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LA FILLE DE JAIRUS. Jésus ayant passé de nouveau à l'autre bord dans la barque , un e grande foule s'assembla près de lui. Et comme il était au bord de la mer, un des chefs de la synagogue, nommé Jaïrus, vint, et l'ayant vu se jeta à ses pieds et le pria instamment en disant : ma petite fille est à l'extrémité; viens, impose -lui les mains afin qu 'elle soit guérie, et elle vivra! Et Jésus s'en alla avec lui ; et il fut suivi d'une grande foule qui le pressait. Comme il parlait encore, il vint des gens de chez le chef de la synagogue qui lui dirent : ta fille est morte, pourquoi inquiètes- tu encore le maître? Jésus entendant cela dit aussitôt au chef de la synagogue : ne crains point, crois seulement. Et il ne permit à personne de l'accompagner, si ce n'est à Pierre, à Jacques et à Jean frère de Jacques. Arrivé à la maison du chef de la synagogue, il trouva du tumulte, et des personnes qui pleu- raient et criaient beaucoup. Il entra et leur dit : pourquoi faites- vous du bruit et pourquoi pleurez-vous? cette petite fille n'est pas morte : elle dort. Et ils se moquaient de lui. Alors les faisant tous sortir, il prit avec lui le père et la mère de la jeune fille, et ceux qui I'accom- pagnaicn t, et il entra dans le lieu où elle était couchée. Et lui pre- nant la main il lui dit : Talitha Coumi , ce qui signifie : jeune

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LA FILLE DE JAIRUS.

Jésus ayant passé de nouveau à l'autre bord dans la barque , une grande foule s'assembla près de lui. Et comme il était au bord de la mer, un des chefs de la synagogue, nommé Jaïrus, vint, et l'ayant vu se jeta à ses pieds et le pria instamment en disant : ma petite fille est à l'extrémité; viens, impose-lui les mains afin qu'elle soit guérie, et elle vivra!

Et Jésus s'en alla avec lui ; et il fut suivi d'une grande foule qui le pressait.

Comme il parlait encore, il vint des gens de chez le chef de la synagogue qui lui dirent : ta fille est morte, pourquoi inquiètes­tu encore le maître? Jésus entendant cela dit aussitôt au chef de la synagogue : ne crains point, crois seulement.

Et il ne permit à personne de l'accompagner, si ce n'est à Pierre, à Jacques et à Jean frère de Jacques. Arrivé à la maison du chef de la synagogue, il trouva du tumulte, et des personnes qui pleu­raient et criaient beaucoup. Il entra et leur dit : pourquoi faites­vous du bruit et pourquoi pleurez-vous? cette petite fille n'est pas morte : elle dort.

Et ils se moquaient de lui. Alors les faisant tous sortir, il prit avec lui le père et la mère de la jeune fille, et ceux qui I'accom­pagnaicn t, et il entra dans le lieu où elle était couchée. Et lui pre­nant la main il lui dit : Talitha Coumi , ce qui signifie : jeune

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LA FILLE DE JAIRU .

fille, je te le dis, lève-loi! Au itôt la jei:ne fille c leva et e mit à marcher, car elle avait douze ans. Il furent Lou dans un grand ravi ement. Et il leur recommanda beaucoup que personne ne

le sllt, et il dit qa'on donndt à manger a la jeun fille . ( [ RC 1 Y 1 21 • 2}, 35 43.)

L'évangile nous parle de trois personnes qui ont été rappelées à la vie par le au \'eur pendant son mi­ni Lère : Lazare , le fils de la veuve de aïn , et la fille de Ja"irus. Chacune de ces trois ré urrections a son caractère propre, et donne lieu à de applications spéciales. J'ai déjà eu l'occa ion d'étudier avec vous les deux première ; je voudrais aujourd'hui appe­ler volre attention sur la troisième, qui n'est pas moins remarquable que le autre ni moins alulaire à méditer. l..es sujets qui se rapportent à la mort et à la résurrection sont con tamment à l'ordre du jour dans la chaire chrétienne : à quelque moment que nou les abordions pour en tirer de exhortations et des con olations, nous sommes a surés de rencontrer parmi nos auditeurs bien des cœurs qui en ont be­soin.

L'évangéliste nous parle d'un chef de la synago­gue, nommé Jaïrus, qui vint e jeter aux pieds de Jésu eL le pria in tamment en di ant : « ma petite fillee t à l'extrémité; viens lui imposer les mains pour qu'elle guéris~e, et elle vivra. » Dans le récit paral­lèle de saint Mathieu , le père dit au auveur : « ma fille est morte. • C'e t là une de ce légères diver­gences qui se renconlrent fréquemment dans l'évan­gile entre les différents récit d'un même fait; qui

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ne sont pas des contradictions , et qui témoignent d'une rédaction indépendante pour chaque écrivain. Dans la circonstance actuelle , on peut supposer que Jaïrus dut s'exprimer à peu près ainsi : « ma fille est à l'extrémité : il est probable qu'elle est déjà morte à l'heure où je parle; viens, je te prie, lui imposer les mains : guéris-la si elle vit encore , rends-lui la

· vie si elle est morte . .,, Chacun des évangélistes s'est attaché à une partie des paroles réellement pronon­cées par le père ; et leurs deux récits rapprochés nous donnent une idée complète de la scène qu'ils racontent. Les différences de cette nature, bien loin de porter atteinte à la vérité des récits évangéliques, -en sont au contraire une précieuse confirmation, par cela mème qu'elles éloignent toute idée d'un accord .prémédité entre les écrivains.

Pendant que le sauveur se rendait à la maison de Jaïrus en réponse à sa prière·, il accomplit un autre miracle sm une femme malade depuis douze ans, .qui recouvra instantanément la santé en touchant le bord de son vêtement. A ce moment il vint des gens du chef de la synagogue qui lui dirent que sa fille était morte, et qu'il était inutile de fatiguer davan­tage le Maître. Quelque confiance . qu'ils eussent en la puissance de Jésus pour guérir les maladies , ils ' ne lui supposaient pas le pouvoir de rappeler la vie dans le corps qu'elle avait quitté; à leurs yeux la mort était l'anéantissement de toute espérance, et la limite infranchissable assignée au pouvoir de l'homme. Mais ce qui était impossible en effet pour tl'homme

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ne l'était pas pour Jésus ; et sans se laisser troubler par cette nouvelle , il exhorte le malheureux père à la conCiance, il lui indique '. le secret de la victoire sur la mort même en lui ad ressant ces simples mots: « ne crains point, crois seulement. » Par la foi, la mort n'est plus à craindre , ni pour nous-mêmes, ni pour nos enfants. Par la foi nous pouvons défier «le roi des épouvantements» et lui dire, comme un triom­phateur qui insulte à. un ennemi vaincu : « ô mort, où est ton aiguillon? » Par la foi les terreurs du sé- • pulcre font place à la joie de la délivrance éternelle, et nous dison avec David : « même quand je mar­cherai par la. vallée de l'ombre de la mort, je ne craindrai aucun mal : car tu es avec moi ! » Par la foi nous pouvons contempler sans amertume la cou ­che funèbre où repose l'enfant qui faisait naguère notre joie ; car nous savons que « ceux qui dorment en Jésus, Dieu les ramènera avec lui. » Par la. foi Jaïrus pouvait avoir le cœur en paix au sujet de sa fille bien-aimée, au moment même où il appre­nait sa mort; car sa fille était entre les mains de Jé­sus , et Jésus est le vainqueur de la mort. Il est pro­bable que la foi de Jaïrus avait été faible jusqu'à ce moment; il en élait encore aux commencements de la vie chrélienne; mais cette épreuve même devait servir à le faire croitre dans la foi. La conduite du sauveur dans cette occasion est une image de ses dis­pensations envers les âmes qu'il veut attirer à lui. Lorsque le pécheur est sur le point d'être amené à une conversion complète , c'est alors bien souvent

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que sa foi est exposée à des secousses qui semblent devoir la renverser et l'anéantir , à juger selon les vues humaines. Mais Jésus est là pour soutenir l'âme, pour surmonter ses doutes et ses craintes , pour for­tifier son espérance qui ·chancelle , et c'est à ce mo­ment même qu'il va lui révéler entièrement la puis­sance el ' la bonté de Dieu. Rappelons-nous cette exhortation du sauveur à l'heure de l'épreuve; et quel que soit le chemin où il trouve bon de nous faire passer , fussions-nous en présence de la mort même pour nous ou pour ceux que nous aimons, en­tendons alors la voix de Jésus qui dit à notre cœur : " ne crains point, crois seulement! »

Jésus dans cette occasion ne permit à personne de l'accompagner, si ce n'est à Pierre, à Jacques et à .Jean , trois apôtres qu'il semble avoir mis à part pour être Jes témoins des actes les plus solennels de son ministère, et qui sont comme les représentants de l'église chrétienne. Plus tard, au moment d'ac­complir le miracle , il fit sortir tous les assistants, à l'exception du père et de la mère et de ces trois apô­tres. Il n'admet auprès de lui dans ce moment so­lennel que ceux qui étaient préparés , par leurs dis­positions morales , à recueillir le fruit spirituel du miracle; il écarte ceux qui n'y auraient vu qu'un objet de curiosité. C'est ainsi qu·e le Seigneur cache ses mystères les plus sacrés à ceux qui se détournent de lui ; mais il les révèle à ceux qui le suivent , pour leur affermissement dans la foi. «Le secret de l'Eternel est pour ceux qui le craignent, » nous dit le

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psalmiste , « et son alliance leur donne la connais­sance 1 ». C'est dans le même esprit que Jésus, après avoir accompli le miracle, défendit à ceux qui étaient présents de le divulguer : il les engageait ainsi à conserver au dedans d'eux-mêmes les impressions qu'ils avaient reçues, et à les méditer devant Dieu au lieu de les dissiper au dehors. C'est dans la re­traite et le silence qu'on sent le plus efficacement la présence du Seigneur ; c'est dans la méditation soli­taire que se développe en nous la vie spirituelle, et qu'elle jette dans notre cœur ses racines les plus profondes. II faut apprendre à garder le secret sur les grâces qui nous sont accordées dans l'intimité du sauveur; le plus souvent on ne les divulgue pas sans danger.

« Quand il fut arrivé à la maison du chef de la synagogue , Jésus y trouva du tumulte et des per­sonnes qui criaient et pleuraient beaucoup, » selon l'usage de l'Orient ; «et étant entré il leur dit : pour­quoi faites-vous du bruit et pourquoi pleurez-vous ? cette petite fille n'est pas morte: elle dort. >> te calme de Jésus fait un contraste frappant avec la douleur bruyante et agitée des personnes qui l'entouraient. Ce calme, qui se retrouve dans tous les miracles de Christ, est le signe de la puissance et de la gran­deur. Les grands hommes sont toujours calmes, parce qu'ils sont maîtres d'eux-mêmes et qu'ils domi­nent les événements; l'agitation est un symptôme de

1 Ps. XXV, H.

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faiblesse. Ainsi dans la nature les forces les plus puissantes sont les moins apparentes, et celles qui font le moins de bruit. L'éclair éblouit nos yeux , le tonnerre étourdit nos oreilles: et les hommes, qui s'arrêtent à l'apparence, appellent ces phénomènes les grandes forces de la nature ; tandis que la lu­mière, qui arrive chaque matin sans secousse et sans bruit, et qui par son influence douce mais irré­sistible transforme la face de la terre, la lumière possède en réalité une puissance infiniment plus grande que la foudre. Telle est la puissance de Christ. Elle reste toujours calme et paisible ; et celte sérénité sublime , qu'il conserve au milieu de toutes les agitations humaines, est une preuve admirable que «jamais homme n'a parlé comme cet homme, »

ni agi comme lui. 11 Cette petite fille n'est pas morte : » Jésus décla­

rait ainsi que la vraie mort n'est pas celle que les hommes appellent de ce nom. Celui qui est mort dans le vrai sens du mot, ce n'est pas celui dont l'âme a quitté son enveloppe charnelle : c'est celui qui est éloigné de Dieu par ses dispositions morales. "La fem me qui vit dans les plaisirs est morte en vivant, » dit l'apôtre ; l'homme qui ne vil que pour ce monde est mort au jugement de Dieu. Mais le fidèle qui a remis son âme entre les mains du sau­veur n'est pas mort ; et l'enfant qui a été retiré de ce monde avant l'âge de raison n'est pas mort: « il dort, • nous dit Jésus : c'est le nom chrétien de la mort. Il est entré dans un état de repos et de sécurité

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auquel doit succéder une vie nouvelle , de même que le réveil succède au sommeil. La mort, aux yeux de la foi, c'est un sommeil. Il semble que Dieu ait voulu nous donner comme un symbole visible de cette grande vérité, dans le calme qui se répand sou­vent sur les traits du malade au moment où il vient d'expirer. Souvent, pendant la première heure qui suit la mort d'un homme pieux , sa figure se revêt d'une beauté idéale qu'il n'eut jamais pendant sa vie , et qui frappe d'admiration ceux qui l'appro­chent. Pour lui le combat douloureux a cessé , les inquiètes préoccupations de la vie ont pris fin ; le fidèle vient d'entrer dans son repos , et son visage porte l'empreinte et le reflet du sabbat éternel. On dirait que l'âme n'a pas encore complétement aban­donné son domicile terrestre, et qu'heureuse d'avoir achevé son combat , elle répand sa paix et sa félicité sur ces mêmes traits qui naguère exprimaient la fatigue et la douleur ; on croit l'entendre, au mo­ment de quitter le corps qu'elle animait, chanter un doux et paisible cantique du soir, dont les derniers accents s'unissent déjà aux notes triomphantes du cantique éternel des bienheureux.

Mais parmi ceux qui entouraient en ce moment le lit de mort, la plupart étaient étrangers à ces gran­des pensées ; et en écoutant la parole calme et con­fiante du sa_u veur, « ils se moquaient de lui. » Aussi Jésus les fü-il sorLir. Ce n'était pas avec de telles dis­positions qu'on devait rester dans cette chambre sainte, et assister à cette manifestation sublime de

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la puissance de Christ. Il ne garda auprès de lui que ses trois disciples de prédilection, avec le père et la mère. Il est plus facile d'imaginer que d'exprimer ce qui dut se passer à ce moment dans le cœur de ce père et de cette mère, alors qu'ils se tenaient pen­chés sur la couche funèbre de leur enfant, dans l'at­tente anxieuse et solennelle de ce que Jésus allait accomplir. Qu'adviendra+il de ce corps tant aimé, naguère plein de vie et brillant des couleurs de la santé, maintenant pâle et glacé? Le sépulcre va-L-il rendre sa prnie à la voix de Jésus-Christ? auront-ils l'inexprimable joie de revoir le sourire de leur en­fant et de recommencer la vie avec elle? ou bien l'es­p~rance qu'ils ont conçue un moment n'aura-t-elle servi qu'à rendre leur douleur plus amère et plus profonde? Cette situation , la plus poignante qui se puisse imaginer pour un père et pour une mère, ne dura pas longtemps. Jésus prit la main de l'enfant , cette main inerte et froide que nulle puissance ter­restre ne pouvait ranimer , et dit ces simples mots : « Talitha Coumi, jeune fille, lève-toi! » Ces paroles nous ont été conservées dans la langue même où elles ont été prononcées 1

: c'est là une preuve de l'im­pression profonde qu'en reçurent ceux qui les en­tendirent, et un indice précieux de la vérité du récit. A ces seuls mots, à cette voix calme et puissante , <c la jeune fille se leva et se mit à marcher : elle était âgée de douze ans , » ajoute l'évangéliste. Es-

1 L'araméen. f9

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sayez, mes frères , de vous représenter ce que dut être une telle scène pour ceux qui en furent témoins, et smtout pour le père et la mère; quant à moi, je renonce à la décrire, je sens trop que toutes les pa­roles ne pourraient qu'en affaiblir l'impression dans vos esprits et dans vos cœurs: Pères et mères qui savez par expérience ce qu'est la douleur de perdre un enfant, rappelez-vous ce que vous avez éprouvé dans ces moments-là; revenez par la pensée dans cette chambre de mort, auprès de cette couche funè­bre, à cette heure inexprimablement douloureuse où vous avez vu l'enfant, après avoir lutté contre la ma­ladie, exhaler enfin son dernier souffle et devenir in­sensibie à tous les témoignages de votre affection ~ représentez-vous ce que vous auriez éprouvé si à ce moment-là vous aviez pu , comme ce père et cette mère, courir à Jésus, l'amener auprès du lit de mort, et obtenir de lui , par vos larmes et par vos prières, qu'il rendît la vie à votre enfant bien-aimé! n'est-il pas vrai que vous portez secrètement envie à ces pa­rents-là, et que vous vous estimeriez mille fois heureux si pouviez être à leur place? Et pourtant , pères el mères, si vous êtes chrétiens, si vous croyez à la parole de Jésus , vous n'avez rien à regretter : celte grâce merveilleuse que le Seigneur accorda aux pa­rents de celte jeune enfant, il vous l'offre à vous aussi., que dis-je? il vous offre une grâce plus excel­lente encore : car si la fille de Jaïrus était rendue à ses parents, ce n'était que pour un peu de temps, et

· Je jour devait bienlôt revenir où ils seraient séparés.

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d'elle par la mort : tandis que Jésus veut vous ren­dre votre enfant à vous aussi, mais pour une réunion èternelle. Si la fille de Jaïrus était rendue à la vie terrestre, elle était par là même exposée de nouveau

· à tous les dangers et aux tentations de cette vie : tandis que ce petit enfant que le Seigneur a voulu retirer avant qu'il connût le combat de la vie , est mis pour toujours à l'abri du péché et de la per­dition. Il n'est pas mort, mais il dort en attendant le réveil de la résurrection ; il est recueilli dans le repos réservé au peuple de Dieu ; à présent même , dans l'instant où je vous parle, il est avec Jésus dans le paradis, il vous donne là-haut un bienheureux rendez-vous, il vous attir.e puissamment vers les lieux célestes, et vous pouvez dire comme David : « il ne viendra plus vers moi, mais j'irai vers lui! » J)'où vient, mes frères , que ces consolations, si excellen­tes en elles-mêmes, nous consolent en réalité si peu dans nos deuils? comment se fait-il qu'au lieu de nous réjouir dans l'assurance que nos enfants sont entrés en possession de la félicité éternelle, nous nous surprenions souvent à pleurer sur leur départ comme ceux qui sont en espérance? hélas! c'est que nous sommes des gens de petite foi! Rappelons-nous lapa­role de Christ à Ja'irus : ne crains point, crois seule­ment. Croyons seulement aux promesses de Jésus­Christ , et l'histoire de Ja"irus et de sa fille pourra s'appliquer à nous et à nos enfants; et nous serons aussi assurés de les retrouver un jour que s'ils nous. étaient rendus dès aujourd'hui.

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Après avoir rappelé cette enfant à la vie , Jésus ordonna qu'on lui donnât à manger. Ce détail, qui peut sembler d'abord minime et insignifiant , est en réalité profondément touchant et instructif. Le sau­veur donnait ainsi la preuve que le rétablissement de l'enfant était complet, et qu'elle ne devait plus être trailée en malade; cet ordre dut mettre le com­ble à la joie des parents, et bannir de leurs cœurs tout reste d'inquiétude. On peut encore conclure de cette circonstance, que Jésus ne fait jamais de miracle inutile: il arrête le déploiement de sa puissance di­vine à la limite précise où les moyens humains peu­vent suffire. Pour rendre la vie à l'enfant mort il fal­lait l'in terven Lion de la toute-puissance ; mais pour conserver la vie qui avait été rendue il suffisait des moyens ordinaires, et Jésus veut qu'on les emploie. C'est ainsi qu'après avoir fait sortir Lazare du tom­beau par sa parole toute-puissante, il ordonne aux assistants de le dégager des liens qui l'enveloppaient, au lieu de faire tomber ces liens par cette même pa­role. Cette économie de la puissance divine, si je puis m'exprimer ainsi, est un caractère frappant qui se retrouve dans tous les miracles de l'évangile , et qui les distingue des faux miracles. Enfin, dans cette attention de Jésus à faire manger l'enfant se révèle une tendre sollicitude, qui est peut-être le trait le plus aimable et le plus touchant de cette admirable histoire. Après cet ordre souverain : « jeune fille , lève-toi ! » on aime à trouver au second plan l'ordre tout maternel de lui donner à manger : ces deux pa-

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roles se complètent mutuellement, et la seconde ne cède en rien à la première. Leur rapprochement in­dique la présence de celui qui étend sa sollicitude aux plus petites choses comme aux plus grandes, qui donne la vie et qui la conserve à toutes ses créatu­res sans exception , qui gouverne les mille millions de l'année céleste, et qui nourrit les passereaux.

Je voudrais en terminant appeler votre attention sur une grave leçon qui sort de cette histoire, et dont je n'ai rien dit encore : é'est que la mort ne connaît point d'âge, et qu'à toutes les époques de la vie il est nécessaire de s'y préparer. Quand la mort visita la maison de Jaïrus, elle tomba sur une petite fille de douze ans : quel sérieux avertissement pour les en­fants de tous les âges! Cette expérience, vous le savez, se renouvelle tous les jours : tous les jours nous voyons mourir non-seulement des vieillards et. des adultes, mais des jeunes gens et des enfants. Dimanche dernier j'ai été appelé à présider deux convois funèbres : le premier concernait une petite fille de vingt mois, le second un jeune garçon de treize ans. Tout récemment j'ai appris la mort dans ma pro­pre famille d'un jeune homme de dix-huit ans, qui jusqu'à sa courte et dernière maladie avait joui tou­jours de la plus robuste santé. Vous le voyez, jeunes enfants qui m'écoutez, votre âge ni votre santé ne sont point des garanties contre la mort, et même les moins avancés dans la vie ont besoin de s'y préparer. Il faut être en état de mourir ,en paix , mes chers.

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enfants, si Dieu vous rappelait de ce monde; et pour mourir en paix, n'eussiez-vous que douze ans comme la fille de Jaïrus, ou moins encore , pourvu que vous . soyez en âge de suivre les instructions de l'école du dimanche, pour mourir en paix il n'est qu'un seul moyen, qu'on vous enseigne chaque dimanche d'a­près l'évangile ;. c'est de donner votre cœur à Christ, ce bon sauveur , qui est mort sur la croix pour vos péchés. Ce que je dis à l'enfant, je le dis au jeune homme, je le dis à chacun quel que soit son âge. N'est-ce pas une chose étrange , mes frères, quand on voit tous les jours la mort visiter toutes les mai­sons indistinctement, et frapper dans tous les rangs de la société comme à toutes les époques de la vie; quand les vivants la rencontrent constamment sur leur chemin avec son 1L1gubre appareil, n'est-il pas étrange que la préparation à la mort tienne si peu de place dans les préoccupations habituelles des hom­mes~ Mais j'ai tort de parler, selon le langage vul­gaire , de préparation à la mort. Ce n'est pas à la mort qu'il s'agit de nous préparer , mais bien à ce qui vient après, à la rencontre de notre Dieu et aux scènes de l'éternité. La mort en soi-même n'est rien: c'est une simple transition à une autre existence , qui est définitive et éternelle. C'est pour l'éternité qu'il faut nous préparer, et pour cela ce n'est pas la mort qui nous importe, c'est la vie. Il s'en faut bien que la parole de Dieu attache au moment de la mort ~a même importance que nous y attachons générale­ment. On résume tout dans la dernière heure, on s'i-

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magine que c'est celte heure-là qui donne son carac­tère à la vie éternelle ; on se représente le lit de mort sous un . aspect ou triomphant ou effrayant , et l'on fait dépendre le sorL éternel de l'âme de cet aspect du lit de mort. Ces idées trop répandues , non-seule­ment dans le monde, mais dans. l'église et dans les prédications , ne répondent pas à la réalité des cho­ses. Les morts saillantes et tranchées, dans un sens ou dans l'autre, sont des exceptions. Pendant le cours de mon ministère, j'ai bien vu quelquefois des morts, sinon triomphantes, 'u moins heureuses , et dans lesquelles le malade rendait clairement témoi­gnage de la foi qui le soutenaiL; mais je n'ai jamais vu de morts effrayantes dans le sens qu'on attache ordinairement à ce mot; je n'ai jamais rencontré un seul mourant, même par'mi les incrédules, qui se montrât agité par les terreurs de l'enfer. Il y a de pareils exemples, je le sais; mais ce sont des ex­ceptions, et je n'en ai point rencontré encore. Dans la grande généralité des cas, les morts sont ternes et sans caractère. Ce qui domine en général chez le mourant, ·c'est la prostration physique et morale : il ne lui reste plus même la force de s'inquiéter de son. âme et de travailler sérieusement à son salut, S'il a vécu étranger à cet ordre de pensées. Un tel état est en réalité tout ce qu'il y a de plus triste et de plus effrayant. Si le malade manifestait des doutes ou des craintes, on pourrait les combattre et essayer de l'a­piener à la paix qui est en Christ : mais que faire en présence de la prostration et de l'inertie? qu'op-

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poser à cet assentiment vague et superficiel , qui ne vient pas de l'expérience intime? et comment s'assu-

. rer si un tel mourant est en état de se présenter de­vant Dieu, quand il a derrière lui une vie d'incré­dulité ou d'indifférence? Ce n'est donr. pas la mort qui nous prépare à l'éternité , c'est la vie. Pour être en état d'aller à la rencontre de votre Dieu , ne pen­sez pas qu'il vous suffise de passer une heure avec un pasteur avant de mourir, ou de balbutier d'une voix. expirante quelques prières sans énergie et sans amour; le vrai champ de bataille où vous devez rem­porter la victoire sur la mort, c'est la vie active. Mou­rir est chose facile, et tous savent s'en tirer; la chose difficile , c'est de vivre. Le lieu solennel et redouta­ble , ce n'est pas la chambre de mort , ce sont les endroits où se déploie la vie la plus active et la plus bruyante : c'est la place publique, c'est le comptoir du négociant, c'est l'atelier de l'artisan, c'est le cer­cle de famille ou d'amis , c'est la salle de bal ou de théâtre, ce sont toutes les scènes variées où se meut l'activité humaine dans les affaires ou dans les plai­sirs : c'est là que se livre la bataille sérieuse et déci­sive, là qu'on gagne ou qu'on laisse échapper la vic­toire, là qu'on sauve ou qu'on perd son âme pour l'éternité. La plupart s'imaginent qu'ils peuvent par­tager leur être moral , et qu'après avoir donné leur vie au monde, rien ne sera plus facile que de donner leur mort à Dieu : illusion funeste , et qui plonge dans la perdition des multitudes d'âmes immortelles~ Telle qu'est la vie aujourd'hui, telle sera la mort de-

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main. Sans doute il y a quelques exceptions à la loi générale : quelques-uns , comme le brigand sur la croix, sont convertis à la dernière heure; aussi long­temps qu'il reste au malade un souffle de vie, il est encore permis d'espérer qu'il donnera son cœur à Christ; et si je parlais auprès d'un lit de mort, je ne saurais trop insister sur cette bienheureuse espérance. Mais ce n'est pas à des mourants que je prêche, c'est à des vivants, à des bien portants; et je suis obligé de vous dire que ces conversions de la dernière heure sont de rares exceptions, et qu'il y aurait de votre part la plus insigne folie à compter sur un tel phé­nomène pour votre salut. Pour l'immense majorité des hommes, la mort est telle qu'a été la vie. Et la vie elle-même se compose d'une succession non inter­rompue de dispositions, qui se préparent et s'engen­drent l'une l'autre. Dans l'ordre moral comme dans la nature physique nous moissonnons ce que nous avons semé , et chaque période de notre vie donne le ton à la suivante. Notre enfance influe sur notre jeunesse, notre jeunesse sur notre âge mûr , notre âge mûr sur notre vieillesse. Ainsi les dispositiol'ls que nous aurons à l'heure de la mort , et que nous apporte­rons dans l'éternité, sont le résultat de notre vie tout entière ; et la préparation pour la vie éternelle est une affaire de tous les instants. Il en est des biens du ciel comme de ceux de la terre. Quel est le bon négociant , celui qui est assuré de faire fortune ? ce n'est pas celui qui attend en sa faveur quelque coup du sort pour s'enrichir subitement et sans travail : de

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pareils exemples peuvent se rencontrer de loin en loin, mais celui-là serait insensé qui ferait dépendre

· .sa fortune d'un de ces jeux du hasard. Le bon négo­ciant, c'est celui qui ne donne rien au hasard , qui met à profit toutes les occasions grandes ou petites , à mesure qu'elles se présentent, pour faire valoir son capital et l'accroître. De même si vous voulez obtenir 1e trésor de la vie éternelle, il_ faut y penser sans cesse; faire tout concourir à ce but suprême, mettre à pro­fit tous les moyens de grâce , ne laisser échapper aucune occasion de travailler à votre salut. Aujour­d'hui même une de ces occasions se présente à vous, un de ces moyens de gràce vous est offert par la bonté de Dieu : puissiez-vous en profiter 1 prenez garde à la manière dont vous écoulez cet appel sérieux qui vous est adressé aujourd'hui par l'évangile et par Jésus-Christ lui-même; votre disposition dans ce mo- ' ment influera nécessairement ~ur vos dispositions à ve-nir; celle heure passée dans la maison de Dieu aura son retentissement inévitable à l'heure de votre mort, et jusque dans l'éternité. 0 mes chers amis, n'ou-blions pas que le temps est court, que notre vie s'en-fuit, et que cette vie si courte et si rapide prépare incessamment notre avenir éternel ! Apprenons à « tellement compter nos jours que nous acquérions des cœnrs sages ! » comme des serviteurs et des servan-tes fidèles, veillons dans l'attente du Maître divin, et préparons-nous de jour en jour pour sa venue : car il a dit : << certainement je viens bientôt! » Amen.

Août 1860.