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Je suis le Sceau des Saints, tout comme il est attestéQue le Sceau des Prophètes est Muhammad.Je suis le Sceau particulier, non le Sceau de la Sainteté universelleCar celui-ci est Jésus l’Assisté.Ibn Arabî - Dîwân al-Akbar.
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LA DOCTRINE DES TROIS SCEAUX.
La troisième raison qu’il y a de présenter l’enseignement akbarien en Occident
par référence à l’œuvre de René Guénon est que celle-ci est seule à définir les
critères d’orthodoxie traditionnelle applicables en l’occurrence. Cette
justification peut paraître paradoxale ; alors qu’Ibn Arabî est le gardien et
l’interprète par excellence de la Loi muhammadienne, l’œuvre guénonienne ne
contient aucune mention spécifique de cette Loi et de ses privilèges puisqu’elle
considère constamment les différentes Révélations au point de vue de leur
identité ou de leur équivalence principielle, non à celui de leur excellence
formelle ou leur compétence juridique. On pourrait donc penser que le danger
d’incompréhension ou d’interprétation erronée existe pour les lecteurs de René
Guénon plutôt que pour ceux d’Ibn Arabî. Il convient ici encore, pour éviter tout
malentendu, de garder à l’esprit la perspective inhérente à la doctrine des « trois
Sceaux » dont il nous faut à présent, ainsi que nous l’avions annoncé, préciser
les traits essentiels. L’identité de ces Sceaux, qui a donné lieu à bien des
confusions et à des controverses, est énoncée de manière fort claire dans ces
vers (1) :
Je suis le Sceau des Saints, tout comme il est attesté
Que le Sceau des Prophètes est Muhammad.
Je suis le Sceau particulier, non le Sceau de la Sainteté universelle
Car celui-ci est Jésus l’Assisté.
Les trois Sceaux mentionnés sont : le « Sceau des Prophètes » ou « de la
Prophétie légiférante » qui n’est autre que Muhammad - qu’Allâh répande sur
lui Sa Grâce unitive et Sa Paix ! - ; le « Sceau de la Sainteté universelle » qui est
« Jésus l’Assisté » ; et enfin, dans une position intermédiaire entre celle des
deux premiers, le « Sceau particulier » appelé aussi « Sceau de la Sainteté
muhammadienne », c’est-à-dire le Cheikh al-Akbar qui s’exprime dans ces vers
à la première personne (2). Le point essentiel de doctrine considérée ici est que
ces Sceaux correspondent à trois fonctions uniques qui relèvent directement, non
de la forme islamique au sens strict, mais du Centre initiatique suprême. Ils sont
indépendants à l’égard de l’Islam dans la mesure où c’est d’eux, précisément
que l’Islam dépend au point de vue de sa définition formelle et de ses
réadaptations cycliques. Cependant, leurs manifestations successives et les
« fermetures » que celles-ci entrainent font que, tout au moins sur le plan
extérieur, le second Sceau est hiérarchiquement placé sous la dépendance du
premier et le troisième sous la dépendance des deux précédents.
(1) Dîwân al-Akbar, Bombay, 1900, p.153.
(2) L’auteur du Sceau des Saints envisage uniquement le cycle de la walâya ;
pour lui, les trois Sceaux seraient Ibn Arabî, Jésus et le « Sceau des enfants »
(cf. p.148 et 175-176). Cette identification ne tient pas compte du fait que la
notion de « Sceau des Saints » est comprise et définie, dans le Tasawwuf, par
référence à celle de « Sceau des Prophètes », qui est coranique ; ni de
l’affirmation selon laquelle « Le destin de ce troisième Sceau (le « Sceau des
enfants »), à la toute dernière extrémité de l’histoire, s’inscrit nécessairement
dans la période au cours de laquelle, selon les eschatologies traditionnelles,
Jésus fera régner la paix sur la terre » (ibid., p. 176) de sorte que, en tout état de
cause, il n’y a pas lieu d’envisager, à propos du « Sceau des enfants » ou des
« engendrés », une réadaptation cyclique nouvelle.
Dans cette perspective, les trois Sceaux peuvent être décrits sommairement de la
façon suivante : le Sceau de la prophétie légiférante a pour fonction d’énoncer et
de communiquer la Loi finale et universelle qui ne peut être abrogée par aucune
autre : elle fixe irrévocablement le régime traditionnel de la fin de notre cycle.
Le Sceau de la Sainteté muhammadienne est le dernier être humain qui possède
la totalité des secrets contenus dans cette Loi qui sont aussi ceux de la
manifestation universelle : « Nous t’avons envoyé uniquement comme une
miséricorde pour les mondes » (Cor.21.107). Le Sceau de la Sainteté universelle
est, quant à lui, le dernier à posséder la connaissance directe des secrets
commun à l’Islam et aux autres formes traditionnelles, secrets qui concernent
plus particulièrement le cycle humain. D’une certaine façon, l’ordre des
manifestations apparentes est inverse de celui des réalités principielles :
l’avènement du second Sceau entraîne une certaine divulgation des secrets
inclus dans la Loi énoncée par le premier - sur lui la Grâce et la Paix ! - ;
l’avènement du troisième Sceau entraîne une divulgation analogue des secrets
relatifs à l’Unité transcendante des Lois sacrées données par Dieu à l’homme.
Au point de vue cyclique, l’existenciation du Sceau de la Sainteté
muhammadienne coïncide avec un moment décisif. La tradition islamique
connaît alors des changements profonds qui entrainent la nécessité d’une
réadaptation : c’est le siècle de la disparition du Califat exotérique en tant que
source de pouvoir effectif et de l’institution des grandes confréries initiatiques.
De manière semblable, la manifestation du troisième Sceau est annoncée par les
bouleversements actuels qui sont sans précédent ; tout d’abord, l’apparition du
monde moderne, c’est-à-dire d’une « civilisation » radicalement profane qui
prétend se fonder sur le rejet de tout principe traditionnel ; ensuite, par voie de
conséquence, la coexistence simultanée, dans la conscience contemporaine, de
l’ensemble des Révélations et des religions qui subsistent encore. Enfin,
l’abolition du Califat qui prive aujourd’hui l’Islam de toute représentation
extérieure et du symbole de son unité ; cet évènement est également très
significatif mais son importance est néanmoins plus secondaire au point de vue
envisagé ici ; si l’œuvre de René Guénon possède une qualification unique et
privilégiée pour la présentation en Occident des écrits du « plus grand des
Maîtres », c’est parce qu’elle est seule à avoir pour fonction propre d’énoncer de
manière précise et nette les critères traditionnels applicables à la situation
complètement anormale du monde contemporain. L’œuvre d’Ibn Arabî contient,
de toute évidence, des critères analogues mais ceux-ci sont définis pour un
monde demeuré, somme toute, fidèle à sa tradition et par une humanité protégée
par son appartenance au Dâr al-Islâm, c’est-à-dire la terre où la Loi islamique
était encore vivifiée et appliquée. Dès lors, présenter son enseignement en
Occident tout en négligeant le recours providentiel constitué par l’œuvre de
René Guénon, c’est prendre le risque de susciter des incompréhensions et des
malentendus pouvant conduire à des déviations caractérisées ; c’est, dans les cas
les moins défavorables, se borner à étudier des aspects fragmentaires qui,
séparés de la doctrine akbarienne envisagée dans son ensemble, peuvent en
fausser la signification et la portée réelles. Cette situation est comparable, mais
en sens inverse, à celle qui a été décrite par Michel Vâlsan à propos d’ « une
présentation éventuelle de l’œuvre de René Guénon dans un milieu traditionnel
islamique » qui, elle aussi, ne peut être envisagée sans précaution : selon notre
regretté Maître, une telle présentation « devrait se faire avec une référence
compétente aux doctrines ésotériques et métaphysiques de l’Islam, tout en tenant
compte de ce qu’il y a d’inévitablement délicat pour une exposition des
doctrines ésotériques de l’Islam même devant un public qui ne saurait être
considéré dans son ensemble capable de comprendre les choses de cet ordre. »
(3) La comparaison établie ainsi est loin d’être fortuite car les deux œuvres ont
entre elles des affinités très profondes. Chacune est souveraine dans la sphère
d’influence traditionnelle à laquelle elle est spécialement destinée du fait qu’elle
détient, sur le plan doctrinal, l’autorité initiatique suprême dont la présence rend
impossible, tout au moins pour ceux qui possèdent le minimum de discernement
et de bonne foi sans lesquels le domaine ésotérique proprement dit demeure
irrémédiablement fermé, toute forme de compromission ou d’accommodement.
Les manifestations directes de cette souveraineté, indépendante de tout pouvoir
temporel, et même de toute autorité traditionnelle extérieure quelle qu’elle soit,
entrainent le plus souvent, de nos jours, la suspicion et la haine. La vigilance de
ceux qui la représentent, seule à même de maintenir intacte la présence de la
Bénédiction divine sans laquelle il n’y a pas de réalisation métaphysique
possible, est mal supportée par ceux qui en méconnaissent la raison d’être
profonde. Ceci explique un curieux phénomène qui illustre parfaitement
l’affinité des deux œuvres : alors qu’en terre d’Islam l’enseignement d’Ibn Arabî
continue de susciter des polémiques et des oppositions souvent violentes,
l’œuvre de René Guénon est habituellement mieux accueillie. En effet, elle est
perçue, d’une certaine façon, comme « étrangère » de sorte que son autorité peut
être plus aisément circonscrite que celle d’Ibn Arabî dont la vérité s’impose aux
musulmans par la référence constante faite au contenu de la révélation
muhammadienne ; c’est pourquoi l’œuvre akbarienne, quand elle n’est pas
totalement acceptée, est le plus souvent rejetée, décriée et calomniée. De
manière analogue, la force, la cohérence, l’intelligibilité sans faille des écrits de
René Guénon suscitent en Occident des irritations et des rejets ; en revanche,
ceux d’Ibn Arabî peuvent donner lieu à des présentations tendancieuses et
unilatérales d’autant plus aisément que rares sont les Occidentaux qui disposent
de moyens nécessaires pour vérifier par eux-mêmes, dans les écrits du « plus
grand des Maîtres », ce qu’est son enseignement véritable.
Le recours à René Guénon oblige à maintenir l’exposé des doctrines akbariennes
dans une orientation strictement « traditionnelle ». La notion de « tradition » est
ici essentielle : d’une part, elle rappelle le caractère supra-individuel de
l’enseignement doctrinal et, souligne par là-même l’illégitimité de toute
profanation rationaliste ou philosophique ; d’autre part, elle évoque la nécessité,
à tous niveaux, d’une transmission régulière de cet enseignement qui ne peut
être séparé, ni du support providentiel des Révélations inspirées par Dieu à Ses
Prophètes, ni du « cadre » protecteur et préservateur formé par les rites et les
institutions sacrées ; enfin, elle souligne la prépondérance de Message inspiré
sur le messager, affirmée d’une façon similaire par les représentants du
Tasawwuf : Ibn Arabî lui-même justifie sa fonction par l’ordre que le Très-Haut
lui donne : « Conseille Mes serviteurs ! ». De toute évidence, le « conseil » est
considéré comme plus important que celui qui le donne, si éminent que soient le
degré et la qualification de ce dernier. Par conséquent, l’intérêt légitime que l’on
porte au cas et au statut traditionnels d’Ibn Arabî ne doit pas entrainer une
confusion et faire oublier l’essentiel qui est son enseignement doctrinal (4). Pour
ce qui concerne les deux premiers aspects, le critère d’orthodoxie qui
correspond, dans l’œuvre d’Ibn Arabî, à celui de tradition n’est autre que le
respect scrupuleux de la Loi sacrée de l’Islam entendue au sens total défini par
Michel Vâlsan, c’est-à-dire en tant qu’elle « inclut tous les domaines et tous les
degrés de la vie spirituelle et temporelle, y compris les principes et les méthodes
de la connaissance métaphysique. » Cette notion de « Loi sacré » est
habituellement mal comprise par les Occidentaux, qui, influencés par certaines
particularités du Christianisme (5), ont tendance à la confondre avec celle
d’ « exotérisme », d’où le risque de graves malentendus que seul le recours à
l’idée traditionnelle, telle qu’elle a été définie et exposée par René Guénon,
permet d’éviter (6).
(3) L'Islam et la fonction de René Guénon, p. 17.
(4) Il est significatif qu’une confusion similaire ait été entretenue dans le cas de
René Guénon dans le but de contourner et d’occulter son enseignement ; cf.
Introduction à l’enseignement et au mystère de René Guénon, p.7.
(5) Ibid., p. 88-89.
(6) Le danger principal est aujourd’hui que des aspects essentiels d’Ibn Arabî
soient coupés de leurs racines islamiques et utilisés à des fins antitraditionnelles.
Nous avons eu l’occasion déjà (cf. Marie en Islam, p. 73) de dénoncer l’action
de la Ibn Arabî Society dont le siège est à Oxford. Cette société est une simple
annexe de la Beshara, organisation pseudo-traditionnelle capable de servir de
support à des influences plus suspectes. Cf., par exemple, The Basis of Universal
Religion, article paru dans le n°1 de la revue Beshara sous la signature de M.
Stephan Hirtenstein qui est, par ailleurs, le responsable du Journal of the
Muhyiddin Ibn Arabi Society.
(Charles-André Gilis, René Guénon et l’avènement du troisième Sceau, chap.V :
La doctrine des trois sceaux, p. 41-48).