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La dlibration et le subjonctif dlibratifLa dlibration et le subjonctif dlibratifLa dlibration et le subjonctif dlibratifLa dlibration et le subjonctif dlibratif
dans la prose grecque classiquedans la prose grecque classiquedans la prose grecque classiquedans la prose grecque classique1111 Richard Faure
Universit de Nice-Sophia Antipolis
UMR 7320 (Bases, Corpus, Langage)
Paru dans Syntaktika 43, http://www.openedition.org/10411
Abstract
In this paper, I argue in favor of the existence of a deliberative speech act separate
from the act of asking an informative question: deliberative questions have a directive
speech act as an answer. First I study the questions in the so-called deliberative subjunctive.
I then analyze the indirect deliberative speech acts with forms such as optative + , future
indicative, verbal adjective in -, modal verbs of obligation (, ). Finally, I propose a
new view of the links between the interrogative on one hand and the assertive and directive
speech acts on the other hand.
Rsum
Dans cet article, je dfends lexistence dun acte de langage dlibratif indpendant de
lacte de poser une question informative : les questions dlibratives ont pour rpliques un
acte de langage directif. Tout dabord, jtudie les questions au subjonctif dit dlibratif.
Janalyse ensuite les actes de langage dlibratifs indirects qui comportent des formes telles
que loptatif + , lindicatif futur, ladjectif verbal en -, les verbes modaux dobligation
(, ). Enfin, je propose une nouvelle faon de dcrire le rapport de lacte interrogatif
avec les actes de langage que sont les actes assertifs et directifs.
1 1 1 1 IntroducIntroducIntroducIntroductiontiontiontion
1.1 1.1 1.1 1.1 Le corpusLe corpusLe corpusLe corpus
Cet article est une analyse de lacte de dlibration et de son expression linguistique
en grec classique travers ltude des questions dlibratives, et notamment des questions
dlibratives au subjonctif. Cette analyse a t mene sur la Rpublique de Platon, soit un
corpus de 1694 interrogatives (directes et indirectes). Sur ces 1694 interrogatives, 90 (77
directes et 13 indirectes) ont t considres comme dlibratives, selon des critres que
lon a dduit de ltude des questions au subjonctif dlibratif (section 2). Le corpus a t
largi pour ltude du subjonctif dlibratif dans deux directions. Pour les interrogatives
directes il a t tendu dautres dialogues de Platon (Euthyphron, Apologie de Socrate, Criton,
1 Les remarques faites par Camille Denizot ont profondment amlior cet article. Quelle en soit remercie ici.
Je suis bien entendu responsable de toutes les erreurs et inexactitudes restantes.
2
Phdon, Cratyle, Thtte, Sophiste, Politique, Parmnide, Philbe, Banquet, Phdre, Alcibiade I et II,
Hipparque2), soit au total 129 interrogatives dlibratives avec un subjonctif dlibratif (109 +
20 dans la Rpublique). Pour les interrogatives indirectes (plus rares), le corpus a t largi
ces dialogues platoniciens augments du Protagoras, du Gorgias ; de lAnabase et de la
Cyropdie de Xnophon et des 21 premiers discours de Dmosthne, soit 37 occurrences au
total (32 + 5 de la Rpublique). Ce corpus est intgralement donn dans lAnnexe 2 et
prsent de faon synthtique dans le tableau 1.
Tableau 1 : relevs chiffrs des interrogatives dlibratives
RpubliqueRpubliqueRpubliqueRpublique
Corpus largi Corpus largi Corpus largi Corpus largi
interrogatives interrogatives interrogatives interrogatives
directes au directes au directes au directes au
subjonctifsubjonctifsubjonctifsubjonctif
Corpus largi Corpus largi Corpus largi Corpus largi
interrogatives interrogatives interrogatives interrogatives
indirectes indirectes indirectes indirectes au au au au
subjonctifsubjonctifsubjonctifsubjonctif
TotalTotalTotalTotal
Interrogatives Interrogatives Interrogatives Interrogatives
dlibrativesdlibrativesdlibrativesdlibratives 90 109 32 231
Interrogatives Interrogatives Interrogatives Interrogatives
dlibratives sans dlibratives sans dlibratives sans dlibratives sans
subjonctifsubjonctifsubjonctifsubjonctif
65 (dont 8
indirectes) * * 65
Interrogatives Interrogatives Interrogatives Interrogatives
dlibratives au dlibratives au dlibratives au dlibratives au
subjonctifsubjonctifsubjonctifsubjonctif
25 (dont 5
indirectes) 109 32 166
En dpit des apparences, la dlibration nest pas moins prsente dans les
interrogatives indirectes (6,2% contre 5,3% des interrogatives directes dans la Rpublique),
mais les interrogatives indirectes sont beaucoup moins nombreuses que les directes, ce qui
explique la diffrence pour les chiffres absolus (225 contre 1469 directes dans la Rpublique).
1.2 1.2 1.2 1.2 La dlibrationLa dlibrationLa dlibrationLa dlibration
Les questions (ou actes dinterrogation) sont considres comme des demandes
dassertion adresses un interlocuteur (Searle 1972 ; Kerbrat-Orecchioni 2001 : chapitre 4).
Elles prennent le plus souvent la forme dune phrase interrogative. La raction attendue de
linterlocuteur est lapport dune information, sous forme dune phrase assertive,
ventuellement elliptique (rduite au seul focus) comme en (1).
(1) a. Quelle heure est-il ?
b. (Il est) 12h45.
2 Le relev dans ce corpus a t ralis partir des donnes du LASLA et grce un programme informatique
ralis par Grald Purnelle. Quil en soit remerci ici.
3
ct de cela, on considre que les phrases interrogatives peuvent aussi vhiculer des
actes de langage autres que la question, ce quon appelle dordinaire des actes de langage
indirects, comme dans le clbre peux-tu me passer le sel ? qui formule dans la plupart
des situations une requte et non une demande dinformation. Bien quelles vhiculent un
acte de langage indirect autre quune question, ces interrogatives peuvent recevoir une
rponse. Celle-ci est assertive. Ainsi (2)a est une interrogative vhiculant une injonction
(reformulable sous la forme que quelquun vienne maider) et a (2)b pour rponse.
(2) a. Personne ne viendra maider ?
b. Si, moi, je viendrai taider.
Mais il est une autre catgorie de phrases interrogatives qui ne sont pas des actes de
langage indirects et nappellent pas non plus de rponse assertive. Ce sont les questions
dites dlibratives , illustres par le bref dialogue en (3) (b est la rponse a, a et b sont
des variantes, non exactement quivalentes, respectivement de a et de b).
(3) a. Que dois-je faire ?
a. Que faire ?
b. Partir.
b. Pars.
Ce genre de questions appelle une rponse ou une rplique3 de linterlocuteur qui nest pas
une assertion, mais un acte directif4 (direct pour (3)b, indirect pour (3)b, si l'on restitue
(tu dois) partir ). Cette spcificit a t note depuis longtemps, notamment par les
philosophes du langage (voir Wheatley 1955, Mayo 1956), mais aussi par des linguistes
comme Huddelston (1994 : 435) :
Comme ces rponses ont la force [illocutoire] dacte directif plutt que dassertion, on ne peut
valuer leur valeur de vrit : ainsi on ne peut pas dire que la bonne rponse une
question directive [= dlibrative] est celle qui est vraie. Souvent, le problme de ce quest
la bonne rponse une question directive est pragmatiquement triviale5, 6. (cest nous qui
soulignons)
3 Nous prfrerons dans la suite ce terme qui est plus englobant pour dsigner la raction de linterlocuteur
une question le terme de rponse, qui a une connotation informative et ne convient pas ncessairement un
acte directif. 4 Remarque dj prsente chez Khner-Gerth (1904 : 536). 5 As these answers have the force of directives rather than statements, they cannot be assessed as true or
false: the right answer to a direction question thus cannot be said to be the one that is true. Often the issue of
what is the right answer to a direction question is pragmatically trivial. 6 Schwyzer-Debrunner (1966 : 318) parlent de questions laquelle on nattend pas de rponse. En fait, on
nattend pas de rponse informative.
4
Dun point de vue pragmatique, ces questions semblent vhiculer un acte de
dlibration, cest--dire lexpression dune rflexion sur le bien-fond dune action7.
Toutefois, cette formulation est suffisamment imprcise pour que beaucoup dnoncs
puissent tre vus comme des actes de dlibration. Or il se trouve que certaines langues
disposent dune forme spcifique pour exprimer cet acte. Cest le cas du grec et de son
subjonctif dit dlibratif . Lemploi de ce subjonctif dlibratif en phrase interrogative
recouvre un acte plus prcis que celui dfini ci-dessus, notamment en termes nonciatifs.
Une diffrence majeure avec le franais est que le grec ignore les interrogatives linfinitif8
et doit toujours prciser la personne concerne. Nous verrons quil sagit de la premire
personne (du singulier ou du pluriel). Les quelques exceptions ne sont quapparentes
comme il ressortira de lanalyse.
Ces spcificits des questions dites dlibratives par rapport aux autres questions
(rplique par un acte directif, emploi dun mode spcifique) nous amnent nous demander
quelle est la place de la dlibration dans les actes de langage. Nous adopterons une
dmarche proche de celle de Searle 1972, Searle et Vanderveken 1985, Vanderveken 1988
pour dterminer sil sagit dun acte de langage part entire (question laquelle nous
rpondrons positivement). Pour cela, il faudra voir quelles sont les conditions de flicit qui
singularisent la dlibration.
Le problme est compliqu par la prsence dinterrogatives qui prsentent toutes les
particularits nonciatives des interrogatives au subjonctif dlibratif, mais avec une forme
verbale autre quun subjonctif. Peut-on parler dacte de langage dlibratif direct pour les
interrogatives au subjonctif et indirect dans les autres cas ? Plus largement, cette tude
constitue une rflexion sur lacte dinterrogation, dont on verra que la dlibration est une
des deux branches. Cest pourquoi ltude des rpliques ces questions sera un des points
cruciaux de notre mthode.
Il convient dans un premier temps danalyser de prs la forme prototypique de
linterrogative dlibrative : celle qui contient un subjonctif dlibratif afin de dgager les
principales caractristiques de la dlibration (sections 2 (interrogatives directes) et 3
(interrogatives indirectes)). Dans un second temps, on sintresse aux autres formes de la
7 Selon le trsor de la langue franaise informatis (http://atilf.atilf.fr/), dlibrer cest examiner, peser tous
les lments d'une question avec d'autres personnes, ou ventuellement en soi-mme, avant de prendre une
dcision, pour arriver une conclusion . 8 Dans une tude typologique, H.-M. Grtner (2008, 2009) a propos une hypothse sduisante pour expliquer
pourquoi les langues admettent ou non un infinitif dans les interrogatives. Pour cela, il part des interrogatives
indirectes. Selon lui, si le systme pronominal dune langue L ne prsente pas dambigut solide entre les
indfinis et les interrogatifs, alors L peut avoir des interrogatives indirectes infinitives. En revanche, dans le
cas inverse, la langue na pas dinterrogatives infinitives. Ainsi en allemand, la proposition waswaswaswas zu lesen dans la
phrase Ich versuche waswaswaswas zu lesen signifie lire quelque chose. Si lallemand possdait des interrogatives
infinitives, elle pourrait aussi signifier quoi lire. Cela fait la mme prdiction pour le grec ancien (qui fait
partie de son corpus) et elle est vrifie en raison de lhomonymie entre (indfini) et (interrogatif), qui
ne diffrent que par laccent.
5
dlibration (section 4). Enfin, on revient sur le problme des actes de langage et des
rpliques spcifiques quappelle lacte de langage dlibratif.
2 2 2 2 Le subjonctif dlibratifLe subjonctif dlibratifLe subjonctif dlibratifLe subjonctif dlibratif
Dans cette section, nous tentons de voir quelles sont les particularits de la
dlibration partir des caractristiques des interrogatives au subjonctif dlibratif, prises
comme formes prototypiques (car non ambigus) de la dlibration. On prend comme point
de dpart les remarques des grammaires et des ouvrages de rfrence sur les modes.
2222.1 .1 .1 .1 Les caractristiques des interrogatives au subjonctif dlibratifLes caractristiques des interrogatives au subjonctif dlibratifLes caractristiques des interrogatives au subjonctif dlibratifLes caractristiques des interrogatives au subjonctif dlibratif
Le cur des remarques prsentes dans les grammaires est bien rsum dans ce
passage de Humbert (1972) :
Le subjonctif dlibratif pose une question que la personne se pose elle-mme sur
l'opportunit de ses propres dmarches : elle sapplique moi et nous (ou des
quivalents de premires personnes). (Humbert 1972 : 114, 183)
partir de cet emploi, diverses nuances peuvent sexprimer. Pour J. Humbert, le
subjonctif dlibratif est particulirement propre exprimer l'indignation ou le
dcouragement, pour Khner et Gerth (dsormais KG) (1898 : 221, 394.6) la rsistance,
ltonnement ou lironie (Unwille, Verwunderung, Ironie) ; pour Schwyzer-Debrunner (1966),
les questions o il apparat sont des questions de rflexion, doute, rsistance, tonnement
(berlegende, zweifelde, unwillige, verwunderte (Selbst-)Fragen). On retrouve certaines nuances
dans lexemple le plus cit dans les grammaires (4)9, qui indique lhsitation du chur.
Le Chur hsite rvler Crse que son mari est parti avec Ion
(4) ; (E. Ion 758)
Devons-nous parler ou nous taire ? Quallons-nous faire ?
Cest pourquoi on donne diffrents noms au subjonctif dlibratif : dubitativus,
indignantis, interrogatif, mode des questions dappel. Pour certains, ces noms ne
caractrisent quune partie des emplois du subjonctif dlibratif. Pour dautres, ils sont
interchangeables. Dans lensemble, ils ne font que signaler des effets de sens, mais ne sont
pas applicables toutes les interrogatives au subjonctif dlibratif. Pour prciser les
proprits des noncs avec subjonctif dlibratif, il faut regarder de plus prs leurs
caractristiques linguistiques. Voici ce que lon trouve dans les diffrentes grammaires du
9 Les traductions sont miennes. Les abrviations sont celles du dictionnaire de Liddell, Scott et Jones, mis
part pour Eschyle, abrg Esch.
6
grec10. Pour les caractristiques qui ne font pas lunanimit, on a prcis entre parenthses
le nom de la grammaire qui la propose.
2.1.1 2.1.1 2.1.1 2.1.1 SyntaxeSyntaxeSyntaxeSyntaxe
Voici les trois caractristiques syntaxiques des interrogatives au subjonctif dlibratif
que lon trouve dans les grammaires :
Le subjonctif dlibratif se trouve dans toutes les sortes dinterrogatives (totales
ex. (4), partielles ex. (5) et alternatives ex. (6)).
La ngation est (ex. (7)).
En subordonne, la transposition loptatif oblique en contexte pass est
possible (ex. (19)).
La dfinition du ne convient pas
(5) , , ; (Pl. R. 334e9)
Et maintenant, dis-je, comment faire pour la changer ?
(6)
; (Pl. Cra. 429a2)
Devons-nous donc dire que ce mtier (faire des lois) est n aussi chez les hommes,
comme les autres mtiers, ou non ?
Les penses des hommes prennent souvent la forme de texte crit ou dimages
(7)
, ,
; (Pl. Phlb. 40b4)
Parmi celles-ci, pouvons-nous dire que la plupart du temps, ce qui est dpeint se
prsente comme vrai aux hommes bons, parce quils sont aims des dieux, tandis que cest
la plupart du temps le contraire pour les hommes mauvais, ou bien ne pouvons-nous pas le
dire ?
2.1.2 2.1.2 2.1.2 2.1.2 SmantiqueSmantiqueSmantiqueSmantique
10 Les grammaires examines sont (dans lordre chronologique de parution)
Goodwin (1889 : 98-101, 287-289 et 292).
KG (1898 : 221, 394.6 ; 234 396.5) et (1904 : 536, 590).
Smyth (19562 : 405, 1807 et 1809 ; 600, 2662 ; 605-606, 2677-2679).
Humbert (19723 : 114, 183 ; 240, 391 ; 244, 400).
Schwyzer-Debrunner (19663 : 318).
Adrados (1992 : 526-527).
Cooper (1998 : 651, 53.7.2 ; 677-679, 54.2.3 ; 679, 54.2.4 et 54.2.5 ; 686, 54.3.8 ; 710-711, 54.7.0 et
54.7.1).
7
Cest sur la valeur smantique du subjonctif dans les interrogatives que lon trouve le
plus de divergences. On a parfois class le subjonctif dlibratif comme troisime emploi
fondamental du subjonctif ct du subjonctif dordre et du subjonctif prospectif. Cela
prouve la difficult que lon a lexpliquer. Une autre dmarche a consist ramener les
deux autres emplois du subjonctif une valeur fondamentale (la volont pour Delbrck
1871 ; le futur pour Hahn 1953), puis y rattacher le subjonctif dlibratif. Il a parfois t
considr comme une combinaison des deux valeurs (Adrados 1992).
Linterprtation dcoule de linsertion dun subjonctif volitif (aussi appel
hortatif ; exhortatif ; dordre) dans une question.
Ce subjonctif est la fois volitif et prospectif (Adrados).
Demande une rplique qui soit plutt un ordre (KG).
Souvent, il ny a pas de rplique attendue11 (Schwyzer : Fragen, auf die oft keine
Antwort erwartet wird ).
En ralit, il est plus facile de comprendre le subjonctif dlibratif si lon part de sa
place dans le champ de la modalit en grec ancien. En effet, le subjonctif est un mode qui se
comprend par rapport aux deux autres modes que sont lindicatif et loptatif. En tant que
mode, il est le reflet dune ou plusieurs modalits. Avec J. Lyons (1990), nous distinguerons
la modalit pistmique (subjective et objective12), qui indique le point de vue sur la valeur
de vrit de lnonc, et la modalit dontique, qui indique le point de vue sur la ralisation
du contenu propositionnel de lnonc. Les deux valeurs reconnues au subjonctif en grec
classique13 relvent chacune dune de ces deux modalits : la valeur prospective correspond
la modalit pistmique ; la valeur volitive la modalit dontique. Lunit du mode
subjonctif tient la force de la modalit relativement celle exprime par les deux autres
modes, indicatif/impratif et optatif (dans le mme sens voir Lyons 1990 : 433-436). Dans le
cadre de la modalit pistmique, le subjonctif indique que la ralisation du procs est
probable (elle est prsente comme certaine avec lindicatif, comme possible avec
loptatif14). Dans le cadre de la modalit dontique, il indique que le procs peut/doit tre
ralis, mais de faon moins contraignante que dans un nonc limpratif, et plus
contraignante que dans un nonc loptatif15.
11 Voir la citation de Huddelston en introduction. 12 Difficile distinguer de la modalit althique selon Lyons (1990 : 417). 13Il ne semble pas que lon puisse soutenir cela pour le grec homrique o la frontire avec lindicatif futur est
moins nette (voir Hahn 1953 ; Chantraine (1953 : 309)). 14Cela se lit par exemple dans les systmes conditionnels : + indicatif prsente la ralisation du procs
comme plus certain que + subjonctif, lui-mme plus certain que + optatif (pour cette chelle voir louvrage
de G. Wakker 1994). 15 En ralit, cela nest pas aisment dmontrable, car le subjonctif et limpratif sont en rpartition
complmentaire dans lexpression des actes directifs. Le subjonctif (aoriste) ne sert gure qu la dfense.
8
Le subjonctif dlibratif est rapprocher de la modalit dontique. En effet, il forme
un couple avec le subjonctif volitif comme dans lextrait de la Rpublique en (8) qui prsente
une paire question/rplique au subjonctif.
(8) a. .
b. . . (Pl. R. 444a8-9)
a. Pouvons-nous donc le dire (que nous avons trouv la dfinition de ltat juste) ?
b. Disons-le.
La possibilit de rpliquer avec un modal dobligation va dans le mme sens (ex. (9)).
(9) a. . ,
;
b. . . (Pl. R. 559a8-10)
a. Devons-nous choisir un exemple de ce quest chacun dentre eux (les dsirs) pour
que nous les saisissions dans les grandes lignes ?
b. Il le faut.
Dans un article de 1995, A. Revuelta-Puigdollers montre que le subjonctif dlibratif
couvre tout le champ de la modalit dontique16 : permission/interdiction,
obligation/absence dobligation. Il tire cette conclusion dune analyse smantique et des
diffrentes gloses du subjonctif dlibratif que lon trouve dans les textes. Ainsi, le
subjonctif dlibratif peut tre glos par un verbe P2 comme ordonner suivi dun
infinitif qui a un sujet rfrent au locuteur, ce qui montre sa capacit exprimer
lobligation et linterdiction, ou un verbe comme laisser, permettre, en rapport avec
lexpression de la permission/interdiction. Il en va de mme avec les modaux comme
/ falloir ou + infinitif pouvoir. Ses rsultats sont rsums dans le tableau 2,
adapt de Revuelta (1995 : 85).
On peut mme compliquer le tableau en considrant quil faut prendre en compte
davantage de nuances. Cela donne pour rsultat le tableau 3 (le tableau 4 est une glose du
tableau 3 avec les verbes modaux). Toutefois, il nest pas sr que tout soit sur le mme plan.
Toutefois, le fait que limpratif soit la forme prototypique des actes directifs alors que le subjonctif ny est
employ que marginalement va bien dans le sens dune diffrence de force. En dehors des actes directifs, le
subjonctif peut tre utilis, notamment P4, dans lexhortation, qui nest pas contraignante. Limpratif sert
bien formuler dautres actes de langage, mais ce nest pas sa fonction premire. Sur ces points, nous
renvoyons ltude de C. Denizot (2011) qui a un point de vue plutt diffrent du ntre et se place sur le plan
de lnonciation et non sur celui de la modalit.
Les rares emplois de loptatif de souhait qui peuvent tre compris comme directifs relve de lacte de langage
indirect. Dans le cadre de la modalit dontique, loptatif + ne connat gure que lemploi de la permission
(sur ce point, notre analyse diffre de celle de C. Denizot, qui rattache les optatifs + quelle tudie la
modalit pistmique). 16 Pour une discussion du point de vue de la philosophie du langage, voir Wheatley (1955).
9
Obligation et permission sont des notions plus fondamentales comme le montre lemploi
rcurrent des verbes devoir et pouvoir dans le tableau 4. Ainsi, la non exemption et
lobligation ou la non prohibition et la permission apparaissent comme des notions
intuitivement proches. Limportant est de voir le champ des nuances que peuvent recouvrir
et la modalit dontique et le subjonctif dlibratif et le recoupement entre les deux.
Tableau 2 : le subjonctif dlibratif comme expression de la modalit dontique
(notions)17 (1)
Subjonctif dlibratif au positif
Permission Prohibition
Obligation Exemption
Subjonctif dlibratif ni
Tableau 3 : le subjonctif dlibratif comme expression de la modalit dontique
(notions) (2)
Subjonctif dlibratif au positif
Permission/Interdiction Prohibition/Non
prohibition
Obligation/Non
obligation Exemption/Non exemption
Subjonctif dlibratif ni
Tableau 4 : le subjonctif dlibratif comme expression de la modalit dontique
(verbes modaux)
Subjonctif dlibratif au positif
pouvoir faire/devoir ne pas faire ne pas pouvoir faire/pouvoir ne
pas faire (sans lavoir demand)
devoir faire/ne pas tre
oblig de faire
pouvoir ne pas faire (en layant demand)/ne pas
pouvoir ne pas faire
Subjonctif dlibratif ni
Il ne peut tre question ici dexemplifier toutes ces possibilits, mais (9) est un bon
exemple dobligation ; (10) est un bon exemple de demande de permission ou de non
prohibition (lecture facilite par la prsence de la conditionnelle).
17 Il faut en ralit lire demande de prohibition , demande de confirmation de la prohibition etc.
10
(10) , , ,
; (X. Mem. 1.2.36)
Si jachte quelque chose, dit-il, qui est vendu par un homme de moins de trente ans,
ne puis-je pas lui demander combien il le vend ?
Enfin, le dernier point sur lequel les grammaires sexpriment est la situation
dnonciation dans laquelle on trouve le subjonctif. Lie la modalit dontique que lon
vient de dfinir, elle permet de mettre en vidence un acte de langage spcifique lnonc
au subjonctif dlibratif.
2.1.3 2.1.3 2.1.3 2.1.3 Situation dnonciationSituation dnonciationSituation dnonciationSituation dnonciation
Dans les grammaires, les caractristiques nonciatives suivantes sont attribues au
subjonctif dlibratif :
Le subjonctif dlibratif est le plus souvent P1 ou P418.
Il se trouve dans des questions o on se demande si laction verbale est exige du
sujet du verbe au subjonctif ( In questions which ask whether the verbal action
is required of the suject of the subjunctive (Cooper (1998 : 54.2.3))).
P3 et P6 sont rares, et se trouvent surtout dans les interrogatives partielles. Cest
un phnomne rcent (Prcision de Schwyzer (1966 : 318) : il existe en attique
depuis Platon et Dmosthne ( im Attischen erscheint er seit Plato und
Demosthenes )).
P2 ne se trouve quau thtre (Cooper).
Rfrence une situation prsente (KG).
Ces remarques peuvent galement tre faites pour notre corpus. Sur 134
interrogatives directes au subjonctif dlibratif seules deux sont P3 et un exemple hors
corpus est P5 (nous revenons sur ces exemples infra). Toutes les autres sont P1 (14) ou
plus encore P4 (119).
Pour ce qui est de la rfrence la situation prsente signale par KG, il faut distinguer
deux lments19 : le contenu propositionnel, dont la ralisation est ncessairement
postrieure la situation dnonciation, puisquelle dpend de la rplique de
linterlocuteur ; et lnonciation elle-mme. Lemploi du subjonctif dlibratif ncessite ces
deux lments. Lancrage dans la situation dnonciation est impratif. Cest--dire quon ne
trouve de subjonctif que dans un contexte de discours par opposition un contexte de rcit,
selon lopposition dsormais traditionnelle introduite par Benveniste 1966. Cela est certes
18 Nous adoptons la prsentation qui numrote les personnes de P1 P6 (P4 = premire du pluriel, P5 =
deuxime du pluriel, P6 = troisime du pluriel). 19 Je dois cette remarque C. Denizot.
11
voulu par le subjonctif, qui ne renvoie un temps pass que sil est dans une subordonne
dpendant dun verbe lui-mme au pass. Mais cela va plus loin, comme on le verra dans
ltude des interrogatives indirectes. Par ailleurs, pour avoir un subjonctif dlibratif, est
galement ncessaire la dpendance de la ralisation du contenu propositionnel vis--vis de
la rplique la question, autrement dit la rfrence future du contenu propositionnel. Cela
prdit par consquent que lon doive employer un autre moyen que le subjonctif pour dire :
que devait-il faire ? , ce qui est vrifi.
2.2 2.2 2.2 2.2 Lacte de langage dlibratifLacte de langage dlibratifLacte de langage dlibratifLacte de langage dlibratif
Lexamen des particularits syntaxiques, smantiques et nonciatives suggre que les
interrogatives au subjonctif dlibratif sont isoles parmi les interrogatives. Dans cette
section, nous dfendons lide que cet isolement est d au fait que les interrogatives au
subjonctif dlibratif sont le vhicule dun acte de langage particulier : lacte de
dlibration. Pour ce faire, nous ranalysons certaines des caractristiques, notamment
nonciatives, comme les restrictions personnelles.
2.2.1 2.2.1 2.2.1 2.2.1 Conditions de lacte dlibratifConditions de lacte dlibratifConditions de lacte dlibratifConditions de lacte dlibratif
Il ressort de la restriction presque complte P1/P4 que lacte de dlibration est
centr sur le locuteur : il faut quil y ait une correspondance partielle ou totale entre la
personne qui nonce la question et le rfrent du sujet du verbe de la question. Cest
galement par rapport aux coordonnes du locuteur quest calcul laccomplissement du
procs dnot par le verbe de la question. Dans un corpus platonicien comme le ntre, la P4
est majoritaire, car le locuteur (le plus souvent Socrate) associe son ou ses interlocuteur(s)
la dmonstration. Les questions dlibratives cherchent lapprobation des interlocuteurs
ce que le locuteur vient de dire, comme en (8). Le centrage se fait donc bien sur le locuteur
et non sur un groupe et travers cette dissociation nonciative de la P4, cest bien le dire du
locuteur qui est vis.
Si lon associe ce centrage sur le locuteur avec la forme interrogative et la modalit
dontique, on peut comprendre la spcificit de lacte de dlibration. En effet, il est le
miroir dun acte centr sur la deuxime personne20, auquel est associe la modalit
dontique : lacte directif21. Cest ce que suggrent les rpliques aux interrogatives au
subjonctif dlibratif formules avec un verbe explicitement directif comme (cf. D.
9.46, exemple emprunt Revuelta 1995) ou comme (cf. le couple de phrases
(17)/(21)).
En utilisant la forme interrogative, le locuteur invite linterlocuteur formuler son
intention un acte directif. Contrairement aux questions informatives, le rapport que le
20 Ce point est longuement dvelopp par Denizot (2011 : chapitre III). 21 Sur le lien entre modalit dontique et acte directif voir Lyons (1990 : 441-449).
12
locuteur entretient avec linterlocuteur dans la dlibration est particulier en ce quil attend
comme rplique de linterlocuteur non pas un nonc informatif (une assertion), mais un
nonc directif qui aille dans son intrt (comme un conseil, une proposition, une
instruction, une permission). En cela, le grec est conforme ce que lon avait vu pour le
franais en introduction (exemple (3)). Cest ce qui ressort de lexamen des exemples. Si lon
observe lexemple (8), la rplique de Glaucon Socrate est un subjonctif exhortatif
qui inclut dailleurs les deux participants de la situation dnonciation. Socrate ne sait pas
(ou feint de ne pas savoir) comment orienter la conversation, et pour cela il demande son
interlocuteur de les orienter par cet acte directif.
Le subjonctif exhortatif nest pas le seul pouvoir tre utilis dans les rpliques des
actes de dlibration. On trouve galement des impratifs comme dans la rplique de
Glaucon en (11).
(11) a. . , ,
,
, ,
b. . , . (Pl. R. 580b8-c5)
a. Devons-nous donc payer un hraut, dis-je, ou dois-je annoncer moi-mme que le
fils dAriston a jug que le meilleur et le plus juste des hommes est le plus heureux et que
cet homme est celui qui a le temprament le plus royal et qui rgne sur lui-mme, tandis
que le pire et le plus injuste est le plus malheureux et que celui-l se trouve tre son tour
celui qui, tant le plus tyrannique, la fois se tyrannise le plus lui-mme et tyrannise sa
cit ?
b. toi de lannoncer, dit-il.
Il peut aussi se trouver dans une paire question/rplique avec comme rpliques des
actes directifs indirects. Ainsi le futur connat certains emplois directifs, y compris injonctif
(v. Denizot (2011 : 423-439)), comme en (12) emprunt C. Denizot, ainsi que la traduction.
(12) , . (Ar. V. 671)
Vous allez donner le tribut, ou dans un bruit de tonnerre je vais renverser votre ville.
Lacte de dlibration serait donc lacte interrogatif correspondant une rplique
sous forme dacte directif. Le locuteur place son interlocuteur dans une position lgitime
pour lui donner une permission, lui interdire ou le contraindre faire quelque chose. En se
plaant dans cette position, il sengage suivre les instructions donnes par son
interlocuteur. Ces circonstances sont extrmement contraintes. Il est intressant de voir
que la transposition de ce rapport de lgitimation une autre personne qu linterlocuteur
13
entrane la perte du subjonctif et lemploi dune autre formulation de la dlibration (voir
infra 4.2.1).
Pour aller plus loin, on peut affirmer que lacte de dlibration forme avec lacte
directif un changechangechangechange, au sens de C. Kerbrat-Orecchioni (2001 : 62-63), cest--dire une paire
dactes dont le premier est initiatif (dclenche une raction de linterlocuteur, ici lacte de
dlibration) et le second est ractif (ici lactif directif).
Bien entendu, on dlibre souvent seul et les questions dlibratives sont courantes
dans les monologues thatraux. Mais rien dans les conditions de flicit de lacte
interrogatif ne spcifie que linterlocuteur (en loccurrence soi-mme) doit avoir la rponse.
On peut tenter de formuler les conditions de flicit de lacte dlibratif la faon de
Searle (1972), Searle et Vanderveken (1985) en associant des traits de lacte de poser une
question et de lacte directif (L = locuteur, I = interlocuteur). Il faut noter que la dernire
condition nest prsente ici que sous forme dhypothse.
L ne connat pas le contenu de la rplique. L suppose que la rplique est dans son intrt. L sait quil est en mesure deffectuer ce que I lui demandera de faire. L pense que I est en mesure de lui rpliquer.
2.2.2 2.2.2 2.2.2 2.2.2 Le subjonctif dlibratif en dehors de la premire personneLe subjonctif dlibratif en dehors de la premire personneLe subjonctif dlibratif en dehors de la premire personneLe subjonctif dlibratif en dehors de la premire personne
Nous disions que la perte du rapport immdiat dinterlocution entranait lemploi dun
autre tour que le subjonctif dlibratif. Dans ce cas, on peut se demander pourquoi lon a
parfois des alternatives au subjonctif dlibratif qui sont la premire personne et qui
renvoient la situation prsente. Cest ce quon tudie en 4.2. Mais avant de passer ce
second temps de lanalyse, il convient de revenir sur les rares cas o lon a un subjonctif
dlibratif une autre personne. Les grammaires citent certains exemples de P2 ou de P5.
Pour avoir des P2 et des P5, il faut avoir des circonstances trs particulires : des
questions-chos. Cest pourquoi Cooper note quon ne les trouve que dans le thtre, lieu
privilgi de lchange verbal, parfois vif. On les emploie seulement quand elle[s] se
laisse[nt] ramener la premire personne en question directe ( nur dann, wenn sie
dieselbe auf die I. Person in der direkten Frage zurckfhren lsst , KG (1898 : 221, 394.6)).
Les questions-chos sont une reprise par le locuteur des termes dune question pose
par linterlocuteur pour sassurer quil a bien compris la question. Elles se caractrisent par
ladaptation des marqueurs de lnonciation au point de vue du locuteur pour reflter celui
de linterlocuteur, et par le marquage du discours indirect pour indiquer que le locuteur ne
prend pas en charge cette question. Ce marquage est, pour les questions totales, lemploi de
dans la reprise22 et, dans les questions partielles, lemploi obligatoire23 de au lieu de
22De mme quen franais on reprend la question en lintroduisant par si : A : Viens-tu demain ? B : SiSiSiSi je viens
demain ?/*Viens-je demain ? . 23 Cela a t clairement soulign par M. Biraud et S. Mellet (2000).
14
24. Cest ce quon a dans lexemple (13) o lon trouve . Nous ne tenons donc pas
lemploi de P2 ou de P5 pour un contre-exemple.
Pisthtre a lide de fonder une cit des oiseaux
(13) a. . ;
b. . ; (Ar. Av. 164)
a. Epops. En quoi devons-nous tobir ?
b. Pisthtre. En quoi vous devez mobir ?
Quant lemploi de P3, voici lunique exemple du corpus :
(14) , , ;
(Pl. Sph. 225b1)
Et le (combat) qui se fait de discours discours, comment l'appellera-t-on, Thtte,
si ce n'est controverse?
Dans ce passage du Sophiste, ltranger et Thtte sont en train dtablir une typologie des
types de combats : le combat et le . Ce dernier se subdivise son
tour. Le premier sous-type est le combat , la question de lexemple (14) vise
trouver le nom du second sous-type et propose . Tous les noms attribus
dans cette typologie lont t par les deux acteurs de la situation dinterlocution. Le nom du
dernier sous-type propos par la question (14) le sera par les mmes personnes. Lindfini
recouvre donc en fait ltranger et Thtte, cest--dire, recouvre un nous25, linstar
du on franais qui se substitue si souvent au pronom de P4. Toutefois, cela est purement
contextuel et nest pas grammaticalis comme en franais. Nous ne considrerons donc pas
cet exemple comme un contre-exemple.
Cette premire section nous a permis de prsenter les caractristiques de lacte de
dlibration partir de lanalyse de sa forme prototypique : linterrogative au subjonctif. Il
sagit dun acte par lequel le locuteur demande son interlocuteur dexprimer son gard
un acte directif qui va dans son propre intrt. Maintenant que lexistence dun acte
dlibratif est tablie, il est lgitime de se demander sil existe un verbe performatif qui lui
corresponde. Cette question est lie celle de lenchssement des questions dlibratives.
Comme pour tout acte de langage, elle est problmatique, car lenchssement doit entraner
la perte de sa force illocutoire (une seule force illocutoire par nonc). Cest la question que
nous tudions dans la section suivante.
3 3 3 3 Le subjonctif dlibratif en subordonneLe subjonctif dlibratif en subordonneLe subjonctif dlibratif en subordonneLe subjonctif dlibratif en subordonne
24 Phnomne parallle en franais : A : que fais-tu ? B : Ce queCe queCe queCe que je fais ?/*Que fais-je ? . 25 Il en va de mme dans lautre exemple cit par les grammaires : S. O.C. 170.
15
Les questions directes au subjonctif dlibratif doivent pouvoir tre, linstar des
autres questions, enchsses. Quelles sont les particularits de cet enchssement ? Si le
subjonctif est le marqueur de lacte de langage dlibratif dans les interrogatives directes,
survit-il lenchssement ? La rponse est oui, mais dans certaines conditions. Observons
dabord les donnes.
3.1 3.1 3.1 3.1 Questions dlibratives et discQuestions dlibratives et discQuestions dlibratives et discQuestions dlibratives et discours indirectours indirectours indirectours indirect
Tout dabord, on sattend ce que lenchssement dun subjonctif dlibratif soit
typiquement un passage au discours indirect comme en (15), qui prsente un verbe
demander P3, suivi dune interrogative avec concordance des personnes, conformment
ce que lon a dit plus haut.
Criton anticipe la mort de Socrate
(15) ,
. (Pl. Phd. 115d2)
Il pense que je suis ce cadavre quil verra sous peu et il demande donc comment il doit
menterrer.
On peut en rapprocher lexemple suivant :
Il est difficile pour un homme seul dtre sr du rsultat de sa recherche
(16) ' , .
(Pl. Prt. 348d5)
Aussitt il se promne, cherchant qui il pourrait le montrer et avec qui raffermir sa
connaissance, jusqu ce quil le rencontre.
Dun point de vue syntaxique, comme pour les interrogatives directes la ngation est
, comme en (17)26.
(17) . (Pl. R. 368b7)
Et de nouveau je ne sais pas comment ne pas venir votre secours.
26 Morphologiquement, pourrait aussi tre un futur. Toutefois, le tour ne prsente jamais de
forme qui soit sans ambigut un futur dans notre corpus et la ngation renforce lide que cest un
subjonctif (sur lambigut subjonctif/indicatif futur et la question de la ngation, voir 4.1 et le commentaire
de lexemple (25)). Le problme de lambigut entre indicatif et subjonctif se pose aussi rgulirement la
premire personne du prsent. Linterprtation ne fait toutefois pas de doute : en (20), daprs le contexte,
ne signifie pas je ne sais pas ce que je dis, mais je ne sais pas quoi dire.
16
En revanche, et cela peut paratre surprenant, nous navons dans notre corpus aucune
subordonne interrogative totale, bien quelles soient thoriquement possibles. La
diffrence avec les interrogatives directes, o elles sont majoritaires, sexplique sans doute
pour des raisons pragmatiques. Lnonc interrogatif dlibratif (direct) a chez Platon une
fonction argumentative : elle fait progresser largumentation en dguisant une demande de
confirmation sous une dlibration. Les interrogatives totales sont particulirement
propres jouer ce rle, alors que les partielles sont moins souples . En revanche,
linterprtation dune subordonne interrogative est dtermine par le sens de son verbe
introducteur. Il ny a donc pas dusage indirect des subordonnes interrogatives. Le verbe
introducteur marque toujours la subordonne comme dlibrative. Aucun autre acte de
langage nest donc possible. Il se prsente donc beaucoup moins de situations o lon a
besoin dutiliser une interrogative totale, ce qui explique leur ratet.
En outre, lexamen du corpus offre un phnomne frappant. (15) et (16) ne sont pas
reprsentatifs des 3827 exemples du corpus et ne semblent pas du tout prototypiques. En
effet, certains verbes introducteurs semblent tre spcifiques lintroduction dune
interrogative au subjonctif dlibratif. Il sagit des verbes () (25 exemples) et
(8 exemples)28. De plus, les contextes dans lesquels apparaissent les subordonnes au
subjonctif dlibratif sont trs spcifiques. Ils prsentent les critres suivants (dans lordre
dcroissant de frquence) : contextes non vridiques29 (38/38), contextes au temps prsent
(30/38), P1 ou P4 (24/38). Si bien que lexemple prototypique de subordonne au subjonctif
dlibratif est (18) qui prsente ces quatre critres (en incluant le verbe introducteur). Cela
reprsente 23 exemples sur 38.
(18) . (Pl. Hipparch. 231c5)
Pour ma part, je ne sais quoi dire.
On pourrait objecter que le dsquilibre en faveur du prsent sexplique par le fait
quen contexte pass, on a non pas un subjonctif dlibratif, mais un optatif oblique. Mais
dans le corpus, seuls cinq exemples doptatifs obliques nous semblent pouvoir tre
interprts comme la transposition dun subjonctif dlibratif : X. Cyr. 1, 6, 2 ; 3, 1, 4 ; 5, 5, 1 ;
Pl. Prt. 320a, 321c (verbes : x 3, x 1, x 1). Ainsi en (19).
27 Le corpus prsente 37 phrases avec une subordonne interrogative au subjonctif dlibratif, mais 38
exemples de subordonnes en tout. 28 Les autres verbes, qui ne sont utiliss quune fois, sont (tels quils apparaissent dans le texte) :
, , , , , . 29 Nous empruntons la dfinition des contextes non vridiques Zwarts (1995) : Nonveridical operators : Let
O be a monadic sentential operator. O is said to be veridical just in case Op -> p is logically valid. If O is not
veridical, then O is nonveridical.
17
Aprs une victoire, les Perses doivent se runir
(19) . (X. Cyr.
5.5.1)
pour dcider ce quils feraient des forteresses quils avaient prises.
La prsence de verbes P1 (ventuellement P4) au prsent de lindicatif (actif)
rappelle les conditions dans lesquelles apparaissent les noncs performatifs. Il faut
maintenant examiner et qui sont de potentiels candidats pour lexpression
performative de la dlibration.
3.2 3.2 3.2 3.2 Verbes performatifs et dlibrationVerbes performatifs et dlibrationVerbes performatifs et dlibrationVerbes performatifs et dlibration
Les noncs performatifs tels que les dcrit dans un premier temps Austin 1970 ont
une dfinition trs stricte. Il sagit dnoncs qui par leur seule profration ralise lacte
quest leur contenu descriptif. Une classe de verbes, dits verbes performatifs, comme
baptiser par exemple, ont cette proprit, condition quils soient noncs la premire
personne du singulier du prsent de lindicatif actif. On peut aussi citer la dfinition plus
englobante de Vanderveken 1988 : les noncs performatifs expriment, relativement
chaque contexte possible dnonciation, une dclaration par le locuteur quil accomplit lacte
illocutoire ayant la force nomme par le verbe performatif. () Dun point de vue logique,
les dclarations ont ce trait caractristique que le locuteur, en se reprsentant comme
accomplissant une action, russit accomplir cette action par le seul fait de son
nonciation.
Parmi les deux verbes examins ici, lun est ni , lautre est
intrinsquement ngatif . On verra que cela nest pourtant pas un obstacle en
raison du sens trs particulier de lacte dinterrogation, qui doit marquer labsence de
connaissance. Les autres conditions sont runies (premire personne du singulier du
prsent de lindicatif). Reste voir si le sens des verbes et leurs conditions demploi
justifient rellement de les classer parmi les performatifs.
En disant ou , le locuteur exprime lhsitation qui est
fondamentalement lorigine de lacte dlibratif et ralise la dlibration. Lacte de
dlibration est un acte de rflexion interne, ne peut tre verbalis que par celui qui fait
cette rflexion pour que la verbalisation elle-mme vaille rflexion dlibrative (cest--dire
rflexion sur sa propre action). Tout se passe comme si la verbalisation permettait au
locuteur de prendre conscience du problme et de lengager dans la voie de la solution,
tandis quen restant informule, cette rflexion ne peut trouver de solution, dautant plus
quelle fait appel linterlocuteur pour tre rsolue. La prsence dune ngation ( dans
et le prfixe - dans ) nest pas une objection. Elle est mme indispensable.
En effet, elle est ici lexpression mme de labsence de connaissance inhrente toute
interrogation. Ces premiers critres nous conduisent penser que et la
premire personne du prsent de lindicatif actif ont des emplois performatifs dlibratifs.
18
On notera que la traduction franaise de et de par je ne sais pas ne rend pas
laspect performatif de ces expressions et en fait de simple synonymes de , qui par
ailleurs nintroduit pas de subordonnes au subjonctif dlibratif dans le corpus. Nous
navons pas trouv en franais de verbe performatif de dlibration, cest pourquoi nos
traductions ne rendront pas justice ces noncs.
Pour prouver cette hypothse du caractre performatif de ces verbes, il faut
examiner nouveau les exemples de cette section. Si / (+ interrogative au
subjonctif dlibratif) sont des verbes performatifs, on sattend ce que ces noncs aient le
mme effet que des questions dlibratives directes ct doccurrences simplement
constatives/descriptives de ltat dhsitation du locuteur.
Le sens constatif/descriptif est ce quon trouve par exemple en (20), o lon suppose
que est un subjonctif (voir note 26).
(20) ' , ' , ,
, ' ' , '
, . (D. 8.23)
Car si vous ne faites pas de contribution pas, que vous ne faites pas campagne vous-
mmes, que vous ne vous tenez pas loin du trsor public, que vous ne donnez pas de troupes
( Diopiths), que vous ne lui autorisez pas ce quil pourrait se procurer lui-mme, et que
vous refusez de faire ce que vous avez faire, je ne sais que dire.
Les exemples suivants sont justiciables de la mme interprtation descriptive : Pl. Ap.
20e2, Prt. 319b1, Grg. 466a1, Tht. 158a9, Smp. 216c3 (dans ces trois derniers exemples,
lenchssement du tour interdit linterprtation performative). Lexemple de lAnabase 1.7.7
est aussi un exemple enchss. Quant aux exemples de Dmosthne, ils sont eux aussi
constatifs (9.4 ; 9.54 ; 18.129 ; 20.143). Cela tient au genre, car dans un discours lorateur ne
sattend pas une rplique immdiate de linterlocuteur, sauf dans une fiction de dialogue.
Toutefois, dans les autres cas, un nonc en ou ralise lacte de
dlibration. En effet, cet acte est cens susciter chez linterlocuteur un acte directif avec le
locuteur pour destinataire. Ainsi dans lexemple (17), rpt ici, la raction des
interlocuteurs de Socrate est donne non pas dans le dialogue, mais dans la reprise du rcit.
Il sagit de (21). Il entrane effectivement lemploi dun verbe de sens directif exiger
avec reprise du verbe utilis par Socrate . Cette phrase est une transposition non
ambigu au discours indirect de lacte directif que Glaucon et les autres auditeurs ont
adress Socrate en rplique sa question. Lacte de dlibration devant suscit chez
linterlocuteur la formulation dun acte directif, cette raction des interlocuteurs de Socrate
est un indice fort que la question de Socrate tait bien une question dlibrative.
(17) . (Pl. R. 368b7)
Et de nouveau je ne sais pas comment ne pas venir votre secours.
19
(21) . (Pl. R. 368c4)
Alors Glaucon et les autres rclamrent quil les aide par tous les moyens.
Dans dautres exemples, on na pas que des indices discrets de lorientation
performative de lnonc. Ainsi la phrase dAlcibiade je ne sais
comment dire dans le second Alcibiade (139e9), Socrate se dclare incomptent pour
rpliquer Alcibiade. Toutefois, il dit nous trouverons (la rplique), ce qui
implique bien quil a compris la phrase dAlcibiade comme une question et non comme une
assertion.
Grg. 503d2-6 est un exemple mixte. la question de Socrate
pour ma part, je nai pas les moyens de te citer (un homme de ce genre), Callicls ne sait
que rpliquer, mais il emploie le futur , ce quil suggre quil a compris lnonc de
Socrate comme une question. Socrate reprend alors la parole pour suggrer lui-mme une
rplique qui est un acte directif : une exhortation P4 voyons.
Certains exemples sont difficilement dcidables. En (18), Socrate a dmontr son ami
que profit et bien ntaient pas toujours quivalents. La phrase de lami qui constitue
lexemple montre que celui-ci est court darguments. En formulant (18), il demande
Socrate de lui en fournir un. Il est normal que Socrate ne sexcute pas puisquil recherchait
lpuisement des arguments de son ami. Cet exemple nest donc pas probant.
De mme, dans lexemple (22) tir de la Cyropdie, le locuteur suggre lui-mme une
rplique dans le second membre de la comparaison. On ne peut donc savoir quelle aurait t
la raction de son interlocuteur, en loccurrence Cyrus, ce qui aurait t un indice que la
question avait une interprtation dlibrative.
(22) ,
. (X. Cyr. 6.1.48)
Cyrus, je nai rien de mieux te dire sauf que je me livre toi comme ami, serviteur et
alli.
Un dernier critre tudier est le caractre dclaratif de lnonc et la sui-
rfrentialit (lnonc renvoie lui-mme) de cette dclaration. Toutes les phrases
contenant et sont assertives et donc potentiellement dclaratives. Si lon
considre lnonc qui est la contrepartie de lacte dlibratif, lacte directif, on constate
quil possde un verbe performatif, ordonner en franais, en grec. La sui-
rfrentialit est assure par la possibilit de dire par la prsente/en disant cela,
jordonne de . . Comme nous ne disposons pas dquivalents en franais pour et
, il est difficile de nous livrer de tels tests sur des phrases hypothtiquement
performatives dlibratives. Il faut donc supposer, en se fondant sur les indices tudis
prcdemment dans cette section que et viennent combler un vide logique
20
et quils sont comprendre dans ces contextes comme je te demande de menjoindre de
faire telle ou telle chose .
Lexistence de performatifs spcifiques la dlibration renforcerait donc lide
quelle est un acte de langage proprement parler. Comme beaucoup dactes de langage, la
force illocutoire interrogative dlibrative peut tre exprime par des formes qui ne sont
pas destines prototypiquement cela. Cest ce que lon examine dans la section suivante.
4 4 4 4 Les formes indirectes de la dlibrationLes formes indirectes de la dlibrationLes formes indirectes de la dlibrationLes formes indirectes de la dlibration
Dans la premire section, nous avons mentionn des alternatives au subjonctif
dlibratif dans lexpression de lacte de dlibration. Il faut se demander dabord quelles
sont ces formes indirectes de la dlibration et ensuite si elles sont des stricts quivalents
du subjonctif dlibratif.
4.1 4.1 4.1 4.1 Les candidats la dlibrationLes candidats la dlibrationLes candidats la dlibrationLes candidats la dlibration
Les grammaires proposent une relation dquivalence dans certaines questions entre
le subjonctif dlibratif et les formes suivantes :
Futur (Goodwin, KG, Cooper). Prsent de lindicatif. Auxiliaires modaux (, ainsi que et adjectif verbal en - (Smyth,
Cooper)).
Formes de vouloir + subjonctif, notamment tu veux. Optatif avec (Goodwin).
Nous les prsentons brivement avant de discuter le bien-fond de ces
rapprochements.
FUTUR
Pour le futur, il suffit de se reporter un exemple comme (4), o les subjonctifs
dlibratifs sont coordonns un futur dlibratif30 pour voir quil y a des affinits entre
ces deux formes. Dans la Rpublique, nous avons relev 31 exemples de futurs dlibratifs
(cf. annexe) comme (23).
(23) ; ; (Pl. R. 353d9)
Et la vie prsent ? Ne dirons-nous pas que cest le travail de lme ?
30 Voir aussi les exemples dans KG (1898 : 222, 394.6, remarque 5) et dans Cooper (1998 : 651, 53.7.2).
21
Un autre lment qui irait dans ce sens est lapparition dans un exemple de la
ngation avec le futur (ngation employe par ailleurs avec le subjonctif) alors que lon a
la ngation dans ses autres emplois (voir par exemple, Pl. R. 612e8). Cette ngation se
trouve dans lexemple (24). Il faut dabord noter que, mme avec un futur dlibratif , la
ngation est normalement (voir Pl. R. 468e5 et (25) infra). En outre, le texte nest pas
assur. Deux bons manuscrits du Xe s., le Monacensis 485 et le Marcianus 416 portent ,
ce qui signifie que lon pourrait avoir affaire une finale plutt qu une interrogative. En
outre, le Monacensis 485 a un subjonctif la place du futur ()31. Enfin,
linterprtation dlibrative nest pas vidente pour cet exemple. Il vaut donc mieux ne pas
se fonder sur lui.
Est-ce parce que le peuple a t tromp quil faut lui ter le pouvoir de dcision ?
(24) ( ) . (D. 20.4)
Il est juste quon nous apprenne comment faire pour cela ne nous arrive plus.
Pour finir sur la ngation et le futur, la rpartition ngation avec le futur et
ngation avec le subjonctif permet de dsambiguser des exemples comme (25), qui
peuvent tre a priori des subjonctifs ou des futurs (voir les deux traductions proposes). Il
sagit ici sans conteste dun futur comme lindique la ngation .
(25) ; (Pl. Ap. 34d9)
Pourquoi donc ne ferai-je rien faire de cela ?/Pourquoi ne dois-je rien faire de cela ?
On peut dores et dj se demander sil ny a pas une diffrence entre le subjonctif et le
futur. Comme le souligne KG (1898 : 221, 394.6) le locuteur rflchit ce quil doit faire
dans la situation prsente 32. On pourrait donc faire lhypothse que le futur porte sur une
action dans un futur plus lointain que le subjonctif. Elle nest cependant pas vrifie comme
le montre lexemple (4) o laction du verbe au futur glose celle des verbes au subjonctif et
o, donc, les actions seront ncessairement concomittantes. Enfin, on peut se demander si
le futur peut tre utilis en subordonne dlibrative comme dans lexemple (26)c.
Il faut expurger la littrature
(26) a. .
;
b. . , , .
c. . , , . (Pl. R. 387d1-4)
31 De la mme faon, C. Denizot (2011 : 94-98) montre quil ny a pas de bons exemples de ngation avec un
futur dans un nonc directif. 32 Indem der Redende bei sich berlegt, was er nach der gegenwrtigen Lage der Dinge tun soll.
22
a. Et devons-nous aussi en enlever les plaintes et les lamentations des hommes
importants ?
b. Cest ncessaire, dit-il, daprs ce quon dit prcdemment.
c. Observe alors, dis-je, si cest juste titre que nous allons les en enlever.
Toutefois, malgr la prsence de la mme forme dans une interrogation clairement
dlibrative quelques lignes au-dessus ((26)a), linterrogation porte plutt sur ladverbe
(voir la traduction), ce qui exclurait de faire de cette interrogative une dlibrative.
En outre, il sagirait de la seule subordonne interrogative dlibrative totale du corpus.
PRSENT DE LINDICATIF
Les grammaires ne parlent pas du prsent de lindicatif. De fait, il est rare de pouvoir
interprter une interrogative avec un verbe ce temps comme une dlibration. Dans la
Rpublique, deux passages avec pourraient ventuellement recevoir cette
interprtation : 373d et 377e (exemple (27), comme le reflte la traduction). En ralit, nous
prfrons les laisser de ct, car ils peuvent recevoir une interprtation descriptive :
comment appelons-nous ce genre de choses et quelles choses en face de comment devons-
nous.
(27) (Pl. R. 377e5)
Mais alors, comment en parler et quelles caractristiques leur attribuer ?
AUXILIAIRES MODAUX
Les modaux / il faut et ladjectif verbal en -, de mme sens (signal par
Smyth et Cooper, voir (Pl. R. 400b4) dans notre corpus) sont aussi parfois prsents comme
des variantes possibles du subjonctif dlibratif. On trouve des exemples dalternance entre
les deux comme en (28) (cas trait plus prcisment en 4.2.1 ; voir aussi en dehors du corpus
Hdt 4.9.4) ou des cas de coordination, comme en R. 421b4-7 entre les deux membres
dune subordonne interrogative en ... ... En interrogative directe, dans la
Rpublique, seule une occurrence de verbe modal nous semble tre vraiment comparable au
subjonctif dlibratif (372d6), mais trois exemples dadjectif verbal en (365e1, 545b5
(si lon ponctue avec un point dinterrogation), 558c9).
Dmosthne a tant de choses dire sur Eschine, quil ne sait par o commencer
(28) , . (D.
18.129)
Je ne suis pas dans lembarras pour ce quil faut dire de toi et des tiens, je suis dans
lembarras pour ce quil faut que je commence par rappeler.
23
Pour ce qui est de tu veux + subj. sans complmenteur33, il est signal comme
un quivalent du subjonctif dlibratif. Ce tour est particulier car introduit
normalement une proposition infinitive, ventuellement un tour + subjonctif, mais
jamais un subjonctif seul. Du reste, en grec, une subordonne un temps fini prsente
toujours un terme introducteur. Il est donc lgitime de se demander si la proposition au
subjonctif est vraiment syntaxiquement une subordonne dpendant de ou si
ne fait pas plutt figure de particule nonciative venant souligner la dpendance du
locuteur lgard de la volont de linterlocuteur. Quelle que soit la structure syntaxique du
tour, son interprtation fonctionnelle nest pas douteuse. La Rpublique en prsente 14
exemples.
Il faut chercher comment former des philosophes qui sortiront de la caverne
(29) , ,
; (Pl. R. 521c1)
Veux-tu donc que nous examinions dabord comment de tels hommes se formeront,
et comment on les fera monter vers la lumire ?
OPTATIF +
Enfin, une dernire variante voque dans la littrature est loptatif + . Elle est
indique chez le seul Goodwin (1889 : 101, 292.2) qui propose lexemple (30) et souligne le
fait que la ngation est dans ce cas-l34, comme avec un subjonctif ( the direct question
here would differ little from [subj.] ). La Rpublique prsente deux
exemples en 534b7 et 581b10. vrai dire il sagit dun cas limite et lon na jamais de paire
question/rplique o la rplique est un acte directif, ce qui irait dans le sens de la teneur
dlibrative de ces questions. Le plus proche que lon ait est la rplique je le veux
la question de lexemple (30).
Socrate et son interlocuteur cherchent un critre pour distinguer le bon du mauvais soldat
(30) ; (X. Mem. 3.1.10)
Pourquoi nobservons-nous pas comment nous pourrions viter de nous tromper en
ce domaine ?
4.2 4.2 4.2 4.2 Des formes indirectes de dlibrationDes formes indirectes de dlibrationDes formes indirectes de dlibrationDes formes indirectes de dlibration ????
On le voit, les arguments pour faire de ces formes des variantes du subjonctif
dlibratif sont la fois syntaxiques : prsence de la ngation alors quelles exigent en
principe la ngation ; et smantiques (lien de paraphrase avec un subjonctif dlibratif).
33 Le tour est trs frquent. En revanche, nous navons trouv quun exemple avec : S. El. 80-81. 34Contrairement lexemple (24), les manuscrits noffrent pas de variante au subjonctif. La tradition indirecte
a , adopt dans la rcente dition de la C.U.F., mais qui ne change rien notre problme.
24
cela on peut ajouter un argument fonctionnel. Lemploi du subjonctif dans les questions
dlibratives a t expliqu par le fait que cette forme verbale connat des emplois modaux
dontiques et est propre tre utilise dans les actes directifs, actes directifs qui sont
prcisment la rplique attendue un acte de dlibration. Or la liste les formes propres
exprimer un acte directif indirect que prsente C. Denizot (2011 : Partie III) est pour ainsi
dire la mme que les candidats lacte de dlibration indirect : modaux /, adjectif
verbal en -, optatif + , futur de lindicatif, verbes de volont. On retrouve par un autre
biais le lien entre dlibration et acte directif. Un autre parallle peut tre fait entre les
exemples qui prsentent ces formes et ceux qui prsentent un subjonctif : le verbe est
souvent un verbe de parole et lnonc a souvent le mme rle argumentatif de faire
avancer la discussion (voir (23), (27) et (28)).
Certaines formes, on la vu dans la section prcdente, posent problme. Or, il est un
paralllisme supplmentaire avec les actes directifs : ce sont ces mmes formes qui sont trs
marginales dans lexpression des actes directifs. Ainsi le prsent de lindicatif na pas la
facult dexprimer des actes directifs en grec ancien (C. Denizot 2011 : 420-2). Cela confirme
quil faut laisser de ct les rares exemples ambigus que nous avons rencontrs. De mme,
manquent la liste ladjectif verbal en - et loptatif de souhait, dont justement la capacit
exprimer des actes directifs est mise en doute par C. Denizot (2011 : 409-12 et 445-455).
Reste expliquer en quoi les autres formes sont propres exprimer lacte dlibratif.
4.2.1 4.2.1 4.2.1 4.2.1 Des formes dgrades de la dlibrationDes formes dgrades de la dlibrationDes formes dgrades de la dlibrationDes formes dgrades de la dlibration ????
Une hypothse consisterait dire que ces formes viennent se substituer au subjonctif
dlibratif quand toutes les conditions de la dlibration prsentes en 2.2 ne sont pas
remplies.
Ainsi si lon regarde la paire presque minimale constitue par (28), on constate que ce
qui diffrencie la subordonne au subjonctif de celle avec un modal est la prsence de la
ngation devant le verbe introducteur. Avec le verbe modal, le verbe introducteur est
ntant pas dans la situation de ne pas savoir = sachant. Le locuteur nignore donc
pas la rponse, le doute, proprit intrinsque de la dlibration, nest pas prsent. Il ny a
pas de raison dutiliser un subjonctif comme dans la seconde partie de la phrase.
Les contextes passs sont une autre situation o une autre forme de la dlibration
pourrait venir remplacer le subjonctif. En effet, le grec ne dispose pas de subjonctif pass et
loptatif oblique nest utilis quen subordonne35. Toutefois la situation est trs rare. On
peut toutefois noter lexemple (31) o cest la forme passe du modal qui est utilise.
Socrate flatte Protagoras avant de linterroger
(31)
; (Pl. Prt. 349a4)
35 Pour un cas trange doptatif dlibratif en indpendante ou principale, voire annexe 1.
25
Ne devais-je donc pas faire appel toi pour cette recherche, tinterroger et te
communiquer mes ides ?
Une autre condition de la dlibration est la situation interlocutive relle ou fictive et
le fait que cest dans son propre intrt que le locuteur interroge linterlocuteur. Cela
ressort notamment des conditions de personne. Si linterrogation porte sur une autre
personne que la premire, linterrogation est donc moins prototypiquement dlibrative et
on sattend alors ce quune autre forme soit utilise. Cest ce qui se produit dans lexemple
(32) o deux interrogatives que lon peut considrer comme dlibratives sont nonces. La
premire concerne le locuteur et elle est au subjonctif tandis que la seconde concerne
linterlocuteur et elle est au futur de lindicatif. La question la premire personne peut
recevoir une rplique directive (entre). Dans la suite du texte la rplique est dailleurs
formule avec un verbe directif tous se
rcrirent et lui enjoignirent dentrer. Au contraire, la question la deuxime personne
() ne peut que difficilement recevoir une telle rplique bien quune rplique par
un subjonctif exhortatif (buvons) ne soit pas impossible. Lexhortation, sans tre un acte
directif, nest pas non plus une assertion, ce qui indique que lon reste en dehors du terrain
de la pure question informative, et partant dans la sphre de la dlibration.
Alcibiade arrive ivre chez Agathon et propose de se joindre aux convives pour couronner
Agathon
(32) , ; ; (Pl. Smp. 213a2)
Allons, dites-moi tout de suite : dans ces conditions, puis-je entrer ou non ? Allez-
vous boire avec moi ou non ?
Enfin, avec le tour + subjonctif, on pourrait croire que cest lintrt de
linterlocuteur et non celui du locuteur qui est pris en considration. Mais on peut aussi voir
dans la marque explicite de la soumission du locuteur non pas aux intrts, mais la
volont de linterlocuteur, ce qui nest pas la mme chose.
Quand on sloigne de la dlibration prototypique, lemploi du subjonctif dlibratif
ne semble plus possible. Toutefois, les exemples de formes alternatives au subjonctif dans
ces situations ne sont pas le seul emploi de ces formes. Certains exemples prsentent une
premire personne, en situation prsente et avec un vrai doute exprim par le locuteur. Il
faut donc chercher ailleurs la justification de lemploi de ces formes dans ces circonstances.
4.2.2 4.2.2 4.2.2 4.2.2 Variante de la modalit dontiqVariante de la modalit dontiqVariante de la modalit dontiqVariante de la modalit dontiqueueueue
Larticle dA. Revuelta-Puigdollrs (1995) a montr que le subjonctif dlibratif
couvrait toutes les nuances de la modalit dontique (voir tableaux 2 et 3). On peut faire
lhypothse qu chacune de ces nuances correspond une rplique particulire : optatif + ,
modal + infinitif, adjectif verbal en -, impratif, si bien que chacune de ces formes
26
couvrirait un champ prcis de la modalit dontique (la prohibition, lobligation,
lexemption etc., cf. tableaux 2 et 3). Par consquent, on emploierait ces formes dans une
question dlibrative, pour prciser linterlocuteur que lon se place dans tel ou tel champ.
Pour examiner cette hypothse, il faut regarder attentivement les couples question
dlibrative/rplique directive. Pour ce faire, il faut dabord prendre des prcautions du
ct des questions et de celui des rpliques. Tout dabord, il faut observer que le subjonctif
dans les questions couvre manifestement un spectre plus large que le subjonctif dans les
rpliques. Outre cela, il faut garder en mmoire que limpratif nest pas possible dans les
questions36. Les rpliques interrogatives du type ; (Pl. R. 437d1) sont aussi
exclure. Elles dnotent une obligation, mais seulement dans les rpliques.
Lautre srie de prcautions prendre concerne les rpliques. Nombre dentre elles ne
nous apportent pas dinformation. Il sagit dabord des questions qui ne rpondent pas la
question pose sur le verbe principal de la question, mais sur la subordonne, du type a.
Peut-on dire quils sont fiables ? b. Ils le sont . Outre cela, on ne peut pas se fier non plus
aux rpliques qui contiennent certaines particules a priori assertives. Ainsi un
peut recouvrir une rplique assertive comme une rplique directive, comme le montre
lexemple (33) o lexpression est complte par un subjonctif exhortatif.
(33) , , . (Pl. R. 566d7)
Tout fait, dit-il, exposons (le malheur dune cit gouverne par un tyran).
Enfin, dans certains cas, linterlocuteur ne rpond pas du tout la question. Ainsi en
(34), Socrate nie les conditions mmes de la question de Glaucon.
Daprs Socrate, les meilleures natures doivent se mler aux autres pour leur bien
(34) a. . , , , ,
;
b. . , , , , (Pl. R. 519d8-e1)
a. Et puis, dit-il, allons-nous les lser et leur faire vivre une vie infrieure, alors
quelle pourrait tre meilleure ?
b. Mon ami, [en formulant cette question] tu as de nouveau oubli, dis-je, que
Ces prcautions prises, il faut aller plus loin dans lhypothse : si les formes indirectes
de dlibration ont rellement pour fonction de prciser la nuance dontique que couvre la
dlibration, quelle nuance est attache quelle forme ?
36 Pour linstant, un seul exemple rpertori dans la littrature grecque par KG (1904 : 397.1) :
; (Pl. Lg. 800b1) Devons-nous prsent tablir cela par notre discours ?. Mais on peut
ventuellement le lire comme une question mtalinguistique sur la formulation de la rgle : (allons-nous dire)
tablissons cela par notre discours. ?
27
Loptatif + appartient au champ de la possibilit. Dans le domaine dontique, la
possibilit et labsence de possibilit sont reprsentes par la permission et linterdiction.
Un modal / et ladjectif verbal en - reprsenteront lobligation. Sils sont nis, en
fonction du niveau sur lequel porte la ngation, ils peuvent reprsenter labsence
dobligation, linterdiction, et peut-tre galement la prohibition ou labsence de
prohibition (dans les rpliques lobligation est aussi reprsente par limpratif et
linterdiction par limpratif ni). Le futur reprsente une obligation plus forte. Enfin,
+ subjonctif pourrait figurer la permission ou lexemption. On le voit, on ne peut
faire correspondre une une les nuances de la modalit dontique et les formes indirectes
de la dlibration. En outre, certaines formes peuvent recouvrir plusieurs nuances et
certaines nuances nont pas dexpressions pour les reprsenter. Les formes indirectes de la
dlibration ne sont pas univoques.
Lautre versant de lhypothse est que, si elles taient univoques (ou moins ambigus)
les formes indirectes de la dlibration ne devraient pas appeler la mme varit de
rpliques que le subjonctif dlibratif. Or ce nest pas le cas. Il est vrai quune rplique dun
certain type est majoritairement appele par une question du mme type. Les quatre
rpliques avec un verbe de volont (par exemple en Pl. R. 558d10) sont
uniquement appeles par une question en + subjonctif. Sur dix rpliques au futur,
neuf sont appeles par une question au futur. Mais linverse nest pas vrai : une question en
+ subjonctif nappelle pas ncessairement une rplique avec un verbe de volont. On
trouve aussi limpratif (Pl. R. 502a4, si lon considre que Socrate rplique sa propre
question), le subjonctif (Pl. R. 596a10) ou le futur (Pl. R. 455b4). On peut rpliquer une
question au futur avec un subjonctif (Pl. R. 373e4, Socrate rplique sa propre question) ou
modal (Pl. R. 387d3).
On peut conclure que lhypothse sduisante dune relation biunivoque entre une
forme indirecte de la dlibration et une nuance prcise de la modalit dontique (et donc
dune forme prcise de rplique) nest pas vrifie. En effet, certaines formes et certaines
nuances de la modalit dontique que lon trouve dans les rpliques napparaissent pas dans
les questions (cest le cas des impratifs et des interro-ngatives recouvrant lassertion
dune obligation) ; certaines nuances ne sont pas reprsentes comme labsence
dexemption ; daprs la varit de rpliques possibles, certaines formes recouvrent
plusieurs nuances. Tout au plus peut-on parler de tendance ou dorientation prfrentielle
de tel type de question vers telle nuance. Il faut donc poser une autre hypothse, qui se
situera, elle, sur le plan pragmatique.
4.2.3 4.2.3 4.2.3 4.2.3 Lhypothse pragmatiqueLhypothse pragmatiqueLhypothse pragmatiqueLhypothse pragmatique
On peut formuler une hypothse qui associerait chaque forme, directe ou indirecte, de
lacte de dlibration une rplique qui serait un sous-type dacte de langage directif, par
exemple linstruction, la permission, le conseil ou la proposition. En ce cas, lemploi dans la
28
question de telle ou telle forme viendrait induire un type de rplique. Force est de
constater que, l encore, on sattendrait trouver des paires symtriques. Or ce nest pas le
cas, comme on la vu dans la section prcdente. On peut expliquer cela par le fait que
linterlocuteur ne rplique pas ncessairement par lacte attendu par le locuteur. Toutefois,
si lon ne peut se fier la rplique, sur quels critres sappuyer pour trouver quel sous-
type dacte de langage chaque forme correspond ? Ltude de C. Denizot (2011) montre que
les diffrentes formes, directes et indirectes, peuvent servir toutes sortes dactes directifs.
En ce qui concerne les actes directifs tourns vers lintrt de linterlocuteur, les formes ne
sont mme pas spcialises pour un sous-type de ces actes. On a donc toute raison de
supposer quil en va de mme pour leur symtrique, les questions qui appellent comme
rplique un acte directif tourn vers lintrt de linterlocuteur.
5. 5. 5. 5. ConclusionConclusionConclusionConclusion
Dans cet article nous avons essay de montrer lexistence dun acte de langage
interrogatif dlibratif en nous fondant sur les questions au subjonctif et sur leurs
variantes. Il sagit de lacte par lequel le locuteur se met dans une position de dpendance
vis--vis dun interlocuteur pour obtenir de lui un acte directif qui mnage son propre
intrt : instruction, proposition, permission, conseil. Cest pourquoi, ces questions sont
essentiellement tournes vers lavenir et impliquent une modalit dontique. Ces deux
dimensions autorisent lemploi de diffrentes formes indirectes pour exprimer lacte de
dlibration. Bien quil y ait des tendances en termes de modalit (formes exprimant
davantage lobligation, la permission etc.), nous navons pu trouver de critres dfinitifs
pour expliquer les diffrences entre elles. Il existe (au moins) deux verbes qui ont des
emplois performatifs dlibratifs : () et .
Pour finir, il faut sinterroger sur larticulation gnrale des actes de langage entre
eux, et notamment ceux exprims par les trois types de phrases : interrogatif, dclaratif,
impratif. On a vu que les noncs interrogatifs sont le vhicule de deux actes de langage
directs : interrogatif informatif et interrogatif dlibratif37. Autrement dit, les noncs qui
ont une force illocutoire interrogative peuvent recevoir deux types de rpliques : assertive
ou directive. Ils forment deux types dchange, avec deux actes initiatifs diffremment,
appelant chacun un acte ractif diffrent (cf. la mention la thorie de Kerbrat-Orecchioni
2001 en 2.2). Si cela est juste, cela signifie que lacte de langage interrogatif nest pas
mettre sur le mme plan que les actes de langage assertif et directif, mais sur un plan
suprieur, selon le schma :
Tableau 5 : les deux types de questions et leur rplique
InterrogationInterrogationInterrogationInterrogation RpliqueRpliqueRpliqueRplique
37 La phrase interrogative dlibrative peut vhiculer un autre acte de langage, si elle est employe
indirectement.
29
DirectifDirectifDirectifDirectif Dlibrative Directive
InformatifInformatifInformatifInformatif Informative Assertive
Cette proposition rejoint semble-t-il celle de J. Lyons (1990). Dans cet ouvrage, Lyons
distingue la suite de R. M. Hare trois parties dans un nonc : le phrastique (= contenu
propositionnel, not p), le tropique (= le type de phrase) et le neustique (= la position du
locuteur sur la phrase). On peut donc avoir les combinaisons suivantes (Lyons 1990 : 421), o
le symbole signifie il en est ainsi et recouvre lacte assertif et ! signifie quil en soit
ainsi et recouvre lacte directif. Au niveau neustique, linterrogation se surajoute pour
produire partir dune assertion une question informative, partir dun acte directif une
question dlibrative.
Tableau 6 : les deux types de question daprs Lyons (1990)
NeustiqueNeustiqueNeustiqueNeustique TropiqueTropiqueTropiqueTropique PhrastiquePhrastiquePhrastiquePhrastique
QuesQuesQuesQuestions informativestions informativestions informativestions informatives ? p
Questions dlibrativesQuestions dlibrativesQuestions dlibrativesQuestions dlibratives ? ! p
30
Annexe 1Annexe 1Annexe 1Annexe 1 : le dlibratif loign: le dlibratif loign: le dlibratif loign: le dlibratif loign
la fin du XIXe sicle, dans the Classical Review a eu lieu un dbat sur certaines formes
doptatifs. Certains ont avanc quil pourrait sagir dune forme spcifique de dlibratif
loign (remote deliberative). Les principaux acteurs en sont A. Sidgwick (1893) et un
anonyme signant J.D. (1892) (voir aussi J.D. et Sidgwick 1893 et Hale 1893, 1894).
Les formes doptatifs en question sont des formes que lon trouve en contexte prsent
(ce qui limine linterprtation comme optatif oblique de concordance ) et dans des
interrogatives directes aussi bien que dans des subordonnes (35).
Dans la rpublique de Socrate, rgnent le bon conseil et la sagesse
(35) , ,
; (Pl. R. 428c12-d3)
grce quoi, la cit dlibre non pas sur une des affaires de la cit, mais sur elle-
mme dans son entier, [se demandant] de quelle faon elle peut entretenir les meilleures
relations avec elle-mme et avec les autres cits.
Lide de A. Sidgwick est que les passages qui prsentent ces optatifs sont homognes :
il sagit de contextes interrogatifs dlibratifs ou dextension de ces contextes, par exemple
des propositions thtiques comme + terme du paradigme de . Le problme
de cette hypothse est quil est difficile de trouver un point de dpart de lextension de cet
optatif. Ce serait un adoucissement du subjonctif plutt quun dveloppement partir
de loptatif avec , o on ne voit pas pourquoi serait omis (Sidgwick 1893 : 98). De plus,
dans cette dernire hypothse, lomission de devrait pouvoir avoir lieu ailleurs. Ce nest
pas le cas daprs Sidgwick.
On en a cependant plusieurs exemples38. Cest pourquoi J.D. rcuse la fois le
caractre dlibratif de cet optatif et, quand on est en subordonne, le caractre
interrogatif de la subordonne. Il propose de voir dans ces optatifs des optatifs potentiels
sans , ou bien o a t omis par les copistes et doit tre restitu. Si lon accepte tout de
mme que ces subordonnes soient des interrogatives, cela nous ramne donc une des
variantes du subjonctif dlibratif.
Quand je dis que est omis, ce que je veux dire, cest que dans le grec de
Pricls ou de Dmosthne, la grande majorit des phrases semblables celles o il
est absent lauraient. Je ne veux pas affirmer que loptatif seul ntait pas utilis
lorigine dans des propositions, affirmatives, ngatives ou interrogatives, pour
exprimer une assertion avance comme une conception pure. Linsertion de
38 Voir Hippocrate, Ancienne Mdecine, 20 :
Certains mdecins et sophistes disent quil nest pas possible/ne serait pas possible
31
peut trs bien avoir t un ajout pour distinguer lassertion positive de lexpression
dun souhait39. (J.D. (1892 : 437))
Le problme de la proposition de J.D. est son manque de cohrence. Par exemple, il
soutient que il nest pas possible que est la fois ce qui introduit la
subordonne et un adverbe (= nullement (sic) (1892 : 436)), ce qui fait une
indpendante de ce qui tait a priori une subordonne. En outre, comme le souligne
Sidgwick, il ignore les contextes non vridiques (voir note 29) o apparaissent ces optatifs.
Si lon examine notre tour les exemples fournis par ces deux auteurs, cela permet de
voir que linterprtation nest pas, contrairement ce que dit Sidgwick (1893 : 98),
dlibratif. Aucun des optatifs prsents na les caractristiques de la dlibration (situation
de doute sur une action accomplir, le sujet du verbe tant celui qui doit/peut accomplir
laction).
Les deux exemples en interrogatives directes relvent clairement du potentiel (Esch.
Ch. 595 ; S. Ant. 604).
En subordonnes, plusieurs cas se prsentent. (Ar. Th. 871) est aussi un potentiel (mais
la traduction de la C.U.F. suggre une interprtation comme souhait).
(Esch. A. 620) et (E. Alc. 52) ont tous deux la structure , qui est mettre
en relation avec les subordonnes finales et non avec les interrogatives.
(Esch. Ch. 172) et (E. IT 588) peuvent se comprendre sans avoir recours au rapport avec
un subjonctif. Dans les deux cas, on est dans un contexte narratif pass. Il sagit
probablement de la transposition dun aoriste de lindicatif.
Reste (S. O.C. 1172) o lon a affaire un fait certain, ce qui exclut les interprtations
potentielles, finales ou dlibratives, et en contexte prsent (ce qui exclut un optatif
oblique). Le prtendu dlibratif loign ne relve donc pas de la dlibration. La plupart
des exemples se laissent expliquer par le potentiel, la suite de J.D. (1892).
39 When I say that is omitted all I wish to imply is that in the Greek of Pericles or Demosthenes the vast
majority of sentences similar to those where it is missing would have it. I do not wish to assert that the
optative alone was not used originally in clauses, affirmative, negative and interrogative, to express a
statement put forward as a pure conception. The insertion of may have been an accretion to distinguish
positive statement from the expression of a wish.
32
Annexe 2Annexe 2Annexe 2Annexe 2 : le corpus: le corpus: le corpus: le corpus
A. InterrogativesA. InterrogativesA. InterrogativesA. Interrogatives dlibratives directes dlibratives directes dlibratives directes dlibratives directes A.1 Au subjonctif (A.1 Au subjonctif (A.1 Au subjonctif (A.1 Au subjonctif (RpubliqueRpubliqueRpubliqueRpublique))))
PersonnePersonnePersonnePersonne Verbe Verbe Verbe Verbe
(lemme)(lemme)(lemme)(lemme)
Verbe (forme Verbe (forme Verbe (forme Verbe (forme
conjugue)conjugue)conjugue)conjugue)
ExempleExempleExempleExemple RpliqueRpliqueRpliqueRplique Type de Type de Type de Type de
rpliquerpliquerpliquerplique
RfrenceRfrenceRfrenceRfrence
P1 ; , ,
,
, ,
,
.
impratif 345b 5
P1 , , ' , '
;
, particule 337b 7
P4 , ,
,
, ,
. subjonctif 566d 5
P4
,
,
, ,
, ,
, , ,
, ,
assertif 586d 4
P4 , , , ,
,
, . neutre 550c 4
33
PersonnePersonnePersonnePersonne Verbe Verbe Verbe Verbe
(lemme)(lemme)(lemme)(lemme)
Verbe (forme Verbe (forme Verbe (forme Verbe (forme
conjugue)conjugue)conjugue)conjugue)
ExempleExempleExempleExemple RpliqueRpliqueRpliqueRplique Type de Type de Type de Type de
rpliquerpliquerpliquerplique
RfrenceRfrenceRfrenceRfrence
P4 , ' , ;;;; , ,
assertif 334e 5
P4 , ,
,
,
,
, . impratif 580b 8
P4 , ,
pas de rplique pas de
rplique
581d 10
P4 , . neutre 461e 9
P4 ,
modal 559a 8
P4 pas de rplique pas de
rplique
527d 1
P4 , . subj 527c 10
P4
, ,
, [601a]
,
,