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La débâcle ou « l’étrange défaite 1 » Le choc de 1940 n’est pas, en apparence, favorable à l’Allemagne. La France représente 41 200 000 habitants et 110 000 000 avec l’Empire, la Grande Bretagne compte 48 000 000 habitants auxquels s’ajoutent les 450 000 000 habitants de l’Empire. L’Allemagne, quant à elle ne peut disposer que de ses 80 000 000 habitants. Enfin sur le plan militaire, le général Gamelin ( 1872-1958) affirme, sans évoquer l’idée d’une offensive, que l’armée française est prête pour la mobilisation et la concentration à la fin de l’été 1939. La réussite de la concentration française semble confirmer la réputation de l’armée. Par ailleurs, depuis les manœuvres de 1937 et 1938, l’état-major est conscient de la faiblesse des Ardennes et du franchissement de la Meuse dans la foulée. Mais la quasi-certitude d’un effort allemand vers le nord permet de négliger le secteur de Sedan. Le dispositif français de défense en profondeur n’est pas mauvais, mais néglige gravement le facteur tactique et la mobilité des unités. L’état-major mise sur une guerre longue d’usure. Il faut tenir un front continu et inviolable pour attendre le moment opportun de l’attaque. Les dispositions françaises ressemblent à celles de l’armée rouge en 1943, c’est-à-dire une armée qui devait avancer en écrasant l’adversaire sous le feu. L’attitude française est en phase avec une opinion publique très largement pacifiste, mais aussi résolument moderne car la guerre préparée par la France est une guerre du rouleau compresseur. Celle que mèneront les alliés entre 1943 et 1945. Ainsi, contrairement à l’idée reçue d’un pays surpris dans un état d’impréparation militaire, il faut rappeler, avec Dennis E. Showalter, que les dépenses militaires françaises représentèrent un pourcentage plus important que le PNB de n’importe quelle autre puissance 2 . Daladier et Gamelin préparent une guerre longue. Par ailleurs, aujourd’hui, on peine à imaginer le prestige détenu par l’armée française. Une puissante armée L’armement La Ligne Maginot est le pilier de la défense française et s’étend sur 700 kilomètres des Ardennes à l’Alsace et de la Savoie à la Côte d’Azur (en réalité 465 km de « fronts fortifiés »). Celle-ci fut construite à partir de 1929 sur l’initiative du ministre de la Guerre Maginot. Il s’agit de créer « la Muraille de France » que l’on veut infranchissable. Elle est constituée d’un dense réseau de casemates en béton, de barrages et de fossés, d’obstacles antichars et de forteresses souterraines. A savoir près de 40 gros ouvrages, 70 petits blocs subdivisés en 500 blocs d’infanterie et d’artillerie, 400 casemates, abris, observatoires. On compte 150 km de galeries, 450 km de routes et de voies ferrées. Mais il n’y a rien de Longuyon à la mer du Nord. Elle a absorbé la quasi-totalité des crédits de la défense nationale et immobilise des troupes nombreuses et spécialisées. Les troupes de forteresses furent créées en 1933. Les RIF (Régiment d’Infanterie de Forteresse), les RAP (Régiment d’Artillerie de Position) et les unités du génie constitueront, en 1938, les équipages interarmes d’ouvrage (42 000 hommes en 1937). Au moment de la mobilisation, il y a 41 RIF, 29 RAP, 8 demi-brigades alpines de forteresse et de multiples unités de sapeurs. Pendant la «drôle de guerre » sont créés les corps d’armées de forteresse et les divisions d’infanterie de forteresse (101 ème et 104 ème DIF). 1 La lecture de l’ouvrage de Marc Bloch L’Etrange défaite permet d’appréhender la vision d’un témoin averti des évènements de l’été 1940. 2 CHED (dirigé par M. Vaïsse), Mai-juin 1940 : Défaite française, victoire allemande, sous l’œil des historiens étrangers, Collection Mémoire n°62, Ed. AUTREMENT, 2000.

La débâcle ou « l’étrange défaite 1 - cndp.fr · et les divisions d’infanterie de forteresse (101ème et 104ème DIF). 1 La lecture d e l’ouvrage de Marc Bloch L’Etrange

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La débâcle ou « l’étrange défaite1 »

Le choc de 1940 n’est pas, en apparence, favorable à l’Allemagne. La France représente 41 200 000 habitants et 110 000 000 avec l’Empire, la Grande Bretagne compte 48 000 000 habitants auxquels s’ajoutent les 450 000 000 habitants de l’Empire. L’Allemagne, quant à elle ne peut disposer que de ses 80 000 000 habitants. Enfin sur le plan militaire, le général Gamelin ( 1872-1958) affirme, sans évoquer l’idée d’une offensive, que l’armée française est prête pour la mobilisation et la concentration à la fin de l’été 1939. La réussite de la concentration française semble confirmer la réputation de l’armée. Par ailleurs, depuis les manœuvres de 1937 et 1938, l’état-major est conscient de la faiblesse des Ardennes et du franchissement de la Meuse dans la foulée. Mais la quasi-certitude d’un effort allemand vers le nord permet de négliger le secteur de Sedan. Le dispositif français de défense en profondeur n’est pas mauvais, mais néglige gravement le facteur tactique et la mobilité des unités. L’état-major mise sur une guerre longue d’usure. Il faut tenir un front continu et inviolable pour attendre le moment opportun de l’attaque. Les dispositions françaises ressemblent à celles de l’armée rouge en 1943, c’est-à-dire une armée qui devait avancer en écrasant l’adversaire sous le feu. L’attitude française est en phase avec une opinion publique très largement pacifiste, mais aussi résolument moderne car la guerre préparée par la France est une guerre du rouleau compresseur. Celle que mèneront les alliés entre 1943 et 1945. Ainsi, contrairement à l’idée reçue d’un pays surpris dans un état d’impréparation militaire, il faut rappeler, avec Dennis E. Showalter, que les dépenses militaires françaises représentèrent un pourcentage plus important que le PNB de n’importe quelle autre puissance2. Daladier et Gamelin préparent une guerre longue. Par ailleurs, aujourd’hui, on peine à imaginer le prestige détenu par l’armée française. Une puissante armée L’armement La Ligne Maginot est le pilier de la défense française et s’étend sur 700 kilomètres des Ardennes à l’Alsace et de la Savoie à la Côte d’Azur (en réalité 465 km de « fronts fortifiés »). Celle-ci fut construite à partir de 1929 sur l’initiative du ministre de la Guerre Maginot. Il s’agit de créer « la Muraille de France » que l’on veut infranchissable. Elle est constituée d’un dense réseau de casemates en béton, de barrages et de fossés, d’obstacles antichars et de forteresses souterraines. A savoir près de 40 gros ouvrages, 70 petits blocs subdivisés en 500 blocs d’infanterie et d’artillerie, 400 casemates, abris, observatoires. On compte 150 km de galeries, 450 km de routes et de voies ferrées. Mais il n’y a rien de Longuyon à la mer du Nord. Elle a absorbé la quasi-totalité des crédits de la défense nationale et immobilise des troupes nombreuses et spécialisées. Les troupes de forteresses furent créées en 1933. Les RIF (Régiment d’Infanterie de Forteresse), les RAP (Régiment d’Artillerie de Position) et les unités du génie constitueront, en 1938, les équipages interarmes d’ouvrage (42 000 hommes en 1937). Au moment de la mobilisation, il y a 41 RIF, 29 RAP, 8 demi-brigades alpines de forteresse et de multiples unités de sapeurs. Pendant la « drôle de guerre » sont créés les corps d’armées de forteresse et les divisions d’infanterie de forteresse (101ème et 104ème DIF).

1 La lecture de l’ouvrage de Marc Bloch L’Etrange défaite permet d’appréhender la vision d’un témoin averti des évènements de l’été 1940. 2 CHED (dirigé par M. Vaïsse), Mai-juin 1940 : Défaite française, victoire allemande, sous l’œil des historiens étrangers, Collection Mémoire n°62, Ed. AUTREMENT, 2000.

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Dans les années 1930-1935, la France a donné la priorité aux fortifications et à la marine, au détriment de l’air et de la mobilisation industrielle. Pourtant l’effort des années 1935-1939 permet à la France d’aligner autant de chars (environ 3 200 chars et automitrailleuses et 600 pour les Anglais) que l’armée allemande (environ 3 500) et près de 11 000 canons, dont la moitié de 75 qui reste efficace contre les chars. C’est plus l’utilisation tactique (combinaison char avion) qui donne aux blindés allemands une nette supériorité. Enfin, l’état-major allié croit en la victoire et à une stratégie défensive de guerre longue. Cette conception n’est pas dénuée de fondements. Cependant, il y a une confusion entre défensive et inaction qui laissera aux Allemands l’initiative en toute action.

« Les Alliés veulent gagner du temps ; Hitler, au contraire, ne veut pas en perdre ; les premiers espèrent une guerre longue, le second une guerre éclair ; mais c’est à l’Allemagne que les plans alliés laissent l’initiative des opérations » (H. Michel)

La mise sur pied Dès 1938, la mobilisation partielle révèle les dysfonctionnements de l’armée française. La réorganisation permit la réussite de la concentration de septembre 1939. Il en résulte que l’état-major est optimisme, masquant ainsi un investissement tardif, des manques d’équipement. Trois groupes armés sont mis en mouvement, mais il y a une grande inégalité entre les différents troupes de l’armée française. On distingue des divisions de série A, composées de troupes d’active (solides et bien équipées) et de réserve en formation. On trouve également des divisions de série B composées de troupes moins inexpérimentées, assez mal équipées et encadrées par des cadres à la formation inachevée. Ces troupes doivent êtres aguerries et équipées avant d’être engagées sur le front. On note des formations territoriales affectées aux voies ferrées, à la défense aérienne et au gardiennage. Elles sont composées d’hommes mûrs qui montreront une grande tenue devant l’ennemi pendant la débâcle. Au total l’armée française concentre 4 734 250 hommes, dont deux millions sur le front du Nord-Est. La France a mobilisé 1 homme de 20 à 45 ans sur deux. Ces troupes se répartissent en 110 divisions d’Infanterie dont 74 divisions d’Infanterie et 15 divisions de troupes de forteresse en métropole. Il y a 2 946 engins blindés dont la moitié dans les troupes d’infanterie et le reste dans les divisions de cavalerie (et 2 divisions légères mécaniques). L’aviation (Général Vuillemin) compte 1 400 appareils. La marine (Amiral Darlan) comprend 3 cuirassés, 2 croiseurs de bataille, 17 croiseurs, 66 contre-torpilleurs, 75 sous-marins.

Commandant en chef : général Gamelin 1er groupe d’armée : général Billotte

2ème groupe d’armée : général Prételat 3ème groupe d’armée : général Besson

la 7ème armée du général Giraud est en réserve une réserve générale est constituée de 17 divisions, 2 divisions motorisées, trois divisions blindées

Le front des Alpes est confié au général Olry Les troupes d’Afrique du Nord au général Noguès

Les forces du Levant au général Weygand. L’armée française peut, en théorie, compter sur les armées alliées. Sous les ordres du général Gort, le British Expeditionnary Force (BEF) est composé de six divisions soient 235 000 hommes assez bien équipés. Au total, l’armée britannique compte 320 000 hommes sous les ordres du général Ironside. La Royal Air Force totalise 1 700 appareils tandis que la Royal Navy aligne 16 navires de ligne, 6 porte-avion, 60 croiseurs, 200 destroyers, 50 sous-marins. L’armée Belge (Léopold III) regroupe 22

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divisions (700 000 hommes mal équipés et mal préparés). L’armée néerlandaise (général Winkelman) représente un effectif de 250 000 hommes. L’armée polonaise du maréchal Rydz-Smigly ne dispose que de 20 divisions, 12 brigades de cavalerie, 400 chars et 600 avions. La Wehrmacht regroupe 2 600 000 hommes répartis dans 63 divisions contre la Pologne en 1939 et 43 à l’Ouest. Les 2 977 blindés appartiennent à 6 Panzerdivisionen et 8 divisions motorisées légères. La Luftwaffe dispose de 4 300 avions dont 1 200 chasseurs, 1 200 bombardiers et 336 Stukas, mais l’ensemble est moderne. La Kriegsmarine comprend 3 « cuirassés de poche », 10 croiseurs, 30 destroyers, 57 sous-marins. La force semble être dans le camp allié. Pourtant, l’armée allemande souffre de graves déficiences comme le manque d’officiers et de sous officiers, des stocks insuffisants. Il manquait près de 70% des réserves fixées par OKH pour les armes à feu portatives, 50% pour l’artillerie de division et même 75% pour l’artillerie lourde. Plus de quinze divisions étaient équipées des armes de l’ancienne armée tchécoslovaque et 10% des chars étaient tchèques. Pour les Allemands, c’est la mauvaise guerre au mauvais moment3. La grande difficulté française réside dans l’inadaptation de l’équipement. Peu d’armes automatiques sont à la disposition de l’armée. Plus grave encore, les alliés ne disposent pas d’un réel armement antichar, il faudra utiliser des canons de 75 et de 37 comme arme anti-char. Au total, le 10 mai, près de 50% du parc d’artillerie manque dans 16 divisions et il n’y a des compagnies de mitrailleuse antiaérienne que dans 22 divisions. Il manque également 16,5% des camions, 32% des remorques et 49% des side-cars. En clair, il n’y a dans l’armée française que 7 divisions d’infanterie, 2 divisions légères et 4 divisions cuirassées capables de se mouvoir. L’encadrement de l’armée française On constate un manque d’hétérogénéité d’âge (18 à 45 ans), d’origine (métropolitains et coloniaux) et de statut (engagés, engagés pour la durée de la guerre et mobilisés). Les sous officiers sont de bonnes qualités. En revanche, les officiers seront insuffisants. Il y a 1 officier pour 36 hommes mais on doit faire appel à des lieutenants et sous lieutenants de 54 ans et des capitaines de 57 ans. Ils montreront une réelle efficacité technique avec la manœuvre dite « Hérisson » de Weygand, mais force est de constater qu’il y a une faiblesse d’autorité et de solidarité entre eux. D’ailleurs, peu d’officiers tenteront de s’évader après 1940. Le Haut commandement est confié par le gouvernement au Général Gamelin (1872-1958). Il commettra des erreurs, dont le choix de ses officiers supérieurs en utilisant le critère de l’âge. Cela le conduira à désigner le général Georges au lieu de Weygand. Il négligera d’aller sur le terrain pour contrôler la qualité de la préparation, de l’instruction, des planifications et l’organisation des états majors. Le général Gamelin apparaît comme un stratège intellectuel coupé du terrain peu enclin aux idées simples. Tandis que le général Georges est inapte physiquement du fait de sa blessure liée à l’attentat de Marseille. La drôle de guerre Elle est justifiée par la nécessité de tenir jusqu’aux printemps 1940 pour donner le temps à la production militaire de s’accélérer et de renforcer les fortifications. Mais elle s’appuie sur un blocus qui doit faire souffrir les Allemands et les conduire à rejeter le nazisme. Or le temps perdu ne se

3 Klaus J. Muller, « La stratégie d’Hitler et sa conduite de la guerre » dans Historiens et Géographes, n°328, juillet/août 1990, p. 169.

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rattrape plus et les huit mois de passivité ne permettront pas de renforcer le dispositif alors que les Allemands se débarrassent du front polonais et s’emparent du Danemark et de la Norvège. Le comportement militaire et l’attitude politique des français déroutent l’analyste. Une offensive dans la Sarre est lancée. Le but est de soulager la Pologne qui supporte seule le poids de l’armée allemande. Elle est surtout engagée pour se conformer à la convention militaire franco-polonaise. Alors que le dispositif allemand n’est constitué que de troupes de réserve, l’attaque est déclenchée tardivement dans la nuit du 6 au 7 septembre 1939. L’objectif est de border la Sarre entre Sarrebruck et Merzig. La résistance allemande est faible et le 13 septembre, la progression est de 8 kilomètres. Le Général Gamelin ne s’engage pas physiquement sur le front et malgré la faible résistance allemande, les Français n’accélèrent pas leur progression et stoppent sans raison apparente. On comptera environ 400 tués dans l’armée française. Le 24 octobre, les troupes françaises sont à l’abri derrière la ligne Maginot alors que la Pologne est écrasée. Gamelin envisage d’ouvrir un second front en bombardant Bakou pour soutenir la Finlande. Les Allemands ne l’attendront pas et attaqueront le Danemark puis la Norvège. Les alliés saisiront leur chance à Narvik mais échoueront en définitive. Officiellement, les hésitations et échecs alliés seront justifiés par la préparation d’une grande offensive. Or, on ne cherche même pas à préparer les hommes au combat antichar, ni même à supporter les bombardements. Gamelin s’englue dans ses contradictions et son manque de simplicité. Il n’y a pas de commandement inter-armées, pas de priorités, ni même d’autonomie des unités. Le généralissime attend les initiatives allemandes pour prendre ses décisions et personne ne mesure l’impact de cette inactivité sur l’armée et la Nation. Au niveau politique, l’ambiguïté est grande puisque les communistes votent les crédits de guerre malgré le pacte germano-soviétique. Le discrédit sur le parti communiste sera effectif après l’ attaque de la Finlande. En octobre, le parti de la paix tente de réagir sans grand succès car Reynaud (mars 1940) partisan de la guerre remplacera Daladier. L’opinion ne se mobilisera pas beaucoup et le relâchement est général. Georges Mandel dit clairement la réalité : « il n’y a pas de volonté de se battre ». Mais là encore, une ambiguïté puisque l’opinion accepte la semaine de 77 heures (84 dans l’aviation) et Gnôme et Rhone fabriquent 1000 moteurs d’avion en mai. L’attaque en Belgique (manœuvre Dyle) et la défaite

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Les manœuvres Escaut et Dyle-Bréda d’après H. Michel, «La Seconde Guerre mondiale». Depuis 1935, on sait qu’une attaque en Belgique est inévitable pour soutenir l’armée belge et rassurer l’allié britannique. Cependant, plusieurs erreurs seront commises. On surestime gravement l’armée allemande et les alliés agissent comme si le temps était leur allié. Or, lorsque se lancent les meilleures divisions françaises en Belgique, les Allemands on déjà fait mouvement et les troupes alliés auront toujours un temps de retard sur l’action ennemie. La situation d’échec est vite comprise, mais à une époque où les blindés font 100 kilomètres par jour, il n’est plus possible de se replier sur la ligne Aisne, Marne et Somme. C’est Paris et la Seine qui devient la ligne de repli et cette situation est inacceptable sur le plan politique. C’est une tentative infructueuse de l’armée française dont la fonction est d’imposer aux Allemands une bataille de rencontre. Gamelin ordonne un mouvement jusqu’à Bréda. Le but est de soutenir l’action des Hollandais. Cependant une grande partie de la manœuvre repose sur la capacité de résistance de l’armée belge. Celle-ci est fortifiée sur une ligne Meuse Canal Albert et ses forts. Or, les Allemands prennent tout le monde de vitesse et s’emparent par surprise des ponts. Ainsi la bataille de Belgique s’engage dans des conditions difficiles, surtout qu’entre Liège et Charleville, la forêt n’est tenue que par un rideau de troupe. Peu de chefs avaient évoqué ce danger et Gamelin néglige ce secteur. La Meuse est considérée comme un obstacle naturel suffisant. Mais paradoxalement, la ligne Maginot, en

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empêchant toute contre-offensive sur les flancs avait fragilisé le secteur. De plus les Français constatent l’échec et l’inutilité de la manœuvre Dyle (les Allemands ont pris les ponts) le 13 mai, c’est à dire le jour où les blindés allemands franchissent la Meuse dans le secteur de Sedan. Les Allemands ont réalisé la percée et pris les alliés à revers. L’entrée en Belgique constitue un piège pour le dispositif allié et prive l’état-major de la 7ème armée qui, selon les plans initiaux, était en réserve sur la Meuse. La solidarité des alliés ne résiste pas puisque les Anglais évacuent et veulent garantir leur retraite. Cependant, les Britanniques perdent 68111 hommes (tués, blessés et prisonniers) et près de 1029 appareils. Pour le combat aérien, les Britanniques déplorent autant de pertes que durant la bataille d’Angleterre. Ceci pour nuancer les propos selon lesquels les Britanniques ont évacué sans combattre et abandonné leur allié. Dans l’immédiat, les Français refusent l’idée d’une défaite

Archives départementales de l’Aube ED 18/41

Weygand, nouvellement nommé, veut constituer une ligne de défense sur la ligne Somme Aisne. L’armée travaille 24 heures sur 24. Une analyse assez fine montre que les troupes qui ont cédé furent peu nombreuses au début. Seul l’incompétence du chef et son manque d’autorité faisaient céder une unité. Enfin, la surprise joue et le manque d’idée se fait sentir. L’aviation, elle-même, se ressaisie, mais la chasse entraînée à encadrer les bombardements ne peut appuyer les troupes au sol. C’est à ce moment que la doctrine tactique de l’armée française montre ses faiblesses. La devise de Von Moltke : « En cas de victoire tactique, la stratégie se soumet » devient une cruelle vérité pour les soldats français. L’état-major ne pourra qu’improviser à la hâte la 4ème division cuirassée pour tenter

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d’endiguer la tête de pont allemande au sud d’Abbeville ou s’illustrera de Gaulle. Celui-ci tentera de franchir la Somme avec une division et un régiment d’infanterie, une brigade blindée britannique, deux divisions légères de cavalerie et la 4ème division cuirassée. Il réussit le 28 mai à déboucher mais les Allemands, surpris, réussissent à installer des batteries anti-chars que les Français ne pourront détruire et le 30 mai, faute de renfort, de Gaulle bat en retraite. Une occasion a été perdue ce jour là. La logistique française s’avère incapable de soutenir l’armée en mouvement. Par ailleurs, les Allemands détruisent systématiquement et méticuleusement tous les axes de communication jusqu’au 5 juin. Les troupes se replient souvent, faute de munition. L’ultime bataille de France s’engage dans des conditions catastrophiques. Les alliés ont perdu 80% de leurs chars, 24 divisions d’infanterie, 4 divisions motorisées, 4 divisions légères de cavalerie et 1 division cuirassée. Il ne reste que 71 divisions d’infanterie, une motorisée, 3 divisions cuirassées, c’est à dire 90 chars et 5 automitrailleuses. Le général Weygand met en place un système de défense des axes de communication. Les « Hérissons » sont mis en place, mais par manque de soutien, ils cèderont le 6 juin. Le 8, la défaite est consommée. Mais il est important de dire que l’armée a combattu avec courage, ce ne fut pas une promenade de santé pour les Allemands comme le laissent croire certains ouvrages et films humoristiques : « Les Français se battent avec une décision et un courage que l’on n’avait pas vus sur la Meuse. Le hurlement des sirènes des Stukas ne les impressionne plus. Dans les villages détruits les Français se battent jusqu’au dernier homme. Certains îlots résistent encore alors que notre infanterie les a déjà dépassés de 30 km » affirme Karl Von Stackelberg. Les Allemands éprouvent de lourdes pertes dans la région de Péronne. Cependant l’armée française n’est plus en mesure d’arrêter l’ennemi, d’autant que toutes les voies de communication sont submergées par le flot de « l’exode ». La débâcle va commencer. Le gouvernement Paul Reynaud veut continuer la lutte. Mais, pendant que plusieurs projets irréalistes se mettent en place, les Allemands envahissent la France et 6 à 10 millions de Français sont sur les routes. Le 13 juin, Paris est ville ouverte et le pays est désorganisé. Plus rien n’existe. Il ne reste à la France que sa Marine, la ligne Maginot et l’armée des Alpes qui contient les Italiens. Au 10 juin, l’armée des Alpes comprend 90 000 hommes de première ligne (185 000 au total). Elle supporte le choc de 600 000 Italiens (2 950 canons, 1 500 avions). Elle stoppe l’attaque allemande le 21 juin sur une ligne Grenoble-Chambéry et interdit la jonction avec les Italiens. Lorsque le combat cesse le 25 juin, l’armée des Alpes est invaincue. Le bilan de ces dix semaines de combat est très lourd. Les Français déplorent 120 000 tués, 250 000 blessés et 1 650 000 prisonniers. Quant aux Allemands, ils comptabilisent 49 000 tués et 11 2000 blessés. Il faut nuancer ces chiffres car Jean-Jacques Arzalier démontre la difficulté d’un calcul fiable et cite les divergences de vue selon les auteurs4.

4 Jean-Jacques Arzalier, « Les campagnes de mai-juin 1940, les pertes, dans Christine Levisse-Touzé, la Campagne de 1940, actes du colloque du 16-18 novembre 2000, Tallandier, 2001. p. 427

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La bataille de France d’après Vingt cinq ans de combats de l’armée française, 1938-1962. 5ASAF

La défaite française est consommée le 22 juin. La signature de l’armistice met fin à une débâcle incompréhensible. Les Allemands l’ont emporté parce qu’ils ont su concentrer des forces de combats aux endroits décisifs. Contrairement à ce que l’on peut croire, l’armée française n’était pas en retard d’une guerre, ni même mal préparée. Plusieurs combats, dont celui de Stonne, démontrent la supériorité du Char Renault 21 sur le Panzer MkIV. Gamelin avait mis en place les conditions d’une bataille méthodique avec logique, raison et soucis de l’économie de la vie humaine. De plus, il était tributaire des lois de 1927 et 19285 qui portent sur l’organisation, le recrutement et la constitution des cadres et effectifs pour l’armée. Ces lois mettaient en place une armée embryonnaire de temps de paix devant se gonfler à la mobilisation et former une masse combattante pour une bataille décisive. Si bien que la drôle de guerre est bien venue et n’inquiète pas l’état-major. Au contraire, le temps laisse aux Français la capacité d’organiser une armée de masse de dissuasion. Cependant, la réflexion militaire est tellement poussée qu’on envisage pas la possibilité d’être surpris et la priorité stratégique fait négliger la tactique et l’emploi concerté des différentes armes (aviation, infanterie et blindée). Enfin l’armée française souffre cruellement d’un manque de doctrine de l’armement motorisé et blindé dans une guerre de mouvement. Les Allemands, quant à eux, sont surpris par leur succès. Karl-Heinz Frieser précise : « On a donc assisté à une combinaison étrange et quelque peu surréaliste de confusion, d’improvisation, d’occasions saisies…et d’ordres non suivies. Hitler et la plupart des membres de son état-major n’ont en effet jamais compris la véritable nature de la guerre industrielle moderne : de Dunkerque à

5 Journal Officiel, Lois et décrets ( 14 juillet 1927) pp 7266-7270 et (3 avril 1928) pp 3792-3825.

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Barbarossa, toutes les erreurs sont là pour le prouver 6». L’idée même de Blitzkrieg n’est qu’une vue à posteriori des historiens. Seule 10% de l’armée allemande est correctement équipée. L’essentiel des troupes est hypo-tracté. L’état-major ne pensait pas gagner cette campagne et la percée de Von Manstein avait été écartée par l’état-major. C’est Guderian qui désobéit et prend le risque d’un mouvement qui, par la suite, aura sa dynamique propre et surprendra les troupes françaises désorientées et les chefs incapables de réagir à l’imprévisible puisque « tout avait été prévu ». Cependant, même si le général Delmas conteste cette car les Allemands avaient bel et bien un équipement adapté à leur stratégie7. La victoire allemande résulte bien d’une surprise initiale foudroyante plaçant la meilleure armée du monde dans l’impossibilité de réagir.

Une étrange défaite donc, a plus d’un titre.

Archives départementales de l’Aube ED 18

L’occupation allemande commence… une image humiliante.

6 Karl-Heinz Frieser, « la légende de la Blitzkrieg », Maurice Vaïsse, Défaite française, victoire allemande, sous l’œil des historiens étrangers, Autrement-CHED, 2000, p. 75 7 Voir pour cela Général Delmas, « la manœuvre générale, surprise allemande, défaite française dans Christine Levisse-Touzé, La Campagne de 1940, actes du colloque du 16-18 novembre 2000, Tallandier, 2001.

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Fond Marcus. Archives départementales de l’Aube 37 fi 39 01

ANNEXES

Les lieux de mémoire de la débâcle de 1940 dans l’Aube Commune Type Dédicace Marcilly le Hayer Jessains Saint-Parres aux Tertres Bar sur Aube

Calvaire Stèle Stèle Stèle

Aux soldats Blazer Robert et Bernagou Paul, fusillé par les Allemands le 14 juin 1940 Au Sergent René Durand MPF le 15 juin 1940 Au s/lieut. Michel Taittinger et aux 11 soldats et gradés MPF au pont de « Foicy » le 15 juin 1940 Aux 2 soldats du 509ème RCC tués le 15 juin 1940

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Villemereuil Sommeval Nogent sur Aube Saint Nabord sur Aube Montsuzain Arcis sur Aube Nogent sur Aube Troyes

Plaque Plaque Stèle Monument Stèle Plaque Monument Plaque

Aux 6 soldats du 361ème RALP MPF le 14 juin 1940 A la mémoire du général Billotte MPF le 23 mai 1940 à Ypres Aux 39 soldats du 608ème Rég. De Pionniers MPF le 14 juin 1940 Aux 39 soldats du 329ème RI MPF le 15 juin 1940 Aux 75 combattants du 41ème BCC MPF le 15 juin 1940 Aux 70 victimes civiles du 13 juin 1940 Aux victimes du bombardement du 13 juin 1940 A Victor Guillaume victime de guerre le 23 juillet 1940

Analyse d’un document essentiel

CONVENTION D’ARMISTICE ENTRE LA FRANCE ET L’ALLEMAGNE M. le colonel-général Keitel chef du Haut Commandement de l’armée allemande, mandaté par le Führer du Reich allemand et commandant suprême des Forces armées allemandes, d’une part, et M. le général d’armée Huntzinger, M. L’ambassadeur de France Léon Noël, M. le vice-amiral Leluc et M. le général d’aviation Bergeret, Mandatés par le gouvernement français et munis des pleins pouvoirs, d’autres part, ont convenu de la Convention d’armistice suivante : Article premier.- Le gouvernement français ordonne la cessation des hostilités contre le Reich allemand, sur le territoire français, comme sur les possessions coloniales, protectorats et territoires sous mandat et sur les mers. Il ordonne que les troupes françaises déjà encerclées par les troupes allemandes déposent immédiatement les armes. Art.2.- Pour assurer les intérêts du Reich allemand, le territoire français situé au nord et à l’ouest de la ligne tracée sur la carte ci-annexée sera occupé par les troupes allemandes. Les territoires qui ne

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sont pas encore aux mains des troupes allemandes seront immédiatement occupés après la conclusion de la présente convention. Art.3.- Dans les régions françaises occupées, le Reich allemand exerce tous les droits de la puissance occupante. Le gouvernement français s’engage à faciliter par tous les moyens les réglementations et l’exercice de ces droits ainsi que l’exécution avec le concours de l’administration française. Le gouvernement français invitera immédiatement toutes les autorités et tous les services administratifs français du territoire occupé à se conformer aux réglementations des autorités militaires allemandes et à collaborer avec ces dernières d’une manière correcte. Le gouvernement allemand a l’intention de réduire au strict minimum l’occupation de la côte occidentale après la cessation des hostilités avec l’Angleterre. Le gouvernement français est libre de choisir son siège dans le territoire non occupé ou, s’il le désire, de le transférer à Paris. Dans ce dernier cas, le gouvernement allemand s’engage à accorder toutes les facilités nécessaires au gouvernement et à ses services administratifs centraux afin qu’il soit en mesure d’administrer de Paris les territoires occupés et non occupés. Art.4.- Les forces françaises sur terre, sur mer et dans les airs devront être démobilisées et désarmées dans un délai encore à déterminer. Sont exemptes de ces obligations les troupes nécessaires au maintien de l’ordre intérieur. Leur importance et leur armement seront déterminés respectivement par l’Allemagne et par l’Italie. Les forces armées françaises stationnées dans les régions qui devront être occupées par l’Allemagne seront rapidement transportées en territoire non occupé et seront démobilisées. Avant leur repli en territoire non occupé ces troupes déposeront leurs armes et leur matériel aux endroits où elles se trouvent au moment de l’entrée en vigueur de la présente convention. Elles seront responsables de la remise régulière du matériel et des armes aux troupes allemandes. Art.5.- Comme garantie de la stricte observation des conditions de l’armistice, il pourra être exigé que toutes les pièces d’artillerie, les chars de combat, les engins antichars, les avions militaires, les canons de la DCA, les armes d’infanterie, tous les moyens de traction et les munitions des unités de l’armée française engagées contre l’Allemagne soient livrés en bon état. La commission allemande d’armistice décidera de l’étendue de ces livraisons. Il peut être renoncé à la livraison d’avions militaires si tous les avions encore en possession des armées françaises sont désarmés et mis en sécurité sous le contrôle allemand. Art.6.- Les armes, munitions et matériel de guerre de toute espèce restant en territoire français non occupé - dans la mesure où ceux-ci n’auront été laissés à la disposition du gouvernement français pour l’armement des unités françaises autorisées – devront être entreposés ou mis en sécurité respectivement sous contrôle allemand ou sous contrôle italien. Le Haut Commandement allemand se réserve le droit d’ordonner à cet effet toutes les mesures nécessaires pour empêcher l’usage abusif de ce matériel. La fabrication de nouveau matériel de guerre en territoire non occupé devra cesser immédiatement. Art.7. – Toutes les fortifications terrestres et côtières, avec leurs armes, munitions et équipements, les stocks et les installations de toute origine se trouvant dans les régions à occuper devront être livrés en bon état. Devront être remis, en outre, les plans de ces fortifications ainsi que les plans de celles déjà prises par les troupes allemandes. Tous les détails sur les emplacements minés, les barrages de mines, les fusils à retardement, les barrages chimiques, etc., sont à remettre au Haut Commandement

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allemand. Ces obstacles devront être enlevés par les forces françaises sur la demande des autorités allemandes. Art.8.- La flotte de guerre française - à l’exception de la partie qui est laissée à la disposition du gouvernement français pour la sauvegarde de ses intérêts dans l’empire colonial - sera rassemblée dans des ports à déterminer et devra être démobilisée et désarmée sous le contrôle respectif de l’Allemagne et de l’Italie. La désignation de ces ports sera faite d’après les ports d’attache des navires en temps de paix. Le gouvernement allemand déclare solennellement au gouvernement français qu’il n’a pas l’intention d’utiliser pendant la guerre, à ses propres fins, la flotte de guerre française stationnée dans les ports sous contrôle allemand, sauf les unités nécessaires à la surveillance des côtes et au dragage des mines. Il déclare en outre solennellement et formellement qu’il n’a pas l’intention de formuler de revendications à l’égard de la flotte de guerre française lors de la conclusion de la paix. Exception faite de la partie de la flotte de guerre française à déterminer qui sera affectée à la sauvegarde des intérêts français dans l’empire colonial, tous les navires de guerre se trouvant en dehors des eaux territoriales françaises devront être rappelés en France. Art.9.- Le haut Commandement français devra fournir au Haut Commandement allemand des indications précises sur toutes les mines posées par la France, ainsi que tous les barrages de mines dans les ports et en avant des côtes ainsi que sur les installations militaires de défense et de protection. Le dragage des barrages de mines devra être effectué par les forces françaises dans la mesure où le Haut Commandement allemand l’exigera. Art.10.- Le gouvernement français s’engage à n’entreprendre à l’avenir aucune action hostile contre le Reich allemand avec aucune partie des forces armées qui lui restent ni d’aucune autre manière. Le gouvernement français empêchera également les membres des forces armées françaises de quitter le territoire français et veillera à ce que ni des armes ni des équipements quelconques, ni navires, avions, etc., ne soient transférés en Angleterre ou à l’étranger. Le gouvernement français interdira aux ressortissants français de combattre contre l’Allemagne au service d’Etats avec lesquels l’Allemagne se trouve encore en guerre. Les ressortissants français qui ne se conformeraient pas à cette prescription seront traités par les troupes allemandes comme francs-tireurs. Art.11.- Jusqu’à nouvel ordre, il sera interdit aux navires de commerce français de tous genre, y compris les bâtiments de cabotage et les bâtiments de port, se trouvant sous le contrôle français, de sortir des ports. La reprise du trafic commercial est subordonnée à l’autorisation préalable respective du gouvernement allemand ou du gouvernement italien. Les navires de commerce français se trouvant en dehors des ports français seront rappelés en France par le gouvernement français et, si cela est possible, ils seront dirigés sur des ports neutres. Tous les navires de commerce allemands arraisonnés se trouvant dans les ports français seront rendus en bon état, si la demande en est faite. Art.12.- Une interdiction de décollage à l’égard de tous les avions se trouvant sur le territoire français sera prononcée immédiatement. Tout avion décollant sans autorisation préalable allemande sera considéré par l’aviation militaire allemande comme un avion ennemi et sera traité comme tel.

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Les aérodromes et les installations terrestres de l’aviation militaire en territoire non occupé seront placés respectivement sous le contrôle allemand ou italien. Il peut être exigé qu’on les rende inutilisables. Le gouvernement français est tenu de mettre à la disposition des autorités allemandes tous les avions étrangers se trouvant en territoire non occupé ou de les empêcher de poursuivre leur route. Ces avions devront être livrés aux autorités allemandes. Art.13.- Le gouvernement français s’engage à veiller à ce que, dans les territoires à occuper par les troupes allemandes, toutes les installations, tous les établissements et stocks militaires soient remis intacts aux troupes allemandes. Il devra en outre veiller à ce que les ports, les entreprises industrielles et les chantiers navales restent dans l’état dans lequel ils se trouvent actuellement et à ce qu’ils ne soient endommagés d’aucune façon ni détruits. Il en est de même pour les moyens et voies de communication de toute nature, notamment en ce qui concerne les voies ferrées, les routes et voies navigables, l’ensemble des réseaux télégraphiques et téléphoniques ainsi que les installations d’indication de navigabilité et de balisage des côtes. En outre, le gouvernement français s’engage, sur l’ordre du Haut Commandement allemand, à procéder à tous les travaux de remise en état nécessaires. Le gouvernement français veillera à ce que, sur le territoire occupé, soient disponibles le personnel spécialisé nécessaire et la quantité de matériel roulant de chemins de fer et autres moyens de communication correspondant aux conditions normales du temps de paix. Art.14.- Tous les postes émetteurs de TSF se trouvant en territoire français doivent cesser sur-le-champ leurs émissions. La reprise des transmissions par TSF dans la partie du territoire non occupé sera soumise à une réglementation spéciale. Art.15.-Le gouvernement français s’engage à effectuer le transport en transit des marchandises entre le Reich allemand et l’Italie, à travers le territoire non occupé dans la mesure requise par le gouvernement allemand. Art.16.- Le gouvernement procédera au rapatriement de la population dans les territoires occupés, d’accords avec les services allemands compétents. Art.17.- Le gouvernement français s’engage à empêcher tout transfert de valeurs à caractère économique et de stocks du territoire à occuper par les troupes allemandes dans le territoire non occupé ou à l’étranger. Il ne pourra être disposé de ces valeurs et stocks se trouvant en territoire occupé qu’en accord avec le gouvernement allemand, étant entendu que le gouvernement du Reich tiendra compte de ce qui est nécessaire à la vie des populations des territoires non occupés. Art.18.- Les frais d’entretien des troupes d’occupation allemandes sur le territoire français seront à la charge du gouvernement français. Art.19.- Tous les prisonniers de guerre et prisonniers civils allemands, y compris les prévenus qui ont été arrêté et condamnés pour des actes commis en faveur du Reich allemand, doivent être remis sans délais aux troupes allemandes. Le gouvernement français est tenu de livrer sur demande tous les ressortissants allemands désignés par le gouvernement du Reich et qui se trouvent en France, de même que dans les possessions françaises, les colonies, les territoires sous protectorat et sous mandat. Le gouvernement français s’engage à empêcher le transfert de prisonniers de guerre ou de prisonniers civils allemands de France dans les possessions françaises ou bien à l’étranger. Pour tout ce qui

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concerne les prisonniers déjà transférés hors de France, de même que les prisonniers de guerre allemands malades, inévacuables ou blessés, les listes exactes portant désignation de l’endroit de leur séjour doivent être présentées. Le Haut Commandement allemand s’occupera des prisonniers de guerre allemands : malades ou blessés. Art.20.- Les membres des forces armées françaises qui sont prisonniers de guerre de l’armée allemande resteront prisonniers de guerre jusqu’à la conclusion de la paix. Art.21.- Le gouvernement français est responsable de la bonne conservation de tous les objets et valeurs en bon état ou tenus à la disposition de l’Allemagne et stipulés dans la présente convention. Tout transfert à l’étranger est interdit. Le gouvernement français est responsable de toutes les actions contraires à la présente convention. Art.22.- Une commission d’armistice allemande agissant sous le contrôle du Haut Commandement allemand réglera et contrôlera l’exécution de la convention d’armistice. La commission d’armistice est en outre appelée à assurer la concordance nécessaire de cette convention avec la convention d’armistice italo-française. Le gouvernement français constituera au siège de la convention d’armistice allemande une délégation chargée de représenter les intérêts et de recevoir les ordres d’exécution de la commission allemande d’armistice. Art.23.- Cette convention d’armistice entrera en vigueur dès que le gouvernement français sera également arrivé avec le gouvernement italien à un accord relatif à la cessations des hostilités. La cessation des hostilités aura lieu 6 h après que le gouvernement italien aura annoncé au gouvernement du Reich la conclusion de cet accord. Le gouvernement du Reich fera connaître par radio ce moment au gouvernement français. Art.24.- La présente convention d’armistice est valable jusqu’à la conclusion du traité de paix. Elle peut être dénoncée à tout moment pour prendre fin immédiatement par le gouvernement allemand si le gouvernement français ne remplit pas ses obligations par lui assumées dans la présente convention. La présente convention d’armistice a été signée le 22 juin 1940 à 18 h 50, heure d’été allemande, dans la forêt de Compiègne. Signé : Général Keitel, Général Huntziger. L’armistice : Apparence et la réalité

L’APPARENCE : UN SUCCES POUR PÉTAIN

L’État français est reconnu, alors que les autres États européens avaient été plus ou moins mis à mal par HITLER, plus de souveraineté polonaise, tchécoslovaque, etc. La flotte française est préservée, HITLER ayant peut-être l’idée que cette flotte pouvait fuir sous les directives, entre autres, de MUSELIER. HITLER a tout intérêt à signer rapidement, en reconnaissant l’État français qui devient neutre. Il évite un gouvernement en exil ; il facilite la gestion du pays, les préfets français gérant le pays, en

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assurant la sécurité des troupes d’occupation. L’administration allemande est déchargée des tâches administratives. Pour la France, HITLER semble ménager les Français. Il n’a pas d’exigences territoriales, à part l’Alsace-Lorraine, ce qui est admis par les Français et semble modéré (dans Mein Kampf, le grand Reich s’arrête quand même au Rhône), Dans l’opinion, il semble que Vichy est vainqueur. Dès que PÉTAIN a parlé d’armistice, les troupes allemandes ont quitté Lyon. La réalité est autre. HITLER n’a pas du tout l’intention de faire des concessions à la France, mais, pour lui, la guerre n’est pas finie ; il y a encore les Anglais à vaincre. Dans l’esprit des Allemands, il faut gagner du temps. Ce qui est grave c’est que, d’un point de vue politique, les dirigeants de la IIIème République sont concurrencés par Paul REYNAUD qui peut encore reprendre le dessus si la négociation était longue. Les dirigeants de la IIIème République ont besoin, pour des raisons de politique intérieure, que la négociation aille vite et, par là, joue le jeu de HITLER, alors qu’il aurait été possible de prendre du temps en jouant les médiations. Le 22 juin, le Général HUNTZIGER signe, pour le gouvernement français, l’armistice avec les Allemands ; le 24 avec les italiens (les militaires italiens avec une certaine gêne ; ils étaient alliés avec les Français en 14-18). L’armistice entre en vigueur le 25 juin, à 0h30. C’est l’heure de gloire de PÉTAIN. Le 23 juin, l’ambassadeur britannique a quitté la France.

LA RÉALITÉ : LE TRIOMPHE DE HITLER

24 articles qui avaient une durée de validité « jusqu’à la conclusion d’un traité de paix », sous-entendu jusqu’à la fin de la guerre en Europe. Les clauses sont réparties en clauses militaires, économiques et politiques.

Les clauses militaires

?? Neutralisation du potentiel militaire français ; ?? Maintien d’une force de maintien de l’ordre – 100 000 hommes ; ?? Tous les plans des fortifications françaises doivent être remis à la Wermacht ;

?? Livraison d’une certaine quantité de matériel de guerre, canons, trains militaires, etc. ?? Les aérodromes français, surtout ceux du nord, sont sous contrôle allemand.

?? Pour la flotte, pas d’exigence majeure ; elle doit rejoindre ses ports d’attache et démobiliser, un

point que les Anglais vont relever, en indiquant leur méfiance par rapport à HITLER. Les clauses économiques

?? Le transit des marchandises ; liberté absolue du transit allemand en France, notamment vers l’Italie et tout le littoral ;

?? Les troupes d’occupation sont à la charge du gouvernement français (400 millions de francs par jour) ;

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?? Une surévaluation du mark.

En fait, HITLER a donné à ses troupes d’occupation un pouvoir absolu de réquisition. Les clauses politiques Elles sont carrément déshonorantes.

?? Livraison de tous les ressortissants allemands ayant fui le Reich ; ?? Pas de revendication territoriale ; cependant, il y a une zone occupée, une zone libre et

une zone réservée entre l’Alsace-Lorraine et la France du Territoire de Belfort à Mézières, une zone interdite autour de Laon. La France de 1940 est considérablement réduite, au sud d’une ligne Nantuat-Chalons-Bayonne, qui laisse seulement les côtes méditerranéennes à la France :

?? L’occupation est temporaire ; ?? L’administration française, en zone occupée, doit se soumettre aux réglementations des

autorités militaires allemandes et collaborer d’une manière correcte. À titre de précaution, les prisonniers de guerre sont considérés comme des otages politiques pour maintenir le gouvernement français.

Les clauses politiques sont dures, mais elles sont censées être de courte durée. Pour PÉTAIN, la France est sauvée et sort la tête haute. Comme il pense que les Anglais n’ont

pas les moyens de résister à l’armée allemande, la paix doit être signée très vite, alors que la « bonté » d’HITLER n’est liée qu’à une seule réalité : continuer la guerre.

CHURCHILL dira que c’est une erreur d’HITLER. Si HITLER avait décidé d’écraser la

France, il y aurait eu un gouvernement en exil et il aurait pu s’emparer de tout le littoral méditerranéen et débarquer en Afrique du nord.

Pour la France, cet armistice va être le cadre juridique de toute la relation franco-allemande

jusqu’à la fin de la guerre. Ce sera la cause essentielle de la politique de collaboration. L’engrenage va faire du régime de Vichy un état vassal du Reich allemand.

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Archives départementales de l’Aube ED 018.

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Les conséquences de l’armistice

Archives départementales de l’Aube ED 18 /42

CHRONOLOGIE ANNEE 1939 1ER septembre : L’Allemagne envahit la Pologne.

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3 septembre : La Grande Bretagne et la France déclarent la guerre à l’Allemagne . 7 septembre : L’armée française entre en SARRE. 17 septembre : Entrée des troupes russes en Pologne. 27 septembre : Capitulation de Varsovie. 16 octobre : Les troupes françaises se replient sur la ligne Maginot. 30 novembre : Après s’être imposée aux États Baltes, l’URSS attaque la Finlande. ANNEE 1940 12 mars : Le traité de Moscou consacre la victoire de l’URSS sur la Finlande. 21 mars : Paul Reynaud remplace Daladier comme Président du conseil. 9 avril : L’Allemagne occupe le Danemark et la Norvège. 14 avril : Débarquement allié en Norvège. 2 mai : Début du rembarquement allié de Norvège, suivi de la démission de

Chamberlain au profit de Churchill, le 10 mai. 10 mai : Les Allemands envahissent les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg. La

France lance l’opération Dyle. 13 mai : Percée allemande entre Namur et Sedan. 15 mai : Capitulation des Pays-Bas, percée de la ligne de la Dyle. 18 mai : Remaniement ministériel : le maréchal Pétain vice-président du Conseil. 19 mai : Weygand remplace Gamelin comme commandant en chef. Mise en place d’un

front continu sur l’Aisne et la Somme. 20 mai : Les panzers allemands atteignent la Manche. 24 mai : Hitler donne l’ordre à Guderian de s’arrêter devant Dunkerque, où s’est retiré le

corps britannique. 25 mai : La possibilité d’un armistice est soulevée au comité de la guerre. 26mai-6juin : Rembarquement de Dunkerque. 28 mai : Capitulation de la Belgique. 5 juin : Bataille de la Somme. 7 juin : Les fronts de l’Aisne et de la Somme sont percés. 9 juin : De Gaulle, sous secrétaire d’Etat à la guerre. Il se rend en Grande Bretagne. 10 juin : L’Italie déclare la guerre à la France. 12 juin : Repli général des armées françaises. 14 juin : Paris est occupée. 16 juin : Reynaud démissionne. 17 juin : Message du maréchal Pétain. 18 juin : Les Allemands sont sur la Loire. Appel du général de Gaulle. 22 juin : Armistice franco-allemand. 24 juin : Armistice franco-italien. 25 juin : Entrée en vigueur des deux armistices. 28 juin : De Gaulle est reconnu comme Chef de la France libre par le gouvernement

britannique. 3 juillet : Évacuation sur ordre de la ligne Maginot.

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Sources utilisées pour la constitution de ce dossier : Barcellini Serge, Jay Danien-Jean, La guerre de 40 (3 septembre 1939-11 juillet 1940) Dossier documentaire réalisé par le Secrétariat d’État chargé des Anciens combattants et des victimes de guerre. Chaix (Général B.), « Les Ardennes en mai 1940 : mythes et réalités », dans Revue Historique des Armées, n°219, juin 2000. Corvisier André, Histoire militaire de la France, tome 3, Paris, PUF. Levisse-Touzé Christine, La Campagne de 1940, actes du colloque du 16-18 novembre 2000, Tallandier, 2001. Vaïsse Maurice (dirigé par.), Mai-juin 1940 : Défaite française, victoire allemande, sous l’œil des historiens étrangers, Collection Mémoire n°62, Ed. Autrement-CHED, 2000. Les combats de l’armée française- septembre 1939-juin 1940, Ministère de la défense, DMPA, 2001. Dossier « L’Europe en guerre Septembre 1939-juin 1940 » dans Historiens et Géographes, n°328, juillet/août 1990. Remerciement aux Archives départementales de l’Aube.

Christian Lambart