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chez le même éditeur LA COMPARUTION, avec Jean-Christophe Bailly, 1991 chez d'autres éditeurs LE TITRE DE LA LETTRE, avec Philippe Lacoue-Labarthe, Galilée, 1972 LA REMARQUE SPÉCULATIVE, Galilée, 1973 LOGODAEDALUS, Flammarion, 1976 L'ABSOLU LITTÉRAIRE, avec Philippe Lacoue-Labarthe, Le Seuil, 1978 EGO SUM, Flammarion, 1979 LE PARTAGE DESVOIX, Galilée, 1982 L'IMPÉRATIF CATÉGORIQUE, Flammarion, 1983 HYPNOSES, avec Mikkel Borch-Jacobsen et Eric Michaud, Galilée, 1984 L'OUBLI DE LA PHILOSOPHIE, Galilée, 1986 DES LIEUX DIVINS, TER, 1987 et 1997 L'EXPÉRIENCE DE LA LIBERTÉ, Galilée, 1988 UNE PENSÉE FINIE, Galilée, 1990 LE MYTHE NAZI, avec Philippe Lacoue-Labarthe, L'Aube, 1991 LE POIDS D'UNE PENSÉE, Le Griffon d'argile, Québec et Presses Universitaires de Grenoble, 1991 CORPUS, Anne-Marie Métailié, 1992 LE SENS DU MONDE, Galilée, 1993 NIUM, avec François Martin, Erba, 1994 LES MUSES, Galilée, 1994 ÊTRE SINGULIER PLURIEL, Galilée, 1996 HEGEL, L'INQUIÉTUDE DU NÉGATIF, Hachette, 1997 LA NAISSANCE DES SEINS, Erba, 1997 LA VILLE AU LOIN, 1001 Nuits, 1999 LE REGARD DU PORTRAIT, Galilée, 1999

La communaute desoeuvree - Jean-Luc Nancy.pdf

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  • chez le mme diteur

    LA COMPARUTION, avec Jean-Christophe Bailly, 1991

    chez d'autres diteurs

    LE TITRE DE LA LETTRE, avec Philippe Lacoue-Labarthe,Galile, 1972

    LA REMARQUE SPCULATIVE, Galile, 1973LOGODAEDALUS, Flammarion, 1976L'ABSOLU LITTRAIRE, avec Philippe Lacoue-Labarthe, Le

    Seuil, 1978EGO SUM, Flammarion, 1979LE PARTAGE DES VOIX, Galile, 1982L'IMPRATIF CATGORIQUE, Flammarion, 1983HYPNOSES, avec Mikkel Borch-Jacobsen et Eric Michaud,

    Galile, 1984L'OUBLI DE LA PHILOSOPHIE, Galile, 1986DES LIEUX DIVINS, TER, 1987 et 1997L'EXPRIENCE DE LA LIBERT, Galile, 1988UNE PENSE FINIE, Galile, 1990LE MYTHE NAZI, avec Philippe Lacoue-Labarthe, L'Aube,

    1991LE POIDS D'UNE PENSE, Le Griffon d'argile, Qubec

    et Presses Universitaires de Grenoble, 1991CORPUS, Anne-Marie Mtaili, 1992LE SENS DU MONDE, Galile, 1993NIUM, avec Franois Martin, Erba, 1994LES MUSES, Galile, 1994TRE SINGULIER PLURIEL, Galile, 1996HEGEL, L'INQUITUDE DU NGATIF, Hachette, 1997LA NAISSANCE DES SEINS, Erba, 1997LA VILLE AU LOIN, 1001 Nuits, 1999LE REGARD DU PORTRAIT, Galile, 1999

  • JEAN-LUC NANCY

    LA COMMUNAUTEDSUVRE

    Nouvelle dition revue et augmente

    COLLECTION DTROITS

    CHRISTIAN BOURGOIS DITEUR

  • La collection Dtroits est dirige parJean-Christophe Bailly, Michel Deutsch

    et Philippe Lacoue-Labarthe

    Christian Bourgois diteur, 1986, 1990 et 1999ISBN 2-267-000-893-9

  • NOTE POUR LA DEUXIME DITION (1990)

    Le texte de la premire dition de La Commu-naut dsuvre parat ici inchang.

    En revanche, on trouvera la suite deux essais,postrieurs cette premire dition, qui avaient ttous deux conus comme une poursuite du travail, aureste toujours en chantier, sur la communaut. Del'tre-en-commun , dans ses sections II et III, avaitt rdig pour le numro de la revue Autrement inti-tul A quoi pensent les philosophes? (n 102,novembre 1988 - direction : Jacques Message, JolRoman, Etienne Tassin), o il avait t publi dansune version abrge et lgrement modifie. La sec-tion I avait t ajoute pour le colloque de MiamiUniversity, Oxford, Ohio, Community at looseends (septembre 1988). La version anglaise paratradans les actes de ce colloque (direction : Jim Creech).

    L'histoire finie a tout d'abord t rdig pourle Group in Critical Theory de l'Universit deCalifornie, Irvine (direction : David Carroll), et a tpubli dans The States of Theory, Columbia Press,New York, 1989. Dans les conditions qu'indiqu sanote liminaire, il a t publi en franais dans lenumro Penser la communaut de la Revue desSciences humaines (n 213, 1989-1 - direction:Pierre-Philippe Jandin et Alain David).

    NOTE POUR LA TROISIME DITION (1999)Le travail engag par ce livre, dont c'est la troisime

    dition, s'est poursuivi dans La Comparution, critavec Jean-Christophe Bailly et publi par ChristianBourgois en 1991, puis dans tre Singulier Pluriel,publi chez Galile en 1996.

  • ... toujours subsiste une mesureCommune tous, bien qu' chacun

    aussi en propre part,Vers o se rend et va chacun

    autant qu'il peut.HLDERLIN, Pain et Vin.

    (Traduction de Ph. L.-L.)

  • ... toujours subsiste une mesureCommune tous, bien qu' chacun

    aussi en propre part,Vers o se rend et va chacun

    autant qu'il peut.HLDERLIN, Pain et Vin.

    (Traduction de Ph. L.-L.)

  • PREMIRE PARTIE

    LA COMMUNAUT DSUVRE

  • Le tmoignage le plus important et le pluspnible du monde moderne, celui qui rassemblepeut-tre tous les autres tmoignages que cettepoque se trouve charge d'assumer, en vertud'on ne sait quel dcret ou de quelle ncessit(car nous tmoignons aussi de l'puisement dela pense de l'Histoire), est le tmoignage de ladissolution, de la dislocation ou de la confla-gration de la communaut. Le communisme est l'horizon indpassable de notre temps , commel'avait dit Sartre, en bien des sens, tour tourpolitiques, idologiques, stratgiques, mais lemoindre de ces sens n'est pas celui-ci, asseztranger aux intentions de Sartre : le mot de communisme emblematise le dsir d'un lieude la communaut trouv ou retrouv aussi bienpar-del les divisions sociales que par-dell'asservissement une domination techno-poli-tique, et du coup par-del les tiolements de la

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  • libert, de la parole, ou du simple bonheur, dsque ceux-ci se trouvent soumis l'ordre exclusifde la privatisation, et enfin, plus simple et plusdcisif encore, par-del le rabougrissement dela mort de chacun, de cette mort qui, pour n'treplus que celle de l'individu, porte une chargeinsoutenable et s'effondre dans l'insignifiance.

    Plus ou moins consciemment, plus ou moinsdlibrment, et plus ou moins politiquement, lemot de communisme a constitu un telemblme et cela faisait sans doute autrechose qu'un concept, et mme autre chose quele sens d'un mot. Cet emblme n'a plus cours,sinon, pour quelques-uns, d'une manire attar-de, et pour quelques autres, bien rares dsor-mais, comme s'il tait pris dans le chuchotementd'une rsistance farouche mais impuissante l'effondrement visible de ce qu'il promettait.S'il n'a plus cours, ce n'est pas seulement parceque les Etats qui s'en rclamaient sont apparus,depuis longtemps dj, comme les agents de satrahison. (Bataille en 1933 : Le moindre espoirde la Rvolution a t dcrit comme le dprisse-ment de l'Etat : mais ce sont au contraire lesforces rvolutionnaires que le monde actuel voitdprir et, en mme temps, toute force vive apris aujourd'hui la forme de l'Etat totalitaire. )(O.C., I, p. 332.) Le schma de la trahison, des-tin prserver une puret communiste origi-naire, de doctrine ou d'intention, s'est rvl demoins en moins tenable. Non que le totalitarismeft dj, tel quel, dans Marx : proposition

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  • grossire, ingnorante de la protestation dchirecontre la destruction de la communaut quidouble continment, chez Marx, la tentativehglienne d'effectuer une totalit, en djouantou en dplaant cette tentative.

    Mais le schma de la trahison se rvle inte-nable dans la mesure o c'est la base mme del'idal communiste qui finit par apparatre sousle jour le plus problmatique : savoir, l'homme,l'homme dfini comme producteur (on pourraitdire aussi : l'homme dfini, tout court), et fonda-mentalement comme producteur de sa propreessence sous les espces de son travail ou deses oeuvres.

    Que la justice, la libert et l'galit comprises dans l'ide ou dans l'idal commu-nistes soient, assurment, trahies dans le com-munisme dit rel, cela pse la fois du poidsd'une souffrance intolrable ( ct d'autressouffrances, pas plus tolrables, infliges par nossocits librales), et d'un poids politique dcisif(non seulement en ce qu'une stratgie politiquedoit favoriser la rsistance cette trahison, maisen ce que cette stratgie, de mme que notrepense en gnral, doit compter avec la possibi-lit qu'une socit entire ait t forge, docile-ment et malgr plus d'un foyer de rvolte, aumoule de cette trahison, ou plus platement decet abandon : c'est la question de Zinoviev,plutt que celle de Soljnitsyne). Mais ces poidssont peut-tre encore seulement relatifs par rap-

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  • port la pesanteur absolue, qui crase ou quibouche tous nos horizons , et qui seraitcelle-ci : il n'y a aucun type d'opposition com-muniste ou disons, communautaire pour bienindiquer que le mot ne doit pas tre restreintici ses rfrences politiques strictes quin'ait t ou qui ne soit toujours profondmentsoumis la vise de la communaut humaine,c'est--dire une vise de la communaut destres produisant par essence leur propre essencecomme leur uvre, et qui plus est produisantprcisment cette essence comme communaut.Une immanence absolue de l'homme l'homme un humanisme et de la communaut lacommunaut un communisme sous-tendobstinment, et quels que soient leurs mrites ouleurs vigueurs, tous les communismes d'opposi-tion, tous les modles gauchistes, ultra-gauchistesou conseillistes . En un sens, toutes les entre-

    1. Dans le dtail, et compte tenu chaque fois desconjonctures prcises, cela n'est pas rigoureusementexact : par exemple, dans les Conseils hongrois de 56,et plus encore dans la gauche de Solidarit en Pologne.Ce n'est pas absolument exact non plus de tous les dis-cours tenus aujourd'hui : on pourrait, ce titre seule-ment, juxtaposer ici les situationnistes de nagure, cer-tains aspects de la pense de Hannah Arendt, et aussi,quelque trange ou provocateur que soit le mlange,telles ou telles propositions de Lyotard, de Badiou,d'Ellul, de Deleuze, de Pasolini, de Rancire. Cespenses se maintiennent, quoi qu'elles engagent chacunepour soi (et parfois, qu'elles le veuillent ou non) dansla provenance d'un vnement marxien que j'essaieraide caractriser plus loin, et qui signifie pour nous la

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  • prises d'opposition communautaire au com-munisme rel sont dsormais puises ou aban-donnes : mais tout se passe comme si, au-delde ces entreprises, il n'tait mme plus questionde penser la communaut...

    Or c'est bien l'immanence de l'homme l'homme, ou encore c'est bien l'homme, absolu-ment, considr comme l'tre immanent parexcellence, qui constitue la pierre d'achoppementd'une pense de la communaut. Une commu-naut prsuppose comme devant tre celle deshommes prsuppose qu'elle effectue ou qu'elledoit effectuer, comme telle, intgralement sa pro-pre essence, qui est elle-mme l'accomplissementde l'essence de l'homme. ( Qu'est-ce qui peuttre faonn par les hommes ? Tout. La nature,la socit humaine, l'humanit , crivait Herder.Nous sommes obstinment soumis cette idergulatrice, mme lorsque nous considrons quece faonnement n'est lui-mme qu'une idergulatrice ...) Ds lors, le lien conomique,l'opration technologique et la fusion politique(en un corps ou sous un chef) reprsentent ouplutt prsentent, exposent et ralisent ncessai-rement par eux-mmes cette essence. Elle y est

    mise en question de l'humanisme communiste ou com-munautaire (bien diffrente de la mise en questionengage nagure par Althusser au nom d'une sciencemarxiste). C'est aussi pourquoi de telles propositionscommuniquent dans ce que j'essaierai de nommer,malgr tout, le communisme littraire ,

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  • mise en uvre, elle y devient son propre ouvrage.C'est ce que nous avons appel le totalita-risme, et qui serait peut-tre mieux nomml' immanentisme , s'il ne faut pas en rserverla dsignation certains types de socits ou dergimes, mais y voir, pour le coup, l'horizongnral de notre temps, qui encercle aussi bienles dmocraties et leurs fragiles parapets juri-diques.

    Est-il vraiment besoin de dire ici un mot del'individu ? Certains voient dans son inventionet dans sa culture, sinon dans son culte, le pri-vilge indpassable grce auquel l'Europe auraitdj montr au monde l'unique voie de l'man-cipation des tyrannies et la norme laquellemesurer toutes les entreprises collectives oucommunautaires. Mais l'individu n'est que lersidu de l'preuve de la dissolution de la com-munaut. Par sa nature comme son noml'indique, il est l'atome, l'inscable , l'individurvle qu'il est le rsultat abstrait d'une dcom-position. Il est une autre et symtrique figure del'immanence : le pour-soi absolument dtach,pris comme origine et comme certitude.

    Mais l'exprience que cet individu traverse,depuis Hegel au moins, et qu'il traverse, il fautl'avouer, avec une opinitret sidrante, est seu-

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  • lement l'exprience de ceci : qu'il n'est l'origineet la certitude que de sa propre mort. Et sonimmortalit passe dans ses uvres, son immor-talit opratoire lui est encore sa propre alina-tion, et lui rend sa mort mme plus trangreque l'tranget sans recours qu'elle est detoute faon.

    Au reste, on ne fait pas un monde avec desimples atomes. Il y faut un clinamen. Il fautune inclinaison ou une inclination de l'un versl'autre, de l'un par l'autre ou de l'un l'autre.La communaut est au moins le clinamen del' individu . Mais aucune thorie, aucunethique, aucune politique, aucune mtaphysiquede l'individu n'est capable d'envisager ce clina-men, cette declination ou ce dclin de l'individudans la communaut. Le personnalisme , oubien Sartre, n'ont jamais russi qu' enroberl'individu-sujet le plus classique dans une ptemorale ou sociologique : ils ne l'ont pas inclin,hors de lui-mme, sur ce bord qui est celui deson tre-en-commun.

    L'individualisme est un atomisme incons-quent, qui oublie que l'enjeu de l'atome estcelui d'un monde. C'est bien pourquoi la ques-tion de la communaut est la grande absentede la mtaphysique du sujet, c'est--dire indi-vidu ou Etat total de la mtaphysique dupour-soi absolu : ce qui veut dire aussi bien lamtaphysique de l'absolu en gnral, de l'trecomme ab-solu, parfaitement dtach, distinct et

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  • clos, sans rapport. Cet ab-solu peut se prsentersous les espces de l'Ide, de l'Histoire, de l'In-dividu, de l'Etat, de la Science, de l'uvre d'art,etc. Sa logique sera toujours la mme, pourautant qu'il est sans rapport. Elle sera cettelogique simple et redoutable qui implique quece qui est absolument spar renferme, si onpeut dire, dans sa sparation plus que le simplespar. C'est--dire que la sparation elle-mmedoit tre enferme, que la clture ne doit passeulement se clore sur un territoire (tout enrestant expose, par son bord externe, l'autreterritoire, avec lequel elle communique ainsi),mais sur la clture elle-mme, pour accomplirl'absoluit de la sparation. L'absolu doit trel'absolu de sa propre absoluit, sous peine den'tre pas. Ou bien : pour tre absolument seul,il ne suffit pas que je le sois, il faut encore queje sois seul tre seul. Ce qui prcisment estcontradictoire. La logique de l'absolu fait vio-lence l'absolu. Elle l'implique dans un rapportqu'il refuse et exclut par essence. Ce rapportforce et dchire, de l'intrieur et de l'extrieur la fois, ou d'un extrieur qui n'est que larejection d'une impossible intriorit, le sansrapport dont l'absolu veut se constituer.

    Exclue par la logique du sujet-absolu de lamtaphysique (Soi, Volont, Vie, Esprit, etc.),la communaut revient forcment entamer cesujet en vertu de cette mme logique. La logiquede l'absolu le met en rapport : mais cela ne peut,

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  • l'vidence, faire un rapport entre deux ou plu-sieurs absolus, pas plus que cela- ne peut fairedu rapport un absolu. Cela dfait l'absoluit del'absolu. Le rapport (la communaut) n'est, s'ilest, que ce qui dfait dans son principe etsur sa clture ou sur sa limite l'autarcie del'immanence absolue.

    Bataille a constamment prouv cette logiqueviolente de l'tre-spar. Par exemple :

    Mais si l'ensemble des hommes ouplus simplement leur existence intgrale S'INCARNAIT en un seul tre videm-ment aussi solitaire et aussi abandonn quel'ensemble la tte de I'INCARN seraitle lieu d'un combat inapaisable et siviolent que tt ou tard elle volerait enclats. Car il est difficile d'apercevoir jus-qu' quel degr d'orage ou de dchane-ment parviendraient les visions de cetincarn, qui devrait voir Dieu mais dansle mme instant le tuer, puis devenir Dieului-mme mais seulement pour se prcipi-ter aussitt dans un nant : il se retrouve-rait alors un homme aussi dpourvu desens que le premier passant venu maispriv de toute possibilit de repos. (I, 547.)

    Une telle incarnation de l'humanit, sonensemble comme tre absolu, par-del le rapport

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  • et la communaut, figure le destin que la pensemoderne a voulu. Le combat inapaisable estcelui dont nous ne sortirons pas tant que nousn'aurons pas pu soustraire la communaut cedestin.

    Bataille crivait encore, dans un autre textequi porte la logique du prcdent sur le plan dusavoir :

    Si je " mime " le savoir absolu, mevoici par ncessit Dieu moi-mme (dansle systme, il ne peut, mme en Dieu, yavoir de connaissance allant au-del dusavoir absolu). La pense de ce moi-mme de l'ipse n'a pu se faire absolue qu'endevenant tout. La Phnomnologie de l'Es-prit compose deux mouvements essentielsachevant un cercle : c'est achvement pardegrs de la conscience de soi (de l'ipse

    humain), et devenir tout (devenir Dieu) decet ipse achevant le savoir (et par l dtrui-sant la particularit en lui, achevant doncla ngation de soi-mme, devenant le savoirabsolu). Mais si de cette faon, comme parcontagion et par mime, j'accomplis en moile mouvement circulaire de Hegel, je dfi-nis, par-del les limites atteintes, non plusun inconnu mais un inconnaissable. Incon-naissable non du fait de l'isuffisance dela raison mais par sa nature (et mme, pourHegel, on ne pourrait avoir souci de cet

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  • au-del que faute de possder le savoirabsolu...). A supposer ainsi que je soisDieu, que je sois dans le monde ayant l'as-surance de Hegel (supprimant l'ombre etle doute), sachant tout et mme pourquoila connaissance acheve demandait quel'homme, les particularits innombrablesdes moi et l'histoire se produisent, cemoment prcisment se formule la questionqui fait entrer l'existence humaine, divine...le plus avant dans l'obscurit sans retour ;pourquoi faut-il qu'il y ait ce que je sais ?Pourquoi est-ce une ncessit ? Dans cettequestion est cache elle n'apparat pastout d'abord une extrme dchirure, siprofonde que seul le silence de l'extase luirpond. (V, 127-128.)

    La dchirure cache dans la question est ladchirure que la question elle-mme provoqueentre la totalit des choses qui sont consid-re comme l'absolu, c'est--dire spare de touteautre chose et l'tre (qui n'est pas une chose ) par lequel ou au nom duquel ceschoses, en totalit, sont. Cette dchirure (ana-logue, sinon identique, la diffrence ontico-ontologique de Heidegger) dfinit un rapport del'absolu, impose l'absolu un rapport sonpropre tre, au lieu de rendre cet tre immanent la totalit absolue des tants. Par l, c'est l'tre lui-mme qui en vient se dfinir comme

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  • rapport, comme non-absoluit, et si on veut c'est en tout cas ce que j'essaie de dire commecommunaut.

    L'extase rpond si c'est proprement une rponse l'impossibilit de l'absoluit del'absolu, ou l'impossibilit absolue de l'im-manence acheve L'extase, comprise selon cemotif rigoureux qui passerait aussi, pour peuqu'on en suive l'histoire philosophique avantBataille et en mme temps que lui, par Schellinget par Heidegger, ne dfinit aucune effusion, etmoins encore quelque effervescence illumine.Elle dfinit strictement l'impossibilit, aussi bienontologique que gnosologique, d'une immanenceabsolue (ou : de l'absolu, donc de l'immanence),et par consquent d'une individualit au sensexact aussi bien que d'une pure totalit collec-tive. Le thme de l'individu et celui du commu-nisme sont troitement solidaires de et dans laproblmatique gnrale de l'immanence . Ils

    2. En tmoigne la lecture de Marx par Michel Henry,oriente par la rciprocit conceptuelle de l' individu et de la vie immanente . A ce compte, par principel'individu chappe au pouvoir de la dialectique (Marx, t. II, Paris, Gallimard, 1976, p. 46). Ce qui per-mettrait de mettre tout mon propos sous cette indicationgnrale : il y a deux faons d'chapper la dialectique(c'est--dire la mdiation dans la totalit), soit en s'ydrobant dans l'immanence, soit en ouvrant sa ngativitjusqu' la rendre sans emploi (comme le dit Bataille).Dans ce dernier cas, il n'ya pas d'immanence de la nga-tivit : il y a l'extase, aussi bien du savoir que del'histoire et de la communaut.

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  • sont solidaires d'un dni de l'extase. Et la ques-tion de la communaut est dsormais inspara-ble, pour nous, d'une question de l'extase :c'est--dire, comme on commence le compren-dre, d'une question de l'tre considr commeautre chose que comme l'absoluit de la totalitdes tants,

    La communaut, ou l'tre-extatique de l'trelui-mme ? Telle serait la question.

    (J'esquisse une rserve, sur laquelle je revien-drai plus loin : derrire le thme de l'individu,mais au-del de lui, pourrait avoir se dvoilerla question de la singularit. Qu'est-ce qu'uncorps, un visage, une voix, une mort, une cri-ture non pas indivisibles, mais singuliers ?Quelle en est la ncessit singulire, dans lepartage qui divise et qui fait communiquer lescorps, les voix, les critures en gnral et entotalit ? En somme, cette question formerait lerevers exact de la question de l'absolu. A cetitre, elle est constitutive de la question de lacommunaut, o il faudra donc plus loin la pren-dre en compte. Mais la singularit n'a jamais nila nature, ni la structure de l'individualit. Lasingularit n'a pas lieu dans l'ordre des atomes,identits identifiables sinon identiques, mais elle

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    *

    * *

  • a lieu dans le plan du clinamen, inidentifiable.Elle a partie lie avec l'extase : on ne sauraitdire proprement que l'tre.singulier est le sujetde l'extase, car celle-ci n'a pas de sujet , maison doit dire que l'extase (la communaut) arrive l'tre singulier.)

    La solidarit de l'individu et du communismeau sein d'une pense de l'immanence, ignorantl'extase, ne compose pourtant pas une simplesymtrie. Le communisme, par exemple dansl'exubrance gnreuse qui fait que Marx nes'arrte pas avant d'indiquer, par-del la rgu-lation collective de la ncessit, un rgne de lalibert dans lequel un travail excdent ne seraitplus travail exploit, mais art et invention, com-munique avec une extrmit de jeu, de souverai-net, voire d'extase, laquelle l'individu, pommetel, reste dfinitivement drob. Mais cette com-munication est reste lointaine, secrte, ignorele plus souvent du communisme lui-mme(disons, pour faire image, ignore de Lnine, deStaline et de Trotsky), sauf dans les clats ful-gurants de la posie de la peinture et du cinmaaux tout premiers temps de la rvolution desSoviets, ou bien encore dans les motifs que Ben-jamin put recevoir comme des raisons de se dire

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    *

    * *

  • marxiste, ou dans ce que Blanchot tenta de faireporter, ou proposer (plutt que signifier) par lemot de communisme ( Le communisme : cequi exclut (et s'exclut de) toute communautdj constitue bis). Mais cela mme, encore,fut en fin de compte ignor, non seulement ducommunisme rel , mais aussi, bien y regar-der, de ces singuliers communistes eux-mmes, qui peut-tre n'ont jamais (jusqu'ici, dumoins) pu savoir o commenait et o finissaitla mtaphore (ou l'hyperbole) dans l'usage qu'ilsfaisaient du mot, ni surtout supposer qu'ilfaille changer de mot quel autre trope, ouquel effacement des tropes et convenu pourindiquer ce qui hantait leur usage du commu-nisme .

    Ils ont pu communiquer, dans cet usage, avecune pense de l'art, de la littrature et de lapense elle-mme autres figures ou autresexigences de l'extase , mais ils n'ont pas pucommuniquer vraiment, explicitement et thma-tiquement (mme si l' explicite et le th-matique ne sont ici que des catgories trsincertaines...) avec une pense de la commu-naut. Ou bien, leur communication avec unetelle pense est reste secrte, ou suspendue.

    Les thiques, les politiques, les philosophiesde la communaut, lorsqu'il y en avait (et il y

    2 bis. Le communisme sans hritage , revueComit, 1968, in Gramma n 3/4. 1976, p. 32.

  • en a toujours, fussent-elles rduites des bavar-dages sur la fraternit ou des montages labo-rieux sur l' intersubjectivit ), ont poursuivileurs chemins ou leurs enlisements humanistessans souponner un instant que ces voix singu-lires parlaient de la communaut, et ne par-laient peut-tre que d'elle, sans souponnerqu'une exprience rpute littraire ouesthtique tait prise dans l'preuve de lacommunaut, et tait aux prises avec elle. (Sesouvient-on assez, pour prendre un autre exem-ple encore, de ce que furent les premiers critsde Barthes, et quelques autres plus tardifs ?)

    Par la suite, ces mmes voix qui n'avaient pucommuniquer ce que, sans le savoir peut-tre,elles disaient furent exploites et recouvertes nouveau dans de bruyantes dclarations l'enseigne des rvolutions culturelles et detoutes sortes d' critures communistes oud' inscriptions proltariennes . Les profession-nels de la socit n'y virent, non sans raisonsmme si leur vue tait courte, tantt qu'uneforme bourgeoise et parisienne (ou berlinoise)de Proletkult, tantt que le retour inconscientd'une Rpublique des artistes dont le motifavait t inaugur, deux cents ans plus tt, parles romantiques d'Ina. D'une manire ou del'autre, il s'agissait d'un systme simple, classi-que et dogmatique de vrit : un art (ou unepense) adquat au politique ( la forme ou l'ordonnance de la communaut), une politique

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  • adquate l'art. Le prsuppos restait celuid'une communaut s'effectuant dans l'absolu del'uvre, ou s'effectuant elle-mme comme oeuvre.Pour cette raison, et quoi qu'elle ait prtendu,cette modernit restait, dans son principeun humanisme.

    Il faudra revenir sur ce qui a fait surgir ft-ce au prix de navet ou de contresens l'exigence d'une exprience littraire de lacommunaut ou du communisme. C'est mme,en un sens, la seule question qui se pose. Maistous les termes de cette question demandent tre transforms, tre remis en jeu dans unespace tout autrement distribu que selon lesagencements trop facilement suggrs (parexemple : solitude de l'crivain/Collectivit, ou :culture/socit, ou : lite/masses que cesdistributions soient donnes comme des opposi-tions, ou bien, dans l'esprit des rvolutionsculturelles , comme des adquations). Et pourcela, c'est d'abord la question de la communautqui doit tre remise en jeu, car c'est d'elle que

    3. Pour le moment, qu'on veuille bien retenir seule-ment que littrature ne doit surtout pas se prendreici au sens que Bataille donnait au mot lorsqu'il crivaitpar exemple (critiquant lui-mme l'Exprience intrieureet le Coupable) : J'ai aperu l'preuve que ceslivres engagent la facilit ceux qui les Usent. Ilsagrent le plus souvent aux esprits vagues et impuis-sants qui veulent fuir et dormir et se satisfont del'chappatoire littraire. (VIII, 583). Il parlait aussidu glissement l'impuissance de la pense qui tourneen littrature (ibid.).

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  • dpend la ncessaire redistribution de l'espace.Avant de s'y engager, il faut poser, sans rienretirer de la gnrosit rsistante ni de l'inqui-tude active du mot le communisme , etsans rien renier de l'excs auquel il se porte,mais sans oublier ni les hypothques qui le gr-vent, ni l'usure sans hasard qu'il a subie, quele communisme ne peut plus tre notre horizonindpassable. Il ne l'est, de fait, dj plus mais nous n'avons dpass aucun horizon. Toutva plutt, dans la rsignation, comme si c'taitla disparition, l'impossibilit ou la condamnationdu communisme qui formaient le nouvel hori-zon indpassable. Ces renversements sont coutu-miers ; ils n'ont jamais rien fait bouger. C'estaux horizons comme tels qu'il faut s'en prendre.La limite ultime de la communaut, ou la limiteque forme, comme telle, la communaut, affecte,on le verra, un tout autre trac. C'est pourquoi,tout en posant que le communisme n'est plusnotre horizon indpassable, il faut aussi poser,avec autant de force, qu'une exigence commu-niste communique avec le geste par lequel nousdevons aller plus loin que tous les horizons.

    *

    * *

    Pour comprendre ce qui est en jeu, la pre-mire tche consiste dgager aussi l'horizon

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  • en arrire de nous. C'est--dire, interrogercette dislocation de la communaut cense avoirt l'preuve dans laquelle les temps modernesse seraient engendrs. La conscience de cette dis-location est celle de Rousseau : la socit connueou reconnue comme la perte ou comme la dgra-dation d'une intimit communautaire (et commu-nicative), et qui produit dsormais la fois, parforce, le solitaire, mais par dsir et projet lecitoyen d'une libre communaut souveraine.Alors que les thoriciens politiques qui le pr-cdent ont pens tantt l'institution d'un Etat,tantt la rgulation d'une socit, Rousseau, quipar ailleurs leur emprunte beaucoup, est peut-tre le premier penseur de la communaut, ouplus exactement le premier qui prouve la ques-tion de la socit comme une inquitude dirigevers la communaut, et comme la conscienced'une rupture (peut-tre irrparable) de cettecommunaut. Cette conscience sera par la suitecelle des Romantiques, et celle du Hegel de laPhnomnologie de l'esprit : la dernire figurede l'esprit, avant l'assomption de toutes lesfigures et de l'histoire dans le savoir absolu, estcelle de la scission.de la communaut (qui estici celle de la religion). Jusqu' nous, l'histoireaura t pense sur fond de communaut perdue et retrouver ou reconstituer.

    La communaut perdue, ou rompue, peut treexemplifie de toutes sortes de manires, danstoutes sortes de paradigmes : famille naturelle,

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  • cit athnienne, rpublique romaine, premirecommunaut chrtienne, corporations, communesou fraternits toujours", il est question d'unge perdu o la communaut se tissait de lienstroits, harmonieux et infrangibles, et se don-nait surtout elle-mme, dans ses institutions,dans ses rites et dans ses symboles, la reprsen-tation, voire l'offrande vivante de sa propreunit, de son intimit et de son autonomie imma-nentes. Distincte de la socit (qui est une sim-ple association et rpartition des forces et desbesoins) tout autant qu'oppose l'emprise (quidissout la communaut en soumettant les peu-ples ses armes et sa gloire), la communautn'est pas seulement la communication, intime deses membres entre eux, mais aussi la communionorganique d'elle-mme avec sa propre essence.Elle n'est pas seulement constitue d'une justedistribution des tches et des biens, ni d'un heu-reux quilibre des forces et des autorits, maiselle est faite avant tout du partage et de la diffu-sion ou de l'imprgnation d'une identit dansune pluralit dont chaque membre, par l mme,ne s'identifie que par la mdiation supplmen-taire de son identification au corps vivant de lacommunaut. Dans la devise de la Rpublique,c'est la fraternit qui dsigne la communaut :le modle de la famille et de l'amour.

    Mais c'est ici qu'il faut souponner laconscience rtrospective de la perte de la com-munaut et de son identit (que cette conscience

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  • se conoive comme effectivement rtrospective,ou que, insoucieuse des ralits du pass, elleen construise les images pour le compte d'unidal ou d'une prospective). Il faut souponnercette conscience, d'abord parce qu'elle semblebien accompagner l'Occident depuis ses dbuts : chaque moment de son histoire, il s'est djlivr la nostalgie d'une communaut plusarchaque, et disparue, la dploration d'unefamilialit, d'une fraternit, d'une convivialitperdues. Le dbut de notre Histoire, c'est ledpart d'Ulysse, et l'installation dans son palaisde la rivalit, de la dissension, des complots.Autour de Pnlope qui refait sans jamais l'ache-ver le tissu de l'intimit, les prtendants instal-lent la scne sociale, guerrire et politique lapure extriorit.

    Mais la vritable conscience de la perte dela communaut est chrtienne : la communautdont le regret ou le dsir animent Rousseau,Schlegel, Hegel, puis Bakounine, Marx, Wagnerou Mallarm se pense comme la communion, etla communion a lieu, dans son principe et danssa fin, au sein du corps mystique du Christ. Lacommunaut pourrait Sien tre, en mme tempsque le mythe le plus ancien de l'Occident, lapense toute moderne du partage par l'hommede la vie divine : la pense de l'homme pntrantdans l'immanence pure. (Le christianisme n'a euque deux dimensions, antinomiques : celle dudeus absconditus, o n'a pas cess de s'abmerl'vanouissement occidental du divin, et celle du

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  • dieu-homme, deus communis, frre des hommes,invention d'une immanence familiale de l'huma-nit, puis de l'histoire comme immanence dusalut.)

    La pense ou le dsir de la communaut pour-rait donc bien n'tre que l'invention tardive quitenta de rpondre la dure ralit de l'expriencemoderne : que la divinit se retirait infinimentde l'immanence, que le dieu-frre tait au fondlui-mme le deus absconditus (ce fut le savoirde Hlderlin), et que l'essence divine de la com-munaut ou la communaut en tant qu'exis-tence de l'essence divine tait l'impossiblemme. On a pu nommer cela la mort de Dieu :cette expression reste lourde de la possibilit,si ce n'est de la ncessit d'une rsurrection quirestitue et l'homme et Dieu une communeimmanence. (Non seulement Hegel, mais Nietz-sche lui-mme, pour une part du moins, entmoignent.) Le discours de la mort de Dieu est aussi une faon de mconnatre ceci : quele divin n'est ce qu'il est (s'il est ) quesoustrait l'immanence, ou retir d'elle enelle, si on veut, retir d'elle. Et cela, de surcrot,en ce sens trs prcis que ce n'est pas parce qu'ily aurait du divin que sa part serait sous-traite l'immanence, mais que c'est au contrairedans la mesure o l'immanence se trouve elle-mme, ici ou l (mais est-ce localisable ? n'est-cepas plutt cela qui localise, qui espace ?), sous-traite l'immanence qu'il peut y avoir quelquechose comme du divin . (Et peut-tre, pour

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  • finir, ne faudra-t-il plus parler de divin . Peut-tre faudra-t-il apprendre que la communaut, lamort, l'amour, la libert, la singularit sont lesnoms du divin aussi bien en ce qu'ils sesubstituent lui et ne le relvent pas ou nele relancent pas , qu'en ce que cette substitu-tion n'a rien d'anthropomorphique ni d'anthro-pocentrique, et ne donne lieu aucun devenir-humain du divin . La communaut feradsormais la limite de l'humain aussi bien quedu divin. Avec Dieu ou avec les dieux, c'est lacommunion substance et acte, acte de lasubstance immanente communique qui a tdfinitivement retire la communaut 4.)

    La conscience chrtienne, moderne, humanistede la perte de la communaut a donc toutes leschances d'tre en ralit l'illusion transcendan-tale d'une raison passant les bornes de son exp-rience possible, qui est dans son fond l'expriencede l'immanence drobe. La communaut n'apas eu lieu, ou plutt, s'il est bien certain quel'humanit a connu (ou connat encore, hors dumonde industriel), des liens sociaux tout autresque ceux que nous connaissons, la communautn'a pas eu lieu selon les projections que nousfaisons d'elle sur ces socialites diffrentes. Ellen'a pas eu lieu chez les Indiens Guayaqui, ellen'a pas eu lieu dans un ge des cabanes, elle n'apas eu lieu dans l' esprit d'un peuple hg-

    4. Cf. J.-L. Nancy, Des lieux divins , in Qu'est-ceque Dieu ?. Bruxelles, Facults Saint-Louis. 1985.

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  • lien, ni dans l'agap chrtienne. La Gesellschaftn'est pas venue, avec l'Etat, l'industrie, le capitaldissoudre une Gemeinschaft antrieure. Il seraitplus juste sans doute, coupant court tous lesrevirements de l'interprtation ethnologique et tous les mirages d'origine ou d' autrefois , dedire que la Gesellschaft la socit , l'as-sociation dissociante des forces, des besoins etdes signes a pris la place de quelque chosepour quoi nous n'avons pas de nom ni deconcept, de quelque chose qui procdait lafois d'une communication beaucoup plus ampleque celle du lien social (avec les dieux, le cos-mos, les animaux, les morts, avec les inconnus),et d'une segmentation beaucoup plus tranche,beaucoup plus dmultiplie de ce mme rapport,entranant souvent des effets plus durs (de soli-tude, de rejet, d'avertissement, d'inassistance)que ce que nous attendons d'un minimum com-munautaire dans le lien social. La socit nes'est pas faite sur la ruine d'une communaut.Elle s'est faite dans la disparition ou dans laconservation de ce qui tribus ou empires n'avait peut-tre pas plus de rapports avec ceque nous appelons communaut qu'avec ceque nous appelons socit . Si bien que lacommunaut, loin d'tre ce que la socit auraitrompu ou perdu, est ce qui nous arrive ques-tion, attente, vnement, impratif partir dela socit.Rien n'a donc t perdu, et pour cette raisonrien n'est perdu. Ne sont perdus que nous-

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  • mmes, nous sur qui le lien social (les rap-ports, la communication), notre invention,retombe lourdement comme le filet d'un pigeconomique, technique, politique, culturel.Emptrs dans ses mailles, nous nous sommesforg le fantasme de la communaut perdue.

    *

    * *

    Ce qui, de la communaut, est perdu l'immanence et l'intimit d'une communion est perdu en ce sens seulement qu'une telle perte est constitutive de la communaut elle-mme.

    Ce n'est pas une perte : l'immanence est aucontraire cela mme qui, si cela avait lieu, sup-primerait l'instant la communaut, ou encorela communication, comme telle. La mort n'enest pas seulement l'exemple, elle en est la vrit.Dans la mort, si du moins on considre en ellece qui y fait advenir l'immanence (la dcompo-sition retournant la nature, tout va sous terreet rentre dans le jeu ou bien les versionsparadisiaques du mme jeu ) et si on oubliece qui la fait toujours irrductiblement singu-lire, il n'y a plus de communaut ou de com-munication : il n'y a que l'identit continue desatomes.

    C'est pourquoi les entreprises politiques oucollectives que domine une volont d'immanence

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  • absolue ont pour vrit la vrit de la mort.L'immanence, la fusion communielle n'enfermepas une autre logique que celle du suicide de lacommunaut qui se rgle sur elle. Aussi bien lalogique de l'Allemagne nazie ne fut-elle pas seu-lement celle de l'extermination de l'autre, dusous-homme extrieur la communion du sanget du sol, mais aussi, virtuellement, la logiquedu sacrifice de tous ceux qui, dans la commu-naut aryenne , ne satisfaisaient pas aux cri-tre de la pure immanence, si bien que detels critres tant bien videmment impossibles arrter une extrapolation plausible du proces-sus aurait pu tre reprsente par le suicide de lanation allemande elle-mme : du reste, il neserait pas faux de dire que cela a rellement eulieu, certains gards de la ralit spirituelle decette nation.

    Le suicide ou la mort commune des amantsest une des figures mythico-littraires de cettelogique de la communion dans l'immanence. Onne sait, devant cette figure, qui de la communionou de l'amour sert de modle, dans la mort, l'autre. En ralit la mort accomplit, avec l'im-manence des deux amants, la rciprocit infiniedes deux instances : l'amour passionnel conu partir de la communion chrtienne, et la commu-naut pense sur le principe de l'amour. L'Etathglien en tmoigne son tour, lui qui ne s'ta-blit certes pas sur le mode de l'amour car ilappartient la sphre dite de l'esprit objec-tif , mais qui n'en a pas moins pour principe

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  • la ralit de l'amour, c'est--dire le fait d'avoirdans un autre le moment de sa subsistance .Dans cet Etat, chacun a sa vrit dans l'autrequ'est l'Etat lui-mme, et dont la ralit ne seprsente jamais autant que lorsque ses membresdonnent leur vie dans une guerre dont le monar-que, prsence--soi effective de l'Etat-Sujet, auraseul et librement pris la dcision 5.

    Sans doute l'immolation pour la communaut et par elle, donc a-t-elle pu et peut-elletre pleine de sens : la condition que ce sens soit bien celui d'une communaut, et la condi-tion que cette communaut ne soit pas une com-munaut de mort (ainsi qu'elle se fait connatreau moins depuis la Premire Guerre mondiale,justifiant du mme coup qu'on lui oppose lesrefus de mourir pour la patrie ). Or la com-munaut de l'immanence humaine, l'hommerendu gal lui-mme ou Dieu, la natureet ses uvres propres, est une telle commu-naut de mort ou de morts. L'homme accom-pli de l'humanisme, individualiste ou commu-niste, est l'homme mort. C'est--dire que la mortn'y est pas l'excs immatrisable de la finitude,mais l'accomplissement infini d'une vie imma-nente : c'est la mort elle-mme rendue l'im-manence, c'est enfin cette rsorption de la mortque la civilisation chrtienne en est venue,comme en dvorant sa propre transcendance,

    5. Cf. J.-L. Nancy, La juridiction du monarquehglien , in Rejouer le politique, Paris, Galile, 1981.

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  • se proposer en guise d'oeuvre suprme. DepuisLeibniz, il n'y a plus de mort dans notre univers :d'une manire ou d'une autre, une circulationabsolue du sens (des valeurs, des fins, de l'His-toire...) comble ou rsorbe toute ngativit finie,tire de chaque destin singulier fini une plus-value d'humanit ou de surhumanit infinie.Mas cela suppose, prcisment, la mort de cha-cun et de tous dans la vie de l'infini.

    Des gnrations de citoyens et de militants,de travailleurs et de serviteurs des Etats ontimagin leur mort rsorbe ou releve dansl'-venir d'une communaut parvenant sonimmanence. Dsormais, nous n'avons plus quela conscience amre de l'loignement croissantd'une telle communaut, qu'elle soit le Peuple,la Nation, ou 1% Socit des Producteurs. Maiscette conscience, tout comme celle de la perte de la communaut, est superficielle. En vrit,la mort ne se relve pas. La communion venirne s'loigne pas, elle n'est pas diffre : elle n'ajamais eu d'-venir; elle ne saurait ni advenir,ni former un futur. Ce qui forme un futur, et quipar consquent advient vraiment, c'est toujoursla mort singulire ce qui ne veut pas direqu'elle n'advienne pas dans la communaut : aucontraire, et je vais y venir. Mais la communionn'est pas l'avenir de la mort, pas plus que lamort n'est le simple pass perptuel de la com-munaut.

    Des millions de morts, certes, sont justifiespar la rvolte de ceux qui meurent : elles sont

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  • justifies en tant que rplique l'intolrable, entant qu'insurrections contre l'oppression sociale,politique, technique, militaire, religieuse. Maisces morts ne sont pas releves : aucune dialecti-que ni aucun salut ne reconduit ces morts uneautre immanence qu' celle... de la mort (de lacessation, de la dcomposition, qui ne formentque des parodies ou des envers d'immanence).Or l'ge moderne n'a pens la justification dela mort que sous les espces du salut ou de larelve dialectique de l'histoire. L'ge modernes'est acharn boucler le temps des hommes etde leurs communauts dans une communionimmortelle o la mort, pour finir, perd le sensinsens qu'elle devrait avoir et qu'elle a obsti-nment.

    Ce sens hors du sens de la mort, nous voicicondamns, acculs plutt le chercher ailleursque dans la communaut. Mais l'entreprise estabsurde (c'est l'absurdit d'une pense de l'in-dividu). La mort est indissociable de la commu-naut, car c'est par la mort que la communautse rvle et rciproquement. Ce n'est pas unhasard si le motif de cete rvlation rciproquea occup aussi bien des penses nourries del'ethnologie que la pense de Freud et celle deHeidegger en mme temps que celle de Bataille,c'est--dire dans le temps qui menait de la Pre-mire la Seconde Guerre mondiale.

    Le motif de la rvlation de l'tre-ensemble,ou de l'tre-avec, par la mort, et de la cristalli-sation de la communaut autour de la mort de

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  • ses membres, c'est--dire autour de la perte (de l'impossibilit} de leur immanence, et nonautour de leur assomption fusionnelle dans quel-que hypostase collective, introduit dans un espacede pense incommensurable avec toutes les pro-blmatiques de la socialite et de l'intersubjecti-vit (et jusqu' la problmatique husserliennede l'alter ego) dans lesquelles la philosophie,quoi qu'elle ft, restait prisonnire. La mortexcde sans recours les ressources d'une mta-physique du sujet. Le fantasme de cette mtaphy-sique, le fantasme que Descartes n'osa (presque)pas avoir, mais que la thologie chrtienne pro-posait dj, est le fantasme d'un mort qui dit,comme Monsieur Waldemar chez Villiers, jesuis mort ego sum... mortuus. Si je ne peutpas dire qu'il est mort, si je disparat effective-ment dans sa mort, dans cette mort qui est prci-sment ce qui lui est le plus propre, le plusinalinable, c'est que je est autre chose qu'unsujet. Toute la recherche heideggerienne de l'tre-pour (ou )-la-mort n'a pas eu d'autresens que de chercher noncer cela : je n'est ne suis pas un sujet.(Bien que, lors-qu'il s'est agi de l communaut comme telle,le mme Heidegger se soit aussi fourvoydans la vision d'un peuple et d'un destin aumoins en partie conu comme sujet 6. Ce qui

    6. Cf. Ph. Lacoue-Labarthe, La transcendance finitdans la politique , in Rejouer le politique, op. cit. etG. Granel, Pourquoi avoir publi cela ? in Del'Universit, Toulouse. T.E.R.. 1982.

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  • prouve sans doute que l'tre--la-mort duDasein n'avait pas t radicalement impliqudans son tre-avec dans le Mitsein , et quec'est cette implication qui nous reste penser.)

    Ce qui n'est pas un sujet ouvre et s'ouvre ins-tantanment sur une communaut, dont la pen-se son tour excde les ressources de la mta-physique du sujet. La communaut ne tisse pasle lien d'une vie suprieure, immortelle ou trans-mortelle, entre des sujets (pas plus qu'elle n'esttisse des liens infrieurs d'une consubtantialitde sang ou d'une association de besoins), maiselle est constitutivement, pour autant qu'ils'agisse l d'une constitution , ordonne lamort de ceux qu'on appelle peut-tre tort ses membres (s'il ne s'agit pas, en elle, d'unorganisme). Mais elle n'y est pas ordonnecomme son uvre. Pas plus que la commu-naut n'est une uvre elle ne fait uvre de lamort. La mort laquelle la communaut s'or-donne n'opre pas le passage de l'tre mort quelque intimit communielle, et la communaut,pour sa part, n'opre pas la transfiguration deses morts, en quelque substance ou en quelquesujet que ce soit patrie, sol ou sang natal,nation, humanit dlivre ou accomplie, phalan-stre absolu, famille ou corps mystique. Elleest ordonne la mort comme ce dont il est,prcisment, impossible de faire oeuvre (sinonuvre de mort, ds qu'on veut en faire uvre...).Elle est l, cette communaut, pour assumer cetteimpossibilit, ou plus exactement car il n'y a

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  • ici ni fonction, ni finalit l'impossibilit defaire uvre de la mort s'inscrit et s'assumecomme communaut .

    La communaut est rvle dans la mortd'autrui : elle est ainsi toujours rvle autrui.ta communaut est ce qui a lieu toujours parautrui et pour autrui. Ce n'est pas l'espace des moi sujets et substances, au fond immor-tels mais celui des je, qui sont toujours desautrui (ou bien, ne sont rien). Si la communautest rvle dans la mort d'autrui, c'est que lamort elle-mme est la vritable communaut desje qui ne sont pas des moi. Ce n'est pas unecommunion qui fusionne les moi en un Moi ouen un Nous suprieur. C'est la communaut desautrui. La vritable communaut des tres mor-tels, ou la mort en tant que communaut, c'estleur communion impossible. La communautoccupe donc cette place singulire : elle assumel'impossibilit de sa propre immanence, l'im-possibilit d'un tre communautaire en tantque sujet. La communaut assume et inscrit c'est son geste et son trac propres en quel-que sorte l'impossibilit de la communaut. Unecommunaut n'est pas un projet fusionnel, ni demanire gnrale un projet producteur ou opra-toire ni un projet tout court (c'est l encoresa diffrence radicale avec l'esprit d'un peu-ple , qui de Hegel Heidegger a figur la col-lectivit comme projet et le projet, rciproque-ment, comme collectif ce qui ne veut pas dire

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  • que nous n'ayons rien penser de la singularitd'un peuple ).

    Une communaut est la prsentation sesmembres de leur vrit mortelle (autant direqu'il n'y a pas de communaut d'tres immor-tels ; on peut imaginer soit une socit, soit unecommunion des tres immortels, niais non unecommunaut). Elle est la prsentation de lafinitude et de l'excs sans recours qui font l'trefini : sa mort, mais aussi bien sa naissance, seulela communaut me prsente ma naissance, etavec elle l'impossibilit pour moi de retraversercelle-ci, aussi bien que de franchir ma mort).

    S'il voit son semblable mourir, unvivant ne peut plus subsister que hors desoi.

    (...) Chacun de nous est alors chass de

    l'troitesse de sa personne et se perd autantqu'il peut dans la communaut de ses sem-blables. C'est pour cela qu'il est ncessaire la vie commune de se tenir hauteur demort. Le lot d'un grand nombre de viesprives est la petitesse. Mais une commu-naut ne peut durer qu'au niveau d'inten-site de la mort, elle se dcompose dsqu'elle manque la grandeur particulireau danger. Elle doit prendre sur elle ceque la destine humaine a d' " inapaisa-ble ", d' " inapais ", et maintenir unbesoin assoiff de gloire. Un homme entre

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  • mille, longueur de journe, peut n'avoirqu'une intensit de vie presque nulle : ilse conduit comme si la mort n'existait paset se tient sans dommage au-dessous de sonniveau. (VII, 245-246.)

    Sans doute Bataille a-t-il t le plus loin dansl'exprience cruciale du destin moderne de lacommunaut. Dans l'intrt, malgr tout encoretrop mince (quand il ne fut pas frivole) qu'ona port sa pense, on n'a pas encore assezremarqu 7 quel point elle tait issue d'uneexigence et d'une inquitude politiques oubien, d'une exigence et d'une inquitude au sujetdu politique, et que commandait la pense de lacommunaut.

    Bataille a tout d'abord connu l'preuve ducommunisme trahi , Il dcouvrit plus tardque cette trahison n'avait pas tre corrige ourattrape, mais que le communisme, s'tantdonn l'homme pour fin, la production de

    7. Sauf Denis Hollier, dj dans la Prise de laConcorde, Paris. Gallimard, 1974, et en particulier parsa publication du Collge de sociologie, Paris, Galli-mard, 1979.

    Tout rcemment, Francis Marmande a prsent unexamen systmatique des proccupations politiques deBataille dans sa thse Georges Bataille politique, Pres-ses Universitaires de Lyon, 1985.

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  • l'homme et de l'homme producteur, I tait lidans son principe une ngation de la souve-rainet de l'homme, c'est--dire une ngationde ce qui, de l'homme, est irrductible l'im-manence humaine, ou une ngation de l'excssouverain de la finitude :

    Pour un marxiste, une valeur par-dell'utile est concevable, et mme elle est in-vitable, mais elle est immanente l'hommeou n'est pas. Ce qui transcende l'homme (etl'homme vivant, bien entendu, dans l'ici-bas), ou de la mme faon ce qui dpassel'humanit commune (l'humanit sans pri-vilge), est sans discussion inadmissible. Lavaleur souveraine est l'homme : la produc-tion n'est pas la seule valeur, elle n'est quele moyen de rpondre aux besoins del'homme, elle le sert, et non l'homme laproduction.

    (...) Il reste nanmoins savoir si l'homme,

    auquel le communisme rapporte la pro-duction, n'a pas pris cette valeur souve-raine une condition premire : d'avoirrenonc, pour lui-mme, tout ce qui estvritablement souverain. (...) A l'irrducti-ble dsir que l'homme est passionnment,capricieusement, le communisme a substi-tu ceux de nos besoins qu'il est possiblede concilier avec une vie tout entire occu-pe produire. (VIII. 352-353.)

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  • Entre-temps, dans les annes trente, s'taientconjointes chez Bataille une agitation rvolution-naire dsireuse de rendre la rvolte l'incandes-cence que l'Etat bolchevique lui avait drobeet une fascination par le fascisme, en tant quecelui-ci semblait indiquer le sens, sinon la ra-lit, d'une communaut intense, voue l'excs.(Il ne faut pas en prendre son aise avec cettefascination, pas plus dans le cas de Bataille quedans le cas de plusieurs autres. Le fascisme igno-ble, et le fascisme en tant que recours du capital,le fascisme misrable tentait aussi de rpondre misrablement, ignoblement au rgne djinstall, dj touffant de la socit. Il fut lesursaut grotesque ou abject d'une hantise de lacommunion, il cristallisa le motif de sa prten-due perte, et la nostalgie de son image fusion-nelle. Le fascisme, cet gard, fut la convulsiondu christianisme, et c'est toute la chrtientmoderne qu'en fin de compte il fascina. Aucunecritique politico-morale de cette fascination nepeut porter si celui qui critique n'est pas enmme temps capable de dconstruire le systmede la communion 8.)

    Mais outre le mpris que lui inspira aussittla bassesse des meneurs et des murs fascistes,Bataille fit l'preuve de ce que la nostalgie d'un

    8. Mais c'est malheureusement au nom des attitudespolitiques ou morales les plus convenues qu'on se per-met en gnral les critiques les plus hautaines et lesplus vaines du fascisme lui-mme ou de ceux quidurent en affronter k fascination...

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  • tre communiel tait en mme temps le dsird'une uvre de mort. Il fut hant, on le sait,par ride qu'un sacrifice humain devrait scellerle destin de la communaut secrte d'Acphale.Il comprit sans doute alors, comme il l'crivitplus tard 9, que la vrit du sacrifice exigeait enfin de compte le suicide du sacrificateur. Enmourant, celui-ci pourrait rejoindre l'tre de lavictime plong dans le secret sanglant de la viecommune. Il comprit ainsi que cette vrit pro-prement divine la vrit opratoire et rsur-rectionnelle de la mort n'tait pas la vrit dela communaut des tres finis, mais qu'elle pr-cipitait au contraire dans l'infini de l'imma-nence. Ce n'est pas l'horreur, c'est encoreau-del de l'horreur, c'est l'absurdit totale ou pour ainsi dire la purilit dsastreuse del'uvre de mort de la mort, considre commeuvre de la vie commune. Et c'est cette absur-dit, qui est au fond un excs de sens, uneconcentration absolue de la volont du sens, quidut dicter Bataille de se retirer des entreprisescommunautaires.

    Il comprit ainsi la nature drisoire de toutesles nostalgies de la communion, lui qui pendantlongtemps s'tait reprsent - en une sorte deconscience exacerbe de la perte de la com-munaut, qu'il a partage avec toute une po-que les socits archaques, leurs ordonnancessacres, la gloire des socits militaires et royales.

    9. Par exemple, VII, 257.

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  • la noblesse de la fodalit, comme les formesdisparues et fascinantes d'une intimit russiede l'tre-en-commun avec lui-mme.

    A cette espce moderne et fivreuse de rous-seauisme (dont il n'est pas certain, nanmoins,que Bataille se soit jamais tout fait dpris :j'y reviendrai), il dut opposer un double constat :d'une part, le sacrifice, la gloire, la dpense res-taient simuls. tant qu'ils n'allaient pas jusqu'l'uvre de mort, et que la non-simulation taitdonc l'impossible mme ; mais d'autre part, dansla simulation elle-mme (c'est--dire, dans lasimulation de l'tre immanent), l'uvre de mortne s'en accomplissait pas moins, en tout casrelativement, dans la domination, l'oppression,l'extermination et l'exploitation auxquelles, pourfinir, aboutissaient tous les systmes socio-poli-tiques dans lesquels l'excs d'une transcendancetait, comme tel, voulu, prsent (simul) etinstitu dans l'immanence. Ce n'est pas seule-ment le Roi-Soleil qui mle l'asservissement del'Etat aux clats d'une gloire sacre, c'est touteroyaut qui a toujours dj dtourn la souve-rainet qu'elle expose en moyen de dominationet d'extorsion :

    La vrit est que nous pouvons souf-frir de ce qui nous manque, mais que,mme si nous en avons paradoxalement lanostalgie, nous ne pouvons que par aberra-tion regretter ce que fut l'difice religieuxet royal du pass. L'effort auquel cet di-

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  • fice rpondit ne fut qu'un chec immenseet s'il est vrai que l'essentiel manque dansle monde o il s'est effondr, nous ne pou-vons qu'aller plus loin, sans imaginer,ft-ce un instant, la possibilit d'un retouren arrire. (VIII 275.)

    Le renversement de la nostalgie d'une commu-nion perdue en la conscience d'un checimmense de l'histoire des communauts sereliait pour Bataille l'exprience intrieure dont le contenu, la vrit ou la leon ultimes'nonce ainsi : La souverainet n'est RIEN C'est--dire que la souverainet est l'expositionsouveraine un excs ( une transcendance) quine se prsente pas, ne se laisse pas approprier(ni simuler), qui ne se donne mme pas mais quoi l'tre est plutt abandonn. L'excs auquella souverainet s'expose et nous expose n'estpas, en un sens peut-tre proche de celui oul'Etre heideggerien n'est pas , c'est--dire ence sens o l'tre de l'tant fini n'est pas tant cequi le fait tre que plutt ce qui le laisse aban-donn une telle exposition. L'tre de l'tantfini l'expose la fin de l'tre.

    Ainsi, l'exposition au RIEN de la souverai-net est le contraire du mouvement d'un sujetqui parviendrait la limite du nant (ce quiconstitue, au fond, le mouvement permanent duSujet, dvorant en soi indfiniment le nant quereprsente tout ce que n'est pas pour soi ; lafin, c'est l'autophagie de la vrit). Dans le

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  • RIEN , ou dans rien dans la souverai-net , l'tre est hors de soi ; il est dans uneextriorit impossible rattraper, ou peut-trefaudrait-il dire qu'il est de cette extriorit, qu'ilest d'un dehors qu'il ne peut se rapporter, maisavec lequel il entretient un rapport essentiel etincommensurable. Ce rapport ordonne sa placel'tre singulier. C'est pourquoi l'exprienceintrieure dont parle Bataille n'a rien d' int-rieur ni de subjectif , mais est indissociablede l'exprience de ce rapport au dehors incom-mensurable. A ce rapport, seule la communautfournit son espace, ou son rythme.

    En ce sens, Bataille est sans aucun doute celuiqui a fait le premier, ou de la manire la plusaigu, l'exprience moderne de la communaut :ni uvre produire, ni communion perdue, maisl'espace mme, et l'espacement de l'expriencedu dehors, du hors-de-soi. Le point crucial decette exprience fut l'exigence, prenant reverstoute la nostalgie, c'est--dire toute la mtaphysi-que communielle, d'une conscience claire dela sparation, c'est--dire d'une conscienceclaire (en fait, la conscience de soi hglienne,elle-mme, mais suspendue sur la limite de sonaccs soi) de ce que l'immanence ou l'intimitne peut pas tre retrouve, et de ce que, en dfi-nitive, elle n'est pas retrouver.

    Pour cette raison mme, cependant, l'exigencede la conscience claire est donc le contraired'un abandon de la communaut, et par exempled'un repli sur les positions de l'individu. L'indi-

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  • vidu comme tel n'est qu'une chose 10, et la chose,pour Bataille, pourrait tre dfinie comme l'tresans communication ni communaut. La claireconscience de la nuit communielle cetteconscience l'extrmit de la conscience, et quiest aussi la suspension du dsir hglien (dudsir de reconnaissance de la conscience), l'inter-ruption finie du dsir infini, et l'infinie syncopedu dsir fini (la souverainet mme : dsir horsdu dsir et matrise hors de soi) , cette claire conscience ne peut avoir lieu ailleursque dans la communaut, ou plutt elle ne peutavoir lieu que comme la communication de la,communaut : la fois comme ce qui commu-nique dans la communaut, et comme ce quela communaut communique 11.

    10. Par exemple, VII, 312.11. J'use du terme communication tel que Ba-

    taille l'emploie, c'est--dire selon le rgime d'une vio-lence faite la signification du mot, aussibien en ce qu'elle indique la subjectivit ou l'inter-subjectivit, qu'en ce qu'elle dnote la transmissiond'un message et d'un sens. A la limite, ce mot est inte-nable. Je le garde parce qu'il rsonne avec la commu-naut , mais je lui superpose (ce qui est parfois luisubstituer) le mot de partage . La violence que Ba-taille infligeait au concept de communication taitconsciente de son insuffisance : Etre isol, communi-cation, n'ont qu'une seule ralit. Il n'existe nulle partd' "tres isols" qui ne communiquent pas, ni de"communication " indpendante des points d'isole-ment. Que l'on prenne soin d'carter deux conceptsmal faits, rsidus de croyances puriles, ce prix leproblme le plus mal nou sera tranch. (VII, 553)Etait appele par l, en somme, la dconstruction

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  • Cette conscience ou cette communication est l'extase : c'est--dire que je n'ai jamaisune telle conscience comme ma conscience, etque je ne l'ai au contraire que dans la commu-naut et par elle. Cela ressemble, presque s'ymprendre, ce qu'on pourrait appeler dansd'autres contextes un inconscient collectif , etcela ressemble peut-tre plus encore ce qu'ilest possible de reprer travers Freud commel'essence en fin de compte collective de ce qu'ilappelle l'inconscient. Mais ce n'est pas uninconscient c'est--dire que ce n'est pas l'en-vers d'un sujet, ni son clivage. Ce n'est rien quiait faire avec la structure de sot du sujet : c'estla conscience claire l'extrmit de sa clart, otre conscience de soi s'avre tre hors du soi dela conscience.

    La communaut, qui n'est pas un sujet, etencore moins un sujet (conscient ou inconscient)plus ample que moi , n'a pas, ne possdepas cette conscience : la communaut est laconscience extatique de la nuit de l'immanence,

    de ce concept, telle que Derrida l'a engage ( Signa-ture, vnement, contexte in Marges, Paris, Minuit,1972), et telle que d'une autre faon elle se prolongechez Deleuze et Guattari ( Postulats de la linguis-tique in Mille Plateaux, Paris, Minuit, 1980). Cesoprations entranent ncessairement une rvalua-tion gnrale de la communication dans la communautet de la communaut (de la parole, de la littrature.de rchange, de l'image, etc.), par rapport laquellel'usage du terme de communication ne peut treque pralable et provisoire.

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  • en tant qu'une pareille conscience est l'interrup-tion de la conscience-de-soi.

    *

    * *

    Bataille a su mieux que quiconque il fut leseul frayer la voie d'un tel savoir ce quiforme plus qu'une connexion de l'extase et dela communaut, ce qui fait de chacune le lieude l'autre, ou encore ce par quoi, selon une topo-logie atopique, la circonscription d'une commu-naut, ou mieux son aralit (sa nature d'aire,d'espace form), n'est pas un territoire, maisforme l'aralit d'une extase 12 de mme querciproquement, la forme d'une extase est celled'une communaut.

    Cependant, Bataille lui-mme resta pour ainsidire suspendu entre les deux ples de l'extase etde la communaut. La rciprocit de ces deuxples consiste en ce que, tout en se donnant l'un l'autre lieu en s'aralisant , ils se limitentl'un par l'autre ce qui fait une autre arali-sation , une suspension de l'immanence laquelle pourtant leur connexion engage. Cettedouble aralisation fonde la rsistance la

    12. Bien que toutes les questions du territoire, desfrontires, des partages locaux de tous ordres desdistributions urbaines par exemple devraient trereposes partir de l.

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  • fusion, l'uvre de mort, et cette rsistance estle fait de l'tre-en-commun comme tel : sanscette rsistance, nous ne serions jamais long-temps en commun, trs vite nous serions ra-liss dans un tre unique et total. Mais pourBataille le ple de l'extase resta li l'orgiasmefasciste, ou du moins la fte, dont la nostalgieambigu fit retour, aprs lui, en 1968 tantqu'il reprsenta l'extase en termes de groupe etde politique.

    Le ple de la communaut tait solidaire, pourlui, de l'ide communiste. Cette dernire portait,malgr tout, les motifs de la justice et de l'galitsans lesquels, de quelque faon qu'il conviennede les transcrire, une tentative communautairene peut tre qu'une farce. A cet gard au moins,le communisme restait une exigence indpas-sable, ou bien, ainsi que Bataille l'crivait : Denos jours l'effet moral du communisme prdo-mine. (VIII, 367.) Aussi bien ne cessa-t-il pas,tout en analysant le rapport ngateur du commu-nisme la souverainet, de dire : Il est dsi-rable, sans nul doute, que s'effacent les diffren-ces ; il est dsirable que s'tablisse une galitvritable, une vritable indiffrenciation , ajou-tant aussitt : Mais s'il est possible qu' l'ave-nir les hommes s'intressent de moins en moins leur diffrence avec les autres, cela ne veutpas dire qu'ils cessent de s'intresser ce quiest souverain. (VIII, 323.)

    Or il lui fut impossible de relier autrementque par une ptition de ce genre les formes de

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  • la souverainet ou l'extase la commu-naut galitaire, voire la communaut engnral. Ces formes essentiellement la souve-rainet des amants et celle de l'artiste, l'une etl'autre et l'une en l'autre soustraites l'orgiasmefasciste, mais aussi bien l'galit communiste ne purent lui apparatre autrement quecomme des extases, sinon proprement prives (quel sens cela pourrait-il avoir ?), du moinsisoles, sans prise sans prise reprable, non-able, en tout cas sur la communaut danslaquelle pourtant elles devaient tre tisses, ara-lises ou inscrites, sous peine de perdre, au fond,leur valeur souveraine elle-mme.

    La communaut se refusant l'extase, l'ex-tase se retirant de la communaut, et l'une etl'autre dans le geste mme par lequel chacuneengage sa propre communication : on peut sup-poser que c'est cette difficult dcisive qui expli-que l'inachvement de la Souverainet, aussibien que la non-publication de la Thorie de lareligion. Dans les deux cas, l'entreprise finissaitpar chouer en de de la communaut, extatiquequ'elle s'tait donn pour tche de penser. Certes,ne pas aboutir tait une des exigences de l'effortde Bataille, qui allait de pair avec le refus duprojet auquel semble inexorablement lie unepense de la communaut. Mais il savait lui-mme qu'il n'y a pas de non-projet pur ( On nepeut pas dire en tranchant : c'est un jeu, c'est unprojet, mais seulement : le jeu, le projet dominedans une activit donne. VII, 220.) Et le

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  • propos de la Souverainet, mme si le Jeu cher-chait y dominer, tait bien celui d'un projet,n'arrivant pas se formuler. La part du jeu,quant elle, divorait irrsistiblement du projetet en gnral de la pense mme de la commu-naut. Bien que celle-ci ft l'unique souci deBataille, conformment l'exprience qu'il avaitfaite ( cette exprience terminale de l'gemoderne, et qui forme sa limite, que l'on peutrsumer ainsi : hors de la communaut, pasd'exprience), il ne put enfin opposer l' checimmense de l'histoire politique, religieuse etmilitaire qu'une souverainet subjective desamants et de l'artiste c'est--dire aussi l'ex-ception de fulgurations htrognes pure-ment arraches l'ordre homogne de lasocit, et ne communiquant pas avec lui. Demanire parallle, il en arriva, sans la vouloiret sans la thmatiser, une opposition quasimentpure de l'galit dsirable et d'une libertimprieuse et capricieuse comme la souverainetavec laquelle, en fait, elle se confond 13. D'unelibert dsirant l'galit dsirable par exem-ple , il ne put vraiment tre question. C'est--dire qu'il ne fut pas question d'une commu-

    13. Ce n'est pas sans rapport avec l'opposition faitepar H. Arendt entre les rvolutions de la libert etcelles de l'galit. Et chez Arendt aussi, la fconditde l'opposition reste limite partir d'un certain point,et non entirement congruente avec d'autres lmentsde sa pense.

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  • naut qui ouvrirait en elle-mme et d'elle-mme,au sein de l'tre-en-commun, l'aralit d'uneextase.

    Bataille avait pourtant crit, beaucoup plustt (avant 1945, en tout cas) :

    Je puis imaginer une communaut deforme aussi lche qu'on voudra, mmeinforme : la seule condition est qu'uneexprience de la libert morale soit mise encommun, non rduite a la significationplate, s'annulant, se niant elle-mme, dela libert particulire. (VI, 252.)

    Il avait aussi crit :

    Il ne peut y avoir de connaissance sansune communaut de chercheurs, ni d'exp-rience intrieure sans communaut de ceuxqui la vivent (...) la communication est unfait qui ne se surajoute nullement la ra-lit humaine, mais la constitue. (V, 37.)

    [Ces lignes suivent une citation deHeidegger, et l'expression de ralithumaine rpte la traduction de Corbinpour Dasein.]

    Et pourtant, de manire paradoxale maisapparemment irrsistible, le motif de la commu-naut s'estompe dans les crits de l'poque dela Souverainet. Profondment, sans aucundoute, la problmatique demeure celle qu'indi-

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  • quaient les textes antrieurs. Mais tout se passecomme si la communication de chaque tre avecRIEN se mettait prvaloir sur la communica-tion des tres, ou encore comme s'il fallait renon-cer montrer que dans les deux cas il s'agitde la mme chose.

    Tout se passe comme si Bataille, malgr laconstance de son souci et de ses intentions, taitconduit, quoi qu'il en ait, une extrmit del'preuve du monde dans lequel il vit cemonde que dchira, avec la guerre, une ngationatroce de la communaut et un embrasementmortel de l'extase. Dans cette preuve extrme,il ne vit plus s'offrir aucun visage, aucun scheme,ni mme aucun simple repre pour la commu-naut, une fois passes les figures des commu-nauts religieuses ou mystiques, et une fois closela figure trop humaine du communisme.

    D'une certaine faon, ce monde est toujoursle ntre, et les variations htives, souvent brouil-lonnes, toujours lourdement humanistes, quifurent esquisses sur le thme de la communaut,depuis la guerre, n'ont pas chang les donnesessentielles, si elles ne les ont pas aggraves. Lavenue au jour et la conscience des communau-ts dcolonises n'a pas modifi en profondeurcet tat de choses, et la croissance, aujourd'hui,des formes indites de l'tre-en-commun travers l'information comme travers ce qu'onappelle la socit multiraciale n'a pasnon plus dclench le renouvellement vritabled'une question de la communaut.

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  • Mais si ce monde qui, malgr tout, a chang(et Bataille, parmi d'autres, ne fut pas trangerau changement) ne nous propose aucune figurenouvelle de la communaut, cela mme nousenseigne peut-tre quelque chose. Nous appre-nons peut-tre ainsi qu'il ne peut plus s'agir defigurer ou de modeler, pour nous la prsenteret pour la fter, une essence communautaire, etqu'il s'agit en revanche de penser la communaut,c'est--dire d'en penser l'exigence insistante etpeut-tre encore inoue, par-del les modles oules modelages communautaristes.

    Par ailleurs, et en outre, ce monde ne nousrenvoie mme plus la clture de l'humanismecommuniste que Bataille analysait. Il nous ren-voie un totalitarisme que Bataille ne soup-onnait pas exactement, limit qu'il tait par lesconditions de la guerre froide, et hant qu'il taitencore par ce motif obscur mais persistant quedu ct du communisme, malgr tout, s'taitenfuie la promesse communautaire. Mais pournous, au-del mme, dsormais, d'un totalita-risme qui et t la ralisation monstrueusede cette promesse, il n'y a que des imprialismesqui jouent entre eux sur le fond d'un autreempire encore, ou d'un autre impratif technico-conomique, et les formes sociales que faonnecet impratif. De communaut, il n'est plus ques-tion. Mais c'est aussi bien parce que la mise enuvre technico-conomique de notre monde apris le relais, voire recueilli l'hritage des des-seins de mise en uvre communautaire. Il s'agit

  • toujours essentiellement d'uvre, d'opration oud'oprativit.

    C'est en ce sens que l'exigence de la commu-naut nous est encore inoue, qu'elle nous reste dcouvrir et penser. Du moins pouvons-noussavoir que les termes mmes de la promesse del'uvre communautaire manquaient dj, eneux-mmes, le sens inou de la commu-naut 14, et qu'en somme le projet com-munautaire comme tel participe de l' checimmense .

    Nous pouvons le savoir en partie grce Bataille mais il nous faut aussi dsormais lesavoir en partie contre lui.

    Non pas, cette fois, contre l'exprience diff-rente qui fut celle de son temps, mais contre unelimite qu'il faut en venir reconnatre, et quivoua sa pense la difficult et au paradoxe oelle s'arrta. Cette limite est elle-mme le para-doxe : savoir, le paradoxe d'une pense aiman-te par la communaut, et pourtant rgle par lethme de la souverainet d'un sujet. PourBataille comme pour nous tous, une pense dusujet met en chec une pense de la commu-naut.

    14. En revanche, dans le monde bourgeois dont Ba-taille avait parfaitement reconnu la confusion (VII,131, 135) et le caractre dsempar (ibid.), c'est demultiples faons que, depuis 1968, a insist l'inquitudede la communaut. Mais le plus souvent dans la nave-t, voire la purilit, et dans la mme confusion ,qui rgne sur les idologies communielles ou convi-viales...

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  • Certes, le mot de sujet pourrait n'tre, chezBataille, qu'un mot. Et sans doute, le conceptqu'il en eut ne fut ni la notion ordinaire de la subjectivit , ni le concept mtaphysique dela prsence--soi comme subjectum de la repr-sentation. L'exprience intrieure dfinit aucontraire : Soi-mme , ce n'est pas le sujets'isolant du monde, mais un lieu de communica-tion, de fusion du sujet et de l'objet (V, 21).Cela n'empchera pas la Souverainet de parler,par exemple, de cette jouissance de l'instant,d'o procde la prsence lui-mme du sujet .(VIII, 395). La premire de ces phrases ne sufftpas corriger ou compliquer la seconde lamesure de ce qui est en jeu. Le lieu de commu-nication peut rester dtermin, en dernireinstance, comme prsence--soi : par exemple,et la limite, comme la prsence--soi de lacommunication elle-mme, ce qui ne serait passans cho dans certaines idologies de la com-munication. Qui plus est, l'quivalence de celieu avec une fusion du sujet et de l'objet comme si a communiquait jamais de sujet objet... le reconduit au cur de la thmatiquela plus constante de l'idalisme spculatif. Avec l'objet et la fusion , avec l'objet de laconscience devenant objet de la consciencede soi, c'est--dire objet aussi bien supprimcomme objet, ou concept 15, disparaissent, ou

    15. Phnomnologie de l'esprit, trad. Hippolyte.Aubier t. III, p. 306.

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  • plutt ne peuvent apparatre ni l'autre, ni lacommunication. L'autre d'une communicationdevenant objet mme et surtout peut-trecomme objet supprim ou concept d'unsujet, ainsi qu'il en va en effet (sauf entrepren-dre, avec Bataille et au-del de lui, une torsionde la lecture) dans le rapport hglien desconsciences, c'est un autre qui n'est plus unautre, mais un objet de la reprsentation d'unsujet (ou, de manire plus retorse, l'objet repr-sentant d'un autre sujet pour la reprsentationdu sujet...). La communication et l'altrit quien fait la condition ne peuvent par principeavoir qu'un rle et qu'un rang instrumental, nonontologique, dans une pense qui rapporte ausujet l'identit ngative mais spculaire de l'ob-jet, c'est--dire de l'extriorit sans altrit. Lesujet ne peut pas tre hors de soi : c'est mmeen fin de compte ce qui le dfinit, que tout sondehors et toutes ses alinations ou extra-nations soient la fin par lui supprims, etrelevs en lui. L'tre de la communication, aucontraire, l'tre-communiquant (et non le sujet-reprsentant), ou si on veut se risquer le direla communication comme predicament de l'tre,comme transcendantal , est avant tout tre-hors-de-soi.

    L' hglianisme sans rserves que Derridareprait chez Bataille 16 ne peut pas ne pas tre

    16. De l'conomie restreinte l'conomie gn-rale , in l'Ecriture et la Diffrence, Paris, Seuil, 1967.

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  • soumis, au bout du compte, la loi hglienned'une rserve toujours plus puissante que toutabandon de rserve : la rserve, c'est--dire enfait la relve du Sujet, qui se rapproprie dansla prsence c'est sa jouissance, et c'est soninstant jusqu' la souverainet, jusqu'RIEN, et jusqu' la communaut.

    A vrai dire, Bataille n'eut peut-tre pas deconcept du sujet. Mais il laissa, jusqu' un cer-tain point du moins, la communication quiexcde le sujet se rapporter un sujet, ou biens'riger elle-mme en sujet. (Par exemple c'estdu moins une hypothse qu'il faudrait examinercontradictoirement avec celle que j'voqueraiplus loin quant l'criture de Bataille ensujet de la production et de la communicationlittraires des textes de Bataille lui-mme.)

    La limite historique et la limite thorique s'en-trelacent. Il n'est pas tonnant qu' la limite unisolement maudit des amants et de l'artiste aitfini par tre seul rpondre, et rpondre surun mode tragique, la hantise communielle dontl'poque venait de prouver qu'elle menait droitaux uvres de mort. Les amants de Bataillesont aussi, la limite, un sujet et un objet etle sujet, c'est toujours du reste l'homme, l'objet,toujours la femme, par un dtournement sansdoute trs classique de la diffrence sexuelle enappropriation de soi par soi. (Cependant, il n'estpas certain que sur un autre registre, une autrelecture, l'amour et la jouissance ne soient paschez Bataille essentiellement ceux de la femme

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  • et de la femme en l'homme. Pour en parler,il faudrait envisager, ce que je ne peux faireici, l'criture 17 de Bataille, alors que je n'envi-sage pour le moment que ses thmes .) Lacommunaut ne pourrait qu'obir un modleanalogue, et par consquent, ft-ce en simplifiantun peu, peine, un modle soit fasciste, soitcommuniste. Bataille a d le deviner, et l'ayantdevin il renona secrtement, discrtement, etmme son insu, penser la communaut pro-prement dite.

    C'est--dire qu'il renona penser le partagede la communaut, et la souverainet dans lepartage ou la souverainet partage, et partageentre des Dasein, entre des existences singuliresqui ne sont pas des sujets, et dont le rapport le partage lui-mme n'est pas une communion,ni une appropriation d'objet, ni une reconnais-sance de soi, ni mme une communication commeon l'entend entre des sujets. Mais ces tres sin-guliers, sont eux-mmes constitus par le partage,ils sont distribus et placs bu plutt espacspar le partage qui les fait autres : autres l'unpour l'autre, et autres, infiniment autres pour leSujet de leur fusion, qui s'abme dans le partage,dans l'extase du partage : communiquant dene pas communier . Ces lieux de commu-nication ne sont plus des lieux de fusion, bien

    17. Cf. les remarques de Bernard Sichre dans L'rotisme souverain de Georges Bataille , Tel Quel,n 93.

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  • qu'on y passe de l'un l'autre ; ils sont dfinis etexposs par leur dis-location. Ainsi, la commu-nication du partage serait cette dis-location elle-mme.

    Dialectiquement, en apparence, je pourraisdire ici : cela mme que Bataille renona pen-ser, il n'a rien pens d'autre. Ce qui voudraitdire en fin de compte qu'il l'a pens la limite sa limite, la limite de sa pense, et onne pense jamais que l. Et que c'est ce qu'ildevait ainsi penser sa limite qu'il nous donne penser notre tour.

    En ralit, ce que j'crivais plus haut ne consti-tue ni une critique, ni une rserve propos deBataille, mais un essai de communiquer avec sonexprience, plutt que d'aller seulement puiserdans son savoir ou dans ses thses. Il ne s'agis-sait que de parcourir une limte qui est la ntre :la sienne, la mienne, celle de notre temps, cellede notre communaut. Au lieu o Bataille assi-gnait le sujet, cet endroit du sujet ou sonenvers , au lieu de la communication et au lieu de communication , Il y a bien quelquechose, et non pas rien : notre limite est den'avoir pas vraiment de nom pour ce quelquechose ou pour ce quelqu'un . S'agit-ild'avoir un nom vritable pour cet tre singu-lier ? C'est une question qui ne pourra venir que

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    *

    * *

  • bien plus tard. Pour le moment, disons qu'dfaut de nom il est ncessaire de mobiliser desmots, pour remettre en mouvement la limite -denotre pense. Ce qu' il y a au lieu de la com-munication, ce n'est ni le sujet ni l'tre commu-niel, mais la communaut, et le partage.

    Cela ne dit encore rien. Peut-tre en vrit n'ya-t-il rien dire. Peut-tre ne faut-il chercher nimot ni concept, et reconnatre dans la pense dela communaut un excs thorique (plus exacte-ment : un excs sur le thorique) qui nous obli-gerait une autre praxis du discours et de lacommunaut. Mais cela, du moins, il faut tenterde le dire, parce que seul le langage indique, la limite, le moment souverain o il n'a pluscours 18. Ce qui signifie, ici, que seul un dis-cours de la communaut peut indiquer, en s'pui-sant, la communaut la souverainet de sonpartage (c'est--dire ne pas lui prsenter ni luisignifier sa communion). Une thique, une poli-tique du discours et de l'criture sont videm-ment impliques par l. Ce que doit tre ou ceque peut tre un tel discours, par qui et com-ment, dans la socit, il doit ou il peut tretenu, voire ce que sa tenue appellerait de trans-formation, de rvolution ou de rsolution de cettesocit (par exemple : qui crit ici ? o ? pourqui ? un philosophe , un livre , une mai-son d'dition , des lecteurs , cela convient-il,

    18. L'Erotisme, Paris, Minuit, 1957, p. 306.

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  • tel quel, la communication ?) c'est ce dontil y aura lieu de se mettre en qute. Ce n'estpas autre chose que la question du communismelittraire ou de ce que j'essaie du moins de dsi-gner par cette expression maladroite : quelquechose qui serait le partage de la communautdans et par son criture, sa littrature. J'y vien-drai dans la seconde partie de ce livre.

    Il s'agit d'approcher dsormais cette questionavec Bataille, cause de Bataille et de quel-ques autres , mais, on l'a compris, ce n'est pasl'affaire d'un commentaire de Bataille, ni du com-mentaire de quiconque : car la communaut,sans doute, ne fut encore jamais pense. Cen'est pas non plus que je prtende, l'inverse,forger moi seul le nouveau discours de lacommunaut. Car il ne s'agit ni de discours nid'isolement. Mais j'essaie d'indiquer, la limite,une exprience non pas, peut-tre, une exp-rience que nous faisons, mais une exprience quinous fait tre. Dire que la communaut ne futencore jamais pense, c'est dire qu'elle prouvenotre pense, et qu'elle n'en est pas un objet.Et peut-tre n'a-t-elle pas le devenir.

    Ce qui, de toute manire, ne se laisse pascommenter chez Bataille, c'est ce qui excda sapense et qui excde la ntre et qui pourcela nous oblige : le partage de la communaut,la vrit mortelle que nous partageons et quinous partage. Ainsi, ce que Bataille crivit denotre rapport l'difice religieux et royal dupass vaut de notre rapport Bataille lui-

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  • mme : Nous ne pouvons qu'aller plus loin 19. Rien n'est encore dit, nous devons nous exposer l'inou de la communaut.

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    Le partage rpond ceci : ce que la commu-naut me rvle, en me prsentant ma naissanceet ma mort, c'est mon existence hors de moi.Ce qui ne veut pas dire mon existence rinvestiedans ou par la communaut, comme si celle-citait un autre sujet qui prendrait ma relve, surun mode dialectique ou sur un mode communiel.La communaut ne prend pas ta relve de la fini-tude qu'elle expose. Elle n'est elle-mme, en-somme, que cette exposition. Elle est la commu-naut des tres finis, et en tant que telle elle estelle-mme communaut finie. C'est--dire nonpas communaut limite par rapport une com-munaut infinie ou absolue, mais communautde la finitude, parce que la finitude est com-munautaire, et que rien d'autre qu'elle n'estcommunautaire.

    L'tre-en-commun ne signifie pas un degrsuprieur de substance ou de sujet prenant encharge les limites des individualits spares. En

    19. En ce qui concerne plus prcisment l'puise-ment de la religion, cf. Marcel Gauchet, le Dsenchan-tement du monde, Paris, Gallimard. 1985.

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  • tant qu'individu, je suis clos toute commu-naut, et il ne serait pas outr de dire que l'in-dividu si du moins un tre absolument indivi-duel pouvait exister est infini. Sa limite, aufond, ne le concerne pas elle le cerne seule-ment (et il se drobe la logique de la limitetelle que je l'indiquais plus haut : mais parcequ'on ne peut se drober cette logique, parcequ'elle rsiste, et que la communaut rsiste enelle, il n'y a pas d'individu).

    Mais l'tre singulier, qui n'est pas l'individu,est l'tre fini. Ce quia manqu, sans doute, lathmatique de l'individuation telle qu'elle estpasse d'un certain romantisme Schopenhaueret Nietzsche 20, c'est d'envisager la singularit,dont elle n'tait pourtant pas loigne. L'indi-viduation dtache des entits closes d'un fondinforme dont cependant seule la communica-tion, la contagion ou la communion fait l'tredes individus. Mais la singularit ne procde pasd'un tel dtachement de formes ou de figuresclaires (ni de ce qui est li cette opration : lascne de la forme et du fond, l'apparatre li l'apparence, et le glissement de l'apparence dansle nihilisme esthtisant o s'accomplit toujoursl'individualisme). La singularit ne procde peut-tre de rien. Elle n'est pas une uvre rsultantd'une opration. Il n'y a pas de processus de

    20. Et telle qu'elle subsiste encore pour une partdans le motif deleuzien de l'hecit, qui cependant,pour une autre part, tourne autour de la singularit .

  • singularisation , et la singularit n'est pasextraite, ni produite, ni drive. Sa naissance n'apas lieu partir de ni comme effet de : elledonne au contraire la mesure selon laquelle lanaissance, comme telle, n'est ni une production,ni une autoposition, la mesure selon laquelle lanaissance infinie de la finitude n'est pas un pro-cessus oprant sur un fond et partir d'un fonds.Mais le fond(s) est lui-mme, par lui-mmeet en tant que tel, la finitude des singularits dj.

    C'est un fond sans fond, moins au sens oil ouvrirait la bance d'un abme qu'au sens oil n'est fait que du rseau, de l'entrelacement etdu partage des singularits : Ungrund plutt queAbgrund, mais non moins vertigineux. Il n'y arien derrire la singularit mais il y a, horsd'elle en elle, l'espace immatriel et matriel quila distribue et qui la partage comme singularit,les confins d'autres singularits, ou plus exacte-ment : les confins de la singularit, c'est--direde l'altrit entre elle et elle-mme.

    Un tre singulier ne s'enlve ni ne s'lve surle fond d'une confuse identit chaotique destres, ni sur celui de leur assomption unitaire, nisur le fond d'un devenir, ni sur celui d'unevolont. Un tre singulier apparat, en tant quela finitude mme : la fin (ou au dbut), aucontact de la peau (ou du cur) d'un autretre singulier aux confins de la mme singularitqui est, comme telle, toujours autre, toujourspartage, toujours expose. Cet apparatre n'est

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  • pas une apparence, il est au contraire le paratre la fois glorieux et misrable de l'tre-fini lui-mme. (Le fond , c'est la finitude de l'Etre :c'est--dire que c'est ce que Bataille ne fut pastout fait en mesure d'entendre chez Heidegger,tandis que Heidegger, avec ou sans lecture deBataille, ne fut jamais tout fait en mesure des'inquiter de la communication ). De l'Etreen tant qu'tre-fini, la finitude inscrit a prioril'essence comme le partage des singularits.

    La communaut signifie, par consquent, qu'iln'y a pas d'tre singulier sans un autre tre sin-gulier, et qu'il y a donc ce que, dans un lexiquemal appropri, on appellerait une socialit originaire ou ontologique, qui dborde largementdans son principe le seul motif d'un tre-socialde l'homme (le zoon politikon est second parrapport cette communaut). Car d'une partil n'est pas certain que la communaut des singu-larits se limite l'homme et exclut, parexemple, 1' animal (a fortiori n'est-il pas cer-tain que mme chez l'homme cette commu-naut ne concerne que l'homme et nonl' inhumain ou le surhumain , et parexemple, si je peux le dire avec et sans Witz, la femme : aprs tout, la diffrence des sexesest elle-mme une singularit dans la differencedes singularits...). D'autre part, si l'tre socialest toujours pos comme un prdicat de l'homme,la communaut dsignerait au contraire cela partir de quoi seulement quelque chose comme l'homme pourrait tre pens. Mais cette pen-

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  • see serait en mme temps tributaire de cettedtermination principielle de la communaut :qu'il n'y a pas de communion des singularitsdam une totalit suprieure elles et immanente-leur tre commun.

    Au lieu d'une telle communion, il y a commu-nication : c'est--dire, trs prcisment, que lafinitude elle-mme n'est rien, qu'elle n'est pasun fond, ni une essence, ni une substance. Maiselle parat, elle se prsente, elle s'expose, et ainsielle existe en tant que communication. Il fau-drait, pour dsigner ce mode singulier du para-tre, cette phnomnalit spcifique et sans douteplus originaire que toute autre phnomnalit(car il se pourrait que le monde paraisse lacommunaut, non l'individu), pouvoir dire quela finitude com-parat et ne peut que com-para-tre : on essaierait d'y entendre la fois quel'tre fini se prsente toujours ensemble, donc plusieurs, que la finitude se prsente toujoursdans l'tre-en-commun et comme cet tre lui-mme, et que de cette faon elle se prsente tou-jours l'audience et au jugement de la loi de lacommunaut, ou plutt et plus originairement aujugement de la communaut en tant que loi.

    La communication consiste tout d'abord dansce partage et dans cette com-parution de la fini-tude : c'est--dire dans cette dislocation et danscette interpellation qui se rvlent ainsi consti-tutives de l'tre-en-commun prcisment ence qu'il n'est pas un tre commun. L'tre-finiexiste d'abord selon la division des lieux, selon

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  • une extension partes extra partes qui faitque chaque singularit est tendue (au sens deFreud : La psych est tendue ). Elle n'estpas close dans une forme bien qu'elle touchede tout son tre sa limite singulire , maiselle n'est ce qu'elle est, tre singulier (singularitde l'tre), que par son extension, par son aralitqui avant tout l'extravertit dans son tre mme quel que soit le degr ou le dsir de son gosme , et qui ne la fait exister qu'enl'exposant un dehors. Et ce dehors lui-mmen'est son tour rien d'autre que l'expositiond'une autre aralit, d'une autre singularit lamme, autre. Cette exposition, ou ce partageexposant donne lieu, d'entre de jeu, une inter-pellation mutuelle des singularits, bien ant-rieure toute adresse de langage (mais donnant ce dernier sa premire condition de possibi-lit) 21.

    La finitude comparat, c'est--dire est expo-se : telle est l'essence de la communaut.

    2l. En ce sens, la com-parution des tres singuliersest mme antrieure la condition pralable du lan-gage que Heidegger comprend comme explication (Auslegung) pr-langagire, et laquelle je rfrais lasingularit des voix dans le Partage des voix (Paris,Galile, 1982). A la diffrence de ce que cet essai pou-vait faire penser, le partage des voix ne mne pas lacommunaut, il dp