27
1 La carnavalisation dans le roman maghrébin de langue française BENALIL MOUNIA Depuis quelques années, les apports de Mikhaïl Bakhtine à la théorie du roman et aux études culturelles, notamment les concepts du dialogisme et de la carnavalisation, ont révolutionnées l'étude du roman francophone. Ses monographies sur Dostoïevski (19970a) et sur Rabelais (1970b) sont consacrées à l'examen de ces deux concepts fondateurs du roman occidental. Le dialogisme renvoie à la dynamique inter-relationnelle de l'échange verbal, alors que la carnavalisation renvoie à la textualisation ou à la transposition dans le discours littéraire du rituel populaire du carnaval. Dans son exploration du processus de "«romanisation» de la littérature" européenne (Bakhtine, 1978: 472), le théoricien russe aboutit à la conclusion suivante: le roman est un genre a-canonique dont l'évolution est toujours en devenir. L'a-canonicité du roman se mesure au degré de son affranchissement des formes monologiques de la création verbale. De l'antiquité gréco-romaine jusqu'aux temps modernes en passant par la Renaissance, "la floraison du roman est toujours relatée à la décomposition des systèmes verbaux idéologiques stables et, en contrepoids, au renforcement et à l'intentionalisation du plurilinguisme, tant dans les limites du dialecte littéraire lui-même, que hors de lui" (186). Il est possible de réfléchir sur les littératures francophones (ou les littératures de langue française non-hexagonales) à partir de cette double perspective bakhtinienne de l'a-canonicité et du plurilinguisme. Bien que l'Europe soit la "«société du roman»" (Cioran cité par Kundera, 1993: 41), le roman issu des milieux francophones où le français fut implanté en raison de la colonisation, le Québec, le Maghreb, l'Afrique noire et les Antilles, entre autres, ne s'est majoritairement affirmé qu'en relativisant la centralité monolithique, voire canonique du système verbal et idéologique français (le français de France). Ce que Kundera désigne par la "tropicalisation 1 du roman" (Kundera, 1993: 44) par réference aux oeuvres de Chamoiseau et de 1 Selon Semujanga, la tropicalité est "un lien transdiscursif entre l'Afrique littéraire et l'Amérique latine où le mouvement artistique et littéraire, connu sous ce nom, a existé dans les années soixante et soixante-dix, d'une part, et l'Occident et ses stéréotypes sur les pays tropicaux, d'autre part. [...] En effet, le tropicalisme est, dans le contexte latino-américain, un mouvement artistique et littéraire qui tire son nom d'une oeuvre d'art, La Tropicalia d'Oiticica, exposée au Musée d'Art moderne de Rio de Janeiro en 1967. Les procédés majeurs de ce mouvement consistent en une incorporation parodique des clichés sur la vie dans les pays tropicaux où la modernité côtoie la traditon dans un mélange hétérogène. [...] La tropicalité qui relève du principe transdiscursif consiste à s'emparer des discours sociaux ou littéraires et de leurs charges sémantiques pour les renverser et les relativiser. En tant que relation horizontale entre les différents

La carnavalisation dans le roman maghr bin de langue fran aise · 2014. 8. 19. · y étaient refoulés ou considérés comme étrangers, s'est accompagnée d'une mutation mentale

  • Upload
    others

  • View
    0

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: La carnavalisation dans le roman maghr bin de langue fran aise · 2014. 8. 19. · y étaient refoulés ou considérés comme étrangers, s'est accompagnée d'une mutation mentale

1

La carnavalisation dans le roman maghrébin de langue française

BENALIL MOUNIA

Depuis quelques années, les apports de Mikhaïl Bakhtine à la théorie du roman et aux

études culturelles, notamment les concepts du dialogisme et de la carnavalisation, ont

révolutionnées l'étude du roman francophone. Ses monographies sur Dostoïevski (19970a) et sur

Rabelais (1970b) sont consacrées à l'examen de ces deux concepts fondateurs du roman

occidental. Le dialogisme renvoie à la dynamique inter-relationnelle de l'échange verbal, alors

que la carnavalisation renvoie à la textualisation ou à la transposition dans le discours littéraire du

rituel populaire du carnaval. Dans son exploration du processus de "«romanisation» de la

littérature" européenne (Bakhtine, 1978: 472), le théoricien russe aboutit à la conclusion suivante:

le roman est un genre a-canonique dont l'évolution est toujours en devenir. L'a-canonicité du

roman se mesure au degré de son affranchissement des formes monologiques de la création

verbale. De l'antiquité gréco-romaine jusqu'aux temps modernes en passant par la Renaissance,

"la floraison du roman est toujours relatée à la décomposition des systèmes verbaux idéologiques

stables et, en contrepoids, au renforcement et à l'intentionalisation du plurilinguisme, tant dans les

limites du dialecte littéraire lui-même, que hors de lui" (186).

Il est possible de réfléchir sur les littératures francophones (ou les littératures de langue

française non-hexagonales) à partir de cette double perspective bakhtinienne de l'a-canonicité et

du plurilinguisme. Bien que l'Europe soit la "«société du roman»" (Cioran cité par Kundera,

1993: 41), le roman issu des milieux francophones où le français fut implanté en raison de la

colonisation, le Québec, le Maghreb, l'Afrique noire et les Antilles, entre autres, ne s'est

majoritairement affirmé qu'en relativisant la centralité monolithique, voire canonique du système

verbal et idéologique français (le français de France). Ce que Kundera désigne par la

"tropicalisation1 du roman" (Kundera, 1993: 44) par réference aux œuvres de Chamoiseau et de

1 Selon Semujanga, la tropicalité est "un lien transdiscursif entre l'Afrique littéraire et l'Amérique latine où le mouvement artistique et littéraire, connu sous ce nom, a existé dans les années soixante et soixante-dix, d'une part, et l'Occident et ses stéréotypes sur les pays tropicaux, d'autre part. [...] En effet, le tropicalisme est, dans le contexte latino-américain, un mouvement artistique et littéraire qui tire son nom d'une œuvre d'art, La Tropicalia d'Oiticica, exposée au Musée d'Art moderne de Rio de Janeiro en 1967. Les procédés majeurs de ce mouvement consistent en une incorporation parodique des clichés sur la vie dans les pays tropicaux où la modernité côtoie la traditon dans un mélange hétérogène. [...] La tropicalité qui relève du principe transdiscursif consiste à s'emparer des discours sociaux ou littéraires et de leurs charges sémantiques pour les renverser et les relativiser. En tant que relation horizontale entre les différents

Page 2: La carnavalisation dans le roman maghr bin de langue fran aise · 2014. 8. 19. · y étaient refoulés ou considérés comme étrangers, s'est accompagnée d'une mutation mentale

2

Rushdie pourrait également décrire les multiples façons dont les écrivains francophones ont plié

la langue française aux exigences de leurs propres aspirations créatrices élargissant et

décloisonnant, de ce fait, les dimensions de la francité2. Autrement dit, prolongement de l'histoire

du roman européen ou rupture d'avec les principes formels et conceptuels de celui-ci, la

"romanisation" dans les sociétés francophones, largement tributaire de l'expérience coloniale, est

un espace où la subversion carnavalesque a pris toutes sortes de formes et où "l'eurocentrisme a

[fini par faire] place à un polycentrisme" (Lozowy, 1998: 164) marquant.

Le roman maghrébin de langue et d'expression française (aussi appelé roman

francophone du Maghreb) est né de plusieurs tensions, notamment de la détermination des

écrivains maghrébins des années 1950 qui ont voulu articuler leurs projets littéraires à celui de la

lutte anti-coloniale. Issue également "d'un désir de montrer, de décrire la différence culturelle

maghrébine par rapport à une universalité supposée de l'humanisme" (Bonn, 1993: 94), l'écriture

romanesque maghrébine dit la rupture sur fond de plusieurs carnavalisations discursives. Bien

que le genre romanesque ne corresponde pas à la tradition des lettres arabes3, il n'en demeure pas

moins que son adoption par les écrivains maghrébins s'est avérée significative dans

l'élargissement, à l'échelle internationale, des frontières de la francophonie littéraire et dans

l'élaboration d'un univers interculturel où se dialogisent, par le travail de l'écriture, plusieurs

formes de l'hétérogène. Dans cet article4, nous tenterons, après un examen historique, d'encadrer

notre réflexion sur le roman maghrébin à partir d'une étude des aspects majeurs de la

carnavalisation qui jalonne son évolution. Nous limiterons notre propos au roman algérien et

discours où les hiérarchies sont neutralisées, la transdiscursivité est liée ici à la tropicalité dont la charge subversive consiste en un processus de récupération d'autres discours" (1999: 140-41; 139). 2 "Le mot", remarque Deniau, "bien que moins fréquemment employé, continue cependant d'exister car il possède un sens précis défini par la francophonie qu'il éclaire. Le Grand Larousse caractérise la francité comme l'«ensemble des caractères propres à la civilisation française». Il semble donc qu'on se réfère ici plus à la France et à une essence française qu'à la langue. La francophonie apparaît comme la manifestation de la francité" (1995: 14). 3 Avant le roman, il existait une littérature orale et poétique de langue arabe et berbère. L'emprunt du modèle autobiographique a signé les débuts du genre romanesque dans les lettres arabes au début du XXe siècle en Egypte, surtout avec Taha Hussein, Mahmoud Al-Aqqâd et Tawfiq Al-Hakîm (Abdellah Bounfour, 1990; 1995). L'autobiographie, dans les premiers romans de Kateb Yacine, Nedjma et d'Ahmed Séfrioui, La boîte à merveilles, "est [aussi] révélatrice des conditions d'apparition du genre romanesque d'une façon générale au Maghreb: à savoir la mise à mal d'un imaginaire qui puisait dans sa nomadisation orale l'efficacité de ses effets. L'ouverture du système socio-culturel à des éléments ou des valeurs qui, jusque-là, y étaient refoulés ou considérés comme étrangers, s'est accompagnée d'une mutation mentale et sociale dont l'écrit autobiographique porte l'écho" (Chaouite, 1990: 81). Le roman en arabe des années 1920-1930 au Maghreb a été dynamisé par les mouvements de la Nahdha ou de la Renaissance arabe. Il s'est affirmé à partir des années 1960. 4 La publication de cet article est rendue possible grâce à une subvention du Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture.

Page 3: La carnavalisation dans le roman maghr bin de langue fran aise · 2014. 8. 19. · y étaient refoulés ou considérés comme étrangers, s'est accompagnée d'une mutation mentale

3

marocain sans aborder le fait romanesque maghrébin dans toute son étendue qui engloberait le

roman tunisien, le roman judéo-maghrébin et le roman maghrébin de l'émigration.

1.0 Perspective historique

La conquête française a marqué les pays du Maghreb, bien qu'elle n'ait pas été vécue de

la même façon dans chacun de ces pays: l'Algérie était une colonie française de peuplement de

1830 à 1962, alors que le Maroc et la Tunisie furent des protectorats de 1912 à 1956 et de 1881 à

1956, respectivement. La conquête "a été comme une fitna, une épreuve et une tentation

séduisante mais troublante" (Déjeux, 1992: 4). Dans de nombreuses études et anthologies parues

sur les littératures du Maghreb, la production romanesque est rapportée au fait colonial. Ainsi des

experts ou spécialistes distinguent en général entre une littérature nord-africaine produite par des

Français bien avant la colonisation et une autre produite par des auteurs maghrébins pendant et

après la colonisation. "Cet état de fait ne peut être compris et apprécié à sa juste valeur que si l'on

se place dans une perspective socio-politico-historique qui permet de saisir la naissance et

l'évolution de la littérature francophone au Maghreb" (Redouane, 1998: 81).

Avant les années 1950, la littérature de langue française en Algérie et au Maroc est

généralement écrite par les Français. À différents degrés, elle est la traduction exotique et

ethnographique (documentaire) d'un regard extérieur sur la maghrébinité. Le Maghreb a inspiré la

littérature coloniale5 (ou pied-noir) et l'apport d'auteurs tels que Albert Camus ou Jean Pélégri

(pour l'Algérie), Loti ou François Bonjean (pour le Maroc), pour ne citer que quelques noms

connus, a été, malgré plusieurs contradictions, important dans l'émancipation littéraire des

premières générations d'écrivains maghrébins de langue française. En Algérie, les deux courants

de l'Algérianisme et de l'École d'Alger, au cours des années 1920-1940, traversent l'expression

littéraire de langue française. Dans le sillage de ces courants à caractère paternaliste et

acculturaliste, il est possible de relever des exemples d'auteurs algériens arabo-musulmans des

années 1920-1930 qui ont suivi la mode de l'écriture coloniale dans l'ambition d'avoir une

reconnaissance littéraire. En témoignent les œuvres d'Abdelkader Haj-Hamou, Zohra, la femme

du mineur (1925) ou de Mohammed Ould Cheikh, Myriem dans les palmes (1936) (exemples

cités par Bonn, Garnier & Lecarme, 1997: 186). Généralement caractérisés par une pauvreté

formelle et "écrits le plus souvent par des fonctionnaires «indigènes» de l'administration 5 Voir Jean Déjeux dans Littérature maghrébine de langue française. Introduction générale et auteurs. Sherbrooke: Naaman, 1978 et dans La littérature maghrébine d'expression française. Paris: PUF, 1992. Ces ouvrages offrent un découpage plus détaillé des différentes étapes et des périodisations thématiques de la littérature maghrébine écrite par les Français. La littérature au soleil du Maghreb. De l'Antiquité à nos jours. Paris: L'Harmattan, 1993, de Pierre Grenaud, poursuit le même panorama rétrospectif en remontant les influences littéraires en Afrique du Nord jusqu'aux invasions qui lui ont été imposées depuis les Romains jusqu'aux Français en passant par les Arabes et les Turcs.

Page 4: La carnavalisation dans le roman maghr bin de langue fran aise · 2014. 8. 19. · y étaient refoulés ou considérés comme étrangers, s'est accompagnée d'une mutation mentale

4

coloniale", ces romans et d'autres représentent, du point de vue de la critique algérienne, "une

sorte de sous-ensemble de la littérature coloniale de l'Algérie de l'époque" (186). Au Maroc, la

littérature coloniale est moins prépondérante et moins abondante que celle de l'Algérie. Il faut

attendre les années 1950 pour parler du roman marocain écrit par des Marocains car avant cette

date, c'était surtout en langue arabe que se faisaient entendre la poésie et l'essai. "Une littérature

en langue française vit donc le jour mais dans des conditions différentes de celles de l'Algérie,

puisqu'il n'y eut pas de génération d'écrivains analogue à celle des années 20-50 en Algérie, dans

l'ambiguïté et la quête d'identité du fait du poids de la «francisation» et du problème aigu pendant

des années du statut personnel" (Déjeux, 1992: 38).

Les années 1950-1970 ont configuré, pour les écrivains maghrébins arabo-musulmans, de

nouveaux espaces d'expression littéraire qui ont favorisé la réflexion sur l'identité culturelle en

rapport avec l'indépendance politique. Les écrivains de cette génération ont contribué à "la

conscientisation du Maghreb bouleversé par la colonisation et par les guerres de libération"

(Redouane, 1998: 84). Dans leurs refus de se rallier aux thématiques de la littérature coloniale,

certains écrivains ont proposé la résistance aux distortions idéologiques de la mission civilisatrice

à laquelle cette littérature servait de support. Dans son livre Le roman maghrébin, Abdelkebir

Khatibi rattache la naissance d'une littérature romanesque nationale maghrébine à des facteurs

plutôt externes, "du fait que la question nord-africaine était à l'ordre du jour sur le plan

international [et] que la gauche française a prodigué des encouragements à certains intellectuels

maghrébins" (1979: 14) pour produire des romans à valeur documentaire aptes à faire connaître

ces sociétés autrement qu'à travers la tradition classique de l'exotisme.

De ce fait, il est possible de distinguer entre deux générations d'écrivains: celle d'avant les

indépendances et celle d'après les indépendances. La première a suivi la mode du réalisme

romanesque pour répondre, à travers la description des sociétés maghrébines, à l'attente

ethnographique et folklorique d'un public français spécifique. La deuxième s'est démarquée de

cette mode, la considérant comme la continuité d'une tradition littéraire française en Afrique. La

production de cette deuxième génération sera significative dans l'examen des réalités socio-

politiques maghrébines aux lendemains des indépendances. Dans la mouvance de cette période

marquée par le militantisme, et en dépit de la politique d'arabisation prônée par les mouvements

nationalistes et par le pouvoir en place, des écrivains ont continué et continuent d'écrire en

français "communiqu[ant] un fond culturel, esthétique et idéologique national et [...] soulign[ant]

une densité maghrébine enrichissante aussi bien pour le public européen que maghrébin"

(Redouane, 1998: 85).

En Algérie, Mouloud Feraoun (Le fils du pauvre, 1950), Mohammed Dib (La grande

maison, 1952) et Mouloud Mammeri (La colline oubliée, 1952) signent les débuts du roman

algérien limité à la description de la vie montagnarde, aux conflits des générations ou à

Page 5: La carnavalisation dans le roman maghr bin de langue fran aise · 2014. 8. 19. · y étaient refoulés ou considérés comme étrangers, s'est accompagnée d'une mutation mentale

5

l'influence de la société européenne sur la société algérienne traditionnelle. Avec l'insurrection en

1954, l'épreuve de la guerre redéfinit les orientations du roman qui promeut la révolution et la

lutte pour l'indépendance. Nedjma (1956) de Kateb Yacine métaphorise cette révolution sur le

plan langagier et formel. Ce roman est considéré comme "le véritable texte fondateur par le

renversement qu'il opère de tous les modèles narratifs, et principalement descriptifs, qui lui

préexistaient" (Bonn, Garnier & Lecarme 190). Les romans d'Assia Djebar (Les enfants du

nouveau monde, 1962 et Les alouettes naïves, 1966), de Mammeri (L'opium et le bâton, 1965) et

de Hocine Bouzaher (Les cinq doigts du jour, 1967) se situent dans l'optique de la lutte avec une

mise en scène héroïque des combattants et des combattantes algériens. En général, l'engagement

politique marque la séparation des écrivains de cette génération d'avec ceux de l'École

algérianiste ou encore de l'École d'Alger. Le "roman invente une forme nouvelle dans l'éclatement

des anciennes structures. Il dit aussi les bouleversements de la guerre et de l'indépendance,

l'affrontement du nouveau et de l'ancien dans une société en mutation, les transformations

inachevées, les identités problématiques... Littérature nécessairement critique, polémique,

iconoclaste, voire sacrilège" (Joubert, et al, 1986: 195). La fin des années 1960 représente "une

seconde naissance du roman algérien" (Bonn, Garnier & Lecarme 197). Celle-ci est attribuable à

deux facteurs: à "l'écroulement partiel des langues de bois auquel on assista en France en mai

1968" et à l'apparition "chez l'éditeur engagé François Maspero, [des] premières études

universitaires sur cette littérature, dans la collection dirigée par Albert Memmi" (196). Mourad

Bourboune (Le muezzin, 1968), Rachid Boudjedra (La répudiation, 1969) et Nabile Farès (Yahia,

pas de chance, 1970) ont fait de l'écriture le projet essentiel du choc, de la subversion, de la

dénonciation et de la démystification et ont dit la nécessité de reconstruire la mémoire collective

pour combattre la condition de l'exil et de l'asile résultant de l'amnésie ou de l'anachronisme.

Ainsi, la "semi-extranéité de l'écrivain de langue française, surtout lorsqu'il est reconnu par

l'institution littéraire internationale tout en restant une sorte de porte-parole des siens, lui permet

en effet d'échapper à une sorte de consensus obligatoire, de norme qui régit la communication à

l'intérieur du groupe" (Bonn, Garnier & Lecarme 197).

Au Maroc, l'année 1954 marque la naissance d'une littérature romanesque. Avec Ahmed

Sefrioui (La boîte à merveilles, 1954) et Driss Chraïbi (Le passé simple, 1954), "le roman

marocain de langue française [s'avère] en effet un roman de transition qui tente de donner de la

réalité socio-culturelle une vision de l'intérieur en opposition avec les représentations mythiques

et idéologiques des écrivains français voyageurs" (Bonn, Garnier & Lecarme 211) ou résidents au

Maghreb. Si la critique a classé Sefrioui dans le courant de l'ethnographie, tel n'a pas été le cas de

Chraïbi dont le premier roman pose avec violence le problème des conflits de cultures à travers la

révolte d'un jeune adolescent formé à l'école française. Dès lors, toute l'œuvre de Chraïbi (La

foule, 1961, Un ami viendra vous voir, 1967, La civilisation ma mère!..., 1972, etc.) sera une

Page 6: La carnavalisation dans le roman maghr bin de langue fran aise · 2014. 8. 19. · y étaient refoulés ou considérés comme étrangers, s'est accompagnée d'une mutation mentale

6

quête vertigineuse et continuellement éruptive, en amont et en aval des textes, du sens identitaire

dans un contexte culturel en pleine mouvance. Ce sens est tel qu'il ne se laisse pas figer dans le

creux apathique du confort idéologique. "Les œuvres de l'auteur sont des romans mais aussi des

fables sociopolitiques, des prises de position sur des problèmes brûlants d'Orient-Occident, de

modernité et tradition, de soif d'absolu et d'intériorité" (Déjeux, 1992: 40). La fondation de la

revue Souffles6 en 1966 par Abdellatif Laâbi dans un contexte post-colonial tumultueux

(plusieurs soulèvements populaires, coups d'état et désarroi socio-politique) a engagé la littérature

dans un mouvement général de contestation comparable à la subversion radicale des tenants du

manifeste du Refus global au Québec en 1948. "Souffles s'engage d'abord dans une action

culturelle de refondation qui cherche à penser le problème de l'identité nationale en relation avec

la situation linguistique, les pratiques artistiques -littérature mais aussi peinture et cinéma- et les

mouvements de libération qui agitent l'Afrique et le Proche-Orient" (Bonn, Garnier & Lecarme

215). La nouveauté introduite par les œuvres (poétiques et/ou romanesques) de Mohammed

Khaïr-Eddine, Abdelkebir Khatibi, Mostafa Nissaboury et d'autres réside dans l'effort de "lier le

travail idéologique (la mise en pièces des valeurs mystifiantes de la bourgeoisie marocaine) et le

travail sur les formes littéraires (la contestation des académismes hérités ou, plus radicalement,

le désir d'une table rase régénératrice" (Joubert, et al 208). Le dispositif de déconstruction et de

carnavalisation à l'œuvre dans ce travail de décolonisation radicale prôné par les collaborateurs de

Souffles, influencés par les idées de Fanon, de Césaire et des surréalistes, inscrit le travail de

l'écriture dans une dynamique de refus qui se poursuivra jusqu'aux années 1990. Cette dynamique

repose sur la logique narrative et discursive des forces telluriques dans la mise au ban de

l'humanisme, "l'universalisme trompeur [...] [et] [l']ultime déguisement de l'européocentrisme"

(Joubert, et al 208).

Depuis les années 1970, des aspects nouveaux du roman maghrébin "se font jour moins

sous la forme de la description que de l'interrogation, moins sous l'angle du respect que de

l'affrontement" (Déjeux, 1978: 36). L'autonomisation, quoique relative7, de l'appareil

institutionnel maghrébin (circuits de l'édition et de la diffusion de la littérature maghrébine

d'expression française), a joué un rôle dans la circulation des œuvres maghrébines et dans l'

"internationalisation de la connaissance et des enseignements de la littérature maghrébine de

langue française" (Déjeux, 1992: 119). La pluralité du fait littéraire maghrébin et la prolifération

6 Il y a eu d'autres revues telles que Poésie toute de Mohammed Khaïr-Eddine, fondée en 1964, et Eaux vives de Mostafa Nissaboury, fondée en 1965. Ces revues d'expression française ont marqué la jeune littérature maghrébine d'une façon assez inégale. Voir Le roman marocain de langue française de Lahsen Mouzouni. Paris: Publisud, 1987. 7 Voir Déjeux, 1992: 115-120.

Page 7: La carnavalisation dans le roman maghr bin de langue fran aise · 2014. 8. 19. · y étaient refoulés ou considérés comme étrangers, s'est accompagnée d'une mutation mentale

7

des études et des publications sur la littérature maghrébine depuis la fin de la guerre d'Algérie8

attestent avec force que le développement de ces littératures repose sur un dialogue entre la

tradition et la modernité. Ce dialogue prendra plusieurs tournures au cours des années 1980 et

1990. "Dans ce procès, chaque auteur, et à la limite chaque œuvre, loin d'être simple support d'un

modèle déterminé, est un acteur qui innove, découvre des réponses inédites qui ne sont ni dans sa

culture d'origine ni dans celle nouvellement acquise: réponses qui contribuent à spécifier la

culture en train de s'élaborer" (Khadda, 1994: 14). L'idée de la seconde naissance du roman

algérien dont parlent plus haut Charles Bonn, Xavier Garnier et Jacques Lecarme est à saisir en

rapport avec la situation des écrivains maghrébins de l'époque qui, "une fois leur reconnaissance

évidente en même temps que celle du pays dont ils se réclament, [commencent à] dépasser un

contexte d'émergence collective, pour se consacrer enfin à leurs exigences profondes d'écriture

proprement dite, pour développer la singularité du dire de chacun" (199).

En Algérie, l'itinéraire de Boudjedra (L'insolation, 1972, L'escargot entêté, 1977, La

macération, 1987, Le désordre des choses, 1991) trace la voie d'une "littérature a-typique"

(Déjeux, 1992: 27), contradictoire, à la fois en prise avec le réel socio-politique et avec les

psychoses des nouveaux héros romanesques. Dib a poursuivi cette écriture des limites avec Dieu

en barbarie (1970), Habel (1977), la trilogie: Les terrases d'Orsol (1985), Le sommeil d'Eve

(1989) et Neiges de marbre (1990). Romans de recherche, d'introspection et de réflexion sur la

modernité dans son rapport à la violence, à l'exil et aux horreurs de l'Histoire. "Le réel deviendra

cependant de plus en plus insistant au début des années quatre-vingts, et ce dans deux espaces

culturels différents. En France, on verra la naissance d'une nouvelle littérature écrite par ce qu'on

a appelé la «2e génération de l'émigration maghrébine» [appelée la génération beur]. En Algérie

même, la dérive du système laisse de moins en moins place aux illusions" (Bonn, Garnier &

Lecarme 206).

Des écrivains comme Rachid Mimouni (Le fleuve détourné, 1982, Tombéza, 1984, Une

peine à vivre, 1991), Abdelkader Djemaï (Un été de cendres, 1995, Sable rouge, 1996), Tahar

Djaout (L'exproprié, 1981, Les chercheurs d'os, 1984), Habib Tengour (Le vieux de la montagne,

1983, Sultan Galièv, 1985, L'épreuve de l'arc, 1990) ou Jamel-Eddine Bencheikh (Rose noire

sans parfum, 1998) dressent le tableau d'une laideur et d'une amertume sans limites auxquelles le

8 Dans Pratiques et résistances culturelles au Maghreb, Claude Liauzu fait remonter ces études au dix-neuvième siècle, dans la veine de l'orientalisme caractéristique de l'époque. Il écrit: "[s]ans détailler ici la genèse et la structure du champ d'études maghrébines, il faut au moins souligner que ce champ s'est constitué en fonction de deux «machines abstraites», l'orientalisme du XIXe siècle et le paradigme de la modernisation. Par machine abstraite, entendons, comme Deleuze et Guattari, la discipline ou la problématique qui articulent et organisent hiérarchiquement l'ensemble constituant le champ d'étude. Ce liant a été, hier, la vision a-historique de l'islam, orientaliste ou ethnographique. Avec les décolonisations, se sont ajoutées les conceptions et les sciences sociales associées au nationalisme et au développement" (1992: 30).

Page 8: La carnavalisation dans le roman maghr bin de langue fran aise · 2014. 8. 19. · y étaient refoulés ou considérés comme étrangers, s'est accompagnée d'une mutation mentale

8

pays s'est livré depuis la montée de l'islamisme. Le mélange des genres et des registres tant

politiques, historiques qu'autobiographiques dans ces romans les rend d'une complexité

polyphonique assez remarquable et qui est inégalement réalisée dans les écrits de cette période.

"L'aggravation, la perte de sens généralisée de l'horreur en Algérie depuis le début des années

quatre-vingt-dix, ne vont cependant pas éteindre la production littéraire. [...] Cette actualité

algérienne est aussi une des raisons du net regain d'intérêt auquel on assiste depuis peu pour ce

qui concerne le Maghreb dans les circuits d'édition européens ou américains" (Bonn, Garnier &

Lecarme 208-09). Les témoignages des femmes écrivaines sont particulièrement intéressants.

Citons ceux de Malika Boussouf (Vivre traquée, 1995), Malika Mokeddem (Le siècle des

sauterelles, 1992, Des rêves et des assassins, 1995), Latifa Ben Mansour (La prière de la peur,

1997), Yasmina Khadra (Les agneaux du Seigneur, 1998) et bien sûr ceux d’Assia Djebar (Loin

de Médine, 1991, Le blanc de l'Algérie, 1995). En dehors de leur actualité, ces romans sont aussi

des romans de revendication des droits de la femme maghrébine à la liberté et à l'égalité dans des

systèmes sociaux marqués, d'une façon ou d'une autre, par la prévalence des valeurs patriarcales.

Au Maroc, la période de l'après-Souffles révèle de nouveaux auteurs qui ont ouvert le

roman marocain aux enjeux de la (post)modernité. À côté de Khaïr-Eddine dont l'œuvre narrative

(Corps négatif suivi de Histoire d'un bon Dieu, 1968; Le déterreur, 1973, Une odeur de

mantèque, 1976) affiche un mélange des genres littéraires et institue la subversion comme

modalité de parole démystificatrice, il importe de citer l'œuvre de Abdelkebir Khatibi et de Tahar

Ben Jelloun. L'itinéraire de Khatibi "a la cohérence d'une réflexion qui s'élabore autour de

l'opposition binaire identité/différence, pour évoluer vers les notions d'«aimance» et d'«étrangeté»

à travers lesquelles il tente de métaphoriser une identité plurielle, au plan de l'écriture, par la

«bilangue»" (Bonn, Garnier & Lecarme 220). Dans une perspective comparative, cette démarche

pourrait être rapprochée des revendications formelles et thématiques des auteurs de la créolité

antillaise, Bernabé, Confiant et Chamoiseau. De La mémoire tatouée (1971) à Un été à Stockholm

(1990) en passant par Le livre du sang (1979), Amour bilingue (1983) et Par-dessus l'épaule

(1988), Khatibi poursuit son aventure postmoderne de la bilangue et "renouvelle la pensée des

textes mystiques à la lumière de la réflexion de Derrida et de Roland Barthes" (Mdarhri-Alaoui,

1996: 144).

L'œuvre de Ben Jelloun est agencée selon des dispositifs de l'interculturel dont celui du

labyrinthe cher à Borges et de la discontinuité métanarrative chez Nietzsche. Beïda Chikhi a

étudié les romans de Farès, de Khatibi et de Meddeb dans leurs rapports au "gai savoir" (1995).

L'alternance de ces dispositifs, entre autres dans Harrouda (1973), Moha le fou, Moha le sage

(1978), L'enfant de sable (1985), La nuit sacrée (1987), Les yeux baissés (1991), La nuit de

l'erreur (1997) de Ben Jelloun, fait de l'écriture le territoire de la blessure et du manque et permet

de dire "l'indicible et le trouble du corps bilingue dont l'étrangeté à soi se trouve métaphorisée par

Page 9: La carnavalisation dans le roman maghr bin de langue fran aise · 2014. 8. 19. · y étaient refoulés ou considérés comme étrangers, s'est accompagnée d'une mutation mentale

9

l'ambivalence sexuelle [...] ou par l'ambiguïté ontologique" (Bonn, Garnier & Lecarme 227) des

exclus et des marginaux de la société marocaine. L'œuvre d'Abdelhak Serhane (Messaouda, 1983,

Les enfants des rues étroites, 1986, Le soleil des obscurs, 1992) se situe dans cette même veine

thématique quoique l'écriture de l'auteur accuse une pauvreté formelle et "renoue avec le réalisme

engagé, contre les dispositifs formels de subversion qui font l'intérêt de Souffles" (Bonn, Garnier

& Lecarme 223). Quant à l'écriture féminine, elle s'apparente aussi au manifeste contestataire de

Souffles, bien que l'accession des Marocaines à l'expression littéraire ait passé d'abord par le

discours d'écrivains masculins tels Chraïbi, Ben Jelloun et Serhane. "[L]e travail en langue

française d'universitaires et de sociologues marocaines comme Fatima Mernissi [...] [,] Soumaya

Naaman-Guessous [...] ou Souad Filal [...] a largement ouvert la voie à l'expression littéraire des

femmes" (Bonn, Garnier & Lecarme 223). Parmi les écrivaines les plus importantes, citons

Halima Benhadou (Aïcha la rebelle, 1982), Noufissa Sbaï (L'enfant endormi, 1987), Fatiha

Boucetta (Anissa captive, 1991), Farida ElHany Mourad (La fille aux pieds nus, 1985, Faites

parler le cadavre, 1991) et Bahaa Trabelsi (Une femme tout simplement, 1998). Ces romans, avec

d'autres, forment dans l'ensemble des romans d'opposition à l'autoritarisme institutionnel,

patriarcal ou intégriste au Maghreb. Ce sont des romans de "prise de conscience de la féminité

comme identité refoulée ou agressée" (Bonn, Garnier & Lecarme 224) et à reconquérir.

2.0 La carnavalisation dans le roman maghrébin: entre interculturalité et postcolonialité

L'interculturalité est un aspect important du déploiement du dialogisme dans le roman

maghrébin de langue française. Avant que les pays du Maghreb ne soient colonisés, il est possible

de constater que des formes d'une interculturalité endogène y prévalaient: elles consistaient en

contacts entre les langues et les cultures qui dominent les territoires du Maghreb, à savoir les

langues et les cultures arabe, berbère et même juive. "Le syncrétisme culturel à la base du même

imaginaire social reflète fidèlement les rencontres communautaires et ethniques, leurs chocs et

leurs contradictions, mais aussi leurs symbioses et leurs harmonisations" (Bouraoui, 1996: 9).

L'interculturalité dont nous parlons ici, bien qu'elle n'exclue pas la première, est plutôt exogène,

issue de la rencontre entre langues et cultures qui caractérise la décolonisation. La notion de

l'interculturel croise deux champs notionnels: linguistique et identitaire. Dalila Morsly le

souligne:

La productivité de inter est sans doute à comprendre par rapport à celle

de bi-, autre préfixe actuellement réactivé (à côté du classique

bilinguisme, il y a la bi-langue, le bi-culturalisme...) et par rapport à la

lexie entre-deux proposée par la psychanalyse. Ces termes suggèrent la

Page 10: La carnavalisation dans le roman maghr bin de langue fran aise · 2014. 8. 19. · y étaient refoulés ou considérés comme étrangers, s'est accompagnée d'une mutation mentale

10

construction d'un nouveau territoire de la pensée, de l'utopie, mais

aussi du vivre. Territoire du dialogue, du metissage, de la confluence

où la proximité, la juxtaposition seraient à dépasser pour le partage, la

cohabitation, l'entre-avec (inter rassemblant le signifié de deux

prépositions). (1995: 187)

À des degrés variés, l'interculturalité marque le roman maghrébin depuis les

indépendances. Si la langue de l'Autre est le lieu de l'étrangeté ou de l'aliénation, elle est aussi le

lieu où s'exprime un double désir de rencontre et de dissidence. "L'interculturel ici en l'occurence

ne se laisse pas entendre que sous la forme d'une relation intellectuelle à la fois privilégiée et

conflictuelle avec un partenaire particulier" (Bencheikh, 1994: 76), la France et la littérature

française "à laquelle", souligne Khatibi, "nous avons été historiquement destinés" (1997: 123). Si

l'usage du français accentue, chez l'écrivain francophone, ce que Lise Gauvin appelle la

"surconscience linguistique" (1999: 14), cet usage se double d'une surconscience interculturelle,

du fait que l'auteur postcolonial en général "a, de façon presque obligée, une conception forte de

la littérature dans l'histoire, de ce qu'elle peut pour et dans la culture, de ce dont elle est capable

pour les relations interculturelles. C'est pourquoi l'on peut parler de conscience culturelle.

L'écriture est bien entendu une entreprise singulière, mais elle ne se détache pas ici de

préoccupations collectives" (Moura, 1999: 43). Les rapports qui s'établissent avec la langue autre

dans le roman maghrébin, même lorsqu'ils entretiennent avec le réel des relations distantes ou

non-mimétiques, posent un enjeu au discours "social qui tend à exiger de cette littérature d'être la

célébration de la mémoire collective l'invitant ainsi à se garder de la dépossession culturelle"

(Bousta, 1994: 47).

La déconfiture de l'idéologie nationaliste et des attentes ethnographiques et

documentaires "a hypothéqué le conformisme du roman linéaire" (50), ouvrant le roman

maghrébin à l'affirmation altière de son intranquillité9 polysémique et polyphonique, car, de plus

en plus, ce roman "programme, sinon une lecture érudite, en tout cas un lecteur ouvert à la

biculture, voire détenteur du double code culturel et linguistique qui la sous-tend" (Khadda, 1996:

16). La dimension interculturelle du roman maghrébin témoigne de ce que nous pouvons appeler,

selon Khatibi, un désir d'hospitalité: désir d'accueillir l'étrangeté de l'Autre et de sa langue au sein

de la langue et de la culture de Soi afin d'ouvrir par-là l'espace linguistique et culturel de l'Autre

aux lois d'hospitalité de Soi. "Pour que soit efficient ce double principe de la francophonie",

9 Les "Littératures de l'intranquillité" est une expression de Fernando Pessoa empruntée par Lise Gauvin pour décrire "la pratique langagière de l'écrivain francophone, qui est fondamentalement une pratique de soupçon" (1999: 17).

Page 11: La carnavalisation dans le roman maghr bin de langue fran aise · 2014. 8. 19. · y étaient refoulés ou considérés comme étrangers, s'est accompagnée d'une mutation mentale

11

affirme l'auteur dans Penser le Maghreb, "il faut bien des règles de jeu suffisamment

transparentes entre les partenaires, des lois d'hospitalité dans la langue même qu'ils partagent [...].

Hospitalité sans complaisance, quête d'une identité elle-même en devenir" (Khatibi, 1993: 82-83).

La gestion des lois de l'hospitalité est la tâche de tout écrivain promu au rang de "l'étranger

professionnel" (Khatibi 1997), voyageant et tissant à travers les traces des langues et des cultures

du monde de nouvelles formes d'écriture. "La bi-langue, la bi-culture, le texte bifide, l'amour bi-

lingue sont célébrés sans que, pour autant, la richesse proclamée d'un double héritage ne gomme

totalement la souffrance du grand écart qu'il impose parfois. Au contraire la souffrance et

l'inconfort se font eux-mêmes richesse et jouissance" (Khadda, 1996: 35). Cette jouissance

affichée de posséder la langue étrangère évacue la culpabilité ou la conscience malheureuse

d'écrire dans la langue de l'ex-colonisateur, du fait que certains écrivains abordent la langue

étrangère comme une amante et occidentalisent (dans le sens d'inventer son propre Occident) à

travers son usage l'Occident (en l'occurrence, la France). Dans une démarche qui renverse celle

des orientalistes, l'Occident devient l'Ailleurs féminin où se conjugent les rêves et les fantasmes

de la liberté et des caprices. "Le récit qui est le mode d'actualisation de ces mécanismes semble

mettre en spectacle un discours complexe où la langue est travaillée par le désir d'appropriation et

les rapports de force qui s'y trouvent engagés" (Bousta 51). Citons, à titre d'exemples, Le passé

simple (1954) de Chraïbi, La répudiation (1969) de Boudjedra, Amour bilingue (1983) de Khatibi

et Rides du Lion (1989) de Laâbi. D'autres écrivains choisissent des escapades plus lointaines que

la France et dotent même leurs personnages de prénoms étrangers. L'homme aux sandales de

caoutchouc (1970) de Yacine se situe au Vietnam, Mort au Canada (1975) de Chraïbi se situe au

Canada; Un été à Stockholm (1990) de Khatibi se situe en Suède (alors que dans le cadre de

l'essai, l'auteur a écrit Ombres japonaises (1988) en hommage à l'écrivain japonais J. Tanizaki) et

la trilogie nordique de Dib déjà citée se situe en Scandinavie.

Le caractère extra-territorial du personnage romanesque dans le texte maghrébin remonte

aux années 1950-1960, lorsque le passage du village à la ville et de la ville à l'étranger marque

une première "confrontation de modèles culturels et le partage face à ces modèles du héros

comme de l'auteur du roman apparai[t] ainsi [...] comme une sorte de condition du surgissement

du roman maghrébin de langue française" (Bonn, 1999a: 127). Le "personnage décalé" des

années 1970 est marqué par l'exil culturel vécu comme une richesse inépuisable pour le travail de

l'écriture. La rechronotopisation du sens identitaire et historique à partir de ce décalage a

contribué au "gommage de l'exotisme: la crise dans laquelle l'ailleurs occidental a participé à

plonger la société traditionnelle installe l'espace de cette dernière dans une sorte de continuité par

rapport à cet ailleurs inverse de celui qu'attendait l'exotisme" (136). La reconfiguration spatio-

temporelle du personnage romanesque ne constitue point une entorse à l'interculturalité du roman

maghrébin, mais pose, au contraire, un nouveau jalon à cet égard dans la mesure où elle

Page 12: La carnavalisation dans le roman maghr bin de langue fran aise · 2014. 8. 19. · y étaient refoulés ou considérés comme étrangers, s'est accompagnée d'une mutation mentale

12

"développerait une sorte de déterritorialisation de la signifiance littéraire" (137). Celle-ci

fonctionne comme une projection de la littérature maghrébine dans l'universalité de la littérature

du monde, projection qui "postule une redéfinition de la maghrébinité qui prône en toute priorité

la reconnaissance de l'altérité et l'aspiration à la modernité" (Khadda, 1994: 14). Cette modernité

ne va certes pas sans conflit avec le "paternalisme implicite" (Bonn, 1995: 56) de certaines

lectures du roman maghrébin.

Parmi les travaux parus sur l'interculturalité du roman maghrébin, citons les études

réunies par Jacqueline Arnaud, Littératures maghrébines (1990), par Régis Antoine, Carrefour de

cultures (1993), par Charles Bonn et Arnold Rothe, Littérature maghrébine et littérature

mondiale (1995) et par Jacques Bres, Catherine Détrie et Paul Siblot, Figures de l'interculturalité

(1996). Il ne faut pas oublier qu'à l'intérieur même de l'espace maghrébin se font sentir les

influences d'une œuvre sur l'autre (Bouraoui; Mdarhi-Alaoui 1996). La multiplication des

recherches sur les espaces identitaires et intertextuels du roman maghrébin ainsi que sur

l'évolution de ses stratégies narratives ne peut que mettre en relief la traversée incessante des

territoires du Même et de l'Autre dans les signes littéraires maghrébins. Témoignage d'une

ouverture "généreuse qui métamorphosera l'histoire du sujet, le monologisme de toute langue, et

enfin le malaise collectif, ses vides et ses opacités" (Bouraoui 16).

Dans le fil des discours sur l'interculturalité, il est possible de considérer la

postcolonialité dans le roman maghrébin de langue française comme un autre déploiement

dialogique de sa subversion ou de sa carnavalisation. "Dans les situations d'interculturalité

inégalitaire", précise Jacques Bres, "[...] le texte procédant de la culture et de la langue dominées

se produit au contact des modèles dominants, les reconduit ou les fait éclater: il dialogue de mille

et une façons avec eux" (1996: 253). La géocritique postcoloniale/postmoderne veut que les

textes francophones soient "moins perçus dans une optique exclusivement anticolonialiste, tiers-

mondiste ou “engagée”" (Bonn, 1999b: 10), que plutôt, et, surtout, translinguistique. Il est vrai

que l'émergence des littératures postcoloniales dans les années 1950 et 1960 s'inscrivait en

général "dans un mouvement de déconstruction du pouvoir impérial et de reconstruction des

identités" (Grassin, 1999: 311). Certes, plus qu'un concept de combat ou de résistance, le

postcolonialisme met l'accent sur l'imaginaire des langues et des univers symboliques qui se

définissent à partir du heurt et de la polyphonie des discours. L'enracinement pluriel de la langue

française dans les territoires de la francophonie travaille en permanence au décentrement de

l'autorité culturelle et linguistique du français. Ceci sans oublier l'importance de la scénographie

(inscription de la référence socio-culturelle d'un texte) pour la critique postcoloniale. La "question

de l'écriture devient celle de la figuration de ces interdépendances [autrement dit, des

manifestations interculturelles de l'hétérolinguisme], une figuration qui doit dépasser le local et

qui doit aussi symboliquement passer le langage et la fiction mêmes de l'identité et de tout

Page 13: La carnavalisation dans le roman maghr bin de langue fran aise · 2014. 8. 19. · y étaient refoulés ou considérés comme étrangers, s'est accompagnée d'une mutation mentale

13

discours qui serait un discours globalisant" (Bessière, 2001: 195). L'usage de la langue ne suffit

pas à fonder un discours identitaire ou "une identité de culture, mais des rapports à la langue

foncièrement différents entrent en interaction au sein d'une expérience identitaire" (Grassin 305).

La validité et la pertinence de la critique postcoloniale pour les études maghrébines

résident dans son approche de la rhétorique de décentrage exhibée par les textes qui sont alors

"analys[és] soit dans leurs variations internes (faits liés à l'oralité, au plurilinguisme, à la

diglossie...) soit dans une perspective historique" (Moura, 2001: 167). Michel Laronde définit le

discours décentré comme un discours ayant "pour support tout Texte qui, par rapport à une

Langue commune et une Culture centripète, maintient des décalages idéologiques et

linguistiques" (1995: 29). Bien que l'étude de Laronde se rapporte principalement au roman beur

(1996), le décentrage se manifeste dans le roman maghrébin sous la forme de l'indécidabilité et de

l'ambivalence linguistiques. Celles-ci orientent les lectures carnavalesques du roman maghrébin.

L'indécidabilité (Tenkoul 1996) et l'ambivalence (Tlatli 1998) renvoient à l'impossibilité

de vouloir définir d'une façon univoque la géographie sémantique du roman francophone

maghrébin. Nombreux sont les auteurs qui ont institué l'hétérogène en règle d'écriture

décloisonnant, de ce fait, les paramètres de l'écriture classique. Citons, par exemple, le

fonctionnement de l'étrange, du mysticisme ou du fantastique dans l'œuvre de Ben Jelloun ou de

Serhane et le fonctionnement de la polyphonie et de la plurivocalité dans l'œuvre de Khatibi ou de

Djebar. Le déploiement théâtral et carnavalesque de ces techniques implique la revendication d'un

nouveau pacte de lecture dont la "visée essentielle est de renverser les habitudes de lecture qui

voient dans le texte le lieu d'un sens achevé" (Tenkoul, 1996: 30). Sans inventorier les stratégies

du décentrage dans le roman maghrébin, citons quelques travaux parus sur la question: La

violence du texte (1981) et Le moi étrange (1993) de Marc Gontard, Le roman maghrébin

algérien de langue française (1985) de Charles Bonn, Maghreb en textes (1996) de Beïda Chikhi,

The Marabout and The Muse (1996) de Kenneth Harrow et Leur pesant de poudre (1997) de

Marta Segarra.

L'ambivalence qui traverse le roman maghrébin de langue française est le résultat d'un

"conflit de codes" linguistiques et culturels chez beaucoup d'écrivains vivant à la lisière de deux,

sinon de plusieurs pays et cultures. En effet, plusieurs d'entre eux et d'entre elles vivent ce conflit

dans sa dimension créatrice et libératrice. Car non seulement l'utilisation de la langue étrangère

permet d'élargir la portée esthétique du roman maghrébin, mais relève d'une entreprise critique de

dévoilement et de dénonciation que la langue du Coran ne permet peut-être pas, ou qu'elle ne

permet que difficilement. Zoubida Hagani explique:

Lire le texte maghrébin c'est lire dans deux langues qui, par leur nature

et leur fonction travaillent différemment le langage poétique

Page 14: La carnavalisation dans le roman maghr bin de langue fran aise · 2014. 8. 19. · y étaient refoulés ou considérés comme étrangers, s'est accompagnée d'une mutation mentale

14

maghrébin. L'une est maternelle, orale, vernaculaire, référenciaire

puisqu'elle opère une recollection et une reconstitution du passé et par

conséquent fonctionne comme une langue nationale et culturelle,

mythique aussi puisqu'elle renvoie à une terre spirituelle, religieuse ou

magique [...]. La langue cible, ici le français, ne fonctionne pas

strictement comme simple langue véhiculaire du Maghreb. Elle est

aussi référenciaire au sens où elle opère sur l'expression comme sur les

métadiscours. (1990: 95-96)

L'indécidabilité et l'ambivalence sont particulièrement opératoires dans l'écriture féminine au

Maghreb. Celle-ci est majoritairement animée par "l'impulsion utopique féministe met[tant]

l'accent sur la potentialité" (Bourget, 1997: 84), le désir de provoquer, à travers l'écriture, des

changements relatifs à la condition des femmes maghrébines. En tant que stratégies d'écriture,

l'indécidabilité et l'ambivalence se manifestent sous plusieurs formes, notamment dans les façons

qu'ont les écrivaines du Maghreb de déjouer ou de délocaliser les instances du politique ou du

pouvoir (le triptyque état/patriarcat/religion) à travers l'écriture du corps, de la voix, de la

mémoire et la subversion des binarités spatiales (espace du public/espace du privé; espace du

masculin/espace du féminin/espace du sacré/espace du profane, etc.) responsables de la

ségrégation des sexes et de la "suprématie masculine [qui] prend appui sur la division" (Tahon,

1996: 73) de ces espaces. Toutes ces démarches réunies dans l'œuvre capitale d'Assia Djebar, la

plus grande romancière du Maghreb, se placent dans un débat plus large sur l'importance de

réinterpréter l'héritage musulman dans le contexte historique actuel et de réconcilier islam et

démocratie. L'œuvre de la sociologue marocaine Fatima Mernissi, qui se lit souvent comme

intertexte à celle de Djebar, poursuit cet idéal d'ouverture et de libération dans Sexe, idéologie et

islam (1983), Sultanes oubliées (1990), La peur-modernité (1992) et Le harem et l'Occident

(2001).

L'interculturel est une notion attrayante du fait qu'elle n'est pas sourde à l'idée joyeuse du

partage et de la création de nouveaux espaces de sens. L'interculturel permet de se projeter dans

une pensée des cultures qui tient compte de la diversité et de la nécessité de dialogiser cette

diversité sur le plan des rapports entre peuples et nations. Dans le mouvement de la création

artistique en général, l'interculturel serait peut-être une arme de résistance au système et à la

doctrine actuellement dirigiste et homogénéisante de la mondialisation économique et

informationnelle. En effet, dans chaque pulsion interculturelle existe une tension entre spécificité

et universalité. Lorsque Joël Des Rosiers annonce dans Théories caraïbes que le "XXIe siècle

sera tribal" (1996: 165), il faut comprendre cette proposition dans les termes d'une négociation

Page 15: La carnavalisation dans le roman maghr bin de langue fran aise · 2014. 8. 19. · y étaient refoulés ou considérés comme étrangers, s'est accompagnée d'une mutation mentale

15

constante entre spécificité et universalité, entre la résistance à l'effacement ou à la disparition

dans la mouvance anomique de l'uniformisme mondialisant et l'affirmation d'un certain

internationalisme de l'appartenance à la modernité interculturelle globale. Si la littérature

maghrébine est animée par de tels enjeux et défis, elle ne manque pas de mettre en crise sa

démarche vers l'interculturalité. Plusieurs indices signalent l'irrévocabilité de cette crise. Nous en

indiquerons trois.

Premièrement, le retour du référent dans les littératures maghrébines contemporaines. De

plus en plus d'écrivains assument les changements socio-politiques de leurs pays et font de la

littérature le témoignage d'une actualité bouleversante. "Il ne s'agit plus ni d'anticolonialisme ni

de contestation des Etats en place", explique Charles Bonn, "mais d'une sorte de prise en charge

directe de la lourdeur du réel. Là encore, [...] le référentiel prend le pas sur l'élaboration littéraire,

ou plutôt on a l'impression que le gommage de toute littérarité apparente semble finalement

l'exercice le plus caractéristique de textes dont la préoccupation cependant reste littéraire"

(1999b: 10). La dissémination de cette littérature de témoignage depuis la fin des années 1980 est

plus flagrante dans le cas des auteurs algériens que marocains, comme nous l'avons déjà

mentionné. Toutefois, dans Triptyque de Rabat (1993), Khatibi renvoie "à une problématique

territoriale où la représentation du pouvoir politique interfère avec les scénarios d'émancipation

de trois femmes" (Bonn, Granier & Lecarme 228); Ben Jelloun dans sa production récente (La

soudure fraternelle, 1996; Le racisme expliqué à ma fille, 1998 et Cette aveuglante absence de

lumière, 2001) oscille entre l'essai, le roman, le reportage et le témoignage, problématisant jusqu'à

la "banalisation" (Bonn, 1999b: 12) la littérarité de ces textes. Ceci sans compter la nouvelle

écriture postcarcérale de plusieurs détenus politiques qui ont été victimes ou agents du putsch

militaire contre le pouvoir hassanien en 1972. Citons à ce propos le témoignage de Malika Oufkir

(fille du général Oufkir) confié à Michèle Fitoussi dans La prisonnière (1999) et Tazmamart.

Cellule 10 (2001) de Ahmed Marzouki. "On est ainsi revenu, parfois, à une sorte de point zéro de

l'émergence de nouvelles littératures: celui auquel on assistait dans les années cinquante alors que

le début des «événements» au Maghreb faisait découvrir et attendre une littérature descriptive"

(Bonn, Garnier & Lecarme 209).

Deuxièmement, la crise de l'interculturel concerne la réception étrangère de la littérature

maghrébine. Celle-ci se voit dans l'application parfois inapproprié de certains paradigmes de

lecture au roman maghrébin, lecture qui s'inscrit pourtant dans la perspective de l'interculturel.

Dans Psychanalyse et texte littéraire au Maghreb de Charles Bonn et de Yves Baumstimler, des

auteurs montrent en quoi l'appartenance de la littérature maghrébine aux territoires du mixte et de

la double culture favorise des approches psychanalytiques du roman maghrébin où s'interrogent

l'altérité, l'exil, l'errance, la folie, la souffrance et la sexualité, parmi d'autres pathologies qui

forment l'espace de la fameuse "inquiétante étrangeté" freudienne. Toutefois, le recours à des

Page 16: La carnavalisation dans le roman maghr bin de langue fran aise · 2014. 8. 19. · y étaient refoulés ou considérés comme étrangers, s'est accompagnée d'une mutation mentale

16

schémas psychanalytiques exige beaucoup de prudence dans l'examen des textes maghrébins. La

question de la paternité, par exemple, ne peut être pleinement saisie et comprise sans égard aux

sources religieuses qui sous-tendent le battène (le niveau latent, caché et invisible) par opposition

au zahir (le niveau manifeste, apparent et visible) du texte maghrébin10, et ce même lorsque

celui-ci semble mettre en place les éléments d'une lecture purement œdipienne. "La théorie du

complexe d'Œdipe", maintient Claude Montserrat-Cals, "semble en porte à faux relativement aux

thèmes d'élection [du] courant littéraire [marocain]. L'incessante quête maternelle, sublimée en

quête originaire, l'absence de jalousie à l'endroit du père, la révolte filiale superficielle convertie

en parité fondatrice nous incitent à penser les rapports inconscients de nos personnages à compter

d'une autre grille d'interprétation" (1991: 58). La dramaturgie œdipienne n'est qu'un axe

probabilitaire dans la conjugaison sémantique de certains textes maghrébins11 au champ de

l'nterculturel. La même remarque s'applique à l'analyse des romans dits autobiographiques où se

révèle la tension entre le Je et le Nous de l'écriture (Chaouite 1990). Zoubida Hagani soutient que

"pour faire éviter l'écueil de l'application mécaniste de certaines catégories inadéquate à la nature

de l'objet littéraire maghrébin [...] [l]a question qui doit être prise en charge [...] est celle de savoir

comment la langue et la culture originaires du sujet maghrébin “aussi archaïques, aussi

balbutiantes, sonores ou chuchotées, éclatées ou construites”, s'ordonnent dans le texte écrit et

comment elles ordonnent à leur tour l'écrit" (97; 94-95).

Troisièmement, la notion de l'interculturel accuse plusieurs faiblesses et impasses qu'il

importe de rappeler. Cela permet de démythifier la promesse utopique d'un "village planétaire"

humain vivant dans le respect mutuel et égalitaire des divergences culturelles. L'interculturel écrit

Jacques Demorgon

n'a d'abord été pensé qu'en termes de méconnaissance des autres cultures.

C'était parce que nous ne les connaissons pas que nous avions à leur égard des

préjugés. On pensait, dans une optique intellectualiste que, connaissant les

autres cultures, nous perdions nos préjugés à leur égard. Mais depuis, nous

avons rencontré les membres des autres cultures et nos préjugés loin de

disparaître se sont accrus. Ils sont devenus des post-jugés; on n'a pas pour

autant changé leur nom. (2000b: 3-4)

10 Voir "Le battene et le zahir dans le texte maghrébin" de Thérèse Michel-Mansour, dans Le non-dit dans la littérature. Ed. Thérèse Michel-Mansour, et al. Toronto: GFA, 1991. 95-112. 11 Voir la liste des romans étudiés par Montserrat-Cals dans l'article en question.

Page 17: La carnavalisation dans le roman maghr bin de langue fran aise · 2014. 8. 19. · y étaient refoulés ou considérés comme étrangers, s'est accompagnée d'une mutation mentale

17

Les faiblesses de l'interculturel sont inhérentes à la nature complexe du dialogue et de la

communication interculturels et aux contradictions générales de la dynamique du monde et de

l'Histoire. Celles-ci se sont d'autant plus accentuées avec la montée flagrante des nationalismes

récents sous une forme ou sous une autre. Plusieurs ouvrages d'ordre général et spécifique, parus

depuis les années 1980, témoignent de ces difficultés. Citons de Carmel Camilleri et Margalit

Cohen-Emerique, Chocs de cultures: concepts et enjeux pratiques de l'interculturel (1989), de

Abdallah Mdarhri Alaoui et Abdemajid Zeggaf, L'interculturel au Maroc (1994), de Charles

Bonn (collection dirigée), L'interculturel: réflexion pluridisciplinaire (1995), de Josias

Semujanga, Configuration de l'énonciation interculturelle dans le roman francophone (1996), de

Danièle de Ruyter-Tognotti et M. van Strien-Chardonneau, Le roman francophone actuel en

Algérie et aux Antilles (1998), de Françoise Tétu de Labsade, Littérature et dialogue interculturel

(1997) et de Jacques Demorgon, L'histoire interculturelle des sociétés (1998), L'interculturation

du monde (2000a) et Complexité des cultures et de l'interculturel (2000b).

La problématique identitaire est l'enjeu central de l'interculturel. "Il ne faut pas", précise

Diana Pinto sur un ton alarmiste, que " “l'interculturel” soit un brassage d'identités profondément

vides qui donnent souvent lieu à la création d'identités crispées et intolérantes. [...] L'identité

multiple idéale doit s'ancrer plutôt dans une acceptation totale des règles du jeu démocratique tout

en gardant une identité culturelle et affective de son choix" (1995: 19). De même, "l'interculturel

n'est ni évident ni facile à obtenir [...]. L'interculturel ne pourra être que le fruit (souvent amer)

d'une démarche volontariste et engagée vers la complexité démocratique et la recherche d'un

épicentre culturel et non d'une glissade vers le consensus “mou” d'un monde post-moderniste"

(19). L'idée du "jeu démocratique" proposée ici fait pendant à l'idée d'une "didactique de

l'interculturel" suggérée par Mariane Kilani-Schoch (1999), idée que nous devons aussi prendre

avec scepticisme. Il est sûr que, contrairement aux "cultures impériales" (Demorgon, 2000b: 274),

les "cultures de l'interculturel" ont l'avantage d'être historiques, stratégiques, nationales et

internationales (254-264). Les "cultures impériales comme systèmes d'organisation sociale

auraient pu se reformer et durer encore. Si une évolution plus novatrice s'est produite, c'est parce

que les sociétés européennes ne parviennent pas à constituer de véritables Empires durables"

(274). La naissance des cultures de l'interculturel travaille à la réorientation des grands courants

épistémologiques et historiques de notre temps. Cette réorientation est fortement dialogique

puisqu'elle implique le rapport à l'altérité. Or la question n'est évidemment pas de savoir s'il faut

où s'il ne faut pas, s'il est avantageux ou désavantageux de s'accommoder de l'interculturel ou de

le condamner. Il s'agit de reconnaître, à chaque fois que cela est possible, la complexité de la

"conjonction spatiale et temporelle des cultures" (1) ainsi que les limites de la notion et de son

devenir qui se conjugue étroitement avec le devenir de la francophonie, véritable laboratoire des

cultures contemporaines.

Page 18: La carnavalisation dans le roman maghr bin de langue fran aise · 2014. 8. 19. · y étaient refoulés ou considérés comme étrangers, s'est accompagnée d'une mutation mentale

18

Page 19: La carnavalisation dans le roman maghr bin de langue fran aise · 2014. 8. 19. · y étaient refoulés ou considérés comme étrangers, s'est accompagnée d'une mutation mentale

19

Références bibliographiques

Romans cités Bencheikh, Jamel-Eddine. Rose noire sans parfum. Paris: Stock, 1998.

Benhadou, Halima. Aïcha la rebelle. Paris: Jaguar, 1982.

Ben Jelloun, Tahar. Harrouda. Paris: Denoël, 1973.

---. Moha le fou, Moha le sage. Paris: Seuil 1978.

---. L'enfant de sable. Paris: Seuil, 1985.

---. La nuit sacrée. Paris: Seuil, 1987.

---. Les yeux baissés. Paris: Seuil, 1991.

---. La soudure fraternelle. Paris: Arléa, 1996.

---. La nuit de l'erreur. Paris: Seuil, 1997.

---. Le racisme expliqué à ma fille. Paris: Seuil, 1998.

---. Cette aveuglante absence de lumière. Paris: Seuil, 2001.

Ben Mansour, Latifa. La prière de la peur. Paris: La Différence, 1997.

Boucetta, Fatiha. Anissa captive. Casablanca: EDDIF, 1991.

Boudjedra, Rachid. La répudiation. Paris: Lettres Nouvelles, 1969.

---. L'insolation. Paris: Denoël, 1972.

---. L'escargot entêté. Paris: Denoël, 1977.

---. La macération. Paris: Denoël, 1987.

---. Le désordre des choses. Paris: Denoël, 1991.

Bourboune, Mourad. Le muezzin. Paris: Christian Bourgois Éditeur, 1968.

Boussouf, Malika. Vivre traquée. Paris: Calmann-Lévy, 1995.

Bouzaher, Hocine. Les cinq doigts du jour. Alger: SNED, 1967.

Chraïbi, Driss. Le passé simple. Paris: Denoël, 1954.

---. La foule. Paris: Denoël, 1961.

---. Un ami viendra vous voir. Paris: Denoël, 1967.

---. La civilisation ma mère! ... . Paris: Denoël, 1972.

---. Mort au Canada. Paris: Denoël, 1975.

Dib, Mohammed. La grande maison. Paris: Seuil, 1952.

---. Dieu en barbarie. Paris: Seuil, 1970.

---. Habel. Paris: Seuil, 1977.

---. Les terrains d'Orsol. Paris: Sindbad, 1985.

---. Le sommeil d'Eve. Paris: Sindbad, 1989.

Page 20: La carnavalisation dans le roman maghr bin de langue fran aise · 2014. 8. 19. · y étaient refoulés ou considérés comme étrangers, s'est accompagnée d'une mutation mentale

20

---. Neiges de marbre. Paris: Sindbad, 1990.

Djaout, Tahar. L'exproprié. Alger: Sned, 1981.

---. Les chercheurs d'os. Paris: Seuil, 1984.

Djebar, Assia. Les enfants du nouveau monde. Paris: Julliard, 1962.

---. Les alouettes naïves. Paris: Julliard, 1967.

---. Loin de Médine. Filles d'Ismaël. Paris: Albin Michel, 1991.

---. Vaste est la prison. Paris: Albin Michel, 1995.

Djemaï, Abdelkader. Un été de cendres. Paris: Michalon, 1995.

---. Sable rouge. Paris: Michalon, 1996.

ElHany Mourad, Farida. La fille aux pieds nus. Casablanca: Imp. Eddar El Beida, 1985.

---. Faites parler le cadavre. Casablanca: Imp. Eddar El Beida, 1991.

Farès, Nabile. Yahia, pas de chance. Paris: Seuil, 1970.

Feraoun, Mouloud. Le fils du pauvre. Le Puy: Cahiers du Nouvel Humanisme, 1950.

Khadra, Yasmina. Les agneaux du Seigneur. Paris: Julliard, 1998.

Khaïr-Eddine, Mohammed. Corps négatif suivi de Histoire d'un bon Dieu. Paris: Seuil, 1968.

---. Le déterreur. Paris: Seuil, 1973.

---. Une odeur de mantèque. Paris: Seuil, 1976.

Khatibi, Abdelkebir. La mémoire tatouée. Paris: Les Lettres Nouvelles, 1971.

---. Le livre du sang. Paris: Gallimard, 1979.

---. Amour bilingue. Saint-Clément-de-Rivière: Fata Morgana, 1983.

---. Par-dessus l'épaule. Paris: Aubier, 1988.

---. Un été à Stockholm. Paris: Flammarion, 1990.

---. Triptyque de Rabat. Paris: M. Blandin, 1993.

Mammeri, Mouloud. La colline oubliée. Paris: Plon, 1952.

---. L'opium et le bâton. Paris: Union Générale d'Édition, 1965.

Marzouki, Ahmed. Tazmamart. Cellule 10. Paris: Paris-Méditerranée, 2000.

Mimouni, Rachid. Le fleuve détourné. Paris: Laffont, 1982.

---. Tombéza. Paris: Laffont, 1984.

---. Une peine à vivre. Paris: Stock, 1991.

Mokaddem, Malika. Le siècle des sautrelles. Paris: Ramsay, 1992.

---. Des rêves et des assassins. Paris: Grasset, 1995.

Oufkir, Malika and Michèle Fitoussi. La prisonnière. Paris: Grasset, 1999.

Sbaï, Noufissa. L'enfant endormi. Rabat: EDINO, 1987.

Sefrioui, Ahmed. La boîte à merveilles. Paris: Seuil, 1954.

Page 21: La carnavalisation dans le roman maghr bin de langue fran aise · 2014. 8. 19. · y étaient refoulés ou considérés comme étrangers, s'est accompagnée d'une mutation mentale

21

Serhane, Abdelhak. Messaouda. Paris: Seuil, 1983.

---. Les enfants des rues étroites. Paris: Seuil, 1986.

---. Le soleil des obscurs. Paris: Seuil, 1992.

Tengour, Habib. Le vieux de la montagne. Paris: Sindbad, 1983.

---. Sultan Galièv ou la rupture de stocks. Paris: Sindbad, 1985.

---. L'épreuve de l'arc. Paris: Sindbad, 1990.

Trabelsi, Bahaa. Une femme tout simplement. Casablanca: EDDIF, 1998.

Yacine, Kateb. Nedjma. Paris: Seuil, 1956.

---. L'homme aux sandales de caoutchouc. Paris: Seuil, 1970.

Ouvrages critiques et théoriques Antoine, Régis. Carrefour de cultures. Mélanges offerts à Jacqueline Leiner. Tübingen: Gunter

Narra Verlag, 1993.

Arnaud, Jacqueline. Littératures maghrébines. Colloque Jacqueline Arnaud.Villetaneuse, les 2, 3,

et 4 décembre 1987. Perspectives générales. Vol. 1. Paris: L'Harmattan, 1990.

Bakhtine, Mikhaïl. La poétique de Dostoïevski. Paris: Seuil, 1970a.

---. L'œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance.

Paris: Gallimard, 1970b.

---. Esthétique et théorie du roman. Paris: Gallimard, 1978.

Bonn, Charles. Le roman algérien de langue française. Vers un espace de communication

littéraire décolonisé? Paris: L'Harmattan, 1985.

Bonn, Charles and Yves Baumstimler. Psychanalyse et texte littéraire au Maghreb. Paris:

L'Harmattan, 1991.

Bonn, Charles. Comp. L'interculturel: réflexion pluridisciplinaire. Paris: L'Harmattan, 1995.

Bonn, Charles and Arnold Rothe. Littérature maghrébine et littérature mondiale. Actes du

colloque de Heidelberg, octobre 1993. Wurzburg: Königshausen ; Newmann, 1995.

Bonn, Charles, Xavier Garnier and Jacques Lecarme. Littérature francophone. Le roman. Vol. 1.

Paris: Hatier, 1997.

Borduas, Paul-Émile. Refus global. Montréal: Mithra-Mythe Éditeur, 1948.

Bourget, Carine. "L'Islam dans Loin de Médine d'Assia Djebar." Réécriture des mythes: l'utopie

au féminin. Eds. Joëlle Cauville and Metka Zupancic. Amsterdam: Rodopi, 1997. 83-93.

Bres, Jacques, Catherine Détrie and Paul Siblot. Figures de l'interculturalité. Montpellier:

Praxiling, 1996.

Page 22: La carnavalisation dans le roman maghr bin de langue fran aise · 2014. 8. 19. · y étaient refoulés ou considérés comme étrangers, s'est accompagnée d'une mutation mentale

22

Camilleri, Carmel and Margalit Cohen-Emerique. Chocs de cultures: concepts et enjeux

pratiques de l'interculturel. Paris: L'Harmattan, 1989.

Chikhi, Beïda. Maghreb en textes. Écritures, histoire, savoirs et symboliques. Essai sur l'épreuve

de modernité dans la littérature de langue française. Paris: L'Harmattan, 1996.

Déjeux, Jean. Littérature maghrébine de langue française. Introduction générale et auteurs.

Sherbrooke: Naaman, 1978.

---. La littérature maghrébine d'expression française. Paris: PUF, 1992.

de Labsade, Françoise Tétu. Littérature et dialogue interculturel. Culture française d'Amérique.

Sainte-Foy: Les Presses de l'Université Laval, 1997.

Demorgon, Jacques. Complexité des cultures et de l'interculturel. Paris: Anthropos, 2000a.

---. L'interculturaltion du monde. Paris: Anthropos, 2000b.

Deniau, Xavier. La francophonie. Paris: PUF, 1995.

Des Rosiers, Joël. Théories caraïbes. Poétique du déracinement. Montréal: Triptyque, 1996.

Gontard, Marc. La violence du texte. Études sur la littérature marocaine de langue française.

Paris: L'Harmattan, 1981.

---. Le moi étrange: littérature marocaine de langue française. Paris: L'Harmattan, 1993.

Grenaud, Pierre. La littérature au soleil du Maghreb. Paris: L'Harmattan, 1993.

Harrow, Kenneth W. The Marabout and The Muse. New Approaches to Islam in African

Literature. London: James Currey, 1996.

Joubert, Jean-Louis, et al. Les littératures francophones depuis 1945. Paris: Bordas, 1986.

Khatibi, Abdelkebir. Le roman maghrébin. Rabat: SMER, 1979.

---. Ombres japonaises (précédé de) Nuits blanches. Saint-Clément-de-Rivière: Fata Morgana,

1988.

---. Penser le Maghreb. Rabat: SMER, 1993.

Kundera, Milan. Les testaments trahis. Essais. Paris: Gallimard, 1993.

Laronde, Michel. L'écriture décentrée. La langue de l'Autre dans le roman contemporain. Paris:

L'Harmattan, 1996.

Mdahrhi Alaoui, Abdallah and Abdemajid. Zeggaf. L'interculturel au Maroc. Arts, langues,

littératures et traditions populaires. Actes de la journée d'études organisée par le G.E.M

et le D.L.L.F. Faculté des lettres de Rabat, février 1992. Casablanca: Afrique Orient,

1994.

Mernissi, Fatima. Sexe, idéologie, islam. Paris: Tierce, 1983.

---. Sultanes oubliées. Femmes chefs d'état en islam. Paris: Albin Michel, 1990.

---. La peur modernité. Conflit islam-démocratie. Paris: Albin Michel, 1992.

Page 23: La carnavalisation dans le roman maghr bin de langue fran aise · 2014. 8. 19. · y étaient refoulés ou considérés comme étrangers, s'est accompagnée d'une mutation mentale

23

---. Le harem et l'Occident. Paris: Albin Michel, 2001.

Moura, Jean-Marc. Littératures francophones et théorie postcoloniale. Paris: PUF, 1999.

Mouzouni, Lahsen. Le roman marocain de langue française. Paris: Publisud, 1987.

Ruyter-Tognotti, Danièle de and M.van Strien-Chardonneau. Le roman francophone actuel en

Algérie et aux Antilles. Amsterdam: Rodopi, 1998.

Segarra, Marta. Leur pesant de poudre. Romancières francophones du Maghreb. Paris:

L'Harmattan, 1997.

Semujanga, Josias. Configuration de l'énonciation interculturelle dans le roman francophone.

Éléments de méthode comparative. Montréal: Nuit Blanche Éditeur, 1996.

---. Dynamique des genres dans le roman africain. Éléments de poétique transculturelle. Paris:

L'Harmattan, 1999.

Tahon, Marie-Blanche. "Les femmes et le religieux chez Fatima Mernissi." La traversée du

français dans les signes littéraires marocains. Actes du colloque international de

l'université York, Toronto 20-23 avril, 1994. Eds. Yvette Bénayoun-Szmidt, Hédi

Bouraoui and Najib Redouane. Toronto: La Source, 1996. 65-75.

Articles critiques Bencheikh, Mustapha. "Quelques réflexions sur l'interculturel." L'interculturel au Maroc. Arts,

langues, littératures et traditions populaires. Actes de la journée d'études organisée par

le G.E.M et le D.L.L.F à la Faculté des lettres de Rabat, février 1992. Eds. Abdellah

Mdarhri Alaoui and Abdemajid Zeggaf. Casablanca: Afrique Orient, 1994. 75-79.

Bessière, Jean. "Littératures francophones et postcolonialisme. Fictions de l'interdépendance et du

réel. En passant par Salman Rushdie, Kateb Yacine, Mohamed Dib, Amadai Hampâté

Bâ, Ahmadou Kourouma, Raphaël Confiant, Ernest Pépin et d'autres". Littératures

postcoloniales et francophonie. Conférences du séminaire de littérature comparée de

l'université de la Sorbonne Nouvelle. Eds. Jean Bessière and Jean-Marc Moura. Paris:

Honoré Champion Éditeur, 2001. 169-95.

Bouraoui, Hédi. "Introduction." La traversée du français dans les signes littéraires marocains.

Actes du colloque international de l'université York, Toronto 20-23 avril, 1994. Eds.

Yvette Bénayoun-Szmidt, Hédi Bouraoui and Najib Redouane. Toronto: La Source,

1996. 9-16.

Bonn, Charles. "Acculturation, différence et écart: trois lectures du roman maghrébin." Carrefour

de cultures. Mélanges offerts à Jacqueline Leiner. Ed. Régis Antoine. Tübingen: Gunter

Narra Verlag, 1993. 93-99.

Page 24: La carnavalisation dans le roman maghr bin de langue fran aise · 2014. 8. 19. · y étaient refoulés ou considérés comme étrangers, s'est accompagnée d'une mutation mentale

24

---. "Le personnage décalé, l'ici et l'ailleurs dans le roman maghrébin francophone." Littératures

postcoloniales et francophonie. Conférences du séminaire de littérature comparée de

l'université de la Sorbonne Nouvelle. Eds. Jean Bessière and Jean-Marc Moura. Paris:

Honoré Champion Éditeur, 1999a. 125-38.

---. "Paysages littéraires algériens des années 90 et post-modernisme littéraire maghrébin."

Paysages littéraires algériens des années 90: témoigner d'une tragédie? Eds. Charles

Bonn and Farida Boualit. Paris: L'Harmattan, 1999b. 7-23.

Bounfour, Abdellah. "Autobiographie, genres et croisement des cultures. Le cas de la littérature

francophone du Maghreb." Littératures maghrébines. Colloque Jacqueline Arnaud.

Villetaneuse, les 2, 3, et 4 décembre 1987. Perspectives générales. Vol. 1. Ed. Jacqueline

Arnaud. Paris: L'Harmattan, 1990. 85-90.

---. "Forme littéraire et représentation de soi: l'autobiographie francophone du Maghreb et

l'autobiographie arabe du début du siècle." Littérature maghrébine et littérature

mondiale. Actes du colloque de Heidelberg, octobre 1993. Eds. Charles Bonn and Arnold

Rothe. Wurzburg: Königshausen; Newmann, 1995. 68-76.

Bousta, Rachida-Saigh. "Esquisse d'une réflexion sur l'approche de l'interculturalité dans la

littérature maghrébine de langue française." L'interculturel au Maroc. Arts, langues,

littératures et traditions populaires. Actes de la journée d'études organisée par le G.E.M

et le D.L.L.F à la Faculté des lettres de Rabat, février 1992. Eds. Abdellah Mdarhri

Alaoui and Abdemajid Zeggaf. Casablanca: Afrique Orient, 1994. 47-52.

Bres, Jacques. "Repères théoriques: dialogisme." Figures de l'interculturalité. Eds. Jacques Bres,

Catherine Détrie and Paul Siblot. Montpellier: Praxiling, 1996. 252-53.

Chaouite, Abdellatif. "Ethnopsychanalyse et littérature plurielle: quelques remarques."

Littératures maghrébines. Colloque Jacqueline Arnaud. Villetaneuse, les 2, 3, et 4

décembre 1987. Perspectives générales. Vol. 1. Ed. Jacqueline Arnaud. Paris:

L'Harmattan, 1990. 79-84.

Chikhi, Beïda. "Les textes maghrébins et le “gai savoir”." Actes du colloque de Heidelberg,

octobre 1993. Eds. Charles Bonn and Arnold Rothe. Wurzburg: Königshausen;

Newmann,1995. 143-54.

Gauvin, Lise. "Ecriture, surconscience et plurilinguisme: une poétique de l'errance."

Francophonie et identités culturelles. Ed. Christiane Albert. Paris: KARTHALA, 1999.

13-29.

Page 25: La carnavalisation dans le roman maghr bin de langue fran aise · 2014. 8. 19. · y étaient refoulés ou considérés comme étrangers, s'est accompagnée d'une mutation mentale

25

Grassin, Jean-Marie. "L'émergence des identités francophones: le problème théorique et

méthodologique." Francophonie et identités culturelles. Ed. Christiane Albert. Paris:

KARTHALA, 1999. 301-14.

Hagani, Zoubida. "Théorie et critique en défaut dans le champ littéraire maghrébin." Littératures

maghrébines. Colloque Jacqueline Arnaud. Villetaneuse, les 2, 3, et 4 décembre 1987.

Perspectives générales. Vol. 1. Ed. Jacqueline Arnaud. Paris: L'Harmattan, 1990. 91-97.

Khadda, Naget. "Introduction." Écrivains maghrébins et modernité textuelle. Ed. Naget Khadda.

Paris: L'Harmattan, 1994. 7-15.

---. "La littérature algérienne de langue française: une littérature androgyne." Figures de

l'interculturalité. Eds. Jacques Bres, Catherine Détrie and Paul Siblot. Montpellier:

Praxiling, 1996. 15-56.

Khatibi, Abdelkebir. "Un étranger professionnel." Études françaises 33.1 (1997): 123-26.

Kilani-Schoch, Mariane. "Problèmes de la communication interculturelle." L'interculturel:

réflexion pluridisciplinaire. Comp. Charles Bonn. Paris: L'Harmattan, 1995. 31-38.

Laronde, Michel. "Stratégies rhétoriques du discours décentré." Littératures des immigrations. Un

espace littéraire émergent. Ed. Charles Bonn. Paris: L'Harmattan, 1995. 29-39.

Liauzu, Claude. "Résistances et cultures: enjeux de savoirs." Pratiques et résistances culturelles

au Maghreb. Paris: Éditions du CNRS, 1992. 27-36.

Lozowy, Éric. "Penser le rire à l'époque où le tout-monde rit." Recherches sémiotiques/Semiotic

Inquiry 18. 1-2 (1998): 153-75.

Mdarhri-Alaoui, Abdellah. "Le roman marocain d'expression française." Littérature maghrébine

d'expression française. Histoire littéraire de la francophonie. Eds. Charles Bonn, Naget

Khadda and Abdallah Mdarhri-Alaoui. Paris: EDICEF, 1996. 141-45.

Michel-Mansour, Thérèse. "Le battene et le zahir dans le texte maghrébin." Le non-dit dans la

littérature. Ed. Thérèse Michel-Mansour, et al. Toronto: GFA, 1991. 95-112.

Montserrat-Cals, Claude. "Questionnement du schéma œdipien dans le roman maghrébin."

Psychanalyse et texte littéraire au Maghreb. Eds. Charles Bonn and Yves Baumstimler.

Paris: L'Harmattan, 1991. 49-59.

Moura, Jean-Marc. "Sur quelques apports et apories de la théorie postcoloniale pour le domaine

francophone." Littératures postcoloniales et francophonie. Conférences du séminaire de

littérature comparée de l'université de la Sorbonne Nouvelle. Eds. Jean Bessière and

Jean-Marc Moura. Paris: Honoré Champion Éditeur, 2001. 149-67.

Morsly, Dalila. "Interculturel et langues." L'interculturel: Réflexion pluridisciplinaire. Comp.

Charles Bonn. Paris: L'Harmattan, 1995. 187-94.

Page 26: La carnavalisation dans le roman maghr bin de langue fran aise · 2014. 8. 19. · y étaient refoulés ou considérés comme étrangers, s'est accompagnée d'une mutation mentale

26

Pinto, Diana. "Forces et faiblesses de l'interculturel." L'interculturel: réflexion pluridisciplinaire.

Comp. Charles Bonn. Paris: L'Harmattan, 1995. 15-19.

Redouane, Najib. "La littérature maghrébine d'expression française au carrefour des cultures et

des langues." The French Review 72.1 (1998): 81-90.

Tenkoul, Abderrahmane. "L'esthétique de l'indécidable dans le roman marocain de langue

française." La traversée du français dans les signes littéraires marocains. Actes du

colloque international de l'université York, Toronto 20-23 avril, 1994. Eds. Yvette

Bénayoun-Szmidt, Hédi Bouraoui and Najib Redouane. Toronto: La Source, 1996. 19-

31.

Tlatli, Soraya. "L'ambivalence linguistique dans la littérature maghrébine d'expression française."

The French Review 72.2 (1998): 297-307.

Revues

Eaux vives. Ed. Mostafa Nissaboury. Casablanca, 1965.

Poésie toute. Ed. Mohammed Khaïr-Eddine. Casablanca, 1964.

Souffles. Revue culturelle arabe du Maghreb. Ed. Abdellatif Laâbi. Rabat, 1966-1971.

Page 27: La carnavalisation dans le roman maghr bin de langue fran aise · 2014. 8. 19. · y étaient refoulés ou considérés comme étrangers, s'est accompagnée d'une mutation mentale

27