La coopération civile en Afghanistan. Une coûteuse illusion ?

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    La coopration civile en AfghanistanUne coteuse illusion ?

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    Amaury de Fligonde

    Aot 2010

    .

    FFooccuuss ssttrraattggiiqquuee nn2244

    Centredes tudes de scurit

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    LIfri est, en France, le principal centre indpendant de recherche,dinformation et de dbat sur les grandes questions internationales. Cr en1979 par Thierry de Montbrial, lIfri est une association reconnue dutilitpublique (loi de 1901).Il nest soumis aucune tutelle administrative, dfinit librement ses activits etpublie rgulirement ses travaux.

    LIfri associe, au travers de ses tudes et de ses dbats, dans une dmarcheinterdisciplinaire, dcideurs politiques et experts lchelle internationale.Avec son antenne de Bruxelles (Ifri-Bruxelles), lIfri simpose comme un desrares think tanksfranais se positionner au cur mme du dbat europen.

    Les opinions exprimes dans ce texte nengagent que la responsabilit de lauteur.

    ISBN : 978-2-86592-758-6 Ifri 2010 Tous droits rservs

    Toute demande dinformation, de reproduction ou de diffusion peut tre adresse [email protected]

    Site Internet :www.ifri.org

    Ifri-BruxellesRue Marie-Thrse, 21

    1000 Bruxelles BELGIQUETel :+32(0)22385110Fax:+32(0)22385115

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    Ifri27 rue de la Procession

    75740 Paris Cedex 15 FRANCETel : +33 (0)1 40 61 60 00Fax : +33 (0)1 40 61 60 60

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    mailto:[email protected]:[email protected]://www.ifri.org/http://www.ifri.org/mailto:[email protected]:[email protected]:[email protected]:[email protected]:[email protected]:[email protected]:[email protected]:[email protected]://www.ifri.org/mailto:[email protected]
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    Focus stratgique

    Les questions de scurit exigent dsormais une approcheintgre, qui prenne en compte la fois les aspects rgionaux et globaux,les dynamiques technologiques et militaires mais aussi mdiatiques ethumaines, ou encore la dimension nouvelle acquise par le terrorisme ou lastabilisation post-conflit. Dans cette perspective, le Centre des tudes descurit se propose, par la collection Focus stratgique , dclairer par

    des perspectives renouveles toutes les problmatiques actuelles de lascurit.

    Associant les chercheurs du centre des tudes de scurit de lIfri etdes experts extrieurs, Focus stratgique fait alterner travauxgnralistes et analyses plus spcialises, ralises en particulier parlquipe du Laboratoire de Recherche sur la Dfense (LRD).

    Lauteur

    Amaury de Fligonde est diplm de l'Institut d'Etudes Politiques deParis (IEP). Aprs avoir travaill pour l'Agence Franaise deDveloppement et le cabinet de conseil McKinsey & Co en Afrique et auMoyen-Orient, il a t Chef de Projet en Kapisa et Surobi (CelluleInterministrielle Afghanistan Pakistan) de juillet 2009 juillet 2010 1

    Le comit de rdaction

    .Ancien matre de confrences l'IEP de Paris, il travaille actuellement pourun fonds investissant en Afrique sub-saharienne.

    Rdacteur en chef : Etienne de Durand

    Rdacteur en chef adjoint : Marc HeckerAssistante ddition : Caroline Aurelle

    Comment citer cet article

    Amaury de Fligonde, La coopration civile en Afghanistan. Une coteuse

    illusion ?, Focus stratgique, n 24, aot 2010.

    1

    Les rflexions dveloppes dans cet article nengagent que leur auteur et non laCellule Interministrielle Afghanistan Pakistan.

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    Sommaire

    Introduction _____________________________________________ 5L'intervention civilo-militaire en Kapisa et en Surobi ____________ 7La triple illusion des dveloppeurs ______________________ 13Objectifs et modus operandi des operations de cooperation ____ 19L'aide civile est-elle soluble dans la contre-insurrection ? ______ 27Conclusion _____________________________________________ 33Annexes _______________________________________________ 35Rfrences _____________________________________________ 39Informations aux lecteurs _________________________________ 41

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    Introduction

    Il n'y a pas de mthode...ou pluttsi, il y a une mthode qui a nomsouplesse, lasticit, conformit auxlieux, aux temps, aux circonstances.

    H. Lyautey2

    Nous sommes heureux parmi lesdiscordes, les alarmes et le sang,mais nous ne serons jamais contentsavec un matre.

    Proverbe Ghilza3

    ne coalition internationale mene sous la bannire de l'OTAN et desEtats-Unis est prsente en Afghanistan depuis 2001. Si la littrature

    franaise et internationale a largement trait depuis lors desproblmatiques de contre-insurrection d'un point de vue militaire, il n'en vapas de mme des questions civiles, et notamment du volet consacr la

    coopration civile mene en parallle aux actions de scurisationCelles-ci ne semblent pas jouir du mme intrt que les thmes militaires,du moins dans la littrature en langue franaise

    4

    Ce texte n'a pas la prtention de rpondre de faon dfinitive cettequestion, ni de proposer une vision systmatique de la faon dont ilconviendrait de mettre en uvre des programmes de coopration civile oucivilo-militaire dans des zones en conflits. En outre, l'auteur n'a tconfront qu' la marge la problmatique pourtant essentielle de lagouvernance dans les districts de Kapisa et Surobi. Une fois rappels leslments de contexte et le cadre de la coopration civilo-militaire franaise

    . Il n'est pas rare parailleurs d'entendre les sceptiques se demander si cette coopration nereprsente pas uniquement une coteuse illusion .

    2Hubert Lyautey, Du rle colonial de l'Arme, Paris, Editions Armand Colin, 1900.

    3Cit dans Ella Maillart, La voie cruelle, Paris, Payot, 1988.

    4Mme si certaines publications et le colloque Des armes et des curs, les

    paradoxes des guerres d'aujourd'huiont abord - quoique la marge - ce thmede la coopration civile (cf. actes in Doctrine Spcial, mars 2010), accessible :www.cdef.terre.defense.gouv.fr/publications/doctrine/no_spe_armes_coeurs/Sommaire_armes_coeurs_fr.htm. Voir galement, en langue anglaise, la partie durapport consacre aux aspects civils de la contre-insurrection de Seth G. Jones,Counterinsurgency in Afghanistan, Rand Corporation, 2008, accessible :www.rand.org/pubs/monographs/2008/RAND_MG595.pdf . On lira galement

    Theo Farrell et Stuart Gordon, COIN Machine : The British Military inAfghanistan , RUSI Journal, vol. 154, n 3, juin 2009.

    U

    http://www.cdef.terre.defense.gouv.fr/publications/doctrine/no_spe_armes_coeurs/Sommaire_armes_coeurs_fr.htmhttp://www.cdef.terre.defense.gouv.fr/publications/doctrine/no_spe_armes_coeurs/Sommaire_armes_coeurs_fr.htmhttp://www.cdef.terre.defense.gouv.fr/publications/doctrine/no_spe_armes_coeurs/Sommaire_armes_coeurs_fr.htmhttp://www.cdef.terre.defense.gouv.fr/publications/doctrine/no_spe_armes_coeurs/Sommaire_armes_coeurs_fr.htmhttp://www.rand.org/pubs/monographs/2008/RAND_MG595.pdfhttp://www.rand.org/pubs/monographs/2008/RAND_MG595.pdfhttp://www.rand.org/pubs/monographs/2008/RAND_MG595.pdfhttp://www.rand.org/pubs/monographs/2008/RAND_MG595.pdfhttp://www.cdef.terre.defense.gouv.fr/publications/doctrine/no_spe_armes_coeurs/Sommaire_armes_coeurs_fr.htmhttp://www.cdef.terre.defense.gouv.fr/publications/doctrine/no_spe_armes_coeurs/Sommaire_armes_coeurs_fr.htm
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    en Afghanistan, certaines illusions qui nuisent laction des praticiens dudveloppement seront analyses. Enfin, des recommandations visant faire progresser la coopration dans les zones sous responsabilitfranaise seront mises. Ces rflexions ont merg dans le feu de l'action,et notamment lors des nombreux changes parfois passionns avec lesacteurs civils et militaires engags dans la mise en uvre de projets dansles districts de Kapisa et Surobi, dans l'est afghan, au cours des annes2009 et 2010.

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    L'intervention civilo-militaire en Kapisa et Surobi

    vant de prsenter les projets de coopration et de dveloppementmens par la France en Kapisa et Surobi, quelques considrations plus

    gnrales sur lintervention franaise en Afghanistan doivent tredveloppes.

    Une dcennie dengagement franais en Afghanistan

    Depuis 2001, la France est implique en Afghanistan, en particulier sousforme militaire, dans le cadre du mandat confi l'OTAN, visant dtruirele rseau Al Qada et contribuer la reconstruction de lEtat afghan. Lestroupes franaises, places au sein de bases oprationnelles dissminessur le terrain sont aujourdhui positionnes lest de Kaboul. Leur nombrea progressivement augment depuis 2003, pour atteindre environ 3 500hommes la mi-2010. Un important dtachement de gendarmes (150) a,par ailleurs, t dploy afin de contribuer la formation et lencadrementdes forces de police afghanes.

    Malgr les rticences d'une large part de l'opinion publique franaise, etdes moyens engags comparativement plus faibles que nombre dallis tant sur le plan financier que des contributions en effectifs militaires 5 lecaractre stratgique de l'Afghanistan pour la France a t raffirm plusieurs reprises depuis 20086 : tout d'abord au cours des Confrences deBucarest, de Paris et de la Celle Saint-Cloud ; puis travers la nominationpar le Prsident de la Rpublique d'un Reprsentant Spcial pourl'Afghanistan et le Pakistan ou encore par le biais d'un quasi-doublementdu budget de coopration civile consacr l'Afghanistan, pass de 20 40millions d'euros environ entre 2008 et 2009, dans un contexte budgtaire

    franais pourtant extrmement contraint. Aujourd'hui, quoique le sige deReprsentant Spcial pour l'Afghanistan et le Pakistan soit vacant 7

    5

    La France se place bon an mal an la quinzime place en termes d'aidepublique au dveloppement. Elle occupe le 5

    meou 6

    merang en termes de

    contribution militaire.

    et quele Prsident de la Rpublique refuse l'envoi de renforts militaires demands

    6Certains observateurs mettent nanmoins des doutes sur les raisons relles de

    notre intervention : Jean-Dominique Merchet, Mourir pour l'Afghanistan. Pourquoinos soldats tombent-ils l bas ?, Paris, Jacob Duvernet, 2010. Par ailleurs,beaucoup d'acteurs rencontrs par l'auteur (notamment militaires), se demandenten priv si l'unique raison de notre prsence n'tait pas de servir de suppltifs

    aux Amricains .7 Suite la fin du mandat du dput Thierry Mariani, dbut 2010.

    A

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    avec insistance par les Etats-Unis, il semble que l'engagement de laFrance en Afghanistan demeure l'ordre du jour, aux cts de la Coalitionet du gouvernement afghan, contrairement certaines nations (comme leCanada et la Hollande) qui ont, d'ores et dj, commenc retirer leurstroupes sinon leur soutien financier.

    La France est plus particulirement prsente dans les districtsstratgiques et disputs de Kapisa et de Surobi, une zone situe en flanc-garde de Kaboul, sur la route du Pakistan.

    Une intervention civile dans des districts instables

    La mise en uvre des projets mens par la France s'est concentre aucours des dernires annes sur les trois districts Sud de la Kapisa (Nijrab,Tagab et Alasay), ainsi que sur celui de Surobi (cf. cartes en annexe 3). Eneffet, ces districts correspondaient la zone de responsabilit des forces

    franaises lors de la conception de ces projets, les quatre autres districtsdu nord de la province de Kapisa tant pris en charge par des unitsamricaines.

    Ces districts, qui reprsentent moins de 2% de la superficie totaledu pays, sont constitus de nombreuses valles, dont certaines sontencaisses et difficiles d'accs. Ils se trouvent proximit du Pakistan, etconstituent une zone de transit stratgique, vers Kaboul et Bagram l'est,et vers les provinces nord de l'Afghanistan. Ils rassemblent 300 000 400 000 personnes, vivant essentiellement des produits d'une agriculturede subsistance, victimes d'une sous-activit et d'un chmage endmiques.

    Ces districts se situent la charnire entre les mondes tadjik et pashtoune,et sont par consquent des lieux de fortes frictions politiques.

    Par ailleurs, les districts de Tagab et Surobi sont le berceau detribus pashtounes aux traditions guerrires affirmes, comme lespuissances intervenant en Afghanistan depuis le XIXme sicle l'ont appris leurs dpens. Ce sont ainsi les anctres des bnficiaires de nos projetsqui massacrrent la colonne anglaise faisant retraite vers la Khyber Passetles Indes Britanniques lors de la premire guerre anglo-afghane, en 1842 8.La situation scuritaire se caractrise encore aujourd'hui par une instabilitrelle, quoique moins aigu que dans les provinces du sud (Helmand,Kandahar) ou de l'extrme est (Kunar, Nuristan) de l'Afghanistan. Cetteinscurit affecte plus particulirement les zones de Tagab nord, d'Alasayet de la valle d'Uzbin. Les acteurs tant civils que militaires ont en tenir leplus grand compte dans le cadre de leurs oprations, en raison desaccrochages et des attaques armes rpts, de la prsence d'enginsexplosifs improviss (EEI ou IED en anglais), des tentatives d'enlvementet de racket rguliers, sinon systmatiques, visant en particulier lesmembres des quipes projets et les entreprises de travaux98

    Lire notamment ce sujet le minutieux compte-rendu de ces vnements parFlorentia Sale, Hostage: Lady Sale's Afghan Journal: Journal of Disaster inAfghanistan, Oxford, Oxford University Press, 2003.

    . Des prils

    9

    A titre d'exemple : 4 ouvriers blesss sur 2 chantiers de construction financs parla France situs en valle de Tagab (dbut 2010) ; enlvements d'employs

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    auxquels nos oprateurs de projets ne peuvent chapper, comme nous leverrons plus loin, qu'en tchant de faire le plus possible corps avec lescommunauts dans lesquelles ils interviennent. Cest dans ce contexteparticulirement tendu que la France tente de dvelopper des projets decoopration.

    Quels projets de cooprationpour les populations sous responsabilit franaise ?

    Comme rappel prcdemment, le budget de la coopration civile menepar la France en Afghanistan a doubl entre 2008 et 2009. Une partiesignificative des moyens financiers additionnels (1/3 environ) a tconsacre la province de Kapisa et au district de Surobi, zones placessous la responsabilit de l'arme franaise (Task Force La Fayette - TFLF).Dans ce contexte, des actions de coopration ont t lances la mi-2009,pour un montant annuel de 15 millions d'euros. Elles sont menes sous la

    supervision de la Cellule Interministrielle AfPak et de l'Ambassade deFrance en Afghanistan (et notamment du Chef de Projet en Kapisa etSurobi), en coopration avec l'Agence Franaise de Dveloppement, laTFLF, et les ministres afghans concerns (cf. annexe 1)10

    L'objectif de ces programmes est de faciliter la reprise du dialogueentre les populations locales de ces districts proches de Kaboul et lesautorits nationales, ainsi que de concourir l'acceptation de la prsencedes troupes

    .

    11, en rpondant rapidement aux besoins essentiels depersonnes habitant des zones caractre essentiellement rural et agricole.Ces programmes civils et civilo-militaires sont suivis par une structurecivile, en troite collaboration avec la partie militaire (CPCO 12

    Les actions de coopration (cf. annexe 2) menes en Kapisa etSurobi concernent trois secteurs jugs prioritaires pour rpondre auxbesoins essentiels des populations : i/ le dveloppement agricole et rural (ycompris l'lectrification), ii/ l'ducation et la formation et iii/ la sant.

    Paris etTFLF en Afghanistan). Cette organisation ne va pas sans difficultssubstantielles, le travail interministriel demeurant encore une scienceexprimentale pour les Franais, comme nous le verrons plus loin.

    travaillant sur des chantiers de route amricains Tagab ; 2 tentativesd'enlvement de membres de nos quipes projets Nijrab et en valle d'Uzbin(2009). Plusieurs dizaines d'EEI dcouverts par la TFLF sur les axes parcourantles 3 districts de Tagab, Alasay et Surobi, ou responsables de la mort de plusieursmilitaires franais.10

    Cette organisation a volu au cours du mois de juillet 2010, avec lerenforcement significatif de la cellule civile de stabilisation place auprs de laTFLF.11

    Notamment selon la Doctrine d'emploi des forces terrestres en stabilisation,Centre de Doctrine d'Emploi des Forces, Arme de Terre, 2006, accessible :www.cdef.terre.defense.gouv.fr/doctrineFT/doc_trans.htm12

    Centre de Planification et de Conduite des Oprations de l'tat-major desArmes.

    http://www.cdef.terre.defense.gouv.fr/doctrineFT/doc_trans.htmhttp://www.cdef.terre.defense.gouv.fr/doctrineFT/doc_trans.htmhttp://www.cdef.terre.defense.gouv.fr/doctrineFT/doc_trans.htm
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    L'intgralit des projets de dveloppement rural13 est mise enuvre pas le biais d'ONG14 et d'une agence des Nations unies15, qui jouentle rle d'oprateurs sur le terrain. Il en va de mme des projets de sant etde formation des matres. En revanche, les projets agricoles etd'lectrification dvelopps par la France sont mis en uvre par desstructures ad hoc16

    Ces projets combinent actions impact immdiat ( quick impactprojects selon la terminologie en vigueur) et oprations plus long terme.

    , qui apportent une assistance technique aux ministresafghans responsables. Au total, 100 150 personnes sont employesdirectement au sein des quipes projets, et plusieurs centaines d'emploistemporaires sont crs dans le cadre de leur mise en uvre au sein descommunauts bnficiaires.

    Les actions de court terme prennent par exemple la forme de

    distributions grande chelle d'intrants agricoles (engrais azots et desemences de bl slectionnes), essentiels pour amliorer immdiatementle niveau de vie de populations pratiquant une activit cralire desubsistance. Elles comprennent aussi un programme de sant infantile quivise identifier des enfants souffrant de malformations graves, et lesfaire oprer l'Institut Mdical Franais pour l'Enfant de Kaboul.

    Les projets de moyen terme comprennent quant eux le lancementd'activits apicoles, avicoles, piscicoles (par des dons d'quipements etdes formations techniques correspondantes), et la construction de petitesinfrastructures rurales (pistes rurales et petits ouvrages de franchissement,ouvrages hydrauliques et d'irrigation, micro-centrales hydrolectriques,

    centres communautaires).

    Quant aux programmes de long terme, ils permettent de financer lacration et le soutien des coopratives agricoles. Ils contribuent en outre la formation continue des professeurs et des personnels hospitaliers. Ilsvisent par ailleurs crer des infrastructures lourdes dont dpend l'essorconomique des ces districts, notamment par le biais d'un programmed'lectrification rurale, en cours de lancement Nijrab, Tagab et Surobi. Ilscomportent enfin une composante gouvernance , le programme mis enuvre avec le ministre afghan du dveloppement rural17 comprenantl'lection de conseils municipaux18

    13

    National Solidarity Programdu Ministre afghan du dveloppement rural et lesdeux projets mis en uvre sous la responsabilit des Actions Civilo-Militaires de laTFLF.

    chargs de dfinir et de mettre en

    uvre des micro-projets d'infrastructures usage communautaire.

    14Notamment ActionAid, BRAC, Afrane Dveloppement, GERES, CoAR, La

    Chane de l'Espoir et SAB.15

    UNHabitat.16

    Plateforme agricole franaise auprs du ministre afghan de l'agriculture et GTZ(agence de coopration technique allemande) pour l'lectricit.17

    National Solidarity Program.18 Appels CDC, ou Community Developement Councils.

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    Tous ces programmes visent aider la socit afghane sedvelopper. Leur efficacit est toutefois limite par la persistance, au seinde la communaut internationale, dune triple illusion, selon laquelle laideserait toujours bnfique et souhaite par une socit considre tortcomme homogne et laquelle on prtend imposer des normes ou des bonnes pratiques censes rsoudre le problme de la corruption.

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    La triple illusiondes dveloppeurs

    vant de prsenter des pistes de rflexion plus oprationnelles, il estutile dans un contexte marqu par une urgence qui n'autorise pas

    toujours le recul ncessaire de se poser trois questions essentielles etsouvent absentes du dbat sur le dveloppement en Afghanistan. Tout

    d'abord, l'aide est-elle vraiment un bienfait pour ceux qui la reoivent ?Ensuite, destination de quels acteurs exactement ces actions et cesprogrammes sont-ils dploys ? Enfin, comment grer l'pineuse questionde la corruption et des dtournements ?

    Premire illusion : laide, levier systmatique

    La vision de l'aide et du don tant gnralement trs positive dans nossocits occidentales, toutes imprgnes de morale judo-chrtienne, lesbnficiaires devraient prouver un sentiment de reconnaissance vis--visdu bailleur. C'est le plus souvent une vue de l'esprit, le sociologue MarcelMauss19 ayant soulign le caractre ambivalent de tout don. En ralit, le

    don enchane son bnficiaire, comme le rappellent la fois Virgile Timeo Danaos et dona ferentes 20 et un proverbe eskimo : le don faitles esclaves, comme le fouet fait les chiens de traneau . Par ailleurs,beaucoup d'acteurs peu au fait des problmatiques de dveloppement onttendance penser que la solution aux problmes est d'injecter plusd'argent, d'accorder plus d'aide. Ils surestiment la capacit d'absorption souvent trs faible des zones concernes, particulirement problmatiquedans les districts majoritairement agricoles et ruraux qui constituent laKapisa et la Surobi. Ils ngligent aussi le fait que le dveloppement estavant tout un processus social et psychologique, par nature complexe et delong terme, dont la source doit tre le corps social lui-mme, et non desacteurs extrieurs, comme l'ont soulign nombre d'conomistes, tel PeterThomas Bauer21

    Certes, l'aide peut tre un puissant levier pour contribuer injecterrapidement des fonds dans une zone donne, grce des oprateurslocaux travaillant autant que possible en troite collaboration avec lescommunauts locales et dont les employs sont issus des villages cibles.

    .

    19 Marcel Mauss, Essai sur le Don. Forme et raison de lchange dans les

    socits archaques , L'Anne Sociologique, seconde srie, 1923-1924.20

    Je crains les Grecs, mme quand ils apportent des cadeaux , in L'Enide.21

    Peter Thomas Bauer, Dissent on Development: Studies and Debates inDevelopment Economics, Harvard, Harvard University Press, 1972.

    A

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    C'est l'un des objectifs poursuivis dans le cadre des petits projetsd'infrastructures rurales haute intensit en main d'oeuvre (de type cashfor work 22

    Nanmoins, l'aide peut aussi devenir un boulet , et induirecertains risques si elle est mal matrise. Elle introduit systmatiquementdes dsquilibres, potentiellement destructeurs, dans une socit donne,comme le relevait le gnral britannique Rupert Smith

    ) mis en uvre dans les valles d'Uzbin, de Tizin et deJegdalek. Elle peut galement contribuer la mise en place ou lareconstruction des infrastructures de base, plus lourdes, ncessaires audveloppement d'une conomie (routes de la Kapisa, projetsd'lectrification, appui aux coopratives agricoles, etc.). Elle peut appuyerles actions de dveloppement humain, notamment en matire de formationprofessionnelle, d'ducation, de sant.

    23. L'aide est ainsi

    souvent en Afghanistan une occasion de butin et de baroud. Elle est l'objetde luttes, l'occasion sanglantes, pour s'accaparer ce qui s'apparente

    une rente. Le racket systmatique et les attaques menes contre le projetde construction de routes par la Provincial Reconstruction Team (PRT)24amricaine en Kapisa est, cet gard, exemplaire. En effet, si comme lesouligne juste titre David Kilcullen25, la construction d'axes routiers estune composante essentielle de la contre-insurrection, en ce qu'elle montrela dtermination des forces pro-gouvernementales agir dans la dure,elle comporte nanmoins un certain nombre de risques majeurs : tensionslies aux expropriations, tentatives de racket et de pressions l'occasiondu processus d'adjudication des marchs, nuisances de plus ou moins longterme induites par les chantiers et par le trac des axes, etc. Il convient degrer ces risques de faon systmatique, sous peine de gnrer de laviolence. Lapport de matriel peut aussi tre une source de conflits. Cestainsi que le contrle des tracteurs fournis par un projet de cooprationfranais a t lorigine daltercations entre maleks26

    La focalisation de l'aide sur les rgions instables, au dtriment desrgions plus calmes, institue par ailleurs une sorte de primes auxcasseurs , les zones violentes recevant une proportion plus importante delaide internationale, dans le cadre des fonds destins la contre-insurrection.

    du district de Surobi.

    22Littralement Travail contre paiement .

    23 Il n'existe pas de gouvernance ou d'aide humanitaire impartiale. Dans cetenvironnement, chaque fois que vous aidez quelqu'un, vous dsavantagezquelqu'un d'autre. Gnral Rupert Smith, Commandant la FORPONU, 1995.24

    Une PRT est une unit constitue de militaires, de diplomates et de spcialistesdes questions de gouvernance et de dveloppement, travaillant dans le but desoutenir les efforts de reconstruction entrepris dans les Etats instables. Les PRTfurent exprimentes dans les Balkans et en Irak, puis cres en Afghanistan fin2001-dbut 2002.25

    David Kilcullen, Accidental Guerrilla: fighting small wars in the midst of a big one,New York, Oxford University Press, 2009.26

    Du mot arabe signifiant "roi". Terme utilis en Afghanistan pour dsigner lesleaders tribaux et les chefs communautaires locaux.

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    En outre, une aide mal matrise, n'exigeant pas de contributionsignificative de la part des bnficiaires, risque de faire de ceux-ci des mendiants corrompus , des assists, rendant difficile l'attitude derespect et d'estime pour les populations sans laquelle les chargs deprojets ne peuvent remplir leur mission.

    Enfin, de vastes quantits d'argent injectes de faon artificielledans un systme conomique ont tendance le striliser, en ledsquilibrant : augmentation brutale des salaires et des prix locaux ;concurrence dloyale de produits distribus gratuitement, comme l'engrais,avec les produits disponibles chez les commerants locaux. Il sagit duneffet bien connu en conomie sous le nom de Dutch disease27

    Face ces risques rels, que faire ? D'abord, viter d'injecter unvolume d'aide trop important, en considrant les capacits d'absorption

    relles des systmes viss. Ensuite, tre prudent en matire d'objectifsviss et de modus operandiutiliss. Tout ceci suppose que les acteurs dela coopration et du dveloppement connaissent bien le pays auquel laideest cense bnficier et comprennent les besoins des populations au seindesquelles ils travaillent.

    .

    Deuxime illusion : lhomognit des destinataires de laide

    Un autre type d'illusion est trs rpandu en matire de coopration. Ilconsiste, pour les quipes charges de concevoir et de mettre en uvreles projets, supposer l'existence d'un groupe homogne de bnficiaires,en loccurrence les Afghans . Dans un pays aussi fragment et multiple

    que l'Afghanistan, le seul facteur qui historiquement ait pu unir, au moinsde faon momentane, les Afghans fut, en croire certains auteurs commeMichael Barry28, la lutte contre l'envahisseur tranger, le djihadcontre leskafirs29

    Les zones dans lesquelles les Franais oprent sont, en effet, lelieu de dynamiques sociales, politiques et conomiques complexes etsubtiles, qui s'entremlent et s'interpntrent. Elles diffrent le plus souventfortement d'une valle une autre. Y cohabitent certains partis politiques(et en particulier le Hezb e Islami de Gulbudin Hekmatyar

    .

    30

    27

    Ce syndrome dcrit les effets dstabilisants que peuvent avoir pour uneconomie un brusque afflux de liquidits, qu'il provienne de la dcouverte deressources naturelles (comme celle des champs de gaz massifs en Hollande dansles annes 1970, ou celle d'or du Nouveau Monde arrivant en Espagne au 16

    me

    sicle), d'aide au dveloppement, ou d'investissements directs trangers. Termesutilis pour la premire fois par le magazine The Economisten 1977.

    ) et rseaux

    28Michael Barry, Le royaume de l'insolence. LAfghanistan 1504-2001, Paris,

    Flammarion, 2002.29

    Guerre sainte mene contre les envahisseurs non musulmans.30

    Le HiG de l'ancien moudjahidin et premier ministre Gulbudin Hekmatyar, fut l'undes principaux partis afghans durant la guerre contre les Sovitiques. Il futmassivement soutenu par les Pakistanais (notamment l'ISI, les services secrets) jusqu' l'apparition du mouvement taliban. Ce parti continue exercer une

    influence considrable dans les districts qui nous intressent, souvent au dtrimentde la Coalition ou des forces gouvernementales afghanes.

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    d'anciens combattants mudjahidins ayant fait le coup de feu contre lesSovitiques ; des organisations mafieuses lies aux trafics d'armes et dedrogues (en l'occurrence, l'opium dans la valle d'Uzbin) ; des rseaux desolidarit ethniques, tribaux ou familiaux (entre Tagab sud et Uzbin parexemple, ou entre minorits Pashaes). Existent aussi des rseaux devengeance (notamment lis au pashtounwali31

    S'y ajoutent les nouveaux rseaux et organisations, parfois plaqus

    de faon artificielle sur l'existant, car manquant de lgitimit ou rsultant dedcisions technocratiques. Les projets de coopration cherchent ainsi s'appuyer sur des institutions officielles (gouverneurs, sous-gouverneurs, juges, matres d'cole) ou sur des crations rcentes, comme lesCommunity Development Councils (CDC, conseils de dveloppement) oules Districts Development Assemblies

    ), le plus souvent apparus la suite d'affaires lies la terre ou l'eau, la surpopulation exacerbantles conflits pour contrler ces ressources rares. Il convient galementd'voquer les systmes conomiques (lis par exemple lacommercialisation des produits agricoles, notamment les grenades deTagab ou les oignons de Surobi, avec le Pakistan voisin) et les rseaux desolidarit Kuchis, du nom de ces tribus de pasteurs qui nomadisent entre lePakistan et l'Afghanistan, la Surobi et la Kapisa se trouvant directement surleur parcours.

    32

    Dans ce contexte, il est absolument vital de bien connatrel'environnement humain au sein duquel on agit. En effet, comme lesoulignent les thoriciens de la contre-insurrection

    dont la lgitimit est souventcontestable, et conteste. A ce titre, certains des CDC crs au niveau descommunauts villageoises des districts de Tagab et d'Alasay ont, semble-t-il, t des instruments purement formels, des coquilles vides mises enplace par les puissants (commandants, maleks) de ces rgions pour capterla rente du National Solidarity Program, bien loin de l'idal de dmocratie etde dveloppement local que ce projet tait cens porter.

    33, population is theprize 34, sachant qu'il est souvent difficile, sinon impossible d'tablir unedistinction entre les gentils et les mchants (positive et negativeinfluencers dans la terminologie en vigueur). C'est pourquoi Gallieniobligeait dj ceux qui travaillaient sous ses ordres au Tonkin et Madagascar connatre le mieux possible l'histoire, la culture, la langue, lecomportement des adversaires qu'ils affrontaient35

    31

    Code d'honneur en vigueur au sein des populations pashtounes, qui repose surl'obligation de courage, d'honneur, de solidarit et d'hospitalit. Transmis par voieorale d'une gnration l'autre, il rgit le droit tribal, mesurant minutieusement lespeines et les compensations aux offenses.

    . C'est dans cet esprit

    32Sortes de conseils municipaux et d'assembles provinciales chargs du

    dveloppement, mises en place par des projets de dveloppement grandechelle respectivement ports par la Banque Mondiale et le PNUD.33

    Et notamment le manuel de l'arme amricaine FM 3-24, reprenant l'essentieldes principes dvelopps par David Galula in Counterinsurgency warfare, theoryand practice, Westport, Praeger Security International, 1964.34

    La population est l'enjeu .35

    Lire par exemple : Les Instructions de 1898, concernant Madagascar, de Joseph

    Gallieni, cites dans Grard Chaliand, Le nouvel art de la guerre, Paris, Edition del'Archipel, 2008.

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    que la coopration franaise a lanc une tude grande chellepermettant terme de disposer d'une analyse fine et systmatique desaspects politiques, conomiques et sociaux ayant trait aux districtsproblmatiques de Tagab, d'Alasay et de Surobi (et en particulier d'Uzbin).Ce travail de fond est men avec un bureau local employant deschercheurs en sciences sociales ainsi que des quipes de terrain formesd'enquteurs issus des communauts vises par l'tude.

    Quand bien mme laide serait adapte aux populationsdestinataires, se poserait toujours, dans un pays comme lAfghanistan, laquestion de la corruption.

    Lillusion normative :le reporting comme solution la corruption

    En matire de coopration dans les pays en dveloppement ou en

    transition, et plus particulirement dans le contexte afghan actuel, laquestion de la corruption et des dtournements constitue un problmemajeur. Cette question est double. Localement, de nombreux sondages36font apparatre que les dtournements et le racket, tous les niveaux 37

    De fait, il convient de mettre en place un certain nombre d'outils,destins contenir au mieux ces actions prjudiciables au bondroulement des oprations, tout en ayant conscience quaucun systmene peut permettre dradiquer totalement, court ou moyen terme, lesproblmes de corruption et de dtournements. Quelques rgles de bonsens peuvent tre dictes. Tout projet doit faire l'objet, de faon formelleou informelle, d'une mise en concurrence, afin de ne pas toujours travailleravec les mmes oprateurs et entrepreneurs, et de pouvoir tablir unecertaine comptition entre les acteurs. De mme, tout contrat d'un montantsignificatif doit faire l'objet, une fois par an, d'une valuation externe, aubesoin en recourant aux services d'un bureau local. Enfin, les contrats avecles oprateurs doivent tre rdigs de faon ce que ceux-ci soumettent

    (mensuellement ou trimestriellement) un rapport synthtique, mais prcis etchiffr, faisant le point sur l'avancement de leurs travaux et les dpensesfaites, et sur l'atteinte des objectifs et calendriers fixs en dbut de projet toute inflexion par rapport ces indicateurs devant tre dment explique

    ,reprsentent l'une des proccupations majeures du peuple afghan. Enoutre, les accusations de corruption reprsentent l'un des griefs majeursdes opinions publiques occidentales, globalement rticentes uneintervention arme souvent accuse de se rduire un combat pourmaintenir au pouvoir des gouvernants corrompus et incapables au moyende l'argent du contribuable.

    36Et notamment les sondages raliss trimestriellement pour le compte de l'OTAN

    par des instituts spcialiss. Cf. ISAF Afghanistan Nationwide QuarterlyAssessment Research.37

    Certains projets versent ainsi, localement, des per diem aux employs dugouvernement, une faon lgale de mettre de l'huile dans les rouages . D'autresprogrammes financs par la communaut internationale donnent lieu, notamment

    aux niveaux provincial et national, des dtournements massifs (cf. rapports del'IWA - Integrity Watch Afghanistan,www.iwaweb.org).

    http://www.iwaweb.org/http://www.iwaweb.org/http://www.iwaweb.org/http://www.iwaweb.org/
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    et le plan de travail revu en consquence, dans la mesure du possible.Enfin, les visites de terrain ralises par les chefs de projets civils ou civilo-militaires doivent tre rgulires, afin de s'assurer de la ralit physiquedes projets financs. La situation scuritaire instable ne permetmalheureusement pas de contrle systmatique dans certaines zones, enparticulier dans les districts de Tagab et Alasay. En outre, les consignes descurit trs strictes qui encadrent les actions de la Task Force La Fayette,ne permettent pas toujours aux units des Actions Civilo-Militaires (ACM)38

    Malgr l'importance cruciale que revtent ces procdures de suivi etde reporting, il n'est pas inutile de souligner qu'elles ne doivent pas devenirdes objectifs en soi, mais demeurer de simples outils. La mise en uvreconcrte des projets sur le terrain doit tre la priorit absolue des chefs deprojets, dans le contexte d'urgence qui caractrise l'Afghanistan. Cela peutsembler tre une lapalissade, mais n'est pas ncessairement une ralit,

    en particulier dans le monde trs norm de l'OTAN, l'auteur ayant vunombre de chefs de projets placs dans la chane de commandementFIAS

    d'appliquer ce principe la lettre.

    39

    Aux difficults traditionnelles que rencontre tout programme dedveloppement lors de sa mise en uvre pratique, s'ajoute en Afghanistanun certain nombre d'obstacles spcifiques. Tout d'abord, il sy droule uneinsurrection, larve ou ouverte selon les zones, qui rend complexe touteintervention rapide et efficace. Ensuite, le pays et les communauts locales

    sont marqus par des sentiments identitaires confinant parfois laxnophobie face toute intervention trangre

    et n'ayant pas le temps de rentrer dans le dtail de leurs projets, carlittralement submergs par les runions, vido-confrences et comptesrendus crits incessants exigs par cette structure.

    40

    , souvent vcue commeune provocation. Enfin, les acteurs tant multiples (civils et militaires,locaux, nationaux et internationaux), il est difficile d'arbitrer entre leursintrts, souvent divergents. Dans ce contexte dlicat et instable, il estd'autant plus important de prsenter des pistes de rflexion portant sur lesobjectifs concrets, les modus operandi devant tre dbattus lors dulancement de toute activit.

    38Le GIACM (Groupement InterArmes des Actions Civilo-Militaires), cr en juillet

    2001, est une unit de l'arme franaise charge de la mise en oeuvre des actionscivilo-militaires.39

    Force Internationale d'Assistance la Scurit (nom de la Force engage en

    Afghanistan sous mandat OTAN).40 Michel Barry, op.cit.

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    Objectifs et modus operandides oprations de coopration

    finir les objectifs et modus operandi des oprations de cooprationmenes par la France en Kapisa et Surobi suppose de rpondre

    successivement quatre questions : Que faire ? Selon quel calendrier ?Comment faire ? Et qui doit faire ?

    Que faire ?

    Face la situation particulire de Complex Emergencies41 quicaractrise lintervention en Kapisa et Surobi, que faire ? S'agit-il de faireplaisir , en accdant aux demandes exprimes lors des shuras42 par lesreprsentants des populations locales ? Le risque est alors de transformerles bnficiaires en assists, et de ne pas rellement prendre en compteles besoins essentiels des communauts vises. Autre pige frquent :renforcer certaines figures locales, parfois peu recommandables, quivoudraient profiter des projets de coopration et d'une situation instablepour accrotre leur puissance et leur contrle sur la population (Ainsi de M.,

    commandant moudjahidin). Appartenant au parti Jamaat-e-Islami, il est issud'une des quatre valles principales du district de Surobi. Bien connect un dput local, il tente de faire pression sur les oprateurs de projets, ycompris par la menace, afin que son entreprise de travaux nouvellementcre puisse bnficier de contrats. Exemple typique de commandant-entrepreneur , cherchant renforcer son pouvoir politique et militaire eninvestissant dans l'conomie. A contrario, doit-on faire ce que l'on sait faire,perptuant ainsi ce que certains ont appel le syndrome des phares etbalises 43

    41

    Titre d'un ouvrage du Pr. David Keen, Complex Emergencies, Cambridge, PolityPress, 2008, qui dfinit de la sorte une situation caractrise la fois par sacomplexit (souvent lie un conflit violent) et par la situation d'urgence qu'elleprsente.

    ? On peut citer, ce titre, l'exemple d'un ministre qui, mdecin,insiste pour que des projets de sant soient systmatiquement financs

    42Assemble locale afghane, plus ou moins formelle, le plus souvent constitue

    d'hommes seulement, prenant des dcisions concernant la vie d'une communautdonne, sur la base de dlibrations.43

    Suite au constat que les ctes de l'Afrique de l'Ouest avaient t couvertes l'poque coloniale de phares et de balises par des ingnieurs spcialistes de cesinfrastructures, dfaut d'autres infrastructures peut tre plus utiles, on appelledans les agences de dveloppement syndrome des phares et balises unphnomne qui dterminerait les secteurs et projets dintervention en fonction des

    seules comptences des quipes charges de financer et mettre en uvre lesprojets de dveloppement.

    D

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    - 20 -

    dans les rgions qu'il visite. Faut-il enfin tenter de favoriser les exportationset le savoir-faire franais ?

    Il conviendrait de s'orienter avant tout vers ce qui est utile et

    faisable, en adoptant une grille de lecture systmatique, analysant pourchacun des projets : i/ l'impact politique (ou l'intrt pour la Coalition ou legouvernement afghan), ii/ l'impact conomique, en travaillant en priorit surles besoins essentiels, iii/ la faisabilit pratique (en termes de scuritessentiellement), iv/ leur rapidit de mise en uvre (ce qui a sonimportance, considrant que prs de dix ans se sont couls depuis ledbut de l'opration Enduring Freedom) et enfin v/ leur caractre durable.Tous ces critres sont videmment mettre en regard d'enveloppesfinancires par dfinition limites.

    Il parat nanmoins utile d'insister ici sur le fait qu'il est difficile de

    parler de projets bons en soi. En effet, le choix de ceci rsultencessairement d'un rapport de forces un moment donn, parfoisgnrateur de fortes tensions. Il est donc par nature le rsultat d'uncompromis entre des acteurs aux objectifs divergents, sinonncessairement antagoniques (entre civils et militaires ; entrecommunauts locales et pouvoir central ; entre villages ou tribus ; entre jeunes et barbes blanches , etc.). Ainsi, lors de la dcision de lancer leprogramme d'lectrification du village de Tagab, l'analyse politique pritclairement le dessus sur toutes les autres considrations. Cette zone taiten effet considre par la TFLF comme un axe d'effort prioritaire enmatire de coopration, afin de montrer la population que sesproccupations en matire de dveloppement taient prises en compte par

    le gouvernement et les forces de la Coalition.

    Mener des projets de dveloppement nest pas en soi une tcheaise. Le faire dans le cadre dune guerre de surcrot asymtrique estdautant plus compliqu que le manque de temps et les objectifs divergentsen termes d'horizon d'action sy font constamment sentir.

    Quelle chance pour les projets de coopration ?

    Dans le contexte de guerre insurrectionnelle qui constitue la toile de fonddes oprations de dveloppement en Kapisa et Surobi, et o le temps jouecontre la Coalition, la question des pas de temps , ou des horizonsd'action , est primordiale. L'exprience et les nombreux dbats entreacteurs civils et militaires font apparatre qu'il est ncessaire d'tablir uncontinuum entre projets trs court terme (six mois un an), et ceux moyen (1 3 ans) et long terme (4-5 ans et plus).

    Les projets court terme (Quick Impact Projects dans laterminologie anglo-saxonne) ont essentiellement un impact utilitaire oupsychologique immdiat. Leur utilit - indniable - est tactique, dans lecadre de l'appui direct la Force , en particulier dans les zones lesmoins bien contrles par la Coalition. Ils sont nanmoins souvent peudurables et fragiles, et ont, ce titre, fait l'objet de vives critiques,

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    largement fondes44

    Les projets plus long terme sont, en gnral, mis en uvre par le

    biais des agences de dveloppement traditionnelles (l'Agence Franaise deDveloppement par exemple), en troite collaboration avec les ministresafghans concerns

    . Ces projets sont le plus souvent le fait des PRTetdes quipes des Actions Civilo-Militaires.

    45, notamment dans les zones les plus praticables d'unpoint de vue scuritaire. Ces agences bnficient, en effet, d'uneexprience du dveloppement de plus de cinquante ans, et d'une existencedurable dans les pays46, qui les rendent aptes mener ce type de projetslongs et complexes, quand la Force ne dispose le plus souvent que d'unmandat limit, li la priode des oprations militaires. Par ailleurs, commele soulignait rcemment la Secrtaire d'Etat amricain Hillary Clinton, [il]n'existe pas de modle crdible [...] de dveloppement militaris 47

    Si le dveloppement militaris nest pas la solution, on peutalors lgitimement se demander comment faire pour mener des projets decoopration efficaces dans un pays en guerre comme lAfghanistan.

    .

    Comment faire ?

    S'il n'est videmment pas de recette miracle, l'exprience montre que troisfacteurs essentiels doivent tre pris en compte dans la conception et lamise en uvre des projets de dveloppement.

    Comme le soulignait dj Lyautey, un projet qui russit, c'est avanttout un projet dirig par the right man in the right place 48

    44

    Quick Impact, Quick Collapse - The Dangers of Militarized Aid inAfghanistan, Oxfam, janvier 2010, accessible :

    . Le premier

    dfi est donc de trouver des hommes et des femmes (expatris, maisaussi, et de plus en plus, locaux) capables et volontaires pour agir dansdes zones troubles et parfois anarchiques. Ceci suppose des individusdots d'une faible aversion au risque, voire d'un vrai courage physique,qualits devenues trs rares au sein des socits occidentales o le principe de prcaution est devenu la norme. Le problme avec ce typed'oprateurs est qu'ils se caractrisent par certains cts artistes , quiles rendent difficiles contrler et peu enclins au reportingsystmatique autant de traits incompatibles avec lexigence de transparence quiaccompagne lemploi dargent public et avec les besoins oprationnels desforces armes. Il convient, par ailleurs, dans la mesure du possible, derecruter des quipes constitues essentiellement de locaux ou de Franco-Afghans. Ceci est largement le cas pour les quipes dployes par laFrance en Kapisa et Surobi, celles-ci comprenant 95% d'employs locaux,y compris aux postes de chefs de projet. Ceux-ci prsentent en effet de

    http://www.oxfam.org/sites/www.oxfam.org/files/quick-impact-quick-collapse-jan-2010.pdf45

    Du moins en ce qui concerne la plupart des pays europens, puisque les PRTamricaines ont leur fonctionnement propre.

    46Se matrialisant juridiquement par une Convention d'Etablissement.

    47Prsentation publique du document Stratgie de scurit nationale des Etats-

    Unis, mai 2010.48Hubert Lyautey, op.cit.

    http://www.oxfam.org/sites/www.oxfam.org/files/quick-impact-quick-collapse-jan-2010.pdfhttp://www.oxfam.org/sites/www.oxfam.org/files/quick-impact-quick-collapse-jan-2010.pdfhttp://www.oxfam.org/sites/www.oxfam.org/files/quick-impact-quick-collapse-jan-2010.pdfhttp://www.oxfam.org/sites/www.oxfam.org/files/quick-impact-quick-collapse-jan-2010.pdfhttp://www.oxfam.org/sites/www.oxfam.org/files/quick-impact-quick-collapse-jan-2010.pdfhttp://www.oxfam.org/sites/www.oxfam.org/files/quick-impact-quick-collapse-jan-2010.pdf
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    nombreux avantages : matrise naturelle des cultures et langues (pashtoun,dri) de l'Afghanistan ; inclination demeurer plus longtemps dans un paysqui use rapidement nombre d'expatris ; moindre cot financier.

    Il convient ensuite de mettre en place une organisation souple,aussi peu bureaucratique que possible. A commencer par des quipes peunombreuses, mais mobiles et flexibles, capables de se dplacer sur zoneen se passant des dispositifs de scurit exigs habituellement, ceux-ciconstituant un obstacle majeur dans les rapports avec la population. Enoutre, il est impratif de s'affranchir, autant que faire se peut, desprocdures classiques en vigueur dans des pays dans lesquels l'urgencese fait moins sentir. Les appels d'offre doivent tre simplifis et la pratiquedes contrats cadre49

    Les projets doivent galement tre simples et robustes. La devisedoit tre, autant que possible, keep it simple

    tre favorise, afin de pouvoir s'appuyer sur desoprateurs prouvs. Les circuits de dcision doivent tre trs courts, et lesdcisions, autant que possible, dlgues aux chefs de projet sur le terrain.En utilisant ces procdures et ces circuits de dcision trs simplifis, les

    projets en Kapisa et Surobi auront t mis en uvre dans leur quasi-intgralit en 10 12 mois, dlais extrmement courts au regard despratiques habituelles des agences de dveloppement publiques.

    50

    49

    Un contrat cadre est un document formalisant un accord de long terme entredeux parties, afin d'viter les appels d'offre rptition et de gagner ainsi dutemps. A caractre gnral, il fixe les conditions dans lesquelles de futurs contrats,

    dtaills, seront ngocis et signs entre les parties.

    . Dans ce contexteinstable, o le futur n'est pas garanti, il est tonnant de constater que deuxerrements ont la vie dure. L'un concerne la volont de crer tout prix desunits industrielles. Une simple vue de l'esprit le plus souvent : l'essentieldes districts o sont mens des projets de coopration sont des zonesrecules, o la situation scuritaire est trs instable. Une proposition

    prliminaire, manant d'un responsable de projet et visant favoriser lacration d'une tannerie Tagab, un district en proie une gurillarelativement intense, a ainsi merg en 2010, sans succs jusqu'maintenant. L'autre erreur a trait aux exportations, qu'il faudrait s'efforcerde favoriser, grand renfort de subventions, alors que l'Afghanistandispose de peu d'avantages comparatifs sur le march international et queles cots logistiques sont, la plupart du temps, dissuasifs. Ces avantagescomparatifs l'exportation, quand ils sont utiliss, le sont parfois audtriment des producteurs et des consommateurs locaux, qui nebnficient pas des revenus et des produits qu'ils seraient en droitd'esprer. Il se trouve ainsi que nombre de produits agricoles (en particulierles grenades de Tagab, les oignons et les pommes de terre de Surobi) sont

    achets sur pied par des intermdiaires pakistanais, et stocks auPakistan, faute de circuits, d'organisation, de capacits de stockage locaux,le temps d'tre revendus, hors saison, en Afghanistan. Ceci entrane uneperte pour les producteurs (le prix propos sur pied tant souvent infrieur celui qu'ils pourraient recevoir la rcolte) et les consommateurs locaux(ces derniers ayant supporter les surcots lis ces pratiques). Le projet

    50 Faisons des choses simples.

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    de celliers de stockage des produits agricoles mis en uvre par les ACM travers l'ONG Geres51

    En plus du prcepte keep it simple , le keep it local devrait

    tre prconis. L afghanisation des projets de dveloppement esttoutefois plus facile noncer qu mettre en uvre.

    tente prcisment de limiter ces pratiques.

    Qui doit faire ? La difficile afghanisation des oprations

    Afin de maximiser l'impact court terme de l'aide, la tentation naturelle etsouvent nfaste des civils comme des militaires peut tre de mettre enuvre directement les projets de dveloppement. La Force emploie ainsises propres moyens du gnie pour rhabiliter les axes routiers, commeau temps de Lyautey disent certains militaires, la diffrence tant que laFrance na videmment pas lintention de rester en Afghanistan et decoloniser ce pays. Certaines institutions de coopration (notamment

    amricaines) construisent parfois dispensaires et coles, grand renfort desubventions, d'oprateurs et d'assistants techniques, sans rellementimpliquer l'Etat afghan.

    Par ailleurs, nombre de structures parallles sont cres ou sedveloppent, finances par les deniers de la Coalition. En premier lieu lesONG, en particulier internationales, qui captent une partie significative de larente que constituent les budgets de reconstruction. De mme, certainesProvincial Reconstruction Teams, insres au sein des units de combat etcharges de mettre en uvre localement les projets de dveloppement etde gouvernance. Ces dernires prsentent des inconvnients majeurs:

    elles contournent, le plus souvent compltement, les structures officiellesdu gouvernement afghan, tant au niveau national que local. Elles sont, enoutre, assez largement coupes des communauts locales et de lapopulation et manifestent souvent le syndrome Fobbit , expression quidsigne le repli des units l'intrieur d'immenses bases oprationnelles,les FOB (Forward Operational Bases)52. En outre, elles ont recours defaon massive aux services des contractors le plus souvent amricains(dont le clbre Blackwater rebaptis Xe , mais aussi des entreprisesspcialises dans le dveloppement, comme DAI53 ou Chemonics quibnficient de contrats pluriannuels de plusieurs centaines de millions dedollars financs par des budgets PRT ou USAid 54). Leurs mthodes sontparfois contestables et mal adaptes l'environnement afghan, et ils ont

    mme t accuss de profiter de la guerre pour piller le trsoramricain 55

    51

    Groupe Energies Renouvelables, Environnement et Solidarit.

    .

    52Pierre Chareyron, La contre-insurrection l'preuve du conflit afghan ,

    Politique Etrangre, vol. 75, n 1, printemps 2010, pp. 83-96.53

    Development Alternatives Inc.54

    Agence de dveloppement des Etats-Unis.55

    Voir ce titre les remarques de Ahmed Rashid, Descent into Chaos: The United

    States and the Failure of Nation Building in Pakistan, Afghanistan and CentralAsia, London, Viking Penguin, 2008.

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    A rebours de ces pratiques, il convient de favoriser au maximuml' afghanisation de l'aide, tant dans les phases de conception que demise en uvre des projets, afin de promouvoir le renforcement de l'Etatafghan. Les termes du mandat de l'OTAN en Afghanistan sont clairs cetgard, la Confrence de Londres de fvrier 2010 ayant par ailleurs arrt,suite la demande insistante des autorits afghanes, que 50% minimumde l'aide internationale devaient transiter par le budget propre de l'Etatafghan (core budget) d'ici 2010. Cette afghanisation pose de nombreuxproblmes de fond, lis en particulier l'efficacit de l'administration 56

    La ralisation des travaux, et notamment des petites infrastructuresrurales (pistes, btiments, sorties de karezes

    , etaux nombreux cas avrs de corruption et de dtournement. Face cesrisques, les projets franais mens avec le ministre afghan de l'agriculturedisposent d'quipes d'assistants techniques finances par la coopration.Places au sein mme de cette administration (insres ou embedded selon la formule amricaine), et constitues intgralement d'Afghans ou deFranco-Afghans, elles jouent un rle de mentor et de contrle. Si l'usage deces assistants techniques ne reprsente pas la solution miracle que

    beaucoup attendent, puisque tout arrt du financement extrieur conduit leur disparition, elle parat nanmoins tre la plus efficace l'heureactuelle.

    57) finances par lacoopration franaise en Kapisa et en Surobi, participe de la mmelogique. L'exprience indique en effet qu'il convient d'utiliser au maximumles capacits disponibles localement. La solution idale est d'utiliser lamain d'uvre issue des villages bnficiaires, afin de maximiser lesrevenus allant directement aux communauts vises58, mais aussi debnficier ainsi d'ouvrages construits par la population, et donc prservspar celle-ci59

    56

    T.E. Lawrence insistait dj, en 1917, sur limportance de laisser faire lesautochtones, en loccurrence les combattants arabes opposs aux troupesottomanes. Il crivait : N'essayez pas d'en faire trop de vos propres mains. Mieux

    vaut que les Arabes le fasse de faon passable, que vous de faon impeccable.C'est leur guerre, et vous devez les aider, et non la gagner pour eux .T.E. Lawrence, Twenty-Seven Articles of T.E. Lawrence , The Arab Bulletin, 20aot 1917, accessible :

    . Si l'on doit avoir recours aux services d'un entrepreneur, ilfaut dans la mesure du possible utiliser une socit locale (issue du village,de la valle, ou du district). Sous peine de rencontrer de srieusesdifficults de mise en uvre, les services d'un entrepreneur issu d'un autredistrict ou d'une socit internationale ne doivent tre utiliss qu'en dernierrecours, et le contrat doit mentionner l'exigence d'employer la maind'uvre locale. Les incidents scuritaires (pose d'un engin explosif

    http://www.usma.edu/dmi/IWmsgs/The27ArticlesofT.E.Lawrence.pdf57

    Kareze : systme hydraulique traditionnel constitu d'un puits for au pimontdes montagnes et d'un tunnel en pente douce qui permettent d'alimenter lesvillages en eau potable et d'irriguer les cultures.58

    On vite de payer des ouvriers trangers la communaut vise et les margesdes entrepreneurs.59

    Ainsi, il a t constat Kandahar, province pourtant largement sous contrledes insurgs, que les ouvrages (coles, cliniques, etc.) construits sousfinancement du programme NABDP du PNUD, en suivant ce modle

    communautaire, n'avaient pas fait l'objet des destructions largement constatessur d'autres ouvrages raliss par l'entremise d'entreprises ou autres "contractors".

    http://www.usma.edu/dmi/IWmsgs/The27ArticlesofT.E.Lawrence.pdfhttp://www.usma.edu/dmi/IWmsgs/The27ArticlesofT.E.Lawrence.pdfhttp://www.usma.edu/dmi/IWmsgs/The27ArticlesofT.E.Lawrence.pdfhttp://www.usma.edu/dmi/IWmsgs/The27ArticlesofT.E.Lawrence.pdfhttp://www.usma.edu/dmi/IWmsgs/The27ArticlesofT.E.Lawrence.pdfhttp://www.usma.edu/dmi/IWmsgs/The27ArticlesofT.E.Lawrence.pdf
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    improvis ayant endommag un vhicule de chantier) ayant rcemmentsuivi le recrutement d'une entreprise de travaux extrieure la Surobi pouramliorer certains axes routiers dans certaines valles de ce district,viennent illustrer cette ncessit pratique, qui n'est pas encoresystmatiquement prise en compte dans le cadre des projets decoopration civile ou civilo-militaire.

    Toutefois, et quelles que soient les prcautions prises, cest dabordparce que prvaut un environnement scuritaire dgrad que la mise enuvre des projets de coopration est si difficile en Kapisa et Surobi. Lalogique de la contre-insurrection voudrait que laide civile et lamliorationde lenvironnement scuritaire aillent de pair, les projets de dveloppementcontribuant convaincre la population de soutenir les forces en charge dela contre-insurrection. Dans les faits, cette logique peine produire desrsultats tangibles, tel point quil est lgitime de sinterroger sur la porterelle de laide civile au dveloppement.

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    L'aide civile est elle solubledans la contre-insurrection ?

    e stratge est un oiseau de passage, qui meurt de se poser 60 :les principes de jadis, y compris ceux qui ont montr leur efficacit,

    ne sont pas transposables en l'tat. En matire de doctrine de contre-insurrection fixant l'articulation entre actions militaires et civiles, il semble

    que ce soit souvent les crits de Lyautey, vieux de plus d'un sicle, quifassent autorit61. Si beaucoup des principes du marchal demeurentincontournables, il n'en convient pas moins de revoir notre action sur leterrain au regard des exigences qui sont celles du XXIme sicle. Toutd'abord, le refus quasi-absolu des pertes humaines (parfois au dtrimentdes objectifs recherchs), que ce soit celles des soldats en oprationextrieure ou des populations locales62, et des mthodes contraignantescontraires au droit commun63

    Gagner les curs et les esprits ?

    , privent les militaires d'une large partie de leurmarge de manuvre, et il est dsormais difficile de gagner les esprits .En parallle, il convient aujourd'hui, beaucoup plus que jadis, de gagnerles curs des opinions publiques mtropolitaines. Il faut aussi prendre encompte la ncessit de travailler dans un contexte interministriel et avec

    des acteurs civils et nationaux (gouvernements souverains) qui n'existaientpas ncessairement dans le contexte des guerres coloniales, ce quidemande de revoir fondamentalement la technique de la tache d'huile ,et ncessite galement de repenser en profondeur les relations civilo-militaires.

    Dans les districts de Kapisa et Surobi, l'exprience semble montrer qu'il n'ya aucun rapport de cause effet direct, ou immdiat, entre aide civile ou

    60

    Gnral Lucien Poirier, repris dans l'article de Pierre Chareyron, art.cit.61 Les travaux de Lyautey sont rgulirement cits par les militaires franais, ycompris dans des publications doctrinales. Voir par exemple la doctrine de tactiquegnrale de larme de Terre (FT-02) et le document intitul Gagner la bataille,conduire lapaix (FT-01).62

    Contrairement aux pratiques coloniales, David Loyn, Butcher and Bolt: TwoHundred Years of Engagement in Afghanistan, USA, Hutchinson, 2008.63

    Le colonel Trinquier ( La guerre moderne, Paris, Economica, 2008 et Guerre,subversion, rvolution, Paris, Robert Laffont, 1968) dcrit les oprations de policemenes de faon clandestine contre les insurgs, en dehors du droit commun.Pour une bonne introduction cette pense franaise de la contre-insurrection,voire l'article du CDEF intitul De Galula Petraeus, l'hritage franais dans ladoctrine amricaine de contre-insurrection, Cahier de la Recherche Doctrinale,

    accessible :www.cdef.terre.defense.gouv.fr/publications/cahiers_drex/les_cahiers_recherche.htm

    L

    http://www.cdef.terre.defense.gouv.fr/publications/cahiers_drex/les_cahiers_recherche.htmhttp://www.cdef.terre.defense.gouv.fr/publications/cahiers_drex/les_cahiers_recherche.htmhttp://www.cdef.terre.defense.gouv.fr/publications/cahiers_drex/les_cahiers_recherche.htmhttp://www.cdef.terre.defense.gouv.fr/publications/cahiers_drex/les_cahiers_recherche.htmhttp://www.cdef.terre.defense.gouv.fr/publications/cahiers_drex/les_cahiers_recherche.htmhttp://www.cdef.terre.defense.gouv.fr/publications/cahiers_drex/les_cahiers_recherche.htm
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    civilo-militaire, et acceptation de la force ; entre les projets dedveloppement et la reconnaissance de l'Etat afghan par les populations.Cette remarque, qui peut paratre relever de lvidence, va nanmoins l'encontre de beaucoup d'ides reues et de nombreux discours entendusau sujet de ces projets, que ce soit dans les mdias, le grand public, oumme dans les rangs de ceux qui les mettent en uvre.

    Les actions de dveloppement ne sont en effet qu'une desnombreuses composantes des oprations de stabilisation. Les actions descurisation (par les forces armes et la police, tout particulirement lesforces locales) et de gouvernance (de renforcement de l'Etat de droit, enparticulier) sont tout aussi cruciales. On pourrait mme avancer que cesactions de dveloppement ne sont qu'un accompagnement des deuxpremires (scurit et gouvernance), celles-ci reprsentant le coeur desmissions classiquement alloues l'Etat rgalien. Il est ainsi aujourd'huireconnu que l'attrait que les mouvements insurgs, et les talibans ,

    peuvent exercer sur les populations est en partie li la capacit de cesderniers rendre une justice relativement efficace et quitable, quoiquesouvent expditive, ce dont n'est pas toujours capable le gouvernementafghan. Par ailleurs, et comme cet article le souligne plus haut, l'aide et ledon ne sont pas toujours reus de faon positive par les bnficiaires.Enfin, comme le soulignait le colonel Chanson64, qui commandait le GTIA65en Kapisa en 2009, il s'agit probablement moins dans ces districts degagner le cur de ces populations que de gagner leur esprit, en lesconvainquant avec les arguments concrets que sont des projets durables,une scurit rtablie et une gouvernance restaure que leur sort serameilleur en cooprant avec les forces de la coalition et le gouvernementafghan qu'en paulant les insurgs. C'est d'ailleurs ce que semble prouveren partie la relative stabilit qui rgne aujourd'hui dans le district de Surobi(en dehors de la valle d'Uzbin), une zone extrmement instable il y aencore trois ans66

    Toutefois, il ne suffit pas de gagner les curs et les esprits dansle pays d'intervention, il faut aussi convaincre les opinions publiquesnationales du bien-fond de laction en Afghanistan, dans un contexte ol'on sait combien les capacits de rsilience de la population (voire desautorits nationales), notamment franaise, sont peu robustes lesractions l'embuscade de la valle d'Uzbin en aot 2008

    .

    67

    64

    Cf. retour d'exprience du colonel Chanson, Tactique de contre insurrection enKapisa. La population au centre des proccupations : la raison plutt que le cur,13 aot 2009, accessible :

    l'ont bienmontr. A ce titre, les oprations de dveloppement peuvent, si elles sont

    bien utilises et font l'objet d'une communication adquate, constituer unargument de poids en faveur des ces interventions. Celles-ci sont, en effet,alors considres par l'opinion comme des occasions de contribuer laconstruction d'un Etat de droit et au dveloppement du bien-tre des

    http://sites.google.com/site/amicale22bca/tactique-de-contre-insurrection-en-kapisa65

    Groupement Tactique InterArmes, force compose d'environ 1.000 hommes.66

    Cf. ce titre la tribune du colonel Benot Durieux, L'Afghanistan ne sera pas le

    Vietnam , Le Monde, 23 octobre 2009.67 10 militaires franais tus en une journe.

    http://sites.google.com/site/amicale22bca/tactique-de-contre-insurrection-en-kapisahttp://sites.google.com/site/amicale22bca/tactique-de-contre-insurrection-en-kapisahttp://sites.google.com/site/amicale22bca/tactique-de-contre-insurrection-en-kapisahttp://sites.google.com/site/amicale22bca/tactique-de-contre-insurrection-en-kapisahttp://sites.google.com/site/amicale22bca/tactique-de-contre-insurrection-en-kapisahttp://sites.google.com/site/amicale22bca/tactique-de-contre-insurrection-en-kapisa
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    populations locales, ce qui constitue un discours nettement plus audible.Lamlioration des conditions de vie de ces populations ne peut se faireque progressivement, village par village et valle par valle. De ce point devue, le modle de la tache dhuile reste une rfrence, du moins dansle discours.

    La technique de la tache d'huile : une vue de lesprit

    La technique de la tache d'huile a d'abord t thorise et applique auTonkin et Madagascar par les militaires et administrateurs coloniaux quefurent Gallini et son subordonn Lyautey, ce dernier layant dveloppepar la suite grande chelle au Maroc. Repris dans le manuel intitulDoctrine de contre rbellion de l'Arme de Terre franaise68, ce conceptconsiste mener une politique de pacification combinant action militaire(au besoin violente lpoque de Lyautey 69

    Dans ce cadre, la mise en uvre des projets de dveloppement( build ), en crant des liens entre les quipes (reprsentant, mmeindirectement, l'Etat afghan ou les forces de la Coalition) et lescommunauts locales (mme parfois contrles par l'insurrection),constituerait alors un pralable et non une tape ultrieure aux oprationsde scurisation et de stabilisation ( clear and hold ) menes par lesarmes. Les projets de coopration (en lien avec des actions degouvernance) permettraient ainsi d'apprivoiser les populations locales,qui seraient terme mieux disposes envers l'Etat afghan, et sesreprsentants par excellence que sont la police et l'arme afghanes,appuyes par les troupes de la Coalition. Le colonel Chanson ne semble

    pas dire autre chose lorsqu'il souligne qu'en Kapisa la scurit et ledveloppement doivent tre mens de front, et ne peuvent fonctionner quedans le cadre d'un dialogue entretenu dans la dure avec les reprsentantsde la population [...] certains projets de dveloppement produisantdirectement de la scurit

    ), action administrative etdveloppement. Elle a t reprise et transforme par la pense anglo-

    saxonne dans l'expression clear, hold, build . En pralable la mise enuvre des actions de dveloppement ( build ), il faudrait ainsi dfaire lesinsurgs ( clear ) par des actions armes et s'assurer le contrle durabled'une zone donne ( hold ). Il n'est pas sr que cette approche soit autrechose qu'une vue de l'esprit s'agissant des zones de Surobi et du sudKapisa. En effet, les projets mis en uvre dans ces districts le sont dansdes zones que la Coalition (les troupes de la TFLF) ne contrle jamaiscompltement, entre autres raisons (manque deffectifs) parce que lesinsurgs sont, dans leur immense majorit, issus de la population locale, la culture guerrire bien ancre. Il ne peut donc tre question de sparer civils et insurgs.

    70

    68

    Centre de Doctrine d'Emploi des Forces de l'Arme de Terre, 2009.

    .

    69Gian Gentile, Les mythes de la contre-insurrection et leurs dangers : une

    vision critique de l'US Army , Scurit Globale, n 10, hiver 2009-2010.70 Colonel Chanson, art. cit.

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    Or, comme le relve juste titre cet officier, l'accent doit tre missur l'action dans la dure, seule garantie d'une stabilit vritable71

    Pour que de tels projets puissent voir le jour et tre ports dans ladure, militaires et civils doivent aller de conserve. Or, les relations civilo-militaires s'apparentent elles aussi un chemin sem d'embches, voire en exagrant un peu une nouvelle illustration de la fable de lagrenouille et du scorpion

    . Leszones pacifiques doivent continuer tre protges (prsence de forces depolice et de l'arme) et aides. Les financements ne doivent pas se taririmmdiatement, mais se prolonger, puis diminuer progressivement surquelques annes (voire sur une dcennie), mesure que les ressourceslocales mergent, fruits d'un environnement plus favorable.

    72

    Les relations civilo-militaires,

    nouvelle illustration de la fable de la grenouille et du scorpion ?

    .

    En matire de coopration inter-ministrielle grande chelle dans leszones en conflit, la France en est encore ses dbuts, si on la comparepar exemple celle d'autres pays membres de la coalition (Royaume-Uni,Etats-Unis, mais aussi Hollande), et aucune doctrine n'a t vritablementformalise. D'ailleurs, cette coopration entre ministres et agences d'unmme pays n'est aise pour aucune des nations engages en Afghanistan,comme le relve la Rand Corporation73 propos des Amricains, ou le journaliste britannique James Ferguson74 propos des oprations decontre-insurrection et de dveloppement civil menes par son pays dans leHelmand. Etats-Unis et Royaume-Uni peuvent pourtant sappuyer surl'exprience d'oprations complexes de contre-insurrection et de Statebuilding en Irak (qui ont dailleurs t un chec pour les Britanniques,notamment Bassorah et Maysan75

    71

    A ce titre, il est intressant de constater que la devise de l'arme colombienne,dont l'exprience en matire de contre-insurrection est instructive, est Dieuconcde la victoire la tnacit , selon l'incipit du rapport du lieutenant-colonelJrme Cario, L'action intgrale ou la rcupration sociale du territoire enColombie, Paris, Cahier de la Recherche Doctrinale, 2008, accessible

    :

    ).

    www.cdef.terre.defense.gouv.fr/publications/cahiers_drex/les_cahiers_recherche.htm72

    Une histoire africaine met en scne une grenouille et un scorpion tentantdchapper la noyade lors dune crue : monte sur mon dos, propose lagrenouille, et tu seras sauv . Le scorpion accepte, et au milieu du fleuve, piquela grenouille de son dard mortel. Pourquoi as-tu fait cela ? , demande lagrenouille avant de passer de vie trpas. Tu vas mourir aussi ... Cest manature , rpond le scorpion. Bon exemple des attitudes rciproques qu'adoptentparfois certains militaires et civils dans le difficile contexte afghan.73

    Cf. Seth Jones, op. cit.74

    James Fergusson, A Million Bullet: the Real Story of the British Army inAfghanistan, New York, Bantam Press, 2008.75

    Lire notamment Hilary Synnott, Bad days in Basra my turbulent time as Britain's

    man in Southern Iraq, New York, Tauris, 2008 et Rory Stewart, OccupationalHazards: My time governing in Irak, USA, Picador, 2006.

    http://www.cdef.terre.defense.gouv.fr/publications/cahiers_drex/les_cahiers_recherche.htmhttp://www.cdef.terre.defense.gouv.fr/publications/cahiers_drex/les_cahiers_recherche.htmhttp://www.cdef.terre.defense.gouv.fr/publications/cahiers_drex/les_cahiers_recherche.htmhttp://www.cdef.terre.defense.gouv.fr/publications/cahiers_drex/les_cahiers_recherche.htmhttp://www.cdef.terre.defense.gouv.fr/publications/cahiers_drex/les_cahiers_recherche.htmhttp://www.cdef.terre.defense.gouv.fr/publications/cahiers_drex/les_cahiers_recherche.htm
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    Les difficults dans la coopration entre personnes et institutionsrelevant de diffrents ministres, en particulier entre civils et militaires, sontlies un ensemble de causes et, au premier chef, un facteur dordreculturel. Civils et militaires ont souvent, du fait de leurs cultures, de leurstraditions et de leur exprience propre, des visions du monde assezdiffrentes, notamment en matire de dveloppement. Par ailleurs, onconstate l'usage une certaine mconnaissance de la partie adverse ,voire une relle dfiance mutuelle. L'exprience de l'auteur est ce titredes plus diverses, ses relations de travail avec certains militaires tantexcellentes, alors que d'autres relations ont t marques parl'incomprhension, voire une certaine agressivit l'gard des civils quisont incapables d'appuyer [l] effort militaire par des actions dedveloppement rapides et efficaces 76

    Il y a ensuite des intrts d'ordre corporatiste et des oppositionsentre les ministres, notamment ceux qui sont concerns en premier chef

    par les oprations en Afghanistan (ministre des Affaires trangres eteuropennes, ministre de la Dfense). Paralllement au poids desintrts, il existe galement des divergences d'apprciation, par exemplesur la question du manque de temps voque prcdemment. Lesmilitaires se focalisent en gnral sur les chances correspondant leurplan de campagne, ou la priode de leur mandat

    .

    77

    Enfin, la quasi-intgralit des ONG et des organisationsinternationales se refuse travailler (du moins officiellement) avec la force,et ce, pour plusieurs raisons : refus de l'instrumentalisation

    , quand les civilsinsistent davantage sur le long terme. Ces horizons de temps diffrentssont lorigine de dbats rcurrents entretenus par l'auteur avec certainspartenaires militaires, afin de leur faire comprendre la ncessairecomplmentarit entre projets de court terme (correspondant aux prioritsoprationnelles du moment) et de long terme.

    78 (voire dunoyautage par diffrents services de renseignement) ; respect du principede neutralit l'gard des parties au conflit ; crainte, lgitime, pour lascurit de leurs quipes, potentiellement mises en danger par la confusionentretenue entre acteurs civils et militaires79

    Dans ce contexte complexe, et afin de mener au mieux leurmission, les parties civiles et militaires doivent reconnatre ouvertement ceslments de divergence, et en particulier limportance des diffrences

    .

    76Paroles entendues plusieurs reprises par l'auteur en Afghanistan.

    776 mois dans la grande majorit des cas.

    78Cette crainte n'est pas totalement dnue de fondement si l'on considre par

    exemple l'emploi par les forces de la Coalition de la technique du pot de miel ,qui vise utiliser certains projets de dveloppement pour attirer les insurgs envue de les liminer.79

    Certains incidents violents ont vu les insurgs prendre pour cible d'enginsexplosifs improviss des vhicules d'ONG, les ayant pris pour des vhicules de laCoalition, celle-ci se dplaant parfois avec des vhicules tous terrains blancs,comme ceux utiliss par certaines ONG. Par ailleurs, les ONG travaillant pour des

    projets officiels franais ont fait l'objet de menaces prcises, lies leur relationavec la Coalition et les forces franaises.

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    culturelles. Il convient, en outre, d'identifier systmatiquement les points dedsaccord, pour les traiter et d'viter les non-dits. Par ailleurs, il est crucialde disposer de documents crits, qui permettent non seulement dedisposer d'une base d'action objective, mais de faire face aux problmesqu'entrane la rotation rapide des effectifs80

    . En outre, une doctrined'intervention au niveau interministriel serait certainement utile, mais ellen'en est qu' ses balbutiements. Enfin, un principe de bienveillancesystmatique doit tre adopt par chacun des partenaires civils et militaires l'gard de la partie adverse . Il s'agit moins l d'un principe de moralelmentaire que d'un outil, vraiment efficace, permettant de faciliter la miseen place progressive d'une coopration civilo-militaire relle et durable.

    80C'est dans cette perspective qu'ont t labors des documents communs la

    TFLFet l'Ambassade : i/ un Schma Directeur Concert, planifiant sur un deuxans les oprations de coopration en Kapisa et Surobi, ii/ des documents de

    projets formant la base de contrats prcis fixant les objectifs, les moyens et lesbudgets et iii/ des rgles de procdure et de reportingpartages.

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    Conclusion

    n proverbe afghan dit : le ciel est sombre, mais il en sourd de l'eaupure . La situation actuelle de l'Afghanistan est instable et l'avenir du

    pays peu prvisible. Nanmoins, on peut esprer que les effortsactuellement mens par la France en Kapisa et Surobi contribuent ce queces districts retrouvent une certaine stabilit. Ce n'est pas ncessairementune illusion coteuse, mais un souhait raliste, dans la mesure, du moins,

    o certaines conditions sont remplies. Encore faudrait-il que les acteurscivils et militaires poursuivent leur action dans la dure (au del de l'anne2011, dbut annonc du retrait amricain), en n'abandonnant pas troprapidement des forces de scurit afghanes encore faibles. En outre, unecollaboration troite avec les reprsentants du gouvernement afghandevrait tre dveloppe, un principe videmment difficile appliquerconcrtement, tant les structures de gouvernance locales sont peu fiables.Enfin, il faudrait mieux dfinir et appliquer une doctrine globale de contre-insurrection intgrant non seulement les paramtres d'ordre militaires, maisaussi ceux relevant de la sphre civile (gouvernance et dveloppement),ces derniers demeurant encore trop souvent les parents pauvres de notreaction, malgr d'indniables progrs sur les deux dernires annes.

    Autant de dfis pour que lintervention franaise soit rellement unfacteur de paix long terme. Paix laquelle la majorit des habitants desdistricts de responsabilit franaise, marqus par trente ans de conflitininterrompu, aspire aujourd'hui plus que jamais.

    .

    U

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    Annexes

    Annexe 1 : Table des sigles

    ACM : Actions Civilo-Militaires

    AFD : Agence Franaise de Dveloppement

    BRAC : Banglasdesh Rural Advancement Committee

    CDC : Community Development Council

    CDEF : Centre de Doctrine d'Emploi des Forces

    COAR : Coalition of Afghan Relief

    CPCO : Centre de Planification et de Conduite des Oprations

    DAI : Development Alternatives Inc.

    FCO MAIL : French Cooperation Office with Ministry of Agriculture,Irrigation and Livestock

    FIAS : Force Internationale d'Assistance et de Scurit

    GERES : Groupe Energies Renouvelables, Environnement et Solidarits

    GTIA : Groupement Tactique Inter-Armes

    GTZ : Deutsche Gesellschaft fr Technische Zusammenarbeit

    ISAF : International Security and Assistance Force

    MAEE : Ministre des Affaires Etrangres et Europennes

    MRRD : Ministry of Reconstruction and Rural Development

    NABDP : National Area-Based Development Program

    NSP : National Solidarity Program

    ONG : Organisation Non Gouvernementale

    OTAN : Organisation du Trait de l'Atlantique Nord

    PNUD : Programme des Nations Unies pour le Dveloppement

    PRT : Provincial Reconstruction Team

    SAB : Solidarit Afghanistan Belgique

    TFLF : Task Force La Fayette

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    Annexe 2 : Organisation dtaille de la coopration, 2009

    Annexe 3 : Description dtaille des projets franais 2009, 2010,2011

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    Annexe 4 : Districts de focalisation 2009

    Source : Ministre des Affaires Etrangres franais.

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    Rfrences

    Documents officiels :

    Doctrine d'emploi des forces terrestres en stabilisation, Centre de Doctrined'Emploi des Forces, Arme de Terre, 2006, accessible :www.cdef.terre.defense.gouv.fr/doctrineFT/doc_trans.htm

    Doctrine de tactique gnrale de larme de Terre(FT-02).

    Gagner la bataille, conduire lapaix (FT-01).

    Ouvrages :

    BARRY Michael, Le royaume de l'insolence. LAfghanistan 1504-2001,Paris, Flammarion, 2002.

    BAUER Peter Thomas, Dissent on Development: Studies and Debates inDevelopment Economics, Harvard, Harvard University Press,1972.

    CHALIAND Grard, Le nouvel art de la guerre, Paris, Ed. de l'Archipel,2008.

    FERGUSSON James, A Million Bullet: the Real Story of the British Army inAfghanistan, New York, Bantam Press, 2008.

    GALULA David, Counterinsurgency warfare, theory and practice, Westport,Praeger Security International, 1964.

    KEEN David, Complex Emergencies, Cambridge, Polity Press, 2008.

    KILCULLEN David, Accidental Guerrilla: fighting small wars in the midst ofa big one, New York, Oxford University Press, 2009.

    LOYN David, Butcher and Bolt: Two Hundred Years of Engagement inAfghanistan, Londres, Hutchinson, 2008.

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  • 8/7/2019 La coopration civile en Afghanistan. Une coteuse illusion ?

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