Déjeuner-conférence

La communication de crise11/09/2014

B. Demazy

Qui suis-je?

►18 ans d’expérience dans la com►Responsable com de la Ville de Namur►Co-responsable com de crise dans le cadre des PCUI (plans communaux d’urgence et d’intervention)

►Formation: � Licence en communication � Certificat interuniversitaire en gestion de crise

Et pourtant

… encore tant de choses à apprendre!

… aucune prétention à être « spécialiste » de la com de crise

Au menu:

►Ce dont je vais parler (principalement):� Arrivée de Michelle Martin à Malonne(28/08/2012)

� Accident d’avion à Gelbressée (19/10/2013)

►Ce dont je ne parlerai pas� Crises politiques

Pourquoi ces deux crises?

1. Elles parlent à tous: qui n’a pas entendu parler de ces deux événements?

2. Elles sont fort différentes: l’une relève d’un plan communal d’urgence et d’intervention (Gelbressée), l’autre pas (est-ce une crise?).

Michelle Martin

Quatre dates-clés:

� Annonce de sa libération : 31 juillet 2012(bourgmestre à l’étranger)

� Réunion pour les habitants de Malonne : 6 août 2012� Libération / arrivée à Malonne : 28 août 2012� Débordement lors d’une manifestation récupérée par

l’extrême-droite : 1er septembre 2012

Gelbressée

Trois dates-clés:

► Accident le samedi 19 octobre 2013 après-midi (11 victimes)Proches / presse / visites autorités

► Visite sur site en présence des familles: dimanche 20 octobre 2013

► Hommage collectif: 9 novembre 2013

Remarque

Ce midi = Un témoignage personnel et non un cours

sur la communication de crise

Pas de règle absolue, pas de certitude, juste quelques « tips & tricks » qui me servent de

repères

►Une crise n’est pas l’autre

Incendie d’une école primaire, accident detrain, fuite de gaz, bombe découverte surun chantier, arrivée de Michelle Martin,accident de Gelbressée…

�On ne peut se préparer à tous les scénarii�On ne sera jamais prêt à tous les scénarii

Et pourtant…

Il y a beaucoup de points communs:

- L’effet de surpriseOn ne s’y attend pas, on a un agenda bien rempli par d’autres choses et une

crise survient: cela devient la seule priorité

- La charge émotionnelle dans l’opinion publique

Si un événement est vécu sur un plan purement rationnel par tous les acteurs, l’événement ne deviendra pas aussi automatiquement une crise.

- Le besoin de communicationLes attentes du public, des riverains, de la presse… Attentes légitimes? Pas

toujours. Exemple: quand un habitant d’une commune à 150km de Namur signe une pétition contre l’accueil à Malonne de Michelle Martin

Sur le plan communication

La première priorité dans les deux cas a été d’essayer de garder le tempo de la communication

�Ne pas se laisser dicter le tempo par les médias

Même si nous apprenons parfois la crise par la presse… et par ses premières questions.Anecdote: j’ai déjà appris qu’il y avait une suspicion d’incendie dans l’hôtel de ville (alors que

j’y étais) par un appel d’un journaliste qui était à l’accueil pour refaire sa carte d’identité… Ce n’était finalement qu’un exercice incendie et on avait « oublié » de me prévenir

►Se préparer – travail permanent – à l’arrivée d’une hypothétique crise: demain, dans trois mois, dans deux ans,… mais sûrement pas « jamais ». Et accepter l’idée que la crise prend le pas sur tout le reste. On annule des réunions fixées depuis six semaines, on laisse de côté la gestion quotidienne.

Si on se prépare à cette éventualité, on sera déjà moins stressé lorsque la crise survient.

►Faire un travail de veille quasi permanent. Avoir en permanence les sens en éveil: veille sur les réseaux (sociaux), avoir un réseau (les autres acteurs de la gestion de crise),…

Avantage: être déjà en pré-alerte quand la crise survient.Ex.: Michelle Martin: info en temps réel sur Internet (RTL de mémoire) avant de

l’apprendre du bourgmestre 45 minutes plus tard et ensuite des appels incessants de la presse.

Ex.: Gelbressée: se rendre à Temploux (lieu de décollage) dès l’annonce de l’accident avant d’être formellement requis dans le cadre du PCUI. 25 minutes de gagnées.

Une sirène passe dans la rue, je regarde mon gsmTrois sirènes… je mets mon gsm à chargerCinq sirènes… j’appelle la responsable du Plan d’urgence

Lorsque la crise survient:

►Festina lente…

Oui il faut communiquerOui il faut aller viteMais la première communication peut se limiter à « nous reviendrons vers vous rapidement ».

Comment parler d’une crise quand on ne connait pas les éléments?

► Recouper les informations

Que savons-nous vraiment?Se méfier des premières infos reçues.

Ex. Accident de Gelbressée ou de Fernelmont?Ex. Michelle Martin: le nombre de fois qu’on a annoncé qu’elle

était déjà arrivée…

► Se positionner

Qu’est-ce qui relève de « l’autorité de mon autorité »? Autorité administrative vs autorité judiciaire notamment…

Exemples

►Michelle Martin:Libération? Décision de justice, pas de la villeLieu de son accueil? Décision de justice, pas de la villeLa Ville doit donc seulement gérer (et être responsable) des conséquences de sa

libération sur la sécurité et la quiétude du quartier.� Eviter le piège de « la ville est responsable de sa libération »� La com de la ville doit donc se limiter aux aspects sécurité, mobilité,

manifestations, etc.

►Gelbressée:Ne pas communiquer les noms, les causes et les responsabilités éventuelles.Il reste donc sur l’accident, les faits objectifs (où, quoi, quand,…), les mesures

prises par les autorités pour circonscrire la crise, accompagner les proches, etc.

Je le répète: garder le tempo

►Toujours commencer, une fois sur place, par se renseigner auprès des sources officielles: officier de police, des pompiers,…

►Se présenter à la presse comme leur interlocuteur (si toutefois c’est notre mission) mais sans autre communication à ce stade.

►Briefer les autres acteurs sur la nécessaire maitrise de la communication: éviter les multiples intervenants face à la presse sauf accord de l’autorité, aucune info « off the records »,…

Essayer, je dis bien, essayer…

►De garder une distance par rapport à la crise

Nous gérons le plus souvent les conséquences d’un événement externe, subi(t) (dans le sens « imprévisible » mais aussi « dont on se passerait bien »): nous ne sommes pas « responsables » de cette crise.

D’où garder une distance, se créer une carapace.Ex.: Michelle Martin: se faire cracher (littéralement) dessus par des mamans de la

maison maternelle voisine… ça n’est pas agréable mais ne pas dramatiserEx. Gelbressée: devoir faire face à la peine d’un nombre important de personnes

et gérer cela sur une longue période (trois semaines entre l’accident et l’hommage).

Ex. incendie école d’Andoy: regarder les enfants en pleurs mais sains et saufs devant leur école en feu et se demander si on aurait pu gérer la com si les conséquences avaient été différentes

Comment?

► Avant

Se préparer à un travail d’équipe: on n’est jamais aussi fort qu’en équipe

► Pendant

S’appuyer sur cette équipe, sur son « duo », sur des renforts,…

► Après

Respirer. Ne pas commettre l’erreur de reprendre immédiatement la vie normale. S’octroyer une pause/respiration, fut-ce de quelques minutes. Et puis après, le lendemain, les semaines qui suivent: débriefer, y compris le volet plus « psycho-social »

Comment gérer la presse?

► Tips n°1: oubliez les habitudes du quotidienUn journaliste qui est un ami n’est plus un ami en cas de criseEx.: découverte d’une bombe / évacuation à proximité de l’habitation d’un ami

journaliste… non, on ne peut lui donner l’info!

► Tips n°2: oubliez le confort des conférences de presse où vous connaissez tous les journalistes

Médias nationaux, internationaux, agences de presse…Michelle Martin: jusqu’à 20 caméras en même temps le jour de sa libération, y

compris la télévision polonaise !?

► Tips n°3: apprêtez-vous à répéter 10 fois le même message…

Le sacro-saint droit à l’informationChaque média invoquera le droit à l’information.Je pense pour ma part que la presse a le droit de savoir… ce que nous pouvons lui dire… au moment où nous pouvons lui dire…

Tout? Certainement pasEx.: Michelle Martin: itinéraire de son transfert, heure de son arrivée,…Ex.: Gelbressée: nom des victimes,…

Tout de suite? Certainement pas non plusVisite royale vs heure des JT,…

La réunion à destination des Malonnois

6 août 2012, la ville organise une réunion d’information à destination des riverains du monastères des sœurs Clarisses

Pour rappel: la ville ne doit communiquer que ce qui relève de ses compétences. Oui mais… pendant 5 jours, la ville (ses mandataires mais aussi l’administration)

est sans cesse rendue responsable de cette libération. De la pédagogie s’impose. D’où réunion initiée par la ville avec le procureur (pour l’aspect judiciaire), Jean-Denis Lejeune (pour l’aspect émotionnel) et les autorités locales - bourgmestre et police – (pour les seuls aspects manifestation, mobilité dans le quartier,…).

Pour qui? Les riverains et uniquement eux� Longue discussion en amont sur le périmètre (est-ce qu’une personne habitant

à 1km500 peut légitimement dire être impactée?)…� Black-out vis-à-vis de la presse sur cette réunion, jusqu’à mentir: nous ne

voulions pas que la presse connaisse l’heure et le lieu, il a donc fallu ruser longtemps pour dire qu’elle n’était pas encore certaine alors que l’invitation était déjà diffusée dans les boites des habitants…

Le contenu de la communication

Faut-il communiquer? Quand?S’il faut communiquer sur les faits objectifs dans les premières heures, il faut rapidement se poser la question sur une crise qui dure, surtout si elle a des aspects polémiques.

Et qui communique?

Cas « Michelle Martin » / début août

► 1er août: l’officier à Malonne m’appelle pour dire que « p-e » il aura besoin de moi. P-e? Je démarre pour y être de manière préventive. J’arrive: 10 médias présents, rue bloquée, qq badauds. Contact avec le bourgmestre, on définit une stratégie : je communique en première ligne (cf. « sur quoi » plus haut). Toute la journée. Le bourgmestre arrive vers 16h (de mémoire) et reste peu �rendre sa parole plus rare, éviter qu’il soit dans tous les bulletins TV et radios de la journée pour ne pas entretenir le flou sur une responsabilité politique locale dans la libération.

► 2 août: 8h, premiers appels, des journalistes posent des questions. Je ne suis plus sur place et ne sais donc pas répondre. Contact avec le bourgmestre: je propose de ne plus être l’interlocuteur de la presse mais de renvoyer vers l’officier sur place. Pourquoi? Eviter le risque de sur-médiatisation du communicateur de la ville… et donc le risque qu’on associe « ville » et « libération de Michelle Martin ».

► 6 août: je suis présent et coordonne la réunion dans ses aspects logistiques. La police a créé un périmètre assez large donc pas/peu de contacts directs avec la presse. Réunion riverain et pas point presse!

► Mois d’août: ça se calme (pour moi ☺) jusqu’au jour de la libération. Scénario du 1er remis en place.

► 5 septembre: manifestation avec débordements liés e.a. aux militants de NATION (extrême-droite). Présent depuis le matin, je m’éclipse en accord avec la police lorsque cela devient purement policier. La presse couvre alors une manifestation et il n’est plus opportun d’être visible. Question de sécurité personnelle (je suis ce jour-là de l’autre côté des barricades, avec les journalistes donc sans repli possible).

► Après cette manifestation, nouvelle adaptation de la stratégie de la ville: jusque là, la ville se refusait d’interdire les manifestations au nom de la liberté d’expression. Après les débordements, elles furent interdites pour garantir l’ordre public.

Collaboration communicateurs/police

► Il arrive parfois que des journalistes n’acceptent pas les balises / les consignes: les périmètres, l’interdiction de filmer certaines personnes, etc.

►Ne pas hésiter en pareille situation à céder le relais à la police si des rappels amicaux et répétés ne suffisent pas.

Ex.: Andoy : une journaliste qui refuse de respecter ma demande de ne pas interroger des enfants en pleurs sans l’accord des parents

Ex. Michelle Martin: un journaliste qui « vole » des photos lors d’une messe, d’autres qui filment dans les jardins privés voire traversent des propriétés privées.

Ex. Gelbressée: des photographes qui prennent des photos des familles au téléobjectif dans les bois

De la com de crise à la gestion de criseUn communicateur de crise n’est « que » le communicateur (et encore: pas toujours « porte-parole », fonction optionnelle).Mais il est intéressant de ne pas isoler la communication de la gestion globale de la crise: est-ce opportun de communiquer? Qui? Quand? A quelle fréquence?...Mais aussi permettre au communicateur d’avoir des informations sensibles, à ne pas communiquer.Ex. Michelle Martin: l’heure approximative de son arrivée � après les JT. Choix logique de la police pour éviter des images en direct. Mais les journalistes sont là depuis 10h du matin et posent sans cesse la même question: doivent-ils rester la nuit, garder leurs équipes sur place… aller chercher un pull… peuvent-ils s’absenter 1/2h pour aller au night-shop sur la N90 chercher à manger… De même, où placer les journalistes et leurs caméras? On ne peut laisser dans l’ignorance des journalistes venus 10h à l’avance et qui risquent de se retrouver derrière ceux arrivés à la dernière minute…Ex. Gelbressée: visite des familles le dimanche? Refus initial de certains acteurs pour les besoins de l’enquête. L’opportunité ne relève pas du communicateur de crise et pourtant nous avons fortement insisté pour qu’elle se fasse, pressentant l’importance qu’elle revêtirait pour les proches.

���� d’où l’importance du réseau et de la relation de confiance à nouer avec les différents acteurs (mandataires, police, presse)

La com de crise comme un organisme vivant

►Toujours considérer qu’une gestion de crise améliorera la prochaine gestion de crise

►Importance des erreurs, sources d’enseignement

►Être à l’écoute des journalistes après la crise: en parler avec eux, écouter leur ressenti, apprendre de leur point de vue