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Pour voter par Internet: www.distinction.ch L A D ISTINCTION — 1 L A D ISTINCTION SOCIALE — POLITIQUE — LITTÉRAIRE ARTISTIQUE — CULTURELLE — CULINAIRE L A D ISTINCTION Publication bimestrielle de l’Institut pour la Promotion de la Distinction case postale 465 1000 Lausanne 9 Y-mêle: [email protected] Vouèbe: www.distinction.ch Abonnement : Frs 25.– au CCP 10–22094–5 Prix au numéro : Suisse : 4.35 francs France : 18.25 francs Belgique : 99 francs Europe hors-CH : 2.90 e Collaborèrent à ce numéro : Théo Dufilo Gil Meyer Henry Meyer Lucien Mourvèdre Claude Pahud Marcelle Rey-Gamay Jean Richard Cédric Suillot Laurent Sambo Marcelin Switch Jean-Pierre Tabin Monique Théraulaz 81 Si vous pouvez lire ce texte, cest que vous nêtes pas abonné(e). Quattendez-vous pour le faire ? Frs 25.– au CCP 10–220 94–5 «Strc ˇ prst skrz krk !» (Enfonce-toi le doigt dans la gorge, en tchèque) 25 novembre 2000 paraît six fois par an quatorzième année JAB 1000 Lausanne 9 Une coopérative autogérée, alternative. Une librairie indépendante, spécialisée en sciences sociales et ouverte sur dautres domaines. Un service efficace et rapide. Un rabais de 10 % aux étudiants et de 5 % à ses coopérateurs. (Publicité) LIBRAIRIE BASTA! Petit-Rocher 4, 1003 Lausanne, Tél./fax : 625 52 34 / E-mail : [email protected] Ouvertures : LU 13h30-18h30, MA-VE 9h00-12h30, 13h30-18h30, SA 9h00-16h00 Librairie Basta! - Dorigny, BFSH 2, 1015 Lausanne, Tél./fax/répondeur 691 39 37 Ouvertures : du lundi au vendredi, de 8h30 à 17h30 B A S T A ! Viens, femme, te rasseoir sur le banc… Révélation Sachet de citrons, Migros, octobre 2000 Charité bien ordonnée Claudine Wyssa, présidente du Parti libéral vaudois, in Forum libéral, septembre 2000 E N 1917, lorsque s’ouvre cette correspondance, Max Jacob vient de pu- blier son Cornet à dés à compte d’auteur. Cocteau, qui a écrit le livret de Parade sur une musique de Satie, connaît le succès. Leurs carrières à tous deux ne font que com- mencer. Durant leurs presque trente années d’échanges épistolaires, les deux hommes vont exprimer tour à tour leurs idées, leurs sentiments, leurs théories littéraires. Chacun va évoquer son quoti- dien, avec le talent qui lui est propre. C’est Max Jacob surtout qui donne le ton. 181 lettres à son actif contre 87 pour Cocteau. Un Max Jacob à la fois mali- cieux et naïf, grave et fantas- que, ascète et débauché, terri- blement théâtral et excessif, toujours tenace en amitié. Max Jacob qui mêle souvent burlesque et choses sacrées a beaucoup pour déplaire. Juif, converti au catholicisme, s’as- treignant à la vie religieuse dès 1921 dans sa retraite de S a i n t - B e n o î t - s u r-Loire, homo- sexuel rongé par la culpabili- té, créateur de génie, il con- naît l’admiration des jeunes poètes et la haine des surréa- listes à la morale intransi- geante. «Mon âme, elle est comme mon corps : trente ans de trop.» Il connaît surtout la pauvre- té : «Il y a quelque chose de plus terrible que l’ennui, c’est les ennuis. (...) Je n’ai plus de contrats, je vis de crédit et de dettes. Si j’avais trente ans de moins, je vendrais mon corps, je vendrais bien aussi mon âme sous forme d’œuvres, mais personne n’a plus la cha - Le faux ermite et le vrai mondain Max Jacob, Jean Cocteau 1 kg 200 de correspondance Les librairies Basta ! tiennent à faire savoir à leur aimable clientèle que le traditionnel Apéro de Noël aura lieu le samedi 16 décembre à la librairie Basta ! -Chauderon de 10h00 à 16h00 avec à 11h30 le Grand Prix du Maire de Champignac 2000 Candidats et bulletin de vote en dernière page (Annonces) rité d’aimer mon âme, elle est comme mon corps : trente ans de trop.» Jacob écrit beaucoup, jus- qu’à trente lettres par jour à ses amis, à son ami Jean Coc- teau de treize ans son cadet. Jacob commente les événe- ments, Cocteau les vit. Témoignage précieux de tou- te une époque, on croise dans cette correspondance tous les écrivains et les artistes qui l’ont marquée : Picasso, Breton, Reverdy, Cingria, Paulhan, Claudel, Radiguet, Satie… «Un pont blanc jeté par- dessus une masse d’ordures.» La correspondance s’achève au temps des persécutions. Max Jacob apprend la mort de son frère, l’arrestation et la déportation de sa sœur. La Gestapo l’arrête à la sortie de la basilique de Saint-Benoît. Il met un point final à sa der- nière lettre le 29 février 1944. «Je t’écris dans un wagon par la complaisance des gendar - mes qui nous encadrent. Nous serons à Drancy tout à l’heure. C’est tout ce que j’ai à dire. Sacha [Guitry], quand on lui a parlé de ma sœur, a dit : c’était lui, je pourrais quelque chose! Eh bien, c’est moi. Je t’embrasse.» Max On connaît la fin de l’histoi- re. Grâce aux démarches de Cocteau et de Guitry, les Alle- mands décident de libérer Max Jacob alors que ce der- nier vient de mourir d’une pneumonie. «C’est le système de l’époque», écrira laconique- ment Cocteau à Julien Lanoë. Peu de temps après, on pou- vait lire dans Je suis partout ce magnifique compte rendu : «Max Jacob est mort. Juif par sa race, Breton par sa nais - sance, romain par sa religion, sodomiste par ses mœurs, le personnage réalisait la plus caractéristique figure de Pari - sien qu’on pût imaginer, de ce Paris de la pourriture et de la décadence dont le plus affiché de ses disciples, Jean Cocteau, demeure l’échantillon égale - ment symbolique. Car, hélas ! après Jacob, on ne tire pas l’échelleCocteau avait donc raison, cette correspondance est bien un «un pont blanc jeté par- dessus une masse d’ordures.» Anne Kimball –qui a consacré 15 ans de recherches à établir ce texte, à rédiger des notes, claires, vivantes et passion- nantes– nous invite à l’em- prunter. On ne saurait trop la remercier. M. T. Max Jacob, Jean Cocteau Correspondance 1917-1944 Texte établi et présenté par Anne Kimball Paris-Méditerranée, juin 2000, 646 p., Frs 66.20 Devoir de souvenir de vacances Québec, été 2000 Bonne nouvelle L'extrême gauche conserve intactes toutes ses capacités d'organisation solidaritéS-infos, n° 60, août-septembre 2000

LA DI S T I N C T I O N

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Pour voter par Internet:www.distinction.ch

OCTOBRE 2000 LA DISTINCTION — 1

LA DI S T I N C T I O NSOCIALE — POLITIQUE — LITTÉRAIRE

ARTISTIQUE — CULTURELLE — CULINAIRE

LA DISTINCTIONPublication

bimestrielle del’Institut pour laPromotion de la

Distinctioncase postale 4651000 Lausanne 9

Y-mêle : [email protected]

Vouèbe :www.distinction.ch

Abonnement :Frs 25.–

au CCP 10–22094–5Prix au numéro :

Suisse: 4.35 francsFrance: 18.25 francsBelgique : 99 francs

Europe hors-CH: 2.90 eCollaborèrent à ce numéro :

Théo DufiloGil Meyer

Henry MeyerLucien Mourvèdre

Claude PahudMarcelle Rey-Gamay

Jean RichardCédric Suillot

Laurent SamboMarcelin Switch

Jean-Pierre TabinMonique Théraulaz

81Si vous pouvez lire ce texte, c’est que vous n’êtespas abonné(e). Qu’attendez-vous pour le faire ?

Frs 25.– au CCP 10–220 94–5

«Strc prst skrz krk !»(Enfonce-toi le doigt dans la gorge, en tchèque)

25 novembre 2000paraît six fois par an

quatorzième année

JAB 1000 Lausanne 9

Une coopérative autogérée, alternative.

Une librairie indépendante,

spécialisée en sciences sociales

et ouverte sur d’autres domaines.

Un service efficace et rapide.

Un rabais de 10 % aux étudiants

et de 5 % à ses coopérateurs.

(Publicité)

LIBRAIRIE BASTA! Petit-Rocher 4, 1003 Lausanne,Tél./fax : 625 52 34 / E-mail : [email protected]

Ouvertures : LU 13h30-18h30,MA-VE 9h00-12h30, 13h30-18h30, SA 9h00-16h00

Librairie Basta! - Dorigny, BFSH 2, 1015 Lausanne,Tél./fax/répondeur 691 39 37

Ouvertures: du lundi au vendredi, de 8h30 à 17h30

B A S TA !

Viens, femme, te rasseoir sur le banc…

Révélation

Sachet de citrons, Migros,octobre 2000

Charité bien ordonnée

Claudine Wyssa, présidente du Parti libéral vaudois,in Forum libéral, septembre 2000

EN 1917, lorsque s’ouvrecette correspondance,Max Jacob vient de pu-

blier son Cornet à dés àcompte d’auteur. Cocteau, quia écrit le livret de Parade surune musique de Satie, connaîtle succès. Leurs carrières àtous deux ne font que com-mencer. Durant leurs presquetrente années d’échangesépistolaires, les deux hommesvont exprimer tour à tourleurs idées, leurs sentiments,leurs théories littéraires.Chacun va évoquer son quoti-dien, avec le talent qui lui estpropre.

C’est Max Jacob surtout quidonne le ton. 181 lettres à sonactif contre 87 pour Cocteau.Un Max Jacob à la fois mali-cieux et naïf, grave et fantas-que, ascète et débauché, terri-blement théâtral et excessif,toujours tenace en amitié.Max Jacob qui mêle souventburlesque et choses sacrées abeaucoup pour déplaire. Juif,converti au catholicisme, s’as-treignant à la vie religieusedès 1921 dans sa retraite deS a i n t - B e n o î t - s u r-Loire, homo-sexuel rongé par la culpabili-té, créateur de génie, il con-naît l’admiration des jeunespoètes et la haine des surréa-listes à la morale intransi-geante.

«Mon âme, elle est comme mon corps:

trente ans de trop.»Il connaît surtout la pauvre-

t é : «Il y a quelque chose deplus terrible que l’ennui, c’estles ennuis. (...) Je n’ai plus decontrats, je vis de crédit et dedettes. Si j’avais trente ans demoins, je vendrais mon corps,je vendrais bien aussi monâme sous forme d’œuvres,mais personne n’a plus la cha -

Le faux ermite et le vrai mondain

Max Jacob, Jean Cocteau1 kg 200 de correspondance

Les librairies Basta ! tiennent à faire savoir à leur aimable clientèle que le traditionnel

Apéro de Noëlaura lieu

le samedi 16 décembreà la librairie Basta! -Chauderon

de 10h00 à 16h00 avec à 11h30 leGrand Prix du Maire de Champignac 2000

Candidats et bulletin de vote en dernière page

(Annonces)

rité d’aimer mon âme, elle estcomme mon corps : trente ansde trop.»

Jacob écrit beaucoup, jus-qu’à trente lettres par jour àses amis, à son ami Jean Coc-teau de treize ans son cadet.Jacob commente les événe-ments, Cocteau les vit.

Témoignage précieux de tou-te une époque, on croise danscette correspondance tous lesécrivains et les artistes quil’ont marquée : Picasso,Breton, Reverdy, Cingria,Paulhan, Claudel, Radiguet,Satie…

«Un pont blanc jeté par-dessus une masse d’ordures.»La correspondance s’achève

au temps des persécutions.Max Jacob apprend la mortde son frère, l’arrestation et ladéportation de sa sœur. LaGestapo l’arrête à la sortie dela basilique de Saint-Benoît.Il met un point final à sa der-nière lettre le 29 février 1944.«Je t’écris dans un wagon parla complaisance des gendar -mes qui nous encadrent. Nousserons à Drancy tout à l’heure.C’est tout ce que j’ai à dire.Sacha [ G u i t r y ] , quand on luia parlé de ma sœur, a dit :c’était lui, je pourrais quelquec h o s e ! Eh bien, c’est moi. Jet’embrasse.» Max

On connaît la fin de l’histoi-re. Grâce aux démarches deCocteau et de Guitry, les Alle-mands décident de libérerMax Jacob alors que ce der-nier vient de mourir d’unepneumonie. «C’est le systèmede l’époque», écrira laconique-ment Cocteau à Julien Lanoë.

Peu de temps après, on pou-vait lire dans Je suis partoutce magnifique compte rendu :«Max Jacob est mort. Juif parsa race, Breton par sa nais -sance, romain par sa religion,sodomiste par ses mœurs, lepersonnage réalisait la pluscaractéristique figure de Pari -sien qu’on pût imaginer, de ceParis de la pourriture et de ladécadence dont le plus affichéde ses disciples, Jean Cocteau,demeure l’échantillon égale -ment symbolique. Car, hélas !après Jacob, on ne tire pasl’échelle.»

Cocteau avait donc raison,cette correspondance est bienun «un pont blanc jeté par-dessus une masse d’ordures.»Anne Kimball –qui a consacré15 ans de recherches à établirce texte, à rédiger des notes,claires, vivantes et passion-nantes– nous invite à l’em-prunter. On ne saurait trop laremercier.

M. T.

Max Jacob, Jean CocteauCorrespondance 1917-1944

Texte établi et présenté par Anne KimballParis-Méditerranée, juin 2000,

646 p., Frs 66.20

Devoir de souvenir de vacances

Québec, été 2000

Bonne nouvelle

L'extrême gauche conserve intactestoutes ses capacités d'organisation

solidaritéS-infos, n° 60, août-septembre 2000

Page 2: LA DI S T I N C T I O N

Àl’heure actuelle, je pro -fite de ma liberté et jela chéris. Elle vit donc

seule. L’interview est malpartie. Je vais lui demandersi cette histoire d’amour avecun ami engagé en politique(dont j’ai appris l’existence ily a deux semaines par des

indiscrétions) est toujoursd’actualité. Ou ça passe ouça casse. C’était une relationbasée sur la liberté qui m’aéquilibrée. Après une histoirepassionnelle vécue pendantla période de séparation avecmon mari et après, j’avais be -soin de ça. L’autre histoireétait dévorante. Mon parte -naire était très possessif etexclusif. J’ai souhaité mettrefin à cette relation car maraison me disait que cen’était pas viable. Si j’ai bientout suivi, après son mari, ily a eu une première histoire,passionnelle, et quand elledit « l’autre histoire », la dé-vorante, il semble bien quece soit la même. Remar-quons qu’elle y a mis fin par-

ce qu’elle n’était pas viable,façon volontariste de suivrele destin en l’anticipant.L’équilibrante, la premièrecitée, vient donc après, maisl’imparfait sous-entend toutde même qu’elle n’est plusd’actualité. Je vais donc luidemander si c’est elle qui apris l’initiative de la rupture.J’ai dû y mettre un terme carcela devenait problématique.Nous travaillions tous lesdeux septante à huitanteheures par semaine. Com -ment entretenir une relationéquilibrée et fiable ? Même sil’homme était exceptionneldans tous les sens du terme !Qu’est-ce qu’elle me dit là ?Que son travail lui a faitquitter un amant exception-n e l ? C’est à peine croyable.Allons-y carrément. Est-elleamoureuse maintenant ? J evis un amour assez impossi -ble car nous ne pouvons pasvivre notre relation au grandj o u r. Je me demande, d’ail -leurs, quel homme pourraitme supporter avec des horai -res comme les miens… J ’ a u-rais mieux fait de me taire.Après l’aveu qu’elle avaitrompu avec un homme ex-ceptionnel « à tous les sensdu terme », j’aurais dû medouter que son partenaire

actuel ne pouvait plus enêtre un, d’homme. Et je com-prends bien que dans sa si-tuation de chef du départe-ment Formation et Jeunesse,elle ne puisse afficher libre-ment son homosexualité, ousi «homme» doit être pris ausens large, sa zoophilie. J’es-père que mes lecteurs n’yverront que du feu. Essayonsde rétablir la situation.Qu’est-ce qu’elle choisit,l’amour ou sa carrière ? Sielle en profite pour insistersur son amour impossible, jen’assure plus de rien. Mêmedes lecteurs de 24 Heuresrisquent de trouver ça lou-che. J’ai toujours privilégiéles valeurs essentielles :l’amour compte certes dansla vie. Parfois il pâtit despriorités qui s’imposent. Et jeles vis actuellement. J’aimebeaucoup mon travail et lesgens qui m’entourent. O u f .L’honneur est sauf.

M. R-G.–––––––––––Les morceaux en italique sont lesdernières réponses de FrancineJeanprêtre à Anne-marie Phi-lippe dans l’interview parue dans24 Heures du 29 septembre 2000sous le titre « Je vis un amourimpossible».

NOVEMBRE 20002 — LA DISTINCTION

Viens, femme, te rasseoir sur le banc…

Courrier des lecteurs

Les apocryphes

Dans ce numéro, nous insérons lacritique entière ou la simple men-tion d’un livre ou d'une création,voire d’un auteur, qui n’existe pas,pas du tout ou pas encore.Ce feuilleton sème l'effroi et laconsternation depuis plusieurs an-nées chez les libraires, les ensei-gnants et les journalistes. Nous lepoursuivons donc.Celui ou celle qui découvre l’im-posture gagne un splendide abon-nement gratuit à La Distinction e tle droit imprescriptible d’écrire lacritique d’un ouvrage inexistant.Dans notre dernière édition, l'ou-vrage méconnu de Stevenson inti-tulé Porridge amer était une purei m p o s t u r e .

Droits de réponseN’y allons pas avec le dos dela cuillère à thé : il est unpeu sot, ce Monsieur MarcelBellebottes qui s’occupe dela volière. I l a vu courirdeux personnes dans le ParcMon-Repos. Il y a un jeunehomme plus très jeune, etqui a l’air de tellement souf-frir dans les pentes qu’il asûrement rebaptisé le parcen Mont-Rép (je le connaisbien, nous eûmes quelquesfaiblesses l’un pour l’autre,et je sais qu’il est spécialistedes jeux de mots laids). Etpuis une jeune gazelle, quicomme toutes celles qui por-tent son prénom, a de laclasse et survole gracieuse-ment les difficultés (je laconnais bien, c’est une copi-ne de gymnase).Donc, ma copine d’il y alongtemps, Maud, gambadedans le parc. Le chef du pa-trimoine avicole me l’ap-prend, et j’en reste assezépatée. Elle m’avait ditpourtant que la course àpied ne l’intéressait plus, enparticulier parce qu’elleétait importunée par unbonhomme en training pink,qui lui faisait des sourires ;elle avait l’impression qu’ils’arrangeait pour la croiserà tout moment.Il faut croire que ça lui plaîtquand même un peu de sefaire reluquer par mon ex.B r a v o ! Vous irez bien en-semble tous les deux, mêmesi vous ne courez pas dansla même catégorie. Cachot-tiers et faux-culs, voilà ceque vous êtes. En tout casne comptez pas sur moi pourlaver vos survêts, ni pourtenir la chandelle.

Maude-Marthe Rey,de Lausanne

Nous remercions beaucoupMonsieur Marcel Bellebot-tes pour son intéressantelettre. Toutefois et cepen-dant, nous avons néanmoinsl’impression qu’il n’a pasvraiment compris ; d’ailleursil ne daigne même pas nouss a l u e r. Et puis ses perro-quets et ses canards n’arrê-tent pas de crier après Cas-sandre, notre chienne unpeu boiteuse. C’est dire s’ilest mal élevé.Mais venons-en au fait.Monsieur Bellebottes de-vrait voir que le jeune hom-me mal entraîné qui courtdans le parc fait exprès d’al-ler lentement. Pourquoi ?

Parce qu’il n’a aucune inten-tion de rattraper la jeunefille qui l’intéresse. Au con-traire, il pourra ainsi pren-dre un tour de retard et sefaire rattraper, lui, par lacharmante demoiselle surlaquelle il veut mettre legrappin. C’est vraiment unparesseux.Alors Mademoiselle, si vousnous lisez, écoutez bien cetavertissement. Les hommessont flemmards, méchantset menteurs. Nous parexemple, nous n’avons pasréussi à forcer MonsieurJean Jacques S., prédicateurà Lausanne, à venir nous re-joindre près de la volière,alors qu’il avait promis. Ma-demoiselle, écoutez-nousbien, et ne vous laissez pasembobiner, ni par le gardiende volière (qui lui non plusn’est pas très net), ni par lecoureur lent. Achetez unchien, vous aurez plus d’af-fection. Et vous pourrez lelancer aux trousses de tousces galopiaux.

Daniela Merre et Berthe Ménartro,

cynophiles assidues du Parc Mon-Repos

De quoi je me mêle. Je subisun entraînement scientifi-que. Je n’ai absolument auc-un intérêt pour les person-nes que je croise ou que jedépasse (ou qui, très trèstrès rarement, me dépas-sent) dans ma course dansle parc. En particulier, je nevois pas de qui vous parlez ;cette fille ne m’intéressenullement ; c’est tout juste sije vois qui c’est ; en plus elleporte le même prénom quemon ex, et ça, c’est rédhibi-toire.Monsieur Bellebottes feraitmieux de s’occuper de ce quile regarde et de tenir sa lan-gue, au lieu de crier n’im-porte quoi sur les toits de savolière. Les responsablesmunicipaux qui ne saventpas tenir un secret, c’est unpeu décevant, je dois dire.Bref, je m’intéresse surtoutau fait que, très régulière-ment, mon temps s’améliore.Bientôt je pourrai concur-rencer les performances desmeilleurs coureurs de Mon-Repos, hommes ou femmes.Et là, elle verra bien si, mal-gré mes sept ans de plusqu’elle, je ne peux pas lui te-nir la dragée haute. Enfin,je me comprends.

Bertrand Clarme,senior élite

Courrier des rédacteursChronique de l'excitation lexicale

Minute métonymique

«CHAPEAU b a s ! » ,balbutia Barbara ;puis le baryton

bergamasque bas sur pattesbava son air de bravoure. Ga-vés de barbituriques, nous ap-pareillions des bas quartiersde Bâle ; la radio braillait, lejour était bas, comme notremoral. Nous nous remémo-rions Baudelaire ; «Quand leciel bas et lourd pèse commeun couvercle / Sur l’esprit gé-missant en proie aux longsennuis.»

Au bas mot, les passagersdu bateau étaient des centai-nes ; ils parlaient à voix basseet se plaignaient du servicebas de gamme. Sans doute lepersonnel se vengeait-il ainside ses bas salaires ; en toutcas les stewards nous toi-saient de haut en bas avantde daigner nous répondre ;puis ils s’inclinaient bien bas,en un acte de fausse déféren-ce pire que le mépris.

Nous longions le bas des col-lines rhénanes, qui ressem-blaient, dans le brouillard, àdes montagnes en bas âge. Lefleuve boueux semblait avoirété mis bas par sa mère lapluie, ruisselante et banale.

Bien vite nous sûmes où lebât blesse: à l’estomac. Mala-des, barbouillés, beaucouplaissaient ressortir les basmorceaux qu’on leur avaitservis, par le haut et par lebas. Un vrai coup bas que cesrepas de bas étage ; peu aufait du b a ba de son art, lecuisinier aurait mérité quel-que correction bien ajustée aubas de son dos… Tout allaitmal, et basta ! À bas Cor-neille, le poète batelant con-tre «l’âme basse et grossière»inapte «à voir par d’autresyeux que les yeux du vulgai-re»! Pour te déniaiser, tu au-rais dû visiter cette basse-c o u r, ô Saint-Ex, baladin ba-lourd qui croyais que «la vir-tuosité des âmes basses pou-vait aider au triomphe descauses nobles.»

Nulle place pour le doux ba-bil des babas, ni pour aucuneB . A . : la barbarie, c’est tout.Dans l’odeur de mazout, lesmariniers accomplissaientleurs basses besognes, qui àla barre, qui postés au basdes échelles de coupée. Lesmouettes volaient bas, commeles plaisanteries de l’anima-teur de service, qui avait rem-placé la radio et braillait dans

son micro, accompagné d’unecomparse qui lui criait régu-lièrement «Bas les pattes ! »tout en l’encourageant à lat r i p o t e r. Et lui, faisant mined’avoir la vue basse, piquaitdu nez dans ses nichons,qu’elle portait bas malgré sonbalconnet. La Bruyère auraitsermonné : «Dangereux modè-les et tout propres à fairetomber dans le froid, dans lebas et dans le ridicule.»

Le baragouin de Régnierétait à jamais inexaucé : «Etprie Dieu qu’il nous garde ence bas monde ici, / De faim,d’un importun, de froid et desouci.» Ne manquait plus que,après toutes ces barbantesbabioles, le bateau s’échouesur un haut fond et ne coulebas.

Tant pis, balançâmes-nousavec La Fontaine en guise deb a r o u d : «Tant de selles ettant de bâts, / Tant de har-nais pour les combats.» Et,nos espoirs balayés : «Il nousfallut à jeun retourner au lo-gis, / Honteux comme un re-nard qu’une poule aurait pris,/ Serrant la queue et portantbas l’oreille.»

T. D.

Chronique d’une grande cause nationale

La réalisation d’Expo.02 endit plus sur la Suisse, sescons, ses pros, ses com-promis, ses compromis-sions, ses commissions,ses soumissions, ses dé-missions que n’en montre-ra l’exposition elle-même.Quand elle ouvrira sesportes, il sera trop tard.Profitez-en maintenant.A u j o u r d ’ h u i : «l’emblème,l’imperméable et le déshu-midificateur» ou «le pé-tard mouillé de l’arteplaged’Yverdon-les-Bains»

Cher secrétaire de rédac-tion, j’ai plongé en pleincauchemar: depuis une se-maine, je fais la prof àl’école de P***. Heureuse-ment que j’avais lu Si c’estun homme juste avant, quime rappelait que d’autresavant moi s’étaient retrou-vés brutalement parachu-tés en milieu hostile, sansrepères, fourbus et sanspossibilité de repos tantles pensées assaillent l’es-prit sitôt qu’il essaie de re-trouver le vide serein.Du coup, impossible de li-re. Durant une semaine, jen’ai réussi qu’à relire in-lassablement le même pa-ragraphe des D e r n i e r sjours d’Emmanuel Kant(traduction M. Schwob)dans lequel il est expliquécomment le grand hommeréussissait à garder sesbas toujours bien tiréssans avoir à porter des jar-retières, on le sait suscep-tibles d’arrêter la circula-tion du sang. Vo u l e z - v o u ssavoir comment ? Grâce àdes cordelettes fixées enbas aux bas et en hautdans un boîtier muni d’unressort en spirale queKant tenait dans un gous-set au-dessus de chaquecuisse. «Ainsi qu’on peutbien le supposer, une machi -nerie si compliquée étaitsoumise, comme le systèmecéleste de Ptolémée, à des dé -rangements occasionnels.»Du coup, impossible derien écrire non plus. Pasde Toussaint (Jean-Philip-pe) pour Halloween ni deMichaux pour l’hiver. J’es-père que le numéro 81 nes’en portera pas plus mal.

M***,de L***

ATS, La Liberté, 31 octobre 2000

LES ÉLUS LUS (LIII)Parlez-moi d’amour

Page 3: LA DI S T I N C T I O N

Le mort à Venise

NOVEMBRE 2000 LA DISTINCTION — 3

Viens, femme, te rasseoir sur le banc…

ÀL’ O C C A S I O N de lasortie de la traductionfrançaise de L’âge de

l’accès (1), Jeremy Rifkinvient de participer à plu-sieurs débats en Suisse con-cernant l’impact des «nouvel-les» technologies de l’informa-tion et des biotechnologiesdans nos sociétés. Loin des ef-fusions délirantes en faveurdes réseaux et de la «nouvel-le» économie ou des cris d’hor-reur que ceux-ci suscitent,Rifkin cherche à penser cesprocessus émergents. Sa dé-marche mobilise tout autantun questionnement philosophi-que, économique, sociologiqueet politique afin d’évaluer sinous nous trouvons effective-ment à une époque charnièresemblable au XVIe siècle qui ainauguré l’ère capitaliste.

La traduction escamotée dusous-titre de son livre –La ré -volution de la nouvelle écono -m i e– fait malheureusementpenser à un enième éloge decette «nouvelle économie»dont il ne faut surtout pas ra-ter le bateau. Une traductionlittérale, même si elle paraîtindigeste, a le mérite demieux orienter les propos cri-tiques de Rifkin : La nouvelleculture de l’hypercapitalisme,où toute la vie est une expé -rience monnayable. Soulignerque le concept de culture (ausens extensif anglo-saxon) estpertinent au champ économi-que est plutôt rare: Rifkin ré-affirme ainsi que l’économien’a pris son essor que grâceau paradigme culturel qui l’a

favorisée. Malgré cela, il sepourrait que la fin de ce mil-lénaire inaugure le franchis-sement d’un seuil où la diver-sité culturelle serait phagocy-tée par l’économie, processussemblable à ce qui est entrain de se produire dans ledomaine de la génétique et dela biodiversité.

L’économie en question n’estpas celle à laquelle l’on pensede prime abord, soit l’écono-mie de marché. Il s’agit plutôtde ce que Rifkin appelle«l’économie de l’accès». L’ é c o-nomie de marché, elle, eststructurée par un régime spé-cifique de la propriété, c’est-à-dire le transfert de biens oude services d’un producteur/vendeur et un acheteur lorsd’une transaction ponctuelle.Tandis que l’économie de l’ac-cès les transforme en fournis-seur et utilisateur, de tellesorte que l’utilisateur n’ac-quiert qu’un droit d’accèstemporaire –sous forme de li-cence, location, abonnement,etc.–, le fournisseur devenantl’unique détenteur du droit depropriété, ce qui lui confèreun pouvoir considérable (lavente par Monsanto de se-mences sous licence aux agri-culteurs). Les profits en régi-me de marché se font sur lesmarges, la rationalisation etmaximisation de la produc-tion, les volumes (un produitpour de nombreuses person-nes), tandis que dans l’écono-mie de l’accès, ils se font surla vente de licences liées tem-porellement (on achète du

temps) et sur les coûts de pro-duction/transaction de plusen plus bas (de nombreuxproduits/services pour unepersonne).

Ce sont les technologies del’information et la mise en ré-seau des partenaires qui ontpermis cette mutation : lapression sur les coûts, la con-currence ont suscité l’émer-gence de nouveaux modes deproduction/transaction deplus en plus rapide (livraisonen «temps réel», «stock zéro»)au «service» des consomma-teurs. Les transactions ontlieu 24 heures sur 24, en con-tinu. De nouveaux modes deconsommation se mettentainsi en place : il n’est plusnécessaire d’être propriétaired’un bien pour en jouir, il suf-fit d’y accéder. La gratuité dutéléphone mobile, ou de lamusique téléchargée contreun abonnement en est unexemple paradigmatique. AuxÉtats-Unis un tiers des voitu-res sont louées. Celles-ci peu-vent être assorties d’une mul-titude d’autres services (of-ferts par d’autres entreprisesqui se sont mises en réseau) :assurances, parkings, hôtelle-rie, etc. Dès lors, les entrepri-ses perçoivent de plus en plusleurs clients comme possé-dant une vie à valeur com-merciale.

La mise en réseau de cesprocessus a favorisé la globa-lisation de l’économie de l’ac-cès. Celle-ci a pour consé-q u e n c e s : une division desprocessus de production et du

travail (l’entreprise f a b l e s s–conception sans fabrique–,externalisation, sous-traitan-ce) ; des processus d’exclusionpar rapport à ce monde «con-n e c t é » ; par la dérégulationdes secteurs publics, la priva-tisation et la marchandisa-tion de secteurs qui échap-paient en partie à l’économie(santé, éducation, culture) ; laconcurrence favorisant la con-centration d’entreprises ; lerisque d’assèchement des«matières premières» et desdiversités culturelles dont ladynamique de renouvelle-ment est en grande partie ex-térieure à l’économie ; le ré-trécissement de l’espace pu-blic et le retrait de la sphèrepolitique. Le livre de Rifkinindique la nécessité et l’ur-gence d’analyser ces muta-tions afin d’y trouver des ré-ponses sociales et politiquesadéquates.

J. R.

Jeremy RifkinL’âge de l’accès

La révolution de la nouvelle économieLa Découverte, 2000, 395 p., Frs 46.90

(1) Suite à deux autres titres pro-vocants parus en français, L afin du travail et Le sièclebiotech (La Découverte, 1998).

Juan Manuel de PradaLa TempêteTraduit de l’espagnol par Gabriel IaculliSeuil, septembre 2000, 317 p., Frs 37.80

C’est à des fins savantes que AlejandroBallesteros débarque à Venise en pleinepériode de Carnaval. À force de servilité etde contorsions vis-à-vis de son mandarin

de patron, ce jeune Espagnol, maître-assistant en histoirede l’art, a réussi à décrocher une bourse ainsi que les adres-ses utiles qui lui permettront d’enfin contempler de près LaTempête, la peinture de Giorgione à laquelle il aura consa-cré des années pour en faire sa thèse de doctorat.Ballesteros, après quantité d’autres érudits, s’est penchésur les mystères du tableau de ce maître de la Renaissancevénitienne qui fut le premier chez qui, nous enseigne-t-il, «lepaysage cesse d’être un élément purement décoratif pours’ériger en signe ou en représentation du vague des passionsqui se déchaînent en l’homme.» Le discret mais pugnace uni-versitaire a bien entendu sa propre interprétation de L aTempête, qu’il se réjouit de communiquer à Gabetti, le notoi-rement compétent et notoirement dogmatique directeur del’Accademia, le musée qui abrite le tableau.La découverte de Venise sera on ne peut plus tumultueuse.Ballesteros est cueilli par une tempête de neige et de pluiequi, sur le chemin de l’hôtel, le fait «gâter à tout jamais unepaire de chaussures qui n’étaient pas conçues pour remonterles fleuves.» À peine a-t-il le temps de prendre possession desa chambre que le proche vacarme causé par un coup de feule fait, armé de sa curiosité pour tout ce qui touche Venise,regagner les rues inondées. Et voici notre pur intellectueltenant dans ses bras le cadavre d’un homme qui manifeste-ment avait tenté de s’échapper d’un palais en ruines.À la façon d’un polar de facture standard, on ne saurait voirici un concours de circonstances car à Venise, où «rien nefonctionne plus rapidement que le service de distribution desragots et des infamies», tout le monde se connaît. C’est ainsique Gabetti était un proche de la victime, Valenzin, quiexerçait avec un talent forçant le respect unanime ses com-pétences de faussaire et de voleur de tableaux. Gabetti ad-mirait Valenzin, à moins qu’il n’ait été en affaires avec lui.Sa fille Chiara, une restauratrice de tableaux spécialiséedans Le Tintoret (père et fille vivent d’ailleurs, contre bonssoins, dans la résidence présumée du peintre), aimait Valen-zin, Chiara si liée à son père et dont Ballesteros ne manque-ra pas de tomber éperdument amoureux au point, le sot, decroire qu’il la convaincra de quitter Venise pour des rivagesplus abrités. Le flic sinistre, doté d’un savoir insoupçonnéen matière de peinture, en charge de surveiller ses agisse-ments puis de conduire l’enquête criminelle, est égalementfasciné par Valenzin. Sans parler de l’homme de main et an-ge gardien du faussaire, un ancien batelier reconverti dans«la surveillance des palais spoliés et la spoliation des palaissans surveillance.»À croire –la liste des protagonistes n’est pas close– que lamort de Valenzin fait pleurer, en même temps qu’elle soula-ge, tout ce que Venise compte d’autochtones, et a fortiorid’amateurs d’arts. Pareille agitation est-elle due à la lourdeet inviolable valise dont le défunt ne se séparait jamais etsur laquelle le jusque-là paisible spécialiste de La Tempête afortuitement mis la main? Valenzin semble être le déposi-taire des mystères de la ville que les flots menacent. Voilàde quoi mobiliser le jeune spécialiste en peinture vénitien-ne, qui, confronté au choc du réel vénitien, ira de révéla-tions en déconvenues. «Deux jours à Venise venaient de réfu -ter cinq années de travail, de fouler aux pieds mes convic -tions théoriques et de me jeter à la rive de la confusion. “LaTempête”, ce tableau que j’avais disséqué et reconstruit avecune patience de numismate, n’était pas seulement une sourcede jouissance esthétique, la palestre où s’affrontaient les ex -perts (…) c’était un champ clos où les hommes et les femmesliquidaient leurs querelles, la scène où s’exhibaient leurs chi -mères, leurs ambitions et leurs frustrations.»Qui a tué Valenzin? La réponse sera livrée, certes, au termede rebondissements qu’anime l’élégance du verbe, même sicelle-ci se voit parfois disputée, mais qu’importe, par quel-ques invraisemblances dans la narration. On se doute biende toute façon que Venise n’est pas innocente, Venise qui«tient tout en suspens, ralentit le temps, l’enlise, en tire unesubstance aussi poisseuse que les songes», Venise qui aurainspiré un roman subtil, enchanteur. (G. M.)

Faits de société

Le combat politique se confessionnalise dans les campagnes

«La Municipalité d'Oppens reste prudente: le taux d'imposition reste inchangé», in Le Nord vaudois, 13 juillet 2000

La dématérialisation des choses

De l’économie du marché à l’économie de l’accès

Slogan mérité

Un jour ou l'autre, «Le Temps» vous reconnaîtra…

Le Temps, 14 octobre 2000, page 14 Le Temps, 14 octobre 2000, page 18

Page 4: LA DI S T I N C T I O N

NOVEMBRE 20004 — LA DISTINCTION

AINSI donc reparaît A upays de l’Or noir d a n sla version de 1950. Cet

album, dont l’original vautencore FF 1200.– aux enchè-res sur Internet (Vite au gre-nier !), était le dernier à resterintrouvable. Il y a peu, la ré-édition de Tintin au pays desSoviets, dans une reliure per-mettant enfin de l’intégrer aureste de la collection, avait at-teint le chiffre mirifique de530’000 exemplaires vendusen six mois. On comprend queCasterman n’ait guère bargui-gné et que, dans une stratégiecommerciale axée sur la nos-talgie la plus débridée, il nousvante avec des trémoli cetterareté enfin rendue à un pu-blic avide des belles teintespastel d’autrefois.

Mais, lorsqu’il s’agit d’expli-quer l’existence de cette va-riante bien différente de cellequ’on trouvait depuis trenteans chez les libraires, l’édi-teur se borne à raconterq u ’«en 1971, les pages 6 à 2 0furent redessinées pour per -mettre une adaptation du scé -nario et du dessin à la nouvel -le réalité politique du Moyen-Orient. ( … ) cette aventure sedéroule pour partie en Palesti -ne, alors sous mandat britan -nique. L’Irgoun opère, opposéeaux Anglais comme aux Ara -bes. Cette complexité politiquen’étant plus compréhensiblepar les lecteurs de la généra -tion suivante, Hergé adaptascénario et dessins en rempla -çant la Palestine par un étatarabe indépendant confrontéà une rébellion interne.» ( 1 )Comme si la «complexité poli-tique» de la Chine de 1934avait nécessité de modifierl’intrigue du Lotus bleu !

Comme bien souvent à pro-pos de Tintin, la presse a sui-vi l’éditeur, entonnant deshymnes et des Te Deum oùl’ignorance pure le dispute àla crasse mauvaise foi. Ainsi,Le Monde des Livres lui accor-dait récemment sa une et,honneur exceptionnel, une vi-gnette en couleurs (2). Hélas,ce fut pour proférer une solidedose de sottises : «L’atmosphè -re des premières pages, pu -bliées en feuilleton dans le Pe-tit Vingtième, est celle du de -hors : chargée d’incertitudes etd’angoisse. Les journaux an -noncent l’ imminence de laguerre et, dans les rues, lesvoitures explosent sans raisonapparente.», «L’Allemagne na -zie n’est jamais présentée, cer -tes, comme l’inspiratrice de cecomplot d’un genre inédit,mais la personnalité du chefde la bande ne laisse guère dedoutes. Archéologue brutal etsans scrupule, le « p r o f e s s e u rSmith» (…) ne fait qu’un avecle Dr Müller, chef des trafi -quants de L’Île noire, dontl’origine germanique n’est guè -re contestable.» et finalement«[l’édition de 1971] o c c u l t e r a ,en revanche, une scène dont lasignification contredit aposteriori les soupçonsrécurrents d’antisémitismequ’Hergé subira jusqu’à samort en 1983 : interpellé parla police anglaise, Tintin nedoit sa libération qu’à une

confusion avec un activistejuif nommé Salomon Gold -stein et qui, en effet, lui res -semble fort.»

Trois affirmations, troiserreurs.

Pour mieux connaître l’al-bum le plus trafiqué d’Hergé,le lecteur averti se reporteraau petit livre de Guido Va nDorpe, Un palimpseste moder -ne, auquel nous devons les in-formations qui suivent. Lelecteur averti prendra toute-fois la précaution de se munird’un dictionnaire néerlandais-français, car il est à noterqu’aucun éditeur francophonene s’est senti appelé à tradui-re cette monographie aussi ri-chement documentée quepauvrement illustrée (la Fon-dation Hergé est connue pourson interprétation particuliè-rement restrictive du droit decitation).

Un album maudit

Bien moins connue que lesdeux suivantes, L’or noir con-nut une première mouture, ennoir et blanc, parue dans lePetit Vi n g t i è m e ( d u2 8 septembre 1939 au 9 m a i1940) et interrompue par l’ar-rivée de troupes étrangèresvenues sur le territoire belgedans un but agressif. Contrai-rement à ce qu’on pourraiti m a g i n e r, cette version necontenait aucune allusion àl’éclatement d’une guerre : lesréférences à la mobilisationfurent toutes intercalées lorsde la «réfection» du récit aprèsle conflit mondial.

En cet automne 1939, Hergéévite de mentionner le conflit.La «drôle de guerre» a pour-tant commencé, et la Belgiqueest prise dans le même étauqu’en 1914. Cette nouvelleaventure se déroulera auProche-Orient, dans un décorexotique, et sans incidencesbelliqueuses pour l’Europe : ledirecteur de la «Speedol»n’évoque pour Tintin que lesconséquences économiques deces actes de sabotage. Mani-festement, l’auteur confirmele neutralisme, en l’occurren-ce pro-allemand, qui caracté-rise ses idées d’alors : d’autresillustrations d’Hergé présen-tent les Alliés comme des fau-teurs de guerre et le chance-lier du Reich comme un dé-fenseur de la paix.

Autre conséquence, la nais-sance de l’État d’Israël n’étaitpas le contexte historique ori-ginal de cet épisode. En 1939,la Grande-Bretagne est enco-re la puissance mandataire enPalestine par la volonté de laSociété des Nations. Tintin au

Petits Mickeys et grands principes

Dans le cambouisDistinguos

COURANT 1941, dansune chambre à l’adres-se tenue secrète de la

Palestine mandataire, un jeu-ne terroriste juif, stupéfait,écoute son chef, Yaïr, lui expo-ser les démarches qu’il a en-treprises et compte poursui-vre en vue d’établir des con-tacts avec les puissances del’Axe.

Ces démarches, l’exposantles justifie au nom d’une dia-lectique qui laisse son jeunedisciple interdit. En voici leslinéaments.

Il existe une différence fon-damentale entre les rôles queles deux belligérants (laGrande-Bretagne et le Reich)jouent vis-à-vis du peuplejuif. Ici il faut poser une dis-tinction entre l’adversaire etl’ennemi. «L’adversaire, expli-que Ya ï r, c’est une puissanceétrangère qui domine notreterritoire et dénie au peuplehébreu son indépendance ausein de sa patrie. L’ e n n e m i ,lui, est celui qui hait les Juifs,celui qui les traque et les tuepartout où il les trouve, quidésire les anéantir. Mais celane doit pas une seconde nousfaire oublier la nécessité impé -rieuse de notre lutte contrel’adversaire. La haine quenous porte l’ennemi s’exercegrâce à la sujétion dans la -quelle nous maintient l’adver -saire. Si celui-ci ne nous em -pêchait pas de disposer souve -rainement de notre patrie,nous pourrions y accueillirtous les Juifs menacés parl’ennemi et les soustraire ainsià sa fureur meurtrière.»

De ce distinguo, subtil ouspécieux comme on voudra,Yaïr déduisait que le devoirprimordial des guerriers juifsétait de combattre l’adversai-re et de libérer leur patrie.Pour y parvenir, ils devaientutiliser tous les moyens, ycompris une alliance avecleur ennemi si ce dernier étaiten même temps l’ennemi deleur adversaire. Yaïr se décla-rait prêt à endosser la pleineresponsabilité d’une démar-che aussi dangereuse, exci-pant de précédents recensésdans d’autres guerres de libé-ration nationale, en Italie, Po-logne ou Irlande.

Aussi, par divers truche-ments qu’il est inopportun ded é t a i l l e r, ledit Yaïr parvint-ilà transmettre à Berlin et àRome une proposition com-prenant un projet de traité (1)entre les puissances de l’Axeet le mouvement de libérationjuif, aux termes duquel l’Ir-goun intensifierait son effortde guerre contre la Grande-Bretagne en échange de la re-connaissance formelle par lesautres parties du droit dupeuple hébreu à instaurer unÉtat en Palestine.

Puis après?

Peut-être est-il temps de le-ver le voile sur nos protago-n i s t e s : d’abord Ya ï r, aliasAbraham Stern, fondateur duLehi (2), dissidence de l’Ir-goun, abattu par la police bri-tannique le 12 février 1942.Son interlocuteur est NathanYa l i n - M o r. Malgré la réputa-tion effroyable faite par deshistoriens hâtifs ou prévenusau groupe Stern, il n’est pasinintéressant de noter que deson sein émergea dans les

premières années de l’existen-ce de l’État juif un mouve-ment dit des Cananéens (dontfirent partie Maxime Ghilan,Nathan Ya l i n - M o r, Youri Av-neri), qui considérait que lalutte de libération nationalede la Palestine contre les im-périalismes devait engloberles Arabes de la région et tra-vailla à nouer avec eux desrelations dénoncées aussibien par les autorités sionis-tes que les élites politiques ouspirituelles arabes.

Et maintenant?

Pour excitante qu’on la trou-ve, on voit mal, depuis l’im-plosion de l’URSS et la perdu-rance d’une seule puissancemondiale introduite auprèsde toutes les parties, com-ment la dialectique e n n e m i -adversaire d’Abraham Stern,fabriquée en fonction des con-tingences de l’époque, pour-rait s’ajuster à la conjonctureprésente. Aujourd’hui demeu-rent sur la même terre deuxennemis imbriqués dans unepromiscuité obligée si pré-gnante qu’elle dément jus-qu’aux fantasmes de sépara-tion nourris par d’aucunsdans chaque camp et con-traint l’un et l’autre antago-nistes à une douloureuse re-définition identitaire. Mais labalance des moyens est entreeux si déséquilibrée qu’on nepeut s’empêcher de penserqu’il incombe au plus fortd’accomplir l’essentiel du che-min. L’erreur et, peut-être, lafaute d’Israël depuis la funes-te (funeste parce que tropéclatante) victoire de 1967 futde ne pas mesurer que la gé-nérosité doit aller de pairavec la puissance et qu’à ter-me il s’avère plus profitablede céder quand on est en posi-tion de force.

À suivre…L. M.

Nathan Yalin-MorIsraël, Israël…

histoire du groupe Stern 1940-1948Presses de la Renaissance,

1978, 378 p., épuisé

Maxim GhilanHow Israël lost its soul

Pelikan Books, 1974, 290 p., épuisé

(1) De ces tentatives inabouties,Roger Garaudy se crut autori-sé à conclure à une parentéquasi essentialiste entre lesnazis et les extrémistes dumouvement sioniste.

(2) Lohamey Herut Israël : lescombattants pour la libertéd’Israël.

Retour sur l’inactualitépays de l’or noir reflète les af-frontements consécutifs à lagrande révolte arabe de 1936:grève générale, boycott desimpôts, puis affrontementsarmés triangulaires entre sio-nistes, Palestiniens et soldatsanglais.

Une telle inscriptionhistorico-politique va très viteperturber le destin de cet épi-sode. Exportées dans les jour-naux catholiques francopho-nes, les aventures de Ti n t i nsont reprises dans le journalCœurs vaillants, alors replié àClermont-Ferrand. Toute ré-férence au sionisme disparaîtdans les dialogues, mais dansles dialogues seulement. Lecaviardage est effectué sanss o i n : les visages restent lesmêmes, les caractères hébraï-ques figurent toujours sur lesmagasins de «Caïffa», mais«Finkelstein» devient «Du-rand». Prudence de l’éditeur,qui cherche à éviter toute al-lusion politique, même si unecitation du maréchal Pétainorne désormais l’en-tête dumagazine. Ce même réflexeexplique les autres modi-fications : les «Arabes» devien-nent des «rebelles», l’épisodede l’avion anglais qui survoleles tentes bédouines estsupprimé.

Dès juin 1945, Tintin et Mi -lou au pays de l’or liquide–sans doute parce qu’alors lenoir se porte mal– paraît unenouvelle fois dans M e s s a g eaux cœurs vaillants. «Finkel-stein» reste «Durand», commeà l’époque de Pétain, mais lesalliés du moment ne sont plusm e n t i o n n é s : les Anglais de-viennent «la police» (en kilt !),les «Arabes» passent du sta-tut de «rebelles» à celui de«bandits». Alors qu’Hergé ajustement quelques démêlésavec la justice belge, le cha-peau qui sert d’introductionau feuilleton inaugure unelongue série de contresens :«En attendant de narrer leursaventures dans les maquis,leurs démêlés avec la Gestapoet les SS, Tintin et Milou vontte mener dans un pays mysté -rieux, où les guettent bien desdangers.»

Les deux versions publiéesen France ne sont probable-ment que le fait des rédac-teurs locaux. Hergé était-il aucourant de ces retouches ?

Pour le savoir, Guido Va nDorpe a tenté de consulter lesarchives de l’auteur. Imprena-ble forteresse, la FondationHergé l’a tout bonnementenvoyé promener (3).

La bataille des champs pétrolifiques

Il est difficile d’en dire plussur le contenu du premierPays de l’or noir. Revenant enBelgique après l’exode, Hergéa préféré entamer une nouvel-le aventure, Le crabe aux pin -ces d’or, dans le quotidien L eS o i r. Van Dorpe suppose àjuste titre que l’auteur hési-tait à poursuivre un récitmettant en scène des activis-tes juifs et des troupes britan-niques.

En 1948, la reprise de cetépisode après une longue in-terruption ne fut pas sansprésenter quelques difficultéspour Hergé : la parution dansle journal Tintin à partir del’automne est interrompue àplusieurs reprises et l’albumdiffère encore quelque peu dufeuilleton paru dans le «jour-nal des jeunes de 7 à 77 ans» ;le tout dans une période où ledessinateur navigue entre laSuisse romande et la Belgi-que, affrontant une dépres-sion durable.

C’est chez le potentat localque débarque, sans qu’on com-prenne bien pourquoi, Ti n t i nsauvé d’une tempête de désertpar les Dupond-Dupont (qui,emprisonnés, n’auraient paspu le faire dans la version de1939-1940). Ce Ben KalishEzab, pittoresque autocrate etson sacripant de fils Abdallah,sont absents des pages du P e -tit Vi n g t i è m e. Devaient-ilsexister à l’origine? De maniè-re similaire, les sionistes,pourtant en pleine actualité(indépendance d’Israël), nejouent plus aucun rôle dans lasuite de l’album. Un autre rô-le leur était-il dévolu en 1940?Qui sont les mystérieuxsaboteurs du pipe-line bri-t a n n i q u e?

Faute d’accès aux archives,on ne peut que remonter à ladocumentation utilisée parHergé. Avant Van Dorpe, denombreux auteurs ont montréque ses premiers Tintin sui-vaient les idées (et souventreproduisaient les illustra-tions) d’un petit nombre d’ou-vrages, comme la revue L eC r a p o u i l l o t, et que la sourceprobable est pour cette fois unlivre d’Antoine Zischka, paruen 1934 aux éditions Payotsous le titre La guerre secrètepour le pétrole (4). Spécialistedes complots en tous genres,Zischka défend la thèse que laguerre est proche ; il en fixemême la date : 1940. Il parled’attentats contre les oléo-ducs, de trafic de stupéfiantsdans les zones pétrolières, duterminal de Caïffa: tout le dé-cor de L’or noir.

Le Petit Vingtième, 2 novembre 1939, pl. XI, case 1

Tintin au pays de l’or noir, 1950, page 6, case 1

Le Petit Vingtième, 11 janvier 1940, pl. 31, case 6

Cœurs vaillants, 3 novembre 1940

Tintin au pays de l’or noir, 1950, page 16,case 6

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NOVEMBRE 2000 LA DISTINCTION — 5

Devoir de souvenir de vacances

Port-camargue, juillet 2000 (photo CRP')

Hugues DayezTintin et les héritiers,Chronique de l’après-HergéFélin, janvier 2000, 183 p., Frs 32.30Ce livre contient une seule révélation pourtintinologue allumé: il existerait une esquis-se inédite de Tintin et l’Alph-Art qui montreque le mage-faussaire Endaddine Akassn’est autre que l’infâme Rastapopoulos!

Pour le reste, le livre de Dayez narre, dans tous ses détailssordides, le délirant ballet auquel se livre un pittoresquec a s t i n g : la veuve-seule-héritière-légale ; les collaborateurssur qui reposait la production des Studios Hergé dans lesdernières années ; les lecteurs-adorateurs qui attendent lasuite, comme dans tout bon feuilleton ; les échevins bruxel-lois qui voient bien l’intérêt de cette icône touristique ; ledernier secrétaire particulier du Maître, ancien danseurchez Béjart ; Casterman, l’éditeur des albums, qui vient defaire la cupesse ; Le Lombard, détenteur des droits dérivéset du journal Tintin ; un jeune Anglais qui a créé la premiè-re «Boutique Tintin» et qui aura le bonheur de rencontrerl’amour en la personne de la veuve ; et même le Dalaï-Lama.Le lecteur assiste, navré, à la chronologie d’un naufrage.Comme dans un laborieux mélodrame se succèdent la dispa-rition de l’hebdomadaire Ti n t i n, le verrouillage des archi-ves, un merchandising «grand luxe» dans des boutiquesfranchisées, reparution fétichiste des anciennes éditions,l’échec du projet de film conçu par Spielberg, le capotage duparc d’attractions, l’enlisement du musée, l’effondrement del’idée d’un Tintin channel et l’atterrissage catastrophiqued’un projet de fusée (50 m de haut !) au cœur de la très as-soupie Angoulême.La couverture de cet ouvrage présente à juste titre uncoffre-fort. Financièrement, l’héritage hergéen est certesconsidérable, mais tout cela ne suffit pas à expliquer la cu-riosité déployée autour de ces querelles misérables et de cesbatailles familiales. Il n’y a qu’à voir le peu d’intérêt qu’asuscité le feuilleton des droits d’Astérix qui a opposé des an-nées durant Uderzo et Dargaud. Un monument nationalpeut-il rester privé ? Voilà la question que pose le devenir deTintin pour nos amis les Belges.

Huibrecht van OpstalTracé RG, le phénomène HergéLefrancq, 1998, 255 p., Frs 81.30L’œuvre d’un malade. Van Opstal prétendretrouver les «sources graphiques» ducréateur de Tintin. Sans aucune logique(fût-elle purement esthétique), il accumuledes paires d’images (avant-après, comme

aux origines de la publicité) qui ne démontrent rien d’autreque ce truisme : le dessinateur Hergé s’inspirait des dessinsdes autres.Le plan du livre est délirant, si on se donne la peine de leregarder ; la partie A regroupe 100 problématiques classéesalphabétiquement, et la B une chronologie qui s’arrête en1930, le tout encombré d’une avalanche de notes mania-ques. Le résultat est à proprement parler illisible, d’autantqu’il est entièrement écrit en charabia post-belge «Il était unBelge parfaitement bilingue-tweetalig, mais plus tard apprità parler le français et le wallon.» ou «Germaine, fort présentesur le plan sexuel, a été sa force énergétique au cours des an -nées moins heureuses.»S’il tient le coup, le lecteur aboutira à des révélations renver-santes comme «Seuls les actes de l’état civil mentionnent entière -ment son nom en quatre parties: Georges Prosper Remi Remi.»

Bocquet, Fromental & StanislasLes aventures d’HergéReporter, octobre 1999, 56 p., Frs 22.–Dans l’ouvrage de Dayez, Benoît Peeters,éminent spécialiste du sujet, avance l’hy-pothèse que l’insuccès des luxueux pro-duits dérivés et l’érosion des ventes vontamener sur la table un jour ou l’autre laquestion d’une continuation des aventures

de Tintin, malgré toutes les promesses qui ont été faites derespecter la volonté de l’auteur.En attendant, cet album au dessin un brin vieillot, genrePellos pour Les Pieds Nickelés, fait du père de Tintin le su-jet de quelques séquences biographiques. La tentative defaire de la bande dessinée son propre sujet est intéressante,mais on en reste au stade d’une légende, pas toujours dorée,pour les sectateurs de la chapelle. (M. Sw.)

jusqu’au cou

L’étoile mystérieuse, version feuilleton, vignette parue dans lequotidien Le Soir du 11 novembre 1941, jamais publiée en album

En lisant attentivement cet-te prose fortement datée, letintintellectuel batave a éta-bli que, pour Zischka, le con-flit à venir n’est pas celui quel’on pourrait croire, il s’agitd’une «…guerre entre l’Améri -que et l’Angleterre pour le pé -trole et non seulement guerrede Rockfeller contre Deter -ding. Aujourd’hui cette luttede titan est économique. Maisne deviendra-t-elle pas ouver -te, sanglante dans un très pro -che avenir?»

Si l’antibolchévisme peutêtre considéré comme la ma-ladie infantile d’Hergé, la dé-nonciation de l’impérialismeanglo-saxon sera pour lui unprurit durable, du moins jus-qu’en 1942. Dans Tintin auC o n g o, la pègre américainecherche à s’emparer de l’uni-que colonie belge ; les pétro-liers de Tintin en Amériqueexpulsent les Indiens; les Bri-tanniques de la concession deShanghai (Le lotus bleu) sontparticulièrement haïssables ;dans L’oreille cassée, Chick-lett de la «General Americanoil» et le marchand de canonsMazaroff pour la «Vi c k i n gArms company» poussent à laguerre deux micro-États sud-américains.

Cet état d’esprit vient deloin. Le XXe s i è c l e, quotidiencatholique où le jeune Hergétrouva sa voie, apparaît au-jourd’hui comme un journalparanoïaque. Les exemples ysont nombreux qui exprimentune mentalité obsidionale,comme cet article du 2 m a r s1932 intitulé «Les maîtres dumonde. Comment les chefs dela finance judéo-germano-américaine subventionnèrentles leaders bolchévistes etcomment ils s’en servirent».Dans cette optique, l’Asie dé-verse des cargaisons d’opiumsur l’Occident, Wall Streetavance ses pions dans l’uni-vers entier, la puissance alle-mande se reforme derrière larépublique de Weimar (5), lescapitalistes juifs financentl’Union soviétique. Hergé con-

crétisera d’ailleurs ce cauche-mar permanent par la conspi-ration encagoulée des Cigaresdu pharaon, «une bande inter -nationale de trafiquants destupéfiants et d’armes deguerre».

Dans l’univers de Tintin etMilou, les sociétés capitalistesmènent le monde. L’or noirversion 1971 parle de deuxcompagnies en rivalité pour lecontrôle du sous-sol du Khé-med indépendant : l’A r a b e x,qui soutient l’émir Ben KalishEzab, souverain établi sinonlégitime, et la Skoil Petroleumqui appuie Bab El Ehr, lesheik rebelle. En 1950, l’émirétait anglophile (6) et une so-ciété anglaise s’opposait à une«société non-anglaise», sansplus de précisions.

La prudente formulation de1950 semble un masque del’identité probable des «mé-chants» de 1939. Il ne s’agitcertes pas de Berlin ou Mos-cou, puisqu’il n’aurait pas éténécessaire d’euphémiser leuridentité à l’aube de la guerrefroide. Hergé ne peut repren-dre explicitement son idée de1 9 3 9 : il reste donc dans levague.

Un personnage joue dansL’or noir un rôle capital : l’in-quiétant docteur Müller. Chefd’une bande internationale(aux noms russes et alle-mands), il cherche dans l’Î l enoire (1937) à saboter depuisson château d’Écosse l’écono-mie européenne en diffusantpartout de la fausse monnaie.À l’époque, de nombreux jour-naux attribuaient à l’Interna-tionale communiste de tellespratiques. Mais Zischka, tou-jours lui, raconte qu’au débutdes années vingt fut arrêtée àBerlin une bande de faux mon-nayeurs. Le chef était un Écos-sais naturalisé allemand, ledocteur Georg Bell, qui devintplus tard un agent du magnatde la compagnie Shell,Deterding, chargé de trans-mettre des fonds au parti nazi.

Dans L’or noir, version1950, on retrouve Müller en

archéologue et représentantd’importantes sociétés «pétro-lifères». Derrière cette couver-ture se cache un agent désta-bilisateur anti-britannique,qui incendie les oléoducs.L’origine des attentats changeévidemment en 1971, puisqueles Anglais ne sont plus de lapartie. Müller est devenuagent de la Skoil, qui intriguecontre l’Arabex, la compagnieen place. Si, comme la res-semblance de l’émir avec IbnSéoud et la parenté sonoreavec la célèbre Aramco nous ypoussent, nous identifionsavec Van Dorpe cette entre-prise comme américaine, lesÉtats-Unis ne sont plus l’âmedu complot, mais la victimed’une puissance subversive.

Le menaçant barbu apparaî-tra encore une fois en face deTintin: il sera Mull Pacha, of-ficier du toujours rebelle BabEl Ehr, dans Coke en stock(1956), caricature du légen-daire Glubb Pacha (7). On re-trouve là tous les poncifs etpersonnages précédemmentévoqués, au point qu’on peutse demander si Hergé n’a pasvoulu, sur le tard, se pasti-cher lui-même. L’ancien chefde la police internationale deShanghai y vend des avionsau général Alcazar et à BabEl Ehr, soutenu cette fois parl’Arabair, dont le propriétaire,le marquis di Gorgonzola,n’est autre que l’infâme Ras-tapopoulos, déjà au cœur dutrafic de l’opium en Chine. In-version des rôles, c’est un na-vire de l’US Navy croisant enMer Rouge qui, garant de l’or-dre et de la stabilité du mon-de, sauve Tintin et ses compa-gnons.

Un antisémitisme croissant

Une telle quantité de retou-ches fait problème. Dans unedernière partie un peu rapide,Van Dorpe relie ces contor-sions incessantes à la ques-tion de l’antisémitisme d’Her-gé. On peut trouver, dans plu-sieurs des premiers albums,la représentation d’un person-nage juif. Ces images isolées,un commissaire du peuple so-viétique, un homme d’affairescupide, un fripier séfarade,correspondent aux stéréoty-pes judéophobes d’alors, maisne sont pas particulièrementhaineuses. De même, les com-battants sionistes de L’or noirsont représentés selon les ca-nons (casquette et revolver)de l’imagerie du militant ré-volutionnaire.

Tout change avec L’ é t o i l em y s t é r i e u s e, dont une vignet-te parue dans Le Soir d u11 novembre 1941, toujoursoccultée par les «tintinolo-gues», montre deux commer-çants ashkénazes se réjouis-sant de la fin du monde. Lesjuifs belges sont à cette dateinterdits d’activité profession-nelle, privés de scolarité etsoumis au couvre-feu. Dans lemême épisode, le commandi-taire sans scrupules de l’expé-dition qui affronte Tintin pourla conquête d’un nouveaucontinent est le banquieraméricain Blumenstein. Ladénonciation des capitalistesanglo-saxons rejoint celle desjuifs, en pleine occupation na-zie. Difficile d’être plusexplicite.

Toute sa vie une gomme dans la main

Même si elle se perd parfoisdans des détails insignifiants,l’étude de Guido Van Dorpetient la route. Elle montre no-tamment que tout n’a pas étédit sur la signification desœuvres d’Hergé, malgré le

nombre des ouvrages publiés,tant ils contribuent à obscur-cir des aspects que l’auteurlui-même s’était longuementingénié à embrouiller.

Pierre Assouline (H e r g é ,Plon, 1996) avait signalé queles Entretiens avec Hergé quepublia Numa Sadoul en 1975furent retenus pendant troisans pour d’innombrables cor-rections, touchant aux optionsphilosophico-religieuses, à lasituation conjugale ou encoreaux opinions politiques ex-primées par le père de Tintin.À l’image des moines grattantle parchemin pour y tracer unnouveau manuscrit, Hergés’était lancé dans un pro-cessus de rectification sansfin, systématique et astu-cieux, destiné à brouiller lespistes.

Sur les affiches de propa-gande d’autrefois, une pieuvregéante avance ses pseudopo-des ventouseux, telles les septtêtes de l’hydre. Ce fut sansdoute l’image qu’Hergé sedonna du monde qui l’envi-ronnait. Il est frappant deconstater à quel point cetteubiquité du mal, ses méta-morphoses incessantes, cettefusion de toutes les perver-sions en son sein ressemblentà une modernisation de la fi-gure du diable.

M. Sw.

HergéAu pays de l’or noir

Casterman, septembre 2000 (fac-similé del’édition de 1950), 64 p., Frs 27.50

Guido Van DorpeEen moderne Palimpsest

Pannekoek & Gorter (Amsterdam), 1998, 234 p., 23.80 gulden

(1) http://www.casterman.be(2) Hervé Gattegno, «Tintin dans

le pétrole», in Le Monde desLivres, 6 octobre 2000

(3) La réponse mérite d’être citée :« Vous avez eu l’occasion d’encomparer les différentes ver -sions parues, ce qui est essen -tiel.» (Lettre de 1996)

(4) Payot, Collection d’études, dedocuments et de témoignagespour servir à l’histoire de notretemps, nouvelle édition revueet augmentée, 1934, 286 p. Laversion allemande, Ö l k r i e g,sera publiée à Leipzig durantla guerre, comme beaucoupd’autres ouvrages du mêmeauteur.

(5) Hergé voit encore une menaceallemande dans Le sceptred ’ O t t o k a r (1938, un épisodequ’Hergé évitera de rééditerpendant l’Occupation), maisplus par la suite. Le rôle dévo-lu aux Nippons évolue parallè-l e m e n t : dans Le lotus bleu, leJapon organise un traficd’opium planétaire, alors queLe crabe aux pinces d’or débu-te par l’enlèvement d’un braveinspecteur de la Sûreté deYokohama.

(6) Bien plus tard, Ben KalishEzab aurait eu à subir un châ-timent tardif : un «commandopalestinien» s’apprête à l’en-lever dans Tintin et l’Alph-Art,ébauche inachevée (Casterman,1986, pl. 9).

(7) De son vrai nom John Bagot,l’officier britannique Glubb Pa-cha fut mis à la tête de la Lé-gion arabe en 1939 au servicede l’émir Abdallah de Tr a n s-jordanie.

Tintin au pays de l’or noir, 1950, page 35, case 13

Tintin au pays de l’or noir, 1971, page 35, case 13

Page 6: LA DI S T I N C T I O N

NOVEMBRE 20006 — LA DISTINCTION

Le chameau rote (5)

Burb!

Exposition

ANNEPEVERELLI“Édition”Du 2 au 23 décembreVernissage le 2 décembre à 11h00Visite guidée le 6 décembre à 18h00

(Annonce)

Galerie Basta !Petit-Rocher 4

Lausanne-Chauderon

ET la chèvre broute. À ce pro-pos, j’ai récemment rencontréun chef. Des «ressources hu-

maines». Qui se vantait d’avoir licen-cié, au cours de sa vie, plus de 150personnes. Il racontait que, pourbeaucoup de licenciées et de licen-ciés, le fait d’être foutu dehors avaitv r a i m e n t représenté une chance. Ildisait aussi à quel point il était impor-tant de savoir «bien» licencier. Qu’ilavait eu des états d’âme, parfois,mais qu’il s’en était remis après avoircausé avec un ami médecin. Celui-cilui avait subtilement dit que, lui aus-si, il était triste de ne pas toujourspouvoir guérir ses patients, mais quec’était comme ça. Sa conclusion ?L’entreprise licencie parfois ses em-ployés, mais la vie finit toujours parlicencier les hommes…

Enfin: savez-vous qu’entre le Châ-teau (vaudois) et le Palais (fédéral),Claude Ruey et Charles Favre ont,les pauvres, à peine le temps des o u ff l e r. C’est 24 Heures, le P a r i sMatch de la Venoge, qui le dit. Et quiprécise que les deux conseillersd’État ont trouvé une répartition destâches entre eux plus que remar-q u a b l e : Charles dort à Lausanne,Claude à Berne. La secrétaire deClaude, précise ce remarquable arti-cle de Denis Barrelet paru début oc-tobre, trouve qu’il n’a jamais été aus-

si à jour sur ses dossiers que depuisqu’il dort à Berne. Quant à Charles,toute son attention est portée sur unseul sujet, et sur un seul (lui-mê-me?). Tous deux n’ont jamais propo-sé d’intervention parlementaire, maisils se sentent utiles. À tel point qu’ilsévitent l’un et l’autre d’être trop pré-sents. Claude se distingue mêmepar son manque flagrant d’assiduitéaux séances du parlement fédéral :c’est normal, quand on dort.

C’est beau la politique! On se de-mande bien de qui elle peut être lepère, d’ailleurs.

La chèvre cependant broute et le chameau rote. Burb!

Le botulisme est une intoxicationalimentaire grave causée par un ba-cille qui sécrète une toxine qui pro-voque, dans un délai de deux heu-res à deux jours, une série de trou-bles neuroleptiques qui mènent toutdroit à la mort. On peut l’attraper enmangeant, par exemple, des charcu-teries avariées.

Aussi faut-il faire attention en man-geant du jambon cru, d’origine va-riée. Si le jambon est frais et dispos,on peut simplement l’enrouler autourde quelque roquette fraîche (et pro-pre) et grignoter les boudins ainsiconfectionnés. Mais la fraîcheur duproduit est vitale : car, s’ils sont pour-

ris, les gens bons peuvent se révélerdes sales amis. Qui a parlé des res-ponsables des compagnies d’héli-coptères valaisannes?

Mais revenons au chameau, qui,couplé au dromadaire, devient cha-madaire. Une bosse et demi. Etdans le demi, il y a la moitié de l’en-tier. Oh! yeah, oyez.

«Il y a fort longtemps, bien avantDelamuraz et Couchepin, vivait dansune grande forêt pleine de champi-gnons un homme politique. Il ne sesavait pas politicien, le métier n’avaitpas été inventé. Il ne connaissaitpas bien non plus les champignons,ni d’ailleurs la chasse, la cueilletteou la pêche. Bref, il ne savait pasgrand-chose, mais il savait parler etaimait le sport, ce qui montre qu’ilétait fort bien disposé pour la politi-que. Or, un jour, il arriva que, malgréses discours, ce pré-politicien setrouva fort marri : personne pourl’écouter ou pour faire du sport aveclui, donc personne pour le nourrir oului donner à boire. Il s’en fut doncpar monts et par vaux, chercher desâmes pour l’écouter gloser et courir.Mais la terre semblait se vider deses habitants au fur et à mesure qu’ila v a n ç a i t : personne à Zurich, ni àBerne, Bière ou Sion. La faim, lasoif, le besoin d’un auditoire ou d’unpartenaire de jeu le tiraillaient, la si-

tuation était tragique. Après avoirbeaucoup marché, il arriva à Kan-dersteg, où il décida de s’établir carlà, les indigènes ne le fuyaient paset, eux aussi, ils aimaient le sport.Cro-Ogi (c’était son nom) commençadonc à parler et comme les indigè-nes étaient assez riches, ils lui don-nèrent à manger pour qu’il se taiseet firent du sport avec lui. Depuis,dit-on la tradition s’est maintenue :sport et röstis. Kofi Annan, tout cour-baturé, n’a pas fini de digérer son re-pas de Kandersteg et Gruezi Mitter-rand en est mort.»

La morale de cette histoire qui sortde l’ordinaire? Ogi a démissionné enpleine gloire, l’année des jeux olym-piques la tête en bas, tandis que lesportif sud-africain qui marchait, cou-rait, voguait sur la ligne de l’équateurréussissait l’exploit de faire croirequ ’i l était du pays d ’En-Haut etn’avait jamais «travaillé» dans lesservices secrets d’Afrique du Sud,surtout pas aux temps maudits del’apartheid. Le sport, ça mène à tout,comme le dit si bien Juan-Antonio.

C’est ainsi que le chameau rote(burb !), tandis que la chèvre broute,tête chercheuse dans l’herbepisseuse. Mais où donc est passéson tout petit cabri?

Ainsi va la vie.J.-P. T.

MAURICE Cullaz estmort, lundi 30 o c t o-bre. Quelques lignes

qui se dépêchent dans le jour-nal : «(…) Il est considéré com -me un des plus grands criti -ques de la musique noire amé -ricaine ( . . . )» Il y a trois ans,j’ai eu l’immense joie de ler e n c o n t r e r, il venait de fêterses 85 ans au New Morning,en compagnie de nombreuxmusiciens. Patrick Lenoiravait pris rendez-vous pourl’interviewer au nom de laRadio Suisse Romande. Pournous, c’était un prétexte pourle rencontrer, discuter. Il étaitdisponible, drôle, et racontaitpour la millionième fois lesmêmes choses à nous qui nesavions rien. Mais pour lui,comme pour tous les hommesprésents au monde, il racon-tait toujours pour la premièrefois. Sa femme, Yvonne, étaitprésente, son ombre bienheu-reuse depuis soixante ans, jepense à elle, j ’ai une belle

photo d’elle que j’ai prise au-tour de cette table, rue Géné-ral-Delestraint à Paris, j’aitoujours dans mon carnetd’adresses le numéro du codede la porte. Je ne me rappelleplus l’étage. Chez eux des dis-ques, des disques partout,tout autour de nous. Des dis-ques de ses amis, de ceuxqu’il a défendus, disait JamesBrown, en pionnier, trouba-dour solitaire : Louis Arm-strong, Nina Simone, MaxRoach, Albert Collins, DizzyGillespie, Liz McComb, Ar-chie Shepp, du Gospel auBlues, de la Nouvelle-Orléansau Free Jazz. Maurice Cullazaimait à rappeler qu’il n’y apas de différence entre leBlues et le Gospel, si ce n’est,disait-il amusé, que pour l’unon chante «Oooh Baby !» etpour l’autre «Oooh Jesus !» EtMaurice lançait à tous ceuxqu’il aimait un Oooh Baby !que je n’oublierai pas. MerciMaurice. (L. S.)

Viens, femme, te rasseoir sur le banc…

UN jour, je le savais, jeremettrais la maindessus. Il suffirait

d’un peu de patience et de nepas résister à l’envie de foui-ner dans les librairies d’occa-sion : facile.

C’est à la librairie de la Lou-ve, à Lausanne, qu’il m’atten-dait, «innocemment» placéjuste sur la ligne de mon re-gard, un samedi pluvieux denovembre.

Flash-back : il y a 30 ans, celivre faisait son entrée dansnos collèges feutrés, policés etpoussiéreux. Clandestine-ment, car c’est sous le man-teau que circulait dans lesclasses Le petit livre rouge desécoliers et lycéens. Dans cestemps anciens, la censure in-tervenait promptement, lesrévolutionnaires parlaient derévolution et les autres va-quaient à leurs occupationshabituelles. Cedips, la maisond'édition lausannoise de la IVe

Internationale, diffusait latraduction de ce livre dû àtrois Danois.

Une petite leçon de libertéNous adresser ce manuel,

c’était nous prendre singuliè-rement au sérieux, nous cré-diter d’une autonomie quel’école sclérosée nous déniait :le souffle de 68 arrivait jus-que dans nos cartables pourune petite leçon de liberté.

L’ennemi est vite désigné :l ’ « a d u l t e » ; aussi vite il setrouve réduit au statut de «ti-gre de papier», soumis qu’ilest aux «forces économiqueset politiques» dans tous lesaspects de sa vie. On appre-nait cependant que certainsde ces adultes, ceux quiavaient conscience de leursoumission, pouvaient deve-nir des alliés.

Le petit livre nous confortait

dans l’idée que l’école, le mi-lieu «naturel» où nous pas-sions si laborieusement de siinterminables journées, pou-vait être légitimement criti-quées. Cet ennui qui nous ac-cablait souvent, et auquelnous devrions nous habituercar c’est le lot de tous, selon lesens commun, nous pouvionsle récuser, car «quand on s’en -nuie, la seule chose qu’on ap -prend, c’est à s’ennuyer. » S il’enseignement est bon, il n’ya pas lieu de s’ennuyer. Etnous avions droit à un bon en-seignement.

S’organiser avec prudenceBien prudemment quand

même, Le petit livre rougenous invitait à suivre la voiehiérarchique pour faire en-tendre notre voix et à privilé-gier le dialogue constructif :parler avec le prof concernéavant d’alerter le directeur,avant d’écrire une lettre (unmodèle est proposé), avantd’organiser une grève (ne pasoublier de compter ses forceset d’alerter la presse). Les ap-prentis en autonomie cou-raient le risque de se fairebrûler les ailes très vite –lamenace de jours de suspen-sion était fréquemment miseà exécution, avec risque d’ex-pulsion à la clé.

Si le manuel proposait desébauches d’organisation pouramener à un nouveau fonc-tionnement de l’école –travailen groupe, sujets choisis enfonction de nos intérêts, refusdes punitions et des notes…–,il nous poussait aussi à pren-dre en main nos loisirs :«N’oubliez pas que toujours etpartout, lorsque les adultesmettent à votre disposition desmoyens de loisirs, c’est qu’ilsentendent bien contrôler et di -riger vos activités.» Ce n’est

Oooh Maurice!

«Sache bien que c’est partout la même lutte»

Musique

Le livre qui n’existe –presque– plus

Maurice Cullaz, interviewé par Patrick Lenoir, avril 1997, Paris

pas pour autant que Le petitlivre rouge, qui distillait samorale à lui, nous incitait àdilapider notre temps en acti-vités inutiles et non formatri-ces !

«Faites hardiment vous-mêmes

vos propres expériences»À propos de loisirs, un cha-

pitre traitait de la sexualité,avec un langage qui tranchaitaimablement avec le ton descours d’«éducation sexuelle»qui nous étaient infligés. Lesmots-clefs étaient «liberté»,«respect», «différences… etp r u d e n c e » : la contraceptionplutôt que l’avortement ; maisl’avortement plutôt que d’in-fliger des conditions de vie pé-nibles à un enfant. Ce chapi-tre nous rappelle aussi qu’il ya peu, la pornographie, main-tenant difficile à éviter, étaitinterdite, excepté au Dane-mark.

Autre forme de loisirs, ladrogue était également abor-dée. Bien que Le petit livres’efforçât de rester dans l’ob-jectivité, on ne peut pas direqu’il minimisait les dangersdes drogues licites ou non : il

n’était pas l’œuvre de disci-ples de Timothy Leary, maisbien celle de militants politi-ques. Il est des substances quidiminuent la capacité de serévolter.

Refusant la fuite, il incitaità agir là où l’on se trouvait.«Pour changer l’école, il fautchanger la société. Pour chan-ger la société, il faut changerl’école».

À le lire aujourd’hui, biendes passages qui semblent unpeu niais font sourire… biende l’encre a coulé des encriers,mais y a-t-il un livre qui pro-duirait autant d’effet sur lesécoliers d’aujourd’hui?

C. P.

Bo Dan Andersen, Soren Hansen, Jesper Jensen

Le petit livre rouge des écoliers et lycéens

Cedips, Collection La Taupe, Lausanne,1971, 191 p., épuisé

Page 7: LA DI S T I N C T I O N

NOVEMBRE 2000 LA DISTINCTION — 7

qu’il est Eurasien, parce que la Russie n’est pas enEurope. Et de la Sibérie va monter le nouveau matin desraces, un prochain empire mongol qui fouettera lespeuples du monde entier, l’univers va bientôt entrer enfusion et retourner au premier jour.

Il n’était pas communiste, son ami Beztroudoy non plus,lui qui avait fui la révolution, mais la Russie, c’était autrechose que le communisme. Ainsi Papanine, le hérossoviétique qui venait d’atteindre le pôle Nord, incarnait-illes sublimes efforts du génie humain à la conquête d’unenature foncièrement hostile.

– C’est la terre du moujik, du paysan, c’est-à-dire del’homme, qui plante, qui récolte et qui replante, commec’est son devoir de ne pas laisser la mauvaise herbe toute n v a h i r. Et la Russie est un très grand pays, peuplé deRusses, avec des fleuves immenses, pas comme l’Améri-que qui est ailleurs, rapport aux océans qui font que c’estun autre continent, pas comme celui-là. La Russie est toutle contraire de la Suisse : là-bas, on risque tout, et tout àla fois, comme quand c’est la douloureuse tension desbourgeons prêts à crever, les branches des platanesgonflées de sève, sur le point d’éjaculer. Les soviets, c’estformidable. C’est la forme la plus naturelle des activitéshumaines, comme les premiers paysans : on se metensemble pour faire quelque chose, pour construire lamaison, pour faire les vendanges, pour aller ruclonner. Jecrois bien que je vais créer un soviet d’amis, pour éditermes livres.

Potterat s’effrayait de tant d’audace intellectuelle :– Un soviet en Suisse, mais vous n’y pensez pas !– C’est bien les Helvètes, ça ! On se croirait dans une vo-

lière, où tout le monde se rogne les ailes parmi, pour s’em-pêcher et empêcher les autres de s’envoler. Ce pays est sineutre qu’il devient castré. Des couilles, voilà ce qui nousmanque, des couilles, Monsieur l’inspecteur ! Sommes-nous des hommes fiers, de la race des Alpes, ou desportiers d’hôtel, dressés à ne faire que courbettes etrisettes devant ceux qui nous apportent leurs livress t e r l i n g ? Regardez Lausanne : on n’y parle plus mal a n g u e ; partout des Allemands, des Russes, desRoumains, des Brésiliens, des Bulgares, sans compterquelques Nègres, et ces petites gens jaunes de teint auxyeux bridés. On s’enrichit avec ces touristes, mais on nese développe pas. Se développer, c’est faire comme l’oignondont le germe est à l’intérieur, et qui accumule descouches successives, au lieu que nous, nous accueillonstout le monde, comme des champignons qui gonflent sansracines. Mais les Russes eux, ils osent tout, et puis aprèsils osent le contraire. Écoutez plutôt…

Il prit alors un simple feuillet manuscrit plié, quiémergeait sur son bureau et nous lut un poème en russe.Je n'aurais su juger de sa prononciation, mais l’écrivainprétendit qu’il avait plus ou moins appris la langue entravaillant avec un musicien de Saint-Pétersbourg, quis’était réfugié en Suisse en 1914 et dont je n’ai pas retenule nom. Il est vrai que cela sonna très bien, avec unrythme très appuyé, comme l’écho d’un tambour venu detrès loin, à travers les volutes opaques du tabac brun.

– C’est de la femme d’Efron, une poétesse vraiment trèsdouée: ä – éto da, / Da – navsegda, / Da – vopreki, / Da– çerez vsò / Dahe tebe /Da kriçu, Net. (1) C’en étaittrop pour moi. Persuadé qu’il délirait et que nous n’ap-prendrions plus rien de la part de ce vieil oiseau de nuit,je me levai pour marquer le départ. Le Sherlock Holmesdu Gros-de-Vaud roula de côté et parvint à s’arracher audivan.

Sur le petit sentier très escarpé et mal éclairé quidescendait du bourg de Pully vers le lac, nous convînmes,Potterat et moi, que le grand écrivain n’avait sans douterien vu. Le prince-linguiste non plus, qui ne l’avait pasquitté, et de toute façon il était déjà reparti pour Prague.Tout de même, avec le journal d’émigrés retrouvé dans lespoches d’Eberhardt, cela faisait trop de Russes blancspour une coïncidence.

– Inspecteur, qu’est-ce au juste qu’un «chiroptère»?– Sais pas. Ça doit être une sorte de médecin, pas. Tu

sais les écrivains, ils ne parlent pas comme les autresgens…

La nuit était tombée, je ne distinguais plus les traits demon bedonnant collègue ; ne restait visible que sasilhouette ronde oscillant devant moi dans les escaliers.Sa vulgarité, ses rituels, son incompétence totale m’aga-ç a i e nt : comment travailler au vingtième siècle avec ungendarme de village de l’époque napoléonienne ? Il étaitcertes pittoresque et jovial, mais son absence de toutprofessionnalisme le rendait navrant aux yeux du jeunepolicier que j’étais alors. En outre, un doute subsistait enmoi : Potterat était-il seulement brave et bête?

Le problème le plus important restait cependant de re-trouver l’ex-secrétaire du prince Beztroudoy, qui était là«par hasard». Serge Efron : «effronté», «affront» chantaitson nom. Normal pour un poète.

Serge Iakovlévitch Efron (1893-1939)

Résumé des épisodes précédentsLe cadavre d’un homme abattu par balles a été dé-

couvert à Pully, sur la route du lac. Son identité,Hermann Eberhardt, commerçant tchèque, sembledouteuse. L’inspecteur David Potterat et lestagiaire Walther Not interrogent l’écrivainJacques-Clément Grognuz, dont la terrasse dominela route.

Il y eut une hésitation de la part du grand écrivain, iltassa sur l’ongle de son pouce le tabac d’une nouvellecigarette, son regard se perdit dans le lointain.

– Étais-je seul? Est-ce qu’on est seul quand on est au mi-lieu des vignes, entre le ciel qui est tout noir, et le lac quiest tout noir aussi, parce qu’il reflète le ciel ? Dites-moi,Monsieur l’inspecteur, vous qui n’êtes pas du pays, onl’entend, ressentez-vous parfois qu’ici rien n’est commeailleurs, alors que là-bas tout est pareil? Des fois, commecette nuit, on se dit qu’on s’envolera avec des ailes etqu’on tournera en spirale jusqu’aux montagnes, qui sontles extrémités de la terre. Et puis, lorsqu’on aura tout vu,on reviendra à son centre, qui est son noyau, on se poserasur un piquet de vigne, et on chantera les héros du pays,comme l’aède récitait des épopées pour les hoplites.

L’esprit de clocher, le patriotisme microscopique qui rè-gne dans chaque canton suisse, m’a toujours agacé. Il nesuffit pas qu’une vallée croie vivre en autarcie,s’illusionne à posséder tout ce qu’une grande nationpossède, réduit chez elle à sa plus simple expression: unécrivain, un peintre, un chef d’orchestre, trois gendarmesou un cuisinier, il faut encore qu’elle étire sa prétentionjusqu’à l’universel. En toute chose, en philosophie commeen habillement, les natifs s’imaginent avoir une manièrequi les distingue radicalement des autres, qui fait d’euxune espèce à part, un cas unique. Porté à incandescence,aggravé par une inconscience totale de ce que peuventêtre les drames de l’histoire, ce sentiment obscurcissaitl’âme d’une population par ailleurs honnête et laborieuse.Il faut reconnaître toutefois que ces particularismes, cettepelote de lignes de partage, en multipliant les conflitssans importance, ont préservé la Suisse de toute divisionvéritable, et l’ont fait subsister à une époque où les plusformidables empires s’effondraient.

L’acre odeur du caporal bleu imprégnait toute chose, Pot-terat, éreinté par une nuit sans sommeil, s’était affalé surle divan, qui avait craqué mais tenu bon. Il somnolait déjà,cerné par des piles de livres qui menaçaient de le recouvrirà chacun de ses mouvements. Sans que je comprenne lerapport, Grognuz s’était lancé dans une lamentationcontre les dévaluations françaises qui dévoraient ses droitsd ’ a u t e u r, par la faute de ce gouvernement de Frontpopulaire, qui avait eu de plus l’impudence d’emprisonner–pour incitation au meurtre !– Charles Maurras, dont iladmirait le rayonnement intellectuel. Soudain, l’énormemasse de chair qui ronflait à côté de moi, s’agita et cria:

– Charrette ! c’étaient des Russes. Vous avez passé la soi-rée avec des Russes!

Il avait oublié dans son sommeil le respect dû au grandauteur. On vit sa main se tendre vers les bouteilles vides,et en ramener une, bien différente des autres, en verreblanc taillé, dont la forme tourmentée évoquait lesclochers de la Cathédrale Saint-Basile de Moscou.Potterat était triomphant :

– Une bouteille de vodka, je l’ai bien reconnue, au milieudes topettes de vin blanc, pas. Vous pensez si j’ail’expérience!

L’œil à nouveau unique le regardait avec admiration. Lapénétration du limier avait ébloui Grognuz, qui consentità s’expliquer:

– J’ai passé la soirée et une bonne partie de la nuit enprésence du prince Beztroudoy, l’éminent linguiste russe.C’est un vieil ami, qui ne manque jamais de passer mevoir. Il sait des choses que personne ne connaît, il dit queles langues sont comme la matière, composées d’unitéstoutes petites, comme les atomes, et que tout ce qu’onpense, tout ce qui coule du cerveau, vient en fait de ces pe-tites billes sonores. Moi je n’y crois pas : mon opinion estqu’il y a derrière tout ça un grand souffle qu’on ressentmais qu’on ne peut pas dire… Le prince est très drôle, ilest capable d’imiter tous les accents, de contrefaire même

ma voix. C’est un personnage étonnant, un vrai savantqui a étudié longtemps les langues du Caucase, qui ne se-ront bientôt parlées par plus personne. Il y en a une autrederrière chaque chaîne de montagnes, comme chez nous.Rendez-vous compte, il a trouvé un dialecte qui ne compteque trois voyelles mais huitante…

– Le prince était seul? m’impatientai-je.– Il était avec son ancien secrétaire, un monsieur Efron,

qui vit à Paris et qu’il avait retrouvé par hasard l’après-midi à la gare de Lausanne; un poète, un peu échevelé,qui a lui aussi quitté Moscou depuis bien longtemps.

Encore une piste qui menait à des exilés russes, Potteratlui-même avait fait le lien.

– À quoi donc il ressemble, cet Efron?– Il porte des vêtements trop larges, dans lesquels il

semble flo t t e r. Des cheveux gris, des grands cernes sousles yeux. Il a des lèvres pincées au sourire ironique, desyeux très clairs, l’air triste des anciens beaux gosses.

– Nan, c’est pas le loustic de l’hôtel de la Paix. Çui-là,quand je vais le trouver, il va apprendre à connaître lespognes du père Potterat. Et votre poète mal coiffé, est-yresté toute la soirée?

– Non, maintenant que j’y pense, il s’est absenté quandles chiroptères sont rentrés dans les greniers, et que nousavons commencé à penser avec la tête. Il faut vous dire…

Il allumait une nouvelle cigarette et s’envolait dans unautre monologue enfiévré. Il me sembait bien quel’enquête n’avançait guère, mais je prisconsciencieusement des notes détaillées.

– …il faut vous dire qu’avec le prince, nous avons tracéet puis retracé la séparation des races. Jusqu’à Bordeaux,ce sont des musulmans, ils ne devraient pas faire de vin;à Marseille commence notre monde: le Léman et la valléedu Rhône, c’est une même civilisation latine, qui est virileet campagnarde, et elle refuse la bigoterie desprotestants. Et vous-même, comme tous les Potterat, vousêtes de Biolley-Orjullaz, du Gros-de-Va u d ! Savez-vousune chose très curieuse? La chaîne du Jorat est le débutd’un long plissement de la terre qui va jusqu’au Tibet, quiest les mêmes hauts plateaux avec des lacs perdus et dessapins, et l’on retrouve des mœurs et des chansonspareilles tout du long, dans toutes les langues. L’ a v e n i rest de ce côté-là, il y a une énergie par là-bas, du côté del’Asie, que nous en Europe nous avons perdue, à force dedire des sermons et de bâtir des villes. Beztroudoy dit

(à suivre)

(1) «Moi – je suis oui, / Oui – pour toujours. / Oui – en dépit. /Oui –contre tout. / Et même à toi, / Moi, je crie non !» (Marina Tsvétaeva,1920, in Véronique Lossky, Marina Tsvétaeva, un itinéraire poétique,Solin, 1987) (N. d. T.)

Roman-feuilleton

Walther Not

Le calme platTraduit de l’allemand et présenté par Cédric Suillot

Septième épisode

Viens, femme, te rasseoir sur le banc…

Page 8: LA DI S T I N C T I O N

NOVEMBRE 20008 — LA DISTINCTION

Candidat n° 1«Ils ont perdu du temps sur ceux quiont déjà franchi la ligne.»Bertrand Dubout, chroniqueur cycliste déjanté,

supra TSR1, 17 sept. 1999, 17h38«Il a pris un virage très douloureuxdans le mauvais sens du terme.»

Le même,supra TSR1, 17 sept. 1999, 17h42

«Les coureurs passent devant le châ -teau de Chillon toujours aussi impertur -bable.»

Attribué au même, date perdue« A h! Il est fort, Laurent Jalabert, c'estcertain. Il est capable de tout faire, degagner comme de perdre.»

Toujours le même,entre Liège, Bastogne et Liège,

supra TSR, 16 avril 2000, 16h16Candidat n° 2«Commenter l'audience, c'est davanta-ge mon métier que celui de PhilippeMottaz. Parler des chiffres n'est pas fa-cile, on peut leur faire dire ce qu'onveut.» Raymond Vouillamoz,

directeur des programmes de la TSR,in Télé-Top-Matin, 31 octobre 1999

Candidat n° 3«Depuis la fermeture du crématoire,Saint-Martin est devenu un désert.»

Gustave C. Golay, conseiller communal à Montreux,

annonce parue in La PresseRiviera/Chablais, 20 octobre 1999

Candidat n° 4«Une surprise quant au résultat seraitétonnante, même si l'on ne peut jamaisrien exclure.»

Jacques-Simon Eggly, chroniqueur parlementaire engagé,

in Le Temps, 8 décembre 1999Candidat n° 5«Le fonds de commerce sur lequel nousavons surfé pendant vingt ans est deve -nu la boîte à outils de tous les partis.»

Dominique Kohli, président du groupelibéral du Grand Conseil vaudois,in Le Temps, 23 décembre 1999

Candidat n° 6«En plus de la demande de Ganimet etLitafet, le 13 décembre, il y avait celled'une famille de trois enfants dont unadulte.» Philippe Rodrik, journaliste,

in 24 Heures, 28 décembre 1999Candidate n° 7«Le nageur, qui veut gagner les rivesdu XXIe siècle, démarre enfin sa courseau travers des eaux du détroit de l'Éco -le. EVM est cet athlète qui fend lesflots, mais qui crée des turbulences.( … ) Il faut du temps, il faut beaucoupd'énergie, mais le nageur avance mal -gré les vagues, n'en déplaise aux in -cendiaires.»

Michèle Laird, présidente del'Association vaudoise des Parents

d'Élèves, courrier des lecteurs,in 24 Heures, 24 décembre 1999

Bulletin de vote pour le grand prix

du Maire de Champignac 2000

Mes deux candidats sont :……..……………..........………. n° ….………..…………..........………. n° ….

A déposer dans les librairies Basta ! (Chauderon ou Dorigny) ou à renvoyer à l’Institut pour la Promotion de la Distinction,

case postale 465, 1000 Lausanne 9.On peut également voter par Internet :

http://www.distinction.chavant le 8 décembre

Grand prix du

Maire de Champignac 2000

Règlement

1. Le Champignac d’Or, honneur suprême, est attribué au premier élu.2. Le Champignac d’Argent, gloire insigne, est attribué au deuxième élu.3. Les lauréats sont exclus de la compétition pour les dix années ultérieures.4. Une mention peut être décernée aux élus suivants. Une pensée émue est adressée aux autres

candidats. Les mentionnés peuvent concourir l’année suivante.5. Sont candidats toutes les personnes et institutions dont les fleurons d’art oratoire ont été sélectionnés

au cours de l’année et publiés dans La Distinction.6. Les bulletins de vote doivent être déposés dans les urnes ad hoc (librairies Basta ! Petit-Rocher 4,

Lausanne; et BFSH 2, Dorigny) ou parvenir à La Distinction (case postale 465, 1000 Lausanne 9 [email protected]), jusqu’au vendredi 8 décembre, à 18h30.

7. Les bulletins maculés, déchirés ou commentés seront annulés.8. Le prix ne fait l’objet d’aucune correspondance, d’aucun échange téléphonique, ni d’aucune verrée. Le

Grand Jury est incorruptible.9. Les résultats seront proclamés le samedi 16 décembre à 11h30 à la librairie Basta !Chauderon. Tout sera

fait pour assurer la présence des récipiendaires à cette grandiose cérémonie…

Candidat n° 8«Le marché de l'eau fait saliver les in -vestisseurs car il est très juteux.»

Pierre Lehmann, ingénieur-physicien,supra RSR1-La Première, 24 janvier 2000, vers 6h50

Candidat n° 9«Aujourd'hui, 85 % des bulletins de ver -sement en circulation sont rouges, bien -tôt ils représenteront la majorité.»

Candidature collective de la rédaction,in Le Matin, 10 janvier 2000

Candidat n° 10«Il y a deux sortes d'ennemis du vin: ceux quin'en boivent pas et ceux qui en abusent.»

Louis Mayer, secrétaire de laFédération vaudoise des vignerons,

in 24 Heures, 15 janvier 2000Candidat n° 11«La forêt reste le poumon et la garantied'un développement durable.»

Simon Epiney, conseiller national,in Coopération, février 2000

Candidate n° 12«Ça m'est arrivé de me mettre lesdoigts pour me faire vomir. C'est un cer -cle infernal, si on met les pieds dedans,on ne s'en sort plus.»

Christel Borghi, championne suisse 1999 de patinage,

in dimanche.ch, 6 février 2000Candidat n° 13«Plus de détails lundi, tant il est vraique les prédictions sont difficiles, sur -tout quand elles concernent l'avenir.»

Pierre Eckert, collaborateur de Météo Suisse,

in Tribune de Genève, 12 février 2000Candidat n° 14«Cette glace, c'est un phénomène pro -pre à l'hiver.»

Marcel de Montmollin, responsable des Ponts et Chaussées

du côté de La Vue-des-Alpes,in L'Impartial, 21 décembre 1999

Candidat n° 15«Ceux qui ont tout perdu n'ont vraimentplus rien à perdre, et la caravane deceux qui ont encore quelque chose àgagner passe et décide d'aboyer avecles premiers.» Thierry Coutaz,

in courrier des lecteurs de 24 Heures,22 février 2000

Candidat n° 16«Nos sociétés vivent mille révolutionssilencieuses, il faut être à l'écoute. Etespérer que les pensées uniques ces -sent de nous empêcher de voir l'ave -nir.» Charles Kleiber, secrétaire d'Etat

à la science et à la recherche,in Coopération, 8 mars 2000

Candidat n° 17«Mais bien entendu qu'on peut faireplus vite ! Mais on est limité par letemps !» Yves Christen,

conseiller national radical temporaire,supra RSR1-La Première,

28 février 2000, vers 18h50

Candidat n° 18«Celui qui voyage, qui fait du direct,pense qu'il est un journaliste de téléavec une grosse activité. Dans le direct,pas de place pour la réflexion, on secontente de donner son opinion.»

Jean-Jacques Tillmann, ex-journaliste sportif

in Le Temps, suppl.. télé, 20 mai 2000Candidat n° 19«De nombreux observateurs pensentque, si les guerres de la fin duXXe siècle ont été motivées parfois parle pétrole, les conflits du XXIe siècle au -ront l'eau pour détonateur.»

Patrice Mugny, conseiller national,séance du 23 mars 2000,

Candidate n° 20«La petite enfance vaut que l'on s'y at -tarde.» Doris Cohen-Dumani,

municipale des Écoles,devant le Conseil communal de

Lausanne, 4 avril 2000Candidat n° 21«La Croate de 17 ans a pris des ron -deurs. Sa robe bien sage ne masquepas ses kilos en trop. Comme dix moisplus tôt à Rome (2-6, 1-6), Mirjana Lu -cic n'a pas pesé lourd dans la balance.»

Bernard Andrié, à Melbourne,in 24 Heures, 19 janvier 2000

Candidat n° 22«En politique, il faut accepter d'avoir tortmême si on estime avoir raison. C'estparfois l'inverse dans l'enseignement.»

Michel Pittet, directeur du Cycle d'orientation de Marly,in La Gruyère, 13 janvier 2000

Candidat n° 23«Je m'étais opposé en 1994 à la des -truction des W.-C. publics de la Belle-Maison, en évoquant la clause du be -soin.» Pierre Schmidtmann,

conseiller communal de Lucens,in 24 Heures, 25 mars 2000

Candidat n° 24«Je vis 24 heures sur 24.»

Pierre-André Schürmann, entraîneur du Lausanne-Sport,

durant l'émission «Les dicodeurs»,supra RSR1-La Première, 3 avril 2000

Candidat n° 25«…en nos murs aussi, l 'ouragansoixante-hui tard remplaça la structurepaternaliste et autoritaire d'antan pardes prébendes inespérées, dévoluesaux conclaves mesquins de corpora -tions égoïstes, dont les nouveaux tex -tes faisaient imprudemment les vesta -les du devenir de la connaissance et desa transmission aux générat ions futu -res. Nous en payons le prix aujour -d'hui.»

Charles Poncet, avocat en train de se philippiquer,

in Le Temps, 7 avril 2000Candidat n° 26«La police, sur ordre de l'exécutif, agit,mais de façon irrégulière, en simple ob -servateur.»

Olivier Français, candidat à la Municipalité,

in Lettre aux Lausannois etLausannoises qui résident

au Centre-ville, février 2000Candidat n° 27«Des grands pas ont été faits ces der -nières années, même si des erreurs ontété commises (et j'ai marqué quelque -fois mon désaccord), mais il en restebeaucoup à faire et nous devons lesfaire.»Bernard Métraux, municipal lausannois,

courrier des lecteurs,in 24 Heures, 13 avril 2000

Candidat n° 28«J'ai récemment visité le beau paysqu'est la Russie. Quels merveilleux pay -sages et quel courage chez ce peuplevictime de trois générations de commu -nisme.»

Pierre Cevey, ancien conseiller d'Etat vaudois,

courrier des lecteurs,in 24 Heures, 7 avril 2000

Candidat n° 29«Certains élèves entrent athées et ensortent autrement, ils y ont gagné unvécu différent.»

Christophe Ruesch, directeur de l'institut catholique Mont-Olivet,

in 24 Heures, 12 avril 2000

Candidat n° 30«Il ne s'agit pas de cultiver une archéo -logie du savoir, mais plutôt de favoriserl'émergence d'un métissage figurant lamythologie de notre ère spatiale.»

Omar Porras, metteur en scène,Présentation du spectacle Bakkhantesau Théâtre forum Meyrin, janvier 2000

Candidat n° 31«Pour moi, il n'y a aucune différence destatut entre un animal et un meuble destyle. On peut en effet aussi être atta -ché à un objet de ce type.»Jean Fattebert, conseiller national UDC,

in Construire, 11 janvier 2000Candidat n° 32«La ville offre des spectacles urbains.»

Christophe Jaccoud, sociologue,in Lausanne-Cités, 1er juin 2000

Candidat n° 33«Monsieur Métraux, je vais éclairer vo -tre lanterne sur la signalisation lumineu -se.» Jean-Daniel Berset,

conseiller communal socialiste,séance du Conseil communal de

Lausanne, 14 juin 2000Candidat n° 34«Ce problème est binaire par certainscôtés.»

Daniel Brélaz, Municipal des Services industriels,

séance du Conseil communal deLausanne, 14 juin 2000

Candidate n° 35«Mais j'essaie d'être positive. À un mo -ment donné, si on reste bloqué, onn'avance plus.»

Francine Jeanprêtre, locomotivegouvernementale vaudoise,

in La Liberté, 24 juin 2000

Champignac sans frontières(Hors concours)

«On disserte sur des faits invraisemblables qui ont eu lieu il y aplus de quatorze ans.»

Jacques Chirac, président de la République française,cité par Le Monde, 23 septembre 2000

«Je n'ai jamais émis de vents froids en direction de la Russie.»Le même,

cité par la revue de presse de France-Inter, 31 octobre 2000

Appel à témoins en vue du Grand Prix du Maire de Champignac 2001

«Il faudra certainement attendre la fin de ce tour de France pour enconnaître le vainqueur.»

attribué à Joël Robert, journaliste sportif,supra RSR-La Première, 1er juillet 2000

Les archives de la radio romande sont dans l'impossibilité de confir m e rcette candidature. Qui parmi nos lecteurs peut attester l'avoir entendue?

Candidate n° 36«…les entités territoriales créées dans lalogique de la société industrielle ne résis -tent pas telles quelles à la société de l'in -formation et à la mondialisation deséchanges. Elles ne disparaissent pas,loin de là, ( … ) mais elles évoluent, cher -chent l'air autrement, se lovent telles desamibes dans de nouvelles opportunités.»

Joëlle Kuntz, éditorialiste,in Le Temps, 29 août 2000

Candidat n° 37«Proxénétisme et trafic de drogue.L'Italie est une pépinière dans le domai -ne. Tout un pan de la prostitution se dé -roule dans les parcs publics et les fo -rêts proches des grands axes routiers»

Martin Killias, prof. de criminologie à l'Université de Lausanne,

in Allez savoir !, juin 2000Candidat n° 38«L'avenir n'a jamais cessé de s'implan -ter dans le Nord vaudois. Au seuil dusiècle nouveau, rien n'a changé sur ceplan.»

D. A., sans autre précision,in Supplément économique

du Nord vaudois, 7 septembre 2000Candidat n° 39«Moi, j'ai vécu toute la journée à l'inté -rieur de mes troupes»

André Dousse, colonel,supra RSR1-La Première,8 septembre. 2000, 12h42

Candidat n° 40«La Municipalité devrait donner uncoup d'accélérateur au frein auxdépenses.» Dino Venezia, élu libéral,

Conseil communal de Lausanne,séance du 27 juin 2000, 20h22

Candidat n° 41«Le rouleau compresseur zurichois ade nouveau frappé.»

Michel Eymann, journaliste,supra RSR1-La Première,

19 septembre 2000, 18h25Candidat n° 42«Concrètement, quand un enfant ramè -ne des fiches incompréhensibles pourla majorité des parents parce que lelangage des spécialistes n’est plus ac -cessible, la conséquence est que seulsles enfants ayant des parents bénéfi -ciant d’une instruction supérieure peu -vent les aider.»

Michel Pont, défenseur de la syntaxe,in 24 Heures, 13 septembre 2000

Candidat n° 43«Endetté et payé au lance-pierres, lepaysan cherche ses marques. Endos -sant la peau du yodler perdu dans ungroupe de rap, il ne peut que constaterl’inéluctable mue de notre société. (…)Philatélis te de l ’échec, une légiond’agriculteurs est placée devant lechoix de disparaître ou d’innover.»

Gérard Constantin, président deBiovalais, dans une tribune

intitulée «In chanvro veritas»,in Le Courrier, 18 septembre 2000

Candidat n° 44«…la sortie de ce Titeuf a largemententamé la rentrée.»Georges Pop, journaliste, supra RSR1-La Première, 30 août 2000, vers 13h30

Candidat n° 45«La baisse du bruit est manifestementpalpable…»

Christian Ferrazino,conseiller administratif genevois,

à propos de la journée sans voitures,in Le Courrier, 23 septembre 2000

Candidat n° 46« Vu de Corée, la Suisse romande estune tête d’épingle dont le canton deVaud n’est que la pointe».

François Marthaler, député écologisteau Grand Conseil vaudoisséance du 3 octobre 2000

Candidat n° 47«Je vais m’attarder à exposer briève -ment...»

Fernand Mariétan, Conseiller national,séance du 5 octobre 2000, 11h35

Candidat n° 48«Si je suis moi-même signataire de cedocument, je ne peux le signer.»

Laurent Ballif, député socialiste au Grand Conseil

vaudois, séance du 10 octobre 2000Candidat n° 49«Il m’arrive souvent de m’endormir ensursaut devant ma téloche.»

Laurent Delaloye, rédacteur en chef,in TV-Guide, 23 septembre 2000

Candidat n° 50«Il n’y a aucun frottement entre les par -ties. Hervé Loichemol est une personnee x c e p t i o n n e l l e ; il a donné un élan àcette école et mis en place une structu -re pédagogique qui va être conservée.»

Olivier Cuendet, directeur duConservatoire de Lausanne,

in 24 Heures, 13 octobre 2000