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LA CODIFICATION PAR TRAITÉS EN DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ DANS LE CADRE DE LA CONFÉRENCE DE LA HAYE PAR M. H. VAN HOOGSTRATEN III—1967 22

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LA CODIFICATION PAR TRAITÉS

EN DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

DANS LE CADRE

DE LA CONFÉRENCE DE LA HAYE

PAR

M. H. VAN HOOGSTRATEN

III—1967 22

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M. H. VAN HOOGSTRATEN

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NOTICE BIOGRAPHIQUE

Né le 19 août 1913 à de Bildt; licencié en droit 1938, Leyde; officier de réserve (artillerie) 1935; service militaire actif 1939-1940; Département juridique du ministère de la Défense 1939-1942; avocat à Deventer 1942-1945; ministère des Affaires étrangères 1946-1955; chargé de l'organisation de la Conférence de La Haye 1947 à 1955; secrétaire de la Commission d'Etat néerlandaise pour la codification du droit international privé 1947; secrétaire général de la Con­férence de La Haye de droit international privé 1955; membre de l'Interna­tional Law Association; membre du Comité de direction du groupe néerlandais de l'ILA depuis 1963; membre de la rédaction de la Revue néerlandaise de droit international.

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PRINCIPALES PUBLICATIONS

«Quelques notes sur les travaux de la Conférence de La Haye de droit interna­tional privé», Revue néerlandaise du droit international (Nederlands Tijd­schrift voor Internationaal Recht) I 1953/54, p. 78; II 1955, p. 76; m 1956, p. 65; IV 1956, p. 307; V 1958, p. 57; VI 1959, p. 60; VII 1960, p. 255; VIH 1962, p. 62.

Joint Letter with Johannes Offerhaus to the Editor of the London Times on 31st March 1959 concerning the Domicile Bill.

«Ilnd Meeting of the organisations concerned with the Unification of Law», Revue néerlandaise de droit international (Nederlands Tijdschrift voor Inter­nationaal Recht); vol. 1960, p. 157.

«La Convention de La Haye supprimant l'exigence de la légalisation (De Haagse Conventie tot opheffing van het vereiste van Legalisatie)», Week­blad voor Privaatrecht, Notaris-ambt en Registratie, n°s 4688 et 4689, pp. 355 et 367 (1961).

Annuaire du ministère des Affaires étrangères des Pays-Bas (Jaarboek van het Ministerie van Buitenlandse Zaken der Nederlanden), Rapport annuel sur les activités de la Conférence de La Haye, 1949.

«Le droit international privé néerlandais et la question préalable», Tijdschrift voor internationaal Recht, De Conflictu Legum (Mélanges Kollewijn-Offer-haus), 1962, p. 209.

«The United Kingdom joins an uncommon market; The Hague Conference on Private International Law», International and Comparative Law Quarterly (1963), p. 148.

Revue de Algemeen deel van het Nederlands Internationaal Privaatrecht par J. Kosters et C. W. Dubbink, dans International and Comparative Law Quarterly, 1964, p. 725.

Revue de C. C. A. Voskuil: La détermination du droit en fonction des règles de droit étrangères (Rechtsvinding aan de hand van buitenlandse rechts­regels), dans Revue néerlandaise du droit international (Nederlands Tijd­schrift voor Internationaal Recht), 1965, p. 87.

Revue de J. G. Sauveplanne: Droit international privé élémentaire (Elementair Internationaal Privaatrecht), dans Internationale Spectator, La Haye, 1967, p. 967.

Encyclopédie Dalloz, Paris 1968, tome I, p. 463, sub voce «Conférence de La Haye de droit international privé».

Revue de Le bandeau de von Savigny (De blinddoek van von Savigny), par J. E. J. Th. Deelen, dans Rechtsgeleerd magazijn Themis, 1968, p. 310.

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NOTE LIMINAIRE

A little learning is a great danger

Les observations qui seront faites dans l'exposé suivant n'ont pas une prétention scientifique; elles se basent surtout sur les quelques ex­périences faites au cours des travaux de la Conférence de La Haye, depuis sa reconstitution après 1945.1 Par conséquent, notre exposé est de nature largement descriptive; il s'abstiendra de donner des références à des œuvres scientifiques, pour ne pas créer l'impression de viser à une appréciation de la doctrine. Nous nous contenterons de donner une esquisse rapide.

Pour ce qui concerne les titres des Conventions de La Haye, nous utiliserons dans le texte ci-dessous une nomenclature simplifiée, in­diquant chacune des Conventions par un nom abrégé.2 Les noms officiels et les dates des Conventions sont reproduits dans l'annexe.3

Les Conventions adoptées avant 1968 ont été reproduites dans un Recueil des Conventions de La Haye, édité par le Bureau permanent de la Conférence, et distribué par Martinus Nijhoff, La Haye, 1966. Les textes des Conventions Reconnaissance divorce (1968), Acci­dents routiers, et Obtention des preuves (1968) seront insérés dans une nouvelle édition, à paraître en 1970.

1. Pour situer la Conférence dans la totalité des activités codificatrices sur le plan international, nous renvoyons au rapport général au Vl> Congrès inter­national du droit comparé (Hambourg, 1962), intitulé L'harmonisation des règles de conflits de loi et de juridictions dans les groupes régionaux âEtats, par Georges A. L. Droz, secrétaire au Bureau permanent de la Conférence de La Haye (Emile Bruylant, Bruxelles). 2. Les noms abrégés sont identiques à ceux utilisés dans l'Encyclopédie Dalloz, Répertoire du droit international, tome I (1968) sub voce «Conférence de La Haye». 3. Voir annexe I, p. 420.

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INTRODUCTION

La Conférence de La Haye de droit international privé a pour but de travailler à l'unification progressive des règles de droit international privé (art. 1 du Statut). Tout comme d'autres organisations interna­tionales, la Conférence cherche à accomplir sa tâche par la conclusion de conventions internationales. Cette activité a quelques caractères spéciaux qui méritent d'être signalés; nous espérons que les pages suivantes inciteront les étudiants intéressés à les examiner de plus près.

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CHAPITRE I

LES PARTICULARITÉS ET L'OBJECTIF D'UNE CONFÉRENCE INTERNATIONALE COMME INSTRUMENT

DE LÉGISLATION INTERNATIONALE

1. En général, la codification. du droit comporte nécessairement deux éléments: la formulation, en règles écrites, du droit positif et l'élaboration d'un droit nouveau, là où des lacunes ou contradictions se sont manifestées. La première partie de cette activité amène déjà un réexamen du droit positif et parfois des mises à jour et des préci­sions. Cet aspect prend encore un caractère plus aigu lorsque la codification envisagée doit se faire sur la base d'une unification entre les systèmes différents des divers Etats membres d'une conférence internationale. Lorsque la seule possibilité d'arriver à un accord com­mun consiste dans une harmonisation, c'est-à-dire dans des com­promis mutuels, par lesquels chaque délégation s'écarte de son système national, le caractère immuable de ce droit est rendu relatif. Les désirs d'une lex ferenda, qui peuvent avoir mené une vie latente vis-à-vis de l'autorité et de la suprématie du droit positif, se mani­festeront avec moins de réticence, parfois même avec moins de prudence.

Dans cette ambiance, où l'on travaille le droit à vif, certains pro­blèmes d'ordre plutôt technique risquent d'échapper à l'attention qui leur serait due. Mais une conférence internationale est bien obligée d'être pragmatique; il y a trop d'insécurités sur le plan dogmatique. Dans la Conférence de La Haye se réunissent des délégations de pays à traditions juridiques très diverses. A côté des représentants de systèmes de droit international privé codifiés4 se trouve un nombre important de systèmes non codifiés ou à peine codifiés.6 On y trouve d'autre part des pays de Common Law6 à côté des pays de droit civil, et des représentants de droit musulman aussi bien que des droits des Etats nordiques.

4. Par exemple l'Italie, l'Allemagne. 5. Par exemple la France, les Pays-Bas. 6. Le Royaume-Uni, les Etats-Unis, l'Irlande.

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A l'intérieur des pays, les conceptions varient: existe-t-il un seul droit inter(supra)-national privé? Ou doit-on partir de l'hypothèse de travail selon laquelle chaque Etat a son propre système de droit international privé ? Même dans le premier cas, il est certain que les idées sur le droit international privé varient selon les nations. Il n'est pas moins inévitable de passer outre à l'opposition entre ceux qui, dans tout cas à ramifications internationales, estiment que l'applica­tion de la loi du for doit être justifiée par une règle de conflits qui la permette, tout comme dans le cas d'une loi étrangère — et d'autres qui admettent l'application d'une loi étrangère uniquement lorsqu'une règle bien définie, ou des intérêts prépondérants d'un «gouverne­ment» étranger justifient une exception à la règle principale qui est l'empire de la lex fori. On peut caractériser le sentiment général d'une conférence ainsi: On est à la recherche du bon droit. Voilà tout ce qu'on peut dire: le juge7 n'appliquera pas toujours sa lex fori; l'application d'une loi étrangère peut être un besoin de justice, lors­qu'il s'agit des intérêts de ceux qui — par leur nationalité ou leur domicile — sont des étrangers.

Cela nous amène à une autre constatation: La matière même sur laquelle travaille la Conférence est d'autant plus rébarbative qu'il ne s'agit pas seulement des règles de droit, écrites ou coutumières, mais de plusieurs chapitres de la doctrine ayant une influence détermi­nante sur la façon d'appliquer ses règles. Citons les problèmes du renvoi, de la fraude à la loi, de l'ordre public, des qualifications, de l'adaptation.

Devant cette diversité des points de départ, la Conférence ne sau­rait que renoncer à tout académisme. Mais elle doit, si elle veut at­teindre des résultats dignes d'être reçus dans les divers droits des Etats Membres, construire ses Conventions sur des analyses appro-

7. Si nous utilisons ici le terme «juge», nous simplifions pour des raisons de brièveté. En fait une règle de droit n'est pas écrite uniquement pour les tri­bunaux de justice, mais également pour les autorités publiques et tous ceux qui doivent appliquer la loi, tels que notaires, gardiens de registres, etc. Même la personne privée tombe sous son empire, mais il y a ici un élément compli­quant la situation: la personne privée peut se laisser guider par des règles de droit étrangères, si elle estime que pour la protection de ses droits elle devra s'adresser à un juge étranger. Nous abordons ici le domaine des conflits de juridictions et des rayonnements de la justice nationale à l'étranger; il nous mènerait trop loin d'approfondir ce point.

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(9) La codification par traités en d.i.p. 345

fondies des aspects doctrinaux des problèmes qu'elle veut résoudre, puisqu'elle doit bâtir ses compromis sur des fondements soigneuse­ment explorés.

Rappelons enfin que la Conférence poursuit le but d'une coexis­tence organisée entre des systèmes de droit aussi différents que le Common Law, les systèmes germano-romains,8 les droits socialistes, le droit musulman et le droit mosaïque, et que les Conventions ré­sultant des travaux doivent, pour entrer en vigueur, passer par les Parlements de tous les Etats en question dans lesquels l'attitude des internationalistes purs préside rarement aux discussions.

Tout cela souligne le caractère de compromis propre à toute Con­vention. Il s'ensuit que les délégués participant aux conférences doivent montrer une très grande capacité de compréhension: non seulement doivent-ils avoir le courage moral de se départir des prin­cipes qu'ils ont considérés comme essentiels, mais ils devront encore reconnaître que les délégués des autres pays défendent des idées tout aussi valables — du moins dans le cadre du droit étranger — que les leurs. D'autre part, ils se trouvent dans la position classique de tout négociateur: ils ne défendent pas leurs conceptions personnelles, ou leurs convictions internes, mais les positions de leurs gouvernements.9

Il a été nécessaire de souligner ces tendances parfois divergentes, parfois contradictoires, et presque jamais parallèles, pour démontrer le caractère spécial propre à toute règle de droit codifiée par la voie d'une convention internationale.

Un deuxième élément troublant réside dans la question — le pro­blème — des langues. Il ne suffit pas, pour décrire cette complication, de citer le fait que la Conférence travaille en deux langues et que la plupart des délégations doivent participer à un travail à caractère législatif dans une langue qui n'est pas leur langue maternelle, ni celle dans laquelle leur propre droit a été rédigé. Le problème central réside dans la difficulté de dégager le sens du libellé des Conventions

8. Selon la classification de René David, Les grands systèmes de droit con­temporains. 9. Nous traitons ici des sessions plénières. Dans les commissions d'experts chargées de préparer le terrain pour la session plénière, la grande majorité des gouvernements laisse leurs représentants libres de participer à l'analyse et à la synthèse en tant qu'experts, donc sur la base de leur conviction de savants. Cependant, les experts feront également bien de ne pas s'écarter trop des con­ceptions directives prévalant dans leurs administrations nationales.

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adoptées. Il est généralement reconnu de nos jours que tout langage dépend, quant aux notions qu'il communique, de plusieurs circons­tances: la condition de celui qui le prononce, celle de celui qui l'entend et les circonstances de fait et psychologiques entourant l'em­ploi des termes. Nous croyons que cette constatation vaut également pour une conférence internationale, où les discussions orales et les textes écrits ont pour but de communiquer des pensées et des notions juridiques entre des représentants de systèmes divers qui, même s'ils ont acquis, par des études de droit comparé, une certaine familiarité avec des droits étrangers, ont reçu leur formation sur la base d'un système particulier. Même entre des Etats qui ont la même langue officielle, par exemple l'Autriche et l'Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas, les mêmes termes souvent n'expriment pas les mêmes notions. Combien plus gênant sera par conséquent ce phénomène entre Etats qui, pour satisfaire aux besoins de leurs sphères juridi­ques nationales, devront procéder à une traduction des termes con­venus sur le plan international.

Quelques exemples illustreront ce point. La Conférence a élaboré à la Huitième session, en 1956, une Convention sur la loi applicable au transfert de la propriété en cas de vente internationale. Déjà lors de la préparation des discussions, en 1951, le délégué danois Ussing avait expliqué que, en droit scandinave, la notion abstraite de trans­fert de la propriété, fondamentale pour les droits dérivés du droit romain, n'existait pas sous cette forme.10 A la Huitième session égale­ment, un texte, mentionnant, dans le but d'englober tous les mineurs, à côté des enfants légitimes les enfants illégitimes, fut critiqué par la délégation turque qui faisait valoir qu'en droit turc la catégorie des enfants illégitimes ne couvrait pas tous les enfants qui n'étaient pas légitimes: on décida d'écrire: enfants légitimes et non légitimes.11

Lors de la révision de la Convention de 1902 sur la tutelle, on s'est rendu compte que les rapports d'autorité d'un parent avec son enfant, après divorce ou décès de l'autre parent, étaient considérés dans certains pays comme une forme de la patria potestas, tandis que dans d'autres on le considérait comme tutelle; en même temps on a cons­taté que depuis le début du siècle, les législations des divers pays

10. Cf. Actes et documents, Vu, p. 69. 11. Cf. Actes, Vul, p. 169 et Convention Aliments, art. 1.

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(11) La codification par traités en d.i.p. 347

avaient introduit d'autres institutions juridiques ayant, comme la tutelle classique, pour but d'assurer la protection et l'éducation des enfants et visant à soumettre l'enfant à l'autorité d'une personne ou d'une institution. C'est ce qui a amené la Conférence à rejeter l'ex­pression «tutelle», devenue trop restrictive, et on a parlé des «mesures tendant à la protection de sa personne ou de ses biens» (Convention Mineurs, art. 1).

Une difficulté très connue est causée par la notion «force de chose jugée», utilisée dans certains pays par les arrêts des Cours d'appel, même si le délai d'un pourvoi en cassation n'est pas encore expiré.12

En matière d'obligations alimentaires, on devait constater que ce qui, dans un pays, est prononcé par une autorité judiciaire, est ac­cordé, dans les autres, par des autorités administratives, d'où l'em­ploi dans la Convention Aliments-Exécution du terme «décision».

Enfin, et nous y reviendrons plus bas, le cas bien connu du «do­micile». Ce terme qui, en droit international, désigne un point de rattachement d'une personne à un lieu, et partant à un ordre juridi­que, a pris dans plusieurs droits un caractère formel, de sorte qu'une personne peut très bien avoir son foyer, le centre de ses intérêts et de sa vie à un endroit autre que celui où son domicile est censé exister. Même en dehors du cas des femmes mariées et des mineurs, cette notion varie sensiblement selon les pays. La façon formelle de prouver Yanimus manendi, d'une part,13 et l'impossibilité de prendre en considération Yanimus manendi provisoire, qui ne comporte pas l'intention de rester à perpétuité dans le même pays,14 d'autre part, sont des éléments contribuant à une très grande diversité des notions dans les pays respectifs.

La Conférence a été poussée vers une solution s'écartant d'un emploi de termes chargés d'une acception juridique précise, pour éviter la question: selon quelle loi? Nous inclinons à croire que le fait même qu'à la fin du siècle précédent, l'emploi de la langue fran­çaise était naturel, en tant que langue diplomatique universellement

12. Cf. Rapport Fragistas sur les travaux de la Commission spéciale, Docu­ment préliminaire, 1964, paragr. 8, p. 36. 13. Article 76 du Code civil néerlandais: par une déclaration auprès des auto­rités municipales. 14. Le domicile en Common Law exige l'intention d'établir à un certain en­droit «his permanent home*.

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admise, a contribué à cacher quelque peu le problème, d'autant plus que le pays auquel on devait le Code Napoléon occupait à cette époque dans la Conférence une place centrale et prépondérante.15

Il est clair que pour tout juriste français de l'époque, il était difficile de s'habituer à la pensée qu'un terme juridique français, figurant dans une convention internationale, pouvait avoir un sens autre que celui qu'il avait dans le droit du pays de l'unique langue officielle utilisée par la Conférence.

Aujourd'hui, la Conférence cherche à se servir d'une langue neutre qui se prête à la traduction dans toutes les langues nationales des pays Membres de la Conférence, mais il va de soi que, parfois, on ne réussit pas entièrement à cet égard. Alors se pose la question de savoir comment interpréter les termes utilisés. Eu égard à tout ce que nous venons d'exposer sur la manière de travailler de la Con­férence et du caractère de compromis qui est propre à bon nombre de textes, la réponse semble — déjà pour des raisons pratiques — s'im­poser: les termes utilisés dans la Convention doivent être interprétés de façon autonome. L'institution américaine dite «National Con­ference of Commissioners on Uniform State Laws», laquelle, par beaucoup d'aspects, poursuit une activité semblable à celle de la Conférence, ajoute aux textes qu'elle élabore une clause de grande valeur, surtout parce que ces textes sont rédigés dans la langue qui est commune à tous les Etats de l'Union, selon laquelle:

«Section 14 (Uniformity of Interpretation). This act shall be so interpreted and construed as to effectuate its general purpose to make uniform the law of those States which enact it.

(La présente loi devra être interprétée et appliquée d'une manière qui ac­complisse son but général d'unifier le droit des Etats qui l'adopteront.) »

Nous estimons cette clause d'une grande importance, parce qu'elle peut inciter les juristes des divers pays à ne pas chercher à introduire dans le tissu de pensées juridiques d'origine internationale les parti­cularités de leur propre système national.

Le problème s'est manifesté de façon encore plus claire au moment où — comme aux Dixième et Onzième sessions et à la Session extra­ordinaire de 1966 — la Conférence a commencé à élaborer des textes bilingues faisant également foi. Devant les interrogations mutuelles

15. Tous les pays de Common Law étaient absents jusqu'en 1925!

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(13) La codification par traités en d.i.p. 349

posées autour de la table de conférence, on était bien obligé de faire ressortir le vrai sens concret des termes et, par la nature des choses, un renvoi pur et simple au contenu d'une notion juridique propre à un système de droit particulier ne pouvait pas suffire pour arriver à une entente.

Nous ne voulons en tirer qu'une seule conclusion: une convention multilatérale ayant vocation pour établir un juste équilibre, toutes les parties contractantes devront se trouver dans une situation égale devant les textes internationaux. A un autre endroit18 nous avons écrit que la Conférence semblait avoir profité du système de n'avoir qu'une seule langue officielle, étroitement liée à une philosophie juri­dique individuelle. Nous croyons que l'avantage était d'ordre surtout pratique, et que la participation des Etats du Common Law a rendu plus fort le besoin d'un langage international. Cette constatation nous oblige à appliquer de préférence les méthodes d'interprétation autres que l'interprétation grammaticale, comme celles de l'inter­prétation historique, la recherche de l'intention des auteurs, l'inter­prétation téléologique, l'interprétation systématique.

2. Cela dit, il importe de nous interroger ensuite sur l'objectif essen­tiel qu'on espère atteindre à travers le but immédiat de la Conférence, tel qu'il a été formulé dans le Statut.

On dirait que toute la raison de l'activité de la codification inter­nationale du droit international privé consiste dans le besoin d'assurer la sécurité du droit. Il pourrait être utile d'analyser cette idée qui contient des éléments complexes.

Examinons d'abord le sort réservé à un cas d'espèce isolé. La sécu­rité du droit maximale semble exister si les faits se situent exclusive­ment à l'intérieur d'un seul pays, à système unifié.17 Supposons que le cas soulève une question cruciale, mais simple. Le droit donne une réponse à la question juridique posée, et tout conseil peut faire — du

16. N.T.I.R., 1960, p. 155. 17. Lorsque, dans ce qui suit, nous employons le terme «Etat» ou «Pays», nous ignorons délibérément, pour des raisons de simplicité, les complications surgis­sant lorsqu'on doit tenir compte des Etats connaissant à l'intérieur de leur territoire diverses parties, régions ou provinces ou divers groupes de la popu­lation soumis à des lois différentes. Les dernières Conventions de La Haye contiennent des dispositions à ce sujet.

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moins en théorie — une prévision raisonnable du résultat auquel conduira un procès. Il est indifférent de savoir lequel des tribunaux est compétent, ce qui fait que les règles de compétence distributives ou attributives n'influent pas sur la prévision.

Si un cas similaire se pose sur le plan international — par exemple parce que les parties en cause habitent des pays divers —, la question se pose: dans quelle mesure la sécurité du droit existe-t-elle? La ré­ponse dépendra des tribunaux auxquels le différend en question pourra être soumis. A supposer que les deux pays aient un droit in­ternational privé peu évolué, l'insécurité est totale: on ne saura pré­dire quelle loi sera appliquée par les tribunaux ni de l'un ni de l'autre des pays. Aussitôt que les pays en question auront établi des règles précises — même différentes dans les deux pays — il y aura un élément de sécurité qui entre en jeu. Les conseils pourront dire à leurs clients: si vous soumettez votre affaire au tribunal de tel pays, la règle de conflits sera telle, la loi appliquée et le résultat du procès tels. Si vous portez l'affaire devant les tribunaux de tel autre pays, le résultat sera tel. Bien qu'un certain degré de sécurité ait été atteint, l'image totale n'est point satisfaisante: il se peut qu'un seul et même rapport juridique soit apprécié différemment suivant les pays.

Une autre façon d'atteindre une plus grande sécurité peut être trouvée sur le plan des conflits de juridictions, par une distribution des compétences. Aussitôt qu'on arrive à désigner pour chaque rap­port de droit un seul pays dont les tribunaux seront compétents, on élimine la possibilité que le même rapport soit soumis à deux sys­tèmes de droit international privé et partant à deux lois internes dif­férentes. Encore faut-il, pour que la prévisibilité, essence de la sé­curité du droit, existe, que le tribunal compétent connaisse un sys­tème de conflits évolué. Les cas d'une compétence unique sont d'ail­leurs rares. Notons que la désignation du tribunal du défendeur comme étant uniquement compétent pour connaître des litiges re­latifs à des rapports de droit bilatéraux ou multiples ne tombe pas dans cette catégorie: chacune des parties peut prendre l'initiative d'intenter une action dans le for du défendeur et il dépendra de cette circonstance fortuite de savoir si le rapport de droit sera soumis aux juges des pays A ou B. En outre, la désignation d'un juge unique, ou même d'un nombre limité de juges compétents rend inévitable que

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(15) La codification par traités en d.i.p. 351

la reconnaissance et l'exécution des jugements à rendre par ces juges soient obligatoires dans les autres pays, sinon le demandeur risque de ne pas avoir récolté grand-chose en gagnant un procès dans un pays où le débiteur ne possède pas de biens ou avoirs saisissables. Souvent d'ailleurs, dans le commerce international, le créancier cherchera à sauvegarder ses intérêts en saisissant un navire ou une cargaison de produits ou marchandises dans un pays tiers.

Un degré de sécurité équivalent peut être atteint si, sans distribu­tion des compétences, les tribunaux de tous les pays intéressés ont adopté la même règle de conflits. Il devient dès lors sans importance — en théorie — de savoir dans quel pays le juge sera saisi du dif­férend. Nous trouvons ici l'une des activités les plus marquées de la Conférence de La Haye. Il est vrai, cependant, que les différences entre les systèmes de droit de la procédure, par exemple l'obligation de prouver le contenu du droit étranger applicable ou les règles re­latives à l'administration de la preuve, auront une influence sur le degré optimal de sécurité. A cela s'ajoute un besoin impérieux d'éviter que, lorsqu'un juge compétent a été saisi, la même affaire ne soit soumise — soit par le défendeur, soit par le demandeur — au juge d'un autre pays. Il n'y a rien de plus fâcheux, pour la sécurité, que des décisions contradictoires relatives au même différend. Cette considération justifie, en soi, une règle élevant l'exception de la litis-pendance internationale au rang d'une légitime défense. Telle règle sera d'autant plus facilement acceptable si, sur le plan international, le jugement à rendre dans le pays le premier saisi sera — en vertu d'une convention ou en vertu du droit commun — capable d'être exécuté dans le pays où la litispendance aura été invoquée. Mais même si telle exécution n'est pas assurée, il y aura avantage à coor­donner, dans la mesure du possible, l'administration de la justice à travers les frontières; la litispendance conduira à un sursis du second procès, et le tribunal l'ayant accordé pourra mieux procéder plus tard, sur la base plus solide créée par la connaissance — éventuelle­ment par la reconnaissance — du jugement étranger. Mais les situa­tions varient fortement selon les circonstances, c'est pourquoi même la Convention sur l'exécution rend le sursis — ou le désaisissement — pour litispendance facultatif (art. 20); la Convention For contractuel-Vente est plus rigoureuse (art. 7), parce qu'elle déclare, par une

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disposition matérielle de droit international de la procédure, l'excep­tion «fondée»; sans doute parce que l'autre for aura été élu par les parties elles-mêmes.

L'image n'est pas encore complète. Un dernier moyen pour aug­menter la sécurité du droit est d'assurer des effets internationaux aux jugements rendus. D'habitude les conventions en la matière exigent que le juge doit avoir été compétent — internationalement parlant — et, à ces fins, on établit un inventaire des chefs de compétence re­connus. La prévisibilité alors s'échelonne: elle n'est pas très grande dans la mesure où, dans chaque espèce de différend, il peut y avoir plusieurs juges qui verront leurs compétences reconnues. Une fois le jugement rendu, cependant, le débiteur saura que le dispositif le liera dans tous les pays.

De tout ce qui précède on peut déduire que le maximum de sécurité du droit sera atteint lorsqu'on aura réussi à réunir dans une seule convention les trois éléments suivants: règles de conflits de lois désignant la loi applicable, règles de conflits de compétence désignant le ou les tribunaux, la ou les autorités compétentes pour accomplir un acte (célébration d'un mariage, institution d'une tutelle), et règles sur la reconnaissance et l'exécution des jugements. La Convention de 1902 sur le divorce en est un exemple.

Récemment, la Conférence a introduit une autre construction qui atteint un degré de sécurité légèrement moins élevé. Elle a, notam­ment dans les cas de la Convention Mineurs, ayant remplacé l'an­cienne Convention Tutelle, et dans le cas de la Convention Adoption, préféré le système basé sur la répartition des compétences et la re­connaissance des mesures prises. Bien entendu, il s'agissait surtout de mesures à prendre (tutelles à instituer ou adoptions à prononcer), ce qui mettait plus en évidence le besoin d'éviter des conflits de com­pétence. Mais la variante se trouve dans la règle désignant la loi applicable. Les autorités compétentes, et il y en aura plusieurs, ap­pliqueront toutes leur propre loi interne. Ainsi, un même cas peut donner lieu à deux mesures ou adoptions différentes. On a fait valoir cependant que dans ces matières relatives à la protection de l'enfance, il importait plus d'assurer que des mesures puissent être prises que de rechercher l'unité internationale.

H est intéressant de noter que certaines observations faites lors

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(17) La codification par traités en d.i.p. 353

de la phase de préparation de la Convention sur l'adoption ont criti­qué la tendance de trouver une solution des problèmes en réglant les conflits de compétence et ont préconisé le système des conflits de lois.

Comme nous l'avons constaté ci-dessus, déjà la codification sur le plan national du droit international privé ajoute dans une large mesure à la sécurité, mais il va de soi que la codification internatio­nale apporte l'élément de l'unité internationale. Il y a lieu cependant de distinguer selon l'étendue territoriale de l'unification.

Les pays du Benelux ont voulu faire un grand pas en avant en signant un traité en 1951, traité qui pourtant n'est pas encore entré en vigueur. Il importe d'examiner la contribution que ferait un tel traité, par lequel trois pays adoptent une codification uniforme de leur droit international privé, à la sécurité du droit. En effet, la situation sera améliorée dans chacun des trois pays: le demandeur qui trouve un juge compétent ne sera plus exposé aux incertitudes entourant le droit international privé largement jurisprudentiel de ces trois pays. Mais dans quelle mesure l'incertitude internationale sera-t-elle combattue ? Dans les affaires intra-Benelux, le plus haut degré sera atteint sur le plan de la désignation de la loi applicable, les juges des trois pays appliqueront la même loi interne. Mais ces affaires, même dans un état d'intégration très avancé des économies des trois pays, ne formeront qu'une partie relativement peu impor­tante des relations juridiques internationales dont l'un des intéressés est une personne privée ou morale établie à l'intérieur du Benelux. Plus nombreux seront les rapports internationaux rattachés à un pays hors du Benelux (le monde entier!).18 Dans ce cas, la contribution à la sécurité faite par la nouvelle convention ne sera que relativement modeste, et elle n'atteindra notamment pas l'unité internationale. Cette dernière exigerait que dorénavant les tribunaux hors du Bene­lux qui pourraient être appelés à connaître d'un différend intéressant l'un des trois pays suivent la règle de conflits consacrée par la con­vention. Nous croyons d'ailleurs que, lorsqu'il s'agit d'un rapport juridique international isolé rattaché aux Pays-Bas (mariage d'un Néerlandais avec une Pakistanaise, contrat de vente entre un Amster-damois et un citoyen de Stockholm), il est sans grande importance de

18. En 1967 les exportations et importations intra-Benelux des Pays-Bas étaient de 18 pour cent et 15 pour cent du total.

III—1967 23

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354 M. H. van Hoogstraten (18)

savoir que si l'une des parties trouvait un juge compétent à Bruxelles, ce juge appliquerait la même loi interne que les tribunaux néerlandais, puisqu'un tel cas sera très rare. Le seul avantage, certes, d'un carac­tère plutôt politique consistera dans la considération que les habitants des pays du Benelux peuvent changer librement de domicile à l'in­térieur de l'union sans que le droit international privé ne change.

Un grand bien cependant résulte de cette tentative. L'activité de préparer une codification est en soi utile à l'évolution du droit inter­national privé. Elle oblige les juristes chargés des travaux à réexa­miner l'état actuel du droit, à peser et analyser les thèses avancées par la doctrine, et à apprécier les conséquences d'une jurisprudence établie. C'est au cours d'une codification que de nouvelles concep­tions et tendances ont une chance de se manifester et s'affirmer.

Il a été dit souvent qu'une codification du droit international privé se réalise le plus facilement par convention: le fait même qu'elle soit le résultat d'une œuvre entreprise d'un commun effort avec d'autres pays renforce la position des gouvernements-participants vis-à-vis de leurs Parlements nationaux. Et, chose principale, les discussions et études faites en commun avec les représentants des pays étrangers ne peuvent manquer d'ouvrir des fenêtres vers une attitude moins re­pliée sur le milieu national, autrement dit, plus internationale.

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CHAPITRE II

LE RATTACHEMENT «CENTRE-VIE»

3. Nous avons dit qu'en principe les termes d'une convention doivent être interprétés de façon autonome; ils font partie d'une langue juri­dique internationale. Dans les récentes Conventions de La Haye, un terme propre à la Conférence, celui de «résidence habituelle», va loin pour illustrer ce point. Commençons par situer le problème; ensuite nous examinerons l'origine et l'évolution de ce terme.

L'homme est un être social; il ne peut vivre qu'en s'organisant en groupe. Mais, dans la vie complexe de nos jours, les groupes dans lesquels une personne s'est organisée pourront se recouper: le cas de celui qui s'est établi en dehors du groupe auquel il est lié par sa na­tionalité, de l'étranger, du «stranger». Les liens, reconnus par le droit, qu'il maintient avec son groupe, peuvent être de nature dif­férente; si le droit interpersonnel tient compte de la religion, de l'ap­partenance à un groupe ethnique, le droit international privé, surtout dans les questions de statut personnel, laisse souvent dépendre le choix de la loi applicable de la nation — la nationalité —, de la com­munauté locale — le «domicile» —, dans lesquelles la personne est intégrée et auxquelles elle doit par ce fait même une certaine loyauté.

Nous nous proposons d'examiner dans le présent chapitre com­ment la Conférence a donné expression au principe suivant lequel les liens avec la communauté locale peuvent revêtir une intensité suffisante pour justifier qu'on fasse dépendre le choix de la loi ap­plicable de ce «rattachement». Mais avant d'analyser l'évolution his­torique, il pourrait être utile d'exposer nos idées sur la nature et la fonction qu'on devrait reconnaître en droit international privé à ce rattachement domiciliaire. Pour plus de clarté, nous préférons ce­pendant éviter le terme «domicile» dans ce contexte. Nous nous servirons d'un néologisme, le terme «centre-vie», pour indiquer la communauté au sein de laquelle, du point de vue géographique, l'in­téressé aura fait le centre de sa vie. Il est clair que ce terme ne résout rien, il ne fournit notamment aucune réponse aux questions de savoir

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356 M. H. van Hoogstraten (20)

quelles doivent être l'intensité et la permanence du foyer établi pour pouvoir constater qu'il y a un «centre» susceptible d'être pris en considération comme élément de rattachement.

Il convient d'attirer l'attention, d'emblée, sur une complication: il peut s'avérer que le rattachement «centre-vie» ne doit pas néces­sairement avoir le même caractère d'intensité ou de permanence pour satisfaire aux besoins de toutes les règles de conflits. Il se peut, par exemple, qu'il soit possible de soumettre le rattachement à des con­ditions moins strictes, lorsqu'il s'agit d'y baser une règle de com­pétence judiciaire, dans le cadre d'une convention sur l'exécution des jugements étrangers. Lorsqu'on se trouve dans le domaine des juge­ments patrimoniaux, on trouve presque toujours dans ces conventions un inventaire des compétences reconnues qui, par sa longueur, prend un caractère quelque peu dilué, et par là même moins rigoureux (voir l'article 10 de la Convention générale sur l'exécution des jugements étrangers). Par contre, dans le cas où la loi du «centre-vie» sera appelée à régir des questions de statut personnel, de successions, où il s'agit de trouver une loi unique applicable, le «centre-vie» doit répondre à des conditions plus sévères, sans quoi les motifs pour l'utiliser seraient trop faibles pour déterminer — par le biais de la loi applicable — des conséquences aussi importantes et permanentes que la validité d'un mariage, la dévolution d'une succession.

Entre ces deux extrêmes se trouve peut-être un domaine où il s'agit bien de trouver une loi unique applicable, mais où la matière réglée a trait à des rapports juridiques éphémères, des biens destinés à s'épuiser par leur réalisation, tels qu'un contrat de vente ou les con­séquences d'un acte illicite. Dans ces cas, il s'agit en premier lieu de trancher un nœud gordien et d'opérer un choix; après tout, ce choix doit être fait entre plusieurs solutions plus ou moins équivalentes. Si les contrats de vente sont soumis à la loi de la résidence habituelle de l'une des parties au contrat, par exemple le vendeur, on pourra plus rapidement accepter, même si la stabilité et l'intensité sont pas­sagères, que le centre d'affaires soit censé être un «centre-vie» que, par exemple, lorsqu'il s'agit d'accepter la compétence d'autorités judi­ciaires pour prononcer une adoption.

Un dernier élément semble être de nature à influer sur le poids du «centre-vie» comme rattachement: le degré auquel une matière est

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(21) La codification par traités en d.i.p. 357

soumise, ou soustraite, à l'autonomie de la volonté. Nous nous ren­dons compte que cette pensée devrait être approfondie pour être justifiée; nous croyons que cela sortirait du cadre de notre exposé. Nous nous limitons à dire que, aussitôt que le droit international privé reconnaît que telle ou telle matière n'est pas irrévocablement rattachée à un système national, si bien que la volonté des parties est admise à la soumettre à l'empire d'un autre ordre juridique, la nature même du rattachement ordinaire nous paraît permettre qu'on fasse dépendre sa présence de conditions moins sévères.

Là tout revient à dire que dans l'ordre de la lex ferenda, on fera bien de se rendre compte de la fonction que devra remplir le «centre-vie».

4. Cela dit, nous devrons faire l'inventaire des problèmes que pour­rait soulever l'utilisation du terme «domicile» dans les conventions internationales de droit international privé. Tout d'abord il y a le problème de la qualification. En supposant que ce terme, à contenu juridique dans tous les systèmes, doit nécessairement indiquer une notion juridique, quelle serait alors la loi déterminant le contenu du terme?

A en croire les Actes de la Sixième session, on estimait à cette époque que l'interprétation devait se faire selon la loi nationale de l'intéressé.1

Mais d'autres systèmes sont possibles: étant donné que dans plu­sieurs pays, le domicile est — ou était — une situation privilégiée accordée par les autorités publiques locales, on pourrait croire que c'est la loi du territoire où se trouve le prétendu domicile qui s'appli­que. Il y a également la théorie opposée qui maintient que la «quali­fication» doit se faire selon la lex fori, doctrine qui assure la diver­gence internationale. Une dernière solution consisterait à définir le terme «domicile» dans la convention elle-même; c'est ce qui a été essayé dans la Convention Renvoi (art. 5); dans une définition peu solide, cette convention se contente de dire que le domicile est la résidence habituelle. Cette disposition a contribué à rendre inaccep­table la Convention au Royaume-Uni, où, à l'époque de son examen, on ne voyait pas comment les cours de justice de Common Law 1. Voir ci-dessous p. 360.

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358 M. H. van Hoogstraten (22)

pourraient appliquer un texte qui, mentionnant dans ses premiers articles — à ce qu'on croyait — la notion centrale du droit interna­tional privé anglais, créait la confusion totale par la «définition» insérée à l'article 5 inconciliable à ce droit.

Aujourd'hui, comme nous l'avons exposé, il n'y aurait qu'un seul défaut à l'emploi du terme «domicile» toutes les fois qu'on vise le «centre-vie»: si tous ceux qui ont à appliquer les conventions recon­naissaient le bien-fondé de la thèse mentionnée et défendue dans le chapitre premier, selon laquelle les termes d'une convention devront être interprétés de façon autonome, le terme «domicile» pourrait jouer le même rôle que toute autre expression comme «résidence habituelle» ou «centre-vie». Mais ce serait une source de confusions, car les personnes non averties ne se rendraient pas compte qu'elles se trouvent devant un terme «international». Une illustration marquante a été fournie par les travaux de la Neuvième session en matière de forme des testaments. La Conférence, inspirée du sentiment qu'on doit observer une attitude libérale vis-à-vis d'un testament valable — quant à la forme — selon une loi avec laquelle le défunt avait eu des relations étroites, disposait qu'à côté de la validité selon la loi de la résidence habituelle du défunt, celle découlant de la loi de son domicile serait reconnue. On y ajoutait une clause stipulant que la question de savoir si ce domicile se trouvait dans un pays donné serait à apprécier selon la loi interne du pays du prétendu domicile.2

Contre cette disposition, la délégation britannique s'opposa (et on lui a donné satisfaction par l'insertion d'une réserve)8 pour le motif qu'aucun tribunal britannique serait à même d'apprécier le domicile selon une loi autre que le Common Law. Un autre argument avancé contre cette solution voulait qu'elle imposerait au juge le devoir d'aller rechercher dans les lois de tous les pays du monde si le défunt n'avait pas, par hasard, son domicile dans l'un d'entre eux. Cette observation nous paraît moins pertinente; on peut laisser à ceux qui veulent maintenir la validité d'un testament le soin d'apporter les matériaux et de prouver les faits pour convaincre le juge que le défunt avait son domicile dans tel ou tel pays dont la loi validerait la forme.

2. Convention Testaments, art 1er, al. 3. 3. Convention Testaments, art. 9.

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(23) La codification par traités en d.i.p. 359

Il semble qu'au début des activités de la Conférence, on n'a pas encore vu le problème de l'interprétation du terme «domicile» dans toute son ampleur. La Convention sur le divorce utilise encore en toute tranquillité le mot domicile, bien qu'apportant des précisions pour le domicile de la femme mariée (art. 5, sous 2; voir Actes, III, p. 211).

Les difficultés se sont par contre clairement manifestées lorsqu'il a été question du domicile des mineurs. Dans la conviction que même dans le contexte d'une convention internationale, ce mot dût néces­sairement indiquer une notion juridique bien définie, on a constaté que pour les mineurs, tout comme pour les femmes mariées, le do­micile légal avait un caractère formel qui pourrait se distinguer du lieu où habitait l'enfant ou l'épouse; or, c'était ce dernier rattache­ment — le «centre-vie» de l'enfant — qu'on voulait utiliser comme élément de rattachement, lorsqu'il s'agissait d'y fonder la compétence des autorités pour instituer la tutelle ou prendre certaines mesures urgentes. Pour le domicile légal d'un mineur, il y aurait eu, d'ailleurs, un vacuum, ce domicile se trouvant auprès du tuteur non encore dé­signé {Actes, II, p. 94).

5. C'est alors qu'on a eu recours à l'expression «résidence habi­tuelle». Ce terme n'était pas nouveau, la Conférence l'avait déjà utilisé dans le traité de 1896 relatif à certaines questions de la procé­dure civile, à l'instar d'un traité franco-prussien de 1880, mais il est permis de supposer qu'il s'agit là d'une traduction en français d'un terme allemand indiquant une notion juridique précise, la gewöhn­liche Aufenthalt.

La Troisième commission dit dans son rapport (Actes, III, p. 103):

«La Commission a substitué dans cet article, ainsi que dans les dispositions suivantes, aux mots «résidant* et «résidence» les expressions: «résidant habi­tuellement» et «résidence habituelle». La résidence, qui ne caractérisait pas la stabilité exprimée par le qualificatif qui a été ajouté, semble impropre à servir de point de départ aux situations juridiques auxquelles elle se trouve mêlée comme élément efficient.»

On a l'impression que cette commission a cherché à décrire par les termes «résidence habituelle» la situation de fait, le «centre-vie» de l'enfant.

La question de savoir comment trouver la loi selon laquelle on

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devrait interpréter le terme «domicile» semble avoir échappé à la Conférence jusqu'en 1928, et même l'Acte final de la Sixième session contient encore un avant-projet en matière de successions qui utilise le terme «domicile» sans plus (art. 8, Actes, VI, p. 406). Mais à cette même Session, lorsqu'on a voulu étendre les Conventions classi­ques de 1902 et de 1905, basées sur le principe de la nationalité, aux apatrides, il a fallu procéder à une adaptation et prononcer le rat­tachement à la loi du «centre-vie».

Alors l'argument selon lequel le terme «domicile» était inutilisable en l'absence d'une loi nationale, selon laquelle on pouvait interpréter cette notion, a eu un certain succès (Actes, VI, p. 112). La Deuxième commission dit dans son rapport:

cLa notion de résidence habituelle a été préférée à celle du domicile, proposée au début par certaines délégations. En effet la notion de domicile diffère trop d'un pays à l'autre et, en l'adoptant, on se serait heurté à des difficultés in­solubles chaque fois que les conceptions nationales différentes du domicile seraient entrées en conflit, puisque, pour savoir laquelle de ces conceptions doit faire règle, il faudrait rechercher quelle est ceÜe de la loi nationale de l'intéressé et que, justement, en l'espèce, il ne possède pas de nationalité.*

Le rapporteur Geux, dans son introduction (Actes, VI, p. 131) semble avoir eu des idées moins catégoriques: «On évite la notion de domicile pour couper court aux difficultés que présente la définition de ce terme, d'autant plus fâcheuses,* en l'espèce, qu'il n'y a pas de loi nationale...»

La Quatrième commission de la même Session, qui s'occupait des ventes internationales, avait moins de difficultés à justifier son emploi du terme «résidence habituelle»: c'est seulement dans une note (Actes, VI, p. 369) que le rapporteur Julliot de la Morandière écrit: «On a intentionnellement évité l'expression juridique de domicile.» Il est intéressant de noter la différence entre les attitudes des deux Commissions, qui s'explique, selon nous, par la différence entre les matières traitées.

La Septième session utilise encore le terme «domicile» dans sa Convention pour régler les conflits entre la loi nationale et la loi du domicile. Effrayé par les conflits d'interprétation — devenus beau­coup plus apparents encore en raison du rôle très actif que les re­présentants du Royaume-Uni commençaient à jouer —, on ajouta

4. Nous soulignons.

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(25) La codification par traités en d.i.p. 361

au dernier moment une clause de définition,5 laquelle se réfère, sauf pour le domicile dépendant, à la réalité du «centre-vie», plutôt qu'aux notions juridiques (Actes, VII, pp. 228 et suiv.). On voit l'évolution dans les esprits: si l'élimination du terme «domicile», et son remplacement par l'expression «résidence habituelle», avait été inventée pour éviter des difficultés lorsqu'il s'agit du «centre-vie» des mineurs, en 1951, on s'inquiète surtout des conflits de qualification dans les cas des majeurs.

A la Huitième session (1956), on donne de nouveau la préférence à l'expression «résidence habituelle» dans une matière appartenant au droit de famille: les obligations alimentaires envers les enfants. Dans les résultats des sessions ultérieures, la victoire du terme est complète; si dorénavant on utilise le terme «domicile», il apparaît dans un rôle complémentaire, et on ajoute une disposition désignant la loi interne qui déterminera le contenu de la notion.6

Revenons aux termes «résidence habituelle» ; que veulent-ils dire? Est-ce une notion autonome du droit conventionnel? Certains ont cherché à définir son contenu, ou tout au moins d'en indiquer cer­tains traits.7 D'autres ont maintenu que c'était une notion de fait. Dans la mesure où l'intention des auteurs joue un rôle dans ces ques­tions, citons les explications données par trois rapporteurs de la Conférence. Quant à nous, elles sont décisives.

Dans le rapport sur la Convention concernant la protection des mineurs (Convention concernant la compétence des autorités et la loi applicable en matière de protection des mineurs) — Convention dans laquelle la résidence habituelle est le rattachement sur lequel se fonde la compétence des autorités et partant la loi applicable — De Steiger s'emprime ainsi (Actes, IX, tome IV, p. 225, reproduit sans notes):

*d) La résidence habituelle. La convention a choisi pour les motifs exposés plus haut comme point de rattachement, tant pour la compétence que pour la loi applicable (art. 2), la résidence habituelle du mineur. Par là elle suit de plus une tendance très marquée du droit international privé moderne et notamment des dernières conventions internationales, de prendre comme critère non pas

5. Convention Renvoi, art. 5. 6. Voir, dernièrement, l'article 3 du projet de Convention Divorce, adopté par la Onzième session. 7. Voir Mann, Deutsche Juristen Zeitung, 1956, p. 466.

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un concept juridique, mais une notion de fait. Ainsi on évite de nouveau les difficultés d'interprétation, qui surgiraient certainement, si l'on avait retenu comme point de rattachement le domicile, concept juridique, dont le contenu varie de pays à pays et dont une qualification autonome serait difficile à imposer. Mais il y a plus: le domicile d'un mineur n'est pas un domicile in­dépendant, il dépend, au contraire, du domicile des parents ou de celui des parents qui a la puissance paternelle. Or, le père peut avoir son domicile dans le pays A, alors que le mineur vit avec sa mère dans le pays B. Si c'était le domicile qui devait déterminer les autorités compétentes et la loi applicable, l'idée fondamentale de la convention — soumettre le mineur aux autorités qui peuvent le mieux apprécier la situation et à la loi du milieu social dans lequel il vit — risquerait de ne pas être réalisée. La résidence habituelle du mineur s'impose donc comme point de rattachement pour des raisons appartenant tant à la technique juridique qu'à la nature des choses.

La notion de résidence habituelle est certainement un peu vague et il est à prévoir qu'elle ne sera pas appréciée partout de la même manière. Mais les doutes diminuent si l'on retient qu'on peut parler de résidence habituelle lors­que le lieu en question constitue le centre effectif de la vie du mineur, et ceci surtout par rapport à d'autres lieux de résidence qui pourraient entrer en ligne de compte. La durée de la résidence en un lieu déterminé peut avoir son im­portance, mais ne sera pas en elle-même décisive. Un séjour, même prolongé, dans un établissement d'éducation ou un sanatorium ne constituera pas une résidence habituelle, si l'on peut constater que le mineur a encore des attaches sérieuses à un autre lieu. Ce qui importe avant tout, c'est de déterminer les compétences de telle manière que les intérêts du mineur trouvent leur meilleure protection.»

Le rapport de Batiffol relatif à la Convention sur les conflits de lois en matière de forme des dispositions testamentaires, issue de la même session, contient le passage suivant {Actes, IX, tome III, p. 163):

«La convention ne désigne pas au contraire la loi selon laquelle devrait être définie la résidence habituelle. La Conférence a estimé que cette notion était dans l'esprit de la convention essentiellement de fait. Sans doute l'élément d'habitude peut impliquer l'appréciation d'une intention, mais il s'agit encore de la constatation d'un fait.»

Maul, dans son rapport sur la Convention Adoption, élaborée par la Dixième session, laquelle utilise la résidence habituelle comme base de la compétence judiciaire (ou administrative) et par consé­quent de la loi applicable, s'exprime de nouveau assez succinctement {Actes, X, tome II, p. 419):

«En choisissant comme premier point de rattachement la résidence habituelle des adoptants, la convention a suivi une tendance déjà consacrée par plusieurs conventions récentes de prendre comme critère non pas un concept juridique, mais une notion de fait. Elle a voulu éviter ainsi les difficultés d'interprétation qui auraient pu surgir si l'on avait retenu comme critère la notion de domicile, qui risquait d'être interprétée différemment selon les pays.»

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(27) La codification par traités en d.i.p. 363

Fragistas, rapportant sur l'avant-projet d'une Convention sur la reconnaissance et l'exécution des jugements étrangers en matière civile et commerciale, dit seulement:

«Selon l'avant-projet, la compétence internationale peut se fonder, sur un pied d'égalité parfaite, aussi bien sur la notion juridique du domicile que sur la notion pragmatique de la résidence habituelle.*

6. Cependant, dire que quelque chose est une notion de fait ne suffit pas entièrement à liquider le problème. On sera tenté de s'interroger sur la question de savoir quels sont, généralement parlant, les faits qui peuvent — ou qui doivent — faire conclure à la présence de cette notion de fait. Mais ce faisant on s'engagerait dans une voie dangereuse: si l'on devient trop précis dans ces réponses à cette question, on est déjà en train d'ériger la charpente d'une notion juri­dique. Il est permis alors de dire que la notion de fait perdra son caractère en raison de son application par les tribunaux et par les praticiens du droit. Mann, dans son article très fouillé,8 cherche également à circonscrire la substance de la résidence et croit pouvoir dire qu'elle présuppose la présence du factum et de Yanimus, pour les questions touchant au statut personnel du moins; il reconnaît que le contenu peut varier selon les matières où le terme fait son appari­tion.

Bien que nous admettions l'impossibilité presque totale d'empêcher les juristes de s'interroger sur le sens des mots, nous craignons que, dans le cas de la résidence habituelle, ces tentatives provoquent un risque. Nous inclinons à croire, tout aussi bien sur la base de l'évo­lution historique que pour des raisons d'utilité, qu'il sera plus efficace — dans l'optique de la réussite des conventions — de considérer la résidence habituelle comme un terme qui indique une façon de pro­céder inverse: elle impose, à ceux qui appliqueront, un procédé de raisonnement semblable à ce que nous avons développé au début de ce chapitre, lors de l'analyse de la fonction du rattachement «centre-vie»: ils auront à se demander si les circonstances de fait justifient l'application de la règle de conflits en question. Si le tribunal conclut, par exemple, à l'application de la règle que la vente est régie par la loi interne de la résidence habituelle du vendeur, il aura à se de-

8. Op. cit., voir note 7.

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364 M. H. van Hoogstraten (28)

mander si les faits permettent — en vue de l'effet qu'aura telle cons­tatation, à savoir la loi devenant applicable — de conclure à la présence d'une résidence habituelle. Arrêtons-nous là. La question de savoir s'il faut un foyer, s'il faut une intention de maintenir sa résidence, si la maison d'habitation l'emporte sur le centre des af­faires, tout cela reste à l'appréciation du juge. Les cas où il y aura deux «centres-vie» sont rares. Mais ils ne sont pas exclus. Telle qu'une ellipse une vie peut avoir deux centres, l'un pour les aspects de la vie familiale, l'autre pour les affaires. Le terme «résidence habituelle» permet de tenir compte de cette complication.

Bref, la résidence habituelle est un terme-procédé. Quelques réflexions encore: il est clair que la résidence habi­

tuelle ne donne heu à aucun problème toutes les fois qu'elle coïncide avec le domicile, ce qui, après tout, est le cas normal. Dans les cas où la loi applicable attribue au domicile un caractère formel, tandis que la résidence habituelle se trouve à un autre endroit, cette dernière représente la réalité du «centre-vie». Ici, il faut distinguer entre plusieurs espèces. D'abord le cas où le pays du «centre-vie» n'accorde le domicile que par autorisation spéciale; alors la résidence habi­tuelle sera souvent établie à l'abri de tout doute, sans qu'il y ait do­micile selon la loi du pays de la résidence habituelle. A l'inverse, le cas où, les formalités ayant été remplies sans avoir été invalidées par une formalité ultérieure requise, un domicile continue à exister, bien que la résidence habituelle soit déjà déplacée dans un autre pays. Enfin, le domicil of origin anglais, qui dérive du domicile du père de l'intéressé, et qui ne cède la place à un domicil of choice que pour autant que ce dernier continue à exister, la fin du domicil of choice faisant revivre le domicil of origin. Là nous assistons à une notion purement juridique s'écartant du «centre-vie» — de la résidence habituelle — toutes les fois que le domicil of choice n'existe plus, ou pas encore. Il est par contre difficile de s'imaginer une situation où la résidence habituelle ne coïncide pas avec un domicil of choice, qui précisément, par ses conditions sévères, nous paraît posséder les garanties pour être un vrai «centre-vie».

Il est, enfin, possible que la personne en question réside hors du lieu où elle concentre ses activités sociales. C'est alors une question d'appréciation de savoir où se trouve son «centre-vie», et comme

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(29) La codification par traités en d.i.p. 365

nous l'avons dit, le terme «résidence habituelle» donne la liberté requise au juge de trouver la meilleure solution.

Le seul problème qui reste à examiner est le suivant: la référence au bon jugement des tribunaux peut créer des incertitudes dans les cas où l'appréciation de l'importance de certains éléments de fait diffère selon les pays. Mais les tribunaux en question seront sages à l'occasion de leur appréciation, de se rendre compte, du fait qu'il faut, dans l'intérêt de l'unité internationale, trouver une appréciation internationalement acceptable. Et il nous faut bien avoir confiance dans la sagesse des juges. De toute façon, le terme de «résidence habituelle», tel qu'il est utilisé par les Conventions de La Haye, n'a pas l'air d'avoir donné lieu à des difficultés d'ordre majeur.9

9. Il est clair que nous regrettons la disposition de la Convention Exécution générale qui ouvre aux Etats contractants la faculté de «définir» les termes «résidence habituelle» (art. 23, sub 1), dans leur accord complémentaire en vertu de l'article 21, même si une telle «définition» n'aura d'effets que pour ce qui concerne les relations bilatérales en question.

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CHAPITRE III

LA RECONNAISSANCE

7. Un terme fréquemment utilisé dans les Conventions de La Haye a trait à la reconnaissance. Nous le rencontrons sous diverses formes: une décision judiciaire sera reconnue, une adoption sera reconnue, la reconnaissance pourra être refusée, un Etat est libre de ne pas re­connaître. Parfois on a l'impression que des idées semblables sont exprimées sans que le terme «reconnaître» intervienne: une dis­position testamentaire est valable, la propriété demeurera acquise, des droits sont «opposables».

Il convient de se demander quel peut être le sens précis, la notion juridique ou intellectuelle, exprimés par ces termes. Il est vrai que l'expression fait également partie de la langue juridique sur le plan interne; là également, le terme suggère plus de précision qu'il n'en apporte. Il suffit d'attirer l'attention sur les nuances entre la recon­naissance d'une créance, d'un enfant, de la compétence d'un tribunal, d'un fait, etc. Chaque fois, la reconnaissance entraîne des effets dif­férents. A ces fins, il pourrait être utile de faire l'inventaire des divers sens du terme, en les groupant en certaines catégories. Nous nous trouvons, cependant, rappelons-le, sur le plan international; il faut peser soigneusement les expressions qu'on retrouve dans les conven­tions.

Une première catégorie a trait à des décisions judiciaires ou ad­ministratives. La Convention Aliments-Exécution dit dans son ar­ticle premier:

«La présente Convention a pour objet d'assurer la reconnaissance et l'exécu­tion réciproques .. . des décisions ...»

L'article 2 répète:

«Les décisions .. . doivent être reconnues et déclarées exécutoires.»

La Convention For contractuel-Vente dit:

«Le jugement rendu . . . par tout tribunal compétent... doit être reconnu et déclaré exécutoire...» (art. 5).

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(31) La codification par traités en d.i.p. 367

Et:

«Lorsque la reconnaissance et l'exécution sont refusées définitivement...» (art. 6).

Une terminologie similaire figure dans deux autres Conventions de la Conférence de La Haye, à savoir dans la Convention Election de for (art. 8 et 9) et dans la Convention Exécution générale (art. 4, 5, 6, 7 et 10).1

Si l'idée exprimée par la reconnaissance d'une décision judiciaire n'est pas très facile à définir, la notion a été utilisée dans d'innom­brables Conventions, et la jurisprudence de tous les pays s'en sert, au point même que dans certains cas, des décisions auxquelles l'exécu­tion est refusée sont tout de même capables de faire l'objet d'une reconnaissance. Familièrement dit, la reconnaissance permet à la partie intéressée d'invoquer le jugement: la décision étrangère est traitée comme une décision des instances judiciaires ou administra­tives nationales, dans la mesure où elle détermine les rapports juridi­ques entre les parties.

La deuxième catégorie s'occupe du fait juridique isolé. Nous nous expliquons: la validité d'un testament, d'une clause, d'un jugement, sont tous des éléments constitutifs de rapports juridiques «uniques». Même si le testament désigne plusieurs héritiers ou si le jugement dé­clare qu'à côté de la résolution d'un contrat, il y aura lieu à des dom­mages intérêts, il s'agit de l'objet même de ces actes. L'objet d'un tel acte, c'est d'opérer un incident juridique, et cet incident passé, l'acte s'est épuisé quant à ses effets. Là l'emploi du terme «reconnaissance» ne semble pas donner lieu à plus de difficultés que dans la première catégorie. La Convention Election de for ouvre dans deux articles (12 et 15) la possibilité aux Etats de faire une réserve selon laquelle ils pourront «ne pas reconnaître les accords...». Les auteurs ne se sont certainement pas posé de problèmes sur ce point; le sens est clair: l'accord sera privé d'effets, soit parce qu'il sera considéré comme non existant, nul, ou entaché d'un vice, soit parce que, va-

1. La Convention dernièrement citée emploie l'expression dans un sens légère­ment différent lorsqu'elle dit (art. 10, sous 6): «toutefois cette compétence ne sera pas reconnue...»; ce cas est moins important, à toute évidence elle veut dire que-la condition posée à l'exécution, concernant la compétence du juge ayant rendu le jugement, doit être considérée comme n'étant pas remplie.

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lable, il n'aura néanmoins pas les effets prévus par la Convention. La Convention Testaments, bien que stipulant dans son article premier la validité, quant à la forme des testaments répondant aux conditions qu'elle pose, contient deux articles (10 et 11) permettant aux Etats, moyennant des réserves, de ne pas reconnaître certaines dispositions testamentaires. L'article 11 fait entrevoir la difficulté que nous ren­contrerons dans la troisième catégorie; son dernier alinéa dit que la réserve permettant la non-reconnaissance n'a d'effets que pour les seuls biens qui se trouvent dans l'état qui l'aura faite. Autrement dit, cet alinéa règle, d'une façon distributive, les effets de la non-recon­naissance.

8. C'est la troisième catégorie qui va nous confronter avec le pro­blème entourant le contenu de la reconnaissance. Nous serons portés à nous demander si une reconnaissance est une opération juridique pensable, et si oui, si elle est un phénomène désirable.

Notre troisième catégorie a trait aux rapports de droit à caractère permanent, ou du moins durable, qui à leur tour seront la base sur laquelle devra se fonder la validité d'autres actes juridiques. Nous nous sommes occupés ci-dessus du fait juridique isolé. Par contre, le mariage, l'institution d'un tuteur, le transfert de la propriété, même le contrat d'agence, confèrent au mari, au tuteur, au propriétaire, au représentant, un faisceau de droits et obligations; ceux-ci pourront être à la base de la création d'une série de nouveaux rapports juridi­ques, qui se succéderont dans le temps; l'existence d'une telle insti­tution juridique durable est la condition requise pour que les nou­veaux rapports de droit puissent naître.

C'est peut-être la raison pour laquelle la Conférence, dans ce domaine, s'est penchée avec beaucoup plus d'attention sur la question de savoir ce qui se passe «après» la reconnaissance.

La Convention Mineurs, de 1961, remplaçant la Convention Tutelle, de 1902, règle comme son prédécesseur, la compétence des autorités — pour «prendre des mesures» — et la loi applicable. La Convention de 1902 disait: «... la tutelle s'ouvre et prend fin aux époques et pour les causes déterminées par la loi nationale du mi­neur» (art. 5) et: «L'administration tutélaire s'étend à la personne et aux biens du mineur...» (art. 6). Elle s'abstenait de dire quelque

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(33) La codification par traités en d.i.p. 369

chose sur la reconnaissance à l'étranger des tutelles «organisées». La Convention de 1961 dit avec autant de mots que les «mesures prises par les autorités compétentes en vertu des articles précédents (et il y a une hiérarchie des compétences qui admet que les autorités natio­nales de l'enfant dérogent aux mesures des autorités de sa résidence habituelle) sont reconnues dans tous les Etats contractants» (art. 7). Eile y ajoute (art. 3) que les rapports d'autorité résultant de plein droit de la loi de l'Etat dont le mineur est ressortissant sont reconnus dans tous ces Etats. Ce qui nous intéresse, c'est qu'en ce qui concerne les mesures, la Convention ne se contente pas de dire que celles-ci seront reconnues, mais elle y ajoute des règles précisant le contenu par une référence à la loi applicable. Tant les autorités de la résidence habituelle de l'enfant que ses autorités nationales, si elles agissent, «prennent les mesures selon leur loi interne» (art. 2, al. 2, et art. 4, al. 2):

«Cette loi détermine les conditions d'institution, modification et cessation desdites mesures. Elle régit également leurs effets tant en ce qui concerne les rapports entre le mineur et les personnes ou institutions qui en ont la charge, qu'à l'égard des tiers.»

Elle régit leurs effets; voilà une solution exhaustive. Citons encore une fois le rapport de M. de Steiger:

i «La loi interne de l'Etat de la résidence habituelle déterminera aussi les effets des mesures prises à l'égard d'un mineur, qu'il s'agisse des rapports entre le mineur et les personnes ou institutions qui en ont la charge (effets internes) ou des effets vis-à-vis des tiers (effets externes). Quant aux rapports internes, on peut citer, à titre d'exemple, la question de savoir si un mineur peut transférer sa résidence habituelle sans le consentement des autorités de tutelle. Quant aux effets externes, ce sont surtout les pouvoirs de représentation auxquels il faut penser. Ainsi, c'est la loi de la résidence habituelle qui dira si un tuteur peut acheter ou vendre des immeubles ou d'autres biens pour le compte du mineur, et si de pareilles transactions sont subordonnées au consentement d'une auto­rité tutélaire, d'un conseil de famille, ou non. Par ces règles la convention contribuera certainement à la clarté et la sécurité du commerce juridique, car il sera relativement facile, même pour des tiers résidant à l'étranger, de vérifier si, et dans quelle mesure, une personne a qualité pour agir au nom d'un mineur. C'est la loi de l'Etat de la résidence habituelle qui y répond, une seule loi, qui est d'ailleurs aussi celle en vertu de laquelle la personne en question (tuteur, curateur, personne à qui la garde est confiée) a été investie de ses pouvoirs.»

La Convention Sociétés dit que «la personnalité juridique acquise par une société sera reconnue» (art. 1er — bien entendu sous cer­taines conditions); «qu'en cas de transfert du siège, la continuité de

HT—1967 24

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la personnalité sera reconnue» (art. 3); «que la fusion entre sociétés sera reconnue». C'est surtout la reconnaissance de la personnalité juridique qui doit retenir notre attention. Qu'est-ce que cela veut dire, au juste?

L'article 5, sans épuiser la matière, contient quelques indications, mieux encore, met certains points à l'abri de toute discussion. Il donne une règle de conflits sur la capacité de la société, mentionne des droits qui pourraient lui être refusés et garantit à la personnalité reconnue quelques caractères minima. L'article 7 limite l'effet de la reconnaissance sur le plan du droit d'établissement par une référence à la loi de l'Etat de reconnaissance.

Nous nous trouvons par conséquent en présence d'une réglemen­tation fragmentaire des effets de la reconnaissance. Bien entendu, même dans le cas de la tutelle, on peut se demander quelle est au juste la différence entre le contenu de l'institution juridique reconnue et le contenu de la reconnaissance. Nous pensons que la reconnais­sance est la fenêtre dans la paroi intellectuelle séparant deux systèmes juridiques. Parfois la fenêtre n'est pas assez large pour faire passer en son entier l'institution reconnue. Nous y reviendrons.

Dans le cas de la Convention Sociétés, il est difficile de constater si la fenêtre est large ou petite. D'innombrables questions ayant trait à l'organisation interne de la société n'ont pas été résolues; men­tionnons également les pouvoirs des organes pour représenter la société envers le monde extérieur, ou la responsabilité de la personne morale pour les actes dommageables accomplis par ses préposés. Dans quelle mesure peut-on déduire des règles sur la reconnaissance, une règle de conflits, désignant la loi applicable à toutes ces ques­tions, une loi régissant si l'on veut le statut de la personne morale? La question a trouvé des réponses opposées: L'article 1er, le cas échéant en combinaison avec l'article 2, de la Convention désigne la loi selon laquelle la personnalité juridique doit avoir été acquise. Est-ce dire que cette loi régira également, dans les tribunaux de l'Etat de recon­naissance, la vie interne et externe de la société? Si la thèse a été maintenue,2 elle est certainement contraire aux intentions des délé­gations à la Septième session de la Conférence, lesquelles cherchaient

2. Henriquez, Het Vennootschapsstatuut, Dissertation, Haarlem, 1961, pp. 173 et suiv.

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(35) La codification par traités en d.i.p. 371

précisément la sagesse dans la restriction de leurs ambitions. Si on peut leur reprocher d'avoir fermé les yeux devant les rapports éven­tuels entre l'existence d'une société et son «statut», leur attitude s'explique parfaitement par le désir d'arriver à un résultat pragmati­que, résultat qui avait surtout pour objectif de démontrer la possibilité de marier les systèmes dits de l'incorporation avec les systèmes du siège réel. La solution a été trouvée dans une harmonisation des systèmes ne visant que la reconnaissance, et cela précisément parce que l'autre problème, celui de la loi applicable à la société, n'ap­paraissait pas encore comme mûr.3 La solution ne préjugerait pas la détermination de la loi régissant le statut personnel.

Déjà beaucoup moins explicite, l'avant-projet Reconnaissance divorce se borne presque uniquement à dire qu'un divorce sera — sous les conditions énumérées dans la Convention — reconnu.4

Un seul effet matériel de la reconnaissance est explicitement déter­miné par l'avant-projet: l'article 10 (devenu l'article 11 du Projet de Convention) dispose que la reconnaissance du divorce implique le droit au remariage (nonobstant l'empêchement qui pourrait découler du fait que la loi régissant la capacité au mariage refuse de recon­naître le divorce, et par conséquent exclut le remariage bigame).

La question des effets du divorce n'est pas si pressante, du mo­ment que l'avant-projet limite le champ d'application de la Conven­tion — et partant, croyons-nous, de la reconnaissance — comme elle le fait dans son article 1er, alinéa 2:

«Elle ne vise pas les mesures ou condamnations accessoires ordonnées, le cas échéant, par la décision de divorce ou de séparation de corps.» &

D'ailleurs, un lien dissous est dissous, et la vie reprend ses droits, ce qui semble justifier la brièveté extrême de l'avant-projet. On pourrait hésiter si, ainsi limité, le divorce ne pouvait être rangé dans la catégorie précédente, celle des incidents, parce qu'il ne crée pas de

3. Actes, VII, p. 187, et surtout rapport de M. L. A. Nypels, p. 367. 4. Le projet de Convention adopté par la XI<> session ne diffère guère sur ce point (acte final du 26 octobre 1968). 5. La Onzième session a été encore plus explicite: «La Convention ne vise pas les dispositions relatives aux torts, ni les mesures ou condamnations acces­soires prononcées par la décision de divorce ou de séparation de corps, notam­ment les condamnations d'ordre pécuniaire ou les dispositions relatives à la garde des enfants.»

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rapports de droit, mais y met fin. Toutefois, la même considération ne vaut pas pour les séparations de corps, soumises aux mêmes règles que la reconnaissance des divorces. Quoi qu'il en soit, ce qui nous intéresse ici, est le poids avec lequel on a chargé le terme reconnais­sance.

Bien qu'en principe nous n'examinions que les Conventions de La Haye, il est intéressant de mentionner ici à titre d'exemple une con­vention internationale qui va beaucoup plus loin dans l'application du système amorcé par Pavant-projet Reconnaissance divorce; nous pensons à la Convention de Genève du 19 juin 1948 relative à la reconnaissance internationale des droits sur aéronef. L'article 1er

contient l'obligation des Etats de reconnaître entre autres le droit de «propriété sur aéronef», l'hypothèque, le «mortgage», et tout droit similaire... à condition qu'ils soient institués conformément à la loi de l'immatriculation. Si la Convention désigne ainsi une loi ap­plicable à la constitution de ces droits et si l'article 2, sous 2, contient une solution analogue pour ce qui concerne les effets, à l'égard des tiers, des droits reconnus, la Convention prend soin de donner une réglementation détaillée sur la mise en œuvre des droits reconnus, par exemple les articles 4 (2); 4(4); 5; 6; 7 et 8, etc.

L'effet de cette solution nous paraît être qu'un droit sur aéronef, constitué en conformité avec la loi d'un pays donné, est régi par les dispositions de la Convention aussitôt qu'il est reconnu — importé — dans un autre Etat contractant et qu'au cours de l'importation, il est soumis à une réglementation nouvelle, c'est-à-dire qu'il est plus ou moins transformé.

9. L'élaboration de la Convention Adoption (voir, sur cette con­vention, les Actes, X, tome II) donna, à la Conférence, l'occasion de se rendre compte de la complexité du problème. Le motif avoué d'élaborer une convention internationale sur l'adoption était tout d'abord de créer de l'ordre dans le chaos tant juridique que matériel caractérisant l'adoption des enfants d'un pays par des résidents ou ressortissants d'un autre pays. Même en écartant le cas des trafics de bébés comme appartenant en premier lieu au domaine du droit pénal, où le phénomène doit plutôt faire l'objet d'une répression pénale par les autorités policières et judiciaires, il restait beaucoup de cas où

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l'adoption était mal organisée, où elle était dépourvue de contrôle relatif aux aspects humains, et où l'insécurité propre à toute situation mal protégée par des formes juridiques insuffisamment solides, par­fois même absentes, était la source de beaucoup de déceptions et de malheur humain.

H fallait donc créer des garanties d'ordre législatif pour éviter des placements d'enfants auprès de parents mal choisis, et pour empêcher que des adoptions ne soient créées qui, valables dans les Etats où elles étaient prononcées, ne seraient pas susceptibles de reconnais­sance dans d'autres. Les services sociaux consultés — dont nous mentionnons avec reconnaissance le Service social international à Genève6 — insistaient sur l'importance psychologique et du carac­tère définitif de toute adoption et de la rupture de tout lien avec la famille d'origine.

D'autre part il serait inadmissible que l'enfant adoptif occupe, dans la famille adoptive, une position d'infériorité.

Partant de ces idées fondamentales, le Bureau permanent mit sur pied un premier texte d'avant-projet dans lequel les adoptions inter­nationales étaient soumises à une procédure internationale engageant la collaboration des autorités du pays d'origine et du pays de desti­nation de l'enfant, et dans lequel les effets de l'adoption internationale étaient réglés par des dispositions indépendantes, des dispositions de droit international privé matériel.7

Dans des discussions que nous ne pouvons nous empêcher de considérer comme constituant la page noire de l'histoire récente de la Conférence, la Commission d'experts de 1963 — ayant pour tâche de préparer les travaux de la Session plénière de 1964 — rejeta l'idée d'insérer des dispositions de droit international privé matériel dans la Convention; plus tard, elle a eu tout lieu de regretter sa décision, mais on n'arriva plus à la solution préconisée par le

6. Cf. Observations du S.S.I., Actes, X, tome II, p. 65 (en anglais). 7. Cf. Actes, X, tome II, p. 27. Art. 23 et 24, le premier prononçant la rup­ture des liens avec la famille d'origine, l'autre réservant à l'enfant le statut d'un enfant légitime. Le collaborateur du Bureau permanent à cette époque, qui avait rédigé l'avant-projet et le rapport l'accompagnant était M. A. E. von Overbeck, occupant depuis 1964 la chaire de droit international privé à l'Université de Fribourg, en Suisse, auteur de l'article souvent cité: Les règles de droit international privé matériel, dans les Mélanges offerts aux profes­seurs Offerhaus et Kollewijn, De Conflictu Legum, Leyde, 1962, p. 362.

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Bureau permanent et la Commission d'Etat néerlandaise. Cette dé­cision confrontait la Conférence avec la difficulté de définir d'une façon ou d'une autre l'effet qu'aurait la reconnaissance dans un Etat contractant d'une adoption prononcée dans un autre Etat, bien en­tendu par une solution désignant la loi qui régirait ces effets. Le rapport de M. Roger Maul, Conseiller d'Etat, Conseiller à la Cour supérieure de Justice de Luxembourg, qui selon nous se range parmi les meilleurs rapports présentés à la Conférence par sa clarté et sa concision, fait l'inventaire des solutions proposées; sans compter les détails, on en arrive au nombre de quatorze.8

Le lecteur est renvoyé aux pages de ce rapport qui — soit dit en passant — illustrent les difficultés propres à une réunion composée des plus grands spécialistes de droit international privé. Indiquons cependant certaines des solutions avancées; il deviendra évident que plusieurs d'entre elles pèchent sur l'un ou l'autre point relatif à la sécurité du droit dans le sens très large.

La délégation allemande proposait de régler les relations de l'en­fant adoptif avec ses adoptants selon la loi qui aurait régi les rapports entre parents et enfant légitime. On se serait ainsi référé au droit in­ternational privé de l'Etat de reconnaissance, ce qui aurait eu pour conséquence que dans certains pays ces rapports étaient soumis à la loi nationale du père, dans d'autres à la loi nationale de l'enfant, dans d'autres encore à la loi du domicile des parents ou de l'enfant. Ainsi on aurait eu une sécurité du droit assez morcelée: si la famille dé­ménageait d'un pays à un autre, la situation de l'enfant risquait de changer. Et, n'oublions pas les caractères propres à la matière, les enfants adoptifs, plus encore que d'autres enfants, ont besoin d'une stabilité dans leurs relations avec leurs familles, respectée par leurs environs. Et même si, pour une raison ou une autre, la situation de l'enfant, autrement dit la reconnaissance de l'adoption, était soumise à l'appréciation des juges de divers pays, sans que la famille change de résidence habituelle, les décisions dans les divers pays auraient pu être contradictoires.

L'expert du Royaume-Uni avait cherché la prévisibilité de l'autre côté: il avait proposé de laisser déterminer les effets de la reconnais­sance par la loi interne de chaque Etat contractant. Cette proposition 8. A des, X, tome II, pp. 98 et suiv.

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aurait scindé — eu égard aux différences entre toutes les lois internes des divers Etats — l'adoption en autant d'institutions différentes qu'il y aurait d'Etats contractants; on aurait dû payer pour la prévisibilité un prix plus élevé encore que dans la proposition allemande. Cette dernière aurait seulement eu pour conséquence de diviser les Etats en quelques groupes, à l'intérieur desquels les pays auraient été unis par la même règle de conflits en matière d'enfants légitimes.

L'expert yougoslave fit une proposition ayant de toute façon l'avantage de la clarté et de la stabilité, proposition voulant appliquer aux effets de l'adoption la loi qui avait été appliquée par l'autorité prononçant l'adoption. Cela aurait été, dans l'économie de l'avant-projet, la lex fori, mais la solution aurait valu tout autant dans le cas où l'autorité aurait appliqué, en vertu d'une règle de conflits, une loi étrangère. L'avantage est évident: une fois adopté, l'enfant resterait pendant toute sa vie soumis au même régime législatif. On a fait valoir d'abord que, dans une famille ayant déjà un enfant, ou, ce qui arrive souvent, donnant naissance plus tard à un enfant légitime, ou ayant adopté plusieurs enfants dans divers pays, les relations de chacun de ces enfants avec leurs parents seraient différentes; c'est dire qu'on aurait compromis l'unité de la famille. En outre, on a objecté qu'avec cette solution, les rapports des enfants avec leurs parents pourraient rester régis par la loi d'un Etat avec lequel ils pourraient avoir perdu tout contact: le cas d'un ingénieur envoyé à l'étranger pendant quelques années, par exemple pour la construction d'un barrage, et qui y adopte un enfant. Cet argument ne nous a pas fait une très grande impression: l'adoption s'est de toute façon réali­sée grâce à l'intervention des services de surveillance et des autorités administratives ou judiciaires du pays de l'adoption.

La dernière proposition que nous voulons mentionner cherchait à trouver une solution mixte: les relations avec la famille d'origine seraient régies par la loi nationale de l'enfant (donc une règle de conflits), les rapports avec les parents adoptifs seraient ceux d'un enfant légitime (donc une règle de droit international privé matériel).

Déjà à la Commission spéciale de 1963, on a dû retomber sur un compromis laissant beaucoup à désirer. D'abord on a écarté de la Convention les effets en matière successorale; ensuite on a dit: «Les effets de l'adoption sont régis par la loi du statut personnel des

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adoptants» (art. 8 de l'avant-projet du 29 mars 1963). Autrement dit on provoquait de nouveau une division internationale en groupes de systèmes de droit international privé.

Le rapport de M. Maul sur les travaux de la Dixième session9 et sur la Convention Adoption nous démontre que même ce résultat maigre n'a pu être retenu. La Conférence a finalement résolu de se taire sur les effets et s'est contentée de stipuler la reconnaissance dans tous les Etats contractants. Un argument majeur qu'on a fait valoir pour nier l'importance de cette carence était le suivant: la situation de l'enfant adoptif, quant à sa protection et son éducation, ne varie guère dans les Etats Membres de la Conférence. Pour ce qui con­cerne sa situation en droit, cette question se posera souvent dans le cadre d'une autre question, en guise de question préalable. Si, par exemple, la loi applicable à une succession appelle les enfants adoptifs au partage, la Convention assurera à cet enfant que sa qualité d'en­fant adoptif ne peut pas être mise en doute.10

Assurément, la Convention apportera même sur ce point une amé­lioration sensible à la situation telle qu'elle existe sans convention; mais si nous pouvons applaudir sans réserves à l'heureuse solution par laquelle elle règle la compétence internationale et la façon dont elle a su harmoniser, en ce qui concerne les conditions de l'institu­tion, les lois nationales et celles de la résidence habituelle des adop­tants, et respecter en même temps certaines exigences de la loi na­tionale de l'enfant, le «silence d'or» sur les effets de l'adoption semble un résultat quelque peu maigre. Le terme «reconnaissance» doit supporter ici, comme dans le cas des sociétés, un poids assez con­sidérable.

10. Tout compte fait, nous retombons sur la question du sens juri­dique — ou si l'on veut intellectuel — de la reconnaissance. Est-ce qu'il peut y avoir une reconnaissance brute? Sur ce point il pourrait être utile de faire une incursion rapide dans un domaine où les termes «reconnaissance» et «reconnu» jouent traditionnellement un rôle important: la doctrine des droits acquis.

Sans vouloir nous prononcer sur le bien-fondé de cette doctrine en

9. Actes, X, tome II, pp. 413 et 414. 10. Cf. rapport Maul, Actes, X, tome II, pp. 411 et 412.

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(41) La codification par traités en d.i.p. 377

droit international privé ou sur les limites du domaine où elle devrait trouver son application, nous nous bornons à constater qu'elle prétend que des droits valablement acquis sous l'empire d'un système de droit étranger, dont l'application réclame une certaine prépondérance, seront reconnus.

La Loi uniforme Benelux, telle qu'elle fut annexée au Traité du 27 mai 1951, dans l'article qui portait le numéro 25 avant les nom­breuses modifications qu'on y apporta malgré la ratification luxem­bourgeoise, donne deux exemples de cette doctrine:

«Les droits acquis conformément aux dispositions de la présente loi demeure­ront reconnus, alors même que les circonstances qui ont déterminé la loi ap­plicable, viennent à se modifier ultérieurement.» «Lorsqu'un rapport juridique est né ou s'est éteint hors des Pays-Bas/de Bel­gique/du Luxembourg conformément à la loi applicable suivant le droit inter­national privé des pays que ce rapport juridique concernait essentiellement au moment de sa naissance ou de son extinction, cette naissance ou cette extinc­tion sont également reconnues aux Pays-Bas/en Belgique/au Luxembourg, même par dérogation à la loi applicable en vertu des dispositions de la présente loi.»

D'abord cet article proclame que la loi applicable est immunisée contre la Statutenwechsel, dans la mesure où elle donne lieu à la naissance ou à l'extinction «d'un droit». La difficulté de savoir en quoi consiste un «droit» acquis ne nous intéresse pas ici; l'exposé des motifs cherche le critère dans la fonction sociale du rapport juridique et mentionne comme exemples les droits réels, les droits de créances nés d'une convention ou d'un acte illicite. Le texte dit: «Les droits acquis... sont reconnus». L'alinéa 2 s'occupe d'une application in­téressante de ce que nous voudrions appeler le principe du «non-entêtement»: Si, dans une situation internationale, les systèmes de droit international privé des Etats plus étroitement liés u à la situation concordent pour déclarer applicable une loi autre que celle désignée par la règle de conflit de la Loi uniforme, le droit international privé du Benelux s'incline devant cette attitude commune. Au juste, l'alinéa en question ne parle pas de droits reconnus mais de «naissance et ex­tinction reconnues». Mais cela laisse de toute façon subsister le pro­blème de l'effet de la reconnaissance, dans la mesure où on aimerait

11. L'article semble présupposer qu'il y ait deux Etats plus étroitement rat­tachés; il semble ne rien dire sur le cas où les lois différentes désignées par des règles différentes conduisent quand même à un résultat concret identique.

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connaître le contenu du droit né — et peut-être également la situation de droit résultant de l'extinction.

H nous semble qu'il faut faire un choix entre plusieurs solutions, et c'est là que les discussions en matière de sociétés et d'adoption ont été très instructives. On peut opter pour l'opinion que la recon­naissance d'un rapport de droit ou d'une situation juridique, si ce rapport est importé de l'étranger, doit rester soumis à la loi qui a présidé à sa naissance; cela donne lieu à une rigidité qui, de toute façon, a effrayé les délégations à la Conférence. A l'autre bout de l'échelle, on trouve la reconnaissance comme conclusion intellectuelle qui n'est qu'une passerelle de transition, un pacte par lequel le plus clair d'une notion juridique passe d'un système à l'autre. Nous croyons que le chemin faisant la notion en voie de reconnaissance devra parfois changer d'habits. Nous croyons qu'on arrive ainsi à une conclusion vers laquelle semble également tendre l'évolution doctrinale en matière d'adaptation, évolution sur laquelle nous voudrions renvoyer à la doctrine. Nous n'avons pas la prétention d'avoir trouvé une réponse claire à la question que nous avons posée, mais nous avons cru qu'il était utile de la soulever.

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CHAPITRE IV

LIMITATIONS INTENTIONNELLES DU CHAMP D'APPLICATION DE LA RÈGLE UNIFIÉE

PAR CONVENTION

11. Une règle unifiée1 n'est pas encore une convention, car il faut que cette règle soit rattachée aux ordres juridiques des Etats contrac­tants et que son empire soit défini. L'instrument de prédilection dont se sert la codification internationale, le traité international, a des traits propres à lui qui, souvent, échappent à l'attention des prati­ciens, et qui néanmoins peuvent avoir une influence décisive sur l'application et surtout sur la non-application de la règle. Même si nous passons sous silence le fait qu'une convention, pour avoir son effet légal, doit être entrée en vigueur — bien que parfois, avant cette date, ses principes soient déjà appliqués par des tribunaux comme expression heureuse du droit moderne en évolution —, il reste un nombre de conditions et délimitations propres à la règle uni­fiée envisagée. Il importe d'en faire l'inventaire, car il s'agit du champ d'application de la règle unifiée.

Ce champ d'application peut être délimité à plusieurs égards; il ne l'est pas toujours, parce que, dans les conférences internationales, toute attention est absorbée par la règle matérielle, de sorte que les délégations ne font pas toujours attention aux aspects que nous allons traiter. Nous distinguerons le champ d'application (la délimitation ou le rattachement) matériel, dans le temps, «intranational», territorial, et vis-à-vis d'autres conventions (règles de conflits de conventions).2

La terminologie est d'ailleurs peu précise. Prenons l'exemple tiré de la Convention Aliments. Son article 1er '

pose la règle principale:

«La loi de la résidence habituelle de l'enfant détermine si, dans quelle mesure et à qui l'enfant peut réclamer des aliments.»

1. Pour des raisons de simplification rédactionnelle, nous utilisons l'expres­sion «règle unifiée» pour indiquer l'entier de la solution donnée à un problème de conflits de lois ou de juridictions. 2. Tout comme les règles de conflits, telles dispositions cherchent à prévenir d'avance les conflits possibles.

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Cette règle en soi, si son champ d'application n'était pas défini, poserait la question de savoir si, dans un Etat qui l'aurait ratifiée, les tribunaux devraient l'appliquer à toutes les réclamations qui pour­raient leur être soumises de la part de tous les enfants et envers tous les débiteurs.

S'il n'y avait pas de dispositions complémentaires, les tribunaux chercheraient sans doute la réponse dans le droit des gens, étant donné que l'unification se serait matérialisée par une convention interétatique. Ils risqueraient de retomber sur une règle, déjà aban­donnée aujourd'hui, suivant laquelle un Etat ne conclurait des traités que pour ses ressortissants et que «par conséquent» les ressortissants des Etats non contractants ne sauraient être visés par la règle édictée. L'idée semble naturelle à tous ceux qui se laissent impressionner par le caractère traditionnel des traités entre les nations, conclus après négociation. Elle est cependant erronée. L'objectif qu'ont en vue les Etats qui envoient des délégations à une Conférence de La Haye, est de travailler à l'unification progressive du droit. Ils sont prêts à modifier leurs systèmes de droit international privé et, si la conven­tion ne contient pas de dispositions ou indications claires d'une inten­tion de construire le nouveau droit sur une base de réciprocité, d'un quid pro quo, il s'ensuit que les limites des champs d'application de la règle convenue doivent, si l'on veut qu'elles existent, figurer expli­citement dans le texte de la convention. Un exemple servira à illus­trer ce principe fondamental.

12. La Convention Vente-Loi applicable contient des règles assez simples. Son article 7 dit:

«Les Etats sont convenus d'introduire les dispositions des articles 1 à 6 dans le droit national de leurs pays respectifs.»

Il est clair qu'une théorie selon laquelle les Etats contractants ne concluent des traités que pour défendre les intérêts de leurs ressortis­sants ne peut être conciliée avec cet article. Mais la question a été soulevée, à un certain moment, de savoir quel pourrait être l'intérêt d'un Etat contractant à voir appliquer les règles conventionnelles par un autre Etat contractant, dans un cas qui n'aurait aucun point d'at­tache avec la sphère juridique du premier Etat. Supposons qu'un tri­bunal n'applique pas, dans un litige entre un acheteur italien vivant à

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Paris et un vendeur belge établi à Bruxelles, la règle selon laquelle la loi du vendeur doit s'appliquer à leur contrat. Quelle peut être la raison, pour un Etat tiers — par exemple la Norvège, également Etat contractant — de considérer que ses intérêts ont été violés ? Le cas a été examiné aux Pays-Bas dans l'optique d'une application de la Convention du 29 mars 1931 pour reconnaître à la Cour perma­nente de Justice internationale (aujourd'hui Cour internationale de Justice) la compétence de décider des différends sur l'interprétation et l'application des Conventions de La Haye. On est arrivé à la con­clusion que tout Etat contractant à une convention internationale re­lative à l'unification du droit a un intérêt autonome de voir respecter l'unité dans les autres pays contractants. Dans l'exemple hypothéti­que que nous avons pris, cette unité serait compromise, ce qui don­nerait purement et simplement à la Norvège le droit de se plaindre de l'attitude prise par l'un des Etats co-contractants dans une affaire qui, pour le reste, ne l'intéresse pas.

Soulignons, pour plus de clarté, que nous nous trouvons dans le domaine de l'unification par convention. Nous savons que sur le plan du droit international privé non conventionnel, surtout aux Etats-Unis, des voix se sont élevées et des doctrines ont été avancées pour demander de justifier toute règle apportant exception à l'application de la lex fori, par des «overriding foreign governmental interests». Si les adhérents à cette théorie voulaient en tirer la conclusion qu'en collaborant à l'élaboration et à la conclusion des traités, les gouverne­ments ne font rien d'autre que de défendre leurs intérêts — avec pour conséquence des limitations présumées du champ d'application des règles convenues —, nous leur opposerions que cette théorie est dangereuse. En fait, elle contribuerait à l'obscurité et à la confusion entre les nations, parce que l'interprétation de ces limites non écrites varie nécessairement d'un Etat — d'un tribunal — à l'autre; tant le libellé de l'article 1er du Statut («l'unification progressive du droit international privé») que les pratiques de la Conférence démontrent qu'il faut rechercher les limitations du champ d'application des règles unifiées dans le texte de la Convention elle-même.

13. Pour toute règle de conflit, il faut une définition de la matière à laquelle elle se rapporte: testaments, tutelle, vente internationale.

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Dans la plupart des cas cette délimitation se trouve dans l'article 1er, souvent suivi d'une précision contenant des exceptions et des adjonc­tions au domaine matériel couvert par la règle. L'article 1er de la Convention Vente-Loi applicable illustrera ce point:

«La présente Convention est applicable aux ventes à caractère international d'objets mobiliers corporels.

Elle ne s'applique pas aux ventes de titres, aux ventes de navires et de bateaux ou d'aéronefs enregistrés, aux ventes par autorité de justice ou sur saisie. Elle s'applique aux ventes sur documents.

Pour son application sont assimilés aux ventes les contrats de livraison d'objets mobiliers corporels à fabriquer ou à produire, lorsque la partie qui s'oblige à livrer doit fournir les matières premières nécessaires à la fabrication ou à la production.»

Parfois la délimitation du champ d'application matériel est impli­quée dans la règle principale elle-même:

«La loi de la résidence habituelle de l'enfant détermine si, dans quelle mesure et à qui l'enfant peut réclamer des aliments.»

Une délimitation extrêmement globale, qui cependant a donné satisfaction à travers les époques, est contenue dans les articles 1er, 8 et 26 (on semble l'avoir oublié à l'article 17) des Conventions re­latives à la procédure civile de 1905 et 1954: «En matière civile et commerciale...» (ces articles sont placés chacun au début d'un chapitre).

Plus loin, la Convention apporte souvent des limitations addition­nelles, parmi lesquelles on peut distinguer entre plusieurs formes: les découpages horizontaux (certaines phases du rapport juridique en question), et verticaux (certains aspects du rapport juridique): «La présente Convention ne s'applique pas aux rapports d'ordre alimen­taire entre collatéraux» (art. 5, Convention Aliments). «La présente Convention ne s'applique pas: Io à la capacité des parties; 2° à la forme des contrats; 3°...» (art. 5, Convention Vente-Loi appli­cable). Nous n'avons pas besoin d'approfondir ces distinctions qui, en fait, reviennent toutes à des façons d'indiquer l'objet matériel de la règle unifiée. Notons en passant l'usage curieux de l'expression «La Convention ne s'applique pas à...» qui souligne que les auteurs identifient l'objet, la règle unifiée, avec l'entier de la Convention, ce qui dans certains autres cas a prêté à confusion.

14. Une deuxième délimitation concerne l'application de la règle

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(47) La codification par traités en d.i.p. 383

unifiée dans le temps. Il est préférable que toute convention con­tienne une indication du moment à partir duquel le nouveau régime déploiera ses effets, du moins si l'on veut épargner aux utilisateurs des problèmes de droit intertemporel. Il est vrai que certaines conven­tions ne contiennent pas de telles clauses; nous le regrettons, pour des raisons de sécurité du droit.

La Convention Mineurs dit (art. 17): «La présente Convention ne s'applique qu'aux mesures prises après son entrée en vigueur.» La Convention Testament (art. 8): «La présente Convention s'applique à tous les cas où le testateur est décédé après son entrée en vigueur. » 3

On voit — soit dit entre parenthèses — que par cette règle on fait prévaloir la volonté du testateur même lorsque le testament, à l'époque où il a été fait, était nul parce que les règles convention­nelles imprégnées de la favor testamenti ne s'appliquaient pas en­core. Autrement dit la règle fait fi des expectations des éventuels héritiers ab intestat, parce que le testament, devenu valable, a pour effet de réduire leur quote-part; et pour cause, étant donné que le testateur vivant, l'expectation n'était pas encore un droit.

Cette parenthèse nous permet toutefois de reconnaître un autre aspect des conflits de lois dans le temps, pris dans un sens plus général, à savoir la modification intervenue dans les points de rat­tachement soit par une action intentionnelle d'un intéressé visant à un effet spécifié (le «legal kidnapping», par exemple où un enfant est amené à l'étranger dans le but manifeste de créer la compétence d'une autre juridiction appliquant, par le jeu d'autres règles de con­flits, une autre loi interne), soit comme conséquence accessoire d'une telle modification à portée plus générale comme le déplacement d'un domicile ou la naturalisation. Nous avouons qu'il pourra être extrê­mement difficile de distinguer les deux catégories; ce qui aujourd'hui est considéré comme une manœuvre frisant la fraude à la loi — insti­tution à laquelle nous avons quelques difficultés à croire, précisément en raison de l'argument que nous sommes en train de développer — peut devenir demain, dans le kaléidoscope de la vie humaine, un élément dominant la situation générale, à tel point que le but recher-

3. Le caractère favorable à la validité de la Convention est encore illustré par le fait qu'on n'a pas voulu utiliser la rédaction traditionnelle «ne s'applique . . . que*.

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384 M. H. van Hoogstraten (48)

ché n'a plus rien d'artificiel. Si une personne, aux fins d'obtenir un divorce, se fait naturaliser dans un pays étranger, toute tension poli­tique surgissant entre le pays d'origine et le pays étranger peut l'ex­poser à des mesures de droit public comme l'appel sous les drapeaux ou, dans son pays d'origine, des mesures de séquestration. Le dépla­cement à l'étranger du siège de la société, qui est le vêtement juri­dique de son entreprise, peut faire que celle-ci sera frappée par d'autres impôts et, dans une crise économique, par les restrictions im­posées aux transferts internationaux de ses avoirs. Nous croyons que la création artificielle de points de rattachements ne peut être taxée de manœuvre ou de fraude à la loi que lorsqu'on est disposé à considérer le rapport de droit en discussion (le divorce, les droits des action­naires, la validité de testaments) comme étant un incident isolé. Mais alors on le découpe de toute la texture des risques et conséquences juridiques auxquels est exposé tout individu tant qu'il reste vivant, en fermant les yeux devant le contexte social des points de rattache­ments eux-mêmes. Le fait qu'une catégorie des points de rattache­ments se prête à être créée facilement par l'intéressé, comme par exemple le lieu d'un acte si l'intéressé se sent attiré par la loi interne de ce lieu {lex loci actus), est l'indication même de l'indifférence du droit international privé vis-à-vis des circonstances qui ont déterminé le lieu pour l'accomplissement de l'acte.

Bien entendu, et nous avons déjà eu l'occasion de toucher à ce point à la fin du chapitre précédent, la solution des conflits de lois dans le temps, qui donne préférence à l'application de la loi désignée par les points de rattachements ultérieurement nés ou créés, pourrait trouver une correction utile d'une envergure plus limitée, mais qui serait, à ce qu'il nous semble, inspirée de la même ratio legis que la théorie de la fraude à la loi; nous pensons à la réserve des droits ac­quis et à l'article 25 ancien, alinéa 1er, de la loi Benelux. Les Conven­tions de La Haye cependant n'ont pas encore approfondi ce point.4

15. Toutes les Conventions de La Haye connaissent une clause d'ap­plication territoriale. Nous ne nous attarderons pas à l'examen des

4. Bien entendu, les dispositions de la Convention Vente-Transfert de pro­priété respectent dans les articles de fond les droits acquis, mais elles tranchent les conflits de lois dans le temps; ici nous nous occupons du conflit de la Con­vention avec le droit international privé commun des Etats.

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(49) La codification par traités en d.i.p. 385

diverses formules utilisées, qui ont évolué depuis la règle que la Con­vention s'applique de plein droit «aux territoires européens des Etats contractants», règle devenue évidemment inutilisable lors de l'ad­hésion d'Etats non européens à la Conférence,6 à la formule «aux territoires métropolitains des Etats contractants», les deux assortis d'une clause ouvrant aux Etats la faculté d'étendre l'application «aux territoires, possessions, et colonies situés hors de l'Europe», avant 1914, ou à «des autres territoires dont les relations internationales sont assurées par lui» (à partir de 1951), pour en arriver enfin, à partir de 1960, à une rédaction dont tout élément de discrimination a été éliminé: «que la Convention s'étendra à l'ensemble des territoires qu'il représente sur le plan international, ou à l'un ou plusieurs d'entre eux». Il est cependant utile de se pencher un instant sur les effets de ces clauses, qui ne sont pas à première vue très clairs.

Prenons le cas simple des Pays-Bas, depuis 1954 un Royaume composé de trois parties équivalentes: la Hollande,8 le Surinam et les Antilles néerlandaises. A supposer que les Pays-Bas ratifient pour la Hollande, mais pas pour le Surinam, quelle sera la situation en ce qui concerne l'application de la convention? Tout d'abord, il faut constater que la convention n'étant pas applicable au Surinam, les autorités judiciaires et administratives ne l'appliqueront pas;7 elle ne fait pas partie du droit de ce pays. En conséquence les autorités du Surinam ne seront pas les autorités d'un Etat contractant, leurs dé­cisions ne seront pas reconnues dans les «autres» Etats contractants. Les personnes ayant leur domicile ou résidence habituelle au Surinam ne l'auront pas sur le territoire d'un Etat contractant, un acte accom­pli sur ce territoire ne sera pas accompli sur un territoire conven­tionnel. Puisqu'il s'agit de l'application territoriale de la Convention, nous estimons que la question des limites territoriales d'application se pose au début de tout raisonnement.

Il y a parfois une certaine confusion dans le cas où la situation de fait a des rattachements réels au Surinam, mais que ces rattache­ments ne jouent aucun rôle dans la règle unifiée. Prenons le cas où

5. Japon 1904, République arabe unie 1962, Etats-Unis 1964, Israël 1964, Canada 1968. 6. Nous utilisons cette indication inofficielle pour éviter des équivoques. 7. Hors des cas où elle entrera en ligne de compte dans le cadre d'une ques­tion préjudicielle ou préalable.

IH—1967 25

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un Néerlandais, domicilié en Hollande, décède dans son pays en possédant des immeubles au Surinam. Supposons l'existence d'une convention qui soumette la succession entièrement à la loi nationale. La dévolution sera dans ce cas régie par la loi néerlandaise, même pour les immeubles situés hors de Hollande, et ce sera notamment une erreur de conclure à la non-application de la loi néerlandaise (et, à travers des règles de conflits interrégionaux de la loi hollandaise, du Code civil néerlandais), pour la raison que la convention ne s'applique pas au Surinam. Le problème devient plus compliqué si le défunt possédait bien la nationalité néerlandaise commune au Royaume en son entier, mais avait son domicile au Surinam. Dans ce cas, le droh interrégional néerlandais prescrirait l'application du Code civil suri-namois. Si la convention limite elle-même, par une règle expresse,8

son champ d'application aux cas où ses dispositions conduisent à l'ap­plication des lois des Etats contractants, le problème peut être con­sidéré comme étant résolu — la loi interne du Surinam n'étant pas la loi d'un territoire où la convention s'applique; mais dans les autres cas, la question peut être posée de savoir si la limitation du champ d'application territorial à la Hollande ne devra pas en soi entraîner une limitation de la convention aux Néerlandais domiciliés en Hol­lande. Nous sommes inclinés à croire qu'il s'agit ici d'un domaine où la décision dépend largement du caractère de la convention, tel qu'il sera déterminé selon les éléments de réciprocité incorporés dans la convention. Nous n'approfondissons pas ce point parce que nous entendons analyser et classer ces éléments plus loin.9

16. L'exemple nous conduit directement à une catégorie de limita­tions du champ d'application des règles convenues de droit interna­tional privé, qui est moins simple et qui mérite d'être analysée en détail. H s'agit de ce que nous voulons appeler le «champ d'applica­tion intra-national», autrement dit de la façon dont la règle unifiée a été rattachée aux Etats contractants.

Certaines conventions sont entièrement dépourvues de telles limi­tations, parce qu'elles établissent des règles générales de droit inter­national privé. Ce phénomène se manifeste différemment selon les conventions: la Convention Vente-Loi applicable dit (art. 7):

8. Voir infra, p. 390. 9. Voir l'exposé infra, n°s 16 et 17.

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(51) La codification par traités en d.i.p. 387

«Les Etats contractants sont convenus d'introduire les dispositions des ar­ticles 1 à 6 de la présente Convention dans le droit national de leurs pays respectifs.»

Cette rédaction a donné lieu à l'interprétation erronée que la Con­vention ne pouvait avoir d'effet dans les Etats contractants qu'après la promulgation d'une loi portant introduction des dispositions des articles 1 à 6: le principe a été exprimé d'une façon quelque peu plus compliquée, mais peut-être plus précise, par l'article 6 de la Conven­tion Testaments:

«L'application des règles de conflits établies par la présente Convention est indépendante de toute réciprocité. La Convention s'applique même si la na­tionalité des intéressés ou la loi applicable en vertu des articles précédents ne sont pas celles d'un Etat contractant.»

Ce texte est encore le reflet de l'ancienne théorie ci-dessus rejetée, selon laquelle un Etat ne conclurait des conventions que pour régler la situation de ses propres ressortissants. Le libellé apparaît un peu incomplet: pourquoi n'a-t-on pas mentionné, à côté de la référence à la nationalité de l'intéressé, que ni le domicile, ni la résidence habi­tuelle des intéressés, ni le lieu de confection du testament ne doivent nécessairement se trouver dans un Etat contractant? La dernière convention du même genre, le projet de Convention Accidents cir­culation,10 est déjà plus moderne, parce qu'elle a supprimé la réfé­rence à la nationalité des intéressés. A notre regret, aussi bien la Convention Exécution générale que la Convention Election de for (1965) utilisent encore une rédaction archaïque:

«La présente Convention s'applique sans égard à la nationalité des parties (quelle que soit la nationalité des parties).»

Du moment que la Convention contient un élément de réciprocité, c'est-à-dire qu'on y trouve, pour ce qui concerne le champ d'appli­cation de la règle unique, une distinction entre Etats contractants et Etats non contractants, cet élément peut s'exprimer de plusieurs façons; pour illustrer cette diversité, nous ne nous limiterons pas uniquement aux Conventions de La Haye.

L'élément le plus restrictif semble être le système de la Convention Adoption qui exige (art. 1er), pour que celle-ci puisse s'appliquer, qu'aussi bien le ou les adoptants que l'adopté possèdent la nationalité

10. Voir Acte final, Onzième session, partie A, sous II.

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de l'un des Etats contractants et qu'ils aient leur résidence habituelle dans l'un de ces Etats. Une forme mitigée du même système figure dans la Convention Renvoi, où la non-application est facultative:

«Aucun Etat contractant ne s'oblige à appliquer les dispositions de la présente Convention, lorsque l'Etat, où la personne intéressée est domiciliée, ou l'Etat, dont cette personne est ressortissante, n'est pas un Etat contractant.»

La Convention Mariage est, d'une part, plus libérale en ce qu'elle s'applique (art. 8) à des mariages entre des personnes dont une au moins est ressortissante d'un des Etats contractants mais, d'autre part, plus restrictive en ce qu'elle ne s'applique qu'aux mariages célé­brés sur le territoire des Etats contractants et que, dernière condition, «aucun Etat ne s'oblige... à appliquer une loi qui ne serait pas celle d'un Etat contractant».

La limitation aux nationaux trouve une contrepartie intéressante dans le Protocole de Genève en matière d'arbitrage (1923), dans son article 1er: chacun des Etats contractants reconnaît la validité du compromis conclu entre des parties soumises respectivement à la juridiction d'Etats contractants différents.

Le sens exact de cette formule est difficile à déterminer, celle-ci a été adoptée très probablement par le fait que dans le contexte du droit international privé du Royaume-Uni la notion de la nationalité ne joue pas un très grand rôle; il est permis de supposer que, dans le sens du Protocole, une personne domiciliée en Angleterre soit con­sidérée comme soumise à la juridiction du Royaume-Uni.

Si la Convention Mariage dispose, comme l'une des trois condi­tions, que le mariage soit célébré dans un Etat contractant, la Con­vention de Bruxelles en matière de connaissements se borne à poser la condition territoriale suivante (art. 10):

«Les dispositions de la présente Convention s'appliquent à tout connaissement créé dans un des Etats contractants.»

De même la Convention Légalisation (1960), dans son article 1er, a un rattachement territorial (en réalité il s'agit d'un rattachement double):

«La présente Convention s'applique aux actes publics qui ont été établis sur le territoire d'un Etat contractant et qui doivent être produits sur le territoire d'un autre Etat contractant.»

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(53) La codification par traités en d.i.p. 389

On peut rapprocher de cette solution la situation de la Convention Sociétés (art. 1er): «La personnalité juridique acquise par une société... en vertu de la loi de l'Etat contractant où les formalités d'enregistrement ou de publicité ont été remplies...»

La Convention Mineurs consacre, en fonction de sa vocation so­ciale, un système rattaché à la communauté dans laquelle est intégré l'enfant (art. 13): «La Convention s'applique à tous les mineurs qui ont leur résidence habituelle dans un des Etats contractants.» Elle permet cependant aux Etats de faire une réserve selon laquelle ils limiteront l'application de la Convention (art. 13, al. 3): «aux mineurs qui sont ressortissants d'un des Etats contractants».

Un rattachement à l'Etat dont la loi interne a présidé à la naissance d'un rapport de droit se trouve dans le second alinéa de l'article 1er

de la Convention Sociétés:

«La personnalité juridique acquise sans formalité d'enregistrement ou de publicité . . . sera reconnue de plein droit si la société . . . a été constituée selon la loi qui la régit.»

Nous estimons que cette disposition devra être interprétée comme si les termes «d'un Etat contractant» y figuraient. L'article 3 de la Convention Mineurs, assurant la reconnaissance des rapports d'au­torité «résultant de plein droit de la loi interne de l'Etat dont le mi­neur est ressortissant», ne contient pas non plus une limitation aux Etats contractants; et, vu le but social de la Convention ainsi que son article 3, alinéa 2, il ne nous semble pas permis de supposer une telle limitation; l'article 13 prononce un rattachement aux Etats contrac­tants uniquement pour les autorités nationales.

Toute une série de Conventions de La Haye ont trait à la recon­naissance et l'exécution des jugements étrangers; citons la Conven­tion For contractuel-Vente (1958) et la Convention Election de for (1965), la Convention Exécution générale et la Convention Aliments-Exécution. Dans ce domaine, la Conférence a pris une attitude large et heureuse par sa clarté: tout jugement sera déclaré exécutoire, pourvu qu'il ait été rendu dans un des Etats contractants, et ni la nationalité des parties, ni leur résidence habituelle, ni l'objet du litige ont besoin d'être localisés dans un Etat contractant. Tel est sans doute le sens des articles 3 de la Convention Election de for et de la Convention Exécution générale selon lesquels les Conventions s'ap-

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pliquent «quelle que soit la nationalité des parties» ou «sans égard à la nationalité des parties». Nous espérons qu'aucun juriste ne cher­chera à tirer un argumentum a contrario mal avisé de l'absence de tout article pareil dans les Conventions de 1965 et 1958!

Enfin le projet de Convention Reconnaissance divorce (1968) «s'applique à la reconnaissance, dans un Etat contractant, des divor­ces et séparations de corps qui sont acquis dans un autre Etat con­tractant».

Nous avons vu que le rattachement aux Etats contractants peut se faire selon divers critères: ratione personae (nationalité ou résidence habituelle),11 ratione loci (les actes accomplis sur' les territoires), ratione magistratus (les actes des autorités, judiciaires ou autres).

A tout ce groupe, on peut opposer un autre critère, celui du résul­tat auquel mènera l'application d'une règle de conflits. L'article 8, alinéa 2, de la Convention Mariage, de même que l'article 10 de la Convention Effets du mariage, stipule que la Convention ne s'appli­quera pas lorsque «la loi qui devrait être appliquée ne serait pas celle d'un Etat contractant». La même solution a été choisie dans la Con­vention Aliments (art. 6):

cLa Convention ne s'applique qu'aux cas où la loi désignée par l'article 1er est celle d'un des Etats contractants.» H y a une nuance par rapport aux deux Convention précédentes, parce que la limitation ne porte pas sur tout le régime conven­tionnel; elle est restreinte à la disposition contenue dans l'article 1er; l'article 3 peut avoir pour effet que l'application de la loi d'un Etat non contractant devienne obligatoire.

Pour compléter le tableau, nous mentionnerons les conventions dont il a déjà été question auparavant, à savoir celles qui, sans com­porter aucun élément de réciprocité, contiennent des règles de con­flits destinées à devenir partie intégrante du droit international privé national: les Conventions Vente-Loi applicable, Testaments et le projet de Convention Accidents circulation.

17. On a avancé plusieurs motifs pour l'introduction de telles limi­tations, autrement dit pour mettre sur pied une réglementation ne s'appliquant que sur une base de réciprocité. Dans l'ancienne optique,

11. Bien que la résidence habituelle soit en soi un rattachement local, nous l'avons examinée ici dans sa fonction de qualité requise d'une personne.

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où les Etats négociaient pour leurs ressortissants, l'idée était natu­rellement de procéder aux échanges de prétendus bénéfices: «J'ap­pliquerai votre loi à vos nationaux, à condition que vous appliquiez ma loi aux miens.» Un autre motif plus général s'oppose à toute obli­gation d'appliquer des lois étrangères, tant qu'on n'a pas reçu les assurances que la loi nationale sera appliquée, dans les cas inverses, par l'Etat étranger. Un troisième argument est la constatation qu'à la Conférence un Etat — du moins sa délégation — rencontre des «»contractants potentiels dont il connaît la loi interne et qu'il est disposé à appliquer le cas échéant. Mais les législations des Etats qui ne sont pas Membres de la Conférence — nous nous bornons à men­tionner l'argument — peuvent contenir toutes sortes de dispositions à peine acceptables, et il est difficile de concevoir que la convention vienne obliger les Etats contractants à appliquer un droit susceptible de contenir des surprises désagréables.

Le dernier motif a été trouvé dans la considération que l'élément de réciprocité, même dans sa forme la plus atténuée — soit celle ne visant que le résultat de la règle de conflits, la limitation aux lois des Etats contractants — agirait comme stimulant sur les Etats pour qu'ils deviennent partie contractante et assurent ainsi à leur propre loi interne un domaine d'application accru. Le poids de ces diverses considérations varie selon les matières faisant l'objet des conventions, mais leur valeur est bien mise en évidence lorsqu'on se rend compte que souvent les tribunaux, dans des cas exclus par les limitations, ont déclaré les principes des conventions applicables, dans un cas donné, parce qu'ils voyaient dans la convention l'expression d'un nouveau principe valable dans toutes les relations avec d'autres pays «civi­lisés». Ainsi, le système soigneusement conçu et construit par les experts est parfois écarté par les tribunaux comme étant superflu. Il va de soi que cela ne peut évidemment se produire lorsque le tribunal veut étendre le champ d'application de la règle unifiée, c'est pour­quoi nous croyons que les délégations à la Conférence ne pourront que se féliciter de voir ainsi leur prudence privée d'effets.

Le désir des gouvernements de ne pas être exposés à des surprises se reflète dans un autre groupe de dispositions relatives au domaine d'une convention internationale, à savoir celle sur le caractère ouvert ou fermé d'un traité. La terminologie est facile à comprendre. Une

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convention, à laquelle un Etat qui n'était pas représenté à la Con­férence où le texte a été «négocié» ou qui n'a pas été expressément admis à la signature et à la ratification, et ne pourra pas devenir partie par adhésion, est qualifiée de «fermée». Une convention, per­mettant à tout autre Etat le désirant d'y adhérer, est dite «ouverte». H y a des possibilités intermédiaires: parfois l'adhésion doit avoir l'assentiment explicite12 ou tacite (absence d'opposition) de tous les Etats parties à la convention (ce qui revient à un droit de veto pour chacun d'entre eux); nous appellerons ces conventions «à trois quarts fermées». Dans d'autres conventions, l'adhésion de nouveaux Etats est possible, mais ses effets dans les rapports avec chacun des divers Etats contractants sont individualisés; ils dépendent soit de l'assenti­ment explicite de ces Etats — les conventions à moitié fermées — ou de l'absence d'opposition de leur part — les conventions «à trois quarts ouvertes».

18. Sans vouloir approfondir cette matière, nous tenons à faire ob­server que les motifs à la base d'un système de réciprocité peuvent — mais ne doivent pas nécessairement — correspondre à une atti­tude plus ou moins restrictive à l'adhésion d'Etats tiers.

En principe, les conventions contenant des règles générales de droit international privé, par leur absence de tout rattachement «in­tranational», de tout élément de réciprocité, pourraient être ouvertes. Si, parfois, elles ne le sont pas, c'est à cause des instructions d'ordre politique ne pouvant entrer dans notre analyse. D'autre part, les con­ventions à système de réciprocité peuvent être ouvertes, semi-ouvertes ou à un quart ouvertes (trois quarts fermées) à l'adhésion d'Etats tiers; si elles sont ouvertes il n'y a aucune restriction à appliquer les lois ou à exécuter les jugements des Etats tiers; seulement, on a voulu que le système de réciprocité pousse les Etats à devenir parties à la convention, dans l'intérêt d'une unification. Cette considération ainsi formulée a une résonance plus ou moins creuse, mais on peut y trouver une certaine valeur concrète si l'on se rend compte que pour tout gouvernement qui a dépensé beaucoup de temps et d'activité

12. Se. dans le cadre du texte; il va de soi que les Etats contractants peuvent toujours, par un traité ou un protocole additionnel admettre de nouveaux Etats dans le cercle des contractants.

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pour mettre en marche la machine législative, dans le but de faire adopter par son pays une règle unifiée, il y a un intérêt réel à voir s'agrandir le champ d'application territorial de la convention en question.

Il faut reconnaître cependant que les différences entre les divers degrés du caractère ouvert ou fermé sont assez théoriques; du moins dans la pratique de la Conférence, des oppositions à l'adhésion sont jusqu'ici inexistantes. Apparemment les Etats de la Conférence ne veulent pas, sur le plan d'unification du droit international privé, ar­rêter le progrès, même si cela risque de les lier à des Etats qu'ils n'auraient pas choisis en premier lieu comme partenaires. Les Con­ventions de La Haye des années 1900 (1902) et 1904 (1905) étaient conçues comme conventions fermées; à cette époque, on se laissait guider par la philosophie de l'union juridique, plus fortement impré­gnée d'une attitude d'exclusivisme, en voie d'être abandonnée actuel­lement par l'évolution des communications mondiales et des concep­tions politiques. Lorsqu'en 1923, on a cherché l'accord des Etats parties aux Conventions de La Haye existantes en vue d'une trans­formation de ces conventions en des instruments ouverts à l'adhésion d'Etats tiers, la position prise par la France a amorcé une nouvelle philosophie qui, bien que battant en brèche l'idée de l'union intégrée, fait clairement état du souci de ne pas créer des entraves à l'épanouis­sement de l'œuvre de la Conférence. La France n'a pas refusé son accord au Protocole de transformation,13 mais a stipulé que les adhé­sions n'auraient pas l'effet de créer des rapports entre l'Etat adhérant et la France.

L'évolution commencée par cette prise de position s'est pour­suivie lorsqu'à la Septième session (1951) on a introduit dans la Convention Sociétés le système à trois quarts ouvert (art. 13, al. 4). Il a conduit à une technique qui s'introduit même dans les relations entre les Etats signataires — à la différence de la position des Etats adhérant ultérieurement — et qui est digne d'être examinée en détail; nous voulons parler du procédé dit de la bilatéralisation.

19. Cette technique, dont le brevet d'invention revient à l'esprit plein de ressources du délégué belge, M. Paul Jenard, repose sur la 13. Protocole de transformation, La Haye, 28 novembre 1923.

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considération suivante: le nombre d'Etats Membres de la Conférence s'est accru et continuera à s'accroître. Si, autour de l'année 1900, le nombre d'Etats représentés à la Conférence était assez limité et les différences entre les systèmes de droit appartenant tous à la famille germano-romaine étaient relativement peu profondes, la Conférence se compose aujourd'hui d'Etats beaucoup plus hétérogènes. En outre, la matière de l'exécution des jugements étrangers, où la bilatéralisa-tion a été adoptée pour la première fois, est considérée traditionnel­lement comme étant de nature délicate. Pourquoi alors chercher à maintenir le système d'un traité collectif qui créerait des obligations identiques entre tous les Etats contractants ? On risquait de voir les Etats qui n'oseraient pas encore entrer dans des relations de ce genre avec tous les Membres de la Conférence renoncer à souscrire au traité !

Un système qui permettrait aux Etats, par le jeu d'une réserve, d'énoncer les Etats avec lesquels ils désireraient exclure des relations, aurait un caractère discriminatoire et serait à rejeter à cause des im­plications politiques. La technique choisie dans la Convention Exé­cution revient par contre au système inverse: la naissance des obli­gations conventionnelles se poursuivra en deux temps: d'abord la signature et la ratification de la convention cadre, par laquelle les Etats créent une machinerie juridique qui leur permet de mettre en œuvre le régime convenu selon une procédure simplifiée dans des relations bilatérales avec les partenaires de leur choix. L'article 21 l'exprime dans les termes suivants:

«Les décisions rendues dans un Etat contractant ne seront reconnues ou décla­rées exécutoires dans un autre Etat contractant, conformément aux disposi­tions des articles précédents, que si ces deux Etats après être devenus Parties à la Convention en sont ainsi convenus par accord complémentaire.»

Ce système est en soi assez révolutionnaire. La question a notam­ment été posée de savoir quelle était l'utilité, voire même le contenu d'une convention internationale, si l'on faisait dépendre ses effets de la conclusion d'accords supplémentaires. Etait-il possible de conclure une convention qui n'obligerait les Etats contractants à rien ? Le rap­port du comité restreint ad hoc de M. Jenard14 y répond de façon

14. Ce rapport sera reproduit dans les Actes et documents de la Session extra­ordinaire.

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assez nette: après la ratification de la convention, les Etats auront accepté l'obligation de ne pas créer entre eux — sauf dans les cas exceptionnels définis par l'article 25 — de conventions ayant un contenu sortant du cadre de la convention. Dans certains Etats, la ratification de la convention peut en outre autoriser les gouverne­ments à conclure des accords complémentaires sans avoir à recher­cher de nouveau une approbation parlementaire; dans d'autres, ce­pendant, le choix du partenaire peut être considéré comme étant si essentiel que les Parlements désireront se réserver l'approbation des accords complémentaires.

L'avantage de la technique de la bilatéralisation est double. Tout en respectant les réalités politiques, il crée les conditions d'une uni­fication générale des différentes relations bilatérales entre les Etats. En outre, la ratification du traité implique pour les parties une base agréée sur laquelle, après un minimum de négociations — le grand morceau du travail a déjà été fait à la Conférence —, des séries d'ac­cords bilatéraux peuvent être construits. Pour bien apprécier cet avantage, on n'aura qu'à se rendre compte de la situation des ad­ministrations nationales, qui pourront dorénavant éviter des absences prolongées de leurs hauts fonctionnaires, absences inévitables au­jourd'hui, parce que toute nouvelle convention bilatérale doit être négociée inde ab ovo.

Telle est l'idée à l'origine du système adopté par la Convention1S

Exécution générale; son principe a cependant été compliqué — ou, selon les goûts, amélioré — par une deuxième innovation.18 L'accord complémentaire fournit aux Etats contractants l'occasion de com­pléter les dispositions de la convention et, sur certains points, même de les préciser ou de les modifier. Cela donne au régime créé par la convention une certaine souplesse, en y ajoutant des éléments varia­bles. L'article 23 enumere de façon exhaustive un nombre de vingt-trois possibilités de variantes." Il s'agit cependant de modifications qui, dans la perspective de la convention, n'ont qu'un caractère se-

15. L'instrument sera signé au début du mois de mars 1969; c'est alors qu'il deviendra une Convention. 16. Les Conventions relatives à la procédure civile donnaient déjà aux Etats contractants le droit de compléter le régime conventionnel par des ententes bilatérales (par exemple art. 1, al. 4, art. 3, 6, 7,15 et 16). 17. Les possibilités sont numérotées de 1 à 22, avec un chiffre ibis.

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condaire; de toute façon, leur admission n'invalide point la considé­ration avancée ci-dessus relative à l'effet qu'a la convention d'imposer aux Etats un régime uniforme dans ces traits principaux. D'autre part l'élément de variabilité introduit dans le corps de la convention a eu pour conséquence heureuse que la convention n'admet aucune réserve.

La solution trouvée par la Conférence est d'autant plus intéres­sante que d'un côté elle se distingue nettement, bien qu'elle s'en rapproche, d'une autre méthode qui avait été préférée à la Sixième session (1928) et en faveur de laquelle des voix s'étaient également élevées en 1964. Ladite session avait élaboré une convention modèle, laquelle n'était pas destinée à être signée et ratifiée comme conven­tion multilatérale, mais qui pouvait servir de modèle aux Etats qui désiraient conclure un traité bilatéral. On a pu constater en effet que le modèle a été suivi de près par nombre de traités bilatéraux des années précédant la seconde guerre mondiale.18 Bien qu'il soit trop tôt pour prédire si le projet de 1966 acquerra un grand nombre d'ad­hésions, les augures sont favorables; nous espérons que la compa­raison des résultats des deux méthodes donnera plus tard raison aux auteurs de la bilatéralisation de la convention.

20. Une dernière méthode de travail sort du cadre de l'unification par convention: nous pensons au procédé des lois — et non pas des conventions — modèles. La délégation des Etats-Unis avait attiré l'attention sur la méthode de travail d'une institution américaine, dans laquelle se réunissent les Etats de l'Union et qui, dans la mesure où elle s'occupe de l'unification des conflits de lois, a plusieurs traits en commun avec la Conférence, à savoir la National Conference of State Commissioners on Uniform Laws.19 Elle avait exposé que l'accord atteint dans cette organisation ne s'exprime point dans un instru­ment interétatique, mais qu'il est repris par les Etats individuels dans leurs législations internes, bien entendu seulement lorsque les or­ganes législatifs de l'Etat en question estiment utile de les reprendre. Selon la délégation américaine, la différence avec la méthode tradi-

18. Voir Jellinek, Die zweiseitigen Staatsverträge über Anerkennung aus­ländischer Zivilurteile (1953), p. 17. 19. Les travaux de la Conférence sont publiés dans l'édition annuelle Hand­book of the National Conference of Commissioners on Uniform State Laws.

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tionnelle ne serait qu'assez mince, puisqu'aucun Etat Membre de la Conférence n'est obligé de ratifier une convention élaborée par cette institution. Plus tard, on a trouvé pour cette méthode de travail la dénomination très heureuse de «lois parallèles».

Il est clair que ce procédé ne contient aucune garantie juridique assurant que les lois modèles seront en effet parallèles (identiques), mais il y aura une sorte d'obligation morale découlant du fait que chaque Etat aura collaboré à créer la loi modèle. Il s'agit en premier lieu d'une certaine loyauté envers les travaux entrepris en commun. Il nous paraît que la méthode de procéder de la Conférence de La Haye, à savoir l'adoption d'un projet de convention, suivi de la signature par les gouvernements, souligne un peu plus cette loyauté.20

Deux arguments plus importants, qui ont décidé la Conférence à s'en tenir à la procédure conventionnelle, ont été les suivants: d'abord, dans une loi parallèle, l'expression des éléments de réciprocité — là où on en a besoin — pose des problèmes de rédaction difficiles à résoudre. A cela s'ajoute un argument remarquable qui semble avoir eu un grand poids auprès de plusieurs délégations. Toute convention est l'expression de la volonté concordante des Etats et jouit d'une si­tuation presque privilégiée dans les Parlements des Membres: puis­que l'approbation parlementaire suit après la signature, le texte est soumis ne varietur et les Parlements sont confrontés dans le choix entre un rejet total et l'approbation intégrale. C'est à cette occasion qu'en pesant les avantages de la convention contre les objections, l'élément politique qui doit présider à toute unification internationale peut faire valoir son incidence.

Nous n'entendons pas examiner le pour et le contre des systèmes opposés ci-dessus. Une discussion assez complète et les rapports ont été reproduits dans les Actes et Documents de la Conférence.21

Poursuivant l'inventaire des limitations apportées à la règle unifiée, nous sommes bien obligés de consacrer quelques lignes aux boîtes à surprises que sont les réserves et facultés. Bien que la Conférence suive le principe directeur de réunir à la fin du traité tous les articles

20. Bien qu'il y ait un cas assez frappant où un cercle restreint d'Etats appar­tenant à la Conférence a nié l'existence d'une obligation de loyauté, et a préféré poursuivre des efforts divergents en matière de divorce. 21. Actes, IX, tome I, p. 209.

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permettant des modifications au régime convenu, au moyen de décla­rations unilatérales faites lors de la signature ou de la ratification de la convention, ces déclarations ont pour effet de créer des situations d'exception au bénéfice de l'un ou l'autre des Etats contractants. Si nous disons au «bénéfice», nous entendons par cela le fait que sou­vent un Etat, désireux de souscrire à la convention, y trouve l'une ou l'autre disposition qu'il estime impossible de concilier avec son droit interne. Les réserves et facultés servent donc à un but précis, celui de rendre possible à l'un ou l'autre Etat de devenir partie à la con­vention.

21. Strictement parlant, il y a une différence essentielle entre les ré­serves et les facultés. Les premières permettent à un Etat de réduire le champ d'application de la convention; le domaine exclu peut être défini ratione materiae, ratione personae, ratione loci et ratione magistratus. Des exemples se trouvent dans les Conventions Renvoi (art. 8; ratione materiae), Testaments (art. 10; idem), Mineurs (art. 13, al. 3; ratione personae).

Les facultés, par contre, permettent aux Etats contractants d'ap­porter des modifications au régime conventionnel, dans le cadre même de la convention. Nous les trouvons par exemple dans les Conventions Vente-Transfert de propriété (art. 10), Testament (art. 9 et 11) et Election de for (art. 12 à 16).

La distinction ne semble pas avoir été toujours très claire aux délégations à la Conférence, ce qui s'explique par le fait que, aussitôt qu'une délégation a obtenu satisfaction sur la question de fond, la forme juridique devient d'importance secondaire. Dans le jargon de la Conférence, on a toujours utilisé le terme «réserve» pour les deux possibilités, considération qui est confirmée par les communications officielles faites à l'occasion de la ratification des conventions. De toute façon, la terminologie utilisée par exemple dans les Conven­tions Sociétés (art. 9) et Renvoi (art. 8), selon laquelle tout Etat contractant «peut se réserver la faculté...», prête déjà à confusion. Nous sommes inclinés à croire que malgré ce libellé, un Etat qui aura fait la réserve — ce qui se réalise par une déclaration écrite faite lors de la signature ou de la ratification de la convention — limite par là même le champ d'application de la règle. Ce serait ouvrir une

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source de nouvelles complications si l'on devait permettre à l'Etat en question d'user ou non de la prétendue faculté créée par l'article. Comment le ferait-il d'ailleurs ? Par la voie de sa législation interne, susceptible d'être modifiée ou retirée à tout moment, même sans retirer la réserve ?

Dans les conventions à base de réciprocité, la restriction du champ d'application conventionnel est d'habitude assortie d'une clause de réciprocité, telle que l'alinéa 2 de l'article 9 de la Convention So­ciétés:

«L'Etat, qui aura fait usage de la faculté prévue à l'alinéa précédent, ne pourra prétendre à l'application de la présente Convention par les autres Etats con­tractants, en ce qui concerne les catégories qu'il aura exclues.*

Il est intéressant de constater que telle clause de sauvegarde de ré­ciprocité n'est d'habitude pas rajoutée aux vraies facultés (Conven­tion Election de for, art. 12-15).

Le caractère de l'article 15 de la Convention Mineurs, selon lequel les Etats contractants peuvent se réserver la compétence de leurs tri­bunaux pour prendre des mesures dans le contexte d'une demande en divorce, etc., n'est pas entièrement clair; à notre avis, il se trouve entre les deux groupes. Son interprétation peut en conséquence donner lieu à des difficultés. Si on y voit une faculté, les tribunaux compétents en vertúTde cet article, devront s'inspirer des solutions données pour les autres autorités compétentes, comme par exemple celle relative à la.loi applicable (art. 1, 2 et 4). S'il s'agit d'une réserve, leur activité judiciaire se situerait entièrement hors du champ d'ap­plication de la convention.

La Conférence a admis le principe général selon lequel seules les réserves permises par le texte de la convention peuvent être faites. Les dernières conventions prennent soin de l'exprimer explicitement (Convention Adoption, art. 22, al. 1, in fine, Convention Election de for, art. 20, al. 1). Si l'on suit la théorie classique du droit des traités, des réserves qui ne sont pas permises par le texte peuvent néanmoins être admises moyennant l'accord unanime des Etats contractants. On peut par conséquent se demander si lesdites clauses de limitation ne sont pas, elles aussi, susceptibles de faire l'objet d'une réserve ulté­rieure. La question est intéressante, mais appartient entièrement au droit des traités. Il y a lieu de toute façon de se féliciter de la corn-

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munis opinio régnant à la Conférence qui, du moins, a clairement exprimé dans les articles en question quelle a été l'intention des délégations. Il sortirait du cadre du présent exposé de pousser plus loin nos analyses. Il était cependant nécessaire d'attirer l'attention du lecteur sur le fait que les praticiens doivent prendre soin de con­naître les «réserves» — y compris les facultés — faites par les Etats; elles ont une influence directe sur les droits et obligations des inté­ressés; cela pose un problème urgent de publicité.

22. Une dernière limite au champ d'application de la règle unifiée par la convention se trouve souvent dans le fait qu'un Etat peut avoir conclu plusieurs conventions relatives à la même matière. C'est un problème qui a coûté beaucoup de temps aux réunions de la Con­férence et qui ne cessera de retenir son attention. On parle souvent des conflits de conventions; tout comme dans le cas des conflits de lois cependant, toute disposition à cet effet dans une convention a pour objet d'éviter des conflits.

Enonçons d'abord quelques données du problème. Il faut constater en premier lieu que les conférences internationales, comme celle de La Haye, s'expriment par l'instrument de traités entre les Etats, ce qui fait que les règles générales du droit des traités — actuellement en voie d'unification par le soin des Nations Unies — doivent consti­tuer la' base sur laquelle la solution doit être recherchée. Or, ces règles n'ont pas encore été élaborées ou adoptées avec beaucoup de précision, mais il y a un point crucial qui nous paraît avoir été admis,22 c'est que le droit des gens ne déclare pas nulle la conclusion d'un traité qui serait inconciliable avec un autre traité déjà conclu par l'un des Etats contractants. Cette constatation explique que la Con­férence se trouve souvent devant un double problème: veut-elle permettre d'une part à ses Membres de maintenir en vigueur des conventions existantes et, d'autre part, dans quelle mesure doit-elle chercher à empêcher ses Membres de conclure de nouveaux traités contraires à une Convention de La Haye ? Le problème serait simple s'il s'agissait dans les deux cas de conventions conclues ou à conclure entre les mêmes Etats que ceux parties à la convention en voie d'éla-

22. Voir art. 26 du Projet des articles et les rapports des rapporteurs succes­sifs à la Commission de droit international instituée par les Nations Unies, à savoir Reports of the International Law Commission, 1966.

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boration. Mais ce cas n'existe pas, puisque le nombre de Membres de la Conférence augmente et qu'on ne peut pas prédire dès lors quels seront les Etats ratifiant la convention projetée. En outre, on doit tenir compte de certaines réalités politiques, dont la plus importante est l'existence de certains groupes restreints d'Etats réunis dans des unions ou par des liens de voisinage étroits, comme les Etats nordi­ques, les pays du Benelux, ou les membres de la Communauté éco­nomique européenne. Il est presque impossible d'imposer à ces Etats l'obligation de faire prévaloir leur loyauté à la Conférence de La Haye sur les réglementations souvent plus détaillées faisant partie d'une intégration plus générale qu'ils auraient introduite ou qu'ils désireraient introduire dans leur groupe restreint.23 Le seul argument qui puisse être de nature à les convaincre de s'abstenir de créer des exceptions aux règles unifiées, c'est que l'utilité de toute règle unifiée augmente en raison du champ de son application territoriale. Le point à apprécier est par conséquent délicat: jusqu'où l'ampleur pourra-t-elle compenser la profondeur ?24

Ce qui nous intéresse ici cependant n'est pas l'aspect de politique législative, tel qu'il se présente à chaque pays individuellement, mais les mesures que la Conférence a prises pour éviter que l'existence si­multanée de deux conventions sur la même matière, dont l'une est une Convention de La Haye, ne vienne à créer des insécurités et des équivoques. La question est d'autant plus importante qu'elle se présente chaque fois que la Conférence procède à la révision d'une Convention de La Haye existante, ce qui s'est déjà produit: la Con­vention Procédure civile de 1905 a été modifiée par celle de 1954, la Convention Mineurs remplace la Convention Tutelle, et la Con­vention Notification est destinée à remplacer le chapitre premier de la Convention Procédure civile; il est clair que toute modification aura pour effet que, sur un ou plusieurs points concrets, la nouvelle convention conduira à des résultats différents; c'est dire que la con-

23. Il est permis de penser que la Conférence ne doit pas chercher à créer des entraves à des efforts bien organisés et qui sont entrepris entre des Etats ani­més d'un désir d'intégration à portée beaucoup plus générale que le domaine du droit international privé. 24. Ajoutons que, parfois, ce n'est pas même la Convention de La Haye qui est la moins approfondie.

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vention modifiée sera contraire au texte primitif. La solution qu'utili­sent les conventions que nous venons de citer est en apparence simple:25

«La présente Convention remplacera, dans les rapports entre les Etats qui l'auront ratifiée, la Convention relative à la procédure civile, signée à La Haye, le 17 juillet 1905.»

Cette disposition conduira à l'effet voulu dans les rapports pure­ment bilatéraux. Mais du moment que, comme c'est le cas des Con­ventions Tutelle et Mineurs, on vise des situations «triangulaires» qui ont leurs ramifications de fait dans plus de deux Etats à la fois, des problèmes peuvent surgir. L'Etat A peut être lié par l'ancienne con­vention à l'Etat C, tandis que celle-ci a été remplacée par le nouveau traité dans les relations avec l'Etat B. La situation ne sera absolument claire que si soit l'Etat A dénonce l'ancienne convention, soit, ce qui est préférable, l'Etat C devienne également partie à la nouvelle convention.

La Convention Exécution générale, qui n'est pas une révision d'une convention existante, proclame tout de même sa préséance, sauf ex­ceptions, aux conventions existantes (art. 24, al. 2):

«A moins qu'il n'en soit autrement convenu, les dispositions d'un accord complémentaire conclu en application de l'article 21 prévalent sur celles de toute autre convention en vigueur entre les Parties concernant la reconnais­sance et l'exécution des décisions.»

Elle a pu le faire sans danger de friction, parce qu'il s'agira tou­jours de relations bilatérales.

Parfois, les conventions se contentent de régler les conflits avec les conventions antérieures, en s'effaçant devant celles-ci; alors elles stipulent que leurs dispositions «ne portent pas atteinte à...» (Con­vention Adoption, art. 12), «ne dérogent pas à...» (Convention Election de for (1965), art. 11). Parfois, le libellé est plus subtil: «Les Conventions par lesquelles les Etats contractants auraient sti­pulé . . . continueront à s'appliquer» (Convention Procédure civile, art. 17), ou (Convention Légalisation, art. 8):

«Lorsqu'il existe entre deux ou plusieurs Etats contractants un traité, une con­vention ou un accord, contenant des dispositions qui soumettent l'attestation de la signature, du sceau ou timbre à certaines formalités, la présente Convention n'y déroge que si lesdites formalités sont plus rigoureuses que celle prévue aux articles 3 et 4.» 25. Convention Procédure civile, art. 29; cf. Convention Mineurs, art. 18, al. 1.

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ou la solution que nous qualifierons de matérielle, à l'instar des dis­positions matérielles de droit international privé: (Convention Ali­ments-Exécution, art. 11):

«Aucune disposition de la présente Convention ne peut faire obstacle au droit du créancier d'aliments d'invoquer toute autre disposition applicable à l'exécu­tion des décisions en matière d'aliments, soit en vertu de la loi interne du pays où siège l'autorité d'exécution, soit aux termes d'une autre Convention en vigueur entre les Etats contractants. >

Dans un certain nombre de conventions, la Conférence a cherché à régler les conflits avec les conventions futures. Etant donné que — comme nous l'avons indiqué auparavant — un Etat ne peut pas renoncer à sa capacité de conclure des conventions contraires,26 la seule solution qui mène à un résultat clair et sans ambiguïté est celle qui cède également le pas devant les traités futurs (Convention For contractuel-Vente, art. 9):

«Chaque Etat contractant, en signant ou ratifiant la présente Convention, ou en y adhérant, pourra réserver l'application de traités en vigueur sur la recon­naissance et l'exécution des jugements étrangers avec d'autres Etats parties à la Convention.»

Une disposition semblable figure dans le projet de Convention Re­connaissance divorce (1968) (art. 18); " celle-ci a notamment donné lieu à des discussions prolongées. Evidemment, la modestie à la base de telles dispositions est imposée par un esprit de réalisme. La Conférence a néanmoins voulu donner expression à ses inquiétudes de voir l'unité péniblement atteinte exposée à toute sorte d'initiatives à portée purement régionale; c'est ce qui explique une disposition in­sérée dans le projet de Convention Reconnaissance divorce limitant la liberté des Etats de conclure de telles conventions dans des hypo­thèses spécifiées (art. 18, al. 2):

«Les Etats contractants veilleront cependant à ne pas conclure d'autres con­ventions en la matière, incompatibles avec les termes de la présente Conven­tion, à moins de raisons particulières tirées de liens régionaux ou autres; quelles que soient les dispositions de telles conventions, les Etats contractants s'en­gagent à reconnaître, en vertu de la présente Convention, les divorces et les séparations de corps acquis dans des Etats contractants qui ne sont pas Parties à ces conventions.»

26. Mais il peut créer des conditions conférant à tel traité futur le caractère d'un acte illicite vis-à-vis de ses cocontractants. 27. Voir Rapport sur les travaux de la Commission spéciale, document préli­minaire no 5 à l'intention de la Onzième session.

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La Convention Exécution générale, enfin, ne dit pas qu'elle s'efface devant des conventions futures; mais là également on a cherché à circonscrire un certain nombre de situations qui seules autoriseront les Etats parties à la convention à conclure des conventions contraires (art. 25).

Un dernier groupe de conflits ne doit pas, en premier lieu, être distingué selon le nombre d'Etats adhérents; il s'agit là de conventions dont le champ d'application matériel coïncide avec celui de la con­vention de La Haye. Ce sont des conventions élaborées dans des ins­titutions créées dans le but de régler une activité économique ou sociale spécialisée, telles que les conférences de Bruxelles ou de l'ICAO s'occupant des transports internationaux. La Conférence s'est laissé inspirer par le souci d'éviter des conflits de compétences avec d'autres organisations, et cela d'autant plus facilement parce que ces organes sont composés d'experts dans l'activité en question, ce qui confère à leurs conclusions une autorité naturelle.

La Convention Exécution générale consacre le recul devant la compétence de ces organisations dans les termes suivants (art. 26):

«Nonobstant les dispositions des articles 24 et 25, la présente Convention et les accords complémentaires prévus par l'article 21 ne dérogent pas aux con­ventions auxquelles les Etats contractants sont ou seront Parties et qui, dans des matières particulières, règlent la reconnaissance et l'exécution des dé­cisions.»

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CHAPITRE V

LIMITES NATURELLES A L'UNITÉ

23. Nous avons exposé ci-dessus que l'unification optimale serait atteinte par une convention qui, dans une matière déterminée, dé­signerait une autorité (judiciaire ou administrative) unique com­pétente dans chaque hypothèse, assurerait la reconnaissance de ses décisions dans les autres Etats contractants,1 et garantirait que tous les Etats, dont les autorités pourraient se trouver compétentes, appli­queront la même loi interne.

U y a lieu cependant d'exposer que l'unité recherchée sera tou­jours sujette à des limitations propres à la matière même de l'uni­fication internationale des règles de conflits de juridictions et de lois.

24. Tout d'abord il est inévitable que la règle conventionnelle2

trouve dans les Etats contractants des interprétations divergentes. Ce fait irréductible a poussé les juristes de plusieurs générations à chercher des méthodes pour réduire dans la mesure du possible les interprétations différentes. Déjà, en 1928, la Conférence a cru pou­voir éliminer cette entorse à l'unification en conférant, par une con­vention internationale,3 à la Cour internationale de Justice (à cette époque: la Cour permanente de Justice internationale) la compétence pour connaître de la demande d'un Etat intéressé concernant des questions d'interprétation des Conventions de La Haye. Bien en­tendu, le Statut de la Cour reconnaissait déjà une telle compétence, mais l'accord en question instaurait la faculté de tout Etat contractant de porter plainte contre son cocontractant, faculté qui, selon le Statut de la Cour, n'existe qu'au cas où cet Etat a (ou plus précisément:

1. Nous ne disons pas «autres Etats intéressés», parce que tout Etat tiers peut être un Etat intéressé du moment que des personnes, des contrats ou des biens pourront être considérés comme étant rattachés à cet Etat; il peut devenir Etat intéressé à tout moment par le déplacement de biens ou de personnes. 2. Voir note 1, chap. IV ci-dessus. 3. Protocole pour reconnaître à la Cour permanente de Justice internationale la compétence pour interpréter les Conventions de La Haye de droit interna­tional privé, du 27 mars 1931.

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l'Etat requérant et l'Etat requis ont) accepté la clause dite facultative du Statut de la Cour (art. 36, al. 2). Signalons que — hors des cas où des Etats tiers, en vertu de l'article 62 du Statut de la Cour, se­raient intervenus dans le procès — une décision rendue par la Cour (permanente) ne lierait que les parties au litige. Bien entendu, la dé­cision aurait une autorité morale très grande, mais ses effets immé­diats seraient limités. D'autre part, seuls des Etats ont qualité de se présenter devant la Cour; il faut donc qu'un Etat prenne «fait et cause» pour l'un de ses ressortissants. Inutile de dire que cela réduit à l'extrême les cas où une différence d'interprétation est en fait soumise à la Cour.4

Le problème d'un apport éventuel des décisions d'une instance internationale à la sécurité du droit a fait l'objet d'études multiples et répétées; l'appréciation de leurs conclusions sort du cadre du présent exposé. Signalons l'institution de la Cour des Communautés européennes (pour interpréter les Traités de Rome) et les projets pour une Cour de Justice Benelux (pour connaître de l'interprétation des Traités Benelux). La bibliographie relative à ces institutions dé­montre clairement qu'il reste beaucoup de questions à régler.

L'aspect qui nous intéresse est toutefois autre. Les Conventions de La Haye cherchent à unifier des questions de droit (international) privé. Or, l'instrument même qui est disponible pour arriver à une telle unification, c'est-à-dire la Conférence internationale, se heurte à ses propres limites. Les délégations à la Conférence se voient placées devant la nécessité de voter, après des discussions de quel­ques semaines seulement, pour ou contre des textes contenant des règles de conflits. Les effets des règles de conflits sont toutefois diffi­ciles à apprécier, puisqu'à la Conférence le temps et l'occasion de procéder aux consultations nécessaires avec les milieux intéressés, tirant de leur intérêt propre une expérience spéciale, font défaut. C'est d'autre part une tâche presque inhumaine que de connaître le contenu de toutes les législations auxquelles la règle de conflit peut renvoyer. Dans cette optique, on peut se demander si la possibilité que les divers Etats donnent des interprétations différentes, plus

4. La seule affaire connue, relative à l'une des Conventions de La Haye, est celle opposant la Suède aux Pays-Bas en 1958 et concernant la Convention de 1902 relative à la tutelle des mineurs (l'affaire Boll), CU. Recueil, 1958, p. 54.

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conformes aux fondements de leur système juridique, est vraiment un grand mal. Comment les délégations pourraient-elles voter un texte, si la «réserve mentale» tenant à l'interprétation des textes, laquelle, dans la perspective de l'unification, prend une place secondaire, leur était déniée ? Nous estimons qu'étant donné la difficulté de la tâche à laquelle s'attèlent chaque fois les délégations, elle ne doit pas être augmentée par l'exigence d'une interprétation unique dans tous les cas. Soyons contents si les Etats arrivent à accepter une convention éliminant les problèmes principaux. Pour éviter tout malentendu, nous tenons à rappeler ce que nous avons dit au chapitre premier sur l'origine internationale de la convention et sur l'interprétation autonome que réclame tout texte conventionnel. Rappelons égale­ment le souci, pour tout tribunal ou toute autorité, de respecter le besoin d'avoir à tout moment présente à l'esprit l'origine interna­tionale de la règle unifiée. Cela dit, nous pensons cependant que l'unité totale, comme la perfection, n'est pas de ce monde, et nous sommes obligés de reconnaître que l'unité atteinte n'est que partielle.

25. Une deuxième limitation de l'effet unificateur se manifeste lors­qu'on cherche à dégager l'étendue du champ d'application matériel de la règle de conflits. Telle règle, lorsqu'elle déclare applicable un droit étranger, signifie-t-elle que le juge doit appliquer le droit étranger en son entier ? Une pratique déjà constante de la Conférence a conduit à n'envisager que l'application de la loi interne des Etats étrangers, ce qui exclut notamment l'application des règles de con­flits propres au droit étranger, et pour cause, puisque, dans l'autre cas, on arriverait au procédé intellectuel du renvoi; le silence de la règle pourrait faire surgir la question de savoir si la convention pré­suppose le renvoi ou non, et alors l'interprétation différente con­duirait directement à des cas compliqués.5 C'est pourquoi il a bien fallu l'exclure expressément. Dans quelques rares cas seulement, le renvoi — ou, de manière plus générale, une conception qui se rap­proche de l'acceptation du renvoi — a été incorporé dans les con­ventions. D'abord l'article 1er de la Convention Mariage (1902) dis­posait:

5. Bien entendu, il y a des cas où le renvoi pratiqué par l'un des Etats et le refus de pratiquer le renvoi par l'autre assurent l'harmonie internationale, mais cela dépendra des cas.

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«Le droit de contracter mariage est réglé par la loi nationale de chacun des futurs époux, à moins qu'une disposition de cette loi ne se réfère à une autre loi.»

Les articles 1 à 3 de la Convention Renvoi (1955)6 contiennent des solutions qui se justifient si l'on accepte le renvoi unique (Rückver­weisung) et, pour ce qui concerne la situation du point de vue des Etats «tiers», le renvoi multiple (Weiterverweisung). Enfin l'idée fondamentale selon laquelle il peut être utile de tenir compte des dispositions concernant les conflits de lois d'un droit étranger a été à la base de l'article 2, alinéa 2, de la Convention Sociétés. Selon cette disposition, la non-reconnaissance est — a contrario — interdite, même aux Etats adhérant au principe que l'existence d'une société s'apprécie selon la loi de l'Etat où se trouve le siège réel, toutes les fois que le siège réel se trouve sur le territoire d'un Etat qui n'adhère pas à ce principe. Ajoutons à ces exemples une référence aux alinéas 2 et 3 de l'article 11 (ancien art. 15) de la Loi uniforme Benelux, laquelle toutefois, d'une manière générale, exclut également le renvoi (art. 1er, al. 1).

S'il est vrai que par leur rédaction (l'utilisation du terme «loi interne»), les règles de conflits uniformes consignées dans les Con­ventions de La Haye excluent une partie du droit privé étranger de leur domaine d'application, une autre limite — tout aussi importante, mais moins bien définie — se trouve dans la matière même, autre­ment dit dans l'objet d'une part importante du droit étranger, à savoir le droit public et administratif, ou plus généralement tout ce qui n'est pas du droit privé. La délimitation est assurément difficile.

Le problème semble avoir été discuté pour la première fois — dans le cadre de la Conférence — au sein d'un comité spécial siégeant en 1931 pour élaborer un projet de convention en matière de vente. Auparavant, il s'était déjà posé dans toute sa netteté à l'égard de l'application de la convention en matière de mariage, lors­que les autorités françaises se sont vues reprocher de ne pas appliquer des règlements militaires allemands exigeant une autorisation mili­taire pour les jeunes Allemands désirant épouser des Françaises. La convention prescrivait l'application de la loi nationale et les autorités

6. Le titre abrégé est, au juste, déplacé; la Convention évite le procédé du renvoi par l'introduction de certaines exceptions aux principes de la nationalité et du domicile en conflit.

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françaises n'estimaient pas que cette référence à la loi nationale in­cluait l'application de cette sorte de prescriptions. Le problème était d'autant mieux illustré que les règlements en question, sans faire par­tie du droit privé, avaient tout de même une influence décisive en Allemagne sur la capacité au mariage.7

En 1931, cependant, le délégué allemand Neumeyer a soulevé la question.8 Il attira l'attention du comité d'abord sur les règles de droit privé d'ordre général, mais aussi, ce qui nous regarde ici, sur des règles de droit public et administratif:

«D'autre seront des règles de police générale, des règles de police sanitaire (par exemple celles sur les falsifications des denrées, celles sur la vente d'objets anticonceptionnels); des règles de police économique (par exemple celles sur l'accaparement et les achats des trusts et cartels); des règles de police sociale (par exemple celles portant interdiction des ventes à tempérament ou par acompte de certaines marchandises, celles accordant un moratoire général ou décrétant le cours forcé de telle ou telle monnaie). Si des conflits naissent à propos de pareilles règles, il peut s'agir de conflits à propos d'une vente, mais peut-on dire encore qu'il s'agisse vraiment de conflits «en matière de vente» ? Doit-on considérer que la Convention leur sera applicable? Le problème, ainsi posé, est évidemment très délicat. Le Comité, dans sa grande majorité, a pensé cependant qu'il n'y avait pas lieu de chercher à le résoudre.*

Le rapporteur poursuit en disant qu'il y aura souvent lieu d'écarter la loi étrangère pour des raisons d'ordre public9 et que c'est à la souveraineté des Etats qu'il reste de qualifier un conflit comme ayant ou non trait à la vente.

Le problème est cependant, il faut bien le constater après trente-cinq ans, plus compliqué, ce qui n'a pas manqué de se manifester par la suite. Clauses-or, règlements pour la protection des devises, lois antitrust, lois sur la distribution des marchandises et matières pour faire face à la pénurie économique, bref, tout l'arsenal législatif d'un Etat pour protéger l'indépendance économique et monétaire, pour assurer des conditions sociales satisfaisantes, pour défendre la santé publique, toute cette catégorie de règlements peut s'imposer au

7. Il est évidemment possible de construire la non-application des règlements militaires étrangers sur l'ordre public, mais cela dépend entièrement des cas: à l'intérieur d'une alliance militaire telle que l'OTAN ou le Pacte de Varsovie, on doit plutôt présupposer la loyauté mutuelle; alors l'appel à l'ordre public semble déplacé. 8. Le comité en question n'a pas publié ses procès-verbaux. Nous nous basons par conséquent sur le rapport du professeur JuUiot de la Morandière. 9. Ce qui nous place devant la difficulté de savoir quand la loi étrangère sera contraire à l'ordre public.

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droit privé et le pénétrer. En ce qui concerne les clauses-or, la Cour de cassation danoise10 arriva à la conclusion que la Joint Resolution américaine invalidant les clauses-or faisait partie du droit applicable selon les règles de conflits. Kollewijn estime que les considérations et distinctions (selon le lieu du paiement) de la Cour de cassation néer­landaise ne sont pas à l'abri de reproches et, rejetant un appel à l'ordre public, semble être d'opinion que la Joint Resolution est également visée par la règle de conflits.11

Une attitude différente semble avoir été prise par la Cour inter­nationale de Justice dans l'arrêt Elisabeth Boll.12 Réduite à l'essen­tiel, cette affaire opposait les Pays-Bas à la Suède; les autorités sué­doises avaient pris, à l'égard d'un mineur néerlandais, des mesures d'éducation protectrice limitant la possibilité pour le tuteur d'appli­quer ses propres projets relatifs à l'éducation de l'enfant et au milieu dans lequel il devait grandir. Les deux pays étant Parties1S à la Con­vention de 1902 relative à la tutelle des mineurs, il s'agissait de savoir si les mesures suédoises étaient compatibles avec la convention qui oblige les Etats contractants de respecter la tutelle instituée par les autorités nationales de l'enfant. La Cour a estimé que la convention n'était pas violée, celle-ci laissant intact le droit de la Suède de donner plein effet à sa législation, qui était d'une nature autonome et soustraite aux règles de droit international privé. Quatre juges,14 dans des opinions individuelles, étaient d'avis qu'il s'agissait d'une question d'ordre public. La Convention de 1961 sur la protection des mineurs évite presque entièrement le problème, parce qu'elle prescrit aux autorités compétentes de prendre les mesures jugées nécessaires selon leur loi interne. Ce problème pourrait cependant rebondir lors de la reconnaissance selon l'article 7 des mesures prises à l'étranger. Il n'est pas entièrement exclu que les opinions des Etats sur l'étendue du domaine des mesures à reconnaître varieront; de toute façon, il est clair que la Conférence a voulu qu'on suive une interprétation

10. Allan Philip, American-Danish private international law, New York, 1957, p. 51. 11. American-Dutch private international law, 2nd edition, New York, 1961, pp. 70-72. 12. CI J. Recueil, 1958, p. 54. 13. La Suède a ultérieurement dénoncé la convention pour des raisons indé­pendantes de l'affaire, qu'elle avait d'ailleurs gagnée. 14. MM. Badawi, Lauterpacht, Moreno Quintana et Spiropoulos.

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large, une simple qualification de la mesure comme appartenant au droit administratif ne suffisant pas pour refuser l'exécution.15

En général, la matière ne me semble pas encore être entièrement tirée au clair. La Conférence comme telle ne s'en est que très peu occupée. Une tentative du délégué allemand Von Haeften en 195116

ne sut pas provoquer plus qu'une référence à l'appel à l'ordre public, de la part du président. Les textes des conventions démontrent ce­pendant le souci des délégations d'éviter les domaines où des con­sidérations de droit public ont fortement empreint le droit privé: l'article 1er de la Convention Vente-Loi applicable exclut par exem­ple de son domaine la vente de navires et d'aéronefs enregistrés. Le projet de convention sur l'exécution des jugements étrangers de 1966 reconnaît (art. 12) que la compétence du juge étranger peut être in­validée dans l'état d'exécution par l'existence d'un for exclusivement compétent en raison de la matière.17 L'article 7 de la Convention Sociétés dit expressément que «l'admission à l'établissement, au fonctionnement et, en général, à l'exercice permanent de l'activité sociale sur le territoire de l'Etat de reconnaissance, est réglée par la loi de cet Etat». Peut-on y voir l'amorce d'une réglementation des conflits de droit administratif ?

En résumé, on peut constater que, parfois, les législateurs ont influencé par des considérations de droit public le contenu du droit privé, et qu'à d'autres occasions des lois adoptées dans le but prin­cipal de venir à la rencontre d'une situation de droit public ou ad­ministratif contiennent des clauses qui ont un effet direct sur la va­lidité et sur le contenu des rapports de droit privé. Nous avons tenu à exposer l'existence d'un problème, à savoir celui de déterminer l'étendue de l'empire d'une règle de conflits de droit international privé.

26. Ce problème prend un aspect aigu toutes les fois que la règle déclare applicable une loi étrangère «d'application immédiate». Si

15. Voir le rapport relatif à cette convention de M. de Steiger (Actes, DC, tome IV, p. 224, et surtout la note personnelle du rapporteur, p. 225). 16. Actes, VII, p. 58. 17. Le législateur national ne créera des fors exclusifs de ce genre, à ce qu'il semble, que pour des motifs étroitement liés aux intérêts nationaux.

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nous suivons les analyses de Francescakis {Revue critique, 1966, p. 1) et Deelen {De blinddoek van Savigny [Le bandeau de Savigny], Leçon inaugurale, Amsterdam, Scheltema & Holkema, 1966), il est hors de doute qu'un législateur peut lui-même incorporer dans un texte législatif des dispositions déterminant le champ d'application, sur le plan international, des dispositions matérielles qu'il contient. D'ailleurs, les Conventions de La Haye déterminent tout aussi bien leur propre champ d'application. La question qui se pose est alors double: le juge étranger doit-il pratiquer un renvoi en respectant les solutions de conflits se trouvant à l'intérieur de la loi pour lui ap­plicable en vertu de son propre droit international privé, ou peut-il appliquer cette loi même dans les cas où le législateur qui l'a élaborée ne l'aura pas voulu ? Et, d'autre part, peut-il conclure à l'application immédiate de telle loi uniquement sur la base du système d'applica­tion de cette loi, lorsque le droit international privé du for désigne­rait une autre loi ? Tout le problème tourne autour de la qualifica­tion de plus en plus pénible de droit privé ou droit non privé !

Un autre problème, qui n'est pas de méthodologie, mais touche au fond, est celui de savoir si l'Etat est Ubre de déterminer comme il le veut les limites du champ d'application d'une loi d'application im­médiate. Même si l'on considère que chaque Etat a son droit interna­tional privé autonome, il y a lieu de se demander s'il n'y a pas des limites naturelles, basées sur des considérations d'équité et de respect entre les nations, qui pourraient imposer aux Etats une sage autoli­mitation.

27. Une limitation de la règle de conflits — plus précisément de l'effet des règles de conflits — se trouve également dans l'interven­tion de l'ordre public, véritable chauve-souris du droit international privé,18 qui, dans l'obscurité (son terrain d'activité de prédilection), semble parfois, par les battements de ses ailes, apporter un petit courant d'air frais, mais plus souvent éteint le peu de lumière qu'il y a. Elle s'est manifestée également dans les travaux de la Conférence de La Haye, où l'on s'est efforcé en vain de la chasser ou de la saisir au vol. Soyons plus concrets. Il est impossible de mer que le rôle que

18. Nous nous excusons de nous livrer au sport international d'adresser des qualifications injurieuses à cette notion.

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joue la notion de l'ordre public varie de pays en pays, et que surtout le public policy de la Common Law est différent et plus restrictif que la notion continentale. En somme, nous considérons que, pour la plupart des délégations, les dispositions sur l'appel à l'ordre public constituent une porte de secours, une échappatoire, pour les cas où l'application du droit désigné par la convention ou la reconnaissance de la compétence d'un tribunal étranger est vraiment inacceptable.

Il est peu important de trouver une précision de ce «vraiment»: aussitôt qu'un tribunal se trouve dans la situation où il ne peut ac­cepter les résultats de la règle codifiée, il aura recours à la formule adoptée par la cour de cassation de son pays, comme par exemple «contraire aux fondements de l'ordre juridique national».

Une chose nous paraît certaine. Lorsqu'un Etat aura signé et ratifié une convention contenant certaines règles de conflits, il n'est plus loisible à ses tribunaux de déclarer que la règle unifiée en soi est contraire à son ordre public. Nous voudrions même aller encore un peu plus loin en disant que ce tribunal ne pourra pas non plus dire que telle ou telle règle de la loi étrangère est inacceptable. Ce que le juge pourra faire, à notre avis, c'est constater que le résultat de la règle ne saurait être introduit dans, ou protégé par, l'ordre public du for. Par exemple, si la loi de la résidence habituelle de l'enfant oblige tout homme ayant eu des relations avec la mère dans la période de conception, à payer des aliments, les tribunaux d'un Etat contractant ne sauraient qualifier un tel droit comme inconciliable avec l'ordre public national. Ce qu'ils seraient admis à conclure, ce serait que dans telle ou telle situation, où il est clair que le défendeur ne peut absolument pas être le père de l'enfant, l'ordre public du for interdit d'obliger le défendeur à payer des aliments. On peut même s'ima­giner que l'absence d'une exceptio plurium concumbentium dans la loi applicable est inacceptable pour le tribunal; il serait toutefois dé­placé d'écarter la loi étrangère pour ce seul motif. La loi aurait sans cela ce caractère inacceptable une fois pour toutes et il serait im­possible de l'appliquer, même dans les cas où il n'y aurait qu'une seule personne dont la qualité d'auteur est manifeste. Confronté avec l'absence de l'exception dans le droit étranger, le tribunal en question devrait raisonner en disant qu'il lui était impossible de condammer un défendeur à payer des aliments, parce qu'il estime que l'ordre

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public exige que dans de telles circonstances le défendeur devrait dis­poser de la faculté d'invoquer l'exception.

Nous avouons que la nuance est très faible mais cette façon de voir oblige les juges faisant appel à l'ordre public de constater clairement ce qu'ils désirent protéger, dans un sens positif, et ne permet plus des considérations qualifiant, de façon négative, ce qu'ils estiment ne pas être admissible en droit.

Ainsi limité, l'ordre public joue tout de même un rôle très utile au cours des négociations. On peut avancer ici le même argument que ci-dessus contre les efforts d'assurer d'emblée une interprétation rigoureusement uniforme. Comment pourrait-on exiger qu'une délé­gation, au cours des négociations avec une vingtaine d'autres pays, puisse avoir des notions précises sur les conséquences auxquelles l'amènera telle ou telle règle de conflit ? Bien entendu, on peut faire valoir la même observation à rencontre de toute règle de conflit nationale; mais consignée dans une convention, d'où découlera l'obli­gation internationale de la respecter, elle doit effrayer même les ex­perts. En pratique, la réserve de l'ordre public (die Vorbehalts­klausel) agit utilement comme tranquillisant lors des réunions de ré­daction: chaque fois qu'une délégation se montre préoccupée de la conséquence juridique d'une situation extrême, on la réconforte en affirmant qu'il y aura toujours l'ordre public comme dernière res­source.

Une raison pour laquelle il est presque indispensable d'avoir une clause relative à l'ordre public, surtout dans les matières exigeant une certaine réciprocité, c'est la défense contre une évolution bizarre — pour éviter des adjectifs plus sévères — de la loi interne des Etats contractants. L'historique de la Convention Mariage, qui avait intentionnellement exclu l'appel à l'ordre public, et avait seule­ment prévu un cas précis qui aurait pu tomber sous telle clause, nous a démontré que l'écart entre les législations nationales peut devenir si grand qu'une partie contractante ne peut pas humainement appliquer la règle de conflit conventionnelle. Nous pensons aux lois de Nuremberg, introduites dans un Etat contractant, comme on le sait, longtemps après la ratification de la convention par les autres, et dont aucune délégation n'avait osé songer en 1900.

Un bon nombre de grands spécialistes du droit international privé

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(79) La codification par traités en d.i.p. 415

ne se lassent pas d'affirmer que, dans les conventions internationales, une clause d'ordre public doit toujours être présumée. Nous espérons, et cela pour des motifs purement pragmatiques, que cette doctrine sera tôt ou tard abandonnée.

Mais la discussion sur ce sujet revient régulièrement. Lors de l'élaboration de la Convention Vente-Loi applicable, le président, M. Julliot de la Morandière, commence à tracer les grandes lignes; il fait remarquer que «même si l'ordre public est passé sous silence dans la Convention, le juge national y aura automatiquement re­cours. Si l'on veut l'exclure il faut le dire expressément». Mais M. Niboyet rétorque que «si l'on ne mentionne pas l'ordre public dans la convention, on pourrait reprocher au juge qui aurait recours à l'ordre public de violer la convention».19 La discussion qui a suivi et à laquelle prenaient part de hautes autorités est très intéressante. On y voit, entre autres, que du côté anglais on croit que la clause est in­dispensable pour combattre la fraude à la loi. Cette idée a été émise à plusieurs reprises, mais nous ne pouvons y voir qu'une solution de facilité caractérisant les moyens auxquels on a parfois recours pour surmonter les difficultés propres à l'élaboration de conventions inter­nationales. La fraude à la loi — dans ce contexte: l'emploi trop habile de la règle conventionnelle —, si elle est un phénomène capable d'être défini, et par là susceptible d'être combattue, ce dont nous doutons,20 est-elle vraiment quelque chose qui touche à l'ordre pu­blic ? N'oublions pas que la loi, rendue artificiellement applicable, peut être tout normalement applicable dans une espèce où les points de rattachement requis par la convention sont réellement présents: alors le résultat auquel conduit la loi applicable — la même loi qui dans l'autre cas est attirée par les prétendues manœuvres des par­ties — peut être importé et absorbé par le droit du juge; ce résultat en soi n'a par conséquent rien de choquant.21

A la Huitième session, le désir toujours présent aux réunions «d'apprivoiser et d'enfermer dans une cage étroite l'oiseau moqueur qui a nom «ordre public» »22 a conduit à un premier résultat: la

19. Actes, VII, p. 72. 20. Voir p. 383. 21. Voir Observation Meijers, Actes, Vu, p. 212. 22. Offerhaus, Actes, VII, p. 10.

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Convention Aliments (art. 4) ne permet d'écarter la loi étrangère que «si son application est manifestement incompatible avec l'ordre pu­blic . . .». Le rapporteur de la Commission spéciale qui avait proposé cette rédaction, de Winter28 avait remarqué:

«La Commission a sérieusement envisagé la possibilité d'énumérer de façon limitative les cas où l'appel à l'ordre public peut être censé légitime. Il s'est avéré impossible, cependant, de formuler une enumeration acceptable pour tous les délégués. Par ailleurs, l'opportunité d'établir une liste limitative des cas dans lesquels l'appel à l'ordre public sera admis est des plus douteuses. A cet égard, les expériences faites dans le passé, à La Haye, ne sont que peu réconfortantes.»

L'adjonction de l'adverbe «manifestement», souvent critiqué par son manque de logique, se défend facilement par ses mérites littéraires: il agit clairement comme un feu rouge attirant l'attention des tribu­naux, chez qui l'appel à l'ordre public vient trop naturellement, et agira sans doute comme un frein à des solutions de facilité. Mais nous y voyons un deuxième barrage utile; il aura souvent l'effet d'obliger les tribunaux à motiver dans leurs jugements la raison pour laquelle l'infraction est «manifeste», c'est-à-dire à l'abri de doutes, ce qui don­nera lieu à des discussions utiles au sein des chambres des tribunaux. Le terme ne tombait d'ailleurs pas du ciel, puisqu'il avait déjà figuré dans l'avant-projet de Convention Successions de la Sixième session et était dû à un compromis proposé par M. Suyling.24 Auparavant, cette session avait été saisie d'une proposition limitant l'appel à l'ordre public aux cas où l'application de la loi désignée par l'article 1er ¿tait «absolument incompatible»26 avec les principes de l'ordre public reconnus dans un des Etats contractants, formule d'une part plus rigoureuse, mais cependant plus facile à être interprétée de façon large par sa référence vague aux «principes».

Dernièrement, la Commission spéciale en matière de divorce (juin 1967) a encore fait un effort pour faire ressortir plus clairement l'idée que l'appel à l'ordre public n'est permis que dans des cas tout à fait spéciaux. L'article 10 de l'avant-projet du 9 juin disait que la reconnaissance des divorces étrangers pouvait «exceptionnellement

23. Aujourd'hui président de la Commission d'Etat néerlandaise pour la codification du droit 'international privé, et président des sessions de la Con­férence. 24. Actes, V, p. 274. 25. Actes, V, p. 210.

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(81) La codification par traités en d.i.p. 417

être refusée» si elle était manifestement contraire à l'ordre public. Cette nouvelle adjonction a été éliminée à la Onzième session, pour ne pas créer des divergences avec les textes antérieurs de la Con­férence, ce qui aurait inévitablement donné lieu à la question: a-t-on voulu une différence, et si oui, laquelle ?

L'emploi de l'adverbe «manifestement» semble être entré dans les mœurs de la Conférence. Par contre, la question de savoir s'il était nécessaire d'avoir un article sur l'ordre public a encore été débattue à la Neuvième session,28 où le président Offerhaus a souligné les risques d'un fâcheux argumentum a contrario tiré des conventions assorties de cette clause, si, se fiant à la thèse selon laquelle la clause doit toujours être présumée incluse, on ne l'insérait pas.27 M. Batiffol, ne voyant pas l'utilité d'une clause expresse, n'y a cependant pas vu d'inconvénient décisif.28 Il n'est pas devenu clair si, dans l'esprit de ceux qui accordent leur foi à l'omniprésence de l'ordre public, la restriction indiscutable visée par le terme «manifestement» est égale­ment exposée à l'érosion par l'ordre public; le contraire sera évidem­ment le cas pour ceux qui admettent que le jeu de l'ordre public peut être limité par la volonté concordante et expresse des parties à la convention.

A partir du moment où les textes des Conventions de La Haye ont été élaborés dans deux versions, l'une française, l'autre anglaise, la clause de l'ordre public a donné lieu à des difficultés de traduction en anglais. La Convention Testaments dit: «...when it is manifestly contrary to «ordre public» », ce qui est une solution très élégante du point de vue de la technique rédactionnelle, mais évidemment sujette à des critiques concernant le style. La Convention Adoption, issue de Yinferno d'une séance finale de nuit, se contente de la traduction tout à fait inadéquate — et les deux textes font également foi: «mani­festly contrary to public policy» (art. 15). La Convention Exécution générale fait une tentative courageuse de rendre le sens en anglais —

26. Actes, IX, tome III, pp. 10 et suiv. 27. Même à la Onzième session, une tentative passionnée pour faire tomber la clause de l'ordre public dans la Convention sur les accidents de la circula­tion routière échoua aussitôt qu'on se rendit compte que certaines délégations pouvaient se passer de la clause parce qu'elles se considéreraient de toute façon libres de l'invoquer! 28. Actes, IX, tornelli, p. 108.

III—1967 27

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mais il faut souligner qu'on n'a voulu résoudre la question que pour la matière couverte par la convention (art. 5 (1)):

«la reconnaissance ou l'exécution de la décision est manifestement incom­patible avec l'ordre public de l'Etat requis;» «if recognition or enforcement of the decision is manifestly incompatible with the public policy of the State addressed or if the decision resulted from pro­ceedings incompatible with the requirements of due process of law or if, in the circumstances, either party had no adequate opportunity fairly to present his case;»

Deux projets de conventions adoptés par la Onzième session n'ont pas non plus eu peur d'une nouvelle solution du problème bilingue et ils traduisent «ordre public» par une expression composée: «public policy («ordre public»)».

Nous voilà donc confrontés avec un article sans interprétation très précise; on serait tenté à croire que de telles clauses, à force de répé­tition, sont embellies d'une certaine patine vénérable, due à l'écoule­ment du temps, patine qui ne peut que réhausser encore leur valeur mystique. Une chose nous paraît certaine: pour autant que le nombre de Conventions de La Haye contenant la clause augmente, l'argument selon lequel l'appel à l'ordre public n'est permis que dans la mesure où la Convention l'autorise gagnera en vigueur pour ce qui concerne les futures Conventions de La Haye.

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CONCLUSION

On peut nous reprocher d'avoir consacré les pages précédentes à un inventaire des faiblesses et lacunes des résultats de la Conférence de La Haye. Nous désirons cependant motiver notre attitude en in­voquant notre conviction que la Conférence de La Haye et son travail sont utiles, voire même indispensables, mais qu'il importe de voir clairement les imperfections avec lesquelles nous devrions apprendre à vivre. Nous croyons que nos expériences, bien que limitées à des discussions au sein de la Conférence, nous ont démontré que les fruits des travaux des représentants de diverses cultures juridiques ont un caractère spécial qui les distingue des produits législatifs de l'ordre juridique national. La sagesse et le sens du compromis international, qui ont présidé à leur création, doivent continuer à régner après l'introduction des textes dans le corps du droit positif des nations in­dividuelles.

Nous avons signalé les difficultés et incertitudes propres aux déli­bérations; nous avons souligné le sens et la fonction spéciale de termes innocents en apparence comme «domicile», «résidence habituelle» et «reconnaissance». Nous avons fait l'inventaire des limitations inten­tionnellement apportées au champ d'application des règles unifiées par les rattachements, et nous avons indiqué sommairement un nombre de limites, posées par le jeu de certaines notions générales, à l'étendue du domaine couvert par la règle, telles que l'incidence des ordres publics nationaux. La codification du droit international privé par conventions internationales est un art qui impose à tous ceux qui l'aiment et à tous ceux qui sont appelés à en profiter, l'obligation d'appliquer les qualités indispensables à tout juriste, à savoir le sens des proportions, de la modération et de la justice.

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ANNEXE I

LISTE DES CONVENTIONS DE LA HAYE

Convention Adoption: Convention concernant la compétence des autorités, la loi applicable et la reconnaissance des décisions en matière d'adoption. Conduele 15 novembre 1965.

Convention Aliments: Convention sur la loi applicable aux obliga­tions alimentaires envers les enfants. Conclue le 24 octobre 1956.

Convention Aliments-Exécution: Convention concernant la recon­naissance et l'exécution des décisions en matière d'obligations ali­mentaires envers les enfants. Conclue le 15 avril 1958.

Convention Divorce: Convention pour régler les conflits de lois et de juridictions en matière de divorce et de séparation de corps. Con­clue le 12 juin 1902.

Convention Effets du mariage: Convention concernant les conflits de lois relatifs aux effets du mariage sur les droits et devoirs des époux dans leurs rapports personnels et sur les biens des époux. Conclue le 17 juillet 1905.

Convention Election de for: Convention sur les accords d'élection de for. Conclue le 25 novembre 1965.

Convention Exécution générale: Convention sur la reconnaissance et l'exécution des jugements étrangers en matière civile et commer­ciale. Conclue le . . .

Convention For contractuel-Vente: Convention sur la compétence du for contractuel en cas de vente à caractère international d'ob­jets mobiliers corporels. Conclue le 15 avril 1958.

Convention Interdiction: Convention concernant l'interdiction et mesures de protection analogues. Conclue le 17 juillet 1905.

Convention Légalisation: Convention supprimant l'exigence de la légalisation des actes publics étrangers. Conclue le 5 octobre 1961.

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85) La codification par traités en d.i.p. 421

Convention Mariage: Convention pour régler les conflits do lois en matière de mariage. Conclue le 12 juin 1902.

Convention Mineurs: Convention concernant la compétence des au­torités et la loi applicable en matière de protection des mineurs. Conclue le 5 octobre 1961.

Convention Notification: Convention relative à la signification et la notification à l'étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale. Conclue le 15 novembre 1965.

Convention Procédure civile: Convention relative à la procédure civile. Conclue le 1er mars 1954.

Convention Renvoi: Convention pour régler les conflits entre la loi nationale et la loi du domicile. Conclue le 15 juin 1955.

Convention Sociétés: Convention concernant la reconnaissance de la personnalité juridique des sociétés, associations et fondations étrangères. Conduele l6r juin 1956.

Convention Successions: Convention concernant les conflits de lois en matière de successions et de testaments. Conclue le 17 juillet 1905.

Convention Testament: Convention sur les conflits de lois en matière de forme des dispositions testamentaires. Conclue le 5 octobre 1961.

Convention Tutelle: Convention pour régler la tutelle des mineurs. Conduele 12 juin 1902.

Convention Vente-Loi applicable: Convention sur la loi applicable aux ventes à caractère international d'objets mobiliers corporels. Conclue le 15 juin 1955.

Convention Vente-Transfert de propriété: Convention sur la loi ap­plicable au transfert de la propriété en cas de vente à caractère international d'objets mobiliers corporels. Conclue le 15 avril 1958.

Projet de Convention Reconnaissance divorce: Convention sur la re­connaissance des divorces et des séparations de corps.

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Projet de Convention Accidents circulation: Convention sur la loi applicable en matière d'accidents de la circulation routière.

Projet de Convention Obtention des preuves: Convention sur l'ob­tention des preuves à l'étranger en matière civile ou commerciale.

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ANNEXE II

/ DOCUMENTATION

Les travaux de la Conférence sont publiés sous forme d'une série de volumes intitulés: Actes et Documents de la Conférence de La Haye de droit international privé. Les publications relatives aux Ses­sions I à VI sont épuisées. Pour les Sessions I à VIII, les Actes con­tiennent les procès-verbaux et documents rédigés à la session pio­nière, les Documents contiennent les documents et questionnaires soumis aux gouvernements pour préparer les sessions, et les com­mentaires et réponses reçues de la part des gouvernements. A partir de la XIe session, tous les procès-verbaux et documents préliminaires ayant trait à une matière séparée ont été réunis dans un seul volume.

La matière de l'exécution des jugements étrangers a donné lieu à une session extraordinaire; les Actes et Documents relatifs à ce volume paraîtront au début de l'année 1969.

Les Actes et Documents contiennent des bibliographies des arti­cles, monographies ou chapitres de traités consacrés à la Conférence. Nous nous permettons de renvoyer à ces bibliographies. Nous vou­drions cependant faire une exception pour les quelques articles suivants:

Offerhaus, J., «La Conférence de La Haye de droit international privé (ex­périences et perspectives)», Annuaire suisse de droit international, vol. XVI, 1959, p. 27.

Gutzwiller, M., «Das Internationalprivatrecht der Haager Konferenzen: Ver­gangenheit und Zukunft», Annuaire suisse de droit international, vol. II, 1949, p. 48.

Von Overbeck, A. E., «Essai sur la délibération du domaine des conventions de droit international privé», lus et Lex, Festgabe zum 70. Geburtstag von Max Gutzwiller, Bale, 1959, p. 325.

Droz, Georges A. L., «L'harmonisation des règles de conflits de lois et de juri­dictions dans les groupes régionaux d'Etats», Rapports généraux au Vie Congrès international de droit comparé, Bruxelles, 1964, p. 393.

Dalloz, Répertoire de droit international, tome I, sub voce «Conférence de La Haye de droit international privé», p. 463.

Les Conventions de La Haye adoptées avant 1968 ont été repro­duites dans le Recueil des Conventions de La Haye, édité par le

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Bureau permanent de la Conférence et distribué par Martinus Nij-hoff, La Haye, 1966; une nouvelle édition incluant les conventions adoptées à la XIe session est prévue pour 1970.

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TABLE DES MATIÈRES

Note liminaire 341 Introduction 342

Chapitre I. Les particularités et l'objectif d'une conférence interna­tionale comme instrument de législation internationale 343-354

1. Caractères spéciaux 2. L'objectif: sécurité du droit

Chapitre II. Le rattachement «centre-vie» 355-365

3. Le problème 4. L'emploi du terme «domicile» 5. Apparition des termes «résidence habituelle» 6. Notion de fait ?

Chapitre III. La reconnaissance 366-378

7. Sens divers du terme 8. La reconnaissance des rapports de droits permanents 9. Les discussions en matière d'adoption

10. Liens avec droits acquis

Chapitre IV. Limitations intentionnelles du champ d'application de la règle unifiée par convention 379-404

11. Le cadre conventionnel de la règle unifiée 12. Les conventions portant règles générales de droit interna­

tional privé 13. Limitations ratione materiae 14. Limitations dans le temps 15. Limitations territoriales 16. Limitations intra-nationales 17. Motifs des limitations — la réciprocité 18. Conventions ouvertes et fermées 19. La bilatéralisation 20. Lois parallèles 21. Les réserves 22. Conflits de conventions

Chapitre V. Limites naturelles à l'unité 405-418

23. Limites à l'effet de la convention complète 24. Interprétations divergentes 25. Etendue du champ d'application naturelle de la règle unifiée 26. Règle d'application immédiate étrangère 27. L'ordre public

Conclusion 419

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