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\%'.d %J/ ) U¼ Q 'I qç,.-y) Gabriel MONOD DE L'R4STITUT CJIADGi DE COURS AU COLLÈGE DE FRANCE +4•44+4* La Cflaire d'Histoire ait Collège de France Éditions de la REVUE POLITIQUE ET LITTÉRAIRE (Revue Bleue) et de ta REVUE SCIENTIFIQUE 41 b!, , Rue de Châteaudun, PARIS -61 111111111111111111111111111111 0000005721474

La Chaire d'histoire au College de France§iôb et si je flic montrerai digne de la confiance qui ... par mon collègue et confrère4 M. Ldngnon1 dahu la ... et de professeur du dernief

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Gabriel MONODDE L'R4STITUT

CJIADGi DE COURS AU COLLÈGE DE FRANCE

+4•44+4*

La

Cflaire d'Histoireait

Collège de France

Éditionsde la REVUE POLITIQUE ET LITTÉRAIRE (Revue Bleue)

et de ta REVUE SCIENTIFIQUE

41 b!, , Rue de Châteaudun, PARIS

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LA CHAIRE -D'HISTOIREAU COLLÈGE DE FIkÀNCE

Lorsque M m e la marquise Arconati Visconti, dansun double sentiment, de piété filiale pour la mémoirede son, père, M. Alphonse Peyrat, et d'admirationpour le caractère et l'oeuvre de Jules Michelet,u offert au Collège de Fronce les ressources néces-saires h la création d'un cours complémentaired'Histoirè générale, elle a rappelé, dans la lettremi elle proposait cette fondation, les noms dessavants illustres qui ont, au xix' siècle, occupé lachaire d'Histoire et Morale au Collège do France,Daunou, Letronne, Michelet, Guigniaut et Naury.Elle a en même temps défini le caractère du coursd'Histoire générale et de méthode historique, qui, danssa pensée, fera revivre momentanément l'anciennechaire d'histoire et Morale. « On y étudiera, est-ildit dans cette lettre, d'une part les règles scienti-

(1) Leçon d'ouverture du cours complémentaire d'il i.vtoiregénérale et de ,ndt/sode historique, créé an Collège de Fiancepour une durée de cinq années, grâce â une donation del'' la marquise Aroonati-Visconti, née .Peyrat. M. Gabriel

Monod, désigné par le Collège de France comme titulaire dela chaire, le 5 novembre dernier, n ouvert son cours leC, déoenil)re

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tiques de méthode et de critique qui président àl'investigation historique; de l'autre, les grandesforces et les grandes idées qui contribuent à l'évo-lution historique elle-même. » C'était ce que faisaitDaifiion, quand, après avoir exposé les principéS déla critique, il essayait d'établir ce qu'il appelait» lesusages de l'histoire n , «est-à-dite kg idés géné-rales et les enseignements philosophiques ou poli-tiques qui ressortent de son étude. C'est aussi ce quefaisait Michelet, quand, après avoir, en 1842 et 1843,posé les principes de la philosophie de l'histoire etde la méthode historique, il prenait comme pro-graffime de ses cours l'applicatidh de des rihdiesà l'histoire dés kvro, xvi re et )VILΰ siècles.

L'impoéiaùce et là ditfidulté de la lâche ppoposééau titulaire du cours d'llisioire générale et de niéthbdehistorique, la grandeur des souvenirs laissés pài leprofesseurs qui oht, àu xiI' siècle, occupe la chdlFèd'Biktoire ét ilforalé, rn'thspirent, au mdmérit Mi jemonte dans cetté chaire, autant de craihte qdé déferté. Aux sesitimeùts de profonde reconnaisah8éque j'éprouve pcitir la généreuse donatrice qui a dô[éte cours, pouf lès professeurs du Collège de ltrhdequi &ént accordé lelrs éÙltÈagS, pour le Ministuequi a bien touhi tàtïfier but chou, se mêle l'itiqulé-bide dé àâvoj r si je ne séFai pas intérieur à fila mis-§iôb et si je flic montrerai digne de la confiance quini'à tnio%née. Mou iflØuiétiïde serait péht-èLremoins vive, et j'aurais épfbUvé moins d'hésitation àaccepter la tbnétiofl hotrelle qui m'était offerte, Si lemaître et l'ami qui m'a suivi et encouragé pendanttoute ma darrière scientifique était encore là polirme soulénit' et iid guider. Gaston Paris, 4Ui ii tenudans cette maison une si grande place comme pro-

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fesseur et dorùmû administrEtteur, en qui nous kdmi-rions l'hisloriefl aux vues otiginaiés et fédoudeb:,autant que le linguiste érudit et sagficei k côté de quij'ai travaillé plus de trente-cinq ans à la Revue cri'/iue et à l'École des Hautes-tudes, m'a plus d'unefois exprimé le désir de me voir appelé à enseigner.auprès de lui nu Collège de France. C'est certainenient à son estime et à son amitié que je dois; engrande partie 1 laoréatiofi de ce eburs ét l'accueil giflatteur que j'ai trouvé auprèsde l'administrateur etdes professeurs du Collège de FranceL Mais je ne tueconsole pas de ne plus le trotivei ici et dé né lidu-voit' plus recevoir lbs direttions de sa large 4 impar'tiale et lumineuse intelligence.

Je ne ferai pas adjodrd'hiti l'histoire dé la chiiifed'hébreu du Collège de Francé 3 transformée cd châtred'histoire en 1769, puis tetransformée

en 18921892 enune chaire de géographie historique de la FMnce.lies faits essentiels de cette histoire ont été rappelépar mon collègue et confrère 4 M. Ldngnon 1 dahu lalepoà d'ouverture de son cours dé géographie histérique 4 én même tempsqu'il retraçait, avec nuération reconnttissante, la lingue carrièi4e de aantet de professeur du dernief titulaire de la chaired'llistoire et Morale, M. Alfred Mauryi Mais si je puisvous renvoyer, pour le détail des vicissitudes parlesquelles a passé cette chaire h l'exposé aussi pré?Gis que complet donné par M i Lougn9n 4 je veuxnéailmoifls attiret votre attention sur le caractèêde ces vicissitudes et sur leur rapport avec l'évolutionde la science, de la critique et de l'enseignementhistoriques dans notre pays. La création de la chairedu Collège de France marque unb date importnitddans l'histoirê de cette évolhlion, et l'on trbhivè dans

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l'enseignement quiqui y e été doùné une fidèle expres-sion des transformations qu'a subiespendant unsiècle la conception del'lnstoire. Les professeurs quise sont succédé dans cette chaire sont loin d'avoir euune valeur égale comme érudits, comme orateursou comme écrivains mais tous nous intéressent,tous prennent à nos yeux une valeur-représentativeet comme symbolique, si nous les étudions succes-sivèment, à leur date, et dans leurs rapports avecleur époque fl leur milieu.

La chaire d'histoire du Collège de France a étécréée le 17février 176, et rien n'est plus curieuxque les termes par lesquels l'arrêt du Conseil d'Étatdu lloi a simultanément converti une des deuxchaires d'hébreu dû Collège de France en une chaired'histoire, et une des deux chaires de philosophiegrecque et latine en une chaire de physique.

« Le Roi, est-il dit dans cet arrêt, s'étant fait ren-dre compte de l'objet pour lequel son Collège Royal "a été établi et de l'état actuel des chaires qui y ontété fondées, et S. M. ayant reconnu que le Roi Fran-çois Jer, voulant faire germer l'émulation et l'amourdes lettres dans le coeur de ses sujets, forma, sous lenom de Collège 'loyal de France, une société degens de lettres, qu'il attacha au service de sa per-sonne, sous le nom de lecteutç ordinaires,, et qu'ildestina en même temps à l'enseignement public enqualité de professeurs; que le principal, objet duFondateur était que l'on trouvât dans ledit CollègeRoyat des secours sur toutes les branches des con-naissances humaines qui ne s'enseigneraient pointou qui ne s'enseigneraient qu'imparfaitement dahsl'Université que les deux chaires d'hébreu fondéesdans ledit Collège Royal sont aujourd'hui peu fi-é-

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quenlées, qu'une chaire y serait suffisante pourcette langue et qu'il serait expédient d'appliquer lesfonds de Vautre chaire d'hébreu à un objet d'utilitépublique; que l'Histoire étant une des branches desconnaissances humaines les plus nécessaires .à tonsles ordres de citoyens, il serait à désirer que cetteprofession ne fût pas entièrement abandonnée àquelques mercenaires, et qu'en changeant l'une desdites deux chaires d'hébreu, ce serait se conformerau premier voeu du Roi François W; S. M. ayant re-connu que les deux chaires de philosophie grecqueet latine fondées dans ledit Collège Royal ne sontpresque plus fréquentées depuis que la Physiques'est enrichie des découvertes des modernes et qu'ilserait très utile de convertir, l'une de ces deuxchaires en une chaire de physique; ouï le rapport,le Roi étant en son Conseil, a ordonné et ordonneque la chaire d'hébreu du Collège Royal, actuelle-ment possédée par le sieur Damier, inspecteur dece collège, et la chaire de philosophie grecque et la-tine du même collège, aujourd'hui exercée par lesieur Cousin, ,.. seront et demeureront dès àpré-sent et à perpétuité converties, savoir, la premièreen nue chaire d'histoire et la seconde en une chairede physique.» La science expérimentale et l'histoirepénétrant ensemble dans l'enseignement supérieuraux dépens de l'hébreu et de l'antiquité classique,n'est-ce pas le signe d'une orientation nouvelle desintelligences?

L'inspirateur de cette mesure était celui même enfaveur de qui la chaire d'hébreu était convertie enchaire d'histoire, l'abbé Jean-Jacques Garnier, syn-dic et inspecteur (c'est-à-dire administrateur) duCollège Royal depuis le 27 mars 1768, L'administra-

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lion de 3.-J Garnier, qui durajusqu'en 1790, époqueoù il résigna ses fonctions et accepta volontairementla retraite et la pauvreté, parce que sa Conscience luiinterdisait de prèter serment û la Constitution, futextraordinairement active et féconde; Le CollègeRoyal, quand il en prit la direction, était tombédans und profonde décadence; Les bâtiments mena-çaient ruine et l'enseignement y était aussi vieilliet délabré que les locaux où il était donné. On n'avaitpresque rien innové depuis François W, et on sebornait k enseigner comme autrefbis, mais avecbeaucoup moins d'échit, 1'hébrcu l'arabe, ldsyriaquelesmathémàtiques, la médecine, le grec 3 l'éloquencelatine, la philosophie grecque et latine et le droitcanon. Les cours étaient désertés par la jetinesse i etles professeurs, misérablement patés, faisaient leurpossible pour écarter les élèves, afin d'avoir des loi-sirs à défaut de traitement. Garnier savait, par sonexpérience personnelle, ce que valait l'eiiseignementdu Collège Royal. issu d'une pauvrd farbille du Maine,arrivé à Paris à dix-huit ans, avec vingt-quatre sousdans Sa poche, il avait été recueilli par clirité àuCollège d'Harcourt, y avait fait de bonnes étudesclassiques, et s'était concilié la faveur du comte deSaint-Florentin, ministre de la maison du roi, ncomposantpour un de ses amis uh ouvrage d'érudi-tion. Le ministre le récompensa en le chargent, en1700, de suppléer dans la chaire d'hébreu l'abbé Sal-lier, bien que ses goûts et ses travaux l'eussentportéexclusivement vers la philosophie et l'histoire. Il estvrai que l'abbé Sàllier, qu'il remplaçait, était commelui médiocre hébraïsant et sintéressait, comme lui,beaucoup plus Li l'histoire de Frafice qu'à celle desJuifs, Aussi, dès qu'il eut reçu en 1768 la charge

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d'ispecteur du Qollègb Royal en survivance del'abbé Vatry, Garnier entreprit-il de le renodUelerde fond en comble. li ôtait frappé dOE l'inférioritédans laquelle se trouvait, vis-à-vis des Universitésétrangères, l'Université de Paris. L'enseignementsupérieur des lettres et dés sciences n'existait pasil était rôdait aux deut années & philosophie, quitermin&ient les études secondaires et préptitaielili kla màitrie ès arts par un ensei gnement tout scolastique de la philosophie et de notions de scièhcS 4ui.

ne s'adressaient qu'à la mémoire. L'abbé Garnièl'voulait que le Collège Royal fût polir l'Un1veritune vraie Faculté de philosophie, senibhible à cellesd'Allemagne, où l'on exercerait de *ais étudiantsaux recherches de l'érudition et dés sciencèg de lanature, que les Universités françaises semblaientvolontairement igabrer. Dès 1768, il fUisait transformer podr l'illustre Lalande l'une des dliaire g de mathématiques en chaire d'astronomie, en 1769 il Iaisait créer les chaires d'histoire et de pflysiqfte sérié-raies, en 1773 les chaires de littérature française; demécanique, de drdit de la nature et des gens, eh1774 la chaire de chimie i en 1.776 la chaire de méddàchie pratique et la chaire de morale, qui fut unie tinan plus tard à l it d'histoire 4 en 1178 In chaired'histoire naturelle, en 1784 la chaire de turc étpet-'sang enfin en 17871a chaire de physique expérimen-tale. Aidé par Lalande, il réussissait à faire réceii'naître le Collège Royal comme uh membte dé I'UllIcversité de Paris. li lui faisait àttFihdèr, des fdtidsimportants accordés par bonis )V à l'Universi té; Mavec ces fonds on restaurait les bâtiments ditet on portait de 000 livres k 1,000 litres les traitènients des professeurs.

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-12 -Dans le rapport qu'il fit le 19,mars 1769 à l'as-

semblée du Collège sur ta création des chaires d'his-toire et de physique générales, Garnier insista surl'importance de l'étude de l'histoire qui n'avaitencore aucune place dans l'enseignement publie. iifit voir, dit le procès-verbal de l'assemblée, quel'histoire étant une des branches de la littérature lesPlus utiles à tous les ordres de citoyens, la pluspropre à former des sujets pour remplir des placesà l'Académie des inscriptions, et que s'enseignantdéjà dans toutes les Universités d'Allemagne, deHollande, d'Italie, de Suède et de Danemark avectant de célébrité et de succès que plusieurs person-nes des familles les plus distinguées prenaient teparti d'envoyer étudier leurs enfants dans ces écolesétrangères, il était de l'intérôt de la France en gé-néral et du Collège Royal en particulier d'en ouvrirune école publique, laquelle ne pouvait ni plus con-venablement ni plus décemment être placée qu'auCollège Royal de France.

Garnier aurait pu faire observer qu'il y avait uneUniversité dans le royaume de Fronce ou l'histoireétait représentée avec un incomparable éclat. L'his-toire universelle, l'histoire d'Allemagne, les anti-quités romaines, le droit public, la diplomatique etl'héraldique étaient enseignés à lUniversité de Stras-bourg, qui allait célébrer en 1770 le jubilé des cin-quante années de professorat du grand éruditSchœpflin. II y avàit créé, depuis 1720, une £cole depolitique et de diplomatie, comme on disait alors.Louis XV l'avait nommé historiographe de France.Mais l'Université protestante de Strasbourg n'étaitpas comptée par l'abbé Garnier parmi les Univer-sités françaises. Elle était pour lui une de ces uni-

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vcrsités étrangères qu'il, proposait comme modèlesau Collège royal, ou du moins, pour employer lelangage d'alors, une université à l'instar de l'étran-ger. L'Université de Strasbourg exerçait alors sonaction plus sur l'Allemagne que sur la France.Goethe et Herder allaient s'y rencontrer avec JungStilling en 1770.

Certes on ne peut pas dire que l'histoire ait éténégligée en France auxvl', au xvii 0 et au xviii0 siècle.L'histoire nationale y avait été non moins cultivée quel'histoire ancienne ou l'histoire de ltglise. Dans au-cun pays la littérature historique n'avait produit desoeuvres aussi remarquables et les érudits n'avaientapporté autant d'ardeur à publier des textes histo-riques et à élucider tons les problèmes de l'histoiresacrée et profane. Aucun ouvrage historique paru enAllemagne, en Italie ou en Angleterre ne pouvaitêtre comparé au Discours sur i'Jiistofre universelle età l'llistoire des Variations de Bossuet, à l'Essai surles )lfceurs et au Siècle de Louis XIV de Voltaire ou àl'Esprit des lois de Montesquieu. Si l'Allemagne etl'Italie avaient eu de grands érudits, en tête des-quels se placent Leibniz et Muratori, les publicationsdes Bénédictins de la Congrégation de Saint-Maur etcelles des membres de notre Académie des inscrip-tions l'emportaient sur celles de l'étranger par leurnombre comme par leur importance. On ne mécon-naissait pas non plus en France l'utilité de l'ensei-gnement de l'histoire pour l'éducation. Si les Carté-siens, et Malebranche en particulier, dans leuridéalisme intransigeant, méprisaient l'histoire ettrouvaient « plus de vérité dans un seul principedemétaphysique que dans tous les livres historiques »,Bossuet donnait à l'histoire la première place dans

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l'éducation du dauphin et il y voyait o la conseillèredes princes, la maîtresse de la vie humaine et de lapolitique •L. Fénelon, qui avait composé une his-toire de Charlemagne pour le du: de Bourgogne, nepensait pas différemment. Dès 1668, Mézeray publiaitun Abrégé chronologique de l'histoire de rfrance pourservir à l'enseignement de l'histoire nationale, et,en 1.744, le Nouvel Abrégé chrqnoiogiq.uedu présidentHénault avait un tel succès que sept éditions en pa-rurent de 1744 k 1768. Malheureusement, l'ensei-gnement donné dans les Écoles n'avait pas suivi lesprogrès de l'esprit public. Les nombreux traitésd'éducation qui ont été publiés au xviii" siècle sontpresque unanimes à recommander l'étude de fils-toire et k déplorer l'ignorance où les collèges univer-sitaires laissaient leurs élèves sur les faits les plusimportants de la vie nationale. Les philosophes,Condillac, Diderot, La Condamine ou Voltaire, sonten cela d'accord avec les Jansénistes et les Jé-suites.

Le bon Rollin, dans le livre VI du fl'rail4 desÉtudes, après avoir montré l'utilité de l'étude del'histoire, déploré que l'on n'ait pas le temps d'efl-seigner dans les classes celle de la France, « qu'ilest honteux k tout bon Français d'ignorer b, , et ilavoue en rougissant l'avoir lui-même négligée, et

être, en quelque sorte, étranger dans sa proprepatrie .» Guyton de Morveau, en 1764, dans sonMémoire sur t'Education publique, se plaint « qu'onsorte des collèges sans connaltre les principauxtraits de l'histoire de son pays, qui •est la principalede toutes >, et d'Membert, dans l'article Coll'igc del'Encyclopédie, dit « qu'il est honteux que les élèvessortent des écoles sans aucune notion de rhistoire

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de leur pays, ai de la géographie, ni de la chrono-logie, ni de lhistoire universelle

Bien que les Universités eussent fait déjà desefforts dans la première moitié du xvme siècle pourarracher leurs collèges à la torpeur qui les avaitenvahis au xvii 0 , elles étaient restées attaah6es à lroutine qui réduisait l'enseignement à l'étude deslangues anciennes, des mathématiques et de la phi-losophie aristotélicienne sous sa forme la plus sco-lastique. On n'y apprenait un peu d'histoire anciennequ'en lisant les historiensgrecs et latins. Seuls unou deux collèges universitaires dirigés par lisJésuites, comme le collège Louis . leGrand ou celuid'Orléans, faisaient figurer l'histoire comme unmatière à part dans leurs programmes Le P. Bufflerétait, dès les premières années du xviii 0 siècle, pro-fesseur spécial d'histoire et géographie à Lpuisrle-Grand. Il avait publié à l'usage des élèves, de 1701 a-1715, une Pratique de la Mémoire artificielle pourapprendre et retenir ta chronologie, l'histoire 61 lagéographie, et, quelques années plus tard, qi 1T24,le P. Daniel faisait paraître un Abrégé de l'Histoirede Fronce. Mais, comme le prouve le manuel dpP. Buffler, qui n'est qu'un manuel de mnémotechnieversifiée, les Jésuites ne faisaient appel dans leurenseignement qu'à la mémoire, et Voltaire, leurélève, dans l'article Éducation du Dictionnaire philo-sophique, fait dire par un conseiller au Jésuite qui l'ainstruit r Vraiment, vous m'avez donné une plai-saute éducation I Lorsque j'entrai dans le monde, jevoulus parler, on se moqua de moi. Je ne savais nisi F'rançois l° avait été prisonnier à Parie ni où estp-avie le pays même où je suis né était ignoré demoi: je ne connaissais ni les lois princ ipales ni les

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intérêts de ma patrie. Je savais du latin et dessottises. "

Les seuls maîtres qui fussent véritablémentanimésde l'esprit de réforme et de progrès étaient les prê-tres réguliers de l'Oratoire, les religieux de l'ordre deSaint-J3enott et les Doctrinaires. M. l'abbé Sicard,dans son excellent livre sur les Éludes classiquesavant la Révolution, nous les a fait connaître commeles précurseurs des réformateurs les plus hardis duxix 0 siècle. ils réduisaient le plus possible lapart deslangues grecque et latine pour introduire dans leursécoles l'étude du français, des langues vivantes, dessciences physiques et naturelles, de l'histoire et de lagéographie. La Bibi iotltci que historique de la France,par le P. Lelong, parue en 1719, est unepreuve de l'in-térêt pris par les Oratoriens à l'histoire nationale. Onl'enseignait dans leurs collèges d'après les cahiersd'histoire du collège de Vendome, rédigés par leP. Lecointe, et, à Juiily, on donnait .des prix d'his-toire en seconde et en rhétorique. On ne s'étonnerapoint que les Bénédictins, qui avaient entrepris lerecueil des Monuments de la Monarchie française, lerecueil des ilisloriens de (ioules et de /a France, etl'llistoire littéraire de la ['rance, aient fait à l'histoireune large place dans leurs écoles de Sorèze et dePontievoy. Ils poussèrent la hardiesse jusqu'à yappliquer une méthode originale, proposée par Gro-tius, approuvée par d'Alembert et par Diderot, etreprise de nos jours en Allemagne comme une nou-veauté la méthode régrèssive, qui fait remonteraux élèves le cours des siècles. Ils enseignaient l'his-toire de France en commençant par le xvui° siècle.li faudra attendre chez nous tout un siècle pourtrouver un ministre assez hardi pour faire figurer

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dans les programmes de l'enseignement publie l'his-toire contemporaine, qui, cent ans plus tôt, n'effrayaitpas les Bénédictins.

Il fallut la grande crise produite, en 1762, par lasuppression des cent treize collèges des Jésuites etla nécessité où se trouvèrent les Universités et lesParlements, de prendre en main la direction de leursmaisons d'éducation, pour que l'enseignement descollèges universitaires entrât dans des voies nou-velles. On y fit des réformes sérieuses au point devue du français, des sciences et de la philosophie,mais on resta bien timide en ce qui concerne l'his-toire. On se contenta, comme le demande le projetde règlement de 1762, de faire lire des abrégés d'his-toire grecque, d'histoire romaine et d'histoire deFrance dans les petites classes, et on considérait ceslectures « comme une espèce de récréation, qui pro-curera un délassement aux maîtres, puisque ce sontles élèves qui lisent. » On n'osera pas appliquer,sauf dans quelques rares collèges, les réformes pro-posées par le président Rolland dans son « Compterendu présenté le 13 mai 17 68 au Parlement ,(sur leplan d'études à suivre dans les collèges non dépen-dants des Universités et la correspondance ii établirentre les collèges et les Universités». Rolland voulait,non seulement qu'on étudiât dans toutes les classesles oeuvres des historiens français, mais que desprofesseurs spéciaux d'histoire et géographie fussentchargés d'enseigner l'histoire nationale, et même,pour chaque province en particulier, l'histoire pro-vinciale. « Les jeunes gens qui fréquentent les col-lèges, écrit-il, connaissent les belles actions de Thé-mistocle, d'Atcibiade, de Décius, d'Annibal, de Sci-pion; ils ne savent pas celles de Duguesclin, de

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Bayard, du càrdilial dÂmboise, de TdFenne, deMontdibt'ency, de Sully, en oit ï1idt, des glands.hommes qui ont illustré notre nation et dont lesdkehlplS et les actions. étant plus analogues à nosmœurs et plus rapproëliési de bous, leur feraient plusd'impression.

C'est seulement h partir du règne de Louis-Phi-lipe tjud IS idéesdu président Rolland seront sé'fieusehiedi appliquées dans lenseigneitient public'.Les Ecoles centrales de lu République, o& Destuttde Tracy et Daunou draient institué des cours élis-tofre, ai'itnt dispard avec [Empire. Sous Napo'-léon, il n'y eut dans les collèges ni professeurs nicoUs d'histoire, cl, comme dans l'ancienne Uni-vetsit, dn chargeait seulement les professeursd'lihinaàités de faire éhhaitrd aux élèves les no-tiohs essentielles de l'histoire. Royer-Collard, en1818, devenu président de la Commission d'ins-trhction publique, fit créel- des professeurs et desdouk's d'histoire dabs toutes les clnses des princi-

tix collèges, da la cintjuiLme b la rhétorique, maisaprès lui, M. du Frayesinous la relégua dans lésclasses de sixième, cinquième, quatrième et troi-sième, en recommandant de s'abstenir de tout com-mentaire sur les faits de l'histoire moderne et d'évitettout ce qui touche h la politique. La Restaurationtu-ait hérité des traditions des anciennes universités,qui 'pensaient, comme l'abbé Fleury (1), que si lesprinces ont besoih de savoir beaucoup d'histoire,« il n'en est pas de même des hommes de conditionmédiocre». Elles redoutaient aussi, enouvrunt leursportes 'a l'histoire nationale, de les ouvrir en même

!; Traité du choix et de la rndUzode des études, ch. xxxi.

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temps à l'esprit philosophique et aux idées de réfor-mes constitutioîinelles quise manifestaient alors dans -tous les livres relatifs aux institutions de la France,ménie dans ceux qui traitaient des institutions mé-rovingiennes.

L'abbé Garnier ne partageait pas ces craintes. Ilavait débuté en 1761 dans hi carrière des lettres parun Traité de l'Origine du Gouvernement français quil'avait fait entrer k FAcadérnie des inscriptions etl'avait fait choisit', Si 1766, Par les éditeurs de lUis-toire de Frànce de Velly et Villaret, pour continuerleur oeuvre. Dans son Traité d'Lducation i paru en1765, il 'était plaint que l'Université n'eût pas dechaires pour enseigner à ses élèves les droits et lesdevoirs du citoyen. Ce n'est pas une simple coïnci-dence qui fait se succéder k quelques mois de distance le Compte rendu du président Rolland et lacréation de la chaire d'histoire du Collège royal.Carnier posait dans l'enseignement supérieur la basedune réforme que Rolland voulait étendre- à toutl'enseignement secondaire. Ce fut naturellement l'his-toire nationale qu'il enseigne, et son cours, de 17'Oà 1773, fut un cours général d'Histoire de France, delingues Capet à Henri IV. En 1774, le succès qu'ob-tenait k Strasbourg Christophe-Guillaume de Koch,dazis les cours de droit public dont il avait été chargéaprès la mort de Sebœpflin, fut sans doute la raisonqui poussa Garnier à changer le caractère de souenseignement et k s'occuper, d'abord des relationsdiplomatiques entre les nations européennes depuisla paix de Westphalie, puis, k partir de 1775, del'histoire de la civilisation en général et de questionsde droit constitutionnel. Mais, en élargissant ainsile cadre de ses cours, Carnier restait fidèle aux idées

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qu'il avait expôsées dans son Traité d'Èdueahon ci-vile, où il définissait l'histoire « un composé de cri-.tique, de politique, de morale et de rhétorique « et-où il associait l'enseignement do la philosophie mo-rale à celui des devoirs civiques.

Aussi ne s'étonnera1-on point de voir. Garnierobtenir, en 1776, pour l'abbé Pluquet, la créationd'un cours de philosophie morale, et, en 1778, laréunion de ce cours à celui d'histoire en une seulechàirc, qui eut pour titre Historia et Fhilosoplzia,noralig . En 1791, on traduisit ce titre par lessimplesmots ilistoire et Morale.

Ce titre d'Jfitloire cl Morale, que ta chaire d'his-toire générale du Collège de France devait conserverjusqu'à sa transformation en chaire de géographiehistorique, a été bien souvent critiqué. On lui a re-proché d'associer deux ordres de choses essentielle-ment différents pour ne pas dire contradictoires,puisque la morale a la prétention de déterminer leslois idéales et indépendantes des circonstances quidevraient régler les actions des hommes; tandis quel'histoire nous offre le spectacle de la lutte despassions humaines, où le succès est bien rarementla récompense de la vertu. Unir la morale à L'histoire,n'était-ce pas s'exposer à altérer l'histoire pour entirer des leçons? Déjà, eu 1791, La Harpe, qui étaitd'ailleurs un détracteur acharné du Collège deFrance, prétendait ne pas comprendre ce que pou-vait Mre une chaire d'histoire et morale (1). Ces cri-tiques auraient été justifiées si Garnier et ses collè-gues, en associant la morale à l'histoire, avaient

(1) Mercure de France, janvier 1791. Cf. A. Lefrano, 1728-taire du Collège de France, p. 281.

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conçu l'enseignement de l'histoire à la manière defoEhn. Pour celui-ci, l'histoire n'est vraiment quede la morale en action. il voit en elle« la maîtressede la vie, l'école commune du genre humain; c'estelle qui fait aux rois leur procès sous des nomsempruntés, fait regarder les conquérants commedes fléaux publics, des brigands des nations, quidécrie les vices, démasque les fausses vertus, dé-trompe des erreurs et des préjugés populaires, dis-sipe le prestige enchanteurdes richesses etdémontrepar mille exemples qu'il n'y a de grand et de louableque l'honneur et la probité

Rien ne nous autorise àpenser que ni Carnier, niPluquet, qui occupa la chaire d'Histoire et Morale de1778 à 1782, ni l'abbé Jean-François Hugues, dit DuTeins, qui lui succéda de 1783 à 1789, aient eu uneconception aussi naïve de l'utilité morale de l'his-toire. D'ailleurs, le titre de leur chaire n'était pasIbsi aire et Morale, mais histoire et Philosophie mo-rale, ou Philosophie des moeurs, ce qui n'est pas toutà fait la même chose. Les sujets de leurs cours nousrenseignent clairement sur la nature des rapportsqu'ils établissaient entre l'histoire et la morale Demôme que Carnier, pendant les deux dernières an-nées de son enseignement, avait étudié les moeurs,la religion, les lois et les formes de gouvernementdes anciens, l'abbé Pluquet, après avoir fait l'his-toire du luxe et exposé les principes de la méthodehistorique, étudia les historiens anciens au point devue de l'histdire des moeurs et des institutions.L'abbé Du Tems continua la môme étude en rember-chant dans les sources de l'histoire de Franco ce quipeut servir ti éclairer la philosophie des moeurs, lascience politique et le droit public.

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Si le cours d'histoire du Collège royal est devenuun cours d'flûtoire et Morale, ce n'est pas à l'in-fluence du Traité des Études de ilollin qu'on le doit,mais à celle de la philosophie du xviii t siècle, pourqui la question du Progrès était le centre mémo del'histoire. Elle ne séparait pas l'histoire des moeursde celle des institutions et cherchait dans les moeurset les lois l'explication du développement et desfluctuations de la morale. L'Espri t des lois de Mon-tesquieu est de 1748; le Discours préliminaire e dl'Encyclopédie est de 1751; c'est à la même époqueque Turgot écrivait un mémoire sur les Progrès suc-cessifs de l'Esprit humain et traçait le plan d'un Dis-cours sur l'llistoire universelle, qui eût été une es-quisse de l'évolution philosophique de l'humanité;enfin Voltaire, l'inventeur de l'expression Philoso-phie de l'Histoire, publiait en 1756 l'Essai sur l'His-toire générale et sur l'Esprit et les il! eurs des NationsOÙ , comme il l'a dit lui-même (1), « il a moins songéà recueillir une masse énorme •de faits qu'à ras-sembler les principaux et les plus avérés, qui puis-sent servir à guider le lecteur et à le faire juger parlui-même de l'extinction, de la renaissance et desprogrès de l'esprit humain. » II loue l'abbé Velly etl'abbé Garnier en France, Hume en Angleterred'avoir suivi cette méthode. Voltaire ne se fait pasd'illusion sur les leçons de morale que donne l'his-toire, car il pense que, si elle éclaire les hommes,c'est o par le tableau de leurs malheurs et de leurssottises s. Mais pour lui, comme poui' tous les philo-sophes d'alors, la seule histoire qui lui paraissedigne d'intérêt, c'est l'histoire de l'esprit humain;

(1) Troisième remarque do l'Essai sur les fleurs.

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or, l'élude des institutions, des lois et des rnœuraboutit naturellement à une sorte de phi)osophmoi-ale. Helvétius, dans son livre de l'Esprit, parien 1758, ira jusqu'à voir deus la législation la sourcemême des vertus et des talents.

C'at à tout ce mouvement d'idées que @ rat-tache la transformation de la chaire d'histoire obte-nue par Garnier, en 1778, cornue aussi la créationdu cours de Droit de ta Nature et des Gens inaugqrøCD 1774; et cette transformation nous appra!tcomme aussi légitime qu'elle le semblai k Daunouet à Michelet, qui étaient les héritiers directs de latradition du xvii9 siècle. Je dirai plus; je. Ç!'OS

qu'on ne peut étudier dans leur ensemble les di-verses phases de l'évolution des sociétés, sans te-nir un très grand compte des idées morales qqise dégagent de l'évolution historique elle-mêmq,et qui en sont, tantôt une des causes i tantôt pudes résultats. Je ne parle pas seulement de l'évo-lution des religions, qui joue dans l'histoire ]u-naine un rôle si considérable et qui ne peut êtreséparée des idées morales auxquelles les religionssont associées; je ne parle pas seulement des insti-tutions juridiques qui sont 1.in perpétuel compromisentre l'intérêt social ou privé et les idées de justice;je parle 4e toutes les manifestations de l'activité bu-moine. Est-il possible de faire l'histoire du travail,d'étudier le passage de l'esclavage au servage, dgservage au salariat et la tendance du salariat à setransformer à son tour en associations de productionsans tenir compte de l'action des idées morales quiont collaboré avec les forces et les besoins éco no-miques pour opérer ces métamorphoses ? Ne voyons-nous pas dans les luttes de classes, qui transforment

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partout les sociétés aristocratiques en sociétés dé-mocratiques, à côté de l'antagonisme des intérêts et-des convoitises, un antagonisme de conceptions mo-rales, parfois un conflit de vertus opposées ? Et sinous éludions celle des manifestations de l'activitéhumaine qui parait la plus étrangère aux idées mo-rales, la guerre, ne voyons-nous pas Faction desidées morales s'y manifester constamment à côté despassions les plus aveugles? Ce sont elles qui colla-borent avec les intérêts matériels pour faire sortirdes conflits guerriers tout un code du droit des genset bientôt sans doute un système d'arbitrage paci-tique , pour frapper de réprobatiôn le prétendu droit

-de conquête, et pour faire de la guerre, jadis laforme la pins habituelle des relations internatio-nales, un phénomène exceptionnel que les gouver-nements les plus autocratiques considèrent commeun malheur public. La morale est inséparable del'histoire. Les séparer, ce serait prétendre étudierles faits sans tenir compte ni des idées ni des senti-ments, et cette vaine prétention enlèverait à l'bis-loire ce qui fait son intérêt et sa vie. Lhistoirc n'estcertes pas une école de morale, mais elle est le grandlaboratoire des idées morales. Nous voyons aujour-d'hui les philosophes, dans l'ébranlement des vieillesbases métaphysiques qu'on donnait naguère à la,

-morale, -s'efforcer, comme leurs prédécesseurs duxvin° siècle, de trouver les fondements d'une moraledans la science des moeurs et travailler à la consti-tution d'une science nouvelle, la Sociologie, qui està la fois une branche de l'histoire et une branche dela psychologie morale. Nous voyons aussi les histo-riens donner la première place à l'histoire socialedans leurs recherches et leurs préoccupations, et

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travailler parpar là même à l'histoire des idées morales.Garnier n'avait donc pas tort de vouloir unir la

philosophie morale à l'histoire. Malheureusement,ni l'abbé Piuquet, chanoine de Cambrai, ni l'abbéPu Tems, chanoine de Bordeaux et vicaire généralde Cambrai, n'étaient des esprits assez vigoureuxpour que leur enseignement au Collège royal aitexercé quelque influence. Le Traité philosophique etpolitique sur le Luxe, qui peut nous donner une idéedes cours du Pluquet, est une oeuvre naïvement dé-clamatoire où le luxe est rendu responsable des im-piétés de la philosophie. Le Dictionnaire des Hérésiesde Pluquet et le livre de Du Teins sur le clergé deFrance sont des oeuvres de consciencieux compila-teurs, animés d'un sincère désir d'impartialité, maisleur critique est moins ferme et moins libre que celled'un Lannoy, d'un Mabillon ou d'un Tillemont. ILsuffit à Du Teins de l'affirmation de douze prélatspour admettre que saint Trophime d'Arles a été dis-ciple de saint Pierre.

L'abbé Du Teins, comme l'abbé (3arnier, sacrifiasa situation à ses scrupules religieux et se retira en1790, ]craquela Constitution civile du clergé fut pro-mulguée. La nomination de Pierre-Charles Lévesqueest un signe des temps. Jusque-lb, des ecclésiasti-ques offrant toutes les garanties d'orthodoxie avaientseuls occupé la chaire d'histoire. Lévesque, qui avaitdébuté par le métier de graveur, est un laïque, unphilosophe, protégé par Diderot, qui l'a fait appelerpâr Catherine II à Saint-Pétersbourg pour y ensei-gner k l'École des Cadets. Tout en publiant des livresde philosophie morale, eu 1775 l'Homme moral,suivi d'un Aperçu su" Ici Civilisation, en 177€, l'Hom-me pensant, il apprenait à fond le russe et le slavon;

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il composait une grande Histoire de 11.ussie qu'il pu-bliait aussitôt après son retour en France en 1782 etqui était suivie en 1788 d'une Histoire des premiersValois. Lévesque était donc tout désigné pour ensei-gner la philosophie morale et l'histoire au momentOÙ une ère nouvelle s'ouvrait pour le Collège deFrance. Son premier cours, celui de l'hiver 1790-1791sur la philosophie morale, est encore annoncé enlatin. Mais en 1701, l'affiche est rédigée en français,et Lévesque fait un cours sur l'histoire des Français.Autre signe des temps partir de 1791, les profes-seurs ne portent plus de robe, et, le 6 novembre,M. Lefèvre lit tin discours sur la nécessité de fairedes cours pour les ouvriers. Lévesque, du reste, nedonna que peu de place dans son enseignement àl'histoire nationale. Les travaux de traduction qu'ilentreprit pour la collection des moralistes ancienset aussi l'influence des collègues au milieu desquelsil se trouva d'abord k l'Académie des inscriptions,puis à l'institut, le portèrent à ne plus s'occuper quede l'histoire grecque et de l'histoire romaine. 11 nefaisait d'ailleurs en cela que suivre le courant del'époque. Ceux qui travaillaient à créer une Francenouvelle négligeaient systématiquement la tradi-tion nation'le pour chercher des exemples et desmodèles dans les républiques de l'antiquité. Lèves—que eut du moins cette originalité d'être un fidèleadmirateur d'Athènes, et, quand il s'occupa de Ilote,de porter à l'extrême le scepticisme critique queBeaufort avait introduit dans l'étude des premierssiècles de la République; il se montrait aussi d'une

• sévérité outrée pour ces vertus romaines et ces ins-titutions romaines qu'on admirait alors k l'excès. Si

• nous cherchons les motifs qui ont pu pousser Lèves.

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que k délaisser ainsi l'histoire nationale pour l'his-toire ancienne, nous S0LflØICS inclinés â penser qu'ilcraignait, en parlant de la vieille monarchie française,de devenir suspect de royalisme, et queson esprit kla rois modéré et libéral trouvait piquant, pendantla Révolution, d'opposer la République athéniepneaux vertus inhumaines de Sparte et de Rame, et,sous l'Empire, de critiquer le César moderne sous lenom des anciens Césars. C'ttait une manière de fairede la philosophie morale et de la morale politiquedans un temps où la liberté de la parole étaitde-venue dangereuse; mais lamoraledevenaitaFors1tIecompagne fâcheuse pour l'histoire. Clavier, qui' suc-céda à Lévesque de 1812 k 1817, se renferma exclu-sivement dans l'étude de 'l'antiquité grecque, et lachaire d'Histoire et Morale semblait n'être plus qu'unechaire d'histoire ancienne.

C'est aux professeurs mêmes du Collège de Francequ'il faut s'en prendre si l'enseignement de l'histoirecontractait ainsi un caractère d'étroite spécialité,car le gouvernement impérial aurait voulu, au con-traire, favoriser l'étude et l'enseignement de l'his-toire de France. En 1807, Napoléon, qui n'avait pasencore organisé les Facultés des lettres et des scien-ces, formait le projet grandiose de faire du Collègede France une Université de littérature comprenantunetrentaine de chaires. M. Abel Lefranc a retrouvéaux Archives et publié les notes si remarquables quifurent échangées entre Napoléon et Champagny,son ministre de l'Intérieur en cette année 1807, dansun moment où Napoléon aurait dû, semble-t-il, êtreentièrement absorbé par sa campagne contre leRusses. Or, c'est précisément entre la bataille dEy-lau et celle de Friedland, le 19 avril 1807 au château

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de Finckenstein, en Prusse orientale, qu'il dicta leplan de son école de littérature et d'histoire, d'où ilbannit la rhétorique et la philosophie comme sus-pectes d'idéologie, mais où, avec l'intuition du génie,il fait de l'histoire la base de tout l'enseignementsupérieur des belles-lettres, et pose comme point dedépart des études historiques la géographie physi-que, commerciale et statistique, étudiée scientifi-quement, et la critique des sources. Il demandequ'on ajoute aux chaires d'histoire ancienne deschaires d'histoire du moyen âge, d'histoire moderne,d'histoire de France, d'histoire militaire, d'histoirede la législation, d'histoire religieuse, d'histoire lit-téraire et de biographie, et il exige que l'histoirecontemporaine, en partiêulier celle de la Révolu-tion, soit traitée en détail, sans esprit de satire ni depanégyrique.

Ce magnifique projet fut abandonné en 1808, maison ne peut y méconnalire un pressentiment prophé-tique du développement que prendra l'histoire aux l xe siècle et du caractère de plus en plus historiquequ'affecteront toutes lesétudes qui ont pour objet lesdiverses manifestations de l'esprit humain, l'art, lalittérature ou la religion, aussi bien que le droit, lascience économique ou la politique. -

L'enseignement historique ne devait jouer qu'unrôle effacé pendant les premières années d'existencedes Facultés des l'ettres, mais au moment même oùGuizot faisait accourir les étudiants autour de sachaire de la Sorbonne, au Collège de France, aprèsla chute de Napoléon, et après la courte période duprofessorat de Clavier, la chaire d'histoire prit toutà coup un éclat inattendu par l'enseignement deDaunou. Daunou, à luiseul, réalisa, en une certaine

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mesure, pendant ses onze années d'enseignement, kprogfamme tracé par Napoléon pour son école d'his-toire et de géographie. Ce cours, fruit d'un énormelabeur, eut un succès immense. Nous en avons pourpreuve les éloges que lui ont décernés AugustinThierry, Guérard, Natalis de Wailly, Wa1ckeriair,Mignet et Sainte-Beuve.

Sans doute, Daùnou, influencé par l'exemple deLévesque et de Clavier, a fait dans ses cours unepari très large, trop large, au récit et à la critiquedes faits de l'histoire grecque et romaine, et, bienqu'il ett été, de 1804 à 1816, directeur des Archivesde l'Empire, il n'aborda jamais l'étude de l'histoirede France, ni de l'histoire moderne; mais il donnaà son enseignement le caractère le plus méthodiqueet en fit véritablement un cours de critique histo-rique appliqué à l'histoire générale. Ii en traça leplan dès sa leçon d'ouverture. Ilcommençapar établirles principes de la critique et de la méthode histo-riques et par indiquer les usages de l'histoire, c'est-à-dire les moyens de dégager, parmi les faits, ceuxqui peuvent éclairer les sciences morales et poli-tiques. Il posa ensuite, comme bases de toutes lesrecherches historiques, la géôgraphie et la chronoSlogie, retraçant les progrès des connaissances géo-graphiques depuis I'antiauité et les méthodes quidoivent faire de la géographie une science exacte, etdiscutant dans le plus infini détail tous les problèmesdes diverses chronologies. Abordant enfin l'étudedes faits, il fit la théorie de l'histoire considéréecomme une des formes de l'art d'écrire, apprécial'oeuvre des historiens anciens et soumit leurs récitsà un examen minutieux. Un exposé:des systèmes dephilosophie de l'histoire fut la conclusion du cours,

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et de même que l)aùnoh n'hésite pas à chercher Iept'incies de la science des moeurs dans les expé-rientes de l'histoire plutôt que dans des doctrinesthéologiques on philosophiques, il prend hardimentla défense dé la philosophie expert nl cri tale, eHéd'Aristote de flacon, de Loche et de Condillac, seulecapable de fournir de bonnes méthodes aux étudeshistoriques, dontre les doctrines idéalistes et méta-physiquesqu'il qualifie de contemplatives et imaginairS.-

Daunou, en effet, est tin représentant du xvnio siècle,et son arrivée au Collège de France était un triomphepour le groupe des idéologues auquel il appàrtenaitII avait débuté par ctiti'er dans les ordres et parappartenir à cette congrégation de l'Orâtoire, quia rendu tant de services à la science, k la Prancé et àI'Èglise.Etle avait, nous l'avons vu, prisan xt'ifl t si&de l'initiative des réformés les plus hardies en ma-tière d'instruction publique et, de plus, à la veille dela Révolutiot, elle s'était laissé pénétrer par ISidées philosophiques. Dauiioh avait professé la thk-lôgie dans les collèges de l'Oratoire, et ce n'est pointlà une Sauvaise prépaFation aux études historiques,pourvu qUoh sache secouer à temps lé joug de l'antorité. C'est des cabinets des théologiens et deschaires de théologie qu'est sorti tout le inouvementdecritique des textes et de critique historique dû xvti"au xix t siècle, et de nos jours môme on a ph voir dequel profit ont été les études théologiques à quel-ques-uns de nôs meilleurs critiques. Le souvenird'Ernest Rehan est présent à tontes les mémoiresdans ce Collège dont il a été une des gloires. Deuxécrivains, très différents de Renan, mais apparentésentre eux par la même termeté lumineuse de l'eprit3

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par la même sévérité un peu altière dans la critiquepar le même intérêt passionné pour le rôle des idéeset des institutions religieuses Edmond Schérer etAlphonse Peyrat, ont été formés l'un par les écolesthéologiques protestantes, l'autre par un séminairecatholique. Enfin, la préparation théologique queSainte-Beuve a acquise entravaillanlàson Port-Rosain'a-t-elle pas puissamment contribué à mûrir et àparfaire en iLti tous lis dons du psychologue, du cri-tique et de l'historien?

A peine arraché par la Révolution à sa tranquilleet laborieuse retraite du collège de Montmorency,Daunou se trouva prêt à jouer un rôle importantdans nosAssemblées politiques, sans cesser un ins-tant ses études personnelles. Le courage avec lequelil protesta contre la mise en accusation de Louis XVI,puis contre la proscription des Girondins, la partqu'il prit aux divers projets de réorganisation deI!instruction publique et à l'établissement de l'Insti-tut, l'indépendance d'esprit avec laquelle, aprèsavoir été exclu par Napoléon du Tribunat il refusala place de conseiller d'État que l'Empereur luioffrait impérieusement, mais accepta celle de direc-teur des Archives; tout, dans la conduite de , Daunou,le montre aussi modéré que ferme. Néanmoins, ilfut destitué en 1816 de sa place, des Archives et,quand il fut présenté par le Collège de Prince en 1817pour remplacer Clavier, le gouvernement de la Res-tauration, qui se méfiait, sans doute, de l'auteur del'Essai sur la Puissance temporelle des Papes, lui litattendre ptusd'un an sa nomination. Il ne fut nomméqu'en 1818, lorsque Decazes fut ministre de l'inté-rieur et lorsque Royer-Collard fut appelé à la pré-sidence de la Commission d'instruction. Il était

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déjà directeur du Journal des Savants et l'un desrédacteurs de l'llistoire littéraire.

Le gouvernement n'eut pas lieu d'ailleurs deregretter la nomination de Daunou. Bien qu'il semontrât, co Lnme s uous l'avons dit, fidèle à ses con-victions philosophiques et à ses principes de libéra-lisme politique dont il savait trouver, avec un zèleingénieux, la justification dans toute l'histoire, il segardait d'une extrême prudence, ne mettait aucunehâte à quitter l'histoire ancienne pour arriver àl'époque chrétienne, et surtout ne perdait aucuneoccasion pour déclarer que toute la partie de l'his-toire qui est considérée -par l'Église comme faisantcorps avec la Révélation, est en dehors du domainede la critique historique: On éprouve aujourd'hui uncertain malaise, pour ne pas dire quelque humilia-tion, à voir un professeur du Collège de-Franceobligé, il y a moins d'un siècle, de dire en exami-nant le degré S de certitude des faits historiqueso Je n'élève cette question qu'à l'égard des faits del'histoire profane, soumis à la critique humaine. La.croyance des faits révélés tient à des vérités et à desautorités d'un ordre supérieur aucune des observa-tions qui vont suivre ne s'appliquera ni directementni indirectement à des points d'histoire sainte,expressément érigés en articles de foi par des textessacrés ou par des décisions dogmatiques. » 11 fallutla Révolution de 1830 pour rendre aux professeursla liberté de pense et de parler.

Quand éclata la Révolution de 1830, Daunou étaitfatigué par le prodigieux travail auquel il s'étaitlivré pendant onze ans pour composer le Coursd'Études historiques qui parut après sa mort en

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vingt volumes. IL fut heureux de reprSdre sa place• aux Archives et de - laisser sa chaire à de 'plusjeunes.• Michelet fut candidat à l'élection du 10 décembre1830; mais il était encore peu connu, n'ayant publiéque. son Vico et son Précis d'Histoire moderne, etn'eut qu'une voix. D'ailleurs, les esprits étaienttournés à ce moment vers l'orientalisme et l'égypto-logie; on commençait à penser que la science n plusà gagner par des recherches de détail que par destravaux encyclopédiques. On avait créé en 1814 deschaires de chinois et de sanscrit, mais l'histoire del'Asie antérieure et de l'Égypte n'était natte part en-seignée. Ce fut un orientaliste et égyptologue, Saint-Martin, qui fut présenté par le Collège de France etpar l'Académie des inscriptions. Le gouvernement,à qui les opinions légitimistes de Saint'Martin dé-plaisaient, refusa de ratifier cette élection, sous leprétexte que les deux corps ayant porté leurs suffragessurie même candidat, il n'y avait plus pour lui dechoix possible ; il créa une chaire d'archéologiepour Champollion, et le Collège de France et l'institutprésentèrent alors pour la chaired'histoire Letronne,qui fut nommé le 19 août 1831. Il semblait que leCollège de France eût voulu, en même temps queChampollion enseignait la lecture des , hiéroglypheset l'histoire la plus ancienne de PÉgypte, faire ensei-gner aussi l'histoire de l'ltgypte grecque et romaine,sut laquelle Letronne avait fait d'admirables recher-ches. Ii était naturel d'ailleurs que l'archéologie qui,depuis'le commencement du siècle, prenait un ma-gnifique essor en France et hors de France, fût lar-gement représentée dans un établissement chargéd'eneignei' les sciences nouvelles; Par la mort pré-

G. M. .3

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ttiturM de Champollion en 1832, 1a chaired'archéo-Iogie testa vacante; L'enseignement de Letronne,qui s'occupait surtout de l'histoire de l'ltgypte, ren-dtiit moins sensible la vacance de cette chaire dontlès fonds étaient employés au classement des collec-tiobs minéralogiques: La chaire d'iisloiro et Moralee trouvait transfdrmée en une chaire d'égyptologie.

• Toutefois; le Collège de France pensait que lesàdmirables qualités de Letronne comme érudit etârèhéologue seraient mieux à leur place dans une

rè: 'et

d'uiititre moins général que celle d'HistoireMoràle qu'il était également fâcheux de laisser

$h'càrite lltaire d'archéologie et de négliger l'his-toircnationale. Aussi, quand; en 1836, le ministre"demanda qu'il tôt pourvu à la chaire d'archéologie,

uit propositions furent-elles faites, l'une de consa-€r la chaire d'archéologie à l'archéologie française,l'autre de faire passer Letronne à la chaire d'archéo-logie et d'appeler à la chaire d'histoire et morale unhistorien qui s'occuperait de l'histoire nationale. En1837; le ministre Salvandy, tout en reconnaissantl'utilité d'une chaire d'Antiquités nationales, qui élu-

«dierait nosinstitutions et nos moeurs, déclara qu'il• n'y a pas d'irchéologie des peuples modernes et quel'archéologie orientale et grecqué avait pris tropd'importance, depuis cinquante ans; parles décoti-vertes dues i nos armées, pour être laissée de côté.

Sur la proposition de Thénard le 27 novembre1837 Letronne fut proposé pour la ch'aiM d'aréhéo-logié et le S janvier 1838, Michelet fut préseiitépour la chaire d'histoire et morale, par quatorze voixcontre huit données à Guérard.

Choisir Gnérard &èùt été en réalité transformerht chaire d'histoire et morale en une chaire daiiti-

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quités nationales; le Collège s'était prononcé enfaveur de l'histoire générale; mais il ne se doutaitcertainement pas du caractère qu'allait prendre cetenseignement entre. les mains de Michelet. Celui-ciétait, pour les savants qui venaient, de le nommer,le chef de la division historique aux Archives, l'au-teur des deux premiers volumes de l'Histoire deFrance, des Mémoires de Luther et des Origines duDroit français, c'est-à dire un homme qui faisaitrevivre le passé dans unstyle prodigieux de coloris,de chaleur et d'imagination, mais aussi un érudit,versé dans l'étude des documents manuscrits. Lesuccès de son enseignement à l'Ecole normaleJ'avait fait appeler par Guizot à le suppléer pendantdeux ans à la Sorbonne; il était aux Archives, soules ordres du sage l)aunou, un employé modèle. IIallait évidemment continuer au Collège de Frauceune oeuvre si admirablement commencée et foruierau Collège, comme il l'avait fait à ltcole normalç,des élèves qui uniraient le goût des textes originauxet un sens critique aiguisé au sentiment de la vie etau souci de l'art. On n'avait pas vu qu'il y avaitaussi en Michelet un visionnaire, un prophète, untribun chez qui, par l'étude même de l'histoire,s'était formée une philosophie politique 'et religieusehostile à la fois à la monarchie 'et au christianisme,et qui allait croire de son devoir'de prêcher à la jeu-nesse un évangile social, républicain et antichrétien,dont la France serait le Messie. On se doutait encoremoins que ce rôle de prophète allait déielopperchez Michelet une personnalité impatiente de touterègle et de tout contrôle. Si le sage l?auiioù eût assezvécu pour assister aux leçons de.Micbelet.deJ8-13,1851, il aurait relu, ave,c la satisfaction, d'avoir été

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bon prophète, les avertissements qu'il avait faitentendre en 1830 contre l'histoire romantique, carDaunou était resté un classique étroit et impénitant.Il ne voyait dans le romantisme que le mépris desrègles et des bons modèles, une forme de mysti-cisme « qui substitue aux observations les intui-tions, aux recherches les divinations et les pressen-timents ». u Oui, disait-il, quand je demande àl'histoire quels ont été les effets de cet enthousiasmespontané qui précède les méthodes exactes et lesexclut, elle l'accuse de la plupart des erreurs et desmalheurs du monde. Notre esprit ne s'éclaire quepar la science, et, loin que l'enthousiasme, quandelle ne l'a pas créé, soit meilleur qu'elle, il est centfois pire que .l'ignorance (I). o

Je veux bien croire que Daunou avait surtout envue, en écrivant ces lignes, les extravagances d'unMarchangy dans sa Gaule poétique ou son l'riston leVoyageur, ou l'enthousiasme dévot d'un Michauddans son Histoire des Croisades, mais je crains bienque les récits des deux Thierry, l'Histoire des ducsde Bourgogne de Barante ou les premiers volumesde Michelet naient inspiré que peu de sympathie àcet admirateur exclusif de la gravité thucydidéenneou de la majesté livienne. Il n'admettait pas qu'onécrivit l'histoire autrement qu'ad pi'obandum, et il-trouvait les naïfs et pittoresques récits de Grégoirede Tours « utiles, mais non délectables o. Il nevoyait pas que le romantisme, malgré ses désordreset ses excès, était une première formedu réalisme,en tant qu'il était un effort pour faire revivre lepassé avec ses vraies couleurs. Il était-juste qu'après

(1) Cours d'Études historiques, XX, 22.-

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l'histoire idéologique, un peu froide et raisonneuse,du xviii 0 siècle, l'histoire romantique prit k son tourla parole au Collège de France. Daunou ne pouvaitdeviner que l'enthousiasme et le lyri'me roman-tiques, ce don de sympathie qui ressuscite leshommes au lieu de les juger, allaient communiquerà l'histoire une telle vie, que cette vie animeradésormais tout le passé, transformera l'état d'âmede tous ceux qui l'étudient, et communiquera de lachaleur et de la couleur même aux travaux desérudits les plus hostiles .à la manière d'écrire deMichelet.

Une réaction devait, toutefois, se produire contreles tentatives des historiens, philosophes et artistesdu commencement du xix° siècle. On devait consi-dérer leurs généralisations comme prématurées et4gmander à l'érudition de préparer, par des travauxde classification et de critique, un terrain plus sûrpour les généralisations de l'avenir. Quand le Deux-Décembre eut mis brutalement fin à l'enseignementde Michelet, quand, après On silence de quatre an-nées qui était comme un hommage et une amendehonorable au professeur dépossédé de sa chaire, onrouvrit le cours d'Jlistoit-e et Morale, ce furent desérudits, d'ailleurs de premier ordre, Guigniaut etAlfred Naury, qui succédèrent à l'historien de laRévolution. Guigniaut se renferma dans l'étude descivilisations antiques, et bien qhe Maury, avec saprodigieuse science et son impeccable mémoire, ait

• parcouru pendant ses vingt-huit ans de professorattoute l'histoire des peuples modernes du, Xv0 auxviii' siècle et une grande partie de l'histoire descivilisations antiques, son enseignement a été essen-

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tielloinent un enseignement dfaiLs, de détail et de'critique.

Lorsque Maury mourut, tout le monde applaudità la transMrmatjon de la chaire d'Histoire et Moraleen une chaire do Géographie historique, non seule-mentparce que c'est la mission propré du Collège deFrance (le fourniraux savants originaux et novateursloccasioh de répandre leurs découvertes et d'ensei-gner leur méthode, mais aussi parce qu'on doutaits'il étaitutile de conserver au Collège de France une

'chaire d'histoire générale.- Les conditions de l'enseignement supérieur de

• l'histoire en France étident bien changées depuis le' temps où, du fond de la Prusse orientale, Napoléonvoulait faire dû Collège de France une école supé-rieure d'histoire, parce que l'histoire n'était ensei-gnée nulle part. Le Collège de France lui-mêmeétait devenu une école supérieure d'histoire, sanscesser d'être une école supérieure de sciences et delangues. L'histoire des législations, l'histoire reli-gieuse, l'histoire des antiquités orientales, grecquesetromaines, l'histoire économique, l'histoire de l'art,l'histoire des sciences y avaient des chaires, et, deplus, l'enseignement des langues et des littératuresy avait pris, selon le voeu de l'émpereur, un carac-tère historique, si bien que l'histoire n'apparaissaitplus comme un champ d'études spécial et limité,mais comme une méthode qui s'appliquait h l'analysede toutes les formes de l'activité humaine. De plus,en dehors du Collège de France, les études histori-ques avaient pris partout un puissant essor. Uneécole tout entière,l'tcole des chartes, était consacréeà l'étude de nos antiquités nationales; une autre,

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lÉcole du Louvre, à l'histoire de l'art ; deux des sec-tions de l'École pratique des Hautes-Études fournis-saient un admirable ensemble de laboratoires d'his-toire et de philologie; enfin, l'Université de Paris,ressuscitée, voyait tous les jours s'accroître le nom-bre de ses chaires et de ses conférences historiques.C'est là que l'histoire générale, telle que l'avaientconçue Guigniaut et Maury, paraissait devoir êtreenseignée.

Et, cependant, -le voeu de voir rétablir- une chaired'histoire générale au Collège de France s'est ma-nifesté depuis quelques années de plusieurs côtés àla fois, et, grâce à une noble initiative, ce voeu a puCire réalisé.

D'où a pu venir l'idée de faire renaitre un ensei-gnement qui semblait avoir fait son temps et quiétait né, comme nous l'avons vu, il y a près d'unsiècle et demi, de l'absence de tout enseignementhistorique dans les universités françaises? Elle etnée, je pense, de l'évolution même des études histo-riques. Après une période pendant laquelle les his-toriens sérieux, voués presque exclusivement àl'analyse, et à l'analyse à outrance,' à la critique et àl'hypercritique, ont considéré avec méfiance, sinonavec dédain, non seulement les systèmes de philo-sophie de l'histoire, mais toutes les généralisationshistoriques et les tentatives un peu vastes d'histoiregénérale, on apresque partout senti le besoin de re-venir à la synthèse, aux travau,t'd'ensemble. On avoulu, sinon reconstruire des philosophies de l'his-toire, du moins se rendre compte dans quelle me-sure les généralisations historiques peuvent être lé-gitimes au point de vue scientifique, dans quellemesure on peut distinguer en histoire Je permanent

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-de l'accidentel, quelles sont les forces durables dontl'évolution à travers les siècles a produit les trans-formations politiques et sociales. C'est dans le paysqui a poussé le plus loin le travail d'analyse etde critique, en Allemagne, que ce mouvement deréaction s'est produit avec le plus de force, qu'onvoit en ce moment paraître le plus grand nombred'ouvrages d'histoire générale et qu'on se livre avecle plus d'ardeur à des débats sur la méthode en lus-loire, sur les limites de notre connaissance en his-toire, sur les lois où, du moins, sur les élémentsessentiels de l'évolution historique. Le même mou-vement se produit en Italie, en France, en Angle-terre, dans tous les pays où l'on travaille et où l'onréfléchit. Je suis disposé à croire que si la Francen'a pas produit, comme l'Allemagne, il y a un siècle,de grands poèmes de philosophie ou de métaphysi-que de l'histoire,si elle na pas fourni, au cours duXIX' siècle, une masse de travaux de critique compa-rable à celle que l'Allemagne a accumulée, si, dansces dernières années, elle ne s'est pas jetée avecautant de passion dans La bataille des méthodes, sonoeuvre, plus restreinte,n'a pas une moindre portée.Au xviiit siècle, c'est la France qui avait contribué àélaborer l'idée de progrès au xix' siècle, nulle partcette idée n'a été discutée avec plus de précisionnulle part on ne nie semble avoir tenté avec plus desuccès de déterminer les grandes lignes de l'évolu-tion historique, les formes et les causes de cetteévolution, les limites et la nature de la connaissanceen histoire, les conditions de la marche des idées etdes événements. Pour ne citer ici que des morts,Cournot et. Auguste Comte me paraissent avoir éclai-ré, mieux qu'on n'avait fait avant eux, le premier, la

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-41-notion de causalité eu histoire, le second, les pha-ses essentielles du développement de la civilisation.C'est en France qu'on a le plus contribué à préciserle domaine et les méthodes de la sociologie, quin'est qu'un aspect particulier de l'histoire. C'est enFrance qu'on a vu paraître la première revue spé-ciale de Synthèse historique, pour faire connaître etélucider ces questions de méthode, qui soulèvent.aujourd'hui tant de polémiques, et pour préciser dansles diverses parties de l'histoire l'état actuel de nosconnaissances et les problèmes k résoudre. C'est laFrance qui a produit les modèles les plus parfaits dedissertations critiques. Qu'il me suffise de rappelerles noms de Letronne, de Quicherat,. de Julien lia-vet, d'Auguste Molinier.

*

Quel est donc aujourd'hui le champ d'études quis'ouvre pour le professeur d'histoire générale auCollège de France? Il s'agit, à mon sens, de re-prendre à un point de vue nouveau ce qu'a tentéDaunou, il y a un siècle, quand il a posé les princi-pes, et a donné des exemples, de la critique histori-que, examiné quels pouvaient être les usages de l'his-toire, quelles étaient les diverses manière d'écrirel'histoire et quelles conceptions philosophiquespouvaient le mieux guider l'historien. Nous avonsd'abord aujourd'hui à examiner à nouveau quellessont les bases scientifiqùes de l'investigation histo-rique, car les progrès de toutes les sciences auxi-liaires de l'histoire et l'élargissement de son domaineont donné à cette recherche une étendue, une Pr(' -sien et un intérêt qu'elle n'avait pas il y auh siècle.

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Nous pouvons, ensuite, montrer par des exempleset les difficultés de la critique historique et les ré-sultats que cette critique e obtenus, comment on doitposer les- problèmes et comment on arrive, Sinon àles résoudre, du moins à les circonscrire. Nous avonsaussi à étudier l'évolution qui s'estproduite pendantles derniers siècles dans la conception de l'histoireet la manière de l'écrire, en un mot ii.faire l'histoire

•de l'histoire. Nous avons, enfin, à exposer la méthode ou plutôt les méthodes proposées pour aborderet résoudre les questions de synthèse et de généra-lisation historiques. Ces questions sont nombreuses,vous le voyez, et sont toutes l'objet d'infinies con-troverses, à commencer par celle de savoir si lasuccession des phénomènes historiques peut êtreramenée à des lois et quels sont les éléments del'histoire qui sont susceptibles de certitude. Mais laquestion qui parait dominer aujourd'hui toutes lesautres est delle-ci quelle part doit être faite dansl'évolution historique aux facteurs matériels et éco-nomiques, quelle part aux facteurs spirituels, auxidées et aux sentiments? Un moraliste pénétrant, quiétàit en môme temps un excellent hitorien, HenryMichel, dont nous déplorons la perte prématurée,s'efforçait, dans ses cours de la Sorbonne sur iRis-tôiré des Doctrines po&iques, de montrer l'actiondirectrice des idées sur l'évolution des faits.. j'aurail'ambition, aujourd'hui que la chaire d'Henry Mi-chel a disparu avec lui, d'étudier, comme il le faisait,dette action des idées. Peut-être s'exagérait-il leurpuissance? Nais assurément l'histoire des idées doitêtre ue des premières préoccupations de celui quis'occupe d'histoire générale et de méthode. Quelleque soit la série d'événements qu'il étudie, rapports

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U -

de l'Église et de lEtat, transformation des formespolitiques, formation des Etats, l'historien doitsimultanément se préoccuper de la pression exercéepar les appétits, les besoins, les nécessités maté-rielles, et de celle exercée par les idées, les se nti-ments et les passions. Le champ qui est ouvert auprofesseur d'histoire générale et de méthode est unchamp prodigieusement vaste, même s'il se borne àexposer et à juger les principes de la critique his-torique, les procédés d'exposition historique, lesthéories sur la, philosophie de l'histoire et sur laméthode historique. Je ne pourrai, sans doute, qu'ef-fleurer un petit nombre de ces questions. Je com-mencerai, puisque j'ai l'honneur de monter dansune chaire qui a étécelle de Michelet et le privi-lège d'avoir entre les mains ce qui reste des pa-piers du grand historien, par étudier, sa vie, sonoeuvre et son enseignement. Ils sont encore impar-faitement connus ' ; ils sont en relation étroite avectoute l'histoire politique et sociale, du xix° siècle, etils nous,obligeront à nous poser, à propos de Mi-chelet, toute une série de questions relatives à lacritique historique, i la philosophie de l'histoire età la manière d'écrire l'histoire. Puissé-je faire revivrepour vous un homme que j'ai connu de près et quej'ai beaucoup admiré et beaucoup aimé, sans mefaire pourtant son disciple I Puissé-je vous faire com-prendre la nature de son génie, les services qu'il arendus, les causes de ses défauts et de ses erreurs,les raisons profondes pour lesquelles il ne peut êtreun modèle, mais doit rester une source toujoursjaillissante d'inspiration pour les historiens del'avenir I

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