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1 Vendredi 21 mai 2010 Quand Mellouki Cadat accepte de partager son analyse de la situation politique française et néerlandaise, je prend mon vélo, un carnet vierge et je pars noter tout ce qu’il raconte, parce qu’il est le seul à avoir cette connaissance des deux mondes et avoir la culture scientifique et militante pour donner du sens aux événements. Entretien sur Wilders comme volcan cracheur de cendres, la France en République communautariste gauloise et le rôle d’un éventuel Obama à la française. J’ai rencontré Brieuc-Yves Mellouki Cadat (que tout le monde appelle Mellouki tellement Brieuc- Yves est imprononçable pour les Néerlandais) il y a plus de dix ans à La Haye. Je faisais une enquête sur les minorités en politique pour ma thèse, lui était assistant parlementaire d’Oussama Cherribi. Nous sommes tous deux Français aux Pays-Bas parlant néerlandais avec un accent terrible, tous deux politologues, tous deux moitié-bretons drogués au beurre salé, tous deux ayant investi internet dès le début avec nos blogs respectifs. Mellouki a milité dans le mouvement antiraciste néerlandais pendant que je m’investissais dans le mouvement gay. Il a été le seul Européen non-néerlandais élu local pour les Verts à Amsterdam Zeeburg, je l’ai remplacé aux élections suivantes à Amsterdam Oud-Zuid pour les travaillistes, on a subi les mêmes personnages dans le monde universitaire néerlandais, nous partageons aussi une histoire familiale: nos mères sont toutes deux bretonnes, son père est un Algérien noir, ma famille a des liens très divers mais récurrents avec l’Algérie... Je le cite tel quel, sans commentaire.

La France est une ethnocratie

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Un entretien avec Laurent Chambon sur Wilders comme volcan cracheur de cendres, la France en République communautariste gauloise et le rôle d’un éventuel Obama à la française

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Vendredi 21 mai 2010

Quand Mellouki Cadat accepte de partager son analyse de la situation politique française et néerlandaise, je prend mon vélo, un carnet vierge et je pars noter tout ce qu’il raconte, parce qu’il est le seul à avoir cette connaissance des deux mondes et avoir la culture scientifique et militante pour donner du sens aux événements. Entretien sur Wilders comme volcan cracheur de cendres, la France en République communautariste gauloise et le rôle d’un éventuel Obama à la française.

J’ai rencontré Brieuc-Yves Mellouki Cadat (que tout le monde appelle Mellouki tellement Brieuc-

Yves est imprononçable pour les Néerlandais) il y a plus de dix ans à La Haye. Je faisais une

enquête sur les minorités en politique pour ma thèse, lui était assistant parlementaire d’Oussama

Cherribi. Nous sommes tous deux Français aux Pays-Bas parlant néerlandais avec un accent

terrible, tous deux politologues, tous deux moitié-bretons drogués au beurre salé, tous deux ayant

investi internet dès le début avec nos blogs respectifs. Mellouki a milité dans le mouvement

antiraciste néerlandais pendant que je m’investissais dans le mouvement gay. Il a été le seul

Européen non-néerlandais élu local pour les Verts à Amsterdam Zeeburg, je l’ai remplacé aux

élections suivantes à Amsterdam Oud-Zuid pour les travaillistes, on a subi les mêmes

personnages dans le monde universitaire néerlandais, nous partageons aussi une histoire

familiale: nos mères sont toutes deux bretonnes, son père est un Algérien noir, ma famille a des

liens très divers mais récurrents avec l’Algérie...

Je le cite tel quel, sans commentaire.

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Wilders est un volcan cracheur de cendres, il occulte tout et obscurcit l’horizon.

« La situation politique néerlandaise me fait penser à cette histoire de volcan islandais et son

nuage de cendres: un phénomène imprévu qui obscurcit l’horizon. Geert Wilders est le volcan du

monde politique haguenois: il ne fait que cracher des cendres et obscurcit la visibilité d’une partie

de la population néerlandaise. L’Islam et les Néerlandais de culture arabo-musulmane sont

ensevelis sous une montagne de cendres. Comme les voyageurs sont baladés d’aéroports en gares

ferroviaires, les électeurs néerlandais sont parachutés dans un conflit qui les dépasse: au lieu de

parler de la situation néerlandaise, Wilders déplace la discussion vers le Moyen-Orient. »

« Alors que les Pays-Bas n’ont rien à voir avec Israël et la Palestine, Wilders utilise des lunettes

moyen-orientales pour regarder les polders. Il parle de conflit entre l’Islam et l’Occident dans un

pays nordique où ce genre de questions ne devrait même pas se poser. Il fait dépendre la

résolution de tous les problèmes du pays de ce conflit imaginaire, totalement importé. En

conséquence, il y a une lecture de la situation des Pays-Bas qui ne correspond nullement à la

réalité. »

« Le succès de Wilders ressemble un peu à celui de Le Pen en France: il est possible grâce au

système médiatique qui a besoin de batailles et de sang frais tous les jours pour accrocher le

lecteur ou le téléspectateur. Wilders n’a pas de début de commencement d’analyse sur la situation

économique, sociale ou culturelle du pays. Il est intéressant sur le court terme pour les médias car

il fournit des prises de position spectaculaires et des citations imagées faciles à placer dans un

article ou un reportage. »

Wilders n’a pas d’infrastructure politique

comme celle dont Le Pen a pu bénéficier.

« Wilders est un clown qui justifie une grande partie des shows politiques qu’on voit apparaître

sur les chaînes de télévision, en direct de La Haye. C’est un tel plaisir de décortiquer ces

propositions les plus farfelues, les faire analyser par les experts, faire réagir les autres élus

amateurs de petites phrases, il n’y a pas de raison que les médias se privent d’une audience.

Wilders, c’est une telenovela politique sans fin, avec un suspense continu. »

« Le problème est que Wilders n’a pas de programme politique. C’est un communautariste de

droite qui défend un groupe ethnique particulier, les petits blancs. La différence essentielle avec

Jean-Marie Le Pen est qu’il n’a pas d’infrastructure politique derrière lui. Le Pen a monté le Front

National en unissant divers mouvements politiques d’extrême droite qui existaient déjà, des

vichystes aux catholiques intégristes, des skinheads aux intellos païens de GRECE, des pro-

Algérie française aux régionalistes. Wilders n’a rien de cela derrière lui: il n’est pas colonialiste, ni

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vraiment raciste, ni antisémite. Son omniprésence médiatique ne correspond pas à un ancrage

sociologique dans la société néerlandaise. »

« En fait, quand on y réfléchit bien, ce n’est pas Wilders qui pose un problème, c’est la place

disproportionnée dont il dispose dans les médias et dans l’arène politique. Les autres partis sont

censés se positionner par rapport à des sujets déterminés par Wilders, alors qu’il n’a pas de réelle

assise sociologique, ni de mouvement derrière lui, ni même de début d’analyse. Les vrais

problèmes sont ailleurs: l’état de l’économie, le poids de la finance sur la vie des Néerlandais,

garder les polders hors de l’eau, faire en sorte que ce qu’on mange ne nous tue pas... »

Un République ethnique, communautariste et divisée.

« La question des élites issues de l’immigration est très différente entre la France et les Pays-Bas.

Quand j’interviewais les jeunes présents dans le mouvement politique issu de la Marche des

beurs, dans les années 1980, j’étais frappé par leur niveau: tous très intelligents, suréduqués, très

bien formés, tout à fait prêts à appartenir à l’élite de la République. Et pourtant, personne n’est

devenu ministre ou maire d’une grande ville. »

« Aux Pays-Bas, il suffit de savoir lire pour être élu quand on est enfant d’immigré. On y trouve

beaucoup d’escrocs et de gens vaguement instruits qui disent représenter leur communauté. Les

Néerlandais se contentent de compétences limitées car ils font avec ce qu’ils ont, et ils savent que

la démocratie représentative se doit justement d’être représentative. Pour peu que vous parlez

sans accent, vous vous retrouvez maire de Rotterdam comme Ahmed Aboutaleb. En France il y a

des centaines de Français issus de l’immigration qui valent largement Aboutaleb, et pourtant

aucun n’est maire d’une ville importante. »

« Dans les années 1990, on retrouve des gens brillants appartenant à des minorités dans tous les

partis, même au Front National ou au RPR (devenu UMP par la suite). La plupart ont assez de

capital culturel ou économique pour y arriver, beaucoup sont issus de grandes familles

algériennes ou antillaises. Mais tous ont échoué: les Gaulois étaient contre. Le pouvoir, c’est

réservé aux Gaulois, point. On touche là clairement aux limites de la méritocratie: le mérite et les

qualités personnelles (voire collectives) ne suffisent pas, il faut appartenir au bon groupe

ethnique. »

« C’est alors que j’ai compris que la France est une ethnocratie. Ce n’est pas une République une

et indivisible, c’est une République ethnique très divisée sur des critères génétiques. »

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Il va falloir une personnalité exceptionnelle, post-coloniale, qui embrasse l’Algérie et l’Afrique, pour arriver à cette République une et indivisible

« Mon explication, c’est que la France était une puissance coloniale dont la légitimité était basée

sur la supériorité culturelle supposée des blancs. On n’efface pas plus d’un siècle de propagande

raciste comme ça. À la limite on peut accepter que notre président soit en partie issu du

lumpenprolétariat juif polonais, mais qu’il soit nord-africain aurait été insupportable. Notre

relation à l’Algérie n’est toujours pas digérée, et les nominations de Fadela Amara, de Rachida

Dati et de Rama Yade au début du mandat de Sarkozy, même si j’ai apprécié la symbolique,

procèdent de cette vision ethnique de la République. On ne leur a pas laissé gagner leurs galons

politiques et leur légitimité par l’élection, on les a nommées pour que les tribus dont elles sont

issues soient satisfaites, comme on le faisait au temps des colonies. »

« Il faut relire Madame Bovary pour comprendre l’état de la France en 2010, saisir le poids des

grandes familles dans les circonscriptions, le fait que le pouvoir est réservé aux héritiers. Le

maintien au pouvoir de ces réseaux tribaux n’est possible qu’au prix d’une cassure sociale.

Derrière la fausse diversité promue par Sarkozy, derrière ses origines étrangères, il y a un système

social basé sur l’exclusion par les gènes. »

« Le communautarisme ethnique à laquelle la France doit faire face, avec le monopole politique

pour les Gaulois riches issus des bonnes familles, n’est compréhensible que si on a lu les écrits de

Theodore Dalrymple, qui est devenu l’idéologue de tout l’Occident. Sa théorie est que les riches le

sont parce qu’ils ont du talent, et que les pauvres le sont soit parce qu’ils sont paresseux, soit

parce que le système social les maintient dans la pauvreté et l’oisiveté. Quand on le lit, on réalise

que les Noirs américains ne sont pas victimes de racisme, mais d’auto-censure qui les empêche de

s’épanouir, que les pauvres se vautrent dans leur culture dégénérée et sont chômeurs par choix, et

bien sûr que les Français d’origine algérienne n’ont pas encore eu accès au pouvoir parce qu’ils

n’ont pas encore les compétences requises. L’ensemble du monde politique et économique

français est contaminé par ce darwinisme social qui légitime leur pouvoir. On a pourtant vu quels

ravages une telle idéologie a pu avoir aux États-Unis et dans le reste du monde sous la présidence

de George W. Bush. Personne ne semble vouloir faire le lien avec la situation française. »

« Pour sortir la France de cette ethnocratie et laver l’appareil d’État de son idéologie

communautariste et darwiniste, il va falloir une personnalité hors du commun appuyée par des

appareils. Il faudrait un Obama français, qui soit post-colonial, post-ethnique, post-classiste, et

qui puisse s’appuyer sur un parti politique en mesure de gagner les élections, que ce soit le PS ou

l’UMP. Je ne vois pas trop, à moyen terme, comment ça pourrait arriver vu l’état de ces partis.

Donc la République une et indivisible, on en est encore loin. Quant à liberté, égalité, fraternité... je

n’y pense même plus. »

Laurent Chambon

• Source : blog Minorités (www.minorites.org)