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la Région Centre, de Saintes, Niort, Agen) et à l’é- tranger (États-Unis à Pittsburgh et New-Orleans, All em a gne à Cologne, Hanovre, D a rm s t adt et Kassel), ceci dans le cadre d’expositions généra- l i s te s , ou bien axées sur les acqu i s i ti on s , ou encore, précisément, sur la céra m i qu e 1 . Au moment où les céramistes néo-palissystes et néo- avissaliens contemporains Geoffrey Luff et Christine Viennet voient leurs œuvres entrer dans les musées et ne cessent d’élargir leur clientèle – anglo-saxonne pour la plupart –, ouvrages, arti- cles, catalogues consacrés à Bernard Palissy et ses continuateurs, à la faïence de Saint-Porchaire et ses imitateurs 2 , citent, é tu d i ent les Avisseau et leurs émules tourangeaux au sein d’un contexte plus large. Pour ne donner que qu el ques exem- ples, les travaux de Léonard N. Amico et d ’ Is a belle Perrin sur Bernard Palissy inclu en t d’importantes sections sur les suiveurs du xix e siècle. Tel spécialiste de l’Art nouveau attri- bue aux innovations stylistiques des Avisseau une place non négligeable parmi les facteurs qui ont déterminé l’éclosion florale dans les arts décora- tifs de la fin du xix e siècle 3 . L’histoire de l’art a trouvé matière. La fréquentation de l’exposition d’aujourd’hui, le succès du catalogue, les articles élogieux parus dans la presse généraliste natio- nale et dans les journaux et revues spécialisés, confirment le constat d’une résur rection 4 . Deux questions se sont posées dès le départ : pourquoi les contemporains de ces quinze céra- mistes de To u rs , dont l’activité s’étend de 1840 à 1910 environ, ont-ils unanimement placé Ch a rl e s - Jean Avisseau, le chef de file de cette «é co l e» , au premier rang des promoteurs de la faïence arti s ti que moderne? Une autre série de questions concernait la technique. Quelles pâtes, quels émaux, quelles glaçures avaient été utilisés ? 4 4 La faïence de Tours (1840-1910): Avisseau et le soue de la Renaissance Danielle Oger L’exposition Un bestiaire fantastique. Avisseau et la faïence de Tours (1840-1910), depuis 1934 la pre- mière consacrée exclusivement à la faïence de Tours, a rassemblé au musée des Beaux-Arts de Tours du 19 octobre 2002 au 13 janvier 2003 puis, pour partie, au musée national de porce- laine Adrien-Dubouché de Limoges du 5 février au 12 mai 2003 – une sélection de près de 150 piè- ces, en majorité inédites. En se fixant pour but de sortir de l’oubli une production qui avait connu une vogue considérable jusque dans le premier tiers du xx e siècle, période suivie d’une désaff ec- tion durable, le musée des Beaux-Arts de Tours initiait une étude approfondie de cette produc- tion céramique, é tu de susceptible de répondre aux attentes d’un cercle encore très réduit de connaisseurs, historiens de l’art, conservateu rs , co ll ecti on n eu rs . Il incombait au musée la mis- sion d’élargir ce cercle d’amateurs au grand public,véritable défi, compte tenu de la répulsion affichée par les visiteurs de la «salle du Réalisme » à la vue de ces pièces grouillant de serpents et de c ra p a u d s . Nous nous devions de mieux com- prendre les ressorts de la cyclothymique atti- rance-répulsion dont font l’objet les néo-palissystes de To u rs . La tâche était triple, relevant de l’histoire du goût,de l’histoire de l’art, de l’histoire de la faïence et ses techniques. Depuis 1974, plusieurs signes d’une résurgence d’intérêt étaient perceptibles. D’imposantes col- lections privées, comptant souvent plus d’une centaine de pièces (Hottinger, Lehr, Katz, Horn, Didier Aaron, pour n’en citer que quelques-unes) se constituaient en Europe et aux Etats-Unis. Bien des musées présentaient des pièces de céramique de Tours dans le cadre d’une quinzaine d’exposi- ti on s , en France (musées du Louvre, des Arts décoratifs, d’Art moderne de la ville de Paris, de

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la Région Centre, de Saintes, Niort, Agen) et à l’é-tranger (États-Unis à Pittsburgh et New-Orleans,All em a gne à Co l ogn e , Ha n ovre , D a rm s t adt etKassel), ceci dans le cadre d’expositions généra-l i s te s , ou bi en axées sur les acqu i s i ti on s , o uen core , pr é c i s é m en t , sur la céra m i qu e1. Aumoment où les céramistes néo-palissystes et néo-avi s s a l i ens con tem porains Geof f rey Lu f f etChristine Viennet voient leurs œuvres entrer dansles musées et ne cessent d’élargir leur clientèle –anglo-saxonne pour la plupart –, ouvrages, arti-cles, catalogues consacrés à Bernard Palissy et sescontinuateurs, à la faïence de Saint-Porchaire etses imitateu rs2, c i ten t , é tu d i ent les Avisseau etleurs émules tourangeaux au sein d’un contextep lus large . Pour ne don n er que qu el ques exem-p l e s , les travaux de Léon a rd N. Am i co etd ’ Is a belle Perrin sur Bern a rd Palissy inclu en td ’ i m port a n tes secti ons sur les su iveu rs duxixe siècle. Tel spécialiste de l’Art nouveau attri-bue aux innovations stylistiques des Avisseau uneplace non négligeable parmi les facteurs qui ontdéterminé l’éclosion florale dans les arts décora-ti fs de la fin du x i xe s i è cl e3. L’ h i s toi re de l’art atrouvé matière. La fréquentation de l’expositiond’aujourd’hui, le succès du catalogue, les articlesé l ogi eux parus dans la presse généra l i s te nati o-nale et dans les journaux et revues spécialisés,confirment le constat d’une résurrection4.

Deux qu e s ti ons se sont posées dès le départ :pourquoi les contemporains de ces quinze céra-m i s tes de To u rs , dont l’activité s’ é tend de 1 840à 1 9 1 0 envi ron , ont-ils unanimem ent plac éCh a rl e s - Jean Avi s s e a u , le ch ef de file de cet te«é co l e» , au prem i er rang des prom o teu rs de laf a ï en ce arti s ti que modern e ? Une autre série dequestions concernait la technique. Quelles pâtes,quels émaux, quelles glaçures avaient été utilisés ?

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La faïence de Tours (1840-1910) :Avisseau et le souffle de la Renaissance

Danielle Oger

L’exposition Un bestiaire fantastique. Avisseau etla faïence de Tours (1840-1910), depuis 1934 la pre-m i è re con s acrée exclu s ivem ent à la faïen ce deTours, a rassemblé au musée des Beaux-Arts deTo u rs du 1 9 octobre 2 0 02 au 13 ja nvi er 2 0 03 –p u i s , pour parti e , au musée nati onal de porce-laine Adrien-Dubouché de Limoges du 5 févrierau 12 mai 2003 – une sélection de près de 150 piè-ces, en majorité inédites. En se fixant pour but desortir de l’oubli une production qui avait connuune vogue con s i d é ra ble ju s que dans le prem i ertiers du xxe siècle, période suivie d’une désaffec-tion durable, le musée des Beaux-Arts de Toursi n i tiait une étu de approfondie de cet te produ c-ti on céra m i qu e , é tu de su s cepti ble de répon d reaux atten tes d’un cercle en core très réduit decon n a i s s eu rs , h i s tori ens de l’art , con s erva teu rs ,co ll ecti on n eu rs . Il incombait au musée la mis-s i on d’élargir ce cercle d’amateu rs au gra n dpublic,véritable défi, compte tenu de la répulsionaffichée par les visiteurs de la «salle du Réalisme»à la vue de ces pièces grouillant de serpents et dec ra p a u d s . Nous nous devi ons de mieux com-pren d re les re s s orts de la cycl o t hym i que atti-ra n ce - r é p u l s i on dont font l’obj et lesn é o - p a l i s s ys tes de To u rs . La tâche était tri p l e ,relevant de l’histoire du goût,de l’histoire de l’art,de l’histoire de la faïence et ses techniques.

Depuis 1974, plusieurs signes d’une résurgenced’intérêt étaient percepti bl e s . D’ i m po s a n tes co l-l ecti ons priv é e s , com ptant souvent plus d’unecentaine de pièces (Hottinger, Lehr, Katz, Horn,Didier Aaron, pour n’en citer que quelques-unes)se constituaient en Europe et aux Etats-Unis. Biendes musées présentaient des pièces de céramiquede Tours dans le cadre d’une quinzaine d’exposi-ti on s , en Fra n ce (musées du Lo uvre , des Art sdécoratifs, d’Art moderne de la ville de Paris, de

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Des innova ti ons tech n i ques rem a rqu a bl e sallaient-elles être mises en évidence? C’est seule-m ent alors que po u rrait être pr é c i s é , le caséchéant, l’apport des Tourangeaux à la techniquede la faïence du xixe siècle et que peut-être enfin,le mys t è re de la soi-disant red é co uverte de sémaux de Palissy serait éclairci.

L’ h i s tori en s’est attaché à retro uver, gr â ce àl ’ ex p l oi t a ti on de sources et de doc u m ents sou-vent inattendus, le fil conducteur permettant dem i eux com pren d re le « ph é n omène Avi s s e a u» .Une en qu ê te sys t é m a ti que a été menée aupr è sdes collections publiques françaises et auprès desmembres de l’International Majolica Society. Lesmusées étrangers ont été interrogés, ainsi que lesexperts et marchands spécialisés, grâce auxquelsde nom breux co ll ecti on n eu rs ont été con t act é s .Les descendants des Chauvigné ont été retrouvés,nous ouvrant l’accès à des céramiques inédites deces deux arti s tes peu pro l i f i ques dont plu s i eu rspans de la production étaient restés inconnus jus-qu’ i c i . La ch ron o l ogie des faits qui placent nosTo u ra n ge a u x , de leur vivant même, p a rmi lesa rti s tes de référen ce , tant auprès des amateu rs ,c é ra m i s te s , co ll ecti on n eu rs , h i s tori ens de l’art ,j o u rn a l i s tes spécialisés, que du grand public etdes plus grands mu s é e s , a été affinée.L’ en ri ch i s s em ent en mati è re de bi bl i ogra phie etd ’ a rch ives est venu con f i rm er l’import a n ce del ’ i m p act de cet te produ cti on et l’éten due de lacl i en t è l e , f rançaise puis eu rop é en n e , a m é ri c a i n eenfin avec Edouard Avisseau.

Pa rmi les déco uvertes les plus marqu a n te s ,citons celle, par M. Jean-Paul Avisseau, conserva-teur en chef honoraire des Archives de Bordeauxet arrière-petit-fils de Charles-Jean, d’une abon-dante correspondance – environ quatre cents let-tres – adressée par les commanditaires à l’atelier ;cell e , par un histori en d’Eu re - et - Loi r, M . Yve sBern a rd , du Traité des cou l eu rs de Ch a rl e s - Je a nAvisseau, réputé perdu ; et encore la réapparitiondu manuscrit écrit par Gil Manteau à partir desi n form a ti ons reçues de la bo u che de Paul et deJe a n - Paul Avisseau to ut au long de sa carri è red ’ a n ti qu a i re passion n é . Quant aux analyses del a bora toi re , elles ont apporté de nom breu s e sr é ponses aux interroga ti ons rel a tives aux tech-n i qu e s . Réalisées par le Cen tre nati onal de larech erche scien ti f i que – Cen tre Ern e s t - Ba bel ond ’ O rléans (Bern a rd Gra tu ze , chargé de rech er-ches) et par le Centre de recherche et de restau-

ration des musées de France (Anne Bouquillon,re s pon s a ble de la filière gro u pe céra m i qu e -pierre), ces analyses ont été coordonnées et com-mentées par Guy Musculus, céramiste, ingénieurdes Arts et Métiers, professeur à l’École nationalesupérieure des Arts appliqués, professeur de res-tauration à l’Institut national du Patrimoine, avecla collaboration de Christel Pouthas, chercheur àl’INP-IFROA.

La plu p a rt de nos faïen c i ers sont d’ori gi n em ode s te . Avisseau (To u rs , 1 7 9 5-1 8 6 1) a po u ra s cendants aux xvi ie et xvi i ie s i è cles des voi tu-riers par eau. Son père est journalier, tailleur dep i erres (il a trava i llé sur le ch a n ti er du pont deTours) et, lorsqu’il manque d’ouvrage, ouvrier enfaïence (potier de terre à Loches, enfourneur enf a ï en ce à Sa i n t - P i erre - de s - Corp s ) . Sa mère estl i n g è re . Le be a u - f r è re de Ch a rl e s - Je a n , Jo s ephLandais (La Cell e - Gu é n a n d , In d re - et - Loi re ,1800–Tours, 1883), est fils d’un marchand dit éga-l em ent ga rde - chasse de la forêt du Gra n d -Pressigny. Léon Brard (Caen, 1830–Tours, 1912) apour père un ouvri er serru ri er, celui d’Au g u s teCh a uvi gné est ja rd i n i er, Ti n i er est em p l oyé decom m erce . Seuls Den i a u , m é decin fils de ph a r-macien, et le général Carré de Busserolle, fils d’of-f i c i er ch ef de bataill on , font excepti on . L aseconde génération des Avisseau et des Landais,ainsi que Ch a uvi gné fils, f i g u rent en reva n ch eparmi les érudits ou les notables locaux : EdouardAvi s s e a u , fin let tr é , est con s ei ll er mu n i c i p a l , l e sLandais sont con s erva teu rs du mu s eum d’his-toi re natu relle de To u rs , Au g u s te - Al ex a n d reCh a uvi gné est écriva i n , lauréat de l’Ac ad é m i efrançaise.

C’est bien sûr dans la richesse de leur savoir-faire, dans leurs acquis auprès des manufacturestourangelles traditionnelles, dans l’excellence deleur technique et dans leur extraordinaire facultéd’adaptation, d’invention, de création, que résidele secret de la réussite des Avisseau, en tout pre-mier plan de Charles-Jean. Mais c’est plus préci-s é m ent un élément déterminant qu i , très vi te ,ouvre toute grande la route de la gloire sous leurspas. En 1825 se révèle la vocation de Charles-Jeanà la vue de deux pièces « de » Bern a rd Pa l i s s y,appartenant à la collection du baron de Besenval,propri é t a i re de la fabri que de faïen ce dite « deréverbère » de Beaumont-le-Chartif, en Eure-et-Loir, dans laquelle le Tourangeau travaille commecontremaître de l’atelier de peinture sur faïence.

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Bien que quasi illettré, et somme toute relative-ment isolé malgré ses acquis successifs, Avisseauentreprend là, dans le but de percer le secret desémaux de Palissy, la rédaction du Traité des cou-leurs pour la peinture en émail et sur la porcelaine.Avec un ach a rn em ent qui va devenir myt h i qu e ,du vivant même du céramiste, Avisseau poursuitses essais pendant près de vingt ans. In i tiée dès1 825, cet te démarche est d’une pr é cocité uniqu edans le monde de la faïence de cette époque. En1843, le céramiste déclare abouties ses rechercheset accepte de diffuser ses « rustiques figulines».

P h i l i ppe Bu rty écri ra que « la réhabi l i t a ti oncomplète de Bernard Palissy fait partie du mou-vement romantique». Tandis que tout un cénaclede lettrés, d’écrivains, de peintres, de collection-n eu rs , professe son ad m i ra ti on pour le MoyenAge et la Ren a i s s a n ce , s on en go u em ent po u rl ’ h i s toi re et les héros nati on a u x , s on culte dum a rtyr de la créati on , du « génie spontané de shu m bles et des simples » , le po ti er de laRenaissance apparaît à tous une figure tutélaire.Dans la pr é f ace du catalogue de l’ex po s i ti on ,Philippe Le Leyzour souligne : «Le cheminementd’Avisseau, jalonné d’obstacles, de réussites écla-t a n tes et d’éch ecs angoi s s a n t s , qui con tri bue àfaire de lui un grand artiste romantique, n’est-cepas aussi, pour les con tem pora i n s , celui d’unBalthasar Claës dont Ba l z ac re s ti tue dans l aRecherche de l’absolu, publié en 1834, la dévorantepassion ? Celui d’un Benvenuto Cellini, redécou-vert grâce à la traduction française de son auto-biographie,éditée en 1833, et réinventé par HectorBerlioz dans un opéra célèbre créé en 1838 ? [...]Le même emportement, la même rage de décou-verte et de créati on , la même vo l onté de dom i-n a ti on de la mati è re en tra î n eront l’arti s te àsacrifier tout ce qu’il possède, rejoignant ainsi ledestin et le mythe de Bernard Palissy dont le livrem a j eu r, la Re cepte véri t a bl e … , est réédité en1 844. » . Pa rto ut , les vies de Palissy et d’Avi s s e a usont mises en parallèle et leurs œuvres sont com-p a r é s , s o uvent à l’ava n t a ge d’Avi s s e a u ! Lex i xe s i è cle proclame les deux po ti ers , ch ac u npour leur époque re s pective , comme étant à l’ori-gi n e de la rénovation de leur art, ayant permis àl ’ a rtisan d’acc é der au statut d’arti s te . Tel est lesens de l’essai de Matthias Waschek dans le cata-l og u e , «Avi s s e a u , le mythe de Palissy et la nais-sance de la céramique artistique moderne». Il esti m portant de soulign er que c’est pr é c i s é m en t

grâce à cette filiation proclamée que les céramis-tes du xixe siècle s’autoriseront à revendiquer lelabel d’artiste. Palissy n’est-il pas l’artiste roman-ti que par excell en ce ? Il suffit de lire « Un nou-veau Bern a rd Pa l i s s y» , a rti cle paru dansL’ I ll u s tra ti o n du 28 août 1 847 : « Il est beau sansdoute de voir l’artiste,aux prises avec les difficul-tés de son art ou avec les obstacles matériels quis’ oppo s ent à la produ cti on de sa pen s é e , s orti rvictorieux de cette lutte,après une longue périoded’efforts, de misère et de souffrances [...] mais ilne l’est pas moins de voir l’homme d’une origineobscure, dépourvu des secours de l’instruction etd ’ é tu de s , j eter sur to ut ce qui l’en to u re le co u pd’oeil de l’observateur et du philosophe,pénétrerles mystères de la nature, saisir les principes desvérités éternelles, renverser les erreurs accréditéesde son époque et pressentir la plupart des décou-vertes qui feront la gl oi re et l’avenir des siècl e sp lus écl a i r é s» . L’ œ uvre céra m i que est bi en uneœuvre d’art, conçue comme une somme capablede re s ti tu er des con n a i s s a n ces gl ob a l e s , de tra-duire à la fois une expérience et une philososo-phie de l’existence, d’ouvrir la voie aux créationsfutures.

En ef fet les bassins ru s ti ques et les roch ersd ’ Avisseau s’ i m po s ent dès le prem i er rega rdcomme des monu m ents de tech n i c i t é . À l’imagede la ri chesse de l’univers , végétaux et animauxp u llu l en t . Si ce foi s on n em ent est décrit au moyend’un illu s i onnisme saisissant, c’est pour nous per-m et tre de pénétrer de plain pied dans des com po-s i ti ons fééri qu e s , des Fa i ry pa i n ti n gs, de sf a n t a s m a gori e s . Comme le mon trent PierreCa b a rd et Fra n ç ois Botté dans leu rs tex tes sur lafaune et la flore , les mod i fic a ti ons apportées peuou prou à la de s c ri pti on «n a tu ra l i s te» témoi gn en tde l’imagi n a ti on débord a n te de ces céra m i s te sd é m iu r ge s . E m a i llée d’animaux et de coqu i ll a ge sexo ti qu e s , l eur produ cti on qui rivalise à maintsé ga rds avec l’orf è vrerie et la joa i ll erie des siècl e sp a s s é s , p a raît repren d re en une miniatu ri s a ti onlu x u euse le mon de étra n ge des cabi n ets de curi o-s i t é s . Quant aux scènes de guets et de pr é d a ti on ss a n gl a n te s , elles parach è vent la mut a ti on de l’œu-vre céra m i qu e . Les con tem porains com p a rent à dev é ri t a bles tableaux ces com po s i ti ons au sein de s-qu els « s’ a rm ent des combats défin i ti fs»5. Ch a rl e s -Jean Avisseau n’a-t-il pas pour ambi ti on de fairede son art un art majeu r, à l’égal de la pei n tu re etde la sculptu re? Nous nous situ ons désorm a i s , a u

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s ein de la hiéra rchie des gen re s , a un iveau du «grand gen re» . Les bassinss ont des tableaux d’histoi re , les gro t-tes font écho à la sculptu re rom a n-ti que et aux gro u pes de Ba rye . Pa rto utla vie mène un com b a t , hélas inéga l ,con tre la mort , d rame ex i s ten ti el ju s-qu’ici écri t , pei n t ,s c u l pt é , mais ja m a i sen core évoqué au moyen de la faïen ceé m a i ll é e . Le réalisme est déto u rné auxfins d’une ex pre s s i on rom a n ti qu e ,d’une réflex i on amère sur l’inanitédes ef forts de l’arti s te , d’une médita-ti on sur la vanité de l’ex i s ten ce . Tel ss ont les message perçus au travers del ’ a utoportrait désigné par un singesur le Grand dra geoir de 1 84 6-1 847( i ll . 1) , m e s s a ges véhiculés plus oum oins ex p l i c i tem ent dans la su i te del ’ œ uvre et repris avec intensité dans leSu rtout de table en fo rme de ro ch er( i ll . 2) . La carri è re d’Avisseau se ter-mine sur cet te com m a n de du vi com tebl é s ois Ernest de Roz i è re . Datée de1 8 6 0, la pièce , la dern i è re qu’ait ach e-vée le céra m i s te , est une magi s tra l emise en scène de la mort tri om-ph a n te , m ort que l’arti s te sent appro-ch er – atteint d’em poi s on n em ent parles émaux il s’ é tei n d ra au début del’année su iva n te .

Cet te réflex i on mélanco l i que estsu ggérée au moyen d’une sym bo-l i qu e . Pa rto ut pr é s en te s , les scènesd ’ a t t a qu e s , p a rfois sangl a n te s , oppo-s ent des oiseaux ra p aces ou des ani-maux ra m p a n t s , s erpents ou lézard s ,à des proies plus faibl e s , voi re inof-fen s ives comme la gren o u i ll e . Vecteu rde mort , la co u l euvre se coule auxbord des mares gl a u ques et dans lestroncs d’arbres creu x . Cet te lut te dela vie con tre la mort a, dans l’œuvrede Ch a rl e s - Jean Avi s s e a u , une sign i fi-c a ti on morale et rel i gi eu s e . Les réfé-ren ces à la Bi bl e , l ’ An c i en et leNo uveau Te s t a m en t s , s ont ex p l i c i te sdans deux œuvre s . Un plat de poi s-s ons daté de 1 85 9 com porte sur l’ailecet te citati on du ch a p i tre XI duL é vi ti qu e : Vous mangerez de tout ce

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1. Charles-Jean et Caroline Avisseau, Grand drageoir, 1847,faïence émaillée. Monogrammé,signé et daté sur les bassins etles colonnes : AV/Avisseau à Tours/1847 ; monogrammé sur le vase C/AV.H. 2,10 ; D. 0,73 m. (Tours, musée des Beaux-Arts, Inv. 895-2-1).

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qui a des nage o i res et des écaill e s. Animal pur, l epoi s s on , om n i pr é s ent dans l’œuvre du céra m i s te ,s’ oppose aux « be s tioles qui ra m pent sur terre» etqui sont « i m m on de s» . Quant au serpen t , on leretro uve écrasé sous le poids d’une croix dans unecom po s i ti on étra n ge , s orte de Vanité où la puis-s a n ce de de s tru cti on de la mort et du mal sem bl etenue en éch ec par la force de la vie et de la pen-sée (ill .3. ) . Sur cet te même pièce , que po u rra i ts i gn i fier la pr é s en ce d’un crâne posé sur une croi xde Sa i n t - André à l’orée d’une cavern e , si ce n’ e s tla con f ron t a ti on de la pensée avec le néant?

De même,les couleurs ont un sens. La mort esté voquée par les tons de jaune safra n , ro u i lle et

rouge. Le vert et le bleu sont représentatifs de lavie, tout comme dans la nature le vert est la cou-leur des feuilles au printemps et en été, et le bleucelle des reflets du ciel dans l’eau vive ou des ailesdéployées de la mésange. Quant au blanc, il nouss em ble bi en sign i fier la lu m i è re de l’esprit et letri om phe de la pensée sur la mort – celui de lac r é a ti on de l’arti s te dans son combat con tre lamatière.

À leur tour les enfants de Ch a rl e s - Je a nAvisseau puis ses émules tourangeaux avouerontune det te immense vi s - à - vis du po ti er de laRen a i s s a n ce , tandis que la presse généra l i s te ous p é c i a l i s é e , l oc a l e , n a ti on a l e , et intern a ti on a l e

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2. Charles-Jean Avisseau,Surtout de table en forme de rocher, 1860, faïenceémaillée. Signé, dédicacé,daté, monogrammé :Avisseau/pour Madame/deRozière/1860/AV ;H. 0,546 ; D. 0,500 m.(Paris, musée des Artsdécoratifs, inv. 10573).

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3. Charles-Jean Avisseau, Vanité, faïence émaillée. Signé et monogrammé avisseau/AV. H. 0, 135 ; L. 0,245 ; l. 0, 200 m.(Collection particulière).

4. Charles-Jean Avisseau, Grand bassin rustique, faïence émaillée. Signé, localisé et daté Avisseau/à Tours 1854 : AV.H. 0,010 ; L. 0,615 ; l. 0,488. (Tours, musée des Beaux-Arts, inv. 922-601-1).

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pour Edo u a rd Avisseau et Jo s eph Landais, l e sc i tera comme bri llants su iveu rs du « m odern ePalissy».

O utre la com po s a n te rom a n ti qu e , le natu ra-lisme est déterminant dans cet te résu rrecti on dePa l i s s y. L’ en go u em ent pour l’histoi re natu relle estg é n é ra l . Nos céra m i s tes to u ra n geaux sont taxi-derm i s te (Jo s eph Landais), con s erva teu rs dumu s eum de To u rs (les trois Landais), en treti en-n ent des viva rium (les Avisseau et les Ch a uvi gn é ) ,co ll ecti on n ent les animaux dans des boc a u x .P h i l i ppe de Ch en n evi è res décrit en 1 85 3 l ’ a tel i er etle ja rdin attenant des Avi s s e a u : « l ’ i n i m i t a ble cageaux lézard s… d’espèces différen te s , des vert s , de sgri s , des noi rs , des bl eu s… , puis glissant en tretous qu el ques tra n qu i lles co u l euvre s , c a pri c i eu x ,vi fs et fins modèles en robe d’émera u de… Le tro uhu m i de , a breuvoir à gren o u i lles d’où sortent del a r ges herbes verte s… les insectes de s s é ch é s , l e sreptiles dans les boc a u x…»6. Si l’aura du maîtrede la Ren a i s s a n ce , comme nous l’avons dit, con ti-nue d’illu m i n er l’école de To u rs ju s qu’à ses der-n i è res années, les référen ces styl i s ti ques se fon tm oins évi den te s . D é j à , Avisseau n’ é c rivait-il pas :« [ Après 1 84 3] , je con ti nuai pendant plu s i eu rsannées à su ivre les traces du grand maître dans letravail d’ex é c uti on mais abandonnant cet te voi e ,ne con sultant que la natu re viva n te , je m’ a pp l i-quai à saisir le beau côté de ce champ si va s te qu ine se répète ja m a i s» . Avi s s e a u , en reven d i qu a n tun proj et pers on n el , i n d é pen d a n t , s i tué sur unregi s tre qui lui est propre , se po s i ti onne com m eun créateur – il ach è ve sur ses voeux de « p a uvrea rti s te» – qui puise dans l’ob s erva ti on de la natu rel ’ e s s en ti el de son inspira ti on .

Bi en plutôt que de natu ra l i s m e , L é on a rdN . Am i co pr é f è re débattre , dans le catalogue del ’ ex po s i ti on , «de l’histoi re natu relle et de la natu reh i s tori é e» . Nous ven ons d’évoqu er l’interpr é t a-ti on , le déto u rn em ent du natu ralisme aux finsd’une ex pre s s i on rom a n ti qu e . Am i co ava n ce plu-s i eu rs autres ex p l i c a ti ons à cet te distance prise parles céra m i s tes to u ra n geaux vi s - à - vis de la réalitédu mon de viva n t . Ai n s i , à la su i te d’innom bra bl e sa rti s tes pour lesqu els l’univers ne prend sens qu epar l’ex i s ten ce d’un Di eu auteur des mervei ll e squi nous en to u ren t , les Avisseau proj et tent leu rprofond sen ti m ent rel i gi eux au sein de leur vi s i ondu mon de , mais aussi de leur inspira ti on et del eur créati on arti s ti qu e , qu’ils interpr è tent l’une etl ’ a utre comme un don divi n .

L’introduction de spécimens exotiques tels quele conus, coquillage des mers chaudes ou les tor-tues d’importation (ill.4), le goût pour certainese s p è ces ra re s , les animaux en fermés dans de scompositions évoquant les écrins que l’on pou-vait admirer dans les cabinets d’histoire naturelledepuis le xviie siècle, sont autant de renvois à lad é m a rche du co ll ecti on n eu r, à cet te insati a bl ec u ri o s i t é , à cet en go u em ent qui con du i s ent àvo u l oir évoqu er à domicile la natu re dans sonensemble et sous ses multiples aspects.

Cet te soi f d ’ a ppr é h en der la natu re dans satotalité et sa diversité est sans doute à l’origine del’intérêt de nos céra m i s tes pour l’étra n ge , l e« baroque», perceptible au travers des thèmes etdes mises en scène,bassins d’eaux glauques, plan-tes aux formes étra n ge s , animaux chargés desymbolique, troncs tortueux et compliqués, grot-tes et cascades, rochers aux multiples anfractuo-s i t é s . Les em prunts à l’argen terie roc a i lle – parexemple aux pièces du Livre d’ornements de Juste-Aurèle Mei s s on n i er – sont évi den t s . Dans lecontexte de l’ouverture des arts décoratifs à l’exo-ti s m e , L é on a rd N. Am i co décèle une prob a bl ereprise du rocher à la chinoise. Rappelons qu’aus ein de la ch i n oi s eri e , cet te com po s a n te styl i s-ti que du rococo, le roch er, s o uvent repr é s en t édans l’illustration de l’époque, jouit d’une popu-larité remarquable : « Le rapprochement avec lesgrottes rustiques des Tourangeaux est aussi ten-tant et facile que fondé,nous semble-t-il, eu égardà la pers i s t a n ce du goût pour le rococo sous leSecond Empire et à l’époque su iva n te » .Architecturées comme les jardins les plus savants,les com po s i ti ons to u ra n gell e s , v é ri t a bles « c é ra-miques-paysages», semblent évoquer les recons-ti tuti on s , très à la mode , des arra n gem en t sch i n ois ra f finés et facti ce s , et faire allu s i on plu sg é n é ra l em ent à cet art de tracer les ja rdins qu iconsiste à «rassembler les points de vue,la variétéet la solitu de , de manière que l’œil trompé seméprenne »7 (cité par Amico, p. 57). Les œuvresdes céramistes tourangeaux, notamment les grot-tes rustiques (cf. ill. 2), semblent bien s’inscrire,en effet, dans l’engouement de l’époque pour lepaysage de point de vue. Quant à la reproductionde la nature «à la main», à une échelle réduite, –c a ract é ri s ti que des ja rdins ch i n ois dont le go û test importé dans les parcs anglais puis français –,le pri n c i pe , qui a fasciné l’Eu rope occ i den t a l e ,n’en est-il pas repris dans ces mêmes grottes de

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faïence, dans les bassins peut-être, dans les pots àt a b ac et autres serre - l ivres con s ti tués par de srochers ou des souches d’arbres creux ?

Enfin un des aspects spect ac u l a i res du cultepour l’histoi re natu relle et les pays a ges pitto-resques en France, en Angleterre et bientôt dansl’Europe entière tout au long de la seconde moi-tié du x i xe s i è cl e , r é s i de dans l’ef fort généra l i s évisant à faire pénétrer la nature sous ses formesles plus diverses à l’intéri eur des app a rtem en t s ,afin de permettre son incursion et son omnipré-sence dans la vie quotidienne. Certaines théoriesde l’époque stipulent même que la vie sociale nepeut que se tro uver amélior é e , voi re assainie,grâce à ce contact permanent avec la pureté ori-ginelle de la nature. Nous comprenons mieux lesuccès des jardinières en céramique de style rus-tique, des suspensions porte-bouquet et des vaseseux-mêmes con s ti tués de feu i lles produits parnos arti s te s , et qui tro uvent leur place dans lessalons de réception, les salles à manger et les ser-res (ill.5).

Pa rmi les réalisati ons néo-Ren a i s s a n ce , l e sAvisseau père et fils, L é on Bra rd et les deu xChauvigné ont réalisé de nombreuses pièces dansle style de Saint-Porchaire. Parmi les productionsde ce type, qui foisonnèrent en cette époque enti-chée du «style Henri II», les pièces des Avisseaufurent les plus populaires (ill.6).

L’ ecl ectisme de la céra m i que to u ra n gelle estprotéiforme. Il a encore pour nom le néo-byzan-tin, le néo-gothique, le style hispano-mauresque,le rococo, le trom pe-l’œil dans le style duxviiie siècle. Les plats décorés de natures mortesen rel i ef , en majorité des poi s s on s , repr é s en ten tune part très import a n te de la produ cti on deCh a rl e s - Jean et Edo u a rd Avisseau (ill . 7) , d a n sune moi n d re mesu re des Landais (ill .8) et de sChauvigné.Quant à Léon Brard,il est créateur detrom pe - l ’ oeil hyperr é a l i s te s , aux qualités scé-n i ques rem a rqu a bl e s , h a ut s - rel i efs de coqu i ll a-ges, poissons, crustacés ou fruits.

La secon de généra ti on d’arti s te s , cell ed’Edouard et d’Auguste Chauvigné, puis la troi-s i è m e , celle de Ch a uvi gné fils et d’Al ex a n d reL a n d a i s , s’ o uvre à des co u rants con tem pora i n stels que le japonisme ou l’Art nouveau. C’est l’é-poque où la céra m i qu e , ri che des let tres den oblesse acquises gr â ce à l’œuvre pion n i è re deCharles-Jean Avisseau, va être associée à l’archi-tecture, ensembles décoratifs, intérieurs d’églises,

de ch â teaux ou façade s . En To u ra i n e , E do u a rdAvisseau est l’auteur de réalisations intéressantes,pour les ch â teaux de la Croi x - Mon toi re , de laDon n eterie app a rtenant à l’ingénieur et indu s-triel Armand Moisant, et de Chenonceaux alorspropriété de Madame Pelouze.

la fa ï en ce de to u rs (1840 - 1 9 1 0 ) : avi s s e au et le souffle de la rena i s s a n ce 5 1

5. Edouard Avisseau, Vase (d’une paire), faïence émaillée.Signé, localisé, daté et monogrammé : avisseau tours1864/AV. H. 0,400 ; D. 0,245 ; D. 0,250 m. (Tours, muséedes Beaux-Arts, inv. 942-601-1).

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6. Edouard Avisseau, Coupeà couvercle dans le style

de Saint-Porchaire, 1861,faïence émaillée. Signé, daté,

monogrammé en deux endroits :Avisseau fils 1861/AV. H. 0,19 ;

D. 0,13 m. (Tours, musée des Baux-Arts, inv. 862-5-1).

7. Edouard et Caroline Avisseau, Grand plat de poissons, 1861, faïence émaillée. Monogrammé et daté EC/1861.H. 0,010 ; L ; 0,550 ; l. 0,370 m (collection particulière).

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Il est temps de ra ppel er les principales étape sde la fulgura n te ascen s i on de nos To u ra n ge a u x .En 1 84 5, Al ex a n d re Bron gn i a rt acqu i ert pour las a lle Palissy du musée de céra m i que de Sèvres lePlat au bro ch et de Ch a rl e s - Jean Avisseau (ill .9) .En 1 847, celui-ci obti ent une médaille d’hon n eu rà l’ex po s i ti on or ganisée à To u rs à l’occ a s i on de laxve s e s s i on du Con grès scien ti fique de Fra n ce ; l em i n i s t è re de l’In t é ri eur proc u re au céra m i s te unebo u rse pour étu d i er les Palissy des co ll ecti ons del ’ Et a t ; l ’ a rti cle « Un nouveau Bern a rd Pa l i s s y »p a raît dans L’ I ll u s tra ti o n ; un plat est of fert au roide Prusse par la pri n cesse de Ta ll eyra n d ; la pri n-cesse Ma t h i l de com m a n de le Dra ge o i r ( c f . i ll .1) .L’année su iva n te , Lord Norm a n by, a m b a s s adeu rd ’ An gl eterre , acqu i ert une œuvre ; Jo s eph Landaisex pose à Pa ris dans les salons de Su s s e . En 1 849,les deux be a u x - f r è res obti en n ent une men ti onh on ora ble à l’ex po s i ti on nati onale des produ i t sde l’Agri c u l tu re et de l’In du s trie à Pa ri s ; un pre-m i er arti cle paraît dans Le Musée des famill e s su rAvisseau auqu el le ministère accorde une nouvell e

bo u rse et dont la cl i entèle com pte indu s tri el s ,m em bres de la classe po l i ti qu e , de l’ari s toc ra ti el ocale et nati on a l e , l ’ a m b a s s adeur de Tu rqu i eCa ll i m a k i , et s’ é tend à l’An gl eterre . O utre la par-ti c i p a ti on et les récom penses à de nom breu s e sex po s i ti ons en provi n ce , c i tons la Pri ze Med a lobtenue par Avisseau à l’Ex po s i ti on univers elle deLon d res de 1 851. Le céra m i s te re ç oit en 1 852 u n ecom m a n de du ministère de l’In t é ri eu r, tandis qu ele pri n ce - pr é s i den t , Pers i gny et Fould sont sescl i ents pers on n el s . No uvelle com m a n de du minis-t è re en 1 85 3. La notoriété de l’atel i er familial s’ é-tend en Bel gi qu e , en It a l i e , en Pru s s e , en Ru s s i e , etla revue L’ Arti s te proclame en 1 85 4 Ch a rl e s - Je a nAvisseau « a rti s te po ti er » . En 1 85 5, m é d a i lle dedeuxième classe à l’Ex po s i ti on univers elle de Pa ri spour Avisseau et Landais, p lus haute disti n cti onreçue au co u rs de leur carri è re – Avisseau pr é-s en te une pièce ex tra ord i n a i re , Grande cou pe etson ba s s i n , commandée et dessinée par Oct ave -Gu i llaume de Roch ebrune (ill . 1 0) ; le So ut hKen s i n g ton Mu s eum de Lon d res acqu i ert qu a tre

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8. Joseph Landais, Plat de poissons sur piédouche, 1851. Faïence émaillée. Signé, localisé et daté Landais Tours 1851.H. 0,130 ; L. 0,540 ; l. 0,430. (Tours, musée des Beaux-Arts, inv. 981-8-1).

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9. Charles-Jean Avisseau, Plat au broche t, 1843 ?, faïence émaillée. Monogrammé AV. H. 0,080 ; L. 0,640. l. 0,047.(Sèvres, musée national de Céramique, inv. 3525).

10. Charles-Jean Avisseau et Octave-Guillaume

de Rochebrune, Grandecoupe et son bassin, 1855.

Faïence émaillée.Monogrammé,daté, signéen deux endroits AV/1855 ;

Avisseau Exécuté d’après un dessin de

M. de Rochebrune/ExpositionUniverselle 1855/AV.

H. 0,345 ; D. 0,265 m.(Paris, musée d’Orsay,

inv. OAO 871-2)

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œ uvres de Landais. En 1 85 6, Ch a rl e s - Jean estn ommé pr é s i dent hon ora i re de la Société univer-s elle pour l’en co u ra gem ent des Arts et del ’ In du s trie de Lon d re s , ce qui repr é s en te unecon s é c ra ti on pour le créateur dans le con tex te dul a r ge débat en tretenu à l’époque sur les ra pport sen tre l’art et l’indu s tri e . En 1 857 Ma rrya t , gra n dco ll ecti on n eur et spécialiste anglais de Pa l i s s y, é tu-die Avisseau dans son Hi s to i re des poteri e s , f a ï en-ces et po rcel a i n e s. E do u a rd ex pose en provi n ce etre ç oit à son tour les plus hautes disti n cti on s( Le Ma n s , Al en ç on , To u l o u s e ) . Le roi de Su è de etde Norv è ge , O s c a r Ier, com m a n de au père et aufils un su rto ut de tabl e . La revue L’ Art et l’In du s tri econ s ac re à Ch a rl e s - Jean un important arti cle en1 85 8. La mort de l’arti s te en 1 8 6 1 connaît un reten-ti s s em ent dans to ute la pre s s e , en Fra n ce et à l’é-tra n ger. La vi lle de To u rs acqu i ert pour son mu s é edes œuvres des Avisseau père et fils (dont la Cou pec f . i ll . 6) . É do u a rd , qui po u rsuit une bri ll a n te car-ri è re , ex posant en provi n ce et l’Ex po s i ti on uni-vers elle de Lon d res de 1 8 62 où il re ç oit unem é d a i ll e , voit sa cl i entèle s’ é ten d re à de nom b-reux pays d’Eu rope . Les Avisseau sont étudiés parBu rty dans plu s i eu rs arti cles de La Ga zet te desBe a u x - Art s et dans son ouvra ge C h efs - d ’ œ uvre desa rts indu s tri els (1 8 6 6) . Les ra pports des ju rys de sEx po s i ti ons univers elles louent souvent dans unmême arti cl e , la qualité des œuvres du fils et dup è re : Wa ring en 1 8 63, G i ra rd en 1 8 6 8, de Luy n e sen 1 8 71, L i e s vi lle en 1 8 78, pour n’ en citer qu equ el ques uns. À cet te même Ex po s i ti on univer-s elle de 1 8 78, les Ch a uvi gné père et fils sont ad m i scomme ex po s a n t s . À la fin du siècl e , les Avi s s e a u ,les Landais, Bra rd , les Ch a uvi gné sont pr é s en t sdans de nom breux musées et co ll ecti ons priv é e s ,en Fra n ce et à l’étra n ger. En un temps où la céra-m i que française connait un grand ren o uve a u , c ri-ti ques et amateu rs recon n a i s s ent à l’école de To u rsun rôle déterminant dans la naissance de la céra-m i que arti s ti que modern e , et voi ent dans sesrepr é s entants des pr é c u rs eu rs dans bi en de sdom a i n e s .

Une import a n te secti on du catalogue de l’ex po-s i ti on de To u rs est con s acrée aux tech n i qu e s . Àl ’ i s sue des analyses ef fectuées sur les œuvres parles ch erch eu rs et les labora toi res cités plus haut ,des innova ti ons majeu res ont été mises en évi-den ce chez Ch a rl e s - Jean Avi s s e a u : l ’ obten ti on dela co u l eur ro u ge et bru n - ro u ge gr â ce au parco u rscom p l et de l’usage du ch rome avec introdu cti on

de craie et de silice ; la mise au point de gl a ç u re sborac i ques et mixte s ; la su perpo s i ti on de gl a ç u re stra n s p a ren tes cuites à des tem p é ra tu res décroi s-s a n te s ; la gl a ç u re équ i l i brée et stabl e; l ’ a j o ut d’alu-mine à ses pâte s ; l ’ uti l i s a ti on de la solu bi l i t éva ri a ble des gl a ç u res plom bi f è res dans la pâte . Le ss p é c i a l i s tes ont ainsi rem a rqué les similitu de sé ton n a n tes existant en tre les gl a ç u res créées parCh a rl e s - Jean Avisseau et certaines gl a ç u res de laprem i è re moi tié du xxe s i è cl e . Quant à Léon Bra rd ,il ad j oint à ses gl a ç u res stannifères du plomb et dela silice . Une des révélati ons qui illu m i n è rent lestravaux des ch erch eu rs fut le génial talent de co l o-ri s te de Ch a rl e s - Jean Avi s s e a u , s ervi par une vi r-tuosité inégalée ju s qu’ a l ors . Avisseau se joue de sm a ti è re s , de leu rs com bi n a i s ons innom bra bl e s . Ilutilise des en gobes au kaolin, au qu a rtz et aufel d s p a t h , puis les en ri chit de co l ora n t s , d ’ ox yde sm é t a ll i qu e s , d’émail et même de verre pilé po u rl eur fix a ti on sur le te s s on . Les co u l eu rs pren n en ta l ors un aspect go u ach é . Il trava i lle commme unpei n tre lors qu’il su perpose à l’aide de fines to u-ches de pinceau des gl a ç u res dont il modifie lacom po s i ti on en fon cti on de l’ef fet qu’il veut obte-n i r. Quant à ses revers ja s p é s , l ’ a rti s te , tel uni m pre s s i on n i s te abstra i t , s em ble avoir con cen tr édans leu rs tonalités natu rell e s , l eu rs taches et leu rm a ti è re impercepti bl em ent mouva n te s , la qu i n-te s s en ce de ses sen s a ti ons et de ses émoti on s .To utes déco uvertes qui autori s ent à con f i rm era u j o u rd ’ hui les con clu s i ons des con tem pora i n s , às avoir qu e , dans l’histoi re de la faïen ce ,l ’ é t a pe to u-ra n gelle est d’une import a n ce majeu re .

Danielle Oger, conservateur au musée des BeauxArts de Tours

N ote s

1 Il s’ a git des ex po s i ti ons su iva n te s : 1 974, Co l ogn e ,Ha n ovre , D a rm s t ad t , Fra n z ö s i sche Keramik zwi sch en 1 850und 1 9 1 0 ; 1 978-1 97 9, P h i l adel phie et Pa ri s , L’ Art en Fra n cesous le Second Em p i re; 1 9 8 0-1 9 8 1, Pa ri s , Les méti ers d’art ;1 9 8 1-1 9 82, Pa ri s , C é ramique fra n ç a i se co n tem po ra i n e .S ou rces et cou ra n t s ; 1 9 8 0-1 9 82, Musées de la régi onCen tre , La Céramique dans la région Cen tre de l’époq u ega ll o - romaine au xxe s i è cl e ; 1 9 83, Pa ri s , La Na tu re morteet l’objet de Del a croix à Pi c a s so ; 1 9 84-1 9 85, To u rs , Q u a treannées d’en ri ch i s sem ents et re s t a u ra tions récen te s ; 1 9 8 9,Pa ri s , Les Do n a teu rs du Louvre ; 1 9 9 0, Sa i n te s , Ni ort , Agen ,Bern a rd Pa l i s s y, mythe et réalité; 1 9 9 0, To u rs , Tr é sor d’arten Tou ra i n e ; 1 9 9 0, Pa ri s , Sur les pas de Pa l i s s y ; 1 9 9 1, Pa ri s ,Un âge d’or des Arts déco ra ti fs , 1 8 14 - 1 84 8 ; 1 9 9 4, P i t t s bu r gh ,

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The Foll owers of Bern a rd Pa l i s s y : 1 9th Cen tu ry Fren chFa ï en ce from the Ma rs h a ll Katz Coll e cti o n ; 1 9 97, New -O rl e a n s , Grote sq u eri s . Fo rm , Fantasy and Fu n ction in 1 9t hCen tu ry Eu ropean Cera m i cs . The coll e ction of B rookeHay wa rd Du ch i n ; 1 9 9 9, Ka s s el , Ge sch enk und Ge k a u f t .Die Neu erwerbu n gen der St a a l i ch en Mu se en Ka s sel , 1 9 9 5 -1 9 9 9 ; 2 0 0 0, Nogen t - l e - Ro tro u , Fa ï en ces du Perch e .

2 cf. dans la bibliographie les études, ouvrages ou articlesde : B. Mu n d t , E . S ch m i d ber ger et C. Wei n ber ger su rl’Historicisme au xixe siècle ; L.N. Amico et I. Perrin surBernard Palissy et ses continuateurs,M. P. Katz et R. Lehrsur l’école de Palissy ; J. Glénisson,A. Rivière,C.Gendronsur le mythe de Pa l i s s y ; M . Ba s co u , K . B. Hei s i n ger,A . Di on - Ten enbaum sur les arts décora ti fs en Fra n cesous le Second Empire , Y. Bru n h a m m er sur la ren a i s-s a n ce de la céra m i que artisanale en Fra n ce en tre 1 850et 1 9 50 ; H . J. Heu s er sur les co ll ecti ons all em a n des decéramique française ;

3 Comme l’ouvra ge su iva n t , cité en bi bl i ogra ph i e :E . P é l i ch et et M. Du perrex , La céramique art nouve a u ,Lausanne, 1976

4 Le bilan de l’exposition à Tours est de 17000 visiteurs etd ’ envi ron 1 0 0 0 c a t a l ogues ven du s . Du rant cet te mêmepériode, des articles ou des reportages sont parus dansqu o ti d i ens régi onaux et nati onaux (le Fi ga ro) , m a ga z i-nes (Figaro Madame, Le Petit Léonard…), presse spécia-lisée (Jou rnal des Art s , Co n n a i s s a n ce des Art s , L’ objetd’Art…), presse scientifique et technique (revue Technédu Centre de Recherche et de Restauration des muséesde France ; article à paraître dans L’Industrie céramique).Les analyses inédites réalisées par le C2RMF ainsi que lesconclusions tirées sur les procédés innovants de Charles-Jean Avisseau ont fait l’obj et d’une com mu n i c a ti on auGetty Center en 2001.

5 Philippe Le Leyzour, préface…6 P. de Ch en n evi è re s , « No tes de voya ge sur l’état actu el

des arts en Province, première lettre, Tours, MM. Lobin,Avisseau et Guérin », Athenaeum français, 2e année, 1853,p. 22.

7 Cité par Amico, p. 57.

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