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Belgie-Belgique P.B. 1/9352 Bureau de déPôt Bruxeles 7 P006555 sePt-oct 2013 prix 1,50 euro | 57e année | septembre - octobre 2013 # 64

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La Gauche est le journal bimestriel de la Ligue Communiste Révolutionnaire LCR, section belge de la Quatrième Internationale. www.lcr-lagauche.org

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Belgie-BelgiqueP.B. 1/9352Bureau de déPôtBruxeles 7P006555sePt-oct 2013

prix 1,50 euro | 57e année | septembre-octobre 2013#64

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ont contribué à ce numéro: Pauline Baudour, Sébastien Brulez, Charlotte Declabecq, Franck Gaudichaud, Farid Khalmat, Neal Michiels, Little Shiva, Daniel Tanuro, Patrick Theudbald, Femke Urbain, Guy Van Sinoy, Louis Verheyden

La Gauche est le journal bimestriel de la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR), section belge de la Quatrième Internationale.

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la gauche est éditée par la Formation léon lesoil e.r. André Henry, 20 rue Plantin 1070 Bruxelles

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prix 1,50 euro | 57e année

septembre-octobre 2013#64

3 edito par La Gauche

4 le 11 septembre 1973: Pinochet noyait dans le sang les travailleurs chiliens par Guy Van Sinoy

7 la gauche sociale-libérale a géré pendant 20 ans l’héritage de Pinochet propos recueillis par Sébastien Brulez

9 une plus grande liberté pour engager et... dégager par Farid Khalmat

10 Plan Bogaert: les avancées de di rupo sont le résultat de nos reculs! par Louis Verheyden

12 le royaume contre-attaque par Daniel Tanuro

14 les élections de 2014 et la possibilité d’une alternative de gauche déclaration de la LCR

15 le "blitzkrieg" des sac par Neal Michiels

16 Nadia de Mond: "dans la libération des femmes, la première étape est la conscience de soi" propos recueillis par Luke Cooper

20 egypte: au-delà des simplifications médiatiques par Jacques Chastaing

23 tout est à nous, rien n’est à eux! Histoire d’une usine récupérée et autogérée par Pauline Baudour et Patrick Theudbald

24 la révolution sera mondiale! par Charlotte Declabecq et Pauline Baudour

26 quelle écologie, quel socialisme, quelle transition? le Manifeste écosocialiste du Parti de gauche en débat par Christine Poupin

27 agenda / lectures

covers p1: manif ouvrière, Chili 1973 p28: photomontage par Little Shiva

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édito

✒ par La Gauche

Le 11 sep tembre 1973, l ’armée chilienne commandée par le général A u g u s t o P i n o c h e t r e n v e r s a i t l e gouvernement de l’Unité Populaire, assassinait le président élu Salvador Allende et écrasait le mouvement ouvrier le plus puissant d’Amérique lat ine. Quarante ans après, La Gauche veut non seulement faire œuvre de mémoire mais surtout mettre en lumière deux aspects très actuels de cette tragédie.

On dit souvent que le tournant néolibéral remonte à 1982, avec l’arrivée au pouvoir de Reagan et de Thatcher. C’est exact pour ce qui concerne les pays du "centre" et la politique des institutions internationales. Mais le coup d’envoi de la "stratégie du choc" néolibérale (Naomi Klein) avait été donné près de dix ans plus tôt, au Chili.

Beaucoup de dictatures combi-naient tyrannie politique et dirigisme économique, voire étatisme. Pinochet a innové. Il a brisé le mouvement ouvrier, non pour aider la bourgeoisie locale à se développer en utilisant son Etat comme rempart contre la concurrence interna-tionale, mais pour imposer le programme néolibéral de l’économiste Milton Fried-man: offrir aux multinationales tout ce qu’elles souhaitaient en termes de priva-tisation, de dérégulation, de flexibilisation tous azimuts.

Cette spécificité contribue à expliquer la longévité politique de Pinochet. Dès 1982, certains admirateurs du "miracle chilien" comparaient ses crimes au cas-sage des œufs nécessaire à la cuisson de l’omelette. Cette banalisation du putsch s’accrut quelques années plus tard, quand les recettes de Friedman furent appliquées à l’ex-Union soviétique. Le soutien de Thatcher à Pinochet avait donc une signification politique profonde: le néolibéralisme porte en lui la suppression des droits démocratiques et syndicaux "comme la nuée porte en elle l’orage".

Le coup d’Etat de septembre 1973 est l’acte de naissance de l’ère néolibérale que nous subissons toujours. Le capital n’hésitera pas à repasser par ce point de départ si les résistances sociales l’empêchent de poursuivre son travail

de destruction. Dans l’UE, la démocratie parlementaire classique n’est déjà plus qu’un souvenir et la Grèce montre bien que la menace d’un Etat fort ne doit pas être sous-estimée.

Comment y faire face? Par la mobili-sation sociale la plus large des exploité·e·s et des opprimé·e·s, par la lutte intransi-geante pour leurs revendications de classe, par l’auto-organisation démocratique de ces luttes. Toute illusion sur le rôle de l’Etat, sur la neutralité de ses appareils et sur la loyauté de ses chefs doit être bannie car elle peut se révéler mortelle. C’est la deuxième leçon du Chili, et elle garde toute son actualité.

Un peu partout en Europe, la dégé-nérescence de la social-démocratie libère un espace politique qui tend à être occupé par des forces de gauche nouvelles: Syriza en Grèce, le Front de Gauche et le Parti de Gauche en France, Die Linke en Alle-magne, le SP aux Pays-Bas... La crise des partis traditionnels est à ce point profonde que certaines de ces forces pourraient arriver au pouvoir, seules ou en coalition, sur base d’un programme antinéolibéral plus ou moins radical. Le PG français va même jusqu’à plaider pour une "révolu-tion citoyenne" avec "appropriation sociale des moyens de production".

En supposant que ces programmes ne soient pas édulcorés par leurs propres auteurs, il s’agit de voir la réalité en face: la classe dominante ne cèdera jamais le pouvoir démocratiquement. Elle devra en être chassée par une mobilisation de masse extra-parlementaire qui ne pourra vaincre qu’en brisant l’appareil d’Etat capitaliste, en particulier l’armée, la police, la magistrature, le corps des hauts fonctionnaires.

Quelques jours avant le coup de Pinochet, des milliers de travailleurs et de travailleuses réclamaient des armes pour contrer le putsch dont la menace était per-ceptible. Allende refusa de les leur donner. Qu’un tel aveuglement serve de leçon, et les victimes de Pinochet ne seront pas tom-bées tout à fait en vain. ■ph

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les leçons d’une tragédie

Allende le 11 septembre 1973

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✒ par Guy Van Sinoy

Pour la plupart des médias, le 11 septembre est l'anniversaire de l'attentat contre les tours jumelles du WTC à New York en 2001. Mais le 11 septembre est avant tout un autre anniversaire tragique: en 1973, le général Pinochet renversait – avec le soutien actif des États-Unis – le président Allende et écrasait le mouvement ouvrier chilien.

un mouvement ouvrier de type européen

Les travailleurs occupent une place importante dans l'histoire du Chili: la classe ouvrière a en effet participé étroitement aux événements majeurs qui ont fait de ce pays un cas particulier sur le continent latino-américain. Lors de son indépendance en 1810, le Chili était un pays essentiellement agricole. Mais la découverte de gisements de salpêtre, associée à la pénétration du capital britannique, va dès le milieu du 19e siècle contribuer à développer l'industrialisation et le prolétariat.

Dès 1853 les typographes organisent une grève. En 1900 les mutuelles comptent déjà 55.000 adhérents. Une grève générale, appelée "Semaine rouge" va paralyser le pays en 1905. En 1921 le Parti socialiste a deux députés et la même année le syndicat anarcho-syndicaliste FOCH adhère à la Troisième Internationale. Au lendemain de la Première Guerre mondiale les capitaux américains prennent la relève du capitalisme britannique, surtout pour l'exploitation des mines de cuivre. Le prolétariat des mines ne sera pas nombreux, mais le cuivre était d'un intérêt stratégique car au début des années 1970 il représentait 70% de la valeur des exportations.

En 1938, le Chili connaîtra une expérience de Front populaire. A la fin des années 60, alors que la plupart des pays latino-américains avaient connu de nombreux coups d'Etat militaires, de longues périodes de dictature bonapartiste et une tradition de partis populistes (en

Argentine, au Mexique, au Pérou), les travailleurs chiliens disposaient d'un mouvement ouvrier "classique" de type européen: un Parti socialiste, un Parti communiste, une centrale syndicale (CUT) et des organisations révolutionnaires dont la plus connue était le Mouvement de la Gauche révolutionnaire (MIR).

le MirLe MIR (Mouvement de la Gauche

révolutionnaire) a été fondé en 1965, notamment par de jeunes militants ayant fait leurs armes dans le mouvement étudiant et les Jeunesses socialistes (Miguel Enriquez, Bautista Von Schouwen), des syndicalistes, des militants trotskystes (Luis Vitale). Sous l'influence de la révolution cubaine, le MIR reflétait l'impatience révolutionnaire: c'était un conglomérat de militants révolutionnaires venus de divers horizons et dépourvus – pour la plupart et malgré leur bonne volonté – d'analyse marxiste du mouvement ouvrier et de tactique capable d'unifier les travailleurs dans un processus de renversement du capitalisme. La faiblesse politique du MIR conduit à une division en 1969. Sous l'impulsion de Miguel Enriquez, l'aile majoritaire va s'orienter de plus en plus vers une tactique de guérilla urbaine.

Victoire électorale d'allende en 1970

A l'automne 1970, Salvador Allende (PS), candidat de l'Unité populaire (PS, PC et radicaux), remporte les élections présidentielles avec 36,4% des voix. Allende est un vieux routier de la politique: en 1938 il était déjà directeur de cabinet du Premier ministre dans le gouvernement de Front populaire. Ministre en 1942, sénateur en 1945, il sera le candidat du Front populaire à trois reprises avant de l'emporter en 1970. Le score d'Allende en 1970 n'est pas beaucoup plus élevé que celui du président sortant, le Démocrate chrétien Eduardo Frei (36,3%). Le Parti national (droite conservatrice), la CIA, la

multinationale américaine ITT, le journal de droite El Mercurio et certains cercles de militaires conspirent dès le début pour empêcher Allende d'accéder à la présidence. Le 22 octobre 1970, deux jours avant la prestation de serment d'Allende, l'armée tente (déjà!) un putsch manqué.

les masses se radicalisentAux yeux des travailleurs, des paysans

et des couches plébéiennes des bidonvilles, l'élection d'Allende représente une victoire sur la bourgeoisie et un pas en avant pour l'élimination de l'exploitation capitaliste. La bourgeoisie redoute plus cette radicalisation incontrôlable des masses que la victoire d'Allende, d'autant plus que l'Unité populaire (UP) est minoritaire au parlement, que les tribunaux donnent presque toujours satisfaction à l'opposition et que l'armée est prête à comploter.

Parmi les premières mesures prises par Allende, il faut noter le doublement des bas salaires et la reprise de la réforme agraire qui avait été initiée par son prédécesseur Eduardo Frei. Cette réforme ne touchait que les propriétés supérieures à 80 hectares.

Cependant les élections municipales d'avril 1971 sont un bon indicateur de la radicalisation des masses: les partis de l'Unité populaire remportent en effet 51% des voix. Une imposante mobilisation populaire commence à se développer, surtout sous l'impulsion du MIR qui élargi son implantation auprès des paysans et parmi les couches pauvres des bidonvilles. Dans le sud du pays, d'importantes usines textiles sont occupées et les paysans Dans les bidonvilles de Monrovia, l'eau tue.

le 11 septembrePinochet noyait dans le sang les travailleurs chiliens

1973

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commencent à occuper les terres sans attendre la réforme agraire. La plupart du temps, l'UP choisit la répression pour endiguer ces luttes.

Polarisation de la sociétéEn juillet 1971, les mines de cuivre

(80% des ressources) sont nationalisées. Sur le plan international les États-Unis utilisent tout leur poids pour faire baisser de 50% les cours du cuivre: l'impérialisme américain est décidé à étrangler coûte que coûte la radicalisation en cours au Chili. Face à l'augmentation du coût de la vie, la petite et la moyenne bourgeoisie mobilisent: des milliers de ménagères des quartiers riches se retrouvent dans la rue lors de manifestations de "casseroles vides", aux côtés de l'extrême-droite.

Face aux mobilisations de la droite, le Parti communiste (PC) en conclut qu'il faut tendre la main à la Démocratie chrétienne (DC) censée représenter la petite-bourgeoisie. C'est ainsi que des négociations s'ouvrent avec la DC en juin 1972 en vue de renforcer le pouvoir afin de juguler les mobilisations de masse. Mais les pourparlers échouent et la Démocratie chrétienne rompt les négociations.

La situation est dans l'ensemble fort semblable à celle de l'Espagne du début des années 30 où la bourgeoisie s'est un moment posée la question de savoir quel serait l'instrument le plus capable d'arrêter la mobilisation des masses: le front populaire ou le coup d'état militaire. On peut dire qu'après la rupture des négociations de juin 1972 la bourgeoisie chilienne avait pris son parti pour le putsch militaire.

deux blocs prêts à s'affronterLa rupture des négociations par la

DC entraîne un glissement à droite des secteurs arriérés qui soutenaient l'UP et une radicalisation importante des secteurs les plus avancés. En juillet 1972 apparaissent les premières expériences embryonnaires de double pouvoir, notamment à Conception. Le 25 juillet 500.000 personnes manifestent dans la capitale pour "écraser le fascisme".

La droite de son côté mobilise également: les indépendants et les camionneurs mènent une grève du 20 août au 5 novembre. Le Chili est une longue bande de terre, coincée entre l'océan et la montagne, de 200 km de large et de 4.200 km de long: les transports ont donc un rôle stratégique dans l'économie du pays. C'est dans ces conditions que l'état d'urgence est proclamé dans 24 provinces sur 25. En novembre 1972, le gouvernement est remanié et 3 militaires y font leur entrée.

Malgré la mobilisation de la droite, les élections de mars 1973 montrent que la radicalisation des masses ne faiblit pas. L'UP obtient 44% des suffrages. Un nouveau gouvernement est formé, sans militaires. Le 21 juin 1973, à l'appel de l'Unité populaire, une grève générale contre la réaction et le fascisme rassemble 600.000 manifestants à Santiago. Quelques jours plus tard, un régiment de blindés entoure le palais présidentiel et tente un putsch. Alertés par Allende, les travailleurs se mobilisent en particulier dans les faubourgs de la capitale organisés en "cordons industriels". Mais ces "cordons" sont à peu près dépourvus d'armes... ➼

La mort de Victor Jara illustre la barbarie des militaires chiliens. Au début des années 70, Victor Jara était un chanteur et guitariste très populaire. Non seulement en raison de sa musique, mais aussi parce qu'il chantait l'espoir socialiste de tout un peuple de se libérer de ses chaînes. Arrêté par les militaires quelques jours après le 11 septembre 1973, il fut traîné au stade national, là où on entassait les prisonniers dans les tribunes avant de les torturer et d'en assassiner bon nombre. Un officier fit conduire Victor Jara au milieu du terrain de football et amena une table. Victor Jara fut obligé de poser ses mains de guitariste sur la table. A coups de hache l'officier lui sectionna les doigts des deux mains et lui jeta: "Qu'attends-tu pour chanter?" Se tournant vers les tribunes où étaient massés les prisonniers, Victor Jara brandit ses moignons ensanglantés et entama l'hymne de l'Unité populaire, repris en chœur par les détenus. Il fut abattu d'une rafale et les militaires mitraillèrent la foule des détenus afin de faire taire les chants de lutte. ■

Victor Jara

Miguel Enriquez

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La droite mobilise à son tour en lan-çant la deuxième grève des camionneurs, suivie par celles des commerçants, des médecins, des cadres des chemins de fer, des compagnies d'aviation. La CUT appelle à la grève contre les transporteurs. Sous couvert de la "loi sur les armes", l'armée perquisitionne dans les usines, brutalise les ouvriers et confisque à l'occasion quelques vieux pistolets.

Le 4 septembre 1973, 1.000.000 de manifestants défilent dans la capitale pour commémorer le 3e anniversaire de l'élection d'Allende, réclamer un "pouvoir populaire" et l'inciter à avoir "la main lourde" à l'égard de la droite. Allende met au point un plan anti-putsch visant à écarter du commandement militaire les généraux séditieux, avec le concours des syndicats ouvriers. C'est le général... Pinochet qui est chargé d'appliquer ce plan anti-putsch!

11 septembre 1973Avant de lancer le coup d'Etat,

Pinochet fait d'abord éliminer les éléments de l'armée fidèles à Allende: les marins favorables à l'UP sont arrêtés, emprisonnés à bord de bateaux où ils seront torturés puis exécutés. Le 11 au matin, Pinochet proclame le coup d'Etat. Pour se défendre les ouvriers occupent les entreprises les armes à la main. Mais la partie est inégale car les cordons industriels sont peu armés. L'aviation bombarde le palais présidentiel et Allende est tué. L'envoyée spéciale du Washington Post relate que le soir même l'ambassadeur américain sable le champagne pour célébrer le putsch.

L'armée va reprendre une à une les usines occupées, fusillant sur place les ouvriers qui résistent. Des dizaines de milliers de travailleurs, de militants politiques, de syndicalistes sont traqués, abattus en rue, enfermés au stade national. Beaucoup n'en ressortiront pas vivants. Les

Le 11 sep tembre 1973 i l lus t r e tragiquement l'importance de la stratégie pour passer du capitalisme au socialisme. Au début du 20e siècle, Rosa Luxembourg lançait la polémique (1) contre les dirigeants socialistes allemands qui prétendaient qu'on pouvait passer graduellement au socialisme par la voie parlementaire. A la veille de la révolution d'Octobre 1917, Lénine a exposé dans une brochure(2) la conception marxiste de l’État. S'appuyant sur les travaux de Marx et d'Engels, il démontre que l'appareil d’État (armée, police, tribunaux, prisons, lois répressives) est un instrument au service de la classe dominante.

Mille liens unissent en effet le sommet de l'appareil d’État (les hauts magistrats, les hommes d’Etat, les chefs d’état-major) à la bourgeoisie: ils siègent dans les mêmes conseils d'administration, participent aux mêmes galas, fréquentent le même club de golf et s'épousent les uns les autres. Et si la propriété privée des moyens de production est mise en péril par la lutte entre les classes et que les moyens traditionnels de la démocratie bourgeoise (les politiciens bourgeois, les lois anti-grèves, les tribunaux bourgeois, la police, le contrôle des médias) ne suffisent plus à contenir les classes dominées, la bourgeoise est prête à violer sa propre légalité en faisant appel à la dictature militaire ou au fascisme pour écraser le mouvement ouvrier. Les dictatures sanglantes de Pinochet, de Franco, de Mussolini et d'Hitler ont été le prix exorbitant que les travailleurs du

Chili, d'Espagne, d'Italie et d'Allemagne ont payé parce que leur dirigeants ouvriers n'étaient pas à la hauteur pour diriger une révolution socialiste.

L'échec du MIR chilien montre aussi que la révolution ne se résume pas à organiser des groupes armés isolés prêts à combattre la répression. En 1917 Lénine (le dirigeant le plus clairvoyant du parti bolchevik) et Trotsky (président du soviet de Saint-Pétersbourg) ont dirigé la révolution en s'appuyant sur la mobilisation de la masse des travailleurs et des soldats organisés en conseils élus par la base (les soviets). Une pyramide de soviets couvrant le pays permet de prendre en charge les tâches dévolues "normalement" à l’État: contrôler les routes, organiser le ravitaillement, contrôler les mouvements de troupes. Une situation de double pouvoir existe alors temporairement: l'ancien (le vieil appareil d'état) et le nouveau (les soviets). Alors vient le moment de l'insurrection ouvrière qui balaie les débris du vieil appareil d’État.

Tout cela n'est toutefois possible que si un parti révolutionnaire est capable d'orienter les masses vers la conquête du pouvoir à travers une pyramide de soviets. La LCR vous invite à participer à la construction d'un tel parti. ■

(1) Rosa Luxembourg, Réforme ou révolution? www.marxists.org/francais/luxembur/works/1898/

(2) Lénine, L’Etat et la Révolution www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/08/er00t.htm

le socialisme sans la révolution?

Allende et Neruda

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réfugiés politiques venus de pays voisins où règne la dictature sont pourchassés, abattus ou remis à la frontière.

un bain de sangLa junte militaire va développer un

terreur de masse afin de véritablement terroriser les millions de partisans de l'UP. La répression a d'abord été aveugle et massive, avant de venir plus sélective à l'égard des militants politiques et syndicaux. En décembre 1973, Bautista Von Schouwen (MIR) est arrêté et meurt sous la torture. Les militaires font disparaître son cadavre. Miguel Enriquez tombera en octobre 1974, les armes à la main. L'héroïsme des militants du MIR a cependant été vain: leurs commandos armés se sont rapidement trouvés isolés car les masses étaient désarmées et n'étaient pas organisées pour prendre le pouvoir.

La répression durera 17 ans. Il y aura des milliers de morts et de disparus, des dizaines de milliers de torturés et des centaines de milliers d'exilés. Dans les usines, les conditions de travail et de salaire vont empirer: les grèves et les élections syndicales seront interdites. En 1975 les salaires vont perdre 40% de leur pouvoir d'achat. Tous les services sociaux vont être privatisés. En 1980 la nouvelle législation sur les pensions instaurera un régime d'épargne individuelle basé sur la capitalisation auprès d'assurances privées. Devant la baisse drastique du niveau de vie beaucoup de travailleurs devront faire un deuxième métier pour survivre.

Comble du cynisme, Henry Kissinger, le secrétaire d’Etat américain au cœur du complot contre Allende, recevra le prix Nobel de la Paix en 1973. A l'heure où vous lisez ces lignes, il coule toujours des jours heureux. Et aucun tribunal pénal international ne manifeste la moindre intention de traduire en justice ce criminel de guerre civile. ■

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✒ propos recueillis par Sébastien Brulez

Franck Gaudichaud est Maître de conférence en études latino-américaines à l’Université de Grenoble 3. Il vient de pub-lier deux ouvrages* sur les mille jours de l’Unité populaire au Chili et l’implication du "pouvoir populaire". Nous l’avons interviewé avant sa participation aux con-férences organisées par la Formation Léon Lesoil à Bruxelles et à Mons.

Pouvez-vous nous expliquer brièvement de quoi parlent vos deux derniers ouvrages?

Ces deux publications sont le fruit de plusieurs années de travail de terrain, d’entretiens et de travail d’archives, que j’ai réalisé entre le Chili et la France. C’est l’occasion, à 40 ans du coup d’Etat, de revenir sur cet évènement fondamental de l’histoire du XXème siècle. Mais c’est surtout essayer de donner une autre vision de l’Unité populaire (UP) à un moment où, très souvent, on en reste au personnage d’Allende, aux institutions ou à la direction des partis. Là l’objectif est de faire une histoire des acteurs oubliés de l’UP et surtout une histoire par en bas, à travers les formes d’auto-organisation du mouvement ouvrier et les formes de ce qu’on a appelé le "pouvoir populaire".

Pour aller au-delà de la simple vision historique, que peut-on retirer de cette expérience pour les luttes actuelles?

Justement, le travail que je publie est certes un travail de recherche mais c’est une recherche qui se veut encrée dans le présent, dans le réel, dans les réflexions stratégiques. Et l’UP a non seulement pro-fondément marqué l’ensemble de la gauche dans les années 70, aussi bien la gauche parlementaire, réformiste, que la gauche révolutionnaire, anticapitaliste; mais elle a beaucoup à nous apprendre aujourd’hui. On a souvent parlé des "leçons" chiliennes, peut-être que le terme de leçons est un peu présomptueux mais en tout cas il y a des bilans critiques à tirer de cette expéri-ence, tout en respectant la mémoire de tous ceux qui ont lutté. Et ça nous apporte une réflexion sur comment transformer le monde dans une articulation entre luttes sociales et partis politiques; réfléchir sur le rôle d’un gouvernement populaire ou des travailleurs et aussi sur les limites de l’Etat ou d’un cadre légal, comment cet Etat ou ce cadre légal va freiner les luttes et essayer de les enfermer. C’est aussi les limites du pari d’Allende d’une voie légale, d’une voix institutionnelle au socialisme.

C’est la question de l’Etat qui est posée au travers des mille jours de l’Unité populaire. La gauche chilienne parlementaire faisait le pari d’une voix institutionnelle qui conserverait, qui respecterait l’Etat, la constitution, et on voit très bien que le mythe d’une transition légale au socialisme c’est effondré. C’est-à-dire qu’à un moment il y a une rupture, un saut qualitatif qui se fait. Là l’Etat s’est retourné contre le mouvement ➼

la gauche sociale-libérale a géré pendant 20 ans l’héritage de Pinochet

Franck Gaudichaud

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ouvrier, contre la gauche au travers des forces armées, du parlement, de l’appareil judiciaire, policier. C’est donc cette question de la rupture qui est posée, même si bien entendu ce n’est pas la seule question. Il y a une partie de la gauche révolutionnaire qui a voulu résumer le bilan stratégique à la question de la rupture de l’Etat bourgeois, finalement c’est beaucoup plus complexe que cela.

quelles autres questions entrent en jeux d'après vous?

Ce qui m’a particulièrement intéressé c’est justement la richesse, la complexité de cette dialectique entre le temps institution-nel et le temps des luttes de classes. Daniel Bensaïd parlait des temps discordants, là on les voit très bien. Et en même temps la grande richesse de l’auto-organisation à la base, des cordons industriels, des commandos communaux, des centres de ravitaillement populaires, qui sont animés par des militants de gauche, très souvent des militants de l’UP mais aussi de la gauche révolutionnaire, dont le MIR (Mouvement de la Gauche révolutionnaire). Mais il y a des tensions, des contradictions entre ce qui surgit de la base, notamment au sein des cordons industriels, et la volonté de la gauche des grands partis, d’Allende, de canaliser ce mouvement-là; avec un rôle très net du Parti communiste chilien qui a essayé de freiner ces mobilisations. Donc ça pose aussi la question du rôle de la gauche dans une telle période et de son débordement.

on voit qu’une bonne partie de la structure institutionnelle imposée par Pinochet se maintient toujours. le chili a gardé la même constitution (même si elle a été quelque peu modifiée), l’enseignement est toujours organisé sur le même modèle, etc. comment voyez-vous la situation par rapport à toutes ces luttes dont on entend parler: luttes étudiantes, luttes du peuple mapuche, etc.?

On voit que 40 ans après, la période qui s’était ouverte le 11 septembre 1973 continue à marquer le régime politique et social du Chili actuel. Les 17 ans de dictature du régime de Pinochet, qui était une dictature militaire néolibérale, ont débouché sur une démocratie parlemen-taire extrêmement limitée et néolibérale également; dans laquelle, vous l'avez dit, la constitution est maintenue mais aussi l’héritage institutionnel, économique, poli-

tique qui a transformé le Chili en un laboratoire néolibéral.

La grande richesse de la nouvelle période c’est qu’a surgit une nouvelle génération qui n’a pas vécu la dictature et qui critique cet héritage. Au travers du modèle de l’éducation, qui est hérité de Pinochet, mais qui va au-delà du modèle de l’éducation puisqu’elle réclame une nouvelle constitution, la renationalisation du cuivre et finalement elle remet en cause cette gauche sociale-libérale qui pendant 20 ans a géré l’héritage de Pinochet et qui a une responsabilité immense dans ce qu’est le Chili actuel (ce qu’on appelle "la Concertation", dans laquelle on retrouve le Parti socialiste notamment).

Pourtant camila Vallejo, la leader des manifestations étudiantes, se présente aux prochaines élections pour le congrès et affiche désormais son soutien à Michelle Bachelet (Ps). quelle latitude y a-t-il pour une gauche anticapitaliste en ce moment?

C’est le défi du 17 novembre prochain, qui est le premier tour des élections prési-dentielles. Il y a plus de neuf candidats mais il y a une domination très claire de l’ex-candidate Bachelet et donc de l’ex-Concertation qui va être alliée avec le Parti communiste chilien. Donc de nouveau un Parti communiste qui fait le pari d’une alliance avec les sociaux-libéraux et qui récupère une partie des anciens dirigeants du mouvement étudiant. Le défi c’est con-struire une gauche radicale, anticapitaliste, à la gauche du PC chilien, indépendante de la Concertation.

Ce qui est en tout cas très intéressant c’est que le mouvement ne s’est pas terminé. Depuis 2011 il y a un grand cycle de luttes sociales qui est celui des étudiants mais pas seulement. On a vu des syndicalistes, un mouvement écologiste, un mouvement dans les provinces du sud, bien entendu le mouvement mapuche qui continue ses luttes contre l’Etat chilien. Les élections approchent et les luttes continuent. ■

* F. Gaudichaud, ¡Venceremos! Analyses et documents sur le pouvoir populaire au Chili, Editions Syllepse, Paris, 2013. Et F. Gaudichaud, Chili 1970-1973. Mille jours qui ébranlèrent le monde, Presses universitaires de Rennes, 2013.

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✒ par Farid Khalmat

Juste avant les vacances, le gouverne-ment a pressé les partenaires sociaux de conclure un accord à propos du rap-prochement des statuts entre ouvriers et employés. Finalement début juillet, l’encre de l’accord n’étant pas encore séchée, il est advenu un grand silence sur cette question. Tout le monde savait pourtant bien que ce qui fut présenté comme un compromis aussi honorable que nécessaire, compor-tait de nombreuses imprécisions, des zones d’ombre, et surtout consacrait un certains nombre de reculs pour les travailleurs.

des négociations bâclées Petit retour en arrière. Dans ce

dossier, politiques, responsables patronaux et syndicaux semblaient d’accord sur un point: il faut "trouver une solution rapidement sinon..." Sinon quoi? Sinon dès le 9 juillet, un travailleur qui viendrait à être licencié par son employeur (par les temps qui courent il n’est pas sûr qu’il le veuille vraiment) serait en droit de réclamer un préavis équitable! Notons donc au passage que ce que cherchaient désespérément les "interlocuteurs sociaux" serait un compromis en-dessous de ce droit... On corrigerait donc une injustice (très ancienne) par une autre injustice!

Aujourd’hui en Belgique 70% des travailleurs ont droit, en cas de licenciement, à des préavis équivalents

à ceux des "employés", ceci grâce à des conventions collectives qui ont déjà réduit, grâce au combat syndical, les discriminations que subissaient les ouvriers. Toute harmonisation vers le bas est donc un recul pour la grande majorité des travailleurs et donc une victoire pour les employeurs qui pourront ainsi avoir les mains libres pour "dégraisser" plus facilement. Il faut bien constater que les directions syndicales n’ont pas mis toute la pression nécessaire pour faire comprendre cet enjeu et surtout pour mobiliser en conséquence. Elles se sont laissées trainer jusqu’à la veille des vacances et la date "fatidique" du 8 juillet.

Fin juin, sous la pression du chronomètre, les représentants syndicaux, patronaux et "experts" des cabinets, s’enferment pour une négociation au finish. La manière dont se sont déroulées et conclues les 25 dernières heures de négociation ne laisse aucun doute sur la volonté du gouvernement de pousser les directions syndicales à faire l’impasse sur la consultation de leurs militants sur la base d’une évaluation sérieuse du contenu de ce fameux compromis. Le texte signé par la ministre de l’Emploi, Monica De Coninck, a été présenté et approuvé immédiatement par un Conseil des ministres restreint. Il pouvait donc entrer en application avant la date butoir du 8

juillet. "Vendredi, les partenaires sociaux ont accepté un texte rédigé de la plume de la ministre de l’Emploi. Subtilité: ils ne l’ont pas signé, pour n’avoir pas à le faire avaliser par leur base, avec les risques que cela engendrerait", indiquait Le Soir du samedi 6 juillet.

lobby patronalDepuis des mois les patrons avaient

gonflé exagérément le poids financier d’une harmonisation vers le haut des statuts et estimaient le surcoût pour les entreprises à plus de 5%. La CSC et la FGTB avaient vivement contesté ces chiffres et parlaient, quant à elles, de 0,07%. Le patronat avait été plus loin, menaçant même de procéder à des licenciements préventifs avant la fin du délai.

Le bluff a fonctionné et une nouvelle fois on a matraqué l’opinion publique pour lui faire croire que les responsables de cette discrimination envers les ouvriers ce sont les employés et qu’ils doivent "abandonner une partie de leurs privilèges"...

Les termes les plus souvent utilisés pendant toute cette période de négociations, "compromis", "date butoir", "un accord à tout prix", ne sont pas neutres. Ils annoncent "des sacrifices nécessaires", "pour aboutir à un accord équilibré"... Anne Demelenne, secrétaire générale de la FGTB, n’a plus qu’à conclure que l’accord "maintient un niveau de protection suffisant pour ces derniers (les travailleurs de demain), sans étrangler les entreprises ni mettre en danger les finances de l’Etat". Un "bon compromis", quoi. Un résultat inespéré... pour les employeurs si on tient en compte que, côté syndical, certaines dispositions étaient prises qui auraient pu laisser croire que les organisations syndicales se préparaient à des actions devant les tribunaux dès le 9 juillet, n’espérant plus un compromis. ■

Pour les analyses syndicales:

www.setca.org/News/Documents/analyse08072013.pdf

www.cne-gnc.be/cmsfiles/file/OuvEmpl3.pdf

une plus grande liberté pour engager et... dégager

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✒ par Louis Verheyden

Le Secrétaire d’Etat à la fonction pub-lique Bogaert a gagné la troisième bataille dans sa guerre contre les fonctionnaires fédéraux en portant atteinte à la carrière pécuniaire. Déjà, le gouvernement Di Rupo avait frappé la pension des fonctionnaires, sous la houlette de Van Quickenborne. Une deuxième victoire de ce gouvernement est le non-remplacement des fonctionnaires qui partent.

l’offensive di rupoC’est contre un syndicalisme de

concertation que Di Rupo a lancé ses jeunes généraux libéraux. Van Quickenborne d’abord, qui a augmenté l’âge de la pension anticipée de 60 à 62 ans et diminué les pensions de trois à 12% en la calculant sur le salaire des 10 au lieu de cinq dernières années. Ensuite le gouvernement bloque le remplacement des fonctionnaires partants: seul un partant sur trois est remplacé.

Le nombre de fonctionnaires fédéraux est ainsi ramené de 83.800 en 2008 à 79.100 en 2012. En même temps, les budgets de fonctionnement sont rabotés d’environ 100 millions. Les syndicats ont encaissé ces deux reculs sans trop réagir, en faisant le gros dos.

l'accord en brefen début de carrière: plus vite dehors!

Pendant les deux premières années de carrière, le préavis sera de une semaine par trimestre, avec un minimum de deux semaines (14 jours). Alors qu'auparavant le préavis minimum des ouvriers était de quatre semaines (28 jours) et de 13 semaines pour les employés. Voilà qui va réjouir les patrons qui souhaitent une plus grande liberté pour engager et... dégager. Aujourd’hui dans les entreprises, il y a une grande rotation. Peu de travailleurs bouclent leur carrière dans la même entreprise. Partout on vente cette mobilité professionnelle. C’est donc une mesure qui, à l’avenir, va représenter un recul important pour un grand nombre de travailleurs. Couplée au recours à l’intérim (multiplié par trois en 20 ans), au travail à temps partiel (multiplié par deux en 20 ans) et au Contrats à Durée Déterminée (multipliés par quatre en 30 ans), elle va accroître considérablement la précarité des contrats. Et devinez qui sera encore particulièrement frappé par ces mesures: les jeunes et les femmes évidemment, dont les contrats sont souvent des contrats précaires!

Certes les ouvriers verront leurs préavis évoluer positivement après six

mois d’ancienneté (soit 1,4 millions de travailleurs actuels) mais à l’opposé, deux millions d’employés verront leur préavis réduits drastiquement. Notamment pour deux tiers d’entre eux, pour qui le calcul (plus favorable) de la fameuse Grille Claeys était d’application en raison du dépassement d’un plafond de revenus. Dans "l’accord" la gril le Claeys est abandonnée.

Si les employés actuels conservent les droits déjà acquis dans l’ancien régime (leurs droits seront fixés le 31 décembre 2013; le nouveau régime viendra donc en plus du préavis déjà constitué précédem-ment par l’employé), une fois ce "pot" épuisé (par un licenciement par exemple) les nouvelles règles s’appliqueront dès la conclusion d’un nouveau contrat.

En outre les patrons obtiennent quelques avantages supplémentaires (les compléments sectoriels venant s’ajouter aux allocations de chômage seront déduits du délai ou de l’indemnité de préavis. Idem pour l'outplacement). Autrement dit, les travailleurs/euses devront eux-mêmes supporter une partie du coût de leur licenciement!

Ici aussi il faut bien réfléchir que la tertiarisation de l’économie et l’évolution des professions conduit de plus en plus à engager des appointés. La grande masse des travailleurs de demain seront donc moins bien protégés contre les licenciements. -FK

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Bogaert en pointeC’est dans ce climat que Bogaert a

entamé les négociations sur deux volets du statut des fonctionnaires: l’évaluation individuelle et la carrière pécuniaire. Alors que les fonctionnaires sont attachés fortement à l’équité, Bogaert veut introduire quatre niveaux d’évaluation au lieu des deux existants et veut obliger les chefs à pourchasser les personnes qui presteraient moins bien dans leur service. Ce qui pourrait n’être qu’une humiliation devient dramatique quand le salaire est lié à l’évaluation par un chef souvent inapte. Finalement, les carrières sont allongées et individualisées.

L’idée d’égalité de traitement est abandonnée en même temps que la perspective d’une promotion. Si on y ajoute le non-remplacement, la diminution de la pension et des mesures moins importantes, c’est clairement d’une attaque importante contre le statut même des fonctionnaires qu’il s’agit.

directions syndicalesLes directions syndicales ont eu beau-

coup de mal à croire à la réalité de cette attaque. Certains dirigeants syndicaux ont participé très activement à la négociation. Ils ont proposé des amendements puisque l’attaque belge leur semblait moins grave

que dans d’autres pays. En même temps une pétition est organisée en front commun et récolte 40.000 signatures. Environ 10.000 affiliés descendent dans la rue le 7 février pour «remettre son C4» à Bogaert, mais sans qu’une grève fédérale des fonction-naires ne soit organisée. Cela n‘a pas suffit pour faire trébucher ce gouvernement. Les délégués voient les négociations reprendre comme si l’action de février n’avait pas existé. Le plan d’action promis ne voit pas le jour. Les collègues de la Communauté française et de la Région wallonne partent en grève le 5 juin, sans le fédéral. Le 24 juin, 2500 militants de la CGSP se rassem-blent à Bruxelles pour exiger un service public fort. Le secteur fédéral y est quasi absent. Les délégués voient passer les occa-sions ratées, les négociations continuent.

la décisionSont alors convoquées les réunions

décisionnelles. A la CGSP, une centaine de délégués écoutent les arguments d’un négociateur en faveur de l’AR [arrêté royal] évaluations. Il faut faire l’exercice intellectuel de séparer les deux AR et se méfier de la CSC, qui pourrait tout signer. Puis ils se retrouvent noyés sous des informations sur tous les barèmes possibles sous le régime Bogaert. Il faudra avoir 11 données pour pouvoir déterminer un traitement. Peu d’interventions de la salle, pas une pour tenter de mobiliser. Les présidents et vice-présidents des sous-secteurs restent alors pour décider, suivant le mandat reçu. Alors que l’AR des traitements lie clairement ceux-ci à l’évaluation, feu vert est donné au seul AR évaluation, en rejetant l’AR réglant les traitements.

Du côté de la CSC, les choses prennent une tournure dramatique. Les assemblées organisées le 2 juillet rejettent les deux AR par 85% des voix! Bogaert (CD&V) convoque alors la direction de la CSC Services Publics pour leur demander de signer malgré tout. Il leur dit que d’autres

dossiers n’aboutiront pas si la FSCSP ne revoit pas son attitude. Le secrétaire national De Vos, fidèle aux décisions des affiliés, se serait fait engueuler par son président Haemelinck devant Bogaert! Un compromis est trouvé: un deuxième vote est organisé pour redresser la barre. Rien n’y fait: la CSC rejette une deuxième fois les deux AR à plus de 60%!

Les trois syndicats rejettent finalement les deux AR du plan Bogaert. Un autre gouvernement aurait été stoppé dans son élan par ce rejet unanime. Pas le gouvernement Di Rupo! Pourtant une partie importante de la base des partis gouvernementaux est directement touchée par ces mesures antisociales.

Il ne reste aux syndicats de la fonction publique fédérale que deux options: accepter le recul et en préparer d’autres. Le dossier suivant est déjà connu: Bogaert veut réformer, sans concertation, le régime disciplinaire. Cela finira par une attaque contre la prime syndicale et la fin du taux de syndicalisation actuel.

Si on refuse cette solution, il faudra mobiliser et organiser une grève générale des services publics pour le retrait des AR Bogaert et de la réforme du régime disciplinaire, en risquant la chute de ce gouvernement en cas de victoire syndicale. En effet, Bogaert et Di Rupo tiennent debout comme sur un tandem: tant qu’ils avancent, ça va. S’ils sont coupés dans leur élan, ils tomberont. Que trouverons-nous alors en face? En tout cas, quel que soit le nouveau gouvernement, il n’oserait plus jamais nous attaquer comme celui-ci. ■

Plan Bogaert: les avancées de di rupo sont le résultat de nos reculs!

Van Quickenborne, Bogaert, Di Rupo

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✒ par Daniel Tanuro

En dépit du temps écoulé, il n’est pas superflu de revenir sur les discours royaux des 20 et 21 juillet. Eminemment politiques, ces discours montrent on ne peut plus clairement que la monarchie belge n’est pas un complément pittoresque de la "gueuze lambic" et des "pralines", mais une arme redoutable aux mains de la classe dominante. Ou plutôt, aujourd’hui, d’une fraction de celle-ci, qui l’utilise habilement contre l’autre.

la classe dominante diviséeCar la classe dominante est divisée

dans ce pays: une partie significative du patronat flamand considère que l’austérité progresserait plus vite si la réforme de l’Etat allait plus loin (en particulier si la sécurité sociale était scindée), et en tire notamment comme conclusion que la couronne ne devrait plus jouer qu’un rôle strictement protocolaire; une autre partie pense que cette stratégie créera le chaos, mise sur la crainte qu’elle inspire pour faire accepter l’approfondissement de la politique d’austérité aux syndicats et utilise le Palais dans ce cadre, en présentant le Roi comme le dernier rempart et en faisant un amalgame entre le maintien de la monarchie, de l’unité nationale et de l’unité de la sécurité sociale. Entre les deux fractions, une lutte acharnée, dont la prochaine étape n’est autre que le scrutin de 2014.

La deuxième fraction, autour du Roi, pense être en train de renverser la situation au détriment de la première, représentée politiquement par la N-VA. Telle est la signification politique profonde des discours royaux des 20 et 21 juillet. Rappel: lors de la fête nationale de 2011, en pleine crise politique, Albert II avait tapé du poing sur la table. Invoquant son droit de "mettre en garde" (un droit qu’il ne peut en fait exercer que dans le cadre du "colloque singulier", pas directement devant les téléspectateurs!), il était carrément sorti de son rôle constitutionnel, en appelant la population à se mobiliser pour faire pression sur les partis afin qu’ils forment une coalition. Et d’insister lourdement sur l’urgence de "réformes structurelles" tant dans le domaine institutionnel que dans le domaine socio-économique.

albert donne des bons pointsDeux ans plus tard, le discours royal est

une nouvelle fois à la limite de la légalité constitutionnelle. Mais plus question cette fois de "mise en garde", ni d’appel lancé à la population par-dessus les partis, le parlement et le gouvernement, c’est de satisfaction et de félicitations qu’il s’agit: "Je voudrais dire ma gratitude à différents groupes de responsables de notre société (...). J’ai rencontré des responsables politiques qui ont fait preuve d’un remarquable sens de l’intérêt général dans des circonstances difficiles. J’en veux pour preuves toutes récentes les accords budgétaires pour 2013 et 2014, le compromis trouvé sur le statut ouvriers-employés et les solutions dégagées pour l’approvisionnement de notre pays en électricité. Avec ces accords récents, et ceux réalisés précédemment sur la réforme de l’Etat et sur le plan économique et social, la Belgique a trouvé un souffle nouveau."

Comme si l’appui apporté à "l’énorme travail réalisé par le gouvernement et ses collaborateurs" n’était pas assez explicite, les propos d’Albert étaient illustrés, dans la version télévisée, par des images sans aucune ambiguïté: Di Rupo prêtant ser-ment, Di Rupo solennel, Di Rupo souriant, Di Rupo et Albert échangeant des regards complices en signant les accords sur la réforme de l’Etat... A notre connaissance, ce genre de prise de position du Palais est sans précédent dans notre pays. En effet, il s’agit non seulement d’une intervention ouvertement politique, mais en plus d’une intervention partisane. En appui explicite à la fraction de la classe dominante qui craint la déstabilisation par la N-VA. Et, au sein de celle-ci, en appui explicite à un homme: Di Rupo.

le succès de di rupoUn roi catholique conservateur, lié au

courant charismatique au sein de l’Eglise, et qui fait publiquement l’éloge personnel d’un premier ministre social-démocrate et homosexuel: comment expliquer ce formidable paradoxe? Tout simplement parce que Di Rupo a choisi de piloter une offensive d’austérité brutale pour convaincre la droite flamande traditionnelle d’oser affronter la N-VA, donc de sauver la couronne, tout en utilisant l’épouvantail De Wever pour paralyser la riposte syndicale

au nom du "moindre mal". Cette stratégie complexe n’était pas gagnée d’avance, loin de là. Pour s’en convaincre, il suffit de se remémorer l’ambiance politique tout de suite après la formation du gouvernement... A l’époque, personne n’aurait parié un kopek sur cet attelage. Cependant, aujourd’hui, il est indiscutable que des points substantiels ont été marqués, et que le Premier ministre a donné de sa personne pour cela.

Le succès se marque sur les deux plans en même temps: à droite, change-ment de ton, la presse flamande ne tarit plus d’éloges sur Di Rupo, Kris Peeters s’engage fermement dans le soutien à la sixième réforme de l’Etat, Alexander De Croo fait de même et salue les avancées de la politique néolibérale... ; à gauche, tout en dénonçant, qui le blocage des salaires, qui l’exclusion des chômeurs, qui l’allongement de la carrière, les directions syndicales semblent tétanisées, impuis-santes, résignées à être piétinées comme des paillassons par leurs "amis politiques". Dans le meilleur des cas, elles tentent de sauver la face par de pseudo-plans d’action qui renforcent le sentiment d’impuissance des affilié·e·s... et préparent de ce fait le ter-rain à de nouvelles attaques. Dans le pire des cas, elles offrent des fleurs à celles et ceux qui plantent leurs couteaux dans le dos des travailleurs et des travailleuses.

Cet aspect de la situation n’a pas échappé à Albert qui, dans son discours, chante les louanges de la collaboration de classe: "Nous avons pu côtoyer de nombreux dirigeants économiques et des partenaires sociaux (lisez: des syndical-istes) qui ont fait preuve de dynamisme dans un monde toujours plus globalisé, et qui se sont efforcés d’encourager et de préserver la dimension sociale de notre développement économique". Et d’ajouter – c’est sans doute de l’ironie: "Ils viennent encore d’en fournir un bel exemple [allu-sion évidente à "l’accord" sur les statuts ouvriers-employés, ndlr]. En période de crise, c’est souvent plus difficile à réaliser, mais cela demeure essentiel".

elio dark VadorRésultat des courses: quoiqu’elle

caracole toujours en tête des sondages, la N-VA a probablement moins de chances aujourd’hui qu’il y a deux ans d’imposer

le royaume contre-attaque

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son scénario en 2014. En tout cas, la campagne sera dure en Flandre: la droite libérale-nationaliste trouvera en face d’elle une droite traditionnelle – CD&V et Open-VLD – requinquée par les percées néolibérales engrangées. Face à De Wever, le royaume contre-attaque. Auréolé de ses succès, Dark Vador Di Rupo augmente ses chances de prouver que c’est lui qui a la meilleure stratégie pour faire payer la crise au monde du travail. En fait, tout l’establishment des trois familles politiques

traditionnelles s’aligne derrière lui pour sauver le "système belge" modifié par la sixième réforme de l’Etat, avec le roi comme clé de voûte.

Et l’abdication dans tout cela? En soi, l’événement n’a guère d’importance: le fils succède au père comme institution. Qu’il soit plus ou moins intelligent n’est pas décisif: "Il est bien entouré". Cependant, le moment de la succession a été bien

choisi et utilisé à fond pour compléter l’image

d’un pays débloqué – la liste civile

du nouveau roi sera soumise à

la TVA et aux accises, car

"l’institution royale doit continuer à évoluer avec son temps" (Albert), pour doubler l’écho médiatique du message politique et pour donner à celui-ci un semblant de soutien populaire à travers un grand programme de festivités. Il s’agissait en fait de maquiller la satisfaction des vainqueurs en liesse populaire, afin d’en amplifier la portée au maximum.

"Peopelisation" et populismeLe tout a été enrobé de main de

maître dans une exploitation éhontée de l’émotion: les yeux humides de Paola et de Mathilde, le "gros kiss" d’Albert chev-rotant, le "Sire, cher papa" de Philippe: rien ne nous a été épargné. N’en déplaise à Sarkozy et Carla Bruni, en termes de "peopelisation" de la politique, on ne fait décidément rien de mieux que les rois, les reines, les princes et les princesses! La façon dont social-démocrates et Verts se sont vautrés dans ce cirque avec des mines émues et attendries, comme s’ils espéraient être adoubés, vaut plus que toutes les expli-cations pour convaincre que ces gens-là n’ont plus rien, mais alors vraiment plus rien à voir avec la gauche...

Le royaume contre-attaque, mais les faits sont plus têtus que les discours à la guimauve et les manipulations populistes. Les lampions de la fête étaient à peine éteints que l’annonce tombait: la dette publique de la Belgique a refranchi le seuil des 100% du PIB. L’index, l’âge de la retraite, la protection sociale, etc.: tous les dossiers chauds seront bientôt de retour. L’ambiance sirupeuse d’unité nationale autour du bon roi, de sa charmante reine et de leur fidèle premier ministre, censés agir "pour le bien-être de nos concitoyens et dans le souci pour les plus faibles", sera de courte durée. De nouvelles attaques se préparent.

Que feront les syndicats? Continueront-ils à agir en fonction du moindre mal – c’est-à-dire en fait de la raison d’Etat? Ou auront-ils le courage de rompre avec leurs faux "amis politiques" pour engager la stratégie de lutte de classe prônée par certains de leurs membres? Telle est en définitive la seule question qui vaille. Dans le premier cas, Di Rupo et Albert ont des chances de gagner leur pari et de sauver, l’un son poste de Premier ministre, l’autre la sinécure de sa famille de parasites... sur le dos du monde du travail et en vidant le mouvement ouvrier de sa substance. Dans le deuxième cas, disons qu’il y a une chance d’échapper au choix entre la peste et le choléra. ■

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✒ déclaration de la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR)

Depuis la formation du gouvernement Di Rupo, le PS et le sp.a se sont opposés quasi quotidiennement au mouvement ouvrier: attaques sur les pensions et les allocations de chômage, manipulation de l’index, blocage des salaires, restrictions dans les services publics, etc. De son côté, la CSC a été durement affectée par la débâcle de Dexia.

De plus en plus de questions s’élèvent, dans les deux syndicats, concernant les soi-disant "amis politiques" qui semblent surtout prêts à planter des couteaux dans le dos du monde du travail.

Dans la partie francophone du pays, le mécontentement face à la politique gou-vernementale de la social-démocratie et la volonté de couper les liens avec le PS ont été exprimés très clairement par l’appel de la FGTB Charleroi-Sud Hainaut, soutenu ensuite par la centrale chrétienne des employés, la CNE. Depuis le Premier Mai 2012, la FGTB de Charleroi Sud-Hainaut milite en faveur d’une alternative politique anticapitaliste, à gauche du PS et d’Ecolo.

Une autre expression du mécontente-ment a été le début de percée électorale et médiatique du PTB lors des élections com-munales et provinciales d'octobre 2012. La LCR estime que ces deux événements mar-quent chacun à leur manière le début de la fin de la domination social-démocrate et démocrate-chrétienne sur le mouvement ouvrier organisé.

Ce n'est pas la première fois dans l'histoire de notre pays que des secteurs du mouvement syndical rompent avec le Parti Socialiste, mais c'est la première fois qu'un pan entier de la FGTB se prononce pour une alternative politique au PS et se met à agir concrètement dans ce but. La LCR a compris immédiatement l'importance de cet événement. Elle appelle toute la gauche à prendre ses responsabilités sans esprit de

boutique, pour que la brèche s'élargisse au maximum.

Ce n'est pas la première fois non plus que le mono-pole social-démocrate de la représentation électorale du monde du travail est ébranlé, mais c'est la première fois que cet ébranlement coïncide avec la volonté affichée de parties de la FGTB et de la CSC de se doter d'une nouvelle expression poli-tique par un rassemblement à gauche du PS et d'Ecolo, sur une base anticapitaliste et internationaliste.

La coïncidence de ces deux événement permet d’espérer que l’alternative ne sera pas un feu de paille, comme ce fut malheureusement le cas après la Deuxième Guerre mondiale (avec le succès de courte durée du PC) ou après la grève de 60-61 (avec la formation par André Renard du Mouvement Populaire wallon, et celle du Parti Wallon des Travailleurs). Les conditions semblent réunies pour une recomposition en profondeur de la gauche.

Pour la LCR, la concrétisation de cette opportunité dépendra avant tout des choix que le PTB fera dans la prochaine période. Nous espérons que le PTB prendra ses responsabilités en partant des intérêts du mouvement ouvrier. Cela implique qu'il fasse une proposition permettant de concilier son début de percée électorale avec la chance historique qui s'ouvre de rassembler les forces de gauche en vue de changer structurellement les rapports de forces entre la vraie gauche d’une part, la social-démocratie et la démocratie chré-tienne de l’autre.

Pour la LCR, il est dans l’intérêt de tout le mouvement ouvrier et de la gauche que soient élues dans les parlements des personnes qui feront entendre clairement

une v o i x a n t i c a p i t a l i s t e c o n t r e l a p o l i t i q u e d’austérité. La LCR a quantité de désaccords avec le PTB. Néanmoins, nous sommes convaincus que c’est autour du PTB que les meilleures chances existent d’atteindre cet objectif. La LCR en tire les conclusions. Elle mettra tout en œuvre pour que les différentes expressions de la recherche d'une alternative anticapitaliste à la politique d’austérité du gouvernement convergent en 2014. ■

facebook.com/lcr.sap.4 twitter.com/LcrSap4

les élections de 2014 et la possibilité d’une alternative de gauche

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✒ par Neal Michiels

La loi du 13 mai 1999 sur les sanctions administratives commu-nales (SAC), permet aux communes de sanctionner les infractions aux règle-ments communaux. Mais ce n'est que depuis 2012 que le système est appliqué par un nombre croissant de communes.

En 2012 à Bruxelles, des militants – notamment des JAC et de la LCR – ont écopé de plusieurs amendes pour divers motifs politiques: occupation du siège du PS, action pour la régularisation de sans-papiers, manifestation contre le groupuscule fasciste Nation,

manifestation dénonçant le "banquet des riches". Des amendes tombent aussi pour des "incivilités": jet de mégot par terre, crottes de chien, sortir sa poubelle trop tôt,etc. Mais dans certaines communes, s'asseoir sur le dossier d'un banc public (Hasselt), laisser des miettes par terre lors d'un pique-nique sur les marches d'un église

(Malines), secouer des tapis dans la rue (Schaerbeek), ont même entraîné des SAC!

Fin 2012, la ministre de l'Intérieur Joëlle Milquet a préparé un durcissement de la loi (abaissement de l'âge minimum de 16 à 14 ans, hausse du plafond des amendes de 250 à 350€, élargissement du corps de fonctionnaires compétents pour sanctionner, introduction de "prestations citoyennes" alternatives. Le 30 mai, le par-lement a voté le projet de loi.

Faire payer, criminaliser, réprimer...

Les SAC sont une recette néolibérale qui s'en prend aux conditions de vie de la population, surtout de la jeunesse et des plus précaires à trois niveaux.

La crise du capitalisme a mis à mal les finances publiques en général, et la faillite du holding communal de Dexia a durement touché certaines communes

qui essaient donc d'équilibrer leurs comptes avec de nouvelles taxes: SAC, stationnement payant, etc.

Deuxièmement, pour pouvoir imposer des SAC, il faut criminaliser des comportements. Tout ce qui est hors norme d'un comportement "civil" est visé. Le contrôle de l'État sur la vie des citoyens dans l'espace public augmente considérablement, surtout dans des quartiers populaires. S'asseoir sur le dossier d'un banc devient un acte subversif. La liberté des jeunes est mise en péril et payée cher par les parents des mineurs, des étudiants, des jeunes travailleurs et chômeurs.

Troisièmement, l'État a trouvé un outil d'intimidation pour faire taire toute résistance. La zone de police Bruxelles capitale Ixelles (5339) utilise systématiquement depuis 2012 la menace d'une SAC pour disperser des manifestations. Surtout les petits rassemblements où le rapport de force entre manifestants et policiers est défavorable aux premiers. Cela s'est passé notamment lors d'un rassemblement contre les SAC (!) devant le centre administratif de la ville

de Bruxelles, lors d'un rassemblement en soutien à Bahar Kimyongür. Si les SAC restent en place toute action qui n'est pas préalablement autorisée par la commune, (manifestation, rassemblement, sit-in, piquet de grève, occupation) sera menacée par la répression financière.

résister, contester et militerOn ne payera pas! Le premier moyen

de résister aux SAC est de contester. Con-crètement, on répond à la première lettre de la commune par une lettre modèle adaptée au cas concret. Et on diffuse le message au maximum! La ligne d'aide juridique contre les SAC, initiée par le PTB, est une bonne initiative.

La lettre modèle explique que les SAC ne sont pas légales. Par exemple, la sépara-tion des pouvoirs (exécutif et judiciaire) n'est pas respectée: les communes sont juges et parties. Contre les SAC répres-sives on peut invoquer la jurisprudence sur le droit de manifester s'appuyant sur les articles 10 (liberté d'expression) et 11 (liberté d'association) de la Convention européenne des Droits de l'Homme.

Souvent, la mobilisation et l'information des médias permettent de faire reculer la commune. Mais si elle persiste, il faut introduire un recours en justice qui coûte parfois plus cher que l'amende! Pour le "banquet des riches", une campagne de recours est néanmoins coordonnée par la plate-forme Stop SAC.

Il ne suffira pas de contester individu-ellement pour démanteler les SAC. Notre force est l'action collective. Les campagnes Stop SAC à Bruxelles et TegenGAS en Flan-dre coordonnent les organisations qui se mobilisent contre les SAC. C'est devenu une priorité pour des dizaines d'organisations de jeunesse, syndicales et politiques.

Les SAC s'inscrivent dans la même logique que les mesures d'austérité du gouvernement Di Rupo. Leur particularité est qu'elles réveillent la jeunesse. Le 30 juin à Bruxelles, une manifestation a mobilisé plus de mille jeunes, dans une ambiance très combative. La prochaine manif nationale anti-SAC est aura lieu le 26 octobre. ■

le "blitzkrieg" des sac

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✒ propos recueillis par Luke Cooper

Nadia De Mond est une auteure et militante féministe vivant en Italie. Nadia était membre du parti radical de gauche "Sinistra Critica" jusqu'à sa dissolution récente. Elle reste une militante de la Quatrième Internationale (QI) et membre de sa commission femmes. Lors du Camp international de Jeunes 2013 organisé par la QI, Luke Cooper s’est entretenue avec elle du rôle de la théorie et de la pratique féministes dans le renouveau du marxisme.

qu'apporte le féminisme au récit marxiste classique sur l'oppression des femmes?

Tout d'abord, le féminisme signifie prendre conscience de la place des femmes dans une société patriarcale. Le patriarcat doit toujours exister en lien avec divers modes de reproduction économique et sociale. A cette époque, dans ce siècle, ça veut dire reconnaître que le patriarcat continue d'exister imbriqué avec le capitalisme néolibéral.

Deuxièmement, le féminisme signifie la libération des femmes, la libération de la moitié du genre humain – et la moitié de la classe ouvrière. C'est donc un outil indispensable dans la lutte pour la libération de l'humanité toute entière. En fait, contrairement à la façon dont c'est normalement perçu dans l'idéologie dominante, le féminisme est un outil pour unir et renforcer les luttes de libération en général.

Le capitalisme, après tout, utilise l'oppression des femmes pour diviser la classe ouvrière. Il profite du patriarcat, structure sous-jacente et préexistante de domination, pour capitaliser sur le travail non-rémunéré des femmes à travers le travail domestique. Si cela devait être payé, cela représenterait un énorme fardeau économique. Le capitalisme utilise donc le patriarcat pour maintenir les niveaux de profit du capital.

L'intersection du capital avec le patriarcat est également utilisée pour

diviser la classe ouvrière au niveau idéologique. Les femmes ont tendance à être moins bien payées que les hommes, et donc la moitié de la main-d'œuvre est soumise à une exploitation accrue. Cette oppression et l'idéologie du sexisme créent également une division politique entre les hommes et les femmes, ce qui est bénéfique au capital.

Il faut dire que le féminisme doit aussi être un but en soi. Le patriarcat, la domination masculine, le machisme, etc., sont beaucoup plus anciens que le capitalisme.

Depuis le début de l'Histoire écrite, c'est à dire depuis près de 10.000 ans, il y a eu des relations patriarcales entre les hommes et les femmes: dans la famille, dans la société, dans l'espace public. Tenter d'abolir cette oppression, la domination et la dévalorisation des femmes – qui constit-uent la moitié de la société humaine – est un long et dur combat.

depuis la vague féministe qui a commencé dans les années 1960, on peut dire qu'il y a eu un divorce entre les mouvements féministes et marxistes. quelles sont les conséquences du divorce, selon toi, et proposes-tu une réunification de ces mouvements?

Oui, c'est ce que je propose, d'un côté, mais ça ne veut pas dire qu'on n'a pas besoin d'un mouvement féministe autonome. On en a besoin, justement. Mais il doit y avoir une alliance, c'est certain. Il n'y a pas qu'un seul féminisme; il existe diverses théories et aussi diverses pratiques féministes. Mais, de manière générale, le féminisme de la deuxième vague des années 1960 et 1970 s'est développé dans le contexte d'une révolte générale contre la société dans laquelle nous vivons. La deuxième vague féministe est née d'une période de radicalisation politique et était donc très étroitement liée à "la gauche", disons, en général.

Une séparation a eu lieu parce que, très souvent, le féminisme a été vu par

les mouvements de classe comme une divergence avec ce qu'ils considéraient la contradiction primaire dans la société capitaliste, c'est à dire la contradiction de classe.

Une partie du mouvement féministe en avait tellement marre d'être reléguée à une question secondaire qu'elle a rompu avec la gauche, en disant: "Ok, la gauche et la droite sont les mêmes" et "le patriarcat est partout" – ce qui n'est pas tout à fait faux, mais ce n'est pas pareil partout (c'est à dire dans la gauche radicale, à droite, etc.) – et cette partie du mouvement féministe a choisi de rompre avec la gauche et de poursuivre son propre chemin.

Donc il y a eu cette scission, mais il est important de reconnaître qu'il y a toujours eu une partie du mouvement féministe qui a essayé d'actualiser le marxisme et de l'intégrer dans les hypothèses théoriques du mouvement féministe, et vice versa. Ce n'est pas impossible, puisque Marx et Engels ont eu beaucoup d'intuition sur le rôle des femmes dans la société. Ils n'étaient pas féministes avant la lettre, bien entendu – cela aurait été très difficile. Mais ils n'étaient pas aveugles sur la question de l'oppression des femmes, comme le pensent certains. Nous pouvons donc nous appuyer sur quelques concepts marxistes, tels que l'oppression sociale en tant que question matérialiste, l'existence d'une division injuste du travail, l'espace économique pour les femmes dans la société et la famille, et ainsi de suite. Ces concepts sont toujours très valables.

Nous devons miser sur ces connais-sances pour développer une compréhension plus intime et plus intériorisée ou subjec-tive de l'oppression des femmes, ce que nous appelons aujourd'hui les questions de politique de genre, comment les gens sont

Nadia de Mond: "dans la libération des femmes, la première étape est la conscience de soi." seules les féministes

socialistes ont réussi à faire le lien entre l'oppression de classe et l'oppression sexuelle.

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mesocialisés dans différents rôles de genre, et

la question de la normativité hétérosex-uelle. Ces élaborations sont apparues au XXe siècle et ne pouvaient pas faire partie de l'œuvre de Marx et Engels.

tu as parlé d'engels et nous pourrions discuter de son célèbre texte "l’origine de la famille, de la propriété privée et de l'etat". où te situes-tu intellectuellement et théoriquement par rapport à ce travail? et considères-tu que l'intégration de la pensée féministe dans le marxisme représente un rejet plus profond des articulations économicistes ou vulgaires de la vision matérialiste historique du monde?

Exactement, je pense qu'il y a de telles implications. Tout d'abord, sur ce texte d'Engels, il est important de dire qu'il en avait discuté avec Marx et, même s'il l'a écrit après la mort de Marx, il peut sans doute être considéré comme une élabora-tion de leurs deux visions du monde. Ils se fondent sur le travail anthropologique de l'époque, du XIXe siècle, et concluent qu'il y a eu une phase initiale de matri-arcat dans ce qu'ils appellent "les sociétés communistes primitives". Par la suite on a prouvé que c'était faux – si par "matri-arcat" on entend que le pouvoir politique et social était aux mains des femmes, donc "matriarcat" dans le sens strict du terme. Mais, d'un autre côté ils n'avaient pas tout à fait tort parce que – même si ça fait encore débat – de nombreux anthropo-logues croient maintenant que bien qu'il n'y ait pas eu un matriarcat en tant que tel, d'une manière générale les relations de pouvoir entre les hommes et les femmes étaient beaucoup moins hiérarchiques qu'elles ne le deviendraient plus tard dans d'autres sociétés.

Donc la méthode d'analyse, qui était de voir comment les conditions matérielles de la vie sont indispensables à la construction des rôles de genre, a été une contribution essentielle de Marx et Engels, même si la conclusion concrète sur le matriarcat était incorrecte. Ce dernier était une "limite de l'époque", pour ainsi dire.

Pour la deuxième partie de ta question, oui, le féminisme enrichit le marxisme en analysant l'oppression par le biais de la subjectivité. Dans les années 1970, les féministes ont dit que "le per-sonnel est politique", ce qui signifie que

l'oppression sociale passe par un certain nombre d'habitudes psychologiques et inconscientes, réactions et attitudes qui sont profondément ancrées dans la con-science de chaque individu. Une fois que cela est reconnu, ça exclut clairement le genre de marxisme économiciste ou mécanique qui dit qu'une fois l'oppression économique abolie, les femmes seront libérées. Malheureusement, c'est beaucoup plus compliqué que ça, et le féminisme nous donne des outils pour creuser les aspects interpersonnels, psychologiques, inconscients et symboliques de l'oppression sociale.

comment un mouvement féministe peut-il être construit pour contester les formes multiples par lesquelles l'oppression des femmes est actualisée, et quelles sont les conséquences – par exemple en termes d'autonomie et d'auto-organisation – de la façon dont les mouvements et l'organisation révolutionnaire sont développés et construits?

P e n s e z à c e q u ' a d i t M a r x : "L’émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes". On peut dire ça pour tous les groupes opprimés. Cela ne veut pas dire qu'il

ne faut pas faire d’alliances, mais le principe d'auto-organisation est enraciné dans l'idée que les plus capables et les plus concerné·e·s par la libération sur une question particulière sont ceux et celles qui la vivent directement. Ces personnes-là ont la force, les notions et les connaissances pour être, potentiellement, les principaux acteurs de leur libération. D'où l'importance de l'auto-organisation. Il y a aussi l'aspect démocratique et l'autonomisation des peuples opprimés en train de briser leurs chaînes.

La première étape dans l'organisation de cette lutte consiste à prendre conscience de soi, à dévoiler la nature précise de l'oppression, lutter contre cette oppression et trouver les outils et le langage pour développer une riposte. C’est la première étape, je pense, pour tout type d'oppression: celle des LGBT, le racisme, tout. Mais ce n'est que la première étape. Si on en reste là, ce qui émerge est une sorte d'involution qui peut faire des dégâts. Notre travail par la suite en tant que féministes socialistes, marxistes, écologistes, antiracistes est d'élargir le discours d'oppression et d'établir des parallèles et des intersections avec l'oppression de classe, l'oppression de race, etc., pour trouver des objectifs communs et des points de rencontre. Ce n'est peut-être pas toujours possible, mais il faut chercher ces points de rencontre

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me pour autonomiser chaque mouvement. Le

rôle d'un groupe politique, un parti, etc., est de faciliter cette rencontre.

tu parles du rôle d'un groupe politique. au camp cette semaine, le sérieux avec lequel la qi aborde la question du féminisme, de l'autonomie et de l'oppression des femmes m'a épaté. le résultat de cet engagement c'est le nombre de jeunes femmes activistes présentes ici. quelles sont les origines de l'engagement de la qi avec la théorie et la pratique féministe?

Dans les années 1970, plusieurs de nos sections et de nos camarades femmes étaient aussi dirigeantes du mouvement autonome des femmes, ainsi que du mouvement de libération gay. Dans la Quatrième Internationale nous avons eu des discussions politiques très profondes sur notre théorie et notre pratique, et ces discussions ont produit l'un des principaux documents dans notre tradition

– Pas de féminisme sans socialisme, pas de socialisme sans féminisme – qui a influencé toutes nos organisations. On était toujours dans un moment de grande croissance et de succès dans le mouvement pour la libération des femmes, un moment qui a été renforcé par des victoires dans la société au sens large.

Cette tradition a perduré dans la Quatrième Internationale depuis lors, surtout aux camps des jeunes. Ceux-ci ont commencé en 1984 et on est maintenant à la 30ème édition. Même lorsque l'engagement avec le féminisme dans les sections nationales était faible dans certains pays, dans certaines années, il y a toujours eu cet espace féministe autonome au camp des jeunes pour garder la tradition.

lors de ton intervention au camp des jeunes, il y a eu une discussion animée sur le rôle du symbolisme et du leadership féminin dans la société pour faire avancer la lutte pour la libération des femmes.

Pourrais-tu nous donner ta position à ce sujet?

Oui, eh bien c'est une question controversée, parce qu'on pense tout de suite aux pires exemples possibles: Thatcher, Marine Le Pen en France et ainsi de suite. Ma position est qu'on ne peut pas mesurer les conquêtes des droits des femmes dans la société uniquement en termes d'avantages matériels directs ou de "lutte de classe" au sens économique strict. Lorsqu'une femme conquiert un espace important dans la société, en tant qu'écrivain, en tant qu'intellectuelle, en tant qu'artiste, en tant qu'athlète, et oui, aussi un espace politique, on doit considérer ça comme un acquis pour les femmes. Parce que ça rompt avec l'idée dominante – qui est en partie inconsciente et non théorisée, etc. – que les femmes sont des citoyens de seconde classe et l'ont toujours été dans l'Histoire. C'est plus qu'un acquis symbolique, il faut tout de suite assimiler ça à l'analyse de leur position politique et de classe, et à l'effet qu'a la position de l'individu sur la situation sociale et économique des femmes en général. Mais la seule mesure ne peut pas être la situation économique et sociale des femmes, ce qui serait beaucoup trop restrictif. Le rôle du symbolisme doit être reconnu dans notre appréciation de la position sociale des femmes. J'espère que c'est clair.

oui, c'est tout à fait logique. et pour creuser un peu plus, quand tu parles du développement d'un mouvement féministe, quel rôle joue la classe, selon toi, dans la construction du mouvement? Pour donner un exemple concret, j'étais présente lors du Forum social européen d'istanbul en 2010, où une militante féministe a dit que "si lehman Brothers avait été lehman sisters, il n'y aurait pas eu de crise financière". Je sais que c'est un argument que tu rejetterais fermement, mais ça met en question la relation entre le féminisme bourgeois et le féminisme socialiste dans le mouvement autonome des femmes.

Oui, bien sûr. En tant que féministes-socialistes, nous devons nous concentrer sur les femmes qui souffrent d'une "double oppression" telles les femmes de la classe ouvrière qui sont opprimées en tant que

femmes mais aussi en tant que groupe social. On parle notamment des chômeuses, de celles qui ont du travail précaire, les jeunes femmes, les immigrées etc. On se concentre sur cela. Mais ça ne veut pas dire qu'on ne cherche pas des alliances aussi larges que possible avec le mouvement des femmes plus large. On essaye de formuler des revendications politiques basées sur les besoins des femmes qui subissent une double oppression, mais qui peuvent en même temps résonner dans la société le plus largement possible. Ensuite, on essaye de prendre en compte la manière dont la position des femmes est différente non seulement au niveau de classe, mais en ce qui concerne d'autres oppressions, telle la race. Prenons l'oppression des femmes immigrées, la question du voile (ou hijab), la question de l'exclusion de ces femmes de l'espace public.

Nous devons être claires que le sexisme ou le machisme "n'a pas de passeport" et reconnaître que le féminisme a été mobilisé pour opprimer la population immigrée, comme s'il y avait des peuples déterminés ou des couches de la société plus violents contre les femmes, plus chauvins et ainsi de suite. Nous disons "non" à la violence contre les femmes qui est partout, au machisme qui est partout. A partir de leurs besoins – des immigrées, par exemple – nous souhaitons élargir la lutte.

tu as parlé du voile, et ton argumentation semble avoir des implications particulières par rapport à cette question. cela a été l'une des questions les plus controversées dans la gauche européenne au cours des dernières années, en particulier en France où on voudrait interdire le voile dans l'espace public. comment devrait se positionner la gauche radicale sur cette question, selon toi?

Oui, je sais, et je reconnais que c'est toujours une question très controversée en France. Je tiens à préciser que je n'exprime pas une position officielle de la Quatrième Internationale, mais la mienne uniquement. Ceci dit, je pense que nous sommes d'accord sur ce point dans de nombreux pays.

C'est très compliqué, mais pour simplifier, le voile en soi ne peut pas être vu comme le symbole unique de quoi que ce soit. C'est un vêtement qui peut symboliser différentes choses pour

Nous devons être claires que le sexisme ou le machisme "n'a pas de passeport".

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medifférentes personnes. Exclure une femme

parce qu'elle porte le hijab (comme si ce vêtement était une expression de son être plus opprimée que d'autres femmes) ne va pas, c'est une erreur à bien des égards. Le symbole peut signifier beaucoup de choses différentes dans des contextes différents. Ce n'est pas pareil en Tunisie aujourd'hui qu'en Italie, et ainsi de suite. De toute façon, l'émancipation des femmes ne se fait pas par l'exclusion, elle se fait par le dialogue. Je dirais même que l'engagement religieux ou, pour mieux l'exprimer, la foi ou la croyance, ne peut pas être un motif d'exclusion de partis marxistes. On peut être croyante et être en même temps d'accord avec la politique de la gauche radicale. Mais ça doit être analysé concrètement dans chaque situation.

un concept qui a été utilisé pour faire converger les différentes luttes de libération, peut-être plus dans le monde anglo-saxon, est le concept de l'intersectionnalité. trouves-tu cette idée utile?

L'intersectionnalité a été utilisée surtout dans le discours académique, mais oui, on peut formuler la chose de cette façon. Il n'y a pas de priorité unique ou une identité qui prévaut sur les autres dans la même personne. Si vous êtes une femme noire à Londres, en Italie, et ainsi de suite, vous ne pouvez pas dire quelle est l'oppression primaire, ça dépend. Vous ne pouvez pas, de l'extérieur, dire quelle est votre oppression primaire et instruire les gens à agir d'une certaine façon.

Pour conclure, quels sont les principaux problèmes auxquels est confronté le mouvement féministe en italie pour lesquels tu t’es mobilisée?

La violence contre les femmes, surtout. Ce n'est pas clair si elle augmente ou si ce sont les dénonciations publiques qui augmentent, mais peu importe: c'est un point de mobilisation très important pour le mouvement. Et, comme je l'ai dit, il est crucial de s'assurer que ce nouveau climat public ne sera pas utilisé par la droite contre les communautés immigrées.

Un autre gros point mobilisateur, c'est que nous avons toujours eu un manque de services sociaux en Italie, mais maintenant ce système est en train d'être complètement démonté. Les services sociaux utilisés surtout par les femmes sont menacés, etc. Et le troisième point est l'image des femmes dans les médias et dans la politique en Italie, qui est liée à notre ex-premier ministre Berlusconi, et qui soulève des questions autour du sexe, de l'argent et de la politique. Il s'est propagé une image de la femme en Italie qui ne correspond absolument pas à notre présence dans la société. Cette divergence choquante entre la représentation des femmes dans les médias et la position réelle des femmes en Italie a créé de la colère et de la protestation. ■

Cet article a été publié en anglais sur http://anticapitalists.org/2013/08/22/nadia-de-mond/ et traduit par Femke Urbain pour la LCR/SAP.

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✒ par Jacques Chastaing le 16 août 2013

Début juillet, les médias ont abondamment répercuté certains événements spectaculaires en Egypte: manifestations de masse contre les Frères musulmans, coup d’Etat militaire et arrestation du Premier ministre Morsi, protestations des Frères musulmans violemment réprimées par l'armée... Mais le récit des médias occidentaux se réduit souvent à un affrontement entre l'armée et les Frères musulmans, sans faire état de l'impétueuse montée des luttes sociales qui balaie le pays.

Le 14 août le pouvoir a dégagé avec une violence extrême les deux places du Caire occupées par les Frères musulmans, faisant plus de 600 morts. En riposte, les Frères musulmans ont attaqué des com-missariats et des sièges de gouvernorats, des sièges de parti laïcs, brûlé ou sac-cagé de nombreuses églises et bâtiments chrétiens coptes. Parmi les victimes, il y aurait donc aussi une cinquantaine de policiers, un certain nombre de coptes et quelques journalistes. Par ailleurs des contre-manifestations de résidents ont eu lieu dans différentes villes contre les Frères musulmans. Le vice-président El Baradei a démissionné pour protester contre la brutalité de la répression. Pour essayer de comprendre, retour un peu en arrière.

de juin 2012 à juin 2013: montée du mouvement social et discrédit des Frères musulmans

Une tentative de coup d'État militaire échoue fin juin 2012 devant une menace de soulèvement populaire. Son but était de mettre fin à l'agitation sociale qui traversait le pays depuis janvier 2011; manifestations, grèves, occupations, sit-in, blocages de routes, voies ferrées et bâtiments officiels, affrontements de rue violents, etc., avec dans bien des cas, une exigence de dégager tous les "petits Moubarak" à tous les niveaux de l’État ou de l'économie.

Juillet 2012, les Frères musulmans accèdent au pouvoir avec Morsi comme président. Au premier tour des élections,

les votes en faveur des Frères musulmans s'effondrent et les candidats révolution-naires obtiennent la majorité des voix. Mais, divisés, ils n’accèdent pas au pouvoir. Au second tour, avec une abstention impor-tante, Morsi est élu par défaut. Les électeurs n'ont pas voté pour lui mais contre le can-didat de l'armée (au pouvoir depuis février 2011). L'armée, éternelle rivale des Frères musulmans, accepte à son corps défendant le résultat car elle voit dans les Frères musulmans (deux millions de membres, multiples organisations de charité, con-trôle d'un grand nombre de mosquées) la seule force sociale et idéologique capable de s'opposer à la révolution montante.

Une fois au gouvernement, Morsi mène ouver tement une pol i t ique pro-capitaliste et anti-ouvrière. Son gouvernement doit affronter une montée des grèves et des protestations en tous genres. Il manie la répression, avec l'aide de l'armée et de la police. En un an de pouvoir, les Frères musulmans perdent ainsi tout crédit. En décembre 2012, contre le mouvement populaire que rien n'arrête, Morsi tente un coup de force en s'attribuant tous les pouvoirs. Un soulèvement populai re quas i insurrectionnel tente de le faire tomber. Morsi n'est sauvé que par le soutien de l'opposition bourgeoise du Front de Salut National (FSN) qui accepte de jouer le jeu d'un pseudo-référendum sur l ' islamisation des insti tutions pour détourner le fleuve de la rue et l'entraîner vers des querelles religieuses. Morsi gagne le référendum à la faveur de fraudes considérables et dans le cadre d'une abstention massive. A partir de là, les émeutes et soulèvements deviennent incessants. De très nombreux sièges du Parti de la Justice et de la Liberté (Frères musulmans) sont incendiés ou saccagés,surtout par les milieux populaires.

En février et mars 2013, un soulèvement des villes du canal de Suez met à mal l'autorité du gouvernement. Morsi décrète le couvre feu mais personne n'obéit. Port Saïd est quasi aux mains des insurgés.

Une partie de la police fait grève et refuse de soutenir Morsi. L'armée prend ses distances et tente de se refaire une virginité politique en apparaissant au-dessus des factions. En mars, avril et mai 2013, la contestation repart sur le terrain économique: salaires, emploi, eau, électricité, gasoil... Mais en même temps avec souvent un caractère politique: que leurs dirigeants soient "dégagés", que la révolution de 2011 soit complétée par une révolution qui chasse tous les oppresseurs (tous ceux qui ont des postes et des responsabilités à tous les niveaux).

Une campagne politique de signatures, baptisée Tamarod (Rébellion) lancée par de jeunes militants proches du FSN, proc-lamant l'illégitimité de Morsi et exigeant des élections présidentielles anticipées est lancée et rencontre un succès hors du commun. Tout le monde s'en empare, des comités Tamarod naissent partout, bien souvent dans les usines, et débordent les initiateurs comme les objectifs initiaux. La pétition obtient 20 millions de signatures

egypte: au-delà des simplifications médiatiques

on voit apparaître des embryons d'auto-organisation

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(alors que Morsi a été élu par 13 millions de voix). Pour beaucoup, l'illégitimité de Morsi signifie qu'il doit partir tout de suite. Une manifestation de remise des signatures est prévue le 30 juin.

Juillet 2013: vers une révolution sociale

La par ticipation populaire est immense le 30 juin: de 14 millions à 30 millions de manifestants. Les grévistes de mars, avril et mai sont là. Mais les dirigeants de Tamarod ont exigé qu'aucune banderole d'organisation, de parti, de syndicat et d'entreprise n'apparaisse . Seuls les drapeaux égyptiens et les pancartes individuelles sont autorisées. Le caractère ouvrier des manifestations ne se voit donc pas. Un seul mot d'ordre "Morsi dégage!". La manifestation dure 4 jours sans faiblir. Le peuple tout entier est dans la rue. Y compris ceux qui n'avaient participé à rien jusqu'ici.

L'armée craint alors que le peuple ne fasse chuter Morsi et que les manifestations continuent sur base des revendications économiques et politiques de mars, avril et mai. A partir de là, la propriété et l’État pourraient être directement menacés (l'armée est propriétaire de 20 à 40% de l'économie). C'est le spectre du scénario de janvier 20011 qui ressurgit, mais cette fois, la deuxième révolution serait sociale.

Appe lée à in te r veni r par un certain nombre de partis d'opposition qui s'inquiètent de la tournure des événements, l'armée – par la voix du général Sissi, ex-ministre de la Défense de Morsi – pose le 1er juillet un ultimatum de 48 heures à Morsi: il s'en va, organise des élections, ou alors c'est l'armée qui le dégage. Joie chez les manifestants. Les gens poussent un "Ouf!" de soulagement. Il n'y aura pas de bain de sang.

Mais la majeure partie des manifes-tants continue d'occuper la rue, n'ayant qu'une confiance limitée en l'armée. De plus les Frères musulmans ne capitulent pas. Leurs militants agressent violemment les manifestants faisant de nombreux bles-sés et quelques morts, sans que l'armée ni la police n'intervienne. On voit apparaître alors un certain nombre de comités de quartiers d'auto-défense dans différentes villes pour se protéger des violences des Frères musulmans.

Par contre la majorité des partis et syndicats d'opposition, soulagée par l'intervention de l'armée, se précipite sur sa proposition et s'engouffre derrière elle.

Les dirigeants de Tamarod sont divisés. Ils hésitent un instant. Certains appellent les manifestants à créer leurs propres comités et à aller déloger Morsi de son palais. Mais la majorité de la direction de Tamarod se rallie à l'armée et propose d'attendre que celle-ci fasse le boulot. Les directions syndicales font de même et annulent le mot d'ordre de grève générale. Toute l'opposition organisée, à l'exception des Socialistes Révolutionnaires, est derrière l'armée.

A partir de ce moment, on voit surgir un peu partout, et de plus en plus, des

slogans en faveur de l'armée, des portraits de Sissi fournis par l'armée mais portés par l'opposition, par des anciens du PND (parti de Moubarak) qui profitent de l'occasion et du caractère "national" des manifestations, pour tenter de se glisser dans la foule, et, enfin, par des primo-manifestants qui n'avaient pas encore subi la répression policière ou militaire.

Bonapartisme et logique de la situation après le 3 juillet 2013

L'armée arrête Morsi le 3 juillet et un certain nombre de dirigeants des Frères musulmans. Elle vole les fruits de la révolution, mais c'est l'explosion de joie chez les manifestants et la fête permanente dans la rue pendant plusieurs jours pour des millions d'égyptiens. Le but affiché est atteint: Morsi est tombé. L'armée nomme ensuite un gouvernement où figurent les anciens de l'opposition libérale (comme El Baradei) et nassérienne, avec le soutien de l'ancienne opposition démocrate, Tamarod et bien d'autres.

"les Frères musulmans sont confrontés à une situation catastrophique. cela faisait 70 ans qu'ils travaillaient à arriver au pouvoir. et là, en un an, tout s'effondre"

Comment échapper au désastre? Ils profitent alors du fait que ce n'est pas une révolution populaire jusqu'au bout qui les a chassé du pouvoir mais un coup d’État, pour se réclamer de la légitimité démocratique. Oubliée la tentative de coup d’Etat de Morsi en décembre, oubliées les tricheries éhontées lors des scrutins, oubliée la répression très violente des grèves et manifestations, les multiples atteintes aux libertés démocratiques, les restrictions aux droits des journalistes, de la justice... Oubliés surtout la pétition de 20 millions de signatures, les 14 à 30 millions d'Egyptiens qui ont crié dans la rue pendant plusieurs jours, dans une démocratie directe infiniment plus représentative.

Craignant de tout perdre, les Frères musulmans s'accrochent d'autant plus qu'ils obtiennent le soutien de quasi tous les gouvernements occidentaux. Ils ne cherchent plus à s'adresser au peuple égyp-tien qui vient de démontrer qu'il ne voulait plus d'eux, mais à leurs propres militants et sympathisants, pour ne pas les perdre en les abreuvant d'informations fantaisistes, en leur faisant croire qu'ils sont des mil-lions mais surtout que l'islam est menacé par l'armée, les mécréants et les chrétiens. Dans ce combat pour la survie, repliés sur eux, il est probable qu'au sein des Frères musulmans, le pouvoir soit passé aux plus intégristes. D'autant plus que l'armée essaie de les faire éclater en jouant sur leurs divisions internes. La violence de leur comportement est en effet dépassée par celle de l'armée qui n'hésite pas, à plusieurs reprises, à tirer dans le tas, à tuer massivement.

L'agressivité et la violence des Frères musulmans ne gêne pas l'armée. Au contraire, ça l'arrange doublement. D'une part, ça permet d'éloigner des Frères leurs partisans les plus modérés. D'autre part cette guerre religieuse des Frères contre les chrétiens permet à l'armée de se hisser au-dessus des parties comme un Bonaparte. Plus c'est le chaos, plus l'armée et à la police peuvent gagner en légitimité comme garantes de l'ordre, de la stabilité et de la paix civile.

L'hostilité populaire à l'égard de la politique économique de Morsi s'est

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tedéplacée contre l'ensemble des Frères musulmans au fur et à mesure que ceux-ci, depuis le 30 juin et ensuite, ont multiplié les violences. Est-ce pour autant que la population soutient l'armée et rentre dans l'engrenage dans lequel l'armée et les Frères musulmans tentent de l'entraîner?

la révolution n'a pas dit son dernier mot

Le danger est réel mais il faudrait pour cela que le peuple ait renoncé à tout espoir révolutionnaire et qu'il ait été écrasé. Or il ne l'a pas été. Le peuple a été trompé, baladé, on lui a volé sa révolution, mais il n'a pas pas été écrasé. Et sa situation économique est catastrophique et il n'a pas d'autre choix que de lutter pour sa survie. La faim n'attend pas. Le 13 août, pour la première fois avec ce gouvernement, la police a réprimé une grosse grève dans une aciérie à Suez. C'est ça le vrai but de leur état d'urgence: limiter les libertés pour s'en prendre aux grèves, s'attaquer à la révolution elle-même.

Le peuple, pour le moment très loin des manœuvres des uns et des autres, très loin de ce que peuvent raconter les journaux et les télés, est dans ses problèmes de survie quotidienne, toujours dans la logique de la révolution pour "le pain, la justice sociale et la liberté" et regarde le combat armée/Frères plus en spectateur que partie prenante.

Si le peuple égyptien n'abandonne pas son indépendance, ne marche pas dans l'engrenage du combat religieux, pendant que ses deux ennemis se tapent dessus, cela ne fait que les affaiblir mutuellement. Il est donc bien possible que lors de la prochaine vague de grèves, on voit surgir en plus grand nombre des organes d'auto-organisation. On peut donc s'attendre d'ici-là à une aggravation des violences entre l'armée et les Frères... mais aussi bien d'autres surprises. La révolution continue! ■

Version raccourcie par La Gauche, d'un article paru sur le site du NPA.

http://npa2009.org/node/38494

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✒ par Pauline Baudour et Patrick Theudbald

Arcelor Mittal, Ford Genk,... Des usines qui ferment et qui délocalisent, malgré des bénéfices indécents. En Belgique comme partout ailleurs, ce sont les travailleurs qui sont en train de payer la crise. Cependant, des alternatives existent, comme la prise de contrôle de l’outil de travail et l’autogestion. Il ne s’agit pas là que de belles idées utopistes: l’actualité nous offre chaque jour de nouveaux exemples de résistances.

L o r s d e s 3 0 è m e s Re n c o n t r e s internationales de la jeunesse (RIJ), qui ont eu lieu en Grèce du 3 au 9 août, nous avons rencontré des travailleurs qui ont refusé de céder leur outil de travail. En Italie, Massimo est en plein processus de reconversion de son usine. Quand l’imagination prend le pouvoir, et que l’autogestion devient réalité.

Tout commence en 2010, dans une usine située à Trezzano Sul Naviglio, dans la région de Milan. Massimo y travaille depuis 1994. Il est soudeur et fabrique des tuyaux d’aération pour une grande marque de voitures de luxe. Brutalement, alors que l’usine est rentable, on annonce aux travailleurs un plan de licenciement. Massimo, alors délégué syndical, fait partie des travailleurs licenciés. Il accepte ce plan car il prévoit le maintien de l’usine et donc de l’emploi de certains camarades. Mais peu après, l’usine est vendue à un groupe polonais. Les licenciements se poursuivent malgré les promesses. Sur les 350 travail-leurs présents en 2010, seuls 80 sont encore présents en 2012. Vient alors le coup de grâce: la fermeture complète de l’usine.

Floués, trahis, les travailleurs se radicalisent. Les actions s’enchaînent alors rapidement. Ils pénètrent dans l’usine et prennent possession des équipements qui n’ont pas encore été délocalisés en Pologne. Ils revendent ce matériel devenu inutile afin de se constituer un capital et s’organisent en coopérative. La société initiale, Maflow,

devient la coopérative sociale Ri-maflow. Les ouvriers se réapproprient les lieux; l’usine se transforme et (re)prend vie. Un espace de 30.000 m² qui ouvre la porte à tous les possibles. La première activité économique de la coopérative consiste à réparer de vieux électroménagers, que les ouvriers rénovent et revendent. Le ton est donné: ils s’orientent vers le recyclage écologique. Des projets en association avec les habitants du quartier voient le jour: en septembre prochain, ouvriers et habitants vont par exemple faire une sauce tomate collective! Au quotidien, des concerts, des cours de théâtre, de photo ou encore de sculpture s’installent dans l’usine récupérée.

N o n s e u l e m e n t ces activités permettent de construire un tissu social, mais elles ont une au t r e fonc t ion essentielle: maintenir une occupation constante de l’usine et empêcher une éventuelle expulsion. Lorsqu’on demande à Massimo comment fonctionne l’autogestion au quotidien, ses yeux brillent et il sourit en évoquant les assemblées libres et le fonctionnement horizontal de l’usine. "On veut prouver que c’est possible de faire fonctionner une usine autrement, sans patron. Les travailleurs ont adopté ce projet sans vraiment avoir de culture politique: c’est génial, ils participent à une initiative anticapitaliste sans le savoir!", s’exclame-t-il. C’est qu’au-delà du projet politique, les travailleurs ont maintenant donné du sens à leur travail: ils fabriquaient des tubes d’aération, ils se

découvrent aujourd’hui ébénistes, artistes, professeurs... Ils participent maintenant à un projet de société, véritable laboratoire pour les luttes de demain. "Les travailleurs sont capables de tout, c’est ça qui est génial!" La coopérative s’est donnée comme objectif de créer 350 emplois, le nombre d’ouvriers avant le début des licenciements.

Et leur cas est loin d’être isolé! En Grèce, Aleksandrossi et ses camarades ont récupéré l’usine de métal de Biomé et fabriquent aujourd’hui des produits d’entretien écologiques. En Argentine, de

nombreuses usines sont sous contrôle des travailleurs depuis 2001 (en 2004, plus de 170 entreprises étaient autogérées!). L’usine de Massimo a d’ailleurs reçu la visite d’un ouvrier argentin, afin d’échanger des stra-tégies de lutte. Les exemples qui prouvent la viabilité de l’autogestion par les tra-vailleurs sont nombreux. Et donnent tout son sens au slogan: "Tout est à nous, rien n’est à eux!" ■

Ri-Maflow sur le net:

leur site http://vogliamocontinuare alavorareallamaflow.blogspot.be/

et www.facebook.com/occupymaflow

tout est à nous, rien n’est à eux! Histoire d’une usine récupérée et autogérée

les travailleurs sont capables de tout, c’est ça qui est génial!

Massimo

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✒ par Charlotte Declabecq et Pauline Baudour

Depuis 30 ans, des jeunes du monde entier joignent leurs forces et partagent leurs luttes chaque année aux Rencontres Internationales des Jeunes (RIJ). Depuis maintenant quatre ans, les Jeunes Anticapitalistes ( JAC) y participent. Du 3 au 9 août, c’est en Grèce qu'ont eu lieu les retrouvailles. Tour d’ambiance de vacances pas comme les autres.

Paris, aux alentours de midi: d’une douzaine de belges partis de Bruxelles, nous passons à près de 200 militants en rejoignant les français pour prendre le car, direction Venise. De là, nous prendrons le bateau jusqu’en Grèce. D’autres camarades nous rejoindront par leurs propres moyens: avion, stop... Rien que le voyage, c’est déjà une aventure. Et l’occasion de se lancer sans plus attendre dans ce que les Rencontres Internationales renferment de plus riche: les échanges internationaux! Après 50 heures de voyage pour celles et ceux qui ont fait le choix du bateau, arrivée sur les lieux du camp. Nous sommes dans un coin perdu, dans la montagne, dans le nord-ouest de la Grèce. La nature est verte, et nous plantons nos tentes le long d’une rivière (d’eau de source!). Un lieu magnifique qui a aussi une histoire. En effet, c’est là, dans les montagnes, que combattaient les militants antifascistes pendant la Seconde Guerre mondiale – et que nombre d’entre eux ont trouvé la mort. Ce n’est pas un hasard si nous avons choisi la Grèce, pays en lutte continue depuis deux ans, pour nous retrouver.

Dès le forum d’ouverture du camp, des slogans sont scandés dans toutes les langues par les centaines de jeunes et illustrent le paysage du moment: une résistance décidée aux attaques néolibérales d’austérité. C’est parce que la jeunesse est la première cible de ces attaques que nous cherchons chaque été à nous organiser pour y répondre. Les Rencontres Internationales des Jeunes offrent un espace d’auto-organisation de la jeunesse qui, suivant la même logique, comporte aussi un espace non-mixte pour les femmes et un espace LGBTI (pour lesbiennes, gays, bissexuel·le·s, transgenres et intersexes). Une militante explique: "L’autogestion, ce

n’est pas seulement l’organisation d’un programme de formations, d’ateliers, de meetings: c’est aussi l’expérimentation pratique de la société égalitaire, libertaire, écosocialiste et féministe pour laquelle on lutte tous les jours. Le camp, c’est l’occasion de se réapproprier un espace politique que le capitalisme nous arrache, de débattre, d’entrevoir des alternatives concrètes et bien sûr de participer à des fêtes inoubliables à la fameuse "disco rossa"!

Au bar, les boissons se payent cette année en "Taksim", en hommage au mouvement populaire qui s’est soulevé sur la place du même nom en Turquie. Chaque année, nous instaurons une monnaie locale dont le taux de change varie en fonction du niveau économique de chaque pays – une application parmi bien d’autres de la solidarité internationale qui nous lie.

la lutte au jour le jourChaque journée est porteuse d’une

lutte à mener autour d’une thématique. A partir de ces thèmes centraux – tels que la lutte contre le fascisme ou contre le patriarcat –, les activités varient et se complètent: formations tous ensemble, ateliers en plus petits comités, débats entre délégations de différents pays, meetings,... Certains thèmes sont incontournables si nous voulons nous organiser en tant que jeunes: comme la jeunesse, la classe ouvrière et les mouvements sociaux ou encore l’écosocialisme, présent dans chacune de nos réflexions car l’écologie est une lutte transversale à toutes les autres.

Au cours de la journée s’organisent aussi les rencontres entre délégations des différents pays pour échanger des informations sur l’actualité que les médias dominants ne relayent pas et partager nos modes d’action. Parmi les moments forts, nous retiendrons évidemment les rencontres avec nos camarades grecs, qui s’organisent au quotidien pour répondre à la violence de la Troïka et participent aux brigades antifascistes pour défendre les quartiers populaires et leurs habitants d’origine immigrée du parti néo-nazi Aube Dorée.

Les témoignages de nos camarades venant du Maghreb nous ont prouvé qu’un peuple qui résiste ne se soumet pas, même devant les pires répressions. Nous avons ainsi eu la chance de rencontrer la délégation tunisienne juste après l’assassinat du député de gauche Mohamed Brahmi, deuxième assassinat politique en six mois après celui de Chokri Belaïd et qui a ravivé les révoltes déjà entamées au printemps 2011.

Ce sont aussi des travailleurs qui sont venus nous rendre visite pour partager leurs expériences concrètes de lutte: l’un venait de Vio-Me, l’usine grecque de métal qui a été récupérée par ses ouvriers et reconvertie afin de respecter l’environnement. Un autre travailleur venait de la région de Milan (lire notre article "Tout est à nous, rien n’est à eux!" en page 23).

Les rencontres avec les délégations nous permettent aussi de découvrir les différentes stratégies qui animent les

la révolution sera mondiale!

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organisations de la Quatrième internation-ale: pendant que Sinistra Critica se dissout, au Brésil la gauche radicale fusionne pour former un même courant au sein du Psol. Autant de positions qui alimentent les débats et permettent un certain recul et la prise en considération de différents enjeux qui questionnent les situations nationales de chaque délégation.

une délégation belge plurielleCette année nous étions 22 militant·e·s

dans la délégation belge, dont des membres des Jeunes Anticapitalistes ( JAC), des membres de la LCR, mais aussi des militant·e·s d’autres organisations comme les Comités Action Europe, ou encore de l’Union Syndicale Etudiante. Différents parcours se sont donc rencontrés dans une harmonie surprenante et prometteuse pour les luttes à venir. Les débats que nous avions entre nous ont permis d’expérimenter la démocratie directe: tant dans la forme que dans le contenu de nos interventions, nous avons appris à être attentif·ve·s à ce que chacun·e puisse prendre la parole et dans le respect des principes pour lesquels nous luttons, éliminant de notre mieux les comportements hétéro-sexistes. Dans ces échanges, nous avons certainement été aidés par une parité homme-femme parfaite dans notre délégation. Le programme du camp étant assez intense, nous avons particulièrement apprécié les petits moments informels où les débats continuaient et se mêlaient à des séances massage au bord de la rivière... Nous nous souviendrons particulièrement de cet après-midi où des musiciens roms nous ont fait danser dans l’eau.

des espaces politiquesAu sein du camp, deux espaces

spécifiques ont gagné leur place et occupent une place centrale dans le déroulement des activités. L’espace femme est un espace non-mixte, où toutes les femmes sont invitées à se rassembler. Son objectif n’est absolument pas d’exclure les hommes de la lutte féministe, mais bien de permettre aux femmes de parler librement de leur oppression commune, de prendre la parole plus facilement que dans les discussions mixtes où, bien souvent, les hommes monopolisent le temps de parole. C’est donc l’occasion de prendre confiance en nous, d’importer les débats dont les femmes sont exclues pour se les approprier à notre tour. Cet espace nous permet aussi d’aborder des sujets comme la violence faite aux femmes, les agressions sexuelles, le droit à disposer de son corps

et d’échanger les différentes situations nationales à ce niveau. A ce sujet, nous nous souviendrons particulièrement de la situation en Irlande (concernant l’avortement), qui fera certainement l’objet d’une campagne de solidarité internationale cette année. L’espace femmes permet aussi d’expérimenter des méthodes de luttes plus pratiques: cette année nous avons été initiées au self-défense et avons beaucoup discuté des différentes formes de réponses aux violences faites aux femmes (clin d’œil aux Saris Roses).

Dans le même esprit que l’espace femmes, l’espace LGBTI a pour objectif l’auto-organisation des personnes opprimées par l’hétéro-normativité, pilier du système capitaliste. Compte-rendu de la lutte des camarades français·e·s pour le mariage pour tou·te·s, débat sur la GPA (gestation pour autrui, terme désignant le recours aux mères porteuses) qui était la revendication principale de la "Belgian Pride" de cette année, questionnement sur la place réservée aux bisexuel·le·s au sein des mouvements LGBTI... Les échanges quotidiens ont permis de penser nos luttes de manière internationale, et de soulever des questions stratégiques telles que l’articulation des luttes féministe et LGBTI.

de l’espoir pour les luttes à venirQuand le camp touche à sa fin, les

discussions sont à leur comble, les liens entre les luttes deviennent une évidence et leurs perspectives deviennent plus claires. C’est la raison pour laquelle nous termi-nons nos rencontres autour de la question de nos stratégies révolutionnaires. Com-ment construire nos organisations? Quel programme de transition? Quels modes d’action? Autant de questions qui font en sorte que les rencontres et les réflexions du camp ne s’arrêtent jamais et muris-sent dans nos organisations. L’année qui vient sera pleine d’enjeux: qu’en sera-t-il du processus révolutionnaire dans les pays arabes? De la guerre civile en Syrie? Des mesures d’austérité toujours plus violentes qui s’abattent sur l’Europe? Toutes ces questions demandent notre plus grande attention. 2014 sera aussi l’année des élections européennes, cumulées pour la Belgique aux élections fédérales et région-ales: les enjeux seront cruciaux. Nous avons entamé lors du camp la mise en place de campagnes internationales contre l’austérité, en soutien au processus révo-lutionnaire dans les pays arabes, et nous envisageons une campagne féministe. De la même façon, nous entendons nous sou-tenir dans toutes les mobilisations à venir. Ce n’est qu’un début, la lutte continue! ■

une partie de la délégation belge

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✒ par Christine Poupin

Sous la forme d'un hors-série spécial de la revue Tout est à nous!, le NPA publie [en co-édition avec la Formation Léon Lesoil, ndlr] un travail important de notre camarade de la LCR, Daniel Tanuro. En commentant de façon critique le Manifeste écosocialiste du Parti de gauche, il contribue à définir le socialisme pour lequel nous nous battons. Essentiel, dans tous les sens du terme.

Prenant appui sur la référence commune au Manifeste écosocialiste international publié en 2002, Daniel Tanuro s'applique à débattre point par point avec les 18 thèses du Manifeste pour l’écosocialisme adopté en mars 2013 par le congrès du Parti de gauche.

"Pourquoi consacrer un tel travail au projet de Manifeste écosocialiste d’une formation politique particulière dans un pays particulier? Parce que (...) le document proposé par le Parti de gauche fait pénétrer le lecteur au cœur de l’énorme, de la gigantesque, de la vertigineuse difficulté à laquelle sont inévitablement confronté·e·s celles et ceux qui, en France et ailleurs, adoptent l’écosocialisme comme cadre de réflexion: comment répondre à la fois aux besoins sociaux et aux exigences écologiques lorsque trois milliards d’êtres humains manquent de l’essentiel et que le sauvetage du climat impose de produire moins, sous peine de catastrophes irréversibles?" La discussion se concentre autour de trois questions décisives: anticapitalisme ou antilibéralisme? Autogestion ou pilotage par l’État? Refondation par les luttes ou réforme institutionnelle?

derrière la finance, tout le système économique

Sur le premier point, le manifeste du PG désigne ceux qui sont pour lui "les vrais coupables (...): l’oligarchie financière mondialisée, les gouvernements soumis aux lobbies des multinationales sans contrôle démocratique, les idéologues de

la concurrence "libre et non faussée", du capitalisme vert et du libre-échange". Mais force est de constater que Bhopâl, Seveso, Fukushima, l’Erika, la destruction de la forêt tropicale, le scandale de l’amiante et les autres catastrophes environnementales des dernières décennies ne sont pas imputables à ces seuls responsables..., et

que le réchauffement climatique global, dû principalement à l’envolée des émissions de gaz à effet de serre au cours des Trente Glorieuses, est le produit du fonctionnement ordinaire du capitalisme.Tout capitalisme est nécessairement productiviste parce que la concurrence pour le profit est son seul moteur. Il n’y a pas d’espace pour un "écosocialisme par étapes", qui commencerait par rompre avec la mondialisation néolibérale en reportant les tâches anticapitalistes à plus tard. Surgit alors une autre discussion: pourquoi "socialisme" a-t-il si longtemps rimé uniquement avec productivisme? Est-ce dû au projet socialiste lui-même? Sinon, quelles mesures, quel programme pour éviter de retomber dans l’ornière? Daniel Tanuro pointe "trois phénomènes combinés (qui) ont joué un rôle majeur: l’étatisme, la bureaucratie et le repli national".

articuler les ruptures sociales et écologiques

Conscient de la difficulté qui "réside dans le gouffre béant entre la nécessité impérieuse d’une alternative socialiste et le niveau de conscience actuel (...) des exploité·e·s et des opprimé·e·s", l'auteur propose de répondre à la fois aux demandes sociales et aux urgences écologiques, à travers un programme qui permette d’amorcer la rupture. La nationalisation des secteurs de l’énergie et de la finance, sans indemnité ni rachat, est le point de départ incontournable d'un plan écosocialiste, articulant la suppression des productions inutiles ou nuisibles, la sortie du nucléaire et du tout-automobile, le passage à une agriculture paysanne, la reconversion des travailleurs et travailleuses

des secteurs condamnés, le développement du secteur public, et le partage du travail entre toutes et tous sans perte de salaire... Ce programme doit mettre en perspective la formation d’un gouvernement capable de l’appliquer, aux niveaux national, européen et mondial. Mais une telle perspective "ne doit pas servir à justifier le rabaissement du programme au-dessous du niveau permettant effectivement la rupture, de même que la nécessité d’une vaste mobilisation sociale ne doit pas servir à justifier une stratégie étapiste de réforme préalable des institutions". Une lecture indispensable! ■

quelle écologie, quel socialisme, quelle transition? le Manifeste écosocialiste du Parti de gauche en débat

Pour commander la brochure en Belgique, verser 5 euros sur le compte de la Formation léon lesoil à 1070 Bruxelles avec la mention "ecosocial":BBaN : 001-0728451-57iBaN : Be09 0010 7284 5157Bic : geBaBeBB

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Jean-Marie Harribey travaille depuis de longues années sur un certain nombre de questions théoriques cruciales telles que la différence entre richesse et valeur, ou entre valeur d’usage et valeur d’échange. Il a systématisé les résultats de ses études dans un ouvrage important: La richesse, la valeur et l’inestimable. Les théoriciens néolibéraux pensent pouvoir sortir de la contradiction entre la dynamique sans fin de l’accumulation du capital et la finitude des ressources en transformant celles-ci en marchandises, c’est-à-dire en amalgamant richesse et valeur. J.-M. Harribey montre que cette stratégie est condamnée à l’échec parce que la richesse et la valeur ne se recouvrent que très partiellement et que la première est irréductible à la sec-onde, de sorte que monétiser ce qui n’est pas estimable implique forcément une perte de richesse. Sa démonstration com-mence par un retour approfondi sur les lacunes de l’économie politique classique

(Ricardo, Smith, Samuelson, etc.) et sur la critique radicale de Marx. Ayant ainsi recadré les notions de richesse et de valeur en éliminant tout un fatras de confu-sions accumulées, l’auteur développe ses réflexions sur un très grand nombre de problèmes d’une grande actualité: place du non-marchand en général et des ser-vices publics en particulier, défense des biens communs, rôle du marché dans un système non capitaliste, indicateurs alternatifs, valeur intrinsèque de la nature, discussion avec les partisans de la décrois-sance, gratuité et temps libre, etc. Un livre dense, très riche, parfois difficile, toujours stimulant. Certaines thèses méritent dis-cussion, mais c’est à cela qu’on reconnaît une œuvre originale. Un livre à lire, à étudier même. –DT

J.-M. Harribey, La richesse, la valeur et l’inestimable. Fondements d’une critique socio-écologique de l’économie capitaliste, Les Liens qui Libèrent, 2013

conférencesil y a 40 ans, Pinochet écrasait le mouvement ouvrier chilien dans le sang avec Jorge Magasich, Historien, exilé politique en 1973 et Franck Gaudichaud, Maître de conférence à l'Université de Grenoble, spécialiste de l'Amérique latine.

Mardi 10 septembre 2013 à 19h30 au Pianofabriek, 35 rue du Fort, 1060 Bruxelles (métro Parvis de St-Gilles) [email protected] tél. 0487 / 733 029

Mercredi 11 septembre 2013 à 19h salle Janssens, FgtB, Rue Lamir 18/20 7000 Mons [email protected] tél. 0485 / 780 080

la gaucheoù trouver la gauche? En vente dans les librairies suivantes:

Bruxelles------------------------------- tropismesGalerie des Princes, 111000 Bruxelles

FiligranesAvenue des Arts, 39-401000 Bruxelles

cent PapiersAvenue Louis Bertrand, 231030 Schaerbeek

couleur du sudAvenue Buyl, 801050 Ixelles

auroraAvenue Jean Volders, 341060 Saint-Gilles

VoldersAvenue Jean Volders, 401060 Saint-Gilles

Joli MaiAvenue Paul Dejaer, 291060 Saint-Gilles

Mons-----------------------------------le Point du JourGrand'Rue, 727000 Mons

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uresun ouvrage important:

la richesse, la valeur et l’inestimable

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