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LES DOSSIERS DARCHÉOLOGIE - N°324 - NOVEMBRE/DÉCEMBRE 2007 20 LA GROTTE DE MARSOULAS La grotte de Marsoulas Grands bisons et petits humains par Carole FRITZ et Gilles TOSELLO Située au cœur des Pyrénées, accessible et de découverte ancienne, Marsoulas n’en demeure pas moins une grotte en grande partie inédite. Depuis une dizaine d’années, la reprise de l’étude du site a permis d’accroître considérablement la connaissance du décor pariétal et du contexte archéologique, tout en précisant les liens avec d’autres régions, aux débuts du Magdalénien pyrénéen. A Marsoulas, les principales difficultés de déchiffrement proviennent de l’abondance des surfaces couvertes de gravures fines ; parfois, on peut isoler des figures, comme ici un bison. © C. Fritz et G. Tosello. DARCH-324-20-29-Marsoulas 4/10/07 15:56 Page 20

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LA GROTTE DE MARSOULAS

La grotte de MarsoulasGrands bisons et petits humainspar Carole FRITZ et Gilles TOSELLO

Située au cœur des Pyrénées, accessible et de découverte ancienne, Marsoulas n’en demeure pas moinsune grotte en grande partie inédite. Depuis une dizaine d’années, la reprise de l’étude du site a permisd’accroître considérablement la connaissance du décor pariétal et du contexte archéologique, tout enprécisant les liens avec d’autres régions, aux débuts du Magdalénien pyrénéen.

A Marsoulas, les principales difficultés de déchiffrement proviennent del’abondance des surfaces couvertes de gravures fines ; parfois, on peutisoler des figures, comme ici un bison. © C. Fritz et G. Tosello.

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La grotte de Marsoulas se trouve à environ 80 kmau sud de Toulouse. Cette galerie rectiligneatteint un développement total de 70 m, mais la

partie ornée ne dépasse pas 50 m.

UNE GALERIE ÉTROITE, DES GRAVURESET DES PEINTURES DÈS L’ENTRÉEÀ l'extérieur, la voûte s'est effondrée au cours duPaléolithique supérieur, et seules subsistent les paroisqui prolongent ainsi la cavité par une sorte decorridor à l’air libre. À l'intérieur, la grotte se présentecomme un couloir dont la section est un trianglerectangle (3 m de large x 4 m de haut environ) ; soncôté gauche est toujours vertical tandis que le côtédroit, fortement incliné, forme la voûte. À 29 m de laporte, un resserrement brutal des parois, associé à unabaissement de la voûte, détermine une étroiture. Ellemarque le passage vers une zone de circulation moinsaisée, où la reptation est seule possible, sur les vingtderniers mètres de la portion sèche de la cavité. Àpartir de 40 m de l’entrée, le sol s’incline en penteabrupte jusqu’au lit actuel du ruisseau.La première partie de la grotte jusqu’à l’étroiture étaitoccupée par un important remplissage contenant descouches archéologiques. Les premières gravuresconservées se trouvent à 3 m de la porte actuelle.

UN LOURD PASSÉPremière grotte à peintures préhistoriques signaléedans les Pyrénées, en 1897, Marsoulas a joué un rôleimportant dans le débat animé qui, au tournant dusiècle, opposait partisans et adversaires de l’existenced’un art “antédiluvien”. Malgré sa persévérance,l’inventeur Félix Regnault ne parvint pas à convaincreses contemporains que les peintures datent duPaléolithique. Ces dernières ne furent authentifiéesqu’à l’occasion d’une visite de Cartailhac et Breuil le 4août 1902, au retour du congrès de l’A.F.A.S. àMontauban qui marqua la reconnaissance officiellede l’art pariétal paléolithique par la communautéscientifique. Cette brève notoriété fut, pour la grotte,le début d’une longue histoire de recherches quin’eurent pas toutes des conséquences heureusespour sa conservation.De nombreux chercheurs lui ont consacré destravaux : l’abbé Cau Durban, premier fouilleur dusite, Félix Regnault, É. Cartailhac (qui en devintpropriétaire), H. Breuil (qui réalisa les relevés, maisn’en publia qu’une infime partie), H. Bégouën (qui,avec T. Russell, fouilla le talus d’entrée en 1931) etaussi L. Méroc, L. Michaud, A. Leroi-Gourhan, A.Plénier (qui y consacra sa thèse), D. Vialou, P.Foucher, S. Lacombe. Pourtant, malgré cettesuccession de recherches, une bonne part de l’artpariétal restait inédite, en raison (à notre avis) del’état de conservation médiocre des parois, de la

finesse et de la densité des gravures et, enfin, desgraffitis qui défigurent certains panneaux etcompliquent le déchiffrement. En 1998, nous avonsrepris l’étude du site (Fritz, Tosello 2004). Partant destravaux de Breuil et Plénier, l’objectif s’est orienté versune révision complète de l’iconographie, afin depréciser la thématique et l’organisation spatiale desensembles ornés. Le contexte archéologique,important dans cette grotte qui fut aussi un habitat,est pris en compte. Plus globalement, nouscherchons à replacer Marsoulas au sein du ou desréseaux culturels à l’origine du dispositif pariétal.

UN ART À DÉCHIFFRERLes opérations successives de relevé, décrites plusloin, doivent être systématiques et rigoureuses,entraînant l’allongement inévitable du temps del’analyse. Or, il n’était guère envisageable d’attendrela fin de cette phase pour engager une réflexion surl’ensemble de la grotte. Notre première tâche aconsisté à estimer l’étendue du dispositif pariétal enprocédant à une prospection systématique dessurfaces ornées. À l’issue de chaque phase dedéchiffrement, on dessine des “bandes déroulées delecture” inspirées des documents que Breuil réalisapour les grottes du Périgord. Ces croquis donnent unassemblage schématique des figures et leurrépartition en fonction des reliefs. De plus, ilsfacilitent les prises de vue et préparent ainsi l’étapedes relevés.Comme il est aujourd’hui de règle, l’étude des paroisest menée sur la base d’une reproductionphotographique des surfaces ornées, qui sert desupport à l’enregistrement des données dans la

Marsoulas. Vue del’intérieur de la galerie, del’entrée vers le fond à 13 m de la porte. Du côtégauche, la colorationbrune et la présence d’uneancienne tranchée defouilles donnent une idéedu remplissage initial de lagrotte. Cliché C. Fritz.

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grotte ; ensuite, une phase de numérisation, puis detraitement infographique aboutissent à unerestitution des panneaux. Cette méthode présente un avantage considérable :en séparant les différents types de données (gravure,peinture rouge ou noire, reliefs, destructionsnaturelles, etc.), on peut facilement les sélectionneret, par exemple, ne visualiser que les gravures, ouencore restituer virtuellement l’aspect d’un panneauavant les destructions qui en perturbent la lecture

aujourd’hui. Ce fut le cas de la partie haute dusecteur G14-G16, couverte de graffitis, dont le nom“ESCUDIE” qui s'étale sur près de 2 m de long. Lerelevé complet du panneau rend compte de l’étatactuel et de la confusion entre tracés modernes etpaléolithiques. L’élimination virtuelle des inscriptionset destructions en tout genre permet d’apprécier lafigure majeure du panneau (1,63 m de long ; Plénier1971, n°19), l’un des plus beaux bisons de la grotte.L’étude a révélé aussi trois gravures inédites, une têtede bouquetin et deux petits bisons, dissimulés dansles contours du grand.À la fin de la campagne 2006, nous estimions que lacavité renfermait environ 120 m2 de panneaux ornés,inégalement distribués, les deux tiers environ sur laparoi gauche. Depuis 1998, les panneaux étudiés(totalisant 42 m2) ont été choisis dans les deuxsecteurs distincts de la grotte, de part et d’autre del’étroiture des 29 m. L’avancement de la recherchepourra ainsi mettre en évidence d’éventuellesparticularités thématiques ou stylistiques liées à latopographie. Nous illustrerons cette démarche enrésumant les résultats de l’étude de deux panneaux,l’un dans la première moitié de la grotte (paroigauche, volet gauche du Grand Panneau Peint, entre19 et 21 m), et l’autre vers le fond (paroi droite, entre44 et 48 m).

AU CENTRE DE LA GROTTEDu point de vue de la topographie, comme del’esthétique ou de l’ampleur de la composition, le

Croquis de déchiffrementréalisé dans la grotte(paroi droite, entre 35 et37 m de l’entrée). Cedocument de travailpermet de repérer lesfigures en fonction desreliefs et prépare la phasedes relevés. © G. Tosello et P. Citerne.

Marsoulas. Vued’ensemble d’un panneauen paroi gauche entre 14 et 16 m, fortementendommagé par desgraffitis. Cliché C. Fritz.

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Grand Panneau Peint occupe une position centrale.Long de 6 m, sur une surface plane à hauteur desyeux, ce panneau, qui se déploie sur trois volets,regroupe les œuvres les plus élaborées de la grotte.Nul doute qu’un effet spectaculaire fut recherché parles artistes, malgré l’absence de recul et l’exiguïté des

lieux. Le relevé de cet ensemble complexe exigeraencore plusieurs années de travail.Le quart supérieur gauche du panneau est dominépar une monumentale représentation de bison. Laforte présence de l’animal est due à la masse (1,70 mde longueur) et au contraste entre la noirceur de la

Ci-contreMarsoulas. Relevé completdu panneau entre 14 et16 m, fortementendommagé par desgraffitis. © C. Fritz et G. Tosello.

Ci-dessousRelevé du volet gauche du Grand Panneau Peint.Outre les grandes figures(bison, cheval et barbelérouge), il recèle 26animaux et signes (noir :gravures ; gris bleu :peinture noire ; rouge :peinture rouge ; gris :destructions du support).© C. Fritz et G. Tosello.

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tantôt groupés. A. Leroi-Gourhan avait cru identifierun claviforme en fusionnant deux spécimens, maiscette détermination, lourde de conséquences sur lesplans de la thématique et de la chronologie, ne peutplus être retenue. Sur le volet gauche du Grand Panneau Peint, nousavons recensé pour le moment 29 entités graphiques,soit 11 ensembles de signes et 18 animaux (8 bisons,4 chevaux, un bouquetin, un carnivore, une biche, 3indéterminés), parmi lesquels 6 nouvelles gravures (4bisons, une biche, un cheval). Nous proposons ausside nouvelles interprétations pour des figuresconnues.Sur le grand bison, le triangle noir dorsal, le faibledéveloppement du fanon et de la barbe, réduite àune inflexion arrondie sous le menton, évoquent desœuvres de style cantabrique, un mâle du Plafondd’Altamira par exemple. Le cheval rouge et noiroffre des points communs avec celui de la grotte deLabastide, à 50 km à l’ouest, même s’il est moinsspectaculaire et surtout moins bien conservé.Il faut noter l’assemblage d’un signe ponctué et d’unquadrilatère, qui n’est pas sans rappeler un autre casau Castillo en Cantabrie. Ces signes cantabriquessont généralement attribués au Solutréen local, cequi pose un problème de chronologie dans lamesure où aucun indice fiable de présencesolutréenne n’a été signalé à Marsoulas. Au stadeactuel de notre recherche, il est difficile de trancher.

tête et le subtil dégradé du corps, du bistre sur lacrinière au rouge orangé sur le dos et le ventre. Parbien des aspects, le cheval noir, rouge et gravé(longueur 1,15 m), apparaît comme indissociable dubison qui le précède. La tête brille actuellement parson absence ; un léger relief peut néanmoinssuggérer un museau naturel, sans lien graphique avecla figure. Outre ces deux animaux imposants, le volet gauchedu panneau recèle des figures de dimensions plusréduites ou de moindre lisibilité. Sous les pattes ducheval, un carnivore à la petite tête arrondie saisit à lagorge un animal identifiable comme une biche, defacture sommaire. À l’extrémité gauche, un jeunebison noir, dont les cornes pointent à peine sur lefront, est recoupé par un cheval gravé en traitsvigoureux. La superposition est si étroite qu’ellesemble intentionnelle. Deux cornes noires et gravées,dépassant de l’échine du grand bison, étaientattribuées depuis la découverte à un autre bisontourné en sens inverse, sans qu’aucun complémentait pu être mis en évidence. En fait, ces cornes àdouble sinuosité sont celles d’un bouquetin desPyrénées, complété en gravure. Quant aux signes, le barbelé rouge, l’un des plusgrands de la grotte, atteint 2 m de long. Une sériede 8 signes en T inversé est visible sur le thorax dubison ; typiques de Marsoulas (on en compte plusde 25 exemplaires), ils se présentent tantôt isolés,

Grand Panneau Peint.Relevé de la surface entreles pattes du grand cheval.Les signes quadrilatère etponctué rouges (n° 3 et 4)sont superposés à uncarnivore attaquant unebiche gravés (n° 1 et 2). © C. Fritz et G. Tosello.

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LE SECTEUR TERMINALÀ partir de 44 m, la voûte de la galerie s’élève parcoupoles successives jusqu’à 5 m environ, et lesparois s’écartent un peu, ménageant ainsi un espaceinconfortable mais où l’on peut se tenir debout. Lesol en pente est argileux et glissant : lesMagdaléniens ont certainement connu un état deslieux très voisin.L’art pariétal compris entre 44 et 48 m étaitquasiment inédit, à l’exception de 4 figures (Plénier1971 : bisons n°64, 64A et 64B ; tête humainen°65 pp. 122-126). En l’état actuel, ce secteur

marque la fin du dispositif pariétal, au-delàcommence le lit du ruisseau. L’ensemble D44-48est fondé sur une organisation en panneaux,étroitement soumis aux limites des stratessuccessives. Cette structuration spatiale participe àla symbolique dans la mesure où elle met en scènele thème majeur, le Bison, en illustrant desmoments-clés de sa vie rarement représentés dansl’art du Paléolithique supérieur. Un combat demâles précède un probable accouplement, les deuxscènes étant gravées l’une au-dessous de l’autre. Leseul autre exemple d’accouplement de bisons

Grand Panneau Peint.Bouquetin gravé auxcornes noires (n° 3), chevalgravé (n° 2) et jeune bisonnoir et gravé (n° 1) dontles têtes sont intimementmêlées. Seuls les relevéssélectifs permettent d’enisoler les contours précis.© C. Fritz et G. Tosello.

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serait celui d’Altamira (d’après L. Freeman). Onnote aussi d’autres attitudes liées au rut. En fait, lebison est l’espèce la plus animée tandis que lecheval est représenté par des figures plus statiques.Les deux isards s’ajoutent à un autre spécimenconnu (Plénier 1971, fig. 100). Les grottes ornées àisards sont rares (Massat en Ariège et Peña deCandamo dans les Asturies).Les humains comptent cinq figures schématiques,aux contours circulaires pourvus de deux traits ouamandes pour les yeux. La chouette gravée rappelleun thème des Trois Frères, du Portel ou des Églises ;cette analogie s’ajoute à d’autres (importance dubison dans la thématique, présence du lion, deshumains, signes ponctués…). L’insertion de

Marsoulas dans l’ensemble magdalénien ariégeoisse confirme.Le signe quadrilatère rouge s’ajoute à celui duGrand Panneau Peint, moins lisible. En matière dechronologie pariétale, les signes rouges sonttoujours peints sur les gravures. Cette superpositionsystématique avait déjà été notée par les auteursprécédents, qui en faisaient un critère dechronologie. La règle souffre au moins uneexception : le quadrilatère du fond est recoupé pardes chevaux. Les signes peints et les animaux gravésont donc connu des phases d’exécution imbriquées,qui permettent de les considérer comme élémentsd’un même ensemble symbolique.Le nombre des entités relevées dans ce secteur dufond est indicatif, dans la mesure où il ne porte quesur 4 m linéaires (6-7 m2). L’inventaire de D44-48atteint 61 entités numérotées dont 52 figuratives et9 signes. Le total de 61 entités est plus importantque celui que nous attendions d’après les premiersdéchiffrements (moins d’une trentaine d’entités

Grand Panneau Peint.Détail de la série designes en T inversé,

peints en violet et enrouge sur le grand

bison. Les deux signesde droite ont étéinterprétés à tort

comme un claviforme.© C. Fritz et

G. Tosello.

À droiteLe fond de Marsoulasrévèle la genèse de lagrotte, à la jonction dedeux strates calcaires. Enarrière-plan, le ruisseauterminal. Des gravures etpeintures sont conservéesjusqu’au bas de la pente.Cliché C. Fritz.

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recensées en 2001). La première place revient aubison (21 soit 40 % du figuratif), suivi du cheval(12 ; 23 %), de l’humain (7 ; 13 %) et d’espècesrares (isard, lion, chouette). On relève aussi unecréature imaginaire.Si l’on compare l’inventaire des deux secteurs de la

galerie, la structure générale de l’iconographie estproche, avec le bison dominant suivi du cheval et laprésence des deux quadrilatères rouges ; cependant,on relève dans la première moitié de la grottel’absence de l’humain, d’autant plus remarquableque le thème semble apparaître ensuite avec une

Marsoulas. Fond de lagrotte, paroi droite. Lecombat des bisons : lebison de droite est dansune attitude de menace,tête basse face à sonadversaire. © C. Fritz et G. Tosello.

Marsoulas. Fond de lagrotte, paroi droite. Bisonsaffrontés et tête humaineschématique. Photo etrelevé : C. Fritz et G. Tosello.

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certaine fréquence, notamment les têtesschématiques rondes, pourvues ou non d’yeux.Nous aurions là un indice de différenciation entre lesdeux moitiés de la galerie, les humains seconcentrant vers le fond.

LA GROTTE CONSACRÉE AU BISONLorsque l’on compare les dénombrements publiés(Plénier 1971) et les données recueillies depuis 1998sur les panneaux relevés ou prospectés,l’iconographie du site est profondément modifiée.

Tout d’abord, le total passe de 102 à plus de 200animaux et humains. Le nombre des figures setrouve donc, au minimum, doublé puisque l’étuden’est pas achevée ; les signes augmentent aussi,passant de 32 à 50 unités. Le corpus figuratif estlargement dominé par le bison (118 spécimens soit60 %), suivi par le cheval (40 soit 20 %) puis leshumains (25 soit 12,5 %) stylisés ou schématisés.On trouve ensuite le bouquetin (8 soit 4%) et desanimaux plus rares comme le renne (3), la biche (2),l’isard (3), le lion (2), le renard (1) et la chouette (2).À l’augmentation des effectifs correspond unediversification des thèmes et un changementsignificatif dans les proportions respectives desespèces. Autrefois publiés en nombres équivalents,les bisons sont en fait trois fois plus abondants queles chevaux.Thème le plus commun de la cavité, c’estégalement le bison qui varie le plus en dimensions,de 6 cm à presque 2 m. De grands spécimens (de 1à 1,60 m) structurent l’essentiel de la paroi gaucheentre 13 et 45 m, loin dans la descente vers leruisseau. Dessinés le plus souvent sur les registresmédian ou supérieur, ils encadrent des animauxgravés plus petits, à peine visibles. Les chevaux sontprésents sur toute la longueur du dispositif, avecune densité plus élevée près de l’entrée. Lathématique abstraite (50 signes environ) estdiversifiée : signes en T inversés, grands barbelés,lignes et nappes de points, traits et points associés,sans oublier les rares quadrilatères et tectiformes(Fritz, Tosello 2005). L’abondance des œuvres, dès l’entrée jusqu’aufond, et les superpositions denses de figuressuggèrent une mise en place du dispositif pariétalétalée dans le temps, sans qu’on perçoive toutefoisde rupture stylistique. Il semble que le décor ait étéélaboré en plusieurs étapes, participant à unemême unité culturelle. L’iconographie de la grottese range sans difficulté dans une phase duMagdalénien pyrénéen que divers indicesarchéologiques et pariétaux situent entre 14500 et15000 BP, sans possibilité d’obtenir uneconfirmation par une datation 14C. Ce sera l’un desobjectifs du sondage programmé dans la secondemoitié de la galerie en 2007.

L’ART PARIÉTAL À LA RECHERCHE DE LA TROISIÈME DIMENSIONDepuis une dizaine d’années, les techniques de scan3D sont connues et appliquées dans plusieurs grottes,comme Lascaux ou Chauvet. L’efficacité de l’imagerie3D pour la conservation des sites ou la visualisationdes décors est largement démontrée.À Marsoulas, l’ensemble de la cavité a été scanné1,y compris la partie basse et la descente jusqu’au

Marsoulas. Fond de lagrotte, paroi droite. Petitechouette gravée à la basedu signe quadrilatèrerouge. © C. Fritz et G. Tosello.

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ruisseau, avec une précision variable (2 mm pourles zones ornées et 1 cm pour les autres). Unepartie de la galerie a été photographiée pourpermettre le “matching” des clichés sur le modèlenumérique et restituer une vision d’ensemble desparois. L’accent a été mis sur le Grand PanneauPeint pour archiver le secteur le plus riche et êtreen mesure, si nécessaire, de le reproduire. Noussouhaitions aussi tester l’intérêt de la 3D pour lesphases d’analyse de la paroi. Dans ce but, nousavons choisi et photographié un panneau oblique,difficile d’accès (D32-35), couvert de gravures. Lesclichés en lumière rasante sont ensuite plaqués surles reliefs, enregistrés avec la précision maximale.On pourra ensuite extraire et imprimer des vuessélectionnées qui serviront de support aux relevésen grotte, éliminant l’étape longue et fastidieusede la mosaïque de photos assemblées àl’ordinateur. Nous en escomptons un gainsubstantiel de temps et de précision, mais cettetechnique doit être maintenant vérifiée sur leterrain.Avec l’accord de la DRAC Midi-Pyrénées, une partiede ces images 3D a été utilisée dans un filmdocumentaire sur la grotte (“Marsoulas, la grotteoubliée”2). On a pu ainsi proposer une visitevirtuelle de la première moitié de la galerie avecune vision “restaurée” des peintures et gravuresaprès élimination des graffitis et destructionsnaturelles. n

NOTES

1. Missions en 2003, 2004 et 2006 composées de José Péral,Lionel Guichard (photographie numérique) sous la direction deGuy Perazio (géomètre expert). Financement DRAC Midi-Pyrénées.

2. Film de 26 minutes, réalisé par Marc Azéma, écrit par MarcAzéma, Carole Fritz et Gilles Tosello, produit par Passé Simple,France 3, CNRS images, CNC, Région Midi-Pyrénées, Conseilgénéral de l’Ariège.

BIBLIOGRAPHIE

• BREUIL (H.). — Marsoulas, dans 400 siècles d’art pariétal : lescavernes ornées de l’âge du Renne. Montignac, Éditions F. Windels,1952, pp. 239-245.

• CARTAILHAC (E.), BREUIL (H.). — Les peintures et gravuresmurales des cavernes pyrénéennes : II, Marsoulas, près Salies-du-Salat (Haute-Garonne). L'Anthropologie, 16, 1905, pp. 431-444,10 fig.

• FRITZ (C.), TOSELLO (G.). — Marsoulas : une grotte ornée dansson contexte culturel, in dir : M. Lejeune et A.C. Welté, XIVe

Congrès de l’Union Internationale des Sciences Pré- etProtohistoriques, Liège 2001, ERAUL, Université de Liège, 2004,pp. 55 - 68.

• FRITZ (C.), TOSELLO (G.). — Entre Périgord et Cantabres : lesMagdaléniens de Marsoulas, 126e Congrès National des SociétésHistoriques et Scientifiques- Toulouse 2001, Paris, CTHS, 2005.

• LEROI-GOURHAN (A.). — Marsoulas. Préhistoire de l'ArtOccidental, Paris, Éditions Mazenod, 1971, pp. 300-301.

• PLÉNIER (A.). — L'art de la grotte de Marsoulas. Mémoires del'Institut d'art préhistorique, I, 296 p., 181 fig., Toulouse, 1971.

Marsoulas. Le GrandPanneau Peint, il y a 15 000 ans… Hypothèsede restitution du voletgauche. Image 3D extraitedu film de M. Azéma“Marsoulas, la grotteoubliée”.

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