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Belgie-Belgique P.B. 1/9352 Bureau de déPôt Bruxeles 7 P006555 nov-dec 2012 prix 1,50 euro | 56e année |novembre - décembre 2012 # 60 les cHeMinots Montrent la voie

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La Gauche est le journal bimestriel de la Ligue Communiste Révolutionnaire LCR, section belge de la Quatrième Internationale. www.lcr-lagauche.org

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Belgie-BelgiqueP.B. 1/9352Bureau de déPôtBruxeles 7P006555nov-dec 2012

prix 1,50 euro | 56e année |novembre-décembre 2012#60

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ont contribué à ce numéro: Olivier Bonfond, Sébastien Brulez, Céline Caudron, les Comités Action Europe, Matilde Dugauquier, Roger Goddin, Denis Horman, David Martens, Little Shiva, Daniel Tanuro, Pierre Trefois, Guy Van Sinoy, Renaud Vivien.

La Gauche est le journal bimestriel de la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR), section belge de la Quatrième Internationale.

Les articles signés n’engagent pas forcément la rédaction.

Adresse et contact: 20, rue Plantin 1070 Bruxelles, [email protected]

Tarifs et abonements: 1,5 € par numéro; 8 € par an étranger: 18 € par an

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la gauche est éditée par la Formation léon lesoil e.r. André Henry, 20 rue Plantin 1070 Bruxelles

www.lcr-lagauche.be

3 edito par Céline Caudron

4 chronique d’une pauvreté programmée par Denis Horman

6 Marc, touche pas à mon salaire! par Guy Van Sinoy

7 occupons-nous de l'oneM! par les Comités Action Europe

8 en avant toute pour une justice expéditive sans garanties judiciaires par David Martens

9 interview: Philippe Poutou par Guy Van Sinoy

10 en finir avec dexia par Renaud Vivien

11 Y a-t-il un comptable au gouvernement? par Olivier Bonfond

12 ue : tout faire pour bloquer le traité budgétaire par Olivier Bonfond

13 quand les facteurs font reculer la direction... par Serge Alvarez

14 interview: Felipe van Keirsbilck par Guy Van Sinoy

18 interview: raoul Hedebouw par Guy Van Sinoy

22 occupy sandy! par Daniel Tanuro

23 grèce: Plongeon dans le laboratoire de l'austérité par Céline Caudron

26 ecole anticapitaliste de printemps de la Formation lesoil par La Gauche

27 agenda / culture / abonnements

cover www.flickr.com/photos/mediactivista/8186612169

photo :::mediActivista:::

back cover photo: Jan Slangen

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édito

✒ par Céline Caudron

La "stratégie du choc" consiste à frapper l’adversaire très vite et très fort pour désorganiser sa défense, tout en intoxiquant l’opinion publique à coup de mensonges. Depuis plus d’un an, La Gauche affirme que le gouvernement Di Rupo mène une stratégie du choc à la belge. Le budget 2013 concocté par cette coalition de malheur montre que nous avons raison.

Côté mensonges, on est servis: "on ne touche pas à l’index", "ce n’est pas l’austérité, seulement la rigueur", "les efforts son équitablement répartis" et "le gouvernement prend des mesures pour la relance". En réalité, l’index est manipulé par le biais d’une modification de la composition du "panier de la ménagère", les salaires sont bloqués pour deux ans au moins, le non-remplacement des agents de l’Etat partant à la retraite supprimera 4000 emplois, et 710 millions d’économies sont imposés dans la sécurité sociale. Par contre, le patronat reçoit en cadeau une nouvelle baisse de ses cotisations à l’ONSS (les "charges", comme on dit, alors qu’il s’agit de notre salaire solidarisé), les soi-disant mesures contre le capital financier sont cosmétiques et la prétendue relance est bâtie sur les dogmes néolibéraux de la

compétitivité par la réduction des "charges" ainsi que l’intensification de l’exploitation du travail.

Les mesures concernant la fiscalité du capital sont particulièrement choquantes. Alors que les grandes entreprises ne paient pas d’impôt, alors que la déduction des intérêts notionnels coûte annuellement plus de 4 milliards à la collectivité, l’austéritaire Di Rupo ne trouve que 256 millions à y récupérer! Alors que la fraude fiscale représente 20 milliards par an, "l’intensification de la lutte" contre ce fléau ne rapportera que 217 millions et les gros fraudeurs sont amnistiés! Les ministres PS se vantent de l’augmentation du précompte mobilier à 25%: ils "oublient" que le caractère libératoire du précompte est rétabli, de sorte qu’est annulée une des mesures dont ils vantaient le côté progressiste, dans le cadre du budget 2012! La presse financière se frotte les mains en observant que cela éloigne le risque d’un cadastre des fortunes… Quant à la taxe de 0,4% sur les plus-values boursières, cette même presse ne cache pas qu’il s’agit d’une mesure symbolique, qui vise uniquement à donner une illusion de justice.

Illusion: voilà le maître mot de ce gouvernement et de son premier minis-tre. Seul un illusionniste peut parler de

"budget juste" quand le blocage des salaires et le tripotage de l’index signifient une nouvelle réduction planifiée de la part des salaires dans la richesse nationale, au profit des actionnaires. Mais il ne s’agit pas que du premier ministre: ses acolytes sont du même bois. Intervenant à la Chambre, le chef du groupe PS a félicité Di Rupo pour ce budget "qui respecte rigueur et pouvoir d’achat, permet relance et maintien de nos acquis sociaux, évite de sanctionner la pop-ulation et recherche plus de justice fiscale." En réalité, ce gouvernement fait semblant de chercher la justice fiscale pour ne pas la trouver. Quant à la "relance", parlons-en! L’astuce du faussaire Di Rupo consiste à baptiser "relance" ce que ses prédéces-seurs appelaient "augmentation de la compétitivité". Les recettes sont les mêmes: flexibilité, précarité, annualisation du temps de travail, chasse aux chômeurs et chômeuses, durcissement autoritaire de la "norme salariale", suppression de la liberté de négociation collective, etc, etc.

Nous ne cessons de le répéter depuis un an: derrière les mensonges des illu-sionnistes, ce gouvernement a déclaré la guerre au monde du travail. Face à cela, si les organisations syndicales maintien-nent leur ligne du moindre mal, elles se

condamnent à devenir des courroies de trans-mission de la politique capitaliste. Certains chefs syndicaux, appa-remment, ont opté pour cette voie, au point de devenir à leur tour des illusion-nistes. Les autres n’ont plus qu’une possi-bilité: s’appuyer sur la mobilisation démocra-tique des affiliés pour articuler la résistance sociale et la construc-tion d’un nouveau parti du monde du tra-vail, capable de mettre en perspective un autre gouvernement pour une autre politique dans une autre Europe. Anticapitaliste. ■

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✒ par Denis Horman

C’est un véritable bain de sang social que le gouvernement Di Rupo a programmé, fin 2011, en limitant dans le temps les allocations d’insertion sociale pour les jeunes qui sortent de l’école, et en planifiant la dégressivité des allocations de chômage pour les trois catégories de chômeur/euse/s (chefs de ménage, isolés et cohabitants) jusqu’à un forfait.

Notre gouvernement s’était engagé, auprès des instances européennes, à sortir de la pauvreté 380 000 personnes d’ici 2020. C’est qu’en effet, il y a urgence. Aujourd’hui, en Belgique, plus de 15% de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté. Et à Bruxelles ce taux dépasse même les 25%. Quatre chômeur/euse/s sur cinq, un enfant sur quatre et une personne pensionnée sur trois vivent déjà sous le seuil de pauvreté. Seuil qui est actuellement fixé à 1300 euros/mois pour une personne (chef de ménage avec un enfant) et à 1000 euros/mois pour un/e isolé/e.

Selon les premières estimations, à terme (après une période de trois à quatre années), l’addition de cette dégressivité, jusqu’à un forfait, et la suppression des allocations d’attente pour les jeunes va toucher quelque 300 000 personnes dans l’ensemble du pays. Elle se soldera par un total de 130 000 à 200 000 personnes, poussées dans la pauvreté.

Ce gouvernement n’hésite pas à s’en prendre aux couches déjà les plus fragilisées, sous prétexte que chaque citoyen doit contribuer au redressement des finances publiques. En réalité, ce sont surtout les salarié/e/s et les allocataires sociaux, pourtant en rien responsables de cette crise capitaliste, qui encaissent cette austérité, aux ravages sociaux et aux détresses humaines.

Et qu’est-ce que cela lui rapporte de faire couler ainsi un tel bain de sang social, pour éponger un déficit budgétaire provoqué par d’énormes cadeaux fiscaux

et subsides aux entreprises, ou encore pour réduire un endettement gonflé par le sauvetage, avec notre argent, de grands banquiers spéculateurs? Les économies budgétaires, via ces mesures iniques sur le dos des chômeurs, rapporteraient selon les estimations à peine quelque 242 millions d’euros en 2015. Une contribution insignifiante pour la réduction du déficit à 0,5% du PIB qui nécessite une somme de plus de 20 milliards d’euros pour atteindre cet objectif en 2015!

Par contre, les conséquences sociales et humaines, pour cette couche déjà fragilisée, se passent de commentaires. Alors, n’y aurait-il pas d’autres motivations à cette attaque inqualifiable du gouvernement dirigé par un premier ministre socialiste? Ces nouvelles mesures prises par le gouvernement Di Rupo en matière d’allocations de chômage et d’insertion sont d’une complication –voulue!– impressionnante. Retenons-en l’essentiel!

suppression des allocations d’insertion au 1er janvier 2015!

A la sortie de l’école, le stage d’attente (appelé "stage d’insertion") est allongé de 3 mois. C’est après 12 mois, que le jeune pourra, éventuellement toucher des allocations de chômage. Eventuellement! Pendant cette première période de 12 mois, il doit déjà faire la preuve d’une recherche intensive de travail, laquelle recherche sera évaluée de 4 mois en 4 mois par un conseiller référent FOREM. Ce n’est qu’après trois évaluations positives successives que le jeune pourra prétendre à ses allocations d’insertion. Une fois admis au bénéfice de ses allocations, le jeune devra poursuivre sa recherche active d’emploi. Elle sera vérifiée de 6 mois en 6 mois par un contrôle tatillon de l’ONEM, avec l’obligation d’accepter tout emploi "convenable" (contrat précaire, intérimaire, à temps partiel, stage en entreprise...), avec des trajets allongés (passant de 25km à 60km).

Dès le début du "stage d’insertion" (à partir du 01/01/2012), le couperet est déjà

là, au-dessus de la tête du jeune. Il s’agit "d’activer" les chômeurs, comme disent si bien, de concert, patrons et gouvernement, pousser les jeunes à trouver du boulot. Chômeurs fainéants? Une étude réalisée par Eurostat démontre que seulement 0,7% des chômeurs belges ne cherche pas d’emploi. Et l’emploi! Certaines estimations parlent d’un emploi vacant pour sept chômeurs. D’autres vont plus loin: un emploi vacant pour 17 chômeurs en région Bruxelles-Capitale et un emploi pour 35 chômeurs en Wallonie!

"Activer" les chômeurs, sous peine de sanctions et exclusions (1579 exclusions par l’ONEM au 1er semestre 2012!), pendant que les entreprises licencient à plein régime! La nouvelle mesure gouvernementale supprime dorénavant, à partir de la 3ème année, les allocations dites "d’insertion".

Le compteur a démarré, le 01/01/2012, pour les cohabitants "non privilégiés", avec le couperet au 01/01/2015. Pour les cohabitants privilégiés (dont le montant de l’allocation journalière du conjoint ne dépasse pas 31,77 euros), ainsi que pour les isolés et chefs de ménage, le compteur démarre à partir de l’âge de 30 ans. Après l’âge de 33 ans le jeune n’aura plus droit, en principe, à ses allocations d’insertion. Le délai de 3 ans pourra être prolongé, dans des cas précis (période de travail, incapacité de travail...).

Le CEPAG (mouvement d’éducation permanente lié à la FGTB wallonne) donne l’exemple de Pedro, cohabitant, 22 ans, qui a fini ses études et s’est inscrit au Forem. Il bénéficie actuellement d’une allocation d’insertion de 409 euros/mois. Il perd déjà cette année 3 x 409 euros, soit 1227 euros, car il a dû attendre juillet (12 mois) au lieu d’avril (9 mois), pour toucher cette allocation. Début 2015, il perdra toute allocation: 100% de son revenu, s’il ne trouve pas de boulot.

Il n’y a pas que les jeunes sortant des écoles qui sont visés par la mesure. Un nombre important de travailleurs sans

exclusions et dégressivité des allocations de chômage:

chronique d’une pauvreté programmée

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emploi sont restés en allocation "d’insertion" et n’ont jamais travaillé assez longtemps pour percevoir des allocations sur base d’un travail. Chômeurs de longue durée, femmes cohabitantes, femmes seules avec enfants, etc. feront les frais de cette mesure inique. Le CEPAG estime qu’au premier janvier 2015, 40 000 personnes seront touchées par cette mesure de suppression des allocations d’insertion, dont 30 000 pour la Wallonie.

dégressivité des allocations de chômage... vers le forfait

Auparavant, le forfait (le seuil plancher) n’existait que pour les cohabitants. Les nouvelles mesures accélèrent la dégressivité des allocations (de même que les sanctions, suspensions et exclusions) et imposent un forfait pour tous les chômeur/euse/s (chef de ménage, isolé, cohabitant), au plus tard, après quatre ans de chômage.

Ce forfait sera de 1090 euros/mois pour les chefs de ménage, de 916 euros pour les isolés, de 484 euros pour les cohabitants (ordinaires) et de 636 euros (cohabitants "privilégiés"). Selon les estimations du CEPAG, la perte de revenu mensuel, pour ces différentes catégories de chômeurs, pourra se situer entre 150 et 200 euros, voir plus de 300 euros pour les cohabitants. Selon les cas, les chômeurs verront leur revenu baisser de 12% à 40%.

Plus de 200 000 personnes risquent d’être touchées par cette dégressivité. Dégressivité et suppression des allocations d’insertion, en y ajoutant les sanctions et exclusions du chômage, c’est donc plus de 300.000 personnes qui vont se retrouver dans la précarité, et une grande partie d’entre elles, en-dessous du seuil de pauvreté. Elles vont rejoindre les 15%, 16% ou 17% de la population belge qui a déjà été poussée dans la pauvreté.

Et les CPAS (Centres publics d’Action sociale), financés à hauteur de 25 à 30% par les communes, se sentent déjà démunis face à l’afflux des demandes d’aides sociales qu’ils doivent assumer sans refinancement. Ces nouvelles mesures, couplées à des restrictions budgétaires à tous les niveaux de pouvoir, ouvrent la porte à la multiplication des drames sociaux, au désespoir, à la violence, mais aussi la révolte.

tous ensemble contre ces mesures intolérables!

Par ces mesures gouvernementales, c’est une pression insupportable qui va s’exercer sur les travailleurs sans emploi pour qu’ils acceptent n’importe quel boulot, dans n’importe quelles conditions et ainsi donner entière satisfaction au

patronat, qui veut un marché flexible du travail avec une main d’œuvre la moins chère possible. C’est aussi une pression énorme qui va s’opérer –elle existe déjà– sur les conditions de travail et de salaire chez les travailleurs.

Les patrons peuvent se frotter les mains. De plus, dans le cadre de la "politique de relance économique", menée par un gouvernement tout à leur service, ils vont continuer à bénéficier de baisses de charges et d’avantages fiscaux, sans contrepartie.

Alors c’est tous ensemble, travailleurs,

allocataires sociaux, mouvement syndical, mouvements associatifs, organisations anticapitalistes, qu’il faut nous mobiliser pour le rejet de ces mesures, pour imposer, par nos luttes, une autre répartition des richesses, des revenus et des salaires dignes d’une vie décente, des emplois de qualité pour tous, la réduction généralisée du temps de travail, sans augmentation de la flexibilité, sans perte de salaires et avec embauche compensatoires, un plan public de création d’emploi... L’argent existe pour cela. A nous de le prendre là où il est! ■

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✒ par Guy Van Sinoy

Dans Le Soir du 2 novembre, Marc Leemans, président national de la CSC, s’exprime en faveur de ce qu’il faut bien appeler une scission de la sécurité sociale. Rappelons tout d’abord que dans notre pays existent plusieurs régimes de sécurité sociale: celui des travailleurs salariés du secteur privé, celui des indépendants, celui applicable au personnel des services publics, et quelques régimes s’appliquant à un nombre restreint de personnes (marine marchande, personnel d’outre-mer). Pour les travailleurs salariés du privé, la sécurité sociale comporte les branches suivantes: pension, chômage, soins de santé, indemnité de maladie ou d’invalidité en cas d’incapacité de travail, allocations familiales, les risques professionnels (accidents du travail, maladies professionnelles), les vacances annuelles (pour les ouvriers).

sortir les soins de santé et les allocations familiales de la sécu…

Marc Leemans s’exprime avant tout sur la sécurité sociale pour travailleurs salariés. Il propose de sortir de la sécu les soins de santé et les allocations familiales, des risques qu’il considère "non liés au travail" et "qui s’appliquent à tous". Rappelons que lorsque la sécurité sociale pour travailleurs salariés a été créée, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, elle formait un tout. Et démanteler le tout c’est ouvrir la porte à toutes dérives.

D’abord scinder la sécu aujourd’hui, en pleine période de crise et alors que le patronat est à l’offensive sur tous les fronts contre le monde du travail, c’est ouvrir le flanc à la possibilité pour le patronat d’ouvrir une brèche dans la sécurité sociale qui représente un des acquis les plus importants des travailleurs depuis plus d’un demi-siècle.

Ensuite, alors que la NVA vient de gagner les élections communales et entend utiliser celles-ci pour exercer une pression néo-libérale et séparatiste à l’échelon

national, la proposition de Leemans ouvre aussi le flanc à une scission de la sécurité sociale sur le plan communautaire.

Enfin, il propose de financer les soins de santé et les allocations familiales par une cotisation. Payée par qui? Mais parbleu vous l’avez deviné! Quelle s’appelle ou non cotisation sociale généralisée, elle sera payée (comme d’ailleurs la quasi majorité des impôts) par la masse de la population laborieuse et en particulier les salariés. Autrement dit, les salariés perdent deux fois: d’abord on baisse leur salaire indirect (voir ci-dessous) et ensuite on leur demande de repasser à la caisse pour combler le déficit avec une cotisation supplémentaire.

Baisser les "charges" sociales, c’est baisser les salaires!

"Sortir les soins de santé et les allocations familiales de la sécurité sociale ferait baisser les charges sociales", avance Leemans pour se justifier. Voilà ce qui arrive quand un dirigeant syndical endosse le vocabulaire patronal! Car des «charges», il semble en général normal de les alléger. Si vous devez vous rendre à pied à la gare, située à bonne distance, vous veillerez à ne pas vous encombrer de bagages inutiles, à ne pas porter trop de «charges». Vous ne croyez pas? Mais les prétendues "charges" sociales ne sont pas des charges. Ce sont des cotisations patronales à verser à la sécurité sociale et qui représentent le salaire indirect payé à tout salarié.

Baisser les "charges" sociales, c’est baisser les coûts salariaux, c’est baisser les salaires, c’est du vol! C’est d’ailleurs ce que dit la Centrale Nationale des Employés (CSC): "Stop au pillage de la sécu! La sécu, c’est notre argent!". Et donc, je dis au président de la CSC (et j’espère que des millions d’autres le diront avec moi): "Marc, si tu touches à mon salaire, t’auras affaire à moi!". Je le dis comme je le dirais à n’importe quel voyou qui chercherait à voler mon portefeuille en rue…".

et à la FgtB?La FGTB, de son côté, ne s’avance pas

sur la même pente savonneuse que Marc Leemans. Toutefois, dans le quotidien

économique L’Echo du 27/10/2012, journal en général peu lu par les affiliés de la FGTB, Luc Voets (directeur du service d’études de la FGTB) s’exprime ainsi: "Je ne crois pas que les accords sociaux comme en Allemagne soient un modèle à suivre en Belgique. (…) Je préfère notre système de réduction de cotisations sociales ciblées". Ah bon? C’est donc contagieux? On aimerait bien que le chef du service d’études de la FGTB s’exprime ouvertement devant les militants de son syndicat au lieu de faire des confidences aux journaux économiques bourgeois. Combien d’emplois ont été créés avec les baisses de cotisations sociales? C’est-à-dire avec l’argent des travailleurs?

Voilà les conclusions auxquelles arrivent de lamentables stratèges en chambre quand ils tentent d’échafauder des "solutions" après avoir renoncé à prendre l’argent là où il est! Dans les banques et chez les capitalistes! ■

Marc, touche pas à mon salaire!

Marc Leemans

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✒ par les Comités Action Europe

Selon le rapport 2011 de l'ONEM, 56 000 emplois ont été créés. Alors qu'il y a en Belgique, plus de 400.000 chômeurs complets indemnisés, auxquels s'ajoutent les travailleurs prépensionnés, les demandeurs d'emploi à temps partiel ou temporaires, et les demandeurs d'emploi non indemnisés. Donc plus de 700.000 personnes sont sans emploi.

un emploi pour 12 demandeurs d’emploi!

Il y a donc un seul emploi pour plus de douze demandeurs d'emploi. Que le meilleur gagne dans cette course! Et qu'on les appauvrisse toutes et tous pour qu'elles/ils cherchent vraiment un emploi qui n'existe pas et surtout qu'elles/ils fassent ainsi pression à la baisse sur les salaires. Telle a été la décision prise par le gouverne-ment Di Rupo fin 2011 et qui est entrée en application le 1er novembre 2012.

A l'action menée face au "banquet des riches" organisé par le lobby Friends of Europe le 11 octobre, les Comités action contre l'Austérité en Europe (CAE) ont dénoncé la connivence entre les hauts dirigeants politiques et l'élite économique, les uns et les autres responsables de la crise par le détournement des richesses produites vers les détenteurs de capitaux. Par l'action "Occupons-nous de l'ONEM", les CAE ont voulu rappeler l'autre côté de la médaille: les politiques d'austérité qui font porter les conséquences de la crise par les travailleur/ses avec et sans emploi. Plutôt que de diminuer les écarts sociaux qui avaient amené les travailleurs américains à s'endetter, le gouvernement Di Rupo choisit de les accentuer cruellement en détricotant les acquis sociaux.

l’appauvrissement des chômeurs précarise aussi ceux qui ont un emploi

Concrètement, la réforme de l’assurance chômage prévoit l'accélération de la dégressivité et la baisse des alloca-tions minimum (les chômeurs verront leur revenu baisser de 12 et 40% selon les cas), le durcissement des conditions d'accès et

la limitation dans le temps des allocations d'insertion, l'accentuation des contrôles de disponibilité et la dégradation du concept d'emploi convenable. Ces mesures toucher-ont encore plus durement les femmes et les jeunes. En plongeant dans la misère les travailleur/ses sans emploi, l'objectif est de les forcer à accepter n'importe quel emploi pour faire pression à la baisse sur les salaires et les conditions de travail.

Comment construire un rapport de force pour des emplois de qualité quand 700 000 personnes se bousculent aux portes des entreprises pour avoir un revenu qui leur permette de vivre? La précarisation des travailleur/ses sans emploi contribue clairement aux propositions européennes de baisser le coût du travail. L'objectif annoncé est l'amélioration de la compétitivité, digérée par les syndicats parce qu'elle serait créatrice d'emplois. En réalité, la compétitivité détruit l'unité des travailleur/ses et permet aux détenteurs de capitaux d'augmenter leurs profits.

occupons-nous de l’oneM!Le 31 octobre dernier, une trentaine de

militan/es des CAE, parmi lesquels des syn-dicalistes, des travailleur/ses sans emploi et d'autres indignés, se sont fondus dans la file des travailleurs sans emploi pour entrer dans les bâtiments de l'ONEM à Bruxelles. Un autre groupe manifestait son soutien à l'extérieur. Une fois entrés, les militant/es ont informé du caractère pacifique de l'action et de ce qui la justifiait. Ils ont demandé à être reçus par la direction pour négocier l'absence d'exclusions ce jour-là.

Pendant que certains organisaient un débat avec les travailleurs sans emploi installés dans la salle d'attente, d'autres faisaient le tour des locaux en scandant des slogans. Les réactions étaient variées tant dans le chef des travailleurs sans emploi souvent ouverts, parfois débordés par le stress face à leur entretien, que dans le chef des travailleurs de l'ONEM qui n'étaient pas du tout visés par l'action. Certains ont montré de l'indifférence, d'autres de la sympathie et quelques-uns de l'agressivité. Nous les empêchions de « servir leurs cli-ents". En milieu de matinée, les militants partis négocier ont obtenu qu'il n'y ait ni exclusions (troisième entretien négatif), ni sanctions (deuxième entretien négatif qui mène à une suspension de quatre mois d'allocations de chômage). Peu avant midi, les militants ont tranquillement quitté les locaux, après avoir reçu les jour-nalistes pour dénoncer les attaques contre les chômeur/ses et montrer qu'une action collective peut avoir des résultats positifs.

Le gouvernement annonce, sans gêne ni réelle opposition, le dégraissage des revenus des travailleurs sans emploi dans un contexte de licenciements massifs (Le Soir chiffrait à 7.078 le nombre de pertes d’emploi durant le mois d’octobre). Pour-tant, il existe des solutions qui rétablissent plus de justice sociale comme la réduc-tion du temps de travail avec maintien des salaires et embauche compensatoire. Pour cela, il faut s’attaquer aux profits, au capital... aux puissants et à ceux qui les servent. Les CAE se proposent de contribuer à cette lutte. ■

Journée zéro exclusion organisée par les cae le 31 octobre

occupons-nous de l'oneM!

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✒ par David Martens

Joëlle Milquet, ministre de l’Intérieur, promeut et fait adopter par le Conseil des ministres une réforme des sanctions administratives communales. Pour rappel, c’est la loi du 13 mai 1999 qui introduit dans le droit belge la possibilité pour les communes de prononcer des sanctions dites administratives. Le terme admin-istratif renvoie simplement au fait qu’il ne s’agit pas de sanctions judiciaires:

l’appareil judiciaire est laissé de côté, c’est l’administration communale qui acquiert le pouvoir de prononcer elle-même des sanctions. Si plusieurs types de sanctions sont prévues, dont certaines relèvent de la compétence du Collège des Bourgmestre et Echevins, c’est surtout l’attribution à un fonctionnaire communal du pouvoir de "condamner" à une amende administrative qui symbolise et réalise cette appropriation du pénal par des agents "civils".

Or cette menace sérieuse pour les droits de la défense et ce risque accru de vulnérabilité devant l’arbitraire communal ne suffisent pas à madame Milquet. La réforme qu’elle veut mettre en œuvre comporte plusieurs aspects qui accentuent tous la pénalisation: augmentation du montant des amendes administratives, extension de la liste des "infractions" susceptibles d’être sanctionnées par les communes, création de nouvelles mesures punitives, augmentation des catégories d’agents pouvant constater les "infractions", organisation d’un registre des sanctions (sorte de "casier judiciaire" des sanctions administratives?), abaissement de l’âge pour pouvoir bénéficier de la touchante

attention de madame Milquet (de 16 ans à 14 ans).

Précisons quelques points évoqués ci-dessus. L’amende administrative s’élève actuellement à 250 euros maximum pour les majeurs et 125 euros pour les mineurs. Ces montants passeront respectivement à 350 et 175.

criminaliser tout mouvement militant

Observons ensuite un (tout) petit florilège de comportements concernés: la réalisation de graffitis sans autorisation, le fait de laisser des animaux domestiques se baigner dans des pièces d’eau des parcs publics, le collage d’affiches aux endroits non autorisés, les bruits et tapages noc-turnes de nature à troubler la tranquillité des habitants, le fait de se promener en public le visage masqué ou dissimulé en tout ou en partie. On devine aisément dif-férents types de publics visés. Viendront s’y ajouter des infractions pénales en matière de roulage, la destruction de voitures ou wagons et, si la ministre obtient l’accord des ministres de l’Enseignement, les infractions à l’obligation scolaire. On croit rêver:la gestion de la problématique sociale complexe de l’absentéisme scolaire réduite à une question de sanction administrative par un fonctionnaire communal!

De nouvelles sanctions sont créées. En cas de "trouble à l’ordre public causé par des comportements individuels ou collectifs" le bourgmestre pourra décider d’une interdiction temporaire de lieu(x) délimité(s) pendant un mois, renouvel-able deux fois, à l’égard du ou des auteurs de ces comportements. Voilà une nouvelle manière d’ouvrir grand la voie à la crimi-nalisation de tout mouvement social ou militant: quelles menaces désormais pour la moindre distribution de tracts, collecte de signatures ou le moindre rassemblement même tout ce qu’il y a de plus pacifique? Quel boulevard ouvert aux interventions intempestives et discriminatoires à l’égard

de groupes de jeunes rassemblés dans un square ou dans une rue, pourtant espaces publics, appartenant à tout le monde!

la commune pourra infliger des "prestations citoyennes"

Autre innovation: la commune pourra décider d’infliger une "prestation citoyenne" au "contrevenant". C’est ni plus ni moins l’équivalent d’une peine de travail prononcé par un tribunal, à part qu’ici il n’y a pas de tribunal. La prestation citoyenne sera de 15h maximum pour les mineurs et de 30h maximum pour les majeurs. Le but est de "faire prendre conscience au contrevenant de l’incivilité commise". Balayer la cour du CPAS en tant que "bagnard communal" au vu et au su de ses voisins et connaissances du quartier, voilà sans doute la finesse pédagogique et éducative de cette magnifique leçon de morale.

L’abaissement de l’âge à partir duquel un mineur pourra se voir infliger une sanction communale est une nouvelle atteinte directe à la philosophie de protection de la jeunesse, pour la transformer en pénalisation pure et simple, et ce en dehors même de l’intervention de tout juge. Ce n’est qu’en cas de recours que l’affaire est portée devant le juge de la jeunesse. L’implication parentale est prévue: le fonctionnaire sanctionnateur avertira les parents, qui pourront lui envoyer leurs observations écrites ou orales. Il pourra demander à les rencontrer. Il pourra décider de clôturer le dossier s’il est satisfait de la rencontre et des observations des parents ou imposer la sanction s’il n’en est pas satisfait. La porte ouverte à une nouvelle justice à deux vitesses. Grâce à Milquet, la justice de classe n’est même plus l’apanage de la Justice. Elle devient aussi un privilège communal. La ministre de l’Intérieur a-t-elle oublié qu’elle est aussi ministre de l’Egalité des chances? ■

en avant toute pour une justice expéditive sans garanties judiciaires

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✒ propos recueillis par Guy Van Sinoy

Le 11 novembre, 20.000 personnes ont participé à la Marche pour l’avenir organisée en commun par les syndicats et les autorités communales de Genk à l’occasion de la fermeture programmée de l’usine Ford. À part quelques groupes de manifestants combatifs, le ton général de cette marche était plutôt celui de la résignation.

Une petite délégation de l’usine Ford Blanquefort (France) avait fait le déplace-ment depuis Bordeaux. Parmi eux, Philippe Poutou, délégué CGT et candidat du NPA aux dernières élections présidentielles françaises. À la fin de la marche, il aurait aimé adresser un message de solidarité aux travailleurs de Ford Genk, mais les organisateurs n’avaient pas prévu cela et il n’a donc pas pu prendre la parole. Nous l’avons brièvement interviewé à l’issue de la manifestation.

la gauche: vous êtes venus à plusieurs de l’usine Ford Blanquefort. Je suppose que vous auriez souhaité pouvoir de genk?

Philippe Poutou: On est venu à deux, de l’usine Ford à côté de Bordeaux. C’était pas prévu qu’on parle à la tribune, donc on n’a pas parlé. On a quand même posé le problème à des responsables d’IG Metall, notamment. Cela montre un peu l’état dans lequel on se trouve, un émiettement assez important du mouvement syndical. À tel point que même des choses minimales ne se font pas. Car à partir du moment où il y a plusieurs délégations étrangères qui viennent il devrait y avoir un espace prévu pour des prises de paroles afin de montrer toute l’importance de la solidarité internationale, à fortiori quand il s’agit d’une multinationale. C’est ça qui est un peu démoralisant parfois, car il y a aujourd’hui chez Ford, comme chez PSA, comme chez d’autres constructeurs de l’automobile, des

attaques énormes avec des fermetures de sites, avec des plans de licenciements qui vont toucher des centaines voire des milliers de salariés. En plus, en emplois induits, ce seront des dizaines de milliers d’emplois qui passeront à la trappe.

Donc la situation est très grave et on se retrouve finalement confronté à une sorte d’incapacité à riposter ensemble, au-delà d’un site. On voit aujourd’hui que le mou-vement syndical n’est pas capable d’avoir des réflexes de base, de resserrer les liens, d’essayer de voir comment ou pourrait agir ensemble. Donc voilà. Aujourd’hui, nous on a tenu à apporter notre solidarité car on est touchés, à la fois attristés mais aussi révoltés par la fermeture de l’usine de Genk et des usines Ford en Angleterre.

Mais à côté du soutien que nous apportons, on aurait aimé discuter de comment on peut envisager de se défendre. Se défendre au niveau d’un site, mais aussi se défendre les uns et les autres, ensemble, par-delà les frontières. À l’échelle du continent, comment les salariés de Ford peuvent se défendre. Et même il faudrait voir quels liens on peut tisser entre les salariés de PSA et ceux de General Motors, par exemple. C’est ce genre de questions qu’on a envie de poser: comment on peut construire une résistance collective, comment on peut arriver à coordonner les actions, les ripostes, de manière à redonner la pêche à des tasde salariés qui aujourd’hui n’y croient pas. Donc c’est plus que du soutien. C’est comment on peut avancer concrètement vers la convergence des luttes.

on sent, dans cette manifestation, une certaine résignation. quel message voudrais-tu adresser à ces milliers de travailleurs venus manifester le moral dans les talons?

Cette résignation existe un peu partout, pas seulement dans le secteur de l’automobile. Aussi dans la sidérurgie, le textile, le secteur agro-alimentaire, les services publics où on assiste à la

suppression de milliers d’emplois. Ce qui domine aujourd’hui dans l’esprit des gens est un sentiment d’impuissance. Face à tous ces coups portés contre le monde du travail, il y a ce sentiment qu’on ne peut pas répondre. On nous bourre le crâne avec cette propagande sur la compétitivité, sur la concurrence, sur la crise et sur une austérité inévitable. On nous montre d’ailleurs à la télé: "Regardez la Grèce, l’Espagne, le Portugal, si vous ne voulez pas devenir comme eux va falloir se serrer la ceinture!" Il y a vraiment une propagande énorme et cela fonctionne d’une certaine manière parce que les gens baissent la tête et croient que l’on ne peut pas empêcher cela.

Donc après, le message c’est: "Faut qu’on redresse la tête, qu’on s’organise!" C’est pas simple de voir le bout du tunnel, d’essayer d’envisager même la possibilité qu’à un moment donné la population réponde. Aujourd’hui, les exemples qu’on a, c’est la colère en Grèce, en Espagne. Il faut s’appuyer là-dessus car de toute façon on n’a pas le choix. Il va falloir reconstruire tout un réseau de solidarité qui nous permette de coordonner les luttes les unes avec les autres, de tous les secteurs économiques d’un pays, et au-delà des frontières d’arriver à coor-donner la révolte des peuples à l’échelle européenne.

L’austérité on ne pourra la combattre que si tous les peuples arrivent à se mettre ensemble. Cela fait loin quand on voit la situation actuelle, mais la perspective elle est bien là. Maintenant la question c’est comment on construit cela, comment on avance. ■

Philippe Poutou à Ford-genk:

il faut absolument coordonner les luttes

P. Poutou

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✒ par Renaud Vivien (CADTM)

Alors qu’en octobre, le gouvernement se félicitait d’avoir trouvé 811 millions d’euros pour limiter le déficit budgétaire de l’année 2012, il est maintenant sur le point d’emprunter 2,9 milliards d’euros pour financer un troisième sauvetage de Dexia SA (dont Belfius ne fait plus partie). L’augmentation de la dette publique qui en résultera sera à coup sûr utilisée comme arme de chantage pour justifier une dose supplémentaire d’austérité contre la population. Pendant ce temps les gestionnaires passés et présents responsables de la débâcle vivent des jours tranquilles, sont grassement rémunérés et profitent jusqu’ici d’une véritable impunité.

Tout cela pour quoi? Officiellement pour éviter l’activation des garanties de l'État belge sur les emprunts du groupe Dexia (qui n’a plus de dépôts d’épargnants). Car ces garanties pèsent très lourd: 54,46 milliards d’euros (sans compter les intérêts et les accessoires), soit 15% du produit intérieur brut de la Belgique! Concrètement, si Dexia ne parvient pas à rembourser ses dettes, alors les pouvoirs publics devront casquer immédiatement.

Ce chantage est inadmissible. Pour en finir avec les recapitalisations à répétition, il faut annuler ces garanties d'État d’autant qu’elles sont illégales. Soulignons, en effet, que cet engagement de la Belgique à garantir pendant les vingt prochaines années les créanciers du groupe Dexia a été pris le 18 octobre 2011 par un gouvernement en affaires courantes via un arrêté royal entaché de plusieurs vices de forme et violant les dispositions fondamentales du droit belge dont la Constitution.

Pour en finir avec les recapitalisations à répétition, il faut annuler les garanties d'état

Le Parlement qui, en vertu de la Constitution, est compétent pour intervenir dans les matières budgétaires, n’a ni délibéré ni légiféré sur l’octroi de ces garanties de 54,46 milliards. C’est pourquoi trois associations (le CADTM, ATTAC Liège et ATTAC Bruxelles 2) et deux

députées écologistes (Zoe Genot et Meyrem Almaci) demandent ensemble au Conseil d'État d’annuler cet arrêté royal octroyant la garantie de l'État belge. Cette requête est actuellement en cours d’examen par les juges. Après avoir répliqué aux arguments de Dexia et de l'État belge, le CADTM et ATTAC attendent maintenant l’avis de l’Auditeur du Conseil d'État. Ces derniers pourront ensuite réagir à cet avis avant d’entamer la phase orale qui viendra clôturer la procédure.

L’annulation de ces garanties n’est pas une fin en soi mais elle constitue la première étape indispensable pour sortir de cette impasse. Dexia doit être mis en faillite immédiatement après cette annulation. Une telle mesure aurait notamment l’avantage d’entraîner des poursuites judiciaires contre les responsables de la débâcle. I l est inacceptable qu’aucun des responsables ne doive rendre des comptes ou n’ait dû démissionner. Cette impunité doit cesser et les complicités doivent être dénoncées.

Comme le révélait le quotidien financier L’Echo, "le passage qui vise la direction de Dexia de 2006 à 2008 a été retiré du rapport. Il pointait la négligence du management dans les analyses de risque, soulignait que la situation en octobre 2008 était bien pire que ne le laissaient présager les données disponibles, ce qui a entraîné des préjudices importants pour tous les participants à la recapitalisation. Il est donc normal que ces derniers demandent réparation, disait le passage supprimé, qui recommandait aux représentants des actionnaires et des entités publiques impliquées d'évaluer l'ouverture d'une instruction d'un dossier en responsabilité civile, voire de poursuites pénales".

Il est temps que la population arrête de banquer! Pour cela, construisons un large mouvement social pour un véritable contrôle public des banques et pour un audit citoyen de la dette afin d’identifier et d’annuler la part illégitime comme celle résultant des sauvetages bancaires. ■

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✒ par Olivier Bonfond

Depuis de nombreux mois, des centaines d’économistes tirent la sonnette d’alarme pour montrer en quoi la politique d’austérité est économiquement insensée pour le continent européen. Tous les pays qui l’appliquent tombent dans la récession et voient leur déficit et leur dette augmenter, c’est-à-dire exactement l’inverse de l’objectif recherché. La Grèce, l’Italie, l’Espagne ou le Portugal peuvent attester du désastre. Malgré cela, tous les gouvernements de l'Union européenne persistent dans cette voie suicidaire. La Belgique ne fait malheureusement pas exception.

Budget 2012: 14 milliards d’"économies" pour faire plonger l’économie…

Dès sa mise en place fin 2012, le gouvernement Di Rupo vote un plan de rigueur drastique visant à faire 12 mil-liards d’économie pour satisfaire l’Union européenne qui exige un déficit budgé-taire de maximum 2,8% du PIB. Sans surprise, le gouvernement décide de faire principalement porter l’effort sur le travail plutôt que sur le capital, avec notamment des réductions massives de dépenses dans les domaines de la santé et de la sécurité sociale (2,8 milliards d’euros). A deux reprises au cours de l’année 2012, le gou-vernement a dû réajuster ses calculs pour trouver 2 milliards d’euros supplémen-taires. Les conséquences de cette politique n’ont pas tardé à se faire sentir : la crois-sance sera nulle en 2012, les faillites vont atteindre un nombre record et le chômage augmente. Rappelons-ici que, selon le Financial Times, les "bons" résultats de la Belgique en 2010 et 2011 (notamment une croissance économique de 2% en 2011), étaient notamment dus à l’absence de gou-vernement, ce qui a empêché la Belgique de mettre en place des plans d’austérité dignes de ce nom. (1)

Budget 2013: injuste, incohérent et irréaliste

Comme on pouvait s’en douter, ces mesures n’ont pas suffi et il s’agit main-

tenant de trouver 3,7 milliards d’euros supplémentaires en 2013 pour réaliser un budget avec un déficit de 2,15% du PIB comme prévu par le programme européen de stabilité. Après plusieurs semaines de négociations, le budget 2013 a été voté. Globalement, on peut dire que ce budget est injuste, incohérent et irréaliste.

injuste. Les économies réalisées en 2013 sont à nouveau mises principalement à charge des travailleurs via une réduction importante dans les dépenses sociales (1,4 milliards d’euros). Tandis que les "99%" vont voir leur condition de vie se dégrader, les intérêts du "1%", à savoir l’oligarchie financière et les grandes entreprises, sont à peine touchés. A titre d’exemple, l’instauration d’une taxe de 0,4% sur les plus-value sur action (rappelons ici que les Etats-Unis taxent ces plus-values à un taux de 15 à 35%) devrait rapporter 95 millions d’euros, tandis que la nouvelle contribu-tion demandée aux banques rapporterait à peine 50 millions d’euros. Pire, la nouvelle amnistie fiscale en 2013, même si elle va, selon les prévisions du gouvernement, rap-porter 500 millions d’euros, consiste tout simplement à faire un nouveau cadeau aux riches qui ont fraudé le fisc en leur permettant de rapatrier légalement les capitaux qu’ils avaient caché à l’étranger.

incohérent. Depuis la fin 2011, le gouvernement annonce qu’il va s’attaquer à la fraude fiscale. Alors que 700 millions de recettes étaient prévues pour 2012, ce montant est porté à 1,2 milliard pour 2013, soit 500 millions de plus qu’en 2012. Très bien. Cependant, rigueur budgétaire oblige, le gouvernement vient de déclarer qu’il diminuera les coûts de personnel ainsi que les frais de fonctionnement dans l’administration, soit en licenciant soit en ne remplaçant qu’un fonctionnaires sur cinq qui partira à la retraite. Le départe-ment des finances comptant près d’un tiers d’agents ayant 55 ans ou plus, l’Union Nationale des Services Publics (UNSP) estime que le SPF finances va perdre des milliers d’agents en quelques années. Cela rendra tout simplement impossible de réa-liser les objectifs fixés en matière de lutte

contre la fraude fiscale.irréaliste. Toutes ces prévisions (un

budget constitue par nature une prévision) ne tiennent par ailleurs absolument pas la route. Premièrement, elles se basent sur des perspectives de croissance beaucoup trop optimistes, à savoir une croissance de 0,7%. Le FMI, prévoit une croissance pour la Belgique en 2013 de 0,3%. Si le FMI a raison, cela voudra dire que le gouverne-ment devra trouver 500 millions d’euros de plus que les 3,7 milliards prévus dans le budget. Par ailleurs, si les licenciements et les faillites se poursuivent, l’activité économique va encore un peu plus se ralentir, les recettes fiscales vont diminuer, et les dépenses en allocations de chômage vont exploser, ce qui aggravera fortement le déficit. Deuxièmement, ce budget ne tient absolument pas compte des nouvelles crises bancaires qui pointent à l’horizon. Or, tandis que les banques continuent de spéculer à leur guise, de nouvelles crises et donc de nouvelles injections de capitaux sont à prévoir. Ces sauvetages provoqueront mécaniquement une augmentation des déficits et de la dette publique… Sans parler des garanties accordées à Dexia (45 milliards d’euros) qui constituent une véritable bombe à retardement pour les finances publiques belges.

Une autre voie est possible. Plutôt que ces dizaines de mesurettes inef-ficaces et injustes, des mesures simples existent pour renverser la vapeur, remplir les caisses de l’Etat et financer la relance d'une activité économique socialement et écologiquement utile. Pour ce faire, une seule voie possible: s’attaquer aux intérêts de la finance, des grandes entreprises et des grosses fortunes. ■

(1) XAVIER DUPRET, La Belgique endettée, Couleur livres, 2012.

Y a-t-il un comptable au gouvernement? bu

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✒ par Olivier Bonfond

Dans les semaines à venir, les sept parlements de Belgique vont très probablement voter, dans l’indifférence des grands médias, le Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance (TSCG), également appelé traité budgétaire européen. Ce traité représente une grande menace pour la Belgique, tant sur le plan économique que démocratique. Il faut donc tout faire pour que celles et ceux qui sont sensés représenter nos intérêts ouvrent les yeux et refusent de ratifier ce texte.

une règle d’or absurde, injustifiable, antidémocratique et économiquement insensée

absurde. Un des éléments les plus importants de ce traité est qu’il durcit les critères de Maastricht, en particulier en abaissant le seuil maximum de déficit budgétaire de 3% à 0,5% du PIB. Soyons clairs: aucun Etat membre n’arrivera à respecter ce critère. Au cours des trente dernières années, la Belgique n’a connu un déficit budgétaire inférieur à 0,5 % qu’à sept reprises. Aujourd’hui, alors que la récession s’installe dans l’UE et que les Etats ont déjà toutes les peines du monde à atteindre 3% de déficit, fixer un plafond de 0,5% est tout simplement absurde.

injustifiable. On ne le répètera jamais assez, ce chiffre de 3% de déficit ne se justifie par aucune théorie économique. C’est un haut fonctionnaire, Guy Abeille qui, en une heure un soir de juin 1981, a tout simplement inventé ce chiffre, sur demande expresse de François Mitterrand, désireux d’avoir un chiffre rond et facile à retenir pour justifier les restrictions bud-gétaires en cours.(1) Trois pourcents, 0,5%, et pourquoi pas 2 ou 4% ? Au lieu de fixer des objectifs chiffrés ne reposant sur rien, il s’agit d’affirmer la chose suivante: s'il est a priori souhaitable de financer le dével-oppement d'un pays via des ressources qui ne génèrent pas d’endettement, un

État doit pouvoir s'endetter sous certaines conditions, en particulier en période de récession, où la dépense publique peut s'avérer cruciale pour relancer l'activité économique. Plus globalement, un déficit peut se justifier pour réaliser des investisse-ments productifs, socialement utiles et écologiquement durables.

antidémocratique. En inscrivant cette "règle d’or" dans leur Constitution nationale, les parlements nationaux déci-dent d’abandonner une grande partie de leur souveraineté à des institutions européennes non élues. N’oublions pas qu’une des principales responsabilités des parlements est de voter le budget. Or, avec ce traité, les budgets nationaux seront déterminés et contrôlés par la Commission européenne et la Cour de justice europée-nne. Celles-ci pourront infliger de manière quasi automatique des sanctions allant jusqu'à 0,1% du PIB du pays (350 millions d’euros pour la Belgique).

economiquement insensée. .. . Enfin, et c’est sans doute cela qui est le plus incroyable, cette politique de rigueur budgétaire débouchera sur des résultats inverses à ceux escomptés. En effet, les réductions drastiques de dépenses publiques provoquent une contraction de l’activité économique, qui elle même provoque à la fois une baisse des rentrées fiscales et une augmentation du chômage et donc des dépenses sociales d’indemnisation. L’Etat ayant appliqué l’austérité pour diminuer son déficit budgétaire se retrouve au final avec un déficit en augmentation et un approfondissement de la récession. Tous les chiffres confirment cette analyse. La Grèce, qui a déjà appliqué neuf plans d'austérité depuis 2010, a vu sa dette doubler en trois ans tandis que son produit intérieur brut (PIB) connaîtra sa cinquième année

consécutive de récession (-6,1% en 2011, -6,5% en 2012).

la Belgique peut ne pas ratifier ce traité!

Ce traité ne s’appliquera pas aux Etats qui refusent de le ratifier. La Belgique peut donc encore décider, de manière souveraine, et au nom de l’intérêt général de sa population, de ne pas se soumettre à cette logique mortifère. Si au contraire, la Belgique décide de le ratifier, ce texte ne s’appliquera pas uniquement à l’Etat fédéral mais bien à l’ensemble des pou-voirs publics et administrations locales (Régions, Communautés, Provinces, Com-munes, CPAS...) Les conséquences se feront donc sentir dans tous les aspects de la vie quotidienne des citoyens.

Les dirigeants politiques affirment qu’il faut absolument voter ce traité car si on ne le vote pas, la Belgique ne pourra pas bénéficier de l’aide financière du MES (Mécanisme européen de Stabilité) si elle se retrouvait en difficulté. Cet argument ne tient pas la route quand on connaît la vraie nature du MES. Le MES, qui vient d’entrer en vigueur en octobre 2012 et s’apprête à remplacer définitivement le Fonds euro-péen de Stabilité financière (FESF), n’est rien d’autre qu’une sorte de FMI européen. Cette institution va donc accepter de prêter de l’argent aux pays en difficulté mais à des conditions très strictes et très proches de celles qui ont déjà été imposées pendant deux décennies à plus de 100 pays du Sud, avec les résultats que l’on sait: explosion de la dette (2), de la pauvreté, des inégalités et de l’exclusion sociale. ■

(1) Le Parisien, 28 septembre 2012.

(2) La dette publique des PED a quadruplé, passant de

350 milliards de dollars en 1980 à 1 580 milliards de

dollars en 2010.

tout faire pour bloquer le traité budgétaire en Belgique

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✒ par Serge Alvarez

La Poste a construit un projet dit "2020". Ce projet englobe toutes les restructurations à venir d’ici-là (déménagement de Bxl en un centre englobant de nombreux bureaux, déménagement dans ou autour du canal de Bruxelles, les futurs géoroutes). Mais elle n’a assorti son projet d’aucune explication. Et cela ressemble plus à une "auberge espagnole" qu’à un véritable projet. Cela crée une véritable incertitude pour le personnel d’ici 2013 à 2020. En attendant, les projets de Bpost continuent à venir avec leurs restructurations incessantes, leurs diminutions annuelles de personnel (de 36 000 travailleurs à 26 000 en 10 ans, assorties d’une multiplication de contrats illégaux selon la loi du 21/03/2001).

a travail égal, salaire égalCette loi stipule que l’emploi de

contractuels doit être occasionnel en fonction de pics de travail (élections, nouvel an, etc.) La norme reste l’engagement de statutaires. Cependant aujourd’hui, 11 000 travailleurs sont contractuels (CDD ou CDI) et les jeunes en DA (facteurs low cost). Aujourd’hui, les seuls emplois possibles sont low cost via des boîtes d’intérims, payés 1 100 euros par mois (à peine plus qu’une indemnité de chômage). Il s’agit de cas de véritable surexploitation.

A quoi bon nous parler de fidélité aux clients, lorsque le facteur change tous les ans. A peine habitué à sa tournée, le nouveau facteur doit déjà partir. Lorsqu’il est en congé, il est remplacé. Tous les ans, il change aussi. La relation de confiance entre usager/facteur s’estompe. L’usager a l’impression de ne plus avoir de facteur fiable.

Je refuse d’appeler un usager "client", et un exploité "collaborateur"

Depuis des mois, La Poste se trouve en incapacité de répondre aux questions syndicales des réunions préparatoires mais avance dans son projet. Devant cette incapacité, plusieurs fois, les

représentants syndicaux ont quitté la table de négociations. Les écrits de la CSC-Transcom à Bpost n’ont eu comme réponse que des réponses toutes faites démontrant que quelle que soient les interventions syndicales, la direction n’en avait que faire.

trop is te veelLa CSC-Transcom a choisi d’expliquer

devant tous le déni dont faisait preuve la direction de Bpost face aux revendications des syndicats. La CSC-Transcom a décidé de quitter définitivement la table dite de "négociations" et, sans appeler à la grève, elle a directement soutenu toutes les actions alors que les autres syndicats continuaient à tergiverser. Il est vrai que le départ de la CSC-Transcom a créé un nouveau cadre de négociations.

A l’intérieur, rien n’aurait pu être obtenu. Dehors, cela donnait un meilleur cadre de négociation pour ceux qui y restaient. Mais cela n’est pas suffisant! Nous ne sommes pas pour des syndicats martyrs, et leurs affiliés payant les pertes de salaires. Il est clair qu’en restant dans les négociations, les autres représentants des syndicats ont plus visé à obtenir les peanuts qu'à défendre l’intérêt général des travailleurs. La base ne les a pas soutenus, vu la nombreuse présence de la CGSP et de l’ACV (pas de libéraux visibles).

les postiers passent à l’action

Peu de temps après, nous apprenions que le nouveau Géoroute impliquait la perte de neuf services facteurs à Woluwe. Il en allait de même dans les bureaux d’Ath, Tournai et Soignies dans le Hainaut.

Directement, dans les bureaux de Bruxelles, une réaction spontanée s’est enclenchée. Les facteurs d’Ixelles et de Laeken se sont portés

solidaires, sont partis en grève et sont allés soutenir les piquets de Woluwe.

Vu l’absence des directions syndicales pour organiser le combat, nous nous sommes réunis à une dizaine pour organiser, le 22 octobre, des piquets dans les autres plateformes. Nous étions une soixantaine (CGSP et CSC-Transcom) au piquet. La direction de La Poste a été contrainte de reculer. A Woluwe, les neuf services initialement perdus sont maintenus en attendant le Géoroute de l’année prochaine, les bureaux solidaires ont obtenu des intérims pour compenser le retard de la grève. Mais le combat ne fait que commencer. ■

quand les facteurs font reculer la direction...

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✒ interview de Felipe Van Keirsbilck, Secrétaire général de la Centrale Nationale des Employés (CNE-CSC)propos recueillis par Guy Van Sinoy

la gauche: le premier mai dernier, daniel Piron lançait, au nom de la FgtB de charleroi, un appel qui s’adressait aux militants syndicaux les invitant à s’investir sur le terrain politique. c’était aussi un appel lancé aux organisations de gauche à se rassembler et à lutter ensemble contre la politique néo-libérale du gouvernement di rupo, avec la perspective de créer une force politique significative à gauche. comment te situes-tu par rapport à cet appel?

Felipe van Keirsbilck: D’abord, je voudrais dire que je me sens absolument en accord avec ce que je crois être les deux fondements de cet appel de la FGTB de Charleroi. Pour moi il y a deux fonde-ments de base. D’une part les organisations syndicales doivent s’impliquer dans les

enjeux politiques. A la CNE nous sommes particulièrement clairs sur le fait que le syndicalisme dans les entreprises (défendre les jobs, les salaires et tout ça), c’est indis-pensable, mais sans avoir une perspective sur les questions politiques, c’est du syndi-calisme à courte vue qui mène à l’impasse. Un des premiers fondements de l’appel de Daniel Piron est de dire que les syndi-cats qui ont fait correctement leur travail doivent avoir une expression politique. Nous sommes d’accord avec cela, tout en précisant qu’à la CNE nous n’avons pas d’amis politiques ni de relais politiques privilégiés. Il y a bien entendu les partis politiques qui sont des adversaires directs, ceux qui défendent les intérêts du capital et du profit. Mais parmi les autres partis, nous n’avons pas d’amitiés particulières et nous n’en cherchons pas. Donc sans avoir de liens partisans, à la CNE nous sommes entièrement d’accord de dire que les syndi-cats ont besoin d’une expression politique.

Deuxième point important dans l’appel de la FGTB de Charleroi, avant d’en venir aux détails organisationnels, c’est le fait que la situation actuelle justifie une action déterminée contre les politiques d’austérité. Politiques d’austérité qui détruisent à la fois la société, l’économie et la démocratie. Et cela non pas par erreur ou par stupidité de la part de ceux qui nous gouvernent. Les dirigeants économiques et politiques veulent aujourd’hui profiter de l’occasion de la crise pour parachever rapidement ce qu’ils essaient de faire depuis 30 ans, à savoir la destruction des conquêtes sociales et démocratiques obtenues depuis près d’un siècle. Là évidemment toutes les forces syndicales, associatives et politiques doivent s’unir et se mobiliser pour refuser radicalement ce retour en arrière. Il ne s’agit pas seulement d’adoucir l’austérité ou d’y mettre un peu de sucre sous forme de relance de la croissance, ou que sais-je. En tant que CNE, il s’agit pour nous de dire que ces politiques d’austérité dont les trois volets sont la réduction des dépenses publiques, la baisse des cotisations sociales et la baisse des salaires, nous sommes radicalement contre. Pas uniquement dans la perspective de défendre les intérêts matériels des affiliés de notre centrale, mais aussi parce que d’un point de vue politique, pour défendre notre modèle social et notre démocratie perfectible, nous sommes contre la politique d’austérité, point.

Voilà donc deux éléments sur lequel nous sommes sur la même longueur d’onde que les responsables FGTB de Charleroi dans leur appel du 1er Mai. Après, si on rentre maintenant dans les choses plus concrètes en Belgique, il est clair qu’il faut une force politique de gauche, un parti politique de gauche qui soit suffisamment radical pour affronter la situation. A ce

vivement un grand parti de gauche!

les politiques d’austérité détruisent la société, l’économie, la démocratie...

Felipe Van Keirsbilck

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sujet, je voudrais préciser que comme CNE, comme syndicat, nous n’avons pas une vocation systématique à rechercher la radicalité. C’est la situation qui est radicale. Nous prétendons que nous défendons les intérêts des 99% de la population: ceux qui ne possèdent pas des millions d’euros, qui ne sont pas de grands actionnaires ou de grands dirigeants de l’économie. Nous ne croyons donc pas être une organisation radicale, mais tout simplement faire partie de ceux qui défendent les intérêts de la très grande majorité de la population: les employés, les cadres, les ouvriers, les chômeurs, les pensionnés, les femmes, les jeunes, les étudiants. Mais la radicalité des politiques d’austérité fait que nous avons besoin d’un parti politique, évidemment de gauche, qui soit prêt à affronter la Troïka, à affronter les dogmes néo-libéraux, à affronter la pensée unique, à affronter la politique de la Commission européenne qui est exclusivement au service du capital et de la destruction des acquis sociaux. Le fait est que la radicalité est devenu un monopole de la droite, notamment parce que la gauche et une grande partie du mouvement syndical en Europe a renoncé à la bataille des mots et des idées.

On ne peut que regretter que le PS ne le fasse pas. Si le PS prenait au sérieux sa vocation même de parti réformiste – je ne lui demande pas d’être révolutionnaire – vocation réformiste au service du bien public et des intérêts du monde du travail, il ferait cela. Il chercherait à rompre avec les politiques d’austérité. Il ne le fait pas. Aux explications et aux excuses qu’il avance pour ne pas le faire, on peut accorder un peu ou beaucoup de crédit. La principale justification que le PS avance est que dans un gouvernement de coalition avec des forces politiques néo-libérales rabiques, le Parti socialiste est pris en otage dans un gouvernement qui veut faire le contraire de ce qu’il devrait normalement faire. C’est un problème que le PS doit gérer, mais ce n’est certainement pas le mien. Et en tous cas, quand on est en situation d’otages, il me semble que la première responsabilité devrait être de tenter de desserrer les liens. Dans la position où il accepte d’être mis, soit avec résignation soit avec hypocrisie, le PS n’est pas aujourd’hui la force politique qui veut et qui peut aider les travailleurs qui ont besoin d’une rupture avec l’austérité. De là l’idée qu’il faut soit une force politique nouvelle qui puisse faire ce travail, soit – les deux options sont possibles – qui puisse faire comprendre au PS que les compromissions avec le

libéralisme ne sont pas une solution. Dans les deux cas, il faudra une force politique démocratique, radicalement réformiste, c’est-à-dire qui pousse à la rupture avec les politiques néo-libérales.

Jusque-là, je n’ai pas de difficultés. Là où c’est plus compliqué c’est quand on commence à renter dans le "Qui?". Il y a une foule aujourd’hui de partis plus ou moins petits qui prétendent tous être l’avenir de la gauche radicale en Belgique. Des anciens et des nouveaux. Pour l’instant ils ne semblent pas avoir la volonté de s’unifier. Et à part les succès récents du PTB aux élections communales et provinciales, succès qu’il faut d’ailleurs saluer, on ne voit pas pour l’instant de masse critique qui commence à rassembler quelque chose à la gauche de cette social-démocratie de renoncement qu’est devenue le PS.

la FgtB et la csc ont des histoires et des origines différentes. dans la mesure où la FgtB, qui au départ ne s’appelait pas FgtB, a été créée par le Parti ouvrier Belge. c’est donc un parti qui a créé un syndicat. la csc de son côté, même si elle est liée à la famille chrétienne, revendique plutôt le fait de ne pas avoir d’amis politiques. alors aujourd’hui,

on ne peut que regretter que le Ps n’affronte pas les politiques d’austérité.

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wpour des militants de la csc, l’idée de constituer une force politique paraît-il imaginable ou au contraire est-ce que cela n’entre pas en collision avec les traditions de la csc?

D’abord un petit commentaire sur ce que tu viens de dire. En effet il y a dans la CSC une volonté de ne pas avoir de liens ou d’allégeances politiques. Je regrette amèrement que certains de mes collègues perdent cela de vue et affichent des amitiés particulières avec des partis politiques. Mais la ligne que tu as définie est bien celle de la CSC. Cela n’a malheureusement pas toujours été le cas dans l’histoire politique de l’ACV en Flandre qui a entretenu des liens extrêmement étroits avec le CVP... et ce n’est pas entièrement guéri aujourd’hui. Mais il y a quand même eu de grands progrès et aujourd’hui, certainement du côté francophone, on peut dire que la CSC est libre par rapport au monde politique.

Maintenant, c’est vrai qu’il y a une contradiction entre le fait de dire que nous

souhaitons l’émergence d’une nouvelle force politique à gauche de cette social-démocratie anémique et le fait que nous ne sommes pas liés à des partis. Je suis conscient de cette contradiction. Cela veut dire que pour l’instant ma position est de dire que je souhaite l’émergence de cette force car elle correspond au besoin pour défendre les intérêts bien compris des travailleurs au sens large. Mais nous n’allons pas le faire nous-mêmes. Ni moi comme secrétaire général de la CNE, ni aucun des responsables de la CNE, nous ne pouvons nous impliquer dans la construction d’une telle force politique. Parce que ce dont nous sommes responsables avant tout est de maintenir l’indépendance de notre organisation syndicale. Nous pensons que, si demain, un dirigeant de la CNE devait porter une casquette politique en même temps qu’une casquette syndicale, cela ferait du tort aux deux. Et nous pensons qu’il ne manque pas aujourd’hui en Belgique d’hommes et de femmes avec des compétences politiques, avec des idées et du courage qui soient capables de porter un tel projet. Et si cela arrive nous nous réjouirons qu’un besoin de représentation politique des travailleurs soit rencontré.

S i c e l a a r r i v e d e m a i n , n o u s continuerons à interpeller Ecolo, le CDH et le PS comme nous le faisons aujourd’hui, à pointer leurs responsabilités politiques quand ils sont aux gouvernements. Et comme nous le ferions demain face à n’importe quel parti de gauche qui acquerrait un poids politique significatif, et se retrouverait en position de gouverner. Il se peut qu’un parti – le PS renouvelé, le PTB, ou n’importe lequel – qui assumerait une position de gauche radicale nous soit plus sympathique... mais nous n’en deviendrions en aucun cas les "amis". On n’a pas d’amis et on n’en veut pas. Je continue donc à penser qu’il faut une telle force politique, mais nous ne souhaitons pas que des dirigeants syndicaux sèment la confusion ou affaiblissent l’indépendance syndicale en s’impliquant directement pour forger un tel parti.

tu as mentionné en début d’interview qu’un des éléments importants des élections communales du 14 octobre était la progression électorale spectaculaire du PtB qui double au moins son nombre d’élus. dans une certaine mesure, le PtB semble aujourd’hui

respecter l'indépendence syndicale

Olivier Besancenot, Jean-Luc Mélenchon et Marie-George Buffet

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devenu une force quelque peu incontournable. Penses-tu que cette avancée électorale du PtB peut constituer un tremplin pour la création d’une force de gauche, ou au contraire un obstacle?

C’est une bonne question car les deux scénarios me semblent possibles. Quand tu avances que le PTB est devenu une force incontournable, je dirais: "Ne nous emballons pas!". 3% ici, 4% là, de façon très locale, c’est un progrès notable, mais qui reste limité. Là où il progresse fort, le PTB est passé d’un petit pourcent à 3 ou 4 pourcents. A l’échelle de la gauche à prétention radicale en Belgique, vu la faiblesse des autres composantes, cela peut paraître beaucoup. Mais le PTB n’est pas encore une grande force politique. Et donc je dirais, en ce qui me concerne, que les ingrédients existent pour pouvoir constituer une vraie force politique à gauche. Il se pourrait aussi qu’au sein du PS, d’Ecolo, voire même du CDH – qui sait? – qu’un certain nombre de contre-performances politiques (pas uniquement de mauvais résultats électoraux, mais les mauvais résultats des politiques néolibérales auxquelles ces partis collaborent de fait) commencent à peser et que certains militants disent: "Voilà à quoi mènent notre situation d’otages et de compromissions perpétuelles avec un projet néo-libéral qui n’est pas seulement une divergence partielle sur tel ou tel détail, mais un projet totalement antagoniste avec la démocratie, le progrès, la protection sociale, les droits syndicaux, etc." A un moment donné, certains membres de ces partis traditionnels vont peut-être dire "Maintenant, merde, ça suffit!"

Les modèles relativement récents qui existent en Europe, je pense notamment au Front de Gauche en France, à Syriza en Grèce, sont aussi des modèles qui ont pu associer l’ancienne ou la traditionnelle gauche radicale avec des références marxistes plus ou moins explicites, qui sont d’ailleurs très utiles dans le débat politique, avec des déçus ou des réveillés des courants de gauche traditionnelle ou écologiste qui constatent que le centre de gravité de la politique gouvernementale va de plus en plus à droite puisque la droite se radicalise de plus en plus et essaye même de racoler dans une frange de l’électorat d’extrême-droite. Et donc au fur et à mesure où la gauche traditionnelle va de reculons en reculades, de renoncements en

capitulations, un certain nombre de personnes qui n’ont pas renoncé à leur intelligence et à leur intégrité peuvent à un moment donné avoir un sursaut.

Il y a le PTB qui représente aujourd’hui quelque chose. Salu-o n s - l e ! E t s a l u o n s aussi la preuve que dans l’électorat il y a une aspiration à une autre politique que les micro-nuances du néolibéralisme. Maintenant, le scénario n’est pas fixé d’avance. Si le PTB peut considérer que les enjeux politiques et historiques qui se posent aujourd’hui à la Belgique et à l’Europe justifient une ouver-ture, une coalition, si possible portée par l’enthousiasme d’un mouvement social plutôt que par des calculs d’apothicaires d’anciens propriétaires de petits appareils qui négocieraient – ce qui a été mal-heureusement le cas dans des situations précédentes de tentatives de coalitions de gauche – alors là la victoire électorale du PTB aux communales pourrait être un coup d’accélérateur dans la constitu-tion d’une force de gauche significative, démocratique, éco-socialiste, porteuse des mobilisations syndicales et qui soit radi-cale au sens où elle défend les intérêts de la grande majorité de la population, et donc pas radicale dans un sens groupusculaire.

Maintenant le scénario inverse est aussi possible. Les succès du PTB peuvent lui monter à la tête et lui laisser croire que leurs campagnes de propagande, d’ailleurs généralement très bien faites, vont les conduire de 3% à 5%, puis un beau jour de 5% à 7%. Si c’est ça, cela me paraît dans le chef du PTB, si tel était leur choix, mal prendre en compte les urgences historiques auxquelles nous sommes confrontés. Et

donc de ne pas offrir un point d’appui à la mise sur pied d’une coalition de mouvements sociaux et politiques au sens large qui permettrait de constituer une force capable d’atteindre rapidement un seuil politique significatif, 10% par exemple. Et donc ça, je crois, à la fois pour la richesse du pluralisme et de la diversité du débat à l’intérieur de la gauche radicale, et pour les besoins d’une réponse très rapide à la crise européenne, alors l’option d’une coalition dans laquelle le PTB pourrait jouer un rôle aux côtés d’autres acteurs me semble assez réjouissante.

Mais je n’ai rien à dire dans le PTB, pas plus que dans aucun parti politique. Simplement, comme militant et dirigeant d’une organisation syndicale, je dois exprimer notre préoccupation, notre besoin qu’émerge rapidement (nous n’avons pas 15 ans...) une force de gauche qui ait une ambition de peser sur le cours des choses, de quitter la sphère protestataire, mais en même temps de porter un regard clair sur la situation radicale que nous visons, ce qui implique d’affronter les pouvoirs financiers, d’assumer que les intérêts du capital ne sont pas les mêmes que ceux des travailleurs. ■

il y a urgence historique.

Alexis Tsipras

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✒ interview avec Raoul Hedebouw, porte-parole du PTB – propos recueillis par Guy Van Sinoy

Les élections d’octobre dernier ont exprimé un début de polarisation politique. Une fraction non négligeable de la popula-tion cherche une alternative de gauche à la politique d’austérité pilotée par le PS. Dans les urnes, le PTB a été de loin le prin-cipal bénéficiaire de ce mouvement, mais celui-ci le dépasse très largement. C’est ce que montrent les prises de position de sect-eurs syndicaux qui souhaitent l’apparition d’une force radicale la plus large possible à gauche de la social-démocratie. Tirant les leçons du scrutin, la LCR disait son inten-tion d’en débattre à l’interne et à l’externe, avec les autres acteurs. C’est dans cet esprit que nous publions cet entretien avec Raoul Hedebouw.

Nous ne pouvons qu’être d’accord lorsque le porte-parole du PTB insiste sur le lien entre lutte sociale et alternative politique. Mais ce lien ne permet pas d’évacuer la question urgente d’une alternative politique large. Raoul Hedebouw ne croit pas que l’unité de la gauche radicale soit LA solution. Tout en se démarquant des participations au pouvoir de Die Linke, il souhaite "trouver la créativité" permettant "des perspectives vraiment élargissantes". OK, mais il nous semble que les prises de position syndicales montrent précisément que les conditions pour cela sont en train d’émerger. L’intérêt du mouvement ouvrier est qu’un grand parti de gauche émerge – large et radical, comme dit Felipe Van Keirsbilck ailleurs dans ce journal. Vu sa taille sur le champ politique, le PTB porte une responsabilité particulière. Nombreux sont ceux et celles qui souhaitent qu’il avance des propositions.

Raoul Hedebouw dit que le manque d’unité n’est pas le seul problème à gauche: "Il y a des divergences et des débats". La LCR a en effet des divergences avec le PTB. Il nous semble notamment que celui-ci est devenu attentiste par rapport aux appareils syndicaux, alors que l’alternative à l’austérité nécessite leur remise en cause par les affilié-e-s. Un parti de gauche qui se tait à ce sujet risque de suivre le modèle social-démocrate: dresser une barrière entre lutte sociale et politique, une barrière derrière laquelle LE parti impose SA politique... Par ailleurs, comme beaucoup de gens de gauche, nous attendons avec intérêt de voir comment le PTB définira le "socialisme 2.0" qui est le thème de son congrès de 2013. Dans quelle mesure rompra-t-il avec ses conceptions sur le parti unique et le rôle dirigeant autoproclamé du parti dans les mouvements sociaux? Au-delà du renouveau du discours et des pratiques du PTB, de son ouverture, l’histoire montre que ce sont des questions décisives. Nous espérons pouvoir en débattre avec lui de façon constructive. —La Gauche

la gauche: le PtB-Pvda a obtenu un résultat remarquable lors des élections communales du 14 octobre dernier. est-ce que vous vous attendiez à une progression d’une telle ampleur?

raoul Hedebouw: Oui et non. Oui dans le sens où nous nous étions fixé comme objectif de faire une percée électorale en 2012 dans les grandes villes du pays: à Anvers, à Liège et dans une commune bruxelloise où nous sommes particulièrement implantés, Molenbeek. Au cours des dernières années, nous avons établi une implantation profonde sur le terrain en fonction de ces objectifs.

Dans cette mesure, nous avons atteint les objectifs fixés. Mais je dirais aussi que nous ne nous attendions pas à dépasser nos objectifs avec une telle ampleur. Là où on visait un élu à Liège, on en a deux avec 6,4%. Dans des communes où nous travaillons depuis quatre ou cinq ans mais où nous n’avons pas pu concentrer nos forces, je pense notamment à Charleroi, Mons, Schaerbeek, Flémalle, on a assisté à un phénomène qui a dépassé nos espérances. Et aussi à Seraing et Herstal où nous dépassons les 14% et devenons le deuxième parti. Nous avons maintenant 52 élus dans tout le pays.

a anvers notamment, vous ne vous attendiez pas à faire plus qu’annemie turtelboom!

(Rire) Tu fais bien de le rappeler! Parce qu’on voit à Anvers, dans un contexte qui était quand même difficile avec la polarisation entre Janssens d’un côté et De Wever de l’autre, avec 8% nous dépassons le score de partis dits traditionnels comme l'Open VLD et Groen! et nous obtenons quatre conseillers communaux alors que nous en espérions un. C’est aussi le fruit d’un travail de longue haleine au sein de la ville sur des sujets comme le logement, l'enseignement, la mobilité et la santé, et qui pour une partie de la population de gauche s’est concrétisé en vote utile.

comment expliques-tu que les résultats électoraux aient amplement dépassé vos espérances?

Deux facteurs ont joué. D’abord il y a la crise et la politique d’austérité que les autorités entendent faire supporter

les luttes sociales peuvent servir de tremplin à la dynamique politique amorcée nous avons balayé devant

notre porte. on a pas mal bûché depuis 2008, avec le renouveau du PtB.

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par la population, au niveau fédéral, régional et communal, et pour laquelle la population n’est en rien responsable. Dans les communes cela se ressent par des investissements "bling-bling" et d’un autre côté par une augmentation des taxes directes ou indirectes (sacs poubelles, taxes diverses). On sent dans le vécu de la population une tension, une exaspération face à la politique menée et une envie d’une réponse de gauche. Ce n’est d’ailleurs pas spécifique à la Belgique. On le voit dans l’ensemble des pays européens. C’est une partie de l’explication.

L’autre facteur est que nous avons balayé devant notre propre porte. On a pas mal bûché depuis 2008, avec le renouveau du PTB, avec une approche politique qui part des besoins concrets des gens qui avancent des revendications qui leur sont proches, avec un travail beaucoup plus en profondeur dans les quartiers, avec un parti qui s’est ouvert sur le plan organisationnel. Nous avons largement dépassé le cercle des convaincus pour nous adresser avec ambition à la masse des travailleurs et des habitants des quartiers populaires. Nous sommes passés d’un parti exclusivement composé de militants à un parti de membres où ces derniers ont peut-être moins le temps de s’investir mais apportent un travail quotidien dans les quartiers et dans les entreprises. Nous sommes passés d’un parti d’un bon millier de membres au début des années 2000 à aujourd’hui 5600 membres. Cela donne quand même un peu une idée de notre croissance. Le changement n’est pas seulement numérique. C’est aujourd’hui devenu un parti beaucoup plus concret capable de développer des thématiques beaucoup plus à la portée de la population. Nous avons développé des programmes communaux concrets, très fouillés et adaptés à chaque localité. Nous avons réalisé 1600 enquêtes de terrain à Liège, 4700 à Anvers, plus de 12000 dans les autres communes. Nous avons tenu aussi à être plus concrets par rapport à l’échelon communal en raison de l’échéance électorale qui allait arriver alors que dans le passé nous avions plutôt développé une vision macroscopique avec de grandes solutions extra communales. Ce changement initié aux élections de 2006 (avec déjà 15 élus) a été un élément important dans ces élections-ci.

est-ce que tu estimes que la campagne des communales était plus concrète et meilleure par exemple, que la campagne "nez

Pas de percée électorale sans travail sur le terrain .

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Raoul Hedebouw

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wrouges" de 2009 ("arrêtez ce cirque politique!")?

Cette campagne "nez rouges" a fait débat dans la gauche. Je ne dirais pas que notre campagne pour les communales était meilleure. C’était deux campagnes différentes. Pour les élections d’octobre 2012 nous avons non seulement interrogé beaucoup d’habitants et aussi organisés des assemblées générales de membres pour déterminer le programme. Fatalement le programme était différent de commune en commune. Car ce n’est pas la même chose de mener campagne dans une grande ville comme Liège où le PS est au pouvoir depuis des dizaines d’années et où on a diffusé un petit carton rouge ("Désolé Willy, cette fois on vote à gauche!"); qu’à Anvers où on avait d’un côté Janssens au pouvoir avec une coalition avec le CD&V et de l’autre De Wever en embuscade. On ne peut pas vraiment dire que pour les communales il y a eu une seule campagne uniforme partout. Par contre, en ce qui concerne la communication du PTB, on a essayé depuis quelques années d'interpeller la masse des gens au-delà de la grisaille des campagnes traditionnelles. Mais chaque fois adapté au moment politique mais aussi au développement de l'organisation. En 2009, la campagne "nez rouges" s’est déroulée dans un contexte très spécifique: un blocage total du pays pour des raisons communautaires. Nous avions voulu pointer du doigt l’immobilisme de la classe politique. Aujourd’hui on ne referait pas une campagne comme ça.

revenons un peu à ce premier élément: la crise, l’austérité plein tubes avec un Ps aux commandes en Wallonie, à Bruxelles et au gouvernement fédéral. est-ce que ces facteurs ne créent pas un espace à gauche? Je pense par exemple à des communes où d’autres listes à gauche ont fait de bons résultats: vega à liège, gauches communes à st-gilles, gauche à etterbeek.

Indiscutablement, les facteurs économiques, sociaux et politiques – la crise, l’austérité, la politique menée par le PS – ouvrent un créneau à gauche. Mais il doit y avoir parallèlement une présence et une approche qui accroche les gens. Par contre, en analysant l’ensemble des résultats à travers le pays, on voit que là où il n’y a pas de travail de terrain il

n’y a pas la percée du PTB. Il est très intéressant d’analyser cela pour les élections provinciales, canton par canton. La campagne générale du PTB permet de faire par exemple 4,7% dans la province de Liège avec des pointes à 6,5% dans l'arrondissement de Liège mais aussi 4% à Dison, 3,2% à Verviers, mais en même temps on doit constater que si on n’a pas de travail de terrain on n’a pas d’élus. Je dis cela parce qu’il y a parfois, dans la gauche de la gauche, un espoir de grand soir électoral ou d’espérances électorales largement au-delà de la pratique militante. Mais mon expérience des quinze dernières années de militantisme m’a convaincu que cela ne marche pas comme ça. Et ces dernières élections l’ont confirmé. Ce n’est pas un hasard si nous faisons de bons résultats dans les districts d’Ans, de Grâce-Hollogne, de Flémalle. C’est parce que nous y avons des membres et que nous nous y développons. A contrario il y a des communes dans les environs de Waremme ou de Huy où on sent un petit frémissement mais sans commune mesure avec les endroits où nous faisons un travail de terrain. Il faut donc être très réaliste et ne pas se faire d’illusions là où le terrain n’a pas été labouré.

il y aura des élections en 2014, parlementaires, européennes et régionales. comment vois-tu les choses se dessiner? dans une récente interview accordée à la gauche Felipe van Keirsbilck, secrétaire général de la cne, évoque plusieurs possibilités. soit le PtB se replie sur lui-même, soit il sent qu’il y a un espace plus grand. est-ce que tu penses que l’avenir nous réserve une continuation de listes PtB+ avec ça et là quelques indépendants, ou penses-tu qu’il soit possible de rassembler plus largement?

Je n’ai pas de boule de cristal. Beaucoup de choses peuvent se passer dans les années à venir. Une des composantes importantes dans cette discussion est le

développement du mouvement social et du mouvement syndical. On ne peut pas découpler toutes les pistes que tu cites maintenant de ce paramètre-là. Parce que l’essentiel reste quand même la dynamique extra parlementaire. C’est important de le rappeler car on parle souvent d’élections en Belgique car nous sommes dans un pays où on vote souvent. Mais pour un parti

comme le PTB l’essentiel du rapport de forces se construit surtout dans les entreprises et dans les quartiers, Nous mettons d’ailleurs notre énergie dans le renforcement de sections d’entreprises. C’est sans doute moins visible que dans les quartiers, mais nous avons des camarades dans les entreprises où il y a des combats, que ce soit ArcelorMittal, la SNCB, Caterpillar, les services publics car c’est très important. De la lutte va émaner, à mon avis, une dynamique politique qui existe déjà aujourd’hui et qui pourra se renforcer. Mais parfois on a un peu trop souvent tendance, dans certains cercles, à découpler l’un de l’autre, de voir d’abord le mouvement politique et ensuite de dire on verra bien ce que le mouvement social fera. Non, il y a un lien entre les deux. Et moi je ne sais pas dire ce que le mouvement social va devenir dans les deux ans devant nous. Je ne sais pas. J’ai des espérances, je sais à quoi on travaille comme parti, mais après on verra ce que ça donne. Cela me semble un point important.

Deuxièmement, ce n’est un secret pour personne, au PTB on n’a jamais cru à l’hypothèse d’une unité des gauches dites radicales comme étant "la" solution pour faire avancer la gauche de la gauche. Comme PTB, nous avons plutôt préféré remettre en cause nos pratiques passées, trop peu ouvertes, qui s'adressaient trop aux convaincus et qui n'avaient pas l'ambition de toucher le plus grand nombre. Dans ce créneau-là on a essayé de mettre en application une autre tactique avec le PTB et je pense qu’en partie elle a porté ses fruits, à l’échelle de ce qu’est le PTB aujourd’hui, avec tout le réalisme que cela suppose.

Pour ce qui est de l’unité des gauches radicales, il y a déjà eu beaucoup d’expériences à ce sujet en Belgique au cours des 20 dernières années, notamment Gauches Unies et ensuite d’autres tentatives. On constate que l’addition des gauches dites radicales, j’entends par là les partis déjà existants sur la place publique politique, à la gauche de la gauche, n’amène pas ce saut qualitatif électoral.

au PtB on n’a jamais cru à l’hypothèse d’une unité des gauches dites radicales comme étant "la" solution pour faire avancer la gauche de la gauche.

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Les scores électoraux de 2012 le montrent en partie. Et je le dis en toute humilité car je trouve que le PTB n’est pas encore arrivé à un score électoral qualitatif sur l’ensemble du territoire, mais les scores des différentes listes Front de Gauche au niveau local, de la liste Rood!, avec tout le respect que j’ai pour les militants qui font ce travail, ne décollent pas. Je pense que ce type de regroupement, cette addition de gauches de gauche n’a pas d’avenir. Il faut trouver une dynamique plus élargissante.

Maintenant si on parle d’un élargissement à la gauche, le PTB dit clairement oui, mais avec des perspectives vraiment élargissantes. Et cela va de toute façon poser la question que le PTB a déjà trouvé une place sur la scène politique. Il faut trouver la créativité pour susciter des initiatives élargissantes. Evidemment on va retomber sur la question des syndicats – il y a dans ce sens l'appel de la FGTB Charleroi – et sur ce que vont faire une partie des militants dans des partis comme Ecolo ou le PS. Cela fait partie de l’équation. Et là il faudra que l’on trouve une voie adaptée à la Belgique. Il faut s’inspirer de tous les partis en Europe mais on a nos particularités. Le PS belge n’est pas le PS français, ni le PASOK, ni le SP.a. On a en Wallonie un PS qui fait dans certains cantons 50% des voix. Il faut tenir compte de cette réalité-là. Il faut aussi avoir un minimum de respect quant au travail du PTB quand il parvient à aller chercher 14% des voix dans des communes où le PS fait 50%, comme à Seraing ou Herstal. Des fois, on balaie ça en vitesse en disant: "Passons à autre chose!"Arrêtons-nous un instant pour essayer d’imaginer ce qu’il a fallu mettre en place sur le terrain pour atteindre un tel résultat.

Je constate aujourd’hui que malgré certains reculs il n’y a pas de grande défection du PS sur le plan électoral. Bien sûr que j’aimerais bien trouver en Belgique des courants comme celui du parti de Mélenchon, c’est-à-dire une partie de la social-démocratie qui s’est détachée du PS français. L’aspect important de Mélenchon en France n’est pas sa personne, mais le courant politique qu’est le Parti de Gauche. Tout cela n’existe pas encore en Belgique. Cela va peut-être venir, mais on verra. Est-ce que l’ensemble des élus du PS vont continuer à assumer cette politique d’austérité derrière Di Rupo? Ou bien va-t-il y avoir un sursaut critique de la part de ceux qui diront: "Cela ne peut plus continuer comme ça!"? Je n’en sais rien. Je constate que ce n’est pas encore

le cas aujourd’hui. Et que s'il y a un tout début de remise en cause de certains, c'est à cause des résultats du PTB.

Dernière chose aussi, qu’on arrête de dire qu’il n’y a pas ou plus de divergences ou de débats dans la gauche de la gauche et que seul manque l'unité. Les questions sont complexes. Par exemple la participation de Die Linke, en Allemagne, dans des gouvernements régionaux de centre gauche pose question.

dernier point: l’aspect communautaire. le PtB, comme la lcr ou le Psl sont des partis nationaux. la plupart des centrales syndicales sont encore nationales. Mais tous les partis politiques traditionnels sont scindés sur le plan communautaire. n’est-ce pas une difficulté supplémentaire pour construire un grand parti de gauche?

Oui, incontestablement! Mais il faut rappeler aussi que le PTB reste un parti national parce qu’il pense qu’il faudra une unité du monde du travail au niveau européen. Et on peut difficilement faire l’unité avec les Polonais ou les Tchèques contre c e t t e E u r o p e antisociale si on n’est pas capable de réaliser cette même unité à l’échelle de la Belgique. Sans nier pour autant que les idées de droite sont plus fortes dans le monde du travail en Flandre pour le moment. Ce n’est pas parce qu’on veut maintenir cette unité nationale et qu’on y travaille qu’on va nier les réalités politiques différentes. Certains essaient parfois de nous caricaturer là-dessus. Par contre, je parle ici en tant que responsable politique vivant à Liège, en quoi me sentirais-je déchargé de mes responsabilité politiques par rapport à une évolution des idées de droite dans les entreprises en Flandre? Cela reste mon monde du travail. Si je suis préoccupé parce que, par exemple, les idées de droite progressent chez les travailleurs de Pologne je le suis aussi quand cela se passe en Flandre. C’est mon affaire, de la même manière que j'ai fait tout ce que je pouvais

avec mes camarades pour faire que mon camarade Peter Mertens soit élu à Anvers. Et aujourd'hui s'il y a une opposition de gauche sociale et anti-nationaliste à De Wever, elle est sur le terrain, sur place, pas à distance. Nous voulions avoir des élus à Liège et à Anvers car c’est important que dans ces deux villes ouvrières il y ait une voix de gauche qui puisse s’exprimer. Le fait qu’un parti qui se déclare solidaire des travailleurs wallons obtienne 8% dans une ville comme Anvers est quelque chose d’important. Ce qui se passe en Flandre est beaucoup plus complexe qu'on ne le croit parfois en Wallonie. Il s’y passe que le monde du travail se sent de plus en plus frustré envers la politique des partis traditionnels. Et la N-VA capte une partie de cette colère, de ce courant anti-establishment pour le détourner.

Une partie des gens ont appris à ne plus taper vers le haut mais vers le bas: vers les immigrés ou vers les Wallons quand on est en Flandre et vers les Flamands quand on est en Wallonie, ou vers les chômeurs. Comme si aujourd’hui on n’avait plus le droit de taper vers le

haut, vers les actionnaires, vers les banquiers comme si c’était politiquement incorrect. Du côté francophone on entend aussi de plus en plus de racisme. Et si l’extrême-droite ne perce pas du côté francophone, parce qu’elle est la plus bête extrême-droite d’Europe, il n’est pas exclu que cela arrive dans les années à venir.

Et donc la question communautaire, pour revenir à ta question, sera aussi une question de la gauche de gauche. Et cela se pose aussi dans d’autres pays. La question du régionalisme doit trouver un terrain de débat. Le PTB tend la main vers l’organisation de tels débats. ■

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✒ par Daniel Tanuro

La tempête Sandy a fait 97 morts aux USA, 54 en Haïti et 11 à Cuba. Les médias ont braqué leurs projecteurs sur New York, en laissant dans l’ombre les pays pauvres… Et le fait que Cuba a déploré relativement moins de victimes, bien que Sandy ait balayé Santiago avec nettement plus de violence que New York…

Les dommages à l’économie étasuni-enne sont estimés à 50 milliards de dollars. Hôpitaux, usines, magasins, transports: tout s’est arrêté. Huit millions de logements ont été privés d’électricité, des centaines de mil-liers de personnes ont dû être évacuées et plus de 15.000 vols ont été annulés.

Les autorités n’ont pas réédité les erreurs criminelles de l’administration de la Nou-velle-Orléans lors du passage de l’ouragan Katrina, en 2005. N’empêche que les secours publics aux sinistrés sont loin d’avoir été à la hauteur. Mis sous une forte pression, le maire de New York a donc dû céder et annuler le marathon qui devait parcourir certaines zones dévastées.

et le changement climatique ?Sandy a aussi fait des vagues poli-

tiques. Négationniste avéré du changement climatique, Romney a été pris à partie dans un meeting par un activiste qui lui a lancé: "what about global warming?" (et le change-ment climatique?). La vidéo de l’incident

montre le candidat républicain dodelinant de la tête, muet, un sourire idiot aux lèvres… Jusqu’à ce que son public se mette à scander "U !S !A !, U !S !A !".

Lors de la précédente campagne, Obama s’était donné un profil de défenseur du climat mais, à peine élu, il a mis l’essentiel de son plan énergie-climat dans un tiroir. Selon le Guardian britannique, le président et son équipe ont décidé en 2009 de ne plus parler directement du réchauffement, parce que les Américains n’aiment pas ça. Sandy est venue perturber ce projet.

Alors que sa ville était encore sous eau, le maire de New York, Michael Bloomberg a appuyé le locataire de la Maison Blanche en ces termes: "Notre climat change. Que l’augmentation des événements météorologiques extrêmes dont New York et d’autres régions du monde ont été le témoin en soit le résultat ou pas, le risque qu’il puisse en être ainsi devrait obliger tout dirigeant élu à agir immédiatement." Barack Obama l’a remercié de son appui par un bref commu-niqué où l’on peut lire que "le changement climatique est l'une des questions les plus importantes de notre temps, qui représente une menace pour l'avenir de nos enfants".

Est-ce un signe que l’administration US va enfin prendre la menace climatique au sérieux et agir en conséquence? Le scepticisme est de rigueur. Au Congrès, les Républicains sont loin d’être les seuls à penser, comme Bush père, que "le mode de vie

américain est non négociable." Avec la crise, le lobby climato-sceptique – qui nie le lien entre le réchauffement et l’augmentation de la violence des ouragans – est plus agressif que jamais. Il est soutenu par une fraction importante du grand capital... qui finance les campagnes électorales.

des catastrophes climato-capitalistes

De toute manière, la politique climato-énergétique qui pourrait être mise en œuvre par les États-Unis suivrait une ori-entation néolibérale, comme dans l’Union Européenne: primes aux particuliers, développement du nucléaire, du soi-disant "charbon propre,"des gaz de schiste ainsi que des agrocarburants et autres tech-nologies d’utilisation de la biomasse. Une telle politique sera forcément insuffisante écologiquement, dangereuse technologique-ment et injuste socialement. Il ne pourrait en être autrement dans le cadre du productiv-isme capitaliste et de sa course au profit.

Selon Oxfam, les investisseurs interna-tionaux achètent tous les six jours dans les pays du Sud une surface de terre de la taille de Londres. Au cours des dix dernières années, les terres achetées de la sorte représentent huit fois la superficie de la Grande Bretagne. Au Cambodge, on estime que près de 60% des terres arables ont été acquises par des multinationales. Cette vague d’appropriation est largement due au fait que la finance internationale spécule sur le prix des mat-ières premières agricole et la production d’agrocarburants... au détriment du droit des peuples à l’alimentation. Voilà un exemple de la barbarie dont la politique climatique capitaliste est porteuse.

Il n’y a rien à attendre de ce système ni de ses larbins politiques. Les militants new-yorkais du mouvement Occupy et de l’ONG 350.org l’ont compris, et se sont mis à organiser eux-mêmes le secours aux sin-istrés de Sandy. De l’argent a été collecté, des équipes de volontaires se sont constituées en 3x8, des milliers de repas chauds ont été préparés par des bénévoles et des véhicules ont sillonné les quartiers pauvres pour dis-tribuer de l’aide. Voilà la voie à suivre : face aux catastrophes climato-capitalistes, l’auto-organisation, la lutte, la solidarité. ■

occupy sandy!

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✒ par Céline Caudron

A l'initiative des Jeunes Anticapitalistes ( JAC) et de la Ligue Communiste Révolu-tionnaire (LCR), nous nous sommes rendus à Athènes début novembre 2012 pour y rencontrer des militants de différents hori-zons mobilisés contre l'austérité, ses causes et ses conséquences. Impressions, photos, interviews de militants syndicaux, politiques, féministes et antifascistes à propos de la situation en Grèce, de l'état des luttes et des stratégies et alternatives à débattre*. Extraits d’un carnet de route.

Mercredi 31 octobre. Nous retrouvons notre premier rendez-vous, Moisis, journal-iste et syndicaliste, près du Parlement, place Syntagma, dont les images ont fait le tour du monde quand des dizaines de milliers de citoyens l'occupaient, en écho au mouve-ment des Indigné-e-s de l’Etat Espagnol. Au milieu des fourgons de police, des journal-istes sont rassemblés pour protester contre les nouvelles diminutions de leurs pensions et de leur assurance maladie. Moisis nous explique que, chez les journalistes, il y a peu de tradition syndicale et un fort esprit corpo-ratiste parce que, sur plusieurs aspects, leurs conditions de travail diffèrent de celles des autres travailleurs: "Mais maintenant, nous sommes des travailleurs comme les autres, nous n'échappons pas aux coupes budgé-taires. Nous devons apprendre a nous battre ensemble." Le rassemblement se termine. Nous filons au rendez-vous suivant.

Aris nous attend dans les locaux de son organisation politique, Kokkino (Rouge), une petite composante de Syriza, la deuxième force politique du pays depuis les élections de juin dernier. Rassemblant une douzaine d'organisations, certaines au moins à gauche du Pasok et d'autres plus anti-capitalistes, et forte de sa percée électorale, Syriza incarne pour beaucoup l'opposition aux mémorandums et à l'austérité. C'est un réel espoir pour la gauche, au-delà de la Grèce aussi. Mais cette formation n'est pas

exempte d'ambiguïtés et de contradictions. Nous voulons en savoir plus et Aris nous parle des différentes conceptions politiques et des rapports de force internes qui influent sur l'évolution du discours, du programme et de l'attitude face au gouvernement, à la Troika, à l'euro, aux néonazis. Il nous éclaire

aussi sur la nébuleuse très complexe de la gauche radicale en Grèce, entre scissions et regroupements. Ca mériterait bien un arbre généalogique.

En chemin, à la rencontre de Mihalis, avocat des étrangers et militant antiraciste, nous assistons en direct à une rafle de migrants en bonne et due forme. L'officier a des attitudes de nazi, le regard froid, la démarche virile, la voix forte. Les passants poursuivent leur chemin. Rattrapés par la banalité de la chose. Nous ne pouvons rien faire de plus que rester là. Rester pour témoigner. Refouler notre envie de crier, notre envie de frapper, notre envie de vomir. Mihalis nous explique le déroulement de cer-

taines "procédures": campagnes publiques et médiatisées de "nettoyage" des rues, rafles au faciès pour des contrôles de papiers aux postes de police, externalisation des centres de rétention jusque dans les commissari-ats, passages à tabac et tortures, ou encore gazage des files d'attente des demandeurs

d'asiles quand ceux-ci se plaignent de devoir rester debout des heures entières...

La journée se termine autour de tsipouros, avec nos camarades d’OKDE-Spartakos, la section grecque de la IVe Internationale et l’une des composantes de la coalition de gauche radicale Antarsya ("soulèvement").

campagnes publiques et médiatisées de "nettoyage" des rues, rafles au faciès, etc.

Jeudi 1er novembre. C'est à nouveau sur la place Syntagma que nous devons retrouver Panagiotis, blogueur de http://greekcrisisnow.blogspot.be. Nous sommes tous impatients de rencontrer cet ethnologue

Plongeon dans le laboratoire de l’austérité en europe

rencontre avec Panagiotis Grigorios, auteur du blog Greek Crisis

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tedu terrain qui brosse avec tellement de justesse un portrait de la vie quotidienne du peuple grec. En nous dirigeant vers un café plus au calme, nous passons devant l'arbre où Dimitris Christoulas a choisi de se sui-cider en avril dernier, sans autre alternative que le désespoir. Un arbre presque banal, si ce n'est des traces de tags et deux marques rouges. Jusqu'aux dernières élections, les citoyens venaient déposer là tous les jours des fleurs, des messages, des affiches. Puis les autorités ont décidé de tout effacer, essayant de balayer sous le tapis le souvenir des vic-times du système. Comme si elles n'existaient pas. Comme si elles n'avaient jamais existé. Comme si elles ne nous ressemblaient pas. Comme un crachat de plus en pleine figure.

Dans un café un peu bruyant quand même, nous discutons pendant trois heures. Panagiotis nous explique que l'automaticité de la lutte n'existe pas: "Depuis deux ans, chaque bulletin d'info est comme un peloton d'exécution. Tous les jours, nous nous demandons comment survivre. Quand la misère est là, quand on n'a plus de sécurité sociale, plus de liens sociaux, on est face à la mort, on devient vulnérable, décomposé, on ne peut plus lutter. Ce n’est pas une crise, c’est une guerre! Ils veulent faire de la Grèce une zone franche en Europe. C’est le monde du travail qui est en ligne de mire. La meilleure solidarité que vous puissiez développer, c'est de vous battre chez vous contre le même ennemi".

l'automaticité de la lutte n'existe pas

L’après-midi, nous rencontrons Antonis et Tassos, militants autonomes et média-activistes de www.radiobubble.gr. Ils nous parlent de la nécessité d'organiser les citoy-ens au-delà de la gauche et de la droite, un peu comme ce qui s'est passé sur la place Syntagma. Sur la montée des néonazis, ils soutiennent une théorie qui nous laisse perplexes: "Aube Dorée pourrait arriver au pouvoir, mais, dans ce cas, à l'image de Laos, elle n'y resterait pas longtemps parce que les partis traditionnels n'en auraient plus besoin. Notre rôle est d'affronter les fachos dans des combats de rue, pour montrer au gouvernement qu'on n'a pas peur d'eux et qu'il est inutile de les utiliser contre nous..." Mouais.

Le soir est tombé et nous rejoignons Kleanthis, étudiant à la polytechnique et militant d'OKDE Spartakos. Il nous emmène à la fac où se tient le meeting mensuel des étudiants. Ils sont presque 300, rassemblés pour toute la nuit: "Ça durera au moins

jusqu'à 3 heures du matin". A l'intérieur, ça ressemble plus à un squat qu'à une unif. Dans l'auditoire, salle comble, l'assemblée a commencé depuis deux heures. Alex et Neal prennent la parole pour exprimer au nom de notre petite délégation belge un message de solidarité internationale. Même combat, expériences à partager. Et sentiment grisant d'une connivence forte, au-delà des frontières. C'est dans de tels moments qu'on se réjouit de faire partie d'une organisation internationale, de pouvoir rencontrer nos camarades dans d'autres pays, pour soutenir leurs luttes et retrouver de l'énergie pour les nôtres.

vendredi 2 novembre. Nous nous offrons une petite pause: nous allons visiter une île. Aujourd’hui, les trains et métros sont en grève. Mais les bus roulent. Après une bonne heure de bus jusqu’au Pirée et une autre supplémentaire en bateau, nous accos-tons à Egina. L’île a l’air paisible. Ce n’est plus la saison touristique. Nous ne croisons que des maisons secondaires bien cossues. La crise ne semble pas frapper tout le monde aussi fort. En soirée, nous rejoignons Tassos et Andreas, deux militants d’OKDE-Spartakos qui parlent très bien français. Alors que trois musiciens mettent l’ambiance en live aux rythmes traditionnels, nous discutons stratégie et gauche radicale. Où en sont les syndicats? Et l’unité de la gauche? Com-ment combattre les fascistes? Et organiser la solidarité internationale? Largement de quoi discuter jusque 2h du matin...

samedi 3 novembre. Premier rendez-vous de la journée avec Flora, syndicaliste du secteur de l'énergie. Certains d'entre nous l'ont déjà croisée en Belgique, lorsqu'elle est venue présenter "Catastroïka" avec Aris Chatzistefanou, le réalisateur de ce documen-taire sur la privatisation des services publics. Elle ouvre d’emblée la discussion à propos de la campagne de l’"Initiative pour la sortie de l’euro et de l’Union Européenne" qu’elle anime avec d’autres. Nous sommes un peu pris de court et recadrons donc la discussion sur le thème que nous souhaitons aborder avec elle. Le topo est vite fait: "Le service public, ça n'existe plus en Grèce". Flora nous parle davantage des stratégies syndicales et nous donne son opinion sur la façon d'agir dans la période: "D'abord mener la lutte au niveau national, contre le gouvernement grec. Pour obtenir rapidement des résultats concrets et des augmentations de revenus parce qu’on en est à un point où les gens ne peuvent parfois même plus s’acheter une bouteille de lait. Mais, pour y arriver, il n’y a pas d’autre solution que sortir de la zone euro". Nous sommes partagés sur son anal-

yse. Et aussi un peu déçus qu’elle ne nous ait pas parlé plus de son secteur de travail. Sur le chemin du retour, nous passons devant un kiosque à journaux qui expose une partie de la diversité de la presse de gauche. Reflet de la pluralité des points de vue et des stratégies que nous percevons de plus en plus à travers notre séjour.

En soirée nous rencontrons Dimitra, militante d'OKDE-Spartakos qui nous parle des attaques envers les femmes et de l’état des mouvement féministes en Grèce. Pas très réjouissant. Comme partout, les femmes sont parmi les premières victimes de l’austérité. Mais les mouvements de résistance restent en majorité très sexistes. C’est vrai que, dans les rues, à l’université, nous avons vu très peu d’affiches et de slogans féministes. Minorisées, les militantes féministes essaient de se regrouper au-delà de leur tendance politique. Elles réussis-sent ainsi des alliances sur lesquelles bloquent parfois leurs organisa-tions respectives. Comme quoi...

Minorisées, les militantes féministes essaient de se regrouper au-delà de leur tendance politique

Vers 21h, Marina, Katerina et Panos nous emmènent au Club Ouvrier, une sorte de maison de quartier qu'ils animent avec d'autres à Neas Smirnis: "C'est une structure que nous avons créée il y a deux ans, avec des étudiants, des chômeurs, des travailleurs. La seule condition pour être membre, c'est de ne pas être patron de quelqu'un. Ici, nous voulons développer une solidarité de classe. Nous avons besoin de nous unir contre l'oppression de l'Etat, les flics, les fachos. Nous devons nous organiser dans les quartiers". Nous nous instal-lons dans une grande pièce et l'assemblée s'élargit. Certains militent dans des organi-sations politiques, comme Katerina au NAR, la principale composante d'Antarsya, Panos au SEK, la section grecque de l'International Socialist Tendency, elle aussi dans Antar-sya, ou Ilias à Synaspismos, la principale composante de Syriza: "Mais la gauche de

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Synaspismos, hein." Nous parlons de la situ-ation dans le secteur des médias, dans celui de la santé, du mouvement étudiant. Mais le débat les plus animé concerne la façon de combattre Aube Dorée et les fachos: les attaquer sur leurs discours et dénoncer leurs méthodes pour détruire leur image, créer des réseaux de solidarité entre voisins dans les quartiers pour les empêcher d'occuper le terrain, les affronter physiquement dans des combats de rue... Pendant que nous discu-tons, Panos reçoit un message: Aube Dorée vient de saccager le magasin d’un étranger. En toute impunité. Comme d’habitude.

Discussion intense, complexe, interpel-lante, urgente... Mais nous arrivons à notre

niveau de saturation d'infos (et d'anglais) pour la journée. Besoin de prendre l'air. Nous retournons à Exarchia où une camarade d'OKDE-Spartakos fête son anniversaire. Punk antifa grec, whisky et sale vin en cubi comme il se doit. Bel épilogue pour une journée de rencontres qui motivent bien pour combattre sur tous les fronts en même temps: anticapitaliste, féministe, antifasciste, internationaliste...

dimanche 4 novembre. Flora nous a invités à intervenir au meeting de l’Initiative pour la sortir de l’euro et de l’Union Euro-péenne. C’est Marc qui s’y colle. Il prend la parole dans une salle d’une soixantaine de personnes et axe son discours sur la néces-

saire solidarité internationale. Il parle de la similitude entre la situation grecque et la situation dans l’Etat Espagnol, en évoquant aussi la vague d’austérité qui touche les pays "du nord" comme la Belgique. Même si les attaques prennent des formes différentes, nous sommes tous dans la même galère. Pendant que les autres partent à la rencontre de Maroussa pour discuter du mouvement des Indignés, nous récompensons nos efforts matinaux par une petite balade touristique du côté de l’Acropole.

A 17h30, nous nous retrouvons au local d’Okde-Spartakos pour la dernière interview de notre séjour. Nos camarades nous brossent le portait de notre section grecque et de la

façon dont elle tente de relever les défis de la période: combattre les néonazis, recaler les plans d’austérité, faire converger les luttes... Nous avons une bonne discussion sur l’état de la gauche radicale en Europe et la coor-dination de nos interventions à travers la 4e Internationale. Trois heures plus tard, nous nous séparons sans oublier d’échanger du matériel militant.

Pour terminer notre séjour en beauté, nous avions prévu d’aller au concert de solidarité avec les 15 militants antifascistes pour les aider à couvrir leurs frais de plus de 10.000 euros. Mais, sur place, des amis nous préviennent que c’est sold-out ; des cen-taines de personnes attendent dehors. Nous

préférons donc aller traîner dans les rues d’Exarchia. Assis, comme tout le monde, sur les pavés entre les mobylettes, nous vidons quelques bières, en T-shirt, dans la douceur d’une soirée d’automne athénienne.

"ils sont en train de nous tuer "Vraiment pas envie de partir le lend-

emain. D’autant plus qu’une grève de 48h est annoncée à partir du surlendemain. De retour à l’auberge, excités par la perspec-tive d’une telle grève qu’on aimerait bien mener en Belgique aussi, nous demandons à l’employé ce qu’il en pense. D’un coup, il nous ramène à la dure réalité, celle qui ne donne plus du tout envie de rire: "C’est la seule façon. Ils sont en train de nous tuer". Un frisson. Mélange de désenchantement, d’exaspération, de rage, à l’image d’un peuple qui accuse les coups mais qui con-tinue de refuser de poser ses deux genoux par terre.

lundi 5 novembre. Nous nous réveil-lons tôt. Certains d’entre nous espèrent pouvoir changer le billet de retour pour participer aux 48h de grève avec les cama-rades Grec-que-s. Mais c’est près de 200 euros pour changer de billet. A contre-cœur, nous laissons tomber. Nous quittons l’auberge, direction place Syntagma. A pied. La grève des métros a déjà commencé. En chemin, nous croisons plusieurs contrôles d’identité d’étrangers. Plus loin, piquet devant l’entrée d’un hôpital en grève. Place Syntagma, les syndicalistes sont en plein préparatifs pour monter le podium. Des affiches partout pour la manifestation prévue le jour du vote au Parlement du 3e mémorandum d’austérité. Du 3e "Mordorandum".

Nous arrivons à Bruxelles dans la soirée. Pluie, froid, train, tram et pâtes à la maison. Retour à la vie "normale" avec 24h d’interviews à retranscrire, quelques bonnes pages à écrire et des soirées-témoignages de notre voyage à préparer... Encore plus gonflés à bloc pour faire ce que tous ceux que nous avons rencontrés nous ont demandé de faire: élargir la bataille en menant aussi le combat là ou on vit, contre la Troïka, l'Europe et le capitalisme. C'est promis! Et ce sera avec encore plus de détermination. Solidarité internationale, plus que jamais! ■

* Les résultats de nos rencontres seront progressivement diffusés via le blog http://grece-generale.blogspot.be. Plusieurs soirées de discussion sont aussi prévues à Bruxelles, Liège et Mons (voir infos pratiques sur le blog).

salle de cours typique au Polytechnic

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✒ par La Gauche

À vos agendas, camarades! L’école anticapitaliste de printemps de la For-mation Lesoil, cuvée 2013, aura lieu à Nieuport, les 15 (soir), 16 et 17 mars prochains.

Aux cent personnes qui ont participé à l’école 2012 et qui ont été satisfaites de cette expérience, nous disons: ce n’était qu’un coup d’essai, 2013 sera mieux encore. À celles et ceux qui ont manqué l’école 2012, nous disons: ne laissez pas passer une deuxième fois l’occasion de vivre ce remue-méninges riche et dense, ce moment de rencontre et de solidarité. Le programme de l’événement n’est pas complètement bouclé, mais nous sommes en mesure d’en révéler certains éléments, en primeur.

Auparavant, signalons une nouveauté: cette école 2013 sera le fruit d’une collabo-ration avec nos camarades hollandais du SAP-Grenzeloos et nos camarades français du NPA du Nord, ainsi que des militant-e-s d’Allemagne. Mini-internationalisme en pratique autour du Bénélux...

l’accent principal sera mis sur les luttes

Meeting sur l’unification des luttes en Europe avec des camarades du Portu-gal, d’Espagne, de Grèce, des Pays-Bas et de Belgique. Ateliers sur la situation en France, en Europe du Sud (Grèce, Espagne, Portugal), sur l’Allemagne de Merkel et son rôle en Europe. Le reste du monde n’est pas oublié : rencontre avec des militants d’Asie du Sud, carrefour sur les luttes au Maghreb et la révolution syrienne. Une attention particulière sera attachée au combat des femmes, avec une plénière sur le sujet.

Plusieurs ateliers thématiques sont également prévus: sur la sexualité en temps de crise, la médiacratie, la question flamande, l’écomarxisme... Les journées n’étant pas extensibles, les participant-e-s devront faire des choix souvent douloureux.

Par exemple entre une conférence-débat sur l’Etat austéritaire et ses nouvelles stratégies de répression, d’une part; et les défis du syndicalisme face aux nouvelles couches jeunes et précaires du salariat, d'autre part.

Il manque quelque chose, vous dites-vous? Oui, l’alternative politique à gauche, la question d’un nouveau parti du monde du travail pour lutter contre le capitalisme, au lieu de le gérer. Ce sera le thème d’un grand débat en réunion plénière, le samedi 16 mars après-midi. On ne peut vous en dire plus, mais on espère être bientôt en mesure de vous faire une surprise…

Le programme détaillé et tous les renseignements pratiques (lieu, prix, réductions, etc.) seront mis en ligne sur notre site, www.lcr-lagauche.be ■

ecole anticapitaliste de printemps de la Formation lesoil

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agendaconférences de la Formation léon lesoillieu: au Pianofabriek, 35 rue du Fort, 1060 Bruxelles (Métro Parvis de St-Gilles) Chaque deuxième mardi du mois à 19h30 (salle Casablanca II)

Prochaines conférencesMardi 11 décembre 2012 à 19h30:

Capitalisme et crise du logement: un toit, c’est un droit! avec Alice Romainville, géographe (ULB)

Mardi 8 janvier 2013 à 19h30: Marx, les marxistes et la crise écologique, avec Daniel Tanuro (Formation Léon Lesoil)

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—le comité de rédaction

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sur le grand écran ✒ par Guy Van Sinoy

Après Mai, un film d’Olivier Assayas, vient de sortir en salle. Inspiré largement par le vécu du réalisateur, ce film nous plonge (et replonge les plus anciens) dans l’atmosphère enfiévrée et gauchiste parisienne de l’immédiat Mai 68. AG d’un Comité d’Action lycéen où les débats fusent (entre maoïstes, spontanéistes, anarchistes, trotskystes, situationnistes), fuite éperdue de manifestants pourchassés par les brigades policières motorisées matraquant à tour de bras, affrontement avec les vigiles, décalage total entre les aspirations d’une jeunesse rebelle et le conformisme de la génération de leurs parents.

C’est aussi l’époque de la fuite en avant, parfois vers des pays lointains pour échapper à la médiocrité quotidienne de la France du "retour à la normale" après la grande peur de 1968. Mis à part quelques anachronismes mineurs (la séquence censée être tournée dans l’imprimerie de la Ligue communiste... imprimerie qui n’existait pas encore à l’époque), l’ensemble du film tient la route et fait ressurgir l’impatience révolutionnaire de cette jeunesse créative et pleine d’espoir du début des années 70, qui croyait que la révolution était nécessairement au coin de la rue. Courez le voir!

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