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La Franceen héritage

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Je ne regrette pas les hommes,les hommes se refont ;

je ne regrette pas l’or de leurs trésors,les trésors se remplissent ;

mais qui rendra à ces peuplesles années qui s’écoulent ?

Denis Diderot.

Aujourd’hier

LA VIE s’est montrée à mes yeux de gamin sous un jour qui étonnerait les jeunes d’au-jourd’hui. Le pays venait de recouvrer sa liberté après quatre années d’une Occupation

désespérante. Rien de ce que nous voyons actuellement n’existait alors, peu de ce qu’il y avaitn’a subsisté. Les villages et leurs habitants, les boutiques et les ateliers, les bêtes et les usages,tout a été emporté par le temps, le progrès et les modes.

Camille mon grand-père, le seul aïeul mâle que j’ai connu, était un vieux de la vieille pay-sannerie. Il appartenait à cet autrefois. À mes yeux, il en est une sorte de personnificationsacralisée. Ma jeunesse s’est greffée sur son âge patriarcal. Les histoires qu’il me racontait,à la veillée, ont nourri mon imagination d’enfant. Ses coups de gueule ont fortifié mes révoltesd’adulte. C’est de lui, aussi, que je tiens cet amour pour les gens ordinaires, laborieux et sansesbroufe. Plus que de la terre au soleil, il m’a laissé en héritage un monde qui n’existe plus,revendiqué par les uns et décrié par les autres : un monde au cœur duquel s’enfoncent mesracines. Voilà un patrimoine que je garde pieusement. Je suis pareil au laboureur de la fable,qui veillait sur le trésor caché dedans son champ.

Il était né en 1882, le grand-père Camille. Un peu après le début de la période traitée danscet ouvrage. Il est mort en 1964, un rien avant la fin de l’époque évoquée. Une de ses der-nières satisfactions fut d’apprendre que le Service national m’avait affecté à Joigny, en cettecaserne où lui-même avait fait son régiment dans les Dragons. La continuité des générationsse répercutait jusque dans les obligations militaires. Mais comme en toutes choses, le chan-gement était passé sous les drapeaux : le troufion de la décolonisation, fagoté en kaki, ne res-semblait plus au tourlourou d’avant la Grande Guerre.

Alors que mon vénérable bonhomme n’était qu’un trousse-pet, à la fin du siècle dix-neu-vième, le monde allait encore à pied ou au pas du cheval, ainsi qu’il faisait depuis des siècleset des siècles. Quelque soixante ans plus tard, on avait inventé les bolides automoteurs, lesengins volants et les fusées intersidérales, les appareils à photographier et les armes de des-truction massive. L’homo sapiens s’apprêtait à poser le pied sur la lune. Les arlequins, cesdoux rêveurs sélénites, ne sont plus à l’abri d’indésirables rencontres.

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Pour ma part, sans renier un présent qui me procure d’indéniables facilités matérielles,sans marcher à reculons non plus, je préfère me tenir un peu à la traîne. Il ne s’agit ni detourner le dos à mes contemporains, ni de me complaire dans une nostalgie inutile. Il n’em-pêche ! certaines courses aux innovations bouleversantes, dans cette société de l’éphémère,ne m’emballent guère. À tout dire, je me méfie comme de la peste de ces trouvailles prodi-gieuses. Il est à craindre que la prétendue recherche du bonheur universel, qui ne fait qu’ag-graver le pillage des ressources naturelles et accentuer l’égoïsme consumériste des peuplesfavorisés, n’aboutisse à l’aliénation de l’individu, prélude à l’anéantissement de l’humanité.C’est pourquoi, faute de pouvoir me réjouir d’un demain avantageux, je me suis intéressé àfouiller dans un hier dont nous devrions tirer leçon. De la sorte, à défaut de savoir où l’onva, on n’ignorera plus d’où l’on vient. La démarche n’a rien de passéiste, elle n’est qu’eth-nologique et empreinte d’inquiétude.

Pendant plus de trente ans, calepin en poche et magnétophone en bandoulière, j’ai doncengrangé, afin de ne pas la céder à l’oubli, une moisson formidable de témoignages oraux,d’images fanées, de papiers jaunis. J’ai sillonné les terroirs métropolitains, de long en large,n’en délaissant aucun, pour me nourrir de la parole des anciens, recueillie au mot près. J’aiexhumé des bouquins poussiéreux, pris plaisir à farfouiller dans les greniers comme dans lesmémoires, à raviver des anecdotes impensables, semblables à celles que me racontait jadisle grand-père Camille. J’ai déniché des ustensiles rares, des instruments usés par la poignequi s’en servait, des machins abandonnés à la rouille ; je les ai photographiés dans leur jus,préférant la rudesse d’une authenticité sans apprêt à la rutilance sacramentelle des collec-tions muséologiques. Ainsi ai-je pu amasser une documentation unique, avertie et vérifiée,sur le vécu journalier de nos aînés.

C’était un temps âpre où les villes de province conservaient des allures de gros bourgs vil-lageois. Les travaux se succédaient, de saison en saison, au train lourd des attelages. Dansson atelier, l’artisan perpétuait, par la main et l’outil, le savoir-faire qu’il tenait d’un longlignage. Cette richesse collective, ces besognes traditionnelles, ces façons d’œuvrer furentcondamnées à disparaître dès que la mécanisation promit des lendemains enchantés. Au pro-fond de ce passé définitivement révolu – mais vivace encore dans les mémoires – dort l’es-sentiel de notre histoire commune.

Tout hommage littéraire se doit de satisfaire ceux qu’il honore. Ce dictionnaire encyclo-pédique, je l’ai conçu dans l’esprit des glaneurs d’antan qui aimaient partager le pain fait desépis ramassés. Dans ma quête, le geste réel, plutôt que l’exposé théorique, a toujours primé.Loin des traités pratiques et des catalogues techniques, des ouvrages pontifiants ou didac-tiques, il convenait que cette encyclopédie affective fût chaleureuse, abondamment illustrée,emplie de mots dont la saveur mettrait en appétit de lire. Puisse-t-elle être un recueil d’émo-tions retrouvées, un coffret de souvenirs qu’on ne referme qu’à regret.

Gérard Boutet

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REPÈRES DE LECTURE. Trois indications se répètent dans les chapitres. Se reporter à renvoie au développement d’un mêmesujet. Voir signale une similitude ou un complément d’explication. Cf., abréviation du latin conferre,

permet d’établir une comparaison.

AVERTISSEMENT. Il va de soi que les remèdes irrationnels, formules magiques et autres façons abracadabrantes sont

à lire avec amusement et curiosité, mais sans trop y croire. Les illustrations comportant unemarque commerciale ne présentent aucun message publicitaire : elles sont mentionnées

à titre de citations. Il nous a semblé naturel de faire apparaître dans cet ouvrage, en hommage à leur renom, certains

articles manufacturés et plusieurs publications qui, en quelque sorte, agrémentent notrepatrimoine commun.

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La Franceen héritage

Gérard Boutet

Métiers, coutumes, vie quotidienne1850 - 1960

Dictionnaire encyclopédique

PERRIN

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Pour cet ouvrage,Gérard Boutet a obtenu le prix Mottart,

décerné par l’Académie françaiseau titre de soutien à la création littéraire,

et le prix Delmas,attribué par l’Institut de France.

ISBN: 978-2-262-02622-6© Perrin / Jean-Cyrille Godefroy 2007.

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AbécédaireDu latin “abecedarius”: des quatre premières lettres de

l’alphabet.Le mot, en général, désignait un manuel élémentaire de

lecture dont chaque chapitre, selon l’ordre alphabétique,illustrait une lettre différente. C’était aussi l’appellationque l’on réservait aux instituteurs, dans les villages recu-lés. Avant la promulgation de l’instruction primaire, laïqueet obligatoire, l’enseignement populaire était parfois assu-ré par des magisters itinérants, plus riches de savoir qued’écus. Ces pauvres hères étaient surnommés les “buis-sonniers” (cf. ce mot) par les paysans. Expression popu-laire. N’en être qu’à l’alphabet. Connaître peu de chosed’une science. Se reporter à Maître d’école.

AbeilleurDu latin “apicula”: petite abeille.Exploitant d’un rucher, récoltant de miel. Variante: l’a-

beiller. Synonymes : le berger des abeilles, le mouchier.Voir Ruchier. Se reporter à Apiculteur.

Aboureur, aboureuse ou abouresseDu verbe “abourer” en vieux français: carder, du latin

“burra”: laine brute, donnant “bure”: lainage grossier,et “bourre”.Personne qui droussait la laine afin d’en rembourrer lesvêtements dont, parfois, elle assurait aussi la vente (cf.Drousseur). Variante: l’éboureur. Voir Cardeur.

AccoucheuseDu verbe “accoucher”, du latin “collocare”: étendre,

coucher.Sage-femme (se reporter à ce mot).

Accouru, accourueDu verbe “accourir”: venir en courant.Sobriquet que les Beaucerons attribuaient à ceux qui

vivaient au pays, mais qui n’en étaient pas natifs. LesNormands disaient les “horsains”.

AcheveurDu verbe “achever”, dans le sens de “mener à chef, au

bout”, de l’ancien français “chief”, du latin “caput”: tête. Dans une forge ou dans un atelier, ouvrier qui donnait la

dernière façon aux pièces métalliques, en les polissant.Synonymes: l’adoucisseur, le polisseur. En coutellerie, l’a-chevage s’effectuait au moyen de la polissoire, qui étaitune meule en bois garnie de feutre ou de drap. VoirCoutelier, Forgeur, Taillandier.

AcrobateDu grec “akrobainein”: qui marche sur la pointe des

pieds.Sur une estrade de foire ou dans les cirques, saltimbanque

qui se livrait à des tours d’agilité, de contorsion, d’équili-bre ou de force.

Métier de spectacle forain, seul, en famille ou en troupe.

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Jeu de lettres,vers 1940.

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Accessoire : la batoude (tremplin). Voir Funambule,Circassien.

Acteur, actrice ou acteuseDu latin “actor”, même sens.Saltimbanque dans un modeste théâtre (cf. Comédien

forain). Par extension, interprète au cinéma. L’acteuse occu-pait rarement le devant de la scène: ses rôles étaient moinsimportants que ceux de l’actrice. Elle ne faisait souventque de la figuration.

AdoubeurDu verbe “adouber” : équiper au XIe siècle ; en vieux

français : arranger, préparer. Du francique “dubban” :frapper.

Qualificatif commun aux castreurs, aux rebouteux et,plus rarement, aux tanneurs (cf. ces mots). Dans la cheva-lerie du Moyen Âge, l’adoubement désignait la cérémo-nie de parrainage au cours de laquelle l’écuyer recevait satunique de combat. Cette “broigne”, une cotte de mailles,en faisait un preux, un paladin sans peur et sans reproche.Les rites s’affinèrent par la suite, notamment sous l’in-fluence de l’Église, avec la veillée d’armes, la remise deséperons dorés et la paumée.

AdoucisseurDu verbe “adoucir”, du latin “dulcis”: doux.Forgeur (cf. ce mot) qui achevait les articles métalliques

par une opération de polissage. Synonymes: l’acheveur,le polisseur. Voir Coutelier, Taillandier.

AéronauteDu grec “aeros”: air, et “nautês”: nautonnier, naviga-

teur.Personne qui dirige un ballon ascensionnel de type

“mongolfière”, un dirigeable motorisé ou une “saucisse”captive d’observation.

Métier de casse-cou dont les exploits soulevaient l’ad-

miration des gens qui ne décollaient jamais leurs sabotsdu plancher des vaches. Variante: l’aérostier, en langagemilitaire. Un aérostat désigne tout appareil équipé d’unepoche gonflée d’un gaz plus léger que l’air, grâce à laquel-le il peut s’élever dans l’atmosphère. La “guiderope” étaitle cordage qu’on faisait traîner au sol, pour faciliter lesmanœuvres de descente. Bref survol de l’Histoire. C’estle 5 juin 1783, en leur bonne ville d’Annonay en Ardèche,que les frères Étienne et Joseph Montgolfier, manufactu-riers en papier, réalisèrent l’envol inaugural d’un ballonde taffetas qui s’éleva à quelque cinq cents mètres. Quandl’événement se reproduisit à Versailles le 19 septembre,en présence de Louis XVI, il ne se trouvait que trois ani-maux dans la nacelle : un coq, un canard et un mouton.Deux mois plus tard, Pilâtre de Rozier et le marquisd’Arlandes réussirent un exploit inédit: une ascension avecdes passagers humains. Leur aéronef, gonflé à l’air chaud,les transporta au-dessus des toits de Paris, depuis le châ-teau de La Muette jusqu’à la Butte-aux-Cailles. Désormais,la conquête des nuages était lancée ! Dix jours après, le1er décembre, le physicien Jacques Charles prenait de lahauteur grâce à l’hydrogène : son appareil, largué desTuileries, s’éleva à plus de trois mille mètres devant une

ACT

À Luxeuil-les-Bains, un jour de pluie.

Image de collection, vers 1920.

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foule innombrable. Dès 1858, le photogra-phe Félix Tournachon, dit Nadar, réalisaitles premiers clichés de la navigation aérien-ne. Dans les années qui suivirent, la publi-cation du roman Cinq semaines en ballonfit la célébrité de Jules Verne. Enfin, l’aé-rostation mérita de la Patrie lorsque, le7 octobre 1870, Léon Gambetta s’échappade Paris encerclé, à la barbe des Prussiens,par la voie des airs : le ministre républicainput se réfugier à Tours, où il organisa ladéfense nationale. Au cours des cent tren-te-deux jours que dura le siège de la capi-tale, s’envolèrent de la butte Montmartresoixante-cinq “ballons montés”; les capri-ces des vents et les fusils de l’ennemi cau-sèrent la perte de dix-huit d’entre eux. Par sécurité, beau-coup de messages furent confiés aux pigeons voyageurs.Superstitions. Les premiers aérostats qui se posèrent dansles campagnes, au hasard des vents, engendrèrent plus de

crainte que d’étonnement parmi les populations paysan-nes. L’aventure, bien souvent, se termina par une levée defourches qui mit à mal le ventre dégonflé de la “créature”diabolique. Voir Avionnetteur.

AffachaireDu latin “facere”: faire, façonner.Dans une tannerie, une papeterie ou une draperie, ouvrier

chargé de l’apprêtage des cuirs, des papiers, des tissus.Se reporter à Apprêteur.

Affaneur, affaneuse ou affaineur, affaineuse

Du verbe “faner”, du latin “fenum”: foin.Personne qui était engagé dans les fermes durant la fenai-

son – en Beauce, les vieux cultivateurs disent encore “fai-ner” pour “faner”. Par extension, le mot désigna n’impor-te quel brassier (cf. ce mot) qui se louait à la journée.Variante patoisante : l’affanaire en occitan. On affenaitou l’on affenageait quand on donnait du fourrage aux bes-tiaux. Voir Journalier, Faneur, Fenassier.

AffienteurDu latin “fimus” : fumier, donnant

“fiens”: fientes, déjections.Récupérateur et marchand des déjections

retirées des poulaillers et des colombiers,puis des litières d’étable et d’écurie, dufumier des porcheries et des clapiers, desrognures de corne balayées dans les maré-chaleries, enfin des matières fécales vidéesdes latrines. Le qualificatif s’étendit par lasuite à tout négociant d’engrais.

Métier de gagne-petit quand il ne s’a-gissait que de ramasser les fientes, mas-culin. Variantes: l’affienseur, le fienseur.Villes réputées pour la fabrication d’en-grais (cf. Jardinier) : Noyon dans l’Oise,

Pithiviers dans le Loiret, Redon en Ille-et-Vilaine, Saint-Christol-lez-Alès dans le Gard, Saint-Girons en Ariège,Saint-Laurent-de-Céris en Charente. La poulaitte était l’en-grais organique que les affienteurs obtenaient en curantles poulaillers ; on disait également la “poulenée”. Lafumade consistait à parquer des bovins, la nuit, sur un ter-rain que l’on souhaitait amender. On procédait à un ébou-sage quand, dans un pré, on engraissait les endroits oùl’herbe poussait mal en y étendant des bouses. On “antoi-sait” le fumier quand on le mettait en tas, sur champ.L’ivraie qu’il contenait était nuisible aux céréales d’au-tomne; on le réservait donc aux plantes sarclées. Ce n’estqu’après 1920 que les agriculteurs prirent l’habitude defertiliser leurs champs en y répandant d’autres engraisqu’ils semaient à la volée. Leur but était d’amender lessols avec des apports d’azote, d’acide phosphorique, depotasse, de chaux. Ils utilisaient de la cyanamide, de lamarne, des nitrates de chaux ou de soude, des os dissous(cf. Équarrisseur), des phosphates naturels, du chlorure depotassium, des scories de déphosphoration, du sulfated’ammoniaque, de la sylvinite. Le guano (d’un mot espa-gnol) était un puissant amendement que les Péruviens obte-naient à partir des fientes d’oiseaux marins. Le tangrumdéfinissait un engrais que l’on obtenait en broyant desdéchets séchés de poisson. Prudence. Au temps jadis, àcause des maladies contagieuses qui pouvaient être trans-mises aux populations par les cultures, potagères ouchampêtres, l’enlèvement n’était autorisé que pour lesimmondices ayant séjourné pendant trois années dans unebourrie (cf. Bourrier) ; la période de voiturage courait du15 octobre au 15 mars, sans dérogation possible.

Dictons. Qui vend sa paille vend son grain/qui vend sonfumier vend son pain. Pluie (ou neige) de février/vaut dufumier/et remplit le grenier. Pluie de mars, fumier de chat;pluie d’avril, fumier de brebis. À la Saint-Barthélemy(24 août), la perche au noyer/le trident au fumier. Neigede décembre est engrais pour la terre. Par moquerie, lesesprits malicieux conseillaient aux freluquets, niais etimberbes, de se pommader la lèvre supérieure avec desfientes de pigeon: c’était le moyen infaillible de se fairepousser de belles et viriles moustaches! Notes de lecture.Dans la rubrique Causerie agricole, on lisait à propos ducontrôle des engrais synthétiques, sous la plume du chi-

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17 sept. 1912 : atterrissage du “Conté” dans une prairie de Couture, en Vendômois.

“Morvilliers” La Chapelle-St-Martin,

Petite Beauce.

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miste-expert Fallot : Le prélèvement de l’échantillon surlequel doit porter l’analyse a une extrême importance, etl’on ne saurait trop appeler l’attention des cultivateurs surce point de contrôle. L’engrais est en général expédié dansdes sacs. La pratique qui consiste à ouvrir quelques sacsdans le wagon de livraison et à prendre dans chacun unepoignée de matière, est absolument défectueuse. Fort souvent, en effet, le marchand sait en profiter, et le dessusdu sac est plus riche que le milieu ou le fond (in LeProtestant du Centre, mars 1910, page 31). Fraudes. C’estprécisément pour contrer la roublardise des marchandsd’engrais que le premier syndicat agricole fut créé à Blois,en Loir-et-Cher, avant la Guerre de quatorze. VoirGadouard, Marneur, Potassier, Vidangeur.

AffileurDu verbe “affiler”, du latin “affilare”.Ouvrier dont l’ouvrage était de donner du fil aux objets

tranchants : couteaux, haches, outils à lame, armes blan-ches. Atelier : l’affilerie. Autres appellations: l’affûteur,l’aiguiseur. Voir Émouleur.

Affineur, affineuseDu verbe “affiner”: rendre fin, du latin “finis”: parfait.Dans une laiterie, personne chargée de surveiller et, au

besoin, de corriger la maturation des fromages. Le mots’emploie également en sidérurgie et en verrerie. Le teilleur(cf. ce mot) affinait aussi le chanvre avant de le confier autisserand. Patronyme évocateur: Laffineur. Voir Cabanière,Fromager.

Affouager, affouagèreDe l’ancien verbe “affouer” : faire du feu, du latin

“focus”: foyer.Personne qui bénéficiait du droit de se chauffer en ramas-

sant du bois mort dans une forêt communale ou doma-niale. On “ébûchetait” quand on ne prenait que des bran-chettes.

Besogne d’appoint, pratiquée en automne et en hiver,dans les forêts. Synonymes admis par l’Académie fran-çaise (cf. Larousse Universel, 1922) : l’affouagiste, l’af-fouagé. L’autorisation d’affouager était accordée à l’an-

née, par habitant ou par maison, sous réserve que lesdemandeurs fussent domiciliés dans la commune depuisun an au moins. Tout fonctionnaire pouvait y prétendre.L’affouagement ne se pratiquait qu’un jour par semaine,fixé selon les usages du pays. Il n’était pas sans rappelerles anciens droits de glandée et de vaine pâture (cf. Gardeurd’animaux, Gauleur). Le menu bois rapporté, la “brou-tille”, était interdit à la vente. Cette tolérance coutumièreavait des allures de survivance féodale. Elle ne datait pour-tant que du 26 nivose de l’an II : le législateur s’était inspi-ré d’une indulgence que Stanislas de Pologne avait consen-tie aux miséreux de Lorraine. Gestes de besogne. Lesaffouagers étaient principalement des enfants en guenilleset des femmes désargentées vivotant dans les hameaux delisière. Ils devaient observer des règles intangibles. Il leurétait interdit de s’aider d’un outil coupant, taillant ou tran-chant : ni serpe, ni hache, ni scie. Les branchages ramas-sés – les “boisettes” – devaient être morts, cassés à la seuleforce des mains et rapportés en fagot, à dos, ou dans unehotte de vendangeur. Les gardes forestiers veillaient, sou-vent avec un zèle exagéré, au strict respect de ces condi-

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Du bon emploi des engrais.

Les fagoteuses du Berry.

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tions draconiennes. Dicton. Le vingt-cinq mars passé/plusde bois à ramasser.

Il était une fois dans le comté de Foix de pauvres cro-quants qui, pour cuire leur brouet et ne point geler au creuxde leur masure, n’avaient qu’une solution: s’enfoncer dansles forêts seigneuriales et en rapporter du bois mort. Maisla chose était interdite, évidemment. Aussi se déguisaient-ils en innocentes jeunes filles afin de mieux tromper lavigilance des gardes. D’où le surnom de “demoiselles”qu’on leur attribuait. Volée de bois. Dans son supplémentlittéraire illustré du dimanche 3 mars 1895, Le PetitParisien se faisait l’écho d’un fait divers particulièrementdramatique. Sous le titre “Le Drame de la forêt deMeudon”, il relatait comment le garde forestier Pestre, unindividu coléreux et brutal, était tombé, un soir, sur ungroupe de villageois occupés à ramasser du bois mort dansles halliers. Tous avaient fui à son approche, terrorisés.Revolver au poing, le cerbère, qui dans la loi n’aimait rientant que la rigueur, s’était lancé à leurs trousses. Il avait puen rejoindre un, lequel s’était réfugié dans le couloir d’unemaison, au bourg. Le fugitif se sentit acculé. C’étaitAuguste Lecomte, un jeune homme de vingt-cinq ans. Legarçon n’émit aucune parole, rien, ni supplication ni regret,quand son impitoyable poursuivant le coucha en joue ; iltenta seulement d’écarter l’arme qui le visait. Un coup defeu claqua. Le jeune homme chancela. Sa chemise s’en-sanglanta. Il était blessé à mort. L’opinion, bouleversée,prit aussitôt fait et cause pour le malheureux. Las! on appritque la victime était un fils méritant, et sourd-muet de sur-croît. Il s’était rendu au bois dans l’intention de soulagersa pauvre mère ; le père, “un vieillard de soixante-cinqans”, finissait tristement ses jours dans un hospice. Laconsternation fut unanime, la réprobation tout autant. Onrévoqua le meurtrier en uniforme. Aux obsèques de l’in-fortuné garçon, en présence de Monsieur le ministre del’Agriculture, le maire de Meudon prononça un discours

très émouvant. Les mots déferlèrent sur le cercueil de celuiqui n’avait jamais pu que se taire. Cela remua l’innom-brable cortège, qui en eut la larme à l’œil. L’article du PetitParisien s’achevait sur ce louable souhait: Il reste à deman-der à l’administration forestière de prendre, pendant leshivers aussi rigoureux que celui que nous venons de tra-

verser, une mesure généreuse en faveur des indigents: cettemesure consiste à permettre aux pauvres gens de ramas-ser le bois mort, sans crainte de poursuites, dans les forêtsde l’État. En l’an 2000, le droit d’affouage se maintientdans les communes dont le territoire se couvre de forêtsbanales. Voir Bûcheron, Fagoteur, Glaneur.

Affranchisseur de bestiauxDu verbe “affranchir”: rendre franc, couper net.Castreur (cf. ce mot) d’animaux domestiques. Voir

Coupeur de cochons, Hongreur.

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Fourchon à fagot.

Par les bois de Sologne.

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Affûteur, affûteuseDu verbe “affûter”, du latin “fustis”: fût, bâton.Ouvrier qui se chargeait de l’affûtage des objets tran-

chants. Autres appellations: l’affileur, l’aiguiseur. Le “den-teleur” n’affûtait que les scies. Voir Émouleur.

AgréeurDu verbe “agréer”, du latin “gratus”: chose agréable,

gré. Courtier en vins et en spiritueux, dont la tâche consistait

également à tester les produits afin d’en vérifier la quali-té. Homonymie. Dans les tréfileries, l’agréeur – on disaitparfois “agréyeur” – était l’ouvrier qui engageait le fil defer dans la filière. Dans les ports, le mot (du norois “grei-da”, agrès) désignait le marchand de vergues et d’ancres,de cordages et de voiles destinés aux gréements ou à l’ac-castillage, d’accessoires de navigation et d’équipement depêche, plus rarement de vêtements pour les marins.

Agréministe ou agriministeDu verbe “agréer” (cf. Agréeur), donnant “agrément”.Passementier (se reporter à ce mot) qui agrémentait les

vêtements, les tentures, les meubles, en leur adjoignant desbroderies, des enjolivures et des ornements. Autres appel-lations : le bouffetier, l’enjoliveur. Voir Chamarreuse,Garnisseur, Guimpier, Panachier, Rubanier.

Agriculteur, agricultriceDu latin “agri”: champ, et de “cultor”: qui cultive.Personne qui exploite des surfaces agricoles (se repor-

ter à Cultivateur) ou qui y pratique l’élevage.Métier de la terre, masculin et féminin, pratiqué le plus

souvent en couple. Les chambres d’agriculture furentcréées en 1851, sous l’égide du futur Napoléon III, dans lebut de donner aux cultivateurs une représentation profes-sionnelle. En 1935, elles constituèrent un établissement

public : l’Assemblée permanente des présidents des Chambresd’Agriculture. Ces instancesfurent supprimées par l’Étatfrançais pendant l’Occupation,puis rétablies à la Libération.Les comices firent leur appa-rition pendant le Second Empire,mais c’est sous la Troisième République que,prenant parfois des allures de fêtes foraines, ilsattirèrent des affluences considérables. Leur rôle s’avéraessentiel, quant à l’évolution du monde agricole, car ilssuscitèrent un courant d’émulation profitable à la paysan-nerie, société méfiante, repliée sur elle-même, souvent frei-née dans son développement par la lourdeur des traditionspaysannes et la frilosité du conservatisme provincial.C’était l’occasion d’organiser des expositions de méca-niques nouvelles (cf. Machinisme agricole) et des concoursde bêtes. Un urbaniste à la campagne. La grande œuvredu notaire François-Philibert Dessaignes, qui tenait offi-ce dans la capitale et villégiature à Champigny-en-Beauce,fut de créer près dudit village – dont il fut le maire pen-dant quarante ans! – une cité agricole, à l’image des coronset des quartiers ouvriers. Le plan, pour lequel son promo-teur obtint un prix, fut présenté à l’Exposition internatio-nale de Paris en 1889. Avantage immédiat : dès son ouver-ture, le chantier de construction fournit du travail àbeaucoup d’artisans et de compagnons. Le lotissement seconstitua de vingt-cinq maisonnettes individuelles, qui permirent aux journaliers des environs de se loger décem-ment. En fonction des ressources dont elle disposait,chaque famille occupante avait le choix de rester loca-taire (les mensualités étaient modiques) ou de se porteracquéreur auprès du Crédit foncier. Le faubourg possédabientôt un cabinet de médecin, son bureau de poste, sa boulangerie, son épicerie et, pour finir, un café-hôtel.Maître Dessaignes dota également sa commune ruraled’une maternelle, d’une école primaire et d’un hospice devieillards. L’infatigable humaniste s’éteignit en 1897, nona-génaire. Son nom a été donné à un lycée de Blois. Uneécole ménagère fut créée dans chaque département, entreles deux guerres. Après le certificat d’études primaires,selon le souhait des parents, les jeunes filles s’y formaient,

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AFF

Sur les quais de Châteaulin.

Jouet, vers

1965.

Comice agricole en Normandie.

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Page 13: La France en héritage - static.fnac-static.com · je ne regrette pas l’or de leurs trésors, ... était un vieux de la vieille pay-sannerie. ... de papiers jaunis

en une année scolaire, aurôle de la parfaite maîtres-se de maison ; elles reve-naient le samedi soir dans leur famille. Les cours traitaientprincipalement de la cuisine, de l’habillement (couture etrepassage), du jardinage, de la puériculture et de la zoo-technie. Avant que l’établissement du chef-lieu préfecto-ral proposât un internat, c’étaient les professeurs, détachésdes Services agricoles, qui se déplaçaient dans les com-munes. Chaque municipalité prêtait une salle où les leçonsétaient dispensées quotidiennement, pendant six mois. Lelocal faisait également réfectoire. Les garçons ne fré-quentaient l’École d’Agriculture que durant l’hiver, sai-son pendant laquelle leur présence n’était pas indispensa-ble à la ferme paternelle.

Organismes agricoles. Le syndicalisme profita de la loid’association, votée le 21 mars 1884 sous la pression duprolétariat des manufactures, pour se structurer et se déve-lopper pendant la Troisième République (cf. Paysan). Lamutualité fut instaurée par la loi Viger, en date du 4 juillet1900 ; elle permit la constitution de nombreuses caissesd’assurances. Les garanties s’étendirent ensuite aux pro-tections sociales, aux allocations familiales (1946) et auxdroits à la retraite. Les sociétés coopératives n’obtinrentleur statut, légal et définitif, que le 5 août 1920. Le mou-vement associatif existait pourtant depuis le début du siè-cle. Les premiers regroupements d’entraide se seraientconstitués dans le Jura, dès le Moyen Âge, chez les récol-tants de fruits. Grâce à la politique de soutien suivie par legouvernement du Front Populaire, la France comptaitquelque sept mille coopératives en 1939. Plus d’un millierd’entre elles, à vocation essentiellement céréalière, col-lectaient 85 p.c. de la production frumentaire nationale.Le Crédit Agricole, dès sa création le 5 novembre 1894,s’employa à vider les bas de laine que la paysanneriecachait sous les paillasses, au tréfonds des chaumières.Cette mutuelle bancaire avait pour but d’appuyer les culti-

vateurs en leur consentant des prêts à court terme et à tauxd’intérêts préférentiels. À la veille de la Seconde Guerremondiale, la “banque verte” avait parsemé le territoirenational de quatre-vingt-dix caisses régionales et de sixmille guichets locaux. Les dépôts atteignaient, globale-ment, les onze milliards en francs de l’époque.

AgrimenteurMot créé par Rabelais dans Pantagruel; du latin “agri”,

champ, associé à “menteur”.Surnom péjoratif donné à l’arpenteur (cf. ce mot).

AigrevinierDe “aigre” et de “vin” (cf. Vinaigrier).Mot ancien désignant le fabricant de vinaigre. Voir

Moutardier.

AiguadierDu provençal “aigada”: aiguade, du latin “aqua”: eau.Dans le Midi, sur un canal d’irrigation, personne char-

gée de surveiller le débit des eaux et d’en assurer la répar-tition souhaitée.

Aiguiller, aiguillèreDu latin “aculeus”: aiguillon.Fabricant et marchand d’aiguilles. Une couturière ran-

geait les siennes dans un étui qu’on appelait un “aiguillier”.Métier artisanal, masculin et féminin, souvent pratiquéen couple. L’homme fabriquait, la femme vendait. Atelier,boutique: l’aiguillerie. Patronne corporative : la ViergeMarie, fêtée le 15 août. Patronyme évocateur: Laguiller.Villes réputées pour leurs aiguillers : L’Aigle dans l’Orne,Oyonnax dans le Jura. Les aiguilles à coudre ou à trico-ter, en dehors des merceries ayant pignon sur rue, étaientproposées par les colporteurs, avec les bobines de fil, lesrubans, les dentelles et les boutons (cf. Mercelot). Le fili-fère était l’outil avec lequel on enfilait les aiguilles. On“pressurait” une aiguille quand on l’empointait, lui don-nait sa pointe ; on la “troquait” lorsqu’on en ébarbait lechas. Le boutis était la grosse aiguille que les Provençalesutilisaient pour réaliser un ouvrage auquel elles donnaientle même nom. La façon consistait à superposer deux piè-ces de batiste, à les assembler en piquant un dessin tracéau préalable, enfin à remplir les entre-coutures avec ducoton et à border le tout. Le boutis servait à confectionnerdes nappes, des couvre-pieds et des couvertures pour lesnourrissons. Les cœurs, les coquilles Saint-Jacques et lagrenade étaient les motifs de décoration qui revenaient leplus souvent ; ils symbolisaient respectivement l’amour,l’hospitalité et la fécondité. Voir Alênier, Épinglier,Mercier.

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AIL

Enseigne sur plaque de marbre, Beaugency, Loiret.

Pioche, piochon à drainer.

Distinction de comice agricole.

Menu de banquet.

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