59
1 La délibération et le subjonctif délibératif La délibération et le subjonctif délibératif La délibération et le subjonctif délibératif La délibération et le subjonctif délibératif dans la prose grecque classique dans la prose grecque classique dans la prose grecque classique dans la prose grecque classique 1 Richard Faure Université de Nice-Sophia Antipolis UMR 7320 (Bases, Corpus, Langage) [email protected] Paru dans Syntaktika 43, http://www.openedition.org/10411 Abstract In this paper, I argue in favor of the existence of a deliberative speech act separate from the act of asking an informative question: deliberative questions have a directive speech act as an answer. First I study the questions in the so-called deliberative subjunctive. I then analyze the indirect deliberative speech acts with forms such as optative + ἄν, future indicative, verbal adjective in -τέος, modal verbs of obligation (χρή, δεῖ). Finally, I propose a new view of the links between the interrogative on one hand and the assertive and directive speech acts on the other hand. Résumé Dans cet article, je défends l’existence d’un acte de langage délibératif indépendant de l’acte de poser une question informative : les questions délibératives ont pour répliques un acte de langage directif. Tout d’abord, j’étudie les questions au subjonctif dit délibératif. J’analyse ensuite les actes de langage délibératifs indirects qui comportent des formes telles que l’optatif + ἄν, l’indicatif futur, l’adjectif verbal en -τέος, les verbes modaux d’obligation (χρή, δεῖ). Enfin, je propose une nouvelle façon de décrire le rapport de l’acte interrogatif avec les actes de langage que sont les actes assertifs et directifs. 1 1 1 1 Introduc Introduc Introduc Introduction tion tion tion 1.1 1.1 1.1 1.1 Le corpus Le corpus Le corpus Le corpus Cet article est une analyse de l’acte de délibération et de son expression linguistique en grec classique à travers l’étude des questions délibératives, et notamment des questions délibératives au subjonctif. Cette analyse a été menée sur la République de Platon, soit un corpus de 1694 interrogatives (directes et indirectes). Sur ces 1694 interrogatives, 90 (77 directes et 13 indirectes) ont été considérées comme délibératives, selon des critères que l’on a déduit de l’étude des questions au subjonctif délibératif (section 2). Le corpus a été élargi pour l’étude du subjonctif délibératif dans deux directions. Pour les interrogatives directes il a été étendu à d’autres dialogues de Platon (Euthyphron, Apologie de Socrate, Criton, 1 Les remarques faites par Camille Denizot ont profondément amélioré cet article. Qu’elle en soit remerciée ici. Je suis bien entendu responsable de toutes les erreurs et inexactitudes restantes.

La délibération et le subjonctif délibératifLa ... · 5 délibération (section 4). Enfin, on revient sur le problème des actes de langage et des répliques spécifiques qu’appelle

Embed Size (px)

Citation preview

1

La dlibration et le subjonctif dlibratifLa dlibration et le subjonctif dlibratifLa dlibration et le subjonctif dlibratifLa dlibration et le subjonctif dlibratif

dans la prose grecque classiquedans la prose grecque classiquedans la prose grecque classiquedans la prose grecque classique1111 Richard Faure

Universit de Nice-Sophia Antipolis

UMR 7320 (Bases, Corpus, Langage)

[email protected]

Paru dans Syntaktika 43, http://www.openedition.org/10411

Abstract

In this paper, I argue in favor of the existence of a deliberative speech act separate

from the act of asking an informative question: deliberative questions have a directive

speech act as an answer. First I study the questions in the so-called deliberative subjunctive.

I then analyze the indirect deliberative speech acts with forms such as optative + , future

indicative, verbal adjective in -, modal verbs of obligation (, ). Finally, I propose a

new view of the links between the interrogative on one hand and the assertive and directive

speech acts on the other hand.

Rsum

Dans cet article, je dfends lexistence dun acte de langage dlibratif indpendant de

lacte de poser une question informative : les questions dlibratives ont pour rpliques un

acte de langage directif. Tout dabord, jtudie les questions au subjonctif dit dlibratif.

Janalyse ensuite les actes de langage dlibratifs indirects qui comportent des formes telles

que loptatif + , lindicatif futur, ladjectif verbal en -, les verbes modaux dobligation

(, ). Enfin, je propose une nouvelle faon de dcrire le rapport de lacte interrogatif

avec les actes de langage que sont les actes assertifs et directifs.

1 1 1 1 IntroducIntroducIntroducIntroductiontiontiontion

1.1 1.1 1.1 1.1 Le corpusLe corpusLe corpusLe corpus

Cet article est une analyse de lacte de dlibration et de son expression linguistique

en grec classique travers ltude des questions dlibratives, et notamment des questions

dlibratives au subjonctif. Cette analyse a t mene sur la Rpublique de Platon, soit un

corpus de 1694 interrogatives (directes et indirectes). Sur ces 1694 interrogatives, 90 (77

directes et 13 indirectes) ont t considres comme dlibratives, selon des critres que

lon a dduit de ltude des questions au subjonctif dlibratif (section 2). Le corpus a t

largi pour ltude du subjonctif dlibratif dans deux directions. Pour les interrogatives

directes il a t tendu dautres dialogues de Platon (Euthyphron, Apologie de Socrate, Criton,

1 Les remarques faites par Camille Denizot ont profondment amlior cet article. Quelle en soit remercie ici.

Je suis bien entendu responsable de toutes les erreurs et inexactitudes restantes.

2

Phdon, Cratyle, Thtte, Sophiste, Politique, Parmnide, Philbe, Banquet, Phdre, Alcibiade I et II,

Hipparque2), soit au total 129 interrogatives dlibratives avec un subjonctif dlibratif (109 +

20 dans la Rpublique). Pour les interrogatives indirectes (plus rares), le corpus a t largi

ces dialogues platoniciens augments du Protagoras, du Gorgias ; de lAnabase et de la

Cyropdie de Xnophon et des 21 premiers discours de Dmosthne, soit 37 occurrences au

total (32 + 5 de la Rpublique). Ce corpus est intgralement donn dans lAnnexe 2 et

prsent de faon synthtique dans le tableau 1.

Tableau 1 : relevs chiffrs des interrogatives dlibratives

RpubliqueRpubliqueRpubliqueRpublique

Corpus largi Corpus largi Corpus largi Corpus largi

interrogatives interrogatives interrogatives interrogatives

directes au directes au directes au directes au

subjonctifsubjonctifsubjonctifsubjonctif

Corpus largi Corpus largi Corpus largi Corpus largi

interrogatives interrogatives interrogatives interrogatives

indirectes indirectes indirectes indirectes au au au au

subjonctifsubjonctifsubjonctifsubjonctif

TotalTotalTotalTotal

Interrogatives Interrogatives Interrogatives Interrogatives

dlibrativesdlibrativesdlibrativesdlibratives 90 109 32 231

Interrogatives Interrogatives Interrogatives Interrogatives

dlibratives sans dlibratives sans dlibratives sans dlibratives sans

subjonctifsubjonctifsubjonctifsubjonctif

65 (dont 8

indirectes) * * 65

Interrogatives Interrogatives Interrogatives Interrogatives

dlibratives au dlibratives au dlibratives au dlibratives au

subjonctifsubjonctifsubjonctifsubjonctif

25 (dont 5

indirectes) 109 32 166

En dpit des apparences, la dlibration nest pas moins prsente dans les

interrogatives indirectes (6,2% contre 5,3% des interrogatives directes dans la Rpublique),

mais les interrogatives indirectes sont beaucoup moins nombreuses que les directes, ce qui

explique la diffrence pour les chiffres absolus (225 contre 1469 directes dans la Rpublique).

1.2 1.2 1.2 1.2 La dlibrationLa dlibrationLa dlibrationLa dlibration

Les questions (ou actes dinterrogation) sont considres comme des demandes

dassertion adresses un interlocuteur (Searle 1972 ; Kerbrat-Orecchioni 2001 : chapitre 4).

Elles prennent le plus souvent la forme dune phrase interrogative. La raction attendue de

linterlocuteur est lapport dune information, sous forme dune phrase assertive,

ventuellement elliptique (rduite au seul focus) comme en (1).

(1) a. Quelle heure est-il ?

b. (Il est) 12h45.

2 Le relev dans ce corpus a t ralis partir des donnes du LASLA et grce un programme informatique

ralis par Grald Purnelle. Quil en soit remerci ici.

3

ct de cela, on considre que les phrases interrogatives peuvent aussi vhiculer des

actes de langage autres que la question, ce quon appelle dordinaire des actes de langage

indirects, comme dans le clbre peux-tu me passer le sel ? qui formule dans la plupart

des situations une requte et non une demande dinformation. Bien quelles vhiculent un

acte de langage indirect autre quune question, ces interrogatives peuvent recevoir une

rponse. Celle-ci est assertive. Ainsi (2)a est une interrogative vhiculant une injonction

(reformulable sous la forme que quelquun vienne maider) et a (2)b pour rponse.

(2) a. Personne ne viendra maider ?

b. Si, moi, je viendrai taider.

Mais il est une autre catgorie de phrases interrogatives qui ne sont pas des actes de

langage indirects et nappellent pas non plus de rponse assertive. Ce sont les questions

dites dlibratives , illustres par le bref dialogue en (3) (b est la rponse a, a et b sont

des variantes, non exactement quivalentes, respectivement de a et de b).

(3) a. Que dois-je faire ?

a. Que faire ?

b. Partir.

b. Pars.

Ce genre de questions appelle une rponse ou une rplique3 de linterlocuteur qui nest pas

une assertion, mais un acte directif4 (direct pour (3)b, indirect pour (3)b, si l'on restitue

(tu dois) partir ). Cette spcificit a t note depuis longtemps, notamment par les

philosophes du langage (voir Wheatley 1955, Mayo 1956), mais aussi par des linguistes

comme Huddelston (1994 : 435) :

Comme ces rponses ont la force [illocutoire] dacte directif plutt que dassertion, on ne peut

valuer leur valeur de vrit : ainsi on ne peut pas dire que la bonne rponse une

question directive [= dlibrative] est celle qui est vraie. Souvent, le problme de ce quest

la bonne rponse une question directive est pragmatiquement triviale5, 6. (cest nous qui

soulignons)

3 Nous prfrerons dans la suite ce terme qui est plus englobant pour dsigner la raction de linterlocuteur

une question le terme de rponse, qui a une connotation informative et ne convient pas ncessairement un

acte directif. 4 Remarque dj prsente chez Khner-Gerth (1904 : 536). 5 As these answers have the force of directives rather than statements, they cannot be assessed as true or

false: the right answer to a direction question thus cannot be said to be the one that is true. Often the issue of

what is the right answer to a direction question is pragmatically trivial. 6 Schwyzer-Debrunner (1966 : 318) parlent de questions laquelle on nattend pas de rponse. En fait, on

nattend pas de rponse informative.

4

Dun point de vue pragmatique, ces questions semblent vhiculer un acte de

dlibration, cest--dire lexpression dune rflexion sur le bien-fond dune action7.

Toutefois, cette formulation est suffisamment imprcise pour que beaucoup dnoncs

puissent tre vus comme des actes de dlibration. Or il se trouve que certaines langues

disposent dune forme spcifique pour exprimer cet acte. Cest le cas du grec et de son

subjonctif dit dlibratif . Lemploi de ce subjonctif dlibratif en phrase interrogative

recouvre un acte plus prcis que celui dfini ci-dessus, notamment en termes nonciatifs.

Une diffrence majeure avec le franais est que le grec ignore les interrogatives linfinitif8

et doit toujours prciser la personne concerne. Nous verrons quil sagit de la premire

personne (du singulier ou du pluriel). Les quelques exceptions ne sont quapparentes

comme il ressortira de lanalyse.

Ces spcificits des questions dites dlibratives par rapport aux autres questions

(rplique par un acte directif, emploi dun mode spcifique) nous amnent nous demander

quelle est la place de la dlibration dans les actes de langage. Nous adopterons une

dmarche proche de celle de Searle 1972, Searle et Vanderveken 1985, Vanderveken 1988

pour dterminer sil sagit dun acte de langage part entire (question laquelle nous

rpondrons positivement). Pour cela, il faudra voir quelles sont les conditions de flicit qui

singularisent la dlibration.

Le problme est compliqu par la prsence dinterrogatives qui prsentent toutes les

particularits nonciatives des interrogatives au subjonctif dlibratif, mais avec une forme

verbale autre quun subjonctif. Peut-on parler dacte de langage dlibratif direct pour les

interrogatives au subjonctif et indirect dans les autres cas ? Plus largement, cette tude

constitue une rflexion sur lacte dinterrogation, dont on verra que la dlibration est une

des deux branches. Cest pourquoi ltude des rpliques ces questions sera un des points

cruciaux de notre mthode.

Il convient dans un premier temps danalyser de prs la forme prototypique de

linterrogative dlibrative : celle qui contient un subjonctif dlibratif afin de dgager les

principales caractristiques de la dlibration (sections 2 (interrogatives directes) et 3

(interrogatives indirectes)). Dans un second temps, on sintresse aux autres formes de la

7 Selon le trsor de la langue franaise informatis (http://atilf.atilf.fr/), dlibrer cest examiner, peser tous

les lments d'une question avec d'autres personnes, ou ventuellement en soi-mme, avant de prendre une

dcision, pour arriver une conclusion . 8 Dans une tude typologique, H.-M. Grtner (2008, 2009) a propos une hypothse sduisante pour expliquer

pourquoi les langues admettent ou non un infinitif dans les interrogatives. Pour cela, il part des interrogatives

indirectes. Selon lui, si le systme pronominal dune langue L ne prsente pas dambigut solide entre les

indfinis et les interrogatifs, alors L peut avoir des interrogatives indirectes infinitives. En revanche, dans le

cas inverse, la langue na pas dinterrogatives infinitives. Ainsi en allemand, la proposition waswaswaswas zu lesen dans la

phrase Ich versuche waswaswaswas zu lesen signifie lire quelque chose. Si lallemand possdait des interrogatives

infinitives, elle pourrait aussi signifier quoi lire. Cela fait la mme prdiction pour le grec ancien (qui fait

partie de son corpus) et elle est vrifie en raison de lhomonymie entre (indfini) et (interrogatif), qui

ne diffrent que par laccent.

5

dlibration (section 4). Enfin, on revient sur le problme des actes de langage et des

rpliques spcifiques quappelle lacte de langage dlibratif.

2 2 2 2 Le subjonctif dlibratifLe subjonctif dlibratifLe subjonctif dlibratifLe subjonctif dlibratif

Dans cette section, nous tentons de voir quelles sont les particularits de la

dlibration partir des caractristiques des interrogatives au subjonctif dlibratif, prises

comme formes prototypiques (car non ambigus) de la dlibration. On prend comme point

de dpart les remarques des grammaires et des ouvrages de rfrence sur les modes.

2222.1 .1 .1 .1 Les caractristiques des interrogatives au subjonctif dlibratifLes caractristiques des interrogatives au subjonctif dlibratifLes caractristiques des interrogatives au subjonctif dlibratifLes caractristiques des interrogatives au subjonctif dlibratif

Le cur des remarques prsentes dans les grammaires est bien rsum dans ce

passage de Humbert (1972) :

Le subjonctif dlibratif pose une question que la personne se pose elle-mme sur

l'opportunit de ses propres dmarches : elle sapplique moi et nous (ou des

quivalents de premires personnes). (Humbert 1972 : 114, 183)

partir de cet emploi, diverses nuances peuvent sexprimer. Pour J. Humbert, le

subjonctif dlibratif est particulirement propre exprimer l'indignation ou le

dcouragement, pour Khner et Gerth (dsormais KG) (1898 : 221, 394.6) la rsistance,

ltonnement ou lironie (Unwille, Verwunderung, Ironie) ; pour Schwyzer-Debrunner (1966),

les questions o il apparat sont des questions de rflexion, doute, rsistance, tonnement

(berlegende, zweifelde, unwillige, verwunderte (Selbst-)Fragen). On retrouve certaines nuances

dans lexemple le plus cit dans les grammaires (4)9, qui indique lhsitation du chur.

Le Chur hsite rvler Crse que son mari est parti avec Ion

(4) ; (E. Ion 758)

Devons-nous parler ou nous taire ? Quallons-nous faire ?

Cest pourquoi on donne diffrents noms au subjonctif dlibratif : dubitativus,

indignantis, interrogatif, mode des questions dappel. Pour certains, ces noms ne

caractrisent quune partie des emplois du subjonctif dlibratif. Pour dautres, ils sont

interchangeables. Dans lensemble, ils ne font que signaler des effets de sens, mais ne sont

pas applicables toutes les interrogatives au subjonctif dlibratif. Pour prciser les

proprits des noncs avec subjonctif dlibratif, il faut regarder de plus prs leurs

caractristiques linguistiques. Voici ce que lon trouve dans les diffrentes grammaires du

9 Les traductions sont miennes. Les abrviations sont celles du dictionnaire de Liddell, Scott et Jones, mis

part pour Eschyle, abrg Esch.

6

grec10. Pour les caractristiques qui ne font pas lunanimit, on a prcis entre parenthses

le nom de la grammaire qui la propose.

2.1.1 2.1.1 2.1.1 2.1.1 SyntaxeSyntaxeSyntaxeSyntaxe

Voici les trois caractristiques syntaxiques des interrogatives au subjonctif dlibratif

que lon trouve dans les grammaires :

Le subjonctif dlibratif se trouve dans toutes les sortes dinterrogatives (totales

ex. (4), partielles ex. (5) et alternatives ex. (6)).

La ngation est (ex. (7)).

En subordonne, la transposition loptatif oblique en contexte pass est

possible (ex. (19)).

La dfinition du ne convient pas

(5) , , ; (Pl. R. 334e9)

Et maintenant, dis-je, comment faire pour la changer ?

(6)

; (Pl. Cra. 429a2)

Devons-nous donc dire que ce mtier (faire des lois) est n aussi chez les hommes,

comme les autres mtiers, ou non ?

Les penses des hommes prennent souvent la forme de texte crit ou dimages

(7)

, ,

; (Pl. Phlb. 40b4)

Parmi celles-ci, pouvons-nous dire que la plupart du temps, ce qui est dpeint se

prsente comme vrai aux hommes bons, parce quils sont aims des dieux, tandis que cest

la plupart du temps le contraire pour les hommes mauvais, ou bien ne pouvons-nous pas le

dire ?

2.1.2 2.1.2 2.1.2 2.1.2 SmantiqueSmantiqueSmantiqueSmantique

10 Les grammaires examines sont (dans lordre chronologique de parution)

Goodwin (1889 : 98-101, 287-289 et 292).

KG (1898 : 221, 394.6 ; 234 396.5) et (1904 : 536, 590).

Smyth (19562 : 405, 1807 et 1809 ; 600, 2662 ; 605-606, 2677-2679).

Humbert (19723 : 114, 183 ; 240, 391 ; 244, 400).

Schwyzer-Debrunner (19663 : 318).

Adrados (1992 : 526-527).

Cooper (1998 : 651, 53.7.2 ; 677-679, 54.2.3 ; 679, 54.2.4 et 54.2.5 ; 686, 54.3.8 ; 710-711, 54.7.0 et

54.7.1).

7

Cest sur la valeur smantique du subjonctif dans les interrogatives que lon trouve le

plus de divergences. On a parfois class le subjonctif dlibratif comme troisime emploi

fondamental du subjonctif ct du subjonctif dordre et du subjonctif prospectif. Cela

prouve la difficult que lon a lexpliquer. Une autre dmarche a consist ramener les

deux autres emplois du subjonctif une valeur fondamentale (la volont pour Delbrck

1871 ; le futur pour Hahn 1953), puis y rattacher le subjonctif dlibratif. Il a parfois t

considr comme une combinaison des deux valeurs (Adrados 1992).

Linterprtation dcoule de linsertion dun subjonctif volitif (aussi appel

hortatif ; exhortatif ; dordre) dans une question.

Ce subjonctif est la fois volitif et prospectif (Adrados).

Demande une rplique qui soit plutt un ordre (KG).

Souvent, il ny a pas de rplique attendue11 (Schwyzer : Fragen, auf die oft keine

Antwort erwartet wird ).

En ralit, il est plus facile de comprendre le subjonctif dlibratif si lon part de sa

place dans le champ de la modalit en grec ancien. En effet, le subjonctif est un mode qui se

comprend par rapport aux deux autres modes que sont lindicatif et loptatif. En tant que

mode, il est le reflet dune ou plusieurs modalits. Avec J. Lyons (1990), nous distinguerons

la modalit pistmique (subjective et objective12), qui indique le point de vue sur la valeur

de vrit de lnonc, et la modalit dontique, qui indique le point de vue sur la ralisation

du contenu propositionnel de lnonc. Les deux valeurs reconnues au subjonctif en grec

classique13 relvent chacune dune de ces deux modalits : la valeur prospective correspond

la modalit pistmique ; la valeur volitive la modalit dontique. Lunit du mode

subjonctif tient la force de la modalit relativement celle exprime par les deux autres

modes, indicatif/impratif et optatif (dans le mme sens voir Lyons 1990 : 433-436). Dans le

cadre de la modalit pistmique, le subjonctif indique que la ralisation du procs est

probable (elle est prsente comme certaine avec lindicatif, comme possible avec

loptatif14). Dans le cadre de la modalit dontique, il indique que le procs peut/doit tre

ralis, mais de faon moins contraignante que dans un nonc limpratif, et plus

contraignante que dans un nonc loptatif15.

11 Voir la citation de Huddelston en introduction. 12 Difficile distinguer de la modalit althique selon Lyons (1990 : 417). 13Il ne semble pas que lon puisse soutenir cela pour le grec homrique o la frontire avec lindicatif futur est

moins nette (voir Hahn 1953 ; Chantraine (1953 : 309)). 14Cela se lit par exemple dans les systmes conditionnels : + indicatif prsente la ralisation du procs

comme plus certain que + subjonctif, lui-mme plus certain que + optatif (pour cette chelle voir louvrage

de G. Wakker 1994). 15 En ralit, cela nest pas aisment dmontrable, car le subjonctif et limpratif sont en rpartition

complmentaire dans lexpression des actes directifs. Le subjonctif (aoriste) ne sert gure qu la dfense.

8

Le subjonctif dlibratif est rapprocher de la modalit dontique. En effet, il forme

un couple avec le subjonctif volitif comme dans lextrait de la Rpublique en (8) qui prsente

une paire question/rplique au subjonctif.

(8) a. .

b. . . (Pl. R. 444a8-9)

a. Pouvons-nous donc le dire (que nous avons trouv la dfinition de ltat juste) ?

b. Disons-le.

La possibilit de rpliquer avec un modal dobligation va dans le mme sens (ex. (9)).

(9) a. . ,

;

b. . . (Pl. R. 559a8-10)

a. Devons-nous choisir un exemple de ce quest chacun dentre eux (les dsirs) pour

que nous les saisissions dans les grandes lignes ?

b. Il le faut.

Dans un article de 1995, A. Revuelta-Puigdollers montre que le subjonctif dlibratif

couvre tout le champ de la modalit dontique16 : permission/interdiction,

obligation/absence dobligation. Il tire cette conclusion dune analyse smantique et des

diffrentes gloses du subjonctif dlibratif que lon trouve dans les textes. Ainsi, le

subjonctif dlibratif peut tre glos par un verbe P2 comme ordonner suivi dun

infinitif qui a un sujet rfrent au locuteur, ce qui montre sa capacit exprimer

lobligation et linterdiction, ou un verbe comme laisser, permettre, en rapport avec

lexpression de la permission/interdiction. Il en va de mme avec les modaux comme

/ falloir ou + infinitif pouvoir. Ses rsultats sont rsums dans le tableau 2,

adapt de Revuelta (1995 : 85).

On peut mme compliquer le tableau en considrant quil faut prendre en compte

davantage de nuances. Cela donne pour rsultat le tableau 3 (le tableau 4 est une glose du

tableau 3 avec les verbes modaux). Toutefois, il nest pas sr que tout soit sur le mme plan.

Toutefois, le fait que limpratif soit la forme prototypique des actes directifs alors que le subjonctif ny est

employ que marginalement va bien dans le sens dune diffrence de force. En dehors des actes directifs, le

subjonctif peut tre utilis, notamment P4, dans lexhortation, qui nest pas contraignante. Limpratif sert

bien formuler dautres actes de langage, mais ce nest pas sa fonction premire. Sur ces points, nous

renvoyons ltude de C. Denizot (2011) qui a un point de vue plutt diffrent du ntre et se place sur le plan

de lnonciation et non sur celui de la modalit.

Les rares emplois de loptatif de souhait qui peuvent tre compris comme directifs relve de lacte de langage

indirect. Dans le cadre de la modalit dontique, loptatif + ne connat gure que lemploi de la permission

(sur ce point, notre analyse diffre de celle de C. Denizot, qui rattache les optatifs + quelle tudie la

modalit pistmique). 16 Pour une discussion du point de vue de la philosophie du langage, voir Wheatley (1955).

9

Obligation et permission sont des notions plus fondamentales comme le montre lemploi

rcurrent des verbes devoir et pouvoir dans le tableau 4. Ainsi, la non exemption et

lobligation ou la non prohibition et la permission apparaissent comme des notions

intuitivement proches. Limportant est de voir le champ des nuances que peuvent recouvrir

et la modalit dontique et le subjonctif dlibratif et le recoupement entre les deux.

Tableau 2 : le subjonctif dlibratif comme expression de la modalit dontique

(notions)17 (1)

Subjonctif dlibratif au positif

Permission Prohibition

Obligation Exemption

Subjonctif dlibratif ni

Tableau 3 : le subjonctif dlibratif comme expression de la modalit dontique

(notions) (2)

Subjonctif dlibratif au positif

Permission/Interdiction Prohibition/Non

prohibition

Obligation/Non

obligation Exemption/Non exemption

Subjonctif dlibratif ni

Tableau 4 : le subjonctif dlibratif comme expression de la modalit dontique

(verbes modaux)

Subjonctif dlibratif au positif

pouvoir faire/devoir ne pas faire ne pas pouvoir faire/pouvoir ne

pas faire (sans lavoir demand)

devoir faire/ne pas tre

oblig de faire

pouvoir ne pas faire (en layant demand)/ne pas

pouvoir ne pas faire

Subjonctif dlibratif ni

Il ne peut tre question ici dexemplifier toutes ces possibilits, mais (9) est un bon

exemple dobligation ; (10) est un bon exemple de demande de permission ou de non

prohibition (lecture facilite par la prsence de la conditionnelle).

17 Il faut en ralit lire demande de prohibition , demande de confirmation de la prohibition etc.

10

(10) , , ,

; (X. Mem. 1.2.36)

Si jachte quelque chose, dit-il, qui est vendu par un homme de moins de trente ans,

ne puis-je pas lui demander combien il le vend ?

Enfin, le dernier point sur lequel les grammaires sexpriment est la situation

dnonciation dans laquelle on trouve le subjonctif. Lie la modalit dontique que lon

vient de dfinir, elle permet de mettre en vidence un acte de langage spcifique lnonc

au subjonctif dlibratif.

2.1.3 2.1.3 2.1.3 2.1.3 Situation dnonciationSituation dnonciationSituation dnonciationSituation dnonciation

Dans les grammaires, les caractristiques nonciatives suivantes sont attribues au

subjonctif dlibratif :

Le subjonctif dlibratif est le plus souvent P1 ou P418.

Il se trouve dans des questions o on se demande si laction verbale est exige du

sujet du verbe au subjonctif ( In questions which ask whether the verbal action

is required of the suject of the subjunctive (Cooper (1998 : 54.2.3))).

P3 et P6 sont rares, et se trouvent surtout dans les interrogatives partielles. Cest

un phnomne rcent (Prcision de Schwyzer (1966 : 318) : il existe en attique

depuis Platon et Dmosthne ( im Attischen erscheint er seit Plato und

Demosthenes )).

P2 ne se trouve quau thtre (Cooper).

Rfrence une situation prsente (KG).

Ces remarques peuvent galement tre faites pour notre corpus. Sur 134

interrogatives directes au subjonctif dlibratif seules deux sont P3 et un exemple hors

corpus est P5 (nous revenons sur ces exemples infra). Toutes les autres sont P1 (14) ou

plus encore P4 (119).

Pour ce qui est de la rfrence la situation prsente signale par KG, il faut distinguer

deux lments19 : le contenu propositionnel, dont la ralisation est ncessairement

postrieure la situation dnonciation, puisquelle dpend de la rplique de

linterlocuteur ; et lnonciation elle-mme. Lemploi du subjonctif dlibratif ncessite ces

deux lments. Lancrage dans la situation dnonciation est impratif. Cest--dire quon ne

trouve de subjonctif que dans un contexte de discours par opposition un contexte de rcit,

selon lopposition dsormais traditionnelle introduite par Benveniste 1966. Cela est certes

18 Nous adoptons la prsentation qui numrote les personnes de P1 P6 (P4 = premire du pluriel, P5 =

deuxime du pluriel, P6 = troisime du pluriel). 19 Je dois cette remarque C. Denizot.

11

voulu par le subjonctif, qui ne renvoie un temps pass que sil est dans une subordonne

dpendant dun verbe lui-mme au pass. Mais cela va plus loin, comme on le verra dans

ltude des interrogatives indirectes. Par ailleurs, pour avoir un subjonctif dlibratif, est

galement ncessaire la dpendance de la ralisation du contenu propositionnel vis--vis de

la rplique la question, autrement dit la rfrence future du contenu propositionnel. Cela

prdit par consquent que lon doive employer un autre moyen que le subjonctif pour dire :

que devait-il faire ? , ce qui est vrifi.

2.2 2.2 2.2 2.2 Lacte de langage dlibratifLacte de langage dlibratifLacte de langage dlibratifLacte de langage dlibratif

Lexamen des particularits syntaxiques, smantiques et nonciatives suggre que les

interrogatives au subjonctif dlibratif sont isoles parmi les interrogatives. Dans cette

section, nous dfendons lide que cet isolement est d au fait que les interrogatives au

subjonctif dlibratif sont le vhicule dun acte de langage particulier : lacte de

dlibration. Pour ce faire, nous ranalysons certaines des caractristiques, notamment

nonciatives, comme les restrictions personnelles.

2.2.1 2.2.1 2.2.1 2.2.1 Conditions de lacte dlibratifConditions de lacte dlibratifConditions de lacte dlibratifConditions de lacte dlibratif

Il ressort de la restriction presque complte P1/P4 que lacte de dlibration est

centr sur le locuteur : il faut quil y ait une correspondance partielle ou totale entre la

personne qui nonce la question et le rfrent du sujet du verbe de la question. Cest

galement par rapport aux coordonnes du locuteur quest calcul laccomplissement du

procs dnot par le verbe de la question. Dans un corpus platonicien comme le ntre, la P4

est majoritaire, car le locuteur (le plus souvent Socrate) associe son ou ses interlocuteur(s)

la dmonstration. Les questions dlibratives cherchent lapprobation des interlocuteurs

ce que le locuteur vient de dire, comme en (8). Le centrage se fait donc bien sur le locuteur

et non sur un groupe et travers cette dissociation nonciative de la P4, cest bien le dire du

locuteur qui est vis.

Si lon associe ce centrage sur le locuteur avec la forme interrogative et la modalit

dontique, on peut comprendre la spcificit de lacte de dlibration. En effet, il est le

miroir dun acte centr sur la deuxime personne20, auquel est associe la modalit

dontique : lacte directif21. Cest ce que suggrent les rpliques aux interrogatives au

subjonctif dlibratif formules avec un verbe explicitement directif comme (cf. D.

9.46, exemple emprunt Revuelta 1995) ou comme (cf. le couple de phrases

(17)/(21)).

En utilisant la forme interrogative, le locuteur invite linterlocuteur formuler son

intention un acte directif. Contrairement aux questions informatives, le rapport que le

20 Ce point est longuement dvelopp par Denizot (2011 : chapitre III). 21 Sur le lien entre modalit dontique et acte directif voir Lyons (1990 : 441-449).

12

locuteur entretient avec linterlocuteur dans la dlibration est particulier en ce quil attend

comme rplique de linterlocuteur non pas un nonc informatif (une assertion), mais un

nonc directif qui aille dans son intrt (comme un conseil, une proposition, une

instruction, une permission). En cela, le grec est conforme ce que lon avait vu pour le

franais en introduction (exemple (3)). Cest ce qui ressort de lexamen des exemples. Si lon

observe lexemple (8), la rplique de Glaucon Socrate est un subjonctif exhortatif

qui inclut dailleurs les deux participants de la situation dnonciation. Socrate ne sait pas

(ou feint de ne pas savoir) comment orienter la conversation, et pour cela il demande son

interlocuteur de les orienter par cet acte directif.

Le subjonctif exhortatif nest pas le seul pouvoir tre utilis dans les rpliques des

actes de dlibration. On trouve galement des impratifs comme dans la rplique de

Glaucon en (11).

(11) a. . , ,

,

, ,

b. . , . (Pl. R. 580b8-c5)

a. Devons-nous donc payer un hraut, dis-je, ou dois-je annoncer moi-mme que le

fils dAriston a jug que le meilleur et le plus juste des hommes est le plus heureux et que

cet homme est celui qui a le temprament le plus royal et qui rgne sur lui-mme, tandis

que le pire et le plus injuste est le plus malheureux et que celui-l se trouve tre son tour

celui qui, tant le plus tyrannique, la fois se tyrannise le plus lui-mme et tyrannise sa

cit ?

b. toi de lannoncer, dit-il.

Il peut aussi se trouver dans une paire question/rplique avec comme rpliques des

actes directifs indirects. Ainsi le futur connat certains emplois directifs, y compris injonctif

(v. Denizot (2011 : 423-439)), comme en (12) emprunt C. Denizot, ainsi que la traduction.

(12) , . (Ar. V. 671)

Vous allez donner le tribut, ou dans un bruit de tonnerre je vais renverser votre ville.

Lacte de dlibration serait donc lacte interrogatif correspondant une rplique

sous forme dacte directif. Le locuteur place son interlocuteur dans une position lgitime

pour lui donner une permission, lui interdire ou le contraindre faire quelque chose. En se

plaant dans cette position, il sengage suivre les instructions donnes par son

interlocuteur. Ces circonstances sont extrmement contraintes. Il est intressant de voir

que la transposition de ce rapport de lgitimation une autre personne qu linterlocuteur

13

entrane la perte du subjonctif et lemploi dune autre formulation de la dlibration (voir

infra 4.2.1).

Pour aller plus loin, on peut affirmer que lacte de dlibration forme avec lacte

directif un changechangechangechange, au sens de C. Kerbrat-Orecchioni (2001 : 62-63), cest--dire une paire

dactes dont le premier est initiatif (dclenche une raction de linterlocuteur, ici lacte de

dlibration) et le second est ractif (ici lactif directif).

Bien entendu, on dlibre souvent seul et les questions dlibratives sont courantes

dans les monologues thatraux. Mais rien dans les conditions de flicit de lacte

interrogatif ne spcifie que linterlocuteur (en loccurrence soi-mme) doit avoir la rponse.

On peut tenter de formuler les conditions de flicit de lacte dlibratif la faon de

Searle (1972), Searle et Vanderveken (1985) en associant des traits de lacte de poser une

question et de lacte directif (L = locuteur, I = interlocuteur). Il faut noter que la dernire

condition nest prsente ici que sous forme dhypothse.

L ne connat pas le contenu de la rplique. L suppose que la rplique est dans son intrt. L sait quil est en mesure deffectuer ce que I lui demandera de faire. L pense que I est en mesure de lui rpliquer.

2.2.2 2.2.2 2.2.2 2.2.2 Le subjonctif dlibratif en dehors de la premire personneLe subjonctif dlibratif en dehors de la premire personneLe subjonctif dlibratif en dehors de la premire personneLe subjonctif dlibratif en dehors de la premire personne

Nous disions que la perte du rapport immdiat dinterlocution entranait lemploi dun

autre tour que le subjonctif dlibratif. Dans ce cas, on peut se demander pourquoi lon a

parfois des alternatives au subjonctif dlibratif qui sont la premire personne et qui

renvoient la situation prsente. Cest ce quon tudie en 4.2. Mais avant de passer ce

second temps de lanalyse, il convient de revenir sur les rares cas o lon a un subjonctif

dlibratif une autre personne. Les grammaires citent certains exemples de P2 ou de P5.

Pour avoir des P2 et des P5, il faut avoir des circonstances trs particulires : des

questions-chos. Cest pourquoi Cooper note quon ne les trouve que dans le thtre, lieu

privilgi de lchange verbal, parfois vif. On les emploie seulement quand elle[s] se

laisse[nt] ramener la premire personne en question directe ( nur dann, wenn sie

dieselbe auf die I. Person in der direkten Frage zurckfhren lsst , KG (1898 : 221, 394.6)).

Les questions-chos sont une reprise par le locuteur des termes dune question pose

par linterlocuteur pour sassurer quil a bien compris la question. Elles se caractrisent par

ladaptation des marqueurs de lnonciation au point de vue du locuteur pour reflter celui

de linterlocuteur, et par le marquage du discours indirect pour indiquer que le locuteur ne

prend pas en charge cette question. Ce marquage est, pour les questions totales, lemploi de

dans la reprise22 et, dans les questions partielles, lemploi obligatoire23 de au lieu de

22De mme quen franais on reprend la question en lintroduisant par si : A : Viens-tu demain ? B : SiSiSiSi je viens

demain ?/*Viens-je demain ? . 23 Cela a t clairement soulign par M. Biraud et S. Mellet (2000).

14

24. Cest ce quon a dans lexemple (13) o lon trouve . Nous ne tenons donc pas

lemploi de P2 ou de P5 pour un contre-exemple.

Pisthtre a lide de fonder une cit des oiseaux

(13) a. . ;

b. . ; (Ar. Av. 164)

a. Epops. En quoi devons-nous tobir ?

b. Pisthtre. En quoi vous devez mobir ?

Quant lemploi de P3, voici lunique exemple du corpus :

(14) , , ;

(Pl. Sph. 225b1)

Et le (combat) qui se fait de discours discours, comment l'appellera-t-on, Thtte,

si ce n'est controverse?

Dans ce passage du Sophiste, ltranger et Thtte sont en train dtablir une typologie des

types de combats : le combat et le . Ce dernier se subdivise son

tour. Le premier sous-type est le combat , la question de lexemple (14) vise

trouver le nom du second sous-type et propose . Tous les noms attribus

dans cette typologie lont t par les deux acteurs de la situation dinterlocution. Le nom du

dernier sous-type propos par la question (14) le sera par les mmes personnes. Lindfini

recouvre donc en fait ltranger et Thtte, cest--dire, recouvre un nous25, linstar

du on franais qui se substitue si souvent au pronom de P4. Toutefois, cela est purement

contextuel et nest pas grammaticalis comme en franais. Nous ne considrerons donc pas

cet exemple comme un contre-exemple.

Cette premire section nous a permis de prsenter les caractristiques de lacte de

dlibration partir de lanalyse de sa forme prototypique : linterrogative au subjonctif. Il

sagit dun acte par lequel le locuteur demande son interlocuteur dexprimer son gard

un acte directif qui va dans son propre intrt. Maintenant que lexistence dun acte

dlibratif est tablie, il est lgitime de se demander sil existe un verbe performatif qui lui

corresponde. Cette question est lie celle de lenchssement des questions dlibratives.

Comme pour tout acte de langage, elle est problmatique, car lenchssement doit entraner

la perte de sa force illocutoire (une seule force illocutoire par nonc). Cest la question que

nous tudions dans la section suivante.

3 3 3 3 Le subjonctif dlibratif en subordonneLe subjonctif dlibratif en subordonneLe subjonctif dlibratif en subordonneLe subjonctif dlibratif en subordonne

24 Phnomne parallle en franais : A : que fais-tu ? B : Ce queCe queCe queCe que je fais ?/*Que fais-je ? . 25 Il en va de mme dans lautre exemple cit par les grammaires : S. O.C. 170.

15

Les questions directes au subjonctif dlibratif doivent pouvoir tre, linstar des

autres questions, enchsses. Quelles sont les particularits de cet enchssement ? Si le

subjonctif est le marqueur de lacte de langage dlibratif dans les interrogatives directes,

survit-il lenchssement ? La rponse est oui, mais dans certaines conditions. Observons

dabord les donnes.

3.1 3.1 3.1 3.1 Questions dlibratives et discQuestions dlibratives et discQuestions dlibratives et discQuestions dlibratives et discours indirectours indirectours indirectours indirect

Tout dabord, on sattend ce que lenchssement dun subjonctif dlibratif soit

typiquement un passage au discours indirect comme en (15), qui prsente un verbe

demander P3, suivi dune interrogative avec concordance des personnes, conformment

ce que lon a dit plus haut.

Criton anticipe la mort de Socrate

(15) ,

. (Pl. Phd. 115d2)

Il pense que je suis ce cadavre quil verra sous peu et il demande donc comment il doit

menterrer.

On peut en rapprocher lexemple suivant :

Il est difficile pour un homme seul dtre sr du rsultat de sa recherche

(16) ' , .

(Pl. Prt. 348d5)

Aussitt il se promne, cherchant qui il pourrait le montrer et avec qui raffermir sa

connaissance, jusqu ce quil le rencontre.

Dun point de vue syntaxique, comme pour les interrogatives directes la ngation est

, comme en (17)26.

(17) . (Pl. R. 368b7)

Et de nouveau je ne sais pas comment ne pas venir votre secours.

26 Morphologiquement, pourrait aussi tre un futur. Toutefois, le tour ne prsente jamais de

forme qui soit sans ambigut un futur dans notre corpus et la ngation renforce lide que cest un

subjonctif (sur lambigut subjonctif/indicatif futur et la question de la ngation, voir 4.1 et le commentaire

de lexemple (25)). Le problme de lambigut entre indicatif et subjonctif se pose aussi rgulirement la

premire personne du prsent. Linterprtation ne fait toutefois pas de doute : en (20), daprs le contexte,

ne signifie pas je ne sais pas ce que je dis, mais je ne sais pas quoi dire.

16

En revanche, et cela peut paratre surprenant, nous navons dans notre corpus aucune

subordonne interrogative totale, bien quelles soient thoriquement possibles. La

diffrence avec les interrogatives directes, o elles sont majoritaires, sexplique sans doute

pour des raisons pragmatiques. Lnonc interrogatif dlibratif (direct) a chez Platon une

fonction argumentative : elle fait progresser largumentation en dguisant une demande de

confirmation sous une dlibration. Les interrogatives totales sont particulirement

propres jouer ce rle, alors que les partielles sont moins souples . En revanche,

linterprtation dune subordonne interrogative est dtermine par le sens de son verbe

introducteur. Il ny a donc pas dusage indirect des subordonnes interrogatives. Le verbe

introducteur marque toujours la subordonne comme dlibrative. Aucun autre acte de

langage nest donc possible. Il se prsente donc beaucoup moins de situations o lon a

besoin dutiliser une interrogative totale, ce qui explique leur ratet.

En outre, lexamen du corpus offre un phnomne frappant. (15) et (16) ne sont pas

reprsentatifs des 3827 exemples du corpus et ne semblent pas du tout prototypiques. En

effet, certains verbes introducteurs semblent tre spcifiques lintroduction dune

interrogative au subjonctif dlibratif. Il sagit des verbes () (25 exemples) et

(8 exemples)28. De plus, les contextes dans lesquels apparaissent les subordonnes au

subjonctif dlibratif sont trs spcifiques. Ils prsentent les critres suivants (dans lordre

dcroissant de frquence) : contextes non vridiques29 (38/38), contextes au temps prsent

(30/38), P1 ou P4 (24/38). Si bien que lexemple prototypique de subordonne au subjonctif

dlibratif est (18) qui prsente ces quatre critres (en incluant le verbe introducteur). Cela

reprsente 23 exemples sur 38.

(18) . (Pl. Hipparch. 231c5)

Pour ma part, je ne sais quoi dire.

On pourrait objecter que le dsquilibre en faveur du prsent sexplique par le fait

quen contexte pass, on a non pas un subjonctif dlibratif, mais un optatif oblique. Mais

dans le corpus, seuls cinq exemples doptatifs obliques nous semblent pouvoir tre

interprts comme la transposition dun subjonctif dlibratif : X. Cyr. 1, 6, 2 ; 3, 1, 4 ; 5, 5, 1 ;

Pl. Prt. 320a, 321c (verbes : x 3, x 1, x 1). Ainsi en (19).

27 Le corpus prsente 37 phrases avec une subordonne interrogative au subjonctif dlibratif, mais 38

exemples de subordonnes en tout. 28 Les autres verbes, qui ne sont utiliss quune fois, sont (tels quils apparaissent dans le texte) :

, , , , , . 29 Nous empruntons la dfinition des contextes non vridiques Zwarts (1995) : Nonveridical operators : Let

O be a monadic sentential operator. O is said to be veridical just in case Op -> p is logically valid. If O is not

veridical, then O is nonveridical.

17

Aprs une victoire, les Perses doivent se runir

(19) . (X. Cyr.

5.5.1)

pour dcider ce quils feraient des forteresses quils avaient prises.

La prsence de verbes P1 (ventuellement P4) au prsent de lindicatif (actif)

rappelle les conditions dans lesquelles apparaissent les noncs performatifs. Il faut

maintenant examiner et qui sont de potentiels candidats pour lexpression

performative de la dlibration.

3.2 3.2 3.2 3.2 Verbes performatifs et dlibrationVerbes performatifs et dlibrationVerbes performatifs et dlibrationVerbes performatifs et dlibration

Les noncs performatifs tels que les dcrit dans un premier temps Austin 1970 ont

une dfinition trs stricte. Il sagit dnoncs qui par leur seule profration ralise lacte

quest leur contenu descriptif. Une classe de verbes, dits verbes performatifs, comme

baptiser par exemple, ont cette proprit, condition quils soient noncs la premire

personne du singulier du prsent de lindicatif actif. On peut aussi citer la dfinition plus

englobante de Vanderveken 1988 : les noncs performatifs expriment, relativement

chaque contexte possible dnonciation, une dclaration par le locuteur quil accomplit lacte

illocutoire ayant la force nomme par le verbe performatif. () Dun point de vue logique,

les dclarations ont ce trait caractristique que le locuteur, en se reprsentant comme

accomplissant une action, russit accomplir cette action par le seul fait de son

nonciation.

Parmi les deux verbes examins ici, lun est ni , lautre est

intrinsquement ngatif . On verra que cela nest pourtant pas un obstacle en

raison du sens trs particulier de lacte dinterrogation, qui doit marquer labsence de

connaissance. Les autres conditions sont runies (premire personne du singulier du

prsent de lindicatif). Reste voir si le sens des verbes et leurs conditions demploi

justifient rellement de les classer parmi les performatifs.

En disant ou , le locuteur exprime lhsitation qui est

fondamentalement lorigine de lacte dlibratif et ralise la dlibration. Lacte de

dlibration est un acte de rflexion interne, ne peut tre verbalis que par celui qui fait

cette rflexion pour que la verbalisation elle-mme vaille rflexion dlibrative (cest--dire

rflexion sur sa propre action). Tout se passe comme si la verbalisation permettait au

locuteur de prendre conscience du problme et de lengager dans la voie de la solution,

tandis quen restant informule, cette rflexion ne peut trouver de solution, dautant plus

quelle fait appel linterlocuteur pour tre rsolue. La prsence dune ngation ( dans

et le prfixe - dans ) nest pas une objection. Elle est mme indispensable.

En effet, elle est ici lexpression mme de labsence de connaissance inhrente toute

interrogation. Ces premiers critres nous conduisent penser que et la

premire personne du prsent de lindicatif actif ont des emplois performatifs dlibratifs.

18

On notera que la traduction franaise de et de par je ne sais pas ne rend pas

laspect performatif de ces expressions et en fait de simple synonymes de , qui par

ailleurs nintroduit pas de subordonnes au subjonctif dlibratif dans le corpus. Nous

navons pas trouv en franais de verbe performatif de dlibration, cest pourquoi nos

traductions ne rendront pas justice ces noncs.

Pour prouver cette hypothse du caractre performatif de ces verbes, il faut

examiner nouveau les exemples de cette section. Si / (+ interrogative au

subjonctif dlibratif) sont des verbes performatifs, on sattend ce que ces noncs aient le

mme effet que des questions dlibratives directes ct doccurrences simplement

constatives/descriptives de ltat dhsitation du locuteur.

Le sens constatif/descriptif est ce quon trouve par exemple en (20), o lon suppose

que est un subjonctif (voir note 26).

(20) ' , ' , ,

, ' ' , '

, . (D. 8.23)

Car si vous ne faites pas de contribution pas, que vous ne faites pas campagne vous-

mmes, que vous ne vous tenez pas loin du trsor public, que vous ne donnez pas de troupes

( Diopiths), que vous ne lui autorisez pas ce quil pourrait se procurer lui-mme, et que

vous refusez de faire ce que vous avez faire, je ne sais que dire.

Les exemples suivants sont justiciables de la mme interprtation descriptive : Pl. Ap.

20e2, Prt. 319b1, Grg. 466a1, Tht. 158a9, Smp. 216c3 (dans ces trois derniers exemples,

lenchssement du tour interdit linterprtation performative). Lexemple de lAnabase 1.7.7

est aussi un exemple enchss. Quant aux exemples de Dmosthne, ils sont eux aussi

constatifs (9.4 ; 9.54 ; 18.129 ; 20.143). Cela tient au genre, car dans un discours lorateur ne

sattend pas une rplique immdiate de linterlocuteur, sauf dans une fiction de dialogue.

Toutefois, dans les autres cas, un nonc en ou ralise lacte de

dlibration. En effet, cet acte est cens susciter chez linterlocuteur un acte directif avec le

locuteur pour destinataire. Ainsi dans lexemple (17), rpt ici, la raction des

interlocuteurs de Socrate est donne non pas dans le dialogue, mais dans la reprise du rcit.

Il sagit de (21). Il entrane effectivement lemploi dun verbe de sens directif exiger

avec reprise du verbe utilis par Socrate . Cette phrase est une transposition non

ambigu au discours indirect de lacte directif que Glaucon et les autres auditeurs ont

adress Socrate en rplique sa question. Lacte de dlibration devant suscit chez

linterlocuteur la formulation dun acte directif, cette raction des interlocuteurs de Socrate

est un indice fort que la question de Socrate tait bien une question dlibrative.

(17) . (Pl. R. 368b7)

Et de nouveau je ne sais pas comment ne pas venir votre secours.

19

(21) . (Pl. R. 368c4)

Alors Glaucon et les autres rclamrent quil les aide par tous les moyens.

Dans dautres exemples, on na pas que des indices discrets de lorientation

performative de lnonc. Ainsi la phrase dAlcibiade je ne sais

comment dire dans le second Alcibiade (139e9), Socrate se dclare incomptent pour

rpliquer Alcibiade. Toutefois, il dit nous trouverons (la rplique), ce qui

implique bien quil a compris la phrase dAlcibiade comme une question et non comme une

assertion.

Grg. 503d2-6 est un exemple mixte. la question de Socrate

pour ma part, je nai pas les moyens de te citer (un homme de ce genre), Callicls ne sait

que rpliquer, mais il emploie le futur , ce quil suggre quil a compris lnonc de

Socrate comme une question. Socrate reprend alors la parole pour suggrer lui-mme une

rplique qui est un acte directif : une exhortation P4 voyons.

Certains exemples sont difficilement dcidables. En (18), Socrate a dmontr son ami

que profit et bien ntaient pas toujours quivalents. La phrase de lami qui constitue

lexemple montre que celui-ci est court darguments. En formulant (18), il demande

Socrate de lui en fournir un. Il est normal que Socrate ne sexcute pas puisquil recherchait

lpuisement des arguments de son ami. Cet exemple nest donc pas probant.

De mme, dans lexemple (22) tir de la Cyropdie, le locuteur suggre lui-mme une

rplique dans le second membre de la comparaison. On ne peut donc savoir quelle aurait t

la raction de son interlocuteur, en loccurrence Cyrus, ce qui aurait t un indice que la

question avait une interprtation dlibrative.

(22) ,

. (X. Cyr. 6.1.48)

Cyrus, je nai rien de mieux te dire sauf que je me livre toi comme ami, serviteur et

alli.

Un dernier critre tudier est le caractre dclaratif de lnonc et la sui-

rfrentialit (lnonc renvoie lui-mme) de cette dclaration. Toutes les phrases

contenant et sont assertives et donc potentiellement dclaratives. Si lon

considre lnonc qui est la contrepartie de lacte dlibratif, lacte directif, on constate

quil possde un verbe performatif, ordonner en franais, en grec. La sui-

rfrentialit est assure par la possibilit de dire par la prsente/en disant cela,

jordonne de . . Comme nous ne disposons pas dquivalents en franais pour et

, il est difficile de nous livrer de tels tests sur des phrases hypothtiquement

performatives dlibratives. Il faut donc supposer, en se fondant sur les indices tudis

prcdemment dans cette section que et viennent combler un vide logique

20

et quils sont comprendre dans ces contextes comme je te demande de menjoindre de

faire telle ou telle chose .

Lexistence de performatifs spcifiques la dlibration renforcerait donc lide

quelle est un acte de langage proprement parler. Comme beaucoup dactes de langage, la

force illocutoire interrogative dlibrative peut tre exprime par des formes qui ne sont

pas destines prototypiquement cela. Cest ce que lon examine dans la section suivante.

4 4 4 4 Les formes indirectes de la dlibrationLes formes indirectes de la dlibrationLes formes indirectes de la dlibrationLes formes indirectes de la dlibration

Dans la premire section, nous avons mentionn des alternatives au subjonctif

dlibratif dans lexpression de lacte de dlibration. Il faut se demander dabord quelles

sont ces formes indirectes de la dlibration et ensuite si elles sont des stricts quivalents

du subjonctif dlibratif.

4.1 4.1 4.1 4.1 Les candidats la dlibrationLes candidats la dlibrationLes candidats la dlibrationLes candidats la dlibration

Les grammaires proposent une relation dquivalence dans certaines questions entre

le subjonctif dlibratif et les formes suivantes :

Futur (Goodwin, KG, Cooper). Prsent de lindicatif. Auxiliaires modaux (, ainsi que et adjectif verbal en - (Smyth,

Cooper)).

Formes de vouloir + subjonctif, notamment tu veux. Optatif avec (Goodwin).

Nous les prsentons brivement avant de discuter le bien-fond de ces

rapprochements.

FUTUR

Pour le futur, il suffit de se reporter un exemple comme (4), o les subjonctifs

dlibratifs sont coordonns un futur dlibratif30 pour voir quil y a des affinits entre

ces deux formes. Dans la Rpublique, nous avons relev 31 exemples de futurs dlibratifs

(cf. annexe) comme (23).

(23) ; ; (Pl. R. 353d9)

Et la vie prsent ? Ne dirons-nous pas que cest le travail de lme ?

30 Voir aussi les exemples dans KG (1898 : 222, 394.6, remarque 5) et dans Cooper (1998 : 651, 53.7.2).

21

Un autre lment qui irait dans ce sens est lapparition dans un exemple de la

ngation avec le futur (ngation employe par ailleurs avec le subjonctif) alors que lon a

la ngation dans ses autres emplois (voir par exemple, Pl. R. 612e8). Cette ngation se

trouve dans lexemple (24). Il faut dabord noter que, mme avec un futur dlibratif , la

ngation est normalement (voir Pl. R. 468e5 et (25) infra). En outre, le texte nest pas

assur. Deux bons manuscrits du Xe s., le Monacensis 485 et le Marcianus 416 portent ,

ce qui signifie que lon pourrait avoir affaire une finale plutt qu une interrogative. En

outre, le Monacensis 485 a un subjonctif la place du futur ()31. Enfin,

linterprtation dlibrative nest pas vidente pour cet exemple. Il vaut donc mieux ne pas

se fonder sur lui.

Est-ce parce que le peuple a t tromp quil faut lui ter le pouvoir de dcision ?

(24) ( ) . (D. 20.4)

Il est juste quon nous apprenne comment faire pour cela ne nous arrive plus.

Pour finir sur la ngation et le futur, la rpartition ngation avec le futur et

ngation avec le subjonctif permet de dsambiguser des exemples comme (25), qui

peuvent tre a priori des subjonctifs ou des futurs (voir les deux traductions proposes). Il

sagit ici sans conteste dun futur comme lindique la ngation .

(25) ; (Pl. Ap. 34d9)

Pourquoi donc ne ferai-je rien faire de cela ?/Pourquoi ne dois-je rien faire de cela ?

On peut dores et dj se demander sil ny a pas une diffrence entre le subjonctif et le

futur. Comme le souligne KG (1898 : 221, 394.6) le locuteur rflchit ce quil doit faire

dans la situation prsente 32. On pourrait donc faire lhypothse que le futur porte sur une

action dans un futur plus lointain que le subjonctif. Elle nest cependant pas vrifie comme

le montre lexemple (4) o laction du verbe au futur glose celle des verbes au subjonctif et

o, donc, les actions seront ncessairement concomittantes. Enfin, on peut se demander si

le futur peut tre utilis en subordonne dlibrative comme dans lexemple (26)c.

Il faut expurger la littrature

(26) a. .

;

b. . , , .

c. . , , . (Pl. R. 387d1-4)

31 De la mme faon, C. Denizot (2011 : 94-98) montre quil ny a pas de bons exemples de ngation avec un

futur dans un nonc directif. 32 Indem der Redende bei sich berlegt, was er nach der gegenwrtigen Lage der Dinge tun soll.

22

a. Et devons-nous aussi en enlever les plaintes et les lamentations des hommes

importants ?

b. Cest ncessaire, dit-il, daprs ce quon dit prcdemment.

c. Observe alors, dis-je, si cest juste titre que nous allons les en enlever.

Toutefois, malgr la prsence de la mme forme dans une interrogation clairement

dlibrative quelques lignes au-dessus ((26)a), linterrogation porte plutt sur ladverbe

(voir la traduction), ce qui exclurait de faire de cette interrogative une dlibrative.

En outre, il sagirait de la seule subordonne interrogative dlibrative totale du corpus.

PRSENT DE LINDICATIF

Les grammaires ne parlent pas du prsent de lindicatif. De fait, il est rare de pouvoir

interprter une interrogative avec un verbe ce temps comme une dlibration. Dans la

Rpublique, deux passages avec pourraient ventuellement recevoir cette

interprtation : 373d et 377e (exemple (27), comme le reflte la traduction). En ralit, nous

prfrons les laisser de ct, car ils peuvent recevoir une interprtation descriptive :

comment appelons-nous ce genre de choses et quelles choses en face de comment devons-

nous.

(27) (Pl. R. 377e5)

Mais alors, comment en parler et quelles caractristiques leur attribuer ?

AUXILIAIRES MODAUX

Les modaux / il faut et ladjectif verbal en -, de mme sens (signal par

Smyth et Cooper, voir (Pl. R. 400b4) dans notre corpus) sont aussi parfois prsents comme

des variantes possibles du subjonctif dlibratif. On trouve des exemples dalternance entre

les deux comme en (28) (cas trait plus prcisment en 4.2.1 ; voir aussi en dehors du corpus

Hdt 4.9.4) ou des cas de coordination, comme en R. 421b4-7 entre les deux membres

dune subordonne interrogative en ... ... En interrogative directe, dans la

Rpublique, seule une occurrence de verbe modal nous semble tre vraiment comparable au

subjonctif dlibratif (372d6), mais trois exemples dadjectif verbal en (365e1, 545b5

(si lon ponctue avec un point dinterrogation), 558c9).

Dmosthne a tant de choses dire sur Eschine, quil ne sait par o commencer

(28) , . (D.

18.129)

Je ne suis pas dans lembarras pour ce quil faut dire de toi et des tiens, je suis dans

lembarras pour ce quil faut que je commence par rappeler.

23

Pour ce qui est de tu veux + subj. sans complmenteur33, il est signal comme

un quivalent du subjonctif dlibratif. Ce tour est particulier car introduit

normalement une proposition infinitive, ventuellement un tour + subjonctif, mais

jamais un subjonctif seul. Du reste, en grec, une subordonne un temps fini prsente

toujours un terme introducteur. Il est donc lgitime de se demander si la proposition au

subjonctif est vraiment syntaxiquement une subordonne dpendant de ou si

ne fait pas plutt figure de particule nonciative venant souligner la dpendance du

locuteur lgard de la volont de linterlocuteur. Quelle que soit la structure syntaxique du

tour, son interprtation fonctionnelle nest pas douteuse. La Rpublique en prsente 14

exemples.

Il faut chercher comment former des philosophes qui sortiront de la caverne

(29) , ,

; (Pl. R. 521c1)

Veux-tu donc que nous examinions dabord comment de tels hommes se formeront,

et comment on les fera monter vers la lumire ?

OPTATIF +

Enfin, une dernire variante voque dans la littrature est loptatif + . Elle est

indique chez le seul Goodwin (1889 : 101, 292.2) qui propose lexemple (30) et souligne le

fait que la ngation est dans ce cas-l34, comme avec un subjonctif ( the direct question

here would differ little from [subj.] ). La Rpublique prsente deux

exemples en 534b7 et 581b10. vrai dire il sagit dun cas limite et lon na jamais de paire

question/rplique o la rplique est un acte directif, ce qui irait dans le sens de la teneur

dlibrative de ces questions. Le plus proche que lon ait est la rplique je le veux

la question de lexemple (30).

Socrate et son interlocuteur cherchent un critre pour distinguer le bon du mauvais soldat

(30) ; (X. Mem. 3.1.10)

Pourquoi nobservons-nous pas comment nous pourrions viter de nous tromper en

ce domaine ?

4.2 4.2 4.2 4.2 Des formes indirectes de dlibrationDes formes indirectes de dlibrationDes formes indirectes de dlibrationDes formes indirectes de dlibration ????

On le voit, les arguments pour faire de ces formes des variantes du subjonctif

dlibratif sont la fois syntaxiques : prsence de la ngation alors quelles exigent en

principe la ngation ; et smantiques (lien de paraphrase avec un subjonctif dlibratif).

33 Le tour est trs frquent. En revanche, nous navons trouv quun exemple avec : S. El. 80-81. 34Contrairement lexemple (24), les manuscrits noffrent pas de variante au subjonctif. La tradition indirecte

a , adopt dans la rcente dition de la C.U.F., mais qui ne change rien notre problme.

24

cela on peut ajouter un argument fonctionnel. Lemploi du subjonctif dans les questions

dlibratives a t expliqu par le fait que cette forme verbale connat des emplois modaux

dontiques et est propre tre utilise dans les actes directifs, actes directifs qui sont

prcisment la rplique attendue un acte de dlibration. Or la liste les formes propres

exprimer un acte directif indirect que prsente C. Denizot (2011 : Partie III) est pour ainsi

dire la mme que les candidats lacte de dlibration indirect : modaux /, adjectif

verbal en -, optatif + , futur de lindicatif, verbes de volont. On retrouve par un autre

biais le lien entre dlibration et acte directif. Un autre parallle peut tre fait entre les

exemples qui prsentent ces formes et ceux qui prsentent un subjonctif : le verbe est

souvent un verbe de parole et lnonc a souvent le mme rle argumentatif de faire

avancer la discussion (voir (23), (27) et (28)).

Certaines formes, on la vu dans la section prcdente, posent problme. Or, il est un

paralllisme supplmentaire avec les actes directifs : ce sont ces mmes formes qui sont trs

marginales dans lexpression des actes directifs. Ainsi le prsent de lindicatif na pas la

facult dexprimer des actes directifs en grec ancien (C. Denizot 2011 : 420-2). Cela confirme

quil faut laisser de ct les rares exemples ambigus que nous avons rencontrs. De mme,

manquent la liste ladjectif verbal en - et loptatif de souhait, dont justement la capacit

exprimer des actes directifs est mise en doute par C. Denizot (2011 : 409-12 et 445-455).

Reste expliquer en quoi les autres formes sont propres exprimer lacte dlibratif.

4.2.1 4.2.1 4.2.1 4.2.1 Des formes dgrades de la dlibrationDes formes dgrades de la dlibrationDes formes dgrades de la dlibrationDes formes dgrades de la dlibration ????

Une hypothse consisterait dire que ces formes viennent se substituer au subjonctif

dlibratif quand toutes les conditions de la dlibration prsentes en 2.2 ne sont pas

remplies.

Ainsi si lon regarde la paire presque minimale constitue par (28), on constate que ce

qui diffrencie la subordonne au subjonctif de celle avec un modal est la prsence de la

ngation devant le verbe introducteur. Avec le verbe modal, le verbe introducteur est

ntant pas dans la situation de ne pas savoir = sachant. Le locuteur nignore donc

pas la rponse, le doute, proprit intrinsque de la dlibration, nest pas prsent. Il ny a

pas de raison dutiliser un subjonctif comme dans la seconde partie de la phrase.

Les contextes passs sont une autre situation o une autre forme de la dlibration

pourrait venir remplacer le subjonctif. En effet, le grec ne dispose pas de subjonctif pass et

loptatif oblique nest utilis quen subordonne35. Toutefois la situation est trs rare. On

peut toutefois noter lexemple (31) o cest la forme passe du modal qui est utilise.

Socrate flatte Protagoras avant de linterroger

(31)

; (Pl. Prt. 349a4)

35 Pour un cas trange doptatif dlibratif en indpendante ou principale, voire annexe 1.

25

Ne devais-je donc pas faire appel toi pour cette recherche, tinterroger et te

communiquer mes ides ?

Une autre condition de la dlibration est la situation interlocutive relle ou fictive et

le fait que cest dans son propre intrt que le locuteur interroge linterlocuteur. Cela

ressort notamment des conditions de personne. Si linterrogation porte sur une autre

personne que la premire, linterrogation est donc moins prototypiquement dlibrative et

on sattend alors ce quune autre forme soit utilise. Cest ce qui se produit dans lexemple

(32) o deux interrogatives que lon peut considrer comme dlibratives sont nonces. La

premire concerne le locuteur et elle est au subjonctif tandis que la seconde concerne

linterlocuteur et elle est au futur de lindicatif. La question la premire personne peut

recevoir une rplique directive (entre). Dans la suite du texte la rplique est dailleurs

formule avec un verbe directif tous se

rcrirent et lui enjoignirent dentrer. Au contraire, la question la deuxime personne

() ne peut que difficilement recevoir une telle rplique bien quune rplique par

un subjonctif exhortatif (buvons) ne soit pas impossible. Lexhortation, sans tre un acte

directif, nest pas non plus une assertion, ce qui indique que lon reste en dehors du terrain

de la pure question informative, et partant dans la sphre de la dlibration.

Alcibiade arrive ivre chez Agathon et propose de se joindre aux convives pour couronner

Agathon

(32) , ; ; (Pl. Smp. 213a2)

Allons, dites-moi tout de suite : dans ces conditions, puis-je entrer ou non ? Allez-

vous boire avec moi ou non ?

Enfin, avec le tour + subjonctif, on pourrait croire que cest lintrt de

linterlocuteur et non celui du locuteur qui est pris en considration. Mais on peut aussi voir

dans la marque explicite de la soumission du locuteur non pas aux intrts, mais la

volont de linterlocuteur, ce qui nest pas la mme chose.

Quand on sloigne de la dlibration prototypique, lemploi du subjonctif dlibratif

ne semble plus possible. Toutefois, les exemples de formes alternatives au subjonctif dans

ces situations ne sont pas le seul emploi de ces formes. Certains exemples prsentent une

premire personne, en situation prsente et avec un vrai doute exprim par le locuteur. Il

faut donc chercher ailleurs la justification de lemploi de ces formes dans ces circonstances.

4.2.2 4.2.2 4.2.2 4.2.2 Variante de la modalit dontiqVariante de la modalit dontiqVariante de la modalit dontiqVariante de la modalit dontiqueueueue

Larticle dA. Revuelta-Puigdollrs (1995) a montr que le subjonctif dlibratif

couvrait toutes les nuances de la modalit dontique (voir tableaux 2 et 3). On peut faire

lhypothse qu chacune de ces nuances correspond une rplique particulire : optatif + ,

modal + infinitif, adjectif verbal en -, impratif, si bien que chacune de ces formes

26

couvrirait un champ prcis de la modalit dontique (la prohibition, lobligation,

lexemption etc., cf. tableaux 2 et 3). Par consquent, on emploierait ces formes dans une

question dlibrative, pour prciser linterlocuteur que lon se place dans tel ou tel champ.

Pour examiner cette hypothse, il faut regarder attentivement les couples question

dlibrative/rplique directive. Pour ce faire, il faut dabord prendre des prcautions du

ct des questions et de celui des rpliques. Tout dabord, il faut observer que le subjonctif

dans les questions couvre manifestement un spectre plus large que le subjonctif dans les

rpliques. Outre cela, il faut garder en mmoire que limpratif nest pas possible dans les

questions36. Les rpliques interrogatives du type ; (Pl. R. 437d1) sont aussi

exclure. Elles dnotent une obligation, mais seulement dans les rpliques.

Lautre srie de prcautions prendre concerne les rpliques. Nombre dentre elles ne

nous apportent pas dinformation. Il sagit dabord des questions qui ne rpondent pas la

question pose sur le verbe principal de la question, mais sur la subordonne, du type a.

Peut-on dire quils sont fiables ? b. Ils le sont . Outre cela, on ne peut pas se fier non plus

aux rpliques qui contiennent certaines particules a priori assertives. Ainsi un

peut recouvrir une rplique assertive comme une rplique directive, comme le montre

lexemple (33) o lexpression est complte par un subjonctif exhortatif.

(33) , , . (Pl. R. 566d7)

Tout fait, dit-il, exposons (le malheur dune cit gouverne par un tyran).

Enfin, dans certains cas, linterlocuteur ne rpond pas du tout la question. Ainsi en

(34), Socrate nie les conditions mmes de la question de Glaucon.

Daprs Socrate, les meilleures natures doivent se mler aux autres pour leur bien

(34) a. . , , , ,

;

b. . , , , , (Pl. R. 519d8-e1)

a. Et puis, dit-il, allons-nous les lser et leur faire vivre une vie infrieure, alors

quelle pourrait tre meilleure ?

b. Mon ami, [en formulant cette question] tu as de nouveau oubli, dis-je, que

Ces prcautions prises, il faut aller plus loin dans lhypothse : si les formes indirectes

de dlibration ont rellement pour fonction de prciser la nuance dontique que couvre la

dlibration, quelle nuance est attache quelle forme ?

36 Pour linstant, un seul exemple rpertori dans la littrature grecque par KG (1904 : 397.1) :

; (Pl. Lg. 800b1) Devons-nous prsent tablir cela par notre discours ?. Mais on peut

ventuellement le lire comme une question mtalinguistique sur la formulation de la rgle : (allons-nous dire)

tablissons cela par notre discours. ?

27

Loptatif + appartient au champ de la possibilit. Dans le domaine dontique, la

possibilit et labsence de possibilit sont reprsentes par la permission et linterdiction.

Un modal / et ladjectif verbal en - reprsenteront lobligation. Sils sont nis, en

fonction du niveau sur lequel porte la ngation, ils peuvent reprsenter labsence

dobligation, linterdiction, et peut-tre galement la prohibition ou labsence de

prohibition (dans les rpliques lobligation est aussi reprsente par limpratif et

linterdiction par limpratif ni). Le futur reprsente une obligation plus forte. Enfin,

+ subjonctif pourrait figurer la permission ou lexemption. On le voit, on ne peut

faire correspondre une une les nuances de la modalit dontique et les formes indirectes

de la dlibration. En outre, certaines formes peuvent recouvrir plusieurs nuances et

certaines nuances nont pas dexpressions pour les reprsenter. Les formes indirectes de la

dlibration ne sont pas univoques.

Lautre versant de lhypothse est que, si elles taient univoques (ou moins ambigus)

les formes indirectes de la dlibration ne devraient pas appeler la mme varit de

rpliques que le subjonctif dlibratif. Or ce nest pas le cas. Il est vrai quune rplique dun

certain type est majoritairement appele par une question du mme type. Les quatre

rpliques avec un verbe de volont (par exemple en Pl. R. 558d10) sont

uniquement appeles par une question en + subjonctif. Sur dix rpliques au futur,

neuf sont appeles par une question au futur. Mais linverse nest pas vrai : une question en

+ subjonctif nappelle pas ncessairement une rplique avec un verbe de volont. On

trouve aussi limpratif (Pl. R. 502a4, si lon considre que Socrate rplique sa propre

question), le subjonctif (Pl. R. 596a10) ou le futur (Pl. R. 455b4). On peut rpliquer une

question au futur avec un subjonctif (Pl. R. 373e4, Socrate rplique sa propre question) ou

modal (Pl. R. 387d3).

On peut conclure que lhypothse sduisante dune relation biunivoque entre une

forme indirecte de la dlibration et une nuance prcise de la modalit dontique (et donc

dune forme prcise de rplique) nest pas vrifie. En effet, certaines formes et certaines

nuances de la modalit dontique que lon trouve dans les rpliques napparaissent pas dans

les questions (cest le cas des impratifs et des interro-ngatives recouvrant lassertion

dune obligation) ; certaines nuances ne sont pas reprsentes comme labsence

dexemption ; daprs la varit de rpliques possibles, certaines formes recouvrent

plusieurs nuances. Tout au plus peut-on parler de tendance ou dorientation prfrentielle

de tel type de question vers telle nuance. Il faut donc poser une autre hypothse, qui se

situera, elle, sur le plan pragmatique.

4.2.3 4.2.3 4.2.3 4.2.3 Lhypothse pragmatiqueLhypothse pragmatiqueLhypothse pragmatiqueLhypothse pragmatique

On peut formuler une hypothse qui associerait chaque forme, directe ou indirecte, de

lacte de dlibration une rplique qui serait un sous-type dacte de langage directif, par

exemple linstruction, la permission, le conseil ou la proposition. En ce cas, lemploi dans la

28

question de telle ou telle forme viendrait induire un type de rplique. Force est de

constater que, l encore, on sattendrait trouver des paires symtriques. Or ce nest pas le

cas, comme on la vu dans la section prcdente. On peut expliquer cela par le fait que

linterlocuteur ne rplique pas ncessairement par lacte attendu par le locuteur. Toutefois,

si lon ne peut se fier la rplique, sur quels critres sappuyer pour trouver quel sous-

type dacte de langage chaque forme correspond ? Ltude de C. Denizot (2011) montre que

les diffrentes formes, directes et indirectes, peuvent servir toutes sortes dactes directifs.

En ce qui concerne les actes directifs tourns vers lintrt de linterlocuteur, les formes ne

sont mme pas spcialises pour un sous-type de ces actes. On a donc toute raison de

supposer quil en va de mme pour leur symtrique, les questions qui appellent comme

rplique un acte directif tourn vers lintrt de linterlocuteur.

5. 5. 5. 5. ConclusionConclusionConclusionConclusion

Dans cet article nous avons essay de montrer lexistence dun acte de langage

interrogatif dlibratif en nous fondant sur les questions au subjonctif et sur leurs

variantes. Il sagit de lacte par lequel le locuteur se met dans une position de dpendance

vis--vis dun interlocuteur pour obtenir de lui un acte directif qui mnage son propre

intrt : instruction, proposition, permission, conseil. Cest pourquoi, ces questions sont

essentiellement tournes vers lavenir et impliquent une modalit dontique. Ces deux

dimensions autorisent lemploi de diffrentes formes indirectes pour exprimer lacte de

dlibration. Bien quil y ait des tendances en termes de modalit (formes exprimant

davantage lobligation, la permission etc.), nous navons pu trouver de critres dfinitifs

pour expliquer les diffrences entre elles. Il existe (au moins) deux verbes qui ont des

emplois performatifs dlibratifs : () et .

Pour finir, il faut sinterroger sur larticulation gnrale des actes de langage entre

eux, et notamment ceux exprims par les trois types de phrases : interrogatif, dclaratif,

impratif. On a vu que les noncs interrogatifs sont le vhicule de deux actes de langage

directs : interrogatif informatif et interrogatif dlibratif37. Autrement dit, les noncs qui

ont une force illocutoire interrogative peuvent recevoir deux types de rpliques : assertive

ou directive. Ils forment deux types dchange, avec deux actes initiatifs diffremment,

appelant chacun un acte ractif diffrent (cf. la mention la thorie de Kerbrat-Orecchioni

2001 en 2.2). Si cela est juste, cela signifie que lacte de langage interrogatif nest pas

mettre sur le mme plan que les actes de langage assertif et directif, mais sur un plan

suprieur, selon le schma :

Tableau 5 : les deux types de questions et leur rplique

InterrogationInterrogationInterrogationInterrogation RpliqueRpliqueRpliqueRplique

37 La phrase interrogative dlibrative peut vhiculer un autre acte de langage, si elle est employe

indirectement.

29

DirectifDirectifDirectifDirectif Dlibrative Directive

InformatifInformatifInformatifInformatif Informative Assertive

Cette proposition rejoint semble-t-il celle de J. Lyons (1990). Dans cet ouvrage, Lyons

distingue la suite de R. M. Hare trois parties dans un nonc : le phrastique (= contenu

propositionnel, not p), le tropique (= le type de phrase) et le neustique (= la position du

locuteur sur la phrase). On peut donc avoir les combinaisons suivantes (Lyons 1990 : 421), o

le symbole signifie il en est ainsi et recouvre lacte assertif et ! signifie quil en soit

ainsi et recouvre lacte directif. Au niveau neustique, linterrogation se surajoute pour

produire partir dune assertion une question informative, partir dun acte directif une

question dlibrative.

Tableau 6 : les deux types de question daprs Lyons (1990)

NeustiqueNeustiqueNeustiqueNeustique TropiqueTropiqueTropiqueTropique PhrastiquePhrastiquePhrastiquePhrastique

QuesQuesQuesQuestions informativestions informativestions informativestions informatives ? p

Questions dlibrativesQuestions dlibrativesQuestions dlibrativesQuestions dlibratives ? ! p

30

Annexe 1Annexe 1Annexe 1Annexe 1 : le dlibratif loign: le dlibratif loign: le dlibratif loign: le dlibratif loign

la fin du XIXe sicle, dans the Classical Review a eu lieu un dbat sur certaines formes

doptatifs. Certains ont avanc quil pourrait sagir dune forme spcifique de dlibratif

loign (remote deliberative). Les principaux acteurs en sont A. Sidgwick (1893) et un

anonyme signant J.D. (1892) (voir aussi J.D. et Sidgwick 1893 et Hale 1893, 1894).

Les formes doptatifs en question sont des formes que lon trouve en contexte prsent

(ce qui limine linterprtation comme optatif oblique de concordance ) et dans des

interrogatives directes aussi bien que dans des subordonnes (35).

Dans la rpublique de Socrate, rgnent le bon conseil et la sagesse

(35) , ,

; (Pl. R. 428c12-d3)

grce quoi, la cit dlibre non pas sur une des affaires de la cit, mais sur elle-

mme dans son entier, [se demandant] de quelle faon elle peut entretenir les meilleures

relations avec elle-mme et avec les autres cits.

Lide de A. Sidgwick est que les passages qui prsentent ces optatifs sont homognes :

il sagit de contextes interrogatifs dlibratifs ou dextension de ces contextes, par exemple

des propositions thtiques comme + terme du paradigme de . Le problme

de cette hypothse est quil est difficile de trouver un point de dpart de lextension de cet

optatif. Ce serait un adoucissement du subjonctif plutt quun dveloppement partir

de loptatif avec , o on ne voit pas pourquoi serait omis (Sidgwick 1893 : 98). De plus,

dans cette dernire hypothse, lomission de devrait pouvoir avoir lieu ailleurs. Ce nest

pas le cas daprs Sidgwick.

On en a cependant plusieurs exemples38. Cest pourquoi J.D. rcuse la fois le

caractre dlibratif de cet optatif et, quand on est en subordonne, le caractre

interrogatif de la subordonne. Il propose de voir dans ces optatifs des optatifs potentiels

sans , ou bien o a t omis par les copistes et doit tre restitu. Si lon accepte tout de

mme que ces subordonnes soient des interrogatives, cela nous ramne donc une des

variantes du subjonctif dlibratif.

Quand je dis que est omis, ce que je veux dire, cest que dans le grec de

Pricls ou de Dmosthne, la grande majorit des phrases semblables celles o il

est absent lauraient. Je ne veux pas affirmer que loptatif seul ntait pas utilis

lorigine dans des propositions, affirmatives, ngatives ou interrogatives, pour

exprimer une assertion avance comme une conception pure. Linsertion de

38 Voir Hippocrate, Ancienne Mdecine, 20 :

Certains mdecins et sophistes disent quil nest pas possible/ne serait pas possible

31

peut trs bien avoir t un ajout pour distinguer lassertion positive de lexpression

dun souhait39. (J.D. (1892 : 437))

Le problme de la proposition de J.D. est son manque de cohrence. Par exemple, il

soutient que il nest pas possible que est la fois ce qui introduit la

subordonne et un adverbe (= nullement (sic) (1892 : 436)), ce qui fait une

indpendante de ce qui tait a priori une subordonne. En outre, comme le souligne

Sidgwick, il ignore les contextes non vridiques (voir note 29) o apparaissent ces optatifs.

Si lon examine notre tour les exemples fournis par ces deux auteurs, cela permet de

voir que linterprtation nest pas, contrairement ce que dit Sidgwick (1893 : 98),

dlibratif. Aucun des optatifs prsents na les caractristiques de la dlibration (situation

de doute sur une action accomplir, le sujet du verbe tant celui qui doit/peut accomplir

laction).

Les deux exemples en interrogatives directes relvent clairement du potentiel (Esch.

Ch. 595 ; S. Ant. 604).

En subordonnes, plusieurs cas se prsentent. (Ar. Th. 871) est aussi un potentiel (mais

la traduction de la C.U.F. suggre une interprtation comme souhait).

(Esch. A. 620) et (E. Alc. 52) ont tous deux la structure , qui est mettre

en relation avec les subordonnes finales et non avec les interrogatives.

(Esch. Ch. 172) et (E. IT 588) peuvent se comprendre sans avoir recours au rapport avec

un subjonctif. Dans les deux cas, on est dans un contexte narratif pass. Il sagit

probablement de la transposition dun aoriste de lindicatif.

Reste (S. O.C. 1172) o lon a affaire un fait certain, ce qui exclut les interprtations

potentielles, finales ou dlibratives, et en contexte prsent (ce qui exclut un optatif

oblique). Le prtendu dlibratif loign ne relve donc pas de la dlibration. La plupart

des exemples se laissent expliquer par le potentiel, la suite de J.D. (1892).

39 When I say that is omitted all I wish to imply is that in the Greek of Pericles or Demosthenes the vast

majority of sentences similar to those where it is missing would have it. I do not wish to assert that the

optative alone was not used originally in clauses, affirmative, negative and interrogative, to express a

statement put forward as a pure conception. The insertion of may have been an accretion to distinguish

positive statement from the expression of a wish.

32

Annexe 2Annexe 2Annexe 2Annexe 2 : le corpus: le corpus: le corpus: le corpus

A. InterrogativesA. InterrogativesA. InterrogativesA. Interrogatives dlibratives directes dlibratives directes dlibratives directes dlibratives directes A.1 Au subjonctif (A.1 Au subjonctif (A.1 Au subjonctif (A.1 Au subjonctif (RpubliqueRpubliqueRpubliqueRpublique))))

PersonnePersonnePersonnePersonne Verbe Verbe Verbe Verbe

(lemme)(lemme)(lemme)(lemme)

Verbe (forme Verbe (forme Verbe (forme Verbe (forme

conjugue)conjugue)conjugue)conjugue)

ExempleExempleExempleExemple RpliqueRpliqueRpliqueRplique Type de Type de Type de Type de

rpliquerpliquerpliquerplique

RfrenceRfrenceRfrenceRfrence

P1 ; , ,

,

, ,

,

.

impratif 345b 5

P1 , , ' , '

;

, particule 337b 7

P4 , ,

,

, ,

. subjonctif 566d 5

P4

,

,

, ,

, ,

, , ,

, ,

assertif 586d 4

P4 , , , ,

,

, . neutre 550c 4

33

PersonnePersonnePersonnePersonne Verbe Verbe Verbe Verbe

(lemme)(lemme)(lemme)(lemme)

Verbe (forme Verbe (forme Verbe (forme Verbe (forme

conjugue)conjugue)conjugue)conjugue)

ExempleExempleExempleExemple RpliqueRpliqueRpliqueRplique Type de Type de Type de Type de

rpliquerpliquerpliquerplique

RfrenceRfrenceRfrenceRfrence

P4 , ' , ;;;; , ,

assertif 334e 5

P4 , ,

,

,

,

, . impratif 580b 8

P4 , ,

pas de rplique pas de

rplique

581d 10

P4 , . neutre 461e 9

P4 ,

modal 559a 8

P4 pas de rplique pas de

rplique

527d 1

P4 , . subj 527c 10

P4

, ,

, [601a]

,

,