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La fondation de l'Ile Saint- Geniès (Xie _ XIIIe siècles) La situation de Martigues au Moyen Age, partagée en trois villes : l'Ile, Ferrières et Jonquières est assez comp lexe et il est intéressant de remonler aux origines de ]a formation de ces agglo- mérations. Aucun travail sérieux n'a été entrepris jusq u'à présent sur l'histoire médiévale de Martigues, hormis le diplôme de Mllt! Jouglas SUI' la vie économique el sociale dans la seigneurie ùe Saint-Geniès au bas Moyen Age '. Au début du XIV' siècle, la situation des populations groupées a utour de l'étang de Caron te est à peu près cons tituée dans ses éléments essentiels telle qu'elle nous apparaît a uj ourd'hui : une agglomération urbaine en trois quartiers qui forment alors des communautés indépendantes. L'ile du pont Saint-Geniès est déjà la communauté la plus nombreuse 2, mais d'étroite superficie. limitée à la partie insulaire entre les étangs de Martigues et de Caron te, et unie aux deux rivages par des ponts. Les canaux qui font communi- quer les deux étangs sont encombrés par des bourdigues de pêche, au suù la bOUJ'diguc du roi cl au nord les bourdigues ùc l'arche- vêque d'Arles. La communauté jouit cependant de certa ins droits d·usage s ur un tenoir appe « Contrast > dépendant autrefois de Châteauneuf-lès-Mar tigues et dont ta possession et la juridiction, d'après les procès de l'époque, sont encore revendiqu ées par les Baux, seigneurs de Châteauneuf. Au sud de l'lie se trouve la seigneurie de Saint-Geniès qui pos- sède un vaste terroir limité par celui de Châteauneuf (et le Contrast), la mer et les étangs de Caron te et de Berre. La plus ancienne et la 1. J. Jouglas, La vie rurale dans le village de Jonquières (1300-1420), dans Provence Historique, 1958, fase. 31, p. 9-33. 2. En 1305, à propos d'un procès sur les droits d'usage du Contrast, sont établies deux listes d'hommes de Saint-Oenlès et de l'Ile; cene de l'Ile comprend 124 noms, celle de Salnt-Oeniès 45. (Arch . dép. des B.-du-Rh., B 1089.)

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La fondation de l'Ile Saint- Geniès (Xie _ XIIIe siècles)

La situation de Martigues au Moyen Age, partagée en trois villes : l'Ile, Ferrières et Jonquières est assez complexe et il est intéressant de remonler aux origines de ]a formation de ces agglo­mérations. Aucun travail sérieux n'a été entrepris jusq u'à présent sur l'histoire médiévale de Martigues, hormis le diplôme de Mllt! Jouglas SUI' la vie économique el sociale dans la seigneurie ùe Saint-Geniès au bas Moyen Age '.

Au début du XIV' siècle, la situation des populations groupées autour de l'étang de Caron te est à peu près cons tituée da ns ses éléments essentiels telle qu'elle nous apparaît aujourd'hui : une agglomération urbaine en trois quartiers qui forment a lors des communautés indépendantes. L'ile du pont Saint-Geniès es t déjà la communauté la plus nombreuse 2, mais d'étroite superficie. limitée à la partie insulaire entre les étangs de Martigues et de Caron te, et unie aux deux rivages par des ponts. Les canaux qui font communi­quer les deux étangs sont encombrés par des bourdigues de pêche, au suù la bOUJ'diguc du roi cl au nord les bourdigues ùc l'arche­vêque d'Arles. La communauté jouit cependant de certa ins droits d·usage sur un tenoir appelé « Contrast > dépendant autrefois de Châteauneuf-lès-Mar tigues et dont ta possession et la juridiction, d'après les procès de l'époque, sont encore revendiqu ées par les Baux, seigneurs de Châteauneuf.

Au sud de l'lie se trouve la seigneurie de Saint-Geniès qui pos­sède un vaste terroir limité par celui de Châteauneuf (et le Contrast), la mer et les étangs de Caron te et de Berre. La plus ancienne et la

1. J. Jouglas, La vie rurale dans le village de Jonquières (1300-1420), dans Provence Historique, 1958, fase. 31, p. 9-33.

2. En 1305, à propos d'un procès sur les droits d'usage du Contrast, sont établies deux listes d'hommes de Saint-Oenlès et de l'Ile; cene de l'Ile comprend 124 noms, celle de Salnt-Oeniès 45. (Arch. dép. des B.-du-Rh., B 1089.)

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plus importante agglomération de cette seigneurie, le cas /rum dit de Saint-Geniès se trouve sur une ligne de collines parallèles à la rive de l'étang de Caron te.

En face de l'île et en deçà du pont se sont développés deux hameaux appelés J onquières et Maneguete, probablement assez proches l'un de l'autre, enfin sur la mer se trouve le hameau de pêcheurs de La Couronne, près du cap du même nom. La juridiction sur cette seignenrie appartient au prieur de Saint-Geniès de l'abbaye Saint-Pierre-de-Montmajour, sauf les droits comtaux et la justice de sang qni r elèvent de la cour royale d'Aix. En 1308, d'après un registre de reconnaissances envers le prieur, il y a 133 maisons censitaires à Saint-Geniès, 62 à Jonquières, 50 à Maneguete et 23 à La Couronne, ce qni donne nne idée approximative de l'importa nce de ces agglomérations. .

An-delà du pont, an nord de l'ile, dn côté d'Istres, se trouve une ville neuve appelée Ferrières dont la juridiction appartient à l'archevêque d'Arles, sauf un cens annuel de 12 deniers par reu laïque à payer à la cour d'Aix. Cette imposition permet d'ailleurs de mesurer la croissance extrêlnement rapide de cette vi lle durant la première moitié du XIV' siècle : elle passe de 25 feux réels en 1310 à 173 en 1344 '. L'archevêque d'Arles possède l'entière seigneurie de Castelveyre (auj ourd'hui Saint-Blaise) et de Saint­Mitre, sur le terroir duquel a été bâtie Ferrières. Il est également seignem de Fos dont il partage la juridiction avec Bertrand Porcellet et les descendants de Rostang de F os. Le terroir de Fos s'étend en elTet jusqu'à l'étang de Caronte et notammen t à l'endroit oit se trouve actuellement la commune de Por t-de-Bouc. Le port et l'église Sainte­Marie de Bouc mentionnés dans des textes de l'époque semblent se trouver sur ce terroir, au nord de l'étang de earonte 4,

3. E . Baratter, La démographie provençale du XlII! au XVI! siècle, p, 128-129. 4. Arch. dép. des B.-du-Rh., B 1073. En 1289, Bertrand Porcellet réclame

auprès du nouveau comte Charles II de Naples contre les empiètements des officiers royaux Qui, depuis vlngt-six ans, l'ont dépOUillé de la moitié du port de Bouc et de la bourdigue du pont 8a.in1;..Oeniès.

L'église de Sainte-Marie de Bouc est unie, le 2 mai 1224, par l'archevêque d'Arles à celle de saint.Oervals de Fos, ainsi que saInt-Pierre de la Valduc, Saint-Sauveur et Sainte-Marie de Fos. - Albanès, GaWa christiana novissima, Arles, nl.l 906, col. 356.

L'arbitrage de Benoit d'Alignan, évêque de Marseille, entre le comte R.B. V et la commune de Marseille, le 2 aoüt 1230, est passé, « Versus castrum de Fos, ;uxta ecclesiam Be Me de Bucco a parte septentrionis ». - Gallta christiana novîsstma, Marseille, nl.l 249. col. 126.

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Les trois villes du Pont-Saint-Geniès, à la fin du XIII' siècle, sont toutes de fondation récente et d'un accroissement rapide; l'ancien village fortifié de Saint-Geniès SUI' )a colline, ainsi que nous allons le constater, est le seul à pouvoir revendiquer une fondation plus ancienne d'au moins deux siècles .

. '. Si l'on remonte à la pél'Îode de la désagrégation de l'Empire

carolingien, on constate l'importance encore gardée dans cette région par Fos; plusieurs fois citée comme poste de douane par les diplômes royaux et impériaux, jusqu'au X' siècle, communiquant avec le Rhône par le canal qui a dû être entretenu jusqu'à cette époque, Fos est alors une place commerciale active.

La fondation de l'abbaye de Saint-Gervais et le rôle tenu par la famille des seigneurs de Fos qui reçoivent Hyères e t de nombreuses terres de la côte des Maures reprises aux Sarrasins, est une preuve du renom de cette ville au x~ siècle; son importance désormais va décroître sensiblement. A ceUe même époque, la région de l'étang de Caronte et du pont de Saint-Geniès est déjà connue pour ses pêcheries appartenant à l'église d'Arles ' . Certains grands proprié­taires fonciers qui sont probablement à l'origine des familles des Baux et de Fos possèdent de vastes parties du terroir. Tel ce Rajambert qui, au milieu du X' siècle, donne à l'abbaye de Mont­majour la villa appelée Juncarias avec sa tour et ses dépendances". D'après ceUe charte isolée du X' siècle, seul indice précis, il y aurait alors SUl' les bords de l'étang et probablement à l'emplacement actuel de Jonquières, si l'on en croit la pérennité du nom, un centl'e habité et fortifié pal' une tour. Nous trouvons là J'origine des droits de Montmajour sur le terroir de Saint-Geniés. Au siècle suivant, ces droits se précisent par deux autres donations en faveur de ceLLe

5. Cf. L. Blancard, Les chartes de Saint-Gervais-lés-Fos lMal'seille, 1878) , p. 23, tiré à part du Répertoire des travaux de la Société de Statistique de Marseille (1878), ..

Dans la donation accordée par l'archevêque d'Arles en 989 à la congrégation nouvellement instaurée de Saint-Gervais, figure le dixième de tous les poissons pris « i-u. piscatorias de Ponte ».

6. Cf. Chantelou, Hist. de Montmajour, édit. du Roure, dans Rev. Hist. de Provence (1892), p. 37. D'après du Roure, ce Rajambert serait frère de Lieutarde, épouse d'Amiel, premier auteur connu de la maison de Fos.

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Petite carte du xvIIr' s. au Musée du Vieux-Martigues

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abbaye; en 1040, l'arcbevêque d'Arles lui cède l'église de Saint­Geniès et en 1070 l'évêque d 'Aix, Rostang, de la famille de Fos, en accord avec ses frères Amiel e t Guy, lui donne le val de Saint­Pierre 1.

Contemporain de ces actes est le premier essai de fondation d'une agglomération dans l'ile du pont Saint-Geniès. Vers 1078, l'a rchevêque d'Arles, Je comte de Provence Bertrand, Guillaume Hugues des Baux et Geoffroi, vicomte de Marseille, annoncent par contrat leur intention de construire en commun un caslrum (village fortifi é) dans l'île du pont. En réalité, les véritables promoteurs de cette initiative, le seigneur des Baux et le vicomte de Marseille, paraissen t agir contre les seigneurs de Fos accusés d'avoir enlevé par la violence à l'église d'Arles les pêcheries e t l'étang de Caron te 8 .

Sans doute pour se concilier des appuis et r ecevoir l'autorisation de poursuivre cette fondation, les deux seigneurs cèdent un quart de leurs droits sur la nouvelle ville à l'archevêque d'Arles et Ull

aulre quart au comle de Provence Bertrand 9; ils reconnaissent tenir les deux parts restantes de l'église d'Arles . Il n'est pas inntile

7. Cf. Chantelou, op. cit., p. 139 et 193. La donation serait de 1070 et non 1072, comme l 'imprime du Roure, puisqu'JI s'agit de la 9" année du pape Alexandre. Voir également une copie de cet acte du XIV~ siècle dans Arch. dép. des B.-du-Rh .• reg. 2 H 425, fo 86.

Cette donation, que les seigneurs de Fos ont peut-ëtl'e regrettée et attaquée par la suite, explique qu'en 1246--1247, à l'occasion d'un accord entre les commu­na utés de Fos et de Saint-Geniès, il soit fait mention du vingtain que les sei­gne~rs de Fos réclamaient sur les terres cultivées par les hommes de Saint­Gemès au val Saint-Pierre. Cf. Arch. dép. des B.-du-Rh. , l1vre rouge de l'arch. d'Arles, fo 295.

8. Ces événements nous sont connus par deux actes contemporains, l'un rendant à l 'église d'Arles la. dîme des pêcheries du pont et l'église, et l'autre, prévoyant la. construction du castrum dans l'ile. Ces deux actes non datés sont pUbl1és par Albanès, dans Gallia christiana novissima. Arles, nos 432 et 435, à la date de 1078. d 'après Arch. dép. des B.-du-Rh. , livre rouge, fo 361 vo, et

:~~hp;~~~' ~~~~I~Tt:~th:tn~?Su:at~~iac~1éit~eo~:r~~s'sf;g:mL'~gp~~~i:n~~~~lS~ l'église d 'Arles, et lui ont été enlevés par Pons de Fos et les siens. L'autre acte précise que le castrum à construire est destiné à défendre ce qui nous a été volé, « ut quod nabis raptum vel luratum luerat retinere et recuperare possemus ».

Une sentence sur les limites des terroirs des vals de Saint-Pierre et de saint­Julien, le 4 déc. 1318, nous apprend Que Saint-Julien relevait de la directe du prIeur de Saint-Geniès, a lors que Saint-Pierre dépendait de celle de l'archevêque d'Arles et des seigneur s de Fos, sauf le majus dominium, les leydes et dîmes QUI ~~t :~cg~iâ~~'. de;>~~d~~~~;~IOU, Hist. d e Montmajour (mss 2 H 650, page 1376,

9. Ces donations sont d'ailleurs assorties de conditions restrictives. L 'archevêque ne pourra revendre sa part ni la donner hormis aux seigneurs

donateurs ou à leurs descendants. Le comte n'aura. ce quart qu'aussi longtemps que le castrum durera et Qu'il

conservera la fot qu'il nous a promise.

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de savoir que l'archevêque d 'Arles, Aicard, est un fils de Geoffroi, qui porte les titres de vicomte d'Arles et de Marseille; ce prelat semble éga lement apparenté par sa mère à la fa mille des Baux.

Cette fonda tion de l'ile a-t-elle été elTecti ve ? Il est dilTicile de le préciser, mais on peu l en tout cas douter de sa durée puisqu'elle n'cst plus menlionnée par la suite 10, Au XIII ~ siècle se ulement a lieu une nouvelle fondation qui celte fois abritera une communauté en plein essor. Au XII "- s iècle, les seigneurs des Baux, les vicomtes de Marseille cl a ussi les seigneurs de Fos prê lent réguli èremen t sermcnl ll aux archevêque d'Arles pour )'!lOnor cl les pêcheries du pont Saint-Geniès. Ces actes n'auraient pas manqué de mentionner le cas l r unl de l'île s' il avait réellement existé. Dans les confirmations de biens accordées par les empereurs et les papes à l'église d'Arles, on retrouve égnlcmcnl et uniqu ement les pècheries e l ICllr ~

revenus 12.

De la seigneurie de Saint-Geniès, constituée au profit de Mont­maj our, il n'cst pas ques tion au XII- s iècle, m ais nous la ret rouvons au début du XII Ie s iècle dans deux actes qui ne menlionnent plus J onquières (sa ns doute trop exposée au bord de l'eau) mai s la villfl

ou le cas /mm de Saint-Geniès. En juillet 1207, le com te Alphonse Il

10. En 1091, Gum. Hugues des Baux, sa femme et ses fils restituent à. nouveau à rarchevèque d'Arles le quart de l'honor du pont des pêcheries <excepté la bourdigue de l'Anble « de Angulo ») que son père Hugues des Baux avatt reçu en acapte de r archevêque Ra..1mbaud. (GaUia chris t iana novissfma, Arles, no 452. Livre rouge, f 'l 362.)

Dans un autre acte inséré dans l'authentique du chapitre d 'Arles, fo 95, après deux donations de 1082 au sujet de Berre. le même Gum. Huguon restitue ~ nouveau la dîme des pêcJ:;1eries du pont que son père avait injustement donnée a l'abbaye de saint-GervaIs. Ces deux actes de la fin du XIe siècle prouvent que le contrat de 1078 n·avait pas été scrupuleusement appliqué et que les Baux avaient usurpé les droits de J'église d'Arles.

11. Cf. Gallia ... , Arles, nos 596 et 597. Serments prêtés par les vicomtes Geoffroi, fils de Poncie. et Hugues Geoffroy. fi ls de Guarréjade. en 1159. pour l'honorem de Ponte st~Genesii. I bidem, n 0 8 668 et 691. hommages du vicomte Barral.

Barthélemy. I nventaire des chartes de la maison des Baux, p. 17. no 65, dans le testament de Raymond des Baux de 1170, mention de ses droits au port et pont Saint-Geniès, Ibidem, p. 23, no 86, et p. 53, no 192, hommages de Bertrand des Baux de Berre en 1189 et de son fils Raymond, en 1219, pro allari apud pontcm Sti-Genesii. Arch. dép. des B.-du-Rh. (livre rouge. fo 333 vol.

En 1187, R. de Fos prête hommage. « pro piscariis de ponte Sti-Genesii » <AICh. dép. des B.-dn-Rh., livre vert, fo 262 vo, et autographe, ( 0 54) et. en 1219, Raymond GeoffrOi. fils de feu Rostang de Fos, prête à son tour serment, {( pro allare quod habeo apud pont em Sti-Genesii ».

12. Voir. notamment, Gallia ...• Arles, no~ 551 et 573. Dans la bulle d 'or de l'empereur Conrad de 1144. piscGr ia de ponte. et dans

le privilège du pape Anastase IV de 1153, redditus de ponte Sti-Genesii.

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concède à Guillaume Porcellet tous ses droits comtaux sur la vil/a de Saint-Geniès, excepté la cavalcade 13; première manifestation de l'activité des Porcellet dans cette région où ils élimineront presque complètement peu à peu les descendants de l'ancienne famille de Fos . En août 1218, la situation de la communau té de Saint-Geniès est amplement détaillée dans une sentence arbitrale rendue par l'abbé de Saint-Gervais de Fos à l'occasion de contestations entre les habitanLs ct leur seigneur, le prieur nloine de Monhnajour. Ce dernier prétend posséder toute la juridiction du lieu, les bans, les leydes, le four, le banvin, les droits de pâturage et l'exploitation des carrières, à l'exception des droits candaux (albergue. caval­cade, etc.). Cette juridiction, confirmée par la sentence, était contestée en partie par les habitants qui se déclaraient en possession d'une juridiction de consulat depuis soixante ans, juridiction compétente pour la basse justice, les bans, la défense de la localité; ils réclamaienl aussi la tour de Saint-Geniès bâtie à leurs frais et qui leur appartiendrait. L'arbitre leur donne tort, les absout pour l'activité passée du consulat mais leur défend d'en instituer un à J'avenir sans l'autorisation de Montmajour H. Ce texte peu connu est importanl, car il révèle une communauté de Saint-Geniès bien vivante, soucieuse de se défendre par des fortifications et prétendant à une administration communale autonome. Il est absolument inlpos­sible dès lors de nier l'existence de cette seigneurie dépendant de Montmajour au début du XIII ' siècle et de la confondre comme on l'a fait souvent avec celle de l'Ile, dont nous allons examiner maintenant la naissance.

... Cette nouvelle fond ation est l'œnvre du comte de Provence

Raymond Bérenger V et elle semble prévue essentiellement à l'origine pour contrecarrer les ambitions de la commune de Marseille au débouché de l'étang de Berre. Au début du XIII' siècle, en efIet, les riches marchands marseillais, groupés dans la confrérie du Saint-

13. Benoit. Actes des comtes de Provence, Alphonse 11 et Raymond Bérenger V, p. 65.

14. Voir cette sentence, d'après une copie du xrve siècle, aux Arch. dép.

des B~~~ren~ ~X~~i~; ~alement la. question des terres.<certaines étant fran­ches et d'autres non) et les dîmes qui ponent sur l'agrlculture, la cha.sse et aussi la pêche (imposition annuelle de 2 sous par barque).

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32 E. BARATIER

Esprit, s'efforcent de transformer leur autonomie consu laire, sous l'autorité assez bienveillante e t indivise de leurs vicomtes, en une indépendance complète. Ils profitent des difficultés fin ancières des nombreux descendants de cett e ancienne fami lle pour racheter peu à peu à leur profit les parts de seigneurie. Cette politique d'affran­chissement se heurte à l'hostilité de J'évêque de Marseille qui craint pour sa seigneurie de la vill e haute la contagion d'une commune indépendante da ns la ville hasse ou vicomtale. Le com te de Provence, qui s'efforce de transformer son fief comlal en un vé ritah le Elat régional muni d'une admi ni stration cen tra lisée, est hostile à J'indé· pendance des grandes villes consulaires. F idèle allié du Saint-Siège contre l'hérésie albigeoise, il redoute les mouvements populaires des centres urbains, souvent dirigés con tre l'Eg lise e l les pouvoirs sei­gneuriaux. Marseille a des sympathies pour son adve rsaire Haymond de Toulouse, ll1arquis de Proveuee, suspect d 'hérés ie, el que les Marseillais reconnaîtront pour leur suzerain pendant plusieurs années.

Dans une ville commerçante, les impératirs économiques s'unis· sen t constammen t aux motifs politiques . Parallèlement à leurs efforts pour l'indépendance cumm unale, les marchands marseillais essayent d'acquérir S Ul' la côte provençale des point s d'appui pouvant favoriser leur expansion commercia le. En avril 1217, la commune marseillaise achète à Rayll10nd Geoffroi, fil s de Pons de Fos, le dou­zième de la seigneurie d'Hyères e t l'îlot ùe Bréganson. Vcrs la même époque, Bertrand Porcellel lui vend ses droits sur un tiers de la seigneurie de F os et ce qu'il peut prétendre à Sain t-Mitre, Castel­veyre et le hOlll'g de Saint-Geniès ". L'intérêt porté par Marseille a u déhouché de l'éta ng de Berre, marche d'approche vers le della rhodanien el son hinterland se retrouve périodiquement en tout temps; en voici un nouvea u témoignage pour une époque mal

Les droit s de la commun e phocéenne SUI' les bords de l'étang de Caronte sont a ntérieurs a u contrat de 1217, il est difficile d'en retrouver l'origine précise, mais on peut supposer qu e la commune, ici comme aill eurs, est l'héritière des vicomtes; au XIIG siècle, ils

15. Cf. Bourrilly. Essai sur l'histoire politique de la commune de Marseille, des origines à 1264, p. 67.

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LA FONDATION DE L'ILE SAINT·GENI~S 33

avaient, nous l'avons dit, des intérêts dans les pêcheries de Saint­Geniès et sur le terroir d'alentour. Malheureusement, aucune tran­saction entre la commune et les vicomtes ne fait mention de la transmission de ces droits.

Nous savons cependant qu'il existe dès le Xli' siècle, dans l'ile même du pont Saint-Geniès, un hôpital, filiale de celui de Marseille; tous deux dépendent d'ahord de l'ordre charitable el hospitalier du Saint-Esprit dont ils se séparent par la suite. Cet hôpital n'a rien à voir avec l'ordre des chevaliers de Saint-Jean de J érusalem, dit de l'Hôpital ou de Malte, mais il est peut-être à l'origine de la légende qui a fait naltre à Saint-Geniès, Gérard dit Tenque, le fondateur de cet ordre militaire. L'hôpital du pont Saint-Geniès tient à cens de l'archevêque d'Arles l'église de l'Ile et deux ferrages que les hospi­taliers ont mis en culture 16 ; il est probable que les recteurs de l'hôpital ont également la charge de l'entretien des ponts qui font comnluniquer l'île avec les deux rives . Le livre du trésor ou inven­taire des actes de l'hôpital du Saint-Esprit de Marseille mentionne, parmi certains documents des archives, aujourd'hui perdus, une lettre de l'archevêque d'Aix d'août 1212 • Contenant comment l'hôpital du St-Esprit de Marseille a commensé le pont, l'église et l'hôpital de St-Geniès et accorde 5 jours de pardon à toute personne qui lui fera du bien 1T ••

Cet hôpital, institution charitable, n'est pas le seul lien qui rattache alors la région de l'étang de Caron te à Marseille. Un accord du 24 janvier 1226 entre le comte Raymond Bérenger V et la commune de Marseille, réalisé à une époque où le comte est obligé, en raison de difficultés pol itiques et financières, de ménager la ville, mentionne des points d'appui autrement importants au pouvoir de la commune. Les articles de cet accord, qui suit un traité plus général

16. La. ferrago est une grande pièce de terre très fertile, située dans des parties basses, et apte à produire du fourrage. Dans l'accord entre le comte Raymond Bérengf!!r V et l'archevêque d'Arles, du 11 janvier 122f>..1226 (Benoit, op. cU., p. 187. no 94) , l'archevêque, dans le préambule, rappelle qu'il y avait dans l'Ile une église et un hôpital que des hospitaliers avaient tenus longtemps de l'égllse d'Arles; Us avaient défriché et mis en rapport deux Jerragines et payaient en cens une livre de poivre à l'église d'Arles pour cet ensemble de biens.

seUIe.17re:.r~·1?éF~ g~ àB59~u~u~r~ fr!~re ~~a~~rl~~e~~u~:;;!-n~fE~itd~~ ~~[; daté de Fos en fév. 1194, par lequel le roi d'Aragon prend sous sa sauvegarde la maison et l'hôpital du pont Saint-Genies. Autre acte de déc. 1210, par lequel Hugues des Baux accorde sa sauv~garde à l'hôpital du saint-Esprit de Marseille et à l'hôpital du pont saint-Oemès.

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signé six semaines auparavant, concernent en majeure parl les possessions et les droits des deux parties s ur les bords de l'étang de earanle IS. Le comte confirme à Ja ville la possession d ' nn castrum

qu'elle a fait édifier dans l'île de Caron te c t qui porte le nom de Castel Marseilla is ; cette il e des Marseillais es t a uj ourd'hui rattachée à la rive près de Lavéra et on y trouve l'ac tuel fort de Bouc JO. Le comte leur confirme également le port dit de Bouc avec ses pêcberies ct dépendances; mais il percevra le quart des revenu s de tous ces biens. Il consent à démanteler les fortifications qu' il a entreprises jusqu'à ce jour dans l'île de Saint·Geniès, mais la commune renonce également à toute fortification dans l'île de Caron te. Enfin les homnlcs de la vi lle de Saint-Genies pourront re tourner y habit er et la commune s'engage à ne pas les débaucher ni eux ni leurs descen­dants pour en faire des citoyens jnrés de Marseille.

Cc traité de paix qui Inainlienl les deux adversaires sur leurs positions expose clairement les droits des deux parties. Il présuppose auparavant une période d'hostilités et d 'insécurité entre l'ile de Saint-Geniès, point d 'appui com tal e t l'i1e de Caron te, base des Marseilla is, guerre dont les habitants dc Sain t-Geniès ont pâ ti puisqu'ils on t dû abandonner leurs maisons.

Ce statu quo sera de courle durée. L'apparition des croisés conduits pa r le roi de France Louis VIII dans la va llée du Rhône, la prise d 'Avignon en juille t 1226 e t les opéra tions en Languedoc a(faiblissent le parti du comte de Toulouse et des cons ula ts et ont

18. Cf. Bourrilly, op. cit., p. 104. Le traité in extenso y est publié en P. J ., x..XVII, p. 124, 125 des P . J .

19. Dans une liste des villages relevant de l'archevêché d'Arles et datant du début du XII~ siècle, on trouve mentionnés, l'un à côté de l'autre. le castrum Sanca Genes'ii et le castel Marselles. Gallia christ. nov. d'Arles, no 738, col. 284. Le castrum de l'île du pont Saint-Geniès n'est pas signalé parce que non encore Miné.

Blancar~, L es chartes de Saint-Gervais-lès-Fos, p. 16 à 18, note. 5, pense que les MarselllalS ont tenu cette île depuis l'antiquité. Il y aurait déjà eu là une tour à cette époque qui, faisant face à celle d'Odor sur l'autre rive, surveillait et délimitait la passe. Si cette île a effectivement été au pouvoir de Massa.lia, on peut douter cependant qu'elle soit demeurée constamment propriété de la. commune durant un millénaire bien troublé.

L'enquête de Véran Sclapon sur les droits d u roi à l'isle Salnt-Geniès, en 1379 (B 7, Arch. dép. des B.-du-Rh.), men tionne encore ces deux îles : le castel masselhes sur le r ivage de la mer et l'ile appelée Odor, a insi que l'étang dit la buyra (sans doute pOUl' Lavéra) et le port de Bouc. La Roque d 'Odor a été Identifiée par M. F. Benoit, la géographie des chansons de geste et le canal des Fosses Mariennes dans Recueil de travaux ol/erts à M. Clovis BruneI (1955) , t. l, p. 134. EmInence rocheuse à demi-arasée qui supportait l'une des tours des Marseillais surveillant la voie allant d 'Arles à Fos par le bras mort du Rhône et le Galéjon (ancien tracé du canal des Fosses Mariennes).

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leur contrecoup en deçà du Rhône. Raymond Bérenger V et ses alliés, les évêques provençaux, reprennent l'avantage et regroupent contre ~farseille notamment une coalition qui conlprend les Porcellet, qui reviennent sur leur vente de Fos de 1217, les seigneurs de Fos et des Baux et même la commune d'Arles 20. Les épisodes de la lutte qui a dù sc dérouler vers 1229-1230 sur les bords de l'étang de Caronte sont inconnus, mais les résultats ne sont pas douteux : Marseille réussit à sauvegarder son indépendance mais perd toutes ses posses­sions extérieures et notamment ses biens da ns l'Ile de Caronte et à Saint-Geniès 2'.

Les prétentions marseillaises écartées, le comte a désormais la voie libre pour organiser snr l'ile Saint-Geniès cette ville neuve dont la fondation est commencée depuis 1226 au moins et qu'il entend mener à bien.

En janvier de cette année-là, il s'était en etTet accordé avec l'arch evêque d'Arles. L'archevêque se plaignait des empiétements du comte sur ses droits et du bruit des hommes et des animaux causés par les constructions entreprises dans l'île ce qui. préten­dait-il, nuisait au rendement de ses pêcheries. Fina lement, il cède au comte en toule propriété l'île, se réservant seulelnent les pêcheries et ses droits spirituels sur l'église et l'hôpital. Le comte lui remet en compensation tous ses droits comtaux éminents sur les seigneu­ries de Saint-Mître et Castelveyre, sauf le cens annuel et r écognitif d'une obole d 'or . Il l'autorise de plus à bâtir librement sur la rive

20. Sur ces événements, voir Bourrilly. op. cU. 21. En mai 1230 (Benoit. op. cU, no 138. p. 244) . le comte accorde à la v1lle

d'Arles l'immunité des Ieydes et péages à l'île Batnt-Oenlès en reconnaissance de l'aide apportée dans la lutte contre les Marseillais,

Le 19 mars 1244 (n, st.) (Arch. dép, des B,-du-Rh .. chartrier de Montdragon. no 114). compromis entre la. commune de Marseille et l'archevêque d'Arles pour arriver à un accord à la suite des réclamations et excommunications afférentes aux affaires de Camargue, Saint-Geniès et Velaux.

Le traité de paix de 1257, entre Charles I or et la commune de Marseille, fait allusion à un raid de mille hommes de Marseille et plu:;; avec des bâteaux armés ils sont entrés dans les ports de Bouc et de Toulon qui appartiennent au comte. pillant des bâteaux chargés de céréales. Ce retour offensif ne prouve pas que Bouc soit resté aux Marseillais entre 1230 et 1257, et les traités de 1252 et 1257 ne font aucune allusion à une cession des droits marseillais sur ce port et Caronte à Charles 1er, contrairement à ce que disent L. Degut et O. Vigné dans un récent ouvrage sur Martigues (Détaille, 1961) . p, 160.

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du côté de Saint-Mitre, au-delà du pont Saint-Geniès " ; telle est l'ori gine de la ville neuve de Ferrières, bien qu'il soit difficile de préciser la date exacte de sa fondation sous l'autorité de l'arche­vêque.

Le comte, après accord avec l'archc\'êquc d'Arles, devait encore traiter avec Raymond des Baux, seigneur de Berre, héritier des droits de Guillaume Hugon, cosignataire du proje t de fondation de l'\le en 1078. Ce puissant baron avait jus'Iu'a lors poursuivi une politique hostile à celle du comte. mais, le 23 décembre 1228, Haymond Bérenger V r éussit à s'en faire un allié contre les Marseillais. Le seigneur de Berre renonce à tout droit sur l'\le, mais garde ceux qu'il possède sur les eaux, les pêcheries e t les salines de Saint-Geniès. Des clauses très précises prévoient que lorsque le comte désirera construire et fortifier l'Ile, R. des Baux non seulement Ile troublera pas ceux qui édifieront la nouvelle ville, mais encore mettra à la disposition du cOlnte, e t à ses propres frais, cent hommes de sa terre pour aider à la fortification; de plus, il est entendu que les hommes qui habitent tout autour de l'étang de Berre - et qui sont pour ln plupart sous la juridic tion de Haymond des Baux - ra pporteront dans l'Ile tous les biens qu'ils avaient emportés chez eux et qui provenaient d'édifices construits autrefois soit dans l'Ile, soit à Saint~ Geniès23.

22. Voir la publication, in extenso, de cet accord dans Benoit, op. cit., p. 187, no 94. Les hommes des domaines de l'archevêque seront exempts de tout droit de passage dans la ville du pont 5aint-Oeniès. La nouvelle ville à construire du côté de Saint-Mitre est cependant grevée d 'un cens annuel de 12 deniers payable au profit du comte par tous les feux laïques.

Le 29 octobre 1250, cette nouvelle ville n'est pas encore bien développée, puisque l'a~chevëq~e J ean Baussan prête hommage au. comte Charles 1er, « pro ripa Sanctz Genesit que est versus partem Sancti MUni quod vocatur Joncas ». Le nom de Ferrières n 'est pas encore d 'usage courant (Albanès, Gallia d'Arles, col. 438). Le 23 déc. 1311, dans la quittance pour le versement a u clavaire d 'Aix du cens des 37 feux de la nouvelle ville, se rencontre l'expression « in Junqueria Sancti M Urit vacata Ferrerias » (Arch, dép. des B.-du-Rh., III 0 9, pièce 294).

23. Le texte. in extenso, de cet accord fort intéressant pour la. fondation de l'ile se trouve dans Barthélemy, Recherches Idst. et geog. sur la maison des Baux dans travaux du Congrès archéologique d'Arles (1876 ), p. 397 à 401, P .J ., no 1.

« ". In primis dona in mandatis quod cUin dominus R. Berengarii. Dei gratia cornes provincle voluerit hedlficare insulam Sancti-Genesli, R. de Baucto defel:1dat bona fide et pro passe suo omnes in insula hcctifieantcs tanquam proprla dommi comitis et faciat quod. C homines de terra sua cum expensis suis proprtis per mensem prestabunt opem laborando circa ca que necessaria fuerint ad opus clausure et quod homines circa Ma rtegue habitante~ ea que ad domos proprlas vel loca de edificl1s quondam in predicta insula constitutis vel de castro Sancti Oenesii portaverunt, ad insulam prectictam reportent D ...

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Ce dernier article laisse supposer qu'à l'occasion des hostilités il y avait eu pillage non seulement dans les récentes constructions entreprises à l'Ile, mais aussi au vieux village de Saint-Geniès appar­tenant à Montmajour_ Un autre témoignage sur la destruction de ce village est également apporté par un accord du 20 mai 1230 entre le comte et Bertrand Porcellet 24. En juillet 1207, le comte Alphonse II avait déjà cédé à Guillaume Parcelle t, père de Bertrand, ses droits éminents sur Saint~Geniès, sauf la cavalcade; par le nouvel accord, le comte reprend possession de ses droits et donne en échange à Bertrand une rente de 8 livres à prendre sur l'albergue de la ville de Saint-Geniès en quelque lieu qu'elle soit reconstruite 2'.

Cet acte donne à penser que le comte envisagerait peut-être la disparition du village de Saint-Geniès où il n'avait que des droits éminents, au profit de sa nouvelle fondation de l'Ile, qu'il possédait en toute propriété et juridiction_ En réalité, l'ancien village de Saint-Geniès ne disparut pas complètement à ce moment-là, mais il perdit de sa vitalité au profit de Jonquières et Maneguete qui, en deçà du pont Saint-Geniès et sur la terre de Montmajour, commen­cèrent sans doute à se développer dès celte époque. Tout comme Ferrières de l'autre côté, ils bénéficièrent de la fondation comtale de l'Ile; ville neuve qui n'avait que pen d'espace pOUl' s'étendre et dont ils conslituèrent pratiquement les faubourgs.

24. Bertrand Porcellet, qui était revenu en 1227 sur l'aliénation consentie dix ans plus tôt d'un tiers de Fos en faveur des Marse1llais, ne cesse dès lors de renforcer sa position dans cette seigneurie et sur les bords de l'étang de earante. Il achète peu à peu aux descendants de la famille de Fos leurs droits sur cette seigneurie. Voir, notamment, Arch. dép. des B.-du-Rh., fonds de l'arch. d'Arles, livre rouge, to 297 VO, l'achat indivis par l'archevêque d'Arles et Bertrand Porcellet, aux enfants de feu Am!el de Fos, de tous leurs droits à Fos et Saint­Oenlès, et notamment ce qu'ils ava~ent. « apud Corente ab introttu illius partus qui appellatur Boc in aqu1.s et in terra usque ad pontem sancti-Genest1. ».

Alors qU'en 1217 c'était Raymond Ge-ofIroi, marquis de Fos, qui avait par­ticipé et signé les accords entre les habitants de Fos et ceux de Berre, sur les droits et usages de la pêche dans les étangs de Caronte et de Martigues, et sur le droit de passage de bateaux des gens de Berre dans le canal de caronte, c'est Bertrand Porcellet qui , en octobre 1240, représente les seigneurs et les hommes de Fo.s dans une nouvelle contestation sur ces questions.

Of. Arch. dép. des B.-du-Rh .. B 2, fo 93, et B 147, f" 129-131 et 208-210, et Uvre rouge de l'arch. d'Arles, fo 322.

25. Cf. Benoit. op. cit., p. 244-45. Bertrand reçoit outre cette rente un cens annuel de 300 sous raymondins à prendre sur les revenus comtaux du port d'Arles. Le castrum de Saint-Geniès avait avait été donné par Montmajour à la. comtesse Béatrice de Savoie, sa vie durant. Voir acte du 9 mars 1248 recon­naissant cette donation. Arch. dép. des B .-du-Rh., 2 H 425, !o 85.

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La prospérité de l'Ile mit vraisemblablement plusieurs années à s'affirmer et ce serait seulement dans la seconde moitié du siècle, sous l'administration de Charles 1" d'Anjou, que la ville aurait connu un essor brillant.

Auparavant, en effet, les textes ne font pas mention de cetle nouvelle communauté. Une sentence arbitrale, rendue en février 1246-1247 par le prieur de Saint-Geniès sur des contestations au sujet de la pêche et du droit de passage dans les hOUl'digues de l'étang de Caronte entre les communautés de Fos e t Saint-Geniès, ne fait aucune allusion à la ville de l'Ile et aux droits que ses habitants pourraient réclamer à ce sujet 2',

Quinze ans plus tard, le compte de recettes et dépenses du comté de Provence de 1263-1264 renferme, au chapitre de la baillie d'Aix, la première mention connue de la nouvelle communauté de l' Ile régie par un bayle comtal. Il es t question des pêcheries du comte ct de Guillaume des Baux, du four, de la graine de vermeil "endue dans l'Ile et aussi d'une galère en cours de construction u.

En 1305, un texte mentionne l'église Sainte-Marie-Madeleine de l'Ile à laquelle une sentence de l'évêque de Marseille, arbitre élu, reconnaît la qualité paroissiale e t la moitié de ]a dîme des agneaux, l'autre moitié revenant au prieur de Sainl-Geniès ::!8.

La nouvelle ville donne maintenant des signes évidents de sa prospérité, cl1e ne va pas tarder à s'imposer comme l'agglomération la plus active et la plus nombreuse et à déborder au-delà des ponts et du domaine royal sur ses faubourgs de Ferrières et de Jonquières, considérés j uridiquemenl eux aussi comme des viIJes neuves de l'archevêque d'Arles et de Montmajour. On assiste même, à la fin

26. Cf. Arch. dép. des B.-du-Rh., Archevêché d'Arles (III 0), livre rouge, fil 295.

Le 10 février 1246-47, sentence arbitrale rendue par Aimeric de Noves, prieur de Saint-Oeniès. Acte passé à Salnt-Geniès, dans l'église du lieu.

Les hommes de Saint-Geniès n'ont pas le droit de poser des filets, dits seguas, dans les étangs de Caronte et Martigues, ni de pêcher au lamparo, « nec pisce.s capiant cum Lumine quod appelatur vulgariter lugaleiar ». Ils donneront un tlers de leur pêche aux seigneurs de Fos et pourront passer librement avec leurs barques par le grand chenal de la bourdigue de Caron te, « per passagium burdiguli de Mejano majore de Corent )), à condition de ne pas gêner la pêche.

27. Cf. Arch. dép. des B.-du-Rh., B 1501, f ill 99 et 100 Vil , 106 et 108. Pour six porcs des seigneurs de Gignac, pris par Clément, tayle de l'Ile

Saint-Oeniès, et vendus 29 sous .... pro galea apud Sanctum Genes!um aptanda : 65 lb. 19 s. 10 d ... , salaires du bayle de l'Ile pour 366 jours: 18 lb. 6 s., etc.

28. Chantelou, Hist. de Montmajour, mss. 2 H, 650 p., 1353, aux Arch. des B.-du-Rh. Sentence du 9 avril 1305.

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du XIII' siècle, à une tentative des officiers royaux pour s'emparer de la juridiction de Jonquières, et l'abbaye de Montmajour doit intervenir a uprès du roi Charles II pour défendre ses droits". L'ancien village de Saint-Geniès, à l'écart des courants commerciaux polarisés par la nouvelle ville, subsiste encore quelques années, perdant peu à peu de sa substance et de sa vitalité. Il ne survivra pas a ux épreuves de la peste noire et des crises de la fin du XIV' siècle. Au siècle suivant, la population du terroir soumis à la juridiction de Montmajour sera concentrée dans la seule agglomération de Jonquières.

Dès la fin du XIII ' siècle, la ville de Martigues est déjà constituée avec ses trois éléments encore nettement perceptibles de nos jours : l' Ile, Ferrières et Jonquières. Mais il faudra encore trois siècles avant que ces com munautés ne se réunissent, en 1581, pour n'en former qu'une seule appelée Ma rtigues, ancien nom de l'étang de Berre.

.'. L'ile Saint-Geniès est avec Barcelonnette une des rares villes

neuves fondées dans le comté de P rovence au XIII' siècle et l'étude de sa formation présente de ce fait un réel intérêt. On y découvre des motifs politiques et aussi des raisons économiques. L a fondation de 1226-1230 est nettement déterminée par la politique du comte Raymond Bérenger V qui cherche un point d 'appui dans la région de l'étang de Berre; le domaine comtal y était jusque-là peu repré­senté, face aux immenses domaines de l'archevêque d'Arles et des seigneurs des Baux. Le dessein du com te se heurte aux ambitions de la comm une de Marseille, qui en s'installant à la sortie de l'étang de Caronte poursuit des huts d'ordre essentiellement économique.

Le site de Bouc a toujours paru nécessaire au commerce mar­seillais pour servir d'annexe et d'avant-port; situé au-delà des collines qui enserrent Marseille, il peut communiquer facilement avec la basse vallée du Rhône. Dans ses grandes périodes de prospérité, Marseille l'a revendiqué et utilisé; durant les époques

29. Chantelou, Rist. de Montmajour, mss. 2 H 650, p. 1338, a ux Arch. des B.~du·Rh. Accord du 28 juillet 1292 entre l'abbé prieur de Salnt.-Oeniès et Charles II. L'abbé réclame le lieu dit vulgairement Jonqueria, avec ses édifices bâtis ou à bâtir, et aussi le droit sur la récolte du vermillon dans les terroirs de Saint.-Geniès et du Contrast. Le roi le lui accorde, mais refuse de lui céder la pêcherie dite bourdigue du Roi. sise sur le terroir de Saint.-Gentès.

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de décadence, il a pu se placer en rival du port phocéen. Ainsi à la fin du XIV ' et au XV ' siècle, il sert d'avant-port à Avignon, et d'escale aux compagnies florentine et vénitienne qui délaissent Marseille. L'installation des Marseillais au début du XIII ' siècle sur l'ilot à la sortie sud de l'étang de Caron te est une nouvelle preuve de l'intérêt porté par Marseille à cette région de Bouc.

L'on assiste sur les bords de l'étang de Caron te, entre le X' et le XIIIe siècle, à de profonds changements dans l'activité économique et dans la position et l'importance respective des agglomérations urbaines. Fos, port jusque-là actif et enrichi pal' le commerce international du Rhône, devient peu à peu une seigneurie de médiocre importance; au contraire, les pêcheries de l'étang de Caronte, la liaison terrestre par les ponts de l'Ile ct les qnelques passages de hateaux sortant de l'étang de Berre assurent un déve­loppement progressif de Saint-Geniès. Située tout d'abord dans un site défensif au sud de l'étang de Caron te aux époques d'insécurité, la ville devait tout naturellement, dans un climat de paix et de pros­périté, s'instaUer au nœud des communications routières et mari­times de l'Ile, centre de l'activité des pêcheries. Le rôle de Fos, grand lnarché du COlnmerce international, ne sera repris qu'épisodique­ment par Port-de-Bouc, la nouvelle ville de l'Ue Saint-Geniès s'affir­mant simplement comme nn centre régional de la vie économique en basse Provence occidentale.

Edonard BARATIER.