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La France Et Le Bauhaus

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ClaudeSchnaid t . La France et le Bauhaus

• Lampe de bureau Κ J Jucker, Bauhaus 1923.

Λ Etude pour un costume de ballet, Oscar Schlemmer.

La France et le Bauhaus : une rencontre impossible

Communicat ion au Colloque sur le Bauhaus de la

Ho ch s ch u l e fü r Arch i tek tu r und Bauwesen Weimar ,27-29 juin 1979.

Entre la France et le Bauhaus tout s'est p as s écom me s i l a r enco n t r e é ta i t imposs ib le . M ani f es teme nt ,les Français et les Bauhäusler n 'étaient pas sur la mêmelongue ur d 'ond e. Po ur ê tre juste, i l faut dire tout de sui teque l ' imperméabil i té a joué dans un sens plus que dansl 'autre. Si , à Weimar et à Dessau, on suivait avec intérêtce qui se passa i t à Par is , on ép rouva it , par con tre, outreRhin , beaucoup de pe ine e t peu d ' en thous iasme àcomprendre les messages du Bauhaus l

. Les occasions des ' in fo rmer n 'on t pour tan t pas manqué aux Français .Tr is tan Tzara, qui s 'étai t instal lé à Par is en 1920, corr espondai t avec Grop ius e t K lee . Léon-Pau l Fargue é ta i tvenu vo i r K lee à W eima r . Chr i s t ian Zervos s ' é ta i t a r r ê téà Dessau lors d 'un voyage en Allemagne. André Lurçats 'étai t rendu à l ' inaugurat ion du nouveau Bauhaus en1926. Marcel Du cha mp e t Am édée Ozenfan t avaien t f ai tégalement le voyage de Dessau , l ' un pour r encon t r erKandinsky , l ' au t r e pour donn er des conférences . Rob er tDelau nay et Ha ns Ar p (qui avait étudié à l 'Académ ie desbeaux-ar t s de Weimar ) é ta ien t en con tac t avec Klee e tKandinsky. Marc Chagall , établi à Par is depuis 1922,é ta i t mem bre du consei l d ' admin is t r a t ion du «Cerc le desamis du Bauhaus» . Fein inger , avan t d ' ense igner auBauhaus, avait résidé à Par is où i l avait gardé des amis.Klee connaissai t Louis Aragon qui , en 1925, avait pré

facé sa première exposit ion à Par is , et Paul Eluard, quilui avait dédié un poèm e. En 1923, Le Corbusier avaitrencontré Gropius à Par is et avait été invité à laBauhauswoche. Breuer avait t ravail lé, en 1924, chez unarchitecte par is ien. A pa r t ir de 1928, les architectesf r ançais r encon t r a ien t pér iod iquement les a r ch i tec tesdu Bauhaus aux congrès in ternat ionaux d 'a r ch i tec tu remod erne . Ces con tac ts per son nels on t é té beaucoup p lusmotivés par l 'ar t et l 'architecture que par la pédagogie,ce qui fait que le public français en a retiré très peu d'info rmat ions su r l e Bauhaus en tan t qu 'é tab l i s sementd ' en s e i g n em en t .

La plupar t des rares ar t icles qui permettaient de sefaire une idée de ce qu 'étai t le Bauhaus ont paru dans

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L'Esprit nouveau. Ce n 'étai t pas un ha sard. Le Corbusier ,qui dir igeait la revue avec Ozenfant , rêvait depuis longtemps d 'une syn thèse de la dynamique indus t r ie l leal lemande et de la créat ivi té ar t is t ique f rançaise 2 . E n t r e1920 et 1925, L'Esprit nouveau a pub l ié une qu inzained 'ar t icles ayant t rai t à l 'Allemagne, ce qui , pour unerevue culturel le, étai t exceptionnel en France à cet teépoque.

Dan s le n° 19 de décem bre 1923 on peu t l i re sous let i t r e « Pédagog ie » un ar t icle non s ig né de deux pages surle Bauhaus. L 'auteur en est sûrement Le Corbusier .Ap rès avoir décr i t le l ivre Staatliches Bauhaus Weimar

1919-1923 — qui vena it d 'ar r ive r à la rédaction — et di tquelques mots de Gropius, i l poursuit :

« P r em i è r e co n s t a t a t i o n : le p r o g r am m e d ' u n eécole ne vaut que par la quali té des maîtres . Ici , lesma îtres so nt éveil lés , mêm e très à la pag e ( les élèvess'exercent à faire des Braque, des Picasso, et c'estte r r ib lement d rô le , t e r r ib lement dangereux) .

» L e p r o g r am m e e s t m o d e r n e p a r s o n i n t en t i o n :faire des hommes qui pénètrent tout armés dans la viemoderne et qui , par les lumières acquises , i l luminerontle labeur industr iel et le conduiront vers des réal isat ionsde beau té .

» Or, voilà ce qui est dramatique : c'est que cela va àl 'enco ntre de ce qui se passe , fatalem ent, d e ce qui fatalement doit se passer .

»L'ar t du bien faire (et l 'on n 'en demande pasdavantage à la production industr iel le, et i l semble bienque Walter Gropius se soi t f ixé ce but) , l 'ar t du bienfaire, se développe en plein travail industr iel chezl 'ouvr ier , par échelon s successifs, par acquis add it ionnés ,par étapes f ranchies en totale connaissance du métier ,par l a p ra t ique con t inue des p rocédés , par ce phénomène de l 'expér ience féconde qui naî t du labeur même,et par cet te sor te de révélat ion qui naî t au cœur du bonouvr ier . Le bien faire, vient de la masse profonde quipou sse à la surface ses élé me nts de quali té. C'est une i llus ion de p résupposer que ce t te masse p ro fonde peu trecevoir et absorber , p ar le haut , le sens de la quali té, lesens du bien faire. Le bien faire c'est le standard. Lestandard c 'est ce qui est parfai tement fai t . Encore unefois, le s tandard surgit de la ma sse profo nde (causes économ iques , sociales , f inancières , techn iques) . Le s tandardes t une r ésu l tan te .

»Ce qui est intéressant dans les buts élevés deGrop ius, c 'es t d 'ap por ter à la prod uctio n industr iel le, lefacteur de perfect ion des s tandards. Mais ce qui nousattr is te, c 'es t de devoir conclure qu 'une école d 'ar t es t

dans l ' incapacité absolue d 'améliorer la productionindus t r ie lle , d ' app or ter des s tandards : on n ' ap por te p asdes s tandards tout fai ts .

»De long temps , dans ce t te g rave ques t ion depédagogie, nous avions conclu à la fermeture des écolesd 'ar t appliqué, car nous n 'admettons pas le produit indus t r ie l en dehor s du s tandard ; nous n ' admet tons pasl 'objet d'art décoratif.

»Or , l 'Eco le de W eim ar n ' ap por ta n t r ien à l ' indus t r i e , fournira des décorateurs qui sont des quanti téssuperf lues et indésirables (pots , fers forgés, paroispeintes , boiser ies sculptées, tapisser ies , etc.) .

»Le pas fai t par la culture de l 'époque sera dedémontrer qu ' i l n 'y a plus d 'ar t décoratif; nous avons le

désir d 'objets exacts .»L'émotion d 'ar t es t légi t ime; plus, el le est indis

pensable à une société. Mais c 'es t alors que par lera l 'ar tl 'œuvre d 'ar t désintéressée, le tableau, la s tatue, œuvreconcentrée, rare et de la plus haute quali té. Moins d 'ar tdi t pur en quanti té, mais tout à la quali té. Œuvre un peudistante, digne et enfermée dans son cadre l imité,comme un l ivre enferme sa pensée entre ses deux cou

ver tu res impass ib les .» Où ense igne r un te l a r t ? I l s 'app rend dans l 'air du

tem ps et dans les souff rances int im es de l 'âge mûr . I l nesemble pas que des écoles puissent , en sér ie, former detels individus.

»Moins de cet ar t de quali té, moins d 'élèves, t rèspeu d 'élèves. I l ne semble pas qu ' i l puisse y avoir desécoles toutes faites pour ces élèves. I l reste donc encorebeaucoup d 'écoles à fermer .

»Wal ter Grop ius , a r ch i tec te , ense igne dans sonécole l 'architecture. L 'architecture est chose technique àla base. La technique est longue à apprendre; i l faut yme ttre de l 'ordre et i l ne faut pas saccager les années desjeunes hommes . Le Bauhaus sera i t une bonne éco led 'architecture.

» Et ce serai t bien. Bien suff isant , programme uti leet incontestable, urgent , nécessaire et où WalterGrop ius aurai t un e act ivi té féconde. »

Cette cr i t ique hâtive, parfois confuse, touchait desproblèmes réels du premier Bauhaus. Elle va dans lesens de cel les que formulèrent à l 'époque Teige et VanDoesburg . Le tournan t p r i s un peu p lus ta rd par l eBauhaus permet de supposer que Grop ius n 'y r es ta pasinsensible. Le Corbusier , po ur sa par t , conf irme avec cetar t icle qu ' i l ne croi t plus au pouvoir régénérateur desécoles d 'ar t appliqué. Cela découle du sens qu ' i l a étéam ené à donn er au s tandard de p roduct ion indus t r ie lle .L 'échec de la «Nouvelle Section» de l 'Ecole d 'ar t de LaChaux-de-Fonds et la s i tuat ion bloquée de l 'enseigneme nt ar t i s t ique en France on t cer ta ine men t joué un rô ledans cet te pr ise de conscience. Quant aux quelquesl ignes sur l'art, elles montrent bien la dis tance quiséparai t la France et l 'Allemagne. Tandis que les ar t is tesd 'avant-garde al lemands s 'ef forçaient de coller àl ' événement , de donner une d imens ion po l i t ique à leu rtravail , on par lai t à Par is d 'ar t désinté ressé, d 'œuvre raree t d i s tan te .

Le n° 20 de L'Esprit nouveau de janvier- févr ier1924 contient un ar t icle de Paul Westheim sur lasi tuat ion des ar ts plast iques en Alle ma gne. I l y est quest ion du Bauhaus dan s les term es su ivants :

«Le Bauhaus, une école d 'architecture, de productions ar t is t iques (d 'ar t décorat if ) , es t une inst i tut ionencore t rop r écen te e t ses bu ts manq uen t encore t rop declar té pou r qu ' i l soi t possible de f ixer les résultats . A van ttout , on s'est basé sur les métiers . A présent , sous l'in-

f luence de ces idées construct ives, on s 'appuie sur l'in-

dustr ie et sur l 'ar t de l ' ingénieur tombant immédiatem ent dans un rom ant i sm e d ' ingén ieur assez g rave qu iinquiète quelque peu le sens positif; j ' e spère , toutefois ,qu 'un nouvel académisme délectant de la s tyl isat ion ducarré et s 'adonnant à un jeu peu spir i tuel des formes dela mach ine ne sera pas le frui t de cet te école d 'ar t u niqueà ce jour en son radical isme. Le défaut de ces tendancesest sans doute celui-ci : Beaucoup pensent avoir fai t

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l ' es sen t ie l en cons t i tuan t un nouveau r éper to i r e desforme s, carrés , t r iang les , cercles , cubes et autres formesgéomét r iques qu i son t év idemment les fo rmespr imaires , mais qui n 'ont de sens vér i table que lorsqu 'el les sont à l ' in tér ieur de la créat ion. A mon avis , lerésultat décis if interviendra par l 'évolution de la formevers un e arc hitectonie. »

Le Corbusier re par l e du Bauha us à pro po s de«L'exposit ion de l 'Ecole spéciale d 'architecture»(L'Esprit nouveau, N ° 23 , mai 1924). Cet te expos i t ionprésentai t les t ravaux des élèves de Rober t Mallet-Stevens qui enseignait depuis peu à l 'Ecole spéciale. LeCorbusier conclut pa r ces l ignes :

«D ans ce t te expos i t ion de jeunes gens , nous avonsretrouvé les mêmes r ichesses que dans le Bauhaus deW e i m a r (E.N., N° 19 , «Pédagog ie») . Mais , l à -bas , sedébattai t la quest ion de l 'ar t décoratif. L'art décoratifchatouil le la fantais ie, et la fantais ie, lorsqu 'el le dépa ssele fai t divers et devient noble, dépasse l 'ar t décoratif.

Da ns le dom aine de la pet i te fantais ie, i l n 'y a pas lecon t rô le qu i dev ien t l a cond i t ion même du g rand ar t .

L 'ar t décorat if n 'a pas de contrôle. Et c 'es t po ur cela quenous avions, au sujet de Weimar (ar t décorat if ) , expr iménos doutes avec un regret s incère. Mais l 'architecturet rouve son con t rô le à l ' in s tan t même où l ' on songe àbâtir : la sol idi té, le pr ix de revient , l 'élégance del ' agencement en t r en t en symphonie fuguée; i l n ' es td ' a r ch i tec tu re que lo r sque tou t m arche en semb le ; i l y adonc en ar ch i tec tu re un con t rô le imm ane n t e t c ' es t pourcela que nou s dis ions l 'autre jour à Walt er Gro pius :Faites des architectes; on peut enseigner l 'architecture.»

Le Corbusier ajoute deux post-scr iptum à sonar t icle. Le premier concerne le dépar t de Mallet-Stevensà la sui te de la protestat ion du père d 'un de ses élèvesauprès de la direct ion de l 'Ecole spéciale. Le second

appor te ce t te in fo rmat ion :« L a m êm e s em a i n e à W e i m ar , m êm e év én em en t :De s élect ions nou velles on t mis , à la place des social is tes ,des gens de d ro i te . Conséquence : le Bauhaus dir igé parWal ter Grop ius e t dé jà connu un iver se l lement pour lar ichesse de son ense ignement , ne conv ien t p lus auxnouvelles gens de droite. Toute cet te direct ion- là nenous con vient p lus , disent- i ls . Et We im ar décide de faireà Gropius le sor t que Par is fai t à Mallet-Stevens.

»Je me souviens qu ' i l y a dix ans, une école demême tendance e t à l aquel le j 'é ta is mêlé , fut dé mo ntéepar le par t i social is te qui , défendant Raphaël , t int à tuerce que des bourgeois avaient fai t .

»Les jeunes gens — les élèves — restent sur le

carreau. Des livres touffus, des professeurs lucides oucrétins, la férocité du struggle for life, tel est le maquis dela pédagogie. Un homme se fai t par la lucidi té de sonintel l igence, la quali té de ses dons et la force de sonbras . »

On no tera que Le Corbus ier cherche argument àson apoli t isme dans la comparaison avec l 'af faire de la«Nouvelle Section» de l 'Ecole d 'ar t de La Chaux-de-Fonds. Cet apoli t isme est celui d 'un homme qui , écar téde la commande pub l ique , ne t rouvan t pas dans lasociété f rançaise les condit ions de l'édificat ion du m ond enouveau, fonde ses espoirs sur l 'universal i té et la neutral i té de la technique. On touche là au germe desmalen tendus e t d ivergences qu i su rg i ron t u l té r ieu re

ment au se in des Congrès in ternat ionaux d 'a r ch i tec tu rem o d e r n e .

Le N° 27 de UEsprit nouveau fait un e large place àl 'A l lemagne. Un ar t ic le 3 s igné Pau l Boulard — un pseudonyme de Le Corbusier — pose la quest ion :

«Saurai t- i l exis ter aujourd 'hui un cas f ranco-a l lemand de l ' es thé t ique ? » La réponse est oui mais i lpourrai t être réglé puisque l 'Allemagne est sais ie par lemouvement des temps nouveaux , «créa teur s peu t - ê t r ed 'une âm e p lus un iver se l le , in ternat iona le au-dessus desnatio ns, capa ble peu t-êtr e de m êler les races ». Oui, le casex is te , parce que «des f a i t s demeuren t» , en par t icu l ie rl 'opposit ion séculaire Nord-Sud. Selon Le Corbusier ,al ias Boulard, la courbe serai t du nord et la droite du sud;le nord s ' in téresse rai t au dram e, le sud s 'occuperai t de laforme ; i l y aurai t conf li t e ntre ceux qui de m and en t :« Qu'est-ce que vous me dites ? » et ceux qui exigent :« C o m m e n t m e l e d i t e s - v o u s ? » L ' a r c h i t e c t u r ea l lemande aura i t é té l ' express ion du tumul te de l ' âmegermanique , a l imen tée de te r r eur s , de mys tères , dematér ia l i sm e b ru ta l . Dep u is 1870, « l 'A l lem agne n ' a pas

avancé d 'un pas la quest ion de l 'architecture. Elle adressé des ef f igies , des mannequins. Elle a fai t desfaçades. Elle a procédé en surface». Cependant , «unejeune A llem and e nous fai t s igne que la réact ion se fai t là-bas sur des bases qui nous sont communes». Ici , LeCorbusier donne la parole à Gropius qui , sur s ix pages,expose sa doct r ine per sonnel le p lus qu ' i l ne t r a i te l esu je t annoncé par l e t i t r e («Développement de l ' esp r i ta r ch i tec tu ra l moderne en Al lemagne») . Ces deuxar t icles sont suivis de la décla rat ion s uivan te :

UEsprit nouveau appo r te son appu i au Bauhaus deW e i m a r .

La tenta t ive de dissolut ion qui menaç ait le Bauhaus

de Weimar (Eco le d ' a r ch i tec tu re e t d ' ense ignement desar t s d i r igée par Wal ter Grop ius à Weimar , vo i r E.N.,

N° 19, « Pédagog ie » ) s'est réal isée; en ef fet , un nouve augouvernement de d ro i te en Thur inge succédan t augouvernement soc ia l i s te qu i , lu i , avai t encouragé e tsou tenu l ' o rgan isa t ion du Bauhaus , v ien t de donnercongé au directeur Walter Gropius, à tous lesprofesse urs et chefs d 'atel ier du Bauh aus, pou r la date du1 e r avril 1925.

Le Bauhaus , g r âce à son d i r ec teur Wal te r G rop ius ,représentai t cer tainement l 'un des essais les plus intér essan ts de pédagog ie moderne .

Q u an d UEsprit nouveau (N° 19) faisai t quelquesréserves, c 'es t qu ' i l se plaçai t au point de vue de la

cr i t ique pure . Quand des au to r i tés , qu i d ' e l les -mêmes sedéclaren t incompéten tes en la mat ièr e , e t ne v i sen tqu 'un but poli t ique, se décident s i fatalement à détruired 'un édit un parei l ef for t , UEsprit nouveau n e p eu trester muet et i l t ient à appor ter son appui moral à ceuxqu i son t vér i tab lement des v ic t imes .

Le Bauhaus après plusieurs années d 'act ivi té avaitréussi à const i tuer un centre d 'act ion, et i l représentai tl 'une des cellules les plus actives de la nouvelleA l l em ag n e .

Les temps sont t rop dif f ici les pour qu 'on puisserester indif férent au jugulement de l ' idée où qu 'el les 'expr ime. L 'ar t qui est une émanation directe de lasocié té en mouvement , s ' évade de p lus en p lus des

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mil ieux r ég ional i s tes pour p rend re une a t t i tude , non p asin ternat ionale , mais un iver se l le : l ' idée passe par-dessusles f rontières avec la rap idi té des véhicules qui la t ranspor tent . Là où un foyer s 'al lume, une radiat ion universel le se prod uit et ainsi les ef forts de chacun serve nt àtous . Parfois leçons négatives, souvent leçons posi t ives.

Met t r e su r p ied un é tab l i s sement d ' ense ignementcomme Walter Gropius l 'avai t fai t , n 'es t pas une mince

affaire; il y faut une force d'idéal considérable, uneénergie, une suite dans les idées, un talent qui seulspeuvent vaincre et faire le chemin l ibre. Ce qui a étééchafaudé e n plusieu rs an nées à coups de sacrif ices et dedons, n 'a pas le droit d 'être annulé d 'un trai t de plumepar des poli t iciens inconscients; i l faut avoir davantagele respect du travail et de la valeur .

L'Esprit nouveau sera heureux si sa protestat ion,jointe à cel le des nombreux mil ieux que la fâcheusenouvelle a émus, peut avoir un ef fet ut i le.

L'Esprit nouveau fai t parvenir duplicata de lap résen te au Prés iden t du Consei l d 'E ta t de Thur inge ,M . l e M i n i s t r e D r . H a r t m an n , W e i m ar ( L an d tag ) .

Les Cahiers d'Art, fondés et dir igés par Chr is t ianZervos , on t fo r tement con t r ibué à f a i r e connaî t r e lesBauhäus ler en France . Mais , con t r a i r ement à L'Esprit

nouveau, cette revue s'est plus intéressée à la product ion des maîtres qu 'à leur école. Dans les ar t icles enume res ci-dessous i l n 'es t qu est ion que deux fois — et t rèssommairement — du Bauhaus e t de l ' ense ignement .

N ° 9, 1926 « Le Bauhaus de Dessau » (Quatre pages depho tograph ies du bâ t iment avec un pe t i ttexte de Zervos sur Gropius et le t ransfer tde Weimar à Dessau) .

N° 2 , 1927 Com pte r endu d 'une expos i t ion de Klee àPar i s .

N ° 3, 1927 Trois pa ges de pho tos des ma isons desmaî t r es du Bauhaus Dessau .N ° 7, 1928 « Paul K lee » par Wi l l Grohmann ( avec de

nombreuses i l lus t r a t ions ) .N ° 10, 1928 C om pte rendu de l 'exposit ion d 'aquarel les

de Kandinsky à la galer ie Zak.N ° 1, 1929 «La p hot ogr ap hie , ce qu 'el le étai t , ce

qu 'e l le devra ê t r e» , par Moholy-Nagy(avec de nombreuses pho tograph ies ) .Compte rendu de l 'exposit ion de Klee à lagaler ie Bernheim.Compte r endu de l ' expos i t ion de Herber tBayer à la galer ie Povolozky.

N ° 7 , 1 9 2 9 « W a s s i l y K a n d i n s k y » , p a r W i l l

Grohmann ( r ichement i l lus t r é) .N ° 2, 1930 «W alt er Gro pius et l 'architecture enAl lemagne» , par S . G ied ion (neuf pagesavec i l lustrat ions) .

N ° 6 , 1930 «A pro po s des œuv res récentes de PaulKle e », pa r R oge r Vitrac.

N ° 2 , 1 9 3 1 C o m p t e r en d u d e l ' ex p o s i t i o n d eKa ndins ky à la galer ie Flechteim de Ber l in .

N ° 4 , 1 9 3 1 C o m p t e r en d u d e l ' ex p o s i t i o n d eSch lemmer à la ga ler ie F lech te im deBer l in .

N ° 7 - 8 , 1931 «Ré f lexion s sur l 'ar t a bstra i t» , pa rWass i ly Kand insky ( t ro i s pages ) .«L 'a érop or t» , pa r S . G ied ion ( s ix pages

avec de très beaux documents sur ler es tauran t de l ' aéropor t de Hal le de HansW i t t w e r ) .

N ° 6 - 7 , 1 9 3 2 « P r o b l è m e s d u n o u v e a u f i l m » ,par Moholy-Nagy (quat r e pages ) .

Le seul ar t icle publié dans Les Cahiers d'Art sur lesbuts , la pédagogie et l 'organisat ion du Bauhaus est d 'unAl lemand: Wi l l Grohmann (N° 5 , 1930 , «Une éco led 'ar t moderne — Le Bauhaus de Dessau, académie d 'uneplast ique nouvelle» ' deux pages) . Le Bauhaus estp rése n té c omm e la seu le école d ' a r t don t l ' ense ignementest en tous points conforme avec l 'espr i t de notre temps.Si la guerre continue dans l 'école et même autour d 'el le,c 'es t la preuve qu 'on ne s'est pas ar rêté, qu 'on avancetou jour s . Grohmann pense que l ' ac t ion é tonnan te decette acad émie pr ovie nt de ce que le t ravail s 'y acc ompli tentre deux pôles : d 'un côté, Klee-Kandinsky avec leurthéor ie des formes et , de l 'autre, Hannes Meyer , avec letravail prat ique soutenu par la sociologie. L 'auteurdonne des exemples de l ' ense ignement de Klee e tKandinsky et décr i t le cours préparatoire d 'Albers . Puisi l par le du directeur . Hannes Meyer est sans prétentionpersonnelle, i l aime à rester dans l 'anonymat et às'effacer derrière l 'œuvre collective. D'après lui, la structure et les besoins d 'une nation forment la base de touttravail créateur . Dans aucune école polytechnique ontrouve un enseignement aussi profond et aussi vaste quedans la sect ion d 'architecture de Hannes Meyer . Suit ladescr ipt ion de cer tains travaux présentés à l 'exposit iond 'avr i l 1930. L 'ar t icle se termine par quelques mots surles autres sect ions, sur le nombre et la répar t i t ion desélèves et sur l 'at t i tude posi t ive du maire de Dessau.

La dern ière in fo rmat ion des Cahiers d'Art sur leBauhau s a paru d ans le N ° 6-7, 1932 : «F erm etu re du

Bauhaus par l e gouv ernem ent na t ional- socia li s ted 'Anhal t .»Le gouvernement na t ional - socia l i s te d 'Anhal t

vient de fermer la grande école d 'ar t moderne del 'Allemagne, le fameux Bauhaus, construi t par Gropius.Le par t i nat ional-social is te, pour des raisons qui nouséchappen t , se mont r e en t iè r ement hos t i l e à tou temani f es ta t ion d ' a r t v r a imen t mo derne . Cela nous para î td 'autant plus paradoxal que ce par t i aspire avant tout às 'at t i rer la jeunesse. Est- i l permis de prendre deséléments jeunes, enthousiastes , pleins de vi tal i té et depossibi l i tés créatr ices , pour les replonger dans une tradi t ion d ésuète ? Toujours est- i l que les nat ionau x-social is tes , après avoir détrui t à Weimar toute vel léi té

d 'or ientat ion vers un ar t moderne, se sont at taqués aufoyer de Dessau. Heureusement, le directeur de l 'école,l 'architecte Mies Van der Rohe et les professeurs , nullement découragés de la fermeture du Bauhaus deDessau, vont bientôt ouvr ir une nouvelle école d 'ar tmo derne à Ber l in mêm e. »

Le sor t du Bauhaus a laissé L'Architecture

d'aujourd'hui indif férente. Ou alors il l 'a rendue mu etteen la mettant dans l 'embarras . Cette grosse revue, dotéedès le début d 'un vaste réseau de correspondants et dedépos i ta i r es à l ' é t r anger , a pub l ié en t r e novem bre 1930(prem ier n um éro) et mai 1933 qua tre art icles concernan t p lus ou moins d i r ec tement le Bauhaus mais danslesquels l 'actual i té ne t ient aucune place. Pou r le N ° 4 de

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mars 1931 , l e co r r espo ndan t en Al lemagn e ( Ju l iusPosener ) envo ie une méchan te r ecens ion des Bauhausbücher qu i se te rm ine p ar u ne a l lusion à un tourna n trelégué dans le vague :

« L es B au h au s b ü ch e r s o n t d e s d o cu m en t shis tor iques; les manifestat ions al lemandes les plus impor tantes de la révolution de l 'architecture et de l 'ar tmoderne. . . Ces l ivres veulent être révolutionnaires et ,

comme tou te l i t t é r a tu re r évo lu t ionnai r e , démagogiques : dans le prem ier l ivre de la sér ie, celui qui aexercé la plus for te inf luence, Gro pius di t qu ' i l reno nce àla reproduction de plans, d ' intér ieurs , de dessins deconstruct ion, pour servir un ( large public laïque et nedonne que des pho tos d ' ex tér ieu r s de bâ t imentsmodernes . . . en somme, des pho tograph ies qu i exci ten tl ' imagination formale, qui propagent un s tyle sans r ienenseigner sur la s tructure et l 'organisat ion d 'un édif icede nos jours .

Par ce procédé, Gropius a, sans le vouloir , engagéla révolution dans la voie d 'un nouveau formalisme. I l aaccoutumé le public (et les architectes) à ne plusdemander comment un ar ch i tec te conço i t un p lan ( les

quest ions de plan étaient beaucoup discutées avant laguerre en Allemagne, sous l ' inf luence anglaise, t ransmise par He rm an n M uthes ius ) , com men t i l f ai t pourconstruire une maison solide et à bon marché, mais à secon ten ter de l ' impress ion de tens ion , de fonct ion d'or-

ganisat ion, que fai t une œuvre d 'architecture. D 'abord, i lsemblai t qu 'on ne voulai t plus s 'engager davantage danscette voie. Gropius annonça un autre l ivre qui neconti endra i t que des plan s et des intér ieurs , mais ce l ivrene pa rut jamais . Au l ieu de ce l ivre on éditai t un réci t surune maison expér imenta le , conçue e t exécu tée par l esélèves du Bauhaus, du mur nu jusqu 'aux tapis et auxtasses de thé. Toutefois, ce livre est resté le seul de cegenre tandis que les l ivres de doctr ine prenaient laplupar t de la place entre les Bauhausbüchern. Voilà leurl is te complète : . . . Le dernier l ivre (Vom Material zur

Architektur) donne, comme on le voit déjà par son t i t re,le sommaire de cet te doctr ine, propagée par le cercle duBauhau s : Tou t ar t , et en pre mi er l ieu l 'arch itecture,dér ive de sensat ions. . . C'est le sor t t ragique de cet ter évo lu t ion t rop pure me nt es thé t ique , qu i abou t i t au sensual i sme de l 'a r t i s te un iver se l , l e pho togra phe mod erne .Actuel lement , une r éac t ion semble se p réparer dans lemil ieu des fondateurs du Bauhaus (qui ne sont plus,depuis deux années, ses dir igeants) . La pér iode ducombat r évo lu t ionnai r e , de la p ropa gand e e t de la démagog ie , es t su rmontée . . .»

Walter Gropius est la vedette du N° 6 d 'août-sep tem bre 1931 : plusieurs p ages i l lustrées , un texte duprofesseur Dorner sur le maître avec quelques l ignes debanali tés anachroniques sur l 'école qu ' i l a fondée. LeN ° 2 de m ars 1933 consacre d eux p ages depho tograph ies sans commenta i r es à « L'école socialistede Bernau de l ' a r ch i tec te Hannes Mayer» (sic). Enfin,Posener fai t insérer dans le N° 4 de mai 1933 cet tenotice laconique :

«Cinquan tenai r e de Grop ius .»D an s le N° 6 , 19 31, de notre revue, nous avons

commencé une sér ie d 'ar t icles sur les architectes modernes en Al lemagne par une é tude su r Grop ius .Gropius, sans aucun doute, est la personnali té la plus

marquan te de l ' a r ch i tec tu re a l lemande des dern ièresannées . C 'es t lui qu i a posé le modern ism e en Al lem agnesur des pr inc ipes fond am enta ux; qui lui a do nn é saforme déf ini t ive; qui l 'a systématisé par des recherchesscientif iques. Nous, qui l 'avons parfois at taqué, quin 'avons admis ni ses pr incipes ni ses méthodes, nous nesom me s pas de ceux, qui aprè s l 'avoir suivi aveu glém ent,croient devoir aujourd 'hui le r idiculiser et nier son im

por tance . »I l aurai t été peut-être intéressant d 'ajouter que,

cinq semaines avant cet anniversaire, la viei l le fabr iquede Ber l in-Stegli tz q ui abr i tai t les restes du Bauha us av aitété perquisi t ionnée et mise sous scel lés , que trente-deuxétud ian ts s ' é ta ien t r e t rouvés en p r i son 4.

En 1930, Cercle et Carré a publié quelques textes deBauhäus ler sans pour au tan t par ler du Bauhaus . Cet ter evue a é té pendan t t ro i s mois l ' o rgane d 'un g roupe dumême nom qu i r assembla i t l es a r t i s tes se r éc lamant del ' a b s t r a c t i o n g é o m é t r i q u e . G r o p i u s , K a n d i n s k y ,Moholy-Nagy avaien t adhéré au g roupe qu i compta i tquat r e-v ing ts me mbre s don t l a moi t ié r és ida ien t à Par i s .La revue avai t é té conçue comm e une mach in e de guer r e

con tre le surréal isme . En fai t , el le ne s'est jamais r isquéeà l 'at taquer de f ront . I l s 'agissai t de prouver qu 'on étai tencore beaucoup à par tag er une concep t ion r a t ionnel leet construct ive de l'art. Comme ces témoignagesdevaien t t en i r dans un nombre l imi té de pages , i l savaient s ouve nt le caractère d 'un entref i let . Ainsi en fut-i l des contr ibutio ns de Kan dinsk y (53 mo ts sur le but desa peint ure d ans le N ° 1 du 15-3-1930) et de Meye r(8 phrases extrai tes de «bauen», dans le N° 2 du 15-4-1930) . Gropius a eu plus de chance; ses idées sur laforme, la t radit ion, l ' innovation et le type sont l 'objetd 'un vrai ar t icle dans le N° 3 du 30-6-1930.

En I9 3I , les édit ions G. Crès & C ie ont consacré unpet i t l ivre à W alte r Gropiu s dans leur collect ion «Lesar t is tes nouveaux ». I l comporte sur tout des i l lustrat ionsde bonne quali té et une cour te introduction de Siegfr iedGiedion dans laquelle le Bauhaus est t rès succinctementdécr i t . Ce texte est celui qui avait paru l 'année précédente dans le N° 2 des Cahiers d'Art.

D a n s UArt des origines à nos jours ( tome I Il ibrair ie Larousse, Par is , 1933) , on peut l i re un commenta i r e su rp renan t de P ier r e du Colombier . Sur p renan t , pas te l lement par l e ton mais parce quel 'auteur , qui sym path isai t avec la droite, es t le pre mi er etle dernier à informer les Français du l icenciement deH an n es M ey e r :

«Sans forcer les choses, i l es t impossible de

méconnaî t r e , chez les d i r igean ts du Bauhaus , unmess ian isme communis te . Cons t ru i r e , ense ignai tHannes Meyer , qui fut expulsé du Bauhaus pour cemotif, est un processus biologique et non esthét ique. I lfut remplacé par Mies Van der Rohe, créateur dumonument à L iebknech t e t Rosa Luxemburg . Leprob lème cons is te , en somme, à c r éer par l es méthodesles p lus modernes une ambiance auss i s t r ic tementadaptée qu ' i l es t possible aux condit ions d 'une viecollect ivisée. La production en sér ie doit régner enmaîtresse, et le luxe, le capr ice individuel sont pourchassés avec autant de férocité que naguèrel 'o rnement . »

Le quip roqu o le plus bur lesque ent re la France et le

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Machine à thé, Joseph Knau, Bauhaus 1924.

Bauhaus s'est joué au Salon des artistes décorateurs de1930. La présence allemande à cette exposition était unévénement politique : pour la pre miè re fois depuis la finde la guerre la France donnait la possibilité àl 'Allemagne de participer à une manifestation publiqueen l'invitant officiellement. Le ministère allemand desAffaires étrangères avait chargé le Werkbund de l'opération. Grop ius fut désign é pour la diriger. Il la conçut demanière à intégrer les produits à présenter dans ladémo nstration d'un nouveau mode de vie. Dans ce but, ilréalisa le centre social de l'immeuble lamelliformeauquel il était en train de réfléchir à cette époque. A côtéde cet espace on pouvait voir un appa rtemen t agencé parBreuer et une sélection d'objets faite par Moholy-Nagyet Bayer. Si l'on en croit les témoignages, l'ensemble afortement impressionné les visiteurs. Mais le grandpublic, qui croyait découvrir un nouveau visage del'Allemagne, ignorait que cela était un manifeste pourainsi dire posthu me de quatre anciens professeurs d'unetoute petite école en sursis; les initiés, qui pensaient setrouver en communion avec l 'esprit du Bauhaus, nesavaient pas qu'à Dessau on n'en était déjà plus là; lescélébrités, invitées à l'ambassade d'Allemagne pour: fêter l'évén eme nt, ne se doutaien t pas qu'autour d'eux setramait un sinistre complot5.

L'écho reçu par la section allemande au Salon desartistes décorateurs a été très vaste. En résumant, avecles mots mêmes de leurs auteurs, les opinions les plusfréquemment exprimées dans la presse française, on

obtient le discours suivant :«Ce qui surprend, au premier abord, c'est la

légèreté. Ne croyez pas qu'il s'agit d'un lapsus. Nous nepouvons plus parler de lourdeur germanique. Il n'y a quecertaines déclarations dans le catalogue qui manquen t definesse. On nous montre de l'espace, de la lumière, desidées ingénieuses, des matériaux nouveaux, un aperçusur la société future. Tout cela est net, intéressant maishorriblement dépourvu de charme et de beauté. Lasection allemande est la partie la plus froide de l'exposition. Elle donne un e imp ression de confort hygiéniqueà bon marché. C'est de l'art purement industrielrésultan t des calculs de l'ingénieur. Si nous c omp renonsbien les manifestes du Werkbund, celui-ci entendexercer une vraie dictature dans le domaine de

l'ensemble mobilier. L'artiste doit devenir un simplecollaborateur de l'usine pour la recherche de modèlesstandardisés. Fi de l'apparence qui gaspille le temps et lamatière. De là cette nudité féroce, cette sécheresseimpersonnelle, cette rigueur austère. La vie estcondamnée à s'enfermer dans un théorème degéom étrie. Il est juste pourta nt que l'objet usuel répo ndeexactement à sa destination. Il es t juste encore que sonprix de revient le rende accessible à tous et c'estregrettable que la France néglige ce problème. Faut-ilpour cela renoncer à la fantaisie, au superflu, au plaisirde choisir ? Cette fabrication en série est peut-êtreparfaite pour les équipe men ts publics, nous ne la voyonspas uniformisant nos intérieurs, nous imposant un

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décor, un bien-être, des habitudes arrêtées dans lebureau d'un président de consortium. Quittons la Métro-polis allemande asservie à une esthétique tyrannique ettourno ns-no us ve rs les stands français. Deux pays, deuxmondes. Quelle parfaite élégance dans un meuble deRuhlmann ! Quelle grave ordonnance et quelle richessede ligne chez Rous-Spitz ! Certes, ces meubles ne sontpas pour le Français moyen et nos voisins pourront

sourire. Mais les pro por tion s sont si justes et l'har mo niesi heureuse. Il faut reconnaître que la conceptionallemande est à l'opposé de la conception française.Choisir e ntre la section allemande et la section française,c'est moins choisir entre des goûts différents que, d'unemanière plus générale, entre l 'industrie et l'art, entrel'œuvre anonyme et l'individuel. Nous admirons la hardiesse du Werkbund, sa logique, sa volonté de réalisation, sa lutte en faveur, non poin t d'un art nouveau, maisd'une vie meilleure. Toutefois, nous ne voyons pas quenotr e caractère individualiste latin puisse s'accommoderde cet idéal collectiviste. Nos artistes libres ne veulent àaucun prix d'un Bauhaus et se refusent à suivre les leçonsdu professeur Gropius. La France doit rester fidèle à sa

tradition, à son long passé de gloire artistique etmaintenir en art la supériorité qu'on a toujoursreconnu e au fini de sa production, à la qualité de sa main-d'œuvre. Elle ne prétend pas, par là, s'opposer à touteévolution. Elle ne nie pas la nécessité d'apporter leconfort aux classes peu aisées grâce à la machine et à lanorm alisation. Elle souhaite que de telles possibilités seréalisent, mais elle entend les réaliser par une prudenteadaptation de sa production aux besoins nouveaux,plutôt que par un effort brusqué qui risquerait demanquer son but6 . »

La vague de com mentaires suscitée au printem ps1930 par la présence allemande au Salon des artistesdécorateurs est instructive m ais elle ne per me t pas, à elleseule, de comprendre pourquoi les revues d'avant-gardeont prêché dans le désert. Car, en effet, ce qui frappequand on exam ine l 'information fournie par ces revues,ce n'est pas tant son caractère fragmentaire et souventréticent, c'est qu'elle n'a servi à rien. Elle n'a pas eng agéles jeunes Français à aller étudier au Bauhaus. Elle n'ainspiré aucune expérience dans les écoles alors que, dèsla fin des années vingt et dans le courant des annéestrente, les principes d'enseignement du Bauhaus serépandaient en Allemagne, aux Pays-Bas, en Hongrie,en Palestine, aux U.S.A. Tandis qu'après la guerre, denombreux pays se sont emparés de l 'héritage duBauhaus, la France s'est comportée comme si elle n'avaitjamais rien su, comme si elle n'était pas concernée.Aujourd'hui, nombre de notions et de pratiquesnouvelles issues de la révision de cet héritage sontétrangères à la culture française.

Cette suite de rendez-vous manques n'est-ellequ'un accident ano din de la circulation des idées, relève-t-elle d'une incompatibilité psychologique héréditaireou est-elle la conséquence d'un ensemble departicularités historiques ? Les éléments les pluspausibles d'une explication du phénom ène tend raient àconfirmer la troisième hypothèse.

1. T andis qu'e n France on se reposait sur l'avanceprise au XIX e siècle dans le développement des forcesproductives, sur les débouchés commerciaux de l'empire

colonial et sur l'image de marque des «Articles deParis », les conditions particulières de l'industrialisationallemande ont engendré une série de comportements,d'initiatives et de politiques qui ont joué un rôle déterminant dans la naissance et l'existence du Bauhaus :

- l'encouragem ent à l'innovatio n technologique;- la conquête des marchés internationaux par

l'élévation de la qualité des produits;

- la reconnaissance par la grande industrie de lavaleur commerciale de l'art appliqué.

Le Werkbund, Muthesius, Behrens, la colonied'artistes de la Mathieldenhöhe, qui ont préparé leterrain sur lequel le Bauhaus s'est développé, étaient impensables dans la France du début du siècle.

2. Le centralisme de l'appareil d'Etat, le régimeoligarchique de la commande publique, la tutelle del'Institut 7 sur la vie intellectuelle, ont maintenu enFrance l'enseignement de l'architecture et des arts plastiques dans l'ultra-traditionalisme. Alors que Van deVelde enseignait à Weimar, Behrens à Düsseldorf,Poelzig à Breslau, Schumacher á Dresde, Fischer àMunich, l'Ecole des beaux-arts restait interdite auxarchitectes déviants.

3. La France a été peu touchée par le bouleversement socio-politique de l'après-guerre. La fermentation idéologique et culturelle engendrée par ce bouleversement a été en France moins intense qu'enAllemagne. Un Arbeitsrat für Kunst, dont on connaîtl'effet sur la con stitut ion du fonds idéologique duBauhaus, ne pouvait naître que dans un pays secoué parune révolution. Grosz, Dix, Heartfield, Brecht, Piscatorn'ont pas eu d'homologues en France. Ce n'est que plustard, dans le courant des années trente, sous l'influenceallemande et soviétique, que surgissent en France desmanifestations d'art politiquement engagé et socialement utile. Sur le plan pédagogique, on ne trouve enFrance rien de comparable à la réforme mise en œuvrepar la Thuringe. Le mouvement soutenu par Freinetchez les instituteurs paraît bien timide par rap port à cequi s'était passé antérieurement en Allemagne.

4. A l'ancienne méfiance envers les visées expansionnistes allemandes sont venus s'ajouter les maux etles séquelles de la guerre qui ont formé un écran entrel'Allemagne et la France. Les ressentim ents à l'égard desAllemands sont restés longtemps vifs et profonds dansla population française. Clemenceau voulait profiter dela situation pour assurer l'hégémonie de la France enEurope. Pour Poincaré, il fallait «faire payer le boche».La politique de négociation de Stresemann, le dévelop

pement des relations commerciales entre l 'Allemagne etÏ'U.R.S.S., entr eten aien t les suspicions. Mais si on rêvaitchez les vainqueurs d'éliminer le concurrent allemand,on s'efforçait aussi de main tenir u ne Allemagne bourgeoise capable de constituer un rempart contre lebolchevisme. Tout ce qui pouvait provenir del'Allemagne et avoir une odeur socialisante était catégoriquement rejeté par une partie importante del'opinion française.

5. Le processus de rationalisation accéléréependant les années de prospérité, la gestion socio-démocrate des affaires publiques, l'essor de laconstruction, ont créé en Allemagne un climat deconfiance dans la technicité, la rationa lité utilitaire et le

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progrè s que les Français , dans leu r ensemble , n 'on t pasconnu. Dans la France des années vingt , le taylor isme nese répand que très peu au-delà de l ' industr ie automobile.Le bâ t iment r es te a r t i sanal . Il peu t com pter su r la main-d 'œuvre à bon m arché des imm igrés i t a l iens ; i l n ' a pasbesoin d 'un organisme tel que la Reichsforschungstel lefü r Wir t schaf t l i chkei t im Bau-und Wohnungswesen e td 'un Gropius pour la dir iger . D 'ai l leurs , l 'act ivi té

construct ive est relat ivement réduite et l 'aspect desv i l les change moins qu 'en Al lemagne. Fr i tz Lang ouWal ter Rü t tmann n 'au ra ien t pas pu t rouver en Franceles sources de leur inspirat ion. Hors de ce modernismeambian t l e Bauhaus ne pouvai t appara î t r e que commeune incongru i té .

6. La structure de la société française et la naturede ses besoins ont eu un effet m althu sien sur les act ivi téscréatrices du cadre de vie. Au début du siècle, il y avait enFranc e dix fois mo ins de coopé rat ives de constru ct ion delogem ents qu 'en A l lemagne. Q uand , en 1919 , l a Francese do ta i t d 'une lo i ex igean t des communes impor tan tesl ' é tab l i s sement d 'un p lan d ' aménagement , e l le avai tqua rante -qua tre ans de retard sur la Prusse. Alors que les

ar t isans menuisiers et ébénistes f rançais reproduisaientencore des anciens modèles dans leurs entrepr isesfamiliales , les atel iers d 'ameublement les plus importan ts d 'A l lemagne avaien t fus ionné dans des g randesindustr ies mécanisées qui écoulaient des produitsmodernisés avec leur propre réseau de dis tr ibution. Onvoit pourquoi le nombre et l 'audience des novateursé ta ien t beaucoup p lus r es t r e in t s en France qu 'enAllemagne. Les créateurs f rançais t ravail laienti so lément , p rodu isa ien t des exempla i r es un iques pourune cl ientèle qui demandait du raf f inement, del 'élégance et de la fantais ie. Les architectes , l 'Unioncentrale des ar ts décorat ifs , la Société des ar t is tes décorateurs , étaient incapables d 'envisager une évolution qui

sor te radicalement de ce cadre.7. Parce que cela les ar rangeait , les Français sont

restés long tem ps at tac hés à des anciens préjugés es thé-t ico-racis tes envers l 'Allemagne. P. Verneuil écr ivai t ,par exemple, à l 'occasion de l 'exposit ion des ar tsmunicho is au Salon d ' au tomne de 1910 :

«L' intérêt de l 'exposit ion munichoise est t rèsgrand; cer taines par t ies en sont for t réussies . Une tel leexposit ion peut-el le avoir une inf luence quelconque surl 'art décoratif français ? Je n 'hési te pa s à dire non, et nonde façon absolue. Le Bavarois est cer tes plus proche denous que le Pruss ien ; mais i l demeure Germain cependant . Et jamais notre goût lat in ne pourra recevoir uned i r ec t ion quelconque du goû t germanique . Nouspour rons y pu iser des ense ignements peu t - ê t r e , maisnon des inspirat ions. C'est là quest ion de races. Lalourdeur , la brutal i té d ans les contrastes , la r ichesse t ropostensible, la crudité des tons ne sauraient répondre ànos goû ts , qui réclam ent la souplesse, la me sure , la grâceet l ' harmonie . Nous pouvons admirer sans r éserve lesquali tés de travail , de persévérance et d 'organisat ion;mais les réserves s ' imposent dès que les quest ions esthét iques en t r en t en jeu 8 . »

La compara ison avec les commenta i r es de l ' exposi t ion de 1930 est savo ureuse. Lorsqu ' i l ne fut plus possible de par le r de lourdeu r germa niqu e, on décréta que lecaractère lat in ne pouvait pas s 'accommoder d 'un idéal

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collect ivis te.8 . La sépara t ion ins t i tu t ionnel le en t r e un iver s i té ,

écoles d ' ingénieurs et écoles d 'architecture a cloisonnédurablement l ' in tel l igentsia f rançaise, consolidé lasuprématie du savoir l i t téraire et favor isé le mépr is pourla culture ma tér iel le. On dé plorai t , en 1930, que l 'ar t is tedev ienne un co l labora teur de l ' u s ine pour les mêmesraisons qu 'Eif fel avait été t rai té de «vulgaire construc

teur de ma chine s » pa r les célébr i tés l i t téraire s de sonépoque. Le fai t que le réformisme n 'ai t pas eu la mêmeprise sur la vie poli t ique de l 'Allemagne et de la Francen 'es t pas r es té sans conséquence dans le domainecu l tu re l . Les r appor t s de l ' homme à son env i ronnementdif fèrent selon que la classe dominante a réussi ouéchoué à imposer un consensus social . Alors qu 'enAl lemagne la con jonct ion ar t moderne - t echn iqueavancée t rouvai t un champ fer t i l e dans la p ropagandepour les réal isat ions immédiates sur lesquelles avait étét r ans férée l ' asp i r a t ion au changement de r ég ime, enFrance, l 'espoir révolutionnaire cherchait dans le surr éa l i sme le moyen de s ' expr imer par l e r êve e tl ' inconscient .

N o t e s

1. Un exe mp le: «Mo nde» figurait sous la rubrique «re vuesimportantes » dans l'organe du Bauhaus. Pour sa part, cet hebdomadaire remarquablement bien fait par Henri Barbusse et, de plus,très sensible à la situation en Allemagne, n'a jamais dit un mot duBauhaus.

2. Voir Jeanneret (Charles-Edouard) : Etude sur le mouvement d'art

décoratif en Allemagne. La Chaux-de-Fonds, 1912.

3. Boulard (Paul) : «Allemagne...» In L'Esprit nouveau, N° 27, 1925.

4. A partir du N° 2 de mars 1934, Posener, qui avait dû fuir l'Allemagnenazie, devient secrétaire de la rédaction de L'Architectured'aujourd'hui. Seuls les lecteurs attentifs de la page de titre ont purema rquer cette mutation et deviner le drame dont elle découlait, carelle ne fut l'objet d'aucune explication dans le corps de la revue.

5. «Du haut de la tour Eiffel le Bauhaus-condor Gropius fond sur madépouille directoriale et, dans le sable de l'Adriatique, rassuré,Kandinsky s'étire en soufflant : C'est fait. » (Hannes Meyer : MeinHinauswurf aus dem Bauhaus).

6. Art et Décoration, T. LVIII, 1930; Comoedia, 6-6-1930;Us Echos d'Art, N° 59, 30-6-1930; Le Figaro, 16-5-1930; Die Form,

N° 16, 15-8-1930;L'Illustration, N° 4553, 7-6-1930; Journal des Débats, 10-6-1930;La Liberté, 16-5-1930 et 20-5-1930; Le Petit Journal, 15-5-1930;Le Temps, 21-5-1930 et 12-6-1930.

7. L'Institut de F rance, fondé en 1795, se compose de cinq Académies :française (1635), des inscriptions et belles-lettres (1664), dessciences (1666), des beaux-arts '1816), des sciences morales etpolitiques (1832).

8. Verneuil (P .): «Le Salon d'Autom ne et l'exposition des artsmunichois ». In Art et Décoration, T. XXVII, 1910.

Affiche Bauhaus, 1923.