La divination dans l'Antiquité - home.page.chhome.page.ch/pub/[email protected]/div_latin.pdf · Ensuite, il montre que les oracles n'ont pas cessé avec la venue du ... Les méthodes

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  • La divination dans l'Antiquit

    Dfinition de la divination et histoire de la recherche

    Comme le dit J.-P.Vernant, il n'est nulle socit, au long de l'histoirehumaine, qui ne l'ait sa faon connue et pratique1. Des socits les plusarchaques la ntre, partout on trouve des pratiques divinatoires. C'estpourquoi l'tude de la divination n'est pas aise. On a affaire une pratiqueuniverselle et chaque chercheur qui entreprend de l'tudier est confront sa propre conception du monde et du destin. L'avenir est-il dj crit oest-il encore ouvert? Le monde est-il dterministe, le libre-arbitre existe-t-il? Ces questions, bien qu'elles soient de nature philosophique, ontinfluenc l'tude de la divination et cela ds l'Antiquit. Ce n'est que depuisle XIXme sicle que le dbat a t dpassionn, grce la philosophiepositiviste et au matrialisme. Il est lgitime de craindre que dans unproche avenir de semblables questions se posent nouveau, devant ledveloppement des pratiques divinatoires dans notre culture.

    Jusqu'au XVIIme sicle, on a considr la divination selon laposition qu'avaient adopt les Pres de l'Eglise, savoir que la divinationexistait mais que c'taient les dmons qui rendaient les oracles. Cesoracles, d'origine surnaturelle, taient mensongers et servaient garer leshommes. En 1684, Fontenelle publie son Histoire des oracles, ouvrage quimarque une rupture totale avec ce qui prcdait. Fontenelle publie en faitl'adaptation et la traduction d'un texte latin compos par un hollandais, VanDale. Cependant le texte de Fontenelle est trs beau, ce qui fit dire Voltaire: le diamant brut de Van Dale brilla beaucoup, quand il fut taillpar Fontenelle2. Fontenelle dveloppe deux ides, qui correpondent auxdeux parties du texte: tout d'abord les oracles n'ont pas t rendus par desdmons, mais par des prtres-charlatans qui abusaient de la crdulit desfidles. Ensuite, il montre que les oracles n'ont pas cess avec la venue duChrist. On retrouve dans cet ouvrage un des thmes favoris des Lumires, savoir l'anticlricalisme. Fontenelle fit autorit en matire d'oracles en toutcas jusqu' la fin du XVIIIme sicle. Voltaire l'utilisa pour dfinir lesOracles dans son Dictionnaire philosophique, et Louis de Jaucourt lersume pour l'article Oracle de l'Encyclopdie.

    Au XIXme sicle, les choses changent. Le dbat se situe un autreniveau. L'ethnographie et l'histoire des religions commencent s'affirmercomme discipline d'tudes. Le paradigme principal est celui del'volutionnisme. Les peuples sans criture deviennent des primitifs,tmoins du pass de la socit occidentale, de mme que les socitsantiques. Cela a pour consquence que l'on peut tudier leur religion et leurpratique de manire dpassionne, puisqu'elles de toute faon infrieures celles de ceux qui les tudient.

    1J.P.Vernant, Divination et rationalit, p.92Voltaire, Dictionnaire philosophique, s.v.Oracles________Copyright 2000, Nathalie Duplain Michelhttp://home.page.ch/pub/[email protected]@vtx.ch

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  • De 1879 1882, A.Bouch-Leclercq publie une somme sur ladivination antique qui n'a jamais t remplace: Histoire de la divinationdans l'Antiquit, en quatre volumes. Il dfinit ainsi la divination:

    Connaissance de la pense divine, manifeste l'me humaine par dessignes objectifs ou subjectifs et pntre par des moyens extra-rationnels3.

    L'ambition de son ouvrage est claire: il veut faire un inventaire exact, avecrenvois aux documents, des thories, des recettes imagines, desinstitutions fondes en vue de satisfaire le besoin de connatre l'avenir parvoie surnaturelle4. Son ouvrage est donc une runion prcieuse desdocuments concernant la divination antique. L'auteur recourt parfois aucomparatisme ethnographique et il consacre peu de place l'interprtationdu phnomne divinatoire.

    Au tournant du sicle, on voit deux coles s'occupant de religiongrecque. D'une part E.Rohde, sous l'influence de la philosophie deNietzsche, son ami, dveloppe l'ide d'une religion dionysiaque quicorrespond tous les faits o l'on rencontre l'excs. Tous ces faits viennentde contres trangres la Grce: la Thrace, l'Asie. Selon lui, Dionysostait Delphes avant Apollon. L'extase est un tat de plnitude o on esten contact avec le divin5. L'auteur s'intresse plus la transe qu' ladivination proprement dite. Les ritualistes de Cambridge, tenants del'volutionnisme, considrent qu'on ne peut pas tout expliquer par desorigines trangres (diffusionnisme). Ils voient dans la religion grecqueplusieurs couches: les dieux olympiens constituent la dernire couche, laplus acheve. Nanmoins il subsiste de nombreuses traces d'tats plusanciens de la religion. Le recours au comparatisme ethnographique estessentiel pour ces savants comme J.G.Frazer, E.J.Harrisson, W.Halliday.La divination appartient l'un de ces tats primitifs, comme la magie, lie l'anxit de l'homme devant l'existence, motif psychologique. Ces deuxcoles ont en quelque sorte converg dans l'oeuvre en cours de W.Burkertqui d'une part recherche des lments orientaux dans la religion grecque etqui rattache un phnomne comme la divination l'anxit devantl'alatoire.

    L'cole fonctionnaliste a donn de la divination une dfinition que J.-P.Vernant a reprise son compte:

    Instance officielle de lgitimation proposant, dans le cadre de choix lourdsde consquences pour l'quilibre des groupes, des dcisions socialement"objectives", c'est--dire indpendantes des dsirs des parties en cause etbnficiant, de la part du corps social, d'un consensus gnral qui place cegenre de rponses au-dessus des contestations6.

    3A.Bouch-Leclercq, Histoire de la divination dans l'Antiquit, vol.1, p.94I.p.II5E.Rohde, Psych, p.2806J.P.Vernant, Divination et rationalit, p.10________Copyright 2000, Nathalie Duplain Michelhttp://home.page.ch/pub/[email protected]@vtx.ch

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  • La divination est vue soit comme un moyen de connaissance de l'avenir,mais aussi du pass, des secrets, soit comme un outil d'aide la dcision. Ilest galement possible de considrer la divination sous un angle diffrent:dispositif social mis en place pour grer l'alatoire auquel toute socit estconfronte. Elle se diffrencie d'autres pratiques rituelles par son caractreextraordinaire. Tout autant que moyen de connaissance, elle constitue unmoyen d'action. En recourrant la divination, une socit agit sur un plansymbolique pour obtenir quelque chose sur le plan matriel.

    Quelques notions

    L'oracle est, en franais, un lieu o l'on pratique la divination, ou bien lersultat d'une consultation divinatoire.grec:latin:

    Le prsage est un signe interprt comme le tmoin de la volont divine.grec:latin:

    Le prodige est un vnement exceptionnel que l'on considre comme unprsage.grec:latin:

    Dans tous les cas, le rle de la volont est dterminant. On va consulter unoracle. Quant au prsage, on choisit de l'accepter ou non.

    Sources

    Les sources disposition du chercheur sont de deux types. Lalittrature grco-latine recle une riche documentation. A part les traits surla divination dont seul le De divinatione de Cicron nous est parvenu, ilexiste, disperses dans l'ensemble des oeuvres, des descriptions soit desanctuaires, soit de consultations oraculaires. De ce point de vue, levoyageur Pausanias est prcieux, de mme que le gographe Strabon oul'historien Hrodote. Ce dernier relate de nombreux rcit o la divinationjoue un rle. Le philosophe Plutarque dont le tmoignage est essentiel aune place part. Il fut en effet prtre d'Apollon Delphes et cette positionlui a donn accs une riche documentation et l'observation directe desrites de consultation.

    Il faut se garder de prendre les crits pour des vrits. Chaque auteura interprt ce qu'il savait des oracles et de la divination selon son propreprojet littraire. Les Tragiques aiment mettre en scne un devin, Tirsiasle plus souvent dans les oeuvres conserves, ou se rfrer des oracles.Cela prend surtout un sens dans le cadre de leur pice. Les sources que lescrivains avaient leur disposition doivent aussi faire l'objet d'une analyse

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  • prcise: exprience personnelle, interrogations de tmoins, recueilsd'oracles tendance propagandiste. Quant aux philosophes, nous l'avonsvu, ils intgrent la divination dans leur systme. Que cela ne nous plongepas dans le dsespoir le plus noir car tout tmoignage, une fois que soncontexte a t dtermin, rvle un aspect ou l'autre de la divination etentre en rsonance avec les autres.

    En second lieu, et en rien moins infrieure, l'archologie est unesource de donnes essentielle, et cela dans deux domaines diffrents. Toutd'abord, le dgagement et l'tude des sanctuaires oraculaires permet deconnatre l'organisation matrielle des oracles. Si le temple de Delphes esttrop mal conserv pour qu'on puisse le reconstituer dans le dtail, sa fouillea montr que la faille dont parlaient les textes antiques n'a jamais exist.Cela incite la prudence dans l'examen des textes d'auteurs anciens. Enrevanche le sanctuaire de Claros a conserv son adyton. L'archologierserve quelques surprises: il existe Corinthe un couloir secret, dontl'entre est dissimule dans un mur de triglyphes et de mtopes. Il est reli un sanctuaire oraculaire et servait aux prtres, qui rvlaient l'avenir laplace de la divinit7. De mme, Ephyra, les traces archologiquesindiquent qu'on avait install l une machinerie destine recrer lesEnfers8. Il ne faut cependant pas gnraliser ces cas d'abus de la crdulitdes plerins. Les inscriptions, en second lieu, constituent un tmoignageprcieux: elles conservent des questions, des rponses d'oracles, des loissacres sur la consultation des oracles, des ddicaces de consultantsreconnaissants, etc.... Ces inscriptions constituent un vaste corpus qui n'ajamais t runi ce jour.

    L'iconographie pose plus de problmes qu'elle en rsoud. On ne peuttrouver aucune scne de consultation qui serait une scne de genre. Il s'agittoujours de reprsentations d'pisodes mythologiques: sur la coupe deVulci, conserve Berlin, la femme assise sur un trpied n'est pas unePythie mais la desse Thmis qui rend un oracle ge. Les devins,comme Tirsias ou Calchas, peuvent prsenter un intrt. L aussi il faut semfier des conventions picturales. Les images indiquent quelque chose,mais ne le reprsente pas de faon raliste. Les artistes ont recours desraccourcis, par le biais de signes, qui permettent au(x) destinataire(s) del'oeuvre d'en comprendre le contenu.

    Les mthodes divinatoires

    Les Anciens eux-mmes ont divis les mthodes divinatoires endeux grandes familles. C'est Platon qui est l'origine de cette distinctionque reprendra Cicron dans son trait sur la divination. Platon crit en effetdans le Phdre (244b-d):

    7S.Kasas, Corinthe et ses environs dans l'Antiquit, Athnes, 1976, p.658F.Jouan, "L'oracle, thrapeutique de l'angoisse", Kernos, 3, 1990, p.20-21________Copyright 2000, Nathalie Duplain Michelhttp://home.page.ch/pub/[email protected]@vtx.ch

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  • Le fait est clair: la prophtesse de Delphes et les prtresses deDodone, dans leur dlire, ont rendu les plus minents services auxGrecs, aux particuliers comme aux Etats, mais dans leur bon senselles n'ont peu prs rien fait. Et que dire de la Sibylle? de tous lesdevins inspirs des dieux, qui ont fait tant de prdictions tant degens, et leur ont dict pour leur avenir une sage conduite? N'allonspas dvelopper ce qui est vident pour tous. (...) Autant donc l'art dudevin l'emporte en perfection et en dignit sur celui de l'augure, et lenom comme le mtier du premier l'emporte sur le nom et le mtier del'autre, autant le dlire -les Anciens en tmoignent- est plus beau quece qui nat chez les hommes.

    Ce texte montre d'emble que la divination, quelle que soit sa forme, estavant tout une technique. D'une part on a les prophtes inspirs et, d'autrepart, ceux qui interprte les signes. Cette distinctions a t adopte dansl'Antiquit et est encore accepte aujourd'hui.

    Il faut cependant remarquer que cette distinction est issue d'un traitde Platon. Dans ce passage, le philosophe essaie de distinguer quatre typesde dlire ou inspiration et montre que le mtier ne suffit pas pour accderau beau: il faut un autre chemin. L'exemple du dlire potique est parallle celui du dlire divinatoire (245a):

    La troisime forme de possession et de dlire vient des Muses. Si elletrouve une me sensible et prserve, elle l'veille, elle l'exalte, et lafait s'exprimer en odes et en posies de toutes sortes, elle glorifie parmilliers les exploits des Anciens, et instruit la postrit. Mais l'hommequi, sans le dlire des Muses, arrive aux portes de la posie en tantconvaincu que le mtier suffira pour qu'il soit bon pote, est un potemanqu, et la posie compose de sang-froid est clipse par laposie de ceux qui dlirent.

    Cette description des diffrents dlires intervient dans le cadre d'undiscours sur l'me. On voit bien qu'on ne peut pas reprendre telle quellecette distinction entre divination inspire et divination par signes, car ellen'a pas pour nous le mme intrt que pour Platon. Il n'en reste pas moinsqu'elle existait dans l'esprit des Anciens.

    Dans les faits, les choses sont plus difficiles distinguer. D'une parton a des devins inspirs: la Pythie en est le meilleur exemple, et d'autrepart on a des interprtes de signes et de prsages: c'est le cas des devins quisuivaient les armes et observaient les viscres des animaux qu'ilssacrifiaient. Cependant il existe des formes mixtes: on demandait laPythie de tirer des sorts. Sous inspiration, elle effectuait un tirage au sortentre deux alternatives. Les chresmologues interprtaient dans l'actualitdes recueils d'oracles anciens inspirs. On le voit bien, la distinction dePlaton a surtout t utile pour les philosophes, les savants, lesanthropologues, mais elle n'est pas le reflet des pratiques divinatoirespratiques durant l'Antiquit.

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  • Il est intressant de constater que cette distinction, relativementnaturelle, se retrouve dans une ethnie africaine de la valle du Kasa o ondistingue Lubuku ou divination l'tat de veille et Tschilumbu oudivination l'tat de transe9. On peut supposer aussi que la divination parsignes est plus ancienne que la divination intuitive, n'en dplaise MirceaEliade qui considre la transe comme l'exprience religieuse l'tat brut.C.Ginzburg suivi le fil de ce qu'il appelle le paradigme indiciaire10. Ilconsiste dduire de traces une ralit qui n'est pas visible. Ce paradigmeindiciaire est issu de la chasse pratique au Palolithique, o l'on dduit laprsence d'un gibier par les traces qu'il laisse. A partir de l, tout ce qui estconsidr comme signe ou tout ce qui s'impose comme signe (prsage,prodige) peut tre interprt comme tmoin d'vnements venir, passsou cachs. Rvler le pass relve tout autant du prodige que rvler lefutur dans des socits sans criture ou sans systme d'archives. Quant auxchoses caches, ce sont soit des filiations ou des crimes qui peuvent trervls ainsi: l'histoire d'Oedipe en est le modle. L'examen des viscres,ou extispiscine, remonte probablement l'poque o les hommes taientdes chasseurs. C'est une mthode divinatoire extrmement rpandue enMsopotamie et autour du bassin mditerranen.

    Il existe plusieurs autres classements des mthodes divinatoires, plusrcents et plus dtaills. L'Encyclopoedia Britannica distingue:

    -mthodes internes, conditionnes par un changement d'tat de consciencechez le devin: boule de cristal, automatismes moteurs, critureautomatique, baguette divinatoire, divination par le crible(cosquinomancie), par un anneau suspendu ou par une cl(clidonomancie), oracle en tat de transe, oniromancie.-mthodes externes, dans lesquelles on procde par induction partir defaits externes: consultation par les sorts, les ds, les osselets, la divinationpar les viscres.

    G. Le Scouzec donne une classification en cinq classes destechniques divinatoires11:

    1.prophtisme: divination par intuition pure (chresmologie de veille)2.chresmologie hallucinatoire, o l'tat modifi de conscience est obtenude diverses manires: sommeil, transe. La transe peut tre obtenue dediverses faons. (catoptromancie, hydromancie, pharmacomancie, ...)3.divination mathmatique (numrologie, gomancie, achillomancie)4.mantique d'observation: ornithomancie, extispicine, haruspicine5.systmes abacomantiques: sorts, tables de rfrences fixantl'interprtation divinatoire.

    On le voit ces diverses classification n'expliquent en rien le fonctionnementde la divination. Elles ne servent qu' classer les mthodes divinatoires,

    9Encyclopdia universalis, s.v.Divination10C.Ginzburg, Traces, in Mythes, emblmes, histoire11G.Le Scouzec in , R.Alleau, G.le Scouzec, H.Larcher, Encyclopdie de la divination________Copyright 2000, Nathalie Duplain Michelhttp://home.page.ch/pub/[email protected]@vtx.ch

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  • extrmement varies du reste. Le plus grand rpertoire de ces mthodes setrouve dans l'Encyclopdie de la divination12.

    Les mthodes divinatoires

    Les techniques elles-mmes sont extrmement diverses: ornithomancie,empyromancie, cataptromancie, cldonomancie, clromancie, etc.... J.-P.Vernant relve le fait que la divination par signes, trs utilise enMsopotamie, en Chine, a donn naissance une vritable science, uncorps de mtier et toute une littrature exgtique, alors qu'en Grce ladivination est essentiellement inspire. A cela, il faut rpondre qu'Delphes, comme l'a soulign P.Amandry, la clromancie est utiliseparalllement l'inspiration prophtique. Les devins mythologiques descycles piques, Tirsias et Calchas, sont des lecteurs de signes avant tout.J.-P. Vernant voit dans le recours la divination inspire la prminence dela parole sur l'criture. Il faut admettre cependant que la divination parsignes est trs prsente dans les faits historiques comme dans lamythologie. Les armes recourraient des devins qui lisaient l'avenir dansles viscres et procdaient un examen avant tout combat. On pouvaitrecourir indiffremment l'un ou l'autre procd. Avant la bataille dePlate13, les Spartiates consultent leur devin Teisamnos, qui procde l'observation des viscres lors d'un sacrifice, alors que les Athniensinterrogent la Pythie14.

    L'essentiel, dans la divination, ne rside pas dans les techniquesemployes: elles sont multiples et contingentes. Il faut considrer d'abordla croyance qu'il est possible d'avoir accs une connaissance dpassantl'entendement humain, qui peut rvler le pass, le futur et ce qu'on ignoredu prsent. C'est galement sur le but de la divination qu'il faut s'interroger.Pour cela, il est ncessaire d'observer les conditions de consultations, c'est--dire les raisons qui poussent un individu ou une collectivit consulterun oracle et les questions qu'il lui pose. Il faut ensuite regarder commentest traite la rponse reue.

    Quelques mthodes utilises durant l'Antiquit

    Extispicine: observation des viscres (exta). Les Grecs hiroscopie. Cettetechnique consiste observer certains viscres, souvent le foie mais aussile coeur, les reins, d'un animal sacrifi pour y lire la volont divine. On yrecourt souvent avant de prendre une dcision ou d'entreprendre uneaction. C'est souvent un spcialiste qui pratique cette observation, commel'haruspice trusque. On a retrouv des foies en bronze ou en terre cuite quiservait l'interprtation du foie animal (foie de Plaisance). A Babylonel'extispicine a t pratique large chelle par le prtre appel le baru. EnGrce, l'extispicine tait pratique, notamment par les devins qui suivaient

    12Id.13Hrodote, 9, 33-3614Plutarque, Vie d'Aristide, 11________Copyright 2000, Nathalie Duplain Michelhttp://home.page.ch/pub/[email protected]@vtx.ch

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  • les armes: on peut les voir l'oeuvre chez les historiens, notamment dansl'Anabase de Xnophon. L'extispicine tmoigne d'une conception dumonde particulire: l'organe observ est un microcosme du monde. Onpeut dire aussi que le monde est une suite de structures embots. Dans levocabulaire moderne, on appelerait cela une conception fractale du monde,dans laquelle toutes les structures reproduisent le tout une moindrechelle.

    Ornithomancie: mthode divinatoire par excellence, elle fut pratiqueaussi bien en Grce qu' Rome. Les oiseaux vivant dans un mondeintermdiaire entre les dieux clestes et les hommes, ont sembl de bonsmessagers de la volont divine. On ne compte pas les anecdotes relatives l'observation des oiseaux: Romulus et Rmus se sont dpartags ainsi.Tirsias pratiquait l'ornithomancie, ce qui peut paratre paradoxal, puisqu'iltait aveugle. Cependant le cri des oiseaux tait aussi essentiel que leur vol.D'autres animaux avaient une valeur divinatoire, notamment ceux quitaient proches du sol et faisaient une mdiation entre le monde deshommes et celui des divinits chtoniennes: on peut mentionner la souris, leserpent.

    Cldonomancie: la parole ou certaines attitudes constituaient un prsage.Le "tolle lege" qu'avait entendu Saint Augustin fait partie de cette srie. Ils'agit d'un mot prononc par une personne extrieure l'action et dont laparole constitue une mise en garde ou un oracle. Il y a de nombreux jeuxde mots. Il existait en Achae, Pharai, un oracle dcrit parPausanias(VII,22,2): celui qui veut le consulter fait des offrandes lastatue d'Herms, pose sa question l'oreille de la statue et s'en va en sebouchant les oreilles. Ds qu'il est hors de la place publique, il dboucheses oreilles. La premire parole qu'il entend est son oracle.

    L'ternuement constitue aussi un prsage, en principe favorable(divination palmique). On en connat plusieurs exemples clbres:

    Dans l'Odysse, Pnlope apprend qu'un mendiant tranger -en faitUlysse dguis- a t frapp par Antinoos, l'un des prtendants. Elledemande Eume de le faire paratre devant elle. Le porcher raconte quece mendiant prtend qu'Ulysse est vivant. Pnlope se met esprer:

    S'il revenait, Ulysse!... s'il rentrait au pays et retrouvait son fils!... ces gensauraient bientt le paiement de leurs crimes!15

    Alors intervient une confirmation de son voeu:

    Sur ces mots, Tlmaque ternua si fort que les murs, d'un cho terribleretentirent.16

    15Homre, Odysse, XVII, 538-540, trad. Victor Brard, Belles Lettres, 1947(3)16Ibid., 541-542________Copyright 2000, Nathalie Duplain Michelhttp://home.page.ch/pub/[email protected]@vtx.ch

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  • Pnlope s'empresse de ragir en accueillant ce signe comme un prsagefavorable. Elle se met rire et demande Eume d'aller chercherl'tranger:

    se tourna vers Eume et lui dit aussitt ces parolesailes:"Allons! va nous chercher cet hte! qu'on le voie! N'as-tu pasentendu mon fils ternuer toutes mes paroles? ah! si c'tait la mortpromise aux prtendants! Pas un n'vitera le trpas et lesParques(Kres).17

    Ainsi Pnlope, grce ce prsage, envisage le retour d'Ulysse qu'elle nefaisait qu'esprer.

    Dans un pisode de l'expdition des Dix-Milles, l'ternuement joueun rle important. Les soldats viennent d'lire leurs nouveaux chefs etXnophon fait un discours au cours duquel, il propose une nouvellestratgie pour sauver l'arme:

    Si donc nous consentons marcher encore une fois avec eux 18la maindans la main, il faut que nous ayons perdu tout courage puisque nousvoyons quel est le sort mme de nos stratges, pour s'tre par bonne foiconfis eux. Si, au contraire, nous avons l'intention de les punir, lesarmes la main, des maux qu'ils nous ont causs, et de leur fairedsormais la guerre sans aucun rpit, avec l'aide des dieux nous avons denombreuses, de magnifiques chances de salut.19 (pollai hJmi``n kaikalai ejlpivde" eijsi swthriva").

    On comprend que l'enjeu est de taille. Un signe est alors envoy:

    prononait ce dernier mot (swthriva"), quand quelqu'un semit ternuer. A ce bruit tous les soldats d'un lan unanime adorrent ledieu. Xnophon dit alors: "Je vous propose, soldats, puisque pendant quenous parlions de salut, un prsage de Zeus-Sauveur s'est manifest nosyeux, que nous fassions voeu d'offrir ce dieu des sacrifices d'actions degrce, aussitt que nous aurons mis le pied dans un pays ami, je proposeaussi que nous en offrions aux autres dieux dans la mesure de nos moyens.Que celui qui est de cet avis, ajouta-t-il, lve la main." Tous la levrent. Ilsfirent alors le voeu propos et chantrent le pan. Quand on fut en rgleavec les dieux, Xnophon continua ainsi...20

    La raction unanime des soldats devant cet ternuement montre que c'estun signe largement reconnu. Xnophon, qui a la parole, saisit le signe,l'accepte et s'en fait l'interprte: le prsage vient de Zeus-Sauveur car, au

    17Ibid., 543-54718Il s'agit des Perses du camp d'Artaxerxs19Xnophon, Anabase, III, 2, 8, trad.20Ibid.________Copyright 2000, Nathalie Duplain Michelhttp://home.page.ch/pub/[email protected]@vtx.ch

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  • moment de l'ternuement, il prononait le mot swthriva", le salut. Ilpropose mme une promesse de sacrifices pour remercier le dieu. Cetteproposition cependant est soumise au vote. Puisque Xnophon raconte desvnements qu'il a vcu, cette histoire aurait toutes les chances d'tre vraie.Comme nous l'avons vu, le motif de l'ternuement apparat un momentprcis, afin de rendre le cours des choses favorable: c'est le cas pourPnlope ou Apollon. Xnophon donne son action une caution divine. Ilest cependant difficile de savoir si l'pisode a eu lieu tel qu'il le narre ou s'ila ajout ce motif lors de l'laboration de son rcit.

    Le texte tir de l'Odysse et celui de l'Anabase prsentent quelquespoints communs. La situation de dpart est difficile, voire dsespre.Pnlope est assige dans son palais par les prtendants qui la pillent.L'arme des Dix-Milles se trouve en pays hostile, sans allis. Dans les deuxcas galement, quelqu'un fait un discours dans lequel on peroit le souhaitou l'espoir. L'ternuement apparat chaque fois comme un vnementalatoire, qui interrompt le discours. Il est aussitt accept comme unprsage favorable par celui qui a la parole et, dans l'Anabase, parl'auditoire. Il devient le signe envoy par les dieux, qui montre que lessouhaits et les espoirs seront combls. Les vnements, ds lors, prennentun cours favorable.

    Oniromancie: les Anciens taient trs attentifs leurs rves et on en a demultiples exemples en Grce ou Rome (songe de Clytemnestre dansl'Orestie, de Xnophon dans l'Anabase, etc...). Des traits d'interprtationdes songes ont t composs. On a celui d'Artmidore d'Ephse,Onirocritique, qui date du IIme sicle ap.J.-C. Il s'agit d'une mthode trsrpandue puisqu'on en trouve des exemples dans la Bible o Joseph etDaniel interprte des songes.

    Incubation: c'est une mthode divinatoire proche de l'oniromancie. Maiselle est trs organise. Il faut pratiquer des rites, des purifications, ou dessacrifices avant de dormir dans un temple et d'attendre le songe envoy parle dieu. Le lendemain il racontait son rve aux prtres qui l'interprtaientpour lui. Cette mthode tait pratique l'Ampharaion d'Oropos, lafrontire entre l'Attique et la Botie. L'incubation est souvent pratiquedans les sanctuaires d'Asclpios, Epidaure notamment, et elle est lie lamdecine.

    Pyromancie: observation de la combustion des offrandes dans le feu del'autel, de la fume, du crpitement.

    Hydromancie: observation du comportement d'un objet quand on lelanait dans l'eau.

    Clromancie: tirage au sort avec des fves, des baguettes, des ds. Ilsemble qu' Delphes la Pythie pratiquait galement la divination par lessorts.

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  • Astrologie: cette science des toiles est nes dans le Proche-Orient ancien.Elle a t peu utilise en Grce l'poque classique. Elle s'est dveloppe l'poque hellnistique et l'poque romaine. Elle consiste lire l'avenirdans la configuration de certaines constellations, places sur le zodiaque, etdes plantes. Cette mthode divinatoire s'est maintenue jusqu' aujourd'hui.Il existe galement d'autres astrologies, issues de contres diffrentes(Chine).

    Il existe d'autres mthodes divinatoires qui se sont dvelopper ailleurs ouplus tard: gomancie, numrologie, tarots, Yi-king, etc...

    Les lieux

    Delphes

    De nombreux travaux ne concernent qu'un seul site oraculaire etparmi tous les sites connus, Delphes se taille la part du roi. Nous avonsrpertori les ouvrages et articles concernant la divination Delphes. Notreliste est loin d'tre exhaustive dans le domaine de l'archologie. L'colefranaise d'Athnes a entrepris la Grande fouille en 1892 et aujourd'huiencore il reste de nombreuses choses tudier et publier. L'essentiel desrsultats est publi dans la srie des Fouilles de Delphes (FD) ainsi quedans des revues comme le Bulletin de Correspondance hellnique (BCH).

    La divination Delphes, malgr l'ampleur de la documentation, poseencore de nombreux problmes. Certains ont donn lieu des discussionsnourries. On ne sait pas encore avec exactitude comment la Pythie rendaitses oracles. Certains textes antiques voquent la Pythie vaticinant dans sonantre dans un tat de transe violent. La description de la Pythie consultepar Appius chez Lucain21 s'inspire de l'Enide de Virgile, o Eneinterroge la Sibylle de Cumes22. Les auteurs chrtiens ont dpeint unePythie en furie23. P.Amandry pense que la Pythie n'tait pas en transe,qu'elle avait une importance moins grande que celle qu'on veut lui accorderet qu'elle a subi l'influence de la Sybille, prophtesse d'origine asiatique24.Il pense que la technique divinatoire essentielle Delphes est laclromancie ou divination par les sorts. Son ouvrage a donn lieu unevritable polmique et ses conclusions ne sont pas toujours acceptesmalgr l'excellence de sa documentation25. R. Flacelire pense que laPythie a une transe mme si cette transe est calme. Il la rapporte au

    21Lucain , De bello civili, V, 64-23622Virgile, Enide, VI, 42-10123Saint Jean Chrysostome, In Epistula I ad Corinthios Homilia XXIX; Origne, Contre Celse, VII,3;Scholie d'Aristophane, Ploutos, 3924P.Amandry, La mantique apollinienne Delphes, Paris, 195025R.Flacelire, "Le dlire de la Pythie est-il une lgende?", REA, 1950, p.306-324________Copyright 2000, Nathalie Duplain Michelhttp://home.page.ch/pub/[email protected]@vtx.ch

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  • phnomne de l'autosuggestion26. Il n'est gure possible de reconstituer ceque la Pythie faisait dans l'adyton. A Delphes, il est tellement mal conservqu'on ignore tout de l'agencement des lieux, alors qu'on les connat bien Claros. En outre, les phnomnes de transe sont dlicats tudier. Ilsprennent plusieurs formes, de l'hystrie la catalepsie. Le mme problmese rencontre dans le cas du chamanisme. Les tudes psychiatriques n'ontrien apport de constructif27. R.Hamayon considre les choses d'une autremanire. Que la transe du chamane soit relle ou joue, l'important est queles participants au rite y croient. La situation est analogue avec la Pythie:qu'elle soit dans un tat altr de conscience ou pas n'a que peud'importance. L'essentiel rside dans ce qu'on va faire de ses paroles,comme on le verra plus tard.

    Les manations de Delphes ont beaucoup excit les imaginations.Selon un rcit de Diodore, elles sont l'origine de la mantique delphique.Cependant les fouilles du sanctuaire et les tudes gologiques ont montrqu'il n'existait aucune faille (casma gh`") sur le site de Delphes. E.Will ahabilement analys le problme. Il en a conclu que ces manations taientnes de la conception stocienne de la divination28.

    Ces deux questions montrent bien que la difficult, Delphes, est dedistinguer ce que la tradition a invent comme rcit sur l'oracle et ce qui s'ypassait rellement. Comme cela n'est pas toujours possible, peut-tre vaut-il s'occuper de problmatiques annexes, mais qui pourront l'clairer.Comment rendait-on les oracles Delphes? n'est peut-tre pas la questionidoine. Il existait dans l'Antiquit des dizaines de techniques divinatoires,des dizaines de sites oraculaires. Chacun avait sa spcificit. Il estprfrable de se tourner du ct du consultant pour savoir ce qu'ildemandait l'oracle et ce qu'il faisait de la rponse qu'il avait reue.

    Il faut galement souligner l'importance de l'oracle delphique.Premirement il n'existe pas en Grce propre de sanctuaire oraculaire plusdvelopp et plus riche. Les consultations delphiques sont nombreuses, soitattestes par des documents pigraphiques, soit par des rcits crits.Certains oracles sont lgendaires, d'autres historiques. L'oracle sembleavoir jou un rle dans la colonisation des VIII-VIImes sicles, de mmeque dans bon nombre de conflits. Il faut ajouter que Delphes a aussi bienfait sa propagande et s'est impos comme l'oracle panhellnique parexcellence, faisant une concurrence impitoyable d'autres oracles.

    Dodone

    Dodone se trouve en Epire. C'est un oracle de Zeus Naios, qui yrgne avec sa pardre Diona. Les oracles taient rendues par trois jeunesfemmes, puis une seule. Elle coutait le bruissement des feuilles d'un

    26R.Flacelire, Devins et oracles grecs, Paris, 19723, p.7227Ph.Mitrani, "Aperu critique des approches psychiatriques du chamanisme", Diogne, 158, 1992,p.130-14728E.Will, Sur la nature du pneuma delphique, BCH, 66-67, 1942-1943, p.161-175________Copyright 2000, Nathalie Duplain Michelhttp://home.page.ch/pub/[email protected]@vtx.ch

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  • chne. Certaines traditions font tat de chaudrons rangs autour du chne etqui rendaient des oracles grce au son qui se rpercutait d'un chaudron l'autre.

    Dodone tait un oracle panhellnique important. Crsus l'a consult.Cependant son activit a diminu la fin de l'poque classique et seuls lesgens de la rgion le consultaient. On a retrouv Dodone des lamelles deplomb avec les questions que les fidles venaient poser.

    Oracle de Trophonios Lbade

    Cet oracle particulier se trouve aux confins de la Botie, sur la routede Delphes. Pausanias l'a consult et nous en a laiss un rcit tonnant. Leconsultant devait d'abord pratiquer des sacrifices. On observait lesentrailles des victimes pour savoir si la consultation tait accepte par ledieu. Le consultant tait ensuite conduit par deux jeunes garon la rivireHercyna o il se baignait. On lui faisait boire l'eau de deux sources: Lth(Oubli) et Mnmosyne (Mmoire). On le conduisait ensuite au sanctuaireproprement dit, situ plus haut. Il descendait jusqu' l'ouverture d'unecrevasse o il introduisait ses jambes. Il tait attir dans l'antre et recevaitsoit par des visions, soit par des voix l'oracle. Il sortait par le mmechemin. On l'asseyait ensuite sur le trne de Mnmosysne o il racontait cequ'il avait vu ou entendu. Il ne retrouvait son sourire que plus tard.

    Si on connat le site situ au pied de la montagne, o se droulaientsacrifices et ablutions, on a jamais dcouvert l'autre, l'antre proprement dit,qui doit se situer plus haut.

    Trophonios est probablement une divinit ancienne, de naturechtonienne, qui a t dchu de son rang pour devenir un hros. Il a un lienavec Delphes, certaines sources prtendent qu'il a construit le temple avecAgamde.

    Oracles d'Apollon en Asie Mineure

    La consultation des oracles dans les grands sanctuaires supposaient delongs voyages. C'est un lment prendre en compte. On ne se dplaaitpas pour une question sans importance.

    Les dieux oraculaires

    ApollonZeusThmisDionysos

    Quelques devins

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  • Mythologie

    Tirsias

    On ne prte qu'aux riches. Devin par excellence de la mythologiegrecque, Tirsias s'est vu attribu plusieurs types de divination :iatromancie, pyromancie, libanomancie, haruspicine, etc...29. Cependant, ilpratique principalement l'ornithomancie, comme on le voit chezCallimaque o Athna dclare : je ferais de lui un devin qui dira l'avenir ceux qui viendront, plus pleinement prophte que nul des autres. Ilconnatra le vol des oiseaux, et le favorable et l'indiffrent, et celui dont leprsage est funeste 30. Comme Tirsias est aveugle, il coute les cris desoiseaux :

    J'tais assis sur l'antique sige augural, o je pouvais observer toutprsage, quand j'entendis une clameur confuse d'oiseaux, qui criaient avecune ardeur funeste, aussi inintelligible que des barbares. Je reconnusqu'ils se dchiraient avec leurs serres et se tuaient les uns les autres :c'tait facile discerner au bruit retentissant de leurs ailes.31 .

    Il a aussi recours l'intermdiaire d'un enfant32 ou de sa fille Mant33.Eschyle fait dire Etocle, au dbut des Sept contre Thbes, que :

    aujourd'hui parle le devin, ptre des oiseaux, qui, sans recourir auxprsages du feu, par l'oreille et par l'esprit, pse les signes prophtiquesavec une science qui n'a jamais menti.34.

    L'expression "ptre des oiseaux" traduit en fait oiwvnwn bothvr, celui quinourrit les oiseaux. Pour faciliter la venue des oiseaux, le devin leurdonnait de la nourriture35. Tirsias utilise Thbes un observatoire quementionne Pausanias36. Cet oiwvoskopei``on semble pouvoir tre situdans la partie nord-est de la Cadme par S. Symeonoglou37. Il s'agit d'unsanctuaire en plein air probablement install cet endroit l'poquearchaque. Parce qu'ils occupent l'espace qui se trouve entre le ciel et la

    29L.Brisson, op.cit., 1976, p.29-31

    30Callimaque, Hymne V, 121-124, d.et trad.E.Cahen, Paris, 1972 (C.U.F.)

    31Sophocle, Antigone, 999-1004, d.et trad.P.Masqueray, Paris, 1922.(C.U.F.)

    32Ibid., v.1012

    33Euripide, Phniciennes, v.848

    34Eschyle, Les Sept contre Thbes, 24sqq, trad.P.Mazon, Paris, 1921, (C.U.F.)

    35A.Bouch-Leclercq, Histoire de la divination dans l'Antiquit, Paris, Leroux, 1879, t.1, p.144

    36Pausanias, IX, 16,1

    37S.Symeonoglou, The Oracles of Thebes, in La Botie Antique., 1985, Paris, 1985, 155-158________Copyright 2000, Nathalie Duplain Michelhttp://home.page.ch/pub/[email protected]@vtx.ch

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  • terre, les oiseaux apparaissent comme les messagers privilgis des dieuxd'en-haut dont le devin se fait l'interprte.

    La gnalogie de Tirsias confirme ses liens la divination. Du ctde son pre, il semble remonter aux Spartes, ns des dents du dragon,gardien de la source d'Ars. Ce monstre unit la fois le thme des serpentsagresss et celui du bain d'Athna qui apparaissent dans les pisodes dumythe de Tirsias. Tirsias a une fille, Mant, prophtesse galement, dontle nom voque clairement la profession de son pre et la sienne. On ignorele nom de sa mre. Elle guide son pre aveugle38. Aprs la chute deThbes, prise par l'expdition des Epigones, les Argiens envoyrent Delphes quelques prisonniers et, parmi eux, Mant39. Apollodore ajouteque les Argiens avait promis Apollon la plus belle part du butin, qui taiten fait la fille de Tirsias40. C'est en accompagnant sa fille Delphes quemourut le devin. Elle participa ensuite la fondation du sanctuaire deClaros, en Asie Mineure, consacr Apollon41, et devint l'pouse ducrtois Rhakios. Elle eut un fils, Mopsos, galement devin, qui remporteraun concours d'nigme contre Calchas, aprs la guerre de Troie42.

    La famille de Tirsias est trs lie la divination qui est d'ailleurssouvent hrditaire dans la mythologie grecque (voir les enfants d'Apollon,les Bakides).

    Phine

    Tirsias est aveugle. Les devins aveugles, dans les mythes grecs, ne sontpas lgion. Il faut surtout mentionner le thrace Phine, qui prsente detroublantes analogies avec Tirsias.

    Il existe trois Phine. Celui qui nous intresse est rattach au cycledes Argonautes. Les variantes de sa lgende ont t classes en troiscatgories :

    1. Phineus a pch contre les dieux, qui l'ont afflig de ccit, et ont suscitcontre lui les Harpyies, qui ravissent et salissent ses aliments. Plus tard, ilest sauv par les fils de Bore.2. Les lgendes du second groupe ne savent rien du salut de Phineus, et sebornent dire que ce personnage, pour un crime commis contre ses propresenfants, est jug, condamn, aveugl et tu.

    38Euripide, Phniciennes, 834, 953; Sophocle, Oedipe-Roi, 297

    39Pausanias, VII, 3, 1

    40Apollodore, III, 7,4

    41Pausanias, ibidem

    42Pomponius Mela, 1, 17________Copyright 2000, Nathalie Duplain Michelhttp://home.page.ch/pub/[email protected]@vtx.ch

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  • 3. Phineus a t aveugl pour un crime contre ses enfants. Il est tortur parles Harpyies, mais plus tard dlivr par les Borades43.

    Le premier groupe, qui contient les lments les plus archaques, nousintresse au plus haut point. La nature de la faute varie d'une version l'autre. Hsiode raconte, dans les Ehes, que Phine a t aveugl aprsavoir appris Phrixos la route de la Colchide44. Dans le Catalogue, saccit lui a t inflige parce qu'il a prfr la longvit la vue45.Apollonios de Rhodes le montre puni par Zeus :

    C'est l, sur le rivage, que Phine, fils d'Agnor, avait sa demeure, lui qui,de tous les hommes, eut subir les pires maux cause de l'art divinatoireque lui avait donn jadis le fils de Lt. Il n'prouvait pas le moindrescrupule rvler aux hommes exactement mme la pense de Zeus enpersonne. Aussi le dieu l'affligea-t-il d'une vieillesse interminable aprslui avoir ravi la lumire des yeux 46.

    Phine est en outre sans cesse harcel par les Harpyes qui lui ravissait sanourriture ou la souillait. Les Borades qui font partie de l'expdition desArgonautes le libreront de ce supplice. Apollodore mentionne parmi lescauses de l'aveuglement de Tirsias exactement la mme chose : il a taveugl par les dieux parce qu'il avait rvl leurs secrets aux dieux47. Ilmet cette version avant les deux autres, celle du bain et celle de la dispute,mais il ne cite pas sa source.

    Les points communs entre Tirsias et Phine sont : la ccit lied'une certaine faon la longvit et la divination. En outre, Phinerenseigne aussi les voyageurs. Tous deux sont considrs avoir puoutrepasser leurs droits dans la rvlation des desseins divins. Cependant,Tirsias ne subit pas une punition quivalente celle que font subir lesHarpyes Phine. Selon H.Grgoire, Phine est un gnie bienfaisant pourles hommes en gnral, pour les voyageurs en particulier, un matre de lamantique et, en somme, une espce de Promthe, qui a prfr leshommes aux dieux, mais qu'un secours hroque dlivre la fin de sestourments 48. Les deux devins aveugles de la tradition mythologiquegrecque ne sont pas sans de troublantes ressemblances.

    43H, Grgoire, Asklpios, Apollon Smintheus et Rudra, Etudes sur le dieu la taupe et le dieu au rat

    dans la Grce et dans l'Inde, Bruxelles, 1949 (Acadmie royale de Belgique, Classe des lettres et des

    sciences morales et politiques, Mmoires, t.45, fasc.1)

    44Fragmenta Hesiodea, n157, ed.R.Merkelbach, M.L.West, Oxford, 1967

    45Ibid.

    46Apollonios de Rhodes, Les Argonautiques, II, 178-184, d.F.Vian, trad.E.Delage, Paris, 1974 (C.U.F.)

    47Apollodore, III, 6,7

    48H.Grgoire, op.cit., p.80________Copyright 2000, Nathalie Duplain Michelhttp://home.page.ch/pub/[email protected]@vtx.ch

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  • Calchas

    Calchas est le devin de l'Iliade. Il suit l'arme d'Agamemnon et rendplusieurs oracles importants. Il annonce lorsqu'Achille a neuf ans que Troiene saurait tre prise sans lui: Thtis cache son fils Scyros. A aulis, ilinterprte un prsage: un serpent dvore des oiseaux sur l'autel du sacrifice.Selon lui, Troie ne sera prise que la troisime anne de la guerre. Ilannonce que l'absence des vents est due la colre d'Artmis et que pour lacalmer il faut lui sacrifier Iphignie. Calchas mourut en Asie Mineure.Aprs la guerre de Troie, il ne rentra pas en Grce. Un oracle lui avaitannonc qu'il mourrait le jour o il rencontrerait un devin plus habile quelui. A Colophon il trouva Mopsos, le fils de Mant, fille de Tirsias:

    Ce Mopsos se mesura lui par l'art divinatoire. Calchas lui demanda,en montrant un figuier sauvage: "Combien de figues porte-t-il?" -"Dix mille, rpondit Mopsos, soit une mesure d'un mdimne avec unefigue de reste", et le chiffre s'avra exact. Puis Mopsos, montrant unetruie pleine, demanda Calchas: "Combien de porcelets porte-t-elledans son ventre?" Calchas rpondit "Huit". Mopsos sourit et dit"Calchas est bien loin de l'exactitude en matire de divination. Moiqui suis fils d'Apollon et de Manto et qui suis absolument pourvu decette acuit de vision que donne une science divinatoire exact,j'annonce que le nombre des porcelets dans le ventre n'est pas de huit,comme le dit Calchas, mais de neuf, et que la mise bas se produirademain la sixime heure sans faute." Quand tout se vrifia, Calchasmourut de dsespoir. (Apollodore, Bibl.Epitome, 6, 2-4)

    Mlampous

    Enfant, Mlampous avait fait des funrailles un serpent mort. Lesenfants de cette femelle serpent lui purifirent les oreilles avec leur langue:il entendit aprs cela le langage des oiseaux et des animaux. Il tait la foisun devin et un gurisseur.

    Mlampous avait accept de voler les boeufs de Phylacos pour lecompte de son frre. Il savait qu'il serait prit et passerait un an enferm.Cela se ralisa. Enferm depuis un an dans une hutte, il entendit les versrongeant le bois du toit dire que le bois tait trs mince et qu'il cderaitbientt. Mlampous demanda ce qu'on le mt dans une autre prison. Peude temps aprs, son ancienne prison s'croula. Phylacos comprit alors queson prisonnier tait un devin et il eut recourt lui pour gurir l'impuissancede son fils. Pour rcompense il lui donna son troupeau de boeufs.

    Mlampous gurit aussi les filles de Proetos, atteinte de folie. Il leschasse des montagnes, en les poursuivant avec des jeunes gens, en hurlantet dansant. L'ane meurt, les deux autres subissent des purifications.

    Cassandre

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  • Cassandre est bien connue grce l'Orestie d'Eschyle. Elle est la fillede Priam. Apollon tomba amoureux d'elle et lui donna le don de divination.En contre-partie, elle devait s'offrir lui, ce qu'elle refusa. Apollon luiretira alors le don de persuader. Personne ne croyait ce qu'elle prdisait.Elle fut emmene comme captive et amante par Agamemnon et tue parClytemnestre. Son dlire, dans l'Agamemnon d'Eschyle, reste un desgrands moments de la tragdie grecque.

    Une autre tradition dit que Cassandre et son frre jumeau Hlnosdormaient dans un temple et des serpents vinrent leur purifier les oreilles.

    Il existe bien d'autres devins dans la mythologie grecque: plus de trente entout cas.

    Types de devins

    PythieLa Pythie est la prophtesse de Delphes. Elle tait choisie parmi lesfemmes de la rgion. La seule condition tait d'tre de moeursirrprochable. La Pythie pouvait tre une vieille femme. Les sancesn'taient pas quotidiennes. Il n'y en avait que quelques unes par anne.C'est pourquoi il y avait parfois deux Pythies.

    SybilleLa Sybille est un type de prophtesse probablement originaire de l'Asie. Onen trouve Erythrae, en Asie Mineure, mais aussi Cumes en Italie. Elle ades transes spectaculaires. La description classique est celle que l'on trouvechez Virgile, dans le chant VI de l'Enide.

    BacisType de devin oriental.

    ChresmologuesInterprtes de recueils d'oracles.

    Prtres divers rattachs aux sanctuairesLes femmes n'ont pas le monopole de la prophtie. A Claros, on sait que leprophte tait un homme. A part les prophtes ou prophtesses, il existaitdans les sanctuaires oraculaires d'autres prtres. Les uns taient chargesde pratiquer les sacrifices prcdant la consultation, les autres d'interprterles oracles obtenus (rves, paroles de la Pythie, signes, etc...). A Delpheson a par exemple des prtres appels les Hosioi, mais on ne connat pasbien leur rle.

    Devins historiques

    Lampon

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  • C'est le devin le plus connu Athnes au Vme sicle. Il tait l'ami dePricls. Il participa la fondation de Thourio, comme Sophocle. Il futparmi les ngociateurs de la paix de Nicias. Plutarque nous rapporte uneanecdote son propos:

    On dit qu'un jour on apporta Pricls, de son domaine rural, la tted'un blier qui n'avait qu'une corne. Lampon, le devin, en voyant cettecorne qui avait pouss, solide et forte, au milieu du front de l'animal,dclara que la puissance des deux partis qui divisaient l'Etat, celui deThucydide et celui de Pricls, deviendraient celle d'un seul homme,de l'homme chez qui ce prodige tait apparu. Mais Anaxagore(philosophe, matre et ami de Pricls), dit-on, ayant coup le crneen deux, fit voir que la cervelle n'avait pas rempli sa place et que,pointue comme un oeuf, elle avait glisse de toute la bote crniennevers l'endroit d'o partait la racine de la corne. A ce moment-l,l'admiration des assistants se porta sur Anaxagore, mais un peu plustard, elle se reporta sur Lampon, lorsque Thucydide fut abattu et queles affaires du peuple passrent toutes sans exception entre les mainsde Pricls. (Vie de Pricls)

    Plutarque conclut cette histoire en disant que tous deux, savants et devins,peuvent avoir raison.

    Les devins provenaient souvent de familles sacerdotales. On peut citerl'exemple des Iamides et des Klytiades de l'oracle de Zeus Olympie.On connat beaucoup de devins historiques. Certains, comme Lampon ontjou un rle historiques, d'autres suivaient les armes et observaient lesprsages pour les succs militaires. Un exemple clbre est celui de l'oraclede Teisamnos rendu Plate. Hrodote nous en a conserv le rcit49. Lesdeux armes en prsence se disposent sur le champ de bataille et font lessacrifices:

    Aprs que tous eurent t rangs par peuples et par bataillons, l'un etl'autre parti offrirent le lendemain des sacrifices. Pour les Grecs, c'taitTeisamnos fils d'Antiochos qui sacrifiait; il accompagnait l'arme enqualit de devin, il tait Elen, de la race des Iamides, Clytiade50.

    Hrodote raconte alors la vie de Teisamnos. La Pythie lui avait prdit qu'ilvaincrait dans les cinq plus grands combats. Il s'entrana alors aupentathlon, mais choua Olympie o il perdit une des preuves. LesLacdmoniens comprirent qu'il avait mal interprt l'oracle. Selon eux, ils'agissait de victoires militaires et non de victoires sportives, Ilscherchrent l'attirer dans leur camp, pour qu'il participe la conduite desguerres avec les rois. Teisamnos exigea d'obtenir pour lui et pour son

    49Hrodote, 9, 33-4250Id., 9, 33, trad. Ph.-E.Legrand, Paris, 1954 (Collection des Universits de France)________Copyright 2000, Nathalie Duplain Michelhttp://home.page.ch/pub/[email protected]@vtx.ch

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  • frre la citoyennet spartiate, comme Mlampous rclamait des parties deroyaume. C'est finalement en qualit de devin qu'il aida les Lacdmonienset ceux-ci remportrent les cinq victoires promises. Avant la bataille dePlate, Teisamnos offrit les sacrifices et prdit la victoire aux Grecs s'ilsse tenaient sur la dfensive. Mardonios, le gnral perse, avait aussi sondevin grec, Hgsistratos. Ce dernier lui donna le mme oracle queTeisamnos aux Grecs. Cependant Mardonios craqua le premier: allouantun oracle selon lequel les Perses ne seraient pas vaincus s'ils n'attaquaientpas Delphes, il dcida de donner l'assaut et fut vaincu.

    Les questions que l'on pose un oracle

    Consultations clbres

    Oedipe

    Nous n'allons pas dvelopper ici toute l'histoire. Il faut cependantremarquer que la divination joue un rle essentiel dans le mythe d'Oedipe.Il y a d'abord l'oracle que Laios reoit propos de l'enfant qu'il pourraitavoir: celui-ci tuera son pre. Jocaste met au monde un enfant et Laiosl'expose dans la montagne, esprant qu'il serait dvor. Il est recueilli parun berger qui l'apporte au roi de Corinthe, Polybos, qui n'a pas d'enfant. Leroi l'adopte. Oedipe, devenu adulte, va consulter l'oracle de Delphes qui luiannonce qu'il tuera son pre et pousera sa mre. Croyant que Polybos estson pre (il y a plusieurs versions) il quitte Corinthe. C'est alors qu'il croiseLaios un carrefour. Il s'ensuit une dispute et Oedipe tue son vritablepre. Il arrive Thbes, terrorise par le Sphinx. Les Thbains promettentle royaume et la main de la reine celui qui parviendra dbarasser la villede ce monstre. Oedipe rsoud l'nigme et pouse sa mre.

    Plus tard une pestilence clate Thbes. Oedipe ordonne laconsultation de l'oracle de Delphes. La Pythie annonce que la pestilence necessera pas avant que la mort de Laos ne soit venge. Tirsias, interrog,commence donner quelques indices. Peu peu Oedipe dcouvrel'horrible vrit. Au-del de l'interprtation psychologique du mythed'Oedipe, cette histoire montre qu'on ne peut pas chapper un destin dontles oracles sont le produit.

    Crsus

    L'histoire de la consultation de l'oracle de Delphes nous est rapportpar Hrodote, dans le livre I de son Enqute. Trs vite cette histoire a attirl'attention et on la considre comme une propagande manant de Delphes.Il n'en reste pas moins que Pausanias a vu les offrandes de Crsus dans lesanctuaire delphique.

    Dans un premier temps, Crsus voulut savoir quel tait l'oracle leplus fiable. Il envoya des messagers Delphes, Abes en Phocide, Oroposchez Amphiaraios, Lbade chez Trophonios, Dodone, Milet pour

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  • l'oracle des Branchides, l'oracle d'Ammon en Libye. Ces messagersdevaient consulter les oracles le centime jour partir de leur dpart deSardes et demander ce que faisait en ce moment le roi de Lydie. Ce jour-l,Crsus avait dcoup en morceau un agneau et une tortue et les avait faitcuire dans un chaudron de bronze, sous un couvercle de bronze. La Pythiefit la rponse suivante:

    Je sais le nombre des grains de sable et les mesures de la mer,Je comprend le muet, j'entend celui qui ne parle point.Une odeur est venue jusqu' moi, l'odeur d'une tortue au cuir paisCuisant dans le bronze, avec la chair d'un agneau;Le bronze s'tend sous elle, le bronze la recouvre.

    Il semble que l'oracle d'Amphiaraos tait aussi vridique et Crsus y fit desoffrandes. A Delphes que Crsus fit de nombreux sacrifices et demagnifiques offrandes. Crsus consulta plusieurs fois l'oracle. Il demanda Delphes et Oropos:

    Crsus, roi des Lydiens et d'autres nations, persuads qu'il n'est d'oracles aumonde que les vtres, vous a fait des prsents dignes de vos rponsesvridiques. Maintenant il vous demande s'il doit faire la guerre aux Perses,et s'il doit s'adjoindre des troupes allies.(HDT,I,53)

    Les deux oracles donnrent la mme rponse: si Crsus faisait la guerreaux Perses, il dtruirait un grand empire. Il demanda encore si samonarchie durerait longtemps. L'oracle de Delphes rpondit:

    Lorsqu'un mulet deviendra roi des Mdes,Alors, Lydien aux pieds fragiles, aux bords du caillouteux HermosFuis, ne rsiste pas, et ne rougis pas d'tre lche.(HDT, I,54)

    Crsus entreprend une guerre contre l'empire perse et il est vaincu. Sardes,sa capitale, est prise. Il est comdamn au bcher, y chappe (grce l'histoire de Solon). Devenu conseiller de Cyrus, il consulte nouveaul'oracle. Il fit demander comment la parole divine l'avait pouss contre lesPerses (HDT,I,90-91). La Pythie fit une rponse qui clairait les prcdantsoracles:

    Au sort qu' fix le destin, un dieu mme ne peut chapper. Crsus a payla faute de son quatrime anctre qui, simple garde des Hraclides, cdantaux intrigues d'une femme a tu son matre et a prit un rang auquel iln'avait aucun droit. Loxias souhaitait que la ruine de sardes n'et pas lieusous Crsus, mais sous ses enfants. il n'a pu flchir les Moires; mais desconcessions qu'elles lui ont accordes, Crsus a, grce lui, profit, car ledieu a recul de trois ans la prise de Sardes. Que Crsus le sache: il a tfait prisonnier trois ans plus tard que son destin ne l'avait dcrt. Ensecond lieu, Loxias l'a secouru sur le bcher. De l'oracle qui lui fut rendu,

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  • Crsus a tort de se plaindre; Loxias l'avertissait: s'il marchait contre laPerse, il dtruirait un grand empire. Il devait donc, pour dcider sagement,faire demander au dieu s'il dsignait son propre empire ou celui de Cyrus;s'il n'a pas demand d'explication, qu'il s'en prenne lui-mme. A sadernire consultation Loxias lui a parl d'un mulet, et il n'a pas davantagecompris cette rponse: le mulet tait Cyrus, n de deux parents d'origineingale, car sa mre tait d'un rang suprieur celui de son pre: elle taitMde, fille du roi des Mdes Astyage; il tait Perse, sujet des Mdes et,malgr cette ingalit totale entre eux, il avait pous la fille de sesmatres."

    Questions/rponses

    L'tude des mthodes divinatoires et du fonctionnement des sanctuairesoraculaires est intressante, mais elle rpond mal la question de lafonction des oracles. pour la comprendre, il faut analyser les questions,donc les occasions de consultation, en partant de l'ide qu'une consultationcotait cher en argent et en effort (sacrifices, voyage, taxes). Ensuite, ilfaut voir ce qu'on faisait de la rponse. C'est le travail que j'entreprendsmaintenant pour les oracles de guerre.

    Types de questions

    Le grand nombre d'oracles conservs (pigraphie, textes) permet de faireune typologie des questions. Le consultant peut tre une collectivit ou unindividu. Les questions sont multiples et elles sont reprsentes et/ou dansla tradition historique, lgendaire, mythologique:-pidmie, maladie, famine-malheur-exil (o aller?)-meurtre-guerre-strilit-mariage-identit du pre d'un enfant ou de ses parents-mort-affaires-victoire aux Jeux-test d'oracles-questions religieuses-affaires politiques-colonisation-etc...

    Le point commun entre toutes ces questions, c'est l'alatoire ou le dsordre.Les types de questions les plus courantes peuvent se subdiviser en deux.Les questions lies la route ou l'endroit o fonder une cit sont du

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  • domaine de l'alatoire. Les Anciens n'avaient pas le mme rapport l'espace que nous51. Le voyage dans des contres lointaines, en l'absencede cartes, taient hasardeux. La mythologie conserve peut-tre le souvenird'un tat sans carte, ni plan. Les cartes remontent certes l'poquearchaque, mais elles n'avaient pas le ct pratique que nous leurconnaissons. Les plus anciennes reprsentaient le cosmos. Ensuite, ellessubirent l'influence de la gomtrie et devinrent trop abstraites pour treutilisables lors de voyages. Dans la mythologie, un hros doit aussientreprendre un voyage parfois prilleux pour qu'un devin lui indique sonchemin: c'est le cas d'Ulysse au chant XI de l'Odysse qui va questionnerl'me de Tirsias sur son retour. La navigation et la fondation de cit dansdes terres vierges offrent les mmes inconnues que les voyages. Lesoracles de fondations de villes sont trs bien attests historiquement. Lerle de Delphes dans la colonisation grecque des VIIIme et VIImesicles est difficile juger, mais on ne peut croire que l'oracle n'ait jouaucun rle. Le dnominateur commun de ces deux types d'oracles est doncl'alatoire.

    Les autres questions font suite une crise. Ils relvent du dsordre. Ily a une diffrence entre l'alatoire et le dsordre. Dans les socits dechasseurs-cueilleurs, peu hirarchises, les vnements (succs la chasse,maladie, etc...) sont considrs comme alatoires. Ces socits mettentalors en place un systme de gestion de l'alatoire, le chamanisme parexemple, grce auquel il est possible d'obtenir du gibier, d'assurer lafcondit, mais en contrepartie, il faut rendre ce que l'on a obtenu, par lamort (naturelle) des membres du groupe52. Les socits d'agriculteurs etles socits encore plus complexes encore ont rgl le problme desressources alatoires grce un ordre qu'elles ont instaur. Leur principalsouci est de maintenir cet ordre intact. Ces socits, qui sont des systmesstables, sont soumises la loi de l'entropie. Elles glissent lentement maissrement vers une dissolution de l'ordre, travers une multitude de petitescrises distribues. Elles mettent alors en place des mcanismes de maintiende l'ordre qui fonctionnent en rintroduisant priodiquement et de manirelimite le dsordre. Les exemples sont nombreux: Carnaval, Dionysies,Saturnales, Nouvel an babylonien, etc.... L'alatoire ne disparat pas.Lorsque les mcanismes de maintien de l'ordre ne sont plus suffisants, cause de pressions internes trop fortes ou de puissantes perturbationsexternes (guerre, famine, etc...), l'alatoire revient dans le systme. Cedernier est soumis des fluctuations et quand elles atteignent un tauxcritique, l'volution du systme est imprdictible. Les socits confrontes ce type de problmes ont d trouver des procds qui leur permettent detraverser une crise tout en se maintenant, moyennant quelquestransformations. Nous le savons maintenant: l'volution est un mcanismede survie. Les oracles que nous avons retenus interviennent lors de crisescauses par des vnements alatoires ou dont l'issue est alatoire. Le

    51Chr.Jacob, L'empire des cartes, Paris, 1992, p.133, 175, 387, 43752N.Duplain-Michel, "Le chamanisme: un systme de gestion de l'alatoire", Actes du 2me congrs desystmique, Prague, oct.1993 ( paratre)________Copyright 2000, Nathalie Duplain Michelhttp://home.page.ch/pub/[email protected]@vtx.ch

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  • hasard pousse une action, qui est cense le rduire une certitudepositive, le transformer en chance. Il existe deux types de mcanismesrgulateurs. Les premiers ritualisent en quelques sortes le passage par lesfluctuations et la bifurcation: le dsordre est volontairement introduit dansle systme pour qu'il retrouve une nouvelle stabilit. M.Eliade a montrque les populations archaques rejetaient l'histoire par des rites orgiaquesdurant lesquelles le monde tait dtruit puis recr53. L'exemple classiquequ'il donne est celui du Nouvel An babylonien. Ces populations instaurentun temps cyclique. Selon une interprtation systmique, ce n'est pasl'histoire qui est rejete dans ces rites, mais son corollaire: l'entropie (oudsordre) qui crot avec le temps. Le second type de mcanisme dergulation cherche contrler les crises extraordinaires, inattendus etgraves. Il intervient au coup par coup. On peut ranger dans cette catgoriela divination , les purifications, etc.... Dans le cas des socits dechasseurs-cueilleurs, le chamane pratique les deux types de rites, rgulieret exceptionnel. Dans les socits plus complexes, ces rites deviennentl'affaire de spcialistes diffrents.

    Les rponses

    Les rponses sont nombreuses. Certaines sont obscures, nigmatiques,comme nous l'avons vu avec Crsus. D'autres sont plus simples. Certainesmthodes oraculaires reposaient sur une question entre deux alternatives: ilsuffisait de tirer au sort une des rponses. Les rponses mystrieusessupposent une certaine rflexion: il faut agir avec ruse pour remplir lacondition de l'oracle.Les rponses n'taient probablement pas dites sous forme potique, maisc'est souvent ainsi qu'elles nous sont transmises.La rponse est essentielle, car elle permet d'agir pour sortir du problmequi a conduit une consultation. Mais cette action se situe sur un plansymbolique: sacrifice, objet sacr, etc....C'est donc le systme de croyancedans lequel se produit la consultation qui est dterminant et qui garantitl'efficacit entre guillemets de l'oracle.

    Conclusion

    La consultation des oracles a une certaine efficacit. On pourrait mmeparler d'une efficacit certaine, si on la restreint au contexte dans lequelelle est pratique. La croyance du consultant et du devin, ainsi que celle del'assemble (peuple, arme) lui confre un statut d'instance de vrit. Si unoracle se rvle faux, c'est l'interprtation qui tait mauvaise, pas l'oracle.C'est ce qu'illustre l'histoire de Crsus qui avait pris l'empire dtruit pour

    53M.Eliade, Le mythe de l'ternel retour, Paris, 1969________Copyright 2000, Nathalie Duplain Michelhttp://home.page.ch/pub/[email protected]@vtx.ch

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  • celui qu'il comptait conqurir et qui n'avait song aucun moment que cepouvait tre le sien54.

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