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Principes, Etat des lieux et perspectives La gouvernance publique en Tunisie RAPPORT ANNUEL NOVEMBRE 2013

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Principes, Etat des lieux et perspectives

La gouvernance publique en Tunisie

RAPPORT ANNUEL

NOVEMBRE 2013

Principes, Etat des lieux et perspectives

La gouvernance publique en Tunisie

RappoRt annuel

novembRe 2013

pRésentation : L’Association Tunisienne de Gouvernance (ATG) est un acteur de premier plan de la société civile, de la scène politique et du monde des affaires en Tunisie. Son approche transversale et transdisciplinaire sur les questions de gouvernance lui permet d’avoir une exhaustivité des visions portant sur les axes stratégiques du développement politique, économique et social de la Tunisie.

objectifs : Cercle de réflexion et d’échange, mais également, institution de référence, se spécialisant dans les questions de gouvernance, l’ATG réunit des experts tunisiens réputés pour leur savoir-faire, leur compétence et leur capacité à traiter, à étudier, à analyser et à publier des rapports et des guides de bonnes pratiques en gouvernance publique et privée. Forte d’un capital relationnel national et international, l’ATG apporte aux organismes politiques, publiques, para- publiques et privés tunisiens, des avis d’experts et des réflexions de hauts niveaux, permettant aux différents intervenants et opérateurs de perfectionner leurs réflexions, leurs programmes et leurs pratiques dans les domaines de la gouvernance.

valeuRs : L’ATG prône la transparence, l’équité, la compétence, l’éthique et la performance dans les politiques et les affaires de l’Etat dans l’objectif d’hisser la Tunisie au diapason des nations prospères et évoluées.

inteRnational et paRtenaRiat : L’ATG a noué un ensemble de partenariat au niveau national (ADDS) et international (POMED), et contribue à développer des bonnes pratiques de gouvernance en collaboration avec d’autres institutions. Son rayonnement national et international est bien confirmé à travers ses publications et ses conférences périodiques.

buReau DiRecteuR : Le Bureau Directeur élu par les membres fondateurs de l’ATG se compose comme suit :

Président : Dr. Moez Joudi, Expert-consultant, Enseignant-chercheur.

Vice-Président : M. Chiheb Ghazouani, Avocat, Enseignant-chercheur

Secrétaire Général : M. Wassim Khrouf, Expert-comptable, Enseignant-chercheur

Trésorier : M. Mahmoud Elloumi, Expert-comptable, Enseignant-chercheur

Chargé des relations internationales : Dr. Bechir Bouzid, Global Manager à la Banque Mondiale

Chargé des relations avec les organismes publiques, privés et universitaires : Dr. Sofiène Toumi, Enseignant-chercheur.

GRoupe De tRavail « GouveRnance publique en tunisie »Le présent rapport a été conçu et élaboré par :

M. Hatem Ben Salem, Professeur agrégé en droit

Mme Emna Ben Arab, Maître-assistant en anglais

Mme Mouna Kraïem Dridi, Maître-assistant en droit

M. Khaled Dababi, Assistant en droit

M. Moez Joudi, Président de l’ATG

contact : Association Tunisienne de Gouvernance (ATG)

Adresse : Rue du lac Léman, Centre NAWREZ , Bloc B-B2-1, Les Berges du Lac, 1053 Tunis

Tél : (+216) 71 96 06 96

Fax : (+216) 71 96 57 37

Mob. : (+216) 98 22 04 70

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table Des matièRes

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2

Chapitre I: La Gouvernance Politique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

Section I: Le critère de la primauté du droit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

Paragraphe 1 : La phase pré-constituante ou de légitimité consensuelle . . . . . . . . . . . . . . 7

1- L’organisation provisoire des pouvoirs publics . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

2 - La mise en place d’autorités publiques indépendantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8

a- La haute instance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8

b- L’ISIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

Paragraphe 2 : La phase post-constituante de légitimité électorale . . . . . . . . . . . . . . . . 10

Section II: Le critère de participation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17

Section III: Le critère de transparence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20

Chapitre II: La gouvernance économique et financière en Tunisie . . . . . . . . . . . 23

Section I : L’état de la gouvernance économique et financière en Tunisie . . . . . . . . . . . 23

Paragraphe 1 : Les éléments de la bonne gouvernance économique . . . . . . . . . . . . . . . 24

Paragraphe 2 : La situation économique actuelle en Tunisie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25

Section II: Pour une nécessaire cohésion des décisions économiques et une meilleure gestion des dossiers post-révolution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26

Paragraphe 1 : Le rôle de la Banque Centrale de Tunisie (BCT) . . . . . . . . . . . . . . . . . 26

Paragraphe 2 : Le dossier des entreprises expropriées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27

Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29

Bibliographie générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30

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intRoDuction

Suite au changement de régime qui a profondément modifié la donne politique en Tunisie, les nouveaux gouvernants ont estimé qu’il fallait faire table rase du passé et refonder totalement le système de gouvernement. La dynamique de reconstruction institutionnelle enclenchée devait pour les plus optimistes non seulement changer la nature des rapports politiques en Tunisie, en instaurant une vraie démocratie, mais surtout initier une nouvelle approche de gestion des affaires publiques basée sur la bonne gouvernance.

Les élections du 23 octobre 2011, censées normalement déboucher sur un nouveau paysage politique, ont mis à jour un clivage idéologique dont les conséquences handicapent, aujourd’hui encore, toute possibilité d’évolution vers un régime démocratique. Plus préoccupant peut-être, un double crise, identitaire et sécuritaire, semble se surajouter à une impasse politique due essentiellement à l’absence de toute éthique dans la conduite des affaires de l’Etat et à une politisation à outrance de tous les rouages de l’administration. Pourtant, l’émergence à travers les urnes de la majorité qui gouverne actuellement le pays ne peut aucunement être considéré comme une représentation fidèle des tendances politiques réelles de l’électorat tunisien. Les vainqueurs des élections sont, en réalité, les bénéficiaires des dysfonctionnements d’un mode de scrutin inadéquat adopté dans la précipitation d’où l’interminable débat sur la légitimité de la Troïka1 aujourd’hui au pouvoir.

Pourtant, à travers son histoire ancienne et moderne, la société tunisienne est profondément attachée à ses valeurs arabo-islamiques et a toujours rejeté toute confusion entre politique et religion. Actuellement, une fausse polarisation de la vie politique, entre islamistes et laïcs, exacerbe la confusion et accentue l’incohérence dans la

1 La coalition de trois partis politiques de Ennahda, Takattol, et Mottamar qui gouverne le paix.

gestion des affaires publiques particulièrement par les deux derniers gouvernements de transition. Par ailleurs, L’impréparation qui caractérise un nombre non négligeable de responsables politiques et administratifs a poussé à la prise de plusieurs décisions stratégiques qui se sont avérées inadaptées à la situation de crise de plus en plus larvée vécue par la Tunisie. C’est ainsi, qu’au lieu d’une conduite efficace de l’action publique, les gouvernements de transition n’ont pas été dans la capacité de répondre, sur la base de leurs programmes électoraux, aux innombrables attentes économiques des tunisiens. De surcroît, n’ayant pas de projet à proposer, la Troïka s’est installée dans des postures déclamatoires multipliant les promesses et se coupant irrémédiablement de ses électeurs. La lutte contre la corruption et le népotisme, faute de textes législatifs adéquats, n’a pas eu, pour l’instant, de résultat tangible. Le processus de rédaction de la Constitution qui aurait pu créer un consensus national a abouti finalement à diviser le peuple.

De façon de plus en plus évidente, les gouvernements qui se sont succédé au cours de cette période transitoire, ont été devant l’impossibilité de mettre en place le concept de bonne gouvernance qui sous-tend la promotion des valeurs d’équité et de probité dans la gestion des affaires publiques. Des paramètres tels que la primauté du droit, la participation et la transparence, qui sont les fondements de la bonne gouvernance, sont restés au niveau de la rhétorique.

Le présent rapport dans sa partie gouvernance politique analysera à travers les paramètres sus indiqués le processus constitutionnel qu’a connu la Tunisie, depuis le 14 janvier 2011, en identifiant les défaillances qui l’ont rendu si contesté. Il s’agit, en fait, de mesurer le degré d’appropriation des gouvernements successifs des différents critères de la bonne gouvernance

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chaque fois qu’il est question de prendre une décision engageant l’avenir de la Tunisie. En effet, le respect des principes de l’Etat de droit rend impérative l’exigence d’une nécessaire reddition de comptes par les gouvernants dont la responsabilité politique n’a de sens que si elle consacre le principe de l’égalité de tous devant la loi. C’est en renforçant ces fondamentaux de la démocratie qu’on garantit la pérennité des institutions et que l’on renforce les fondements de la société juste.

La première période de transition (celle avant les élections du 23 octobre 2011) a mis à plat les institutions de la Tunisie en suspendant la Constitution, en procédant à la dissolution du parlement, du Conseil économique et social et du Conseil constitutionnel. Le vide ainsi créé n’a pas pu être comblé suite aux élections du 23 octobre par l’Assemblée Nationale Constituante. Les dispositions mêmes de la loi sur l’organisation des pouvoirs publics (16 décembre 2012) ont été peu respectées. Les gouvernements de transition successifs, faute de transparence, n’ont pas permis au processus constitutionnel en cours de se développer dans la sérénité d’où

une communication difficile entre l’Assemblée Nationale Constituante, le gouvernement et la société civile. Le résultat de ces cafouillages a été l’inefficience de l’action publique et le mécontentement de la population. Cette gestion hésitante des affaires publiques a surtout mis à mal les finances publiques tunisiennes puisque l’appareil économique tunisien n’arrivait plus à répondre aux exigences du développement. C’est ce qu’essaiera d’analyser la seconde partie de ce rapport (Chapitre II).

Toute cette période de transition s’est donc caractérisée par la difficulté à laquelle ont fait face les gouvernants pour proposer au peuple tunisien un texte fondamental à même de consacrer le consensus national. Est-ce à cause du manque d’appropriation populaire que le projet de Constitution proposé aujourd’hui est rejeté par une frange du peuple qui se considère dépossédée de sa révolution? La partie politique du rapport (Chapitre I) essaiera de démontrer que c’est à cause de l’absence des paramètres de la bonne gouvernance que la situation est tellement confuse aujourd’hui au moment où le dialogue national débute.

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chapitRe i: la GouveRnance politique

les pRincipes De la GouveRnanceAvant d’aborder l’analyse des différents paramètres, il nous est apparu nécessaire de définir la gouvernance afin d’éviter les interprétations approximatives de cette notion somme toute nouvelle2. La gouvernance désigne l’ensemble des mesures, des règles, des organes de décision, d’information, de mise en œuvre et d’évaluation qui permettent d’assurer le meilleur fonctionnement et le contrôle le plus adéquat d’un Etat, d’une institution ou d’une organisation qu’elle soit publique ou privée, régionale ou locale, nationale ou internationale.

La gouvernance a pour but de fournir l’orientation stratégique, de s’assurer que les objectifs sont atteints, que les risques sont gérés de manière appropriée et que les ressources sont utilisées de façon responsable.

La gouvernance a pour priorité de veiller au respect des intérêts des « ayants droit » citoyens, pouvoirs publics, actionnaires etc.

En fait, le concept de bonne gouvernance englobe un ensemble de principes et de politiques créant le cadre de développement idoine et se focalisant autour des exigences de transparence et de redevabilité dans les secteurs politique, économique et social ainsi que des questions de lutte contre la corruption, de renforcement de la société civile, de protection des droits humains et de promotion des politiques de soutien à l’éducation, à la santé et à l’environnement.

Le terme de bonne gouvernance introduit dans les relations internationales par la Banque Mondiale, est supposé être apolitique et non-idéologique. Toutefois, nul ne peut nier que ce concept reste historiquement lié à la vague de

2 Sur le concept de gouvernance, Cf. PAYE (Olivier), “La gouver-nance : d’une notion polysémique à un concept politologique”, Etudes internationales, vol.36, n° 1, 2005, p.1-2

plans d’ajustement structurel des années 1990 dont l’objectif principal était le désengagement de l’Etat des secteurs économiques, financiers et sociaux. Malgré le soutien de beaucoup de politiciens et d’académiciens, dont Francis Fukuyama, qui considèrent la bonne gouvernance comme étant la panacée à une approche viable du développement durable, cette notion est restée attachée aux politiques libérales que voulaient imposer aux peuples les institutions financières internationales.

Cependant, force est de constater qu’il existe différentes appréhensions du concept de bonne gouvernance qui pour les unes privilégient les aspects liés à l’efficience de l’action étatique tandis que pour les autres l’accent est mis sur la légitimité démocratique de la décision des gouvernants et l’engagement citoyen dans le processus d’élaboration des politiques publiques. Il reste, qu’en tout état de cause, l’approche de bonne gouvernance ne peut avoir de signification en dehors des notions de primauté de la loi, de réforme démocratique, de reddition de comptes, de transparence, de protection des droits de l’homme et de participation effective de la société civile en tant que force motrice du développement.

La bonne gouvernance constitue, surtout, un ensemble de paramètres permettant de concevoir, de conduire et d’évaluer les politiques publiques dans le cadre d’un gouvernement démocratique. Nous avons choisi, pour ce rapport préliminaire sur la bonne gouvernance en Tunisie d’appliquer seulement trois paramètres à savoir la primauté du droit (Section I), la participation (Section II) et la transparence (Section III) et ce en prévision d’un rapport plus exhaustif qui traitera ultérieurement les autres critères.

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section i: le cRitèRe De la pRimauté Du DRoitLe critère de la primauté du droit signifie la soumission de toutes les institutions et de toutes les décisions publiques au droit. Il s’agit, en fait, de veiller à l’instauration de l’Etat de droit.

Ce droit est caractérisé par la volonté d’éliminer l’arbitraire des gouvernants sur la base de certaines exigences tels que la séparation des pouvoirs et leur équilibre, la proclamation des libertés et des droits et le contrôle de la constitutionnalité des lois. L’Etat de droit implique également un encadrement juridique du pouvoir et l’indépendance de l’autorité juridictionnelle.

L’Etat de droit a, donc, pour condition la prévalence de la règle juridique dans l’organisation sociale. C’est “un Etat, qui dans ses rapports, avec ses sujets et pour la garantie de leur statut individuel, se soumet lui-même à un régime de droit, et cela en tant qu’il enchaîne son action sur eux par des règles dont les unes, déterminent les droits réservés aux citoyens, dont les autres fixent par avance les voies et les moyens qui pourront être en vue de réaliser les buts étatiques : deux sortes de règles qui ont pour effet commun de limiter la puissance, en la subordonnant à l’ordre juridique qu’elles consacrent”.3

Cette définition montre clairement que le concept d’Etat de droit repose essentiellement sur deux aspects : un aspect matériel et un autre formel.

Dans son sens matériel, l’Etat de droit peut se définir comme un système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au droit, c’est-à-dire un système où tout le pouvoir politique est soumis au pouvoir normatif qui

3 CARRE DE MALBERG, Contribution à la théorie générale de l’Etat, Sirey, 1920, tome I, pp. 488-489.Sur la notion d’Etat de droit Cf . également GOYARD-FABRE (Si-mone), “L’Etat de droit : problématique et problème”, in . L’Etat de droit, cahiers de philosophie politique et juridique, n°24, 1993, Presses Universitaires de Caen, pp. 9-21. Cf . aussi TROPER (Michel), “Le concept d’Etat de droit”, in . La théorie du droit, le droit, l’Etat, Paris. PUF, coll. Léviathan.2001, pp. 267-281.

oppose à l’Etat les droits et les libertés des citoyens. Ce droit se caractérise par un contenu particulier à même d’éliminer l’arbitraire. Il implique que le tissu normatif soit inspiré par une philosophie humaniste et libérale plaçant au premier plan la dignité et le mieux-être de la personne. En effet, tout Etat démocratique doit nécessairement avoir pour support un corps de principes fondamentaux affirmant les libertés et les droits des citoyens.

S’inscrivant dans une optique purement formelle, l’Etat de droit serait l’Etat qui n’agit qu’au moyen du droit, c’est-à-dire des règles générales et abstraites qui forment un ordre normatif hiérarchisé. Dans ce modèle, chaque règle tire sa validité de sa conformité aux règles supérieures. Il ne peut y avoir d’Etat de droit que si le pouvoir s’exerce par les voies du droit et uniquement par ces voies. Pour cela, il faut qu’il existe dans l’Etat un réseau normatif bien adapté et une hiérarchisation avec au sommet des principes à valeur constitutionnelle qui servent de référence. Hans Kelsen parle à ce propos de rapports de régularité entre les normes juridiques.4 Cela signifie que les normes juridiques forment une sorte de pyramide. Au sommet de cette pyramide, il y a la Constitution suivie des traités internationaux, puis des lois, des décrets, etc. La régularité signifie que chaque norme inférieure doit être conforme ou du moins compatible avec la norme qui lui est supérieure et toutes les normes infra constitutionnelles doivent se conformer à la norme suprême ; à savoir la Constitution.5

Cet ordonnancement juridique s’impose à l’ensemble des personnes juridiques. L’État, pas plus qu’un particulier, ne peut ainsi méconnaître ce principe6: toute norme, toute décision qui ne respecterait pas un principe supérieur serait, en effet, susceptible d’encourir comme sanction juridique l’annulation. L’acte irrégulier non conforme à une norme qui lui est supérieure sort

4 KELSEN (Hans), Théorie pure de droit, LGDJ, Paris, 1999.

5 KELSEN (Hans),” La garantie juridictionnelle de la Constitu-tion”, Revue de Droit Public, 1928, p. 197.

6 www.vie-publique.fr/th/glossaire/principe-legalite.html

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ainsi de l’ordonnancement juridique et est réputé n’avoir jamais existé. L’État, qui a compétence pour édicter le droit, se trouve ainsi lui-même soumis aux règles juridiques. Il serait intéressant à cet égard de rappeler les dispositions de l’article 76 de la Constitution de 1959 qui déclarait que les avis du conseil constitutionnel s’imposent à tous les pouvoirs publics.

Un tel modèle suppose donc la reconnaissance d’une égalité entre les différents sujets de droit soumis aux normes en vigueur.

A ce niveau de l’analyse, il serait utile de savoir dans quelle mesure le processus constitutionnel tunisien a-t-il été bâti sur le fondement de la primauté du droit et le respect de l’Etat de droit?

Le 14 janvier 2011 après le départ de l’ancien président de la République, le pays est rentré dans une zone de turbulence juridique au sommet de l’Etat.

En l’espace de quelques heures, le pays est passé du régime de l’empêchement provisoire de la présidence de la République avec recours à l’article 56 de la Constitution du premier juin 1959 à celui de la vacance définitive avec invocation de son article 57, laissant se profiler le scénario d’élections présidentielles et législatives anticipées. En moins de 24 heures, on est passé d’une volonté de se maintenir au pouvoir à une obligation de partir, conformément au dispositif constitutionnel en vigueur. L’article 56, qui dispose qu’en cas d’empêchement provisoire le président peut déléguer par décret ses attributions, était politiquement incorrect et moralement répréhensible. Aussi, a-t-il été immédiatement abandonné au profit de l’article 57 sur la vacance de la présidence de la République pour cause de décès, de démission ou d’empêchement absolu. Il était, en effet, manifestement notoire que la fuite d’un président de la République se situait en dehors des hypothèses constitutionnelles et que jusqu’à ce jour, il n’y a aucune trace du décret du 14 janvier 2011 habilitant le premier ministre à assurer l’intérim du président de la

République. Ce n’est pas sans hésitation qu’il a été fait recours à l’article 57 pour couvrir d’un minimum de légalité constitutionnelle la vacance du pouvoir. A cet égard, il a été fait appel au conseil constitutionnel, seul organe habilité à constater la vacance définitive du pouvoir. L’interprétation qu’il a faite de l’article 57, quoique politiquement contestable, a permis le passage «  pacifique  » vers la destitution de l’ancien président en constatant que l’absence du président de la République en exercice du territoire tunisien, dans des circonstances de crise, sans avoir délégué ses pouvoirs et sans avoir présenté sa démission, était assimilé à un cas d’empêchement absolu. Or, il ne fait pas de doute que le régime de l’article 57 était peu adapté à la situation d’effervescence révolutionnaire que traversait le pays. Cet article était en fait incapable de faire face aux exigences du moment constitutionnel. Les perspectives d’éventuelles élections présidentielles ou législatives étaient considérées par une frange importante du peuple tunisien comme une trahison des objectifs de la révolution  ; à savoir la rupture radicale avec l’ancien ordre constitutionnel et l’appel à l’élection d’une Assemblée nationale constituante.

Le discours présidentiel prononcé le 3 mars 2011 par le président intérimaire a constitué un tournant décisif dans la gestation du processus de transition. Formalisé par le décret-loi n°14 du 23 mars 2011, il marque une véritable rupture avec l’ordre juridique existant. Il est à signaler à ce propos que d’autres alternatives s’offraient au peuple tunisien notamment la révision du texte originel de la Constitution de 1959 et le maintien des institutions constitutionnelles telles que le parlement et le conseil constitutionnel tout en démocratisant leurs modes de fonctionnement.

L’élection, le 23 octobre 2011 d’une Assemblée Nationale Constituante constitue, sans le moindre doute, une étape décisive dans le processus de transition démocratique. A ce niveau de l’analyse, nous sommes en droit d’affirmer que le processus transitionnel en Tunisie s’étale sur deux périodes : Une première qui correspond à une étape de

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normalisation et de légitimation institutionnelle, Il s’agit de la phase pré-constituante (Paragraphe 1), et une deuxième phase du processus transitionnel débutant avec l’élection de l’Assemblée Nationale Constituante. Il s’agit de la phase de la légitimité électorale (Paragraphe 2)

Paragraphe 1 : La phase pré-constituante ou de légitimité consensuelleDurant cette phase et malgré de nombreuses turbulences engendrées notamment par les crises sociale et économique, la vie politique semble rentrer dans une phase de normalisation institutionnelle. Cette normalisation institutionnelle a pu se faire grâce notamment au recours à l’article 28 qui a permis au président de la République par intérim, en se dotant de la prérogative de légiférer par le biais des décrets-lois, de combler le vide normatif du à la dissolution des deux chambres législatives7. Conformément à cette base juridique, Plusieurs actes ont contribué à l’encadrement juridique de cette phase. D’abord, la promulgation du décret-loi sur l’organisation provisoire des pouvoirs publics du 23 mars 2011 (A). Ensuite, la mise en place de nouvelles institutions en charge de la transition démocratique (B).

1 - L’organisation provisoire des pouvoirs publicsNe tirant sa légitimité d’aucune disposition préétablie, le décret-loi n°14 du 23 mars 2011 constitue, sans conteste, l’acte fondateur du nouvel ordre constitutionnel et ce, en annonçant une série de mesures d’une valeur juridique et politique indéniables. Il s’agit d’un acte constitutif, générateur d’une nouvelle légalité, fondateur d’un nouvel ordre constitutionnel. Il organise le fonctionnement provisoire des institutions de l’Etat, « jusqu’à ce qu’une Assemblée nationale constituante, élue au suffrage universel, libre, direct et secret selon un régime électoral pris

7 Le paragraphe 5 de l’article 28 de la Constitution tunisienne de 1959 disposait que :”La Chambre des députés et la Chambre des conseillers peuvent habiliter le président de la République, pour un délai limité et en vue d’un objet déterminé, à prendre des décrets-lois…”.

à cet effet, prenne ses fonctions » (article premier). Il instaure un régime politique transitoire dans lequel le pouvoir exécutif est confié à un chef d’Etat qui légifère par le biais des décrets-lois et un chef de gouvernement qui assure la fonction exécutive proprement dite. A défaut d’une légitimité électorale, le nouveau premier ministre a pu, grâce à son charisme, jouir d’un large consensus de la part d’une frange importante des forces politiques en présence.

Le décret-loi dissout officiellement la Chambre des députés, la Chambre des conseillers, le Conseil constitutionnel et le Conseil économique et social (article 2). Il redéfinit le pouvoir législatif désormais exercé par le chef de l’Etat après délibération en conseil des ministres (articles 4 et 5). le pouvoir exécutif, quant à lui, est confié à un président de la République par intérim assisté d’un gouvernement provisoire neutralisé puisque ni le premier ministre, ni les membres du gouvernement ne peuvent se présenter aux élections de l’Assemblée Nationale Constituante (articles 6 à 15). Le texte maintient en l’état, conformément à ses lois et règlements en vigueur, le fonctionnement du tribunal administratif et de la Cour des comptes, des collectivités locales, l’organisation et le fonctionnement de l’appareil judiciaire. A ce titre, Il est important de saluer, dans ce cadre, le rôle primordial joué par l’administration tunisienne qui a assuré la continuité organique et fonctionnelle de l’Etat.

Ce texte qui n’est, en réalité, ni un décret ni ne sera ultérieurement une loi, est un texte bref contenant 19 articles. Selon la littérature constitutionnelle, il s’agit d’une « petite Constitution ».

Ce décret-loi reprend les principes énoncés par la Constitution du 1er juin 1959 et revalorise certains principes auxquels le régime de Ben Ali a profondément attenté comme le suffrage universel libre, la souveraineté du peuple, l’incompatibilité dans l’exercice des mandats…

A cet effet, le préambule déclare en ces termes :

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«  considérant que le peuple tunisien est souverain et exerce sa souveraineté par le biais de ses représentants élus au suffrage direct, libre et équitable.

Considérant que le peuple a exprimé au cours de la révolution du 14 janvier 2011 sa volonté d’exercer sa pleine souveraineté dans le cadre d’une nouvelle Constitution.

Considérant que la situation actuelle de l’Etat, après la vacance définitive de la présidence de la République le 14 janvier 2011, telle que constatée par le Conseil constitutionnel dans sa déclaration publiée au journal officiel de la République tunisienne en date du 15 janvier 2011, ne permet plus le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, et que la pleine application des dispositions de la Constitution est devenue impossible.

Considérant que le président de la République est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect de la loi et de l’exécution des traités, et qu’il veille au fonctionnement régulier des pouvoirs publics et assure la continuité de l’Etat ».

Acte d’organisation provisoire des pouvoirs publics, le décret-loi du 23 mars 2011 a pris la place de la Constitution de 1959. Quoique de valeur constitutionnelle indéfinie, ce texte n’en représente pas moins un seuil minimum de constitutionnalité et la clef de voûte des institutions de l’Etat durant cette phase de transition démocratique. Comme l’a si bien évoqué Carré De Malberg, « entre la Constitution ancienne dont il a été fait table rase et la Constitution nouvelle qui reste à faire de toute pièce, il n’existe pas de lien juridique  ; mais, il y a, au contraire, entre elles une solution de continuité, un interrègne constitutionnel ». C’est cet interrègne constitutionnel qui doit mener la Tunisie vers la deuxième Constitution de son histoire républicaine.

2 - La mise en place d’autorités publiques indépendantesL’existence d’autorités indépendantes exprime généralement la volonté de distinguer, à côté des administrations traditionnelles, des organes dotés de garanties d’indépendance par rapport au pouvoir exécutif. C’est pourquoi elles sont placées hors hiérarchie administrative.

La Tunisie n’est pas à sa première expérimentation du modèle. Toutefois, ces autorités ont connu un nouvel essor avec la transition et la création de ces cinq entités :

• L’instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique (La Haute instance).

• La commission nationale d’investigation sur la corruption.

• La commission nationale d’investigation sur les abus enregistrés au cours de la période allant du 17 décembre 2010 jusqu’à l’accomplissement de son objet.

• L’instance nationale indépendante pour la réforme du secteur de l’information et de la communication.

• L’instance supérieure indépendante électorale (L’ISIE).

Seules les autorités instigatrices des nouvelles règles du jeu politique retiendront notre attention ; à savoir, la Haute instance et l’ISIE.

a – La Haute instance

Cette instance a été créée avec pour mission de proposer les réformes nécessaires à la transition démocratique. A ce titre, elle est chargée d’étudier les textes législatifs ayant trait à l’organisation politique et de proposer les réformes à même de concrétiser les objectifs de la révolution relatifs au processus démocratique.

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A l’origine, simple commission d’experts dont le choix ne répond pas à des critères préalablement définis, elle s’est transformée en organe politique de délibération, un « mini parlement » par l’effet du décret-loi du 18 février 2011. Elle a connu, ainsi, une nouvelle nature avec la représentation en son sein des partis politiques de l’opposition «  historique  », des représentants de la société civile militante ainsi que des personnalités nationales indépendantes.

La Haute instance a été également mise en mesure d’émettre des avis sur l’activité gouvernementale, en concertation avec le premier ministre. Quoique contestée de l’extérieur sur son acte de naissance qui remonte aux derniers jours de l’ère Ben Ali ainsi que sur les modalités de désignation de ses membres et minée de l’intérieur par les conflits idéologiques avec notamment le retrait d’Ennahdha (parti islamiste au pouvoir), la Haute instance a donné au pays les textes fondateurs de son processus démocratique :

Le décret-loi du 10 mai 2011 relatif à l’élection de l’Assemblée Nationale Constituante où ont été retenus les principes d’un scrutin au suffrage universel, libre, direct et secret, de la parité des candidatures, d’un scrutin de listes à la représentation proportionnelle, de l’inéligibilité de toute personne ayant exercé au sein des gouvernements antérieurs à l’exception de celle dont il a été prouvé qu’elle n’a jamais adhéré au parti du rassemblement constitutionnel démocratique et de toute personne ayant eu des responsabilités au sein de ce parti ainsi que de celle qui a sollicité la candidature du président déchu pour les élections de 2014 (article 15).

Le décret-loi n°87 du 24 septembre 2011 sur les partis politiques qui abroge la loi antérieure de 1988 ; loi liberticide sur la base de laquelle s’est construit l’autoritarisme politique. Ainsi a été supprimé le régime de l’autorisation préalable du ministre de l’intérieur et remplacé par celui de la déclaration auprès du premier ministre (articles 6 à 16).

Compte tenu de l’impact qu’aurait pu avoir cette Haute instance sur la qualité du débat politique et les choix futurs qui auraient pu donner une vision plus claire du processus constituant, des questions restent en suspens quant au rôle effectif joué par cette institution. Il est vrai que le mode désignation de ses membres ainsi que ses prérogatives constituaient une entrave à son bon fonctionnement dans la mesure où le principe de participation faisait défaut.

N’aurait-il pas été plus judicieux de permettre, surtout aux jeunes, les vrais acteurs de la révolution, de participer à la prise de décision au sein de cette instance et de se réconcilier enfin définitivement avec la politique?

b – L’ISIE : l’instance supérieure électorale

Dans la logique du processus transitionnel, il était primordial de retirer du ministère de l’intérieur toute tutelle sur les élections afin d’éviter les dérives du passé. En ce sens, l’ISIE a été conçue comme une véritable autorité publique indépendante, dotée de la personnalité morale et de l’autonomie financière8 en vue de conduire l’opération électorale. Elle était chargée de l’enregistrement des électeurs sur les listes électorales, de la gestion et du contrôle de la recevabilité des candidatures, de l’organisation et du contrôle du contentieux de la compagne électorale, de l’organisation du scrutin, du dépouillement des bulletins et de la compilation des procès-verbaux, de l’annonce des résultats, de l’examen des recours avec validation ou invalidation des listes, ainsi que de la rédaction d’un rapport définitif sur les élections9. A ce stade, on ne peut que noter le manque d’expérience des membres de cette instance. En effet, peu de personnes faisant partie de l’ISIE ont eu une expérience relative à l’organisation et au monitoring des élections.

8 Article 1 et 3 du décret-loi n° 2011-27 du 18 avril 2011 portant création d’une instance supérieure indépendante pour les élections.

9 Article 4 du décret-loi n° 2011-27 du 18 avril 2011.

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Il convient par ailleurs de signaler le déséquilibre entre la Haute instance et l’instance supérieure pour les élections. En effet, il semble paradoxal que l’existence de deux autorités indépendantes autorise l’une d’elles à avoir non seulement un droit de proposition mais également un pouvoir de décision par la nomination des membres de l’ISIE. Il a en effet été retenu que sur proposition de différents organismes ou bien sur la base de listes de candidatures élargies, la Haute instance choisit les trois juges, les trois avocats, l’huissier notaire, les deux experts comptables, les deux professeurs universitaires10  ; ce qui a ouvert la porte à certains « marchandages » politiques dont les effets négatifs se ressentiront, par la suite, sur les différentes étapes du processus électoral.

Quoiqu’il en soit, et malgré les multiples obstacles rencontrés et les dépassements qui ont entaché son action, l’instance supérieure pour les élections est parvenue à réaliser l’objectif pour lequel elle a été créée  ; à savoir, la tenue d’élections libres le 23 octobre 2011, entamant, de ce fait, la deuxième phase de la transition démocratique.

Toutefois, on peut objectivement affirmer que la faible présence du critère de la participation a été un handicap qui ne permet pas, malgré l’organisation des élections, d’affirmer que le processus électoral s’inscrivait dans la logique de la bonne gouvernance. Ce fut peut-être une occasion ratée pour la consolidation des fondements de la démocratie.

Paragraphe 2 : La phase post-constituante de légitimité électoraleLa deuxième phase du processus transitionnel commence avec l’élection, le 23 octobre 2011 d’une Assemblée Nationale Constituante. Cette élection marque l’entrée de la Tunisie dans une nouvelle ère.

En tant qu’émanation directe de la volonté du peuple exprimée par le suffrage universel, l’ANC

10 Article 8 du décret-loi n° 2011-27 du 18 avril 2011.

a constitué un authentique pouvoir constituant. L’article premier du décret-loi portant élection de l’ANC11, dispose, à cet effet, que les membres de la Constituante sont élus au suffrage universel, libre, direct et secret et ce  conformément aux principes de la démocratie, de l’égalité, du pluralisme et de la transparence12.

Ces élections qui ont connu une participation populaire exceptionnelle de 51,9 %, aussi bien en Tunisie qu’à l’étranger, sont les premières à être organisées dans un environnement de liberté totale. Elles ont donné naissance à une Assemblée Constituante plurielle où aucun parti ne détient à lui seul la majorité absolue. En effet, l’ANC ne pouvait être réellement démocratique que si elle reflétait aussi fidèlement que possible la diversité de la société tunisienne et les différentes sensibilités politiques qui la composent. A cette fin, les principales forces politiques du pays se sont mises d’accord sur le choix de l’élection de l’ANC au scrutin de liste proportionnelle et aux plus forts restes. Ce choix était dicté par la volonté de représenter équitablement les forces politiques du pays suivant leur poids respectifs et donnait la possibilité même à des courants politiques minoritaires d’accéder à l’ANC. La mission principale de l’Assemblée Nationale Constituante devrait jeter les bases des nouvelles institutions de l’Etat à travers la rédaction d’une constitution démocratique qui répond aux objectifs de la révolution, notamment la consécration des principes de liberté et de dignité et poser les fondements de l’Etat de droit basé sur la séparation des pouvoirs et le respect des droits fondamentaux de l’Homme.

Le mode de scrutin retenu a été l’objet de débats intenses mais justifiés par l’importance de la décision finale à prendre à propos de la composition future de l’ANC. Le résultat des élections a donné naissance à une Assemblée fonctionnant à l’image d’un parlement avec une majorité et une opposition. Or, cette

11 Décret-loi n° 2011-35 du 10 Mai 2011 relatif à l’élection d’une Assemblée Nationale Constituante.

12 Article 1.

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configuration de l’Assemblée n’est pas tout à fait conforme à l’idée selon laquelle, dans une phase de reconstruction seul le consensus doit prévaloir. La Constitution ne doit pas être à l’image d’une majorité ou d’une opposition ; elle doit, au contraire, exprimer les vœux de tout un peuple qui doit s’y reconnaitre.

Ceci dit, la commission ad hoc chargée de l’organisation provisoire des pouvoirs publics remet, le 2 décembre 2011, le projet final de l’organisation provisoire au président de l’ANC qui le soumet, à son tour, à l’Assemblée Plénière pour débat. Ce texte dénommé « loi constituante » a été qualifié, à juste titre, de « petite constitution ». Il est composé d’un préambule et de 28 articles. Quelles sont les principales caractéristiques de ce texte ?

Il s’agit, comme son nom l’indique, d’une loi « constituante »13.

Elle l’est, d’abord, par son origine, dans la mesure où elle émane d’un pouvoir constituant. Elle l’est, ensuite, par son objet, dans la mesure où elle crée et organise les pouvoirs politiques  ; à savoir le fonctionnement de l’institution du Chef de l’Etat et du chef du gouvernement, d’un côté, et de l’ANC, de l’autre.

Quelles que soient leur forme ou leur valeur, les petites constitutions participent à la détermination d’un droit transitoire matériellement constitutionnel. Elles sont, par conséquent, à l’origine d’un système juridique intermédiaire à la fois provisoire et fondateur qui doit se situer par rapport au système auquel il succède. En effet, antérieurement au moment constituant définitif, existe un ensemble de normes constitutif d’un véritable système juridique, partiellement formalisé certes, mais qui comporte une catégorie de normes provisoires, possédant les mêmes propriétés matérielles qu’une constitution définitive sans en revêtir la forme. Même s’il revêt un caractère provisoire, ce texte sert à combler le vide juridique généré par

13 Loi constituante n° 6-2011 du 16 décembre 2011.

la déconstitutionnalisation du système juridique.

Il s’agit aussi, d’une loi provisoire, donc normalement limitée dans le temps. Sa durée expire avec le vote de la nouvelle constitution. En effet, la plupart des constitutions provisoires sont édictées en vue de l’adoption d’une constitution définitive. Elle comporte une fonction que la doctrine a pu qualifier de pré-constituante consistant à fixer les modalités de production de la constitution définitive. Ces constitutions sont donc à la fois provisoires par leur durée et transitoires du fait qu’elles permettent le passage d’une constitution à une autre.

Cette loi organise les pouvoirs publics. Dans un pays qui se veut démocratique, le but de toute organisation provisoire des pouvoirs publics est d’en modérer l’exercice et d’en limiter les excès. Aussi, l’organisation doit-elle dans cette perspective, veiller à assurer un certain équilibre dans la répartition des compétences entre les différents organes du pouvoir, en l’occurrence entre l’exécutif et le législatif.

Elle comprend, en plus de son préambule 28 articles répartis comme suit : un premier chapitre incluant l’article 2 et énumérant les compétences de l’Assemblée Nationale Constituante ; à savoir la fonction constituante, la fonction législative et le contrôle de l’activité du gouvernement. Un chapitre 2 limité à l’article 3 et décrivant la fonction constituante  ; à savoir les modalités d’adoption de la constitution. Un chapitre 3 relatif au pouvoir législatif (articles 4 à l’article 8). Le chapitre 4 de la loi est consacré, quant à lui, au pouvoir exécutif. Il est divisé en quatre sections ; la première (articles 9 à 14) relative au président de la République, la deuxième (articles 15 à 19) se rapportant au chef du gouvernement, la troisième se limitant à l’article 20 traite des « conflits de compétences ». Quant à la quatrième section du deuxième chapitre, elle est consacrée aux collectivités publiques locales.

D’une façon générale, les compétences de la Constituante se trouvent confrontées à celles

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confiées au pouvoir exécutif et plus précisément au chef du gouvernement au détriment du président de la République.

Le chapitre 5 est réservé au pouvoir judiciaire. En vertu des articles 22 et 23 qui le composent, l’autorité judiciaire exerce ses pouvoirs en toute autonomie  ; En outre, une instance provisoire remplaçant le Conseil Supérieur de la Magistrature et qui exercera sa tutelle sur la justice, sera créée en vertu d’une loi organique qui lui fixera sa composition et ses attributions. Quant au tribunal administratif et la cour des comptes, ils continueront à exercer leurs compétences conformément aux lois et règlements en vigueur.

Le chapitre 7 se rapporte à la justice transitionnelle alors que les chapitres 8 et 9 traitent de la Banque Centrale et des dispositions finales.

Il ne peut échapper à personne que sur le plan quantitatif, l’organisation du pouvoir politique a bénéficié de la part du lion aux dépens de la fonction constituante qui semble être reléguée au second plan. Ceci n’est pas sans rappeler le cas de la petite constitution adoptée, sous forme de décret, par le Bey le 21 septembre 1955 aux lendemains de la conclusion des accords d’autonomie interne mettant fin au régime du protectorat. Ce décret constate, d’abord, que l’organisation antérieure des pouvoirs publics n’est plus conforme avec le nouvel Etat de droit issu du combat pour l’indépendance. Il procède, ensuite, à une nouvelle organisation des pouvoirs publics dans laquelle Habib Bourguiba, le chef du Néo-Destour, est investi, en sa qualité de président du Conseil, de l’ensemble des pouvoirs législatifs et règlementaires nécessaires à la phase de transition devant mener à l’adoption d’une nouvelle constitution.

Quoi qu’il en soit, deux constats se dégagent de la lecture de la loi constituante relative à l’organisation provisoire des pouvoirs publics.

1. Elle fait du gouvernement la figure emblématique du régime politique. Quant

au mandat de l’Assemblée Nationale Constituante, s’il est bien limité dans son objet, il n’en est pas de même en ce qui concerne sa durée.

2. Dans une démocratie, tout mandat doit être limité, et dans son objet, et dans sa durée ; Or, on ne sait pas quand et dans combien de temps cette nouvelle Constitution va naitre. Pourquoi les constituants ont-ils refusé d’inscrire la durée dans la loi sur l’organisation provisoire des pouvoirs publics ? Il aurait été adéquat, à notre avis, de mentionner à titre indicatif cette durée d’environ un an quitte à laisser la porte ouverte à une éventuelle prolongation au cas où les circonstances l’exigeraient.

On pourrait trouver dans l’histoire politique de la Tunisie quelques éléments de réponse. En effet, l’ANC créée pendant la période de l’autonomie interne en vertu d’un décret beylical en date du 29 décembre 1955 s’est réunie pour la première fois le 8 avril 1956 et ses travaux se sont poursuivis jusqu’au premier juin 1959, date de la promulgation de la Constitution. Il s’agit d’une période relativement longue qui s’explique, entre autres, par la situation politique interne du pays caractérisée par une forte présence de l’armée française, de la scission au sein du néo-Destour qui a provoqué des affrontements entre les partisans de Bourguiba et ceux de Salah Ben Youssef, secrétaire général du parti qui contestaient l’acceptation de l’autonomie interne du pays, de la déposition du Bey et la proclamation de la République le 25 juillet 1957.

La lenteur s’explique également par des considérations externes liées au fait que les relations entre la jeune République et la France n’étaient pas clairement définies. Il en est de même pour le régime politique à choisir pour la nouvelle République.

Le travail de l’ANC s’est étalé sur trois années. Mais il convient de rappeler à ce propos qu’elle ne s’est pas exclusivement consacrée à la fonction

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constituante. En effet, tout un Etat était à construire et elle a réservé une grande partie de ses travaux à légiférer afin d’asseoir sur de bonnes bases le nouvel Etat et consacrer ainsi la souveraineté du peuple tunisien et l’indépendance du pays. Par conséquent, la non-limitation de la durée de la constituante de 1956 est compréhensible voire justifiée.

L’actuelle ANC a pour mission essentielle la rédaction de la nouvelle Constitution qui devra consacrer la réforme de l’Etat tunisien déjà existant pour en assurer la pérennité sur des bases démocratiques et des institutions équilibrées. Il ne s’agit point d’une mission de bâtisseur d’un nouvel Etat comme ce fût le cas pour la 1ère ANC. Ce contexte ne semble donc pas justifier une durée prolongée pour aboutir à une nouvelle Constitution même si d’autres opinions estiment que la phase actuelle est aussi exceptionnelle et que le facteur temps ne doit pas “stresser” les constituants. Le constat actuel est que cette assemblée semble s’inscrire dans la durée. Pourtant, deux éléments au moins auraient dû militer en faveur de la limitation de la mission de l’ANC à une année environ :

1. Tout d’abord, un engagement moral pré-électoral en ce sens signé par la plupart des partis représentés à l’assemblée.

2. Ensuite, un autre engagement moral vis-à-vis des électeurs qui se sont présentés le 24 octobre 2011 pour élire une ANC pour la durée d’un an comme indiqué explicitement dans le décret-loi convoquant ces électeurs. Toutefois, on peut considérer que l’élément temps peut ne pas être considéré avec sévérité compte tenu effectivement de la primordialité de la période de transition et surtout à partir du moment où les élus s’attacheront à rédiger une Constitution équilibrée, non partisane et adaptée aux réalités de notre pays et aux aspirations du peuple.

En juin 2013, l’Assemblée Nationale Constituante rend public le troisième projet de Constitution

qui sera débattu en plénière. Ce projet, s’il marque une avancée notable en matière des droits et des libertés, il comporte néanmoins certaines anomalies relatives notamment aux contradictions qui frappent quelques-uns de ses articles concernant le caractère à la fois religieux et civil de l’Etat, le déséquilibre qui persiste entre les deux têtes de l’exécutif au profit du chef du gouvernement, l’absence de mécanismes efficaces de contrôle entre les pouvoirs et l’ambiguïté qui touche le contrôle de la constitutionnalité des lois.

La tenue d’élections et la désignation d’un gouvernement issu de ces élections devaient contribuer à la restauration de l’Etat de droit et à la mise en œuvre des objectifs de la Révolution : vérité, justice transitionnelle et réconciliation, transparence, participation, instauration d’une justice indépendante, instauration de médias indépendants, élaboration d’une constitution démocratique, désignation d’une instance indépendante pour la préparation des nouvelles élections, engagement de réalisations au profit des jeunes au chômage et des régions jusque là marginalisées, etc.

Tout cela devant assurer progressivement une reprise économique, une amélioration des conditions de vie des Tunisiens et un apaisement des tensions. Mais ces tâches apparaissent de plus en plus ardues. Le gouvernement n’arrive pas à prendre en mains les différents rouages de l’Etat. une situation de non-droit et de violence, puisqu’il s’agit maintenant d’une véritable guerre contre le terrorisme, semble caractériser l’étape actuelle.

Les véritables objectifs de la révolution  ; à savoir la dignité, la liberté et l’emploi semblent être relégués à un second plan laissant la place à d’autres problèmes que le peuple tunisien n’a jamais soulevés durant toute son histoire.

En effet, jusqu’aux élections du 23 octobre, le débat autour de la religion était quasiment absent au sein des institutions qui étaient en place. La

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révolution a été menée par des jeunes diplômés chômeurs, de jeunes blogueurs et internautes, qui, par les moyens modernes de communication, ont réussi à mobiliser la rue. Ils ont été encadrés et encouragés par l’UGTT, l’ordre des avocats, l’association des magistrats tunisiens, des partis de gauche, la Ligue tunisienne des Droits de l’Homme et les mouvements féministes. Les seules préoccupations des gouvernants ont été politiques, administratives, de gestion des crises, de mise sur pied d’un arsenal législatif pluraliste, démocratique, conformément aux objectifs de la révolution.

Mais, les élections, ont dégagé une différence capitale entre ce “peuple de la révolution” et “celui des élections” qui a fait confiance au parti Ennahdha. De fait, au bout d’une période relativement courte, du départ de Ben Ali aux élections du 23 octobre, le mouvement a rapidement occupé le devant de la scène et a saisi la position de meneur du jeu de la transition. Le parti islamiste a su mobiliser les électeurs et il a investi la Constituante formant une coalition gouvernementale avec le CPR et Ettakatol mais en gardant pour lui-même les leviers de la décision réelle et une véritable mainmise sur les rouages de l’Etat.

Depuis cette victoire du parti islamiste, la scène publique a vu l’apparition des groupes “salafistes” et l’on assiste, de plus en plus, à une bipolarisation dangereuse de la vie intellectuelle, culturelle et politique dans le pays. Désormais, les Tunisiens vivent le dilemme d’un projet “société islamisée” et celui de ce que l’on a jusqu’ici pris l’habitude d’appeler “l’héritage arabo-musulman”, avec sa tolérance et sa modernité qui unissaient, malgré tout, les Tunisiens sur l’essentiel.

Mais la difficulté, pour Ennahdha, en matière de gouvernance, provient du fait que le parti islamiste doit concilier sa capacité à gérer les affaires politiques sans radicalisme, afin de ne pas inquiéter les chancelleries occidentales, et la satisfaction de sa base électorale très conservatrice. Il cherche, à la fois, à participer

au système politique et à conserver son potentiel mobilisateur et contestataire.

Mais sur les plans économique et social, et malgré les promesses de développement et de lutte contre le chômage faites dans le programme électoral, les islamistes, se heurtant aux réalités de la gestion quotidienne des affaires publiques, trouvent de plus en plus de difficultés à assumer leur rôle de gouvernants ce qui impacte systématiquement sur la qualité de leur gouvernance.

A ce titre, il est intéressant de noter que la surenchère politique va souvent l’emporter sur la nécessité de prendre les décisions adéquates dans les domaines qui influencent directement la vie des tunisiens. Ces modalités de gestion gouvernementale se sont distinguées par la prolifération des questions secondaires notamment à connotation religieuse au détriment des priorités économiques et sociales nationales. Cette approche va créer un sentiment de confusion qui instillera le doute chez les acteurs économiques, seuls capables de relancer les différents secteurs vitaux de développement.

Le débat constitutionnel, au sein de l’ANC, illustre cette situation. La rédaction de la Constitution a pris ainsi du retard à cause de débats articulés autour de points de focalisation tels que le rapport entre la Chariâa et le droit positif notamment avec la nouvelle signification que donne l’article 141 du projet de Constitution à l’article 1er 14 relativement aux droits de la femme, à la liberté de conscience, de penser et d’expression. Ce sont là, en quelque sorte, des “abcès de fixation” autour desquels se fondent aussi bien l’action et le militantisme politique réel que la confrontation théorique, culturelle

14 L’article 1er du projet dispose que : ” La Tunisie est un Etat libre, indépendant et souverain, sa religion est l’islam, sa langue est l’arabe et son régime est la République”. Ces dispositions, qui figuraient éga-lement dans l’article 1er de la Constitution 1959, ont été toujours interprétées dans le sens de la description de la réalité sociologique d’une société à majorité musulmane. L’article 141 du projet, en prévoyant que l’islam est la religion de l’Etat, s’éloigne de cette interprétation ancrée dans l’ordre juridique tunisien et ouvre la possibilité à une nouvelle interprétation qui ferait de la Chariaa la source principale du droit.

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et idéologique. Ces débats, censés relever des convictions personnelles des personnes, ont été un facteur non négligeable de désaffection des tunisiens pour la chose politique. De ce fait, les critères de participation et d’inclusion ont connu un réel recul enlevant ainsi une part certaine de la légitimité des décisions prises dans le cadre de rédaction du projet de Constitution. N’était-il pas plus judicieux, afin d’éviter ce décalage entre les gouvernants et les gouvernés, d’aligner les principes sous-tendant ces questions sur les dispositions énoncées par les pactes des Nations-Unies sur les droits de l’homme ratifiés par la Tunisie et faisant partie intégrante du droit positif ?

En plus de ces questions afférentes au statut religieux ou civil de l’Etat, l’aspect qui a le plus fortement handicapé l’action gouvernementale est, sans conteste, celui de l’émergence de la violence dans la vie politique tunisienne.

Dans toutes les sociétés, seul l’Etat détient le monopole de la violence. D’ailleurs, cette monopolisation de la violence “légitime” selon les termes de Max WEBER est l’un des attributs les plus importants de la souveraineté étatique. L’utilisation de la force doit être seulement exercée par les autorités officielles et habilitées, par le droit à le faire, et ce dans le cadre de l’Etat de droit pour garantir le respect des libertés individuelles et publique et l’intégrité physique et mentale des citoyens. Aujourd’hui, en Tunisie, tel n’est plus le cas : la violence est exercée par des groupes, souvent déstructurés, qui s’érigent en autorité imposant par la force, la menace et la violence des comportements et des normes étrangers aux mœurs et traditions du pays.

La multiplication des trafics de tous genres constitue également un facteur supplémentaire de déstabilisation. L’exacerbation des trafics transfrontaliers de marchandises et, dans une certaine mesure, de stupéfiants et d’armes, en constitue les prémices. Des acteurs incontrôlés ont été ainsi attirés par la fragilité et la précarité économique et sociale de la Tunisie. le chômage, la

jeunesse désœuvrée et la pauvreté deviendront de la sorte le terreau idéal des prédicateurs salafistes appelant à user de la violence pour imposer leur idéologie et tirer bénéfice du désordre ambiant. L’extension spectaculaire du territoire du “non Etat” et la constitution de bandes et de réseaux souvent violents sont dangereuses pour la paix civile, pour la sécurité et pour la confiance non seulement des citoyens, mais des investisseurs à même de donner une nouvelle dynamique à l’économie et à la lutte contre le chômage.

La violence de groupes politisés et radicaux a incontestablement freiné la reprise économique, menaçant le processus de transition et portant atteinte à la primauté du droit et à son règne au sein de la société tunisienne. Cette violence a pris plusieurs formes : agressions d’artistes ; blocage de la faculté de la Manouba ; destruction de bars, de dépôts d’alcool, de maisons closes. L’objectif non avoué de cette vague de violence était pour ces groupes de se substituer à l’Etat pour imposer à la société tunisienne des choix en matière de religion et des pratiques fondées sur leur propre interprétation de la doctrine religieuse dont l’objectif premier est de porter atteinte aux libertés fondamentales des citoyens. L’attaque de l’Ambassade des Etats-Unis et la destruction et le pillage de l’école Américaine, le 14 septembre 2012, a marqué aussi bien l’opinion nationale qu’internationale.

Malgré l’arsenal juridique mis à sa disposition pour appliquer la loi face à ces débordements, le gouvernement, peut être à cause de son attitude permissive vis-à-vis de ces groupements, n’a pas été capable de mobiliser l’opinion publique pour le soutenir ratant ainsi une occasion d’actionner le principe de participation qui aurait dû faciliter l’appropriation par la population tunisienne d’une stratégie de lutte contre la violence. A cette critique, le gouvernement, tout en condamnant cette violence, a mis en exergue l’effet de surprise mais a imputé aussi l’inefficacité de son action à la bureaucratie et à sa non maîtrise des rouages administratifs particulièrement au sein du ministère de l’intérieur.

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Le grand débat public qui a suivi ces événements malheureux n’a pas permis de réunir le consensus nécessaire pour assurer une meilleure gouvernance de la sécurité publique en Tunisie essentiellement à cause de l’absence des critères de participation et d’appropriation de la part des franges les plus actives du peuple à savoir la société civile.

Actuellement et face à l’émergence du phénomène terroriste, les mêmes attitudes et les mêmes réactions se perpétuent privant la Tunisie de la réflexion et de la mise en place d’une stratégie nationale de lutte contre la violence.

Ce climat de non droit, d’impunité et de violence a connu son expression la plus malheureuse avec l’assassinat de Chokri BELAID, le 6 février 2013 et de Mohamed BRAHMI, le 25 juillet 2013.

Cette situation de non droit n’a pas touché seulement les domaines constituant, sécuritaire mais aussi la justice.

Depuis la révolution, La justice tunisienne, s’est retrouvée à la croisée des chemins, ballotée entre les vieux démons des interférences de l’exécutif et ses velléités d’indépendance. Malgré le rôle de plus en plus militant des syndicats de la magistrature, la question de l’indépendance des juges est restée comme une des conditions essentielles à la mise en place d’une justice qui incarne les fondements de l’Etat démocratique. Force est de constater d’ailleurs que le traitement réservé à la délimitation de la place de la justice dans le cadre du processus transitionnel n’a pas été à la hauteur des aspirations des observateurs nationaux et étrangers de la scène politique tunisienne. Aussi bien de la part de l’exécutif qu’à travers les travaux de l’ANC, le pouvoir judiciaire s’est retrouvé l’objet d’interférences et de surenchères attentant au principe de la séparation des pouvoirs et ne respectant pas les paramètres de la bonne gouvernance. Les dernières affaires judiciaires traduisent ce constat et cristallisent la crainte d’une justice sous influence.

A titre d’exemple, le suivi de l’affaire qui a conduit à l’emprisonnement de Sami Fehri, figure connue du paysage médiatique, démontre l’existence d’interférence de la part de l’exécutif. En effet, à la veille de la réunion de la Cour de Cassation afin de statuer sur sa remise en liberté, un nouveau mandat de dépôt a été émis contre lui avec une rapidité qui ne laisse aucun doute quant à l’intervention du ministère de la justice dans cette affaire.

Plus surprenant encore et au moment où l’opinion publique s’attendait à ce que la justice condamne ave rigueur les groupes extrémistes arrêtés en flagrant délit de saccage de l’ambassade américaine, ces derniers s’en sortent avec seulement deux années de prison avec sursis. La réprobation de l’opinion publique qui était unanime n’a pas décidé le ministère public à faire appel de ces jugements.

Une troisième affaire attire également l’attention. Il s’agit de celle du rappeur «  Weld 15 » qui a écopé d’une sanction de deux années fermes de prison pour  une chanson critiquant le corps de la police. Si les paroles insultantes du rappeur doivent être condamnées, est-il recevable d’un point de vue juridique et moral, qu’une justice post-révolutionnaire condamne à la prison ferme un artiste ?

Les trois affaires ci-dessus mentionnées constituent des présomptions quant à l’interférence du politique dans le domaine judiciaire. Ces dysfonctionnements auraient pu être évités si le projet de la justice transitionnelle avait été mis en place ce qui n’est pas le cas à ce jour.

Aujourd’hui, il apparaît de plus en plus urgent de mettre en place les instruments politiques et juridiques garantissant l’indépendance de la justice. Le projet de la Constitution prévoit des dispositions garantissant une réelle indépendance du pouvoir judiciaire car le renforcement des prérogatives du Conseil Supérieur de la Magistrature vers plus d’un pouvoir intrinsèque

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de décision indique qu’une évolution positive dans ce domaine est à envisager.

La primauté de droit ne peut, en effet, être instaurée que grâce à une justice indépendante et à même de constituer un vrai pouvoir de monitoring et d’équilibre institutionnel, de promotion et de protection des droits de la personne.

section ii: le cRitèRe De paRticipationLa participation a pour fondement l’inclusion de tous les acteurs de la société dans le processus de prise de décision directement ou par l’intermédiaire d’institutions légitimes qui représentent leurs intérêts. Une participation aussi large est fondée sur la liberté d’expression et la liberté d’association. Le principe de participation reste étroitement lié au concept de la démocratie participative.

La démocratie participative se distingue par l’ensemble des dispositifs et des procédures qui permettent d’accroître l’implication des citoyens dans la prise de la décision publique. Elle comble les lacunes de la démocratie représentative. La doctrine constitutionnelle n’a pas hésité à toujours souligner les insuffisances du régime représentatif et ses limites, particulièrement la méfiance qu’il peut installer entre les électeurs et les élus. En effet, le décalage qui apparait souvent entre les promesses des politiciens et leur comportement, quand ils sont au pouvoir peut être la cause d’un sentiment d’incompréhension voire de rejet du citoyen pour le politicien.

Le grand dilemme de la vie politique consiste à concilier entre démocratie participative et gouvernement de la majorité. Par rapport à la démocratie représentative et à la démocratie directe15, la démocratie participative se présente comme un système mixte dans lequel le peuple délègue son pouvoir à des représentants qui proposent et votent des lois, mais conserve

15 www.toupie.org / Dictionnaire / Democratie_directe.htm

le pouvoir de se saisir lui-même de certaines questions par le biais d’une véritable implication dans la vie publique.

La démocratie participative ne constitue pas seulement une exigence de la bonne gouvernance et une condition d’efficacité des pouvoirs publics. Elle est surtout un cadre approprié pour la consécration des principes d’équité et d’égalité des chances en permettant à chaque individu de faire entendre sa voix, exprimer ses besoins et participer à la prise de décision.

Elle peut également servir, particulièrement au niveau local, comme un levier de mise en œuvre de la politique de proximité et un moyen d’incitation des populations à la participation à l’action collective de développement et à la gestion de la chose publique. La démocratie participative est, par ailleurs, un facteur de la cohésion sociale. L’implication de la population lui octroi, en effet, un sentiment réel d’appropriation et lui permet de participer à la création de la richesse et à l’accès aux ressources nationales, ce qui permet, finalement, de renforcer le lien social et de développer la culture de solidarité et du vivre ensemble.

A ce stade, une question s’impose: le processus constitutionnel tunisien a-t-il pris en considération ce principe de participation?

Le processus constitutionnel tunisien a tiré sa force au départ grâce à la large participation citoyenne. Or de plus en plus, on est en droit de constater que l’implication et l’intérêt même porté par les tunisiens à la phase de rédaction de la Constitution ont faibli.

Cette nouvelle situation a été créée à cause du constat unanime du peu d’intérêt suscité par les débats au sein de l’ANC où les constituants ont fait preuve d’un manque de maîtrise des sujets soumis à leur examen16. En plus, le fort

16 Les débats de l’ANC ont été souvent houleux avec de suspen-sions de séances et des retards importants dans le traitement de

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absentéisme qui a caractérisé le déroulement des travaux de l’ANC a été un facteur de déception pour l’opinion publique17. Si l’on rajoute à cela la nette tendance de l’ANC à privilégier le traitement de questions législatives ayant trait au fonctionnement quotidien du gouvernement au détriment de son rôle premier de rédaction de la Constitution, on peut comprendre la désaffection et le désintérêt portés par le peuple tunisien vis-à-vis de l’ANC18.

Un autre phénomène a été constaté également c’est celui du non recours à l’expertise nationale dans le domaine constitutionnel ainsi que le peu d’intérêt porté au rôle essentiel qu’aurait pu jouer la société civile au cours de cette phase importante de la vie politique tunisienne. En effet, et malgré un encadrement des ONG tunisiennes par des experts de la société civile internationale et l’apport pertinent des différentes conférences organisées afin d’améliorer et d’enrichir le projet de Constitution, les constituants, se fondant souvent sur leur légitimité électorale, ont opté pour ne pas prendre en considération les propositions de la société civile.

Cette prise de position vis-à-vis de la société civile a également été celle du gouvernement de la Troïka. En effet, S’appuyant uniquement sur sa

questions essentielles pour le fonctionnement du gouvernement telles que la discussion et l’adoption du budget de l’Etat.

17 A titre d’exemple, l’Association « Al Bawsala » a publié son rapport sur les activités de l’ANC durant la période du 17 janvier au 25 février 2013. Selon ce rapport, durant cette période, l’ANC a tenu 22 séances plénières pour l’examen et la discussion de loi se rapportant à la création de l’ISIE. La moyenne des présences est de 90 élus par séance. Le plus grand nombre de présences est de 123 élus, 3 séances ont été marquées par la présence de moins de 50 élus dont une séance avec moins de 40 députés. La moyenne des présences est de 41% le plus grand taux de présence étant de 44% seulement. Pour plus de détails Cf. http://tuniscope.com/index.php/article/22363/actualites/politique/ministres-deputes-absents-034416#.UnRk--KLJSY

18 Déjà en octobre 20121, SIGMA Conseil, en collaboration avec le journal Le Maghreb, a publié son Baromètre politique. 70% des tunisiens n’ont pas confiance dans les institutions partisanes, 60% des sondés confirment ne plus croire en l’ANC, et estiment que cette dernière n’est pas prête de prendre en considération leurs revendications. Tandis que 55 % déclarent ne pas faire confiance au gouvernement actuel, surtout concernant les solutions qui se rapportent à la hausse des prix. Pour plus de détails, voir le numéro du quotidien Le Maghreb du 09 octobre 2012.

légitimité électorale, et ne prenant pas en compte les spécificités et les exigences de la période transitoire, le gouvernement n’a pas jugé utile de recourir à l’apport de la société civile excluant de facto le principe de la participation d’un acteur important du nouveau paysage démocratique tunisien.

Cette position d’indifférence du gouvernement s’est accentuée au point de déboucher sur les incidents de Siliana au cours desquels, des citoyens qui manifestaient, pacifiquement en faveur de la prise en compte des revendications de leur région, ont été réprimés notamment par le recours à la chevrotine ce qui a eu un effet négatif pour l’image du gouvernement qui, dans ce cas aussi, a refusé le principe de la participation populaire pour décider de l’avenir du développement régional.

En plus de cela, les nouvelles nominations opérées par le gouvernement de la Troïka au niveau de toutes les structures administratives (centrales, régionales, locales) ont eu pour critère, souvent, l’appartenance partisane voire familiale19 et n’ont pas été fondées sur le critère de la compétence.

Au niveau régional, la nomination des gouverneurs s’est faite également sur une base partisane ce qui a créé des mouvements de contestation dont certains ont abouti à l’éviction, par la population, du gouverneur désigné par le gouvernement20.

De même et avec le soutien des nouveaux gouverneurs qui disposent d’un pouvoir de désignation au niveau local, le parti Ennahdha a essayé d’influencer les nominations des membres des délégations spéciales prévues par la loi organique des communes pour remplacer provisoirement les conseils municipaux. Les changements ainsi effectués, peu représentatifs

19 L’exemple le plus frappant est la nomination du gendre du chef du mouvement Ennahdha au poste du ministre des affaires étrangères.

20 Il en est ainsi de l’éviction populaire du gouverneur de Kebili M. Salah SEBAI en mai 2012.

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des sensibilités politiques locales, vont créer un déséquilibre au sein de ces nouvelles entités au détriment d’une large représentativité des citoyens dans les instances de la gestion de leurs affaires municipales. Une occasion exceptionnelle de favoriser une participation équitable des citoyens dans la prise de décision au niveau communal a été ainsi ratée.

Il n’est donc pas inexact de constater que les gouvernements de transition n’ont pas joué la carte de la démocratie locale et ont gardé les mêmes comportements et les mêmes traditions de centralisation même quand il s’est agit de décisions prises au niveau régional ou local. Le critère de la participation nous paraît être primordial dans la construction de toute société démocratique car la bonne gouvernance se construit d’abord grâce à la gouvernance locale. Certes, le projet de Constitution a marqué une évolution en favorisant une plus grande indépendance des collectivités locales, toutefois, c’est dans la mise en œuvre de cette nouvelle approche de gestion des affaires publiques qu’il faudra être vigilant pour concrétiser les bonnes pratiques d’une vraie démocratie locale.

Il est à remarquer, à ce titre, que L’ANC, dans un souci d’élargir la participation, a lancé un appel à la société civile pour donner différents points de vue concernant la Constitution. Elle a reçu, à cet effet, un certain nombre d’experts indépendants, d’associations et de représentants de la société civile, d’académiciens et même de politiciens nationaux et étrangers. Ces derniers ont tous formulé des avant-projets, des propositions et même des critiques. Malheureusement, l’intervention du politique n’a pas permis à ce processus de concertation et de participation d’aboutir à une véritable prise en considération des propositions qui ont été faites vidant de son sens ainsi cette alternative louable.

Toutefois, force est de constater qu’une véritable synergie s’est enclenchée lors des débats autour de l’article 1er de la Constitution. une crise sociopolitique grave a mis face à face les thèses

d’Ennahdha et celles du reste des sensibilités politiques représentées. L’inclusion de la Chariâa en tant que source suprême du droit n’a pas été acceptée par une partie non négligeable de l’opinion publique tunisienne. Grâce aux manifestations et aux mouvements populaires dans les deux camps, un consensus a émergé entre les constituants et la société civile. Les médias ont joué également un rôle déterminant en mettant en exergue les opinions divergentes des différents protagonistes et la raison l’a emporté puisque les termes retenus ont été unanimement acceptés même si l’article 141 du projet de Constitution met la religion en tant que limite aux pouvoirs des constituants dérivés. Malgré les défaillances citées, le processus constituant tunisien a vu des formes de participation qu’il est intéressant de citer ici. A ce titre, il nous parait intéressant de rappeler que l’ANC s’est tournée vers l’opinion publique et la société civile pour une question importante pour la réussite de la période de transition à savoir la question de la justice transitionnelle.

En effet, sous l’égide du ministère des droits de l’homme et de la justice transitionnelle, un dialogue national s’est tenu et a vu la participation des organisations non gouvernementales, des associations et des partis politiques qui ont pris une part active à l’élaboration de la loi sur la justice transitionnelle. Une participation qui n’est pas au-dessus de toute critique, mais qui demeure un pas positif en vue du renforcement l’établissement de la démocratie participative.

Aujourd’hui, on assiste à la plus grande des crises politiques que le pays a connues depuis 14 janvier, à cause de la négligence de la démocratie participative.

Depuis plusieurs semaines en effet, une crise politique mine tout le processus et exacerbe les tensions entre les différentes parties. Cette crise qui a commencé par des sit-in et des manifestations menés par des constituants ainsi que par des milliers de citoyens au BARDO devant le siège de l’ANC demandant le départ du

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gouvernement et la dissolution de la Constituante, a fort heureusement abouti aujourd’hui à un dialogue national dont on espère des retombées positives pour la construction du nouvel édifice démocratique tunisien.

Cette situation de blocage démontre l’importance et l’utilité du respect de l’avis du citoyen dans les affaires publiques. Elle prouve aussi la fragilité de l’argument de la légitimité électorale qui ne doit pas en réalité être perçu comme un mandat sans limites donné aux élus surtout dans une période aussi délicate qu’une transition démocratique.

section iii: le cRitèRe De tRanspaRenceLa transparence est fondée sur la libre circulation de l’information. Les personnes concernées peuvent directement avoir accès aux processus et aux institutions et l’information accessible est suffisante pour comprendre et assurer le suivi des questions.

La transparence implique d’informer le public sur l’action du gouvernement qui devient redevable devant les citoyens responsabilisés et ainsi associés à l’exercice du pouvoir politique.

Les Révolutionnaires français l’avaient déjà compris quand ils ont inscrit ce principe dans l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Les révolutionnaires américains partageaient les mêmes idées. En 1822, James Madison relevait dans une lettre à William T. Barry, alors lieutenant-gouverneur du Kentucky : « Un gouvernement populaire sans information populaire, ou doté des moyens de l’acquérir, n’est que le prélude à une farce ou à une tragédie, ou peut-être les deux. Le savoir gouvernera toujours l’ignorance. Et un peuple qui entend rester son propre maître, doit s’armer du pouvoir que donne le savoir »21. Ainsi, si le

21 Cf. cette lettre sur http://press-pubs.uchicago.edu/founders/documents/v1ch18s35.html

fondement du principe de transparence est la citoyenneté, la transparence ne saurait être un choix pour les gouvernants mais une obligation. Elle signifie, en effet, que le citoyen a droit à une observation de l’administration dans la mesure où il peut faire valoir sa propre vision dans la gestion des affaires publiques.

Quand les citoyens sont des partenaires de l’administration, ils participent ainsi à la définition et à la poursuite des objectifs gouvernementaux. La transparence n’est donc pas une fin en soi, elle est un moyen avec la participation et la collaboration de parvenir à un « gouvernement ouvert » aux citoyens (open government).

Peut-on dire alors que le processus constituant tunisien a respecté le principe de transparence?

Après la chute de l’ancien régime, on peut remarquer que les trois gouvernements de transition ont essayé de s’ouvrir à l’opinion publique avec les conférences de presse organisées régulièrement par le chef du gouvernement.

Ces conférences de presse mettaient en relief la politique gouvernementale conduite dans les divers domaines et permettaient aux citoyens de garder un œil de regard sur les choix opérés par l’équipe gouvernementale.

Cependant, la politique du gouvernement de la Troïka en matière des nominations a été toujours une politique allant à l’encontre des exigences de la transparence. En effet, les nominations au sein des institutions et des entreprises publiques étaient fondées non pas sur la compétence et la concurrence mais purement et uniquement sur l’appartenance partisane ou même familiale.

Selon les chiffres et les statistiques avancées par l’Union Tunisienne du Service Public et de la Neutralité de l’Administration (UTSPNA), 90 % des nominations dans le secteur public depuis le mois de décembre 2011 et jusqu’au mois de février 2013 ont été faites par le gouvernement

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sur la base d’orientations partisanes, régionales ou familiales.

Selon la même source, 87% des nominations dans le secteur public ont été faites pour des membres de la Troïka (Ennahdha, CPR et Ettakatol) dont 93% ont été en faveur des partisans d’Ennahdha.

L’UTSPNA a révélé aussi que sur 212 nominations dans l’administration publique, 114 ont été publiées dans le JORT (Journal Officiel de la République Tunisienne), par contre 98 ne l’ont pas été ce qui constitue une violation des règles de la publicité qui constitue un des fondements du droit administratif tunisien.22

L’inventaire des numéros du JORT de l’année 2012 montre que seulement une trentaine de nominations avec soit le rang de ministre, soit le rang de secrétaire d’Etat ont été faites. On en dégage également des nominations non pas été publiées dans le JORT, ou encore publiées avec beaucoup de retard et même avec des erreurs:

•9 nominations avec rang de ministre, dont:

– 4 réalisées par la présidence dont 2 ont quitté leur fonction

– 5 réalisées par le premier ministère, dont 2 pour des conseillers et 2 qui concernaient un même poste ‘Chef de Cabinet’ pour lequel se sont succédé deux personnes.

•20 nominations avec rang de secrétaire d’Etat dont :

– 8 concernant des conseillers (7 au premier ministère et 1 à la présidence)

– une qui n’a pas été retrouvée au JORT, il s’agit de celle de Samir Ben Amor, conseiller à la présidence.

22 http://www.businessnews.com.tn/details_article.php?t=519&a=39508&temp=3&lang

– la dernière publiée au JORT concernant le directeur de cabinet du Président de l’ANC et dont la date d’effet remonte au 08/12/2011, Soit une publication au JORT avec près d’un an de retard !

En outre, il est intéressant de noter que près de la moitié de ces nominations concernaient des conseillers avec des rangs et des privilèges différents sans qu’aucune explication ne soit fournie, personnalisant ainsi encore plus le pouvoir d’octroyer des prébendes publiques. Ainsi Hamadi Jebali, chef du gouvernement, sur les 10 conseillers qu’il a nommés, n’avait octroyé le rang de ministre qu’à deux d’entre eux. Le reste des conseillers ont obtenu le rang de secrétaires d’Etat. L’opacité adoptée pour les nominations gouvernementales peut être considérée comme une brèche dans l’application du principe de la transparence, un des piliers de la bonne gouvernance.

Toutefois, aucun observateur ne peut nier que, dans d’autres domaines notamment, lors de la sélection des membres de l’instance supérieure indépendante pour les élections, le principe de la transparence a été respecté. En effet, Le tri des candidatures a été soumis à une grille de sélection préalablement adoptée et publiée. Tout le processus a été ouvert au contrôle et à l’observation des citoyens et des médias. la diffusion des auditions sur la télévision nationale et la publication simultanée des résultats, en partie assurée par les ONG présentes sur place (le Centre Carter et Bawsala …) sont autant d’éléments qui témoignent de la volonté, voire de la nécessité ressentie par les responsables d’avoir une approbation, tant à l’amont qu’à l’aval et ce malgré certaines carences et mauvaises applications sanctionnées par un sursis à exécution prononcé par le tribunal administratif qui a gelé tout le processus et l’a remis à plat. Ce non aboutissement ne peut occulter la volonté de transparence qui a animé les responsables du processus de sélection. Ainsi, malgré l’échec de cette initiative, on peut considérer qu’une volonté réelle de transparence sous-tendait le processus de sélection des membres futurs de l’ISIE.

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Bien que se limitant seulement au domaine des nominations, par ailleurs très important pour la bonne gestion des affaires publiques, la vérification du critère de transparence doit être considérée comme un préalable à tout monitoring de l’action gouvernementale car elle garantit l’équité et l’égalité de tous les citoyens pour l’accès aux postes de responsabilité. Il ne peut, en effet, être envisageable d’exiger la reddition de comptes de la part de responsables qui doivent leurs postes à leur allégeance politique sans que pour cela un processus de contrôle voire de sanction, ne soit prévu pour limiter toute sorte d’excès de pouvoir.

Ce dispositif de monitoring ne pourra être efficace que si le critère de la transparence fait partie intégrante d’une approche de gestion des affaires publiques respectant les paramètres de la bonne gouvernance et ce dans le cadre d’un processus de consensus national qui ne se limite pas d’ailleurs aux aspects de la gouvernance politique mais doit nécessairement englober les questions économiques et financières.

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chapitRe ii: la GouveRnance économique

et financièRe en tunisie

Aujourd’hui, dans une Tunisie en pleine mutation politique, juridique, économique et sociale, les règles de bonne gouvernance et de transparence doivent être renforcées à tous les niveaux et érigées en tant que valeurs cardinales imprégnant l’esprit et le comportement des citoyens au quotidien. Il est, par ailleurs, recommandé que la nouvelle constitution en cours de finalisation, mentionne et garantisse leur mise en pratique dans tous les domaines.

Ce chapitre traitera du volet économique et mettra en exergue, à partir d’une approche gouvernance, les problématiques observées aujourd’hui sur le terrain et qui ont tendance à constituer des entraves à la relance économique et même à la construction démocratique.

Il faut remarquer, de prime abord, que depuis longtemps en Tunisie, la gouvernance souffre de plusieurs lacunes notamment dans les domaines économique et financier23.

Des lois ont été adoptées (notamment la loi sur la sécurité financière votée en 2005) et des recommandations faites de la part de plusieurs institutions de régulations afin de remédier à cette situation. Cependant au niveau pratique, nous sommes loin du minimum requis en termes de normes et de standards appliqués! Des défaillances sont constatées notamment dans le fonctionnement des instances de surveillance et de régulation au sein de l’Etat, mais surtout en ce qui a trait aux questions d’éthique et de transparence. Les conflits d’intérêts, la non fiabilité des comptes-rendus, la gestion partisane, le manque de séparation des pouvoirs, les confusions de rôles, l’irresponsabilité de certains acteurs et les complaisances constatées dans les

23 Voir les rapports du FMI, de la Banque Mondiale, de la BAD et de l’OCDE de 2000 jusqu’à 2011.

dossiers, nous donnent une première idée sur l’ampleur des dégâts relevés dans la pratique.

section i : l’état De la GouveRnance économique et financièRe en tunisieDans une Tunisie post-révolution, aspirant à une vie politique, sociale et économique dont le maître mot, serait la bonne gouvernance, nous vivons une phase de transition pleine d’enjeux et de défis, mais aussi une phase semée d’obstacles et d’ambigüité où la construction démocratique n’est pas aisée et nécessite une vigilance accrue de la part des différentes parties prenantes, notamment de la société civile, des associations et autres organisations non gouvernementales.,

Sur le plan économique et social, le déclenchement de la révolte des jeunes à Sidi Bouzid en décembre 2010, a révélé au grand jour le déficit de gouvernance qui caractérise l’économie tunisienne. En effet, la Tunisie a payé lourdement la facture de la mauvaise gouvernance. Une corruption qui a gangréné l’administration et a creusé les inégalités sociales et régionales. Une dégradation du climat des affaires qui a alimenté les fuites de capitaux et a découragé l’investissement étranger24. Des conseils d’administration d’entreprises publiques gérés de façon autocratique, ouvrant la porte à toute sorte de dérapage. Des banques dont les actifs sont criblés de créances non performantes et qui trainent à adopter les exigences de transparence de Bâle 2, alors que l’heure de Bâle 3 a déjà sonné. Un marché financier miné par les délits d’initiés. Bref, un déficit de gouvernance qui a impacté négativement le développement économique en Tunisie et qui a contribué à faire

24 Se référer aux rapports de Transparency International de 2009, 2010 et 2011.

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perdre 2 points de croissance annuelle25.

Paragraphe 1 : Les éléments de la bonne gouvernance économiqueAvec le déclenchement de la révolution du 14 janvier 2011, nous avons estimé que le moment était donc historiquement favorable pour construire, créer, et adopter les nouvelles bases de construction, d’organisation et de régulation pour de la Nouvelle économie tunisienne. Evidemment, cela devra transiter nécessairement par l’introduction des normes de bonne gouvernance à tous les niveaux :

Au niveau des administrations  : la bonne gouvernance est une condition indispensable pour générer un véritable contrat social et une confiance entre administrateurs et administrés, garants de l’assainissement des finances publiques et du climat des affaires pour les investisseurs nationaux et étrangers et de l’équité au niveau de la gestion du marché de l’emploi.

Au niveau du secteur financier  : l’adoption des exigences prudentielles en matière de fonctionnement et de transparence, contribuera à améliorer la qualité des actifs bancaires et des services financiers et à assurer l’efficience du marché financier.

Au niveau des entreprises  : une séparation des fonctions de contrôle et de gestion, un fonctionnement efficient des différents organes sociaux et un statut d’Administrateur indépendant conforme aux normes internationales26, sont autant de gages de transparence et d’une bonne gouvernance créatrice de richesse.

25 www.lemonde.fr/economie/article/2011/12/12/les-islamistes-jouent-leur-credibilite-sur-l-enjeu-economique_1617293_3234.html

26 L’Administrateur indépendant est un administrateur libre de conflits d’intérêts qui n’a aucune participation significative et aucune fonction salariale ou managériale au sein de l’entreprise où il siège. Les Administrateurs indépendants sont considérés aujourd’hui dans les pays développés et les grandes institutions, comme étant des acteurs de premier plan en matière de gouver-nance, apportant compétence, diligence et intégrité aux Conseils d’administration.

Certes, l’établissement d’un Etat de droit serait nécessaire pour tarir les sources de clientélisme, de népotisme, d’abus de pouvoir et de trafic d’influence. .Mais, l’ancrage de la culture de la bonne gouvernance dans le tissu économique tunisien s’avère déterminant pour permettre à nos entreprises et banques de rattraper les standards internationaux de performance et de qualité des services. Les agences de notation internationales nous scrutent. La bonne gouvernance est loin d’être un simple effet de mode. Nous devons la mesurer (critères financiers et extra-financiers, governance ratings) et la définir très objectivement en intégrant nos spécificités tunisiennes.

Qu’en est-il aujourd’hui sur le terrain de toutes ces exigences, de tous ces préalables  ? La gouvernance a-t-elle bien avancé en Tunisie ? Au niveau économique et financier, y a-t-il plus de transparence, plus d’efficience, plus d’éthique  ? Quelles sont les mesures qui sont prises et quels sont les obstacles qui demeurent ? Quel constat et quel bilan peut-on tirer aujourd’hui après plus de 30 mois de la révolution tunisienne ?

La Tunisie souffre actuellement (octobre 2013) d’un abus de pouvoir et d’un ensemble de malversations qui touchent différents secteurs d’activités de l’économie nationale. La banque et la finance sont prioritairement concernées et leur gouvernance est défaillante du moins dans un certain nombre de structures  : Conseils d’administration très mal composés, dysfonctionnement des Comités d’audit, absence de systèmes de reporting fiables, gestion des risques défaillante, mauvaise répartition des tâches, centralisation du pouvoir, défaillance de la gouvernance opérationnelle, communication financière et comptable en manque de fiabilité et de pertinence…Tous ces éléments font en sorte que nos banques, notamment publiques, commencent à perdre la confiance de leurs clients, de leurs salariés et de l’ensemble même de leurs parties prenantes.

Le secteur des transports est tout particulièrement touché par cette vague de mauvaise gouvernance

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dans nos entreprises publiques. Des PDG trop autoritaires concentrant beaucoup de pouvoir ces dernières années, ont détruit de la valeur dans leurs entreprises respectives à travers notamment, des stratégies hasardeuses dont les intérêts recherchés se recoupent souvent avec les intérêts des clans mafieux qui ont sévit dans notre pays.

Mais avant d’aborder les problématiques d’ordre micro-économique, essayons d’établir un bilan au niveau macro-économique et de relever les principaux indicateurs à ce niveau.

Paragraphe 2 : La situation économique actuelle en TunisieLa situation économique de la Tunisie reste tendue aujourd’hui et les marges de manœuvres deviennent de plus en plus réduites, avec un déficit courant qui pointe à 7.4 % pour 2013, une croissance négative durant 2011 corrigée à - 2.2 % et relativement faible en 2012 et en 2013 évaluée à une moyenne de 3 % au plus, avec une accentuation de la baisse de l’activité, avec la poursuite des pressions sur la balance des paiements avec le maintien du déficit courant à un niveau élevé, au cours des huit premiers mois de l’année 2013, soit 5,4% du PIB contre 5,7% une année auparavant et ce, en raison du creusement du déficit du commerce extérieur.27

Globalement, pour l’année 2013, les résultats liminaires enregistrés dénotent d’un essoufflement de l’activité économique avec une baisse de la demande intérieure, impactant le rythme des exportations et entrainant une balance commerciale déficitaire pour septembre 2013 à hauteur de 8 milliards de dinars, Dans la même veine, le rythme des exportations a notamment baissé au niveau du secteur des industries mécaniques et électriques, ainsi que des industries du textile, habillement, cuirs et chaussures.

27 Communiqué du Conseil d’administration de la Banque Cen-trale de Tunisie (BCT) réuni le 25 septembre 2013.

Par ailleurs, nous constatons la poursuite de la baisse des investissements directs étrangers (-0,7% au cours des huit premiers mois de 2013),   le repli de l’excédent de la balance des opérations en capital et financières d’environ 790 MDT, la persistance des pressions sur le taux de change du dinar, en relation avec l’évolution des indicateurs économiques et financiers, enregistrant une baisse de 7,7%, depuis le début de l’année et jusqu’au 20 septembre 2013, vis-à-vis de l’euro et de 5,4% par rapport au dollar américain. A noter, le maintien, à des niveaux élevés, des besoins des banques en liquidité, au cours du mois de septembre 2013 et pour le cinquième mois consécutif, ce qui a amené la BCT à poursuivre l’octroi de facilités au secteur bancaire au titre du refinancement, afin de réguler la liquidité du marché monétaire au vu de l’évolution de ses facteurs déterminants objectifs. Rappelons  également, la poursuite du ralentissement du rythme des dépôts auprès du système bancaire, au cours des huit premiers mois de l’année en cours (hausse de l’encours de 3,7% contre 5% au cours de la même période de 2012), surtout les dépôts à vue et les comptes d’épargne ;

Ces éléments et d’autres ont impacté la balance générale des paiements qui souffre de   la poursuite des pressions subies, avec le maintien du déficit courant à un niveau élevé, au cours des huit premiers mois de l’année en cours, soit 5,4% du PIB contre 5,7% une année auparavant et ce, en raison du creusement du déficit du commerce extérieur;

A noter également, le maintien des avoirs nets en devises à un niveau acceptable, atteignant 11.291 MDT ou l’équivalent de 103 jours d’importation à la date du 25 septembre 2013 contre 9.983 MDT et 98 jours, à la même date de l’année dernière qui ont atteint, les 9.200 MDT ou 96 jours d’importation contre 145 jours au mois de janvier 2011.

Concernant l’inflation, elle demeure à des niveaux élevés, soit 6,4% et 5 % hors produits

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alimentaires frais. Cependant, l’élément le plus préoccupant reste la crise des liquidités que traverse la Tunisie en ce moment. Ainsi on note une baisse des dépôts à terme de 7,2%, comparée à la même période de l’année 2012.

La BCT a dû donc intervenir sur le marché monétaire en injectant une enveloppe quotidienne moyenne de 3,4 milliards de dinars depuis une année.

Le taux d’intérêt moyen a connu une hausse pour s’établir à 3,73% depuis le début du mois d’avril courant contre 3,48% pour le mois de mars et 3,42% en février.

L’un des indicateurs les plus alarmants également est la valeur du dinar tunisien qui est donné à 2.3 par rapport à l’euro et 1.7 par rapport au dollar d’ici fin 2013.

section ii: pouR une nécessaiRe cohésion Des Décisions économiques et une meilleuRe Gestion Des DossieRs post-Révolution Ces éléments impacteront certainement le niveau des investissements qui ne peuvent être «  boostés  » que par des taux d’intérêt plus favorables, une stabilité politique au RDV, un climat sécuritaire plus serein et des infrastructures améliorées. Plus structurellement et au niveau macroéconomique, la réflexion est plus profonde et l’analyse doit prendre en compte un ensemble de paramètres qui rentrent en jeu dans l’optimisation de la décision politique à ce niveau. En effet, aujourd’hui, il peut s’avérer évident qu’une politique de rigueur ou d’austérité serait la solution unique pour « sauver les meubles » et amorcer un nouveau départ. Cette politique qui prône la hausse de la fiscalité et la baisse des dépenses publiques dans l’objectif de réduire le déficit, se justifierait en ce moment en Tunisie, par l’enregistrement d’un déficit courant en forte hausse et qui a atteint 6%, ainsi que par l’inflation rampante qui nuit au pouvoir d’achat,

notamment celui de la classe moyenne, véritable levier de l’économie tunisienne. Notons que dans le cadre de cette politique et afin de maîtriser l’inflation, le gouvernement serait amener à tenter d’encadrer les salaires et d’éviter les mouvements de hausse à ce niveau, ce qui risque de porter un coup de plus au pouvoir d’achat des citoyens, surtout que de l’autre côté, il faut s’attendre à des hausses au niveau de l’imposition des salaires et une augmentation des taxes. A la différence d’une politique de relance, où les salaires seraient révisés à la hausse avec des risques de provocation d’une sous-performance des entreprises, impactant in fine la création d’emploi, outre le fait que les hausses de salaires peuvent également provoquer une hausse générale des prix et ainsi engendrer un cercle vicieux.

Le mérite d’une politique de rigueur se situerait essentiellement sur le moyen et long terme, à travers la restauration des comptes publics et de la balance des paiements, favorisant ainsi la confiance dans l’économie, la stabilité du taux de change, et augmentant l’investissement et les flux d’IDE (entrée de capitaux étrangers). À terme, la compétitivité économique est améliorée ce qui, par suite, augmentera le nombre d’emplois dans l’économie (en particulier dans le secteur privé). Mais les questions qui se posent aujourd’hui, sont celles de savoir si les Tunisiens seront prêts ou non aux sacrifices à court terme ? Accepteront-ils des baisses salariales? Par ailleurs, aujourd’hui, les attentes des opérateurs se concentrent plutôt sur la relance qui doit se produire au plus vite et la reprise des activités qui doit être perceptible dès le premier semestre 2014.

Sur un autre plan, des problèmes de gouvernance surgissent en Tunisie également dans certaines institutions, considérées comme incontournables en termes de gouvernance publique.

Paragraphe 1 : Le rôle de la Banque Centrale de Tunisie (BCT) Ainsi, la Banque Centrale de Tunisie (BCT) qui constitue en elle-même un organe de gouvernance

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économique et financière, cumulant les fonctions d’institution d’émission mais aussi de régulation du système bancaire et de la vie économique et financière,  souffre elle-même de quelques problèmes de gouvernance notamment dans les conflits d’intérêts qui caractérisent la composition de son Conseil d’administration, mais aussi dans son fonctionnement, sa communication et ses relations avec les autorités gouvernementales ! La BCT ne doit-elle pas faire évoluer ses statuts datant des années 60 ? Ne doit-elle pas faire évoluer ses prérogatives et renforcer son autonomie pour garantir plus d’impartialité et de compétence dans ses prises de décisions ? A-t-elle assez de leviers aujourd’hui pour pouvoir recadrer les politiques économiques du gouvernement vers plus de respect et de conformité aux fondamentaux et aux équilibres vitaux de la Tunisie ?

Il est urgent à notre avis de réformer cet organe vital de la gouvernance économique et financière en Tunisie, en lui donnant toutes les conditions propices afin de bien exercer ses missions. Ainsi, nous suggérons d’abord que les dirigeants de la BCT, notamment le gouverneur et le vice-gouverneur soient élus par un collège d’administrateurs représentant les parties prenantes ayant des intérêts et des liens profonds avec la BCT. Ces mêmes administrateurs doivent élus dans une Assemblée Générale élective qui serait l’organe suprême de la gouvernance de la BCT.

Par ailleurs, il est important que le Conseil d’administration de la BCT soit l’organe de surveillance et de contrôle et qu’il puisse être composé de compétences et d’administrateurs indépendants, qui puissent planifier les politiques monétaires de l’Etat en conformité avec les objectifs et les obligations en matière de préservation des fondamentaux et des équilibres vitaux de la nation. Le gouverneur avec l’aide de son équipe opérationnelle, sera chargé de veiller à l’adoption et à la mise en œuvre de cette politique monétaire sous la supervision du Conseil d’administration.

Au niveau de la communication, la BCT doit être tenue d’assurer une communication fluide et régulière, mais surtout fiable et transparente, donnant aux différents opérateurs économiques, une idée claire et non « tronquée » ou «politisée » sur les comptes de l’Etat et les principaux indicateurs macro-économiques.

Il est recommandé également que la BCT soit impliqué en amont, dans la conception et dans les réflexions autour des politiques économiques pour qu’elle puisse contribuer à orienter ces politiques dans l’intérêt du pays et qu’elle puisse accompagner les décideurs politiques tout en leur donnant les compléments d’informations nécessaires et les connaissances requises en matière de politiques monétaires.

La BCT doit renforcer sa veille sur la bonne marche du secteur bancaire tout en laissant les marges nécessaires aux différentes institutions pour qu’elles puissent évoluer en toute confiance et suivant des plans de développement stratégiques bien structurés dans le temps et pertinents dans les objectifs.

Paragraphe 2 : Le dossier des entreprises expropriées Par ailleurs, il est important d’évoquer dans le cadre des problématiques de gouvernance en Tunisie notamment au niveau micro-économique, la question des entreprises expropriées et des biens confisqués appartenant aux anciennes familles et clans mafieux au pouvoir.

Ce dossier dénote à lui seul de l’ampleur des mauvaises pratiques de gouvernance en Tunisie, même après une révolution. Ainsi, jusqu’à aujourd’hui, nous avons du mal à avoir des rétro-planning clairs et fiables et des informations transparentes sur la gestion des entreprises expropriées. Sur quelle base juridique, ces entreprises sont-elles gérées  ? Leurs intérêts sociaux sont-ils défendus  ? Quid des états financiers  ? Ces entreprises ont-elles gagné ou perdu après le 14 janvier 2011 ? Le contribuable

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n’est-il pas amené aujourd’hui à supporter les pertes de quelques unes de ces entreprises, au lieu d’en profiter dans le bon sens et suivant les règles appropriées.

Des 118 entreprises expropriées, quelques unes ont été liquidées déjà et les autres (plus d’une centaine), sont encore gérées par l’Etat avec des résultats mitigés. De l’avis et des témoignages relevés par nos experts et nos collaborateurs sur le terrain, des irrégularités et même des malversations se sont produites dans ces entreprises, considérées comme des fleurons de l’économie tunisienne. Il faut surtout insister sur le fait que la gestion de ces entreprises n’était pas vraiment optimisée à cause des lourdeurs administratives et procédurales, et de l’inexpérience de certains administrateurs judiciaires nommés à la tête de ces entreprises. Pour un bon nombre de ces entreprises, il y a eu des pertes voir des destructions de valeurs et certaines sont carrément à l’arrêt, ce qui représente une perte pour le citoyen tunisien qui n’a pas pu profiter de ces biens récupérés grâce à son mouvement révolutionnaire notamment.

Pis, une société de type Holding a été lancée et greffée sur une autre entreprise expropriée. Le tout formant aujourd’hui : Al Karama Holding.

Cette société, devenue la plus grande et la plus importante du pays, réunit l’ensemble des autres entreprises expropriées et leurs actifs. Al Karama Holding est chargée de gérer, d’optimiser et de vendre ces entreprises au bénéfice de l’Etat. Cependant, plusieurs signes, d’abus de pouvoirs et de mauvaise gestion des deniers publics sont

relevés. D’abord, nous constatons un manque de transparence flagrant dans cette entreprise.Nous n’avons aucune idée sur ses comptes, ses recrutements, sa bonne marche et ses échéances.Elle gère un patrimoine colossal et elle serait incapable de continuer à se développer dans ce climat de suspicion ?

Il est recommandé donc à travers ce rapport entre autres, des éclaircissements sur le fonctionnement de cette entreprise et sur la grille salariale qu’elle applique à ses cadres, soient communiqués afin de mettre fin à l’opacité qui entrave la gestion de cette entreprise.

Nous exigeons également une transparence totale dans la gestion de ce dossier des entreprises expropriées avec un suivi et une supervision aptes à contribuer à la relance de ces entités.

Une structure plus appropriée, équipée elle-même d’un système de gouvernance performant, serait PLUS apte et qualifiée pour continuer à gérer ces entreprises et optimiser leurs ventes pour le bien de l’Etat Tunisien.

Enfin, toujours sur le plan économique, nous avons relevé un manque de compétences, notamment jeunes, dans l’administration et la gestion des affaires de l’Etat. Ce manque de compétences est flagrant à tous les niveaux des rouages et entrave la bonne marche du pays.

Compétence, intégrité, indépendance et diligence doivent être les maîtres mots de la prochaine phase de transition et de construction de la nouvelle économie nationale.

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conclusion

En guise de conclusion et même s’il ne s’agit que d’un rapport préliminaire, le constat du non respect des paramètres de la bonne gouvernance dans la gestion des affaires publiques en Tunisie est sans appel.

Certes, il ne peut pas être exigé d’un gouvernement en pleine transition d’adopter une approche de gestion gouvernementale à laquelle il n’est pas préparé. Toutefois, en Tunisie, c’est l’absence aussi bien de volonté réelle que de vision claire quant à la consécration des principes de la bonne gouvernance qui pose problème. Un effort substantiel devra être consacré par les actuels gouvernants de la Tunisie. Il s’agit de l’avenir même de l’Etat tunisien. Une nouvelle culture de la bonne gouvernance devra constituer en avenir un objectif primordial à atteindre. Que

ce soit dans le domaine du politique ou dans les domaines économiques, financiers, culturels, de très importantes améliorations du système de la gouvernance restent à faire.

A notre sens, le critère de la participation peut constituer une garantie pour que le processus de prise de décision publique puisse être efficace. C’est la participation la plus large de toutes les parties prenantes à la vie économique, sociale et culturelle qui fondent toute légitimité réelle des gouvernants.

Nous estimons donc que des recommandations doivent être avancées pour que les objectifs de la bonne gouvernance soient réalisés. A titre indicatif et non limitatif, nous considérons que les recommandations suivantes peuvent être formulées :

1-L’organisation d’un forum annuel relatif à la bonne gouvernance avec la participation de toutes les parties concernées par cette thématique et qui présenterait le rapport de l’ATG sur la bonne gouvernance .

2-Créer des observatoires régionaux de gouvernance qui auront la mission de monitoring de la décision publique au niveau régional et local . Les moniteurs de ces observatoires devront recevoir une formation adéquate en matière d’évaluation des critères de la bonne gouvernance .

3-Création d’un comité d’éthique pour les nominations aux postes de direction publique . Il s’agira d’un comité apolitique qui soumettra son rapport et ses recommandations à une commission parlementaire chargée de respecter les règles de la bonne gouvernance et qui devra se prononcer sur ces recommandations dans un délai maximum de 15 jours .

4- Développer les attributions des corps administratifs de l’inspection afin d’en faire un instrument d’évaluation des performances des décideurs publics avec pouvoir de proposition de révocation .

5- Concevoir un système de gouvernance économique et financière apte à garantir une gestion optimale des deniers de l’Etat et à assurer la mise en œuvre de politiques économiques efficientes .

6- renforcer les mécanismes de surveillance et de contrôle économique et financier en réformant le cadre juridique actuel et en mobilisant des compétences indépendantes .

7- Réviser les statuts de la Banque Centrale afin de les adapter aux exigences des nouvelles règles économiques et financières aussi bien nationales qu’internationales .

8- Relancer l’économie en renouant avec une croissance durable qui mobilisera les investissements grâce à des ressources de financement puisées notamment par le biais d’une réforme fiscale plus adaptée aux nouveaux défis de l’économie nationale .

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