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M. Alexandre Kolliopoulos La convention de l'UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles In: Annuaire français de droit international, volume 51, 2005. pp. 487-511. Citer ce document / Cite this document : Kolliopoulos Alexandre. La convention de l'UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. In: Annuaire français de droit international, volume 51, 2005. pp. 487-511. doi : 10.3406/afdi.2005.3894 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/afdi_0066-3085_2005_num_51_1_3894

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M. Alexandre Kolliopoulos

La convention de l'UNESCO sur la protection et la promotion dela diversité des expressions culturellesIn: Annuaire français de droit international, volume 51, 2005. pp. 487-511.

Citer ce document / Cite this document :

Kolliopoulos Alexandre. La convention de l'UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.In: Annuaire français de droit international, volume 51, 2005. pp. 487-511.

doi : 10.3406/afdi.2005.3894

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/afdi_0066-3085_2005_num_51_1_3894

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ANNUAIRE FRANÇAIS DE DROIT INTERNATIONAL LI - 2005 - CNRS Éditions, Pans

DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

LA CONVENTION DE L'UNESCO SUR LA PROTECTION ET LA PROMOTION

DE LA DIVERSITÉ DES EXPRESSIONS CULTURELLES

ALEXANDROS KOLLIOPOULOS

La convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles (ci-après convention sur la diversité culturelle), adoptée par les États membres de l'UNESCO, le 20 octobre 2005, lors de la trente-troisième Conférence générale de l'organisation 1, marque une nouvelle étape du traitement juridique des activités, biens et services culturels. Elle constitue le premier traité qui leur soit spécifiquement consacré à l'échelle universelle.

La nécessité d'adopter un texte juridiquement contraignant sur la protection et la promotion de la diversité culturelle se faisait de plus en plus sentir dans le contexte économique actuel de libéralisation grandissante des échanges. Cette libéralisation, véhiculée par le phénomène de la mondialisation, a accru les contacts entre les peuples et généré de ce fait de nouvelles opportunités d'interaction entre les cultures. Mais elle est en même temps porteuse de risques pour la préservation de la diversité des identités culturelles, car elle peut être source d'une homogénéité culturelle animée par une culture de masse dans sa version marchande et dominée par les géants mondiaux de l'industrie culturelle. Il en résulte que la libéralisation des échanges, au lieu de faciliter la fécondation mutuelle entre les cultures, processus qui présuppose que chacune y met son altérité et ses propres traits distinctifs, risque d'amener à l'anéantissement de cette dernière.

L'UNESCO était, bien évidemment, le forum approprié pour l'élaboration d'un tel projet de convention universelle, car ses organes s'étaient depuis longtemps occupés de la question 2, et les membres du secrétariat possédaient en la matière une expertise qui s'est avérée tout à fait précieuse au cours de la négociation.

(*) Alexandras KOLLIOPOULOS, docteur en droit, rapporteur au département juridique du ministère des affaires étrangères de Grèce. L'auteur a participé à la réunion intergouvernementale d'experts qui a élaboré le texte de la convention en tant que membre de la délégation grecque, dirigée par l'ambassadeur Georgios Anastassopoulos. Les points de vue exprimés dans cet article lui sont propres et n'engagent que lui-même.

1. La convention a été adoptée par cent quarante-huit voix pour (y compris tous les Etats membres de l'Union européenne), deux voix contre et quatre abstentions.

2. Voy K. STENOU (dir), L'Unesco et la question de la diversité culturelle : Bilan et stratégies, 1946- 2004, Étude réalisée par la Division des politiques culturelles et du dialogue interculturel de l'Unesco, Paris, 2004, 25 p. Cf. aussi Y. BEN ACHOUK, Le rôle des civilisations dans le système international, Bruxelles, Bruylant, 2003, pp. 47-50.

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488 LA CONVENTION DE L'UNESCO SUR LA DIVERSITÉ CULTURELLE

Déjà en 2001, la Conférence générale de l'organisation avait adopté à l'unanimité la « déclaration universelle sur la diversité culturelle », accompagnée de lignes directrices d'un plan d'action pour sa mise en œuvre. Ce texte, qui contenait déjà l'idée d'un instrument normatif plus contraignant, a été une source d'inspiration lors de l'élaboration de la présente convention. La mise en chantier de celle-ci a débuté en 2003, suite à une initiative en ce sens dont les artisans majeurs ont été la France et le Canada. La trente-deuxième Conférence générale, par sa résolution 32 C/34, avait alors mandaté le directeur général de l'UNESCO de lui soumettre, lors de sa trente-troisième session, un avant-projet de convention. Le directeur général a, par la suite, convoqué une réunion intergouvernementale d'experts afin d'élaborer le projet de la convention. Les travaux de cette réunion, répartie en trois sessions, ont été laborieux et les négociations souvent difficiles, avant qu'elle n'adopte, à une écrasante majorité, le projet de convention qu'elle a soumis à la Conférence générale.

Les rédacteurs du projet de convention ont dû affronter plusieurs défis. Comme cette dernière constitue une première en la matière, il fallait faire entrer dans le droit positif les outils conceptuels nécessaires pour élaborer un régime relatif aux activités, biens et services culturels (I). D'autre part et surtout, la convention n'a pas été rédigée selon la logique d'un pacte de droits culturels dont l'État serait le débiteur, mais elle tient compte, dans les droits et obligations qu'elle énonce, de la multiplicité des acteurs de la diversité culturelle (II). Elle traite également la question épineuse de ses relations avec d'autres instruments, sujet politiquement très sensible en raison des craintes exprimées lors de la négociation, principalement par les États-Unis, qu'elle pourrait affecter les instruments juridiques déjà existants dans le domaine du commerce international, et notamment ceux de l'Organisation mondiale du commerce (III).

I. - LES INNOVATIONS CONCEPTUELLES

La convention de l'UNESCO admet la spécificité des biens et services culturels, ce qui constitue un acquis majeur (A). En même temps, elle intègre cette avancée normative dans un contexte beaucoup plus vaste, celui de la protection et de la promotion de la diversité culturelle, notion qui fait pour la première fois son apparition en droit positif (B). Enfin, elle conçoit la culture comme un élément du développement durable (C).

A. La spécificité des biens et services culturels

La production culturelle de masse (édition de livres et imprimés, production musicale et cinématographique, produits numériques ayant un contenu culturel) joue un rôle majeur dans la nouvelle économie de l'information, ce qui signifie que l'hégémonie dans ce domaine est porteuse non seulement d'influence idéologique mais aussi de devises. Cela fait apparaître tout l'enjeu économique derrière le débat relatif à la libéralisation du commerce des biens et services culturels. À cet égard, il faut aussi tenir compte des nouvelles mutations du secteur susceptibles de générer des profits supplémentaires, telle la convergence de l'audiovisuel et des télécommunications ainsi que l'attrait grandissant des produits numériques.

Ce contexte économique s'est transposé au niveau juridique par une tendance accrue, que ce soit au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ou par le biais de la conclusion d'accords bilatéraux de libre échange, en faveur de la

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LA CONVENTION DE L'UNESCO SUR LA DIVERSITÉ CULTURELLE 489

soumission des biens et services culturels aux règles libérales du commerce international, notamment aux principes du traitement de la nation la plus favorisée et du traitement national. Cette évolution met à mal l'effort régulateur des États en faveur de leurs propres industries culturelles et peut faciliter un processus d'aliénation culturelle du fait de la puissance économique de quelques industries culturelles multinationales.

Cette menace a été à l'origine d'un mouvement en faveur de l'exclusion des biens et services culturels du champ d'application des normes du droit du commerce international, manifesté à l'occasion des négociations du cycle d'Uruguay qui ont donné naissance aux accords de Marrakech de 1994 3. Mais les accords de Marrakech n'ont finalement pas consacré cette clause d'exception culturelle.

Ensuite, la revendication de l'« exception culturelle », a presque monopolisé le débat relatif à la protection de l'identité culturelle lors des années 90, car elle a été déterminante lors des négociations, au sein de l'OCDE, d'un accord multilatéral sur les investissements. L'échec, en 1998, de ces négociations, est dû en grande partie au désaccord manifesté à propos du principe de l'exception culturelle, la France et le Canada ayant plaidé en faveur de son insertion dans le texte de l'accord, alors que les États-Unis y étaient hostiles 4.

La convention sur la diversité culturelle, quant à elle, consacre une notion différente de l'exception culturelle, celle de la spécificité culturelle : l'article premier de celle-ci fait figurer, parmi ses objectifs, la reconnaissance de la « nature spécifique des activités, biens et services culturels en tant que porteurs d'identité, de valeur et de sens » 5. La spécificité implique que les activités, biens et services culturels ne sauraient être assimilés, du point de vue de leur qualification juridique, à de simples marchandises, comme l'énonce clairement le préambule de la convention : « convaincue que les activités, biens et services culturels ont une double nature, économique et culturelle, parce qu'ils sont porteurs d'identités, de valeurs et de sens et qu'ils ne doivent donc pas être traités comme ayant exclusivement une valeur commerciale ».

Le principe de la spécificité ne nie pas la valeur commerciale que peuvent avoir les activités, biens et services culturels, et ne revendique pas que leur soit nécessairement réservé un régime juridique entièrement différencié du droit commun du commerce international. Toutefois, sa consécration juridique justifie, pour avoir un sens, que des normes appropriées à la nature des activités, biens et services culturels, éventuellement dérogatoires du droit commun, puissent leur être consacrées.

La revendication de l'exception culturelle ne saurait être confondue avec le principe de la spécificité culturelle, qui en constitue la justification. L'exception culturelle consistait en la non-application d'un régime juridique, celui des règles de l'OMC, aux biens et services culturels, du fait justement de leur spécificité. Elle était vouée à être insérée comme clause dérogatoire à un système normatif

3 Voy. Armand MATTELARD, Diversité culturelle et mondialisation, Paris, La Découverte, 2005, pp. 85-89.

4. Voy. G. GAGNÉ, « Une Convention internationale sur la diversité culturelle et le dilemme culture- commerce », La diversité culturelle, vers une convention internationale effective ?, Paris, Fides, 2005, pp. 37-62, pp. 40-41.

5. Voy. aussi la définition des activités, biens et services culturels dans le paragraphe 4 de l'article 4 : « Activités, biens et services culturels renvoient aux activités, biens et services qui, dès lors qu'ils sont considérés du point de vue de leur qualité, de leur usage ou de leur finalité spécifique, incarnent ou transmettent des expressions culturelles, indépendamment de la valeur commerciale qu'ils peuvent avoir. Les activités peuvent être une fin en elles-mêmes, ou bien contribuer à la production de biens et services culturels ».

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particulier et, de ce fait, elle ne pouvait pas, pour des raisons de technique juridique, avoir sa place dans la convention sur la diversité culturelle. Cette dernière aspire, par ailleurs, à une protection intégrée des biens et services culturels et ne se cantonne pas dans une approche purement défensive comme c'était le cas de l'exception culturelle.

B. L'accès à la normativité de la notion de diversité culturelle

La convention de l'UNESCO adopte une vision holistique de la diversité culturelle (1) et se sert du concept d'identité culturelle comme caractéristique principale des expressions culturelles qui rentrent dans son champ d'application (2).

1. La présente convention est, à notre connaissance, le premier acte juridique au niveau universel qui consacre la notion de diversité culturelle ainsi que la nécessité de sa protection et promotion. Cette consécration normative ne s'effectue pas par le biais de l'affirmation de droits culturels correspondants pour les individus, mais par des normes directement vouées à cet objectif6.

En fait et selon les termes de J. Habermas, « les droits culturels s'inscrivent dans la structure individualiste de nos ordres juridiques » 7, alors que la convention de l'UNESCO n'a pas comme objet principal la garantie de la liberté des choix culturels des individus, même si elle les facilite. Elle est surtout axée sur la protection et la promotion de la diversité culturelle en tant que « caractéristique inhérente à l'humanité », proclamée aussi, dans le préambule de la convention, du fait de son importance, « patrimoine commun de l'humanité », qualification fort inhabituelle pour un phénomène immatériel. La diversité culturelle n'est donc pas visée uniquement comme l'objet de l'exercice d'un droit subjectif de l'individu. L'objectif principal des dispositions de la convention est de la protéger en tant que telle, car elle revêt une importance exceptionnelle pour tous, et ainsi d'assurer sa pérennité.

La convention sur la diversité culturelle opte, dans son article 4, § 1er, pour une définition assez vaste de celle-ci8, accompagnée de définitions de termes auxiliaires, tels le terme d'« expression culturelle » ou d'« activités biens et services culturels » qui sont un moyen de transmission des expressions culturelles. Ces termes visent principalement à éclaircir le champ d'application de la convention, énoncé dans son article 3, qui s'étend « aux politiques et aux mesures adoptées par les parties relatives à la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles ». Il en découle un système assez complexe de définitions, dont certaines renvoient à d'autres. Cette construction est certainement liée à la difficulté de saisir dans un texte juridique des concepts qui sont dynamiques, évolutifs, aux contours imprécis, et qui ont comme point de référence ultime le terme « culture », dont on sait qu'il n'existe pas de définition incontestable.

6. La première option avait été envisagée, parmi d'autres alternatives, dans l'étude préliminaire du directeur général de l'UNESCO sur les aspects techniques et juridiques relatifs à l'opportunité d'un instrument normatif sur la diversité culturelle, mais n'avait pas été retenue par la suite (doc. 166 EX/28/2003).

7. « Le multiculturalisme : les différences culturelles concernent-elles la politique ? », Une époque de transitions, Écrits politiques 1998-2003, Paris, Fayard, 2005, pp. 211-227, p. 221.

8. « Diversité culturelle renvoie à la multiplicité des formes par lesquelles les cultures des groupes et des sociétés trouvent leur expression. Ces expressions se transmettent au sein des groupes et des sociétés et entre eux. La diversité culturelle se manifeste non seulement dans les formes variées à travers lesquelles le patrimoine culturel de l'humanité est exprimé, enrichi et transmis grâce à la variété des expressions culturelles, mais aussi à travers divers modes de création artistique, de production, de diffusion, de distribution et de jouissance des expressions culturelles, quels que soient les moyens et les technologies utilisés ».

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Le premier avant-projet de la convention comprenait une définition de la « culture » laquelle a été, assez prudemment, abandonnée par la suite 9. Outre le fait qu'il s'agit d'une notion qui a connu un certain nombre de mutations au cours de l'histoire des idées, sa conception varie en fonction du contexte social, voire même intellectuel dans lequel elle est utilisée. À titre d'exemple, la vision anthropologique de la culture ne se confond pas avec la vision artistique de celle-ci 10. Par souci de pragmatisme, la réunion intergouvernementale d'experts a finalement renoncé à définir le terme « culture », car un tel essai n'aurait pas pu, en fin de compte, déboucher sur une définition juridique opératoire.

La convention sur la diversité culturelle a un champ d'application plus vaste que celui de la convention sur le patrimoine culturel, mondial et naturel de 1972 ou de celui de la convention sur la protection du patrimoine culturel immatériel de 2003. Ces deux conventions visent à sauvegarder un domaine précis du patrimoine culturel : celle de 1972 le patrimoine matériel et celle de 2003 le patrimoine immatériel, domaine plus circonscrit que la diversité culturelle, même si l'immatériel est, par la nature des choses, un patrimoine « impalpable » n.

La convention sur la diversité culturelle ne se limite pas, à l'inverse de ses devancières, uniquement au domaine du patrimoine culturel, notion qui puise ses lettres de créance dans le passé 12. Elle n'envisage pas les expressions culturelles comme simple manifestation d'un trésor accumulé par les générations précédentes. Elle ne vise pas uniquement, et là réside une de ses différences majeures avec la convention de 2003 sur l'immatériel, la culture d'origine d'un groupe social donné, mais toutes les expressions culturelles, même les plus récentes, qui peuvent voir le jour au sein d'une société pluraliste, pourvu qu'elles incarnent une identité culturelle.

La perspective atemporelle de la convention sur la diversité culturelle est couplée avec une vision holistique des éléments qui peuvent entrer dans la catégorie des « expressions culturelles » dont la diversité est à sauvegarder, sans que tel ou tel domaine culturel précis soit privilégié : selon le paragraphe 4 de l'article 4, entrent dans le champ d'application de la convention toutes les activités, biens et services qui, « dès lors qu'ils sont considérés du point de vue de leur qualité, de leur usage ou de leur finalité spécifiques, incarnent ou transmettent des expressions culturelles, indépendamment de la valeur commerciale qu'ils peuvent avoir. Les activités culturelles peuvent être une fin en elles-mêmes, ou bien contribuer à la production des biens et services culturels ».

Cette définition révèle que toute sorte d'activité culturelle et pas uniquement les biens et services culturels ayant une valeur économique, entre dans le champ d'application de la convention. Cette dernière ne se limite donc pas à protéger les expressions culturelles des forces du marché et ne constitue pas de ce fait une convention à connotation principalement commerciale qui ne devrait donc pas être conclue sous les auspices de l'UNESCO, comme l'a soutenu la délégation des États-Unis lors de la négociation.

9. La définition figurait dans l'article 4, § 1er, de cet avant-projet (LT/CPD/2004/CONF.201/2/2004). 10. Sur les diverses conceptions de la culture, voy. L. PROTT, « Understanding one another

on cultural rights », Cultural rights and wrongs, Paris, UNESCO, 1996, pp. 161-175, pp. 164-165 ; E. STAMATOPOULOY, « Why cultural rights now ? », disponible sur le site [www.carnegiecouncil.org] p. 4.

11. Selon le terme de L. LANKARANI, « L'avant-projet de convention de lTFnesco pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, évolution et interrogations », cet Annuaire, 2002, pp. 624-656, p. 626.

12 L'article 2, § 1er de la convention-cadre du Conseil de l'Europe sur la valeur du patrimoine culturel pour la société, adoptée en 2005, prévoit que « le patrimoine culturel constitue un ensemble de ressources héritées du passé ».

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De surcroît, la convention - et, sur ce point, elle rejoint l'approche de la convention sur l'immatériel de 2003 - considère la diversité culturelle à la fois comme processus et comme résultat de ce processus. Le deuxième alinéa du premier paragraphe de l'article 4 énonce clairement que « la diversité culturelle ne se manifeste pas seulement dans les formes variées à travers lesquelles le patrimoine culturel de l'humanité est exprimé, enrichi et transmis grâce à la variété des expressions culturelles, mais aussi à travers divers modes de création artistique, de production, de diffusion, de distribution et de jouissance des expressions culturelles, quels que soient les moyens et les technologies utilisés » 13. La convention non seulement intègre dans son champ d'application les processus de création culturelle, mais opte également pour un principe de neutralité technologique, afin de ne pas différencier ces divers processus.

2. Comment peut-on circonscrire le champ d'application extensif de la convention, alors que la notion de diversité culturelle englobe toute la gamme des expressions culturelles ? De même, le terme des « politiques et mesures culturelles » voués à sa promotion et protection, est lui aussi défini de façon assez vaste dans le paragraphe 6 de l'article 4. Il ne comprend pas uniquement les politiques et mesures centrées sur la culture, mais également celles qui sont simplement « destinées à avoir un effet direct sur les expressions culturelles des individus, groupes ou sociétés, y compris sur la création, la production, la diffusion et la distribution d'activités, de biens et de services culturels et sur l'accès à ceux-ci ». La conception élargie des « politiques et mesures culturelles » adoptée par cette définition vise, selon nous, à faire rentrer dans cette catégorie les mesures économiques et surtout commerciales qui peuvent avoir un impact considérable (« effet direct » selon les termes de la convention) sur la production et la diffusion de biens et services culturels 14.

Il serait bien sûr naïf de prétendre que tout ce qui est lié à la culture tombe dans le champ d'application de la convention, d'autant plus que la culture est une notion largement indéfinie et se rapporte à toutes sortes d'activités sociales. En fin de compte, la convention ne vise à protéger que la diversité culturelle et non pas tout phénomène ou processus ayant une connotation culturelle : ce qui tombe dans son champ d'application, selon la définition de la diversité culturelle contenue dans le paragraphe premier de l'article 4, est « la multiplicité des formes par lesquelles les cultures des groupes et des sociétés trouvent leur expression », ainsi que la « variété des expressions culturelles ». Les expressions culturelles sont protégées par la convention dans la mesure où elles véhiculent cette pluralité de la culture humaine car, en fin de compte, la diversité culturelle s'identifie avec le pluralisme culturel et la possibilité d'interaction entre les cultures 15.

Le critère principal de la convention afin de déterminer les expressions culturelles qui manifestent la diversité culturelle de la culture humaine semble être celui de l'identité culturelle. Dans le paragraphe 3 de l'article 4, les expressions culturelles sont définies comme « les expressions qui résultent de la créativité des individus, des groupes et des sociétés, et qui ont un contenu culturel ». Celui-ci est conçu, dans le paragraphe 2 de l'article 4, comme une notion qui « renvoie au

13. Italiques ajoutés. 14. Notons toutefois que la définition contenue dans l'article 4, § 7 du premier avant-projet de la

convention était beaucoup plus vaste, car elle faisait rentrer dans la catégorie des « politiques culturelles » toute politique susceptible de « porter » ou simplement « influer » sur « tout aspect » de l'expression culturelle (doc. CLT/CPD/2004/CONF.201/2).

15. Voy. le quatrième paragraphe du préambule qui proclame que « la diversité culturelle crée un monde riche et varié qui élargit les choix possibles ».

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sens symbolique, à la dimension artistique et aux valeurs culturelles qui ont pour origine ou expriment des identités culturelles ». D'une façon plus explicite, le huitième paragraphe du préambule proclame que la diversité culturelle « s'incarne dans l'originalité et la pluralité des identités ».

Ce sont donc les expressions culturelles qui incarnent ou génèrent une identité culturelle qui entrent dans le champ d'application de la convention. Étant donné qu'une identité culturelle se conçoit par rapport ou parfois même par opposition à une autre identité culturelle, on peut en déduire que la diversité culturelle est par définition relationnelle, liée à la reconnaissance préalable de l'altérité 16.

L'identité culturelle est une notion à la fois évolutive et volontariste, car elle recèle un acte subjectif d'identification : « [...] l'identité n'est pas un état mais un acte : on s'identifie par rapport à un héritage mais aussi en regard d'autrui et d'autres traditions » 17. Elle a été souvent citée dans des textes internationaux, telle par exemple la résolution 47/135 (1992) de l'Assemblée générale des Nations Unies portant la déclaration sur les droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques, et la résolution 2005/20 de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies portant sur la promotion et la jouissance effective des droits culturels pour tous et le respect des différentes identités culturelles. Ces textes ne définissent pas le terme d'identité culturelle, néanmoins un passage de l'avis consultatif de la Cour permanente de Justice internationale sur la question des communautés gréco-bulgares permet de déduire quelques éléments quant à sa signification :

«le critérium de la notion de communauté... est l'existence d'une collectivité de personnes vivant dans un pays ou une localité donnés, ayant une race, une religion, une langue et des traditions qui leur sont propres, et unies par l'identité de cette race, de cette religion, de cette langue et de ces traditions dans un sentiment de solidarité, à l'effet de conserver leurs traditions, de maintenir leur culte, d'assurer l'instruction et l'éducation de leurs enfants conformément au génie de leur race et de s'assister mutuellement » 18.

Ce passage de l'avis de la Cour permanente, même si son vocabulaire paraît à certains égards daté et même s'il a été rendu dans le contexte étroit de la protection des minorités, d'où son insistance sur la notion de contiguïté géographique entre les membres de la communauté, a le mérite d'esquisser le sens de la notion de l'identité commune, dont la plupart des composantes citées (religion, langue, traditions) relèvent ou sont liés au domaine de la culture. Cette identité y est perçue comme générant un sentiment de solidarité et donc d'appartenance à une communauté, axée essentiellement sur la préoccupation de conservation de ses caractéristiques culturelles essentielles.

Il s'agit d'orientations qui pourraient faciliter la tâche des parties contractantes et des organes de la convention, lorsqu'elles chercheront à en cerner le champ d'application exact, tout en gardant bien sûr à l'esprit que la sauvegarde de la diversité des identités culturelles n'est pas posée par la convention comme

16. Voy. F. DE BERNARD, « Pour une refondation du concept de diversité culturelle », Europe, diversité culturelle et mondialisations, Paris, L'Harmattan, 2005, pp. 13-22, p. 15

17. P. MEYER-BlSCH, « Les droits culturels forment-ils une catégorie spécifique de droits de l'homme ? », Les droits culturels, une catégorie sous-developpée des droits de l'homme, Editions universitaires de Fribourg, 1993, pp. 17-43, p. 35.

18. CPJI, Rec, série B, n° 17(1930), p. 33 (cité par D. CHRISTOPOULOS m Droit, Europe et Minorités, Critique de la connaissance juridique, Athènes, Sakkoulas, 2000, p. 283).

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une fin en soi, mais semble plutôt étroitement associée à la promotion de l'inter- culturalité, tant au niveau national qu'international.

L'interculturalité est perçue dans le paragraphe 8 de l'article 4 de la convention comme l'interaction équitable de diverses cultures ainsi que comme la possibilité de générer des expressions culturelles partagées par le dialogue et le respect mutuel. Elle présuppose la reconnaissance de la culture de l'autre et l'établissement d'une éthique de discussion entre les diverses cultures. Sa consécration récuse toute allégation selon laquelle la convention pourrait être invoquée pour justifier une éventuelle politique d'isolationnisme culturel. Une telle vision protectionniste serait d'ailleurs antinomique avec la conception même de la culture qui est par nature interactive et se nourrit de l'échange entre les civilisations 19.

C. Le lien entre culture et développement

La convention conçoit également la culture en tant que facteur de développement durable. Son article 13 prévoit que les parties « s'emploient à intégrer la culture dans leurs politiques de développement, à tous les niveaux, en vue de créer des conditions propices au développement durable et, dans ce cadre, de favoriser les aspects liés à la protection et à la promotion de la diversité des expressions culturelles ».

Cette disposition opère une jonction générale entre la culture et le développement durable, la culture étant considérée comme un aspect à prendre en considération dans les politiques de développement « à tous les niveaux ». La liaison entre les deux notions reflète le déplacement graduel du centre de gravité de la notion de développement, effectué surtout à partir des années soixante-dix. Limitée jusqu'alors à sa seule dimension économique, la notion de développement durable s'est enrichie d'une composante culturelle, afin d'englober tous les aspects de la vie sociale : « le développement ne peut se limiter au seul champ économique, [...] il implique que les objectifs de la croissance soient définis également en termes de valorisation culturelle, d'épanouissement individuel et collectif, et de bien-être général » 20.

Toutefois, la culture n'est pas considérée à l'article 13 uniquement comme une composante du développement durable mais aussi comme une « condition propice » à ce dernier. Les industries culturelles peuvent de fait constituer un puissant levier de développement, comme en témoigne la vitalité du marché mondial des biens et services culturels. De surcroît, l'affirmation de l'identité culturelle d'un peuple constitue un facteur de confiance en soi bénéfique pour son épanouissement économique et l'interculturalité prônée par la convention peut stimuler la créativité des individus et des peuples car elle est porteuse d'un esprit d'innovation 21.

La liaison entre culture et développement est concrétisée par les principes généraux énoncés dans les articles 14 à 17 de la convention, relatifs à l'instauration de la coopération pour le développement. Ces principes aspirent principalement à un

19. Voy. le paragraphe 4 de la déclaration de la conférence mondiale de l'UNESCO sur les politiques culturelles, adoptée au Mexique en 1982, ainsi que l'article 2 de la déclaration universelle de l'UNESCO sur la diversité culturelle qui qualifie les identités culturelles de « plurielles, variées et dynamiques », termes qui suggèrent leur ouverture, leur éventuel chevauchement ainsi que la possibilité, pour un individu, d'être attaché à plusieurs identités culturelles à la fois.

20. Plan à moyen terme de l'Unesco pour 1984-1989, p. 238 (cité m L'Uneseo et la question de la diversité culturelle, bilan et stratégies, op. cit., note 1, p. 14).

21. Voy. Y. BernieR/D. ATKINSON, Mondialisation de l'économie et diversité culturelle : les arguments en faveur de la préservation de la diversité culturelle, décembre 2000, disponible sur le site [www.francophonie.org], pp. 24-30.

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renforcement des capacités des industries culturelles des pays en développement. Ils reflètent l'intention de pallier les inégalités de fait entre le nord et le sud, notamment par l'instauration d'un traitement préférentiel pour les biens et services culturels des pays en développement. Ce traitement est énoncé à l'article 16, cependant ses modalités devront être fixées « au moyen de cadres institutionnels et juridiques appropriés », car cette disposition n'est pas directement opératoire.

Le soutien financier à ces pays en vue d'instaurer un secteur culturel dynamique est également prévu à l'article 14 (d), signe de la volonté de réanimer le devoir d'assistance aux pays en développement. Ce devoir n'est cependant qu'un devoir moral, car il est prévu que les contributions versées par les parties au Fonds international pour la diversité culturelle mentionné à l'article 18 de la convention seront uniquement volontaires22. Il faut toutefois signaler que la vision de la coopération pour le développement ne se limite pas à une logique d'aide financière à court terme mais aspire également à la réalisation d'un objectif stratégique, « l'émergence de marchés locaux et régionaux viables », afin de sortir définitivement les industries culturelles des pays en développement de leur situation de vulnérabilité actuelle.

II. - LES ACTEURS DE LA DIVERSITÉ CULTURELLE

La convention tient compte de la multiplicité des acteurs de la diversité culturelle. Elle consacre le rôle évident des individus et des groupes sociaux comme acteurs de la diversité culturelle (A), tout en assignant aux États, un rôle à la fois de garant et de bénéficiaire de la promotion de la diversité culturelle (B). En fin de compte, la proclamation de la diversité culturelle comme sujet d'intérêt international et même comme patrimoine commun de l'humanité justifie l'institution d'un mécanisme international de suivi de la mise en œuvre de la convention (C).

A. Le niveau infra-étatique

La convention de l'UNESCO reconnaît le caractère interactif du phénomène culturel, mais n'attribue pas de droits collectifs ou de droits conditionnés par l'appartenance à un groupe social (1). Elle enrichit la perspective des traités des droits de l'homme en ce qui concerne les droits culturels (2), mais elle ne peut, à l'inverse, être invoquée pour porter atteinte aux droits de l'homme (3).

1. L'identité culturelle des individus est déterminée par rapport à et en liaison avec un « contexte culturel collectif » 23, étant donné que la culture est, par nature, le produit d'un processus interactif et on ne peut la concevoir en dehors de la société24. Cette dimension sociale de l'identité culturelle est explicitée à

22. Lors de la négociation de la convention, les pays développés n'ont pas voulu d'un fonds similaire au Fonds pour la protection du patrimoine mondial ou au Fonds du patrimoine culturel immatériel, instaurés par les conventions de l'UNESCO de 1972 et de 2003 respectivement, lesquelles prévoient que les contributions versées par les parties sont en principe obligatoires.

23. Selon le terme de D. Christopoulos, op. cit (note 18), p. 256. 24. V. J. BLAKE, « On defining the cultural heritage », ICLQ, 2000, pp. 61-85, p. 79 ; Th BERN, « La

gestion de l'alténté », in Altenté et droit, I. SCHULTE-TENCKHOFF (éd.), Bruxelles, Bruylant, 2002, pp. 159-178, pp. 166-167 ; E. DECAUX, « Comment la prise en compte des droits culturels interfère sur la compréhension des autres droits de l'homme ? », Les droits culturels, une catégorie sous-développee des droits de l'homme, P. MEYER-BlSCH (éd.), Éditions universitaires de Fribourg, 1993, pp. 185-196, p. 188 ; L. Lankarani, « L'avant-projet de convention de l'UNESCO pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel », cet Annuaire, 2002, pp. 624-656, p. 638.

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l'article 27, § 1er de la déclaration universelle des droits de l'homme, qui reconnaît le droit de toute personne « de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté ».

La convention de 11JNESCO ne se démarque pas de cette vision « sociale » de la culture et proclame, dans son article 11, le rôle fondamental de la société civile dans la protection et la promotion de la diversité culturelle. Elle énonce également, dans son article 7, § 1er, l'obligation des parties de créer sur leur territoire un environnement encourageant les individus et les groupes sociaux à créer, produire, diffuser et distribuer leurs propres expressions culturelles. Cette disposition n'implique pas, selon nous, une quelconque obligation pour les parties de reconnaître les groupes sociaux comme sujets de leur droit interne car elle ne les vise qu'en tant qu'acteurs de la diversité culturelle 25.

Ce constat s'impose également du fait que la terminologie utilisée n'est pas harmonisée : au premier paragraphe de l'article 4, il s'agit de « cultures des groupes et des sociétés » alors qu'au troisième paragraphe du même article c'est la créativité « des individus, des groupes et des sociétés » qui génère des expressions culturelles. Le premier paragraphe de l'article 7, proclame qu'il faut encourager « les individus et les groupes sociaux » à créer, produire diffuser et distribuer leurs propres expressions culturelles. Et enfin, on voit apparaître aux huitième et quatorzième paragraphes du préambule, le peuple comme acteur de la diversité culturelle.

Le premier paragraphe de l'article 7 précise que les termes employés font également référence aux personnes appartenant à des minorités ainsi qu'aux peuples autochtones. Cette précision est tout à fait compréhensible compte tenu de la situation de vulnérabilité de l'identité culturelle des personnes appartenant à des minorités et des peuples autochtones : ils ont souvent connu l'oppression ou des tentatives d'assimilation à la culture dominante, ce qui justifie une vigilance accrue des parties contractantes à leur égard.

Cette incohérence terminologique en ce qui concerne les groupes sociaux qui sont les acteurs de la diversité culturelle s'explique, selon nous, par le fait que les rédacteurs de la convention, tout en reconnaissant la dimension sociale et donc collective de la culture, étaient conscients du fait que celle-ci ne se manifeste pas au sein de collectivités bien définies, juxtaposées les unes aux autres et qu'on pourrait clairement distinguer selon des critères ethniques, linguistiques, etc. 26. Une telle vision des choses serait antinomique avec la fluidité du processus culturel. Un individu peut ainsi faire partie de plusieurs groupes sociaux à la fois lesquels souvent s'interpénétrent, et ne sont pas nécessairement concentriques 27. Il se peut même qu'au sein d'une même société, fût-elle homogène, surgissent des identités culturelles différenciées, du seul fait d'une divergence de mentalité entre les classes sociales. D'où l'impossibilité de nommer juridiquement toutes les collectivités qui sont à l'origine des identités culturelles diverses.

25. Selon les termes du Professeur Roucounas, « le vocable "acteur" exprime un sens dynamique qui ne correspond pas toujours aux destinataires des normes juridiques » (E. ROUCOUNAS, « Facteurs privés et droit international public », RCADI, tome 299, 2002, pp. 9-420, p. 69).

26. Il est caractéristique à cet égard que la notion de « communauté culturelle » ne soit citée qu'une seule fois, dans le deuxième paragraphe de l'article 7. Or, parmi tous les termes utilisés, il est celui qui renvoie le plus à l'idée d'une collectivité bien soudée, voy. pour une distinction entre « communauté » et « société », R.J. DUPUY, « La communauté internationale », Répertoire de droit international, Dalloz, 1998, pj>. 1-4, § 12, ainsi qu'E. JOUANNET, « L'idée de communauté humaine à la croisée de la communauté des États et de la communauté mondiale », Archives de philosophie du droit, vol. 47(2003), pp. 191-232, p. 193.

27. V. P. MEYER-BlSCH, « Redéfinition de l'Etat de droit par la reconnaissance des droits culturels et des droits économiques », État de droit, droits fondamentaux et diversité culturelle, P. Arsac/ J.L CHABOT/ H. PALLARD (éd.), Paris, L'Harmattan, 1999, pp. 255-280, pp. 266-267.

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II est donc tout à fait naturel que l'obligation des parties contractantes de promouvoir et protéger la diversité culturelle ne soit pas énoncée au seul profit de la collectivité ou des individus pris uniquement en tant que membres d'une collectivité. La convention de 1TJNESCO ne garantit aucun droit collectif à des groupements sociaux et, dans la seule disposition où il est fait expressément mention de « droit fondamental » des acteurs de la diversité culturelle, l'article 2 paragraphe 5 relatif au lien entre culture et développement, ne figurent que les individus et les peuples.

L'appartenance de l'individu à une collectivité quelconque n'est pas un présupposé pour qu'il soit reconnu comme acteur de la diversité culturelle et qu'il bénéficie de la politique culturelle des parties en faveur de sa protection et sa promotion. À cet égard, le préambule de la convention affirme que la diversité culturelle « devrait être célébrée et préservée au profit de tous ». De ce fait, la convention se démarque d'autres textes normatifs internationaux, telle la convention-cadre du Conseil de l'Europe pour la protection des minorités nationales, qui font de l'appartenance de l'individu à une collectivité la condition pour qu'il puisse tirer profit de leurs dispositions.

La convention de l'UNESCO, tout en tenant compte de la nature collective du phénomène culturel, n'octroie donc pas de droits collectifs, et ne fait pas dépendre la jouissance de la protection et la promotion de la diversité culturelle par les individus d'une quelconque appartenance à des communautés ou groupes sociaux. Il en résulte qu'elle ne présuppose point, pour sa mise en œuvre, une vision communautariste ou pluriculturelle de l'État, dans le sens d'un modèle d'organisation politique distinct de celui de l'universalisme républicain 28.

2. La reconnaissance des droits de l'homme y compris, bien évidemment, des droits culturels, est un présupposé logique indispensable pour que les individus puissent juridiquement revendiquer leur appartenance culturelle : « cette même appartenance peut se transformer en droit subjectif, uniquement par le biais de l'existence de l'homme abstrait titulaire des droits, bref de l'individu » 29. Leur respect effectif conditionne aussi la possibilité pour les individus d'affirmer et de promouvoir leur propre identité culturelle, lien souligné à l'article 2 de la convention (paragraphe 1er, alinéa 1er) : « la diversité culturelle ne peut être protégée et promue que si les droits de l'homme et les libertés fondamentales telles que la liberté d'expression, d'information et de communication, ainsi que la possibilité pour les individus de choisir les expressions culturelles, sont garantis ».

Toutefois, la convention apporte un ajout essentiel au paysage normatif international : la protection de l'altérité, laquelle, bien que prise en compte dans les dispositions des traités des droits de l'homme qui garantissent le droit de participer à la vie culturelle, la liberté de conscience, la liberté d'expression ou l'interdiction de toute discrimination pour des motifs ethniques, religieux ou autres, n'était cependant pas proclamée explicitement. De même et par opposition aux traités de protection des minorités, l'altérité est protégée par la convention de l'UNESCO de façon indifférenciée, pourvu qu'elle génère des expressions culturelles qui ont pour origine ou expriment une identité culturelle, ce qui signifie que cette protection n'est pas conditionnée par l'appartenance à tel ou tel groupe minoritaire ou ethnique.

28. Selon G. Marcou, « La nation d'État pluriculturel, bien qu'elle soit encore à élaborer, suppose l'affirmation au sein de l'État de communautés distinctes par la culture dont elles se réclament ou ont obtenu la reconnaissance officielle par l'État et dans les institutions de l'État» (G. MARCOU, «De l'expression des différences dans l'État républicain », L'Etat pluriculturel et les droits aux différences, P. de DECKKER/J Y. FABERON (éd.), Bruxelles, Bruylant, 2003, pp. 89-106, p. 89).

29. Voy. D. CHRISTOPOULOS, op. cit. (note 18), p. 84.

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498 LA CONVENTION DE L'UNESCO SUR LA DIVERSITÉ CULTURELLE

La convention rejoint, sur ce point, la perception universelle des droits de l'homme garantis à tout individu du seul fait de sa qualité d'être humain. Mais, dans le même temps, elle tient compte de l'individu situé dans son contexte social et culturel réel et semble ainsi se démarquer de cette vision abstraite de l'individu, que l'on trouve parfois sous-jacente dans la théorie des droits de l'homme 30. De ce fait, elle opère un enrichissement certain de notre perspective normative en la matière, même si, d'un point de vue de stricte classification juridique, elle n'est pas un traité de protection des droits de l'homme mais a une ambition plus vaste, protéger la diversité culturelle en tant que telle.

La convention de l'UNESCO affecte aussi d'une autre façon l'exercice des droits de l'homme : elle permet de dépasser l'égalité formelle du droit de chaque individu de participer à la vie culturelle pour garantir les conditions réelles d'exercice de ce droit. Un tel droit ne peut s'exercer effectivement lorsque l'individu n'a pas le choix entre plusieurs expressions culturelles d'origines diverses mais doit se contenter des biens et services culturels qui expriment une culture dominante et sont, pour des raisons économiques ou politiques, les seuls vraiment disponibles. Si cette culture dominante n'est pas la sienne, à l'impossibilité de choix vient s'ajouter l'aliénation intellectuelle de l'individu 31. La convention de l'UNESCO a pour objectif que toutes les cultures aient la possibilité d'être présentes dans les moyens d'expression et de diffusion. Elle dépasse ainsi la vision de l'État comme simple garant des choix culturels effectués par les individus et les groupes sociaux 32, et prône son engagement actif en faveur de la promotion de la diversité culturelle.

En cas d'existence sur le territoire d'une partie d'expressions culturelles soumises à un risque d'extinction ou qui nécessitent une sauvegarde urgente, celle-ci est autorisée à adopter, en vertu de l'article 8 de la convention, des mesures appropriées. Cette disposition « habilitative » implique, selon nous, que les mesures appropriées puissent aller au-delà des politiques et mesures culturelles adoptées habituellement par cette partie, sans être perçues pour autant comme des mesures de discrimination positive nuisibles aux autres cultures présentes sur son territoire.

3. Tout en offrant une nouvelle perspective pour la réalisation des droits de l'homme, la convention sur la diversité culturelle est subordonnée à ceux-ci, dans le sens où « nul ne peut invoquer les dispositions de la présente convention pour porter atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales tels que consacrés par la déclaration universelle des droits de l'homme ou garantis par le droit international, ou pour en limiter la portée » 33 (article 2, paragraphe 1er, alinéa 2).

Cette clause garantit l'universalité des droits de l'homme et écarte tout relativisme en la matière sous prétexte de divergences culturelles. Les organes de contrôle institués par les traités de protection des droits de l'homme reconnais-

30. Voy. D. CHRISTOPOULOS, op. cit. (note 18), p. 82. 31. « Seule une culture vivante est à même de prodiguer en nombre suffisant des orientations con

vaincantes propres à permettre des décisions censées » (J. HABERMAS, « Le multiculturalisme : les différences culturelles concernent-elles la politique ? », Une époque de transitions, Écrits politiques 1998- 2003, Paris, Fayard, 2005, pp. 211-227, p. 219).

32. Voy. P. Meyer-Bisch, « Les droits culturels forment-ils une catégorie spécifique des droits de l'homme ? », op. cit. (note 17), p. 18.

33. Voy. en même sens le deuxième alinéa du paragraphe 5 de la déclaration adoptée à Vienne lors de la conférence mondiale sur les droits de l'homme (1993) : « s'il convient de ne pas perdre de vue l'importance des particularismes nationaux et régionaux et la diversité historique, culturelle et religieuse, il est du devoir des États, quel qu'en soit le système politique, économique et culturel, de promouvoir et de protéger tous les droits de l'homme et toutes les libertés fondamentales ».

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sent d'ailleurs aux autorités nationales une marge d'appréciation dans l'adoption des mesures requises pour la mise en œuvre des droits protégés. La Cour européenne des droits de l'homme a ainsi admis dans l'affaire Dudgeon que « dans un État où vivent des communautés culturelles diverses, les autorités peuvent fort bien se trouver en face d'impératifs divers, tant moraux que sociaux » 34. Toutefois, cette marge nationale d'appréciation ne doit jamais porter atteinte à la substance des droits garantis 35. L'objectif de la protection de l'identité culturelle ne peut donc servir de prétexte, contrairement aux préoccupations exprimées dans ce sens lors de la négociation de la convention, pour justifier une violation des droits de l'homme.

L'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Ford c. Québec, est caractéristique à cet égard : la Cour a été d'avis qu'une loi provinciale exigeant l'usage exclusif du français dans l'affichage public et la publicité commerciale, adoptée dans le but de protéger le « visage linguistique » du Québec, portait atteinte à la liberté d'expression garantie tant par la charte canadienne que par la charte québécoise des droits et des libertés 36.

Cette subordination de l'objectif de la promotion de la diversité culturelle au respect des droits de l'homme ne s'applique pas uniquement aux relations entre l'individu et l'État mais aussi, de façon horizontale, aux relations entre l'individu et les autres membres du groupe auquel il appartient, lequel pourrait même disposer de ses propres mécanismes de contrôle social. L'identité culturelle ne peut pas être invoquée pour justifier des pratiques discriminatoires ou une aliénation des droits de certains membres du groupe, tels les femmes ou les enfants. De même, les membres des groupes sociaux ne peuvent pas, que leur culture soit la culture nationale dominante ou pas, priver un individu du « droit de sortie » du groupe en question, c'est-à-dire du droit d'opter pour une autre identité culturelle et d'exiger que son choix soit respecté par sa communauté d'origine 37. Or, assurer que la protection de l'identité culturelle ne devienne un alibi pour violer les droits de l'homme dans les relations entre individus, renvoie à la question classique de l'exercice des prérogatives de la puissance publique en la matière.

34. Arrêt du 23 octobre 1981, Rec. Série A, n° 45, par. 56. Sur la doctrine de la marge nationale d'appréciation voy. notamment O. DE FROUVILLE, L'intangibihté des droits de l'homme en droit international, Paris, Pedone, 2004, p. 152-158. Pour ce qui concerne l'application de l'article 63, § 3 de la convention européenne des droits de l'homme, lequel prévoit que dans les territoires d'outre-mer la convention sera appliquée « en tenant compte des nécessites locales », voy. S. KARAGIANNIS, « L'aménagement des droits de l'homme outre-mer : la clause des nécessites locales de la Convention européenne », RBDI, 1995, pp. 224-305.

35. Voy. G. COHEN-JONATHAN, « Les droits de l'homme, une valeur internationalisée », Droits fondamentaux, 2001, pp. 157-164, p. 162 ; E. DECAUX, « Les dialogues sur les droits de l'homme, types, conditions, objectifs et évaluation », Droits fondamentaux, 2002, pp. 101-108, p. 103 ; S. TOOPE, « Cultural diversity and human rights », Revue de droit de McGill, 1997, pp. 169-185 ; S. WALKER/ S. POE, « Does cultural diversity affect countries' respect for human rights ? », Human Rights Quarterly, 2002, pp. 237-263.

36. [1988] 2 RCS, p. 712 et s. Voy. également le paragraphe 2 de l'article 31 de la constitution de l'Afrique du sud de 1996, qui prévoit que les droits culturels reconnus par le premier paragraphe de cet article à toute personne appartenant à une communauté culturelle, religieuse ou linguistique ne peuvent pas être exercés d'une façon contraire aux dispositions de la charte des droits fondamentaux (Bill of rights).

37. Voy. sur cette question le recueil d'études Minorities within Minorities, Equality, Rights and Diversity, A. ElSENBERG/J. SPINNER-HALEV (éd.), Cambridge University Press, 2005 et notamment l'article de G. Mahajan, « Can intra-group equality co-exist with cultural diversity ? Re-examining multicultural frameworks of accommodation », pp. 90-112.

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500 LA CONVENTION DE L'UNESCO SUR LA DIVERSITÉ CULTURELLE

B. La valorisation du rôle de l'État

La convention de l'UNESCO opte pour un engagement actif de l'État malgré les tendances actuelles en faveur d'une plus grande déréglementation (1), et considère celui-ci à la fois comme débiteur et comme bénéficiaire de la protection et la promotion de la diversité culturelle (2).

1. La revendication d'un droit uniforme en matière de transactions transfrontières, ainsi que les évolutions économiques et techniques liées au phénomène de la mondialisation, ont amoindri à bien des égards la place prépondérante de l'État dans l'élaboration des politiques culturelles.

Le droit, qu'il soit interne ou international, a du mal à réglementer le flux grandissant des informations lequel, de par sa nature immatérielle, relativise le principe de la territorialité, berceau de la puissance étatique. Cette évolution, selon l'expression du professeur Hélène Ruiz Fabri, banalise l'État comme acteur et le marginalise comme auteur de normes 38.

Ensuite, au sein même du droit international et notamment du droit du commerce international, une tendance croissante se manifeste en faveur d'une déréglementation accrue en matière de production et de distribution des biens et services culturels, et donc d'un affaiblissement du rôle de l'État. À cette évolution s'ajoute la pression des acteurs économiques transnationaux qui revendiquent la juridicité de leurs propres usages et pratiques, au sens d'une lex mercatoria universelle, insensible aux préoccupations culturelles, laquelle viendrait concurrencer le droit d'origine étatique ou interétatique 39.

Or, les rédacteurs de la convention ont voulu valoriser le rôle de l'État dans la sauvegarde et la promotion de la diversité culturelle40. D'une part, chaque État véhicule une identité culturelle propre, souvent pluridimensionnelle, qui constitue une composante essentielle de la communauté nationale et a donc intérêt à ce qu'elle soit préservée. D'autre part, les expressions culturelles présentes sur le territoire d'un État voient en celui-ci « un enjeu, celui-ci possédant la capacité de les faire reconnaître, de leur accorder des droits, de favoriser leur maintien et leur développement » 41.

2. Dans cette perspective, l'État est perçu dans le texte de la convention sous une double qualité : comme débiteur de l'obligation de préserver la diversité culturelle sur son territoire et donc comme garant de la diversité culturelle mais

38. « Immatériel, territorialité et État », Archives de philosophie du droit, vol. 43 (1999), pp. 187-212, p. 191. Pour une vision des réseaux comme créateurs de « régimes privés inter-nationaux » voy. E. ROU- COUNAS, op. cit. (note 20), p. 67-68.

39. Voy. R.J. DUPUY, « Le dédoublement du monde », RGDIP, 1996, pp. 313-321. Cf. également l'analyse de David Kennedy quant au « régime cosmopolite du droit international économique », m « Les clichés revisités, le droit international et la politique », Droit international 4, Paris, IHEI, éd. Pedone, 2000, pp. 3-178, pp. 42-47.

40. L'article 27, § 3 de la convention permet également à des organisations d'intégration économique régionale, telle la Communauté européenne, de devenir partie à celle-ci. Toutefois et par commodité de langage, nous utilisons le terme « État » quand nous nous référons au destinataire des droits et obligations assignés aux parties à la convention, d'autant plus que notre article ne traite pas la question de la répartition entre la Communauté européenne et ses États membres, des compétences relatives à la mise en œuvre de la convention.

41. Y. Bernier/D. Atkinson, « Mondialisation de l'économie et diversité culturelle : les arguments en faveur de la préservation de la diversité culturelle » (décembre 2000), disponible sur le site [www. francophonie.org], p. 8. Voy. également le paragraphe 5 de la résolution 2005/20 de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies, relative à la promotion de la jouissance effective des droits culturels pour tous et au respect des différentes identités culturelles, qui prévoit que « c'est aux États qu'incombe au premier chef la responsabilité de promouvoir la pleine jouissance des droits culturels pour tous et de développer le respect des différentes identités culturelles ».

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LA CONVENTION DE L'UNESCO SUR LA DIVERSITÉ CULTURELLE 501

également comme bénéficiaire de sa sauvegarde, dans la mesure où la culture constitue un élément principal de l'identité collective incarnée par l'État.

Cette vision plurielle du rôle de l'État se reflète dans l'article 5 de la convention. Son premier paragraphe proclame, en conformité avec la vision de l'État comme bénéficiaire de la sauvegarde de la diversité culturelle, le droit souverain des parties de formuler et mettre en œuvre leurs politiques culturelles et d'adopter des mesures pour protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles. Ce principe, que l'on retrouve à l'article 1 (h) et à l'article 2, alinéa 2 de la convention, exprime la volonté des rédacteurs de la convention d'affirmer, de la façon la plus solennelle possible, les prérogatives de l'État en matière de politique culturelle face aux sirènes de la déréglementation.

Dans le même temps, le deuxième paragraphe de l'article 5 impose aux parties l'obligation d'adopter des politiques culturelles compatibles avec les dispositions de la convention lorsqu'elles prennent des mesures pour protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles sur leur territoire. Les parties sont ici visées en tant que destinataires d'une obligation claire et précise relative à la mise en œuvre de la convention au niveau de leur propre ordre juridique et donc toute sorte de réserve ou de déclaration unilatérale potestative d'une quelconque des parties, qui viendrait subordonner la mise en œuvre de la convention à son droit interne, serait contraire à son objet et à son but.

Cette situation paradoxale, où un sujet de droit est considéré à la fois en tant que partie liée par les dispositions énoncées dans un texte normatif et en tant que titulaire de droits découlant de celles-ci, s'explique par le fait que l'État doit garantir la promotion de la diversité culturelle sur son territoire, tout en bénéficiant de celle-ci.

Si l'on veut concilier ces deux phénomènes, on doit admettre que la convention octroie des compétences à l'État pour la promotion et la protection de la diversité culturelle, mais qu'il s'agit de compétences en partie liées, tant par l'obligation imposée aux États de respecter les droits de l'homme que par leur obligation d'agir de façon compatible avec les dispositions de la convention. Or, le libellé de l'article 6 laisse ouverte la question de savoir si la compétence est liée uniquement quant à son orientation ou également quant à l'opportunité de son exercice.

L'article 6 est intitulé « droits des parties au niveau national » ; son chapeau proclame que chaque partie « peut adopter » des mesures afin de promouvoir la diversité des expressions culturelles sur son territoire et contient une liste illustrative de telles mesures42. La différence de perspective avec l'article correspondant de la convention de l'UNESCO sur le patrimoine culturel immatériel, l'article 13, est évidente, car ce dernier résonne plutôt dans une logique d'obligation : il proclame que chaque État partie « s'efforce » d'adopter les mesures de sauvegarde qui y sont énoncées.

Toutefois, une telle vision des choses pourrait anéantir l'objet et le but de la convention et pénaliser les États qui ont une politique en faveur de la diversité culturelle par rapport aux États qui n'en ont pas. À notre avis, le terme « peut adopter » dans le chapeau de l'article 6 ne signifie pas qu'une partie peut ne pas adopter des mesures pour la protection et la promotion de la diversité culturelle. Le but de cette disposition est d'affirmer cette prérogative de l'État qui lui est de plus en plus contestée et c'est pour cette raison qu'elle est formulée en termes

42. Dans le projet initial de la convention, ainsi que dans le texte composite proposé au mois de mars 2005 par le président de la conférence, le professeur Kader Asmal (doc. CLT/CPD/2005/CONF.203/6) au lieu du terme « peut adopter » figurait le terme « adopte » Or, ce terme entrait en contradiction avec l'intitule de l'article, qui parlait de « droits » des parties au niveau national et point d'obligations.

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502 LA CONVENTION DE L'UNESCO SUR LA DIVERSITÉ CULTURELLE

d'habilitation, sans préjuger d'une parallèle obligation de l'État de faire usage du pouvoir qui lui est reconnu, en vue de promouvoir la diversité culturelle sur son territoire.

Ce point de vue est corroboré par l'article 7 de la convention qui dispose, entre autres, que les parties « s'efforcent » de créer sur leur territoire un environnement encourageant les individus et les groupes sociaux à créer, produire, diffuser et distribuer leurs propres expressions culturelles et à y avoir accès, en tenant dûment compte des conditions et besoins particuliers des femmes, ainsi que de divers groupes sociaux, y compris les personnes appartenant aux minorités et les peuples autochtones. Or, on voit mal comment une partie s'acquitterait de son obligation de créer un tel environnement sans adopter une politique active en faveur de la promotion de la diversité culturelle.

En ce qui concerne l'éventail des mesures que les parties peuvent adopter en vertu de l'article 6, il faut noter que celui-ci leur octroie des pouvoirs considérables et une marge d'initiative importante en la matière. Les parties sont autorisées à adopter des mesures réglementaires appropriées ainsi que des mesures en vue de la promotion des biens culturels nationaux, y compris par l'octroi des aides financières publiques et par le soutien des institutions de service public.

L'article 6 affirme le rôle régulateur de l'État dans le domaine culturel et lui reconnaît un pouvoir considérable d'action en faveur de la promotion de la diversité culturelle, même par des initiatives qui peuvent avoir une incidence commerciale. De ce fait, il fournit l'ébauche d'un traitement juridique propre aux biens et services culturels, comme conséquence logique de la consécration normative de leur spécificité. Toutefois, des mesures restrictives (par exemple, les quotas de diffusion dans le domaine de l'audiovisuel) en vue de soutenir les industries culturelles nationales devront être appréciées en fonction de l'article 7, paragraphe 1er, alinéa b, qui prévoit que les parties doivent s'efforcer de créer un environnement encourageant les individus et les groupes sociaux à avoir accès aux diverses expressions culturelles provenant de leur territoire ainsi que des autres pays du monde 43.

La convention opte pour un engagement actif de l'État et récuse une vision strictement libérale de son rôle dans le domaine de la culture, qui consisterait en une neutralité parfaite par rapport à la production et la diffusion des biens et services culturels sur son territoire. Cette vision de pure tolérance de la part de l'État pourrait donner libre cours à deux tendances diamétralement opposées mais toutes les deux fondées sur le désengagement étatique : d'une part l'affaiblissement des particularités culturelles du fait de la mondialisation et d'autre part le repli communautariste, nuisible à l'épanouissement de l'interculturalité, l'État libéral ayant comme seule mission en la matière d'assurer la simple coexistence sur son territoire de différentes communautés culturelles. Or, la convention de l'UNESCO considère que c'est par le biais de l'engagement étatique que l'individu et les groupes sociaux sont assurés du maintien de leur identité culturelle 44.

43. Voy. H. RUIZ FABRI, « Contre-argumentaire sur les critiques adressées au projet de convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles » (octobre 2005), disponible sur le site [www.francophonie.org], p. 4.

44. H. Arendt avait ajuste titre souligné l'importance du lien de nationalité pour l'accomplissement de l'individu et le maintien de ses liens traditionnels. Voy. son ouvrage Le système totalitaire, Pans, Points-politique, 1972, pp. 40 et s. (cité par E. JOUANNET, op. cit., note 26, p. 218).

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LA CONVENTION DE L'UNESCO SUR LA DIVERSITÉ CULTURELLE 503

C. Les organes institués par la convention

La convention impose aux parties des obligations de comportement qui nécessitent l'engagement des parties ainsi que de tous les acteurs de la diversité culturelle pour leur réalisation 45, ce qui rend souhaitable d'encadrer au niveau international la mise en œuvre des obligations souscrites, d'autant plus que la diversité culturelle est proclamée patrimoine commun de l'humanité. Cette proclamation ne signifie pas que la protection de l'identité culturelle est soustraite à la compétence réglementaire des parties et relève uniquement du domaine public international 46, mais qu'il est de leur devoir de la conserver et de la promouvoir pour le bien-être de tous. Dans ce cadre, les organes institués par la convention doivent veiller au respect par les parties des obligations assumées mais également les assister dans l'accomplissement de leur tâche, étant donné que c'est l'humanité tout entière qui en tire profit 47.

En ce qui concerne son mécanisme institutionnel, la convention suit le modèle de la convention de 1972 pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel ainsi que celui de la convention de 2003 pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. Un organe plénier, la conférence des parties, est établi par l'article 22 de la convention et un organe restreint, le comité intergouvernemental, véritable bras armé de la convention, est établi par son article 23. Par opposition aux autres conventions précitées, celle-ci n'institue ni liste ni inventaire, qu'il soit national ou international, ce qui est conforme à sa logique, car elle ne se limite pas à sauvegarder certains éléments du patrimoine culturel.

La conférence des parties est l'organe suprême de la convention, elle élit les membres du comité et approuve les orientations relatives à la mise en œuvre de la convention, préparées à sa demande par le comité. Elle examine les rapports nationaux des parties prévus à l'article 9, alors que dans la convention sur l'immatériel cette compétence est attribuée au comité, ce qui prouve la volonté des rédacteurs de la convention d'impliquer activement la conférence des parties à sa mise en œuvre.

Le comité intergouvernemental sera initialement composé de dix-huit membres et ensuite de vingt-quatre membres, dès lors que le nombre des parties à la convention atteindra cinquante. Selon l'article 23, il lui incombe de « promouvoir le objectifs de la présente convention, encourager et assurer le suivi de sa mise en œuvre ». Dans ce cadre, il est notamment chargé de tâches de contrôle mais aussi d'assistance des parties à la convention. Il est ainsi compétent pour transmettre à la conférence des parties les rapports nationaux, accompagnés de ses observations et d'un résumé de leur contenu. L'alinéa d du paragraphe 6 de l'article 23, qui prévoit que le comité fait des recommandations appropriées dans les situations portées à son attention par les parties conformément aux dispositions pertinentes de la convention, en particulier l'article 8, est

45. V. I. BERNIER/H. RUIZ Fabri, « La mise en œuvre et le suivi de la convention de lTTnesco sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles » (2006), disponible sur le site [www.mcc.gouv.qc.ca], p. 6.

46. A.-C Kiss distingue entre le patrimoine commun de l'humanité « par nature » qui échappe à toute souveraineté, tel par exemple l'espace extra-atmosphérique et le patrimoine commun de l'humanité « par affectation », parmi lequel il range le patrimoine culturel et naturel, et « dont la presque totalité se trouve sous compétences étatiques » (« La notion de patrimoine commun de l'humanité », RCADI, tome 175, 1982-11, pp 99-256, p. 225). Voy. aussi J. Blake, op. cit. (note 24), pp. 70-71.

47. A.-C. Kiss, ibid., p. 171, à propos du devoir de la communauté internationale d'assister les États dans le cadre de l'application de la convention de l'UNESCO de 1972, car ils sont dépositaires de valeurs qui sont communes à l'humanité tout entière.

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504 LA CONVENTION DE V UNESCO SUR LA DIVERSITÉ CULTURELLE

formulé en des termes qui semblent octroyer au comité un rôle d'expert-conseil des parties à la convention 48.

Le rôle confié au secrétariat de l'UNESCO va au-delà d'une simple assistance aux organes de la convention : l'article 19 prévoit en effet que l'Unesco devra constituer et tenir à jour une banque de données, concernant les différents secteurs et organismes gouvernementaux œuvrant dans le domaine des expressions culturelles, ainsi que faciliter la collecte, l'analyse et la diffusion de toutes les informations, statistiques et des meilleures pratiques en la matière. Ces prévisions font du secrétariat de l'UNESCO non seulement un point d'appui pour les organes institués par la convention mais également un véritable point de référence pour la promotion de la diversité culturelle à l'échelle internationale.

La conformité des parties aux dispositions de la convention pourrait également être évaluée par la commission de conciliation prévue au paragraphe 3 de l'article 25 et à l'annexe à la convention. Elle peut être saisie par requête unilatérale par toute partie contre une autre partie en cas de différend qui n'a pas pu être résolu par négociation, bons offices ou médiation49. Bien évidemment, les recommandations de la commission de conciliation ne sont pas obligatoires pour les parties et la procédure de conciliation s'intègre dans le cadre horizontal du règlement des différends et point dans celui du contrôle international effectué par les organes de la convention. Cependant, il est évident que les conclusions de la procédure de conciliation revêtiront un poids politique certain et seront prises en compte par le comité et la conférence des parties dans leur évaluation du contenu des rapports nationaux d'application des parties en cause, ce qui produira une association de fait entre les deux procédures.

III. - L'ARTICULATION ENTRE LA CONVENTION ET LES AUTRES INSTRUMENTS INTERNATIONAUX

La mise en œuvre de la convention sur la diversité culturelle pourrait affecter l'application d'autres instruments internationaux. Nous songeons principalement aux accords liés au commerce international, et surtout les accords de l'OMC (A). La question des relations entre la convention et les autres instruments internationaux est visée dans l'article 20 de celle-ci 50, lequel a été l'objet de laborieuses négociations lors de la conférence intergouvernementale d'experts (B). Toutefois, les dispositions de l'article 20 seront probablement en concurrence avec les règles et principes posés par d'autres accords internationaux en ce qui concerne le règlement des conflits de normes, et surtout avec les principes que dégagera progressivement l'Organe de règlement des différends de l'OMC (C).

48. Signalons à cet égard que le projet initial de la convention (doc. CLTD/CPD/20004/CONF.201/2 /2004) prévoyait, dans son article 8 relatif à la protection des formes vulnérables de diversité culturelle, des prérogatives plus étendues pour le comité, lesquelles, toutefois, n'ont pas survécu à la reformulation complète de cette disposition par la réunion intergouvernementale d'experts.

49. Sauf si cette dernière déclare, au moment où elle devient partie à la convention et selon le paragraphe 4 de son article 25, qu'elle ne reconnaît pas la procédure de conciliation.

50. À l'exception, bien évidemment, des traités de protection des droits de l'homme, car le deuxième alinéa du premier paragraphe de l'article 2 contient une clause de sauvegarde expresse en faveur des droits de l'homme garantis par le droit international.

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LA CONVENTION DE L'UNESCO SUR LA DIVERSITÉ CULTURELLE 505

A. Les interférences possibles avec les accords du commerce international

On ne peut évidemment identifier a priori les mesures qui, dans le cadre de la mise en œuvre de la convention sur la diversité culturelle, pourraient être à l'origine de conflits avec d'autres instruments internationaux, notamment ceux qui concernent le commerce international, d'autant plus que nous ne pouvons dresser une liste exhaustive de ces derniers. Toutefois, l'importance des accords de l'OMC en la matière et le fait qu'ils aient été souvent invoqués lors de la négociation de l'article 20, justifie qu'on considère les dispositions de la convention dont l'application pourrait éventuellement affecter le droit de l'OMC 51.

Les alinéas b et c du paragraphe 2 de l'article 6 de la convention autorisent les parties à adopter des mesures qui offrent des opportunités aux activités, biens et services culturels nationaux de trouver leur place parmi l'ensemble des activités, biens et services culturels disponibles sur leur territoire ainsi qu'à adopter des mesures visant à fournir aux industries culturelles nationales et indépendantes un accès véritable aux moyens de production, de diffusion et de distribution. Ces dispositions laissent une grande latitude aux parties quant à leur mise en œuvre. Si une des parties se croyait autorisée à adopter, en vertu de celles-ci, des restrictions à l'importation des biens culturels en provenance de l'étranger, elle agirait en violation de l'article XI du GATT qui prohibe les restrictions quantitatives. De même, un système de quotas de diffusion serait contraire à l'article III du GATT qui interdit les discriminations de traitement à raison de l'origine des produits 52.

Par contre, en ce qui concerne le commerce des services culturels 53, les États jouissent d'une plus grande flexibilité, car les articles correspondants du GATS (article XVI pour l'accès au marché et article XVII pour le traitement national) ne s'appliquent qu'aux secteurs qui sont inscrits dans la liste de leurs engagements. Or, la plupart des États n'ont pas souscrit pour l'instant d'engagements dans le secteur de l'audiovisuel, secteur d'une importance capitale dans le domaine des services culturels.

Une autre disposition qui pourrait affecter le droit de l'OMC est l'alinéa d du paragraphe 2 de l'article 6, autorisant les États à prendre des mesures qui visent à accorder des aides financières publiques. Or, en ce qui concerne le commerce des biens culturels, ces aides financières pourraient être considérées comme des subventions qui devraient alors être conformes aux conditions posées par l'accord de l'OMC sur les subventions et mesures compensatoires.

Enfin, l'article 16 qui prévoit que les pays développés peuvent accorder un traitement préférentiel aux biens et services culturels en provenance des pays en

51. En général, les préoccupations culturelles sont absentes du droit de l'OMC, à l'exception de l'article V du GATT qui autorise des quotas à l'écran en faveur des films d'origine nationale et de l'article XX (f) qui concerne la protection des trésors nationaux.

52. Dans l'affaire relative à Certaines mesures concernant les périodiques, l'Organe d'appel de l'OMC a considéré comme incompatible au GATT le traitement préférentiel accordé par le gouvernement canadien aux périodiques nationaux, par rapport au traitement réservé aux périodiques importés à usage dédoublé. En l'occurrence, le gouvernement canadien avait soutenu que sa politique était motivée par son engagement « quant à la protection des assises financières de l'industrie canadienne des périodiques, qui constitue un élément vital de l'expression culturelle canadienne » (Doc. WT/DS31/AB/R [1997], p. 33).

53. Notons toutefois que dans le domaine culturel il est parfois malaisé de distinguer entre biens et services, surtout en ce qui concerne les produits numériques, voy. l'étude du professeur Hélène Ruiz Fabn concernant l'instrument juridique international sur la diversité culturelle (29 mars 2004), disponible sur le site [www. francophonie.org], p. 8.

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506 LA CONVENTION DE L'UNESCO SUR LA DIVERSITÉ CULTURELLE

développement, pourrait donner lieu à une violation du traitement de la nation la plus favorisée énoncé à l'article I du GATT et à l'article II du GATS, sauf si les mesures adoptées se conformaient à la « clause d'habilitation » de 1979, et surtout à l'exigence que le traitement préférentiel ne soit pas accordé aux pays en développement de façon discriminatoire 54.

Outre les accords de l'OMC, il faut également tenir compte des accords bilatéraux de libre échange qui ont été conclus ces dernières années, surtout par les États-Unis 55. Ils aspirent à une libéralisation plus étendue que celle du droit de l'OMC, surtout dans le domaine des services et, assez souvent, ils contiennent de dispositions consacrées aux services électroniques. Leur champ d'application comprend les biens et services culturels, sauf là où quelques mesures ou secteurs culturels en sont explicitement exclus. Ces accords sont à l'origine d'une fragmentation de la réglementation juridique internationale en matière de commerce international et, comme ils vont au-delà des exigences du droit de l'OMC, rendent assez probable un éventuel conflit entre leurs dispositions et des mesures éventuellement adoptées en application de la convention sur la diversité culturelle.

B. La réglementation intrinsèque des relations avec les autres instruments

L'article 20 de la convention est consacré à l'épineuse question du lien entre la convention et les autres instruments internationaux56. Compte tenu du fait que cette disposition vise également d'éventuelles interférences avec les accords relatifs au commerce, tels ceux de l'OMC, elle a fait l'objet de laborieuses négociations. Le libellé retenu a constitué l'une des raisons principales du vote négatif des États-Unis lors de l'adoption de la convention. Dans le projet initial de la convention, l'article 20, qui était encore l'article 19, était proposé avec deux variantes. La première, soutenue lors de la première réunion d'experts intergouvernementaux par la majorité des pays en développement mais aussi par un certain nombre de pays européens, prévoyait notamment que les dispositions de la convention ne modifiaient en rien les droits et obligations découlant pour un État partie à un accord international existant, sauf si l'exercice de ces droits ou le respect de ces obligations causait de sérieux dommages à la diversité des expressions culturelles ou constituait pour elle une sérieuse menace. La deuxième variante, soutenue par des pays attachés à l'intégrité des règles du commerce international et principalement par les États-Unis, comportait une clause de non-préjudice classique, dans le sens où rien dans la convention ne modifiait les droits et obligations des États parties au titre d'autres instruments internationaux existants 57.

54. Voy. le rapport de l'Organe d'appel dans l'affaire des Conditions d'octroi de préférences tarifaires aux pays en développement, doc. WT/DS246/AB/R (2004).

55. Pour une présentation générale, voy. L. MAYER-ROBITAILLE, « L'impact des accords de libre- échange américains sur le statut juridique de biens et services culturels », cet Annuaire, 2004, pp. 715-730.

56. Cette disposition ne concerne pas la relation entre la convention et le droit communautaire, pour le cas où la Communauté européenne deviendrait partie contractante à celle-ci. En l'occurrence, et même dans les relations intracommunautaires, la convention ne pourrait être subordonnée aux dispositions du droit communautaire, car elle ne contient pas de clause de déconnexion et l'article 27, § 2 de la convention de Vienne de 1986 sur le droit des traités s'applique intégralement. D'ailleurs, l'article 151, § 4 du traité CE facilite la mise en œuvre de la convention au niveau intracommunautaire, car il prévoit que la Communauté tient compte des aspects culturels dans son action au titre d'autres dispositions du traité, afin notamment de respecter et de promouvoir la diversité de ses cultures.

57. Pour le texte des deux variantes, voy. doc. CLT/CPD/2004/CONF.201/2/2004.

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LA CONVENTION DE L'UNESCO SUR LA DIVERSITÉ CULTURELLE 507

Ces deux variantes, diamétralement opposées dans leur orientation, obéissaient cependant à la même logique : celle d'établir un ordre de priorité entre la convention sur la diversité culturelle et les autres accords internationaux éventuellement applicables en l'espèce. Pour débloquer le débat et trouver un compromis, la réunion d'experts a préféré ne pas établir une quelconque priorité et placer la question sur le terrain de la recherche de la compatibilité entre la convention sur la diversité culturelle et les autres instruments.

En ce qui concerne l'absence de priorité, celle-ci découle d'une lecture conjointe du deuxième paragraphe de l'article 20 et du chapeau du premier paragraphe. Le deuxième paragraphe prévoit que « rien dans la présente convention ne peut être interprété comme modifiant les droits et obligations des parties au titre d'autres traités auxquels elles sont parties ». À elle seule, cette disposition pourrait signifier que la convention sur la diversité culturelle est subordonnée aux autres traités, dans le sens de l'article 30, § 2 de la convention de Vienne sur le droit des traités qui dispose, entre autres, qu'un traité l'emporte sur un autre lorsque cet autre traité prévoit qu'il ne doit pas être considéré comme incompatible avec le premier traité58. Toutefois, cet indice d'application prioritaire des autres traités est balayé par le chapeau du premier paragraphe qui prévoit que la convention sur la diversité culturelle n'est pas subordonnée à ces autres traités. Le deuxième paragraphe de l'article 20 signifie donc que les autres traités ne sont pas subordonnés à la convention sur la diversité culturelle, sans toutefois prétendre à une quelconque priorité d'application en leur faveur.

La juxtaposition de ces deux énoncés (du deuxième paragraphe et du chapeau du premier paragraphe), qui semble inspirée par les dispositions similaires du protocole de Carthagène sur la biosécurité, nous amène à la conclusion qu'aucune priorité entre la convention et les autres traités ne découle expressément de l'article 20, que ce soit en vertu de l'article 30, § 2 de la convention de Vienne sur le droit des traités ou en vertu du principe de l'application prioritaire de la lex specialis. En fait, l'article 20 n'énonce nulle part que la convention sur la diversité culturelle devrait l'emporter sur les autres accords et les accords commerciaux en particulier en tant que lex specialis, du fait de la nature spécifique des biens et services culturels 59.

Faute d'avoir établi une priorité, les rédacteurs de l'article 20 ont essayé d'assurer, dans la mesure du possible, une application complémentaire entre la convention sur la diversité culturelle et les autres accords pertinents. Ce souci est déjà exprimé dans le chapeau du premier paragraphe qui prévoit, entre autres, que « les parties reconnaissent qu'elles doivent remplir de bonne foi leurs obligations en vertu de la présente convention et de tous les autres traités auxquels elles sont parties ».

58. Voy. en ce sens, pour la clause similaire du préambule du protocole de Carthagène (2000) sur la prévention des risques biotechnologiques, H. Ruiz Fabri, « Le commerce international des OGM : quelle articulation entre le protocole de Carthagène sur la biosécurité et le droit de l'OMC ? », Le commerce international des organismes génétiquement modifiés, J. BOURRINET/S. MALJEAN-DUBOIS (éd.), Paris, La Documentation française, 2002, pp. 149-176, § II (A)(l). Du même avis pour les clauses de non-préjudice en général, le Professeur ROUCOUNAS, « Engagements parallèles et contradictoires », RCADI, tome 206, 1987-VI, pp. 13-287, p. 92.

59. Nous sommes également d'avis que le principe de la lex posterior ne pourrait jouer aisément en faveur d'une application prioritaire de la convention sur la diversité culturelle, face aux traités en matière de commerce. Mis à part le fait qu'il s'agit d'un critère en l'occurrence aléatoire car des accords commerciaux seront certainement conclus même après l'adoption de la convention de lTJnesco, le principe de la lex posterior est d'une application difficile entre des traités multilatéraux normatifs qui répondent à des préoccupations distinctes et ont été élaborés dans des contextes différents, voy. J. PAUWELYN, Conflict of Norms in Public International Law, How WTO Law Relates to other Rules of International Law, Cambridge University Press, 2003, pp. 361-384, en particulier p. 380.

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508 LA CONVENTION DE L'UNESCO SUR LA DIVERSITÉ CULTURELLE

Cette complémentarité est mise en œuvre, au niveau de l'interprétation et de l'application de la convention, au moyen de l'encouragement du soutien mutuel entre la convention et les autres traités, énoncé dans l'alinéa b du premier paragraphe de l'article 20, ainsi qu'au moyen du principe de l'interprétation conforme : l'alinéa b du premier paragraphe de l'article 20 prévoit en l'occurrence que les parties, lorsqu'elles interprètent ou appliquent les autres traités auxquels elles sont parties, ou lorsqu'elles souscrivent à d'autres obligations internationales, prennent en compte les dispositions de la convention sur la diversité culturelle 60.

Loin d'offrir un critère normatif incontestable de priorité soit en faveur de la convention de l'UNESCO, ce qui serait d'ailleurs perçu comme un signe d'arrogance surtout vis-à-vis des accords de l'OMC, soit en faveur des autres traités pertinents, ce qui serait perçu comme un abandon pur et simple de la consécration normative de la spécificité des biens et services culturels, l'article 20, dans son libellé actuel, n'offre à ceux qui seront chargés d'appliquer la convention que le choix d'assurer la complémentarité par le biais notamment du soutien mutuel.

Cette exigence de complémentarité, malgré son ambiguïté inhérente, n'est pas dénuée de toute valeur pratique. La convention sur la diversité culturelle constitue une convention-cadre et laisse, de ce fait, une marge d'appréciation aux parties quant à la façon dont elles vont s'acquitter de leurs obligations. De ce fait, ces dernières, dans le cadre de leur politique culturelle, devront tenir compte des orientations de l'article 20 et ne pourront pas, par exemple, se servir de la convention comme un prétexte pour adopter des mesures qui entraveraient de façon injustifiée le commerce international.

C. La réglementation extrinsèque des relations avec les autres instruments

Les dispositions de l'article 20, même si elles tiennent une place centrale en ce qui concerne l'articulation entre la convention de l'UNESCO et les autres instruments internationaux, n'épuisent pas le débat. La convention de l'UNESCO ne jouit d'aucune valeur normative supérieure à celle des autres traités, et il faut également tenir compte des principes de ceux-ci - qu'ils soient explicites ou qu'ils découlent de leur économie générale — relatifs à leur relation avec d'autres instruments. Cette conclusion est corroborée par le fait que les autres accords internationaux qui pourraient être affectés par la mise en œuvre de la convention sur la diversité culturelle ne sont pas des accords de l'Unesco mais proviennent d'un autre contexte, et sont motivés par des préoccupations différentes telle la réglementation du commerce international, et il n'y aura probablement pas d'identité des parties contractantes61. On ne voit donc pas comment l'article 20 pourrait échapper à la concurrence avec des dispositions ou principes analogues de ces accords.

Il est évidemment impossible de recenser toutes les clauses de conflit des accords susceptibles d'être affectés par la convention de l'UNESCO, d'autant plus

60. À première vue, le principe de l'interprétation conforme semble jouer à sens unique, dans le sens que cet alinéa ne prévoit pas que les parties doivent tenir compte des dispositions des autres traités quand elles appliquent la convention sur la diversité culturelle. Toutefois, cette exigence est sous-entendue dans le paragraphe 2 de l'article 20, qui prévoit que la convention ne peut être interprétée comme modifiant les droits et obligations des parties au titre d'autres traités.

61 À cet égard, Pauwelyn fait référence à des accords qui ne proviennent pas de la même « intention législative » {legislative intent), op. cit. (note 59), pp. 368-369.

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LA CONVENTION DE L'UNESCO SUR LA DIVERSITÉ CULTURELLE 509

qu'on ne peut identifier ces accords de façon exhaustive. Nous allons toutefois faire une mention spécifique des accords de l'OMC, parce qu'ils sont la source principale du droit du commerce international et parce qu'ils contiennent un mécanisme de règlement des différends assez contraignant et efficace, lequel exerce sur les États une force de persuasion non négligeable et bien supérieure à celle du futur mécanisme de règlement des différends ou de suivi des rapports nationaux de la convention sur la diversité culturelle 62.

Les accords de l'OMC ne comportent pas de clause de conflit et le mémorandum sur le règlement des différends de l'OMC ne fait aucune mention du droit applicable par les organes de règlement. Certes, ces derniers ont reconnu que le droit de l'OMC n'est pas isolé du droit international public 63, toutefois le degré de perméabilité du système normatif de l'OMC aux normes substantielles du droit international reste incertain et le débat doctrinal fait rage en la matière64. Le rapport du groupe spécial dans l'affaire des Mesures affectant les marchés publics a opté pour une applicabilité du droit international coutumier plutôt limitée et subordonnée aux normes de l'OMC 65.

En ce qui concerne les traités internationaux élaborés en dehors de l'OMC, le recours effectué aux traités de protection de l'environnement dans quelques rapports des organes de règlement ne saurait être à lui seul concluant pour notre cas, car il était essentiellement fondé sur la référence expresse du préambule du GATT de 1994 à la protection de l'environnement ainsi que sur la prévision du paragraphe (g) de l'article XX du GATT relative à la possibilité pour les États d'adopter des mesures dérogatoires pour protéger les ressources naturelles épuisables 66. Or, les préoccupations culturelles sont absentes du texte des accords de l'OMC, à la modeste exception des dispositions de l'article V et de l'article XX(f) 67. De ce fait, la considération apportée à la convention de l'UNESCO par les organes de règlement des différends de l'OMC, sera tributaire de la problématique générale de la prise en compte au sein de l'OMC des objectifs des autres accords internationaux. Or, à ce jour, nous n'avons pas d'indices concluants sur cette question 68.

Notons toutefois qu'en vertu de l'article 31 paragraphe 3(c) de la convention de Vienne sur le droit des traités, lors de l'interprétation d'un traité — en l'occurrence un accord de l'OMC - il sera tenu compte de toute autre règle pertinente de droit international applicable entre les parties, et les dispositions de la convention de l'UNESCO pourraient entrer dans cette catégorie. Cette disposition de la convention de Vienne a été assez rarement appliquée par les juridictions internationales, et il est par suite difficile d'apprécier ses conditions d'application, notamment au regard du degré d'identité entre les parties aux traités

62 Pour une conclusion similaire en ce qui concerne le mécanisme de règlement des différends du protocole de Carthagène sur la biosecurité, H. RUIZ FABRI, op. cit. (note 58), § II (A)(3).

63 Voy. notamment le rapport de l'Organe d'appel dans l'affaire des Normes concernant l'essence nouvelle et ancienne formules, Doc. WT/DS2/AB/R (1996), p. 17.

64. Voy. surtout l'ouvrage de Pauwelyn, op. cit. (note 59), pp. 25-88 et pp 440-486 ; cf. aussi A. LlN- DROOS/M. MEHLING, « Dispelling the chimera of self-contained regimes, international law and the WTO », EJIL, 2005, pp. 857-877.

65. « En d'autres termes, dans la mesure où il n'y a pas de conflit ni d'incompatibilité, ni d'expression dans un accord visé de l'OMC donnant à entendre qu'il en va autrement, nous estimons que les règles coutumières du droit international s'appliquent au traité de l'OMC et au processus d'élaboration des traités à l'OMC » (Doc. WT/DS163/R [2000], § 7.96).

66. Voy surtout le rapport de l'Organe d'appel dans l'affaire relative à la Prohibition à l'importation de certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes, doc. WT/DS 58/AB/R (1998).

67. Voy. supra, note 51. 68. Du même avis A. LlNDROOS/M. MEHLING, op. cit. (note 64), p. 877.

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510 LA CONVENTION DE L'UNESCO SUR LA DIVERSITÉ CULTURELLE

concernés 69. Elle postule un principe d'interprétation systémique et ne constitue point une règle d'application prioritaire d'une norme autre que la norme interprétée. Sa valeur réside dans le fait que l'organe de règlement qui procède à l'interprétation ne peut ignorer l'existence de toute autre règle pertinente applicable pour se limiter au seul système normatif dont relève son mandat 70.

Cette disposition de la convention de Vienne ne semble pas pouvoir s'appliquer si l'OMC était saisie par un État qui n'a pas ratifié la convention sur la diversité culturelle 71. Cette difficulté, ajoutée à l'incertitude plus générale déjà exposée quant à l'attitude future des organes de règlement de l'OMC face à la convention de l'Unesco, nous fait croire que la question de l'articulation entre ces deux systèmes normatifs sera en grande partie tributaire d'un facteur politique, la réussite de la convention sur la diversité culturelle. Plus universelle sera la participation à la convention de l'Unesco, plus son autorité sera grande et plus il sera difficile d'ignorer son objet et son but.

* * *

La convention sur la diversité culturelle pose les premiers jalons d'un régime juridique propre aux biens et services culturels, apte à conférer une valeur pratique à la consécration normative de leur spécificité. Toutefois, la configuration de ce régime sera en fin de compte tributaire de l'articulation entre cette convention et les accords en matière de commerce international.

La convention parachève l'œuvre normative de l'UNESCO dans le domaine de la culture. Les conventions de 1972 et de 2003 étaient cantonnées dans la protection du patrimoine, fût-il matériel ou immatériel, alors que la convention actuelle englobe toutes les expressions porteuses d'une identité culturelle. Les civilisations « traversent les temps, triomphent de la durée. Tandis que tourne le film de l'histoire, elles restent sur place, imperturbables » 72. L'adoption de la convention sur la diversité culturelle témoigne de la volonté politique de la communauté des États de préserver cette pérennité des civilisations ainsi que leur interaction mutuelle et de résister aux sirènes de l'assimilation culturelle.

L'affaiblissement de la diversité culturelle et la domination d'une culture cosmopolitique homogène conduirait, à long terme, au même titre que le phénomène opposé des dérives communautaristes, à un affaiblissement du rôle des États, qui subsisteraient, comme des entités politiques interchangeables et indifférenciées, car la culture constitue un élément principal de l'identité collective incarnée par l'État. Cette conclusion ne signifie pas que l'humanité tout entière ne devrait pas partager des valeurs communes telles que la promotion de la démocratie ou le respect des droits de l'homme, mais que ce socle de valeurs universelles devrait intégrer également le respect de la diversité. Dans cette perspective, « la reconnaissance des différences — la reconnaissance mutuelle de

69. Voy. Commission du droit international, Rapport du groupe d'étude sur la fragmentation du droit international, doc. A/CN4/L. 676 (2005), § 29.

70. Voy. Ph. SANDS, « Treaty, custom and cross-fertilization of international law », Yale Human Rights and Development Law Journal, 1998, pp. 85-105, p. 103.

71. Voy. le rapport du groupe spécial dans l'affaire des Mesures affectant l'approbation et la commercialisation des produits biotechnologiques, doc. WT/DS 291-293 (2006), § 7.70.

72. Nous empruntons ces termes à Fernand BRAUDEL, La Méditerranée, Paris, Flammarion, coll. Champs, 1985, p. 160.

Page 26: La convention de l'UNESCO sur la protection et la ... · États membres de l'UNESCO, le 20 octobre 2005, lors de la trente-troisième Conférence générale de l'organisation 1, marque

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l'autre dans son altérité - peut aussi devenir la marque d'une identité commune » 73.

La convention sur la diversité culturelle lance un appel à la vigilance en vue de pallier, dans la mesure du possible, la vulnérabilité de certaines cultures, et de préserver la variété des identités culturelles des peuples face aux forces dominantes du marché mondial des biens et services culturels. Son efficacité sera tributaire de l'interaction dynamique entre ses objectifs, d'une part et les réalités économiques et sociales, d'autre part. Dans ce contexte, il nous fait être conscients des limites de l'emprise régulatrice du droit et notamment du droit international. Celui-ci n'est évidemment pas en mesure de maîtriser le développement et les métamorphoses de l'environnement culturel, c'est pourquoi il ne faut pas seulement affirmer la protection de la diversité culturelle dans un texte juridique, mais il faut aussi et surtout qu'elle soit revendiquée à partir de ce texte. Cette revendication devra, toutefois, constituer un pari sur la sagesse des acteurs de la diversité culturelle et ne pas céder à la tentation de l'isolationnisme culturel au niveau national ou d'une concurrence normative sans issue au niveau international.

avril 2006

73. J DERRIDA/J HABERMAS, « Le 15 février ou ce qui unit les Européens », J. HABERMAS, Une époque de transitions, Ecrits politiques 1998-2003, Pans, Fayard, 2005, pp. 151-163, p. 158