La Grece Extreme Gauche

7/27/2019 La Grece Extreme Gauche

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E MOUVEMENT CONTESTATAIRE de la jeunesse grecque qui stait auto-

proclame la gnration 700 euros [1] a, durant le mois de dcembre 2008,

enflamm la Grce. La mort dun adolescent de 15 ans suite une bavure poli-cire, a dclench dix jours de violence. Les universits et les lyces se mirent en grve;les manifestants se heurtaient quotidiennement aux forces de police dans le centredAthnes; les encagouls les kouloukoufori brisaient les devantures des

magasins dans les quartiers hupps, les pillages furent toutefois limits. Les manifes-tants se barricadaient dans les btiments universitaires o la police ne pouvait pn-trer au nom de la loi sur lasile universitaire laquelle stipule que quiconque, mmeun criminel, peut y trouver refuge sans risquer dtre inquit. La gnration700 euros tait une bigarrure sociale, compose de chmeurs, de diplms en qute

dun travail correspondant leur niveau dtudes, dtudiants rels et dautres quonnommerait ternels , rvant dentrer dans la fonction publique rve dailleurspartag par un grand nombre de jeunes encore lycens [1]. noter que selon unetude de lUniversit dAthnes, 68 % des jeunes de 18 27-30 ans vivent chez leursparents ou en colocation, le loyer tant assum par leur famille.

Il est difficile dimputer cette flambe contestatrice la seule crise conomique. La

Grce est lun des rares pays de la zone euro chapper la rcession, bien que celle-ci menace de latteindre son tour. Elle doit cette situation la part souterraineimportante de son conomie. Mais lopinion sinquite, le chmage grimpe, les syndi-cats sagitent. La contestation rcurrente de la gnration 700 euros exprimait desrevendications htroclites, traditionnellement antigouvernementales, mais les inter-

frences idologiques avec les mots dordre des organisations extraparlementairesdextrme gauche taient manifestes. Toutefois, ce mouvement doit tre dissoci du

* Ilios YANNAKAKI, est universitaire, historien.1. Devant lampleur de ce mouvement, certains journalistes franais prdirent que la gnration 700 euros grecque

ferait des mules et quil fallait sattendre une flambe de manifestations de ce type en France, voire mme dansles pays europens, vu la crise conomique et la monte du chmage, mais rien de tel nadvint.

dossier

par Ilios Yannakakis*

La Grce, lextrme gauche,

la violence banalise

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terrorisme qui merge priodiquement en Grce. Le malaise de la jeunesse grecque nedate pas de ce mois de dcembre. Il sinscrit dans ce que nous nommons le mal

grec dont une brve incursion dans lhistoire permet dclairer quelques facettes.

La Grce berceau de la dmocratie ?

La Grce moderne est la grande mconnue de notre temps[2]. Elle noie la complexitde son histoire sous les mythes forgs successivement par lEurope de la Renaissance,des Lumires, du Romantisme, des Nationalismes et du tourisme de masse. Ainsi,

de lHellade antique la Grce moderne, une histoire en spirale continue se droule-rait sans rupture de civilisation, tel un kalidoscope reproduisant des images liden-tique, consacrant la Grce contemporaine comme lhritire directe de la Grceantique, le berceau de la dmocratie [3]. Or, de lAntiquit lIndpendance en 1830,ce ne fut quune succession de ruptures, dclatement de lentit territoriale, de domi-

nations trangres successives, de diasporas, de mlanges de populations, dabsencedunit linguistique.

H I S T O I R E & L I B E R T

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2. Ilios YANNAKAKIS : Lhellnisation de la Grce moderne ou le mythe de la continuit inMythe et cration PUL 1994.3. CHATEAUBRIAND, Itinraire de Paris Jrusalem.

Les meutes de 2008 en Grce dbutent le samedi 6 dcembre 2008, aprs la mort,vers 21 heures, d'un adolescent de 15 ou 16 ans Alexandros [ou Andras] Grigoropoulos

Joanna


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la date de son Indpendance, la Grce est un petit pays confin au sud de laligne Arta-Volos, qui la spare de la partie balkanique de lEmpire ottoman. cettepoque, le Grec chrtien-orthodoxe sappelle Romios sujet de lEmpire romaindOrient et la Grce des Romioi se trouve l o vivent ceux qui se considrent

comme des Grecs orthodoxes. Au gr des vicissitudes de la question dOrient, la Grceva pousser ses frontires vers le nord-est, vers Constantinople. Rappelons que lesfrontires actuelles de la Grce nont t fixes quen 1947.

Le nouvel tat grec et lglise orthodoxe entretiennent des relations troites.Lorthodoxie, une mentalit plutt quune idologie, reprsente un ensemble decroyances et dhabitudes qui commande la pense et les attitudes des collectivits[4].

Mme de nos jours, lide dune opposition irrductible entre les orthodoxes grecs etle reste du monde est souvent reprise par les nationalistes de tout bord. Ce nest paspar hasard si lglise orthodoxe a fait campagne contre la suppression de la mentionrelative la religion sur la carte didentit exige par lUnion europenne.

La Grce de lentre-deux-sicles (1850-1950) shellnise et se dote progressive-

ment dune langue la katharevousa qui acclre lunification linguistique de ltatgrec[5]. Elle est utilise tant par ladministration que par les lettrs en opposition au

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4. Voir lexcellent article de Marietta KARAMANLI, in Grce, dossier spcial Politique internationale, n 21, automne 2008.5. Voir Jacques BOUCHARD, La question linguistique chez les Grecs, in OTL, n 15, 1993, Athnes.

Dans les heures qui suivent cette tragique bavure, des magasins sont pills, saccags,des voitures incendies Stournari (ci-dessus) et dans la rue commerante dErmou.

Badseed

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dmotique le grec parl commun et aux autres patois; la guerre civile linguis-tique et littraire fut aussi politique, opposant la gauche la droite; elle ne steindraquen 1976, par la loi faisant du dmotique la langue officielle.

Le prestige de son pass, confr par lEurope savante la Grce de lentre-deux-sicles , tlescopait ses propres ralits, ses idologies mgalomaniaques et expansion-nistes, amplifiant le mal grec. La Grce balanait entre dictature et dmocratieboiteuse, royaut et rpublique, subissant de dsastreuses guerres civiles[6]. Le recours lautoritarisme a pu trouver sa justification dans une sorte d anarchie latente : lesgroupes et les individus voyant dans la force et les liens claniques un substitut unevritable participation au pouvoir. Les tensions entre ltat et les citoyens sont un des

aspects du mal grec , aggrav par la maladministration , comme le dsignent de

nos jours les analystes grecs. Dune manire gnrale, les Grecs nont jamais euconfiance en leur administration juge partisane, injuste et inefficace.

Les guerres civiles

Durant les annes de lOccupation, la Rsistance contre les Allemands et les Italiens,(jusquen 1943 pour ces derniers) fut paralllement marque par une guerre civile entreles groupes arms, les uns fidles au gouvernement grec en exil et les autres, dobdience

communiste. Ils staient constitus dans les rgions montagneuses difficilement acces-sibles aux troupes doccupation lesquelles contrlaient essentiellement les principauxaxes de communications et les grandes agglomrations. Dans une vaste rgion monta-gneuse, dsigne comme la Grce libre , le parti communiste avait install sonpouvoir et dirigeait la principale force arme de la Rsistance, lELAS (lArme populaire

grecque de libration nationale). Celle-ci menait en perma-

nence des oprations contre les autres groupes arms de laRsistance. En dcembre 1944, profitant de la retraite destroupes allemandes vers le nord de la Grce, les communistestentrent de prendre le pouvoir Athnes, mais ils subirent ungrave chec. Cependant, la Libration le parti communiste

se trouvait au znith de ses forces et de son influence. En 1947,il dclencha une nouvelle guerre civile qui ne se termina quen1949 avec sa dfaite et lexode de plus de 90000 combattants

et civils dans les pays de lEst et en Union sovitique.


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6. Ilios YANNAKAKIS, op cit.

Mmorial de lELAS

Ano Liosa (Athnes).

MichalisFamelis


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Les consquences de la guerre civile de 1947-1949 furent lourdes pour le parti commu-

niste grec, dsormais mis hors la loi. Dans les pays de lEst, les luttes de tendances et les

rglements de compte, tant au sein de la direction du parti que parmi lmigration poli-

tique, provoqurent des scissions et des crises qui se rpercutrent demble en Grce dansle parti de la gauche lgal qui, en fait, tait dirig depuis lextrieur par le parti communiste.

Lmergence de lextrme gauche grecque

Aprs lexclusion en 1956[7] du secrtaire gnral du parti communiste, Nikos

Zachariadis, ses partisans en Grce crrent une organisation clandestine, La

Renaissance, qui pousa dans les annes ultrieures les thses maostes. Les quelquescellules trotskistes lies entre autres au courant pabliste nexeraient quune influencemarginale dans la gauche. Lextrme gauche dans les annes soixante tait cependantquasiment inexistante politiquement. En ces annes-l, un nombre croissant dtudiants

grecs qui poursuivaient des tudes dans les universits trangres subirent linfluence desidologies de lextrme gauche europenne et simbibrent de la vulgate marxiste envogue quils essaimrent leur retour en Grce. Ainsi, la premire gnration de lex-trme gauche grecque fit ses classes dans les universits de lEurope de lOuest.

La Grce, instable politiquement, connut un dernier soubresaut avec le coup

dtat des colonels qui instaurrent la dictature en1967. Loccupation sovitique de la Tchcoslovaquieen aot 1968 accentua la crise interne du particommuniste grec qui se disloqua en deux petitesformations, surtout actives parmi les migrs poli-

tiques qui avaient fui la dictature des colonels. Le

dveloppement des organisations dextrme gauchefut conscutif de la rvolte estudiantine contre lesColonels en 1973[8]. La chute de la dictature en 1974,permit ltablissement dune dmocratie stable.Lessor conomique de la Grce qui avait dbut dans

les annes soixante sacclra.


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DR

Le phnix surgissant du feuet la silhouette du soldat

porteur dun fusil baonnette: emblme

de la Junte des Colonels.En haut, le mot Grce ,en bas, la date du coup dtat:

21 avril 1967.

7. Lexclusion de N.Zachariadis fut une des retombes sur le PCG duXXe congrs du PCUS.

8. La Rvolte de lcole Polytechnique est emblmatique pour lagauche grecque.


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Au cours des annes quatre-vingt, ce furent les organisations maostes, le particommuniste rvolutionnaire de Grce (EKKE), le parti communiste marxiste lniniste

(KKE ML) et dautres groupuscules maostes qui dominrent lextrme gauche et exerc-

rent leur influence parmi la jeunesse estudiantine au dtriment des groupuscules trots-kistes atomiss. Au milieu des annes quatre-vingt, linfluence maoste priclita. Dunescission des Jeunesses du parti communiste grec est n le Nouveau Courant de Gauche qui simplanta solidement dans les universits. Des coordinations estudiantines, manipu-

les par le Nouveau courant et par Le Rassemblement de gauche , dclenchrent desgrves rptition avec occupation des Facults et firent rgner une atmosphre deviolence: des enseignants taient squestrs dans leurs bureaux, certains dentre euxtaient mme molests; les dgradations matrielles taient monnaie courante.

Lanti-amricanisme traditionnel des Grecs se couplait dsormais lanti-isralismedont le soubassement tait un antismitisme populaire. Les organisations palestiniennesqui dans ces annes-l menaient des actions terroristes, y compris en Europe (dont desanglants dtournements davions), recevaient non seulement lappui de lextrmegauche grecque, mais aussi du gouvernement socialiste qui leur offrait lhospitalit et lareconnaissance pour plusieurs dentre elles. Une formation extraparlementaire detendance anarchiste, Le rassemblement de gauche , implante parmi les tudiants,

prconisait la lutte arme et avait nou des contacts avec des groupes terroristes enAllemagne, en Italie, au Moyen-Orient, comme dailleurs une nbuleuse dautres organi-sations dextrme gauche, apparemment sans grand succs. Le groupe du 17 Novembre et celui de lArme rvolutionnaire populaire tous deux issus de cettenbuleuse, se firent connatre en perptrant des attentats contre des btiments publics et

des assassinats dindustriels et de personnalits politiques[9] Les annes quatre-vingt-dix,furent marques par de nombreuses actions terroristes commises par des groupes que lesautorits policires narrivaient pas identifier. Les auteurs des violences, les grvistes et

les manifestants extrieurs lUniversit ont toujours bnfici de lasile universitaire quaucun gouvernement ne russit abolir. Certains recteurs duniversit se sont opposs

la remise en cause de lasile et ont manifest de la sympathie pour les mouvementsradicaux. Un grand nombre duniversitaires se sont montrs indiffrents envers les exac-tions et les actes de vandalisme perptrs par ceux qui trouvent asile lintrieur desFacults. Notons que le site Internet sur lequel beaucoup de groupuscules dextrmegauche revendiquent leurs actions est hberg sur le serveur de lUniversit polytechniquedAthnes. Durant la dernire dcennie, les flambes de violence se sont succd, pertur-


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9. Le groupe terroriste du 17 novembre a t responsable de 23 assassinats entre 1975 et 2000. Il na t dmantelquen 2002. Ses principaux responsables ont t condamns des peines de prison vie.


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bant rgulirement la vie universitaire. Les vnements de dcembre 2008 ne semblentdonc pas avoir tonn ni inquit la population outre mesure.

Rsurgence du terrorisme

Les manifestations du mouvement gnration 700 euros sarrtrent la veille des

ftes de fin danne. En janvier, tudiants et lycens reprirent les cours bien que le gouver-nement grec nait rien cd aux revendications des manifestants. Mais ds le dbut de cemme mois, une vague de terrorisme dferla sur Athnes. Dans la nuit du 5 janvier, desinconnus tirrent sur des policiers de garde devant le ministre de la Culture, en plein

centre de la capitale, blessant grivement un policier, attentat revendiqu par le groupe Lutte rvolutionnaire , qui lana un appel la lutte arme de masse et menaa lapolice de nouvelles attaques. Il se prtendait le successeur du 17 novembre . Ce groupe,considr comme le plus dangereux de tous, est rpertori sur la liste des organisationsterroristes de lUnion europenne. Le 17 fvrier, une chane de tlvision prive futmitraille; le 18, lors dune confrence sur le systme carcral, une quarantaine denca-gouls envahirent la salle et rourent de coups un universitaire criminologue. Le

13 mars, au nom de la lutte anticapitaliste , des groupes, toujours encagouls, saccag-rent plusieurs agences bancaires avant de prendre la fuite sans tre inquits. Le 10 avril,dautres agences bancaires furent saccages leur tour. Le 9 avril, des lieux de culte avaientt pris pour cible et la police avait dcouvert des engins explosifs dans des glises Athnes et Salonique. La police rpertoria plus de vingt actions terroristes revendiques

par des groupuscules inconnus comme la Secte rvolutionnaire , qui se rfre laFraction arme rouge allemande de triste mmoire, la Fraction des milices , la Conspiration des noyaux . Il semble que des cellules terroristes en sommeil depuis les

annes quatre-vingt-dix se soient ractives en recrutant de nouveaux membres parmi lajeune gnration.

Paradoxalement, devant ces attentats, la population ne manifeste aucun moi; la viequotidienne ne parat pas perturbe. Lanarchie et la violence ne seraient-elles pas consi-dres comme lexpression du malaise de la jeunesse et par consquent acceptes parla population, dautant plus quelles frappent les institutions et non les citoyens? Parailleurs, la police mal forme, inefficace face au terrorisme ne montre-t-elle pas sonimpuissance? Ce qui conforte lide de la traditionnelle incapacit des pouvoirs publics

grer des situations extrmes. Ainsi, une extrme gauche en manque didologie et vhi-culant des vulgates galvaudes surfe sur le mal grec .


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