’il en sorte une maison plus belle ; Mais des aïeux que l’antique vertu Vienne habiter la demeure nouvelle.

Le comte Osmond était trop étonné de ce qui lui arrivait pour répondre à ces paroles autrement que par un geste amical

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de la main ; mais l’ambassadeur se contenta de cette politesse, et se retira après avoir cérémonieusement salué les deux époux.

Le lendemain, le comte et la comtesse se réveillèrent fort satis-faits. La grande difficulté était levée ; en conséquence, fort du

consentement de ses bons petits amis, Osmond fit venir un ar-chitecte habile, qui, le même jour ayant condamné le vieux châ-teau à être démoli, mit une partie de ses hommes à l’ouvra-

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ge, tandis que l’autre tirait de nouvelles pierres des carrières, abattait les grands chênes destinés à faire des poutres et les sa-pins destinés à faire des solives.

En moins d’un mois le vieux burg fut rasé au niveau de la montagne, et comme le nouveau château ne pouvait être bâti, au dire de l’architecte lui-même, que dans l’espace de trois ans, le comte et la comtesse se retirèrent, en attendant cette époque, dans une petite métairie qu’ils avaient dans les environs de leur délicieux manoir.

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La bouillie au miel.

Cependant le château avançait rapidement, car les maçons y travaillaient le jour, et les petits nains y travaillaient la nuit. D’abord les ouvriers avaient été fort épouvantés en voyant que chaque matin ils trouvaient, en revenant à la besogne, le châ-teau grandi de quelques assises. Ils en parlèrent à l’architecte, qui en parla au comte, lequel lui avoua que, sans en être com-plètement sûr, cependant tout le portait à croire que c’étaient ses petits amis les nains qui, sachant combien il était pressé d’entrer dans son nouveau manoir, se livraient à ce travail noc-turne.

En effet, un jour, on trouva sur les échafaudages une petite brouette pas plus grande que la main, mais si admirablement faite en bois d’ébène cerclé d’argent, qu’on eût dit quelque jou-

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jou fait pour l’enfant d’un roi. Le maçon qui avait trouvé la brouette la montra à ses compagnons, et le soir l’emporta chez lui pour la donner à son petit garçon ; mais au moment où celui-ci allait mettre la main dessus, la brouette se mit à rouler toute seule et se sauva par la porte avec une telle rapidité que, quoique le pauvre maçon courût après elle de toute la force de ses jambes, elle disparut en une seconde. Au même moment, il entendit de petits éclats de rire aigus, stridents et prolongés ; c’étaient les cobolds qui se moquaient de lui.

Au reste, il était bien heureux que les petits nains se fussent chargés de la besogne ; car s’ils n’en eussent pas fait leur bonne part, au bout de six ans le château n’eût pas encore été fini. Il est vrai que cela faisait juste le compte de l’architecte, ces hono-rables remueurs de pierres ayant l’habitude, – Dieu vous garde, mes chers petits bons hommes, de l’apprendre un jour à vos dé-pens ! – de mentir ordinairement de moitié.

Donc, vers la fin de la troisième année, au moment où l’hirondelle, après avoir pris congé de nos fenêtres, prenait con-gé de nos climats ; à cette époque où les autres oiseaux qui sont forcés de rester dans nos froides contrées devenaient eux-

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mêmes plus tristes et plus rares, le nouveau château commen-çait à prendre une certaine figure, mais était cependant bien loin encore d’être fini. Ce que voyant la comtesse Berthe, un jour qu’elle présidait au travail des ouvriers, elle leur dit avec sa douce voix :

« Eh bien, mes bons travailleurs, est-ce que l’ouvrage avance autant que vous pouvez le faire avancer ? Voici l’hiver qui frappe à la porte, et le comte et moi sommes si mal logés dans cette petite métairie, que nous voudrions la quitter pour le beau château que vous nous bâtissez. Voyons, mes enfants, vou-lez-vous bien vous dépêcher et tâcher que nous y entrions dans un mois, et je vous promets, moi, le jour où vous aurez posé le bouquet sur la plus haute tour, de vous régaler d’une bouillie au miel, que jamais vous n’aurez mangé la pareille ; et, il y a plus, je fais le serment qu’au jour anniversaire de ce grand jour, vous, vos enfants et vos petits-enfants, recevrez même politesse de moi d’abord, puis ensuite de mes enfants et de mes petits-enfants. »

L’invitation à manger une bouillie au miel n’était pas, dans le moyen âge, si mince que parût le cadeau au premier abord, une invitation à dédaigner, car c’était une manière de vous con-vier à un bon et copieux dîner. On disait donc : « Venez manger demain une bouillie au miel avec moi, » comme on dit au-jourd’hui : « Venez manger ma soupe ; » dans l’un et l’autre cas le dîner était sous-entendu, avec cette différence seulement que

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la bouillie se mangeait à la fin du repas, tandis que la soupe, au contraire, se mange au commencement.

Aussi, à cette promesse, l’eau vint-elle à la bouche des tra-vailleurs ; ils redoublèrent donc de courage, et avancèrent si ra-pidement, que le 1er octobre le château de Wittsgaw se trouva terminé.

De son côté, la comtesse Berthe, fidèle à sa promesse, fit préparer pour tous ceux qui avaient mis la main à l’ouvrage un splendide repas, qu’il fallut, à cause de la quantité des convives, servir en plein air.

Au potage, le temps paraissait on ne peut plus favorable, et personne n’avait songé à cet inconvénient de dîner ainsi sans abri ; mais, au moment où l’on apportait dans cinquante énormes saladiers la bouillie au miel toute fumante, des flocons de neige tombèrent épais et glacés dans tous les plats.

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Cet incident, qui dérangea la fin du dîner, contraria si fort la comtesse Berthe, qu’elle décida qu’à l’avenir on choisirait le mois des roses pour continuer cette fête, et que l’anniversaire du repas où devait être servie la fameuse bouillie au miel fut fixé au 1er mai.

De plus, Berthe assura la fondation de cette pieuse et so-lennelle coutume par un acte dans lequel elle s’obligeait et obli-geait ses descendants et ses successeurs, à quelque titre que leur vînt le château, à donner, à cette même époque du 1er mai, une bouillie au miel à ses vassaux, déclarant qu’elle n’aurait pas de repos dans sa tombe si l’on n’observait pas ponctuellement cette religieuse institution.

Cet acte, écrit par un notaire, sur parchemin, fut signé par Berthe, scellé du sceau du comte, et déposé dans les archives de la famille.

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L’apparition.

Pendant vingt années, Berthe présida elle-même avec la même bonté et la même magnificence au repas qu’elle avait fondé ; mais enfin, dans le courant de la vingt et unième année, elle mourut en odeur de sainteté, et descendit dans le caveau de ses ancêtres au milieu des larmes de son mari et des regrets de toute la contrée. Deux ans après, le comte Osmond lui-même, après avoir religieusement observé la coutume fondée par sa femme, mourut à son tour, et l’unique successeur de la famille fut son fils, le comte Ulrich de Rosemberg, lequel, héritant du courage d’Osmond et des vertus de Berthe, ne changea rien au sort des paysans, et fit au contraire tout ce qu’il lui fut possible pour l’améliorer.

Mais tout à coup une grande guerre fut déclarée, et de nombreux bataillons ennemis, remontant le Rhin, s’emparèrent successivement des châteaux bâtis sur les rives du fleuve ; ils

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venaient du fond de l’Allemagne, et c’était l’Empereur qui faisait la guerre aux Burgraves.

Ulrich n’était pas de force à résister ; cependant, comme c’était un chevalier extrêmement brave, il se fût volontiers ense-veli sous les ruines de son château, s’il n’eût songé aux malheurs que cette résistance désespérée allait attirer sur le pays. Dans l’intérêt de ses vassaux, il se retira en Alsace, laissant le vieux Fritz, son intendant, pour veiller aux domaines et aux terres qui allaient demeurer aux mains de l’ennemi.

Le général qui commandait les troupes qui marchaient sur ce point se nommait Dominik ; il se logea au château, qu’il trou-va fort à sa convenance, et cantonna ses soldats dans les envi-rons.

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Ce général était un homme de basse extraction, qui avait commencé par être simple soldat, et que la faveur du prince, bien plus que son courage et son mérite, avait porté au grade de général.

Je vous dis cela, mes chers enfants, pour que vous ne croyiez pas que j’attaque ceux qui de rien deviennent quelque chose ; au contraire, de ceux-ci j’en fais le plus grand cas lors-qu’ils ont mérité le changement qui s’est fait dans leur destinée ; il y a deux genres d’officiers de fortune : ceux qui arrivent et ceux qui parviennent.

Or, le général n’était qu’un grossier et brutal parvenu : éle-vé au pain du bivac et à l’eau de la source, comme pour rattra-per le temps perdu, il se faisait servir avec profusion les mets les

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plus délicats et les vins les plus recherchés, donnant le reste de ses repas à ses chiens, au lieu d’en faire profiter ceux qui l’entouraient.

Aussi, dès le premier jour de son arrivée au château, fit-il venir le vieux Fritz et lui donna-t-il une liste des contributions qu’il comptait lever sur le pays, liste tellement exagérée, que l’intendant tomba à ses pieds, le suppliant de ne pas peser d’une façon si dure sur les pauvres paysans.

Mais, pour toute réponse le général lui dit que, comme la chose qui lui était la plus désagréable au monde, c’était d’entendre les gens se plaindre, à la première réclamation qui arriverait jusqu’à lui, il doublerait ses demandes. Le général était le plus fort, il avait le droit du vainqueur, il fallut se sou-mettre.

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On devine qu’avec le caractère connu de M. Dominik, Fritz fut assez mal reçu quand il vint lui parler de la fondation de la comtesse Berthe. Le général se prit à rire dédaigneusement, et répondit que c’étaient les vassaux qui étaient faits pour nourrir leurs seigneurs, et non les seigneurs qui devaient nourrir les vassaux ; qu’en conséquence, il invitait les conviés ordinaires de la comtesse Berthe à aller dîner le 1er mai où bon leur semble-rait, leur annonçant en tout cas que ce ne serait pas chez lui.

Cette journée solennelle s’écoula donc pour la première fois depuis vingt-cinq ans sans avoir vu se rassembler autour de la table hospitalière les joyeux vassaux du domaine de Ro-semberg ; mais la terreur qu’inspirait Dominik était si grande, que nul n’osa réclamer. D’ailleurs, Fritz avait accompli les ordres reçus, et les paysans étaient prévenus que les intentions de leur nouveau maître n’étaient pas de suivre les anciennes traditions.

Quant à Dominik, il soupa avec son intempérance habi-tuelle, et, s’étant retiré dans sa chambre, après avoir posé

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comme d’habitude des sentinelles dans les corridors et aux portes du château, il se coucha et s’endormit.

Contre la coutume, le général se réveilla au milieu de la nuit ; il avait si bien l’habitude de dormir tout d’un somme, qu’il crut d’abord être arrivé au lendemain matin ; mais il se trom-pait, il ne faisait pas encore jour, et, à travers l’ouverture faite au contrevent, il voyait briller les étoiles au ciel.

D’ailleurs quelque chose d’extraordinaire se passait dans son âme : c’était comme une vague terreur, c’était comme le pressentiment d’une chose surhumaine qui allait arriver. Il lui semblait que l’air frissonnait tout autour de lui comme battu par l’aile des esprits de la nuit ; son chien favori, qui était attaché dans la cour juste au-dessous de ses fenêtres, hurla tristement ; et, à ce cri plaintif, le nouveau propriétaire du château sentit perler sur son front une sueur glacée. En ce moment, minuit commença de sonner lentement, sourdement, à l’horloge du château ; à chaque coup la terreur de cet homme, qui passait cependant pour un brave, croissait tellement, qu’au dixième coup il ne put supporter l’angoisse qui s’était emparée de lui ; et, se soulevant sur son coude, il se prépara à ouvrir la porte et à al-ler appeler la sentinelle.

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Mais au dernier tintement, et comme son pied allait tou-cher le parquet, il entendit la porte, qu’il se rappelait cependant à merveille avoir lui-même fermée en dedans, s’ouvrir toute seule et rouler sur ses gonds, comme si elle n’avait ni serrures ni verrous ; puis une lumière pâle se répandit dans l’appartement, et un pas léger, et qui cependant le fit frissonner jusqu’à la moelle des os, parut s’avancer de son côté. Enfin, au pied du lit, apparut une femme enveloppée d’un grand linceul blanc, tenant d’une main une de ces lampes de cuivre comme on a l’habitude d’en allumer auprès des tombeaux, et de l’autre un parchemin écrit, signé et scellé. Elle approcha lentement, les yeux fixes, les traits immobiles, ses longs cheveux pendant sur les épaules, et quand elle fut près de celui qu’elle venait chercher, rapprochant la lampe du parchemin, de manière à ce que toute la lumière portât dessus :

« Fais ce qui est écrit là », dit-elle.

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Et elle tint la lampe ainsi rapprochée du parchemin tout le temps nécessaire pour que, de ses yeux hagards, Dominik pût lire l’acte qui constituait d’une manière irréfragable la fondation à laquelle il avait refusé de se soumettre.

Puis, lorsque cette lecture terrible fut terminée, le fantôme, morne, silencieux et glacé, se retira comme il était venu ; la

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porte se referma derrière lui, la lumière disparut, et le rebelle successeur du comte Osmond retomba sur son lit, où il demeura cloué jusqu’au lendemain matin dans une angoisse dont il avait honte, mais que cependant il essaya vainement de surmonter.

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Le pain de munition et l’eau claire.

Mais, aux premiers rayons du jour, le charme s’évanouit. Dominik sauta en bas de son lit, et d’autant plus furieux, qu’il ne pouvait se dissimuler la terreur qu’il avait éprouvée, il ordonna qu’on fît venir les sentinelles qui, à minuit, étaient de garde dans les corridors et aux portes.

Les malheureux arrivèrent tout tremblants, car, au mo-ment où minuit allait sonner, ils s’étaient sentis pris par un in-

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vincible sommeil, et, quelque temps après, ils s’étaient réveillés sans pouvoir calculer pendant combien de temps ils avaient dormi. Mais, heureusement, s’étant rencontrés à la porte, ils convinrent entre eux qu’ils avaient fait bonne garde ; et, comme ils étaient parfaitement éveillés quand on était venu les relever de leur faction, ils espérèrent que personne ne s’était aperçu de leur oubli de la discipline. En effet, à toutes les interrogations de leur général ils répondirent qu’ils ne savaient pas de quelle femme il voulait parler, et qu’ils n’avaient rien vu, mais alors l’intendant, qui assistait à l’interrogatoire, déclara à Dominik que ce n’était pas une femme, mais une ombre, qui était venue le visiter, et que cette ombre était celle de la comtesse Berthe. Dominik fronça le sourcil ; mais cependant, frappé de ce que lui disait Fritz, il demeura avec lui, et ayant appris de lui que cette coutume avait été rendue obligatoire pour la comtesse Berthe, ses successeurs et les propriétaires du château quels qu’ils fussent, par un acte passé devant notaire, et que cet acte était dans les archives, il ordonna à Fritz d’aller chercher cet acte, et à la première vue il reconnut le parchemin que lui avait montré l’ombre. Jusque-là, Dominik n’avait eu aucune connais-sance de ce parchemin, car s’il s’était fait représenter avec une grande exactitude les actes qui obligeaient les autres envers lui, il s’était très peu inquiété de ceux qui l’obligeaient envers les autres.

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Cependant, si positif que fût l’acte, si attentivement qu’il le lût, et quelque instance que lui eût faite Fritz pour qu’il ne né-gligeât point l’avertissement reçu, Dominik ne voulut tenir au-cun compte de ce qui s’était passé, et convoqua le jour même tout son état-major à un grand repas. Ce repas devait être un des plus splendides qu’il eût encore donnés.

En effet, la terreur qu’inspirait Dominik était si grande, qu’à l’heure indiquée, quoique les ordres n’eussent été donnés que le matin, la table était servie avec une somptuosité merveil-leuse. Les mets les plus délicats, les vins les plus excellents du Rhin, de France et de Hongrie, attendaient les convives, qui se mirent à table en louant fort la magnificence de leur général. Mais, en prenant sa place, celui-ci pâlit de colère et s’écria avec un effroyable jurement :

« Quel est l’âne bâté qui a mis près de moi ce pain de muni-tion ? »

En effet, près du général, était un pain pareil à celui que l’on distribue aux soldats, et comme il en avait lui-même tant mangé dans sa jeunesse.

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Tout le monde se regarda avec étonnement, ne comprenant pas qu’il y eût au monde une personne assez hardie pour faire une pareille plaisanterie à un homme si fier, si vindicatif et si emporté que l’était le général.

« Approche, drôle, dit le général au valet qui se trouvait der-rière lui, et emporte ce pain. »

Le valet obéit avec tout l’empressement qu’inspire la crainte ; mais ce fut vainement qu’il essaya d’enlever le pain de la table.

« Monseigneur, dit-il après avoir fait des efforts inutiles, il faut que ce pain soit cloué à votre place, car je ne puis l’emporter. »

Alors le général, dont la force était reconnue pour égaler celle de quatre hommes, prit le pain à deux mains, et essaya à

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son tour de l’enlever ; mais il soulevait la table avec le pain, et, au bout de cinq minutes, il tomba sur sa chaise, épuisé de fa-tigue et la sueur sur le front.

« À boire, drôle ! à boire, et du meilleur ! dit-il d’une voix irri-tée et en tendant son verre. Je saurai, je vous en réponds, qui a pris ce singulier passe-temps ; et soyez tranquille, il sera récom-pensé selon ses mérites. Dînez donc, messieurs, dînez donc ; je bois à votre bon appétit. »

Et il porta le verre à ses lèvres ; mais aussitôt il cracha ce qu’il avait dans la bouche en s’écriant :

« Quel est le coquin qui m’a versé cet infâme breuvage ?

– C’est moi, monseigneur, dit en tremblant le valet, qui tenait encore la bou-teille à la main.

– Et qu’y a-t-il dans cette bouteille, misérable ?

– Du tokai, monseigneur.

– Tu mens, drôle, car tu m’as versé de l’eau.

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– Il faut que le vin se soit changé en eau en passant de la bouteille dans le verre de monseigneur, dit le valet, car j’en ai versé aux deux voisins de monseigneur de la même bouteille que lui, et ces messieurs pourront attester que c’est bien du to-kai. »

Le général se retourna vers ses deux voisins qui confirmè-rent ce que venait de dire le domestique.

Alors, Dominik fronça le sourcil ; il commençait à comprendre que la plaisan-terie était peut-être plus terrible encore qu’il ne l’avait cru au premier instant, car il avait pensé que cette plaisanterie venait des vivants, tandis que, selon toutes les probabilités, elle lui venait des morts.

Alors, voulant s’assurer par lui-même de la vérité, il prit la bouteille de la main du laquais, et versa un verre de vin de To-

kai à son voisin. Le vin avait sa couleur ordinaire et semblait de la topaze liquide ; alors, de la même bouteille il versa dans son verre ; mais, dans son verre, à mesure qu’il y tombait, le vin prenait la couleur, la transparence et le goût de l’eau.

Dominik sourit amèrement à cette double allusion qui ve-nait d’être faite à la bassesse de son extraction, et ne voulant pas rester près de ce pain noir, qui semblait cloué là pour l’humilier, il fit signe à son aide de camp, qui était un jeune homme de la première noblesse d’Allemagne, de changer de place avec lui. Le jeune homme obéit, et le géné-ral alla s’asseoir de l’autre côté de la table.

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Mais il ne fut pas plus heureux à ce nouveau poste qu’à l’ancien ; tandis que, sous la main de l’aide de camp, le pain se détachait sans difficulté de la table et redevenait du pain ordi-naire, tous les morceaux de pain que prenait Dominik se chan-geaient à l’instant même en pain de munition, tandis que, tout au contraire du miracle opéré aux noces de Cana, le vin conti-nuait de se changer en eau.

Alors Dominik, impatienté, voulut au moins manger quelque chose ; il étendit le bras vers une grande brochée d’alouettes rôties ; mais au moment où il la touchait de la main, les alouettes reprirent leurs ailes, s’envolèrent et s’en allèrent tomber dans la bouche des paysans qui regardaient de loin ce magnifique repas.

Vous jugez si leur étonnement fut grand en voyant l’aubaine qui leur arrivait. Pareil miracle était chose rare ; aussi fit-il si grand bruit de par le monde, qu’on dit encore au-jourd’hui d’un homme qui a de folles espérances :

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« Il croit que les alouettes vont lui tom-ber toutes rôties dans le bec. »

Quant à Dominik, lequel avait eu l’hon-neur de donner naissance à ce proverbe, il était furieux ; mais comme il comprit que ce serait vainement qu’il essaierait de lutter contre un pouvoir surnaturel, il déclara qu’il n’avait ni faim ni soif, et qu’il ferait les hon-neurs du repas qui, malgré sa splendeur, fut fort maussade, attendu que les convives ne sa-

vaient trop quelle figure y faire.

Le soir même, Dominik annonça qu’il venait de recevoir une lettre de l’empereur qui lui ordonnait de transporter son quartier général dans un autre endroit. Or, comme, selon lui, la lettre était très pressée, il partit à l’instant.

Je n’ai pas besoin de vous dire, mes chers enfants, que la lettre de l’empereur était un prétexte, et que ce qui faisait que

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l’illustre vainqueur décampait en si grande hâte, ce n’était pas son respect pour les ordres de Sa Majesté, mais bien la crainte, non seulement de recevoir, la nuit suivante, une visite de la comtesse Berthe, mais encore, pendant tout le temps qu’il reste-rait dans ce château maudit, d’être condamné à l’eau claire et au pain de munition.

À peine fut-il parti, que l’intendant trouva dans une ar-moire, où la veille il n’y avait rien, un sac d’argent très lourd, sur lequel était collé un papier où était écrit ce peu de mots :

« Pour la bouillie au miel. »

Le vieillard fut bien effrayé ; mais reconnaissant l’écriture de la comtesse Berthe, il s’empressa d’employer cet argent béni pour le dîner annuel, qui, pour avoir été retardé de quelques jours cette année, n’en fut que plus somptueux.

Et la même chose se renouvela tous les 1er mai ; l’argent était toujours fourni par la comtesse Berthe ; jusqu’à ce que les soldats de l’empire s’étant retirés, Waldemar de Rosemberg, fils d’Ulrich, revint habiter le château vingt-cinq ans après l’époque où son père l’avait quitté.

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Waldemar de Rosenberg.

Le comte Waldemar n’avait point hérité de l’esprit bienveil-lant de ses ancêtres ; peut-être un long exil sur le sol étranger avait-il aigri son caractère. Heureusement, il avait une femme qui corrigeait, par sa douceur et par sa bonté, ce que l’esprit de son époux avait d’acerbe et de mordant ; de sorte qu’à tout prendre, les pauvres paysans, désolés par vingt-cinq ans de guerre, regardèrent comme un bonheur le retour du petit-fils du comte d’Osmond.

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Il y eut plus : comme malgré l’exil, la tradition du vœu de la comtesse Berthe s’était perpétuée dans la famille, lorsque arriva le 1er mai, cette époque que les paysans, à chaque changement nouveau, attendaient avec impatience pour juger leurs nou-veaux maîtres, la comtesse Wilhelmine obtint de son mari de di-riger toute la fête. Et comme c’était une charmante personne, tout se passa pour le mieux, et les paysans crurent qu’ils étaient revenus à cet âge d’or du comte Osmond et de la comtesse Berthe, dont leur parlaient si souvent leurs pères.

L’année suivante, la fête eut lieu comme d’habitude ; mais cette fois le comte Waldemar n’y assista point, déclarant qu’il regardait comme indigne d’un gentilhomme de s’asseoir à la même table que ses vassaux. Ce fut donc Wilhelmine seule qui fit les honneurs de la bouillie au miel, et nous devons dire que, pour être privé de la présence de l’illustre propriétaire du châ-teau, le repas n’en fut pas plus triste, les paysans ayant déjà pu apprécier que c’était au bon cœur de la comtesse et à l’influence qu’elle avait prise sur son époux qu’ils devaient le bonheur dont ils jouissaient.

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Deux ou trois ans s’écoulèrent ainsi pendant lesquels les paysans s’aperçurent de plus en plus qu’il fallait toute la pieuse bonté de Wilhelmine pour leur adoucir sans cesse les éclats de colère de son époux. Son énergique douceur était sans cesse étendue comme un bouclier entre lui et ses vassaux ; mais, mal-heureusement pour eux, le ciel leur enleva bientôt leur protec-trice, elle mourut en donnant le jour à un charmant petit garçon que l’on appela Hermann.

Il eût fallu avoir un cœur de pierre pour ne pas regretter cet ange du ciel, que les habitants de la terre avaient baptisé du

nom de Wilhelmine ; aussi, le comte Waldemar pleura-t-il réel-lement pendant quelques jours la digne compagne qu’il avait perdue. Mais le cœur du comte n’était pas habitué aux sentiments tendres, et lorsque, par hasard, il en éprou-vait, il ne savait pas les garder

longtemps. L’oubli pousse sur les tombes encore plus vite que le gazon ; au bout de six mois, le comte Waldemar avait oublié Wilhelmine et pris une seconde femme.

Qui fut la victime de ce se-cond mariage ? Hélas ! ce fut le pauvre petit Hermann : il était en-tré dans la vie par une porte ten-due de deuil, et, avant de savoir ce que c’est qu’une mère, il put sentir qu’il était orphelin. Sa marâtre, re-

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Page 43: LA BOUILLIE DE LA COMTESSE BERTHE - ebooks … · consentement de ses bons petits amis, Osmond fit venir un ar- chitecte habile, qui, le même jour ayant condamné le vieux châ-

culant devant les soins qu’il lui faudrait donner à un enfant qui n’était pas le sien, et qui, en qualité d’aîné, hériterait des biens de la famille, le remit aux mains d’une nourrice négligente, qui laissait le petit Hermann des heures entières tout seul et pleu-rant dans son berceau, tandis qu’elle allait courir les fêtes, les bals ou les veillées.

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La Berceuse.

Un soir que, croyant sans doute la nuit moins avancée, elle était restée au jardin à se promener au bras du jardinier, elle en-tendit tout à coup sonner minuit ; et se rappelant que, depuis sept heures du soir, elle avait abandonné le petit Hermann, elle rentra précipitamment, et se glissant à l’aide de l’obscurité, elle traversa la cour sans être vue, atteignit l’escalier, monta, regar-dant avec inquiétude autour d’elle, assourdissant le bruit de ses pas, et retenant son haleine, car, à défaut des reproches que lui épargnaient l’insouciance du comte et la haine de la comtesse, sa conscience lui disait que ce qu’elle faisait là était affreux. Cependant elle se rassura lorsqu’en approchant de la porte de sa chambre, elle n’entendit point les cris de l’enfant ; sans doute, à force de pleurer, le pauvre enfant s’était endormi ; elle tira donc avec un peu plus de tranquil-lité la clef de sa poche, l’introduisit avec précaution dans la serrure, et, la faisant tourner le plus douce-ment possible, elle poussa lentement la porte.

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Mais à mesure que la porte s’ouvrait et que son regard plongeait dans la chambre, la méchante nourrice devenait plus pâle et plus tremblante, car elle voyait une chose incompréhen-sible. Quoiqu’elle eût, comme nous l’avons dit, la clef de sa chambre dans sa poche, et qu’elle fût bien certaine qu’il n’en existait point d’autre, une femme était entrée dans la chambre en son absence, et cette femme pâle, morne et sombre se tenait debout près du petit Hermann, remuant doucement son ber-ceau, tandis que ses lèvres blanches comme le marbre laissaient échapper un chant qui ne semblait pas composé de paroles hu-maines.

Cependant, quelle que fût la terreur de la nourrice, comme elle croyait avoir affaire à une créature appartenant comme elle à la race des vivants, elle fit quelques pas vers l’étrange berceuse qui semblait ne pas la voir, et qui, toujours immobile, continuait sa monotone et terrible modulation.

- Qui êtes-vous ? demanda la nourrice ; d’où venez-vous ? et comment avez-vous pu pénétrer dans cet appartement, dont j’avais la clef dans ma poche ?

Alors l’inconnue étendit solennellement le bras et répon-dit :

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Je suis de ceux pour qui nulle porte n’est close ; Dans la tombe où depuis cinquante ans je repose Les cris de cet enfant sont venus m’assaillir, Et j’ai senti soudain sur ma couche de pierre, Dans ce cadavre éteint et tombant en poussière, Mon cœur revivre et tressaillir.

*

Pauvre enfant qu’en ce monde un sort fatal apporte, Dont le père est mauvais et dont la mère est morte, Qu’on remet en des mains qui blessent en touchant, Qui ne peux opposer au mal que ta faiblesse, Et qui t’es endormi ce soir dans ta tristesse Ainsi que l’oiseau dans son chant.

*

Ici-bas, cette nuit, tu dormiras encore ; Mais à l’heure où demain se lèvera l’aurore, T’arrachant pour jamais à cette dure loi, À ma voix descendu de la sphère éternelle, Un ange radieux te prendra sur son aile Et t’apportera près de moi.

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Et, à ces mots, le fantôme de l’aïeule, car c’était lui, se pen-cha sur le berceau et embrassa son petit-fils avec une tendresse suprême. L’enfant s’était endormi le sourire sur les lèvres et les joues rosées ; mais les premiers rayon du matin, en glissant à travers les vitraux de la fenêtre, le trouvèrent pâle et froid comme un cadavre.

Le lendemain, il fut descendu dans le caveau de la famille, et enterré près de l’aïeule.

Mais rassurez-vous, mes chers petits enfants, le pauvre Hermann n’était pas mort ; la nuit suivante, l’aïeule se leva de nouveau, et, le prenant dans ses bras, elle alla le porter au roi des Cobolds, qui était un petit génie très brave et très instruit, lequel habitait une grande caverne qui s’étendait jusque sous le Rhin, et qui, sur la recommandation de la comtesse Berthe, vou-lut bien se charger de son éducation.

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Wilbold de Eisenfeld.

La joie de la marâtre fut grande en voyant mourir le seul héritier de la famille Rosemberg ; mais Dieu la trompa dans ses espérances : elle n’eut ni fils ni fille, et elle mourut elle-même au bout de trois ans. Waldemar lui survécut de trois ou quatre an-nées encore, et fut tué dans une chasse ; les uns disaient par un sanglier qu’il avait blessé, les autres disaient par un paysan qu’il avait fait battre de verges.

Le château de Wittsgaw et les propriétés environnantes tombèrent alors en possession d’un parent éloigné nommé Wilbold de Eisenfeld. Celui-là n’était point un méchant homme, c’était bien pis que cela : c’était un de ces hommes insoucieux de

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leur âme, qui ne sont ni bons ni mauvais, qui font le bien et le mal sans amour ni haine, écoutant seu-lement ce qu’on leur dit, et près duquel le dernier qui parle a tou-jours raison. Brave, du reste, et es-timant la bravoure, mais se laissant facilement prendre aux apparences du courage comme il se laissait prendre aux apparences de l’esprit et de la vertu.

Le baron Wilbold vint donc habiter le château du comte Os-mond et de la comtesse Berthe, amenant avec lui une charmante

petite fille au berceau, qu’on appelait Hilda.

Le premier soin du régisseur actuel fut de mettre son nou-veau seigneur au courant des revenus et des charges attachés à la propriété ; au nombre des charges était la bouillie au miel, dont l’usage avait, tant bien que mal, subsisté jusque-là.

Or, comme le régisseur dit au baron que ses prédécesseurs attachaient une grande importance à cette institution, et que

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lui-même croyait fermement que la bénédiction du Seigneur était attachée à cette coutume, Wilbold non seulement ne fit au-cune observation contraire, mais encore donna l’ordre que, tous les 1er mai, la cérémonie eût lieu avec toute son antique solenni-té.

Plusieurs années s’écoulèrent, et le baron donnait chaque année une si copieuse et si bonne bouillie, que les paysans, en faveur de cette obéissance aux commandements de la comtesse Berthe, lui passaient tous ses autres défauts, et ses autres dé-fauts étaient nombreux. Il y a plus : quelques autres seigneurs, soit par bonté, soit par calcul, adoptèrent l’usage du château de Wittsgaw, et fondèrent aussi, pour l’anniversaire de leur fête ou pour celle de leur naissance, des bouillies plus ou moins su-crées. Mais au nombre de ces seigneurs, il en était un que non seulement le bon exemple ne gagna point, mais encore qui em-pêchait les autres de le donner ou de le suivre. Cet homme, qui était un des amis les plus intimes du baron, un de ses convives les plus assidus, un de ses conseillers les plus influents, se nommait le chevalier Hans de Warburg.

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Le chevalier Hans de Warburg.

Le chevalier Hans de Warburg était, au physique, une es-pèce de géant de six pieds deux pouces, d’une force colossale, toujours armé d’un côté d’une grande épée, qu’à chaque geste de menace qu’il faisait, il frappait sur sa cuisse, et d’un poignard qu’il tirait à chaque moment par manière d’accompagnement à ses paroles.

Au moral, c’était l’homme le plus poltron que la terre ait jamais porté ; et, quand les oies de son domaine couraient après lui en sifflant, il se sauvait comme si le diable était à ses trousses.

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Or, nous l’avons dit, non seulement le chevalier Hans n’avait pas adopté l’usage de la bouillie, mais encore il l’avait empêché de s’étendre chez plusieurs de ses voisins sur lesquels il avait quelque influence. Mais ce ne fut pas le tout : enchanté de ses réussites en ce genre, il entreprit de faire renoncer Wilbold à cet antique et respectable usage.

« Pardieu, lui disait-il, mon cher Wilbold, il faut convenir que tu es bien bon de dépenser ton argent à repaître un tas de fainéants qui se moquent de toi avant même qu’ils aient digéré le repas que tu leur donnes.

– Mon cher Hans, répondait Wilbold, j’ai pensé, crois-le bien, plus d’une fois à ce que tu dis là ; car, quoique ce repas ne se représente qu’une fois par an, il ne laisse pas que de coûter à lui seul autant que cinquante repas ordinaires. Mais, que veux-

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tu ! c’est une fondation à laquelle, dit-on, est attaché le bonheur de la maison.

– Et qui te conte ces balivernes, mon cher Wilbold ? ton vieil intendant, n’est-ce pas ? Je comprends ; comme il grappille au moins dix écus d’or sur ton festin, il a intérêt que le festin se perpétue.

– Et puis, dit le baron, il y a encore autre chose.

– Qu’y a-t-il ?

– Il y a les menaces de la comtesse.

– De quelle comtesse ?

– De la comtesse Berthe.

– Tu crois à tous ces contes de grand-mère, toi ?

– Ma foi, ils sont avérés, et il y a dans les archives certains parchemins...

– Alors tu as peur d’une vieille femme ?

– Mon cher chevalier, dit le baron, je n’ai peur d’aucune créature vivante, ni de toi, ni d’aucun autre ; mais j’avoue que

j’ai grand-peur de ces êtres qui ne sont ni chair ni os, et qui se donnent la peine de quitter l’autre monde tout exprès pour nous visiter. »

Hans éclata de rire.

« Alors, à ma place, dit le baron, tu ne craindrais rien ?

– Je ne crains ni Dieu ni diable, reprit Hans en se redressant de toute sa hauteur.

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– Eh bien ! soit, dit le baron ; au prochain anniversaire, et ce ne sera pas long, car le 1er mai arrive dans quinze jours, je fe-rai un essai. »

Mais, comme de là au 1er mai le baron revit l’intendant, il revint sur sa première résolution, qui était de ne pas donner la bouillie du tout, et ordonna qu’au lieu de donner un festin, on donnât un repas fort ordinaire.

Les paysans, en voyant cette parcimonie à laquelle ils n’étaient point habitués, furent étonnés, mais ne se plaignirent point ; ils pensèrent que leur seigneur, ordinairement si géné-reux à cette occasion, avait cette année des motifs d’être éco-nome.

Mais il n’en fut pas ainsi des êtres qui savent tout et qui présidaient, comme il faut bien le croire, aux destinées des pro-

priétaires du château de Wittsgaw ; ils firent, pendant la nuit qui suivit ce maigre repas, un tel remue-ménage, que personne ne put dormir dans le châ-teau, et que cha-cun passa

la nuit à aller ouvrir les portes et les fenêtres, pour savoir qui bat-

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tait aux unes et qui frappait aux autres ; mais nul ne vit rien, pas même le baron. Il est vrai que le baron tira son drap par-dessus sa tête, comme vous faites quand vous avez peur, mes chers en-fants, et se tint coi et couvert dans son lit.

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Hilda.

Wilbold, comme tous les caractères faibles, était facile à s’entêter sur certains points ; puis, il faut le dire, il avait été en-couragé par l’impunité, car ce n’était pas une bien grande puni-tion que de ne pas dormir de toute la nuit. Et si l’on gagnait à cette occasion un millier de florins, c’était encore une bonne af-faire faite.

Ainsi donc, encouragé par les exhortations de Hans et ne voulant pas avoir l’air de détruire une si religieuse coutume tout d’un seul coup, le 1er mai suivant il convoqua les paysans comme d’habitude ; mais, cette fois, se tenant aux termes du contrat qui fondait une bouillie, et qui ne disait pas un mot du dîner qui le précédait, il fit servir une pure et simple bouillie, sans aucun ac-compagnement de viande ni de vin, et encore ceux qui avaient le palais exercé crurent-ils remarquer qu’elle était moins sucrée que l’année dernière. Aussi, cette fois, non seulement le baron Wilbold avait supprimé tous les accessoires du festin, mais en-core il avait économisé sur le miel.

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Aussi, cette fois les visiteurs nocturnes se fâchèrent-ils tout de bon : non seulement pendant la nuit qui suivit, on entendit un vacarme épouvantable dans toute la maison, mais encore le lendemain, on trouva les carreaux, les lustres et la porcelaine cassés. L’intendant fit le relevé du dommage causé par cet acci-dent, et il se trouva qu’il montait juste à la somme que, dans les temps ordinaires, les châtelains de Wittsgaw dépensaient pour le repas du 1er mai.

L’intendant comprit l’allusion et ne manqua pas de mettre sous les yeux de Wilbold, son compte établi avec une balance égale.

Mais cette fois Wilbold s’était fâché tout de bon. D’ailleurs, quoiqu’il eût entendu l’affreux sabbat qui, pendant toute une nuit, avait mis le château sens dessus dessous, il n’avait encore vu personne. Il espérait donc que la comtesse, qui n’avait pas

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reparu depuis la nuit où elle était revenue bercer le petit Her-mann, était maintenant morte depuis trop longtemps pour sor-tir de son tombeau ; et, puisqu’il fallait, au bout du compte, qu’il lui en coûtât chaque année une somme fixe, il aimait autant que ce fût à renouveler son mobilier qu’à donner à manger à ses paysans. L’année suivante, il se résolut donc à ne rien donner du tout, pas même la bouillie ; seulement, comme il comprenait que cette infraction totale aux anciennes coutumes mettrait la comtesse Berthe dans une colère proportionnée à l’offense, il se décida à quitter le château le 28 avril et à n’y revenir que le 5 mai.

Mais à cette résolution funeste, il trouva une douce opposi-tion : quinze ans s’étaient écoulés depuis que le baron Wilbold de Eisenfeld avait pris possession du château, et pendant ces quinze ans, cette jolie petite enfant, que nous y avons vue entrer dans son berceau, avait grandi et avait embelli ; c’était donc maintenant une charmante jeune fille, pieuse, douce et compa-tissante, qui, toujours renfermée dans sa chambre, avait pris à ses habitudes solitaires une douce et continuelle mélancolie qui allait admirablement à l’air de son visage et qui s’harmonisait à merveille avec son doux nom de Hilda. Aussi, rien qu’à la voir le jour se promener dans son jardin, en écoutant le chant des oi-

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seaux qu’elle semblait comprendre, ou la nuit assise à la fenêtre, suivant dans les nuages, qui de temps en temps l’obscurcis-saient, la lune avec laquelle elle semblait parler, les cœurs les plus rebelles sentaient qu’ils pourraient aimer un jour, tandis que les cœurs sensibles sentaient qu’ils aimaient déjà.

Or, quand Hilda apprit que son père était décidé à suppri-mer cette année la bouillie au miel, elle lui fit, toujours conte-nues cependant dans les bornes du respect filial, toutes les ob-servations possibles ; mais ni sa douce voix, ni ses doux regards ne purent rien sur le cœur du baron, qu’avaient endurci les mauvais conseils de son ami Hans.

Au jour fixé par lui, il quitta donc le château, déclarant à son intendant que cette sotte coutume de la bouillie au miel du-rait depuis d’assez longues années, et qu’à partir du 1er mai sui-vant, il était décidé à abolir cette coutume, non seulement oné-reuse pour lui, mais encore d’un mauvais exemple pour les autres.

Alors Hilda, voyant qu’elle ne pouvait faire revenir son père à de meilleurs sentiments, réunit toutes ses petites épargnes, et, comme elles montaient justement à la somme qu’aurait dû dé-penser le baron, elle prit à pied le chemin des villages qui dé-pendaient de la baronnie, disant tout haut que son père, forcé de s’absenter, n’avait pu donner cette année la bouillie au miel,

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mais l’avait chargée de distribuer la somme que coûtait annuel-lement le repas, aux pauvres, aux malades et aux vieillards.

Les paysans la crurent ou firent semblant de la croire ; et, comme le dernier repas ne leur avait pas laissé de bien agréables souvenirs, ils furent enchantés de voir se changer un maigre festin en une grande aumône, et bénirent la main par la-quelle il plaisait au baron Wilbold d’étendre ses bienfaits sur eux.

Il n’y avait que les esprits du château qu’on ne pouvait pas tromper, et qui ne se laissaient aucunement prendre au pieux mensonge de la belle Hilda.

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La main de feu.

Le 5 mai, Wilbold revint au château. Son premier soin fut de demander s’il s’était passé quelque chose en son absence ; mais, comme il apprit que tout avait été tranquille, que ses vas-saux ne s’étaient pas plaints, que les esprits n’avaient point fait tapage, il demeura convaincu que sa persistance les avait lassés et qu’il en était débarrassé à jamais. En conséquence, après avoir embrassé sa fille et donné les ordres pour le lendemain, il alla se coucher tranquillement.

Mais à peine fut-il dans son lit, qu’il se fit dans le château et autour du château un tapage comme jamais oreilles humaines n’en avaient entendu. Autour du château, les chiens hurlaient, les chouettes piaillaient, les hiboux roucoulaient, les chats miaulaient, la foudre grondait ; au dedans du château on traînait des chaînes, on renversait des meubles, on roulait des pierres ; c’était un bruit, un vacarme, un remue-

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ménage à croire que toutes les sorcières de la contrée, convo-quées par le grand diable d’enfer, avaient changé le lieu ordi-naire de leurs séances, et au lieu de se réunir comme d’habitude au Broken, se tenaient dans le manoir de Wittsgaw.

À minuit tout bruit cessa, et le silence le plus profond se répandit si bien que chacun put entendre sonner les douze heures les unes après les autres. À la dernière, Wilbold, un peu rassuré, sortit la tête de dessous sa couverture et se hasarda à regarder autour de lui. Tout à coup ses cheveux se hérissèrent sur son front, une sueur glacée coula sur son visage, une main de feu sortait de la muraille en face de son lit, et du bout du doigt, comme avec une plume, traçait sur les sombres parois de la chambre les paroles suivantes :

Pour obéir au vœu de la comtesse Berthe, Dieu, baron de Wilbold, te donnera sept jours, Ou sinon, tu verras, artisan de ta perte, Le manoir de Wittsgaw t’échapper pour toujours.

Puis la main disparut ; puis, l’une après l’autre, dans l’ordre où elle avait été tracée, chaque lettre s’effaça ; puis enfin,

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la dernière lettre éteinte, la chambre, qui un instant avait été éclairée par ce quatrain de flamme, retomba dans la plus pro-fonde obscurité.

Le lendemain, tous les serviteurs du baron, depuis le pre-mier jusqu’au dernier, vinrent lui demander leur congé, lui dé-clarant qu’ils ne voulaient plus rester dans le château.

Le comte, qui au fond du cœur avait aussi bonne envie qu’eux de le quitter, leur déclara que, ne voulant pas se séparer de si bons serviteurs, il était décidé à aller habiter un autre do-maine et à abandonner le manoir de Wittsgaw aux esprits qui paraissaient vouloir en réclamer la possession.

Le même jour, malgré les pleurs de Hilda, on quitta donc le vieux donjon pour aller habiter le château de Eisenfeld, qui ve-nait au baron de la succession paternelle, et qui était situé à une demi-journée de celui de Wittsgaw.

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Le chevalier Torald.

Il y avait dans ce moment-là deux nouvelles qui faisaient grand bruit dans le domaine de Rosemberg ; la première, c’était le départ du baron Wilbold de Eisenfeld ; la seconde, c’était l’arrivée du chevalier Torald.

Le chevalier Torald était un beau jeune homme de vingt et un à vingt-deux ans, qui avait déjà, quoique bien jeune encore, comme on le voit, parcouru les principales cours d’Europe, où il avait acquis une grande réputation de courage et de courtoisie.

En effet, c’était un cavalier des plus accomplis, et l’on ra-contait sur son éducation des choses merveilleuses : on disait que, tout enfant, il avait été confié au roi des Nains, qui lui-même, étant un prince très savant en toutes choses, avait juré d’en faire un seigneur accompli. Il lui avait donc appris à lire les manuscrits les plus anciens, à parler toutes les langues vivantes et même les langues mortes, à peindre, à jouer du luth, à chan-ter, à monter à cheval, à faire des armes et à jouter ; puis, lors-qu’il eut atteint l’âge de dix-huit ans, et que le roi son tuteur le vit arriver au point de perfection en toute chose auquel il avait désiré l’amener, il lui avait donné le fameux cheval Bucéphale, qui ne se lassait jamais ; la fameuse lance du chevalier Astolphe,

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qui renversait de leurs arçons tous ceux qu’elle touchait avec sa pointe de diamant ; et enfin, la fameuse épée Durandal, qui bri-sait comme verre les armures les plus fortes et les mieux condi-tionnées. Puis, à ces présents déjà fort précieux, il avait ajouté un don plus recommandable encore : c’était celui d’une bourse dans laquelle il y avait toujours vingt-cinq écus d’or.

On comprend le bruit que l’arrivée d’un si pieux chevalier fit dans la contrée ; mais, presque aussitôt après avoir traversé le village de Rosemberg, monté sur son bon cheval, armé de sa bonne lance et ceint de sa bonne épée, il avait disparu, et per-sonne n’en avait plus entendu parler.

Il va sans dire que ce mystère n’avait fait qu’augmenter dans les environs la curiosité qui s’attachait au chevalier.

On disait bien qu’on l’avait vu le soir se balancer devant le château de Wittsgaw, sur une barque qui, malgré le cours rapide du Rhin, se tenait immobile comme si elle eût été à l’ancre. On disait bien qu’on l’avait aperçu, un luth à la main sur la pointe d’un haut rocher qui s’élevait en face des fenêtres de Hilda, et

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sur lequel jusque-là les faucons, les gerfauts et les aigles avaient seuls posé leurs serres. Mais tous ces récits n’étaient que de vagues rumeurs, et personne ne pouvait dire positivement avoir rencontré le chevalier Torald depuis le jour où, armé de toutes pièces et monté sur son cheval, il avait traversé le village de Ro-semberg.

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Les conjureurs d’esprits.

La main de feu, comme vous l’avez vu, mes chers petits amis, avait donné au baron de Wilbold sept jours pour se repen-tir ; mais celui-ci, toujours poussé par les mauvais conseils du chevalier Hans de Warburg, était bien résolu de ne pas revenir sur ses pas, et, pour s’affermir dans cette résolution, il avait dé-cidé qu’il passerait les trois derniers jours en fêtes et en orgies. Ce qui lui donnait d’ailleurs un prétexte, c’était la célébration du jour anniversaire de la naissance de sa fille, qui tombait juste-ment le 8 de mai ; Hilda était née dans le mois des roses.

Au reste, le chevalier Hans avait un motif pour venir plus souvent qu’il ne l’avait jamais fait chez son ami, le baron de Wilbold ; il était devenu fort amoureux de la belle Hilda, et, quoiqu’il eût quarante-cinq ans au moins, c’est-à-dire trois fois

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l’âge de la jeune fille, il ne s’ouvrit pas moins à son ami de ses projets d’alliance.

Celui-ci n’avait jamais trop compris toutes les délicatesses de cœur sur lesquelles ordinairement les jeunes filles établissent leurs rêves de tristesse ou de joie, de douleur ou de félicité ; il avait pris sa femme sans l’aimer, ce qui ne l’avait pas empêché de se trouver parfaitement heureux en ménage, car la comtesse était une sainte femme. Il ne pensait donc pas que Hilda eût be-soin d’adorer son mari pour être heureuse à son tour avec lui. À ces réflexions venaient se joindre la grande admiration qu’il avait pour le courage de Hans, la connaissance parfaite qu’il avait de sa fortune, qui était au moins égale à la sienne ; et en-fin, l’habitude qu’il avait prise d’avoir pour convive le joyeux et bavard chevalier, lequel l’amusait beaucoup avec ses éternels récits de combats, de tournois et de duels dans lesquels, bien entendu, il avait toujours obtenu l’avantage.

Il n’avait donc ni accepté ni refusé l’offre du chevalier ; mais cependant il lui avait laissé comprendre qu’il lui ferait plaisir en essayant de plaire à Hilda, ce qui ne serait probable-ment pas difficile à un brave, galant et spirituel chevalier comme lui.

À partir de ce moment, le chevalier Hans avait donc redou-blé de soins et d’attention pour la gracieuse dame de ses pen-

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sées, laquelle avait reçu toutes ses démonstrations d’amour avec sa retenue et sa modestie habituelle, et comme si elle ignorait complètement dans quel but les compliments de Hans lui étaient adressés.

Le cinquième jour après l’apparition de la main de feu était donc le jour anniversaire de la naissance de Hilda, et, selon les projets de passer les trois jours suivants en fête, le baron Wilbold avait invité tous ses amis à un grand dîner ; comme on le pense bien, il n’avait pas oublié dans ses invitations son bon et inséparable compagnon, le chevalier Hans de Warburg.

Les convives étaient réunis ; on venait de passer dans la salle à manger, et chacun allait prendre à la table la place qui lui était destinée, lorsqu’on entendit le bruit du cor, et que le ma-jordome annonça qu’un chevalier venait de se présenter à la porte du château de Eisenfeld, demandant l’hospitalité.

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« Pardieu ! dit le baron, voilà un gaillard qui a bon nez. Allez lui dire qu’il est le bienvenu, et que nous l’attendons pour nous mettre à table. »

Cinq minutes après, le chevalier entra.

C’était un beau jeune homme de vingt à vingt-deux ans, aux cheveux noirs et aux yeux bleus, se présentant avec une ai-sance qui indiquait que, dans ses voyages, il avait l’habitude de recevoir l’hospitalité des plus hauts seigneurs.

Sa haute mine frappa à l’instant même tous les convives, et le baron Wilbold, voyant à qui il avait affaire, voulut, comme à son hôte, lui offrir sa propre place. Mais l’inconnu dénia cet honneur, et, après avoir répondu à l’invitation du baron Wilbold

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par un compliment plein de courtoisie, il prit à la table une des places secondaires.

Personne ne connaissait le chevalier, et chacun l’étudiait avec curiosité. Hilda seule tenait ses yeux baissés et quelqu’un qui l’eût regardée au moment où le chevalier apparaissait sur le seuil de la porte aurait pu remarquer qu’elle rougissait.

Le repas était somptueux et bruyant ; les vins surtout n’étaient point ménagés. Le baron Wilbold et Hans se faisaient remarquer à la courtoisie avec laquelle ils se portaient et se ren-daient les santés.

Il était bien difficile que le dîner se passât sans qu’il fût question des apparitions du château de Wittsgaw.

Le chevalier Hans se mit à railler le baron sur les terreurs que lui inspiraient les apparitions, terreur qu’il avouait avec toute la franchise d’un homme courageux.

« Pardieu ! mon cher chevalier, dit le baron, j’aurais bien voulu vous voir à ma place, quand cette terrible main de feu écrivait sur la muraille ce fameux quatrain, dont je n’ai point oublié une seule syllabe.

– Illusions ! reprit Hans. Rêves d’un esprit frappé. Je ne crois pas aux fantômes, moi.

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– Vous n’y croyez pas, parce que vous n’en avez pas encore vu ; mais si vous en voyiez quelqu’un, que diriez-vous ?

– Je le conjurerais, dit Hans en frappant bruyamment sur sa grande épée, de manière à ce qu’il ne reparût jamais en ma présence ; je vous en réponds.

– Eh bien, dit le baron Wilbold, une proposition, Hans ?

– Laquelle ?

– Conjure l’esprit de Mme la comtesse Berthe, de manière à ce qu’elle ne revienne jamais dans le château de Wittsgaw, et demande-moi ce que tu voudras.

– Ce que je voudrai ?

– Oui ! répondit le baron.

– Prends garde ! dit en riant le chevalier.

– Conjure l’esprit de la comtesse Berthe, et demande har-diment.

– Et quelque chose que je te demande, tu me l’accorderas ?

– Foi de chevalier.

– Même la main de la belle Hilda ?

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– Même la main de ma fille.

– Mon père ! dit la jeune châtelaine avec l’accent d’un léger reproche.

– Ma foi ! ma chère Hilda, reprit le baron que quelques verres de tokai et de braunberger avaient échauffé ; ma foi ! j’ai dit ce que j’ai dit. Chevalier Hans, je n’ai qu’une parole : conjure l’esprit de la comtesse Berthe, et ma fille est à toi.

– Et accorderez-vous pareille récompense, sire baron, de-manda le jeune étranger, à celui qui accomplira l’entreprise lorsque le chevalier Hans aura échoué ?

– Lorsque j’aurai échoué ! s’écria Hans. Ah çà ! vous sup-posez donc que j’échouerai !

– Je ne le suppose pas, chevalier, répondit l’inconnu avec un accent de voix si parfaitement doux, qu’on eût dit que ses pa-roles sortaient de la bouche d’une femme.

– Vous en êtes sûr, voulez-vous dire alors ! Corbleu ! mon-sieur l’inconnu, dit le chevalier en grossissant sa voix, savez-vous que c’est fort impertinent ce que vous me dites là ?

– En tout cas, la question que j’adresse à messire Wilbold de Eisenfeld ne peut porter aucun préjudice à vos projets de mariage, seigneur chevalier, puisque ce n’est qu’après que vous aurez échoué qu’un autre se présentera.

– Et quel est cet autre qui se présentera pour accomplir une entreprise où le chevalier Hans aura échoué ?

– Moi ! dit l’inconnu.

– Mais, dit le baron, pour que j’acceptasse votre offre toute courtoise qu’elle est, mon cher hôte, il faudrait d’abord que je susse qui vous êtes.

– Je suis le chevalier Torald », dit le jeune homme.

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Le nom s’était répandu dans toute la contrée d’une façon si avantageuse, qu’à ce nom tous les convives se levèrent pour sa-luer celui qui venait de se faire connaître ; Wilbold ne crut même pouvoir se dispenser de faire un compliment courtois au jeune homme.

« Chevalier, dit-il, si jeune que vous soyez, votre nom est déjà si avantageusement connu, qu’une alliance avec vous serait un honneur pour les plus fières maisons. Mais je connais le cheva-lier Hans depuis vingt ans, tandis que j’ai l’honneur de vous voir pour la première fois. Je ne pourrais donc, en tous cas, accepter l’offre que vous me faites, qu’en soumettant votre proposition à l’approbation de ma fille. »

Hilda rougit jusqu’au blanc des yeux.

« Je me suis toujours promis, dit Torald, de ne prendre pour épouse qu’une femme dont j’aurais la certitude d’être aimé. »

Depuis que le chevalier s’était nommé, Hans gardait le plus profond silence.

« Eh bien, chevalier, dit le baron, puisque vous soumettez la chose à l’approbation de ma fille, et puisque vous laissez la priorité de l’épreuve à mon ami Hans, je ne vois pas pourquoi, sauf plus profond examen de votre famille, je ne vous donnerais pas même parole qu’à lui.

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– Ma famille marche de pair avec les premières familles d’Allemagne, messire baron ; il y a même plus, ajouta le cheva-lier Torald en souriant, et je vais vous annoncer une nouvelle dont vous ne vous doutez pas, c’est que nous sommes quelque peu parents.

– Nous, parents ! s’écria Wilbold avec étonnement.

– Oui, messire, répondit Torald, et nous éclaircirons tout cela plus tard. Pour le moment, il n’est question que d’une chose, c’est de conjurer l’esprit de la comtesse Berthe.

– Oui, reprit Wilbold ; j’avoue que c’est l’affaire que je suis le plus pressé de voir terminer.

– Eh bien, dit Torald, que le chevalier Hans tente l’épreuve cette nuit, et moi je la tenterai la nuit prochaine.

– Parbleu, dit Wilbold, voici ce qui s’appelle parler, et j’aime qu’on mène les affaires avec cette rondeur. Chevalier To-rald, vous êtes un brave jeune homme, touchez là. »

Et Wilbold tendit au chevalier une main que celui-ci serra en s’inclinant.

Hans gardait toujours le plus morne silence.

Wilbold se retourna de son côté, et vit avec étonnement qu’il était très pâle.

« Eh bien, camarade Hans, lui dit-il, voilà une proposition faite pour te plaire ; et puisque tout à l’heure tu avais tant de hâte de te trouver en face des esprits, tu dois remercier le cheva-lier Torald qui t’offre l’occasion de les voir cette nuit même.

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– Oui, certainement, dit le chevalier, certainement ; mais ce sera inutile et j’aurai perdu mon temps, les esprits ne vien-dront pas.

– Vous vous trompez, chevalier Hans, répondit Torald du ton d’un homme qui est sûr de son fait, ils viendront. »

Hans devint livide.

« Après cela, dit Torald, si vous voulez me céder votre tour, chevalier Hans, j’accepterai avec reconnaissance, et j’essuierai le premier feu des fantômes ; peut-être seront-ils moins terribles à une seconde épreuve qu’à une première.

– Ma foi ! chevalier, dit Hans, passer le premier ou le se-cond, cela m’est absolument égal, et si vous tenez à passer le premier…

– Non pas, non pas, dit Wilbold ; je maintiens les choses comme il a été convenu. Gardez vos rangs, messieurs. Hans, ce soir ; le chevalier Torald, demain ; et ainsi donc… »

Il remplit son verre et le leva.

« À la santé des conjureurs d’esprits ! » dit-il.

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Chacun fit raison au baron. Mais celui-ci s’aperçut, à son grand étonnement, que la main du chevalier Hans tremblait en portant son verre à sa bouche.

« C’est bien, dit Wilbold ; après le dîner nous partirons. »

Le pauvre chevalier Hans était pris comme une souris dans une souricière.

Il avait d’abord, en s’engageant à entreprendre l’affaire, cru s’en tirer par une de ses fanfaronnades habituelles : il comptait faire semblant d’entrer dans le château et passer la nuit aux en-virons, puis le lendemain raconter tout à loisir le combat ter-rible qu’il avait livré aux esprits. Mais il n’en était plus ainsi ; l’affaire avait pris, grâce au défi porté par le chevalier Torald, un caractère de gravité qui indiquait à Hans que, soit par son ami, soit par son rival, il ne serait plus perdu de vue. En effet, après le dîner, le baron Wilbold se leva, annonçant qu’il allait accom-pagner lui-même le chevalier Hans, et que, pour qu’il n’y eût, ni de sa part, ni de celle du chevalier Torald, lieu à aucune récla-mation, il l’enfermerait à la clef dans la chambre à coucher, et mettrait son cachet sur la porte.

Il n’y avait pas à reculer. Hans demanda seulement la per-mission d’aller prendre sa cuirasse et son casque, afin d’être en état de résister à l’ennemi, si l’ennemi se présentait ; cette per-mission lui fut accordée.

Hans passa donc chez lui, et s’arma de pied en cap, puis on s’ache-mina vers le château désert de Witts-gaw.

La cavalcade se composait du ba-ron Wilbold de Eisenfeld, du chevalier Hans, du chevalier Torald et de trois ou quatre autres convives qui, se fai-

sant un plaisir de cet événement, de quelque façon qu’il tournât,

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devaient en attendre le résultat dans une métairie appartenant au baron de Wilbold et située à une demi-lieue du château.

On arriva à Wittsgaw vers les neuf heures du soir : c’était le moment favorable pour entreprendre l’affaire.

Hans était fort inquiet au dedans de lui-même, mais il fai-sait contre fortune bon cœur, et se conservait d’assez ferme ap-parence. Tout, au château, était plongé dans l’obscurité la plus profonde, et, comme le silence n’en était pas troublé par le moindre bruit, il semblait un spectre lui-même.

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On entra dans le vestibule désert, on traversa les grandes salles tendues de sombres tapisseries et les corridors sans fin ; enfin la porte de la fatale chambre à coucher s’ouvrit. Cette chambre était froide, calme et silencieuse comme le reste du château.

On fit un grand feu dans la cheminée, on alluma le lustre et les candélabres, puis on souhaita le bonsoir au chevalier Hans, et le baron Wilbold, ayant fermé la porte à la clef, mit les scellés dessus avec une bande de papier et deux cachets à ses armes.

Après quoi chacun cria une dernière fois bonne nuit au pri-sonnier, et s’en alla coucher dans la métairie.

Hans, resté seul, pensa d’abord à s’en aller par la fenêtre ; mais il n’y avait pas moyen, la fenêtre donnait sur un précipice que l’obscurité de la nuit faisait paraître plus profond encore.

Il sonda les murs : les murs rendirent partout un son mat et sourd, indiquant qu’il n’y avait aucune porte cachée dans les murailles.

Bon gré, mal gré, il fallait rester. Le

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chevalier Hans tâta si toutes les pièces de son armure étaient so-lidement attachées, si son épée était bien à son côté, si son poi-gnard sortait bien du fourreau, et si la visière de son casque jouait à loisir ; après quoi, voyant que de ce côté tout était pour le mieux, il s’assit dans le grand fauteuil en face de la cheminée.

Cependant les heures s’écoulaient sans que rien apparût, et le chevalier Hans commençait à se rassurer. D’abord il avait ré-fléchi que, puisque la muraille ne présentait aucune porte se-crète ; que, puisque la porte principale était fermée, les reve-nants auraient autant de peine à entrer qu’il en avait, lui, à sor-tir. Il est vrai qu’il avait entendu dire que les revenants s’occu-paient peu de ces sortes de clôtures, et passaient très bien sans dire gare à travers les murailles et les trous des serrures ; mais enfin c’était toujours pour lui une sécurité.

Nous devons dire pour l’honneur du chevalier Hans qu’il commençait même à s’endormir, lorsqu’il lui sembla entendre un grand bruit dans le tuyau de la cheminée ; il jeta aussitôt un fagot sur le feu qui commençait à s’éteindre, pensant rôtir les jambes des revenants, s’ils se décidaient à descendre par cette route. Le feu, en effet, flamba de nouveau, et montait contre la plaque tout en chantant et en pétillant, lorsque tout à coup le chevalier Hans vit sortir de la cheminée le bout d’une planche large d’un pied à peu près, qui se mouvait et s’allongeait sans qu’on pût distinguer ceux qui la faisaient mouvoir. La planche

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descendait toujours lentement et de biais, et, arrivant à toucher le sol, se trouva placée comme une espèce de pont au-dessus des flammes. Au même instant, sur ce pont se mirent à glisser, comme sur une montagne russe, une multitude de petits nains, conduits par leur roi qui, armé de toutes pièces comme le cheva-lier Hans, semblait les conduire à la bataille.

À mesure qu’ils descendaient, Hans reculait avec son fau-teuil à roulettes, de sorte que, lorsque le roi et son armée furent rangés en bataille devant la cheminée, Hans était arrivé à l’autre bout de la chambre, empêché par la muraille seule d’aller plus loin, et qu’il se trouvait entre eux un grand espace libre.

Alors le roi des nains, après avoir conféré à voix basse avec ses officiers généraux, s’avança seul dans l’espace.

« Chevalier Hans, dit-il alors d’un ton de voix ironique, j’ai entendu plus d’une fois vanter ton grand courage, il est vrai que c’est par toi-même ; mais, comme un vrai chevalier ne doit pas mentir, j’ai dû être convaincu que tu disais la vérité. En consé-

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quence, il m’est venu dans l’esprit de te défier en combat singu-lier, et, ayant appris que tu avais vaillam-ment offert au baron de Wilbold de conjurer l’esprit qui revient dans son château, j’ai ob-tenu de cet esprit, qui est de mes amis in-times, de me laisser prendre sa place cette nuit. Si tu es vainqueur, l’esprit par ma voix, s’engage à abandonner le château et à ne plus reparaître ; si tu es vaincu, tu avoueras franchement ta défaite, et tu céderas la place au chevalier Torald, que je n’aurai sans doute pas grand-peine à vaincre, car je ne l’ai jamais entendu se vanter d’avoir pourfendu personne. En conséquence, et comme je ne doute pas que tu n’acceptes le défi, voici mon gant. »

Et, à ces mots, le roi des nains jeta fièrement son gant aux pieds du chevalier.

Pendant que le roi des nains faisait son discours d’une pe-tite voix claire, le chevalier Hans l’avait regardé attentivement,

et s’étant assuré qu’il n’avait guère plus de six pouces et de-mi de haut, il commençait à se rassurer, car un pareil adver-saire ne lui paraissait pas fort à craindre ; il ramassa donc le gant avec une certaine con-fiance, et le mit sur le bout de son petit doigt pour l’examiner.

C’était un gant à la Cris-pin, taillé dans une peau de rat musqué, et sur lequel avaient été cousues avec une grande habileté de petites écailles d’acier.

Le roi des nains laissa Hans

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examiner le gant tout à son aise ; puis, après un instant de si-lence : « Eh bien, chevalier, dit-il, j’attends la réponse. Ac-ceptes-tu ou refuses-tu le défi ? »

Le chevalier Hans jeta de nouveau les yeux sur le champion qui se présentait pour le combattre et qui n’atteignait pas à la moitié de sa jambe, et, rassuré par sa petite taille :

« Et à quoi nous battrons-nous, mon petit bonhomme ? dit le chevalier.

– Nous nous battrons chacun avec nos armes, toi avec ton épée, et moi, dit-il, avec mon fouet.

– Comment ! vous avec votre fouet ?

– Oui, c’est mon arme ordinaire ; comme je suis petit, il faut que j’atteigne de loin. »

Hans éclata de rire.

« Et vous vous battrez contre moi, dit-il, avec votre fouet ?

– Sans doute. N’avez-vous pas entendu que je vous ai dit que c’était mon arme ?

– Et vous n’en prendrez pas d’autre ?

– Non.

– Vous vous y engagez ?

– Foi de chevalier et de roi.

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– Alors, dit Hans, j’accepte le combat. »

Et il jeta à son tour son gant aux pieds du roi.

« C’est bien, dit le roi, qui fit un bond en arrière pour ne pas être écrasé. Sonnez, trompettes ! »

En même temps, douze trompettes, qui étaient montés sur un petit tabouret, sonnèrent une fanfare belliqueuse, pendant laquelle on apporta au roi des nains l’arme avec laquelle il de-vait combattre.

C’était un petit fouet dont le manche était formé d’une seule émeraude. Au bout de ce manche s’attachaient cinq chaînes d’acier longues de trois pieds, au bout desquelles bril-laient des diamants de la grosseur d’un pois : sauf la valeur de la matière, l’arme du roi des nains ressemblait donc fort à un de ces martinets avec lesquels on bat les habits.

Le chevalier Hans, de son côté, plein de confiance dans sa force, tira son épée.

« Quand vous voudrez ! dit le roi au chevalier.

– À vos ordres, sire », dit Hans.

Aussitôt les trompettes firent entendre un air plus guerrier encore que le premier, et le combat commença.

Mais aux premiers coups qu’il reçut, le chevalier comprit qu’il avait eu tort de mépriser l’arme de son adversaire. Tout couvert d’une cuirasse qu’il était, il ressentait les coups de fouet comme s’il eût été nu, car, partout où frappaient les cinq dia-

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mants, ils enfonçaient le fer comme ils eussent fait d’une pâte molle. Hans, au lieu de se défendre, se mit donc à crier, à hurler, à courir autour de la chambre, à sauter sur les meubles et à monter sur le lit, poursuivi de tous côtés par le fouet de l’implacable roi des nains, tandis que l’air guerrier que sonnaient les trom-pettes, s’appropriant à la circonstance, avait changé de mesure et de caractère pour devenir un galop.

C’est ce même galop, mes chers en-fants, que notre grand musicien Auber a

re-trouvé et a placé, sans rien dire, dans le cinquième acte de Gustave.

Après cinq minutes de cet exercice, le chevalier Hans tomba à genoux et demanda

grâce.

Alors le roi des nains remit le fouet aux mains de son écuyer, et prenant son sceptre :

« Chevalier Hans, lui dit-il, tu n’es qu’une véritable femme ; ce n’est donc point une épée et un poignard qui te conviennent, c’est une quenouille et un fu-seau. »

Et, à ces mots, il le toucha de son sceptre. Hans sentit qu’il se faisait un grand changement sur sa personne ; les nains écla-tèrent de rire, et tout disparut comme une vision.

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Le chevalier à la quenouille.

Hans regarda d’abord autour de lui, il était seul.

Alors il regarda sur lui, et son étonnement fut grand.

Il était vêtu en vieille femme : sa cuirasse était devenue un jupon de molleton à raies ; son casque, une cornette : son épée, une quenouille ; et son poignard, un fuseau.

Vous comprenez, mes chers enfants, que, comme sous ce nouveau costume le chevalier Hans avait conservé sa barbe et ses moustaches, le chevalier Hans était fort grotesque et fort laid.

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Lorsqu’il se vit accoutré ainsi, le chevalier Hans fit une grimace qui le rendit plus grotesque et plus laid encore ; mais il lui vint dans l’idée de se déshabiller et de se mettre au lit ; de cette façon il ne resterait aucune trace de ce qui s’était passé. Il posa donc sa quenouille sur le fauteuil, et voulut se mettre à dé-nouer sa cornette ; mais aussitôt la quenouille s’élança du fau-teuil où elle était placée, et lui donna de si bons coups sur les doigts, qu’il fut obligé de faire face à ce nouvel adversaire.

Hans voulut d’abord se défendre ; mais la quenouille s’escrima si bien, qu’il fut obligé, au bout d’un instant, de four-rer ses mains dans ses poches.

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Alors la quenouille reprit tranquillement sa place à son cô-té, et le chevalier Hans eut un moment de répit.

Il en profita pour examiner son ennemi.

C’était une honnête quenouille, ressem-blant à toutes les quenouilles de la terre, si ce n’est que, plus élégante que les autres, elle était terminée à son extrémité supérieure par une petite tête grimaçante et moqueuse, qui semblait tirer la langue au chevalier.

Le chevalier fit semblant de sourire à la quenouille, tout en se rapprochant de la che-minée, et, prenant son temps, il saisit la que-nouille par le milieu du corps et la jeta au feu.

Mais la quenouille ne fut pas plutôt dans le foyer, qu’elle se redressa toute en flamme, et se mit à courir après le chevalier, qui, cette fois, fut non seulement battu, mais encore allait être brûlé, lorsqu’il demanda grâce.

Aussitôt la flamme s’éteignit, et la quenouille se replaça modestement à sa ceinture.

La situation était grave ; le jour commençait à paraître, et le baron Wilbold, le chevalier Torald et les autres ne pouvaient tarder à venir. Hans ruminait dans son esprit comment il pour-

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rait se débarrasser de la quenouille maudite, lorsque l’idée lui vint de la jeter par la fenêtre.

Il s’approcha donc de la croisée tout en chantonnant, pour ne donner aucun soupçon à la quenouille, et l’ayant ouverte comme pour regarder le paysage et respirer l’air frais du matin, il saisit tout à coup son étrange adversaire, la jeta dans le préci-pice et referma la fenêtre ; tout à coup il entendit le bruit d’une vitre cassée, et se retourna vers la seconde croisée ; la que-nouille, précipitée par une fenêtre, était rentrée par l’autre.

Mais cette fois la quenouille, qui deux fois avait été prise en traître, était furieuse ; elle tomba sur Hans, et à grands coups de tête elle lui meurtrit tout le corps. Hans poussait de véritables hurlements.

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Enfin, Hans étant tombé anéanti dans le fauteuil, la que-nouille eut pitié de lui, et revint se replacer à sa ceinture.

Alors Hans pensa qu’il désarmerait peut-être la colère de son ennemie en faisant quelque chose pour elle, et il se mit à fi-ler.

La quenouille aussitôt parut fort satisfaite ; sa petite tête s’anima, elle cligna des yeux de plaisir, et elle se mit de son côté à murmurer une petite chanson.

En ce moment Hans entendit du bruit dans le corridor et voulut cesser de filer ; mais ce n’était pas l’affaire de la que-nouille, qui lui donna de tels coups sur les doigts, que force lui fut de continuer sa besogne.

Cependant les pas se rapprochaient et s’arrêtaient devant la porte ; Hans était furieux d’être surpris sous un pareil cos-tume et dans une pareille occupation, mais il n’y avait pas moyen de faire autrement.

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Au bout d’un instant, en effet, la porte s’ouvrit, et le baron Wilbold, le chevalier Torald, et les trois ou quatre autres per-sonnes qui les accompagnaient, restèrent stupéfaits du singulier spectacle qu’ils avaient sous les yeux.

Hans, qu’ils avaient quitté vêtu d’une armure de chevalier, était habillé en vieille femme avec une quenouille et un fuseau.

Les nouveaux arrivants éclatèrent de rire. Hans ne savait où se fourrer.

« Pardieu ! dit le baron de Wilbold, il paraît que les esprits qui t’ont apparu avaient l’esprit jovial, camarade Hans, et tu vas nous raconter ce qui t’est arrivé.

– Voilà ce que c’est, répondit Hans qui espérait s’en tirer à l’aide d’une gasconnade, voilà ce que c’est : c’est un pari. »

Mais à ce moment la quenouille, qui voyait qu’il allait men-tir, lui donna un si violent coup sur les ongles, qu’il poussa un cri.

« Quenouille maudite ! » murmura-t-il ; puis il re-prit : C’est un pari que j’ai fait ; pensant que comme le revenant

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était une femme, il était inutile de l’attendre avec d’autres armes qu’une quenouille et un fuseau... »

Mais, en ce moment, malgré le regard suppliant que Hans jetait à la quenouille, celle-ci se rebiffa et recommença à lui ta-per sur les ongles, de telle façon, que Wilbold lui dit :

« Tiens, camarade Hans, je vois que tu mens, et que voilà pourquoi la quenouille te bat. Dis-nous la vérité, et la quenouille te laissera tranquille. »

Et, comme si elle avait compris ce que ve-nait de dire le baron, la quenouille lui fit une grande révérence accompagnée d’un signe de tête qui voulait dire qu’il était dans la vérité.

Force fut donc à Hans de raconter ce qui s’était passé dans tous ses détails. Il voulait bien, de temps en temps encore, s’écarter de la vérité et broder quelque épisode en faveur de son courage ; mais alors la que-nouille, qui se tenait tranquille tant qu’il ne mentait pas, lui tombait dessus dès qu’il mentait, et cela de telle façon, qu’il était obligé de rentrer à l’instant même dans le sentier de la vérité dont il s’était momentanément écarté.

Le récit achevé d’un bout jusqu’à l’autre, la quenouille fit une révérence moqueuse à Hans et un salut parfai-tement poli au reste de la société et s’en alla par la porte, en sautillant sur sa queue, et emmenant son fuseau qui la suivait comme un enfant suit sa mère.

Quant au chevalier Hans, lors-qu’il fut bien certain que la quenouille s’était éloignée, il s’enfuit par la

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même porte et alla, au milieu des huées de tous les polissons qui le prenaient pour un masque, se cacher dans son château.

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Le trésor.

La nuit suivante, c’était au chevalier Torald de veiller ; mais celui-ci se prépara à cette entreprise nocturne avec autant d’humilité et de recueillement que Hans avait mis de fanfaron-nade et de légèreté.

Comme le chevalier Hans, il fut conduit, enfermé et scellé dans la chambre ; mais il n’avait voulu prendre aucune arme, disant que contre les esprits toute résistance humaine était inu-tile, les esprits venant de Dieu.

Donc, aussitôt qu’il fut seul, il fit dévotement sa prière, et attendit, assis dans le fauteuil, que l’esprit voulût bien lui appa-raître.

Il attendait depuis quelques heures ainsi, les yeux fixés vers la porte et sans qu’il vît rien d’extraordinaire, lorsque tout à

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coup, derrière lui, il entendit un léger bruit et sentit qu’on lui touchait légèrement l’épaule.

Il se retourna ; c’était l’ombre de la comtesse Berthe.

Mais loin que le jeune homme parût effrayé, il lui sourit comme à une ancienne amie.

« Torald, lui dit-elle, tu es devenu ce que j’espérais, c’est-à-dire un bon, un brave, un pieux jeune homme ; sois donc ré-compensé comme tu le mérites. »

Et à ces mots, lui faisant signe de la suivre, elle s’avança du côté de la muraille, et l’ayant touchée du doigt, la muraille s’ouvrit et découvrit un grand trésor que le comte Osmond avait autrefois caché là, lorsqu’il avait été forcé par la guerre de quit-ter le château.

« Ce trésor est à toi, mon fils, dit la comtesse ; et, pour qu’on ne te le conteste pas, personne que toi ne pourra ouvrir la mu-raille, et le mot avec lequel tu l’ouvriras est le nom de ta bien-aimée Hilda. »

Et, à ces mots, la muraille se referma si hermétiquement, qu’il était impossible d’en voir la soudure.

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Après quoi, l’ombre ayant adressé au chevalier un dernier sourire et un gracieux signe de tête, elle disparut comme une vapeur qui se serait évanouie.

Le lendemain, Wilbold et ses compagnons entrèrent dans la chambre, et trouvèrent le chevalier Torald paisiblement en-dormi dans le grand fauteuil.

Le baron réveilla le jeune homme, qui ouvrit les yeux en souriant.

« Ami Torald, dit Wilbold, j’ai fait un rêve cette nuit.

– Lequel ? demanda Torald.

– J’ai rêvé que tu ne t’appelais point Torald, mais Hermann ; que tu étais le petit-fils du comte Osmond, qu’on t’avait cru mort, quoique tu ne le fusses pas, et que ta grand-mère Berthe t’était apparue cette nuit pour te découvrir un trésor. »

Torald comprit que ce rêve était une révélation du ciel pour que le baron Wilbold de Eisenfeld ne conservât aucun doute.

Il se leva donc sans rien répondre, et, faisant à son tour signe au baron de le suivre, il s’arrêta devant la muraille.

« Votre rêve ne vous a point trompé, messire Wilbold ; je suis bien cet Hermann que l’on a cru mort. Ma grand-mère Berthe

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m’est bien apparue cette nuit, et m’a effectivement découvert le trésor ; et la preuve, la voici. »

Et à ces mots, Hermann, car c’était effectivement le pauvre enfant que la comtesse Berthe avait repris dans son tombeau et confié au roi des Nains, Hermann prononça le nom de Hilda, et, comme l’avait promis le fantôme, la muraille s’ouvrit.

Wilbold resta ébloui à la vue de ce trésor qui se composait, non seulement d’or monnayé, mais encore de rubis, d’éme-raudes et de diamants.

« Allons, dit-il, cousin Hermann, je vois bien que tu as dit la vérité. Le château de Wittsgaw et ma fille Hilda sont à toi, mais à une condition.

– Laquelle ? demanda Hermann avec anxiété.

– C’est que tu te chargeras, tous les 1er de mai, de donner aux paysans de Rosemberg et des environs la bouillie de la com-tesse Berthe. »

Hermann accepta, comme on le comprend bien, la condi-tion avec reconnaissance.

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Conclusion.

Huit jours après, Hermann de Rosemberg épousa Hilda de Eisenfeld ; et, tant que le château resta debout, ses descendants donnèrent généreusement et sans interruptions, tous les ans au 1er mai, aux habitants de Rosemberg et des environs, la bouillie de la comtesse Berthe.

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Ce livre numérique

a été édité par

l’Association Les Bourlapapey,

bibliothèque numérique romande

http://www.ebooks-bnr.com/

en décembre 2013.

– Élaboration :

Les membres de l’association qui ont participé à l’édition, aux corrections, aux conversions et à la publication de ce livre numérique sont : Tatiana, Sylvie, Françoise.

– Sources :

Ce livre numérique est réalisé principalement d’après : La Bouillie de la Comtesse Berthe par Alexandre Dumas illustré par Bertall, Paris, Hetzel (Petite bibliothèque blanche), s.d. D’autres éditions ont été consultées en vue de l’établissement du présent texte. L’illustration de première page, réalisée par Ber-tall, est tirée de l’ouvrage précité.

– Dispositions :

Ce livre numérique – basé sur un texte libre de droit – est à votre disposition. Vous pouvez l’utiliser librement, sans le modi-fier, mais vous ne pouvez en utiliser la partie d’édition spéci-fique (travail d’établissement du texte, mise en page, notes de la BNR, présentation éditeur, photos et maquettes, etc.) à des fins commerciales et professionnelles sans l’autorisation des Bour-

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lapapey. Merci d’en indiquer la source en cas de reproduction. Tout lien vers notre site est bienvenu…

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