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SIMON MÉLANÇON LA GUERRE DE L'EAU DE COCHABAMBA, BOLIVIE : UN PROBLÈME GÉOPOLITIQUE ET DE TERRITORIALITÉ Mémoire présenté À la Faculté des études supérieures de l'Université Laval Dans le cadre du programme de maîtrise en sciences géographiques Pour l’obtention du grade de maître en sciences géographiques (M.Sc.Géogr.) DÉPARTEMENT DE GÉOGRAPHIE FACULTÉ DE FORESTERIE ET GÉOMATIQUE UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC AOÛT 2005 © Mélançon Simon, 2005

LA GUERRE DE L'EAU DE COCHABAMBA, BOLIVIE : UN …€¦ · Finalmente, la importancia de las relaciones “locale-internacionale” y “nacionale-internacionale” hacen que el dessarrollo

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SIMON MÉLANÇON

LA GUERRE DE L'EAU DE COCHABAMBA, BOLIVIE : UN PROBLÈME GÉOPOLITIQUE ET DE

TERRITORIALITÉ

Mémoire présenté À la Faculté des études supérieures de l'Université Laval

Dans le cadre du programme de maîtrise en sciences géographiques Pour l’obtention du grade de maître en sciences géographiques (M.Sc.Géogr.)

DÉPARTEMENT DE GÉOGRAPHIE FACULTÉ DE FORESTERIE ET GÉOMATIQUE

UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC

AOÛT 2005

© Mélançon Simon, 2005

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III

Résumé Dans un contexte de prise de conscience de la communauté internationale des enjeux de

l’accessibilité à l’eau potable dans les pays en voie de développement, la Banque mondiale

recommande aux États de privatiser leur gestion de l’eau. En 1999, le gouvernement

néolibéral d’Hugo Banzer favorise la privatisation des services de distribution de l’eau de

Cochabamba, qu’il justifie par le manque de capitaux nécessaires à la réalisation d’un projet

de barrage (Misicuni). Les populations rurale, périurbaine et urbaine, qui avaient jusque-là

une relation conflictuelle dans la gestion de l’eau à l’échelle régionale, s’unissent pour

revendiquer l’annulation du contrat de concession du consortium international et la

modification de la loi encadrant les droits de propriété et de gestion de l’eau. Les

manifestations accompagnant ces revendications ont d’abord été réprimées par l’armée avant

que le gouvernement accepte de re-nationaliser la gestion de l’eau et d’amender la loi.

Quelles ont été les interactions économiques et politiques entre les différentes échelles

géographiques représentées par les acteurs de ce conflit socio-territorial ? Quelles ont été les

représentations géopolitiques de ces acteurs lors de la guerre de l’eau ? Quelle a été

l’évolution des rapports de pouvoir territoriaux lors de ce conflit ? À travers une revue de sept

journaux boliviens (1997-2004), nous avons analysé le discours des acteurs afin de

comprendre les redéfinitions successives de la territorialité avant, pendant et après ce conflit

sur la gestion de l’eau.

Ce faisant, cette recherche démontre que les représentations entourant le projet Misicuni ont

joué un rôle important dans la genèse du conflit. De plus, les us et coutumes paysannes et la

nouvelle tarification de l’eau urbaine ont été les « rapports au territoire » à la base de la

guerre de l’eau. Finalement, la plus grande importance des relations « locale-internationale »

et « nationale-internationale » font en sorte que l’évolution de la construction locale du

territoire est de plus en plus dépendante des acteurs internationaux.

Mots-clés: globalisation, néolibéralisme, altermondialisme, territorialité, Bolivie,

Cochabamba, guerre de l’eau, gé opolitique de l’eau, privatisation de l’eau, Banque mondiale

et Coordinadora del agua

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IV

Resumen En un contexto de una nueva conciensia de la comunidad internacionale de los enfoques de la

accesibilidad del agua potable en los países subdesarrollados, el Banco Mundial recomanda a

los Estados de privatizar su gestión del agua. En 1999, el gobierno neoliberal de Hugo Banzer

ha favorisado la privatización de los servicios de distribución del agua de Cochabamba.

Banzer ha justificado esta decisión con la falta de plata que necesitaba la realización del

Proyecto Múltiple Misicuni. Las poblaciones campesina, periurbana y urbana, quien tenía

una relación conflictual con la gestión del agua, se han unificado para revendicar la anulación

del contrato de concesión del consortio international Aguas del Tunari y para modificar la ley

de agua (2029). Las manifestaciones acompañiendo estas revencidaciones han sido

reprimadas por la armada antes que el gobierno acepta de re-nacionalizar la gestión del agua

y de cambiar la ley.

¿Cuales estaba las interacciones económica y política entre las diferentes escalas geograficas

representadas por los actores de este conflicto socio-territorial? ¿Cuales han sido las

representaciones geopolíticas de los actores durante la guerra del agua? ¿Cual ha sido la

evolución de la relación de poder territorial durante este conflicto? A través de siete

poriódicos bolivianos (1997-2004), analisamos el discurso de los actores para entender las

redifiniciones de la territorialidad antes, durante y después de la guerra del agua.

Entonces, esta investigación demuestra que las representaciones del proyecto Misicuni han

jugado una función muy importante en el desarrollo del conflicto. Además, los usos y

costumbres campesinos y la nueva tarificación del agua urbana han sido la “relación al

territorio” en la base de la guerra del agua. Finalmente, la importancia de las relaciones

“locale-internacionale” y “nacionale-internacionale” hacen que el dessarrollo de la

construcción locale del territorio es de más en más dependiente de los actores internacionales.

Palabras llaves: globalización, neolibaralismo, anti-globalismo, territorialidad, Bolivia,

Cochabamba, guerra del agua, geopolítica del agua, privatización del agua, Banco

Mundial y Coordinadora del agua

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V

Avant-propos J’ai choisi ce sujet parce que la privatisation avait échoué. Je pouvais ainsi prétendre que la

privatisation de l’eau n’était pas l’alternative à l’entreprise publique. La subjectivité du

chercheur venait de faire sa première trace. Au fil des entrevues et des lectures, la complexité

du phénomène m’a fait réaliser que la conclusion se devra d’être toute en nuance. Ainsi, les

thèses néolibérales et les antithèses altermondialistes, telles des sourds, évoluent trop souvent

en vase clos. Un conflit n’est pas la rencontre des civilisations, mais bien la rencontre des

ignorances où tout le monde croit avoir raison tout en ayant tort.

L’étude des représentations est fascinante, car elle nous permet d’analyser la rationalité de

chacun des acteurs et ainsi de concevoir le monde d’une manière différente à chaque fois.

L’addition des idées de l’autre aux siennes amène une conciliation toujours plus nuancée, se

rapprochant de la solution à apporter à un problème complexe. Ainsi, c’est en nous écoutant

que nous parviendrons au consensus, seul mot pouvant réaliser l’utopie de la démocratie, trop

souvent réduite à une fausse représentation par des gens ayant des intérêts particuliers.

Les idéologies politiques sont attrayantes, car elles prétendent tout expliquer, telles les

religions. Cette prétention est suffisante pour les rejeter, mais également suffisante pour que

l’on s’attarde à les étudier, car elles sont le motif de bien des guerres. Je ne prétends en rien

connaître mieux que les autres, mais j’ai appris lors de ce voyage formateur de jeunesse qu’il

valait mieux faire l’étude des idéologies que de se ranger derrière l’une d’elle. Bonne

lecture et bon voyage virtuel en Bolivie !

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VI

Remerciements La réalisation de ce mémoire n’aurait jamais été possible sans Sophie Côté, qui a partagé

mon anxiété et ma joie durant ces deux années, en plus d’avoir fait la relecture de chacune

des pages de ce mémoire. Je te remercie Sophie ! Je tiens également à remercier Frédéric

Lasserre, mon directeur, qui m’a conseillé et enseigné avec passion les méthodes de la

géopolitique, ainsi que les particularités du travail de terrain et de rédaction. Je remercie

également mes amiEs du GREDIN et du département de géographie de l’Université Laval

avec lesquels j’ai passé de très bons moments.

Finalement, je tiens à remercier toutes les personnes qui m’ont aidé à réaliser ce voyage de

recherche en Bolivie. Particulièrement, je tiens à remercier Sylvie Paquerot, Éliette Gagnon

et Hernan Barrientos. Je remercie également toutes les personnes et tous les organismes

boliviens que j’ai visités et qui m’ont si gentiments reçus et aidés. Mes salutations égalements

aux agréables rencontres de voyages : les Boliviens de Tinku, Élise, Marie-Claude, Luka,

Anne-Catherine, Marie-Léa, Marizol et Marcela.

Le financement de cette recherche a été simplifié par la bourse de mobilité du Bureau

international de l’Université Laval, par la bourse Praxis de l’Office Québec-Amériques pour

la jeunesse et par le soutien financier de ma famille. En ce temps de grève étudiante, je ne

peux passer sous le silence les prêts et bourses de l’Aide financière aux études…et à

l’endettement. Néanmoins, merci !

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VII

Table des matières RÉSUMÉ ........................................................................................................................................................ III RESUMEN ......................................................................................................................................................IV AVANT-PROPOS............................................................................................................................................ V REMERCIEMENTS ......................................................................................................................................VI INTRODUCTION ............................................................................................................................................ 1

TERRITOIRE ET PÉRIODE D’ANALYSE .............................................................................................................. 2 INTÉRÊT DE LA RECHERCHE ............................................................................................................................ 6 PROBLÉMATIQUE ............................................................................................................................................ 7

Questionnement de recherche ................................................................................................................. 10 REVUE DE LA LITTÉRATURE SUR LE SUJET .................................................................................................... 11

Hypothèses de la recherche..................................................................................................................... 13 OBJECTIFS ET PLAN DU MÉMOIRE.................................................................................................................. 14 PRÉSENTATION DU MÉMOIRE ........................................................................................................................ 15

PREMIER CHAPITRE ................................................................................................................................. 17 MÉTHODOLOGIE........................................................................................................................................ 17

LES CONCEPTS FONDAMENTAUX................................................................................................................... 17 LES ACTEURS ET LE TYPE DE SOURCES RECHERCHÉES .................................................................................. 20 MÉTHODES DE CUEILLETTE DES SOURCES..................................................................................................... 20 L’ANALYSE DU DISCOURS PAR L’ANALYSE DE CONTENU .............................................................................. 24

DEUXIÈME CHAPITRE .............................................................................................................................. 27 LE CONTEXTE, DE LA PENSÉE GLOBALE À LA RÉALITÉ LOCALE............................................ 27

PRISE DE CONSCIENCE INTERNATIONALE DE LA PROBLÉMATIQUE DE L’EAU ET ÉMERGENCE DES PRATIQUES NÉOLIBÉRALES.............................................................................................................................................. 27 LA POLITIQUE DE LA BANQUE MONDIALE SUR LA GESTION DES RESSOURCES HYDRIQUES............................ 30

La gestion publique de l’eau ................................................................................................................... 31 La modernisation des structures de gestion ............................................................................................ 31 Décentralisation et privatisation............................................................................................................. 34 Autoévaluation de la politique de gestion des ressources hydriques ...................................................... 35 Critique du modèle marchand................................................................................................................. 37

L’ACCESSIBILITÉ À L’EAU, UN REGARD SOCIO-SPATIAL DE COCHABAMBA................................................... 40 Une forte croissance démographique… .................................................................................................. 40 … et une ressource limitée ...................................................................................................................... 46

SYNTHÈSE ET OUVERTURE ............................................................................................................................ 50 TROISIÈME CHAPITRE ............................................................................................................................. 52 L’ÉMERGENCE DE L’IDÉE DE PRIVATISATION ET DE SON OPPOSITION................................ 52

LES CONFLITS VILLES-CAMPAGNES ET LA RARETÉ RELATIVE DE L’EAU........................................................ 53 LE TRANSFERT MASSIF D’EAU POTABLE POUR AUGMENTER LA QUANTITÉ D’EAU D’APPROVISIONNEMENT DE LA SEMAPA ................................................................................................................................................... 55 LES REPRÉSENTATIONS TERRITORIALES FACE À LA RATIONALITÉ ÉCONOMIQUE........................................... 58

La rationalité économique des institutions internationales derrière Corani .......................................... 58 L’identité régionale et l’espoir que suscite Misicuni .............................................................................. 61

L’IDÉE DE PRIVATISER .................................................................................................................................. 64 PRIVATISATION ET LÉGISLATION .................................................................................................................. 66

La loi de 1906 sur la gestion de l’eau ..................................................................................................... 66 Los usos y costumbres ............................................................................................................................. 67 La loi 2029 : Ley de servicios de agua potable y alcantarillado sanitario ............................................. 68

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VIII

PRIVATISATION ET TARIFICATION ................................................................................................................. 72 SYNTHÈSE ET OUVERTURE ............................................................................................................................ 75

QUATRIÈME CHAPITRE ........................................................................................................................... 77 LA PRIVATISATION ET LES REVENDICATIONS SOCIO-TERRITORIALES ............................... 77

LE CONTRAT D’AGUAS DEL TUNARI ............................................................................................................. 79 La nouvelle tarification progressive........................................................................................................ 83 Exclusivité et expropriation..................................................................................................................... 88

LA GUERRA DEL AGUA.................................................................................................................................. 94 El Gran Bloqueo por la Dignidad Civil (janvier 2000) .......................................................................... 95 La Toma pacífica de Cochabamba (février 2000)................................................................................. 102 La Consulta popular (mars 2000) ......................................................................................................... 105 La Batalla final (Avril 2000) ................................................................................................................. 107

VICTOIRE ET MORT DE LA COORDINADORA DEL AGUA ............................................................................... 109 OUVERTURE................................................................................................................................................ 112

CINQUIÈME CHAPITRE .......................................................................................................................... 114 RETOUR À LA GESTION PUBLIQUE ET INTERNATIONALISATION DE LA TERRITORIALITÉ........................................................................................................................................................................ 114

LA RÉINTERPRÉTATION DE LA GUERRE DE L’EAU PAR LES ACTEURS ........................................................... 115 La Coordinadora................................................................................................................................... 115 Le Comité Civique et la mairie de Cochabamba................................................................................... 116 Le Gouvernement .................................................................................................................................. 116 Aguas del Tunari ................................................................................................................................... 118 La Banque mondiale.............................................................................................................................. 119

RETOUR À LA GESTION PUBLIQUE DE LA SEMAPA ....................................................................................... 121 La participation citoyenne à la Semapa............................................................................................... 121 La Mission sociale de la Semapa .......................................................................................................... 122 La réalité financière précaire de l’entreprise publique ........................................................................ 125

LA POURSUITE DU PROJET MISICUNI ........................................................................................................... 128 Le financement du projet....................................................................................................................... 128 Projections et réalisation du projet Misicuni ........................................................................................ 129 Les représentations et les appuis politiques à Misicuni ........................................................................ 131

LA LEY DE RIEGO, UN LONG PARCOURS...................................................................................................... 133 De la loi 2029 à la loi 2066................................................................................................................... 133 Un nouveau mécontentement en réaction à la réglementation de la loi 2066....................................... 134 Un précédent de législation participative : la Loi de l’irrigation ......................................................... 136

LES REVENDICATIONS DE LA COORDINADORA SUITE À LA GUERRE DE L’EAU............................................. 137 La crise démocratique........................................................................................................................... 138 Les nouvelles revendications de la Coordinadora ................................................................................ 141 De Cochabamba à El Alto..................................................................................................................... 142

LA POURSUITE D’AGUAS DEL TUNARI ENVERS LA BOLIVIE ........................................................................ 143 Bechtel, le porte-parole d’Aguas del Tunari ......................................................................................... 143 Les argumentations et le CIADI............................................................................................................ 144

LA GUERRE DE L’EAU DE COCHABAMBA, UN SYMBOLE ALTERMONDIALISTE............................................. 146 Les appuis du mouvement altermondialiste .......................................................................................... 146 La récupération de la guerre de l’eau de Cochabamba........................................................................ 147

SYNTHÈSE................................................................................................................................................... 148 CONCLUSION ............................................................................................................................................. 151

AUTOCRITIQUE DE LA DÉMARCHE MÉTHODOLOGIQUE................................................................................ 151 LA TERRITORIALITÉ EN ÉVOLUTION ............................................................................................................ 152

L’idée de privatiser ............................................................................................................................... 152 La privatisation et la construction du territoire.................................................................................... 153 Internationalisation de la territorialité ................................................................................................. 154

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IX

¿GUERRA POR O CONTRA EL AGUA?............................................................................................................ 156 ANNEXE 1: LES ACTIONNAIRES D’AGUAS DEL TUNARI.............................................................. 160 ANNEXE 2: TRADUCTION FRANÇAISE DU TABLEAU 8................................................................. 161 ANNEXE 3: TRADUCTION FRANÇAISE DU TABLEAU 11............................................................... 162 BIBLIOGRAPHIE........................................................................................................................................ 163

JOURNAUX : ................................................................................................................................................ 163 Consultés systématiquement entre 1997 et 2004:.................................................................................. 163 Autres journaux consultés :................................................................................................................... 163

LIVRES, ARTICLES ET RAPPORTS ................................................................................................................. 163

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X

Liste des tableaux Tableau 1 : Les entretiens d’exploration...............................................................................21 Tableau 2 : Les entretiens avec informateur-clé planifié avant le départ .............................22 Tableau 3 : Les catégories de l’analyse de contenu..............................................................26 Tableau 4: L’évolution du type d’accès à l’eau à Cochabamba ...........................................45 Tableau 5 : Les sources d’eau de la Semapa en mars 2005..................................................49 Tableau 6 : Comparaison technique des projets Misicuni et Corani ....................................58 Tableau 7 : Le nouveau projet Misicuni, rebaptisé « Misicunito ».......................................80 Tableau 8 : Quelques passages du contrat d’Aguas del Tunari ............................................81 Tableau 9 : Tarification d’Aguas del Tunari pour les services de distribution de l’eau

potable et d’égout..........................................................................................................86 Tableau 10 : Comparaison entre les puits communautaires de Valle Hermoso, la Semapa et

les distributeurs d’eau ...................................................................................................92 Tableau 11 : Les résultats de la consultation populaire ......................................................106 Tableau 12 : L’évolution des slogans de la Coordinadora dans ses communiqués aux

journaux ......................................................................................................................111 Tableau 13 : Le prix de l’eau subventionné pour la Zone sud............................................123 Tableau 14 : Misicuni, un projet entre rêve et réalité .........................................................130

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XI

Liste des figures Figure 1 : Les départements boliviens ....................................................................................3 Figure 2 : Schéma de la géographie physique du département de Cochabamba....................3 Figure 3 : La Vallée centrale de Cochabamba........................................................................4 Figure 4 : La croissance spatiale de Cochabamba entre 1962 et 2000 .................................40 Figure 5 : Densité de la population urbaine de Cochabamba ...............................................41 Figure 6 : Répartition de la qualité des services de base de Cochabamba............................42 Figure 7 : Répartition du taux de raccordement de distribution d’eau en 2003....................43 Figure 8 : Répartition du taux de raccordement au réseau d’égouts en 2003.......................44 Figure 9 : La Rivière Rocha de Cochabamba .......................................................................45 Figure 10 : Eaux de surface et souterraine canalisées par la Semapa...................................47 Figure 11 : Réseau d’aqueduc de la Semapa en 2003...........................................................48 Figure 12 : Le lac Wara Wara...............................................................................................50 Figure 13 : Les puits de surface et la nappe phréatique........................................................54 Figure 14 : Le projet Misicuni ..............................................................................................56 Figure 15 : Le projet Corani .................................................................................................57 Figure 16 : La signature du contrat d’Aguas del Tunari.......................................................82 Figure 17 : Distribution générale des catégories de tarification de l’eau .............................85 Figure 18 : Réservoir d’eau d’une résidence de catégorie 3.................................................90 Figure 19 : Foire des Comités de gestion de puits communautaires de la Zone sud de

Cochabamba..................................................................................................................91 Figure 20 : Vice-présidente de l’A.V.H.A.P.A.....................................................................92 Figure 21 : Exemples de territoires desservis par des puits communautaires dans le quartier

Valle Hermoso ..............................................................................................................93 Figure 22 : Caricature de Manfred Reyes Villa....................................................................96 Figure 23 : Les barrages routiers de janvier 2000 ..............................................................100 Figure 24 : Affrontement derrière les barricades sur la rue Bolivar ...................................104 Figure 25 : Manifestations devant les bureaux de la Coordinadora...................................108 Figure 26 : Oscar Olivera devant une manifestation d’appui aux revendications de la

Coordinadora..............................................................................................................109 Figure 27 : Travaux d’excavation de la Semapa pour l’extension du réseau de distribution

d’eau dans la zone sud ................................................................................................124 Figure 28 : Travail de canalisation de l’eau de surface dans la cordillère..........................127 Figure 29 : Canalisation de l’eau de surface dans la cordillère Tunari...............................127 Figure 30 : Contestation des élections par les autochtones ................................................138 Figure 31 : Participation autochtone aux élections de 2002 ...............................................139 Figure 32: Les actionnaires d’Aguas del Tunari selon le schéma de Kruse .......................160

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Aux Boliviens et aux Boliviennes qui m'ont si chaleureusement accueillis.

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El precio del oro Autor: Richard Desjardins Traductor: Simon Mélançon con la ayuda de Jhon Montoya y Luz Maria Medina Lopez Emanual - Capitán, escúcheme un momento. Yo, he sometido muchos palacios, he dominado derramamientos de sangre, tierras de fuego, infiernos de hielo y más que todo, la nostalgia. Tres años, capitán, tres años a sortear todos estos arrecifes. Iba, feliz, transformando mis volundades en oro macizo. En mi paso he vencido todo. Soy una estrella viviente. Por lo tento nunca hubiera creído perecer por un movimiento de vacío. Treinta y tres días que no ventea ni llueve. El mar nos presenta problemas, nuestro navío no avanza. Y nosotros aquí, marionetas del destino, velas muertas de un navío fúnebre. Perdidos a lo largo de las Azores, el brújula se hunde en las tinieblas. El sol calienta aún. ¡Qué desgracia! Todo lo que tiene vida pudre. El agua escapa de nuestro cuerpos. Ni una gota en los barriles. Atravezados por el delirio, todos con el escorbuto en la boca, por todo el navío, los hombres caen como moscas. Ellos se han comido el último perro, el albatros y el cuero de los cables. Lo único que queda es esperar la muerte. Capitán, escúchame un momento Inocencio vende su agua a los esqueletos agonizantes, un trago por un lingote. Inocencio, ese bribón, aquél que no cree en nada, tiene su cantimplora llena de agua. ¡Requisadlo, al menos! Yo lo sé, ustesdes obedecen las leyes del mar. Pero teman a las del Todopoderoso si abandonan a sus hermanos. Estos hombres han amontonado en la bodega una montaña de oro, de plata, de ópalo, bastante para comprar la corona de España. Si morimos, todo caerá En manos de los piratas portugueses. ¿Se llevarán el tesoro sin siquiera haber librado un combate? ¡Jamás! Yo, Emanual del Extremadura, dónde los molinos mandan al viento,

puedo vivir sin alimento; la vergüenza me matará bien pronto. ¡Capitán, capitán! ¡Escuchen marinos! ¡Escuchen! El capitán acaba de morir. En nombre de Carlos V, tomo el comando de este navío. Dios ha lanzado una maldición sobre el botín de nuestras conquistas. Al ver nuestros corazones llenos de orgullo está furioso de habernos hecho nacer. ¡Todos sobre la cubierta! ¡Reunión! Que todos se pongan de rodillas y hagan al cielo un gran juramento. El quiere su parte, sometámonos. Señor Dios, si la lluvia cae y si el viento sopla, juro al llegar a Toledo, que al primer mendigo que encuentre, le daré todo lo que poseo. Ramón - Yo cacrificaré cinco mil soldados piadosos y crueles. A nuestro paso, por los arenas del Sáhara, destruiré a los Musulmanes. Juan - Si usted nos concede, Señor, yo los colmaré de alabanzas, iré a Roma a fundir mi oro en las calderas de Miguel Angel. Velasco - Yo, Velasco, Príncipe de amor Los mujeres se pelean por tenerme. Miraré el Sol y quemaré mis hermonsos ojos negros. Alonzo - Yo que no tengo tan bonitos ojos, que no obtengo el amor más que con un cuchillo, entregaré mi precioso oro al humbre que se acueste con mi mujer. Arroyo - Yo quiero la fin de mi calvario. Mi oro está bebido, tengo sed aún. ¡Ahora bien matadme! De todas maneras de hoy a mañana estaré muerto. ¿Cuantas veces necessita morir para contentar este Dios-Satanás? Yo les pido que me ejecuten con un arcabuz, a quemarropa. Emanual - Inocencio, haz algo, dale agua, te lo suplico; no defenderé tu causa si llueve. Inocencio - Parenme todo este alboroto. Recen, lloren, pandilla de idiotas. Cretinos, en la saliva y en las lágrimas hay sobre todo agua.

Juan - ¡Miren! Un estremecimiento en la vela. Si, si, el barco se ha movido. Comandante Emanual, ¡Avanzamos! ¡Estamos salvados! Emanual - Tienes razón. Siento el viento. Dios levantó la cuarentena. Para nosotros la gracia de los sobrevivientes, para mi, la parte del capitán. Todos - Cuando lleguemos a Sevilla abrá vino y mujeres. Un marino - Pero mi comandante usted no puede, ¿ Su juramento, su tesoro al primer mendigo de Toledo? Comandante Emanual, usted no puede, usted no puede, su juramento al primer mendigo de Toledo. Emanual -¿No conoces la regla de oro? Si tienes oro, haces la ley y corolario de esta regla, si no tienes oro, haces de negro. ¡Ah! ¡Ah! ¡Ah! ¡Ah! Pensándolo bien, no me gusta Toledo, el rey es vanidoso y la reina es muy fea. Cuando lleguemos allá, compro la Armada, tomo el Sur, tomo el Norte y soy rey. ¡Viva España, viva, viva yo! Y tú, Príncipe de amor, que tienes tan bellos ojos, ¿quieres aún incendiar el cielo? Velasco - Hoy no, señor, está un poco nublado. La vida, es tan corta, esperemos a estar viejos. ¡Viva España, viva, viva yo! Juan - Comodoro, esto va mal, el viento va a desgarrar la vela, la ola quiere sumergirnos. Estamos un poco, un poco cargado. Emanual - ¡Calma, calma! ¡Vamos por la borda! ¡Los prisioneros y los cañones! Amarren el hombre a la rueda, Amarren todo, amárrense. ¡Viva España, viva, viva yo! ¿Dime Alonzo, y el señor en tu cama, vas llevarle flores también? Alonzo - El encontrará mi oro bien frío Cuando yo perfore el hígado. ¡Viva España, viva, viva yo! Juan - Comodoro, los calafates ¡Están desbordados! ¡Oh qué desgracia! Nos estamos hundiendo. ¡Maldición, es un tifón! ¡Hundido!

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Introduction La force des représentations identitaires, la vigueur des enjeux sociopolitiques transforment l’espace en

territoire. Le territoire se repère à différentes échelles, de la localité aux aires supranationales. […]

Idéologique et politique, artefact culturel, le territoire enregistre néanmoins les contingences du milieu

géographique. Il subit également les effets de l’économie et des techniques propres aux sociétés qui

l’aménagent. Vécu tout autant que produit, le territoire traduit enfin le lien primordial de l’Homme

et de la Terre. Guy Di Méo

Depuis déjà quelques années, au Québec, l'idée de privatiser les services de distribution d'eau

potable a fait surface dans l'actualité. La situation du Québec est pourtant relativement

simple, nous avons suffisamment d'eau pour tous les citoyens et nous sommes une population

se rattachant au groupe des pays développés et industrialisés. Ainsi, collectivement nous

n'avons qu'à investir une partie de notre richesse pour payer des réseaux de distribution

adéquats.

Seulement, la situation d'acheminement de l'eau potable n'est pas aussi simple dans d'autres

régions de la planète. C'est pour cette raison, que nous avons décidé d'étudier un cas, qui est

maintenant passé à l'histoire, soit celui de la gestion de l'eau de la Vallée centrale de

Cochabamba, qui a été baptisée La guerra del agua1. Oui, ce fut une vraie guerre de l'eau,

seulement ce ne fut pas une guerre entre deux régions pour obtenir une même ressource, mais

bien une guerre sociale pour décider de quelle manière l'eau allait-elle être gérée, d'une

manière privée ou d'une manière publique. La Vallée centrale de Cochabamba est peu arrosée

et l’acheminement de l’eau vers le réseau de distribution de la ville nécessite des

infrastructures importantes. De plus la Bolivie est le pays le plus pauvre du continent sud-

américain, bref le cas de Cochabamba est beaucoup plus complexe que celui du Québec.

Cette recherche s’inscrit dans le champ de la géographie humaine, plus précisément en

géopolitique. Cette dernière est « l’étude des différents types d’enjeux de pouvoir et

1 La guerre de l’eau. N.B. Toutes les traductions de ce mémoire ont été effectuées par l’auteur.

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2

d’identité sur des territoires, et sur les représentations qui leur sont associées » (Lasserre et

Gonon 2001: 112). Cette recherche se veut une réflexion ayant pour objet central les

représentations de la territorialité comme élément de réponse à l’explication des conflits

géopolitiques d’aménagement et de distribution de la ressource hydrique à Cochabamba.

Ainsi, l’enjeu de pouvoir étudié dans cette recherche est la définition de la relation au

territoire (à la ressource hydrique), par l’entremise des représentations que les différents

acteurs sociaux ont de la gestion de l’eau. Cette angle d’analyse répond à une proposition de

Claude Raffestin sur l’étude du pouvoir via des rapports sociaux associés aux territoires

(Raffestin 1980).

Territoire et période d’analyse Le territoire d’analyse est la Vallée centrale de Cochabamba en Bolivie, située au cœur du

département de Cochabamba2. De plus, ce territoire est analysé à différentes échelles afin de

mieux cerner les enjeux dans lesquels il s’inscrit et ceux qui le composent.

Cochabamba est, comme le reste du pays, soumise à la Nouvelle politique économique

bolivienne. La Bolivie a renoué avec la démocratie en 1982 et, depuis 1985, des

gouvernements néolibéraux se succèdent. Dès 1985, la Bolivie a décentralisé ses pouvoirs

politiques et les responsabilités qui y sont associées. Seulement, la décentralisation des

capitaux s’est faite dans une proportion moindre que les responsabilités, ce qui a un impact

très important sur l’aménagement du territoire, l’entretien des infrastructures et

l’investissement pour en construire de nouvelles.

En réalisant leurs politiques néolibérales, les gouvernements boliviens ont répondu aux

attentes du Fonds monétaire international (FMI) formulées à l’intérieur de Plans

d’ajustements structurels (PAS). Ces derniers influencent les politiques boliviennes depuis

1985 (Jenkins 1997; Kieffer Guzmán 2001; Rubín de Celis Rojas 2001; Kohl 2002, 2003).

2 Le département de Cochabamba est situé dans les vallées faisant la jonction entre l’Altiplano et l’Amazonie. En Bolivie, le département est la deuxième entité politique après l’État, comme les provinces pour le Canada (voir Figure 1). Le département de Cochabamba, comprend trois vallées, la Vallée basse, la Vallée haute et la Vallée centrale. La ville de Cochabamba est située dans la Vallée centrale. Le conflit de la guerre de l’eau ne concerne que la Vallée centrale de Cochabamba (voir Figure 2).

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3

Figure 1 : Les départements boliviens

Source : www.ine.gov.bo

Figure 2 : Schéma de la géographie physique du département de Cochabamba

Source : (Dory et Manzano 2000: 18)

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4

Figure 3 : La Vallée centrale de Cochabamba3

Source : (CLAS 2003), réalisation toponymique : Simon Mélançon 2004

3 Cette image satellite nous provient d’une technologie Landsat 7 ETM. Elle a été travaillée à partir des couleurs RGB 581. La photo a été prise en juin 2000 et la carte fut élaborée en mai 2003. Pour vous repérer dans la Vallée centrale de Cochabamba lors des cartes subséquentes, nous vous conseillons de prendre pour repère le Lac Alalay. Ce lac urbain est situé à l’est de la ville de Cochabamba. Le lac prend la couleur d’un bleu très foncé, la ville est bleu pâle, la zone agricole est verte et les montagnes sont brunes-rouges.

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La ville de Cochabamba est située dans une vallée à l’est de la cordillère des Andes. La

Vallée centrale de Cochabamba a un climat semi-aride et les ressources hydriques sont d’une

rareté relative, c’est-à-dire que le milieu physique dispose de suffisamment d’eau pour

subvenir aux besoins de la population, mais le manque de ressources financières amène un

aménagement et un approvisionnement déficients. Les précipitations sont concentrées durant

la période estivale, laissant la saison hivernale très sèche et le manque d’infrastructure

retenant l’eau entraîne des pénuries périodiques. Ainsi, les citoyens de la Vallée centrale de

Cochabamba utilisent conjointement l’eau de surface et l’eau souterraine pour subvenir à

leurs besoins en eau. La situation de l’eau souterraine est jugée modérée, c’est-à-dire que la

ressource est suffisante s’il n’y a pas de pompage trop important et la situation de l’eau de

surface est jugée limitée, car durant la saison hivernale, le débit de la rivière Rocha est réduit

considérablement (Anton 1995: 7). Cette situation a amené plusieurs conflits mineurs par le

passé entre les regantes (les paysans irrigants) et la Semapa (entreprise municipale du service

de distribution de l’eau) (Durán et al. 1998; De la Fuente 2002; Assies 2003; Fernández

Quiroga 2004). Ainsi, les enjeux géopolitiques seront envisagés dans leur contexte historique,

afin de comprendre la complexité de la situation.

La périodisation de cette recherche se fait également à diverses échelles. D’abord, les temps

longs de l’histoire peuvent nous amener à mieux comprendre les représentations envers les

compagnies étrangères en Bolivie (Rudel 1995; Fisback 2001). De plus, L’histoire politique

des temps courts nous permettra quant à elle de comprendre l’émergence des mouvements

politiques autochtones (Labrousse 1985; Lavaud 1991; Favre 1996; Lavaud 2000; Albó

2002; Lavaud 2002). La population de Cochabamba est majoritairement quechua. Cette

dernière a un impact sur les différents mouvements politiques (favorable au Movimiento al

socialismo4), surtout dans les enjeux se rapportant à la terre et à l’eau, qui ont une

signification particulière. Finalement, dans le cadre de cette recherche proprement dite, la

période d’étude retenue est de 1997 à 2004. Le début de cette période correspond à la prise du

pouvoir par l’Acción Democrática Nacionalista5, dirigée par l’ancien dictateur Hugo Banzer

(1971-1978). La campagne électorale de 1997 avait pour enjeu électoral, entre autres, la

gestion de l’eau de Cochabamba. De plus, c’est durant ce mandat politique (1997-2002) que 4 Mouvement vers le Socialisme, MAS. 5 Action démocratique nationaliste, ADN.

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la Semapa fut privatisée et re-nationalisée. La fin de la période d’étude concorde avec la fin

du terrain de recherche en Bolivie, soit en août 2004. Malgré son étendue relativement courte,

cette période couvre trois sous-périodes distinctes dans l’aménagement de l’eau à

Cochabamba, soit la campagne électorale et la gestion publique (1997 à novembre 1999), la

privatisation (novembre 1999 à avril 2000) et le retour à la gestion publique (avril 2000 à

2004). Ces transformations de structures dans la gestion de l’eau ont amené des changements

entre les différents acteurs et dans leurs liens respectifs à la ressource hydrique. Cela a

également provoqué une redéfinition des pouvoirs entre ces acteurs. Ainsi, ma périodisation

couvre plusieurs débats publics par rapport à l’aménagement et à la gestion de l’eau. Nos

sources se retrouvent principalement à l’intérieur des discours des différents acteurs lors de

ces bouleversements.

Intérêt de la recherche L’intérêt principal de cette recherche est de mieux comprendre les enjeux géopolitiques dans

l’aménagement de l’eau de Cochabamba, car plusieurs écrits ont simplifié de façon réductrice

les événements de la guerre de l’eau d’avril 20006. Ces derniers prétendent que le problème

de gestion de l’eau est arrivé avec la privatisation et qu’il est parti avec elle. Cette thèse

altermondialiste est idéologique et manque de nuances, le problème de gestion de l’eau de

Cochabamba existait bien avant la privatisation et se poursuit toujours cinq ans après le retour

de la gestion publique. La thèse inverse voulant que la privatisation soit une solution est tout

aussi idéologisée. Cette recherche a pour objectif d’éclaircir ces fausses vérités véhiculées par

les deux antithèses discursives.

De plus, la recherche s’inscrit dans l’étude de trois phénomènes d’actualité en géographie,

soit la globalisation7, la territorialité8 et la géopolitique de l’eau9. L’accessibilité à l’eau

potable est un enjeu majeur de la présente décennie. L’année 2003 a d’ailleurs été désignée

6 Voir les sources suivantes (Cuba 2000; Shultz 2000, 2000; Ratzé 2001; Poupeau 2002). 7Voir les sources suivantes (Dodds 1998; Kelly 1999; Klein 1999; Laurie et Marvin 1999; De Koninck 2001; Coleman 2002). 8 Il est à noter que ce concept central dans cette recherche sera définit et justifié dans la méthodologie. Voir (Raffestin 1980; Bonnemaison et Cambrezy 1996; Offner et Pumain 1996; Tizon 1996; Di Méo 1998; Klein et Laurin 1999; Cox 2001; Lasserre 2003). 9 Voir (Marvin et Laurie 1999; Gleick 2000; Ohlsson 2000; Bethemont 2001; Fournier 2001; Lasserre et Descroix 2002; Lasserre 2003).

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l’année internationale de l’eau par l’Organisation des Nations Unies (ONU). De plus, en cette

même année, lors du 14e Festival international de géographie de Saint-Dié-des-Vosges, le

thème annuel était : « eau et géographie ». « On cherche par ailleurs à souligner que l’eau

conditionne l’organisation de l’espace géographique, qu’elle est un objet spatial » (Fournier

2001: 14). L’étude propose de comprendre l’aménagement et la gestion de l’eau de

Cochabamba dans le contexte actuel de la globalisation. Ce concept est préféré à celui de

« mondialisation », car il marque une différence de structure et d’intensité depuis le début des

années 1980 par rapport à la « mondialisation » qui existait déjà. Le terme « globalisation »

est d’ailleurs utilisé distinctement de « mondialisation » en anglais et en espagnol, c’est

pourquoi je fais de même en français. Gélinas définit le mot globalisation comme un système

de « gouverne du monde par de puissants intérêts économiques supraétatiques », comme un

processus « d’intégration globale et d’expansion planétaire » et finalement comme une

idéologie, « un discours, un système de rationalisation et d’explication du monde […] un

ensemble cohérent de croyances, de convictions et d’idées qui détermine la nature de la vérité

dans une société donnée (Gélinas 2000: 42-47). Dans le cas de la guerre de l’eau de

Cochabamba, la politique de gestion de l’eau de la Banque mondiale a eu une influence sur la

privatisation de l’eau. Dans ce cas-ci, la globalisation est donc entendue comme étant un

discours faisant la promotion de la rationalité néolibérale.

En plus d’avoir une approche multiscalaire, cette recherche propose d’analyser ce conflit de

géopolitique locale par l’entremise des représentations qu’ont les différents acteurs dans leurs

rapports sociaux au territoire, dans leur rapport à l’eau. Ainsi, cette recherche étudie le local

tout en le mettant en contexte avec le national et le global. De plus, cette étude des

représentations de la territorialité permettra de bien comprendre quelles relations les acteurs

ont entre eux, via la ressource hydrique, et quelles relations ils entretiennent avec cette

dernière. Ainsi, cette recherche propose un objet d’étude au carrefour de préoccupations

géographiques.

Problématique Dans un contexte général, depuis le début des années 1980, l’idéologie néolibérale et les

organisations supra-étatiques ont beaucoup d’influence dans les décisions macroéconomiques

des pays en voie de développement. Depuis 1985, la Bolivie se conforme à des PAS proposés

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8

par le FMI. Ces PAS ont pour objectifs de réduire les dépenses de l’État en privatisant les

sociétés d’État et en réduisant les services publics. De plus, ils cherchent à favoriser les

exportations et à intégrer la Bolivie à l’économie mondiale. Ainsi, une série de compagnies

d’État a été privatisée10 depuis 1985 sous la présidence de Victor Paz Estenssoro du

Movimiento Nacionalista Revolucionario11. Les représentations des organisations

internationales ont été très importantes dans ces politiques néolibérales (Lavaud 2002). Pour

ce qui est des réformes administratives de la gestion des eaux, le principal organisme

responsable de conseiller les pays en voie de développement est la Banque mondiale. Ainsi,

les discours de la Banque mondiale concernant la gestion de l’eau ont été analysés pour

mieux comprendre l’importance et l’influence de ces représentations extraterritoriales sur la

privatisation de la Semapa.

Le consortium Aguas del Tunari S.A., une filiale d’International Water Limited, elle-même

filiale de Bechtel12, a été la seule à répondre à l’appel d’offres du gouvernement bolivien fait

en 1999. Ainsi, cette compagnie a pu prendre le contrôle de la distribution de l’eau potable et

du réseau d’assainissement des eaux. Cette privatisation des services a engendré l’indexation

de la facture de distribution de l’eau au prix de la production locale de l’eau. Ainsi, la logique

de recouvrement des coûts fut introduite, amenant une augmentation substantielle (d’une

ampleur controversée) de la facture d’eau pour les citoyens. De plus, la concession de la

gestion de la ressource hydrique à une entreprise privée a provoqué des changements

radicaux dans la territorialité. Le rapport à l’eau a été complètement modifié, amenant

certains acteurs sociaux à rejeter complètement la privatisation. Comme nous l’avons

mentionné dans la description du territoire d’analyse, il y avait déjà eu des conflits mineurs

dans la gestion de l’eau de la Vallée centrale. Des puits ont été creusés pour répondre au

manque d’eau du réseau de distribution urbain, amenant une opposition entre la Semapa et les

regantes13 au sujet de la légitimité de la propriété de l’eau souterraine (Durán et al. 1998;

10 Notons les privatisations des sociétés d’État gérant les mines, les communications, les aéroports, le système ferroviaire et le réseau d’électricité. 11 Mouvement nationaliste révolutionnaire, MNR. 12 Le consortium Aguas del Tunari est la propriété d’International Water Limited, qui est la co-propriété de Bechtel (É-U) et d’Edison (Italie). Voir le graphique comprenant tous les actionnaires en Annexe 1. 13 Semapa : Servicio municipal de Agua Potable y Alcantarillado de Cochabamba - Service municipal d’eau potable et de traitements des eaux. Regantes : les « irrigants » : des paysans ayant développé leur propre système d’acheminement d’eau de puits collectifs à des fins d’irrigation.

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9

Laserna 1998; Crespo Flores 1999). D’autres avenues ont été proposées pour subvenir à la

demande urbaine, notamment les projets de détournement d’eau Misicuni et Corani (Oporto

Castro 1999; Vera Varela 2001).

Ces projets sont d’ailleurs au centre des préoccupations des habitants de Cochabamba depuis

plusieurs décennies. Le projet Misicuni est perçu par la population comme la solution à tous

les problèmes d’eau dans la Vallée centrale. Il a été élaboré dans les années 1950, mais

n’avait jamais été effectué. En 1997, le projet Corani a été proposé comme une alternative au

projet Misicuni, alors jugé trop imposant dans le contexte financier de Cochabamba. Ces

deux projets ont été au centre des représentations géopolitiques formulées afin de résoudre les

problèmes d’accessibilité à l’eau (Laurie et Marvin 1999).

Suite à la privatisation en 1999, il y a eu un changement dans le rapport à l’eau selon le mode

de vie de certains acteurs. Ces changements ont amené les citoyens à s’unir au sein d’une

nouvelle organisation pour faire entendre leur opposition à la privatisation. Ainsi, à la suite

d’une décision du gouvernement national de soumettre la gestion de l’eau à un consortium

international, la population de la Vallée centrale de Cochabamba a formé la Coordinadora de

defensa del agua y de la vida14. Cette organisation citoyenne représente des acteurs de

différents milieux géographiques (centre-ville, zone périurbaine, campagne). Ses

représentants sont principalement issus des milieux syndicaux de la Fedecor, des Fabriles et

du Codaef15 (Assies 2003: 31). La Coordinadora a demandé l’annulation du contrat et le

retour à la gestion de l’eau par la Semapa, ce qui fut réalisé en avril 2000. Depuis ce temps, la

Semapa est à nouveau chargée de gérer l’eau de la ville de Cochabamba. De plus, trois

membres du conseil d’administration sur sept sont directement élus au suffrage universel, en

plus d’un membre élu parmi les employés de l’entreprise (De la Fuente 2002: 6).

Ce conflit pourrait être analysé sous différents angles. D’un point de vue juridico-

philosophique, nous pourrions nous attarder sur le droit à l’eau comme bien commun de

l’humanité ou comme bien économique. D’un angle économico-politique, nous pourrions 14 Convergence pour la défense de l’eau et de la vie, que l’on nommera simplement la Coordinadora. 15 Fabriles, est le syndicat des travailleurs des manufactures. La Fedecor est le regroupement des regantes (Federación departemental de Cochabamba de regantes – Fédération départementale de Cochabamba des paysans-irrigants). Le Codaef est un mouvement citoyen contre l’augmentation des tarifs de l’eau (Comite de defensa del agua y de economia familial – Comité de défense de l’eau et de l’économie familiale).

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10

analyser l’efficacité de la gestion selon une structure publique ou privée, cependant notre

analyse est géographique.

Cette recherche de géopolitique s’intéresse principalement à trois points. Premièrement, la

dynamique spatiale de l’accessibilité à l’eau potable et au système d’assainissement sera

cartographiée. Il est à noter que l’eau n’est pas accessible dans les mêmes proportions pour

les gens des quartiers centraux, plus anciens et plus aisés, et pour les gens des quartiers

périphériques, plus récents et plus pauvres. Ce premier volet permet de dresser un modèle

général du rapport à l’eau dans la ville. Deuxièmement, à une échelle régionale, ont été

identifiés les différents rapports à l’eau des regantes vivant dans les villages paysans

ceinturant la ville de Cochabamba, au cœur de la Vallée centrale. À cette même échelle ont

été cartographiées les principales sources d’eau de la Semapa dans la Cordillère Tunari et

dans les puits profonds de l’ouest de la Vallée centrale. Finalement, après avoir compris les

structures de distribution et d’utilisation de l’eau, les différentes représentations de la

territorialité ont été analysées. Dans ce cas-ci, les représentations sont entendues comme étant

le rapport entre les acteurs socio-politiques qui sont en relation avec la gestion de l’eau.

En lien avec la périodisation et les sous-périodes identifiées, une attention particulière est

accordée aux changements dans la dynamique spatiale locale et régionale de l’utilisation de

l’eau. Finalement, l’analyse centrale est celle concernant le changement dans les

représentations des acteurs les uns envers les autres et dans leurs représentations envers la

ressource hydrique. Dans l’optique de comprendre les différents enjeux de pouvoir sur le

rapport à l’eau dans la vallée de Cochabamba, il est primordial de comprendre les

représentations des opposants, car ce sont ces représentations, même non fondées, qui sont au

centre du conflit.

Questionnement de recherche La Bolivie se situe historiquement dans un contexte post-colonial et essaie, depuis près de

vingt ans, de s’inscrire dans un monde globalisé. Quels ont été les changements de la

territorialité et des représentations qui lui étaient associées durant la guerre de l’eau de

Cochabamba ? Quelles furent les différentes représentations des acteurs des différentes

échelles ? Finalement, quelle a été l’évolution de ces représentations entre 1997 et 2004 ?

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Revue de la littérature sur le sujet Pour répondre à ce questionnement, en plus des ouvrages déjà présentés dans les parties

précédentes, de nombreux écrits existent sur la guerre de l’eau de Cochabamba.

D’abord, dans une analyse à l’échelle internationale, Franz Quiroz a réalisé une thèse au

département d’économie de l’Universidad Mayor de San Simón de Cochabamba (UMSS).

Cette thèse démontre bien le rôle joué par les institutions internationales, particulièrement par

la Banque mondiale, dans le processus de privatisation de la gestion de l’eau de Cochabamba.

Cette thèse est importante, car elle synthétise les politiques de la Banque mondiale se

rapportant à la gestion de l’eau (Quiroz 2004).

D’un point de vue politique, un livre très bien documenté a été réalisé par une équipe de

chercheurs boliviens (García et al. 2003). Le livre La « guerra del agua » fait l’analyse du

discours dans le contexte de la crise politique nationale qu’occasionna la guerre de l’eau de

Cochabamba. La méthodologie que ces chercheurs ont employée est un modèle pour la

réalisation de cette recherche, à la différence près que nous allons mettre en liens le discours

avec le territoire.

À l’échelle de la ville, un article a été écrit sur l’application du contrat d’Aguas del Tunari sur

le mode de tarification de l’eau (Nickson et Vargas 2002). Cet article a été critiqué et

complété par Víctor Hugo Calisaya Hinojosa. Dans ces articles, on y apprend que l’eau a été

tarifiée en fonction de la valeur de la propriété (Calisaya Hinojosa 2004a, 2004b). Ainsi,

chacune des propriétés a été classée selon sa valeur et lors de la privatisation de l’eau, un

changement social et spatial a été instauré dans la façon de facturer. Les ménages mieux

nantis ont subi une augmentation plus importante que les ménages plus défavorisés. Ces

articles étudient cette facturation progressive d’un angle sociologique. Il sera intéressant d’en

faire des représentations cartographiquess afin de spatialiser l’analyse de ce mode de

tarification.

D’un point de vue historique et social, Willem Assies analyse les différents conflits relatifs à

la ressource en eau depuis trente ans dans la vallée de Cochabamba (Assies 2003). Ce texte

relativise la couverture médiatique du conflit d’avril 2000. De plus, il fait bien la présentation

des différents acteurs locaux qui ont formé la Coordinadora. Il fait également ressortir les

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différents acteurs qui ont participé, élaboré ou entériné le contrat de privatisation. Ce texte est

en fait une synthèse des forces politiques en opposition. Quatre textes similaires ont été écrits

par Manuel De la Fuente, un professeur d’économie de l’UMSS de Cochabamba (De la

Fuente 2000, 2002, 2003, 2003). Ces synthèses sont essentielles à l’identification des acteurs

qui ont été au centre du conflit. Ainsi, ces textes permettent de structurer la recherche des

discours de ces acteurs pour l’étude des représentations.

Un texte similaire a été écrit par Roberto Laserna, le directeur du CERES16 (Laserna 2000).

Cet article est l’antithèse des articles d’Assies et de De la Fuente. Laserna défend l’idée que

la population de Cochabamba a fait la guerre « contre » l’eau, c’est-à-dire que les perdants au

départ d’Aguas del Tunari ont été les populations pauvres des quartiers périphériques de la

ville, car ces derniers doivent toujours se procurer l’eau par le biais de camions citernes. Cette

eau est plus chère et de moins bonne qualité que celle du réseau public. Il prétend qu’Aguas

del Tunari aurait pu développer le réseau de distribution d’eau plus rapidement que la

Semapa.

Deux articles ont été écrits par les géographes Nina Laurie et Simon Marvin sur

l’aménagement de la ressource hydrique de la vallée de Cochabamba (Laurie et Marvin 1999;

Marvin et Laurie 1999). Ces écrits relativement anciens ont été publiés en 1999, soit un an

avant le conflit. Cependant, sans prévoir le litige, ils expliquent très bien la conjoncture qui

prévalait avant la privatisation, ce que l’on retrouve dans très peu d’articles. Leur

méthodologie et leur angle d’analyse sont très pertinents. Ils scrutent l’émergence du

changement de logique de gestion de l’eau (de gestion par l’offre à gestion par la demande)

recommandé par la Banque mondiale et ils analysent les représentations reliées aux projets

Misicuni et Corani. À ces articles, il faut en ajouter un autre ayant été écrit par des

géographes. L’article écrit par Fournier et de Gouvello relève les ressemblances des

résistances locales aux privatisationx des services de l’eau de Tucuman (Argentine) et de

Cochabamba (De Gouvello et Fournier 2002). Ce corpus de géographes m’a orienté dans

l’élaboration de mon angle d’analyse.

16 Centro de Estudios de la Realidad Económica y Social. Centre d’études de la réalité économique et sociale. Ce centre de recherche est situé à Cochabamba.

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13

Curieusement, les différents auteurs font souvent référence à diverses échelles, mais

l’emboîtement de ces dernières n’est jamais au cœur de l’analyse. De plus, les représentations

de la territorialité n’ont jamais été étudiées. Ainsi, cette recherche complète les différents

travaux déjà effectués sur la guerre de l’eau de Cochabamba. L’approche géopolitique

propose d’analyser ce conflit dans une perspective multiscalaire, tout en joignant la

dynamique spatiale et les représentations, afin de mieux comprendre ce conflit territorial qui

fut analysé trop souvent que d’un angle sociologique et politique.

Hypothèses de la recherche 1. Dans un contexte où la Banque mondiale recommandait à la Bolivie de privatiser la

gestion de la distribution de l’eau de Cochabamba et de La Paz, les populations paysannes

(représentées par la Fedecor) et la population urbaine (représentée par la Semapa), se

disputaient la légitimité de l’eau souterraine de l’ouest de la Vallée centrale de Cochabamba.

2. Dans ce contexte de litige régional, les citoyens ont uni leur espoir en prenant position pour

la réalisation du Proyecto Multiple Misicuni17. Cette représentation collective favorable à

Misicuni, par rapport à Corani, amena les Boliviens à élire le président adéniste, Hugo

Banzer, lors des élections de 1997. Ce dernier a privatisé la Semapa et modifié la législation

de l’eau. La réalisation de Misicuni était le prétexte à ces changements. Aguas del Tunari a

élevé la tarification de l’eau, toujours en prétextant la réalisation de Misicuni. Ainsi, la

représentation favorable à Misicuni a été réutilisée à la fois pour privatiser et pour élever les

tarifs de l’eau.

3. À ce moment, la Fedecor argumentait que le problème majeur de la gestion de l’eau était la

nouvelle loi 2029, encadrant la gestion de l’eau. Cette loi permettait entre autre au

concessionnaire d’exproprier les paysans de leur puit.

4. À l’automne 1999, le Codaef se forma avec la conviction que la hausse des tarifs n’était

pas justifiée. Ainsi, au tournant de l’année 2000, quelques mois après la privatisation, les

17 Le Projet à phases multiples de dérivation de la rivière Misicuni (PMM) prévoit la production d’hydroélectricité, ainsi qu’une augmentation du volume d’eau disponible pour l’irrigation et pour le réseau de distribution d’eau urbain.

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représentations des acteurs étaient concentrés sur des questions pragmatiques, étroitement

reliées à leur situation et à la gestion de l’eau.

5. En janvier 2000, le Codaef et la Fedecor unifièrent leur lutte au sein de la Coordinadora et

trouvèrent en Oscar Olivera un représentant qui savait unifier les anciennes rivalités. Olivera

utilisa une rhétorique altermondialiste et anti-néolibérale afin d’unifier les revendications

paysannes et urbaines. À ce moment précis, la nouvelle loi et l’augmentation des tarifs étaient

expliquées par la gestion néolibérale de l’État et par la venue d’une transnationale étrangère.

Le discours d’Olivera démontre ainsi l’imbrication des préoccupations territoriales locales au

contexte politique national et international.

6. Ce discours populiste de gauche, une fois Aguas del Tunari parti, a amené un délaissement

de la « cause eau » au profit d’autres revendications anti-néolibérales.

7. Finalement, les relations de pouvoir à la base de la constructin du territoire et de

l’aménagement de l’eau tendent à s’internationaliser.

Objectifs et plan du mémoire L’objectif général de cette recherche est de mieux comprendre les enjeux d’aménagement et

d’approvisionnement de l’eau à Cochabamba, à travers l’étude des représentations et de la

territorialité. Ce cas particulier est un exemple où s’illustre une réaction populaire au

phénomène de globalisation, entendu comme étant la reconfiguration territoriale de la prise

des décisions politiques et comme un vecteur de changement de territorialité.

Plus spécifiquement, cet objectif se traduira par une meilleure compréhension de l’influence

des organisations internationales sur les politiques économiques de la Bolivie. De plus, nous

avons pour objectif de mieux comprendre l’échiquier politique bolivien et celui du

département de Cochabamba. À une échelle régionale et locale, nous avons pour objectif de

comprendre la dispersion spatiale de la disponibilité des ressources en eau, ainsi que l’usage

qui en est fait. Il s’agit, à l’échelle de la ville, de spatialiser la distribution en eau douce.

Finalement, le dernier objectif est de comprendre comment des politiques de développement

macroéconomique peuvent devenir la source d’un conflit local.

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Bref, l’objectif est de comprendre les causes et conséquences du conflit dans une approche

hollistique et multiscalaire. La méthode de recherche pourrait ainsi être réutilisée afin de

comprendre d’autres études de cas et ultimement prévenir des conflits reliés à la privatisation

de l’eau.

Présentation du mémoire Ainsi, nous vous proposons ce mémoire en cinq chapitres. La structure du mémoire a été

pensée par rapport aux sous-périodes précédemment identifiées. D’abord, nous allons

exposer notre orientation méthodologique qui comprend l’explication de nos concepts

centraux, le type de sources utilisées pour la constitution du corpus à l’étude, ainsi que la

justification de l’analyse du discours.

Par la suite, le deuxième chapitre porte sur la mise en contexte de la guerre de l’eau. D’abord,

nous y abordons la politique de gestion de l’eau de la Banque mondiale pour ensuite y

exposer la réalité socio-territoriale de la distribution de l’eau dans la Vallée centrale de

Cochabamba. Ce chapitre à pour principal objectif de bien mettre en contexte le lecteur de ce

mémoire. Bref, une mise en contexte de la politique mondiale à la réalité locale.

Suit le troisième chapitre, le premier se rapportant à l’analyse du discours proprement dit. Ce

chapitre analyse les changements de la territorialité durant la période pré-privatisation allant

de 1997 à novembre 1999. C’est durant cette période qu’émerge l’idée de privatiser la gestion

de l’eau de Cochabamba. Cette période nous révèle aussi la territorialité qui prévalait avant la

privatisation. Nous pouvons la résumer en une opposition entre la ville et la campagne. De

plus, nous exposons les représentations qui soutiennent les projets Misicuni et Corani et

finalement, l’émergence des oppositions paysannes et citadines face à la privatisation.

C’est ainsi que nous enchaînons sur le chapitre central de ce mémoire, celui portant sur la

privatisation de la Semapa au consortium Aguas del Tunari, ainsi que sur les manifestations

populaires menant à la renationalisation de la gestion de l’eau. À travers l’étude des

représentations géopolitiques nous analysons les clauses litigieuses du contrat de concession,

ainsi que l’évolution du discours des acteurs territorialisés lors des différents moyens de

pressions populaires.

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Le dernier chapitre est consacré à la période post-privatisation, soit au retour de la gestion de

l’eau par l’entreprise publique Semapa. Nous y présentons la nouvelle loi de l’eau, la

nouvelle gestion publique et la poursuite d’Aguas del Tunari envers la Bolivie. De plus, nous

accordons une importance particulière aux discours des différents acteurs au sujet de la

« victoire » ou de la « défaite » résultant de la guerre de l’eau. Finalement, nous argumentons

que ces discours ont contribué à la construction du symbole altermondialiste affirmant que la

guerre de l’eau de Cochabamba est un exemple de « résistance du peuple envers la

globalisation néolibérale ». Cette représentation positive de la guerre de l’eau est désormais

utilisée comme un tremplin à la nouvelle vague de revendications sociales en Bolivie.

Finalement, lors de la conclusion nous faisons un retour vers les hypothèses émises avant la

recherche et nous vous proposons une autocritique de la méthodologie ayant servi à produire

cette recherche. Nous terminons avec une ouverture à propos de présentes revendications

géopolitiques en Bolivie.

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Premier chapitre

Méthodologie [Le territoire] vous appartient et vous lui appartenez.

Roger Brunet

Les concepts fondamentaux Territoire, territorialité, représentations et discours sont des concepts fondamentaux dans

cette étude sur la géopolitique de l’eau de Cochabamba. Le territoire a ses caractéristiques

naturelles et culturelles, et surtout, des habitants qui se le représentent. Pour Roger Brunet,

« le territoire est œuvre humaine, […] la base géographique de l’existence sociale. Toute

société a du territoire, produit du territoire » (in Tizon 1996: 22). En fait le territoire « est

généré à partir de l’espace, il est le résultat d’une action conduite par un acteur […]. En

s’appropriant concrètement ou abstraitement (par exemple, par la représentation) un espace,

l’acteur « territorialise » l’espace. […] Il est une production à partir de l’espace. Or la

production, par toutes les relations qu’elle met en jeu, s’inscrit dans un champ de pouvoir »

(Raffestin 1980: 129-130). Cet aspect de pouvoir dans la notion de territoire est fondamental

dans cette recherche, car il s’inscrit précisément dans le champ de la géopolitique, défini

comme « l’étude des différents types d’enjeux de pouvoir et d’identité sur des territoires, et

sur les représentations qui leur sont associées » (Lasserre et Gonon 2001: 112). Cette

recherche ne s’inscrit pas dans une étude de conflit où un territoire est disputé par deux

acteurs provenant d’entités politico-géographique différentes, mais bien de plusieurs acteurs

provenant de la même entité géographique. C’est donc un conflit pour la définition ou la

redéfinition de la territorialité abordée sous l’angle de la gestion de l’eau. Bref, il ne s’agit pas

d’un conflit frontalier, mais un conflit politique autour de la gestion de l’eau et de son

aménagement.

La territorialité est un rapport de pouvoir entre différents acteurs territorialisés (Gumuchian

et al. 2003), par l’entremise d’une relation précise avec le territoire. Elle peut être définie

ainsi :

[…] reflète les dimensions multiples du vécu territorial par les membres de la collectivité : les acteurs vivent à la fois le procès territorial et le produit

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territorial à travers un système de relations productivistes (liées à la ressource) ou existentielles (relevant de la construction identitaire, donc de la mémoire collective et de la représentation). […] Il ne s’agit pas d’un simple lien direct à l’espace, d’un marquage éthologique en quelque sorte, mais bien d’un rapport entre groupes sociaux pour la production, la consommation et l’échange de biens matériels ou symboliques (Offner et Pumain 1996: 118).

Dans le cas de cette recherche, la relation privilégiée avec le territoire est la relation acteur-

eau-acteur. Donc, nous analysons les relations de pouvoir qu’ont les différents acteurs les uns

envers les autres, par l’intermédiaire d’une action sur la gestion de l’eau. Nous pourrions

ajouter que la territorialité est « un ensemble de relations prenant naissance dans un système

tri-dimensionnel société-espace-temps en vue d’atteindre la plus grande autonomie possible

compatible avec les ressources du système » (Raffestin 1980: 145). À cette définition, Guy

Di Méo ajoute que la territorialité est « une construction, un produit de l’histoire que

reconstitue et déforme, au fil de ses pratiques et de ses représentations, chaque acteur social »

(in Tizon 1996: 23). Le centre de cette recherche s’intéresse donc aux représentations des

différents acteurs ayant la volonté d’atteindre la plus grande autonomie avec les ressources

hydriques. « Il n’y a pas de fatalité géopolitique […], ce ne sont pas tant les territoires et leurs

frontières, qui sont à la source des problèmes géopolitiques majeurs d’aujourd’hui, mais bien

plus souvent des problèmes d’identités historiques mal vécus » (Bonnemaison et Cambrezy

1996: 9). Ainsi, ce problème géopolitique est un conflit relié à un changement de

territorialité. Serge Courville complète l’idée en affirmant que les différentes stratégies des

acteurs « conduisent à une appropriation réelle ou symbolique de l’espace par les acteurs

sociaux, qui le conçoivent et l’utilisent comme un médiateur dans leurs rapports. D’où les

forces à la fois convergentes et divergentes, qui pourront tantôt s’unir tantôt s’opposer au sein

d’une même territorialité » (Courville 1995: 72). Cette conception de la territorialité explique

ainsi le regroupement de plusieurs acteurs belligérants avant la privatisation, vers la

formation de la Coordinadora. Cette union avait pour mandat de s’opposer au nouvel acteur

qui est venu bouleverser le rapport à l’eau. De plus, la Coordinadora a trouvé dans le passé

colonial des représentations communes aux différents acteurs afin de s’opposer au

consortium Aguas del Tunari. Dans le contexte de la globalisation néolibérale, l’arrivée

d’Aguas del Tunari a été perçue comme une nouvelle forme de colonisation.

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Afin de réaliser cette recherche, nous privilégions l’étude des discours, car ils sont porteurs

des contradictions et mettent en lumière les intentions des acteurs et par le fait même le

conflit en soit. On pourrait définir la représentation comme une interprétation identitaire de

l’histoire politique et de la construction des territoires, elle est :

Une structure cognitive et mentale relativement globale et abstraite, laquelle constitue un modèle interne à un groupe, à un individu, ayant pour fonction de conceptualiser le réel, puisque ce dernier ne peut être appréhendé dans sa totalité, mais uniquement à travers ce que nous en percevons, mieux, à travers les structures que nous construisons à partir de nos perceptions afin de donner sens à ces dernières. Ces constructions sont donc fonction des prismes à travers lesquels l’individu regarde le monde extérieur, et ces prismes sont le produit de sa propre histoire, mais aussi des conventions culturelles du groupe dans lequel il vit (Lasserre et Gonon 2001).

Donc, la redéfinition de la territorialité se fait par l’entremise des discours des acteurs. Selon

Raffestin : […] l’analyse de la territorialité n’est possible qu’à travers la saisie de relations

replacées dans leur contexte socio-historique et spatio-temporel » (Raffestin 1980: 146).

Cette affirmation nous indique que l’on ne peut recueillir de sources hors contexte, au risque

d’avoir des représentations biaisées. Dans le cadre de cette recherche, un soin particulier a été

donc accordé à trouver des sources bien ancrées dans le contexte historique des événements

conflictuels de la gestion de l’eau de Cochabamba. Les discours ont été classés selon les

sous-périodes présentées précédemment.

La territorialité est mouvante, elle peut être équilibrée ou peut favoriser certains acteurs

sociaux. « L’accès aux réseaux de toute nature est inégal; les potentialités diffèrent très

fortement selon les citoyens, selon les groupes » (Tizon 1996: 24). Cette importante remarque

de Tizon rejoint l’idée de Raffestin selon laquelle la territorialité est une relation symétrique

ou dissymétrique entre les acteurs. Cette idée correspond bien à la situation de la Vallée

centrale de Cochabamba, qui a déjà été l’hôte de nombreux conflits reliés à l’aménagement et

à la distribution de la ressource hydrique. La région est dans une situation de pénurie relative

d’eau potable. Selon les époques et les sécheresses importantes, certains conflits de

différentes envergures ont éclaté lors d’une volonté de changement de la territorialité ou

d’une réaffirmation de la territorialité en place. La guerre de l’eau d’avril 2000 correspond à

un événement très important dans cette dynamique politique d’aménagement du territoire.

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Finalement, les représentations de la territorialité des différents acteurs seront relevées à

travers les discours de ces derniers, car « du discours avant toute chose, voilà ce que sont les

perceptions et les représentations du territoire. Ce discours est mû par des mythes, que ceux-

ci soient fondateurs ou construits par des idéologies modernes. Ces mythes sont présents

partout et à tous les niveaux et constituent l’essence même de la relation de tout individu,

groupe social ou État au territoire » (Lechaume 2003: 317).

Les acteurs et le type de sources recherchées Les sources nécessaires à l’analyse de l’objet de recherche sont les discours porteurs des

représentations des différents acteurs. Ces acteurs, qui sont-ils ? D’abord, ils proviennent de

différentes échelles administratives. Les principaux acteurs de l’échelle internationale sont la

Banque mondiale et le consortium Aguas del Tunari. Les acteurs proposés à l’échelle

nationale sont les présidents Sánchez de Lozada (1993-1997 et 2002-2003), Hugo Banzer

(1997-2002) et Carlos Mesa (2003-200?). De plus, une attention sera accordée aux lois 2029

et 2066 qui ont été des enjeux importants dans le conflit. À l’échelle locale, il y a un

éclatement des acteurs. Nous ferons l’analyse des discours du Comité civique, du maire de

Cochabamba à l’époque de la privatisation, Manfred Reyes Villa, de la Fedecor, du Codaef et

de la Coordinadora. Les discours de ces différents acteurs locaux constituent la plus grande

part de mon corpus. À travers les écrits que ces acteurs ont produit durant les dix dernières

années, nous pourrons faire une analyse de leurs représentations et de la territorialité afin

d’être en mesure de faire la démonstration de nos hypothèses.

Méthodes de cueillette des sources Comme nous l’avons mentionné précédemment, nous nous sommes rendu en Bolivie durant

les mois de mai, juin et juillet 2004 afin de recueillir des sources primaires porteuses de

représentations. Ainsi, pour la période 1997 à 2004 inclusivement, nous avons fait un

dépouillement des quotidiens boliviens de La Paz (El Diario, La Razón, La Prensa et Última

Hora) et de Cochabamba (Los Tiempos, Opinión et Presencia), à l’intérieur desquels nous

avons recueilli les discours des acteurs identifiés. Ces derniers ont vivement participé aux

différents débats relatifs à la question de l’eau. Le choix de ces journaux est aléatoire dans le

sens que nous ne connaissions pas leur appartenance idéologique lors du dépouillement. Leur

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choix n’a été justifié que par le seul fait qu’ils sont les principaux journaux nationaux et

régionaux18.

Dans le but de bien se familiariser avec la complexité du phénomène à l’étude, nous avons

effectué divers entretiens d’exploration avec des gens du Québec et de la Bolivie qui

connaissent bien le contexte se rapportant à la guerre de l’eau de Cochabamba. Cette

démarche est proposée pour se familiariser avec un sujet d’étude se déroulant dans une autre

société (Gumuchian et Marois 2000: 241). Dans le Tableau 1, nous avons brièvement

présenté l’éventail de ces entretiens :

Tableau 1 : Les entretiens d’exploration Nom Activité (travail-étude) Date Sujet de l’entretien Marie Mazalto Doctorat sociologie, UQÀM 31-01 La réalité du terrain en Bolivie Iván Ignacio Étudiant anthropologie, Laval 15-02 Autochtone et politique, Bolivie Marina Ari Communicatrice sociale, El Alto 16-05 Autochtone et politique, Bolivie Christian Jetté PNUD-Bolivie, La Paz 20-05 Guerre de l’eau ; conflits sociaux Éliette Gagnon Immaculée Conception, CBBA 21-05 Guerre de l’eau ; conflits sociaux H. Barrientos Ingénieur agronome, CBBA 22-05 Histoire politique ; Coordinadora M. De la Fuente Professeur, UMSS 24-05 Guerre de l’eau ; terrain à Cochabamba Franz Quiroz Maîtrise économie, UMSS 26-05 Globalisation ; tarification de l’eau Iñes Flores Maîtrise sociologie, UMSS-Ceplag 28-05 Urbanisation ; irrigation ; Regantes Luis Sánchez Père jésuite, CBBA 02-06 Semapa ; situation zone-sud de CBBA M. Valenzuela Anthropologue, CBBA 03-06 Le discours comme analyse ; méthodologie Hubert Mazurek Professeur géographie, UMSA 04-06 Géographie des risques sociaux ; Bolivie Carmen Peredo Fedecor 09-06 Documentation; guerre de l’eau Guy Galindo Chercheur télédétection, CLAS 16-06 Carte satellite ; Vallée centrale de CBBA Alfredo Guzman Entrepreneur et ex-Coordinadora 16-06 Guerre de l’eau, le rôle de la Coordinadora A. Fernandez Chercheur géologie, CLAS 17-06 Formation géologique de la Vallée centrale Alex Yañez Cinéaste , CBBA 17-06 Visionnement de documentaires boliviens Comités de gestion de l’eau ; Zone sud de CBBA 20-06 Organisation communautaire ; tarif de l’eau Réseau Tinku Groupe communautaire 27-06 Revendications sociales, de l’eau au Gaz Carlos Crespo Professeur sociologie, UMSS 20-07 Mouvements sociaux, Référendum et Gaz

Initialement, afin de recueillir les discours des acteurs locaux se rapportant à la géopolitique

de l’eau, nous avions prévu effectuer des entretiens avec des informateurs-clés, soit avec les

acteurs eux-mêmes (Gumuchian et Marois 2000: 241). Seulement, pour diverses raisons nous

18 La Paz étant la métropole de la Bolivie, les principales infrastructures administratives et culturelles du pays y sont installées, dont les principaux journaux. Dans ces journaux, les événements relatifs à la région de Cochabamba y sont traités dans la section d’intérêt national. Pour ce qui des journaux de Cochabamba, ils ont un tirage plus modeste, mais traitent les événements locaux avec une plus grande importance que ne peuvent le faire les journaux pacéens. Ainsi, en prenant les principaux journaux de ces deux villes, nous obtenons un échantillon suffisamment important et varié pour que toutes les tendances politiques auxquelles font parties les principaux acteurs puissent être représentées.

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n’avons pu effectuer ce genre d’entretiens. Le travail de cueillette de sources sur le terrain ne

se déroulant pas toujours comme nous l’avions prévu au départ, nous avons dû nous tourner

vers d’autres types de documents afin de compléter le corpus à l’étude. Avant de vous

présenter ces autres documents, voici dans le Tableau 2, les entrevues envisagées qui n’ont pu

être réalisées :

Tableau 2 : Les entretiens avec informateur-clé planifié avant le départ Nom Organisme Raison de l’impossibilité de l’entretien Oscar Olivera Coordinadora Mobilisé par le référendum sur la nationalisation du gaz naturel Omar Fernandez Fedecor, Coordinadora Mobilisé par le référendum sur la nationalisation du gaz naturel G. Maldonado Codaef, Coordinadora Manque de temps, mauvaise coordination entre nous G. Ugalde, Directeur de la Semapa A refusé de me rencontrer, m’a référé au service à la clientèle Président du Comité civique de CBBA A refusé de me rencontrer, m’a référé à la bibliothèque municipale Mairie de la ville de Cochabamba A refusé de me rencontrer, m’a référé à la Coordinadora

Étant donné que les entretiens avec informateur-clé n’ont pas fourni le matériel d’analyse

attendu, les documents produits par les acteurs auront une plus grande importance dans cette

recherche. Ces documents, jumelés avec les sept années d’actualité couvertes par le

dépouillement des journaux constituent un corpus de sources primaires très bien garni, ce qui

nous permet ainsi de réaliser ce travail de recherche avec une grande finesse. Voici, les

principaux documents de premières mains que nous avons retenus.

D’abord, à l’échelle internationale, nous possédons des documents de diverses avenues, telles

que l’UNESCO, le PNUD, l’ONU, le Forum international sur l’eau, la Banque mondiale et le

consortium Aguas del Tunari. Cependant, bien que tous les documents ont une certaine

influence les uns sur les autres, le seul discours qui a officiellement eu un impact sur la

gestion de l’eau de la Bolivie est celui de la Banque mondiale. Avec les autres documents à

l’appui pour la mise en contexte (Naciones Unidas 1992; Duisberg 2000; Daroca 2001;

UNESCO 2001; IIIème Forum mondial de l'eau 2003), nous avons analysé que le discours

de la Banque mondiale sur la gestion de l’eau dans les pays en voie de développement

(World Bank 1993; Banque mondiale 2001, 2002; Pitman 2002) et plus particulièrement leur

analyse des causes de l’échec de la privatisation de Cochabamba (Banque mondiale 2002;

Clive Harris 2003). De plus, nous avons anlaysé le discours d’Aguas del Tunari, principal

acteur de la privatisation. Nous possédons une correspondance entre les journalistes Jim

Shultz, Tom Kruse et la Banque mondiale (Shultz et Kruse 2000), ainsi qu’une

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correspondance entre Jim Shultz et Riley Bechtel, le principal actionnaire de la compagnie

Aguas del Tunari (Shultz 2000-2002). Finalement, nous possédons une publicité faite par la

compagnie Aguas del Tunari sur la hausse de tarification de l’eau de janvier 2000 dans la

ville de Cochabamba (Aguas del Tunari S.A. 2000).

À une échelle nationale, il y a été plus difficile de trouver les discours produit par la classe

politique nationale. Nous détenons tout de même quelques lois clés qui ont statuées une

administration néolibérale de Bolivie ainsi que les lois qui régissent la gestion de l’eau

(Congreso Nacional 1992, 1994, 1994, 1999, 2000). La majeure partie du discours étatique à

propos de la guerre de l’eau se retrouve dans les journaux de 1997 à 2004.

À l’échelle locale, nous disposons de quelques documents centraux dans cette analyse du

discours. D’abord, pour ce qui est du Codaef, nous détenons un livre écrit par Gonzalo

Maldonado, le fondateur du mouvement. Dans ce livre, il raconte son point de vue personnel

sur les événements de 2000 (Maldonado Rojas 2004). Nous détenons également un document

de la Fedecor, co-écrit par Omar Fernandez, le porte-parole de la Fedecor et Carlos Crespo,

un professeur de sociologie de la Universidad Mayor de San Simón. Dans ce document, nous

avons le point de vue de la Fedecor sur les événements de la guerre de l’eau (Crespo Flores et

Fernández 2001). Pour compléter les documents des opposants à la privatisation, nous

possédons deux rapports écrits par la Coordinadora, un document Power Point servant à

expliquer, dans une série de conférences à l’étranger, la guerre de l’eau de Cochabamba, ainsi

que tous les communiqués officiels livrés à la population par la Coordinadora (Coordinadora

1999-2000, 2000, 2001, 2001). Finalement, nous détenons le Plan stratégique de

développement du réseau de distribution de l’eau de Cochabamba (Semapa 2003). Ce Plan

stratégique peut est dans la mesure où il nous informe sur les perspectives d’avenir de la

Semapa.

Finalement, ce corpus est complété par la prise de position directe des acteurs dans sept

différents médias écrits de Bolivie. Cette nouvelle voie d’information, négligée lors de la

rédaction initiale du projet de recherche, s’est avérée essentielle pour mener cette recherche à

bien. Les discours des différents acteurs sont de formes très différentes, il est donc très

important de bien analyser les documents à partir d’une méthode commune pour faire

ressortir l’essentiel des représentations de la territorialité.

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L’analyse du discours par l’analyse de contenu La méthodologie employée pour l’analyse du discours est importante. L’analyse du discours

laisse une plus grande place à la subjectivité du chercheur, c’est pour cette raison qu’il est

important de faire une analyse rigoureuse, qui pourrait être reprise par un autre chercheur.

Ainsi, nous avons utilisé la méthode de l’analyse de contenu telle que présentée par Grawitz

(1990) et Aktouf (1987) et telle qu’utilisée dans l’analyse de la guerre de l’eau effectuée par

García, García et Quintón en 2003.

Pour Aktouf, « l’analyse de contenu est une technique d’étude détaillée des contenus de

documents. Elle a pour rôle d’en dégager les significations, associations, intentions… non

directement perceptibles à la simple lecture des documents. Tout chercheur en sciences

sociales y aura recours à un moment ou à un autre de son travail » (Aktouf 1987: 117). Il

existe deux principales approches pour effectuer une analyse de contenu, l’approche

qualitative et l’approche quantitative.

[Retenons comme] seule différence essentielle le fait que l’analyse qualitative repose sur la présence ou l’absence d’une caractéristique donnée, tandis que l’analyse quantitative recherche la fréquence des thèmes, mots, symboles retenues. […] Dans l’analyse quantitative, ce qui est important, c’est ce qui apparaît souvent, le nombre de fois est le critère, alors que dans l’analyse qualitative, la notion d’importance implique la nouveauté, l’intérêt, la valeur d’un thème, ce critère demeurant évidemment subjectif (Grawitz 1990: 699).

Dans cette recherche, étant donné l’hétérogénéité des sources et le type d’hypothèses

formulées, nous avons privilégié l’approche qualitative. Cette approche, « cherche à

reconnaître les directions successives que prend le contenu du message. […] Le plus souvent

il s’agit de comparer des matériaux issus de sources différentes » (Grawitz 1990: 703).

Dans sa présentation de l’analyse de contenu qualitative, Aktouf identifie six types différents

d’analyses de contenu, dont cinq qualitatifs. Il s’agit de l’analyse de contenu d’exploration,

de vérification, qualitative, directe et indirecte. Quoique ces différents types soient

semblables, ils se distinguent par « le but visé et le genre de résultats escomptés par le

chercheur » (Aktouf 1987: 119). Ainsi, nous avons effectué une analyse de contenu

comprenant les différentes approches proposées par Aktouf. Nous avons tout de même mis à

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l’avant-plan la méthode proposée pour l’analyse de contenu « de vérification », car la lecture

des études portant sur notre sujet nous a permis d’élaborer des hypothèses précises qui seront

alors vérifiées par cette approche de lecture. Comme le propose Aktouf, dans le type

d’analyse de contenu par vérification : « il s’agit de vérifier le réalisme, le bien-fondé, le

degré de validité… d’hypothèses déjà arrêtées. Ce type d’analyse de contenu suppose des

objectifs de recherche bien établis, ainsi que des suppositions précises et préalablement

définies et argumentées » (Aktouf 1987: 119).

Pour réaliser une analyse de contenu, nous devons structurer la lecture en élaborant des

catégories pré-établies qui engagent le chercheur à comparer les différents discours selon les

mêmes critères, selon la même approche.

[Les catégories] font le lien entre l’objectif de la recherche et les résultats, c’est-à-dire, suivant les cas, la proposition ou la vérification d’une hypothèse explicative, d’un diagnostic ou d’une prévision. Comme le déclare Bereslson : « une analyse de contenu vaut ce que valent ses catégories ». Il faut distinguer les conditions techniques que doivent remplir les catégories pour assurer la validité de l’analyse et les qualités de finesse, de subtilité qui, elles, dépendent de l’expérience du chercheur, de sa connaissance du milieu, de son intuition (Grawitz 1990: 710).

À l’intérieur du Tableau 3, nous avons brièvement exposé les différentes catégories, les

principaux acteurs ainsi qu’une brève présentation des hypothèses à vérifier lors de l’analyse

de contenu. D’abord, le tableau est présenté selon la période de la prise du discours, de la

représentation. De plus, les acteurs sont catégorisés selon la portée géographique de leur

discours. Leur relation à l’eau a été simplifiée, pour les besoins du tableau, au fait qu’ils

appartiennent à un mode de vie rural ou urbain. Finalement, pour faire l’étude des

représentations, nous avons élaboré deux catégories. La catégorie « revendication »

représente l’objectif direct élaboré dans le discours et la catégorie « rationalité » représente

l’objectif latent, la justification de la revendication, le non-dit qui justifie cette dernière. Bref,

cette catégorie nous informe sur les représentations des acteurs.

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Tableau 3 : Les catégories de l’analyse de contenu Acteurs Échelle Rap. à l’eau Période Revendication Rationalité Banque mondiale Internationale Aucun 1993-2004 Privatisation eau Économique G. S. de Lozada Nationale Aucun 1993-1997 Priv.,Corani Aug. quantitée d’eau Hugo Banzer Nationale Aucun 1997-2001 Privatisation eau Réaliser Misicuni Fedecor Locale Rural 1997-1999 Modification loi Mode de vie, irrigation M. Reyes Villa Locale Urbain 1997-1999 Privatisation eau Réaliser Misicuni Comité civique Locale Urbain 1997-1999 Privatisation eau Réaliser Misicuni Semapa Régionale Urbain 1997-1999 Creuser puits Manque d’eau Aguas del Tunari Régionale Rural et urbain 1999-2000 Aug. tarif eau Profit, Misicunito Codaef Locale Urbain 1999 Diminution tarif Économie familiale M. Reyes Villa Locale Urbain 2000 Renégociation Popularité politique Comité civique Locale Urbain 2000 Renégociation Popularité politique Coordinadora Régionale Rural et urbain 2000 Renationalisation Lutte au néolibéralisme Coordinadora Nationale Aucun 2003 Nat. Gaz Altermondialisme

En résumé, cette recherche tente de valider les hypothèses élaborées à partir de la revue de la

littérature et des observations faites lors du terrain de recherche. L’analyse de contenu est la

méthode utilisée pour effectuer l’analyse des discours porteurs de représentations sur la

territorialité. C’est à travers les représentations que notre méthode géopolitique expliquera ce

conflit relié à la re-définition de la territorialité. Nos sources primaires, telles des couches de

terres sédimentées nous informent sur la nature de la formation et de l’évolution de ce conflit

que fut la guerre de l’eau de Cochabamba.

Mais avant de plonger dans l’étude des sources de ce corpus, voyons brièvement dans quel

contexte politique mondial et dans quel contexte géographique local ce conflit s’est déroulé.

Voyons sur quelle scène la pièce de théâtre s’est déroulée.

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27

Deuxième chapitre

Le contexte, de la pensée globale à la réalité locale Dans une société libre, l’État n’administre pas les

affaires des hommes. Il administre la justice parmi les hommes qui conduisent leurs propres affaires.

Walter Lippmann19

La guerre de l’eau de Cochabamba a fait couler beaucoup d’encre, elle est devenue un

symbole de la résistance au phénomène de la globalisation des marchés. Cette crise politique

bolivienne s’est pourtant déroulée dans un processus de prise de conscience internationale sur

la nécessité d’aider les pays en voie de développement à augmenter l’accès à l’eau de ces

citoyens. À ce sujet, la Banque mondiale a développé une politique spécifique à la gestion de

l’eau en 1993. C’est dans ce contexte international que la guerre de l’eau a pris forme. À

l’échelle nationale, cet événement fut le déclenchement d’une période de revendications

sociales nationales, en réaction aux politiques néolibérales instaurées en 1985. Finalement, au

niveau local, elle est le résultat d’une situation géographique complexe : croissance urbaine

rapide due à la migration interne bolivienne, rareté relative d’eau douce, pauvreté et inégalité

socio-spatiale à l’accessibilité à l’eau potable.

Prise de conscience internationale de la problématique de l’eau et émergence des pratiques néolibérales Depuis la Conférence de Dublin en 1992, l’eau est une préoccupation croissante pour la

Communauté internationale. Différents organismes se sont positionnés sur la façon de gérer

cette précieuse ressource afin de subvenir aux besoins du plus grand nombre de personnes.

Depuis Dublin, les conférences internationales sur l’eau se succèdent : Rio de Janeiro en

1993, La Haye en 2000, Bonn en 2001, Johannesburg en 2002 et Kyoto en 2003. Lors de ces

réunions internationales, auxquelles des représentants de tous les pays sont conviés, des

principes ont été élaborés afin de faire une gestion optimale de l’eau.

19 Cette citation de Lippmann a été inscrite en exergue au deuxième tome du livre Droit, législation et liberté de Friedrich A. Hayek (Hayek 1995). Elle reflète bien la pensée néolibérale véhiculée par la Banque mondiale.

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28

Un grand principe ressort de toutes ces conférences, celui d’une bonne gouvernance.

Essentiellement, la gouvernance amène les États à décentraliser les services, à favoriser la

participation de la société civile, comprenant bien entendu les entreprises privées (UNESCO

2001). Ainsi le rôle de l’État n’est plus de satisfaire les besoins de sa population, mais de

faire en sorte que sa population puisse satisfaire ses besoins elle-même.

La récession des années 1980 a amené les pays d’Amérique latine vers des déficits

économiques croissants. La dette respective des pays a subi une croissance rapide et la

monnaie de la Bolivie a été dévaluée rapidement. C’est à partir de ce moment que les

politiques néolibérales ont fait leur apparition afin de stabiliser la dette montante du pays et

assurer une stabilité de la valeur de la monnaie par rapport au dollar US.

C’est à ce moment précis que le rôle de l’État bolivien a pris un tournant néolibéral dans ses

politiques économiques. En 1985, la Bolivie emboîta le pas des Plan d’Ajustements

Structurels (PAS) du FMI, le décret 21060 instauré par le MNR de Victor Paz Estenssoro et

son ministre des finances, Gonzalo Sánchez de Lozada, marque ce virage dans les politiques

économiques (Albó 2002: 65). Benjamin Kohl soutient que les lois de la « Capitalisation » et

de la « Participation populaire » ont consolidé cette réforme économique lors du premier

mandat présidentiel de Sánchez de Lozada en 1993. « I argue that, together, the Law of

Capitalization and the law of Popular Participation (LPP), promote a global neoliberal

agenda that conflates the concept of democracy with that of free market. […] While

Capitalization opens the country’s borders to global capital, the LPP refocuses the attention

of popular movements from national to local arenas »20 (Kohl 2002: 450 et 465). Cette

remarque de Kohl est intéressante, car dans le cas de la guerre de l’eau de Cochabamba, la

préoccupation locale de la gestion de l’eau est un exemple d’une manifestation populaire

locale. Paradoxalement, ce conflit s’est par la suite transposé en une lutte nationale contre le

principe de la privatisation de la gestion de l’eau, ce qui a été un précédent pour remettre en

question le principe de la loi de la Capitalisation.

20 Je soutiens, qu’ensemble, la loi de la Capitalisation et la loi de la Participation populaire (LPP), promeuvent un agenda global néolibéral qui combine le concept de démocratie avec la situation de libre marché. […] Pendant que la Capitalisation a ouvert les frontières du pays au capital international, la LPP a recentré l’attention des mouvements populaires de l’échelle nationale à l’échelle locale.

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C’est sur ce fond économique alarmant que prennent corps les protestations sociales qui agitent le pays. Sans aucun doute, avril 2000 est un moment de rupture. À Cochabamba, l’entreprise privée qui a arraché la concession de la distribution de l’eau est prise pour cible par des manifestations qui réclament son départ. […] C’est le début d’un engrenage de convulsion sociales : septembre-octobre 2000, avril 2001, juin-juillet 2001, novembre 2001 et février 2002 (Lavaud 2002: 11-12).

À cette série de manifestations, nous pourrions ajouter le « février noir » de 2003, l’« octobre

rouge » de 2003, la période pré-référendaire de juin 2004 et la tentative de démission du

président Mesa en mars 2005. Parallèlement à ces manifestations populaires, deux partis

politiques prennent naissances à la fin des années 1990. Il s’agit de partis ayant une base

électorale autochtone. Aux élections de 2002, le Movimiento al Socialismo (MAS) d’Evo

Morales termine au deuxième rang avec 21% des voix comparativement à 22% pour le

Movimiento Nationalista Revolucionario (MNR). Le Movimiento Indígena Pachakuti21

dirigé par Felipe Quispe a récolté 6% du vote national. Ce maigre pourcentage national

représente mal l’importance de ce parti, car ce vote a été concentré sur l’Altiplano,

principalement dans la région de La Paz – El Alto, où il a fait des percées importantes. Le

modèle néolibéral est de plus en plus montré du doigt comme étant le responsable de la

misère en Bolivie. Comme l’a mentionné Lavaud, la guerre de l’eau de Cochabamba fut un

élément important dans cette prise de conscience nationale anti-néolibérale. Nous y

reviendrons lors du cinquième chapitre.

C’est dans ce contexte international et national que fut élaborée et appliquée la politique de la

Banque mondiale. Water Resources Management : A World Bank Policy Paper22 fut élaborée

en 1993 et proposée aux pays en voie de développement depuis maintenant plus de 10 ans.

En este sentido, como alternativa para paliar la crisis económica, las instituciones de Bretón Woods – Banco Mundial y FMI – incitaron a los países Latinoamericanos a implementar un Programa de Ajuste Estructural que contenía medidas estabilizadoras y estructurales. Estas últimas promovían la liberalización de los mercados de bienes y servicios, y , en el caso de los servicios de agua potable y saneamiento, facilitar la

21 Mouvement autochtone Pachakuti, (MIP). Le mot aymara « Pachakuti » signifie « une ère nouvelle ». 22 La politique de la Banque mondiale sur la gestion des ressources hydriques.

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participación privada como una alternativa más eficiente que la administración pública23 (Quiroz 2004: 4).

Comme le suggère Mazalto, cette politique n’est rien de moins qu’un instrument servant à

négocier les conditions des prêts avec les pays emprunteurs. « El […] instrumento del Banco

Mundial es la política que ha creado en mil novecientos noventa y tres y que sirve de

referencia para decidir de la financiación o no de los proyectos de los diferentes paises en el

sector del agua24 » (Mazalto 2001: 3).

Rappelons que la Bolivie a privatisé les services de gestion des eaux de La Paz-El Alto en

1997 et ceux de Cochabamba en 1999. Voyons de plus près quelle est cette politique de la

Banque mondiale qui a influencé la gestion de l’eau de la Bolivie, notamment dans

l’élaboration de la loi 2029.

La politique de la Banque mondiale sur la gestion des ressources hydriques Cette politique incontournable de la Banque mondiale a pour principal objectif que les pays

ne dépendent plus des prêts de la Banque et qu’ils soient autonomes dans leur gestion des

ressources hydriques. Guy Meublat y voit deux grands principes.

Ces principes consistent à prendre en compte le processus de raréfaction des ressources liées à l’eau et à mettre l’accent sur la nécessité d’une nouvelle gouvernance. Le premier point implique de faire en sorte que l’eau ait un prix, le second, que le choix des objectifs soit modifié, que les procédures de décisions soient radicalement changées et que de nouveaux acteurs entrent en scène. Une politique de régulation de la « demande doit se substituer à l’ancienne politique de l’« offre » (Meublat 2001: 253).

À en lire la politique, les nouveaux acteurs dont parle Meublat, sont des investisseurs privés.

D’ailleurs, nous retenons trois principes dans la politique de la Banque mondiale :

premièrement, que le secteur public est incompétent en matière de gestion de l’eau.

23 Dans ce contexte, comme alternative pour pallier à la crise économique, les institutions de Bretton Woods – la Banque mondiale et le FMI – incitèrent les pays latino-américains à adhérer aux Programmes d’ajustements structurels contenant des réformes stabilisatrices et structurelles. Ces dernières promeuvent la libéralisation des marchés des biens et services, et, dans le cas des services d’eau potable et d’assainissement, facilite la participation privée comme une alternative plus efficiente que l’administration publique. 24 L’ […] instrument de la Banque mondiale est la politique qu’elle a créée en 1993 et qui sert de référence pour décider du financement ou non des projets des différents pays dans le secteur de l’eau.

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31

Deuxièmement, il faut moderniser les structures de fonctionnement de la gestion de l’eau afin

de permettre en troisième lieu de privatiser ce secteur économique avec succès.

La gestion publique de l’eau À travers la politique de la Banque mondiale, nous pouvons discerner les représentations de

cette dernière envers la gestion publique de l’eau. Pour la Banque mondiale, la gestion

publique est responsable du cercle vicieux du faible taux de raccordement des ménages au

système de distribution de l’eau amenant les usagers à une insatisfaction envers la gestion

publique. « Assigning noncommercial objectives to a public enterprise may undermine the

achievement of its service objectives, possibly initiating a new round of the vicious cycle of

unsatisfactory service and low collections25 » (World Bank 1993: 15).

L’explication de la Banque mondiale à ce cercle vicieux est l’absence d’une discipline

financière, responsable d’une gestion inefficace de la ressource hydrique. « The absence of

financial discipline and accountability for performance – along with political interference in

decisions about allocations and pricing – are reflected in a litany of problems: inefficient

operations, inadequate maintenance, financial losses, and unreliable service delivery26 »

(World Bank 1993: 30)

Ainsi, la Banque mondiale a élaboré une stratégie pour améliorer l’efficience de la gestion de

l’eau dans le but d’offrir une plus grande qualité des services de distribution de l’eau.

La modernisation des structures de gestion D’abord, la modernisation des structures de gestion a été pensée afin d’améliorer le service

aux citoyens, et la Banque mondiale propose une aide aux gouvernements voulant y

participer. « The reform of water resource management policies will have implications for the

institutions dealing with water resources. The Bank will assist governments in establishing a

strong legal and regulatory framework for dealing with the pricing, monopoly organizations,

25 Assigner des objectifs non commerciaux à une entreprise publique pourrait aller à l’encontre des accomplissements des objectifs de service, et initier la possibilité d’un cercle vicieux d’insatisfaction envers les services et de mauvais taux de raccordement. 26 L’absence de discipline financière et de responsabilité de performance – avec interférence politique dans les décisions d’allocation et décision des prix – sont le reflet de plusieurs problèmes : opérations inefficientes, maintenance inadéquate, pertes financières et services non livrés.

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environmental protection, and other aspects of water management27 » (World Bank 1993:

13).

Puisque, selon la Banque mondiale, la gestion publique a fait la preuve de son inefficacité, la

stratégie élaborée par la Banque mondiale a pour but de réaliser avec succès le passage de la

gestion publique à la gestion privée. Pour ce faire, les réformes envisagées consistent à mettre

un prix à l’eau et ainsi créer un marché dans lequel les usagers deviennent des

consommateurs. Ce premier objectif a pour but de créer une institution autonome à tout

financement extérieur. La totalité du recouvrement des coûts de fonctionnement devra être à

la charge des usagers/consommateurs.

[E]fficiency in water management must be improved through the greater use of pricing and through greater reliance on decentralization, user participation, privatization, and financial autonomy to enhance accountability and improve performance incentives. […] The strategy would spell out priorities for providing water services; establish policies on water right, water pricing and cost recovery. […]Appropriate pricing and changing systems (and water markets where feasible) must be established that provide the correct signals so that decentralized decisionmaking can improve the allocation of resources28 (World Bank 1993: 40-42).

Pour arriver à ce que la nouvelle façon de gérer l’eau soit encore plus efficace, il faut,

toujours selon la Banque mondiale, revoir la législation afin de pouvoir accueillir un

gestionnaire non gouvernemental qui saurait améliorer la gestion qui était jusque là publique.

« Legislation provides the basis for government action in the regulatory and operational

27 La réforme de politiques de gestion de l’eau aura des implications pour les institutions concernées par la gestion de l‘eau. La Banque assistera les gouvernements à établir un cadre légal et administratif pour réformer les prix, les organisations de monopole, la protection de l’environnement, et d’autres aspects de la gestion de l’eau. 28 L’efficience dans la gestion de l’eau pourrait être améliorée à travers un bon usage des prix et à travers une bonne confiance en la décentralisation, la participation des usagers, la privatisation, et l’autonomie financière afin d’arriver à augmenter la responsabilité et améliorer les incitations d’exécution. [... ] La stratégie définirait des priorités pour fournir les services d’eau; établir des politiques de droits à l’eau, de prix de l’eau et de recouvrement des coûts. […] Un prix approprié et un changement de système (et un marché de l’eau là où c’est faisable) pourraient être établi pour fournir un bon signal ainsi que décentraliser la prise de décision pour améliorer l’allocation des ressources.

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areas and establishes the context for action by nongovernmental entities and individuals29 »

(World Bank 1993: 44).

Afin de pouvoir soutenir le réseau de distribution d’eau; l’entretenir et l’étendre, le prix de

l’eau doit être légèrement plus élevé que le simple coût de fonctionnement du réseau. Ainsi,

la Banque mondiale promeut la gestion à long terme et l’amélioration du réseau plutôt que sa

simple maintenance. Encore une fois, ce sont les usagers/consommateurs qui doivent être la

source de financement de cette amélioration future.

In many areas of the world, underpricing has caused serious misuse of water. […] Setting prices at the right level is not enough; prices need to be paid if they are to enhance the efficient allocation of resources. The record of nonpayment and noncollection of fees for water is long and well documented. […] Failure to recover costs and reinvest in the systems leads to a vicious cycle whereby service declines with collections – as spare parts and essential materials run out – and consumers, in turn, become less willing to pay for the poor-quality services provided30 (World Bank 1993: 47 et 54).

Comme nous l’avons présenté en introduction, toute cette modernisation a pour but de

transférer la gestion à l’eau à une organisation autonome, sans soutien financier de l’État.

Cette fin visée par la Banque mondiale s’inscrit dans le contexte où les pays en voie de

développement ont une dette importante par rapport à leur PIB. Ainsi, en réduisant les

dépenses publiques, les pays peuvent réduire leur déficit budgétaire et envisager de

rembourser leur dette publique. « Thus, given the low level of current cost recovery and the

importance of finances in the sustainability of operations, pricing to ensure financial

autonomy will be a good starting point31 » (World Bank 1993: 14).

29 La législation fournit les bases pour l’action du gouvernement dans la modernisation des voies opérationnelles et établit le contexte pour l’action par des entités non gouvernementales et individuelles. 30 Dans plusieurs régions du monde, l’instauration d’un prix trop bas a causé de sérieux abus de consommation d’eau. […] Fixer les prix au bon niveau n’est pas assez; les prix ont besoin d’être payé afin d’augmenter l’efficacité de l’allocation des ressources. Les situations de non-paiement des honoraires pour l’eau sont nombreux et biens documentés. […] L’échec de recouvrement des coûts et de réinvestissements dans le système amène à un cercle vicieux par lequel les services déclinent avec le non paiement – en tant que les pièces de rechange et les matériaux essentiels épuisés – et les consommateurs, à leur tour, deviennent moins enclins à payer pour des services fournis de piètre qualité. 31 Ainsi, donner un bas niveau du rétablissement du coût courant et l’importance de financer le coût de roulement des opérations, l’évaluation pour assurer l’autonomie financière sera un bon point de départ.

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Décentralisation et privatisation Le but avoué de la Banque mondiale dans cette stratégie destinée à refinancer les pays en

voie de développement, est d’obtenir la privatisation des services publics. Pour ce faire, il

faut d’abord décentraliser la compétence à l’échelle gouvernementale la plus locale possible.

Ainsi, le financement de l’État devient indirect. Deuxièmement, il faut créer un organisme de

gestion autonome afin de faciliter la possibilité d’appels d’offres publics pour la gestion de

l’eau. Lors des soumissions, c’est le principe de concurrence qui est appliqué, ce qui met

théoriquement fin au monopole naturel de la gestion des eaux. Finalement, étant donné que la

gestion des eaux bénéficierait d’une concurrence, le coût de la gestion devrait, en principe,

avoir tendance à diminuer en se rationalisant et le consommateur serait le principal

bénéficiaire de l’instauration de l’économie de marché dans la gestion de l’eau.

The principle is that nothing should be done at a higher level of government that can be done satisfactorily at a lower level. Thus, where local or private capabilities exist and where an appropriate regulatory system can be established, the Bank will support central government efforts to decentralize responsibilities to local government and to transfer service delivery functions to the private sector, to financially autonomous public corporations, and community of public water service agencies, or their transformation into financially autonomous entities, and the use of management contracts for service delivery will be encouraged32 (World Bank 1993; 15-16).

Finalement, quoiqu’il existe plusieurs façons de privatiser les services d’eau, la meilleure,

selon la Banque mondiale, prend la forme d’une concession des services pour une longue

durée. Cette privatisation prend ainsi la forme d’un partenariat public-privé, où le

concessionnaire est invité à faire la gestion de l’eau dans une logique de développement à

long terme. « Typically, facilities are leased to the private operator, who contributes

investment capital and who operates and maintains the facilities for a period of twenty to

32 Le principe est qu’il ne faut jamais donner au plus haut gouvernement lorsque l’on peut le donner avec satisfaction à un niveau inférieur. Ainsi, où le local ou les capacités privées existent et où un système auto régulateur peut être établi, la Banque supportera les efforts du gouvernement central à décentraliser ses responsabilités au gouvernement local et à transférer l’offre des services au secteur privé, à une corporation publique autonome financièrement, ou à une agence communautaire de gestion des services de l’eau, où ces transformations à l’intérieur d’une entité autonome, et l’usage d’une gestion à contrat pour les services de distribution, seront encouragés.

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thirty years33 » (World Bank 1993: 57). Dans le cas de Cochababma, cette recommendation a

pris la forme d’une concession de 40 ans des infrastructures de la Semapa, de Misicuni en

plus de l’eau souterraine de la vallée centrale. Ainsi, l’eau de propriété étatique a été

concédée au gestionnaire privé pour une durée de 40 ans, ne laissant que des licences de

consommation de cinq ans aux propriétaires de puits34. De plus, l’influence de la politique de

gestion de l’eau de la Banque mondiale est directement perceptible à l’intérieur de la loi

2029, que nous vous présenterons à l’intérieur du prochain chapitre.

Autoévaluation de la politique de gestion des ressources hydriques Dans deux documents publiés en 2002, la Banque mondiale nous apprend qu’une

autoévaluation de la politique de 1993 a été effectuée. Trois principes sont mis de l’avant par

la Banque mondiale pour améliorer la politique initiale. Premièrement, il faut continuer à

promouvoir la politique, tout en l’adaptant au contexte national des différents pays.

Deuxièmement, il faut réaliser une meilleure modernisation de la structure de gestion afin de

permettre un transfert plus harmonieux vers la gestion privée et finalement, il faut consolider

les alliances avec le secteur privé.

L’approche globale préconisée dans la stratégie pour l’eau élaborée par la Banque en 1993 répond tout à fait aux impératifs d’une gestion rationnelle et durable des ressources en eau. La mise en œuvre de cette stratégie a permis de faire avancer les buts institutionnels de la Banque ainsi que la mission qui lui a été assignée, et elle a contribué à dégager un début de consensus sur la gestion des ressources en eau. Mais si la stratégie a été appliquée de manière générale, sa mise en œuvre demeure néanmoins fragmentaire et inégale, avec des différences marquées entre les régions, les pays et les sous-secteurs. Des efforts restent à faire pour l’adapter aux différents contextes nationaux et pour articuler la gestion des ressources en eau avec l’organisation de services durables (Pitman 2002: ix).

« On ne pourra relever ce défi que si les pays en développement parviennent à instaurer un

climat d’investissement favorable au secteur privé et à absorber ces investissements »

(Banque mondiale 2002: 1). Avec cette volonté d’instaurer un climat d’investissement

favorable au secteur privé, nous pouvons nous demander si la Banque mondiale a vraiment

33 Typiquement, les infrastructures sont louées à l’opérateur privé, qui contribue en investissant du capital et qui gère et assure la maintenance des infrastructures pour une période de 20 à 30 ans. 34 Ce changement fondamental de la propriété de l’eau est analysé plus en profondeur dans le prochain chapitre portant sur l’émergence de l’idée de privatisation de l’eau à Cochabamba.

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l’intention d’adapter sa politique aux différents contextes nationaux ou si elle ne voudrait pas

davantage adapter les différents contextes nationaux à l’instauration de ce climat favorable à

l’investissement. Cette réflexion est pertinente, deux ans après l’échec de la privatisation de

la gestion de l’eau de Cochabamba. D’ailleurs, la Banque mondiale parle de sa politique

comme d’une gageure pour créer et maintenir des alliances avec le secteur privé. « Il est

important que la Banque se repositionne pour être en mesure de relever cette gageure, ce qui

lui offrira l’occasion de mettre en œuvre une stratégie globale de l’eau fondée sur les

principes suivants : […] créer et maintenir des alliances larges pour la gestion de l’eau avec

des partenaires du secteurs privé » (Banque mondiale 2002: 5).

Finalement, l’autoévaluation de la Banque mondiale sur sa politique de gestion de l’eau

envisage la continuité de ce qui avait été élaboré en 1993, avec une attention particulière aux

différents contextes nationaux. La Banque mondiale cherche à ne pas répéter des échecs

comme ceux de Tucuman en Argentine et de Cochabamba en Bolivie. Ainsi, dans ce contexte

de globalisation des marchés, la Banque mondiale soutient que le rôle de l’État

interventionniste doit être modifié en État facilitateur, favorable à l’introduction d’un mode

de gestion privé s’insérant dans un contexte de concurrence. Toujours selon la Banque

mondiale, cette stratégie a fourni plus de preuves de succès que d’échecs.

The 1990s saw a revolution as governments in developing countries adopted the new paradigm of private provision of infrastructure services. [...] Although cancellations and re-nationalizations of private infrastructure projects attract headlines, they have thus far been relatively uncommon. Only 48 private infrastructure projects were renationalized or cancelled over the period 1990-2001, less than 2%, of the nearly 2500 private infrastructure projects concluded in that period35 (Clive Harris 2003: 5, 9-10).

Seulement, cette rationalité néolibérale n’est pas acceptée de tous. Sylvie Paquerot,

chercheure au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal

(CÉRIUM) affirme que la gestion privée est globalement plus coûteuse que la gestion

publique, car les profits engendrés par l’entreprise privée font augmenté le coût de gestion. 35 Les années 1990 ont vu une révolution, lorsque des gouvernements des pays en voie de développement ont adopté le nouveau paradigme de la gestion privée des infrastructures de services. […] Bien qu’il y ait eu des annulations et des renationalisations de projets d’infrastructures privatisés, cela a été relativement peu commun. Seulement 48 projets d’infrastructures privatisés ont été renationalisés ou cancellés durant la période 1990-2001, soit moins de 2% des quelques 2500 projets d’infrastructures privatisés durant cette période.

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37

Elle appui sa déclaration en citant les exemples de Buenos Aires, de Lyon, de Grenoble et

d’Atlanta. Nous pourrions ajouter à cette liste les villes de La Paz et El Alto qui ont mis fin,

en janvier 2005, au contrat de concession de la compagnie Aguas del Illimani, une filiale de

la Lyonnaise des Eaux. De plus, Paquerot expose la difficulté pour la société civile de faire

résilier un contrat de concession. Cette constatation est corroborée par l’exemple de

Cochabamba et peut expliquer, en partie, le faible de taux de renationalisation qui a été

énoncé par la Banque mondiale (Paquerot 2004a, 2004b). Le taux d’insatisfaction à la gestion

privée ne correspond nullement au taux de renationalisation.

Critique du modèle marchand Étant donné que la Banque mondiale a la volonté de s’adapter aux différents contextes

nationaux, voyons brièvement la situation de la gestion de l’eau des pays en voie de

développement avec les analyses de Sylvy Jaglin et de Franz Quiroz.

D’abord, Jaglin semble d’accord avec la Banque mondiale sur le fait que le principal

problème dans l’accessibilité à l’eau soit la mauvaise gestion. « Sans sous-estimer le

problème des ressources, bien réel, il faut cependant souligner que c’est moins ce dernier qui

a historiquement freiné la généralisation de l’accès à l’eau potable dans les villes en voie de

développement que les modalités d’organisation et de gestion des services » (Jaglin 2001:

277).

Seulement, l’accessibilité à l’eau ne se présente pas toujours sous la seule forme d’eau

courante à la maison, diverses alternatives ont été développées par les populations ne pouvant

avoir accès à cette réalité.

Les services officiels n’étant pas en mesure de satisfaire toute la demande urbaine, de nombreux citadins recourent à d’autres modes d’approvisionnement, en utilisant des sources gratuites (puits, rivières, eaux de pluie…) ou en s’adressant aux multiples opérateurs des marchés locaux de l’eau. Ceux-ci peuvent intervenir dans la production (forages privés), le transport (par camion citernes) ou la distribution (revente de voisinage, portage à domicile, vente de rue) (Jaglin 2001: 279).

Cette différence, dans la manière d’avoir accès à l’eau, apporte une très grande disparité dans

la consommation d’eau par personne. Selon les situations, le mode de vie des familles

s’adapte au mode d’accès à l’eau. La consommation par habitant est alors très inégale. Les

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38

ménages aisés peuvent consommer jusqu’à 500 l/hab/j conparativement à 15 l/hab/j pour les

ménages dépendants des revendeurs d’eau (Jaglin 2001: 280-281). En plus de ces inégalités

de consommation, il existe une inégalité du prix de l’eau. Par exemple, acheter de l’eau

provenant d’un camion citerne à Cochabamba, peut coûter entre 3 à 5 fois plus cher que coût

de l’eau du réseau d’aqueduc.

Généralement, la quantité et la qualité d’eau consommée dans une famille sont en relation

directe avec le revenu familial. Ainsi, selon Jaglin, l’instauration du modèle marchand ne

peut assurer l’équité à l’accessibilité à l’eau potable, car certains ménages non solvables ne

pourront payer leur facture et seront obligés de revenir à des formes alternatives d’accès à

l’eau. « La question de la solvabilité […] se pose aujourd’hui dans les villes en

développement, laissant dubitatif quant à la faisabilité d’une généralisation strictement

marchande du service » (Jaglin 2001: 283). Dans cette perspective, la gestion privée telle que

proposée par la Banque mondiale pourrait bien voir naître un autre cercle vicieux, celui de

l’incapacité de payer de certains ménages, voire de certains quartiers, amenant encore une

fois une insatisfaction envers le gestionnaire de l’eau.

Les réformes n’apportent donc en elles-mêmes pas de réponse générale à l’ambition de service universel. En l’absence de dispositifs adéquats de subventions publiques, les entreprises privées sont, comme leurs homologues publiques, dans l’incapacité de répondre à une demande en eau en augmentation rapide, provenant de populations urbanisées à faibles revenus et aux situations foncières inégalement consolidées (Jaglin 2001: 289).

À ce sujet, la Banque mondiale argumente le fait que la généralisation de la distribution de

l’eau par l’aqueduc rendrait le coût de l’eau par m3 plus abordable pour les ménages à faible

revenu qui doivent se tourner vers des sources alternatives, étant donné l’impossibilité

d’accès au réseau public. Cependant, cette argumentation ne tient pas compte des frais de

connexion aux réseaux de distribution d’eau, ce qui peut faire une énorme différence, comme

nous le démontrerons dans le quatrième chapitre.

Finalement, Franz Quiroz critique la politique de la Banque mondiale en argumentant que la

gestion de l’eau, de par ces conditions naturelles d’infrastructures imposantes, est vouée à

être un monopole, et ce même dans le contexte d’une gestion privée. Ainsi, l’idée de la

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39

Banque mondiale selon laquelle une gestion privée amènerait ce secteur de l’économie à

réduire ses coûts de production grâce à la concurrence n’est pas valide selon Quiroz. Comme

le cas de Cochabamba l’a démontré, une seule compagnie a soumissionné, ce qui ne crée pas

une grande concurrence et le prix de l’eau au m3 a été augmenté de 35% en moyenne lors de

la concession à Aguas del Tunari.

Un problema fundamental en la asignación de los servicios de agua potable y seneamiento mediante el mercado es el monopolio natural, esto se refiere a la existencia de un único productor en una industria por causas naturales. [...]A su vez, se debe reconocer que estos servicios son un monopolio natural por las características de economías de escala, economías de alcance y costos fijos de producción elevados. De esta manera se estaría concediendo un poder monopólico al actor que se adjudique la concesión del servicio36 (Quiroz 2004: 16 et 18).

Après cette critique de Quiroz au fait que la gestion de l’eau soit un monopole naturel, la

représentation de la Banque mondiale selon laquelle une administration publique est

incompétente devient la seule justification plausible à la promotion de la gestion privée.

« Many infrastructure services will be natural monopolies, whether in public or private

hands. Hence, the regulatory function exists whether or not private provision is involved. As

argued earlier, fundamental conflicts of interest mean that government generally do a poor

job of combining regulation with ownership of service provision37 » (Clive Harris 2003: 33).

Voyons maintenant dans quel contexte était la gestion de l’eau de Cochabamba avant la

privatisation. Dans quel contexte national particulier la politique de la Banque mondiale a été

appliquée ? Quel était le rapport à l’eau des différents acteurs. Quelle était la réalité dans

laquelle les citoyens de la Vallée centrale de Cochabamba vivaient ? Voyons brièvement de

quelle ressource hydrique disposent ces habitants, comment elle est répartie sur le territoire et

comment elle était distribuée et facturée par la Semapa. 36 Un problème fondamental dans l’attribution des services d’eau potable et d’assainissement par l’entremise du marché est le monopole naturel, cela se réfère à l’existence d’un producteur unique dans une industrie pour causes naturelles. […] Une fois de plus, on se doit de reconnaître que ces services son un monopole naturel pour les caractéristiques d’économies d’échelles, économies de grandes importances des coûts fixes de production élevée. De cette manière, ce serait concéder un pouvoir monopolistique à l’acteur qui aurait la concession du service. 37 Plusieurs services nécessitant des infrastructures importantes seront des monopoles naturels, aux mains publiques ou privées. Par conséquent, les fonctions régulatrices existent seulement si le privé est impliqué. Plus tôt, j’ai argumenté que les conflits fondamentaux d’intérêts au moyen du gouvernement sont généralement dus à un mauvais travail combiné à la propriété de la disposition des services.

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40

L’accessibilité à l’eau, un regard socio-spatial de Cochabamba

Une forte croissance démographique… Démographiquement, le département de Cochabamba a connu une forte croissance lors des

25 dernières années. En 1976, la population totale était de 720 831 personnes,

comparativement à 1 455 711 en 2001. La population a donc doublé en 25 ans (INE 2002: 2).

Ce phénomène démographique s’explique par la forte natalité et par la fermeture des mines

d’étain dans les années 1980, responsable des migrations internes boliviennes. Ces fermetures

ont amené de nombreuses familles d’Oruro et de Potosí à se relocaliser dans des

départements ayant de meilleures perspectives d’emploi tels Cochabamba et Santa Cruz

(Albó 2002: 74). Dans la Vallée centrale de Cochabamba, en plus d’avoir une augmentation

démographique, la région s’est urbanisée et la ville de Cochabamba a connu un étalement

urbain important (voir Figure 4). Pour cette même période, la population de la ville de

Cochabamba est passée de 207 138 à 517 024 personnes, faisant passer la population urbaine

régionale de 37% à 57 % (INE 2002: 2-3). Ainsi, la Vallée de Cochabamba a une population

urbaine en pleine croissance et des quartiers densément peuplés (voir Figure 5). Pour la

première fois dans l’histoire de la région, les citadins sont plus nombreux que les paysans.

Figure 4 : La croissance spatiale de Cochabamba entre 1962 et 2000

Source : (Progeo 2003)

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41

Figure 5 : Densité de la population urbaine de Cochabamba

Source : (Progeo 2003)

Ainsi, si l’on compare les limites de la ville de 1962 et la densité urbaine, nous constatons

que la « vieille ville » correspond aux zones les plus densément peuplées. Cependant, la zone

sud de la ville (au sud du lac Alalay) est densément peuplée de nouveaux arrivants.

L’aménagement du territoire y est chaotique et la population très pauvre. Cette région de la

ville est celle où le niveau de desserte des services de bases (eau, égout, électricité) est le

moins élevé (voir Figure 6).

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42

Figure 6 : Répartition de la qualité des services de base de Cochabamba

Source : (Progeo 2003)

De plus, cette situation démographique a fait en sorte que la Semapa n’a pu étendre le réseau

de distribution d’eau de façon à soutenir la croissance urbaine. La principale difficultée qu’a

rencontré la Semapa est que la croissance urbaine s’est effectuée d’une façon non planifiée et

très rapidement. Par exemple, des gens s’installaient là où il y avait de la place en périphérie

de la ville. À la base, le mode de vie y était semi-urbain, laissant de la place à la famille pour

cultiver un potager derrière la maison, tout en travaillant au marché « la Cancha » de

Cochabamba. Rapidement, ces habitations se sont multipliées et la densité de cette campagne

rapprochée a augmenté transformant ces nouveaux quartiers en zone-dortoirs pour des

travailleurs urbains. Cette forme d’urbanisation a été effectuée avec une planification

laborieuse et inconstante. Cette situation a augmenté la difficulté, pour la Semapa, de savoir

exactement quels étaient les besoins en eaux de ces populations, laissant ces quartiers très

mal desservies par les services de distribution d’eau et les services d’égout. Comme nous le

verrons dans le prochain chapitre, la rareté relative de l’eau a rendu l’extension du réseau

d’aqueduc difficile pour l’entreprise publique qui devait déjà en rationaliser la distribution.

Ainsi, les populations de la périphérie, en particulier de la zone sud, vivent dans une situation

d’inégalité d’accès aux services par rapport aux populations des quartiers centraux (Ledo

1997). Nous constatons sur les figures 7 et 8 qu’un fort pourcentage de la population vivant

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43

dans les quartiers périphériques n’ont pas accès aux services de distribution et

d’assainissement des eaux. Ce phénomène nous démontre bien à quel point l’accessibilité à

l’eau est un phénomène social et géographique.

Figure 7 : Répartition du taux de raccordement de distribution d’eau en 2003

Source : (Progeo 2003)

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44

Figure 8 : Répartition du taux de raccordement au réseau d’égouts en 2003

Source : (Progeo 2003)

Cependant, contrairement à ce qu’affirme la Banque mondiale, la gestion publique de la

distribution des eaux n’est pas automatiquement synonyme de mauvaise gestion. Entre 1992

et 2001, la Semapa a réussi à augmenter le nombre de ménages ayant accès au réseau de

distribution d’une manière substantielle et ce malgré l’urbanisation mal planifiée de la zone

sud de la ville la pénurie relative d’eau. Bien que plusieurs ménages ne soient toujours pas

raccordés au réseau de distribution, l’évolution de l’étendu du réseau a été remarquable.

L’entreprise publique a d’ailleurs réussi à augmenter plus rapidement le nombre de ménages

ayant l’eau que la croissance urbaine de Cochabamba, comme nous le constatons à l’intérieur

du Tableau 4.

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45

Tableau 4: L’évolution du type d’accès à l’eau à Cochabamba Accès à l'eau Évolution en %

Nombre Pourcentage Nombre PourcentageTotal des ménages 90355 100 123477 100 0Réseau public 61038 67,6 90763 73,5 8,8Puit 8461 9,4 6467 5,2 -44,1Rivière, lac 2048 2,3 736 0,6 -73,7Vendeur d'eau 17461 19,3 24300 19,7 1,8Autres 1347 1,5 1211 1,0 -34,2

1992 2001

Source : (INE 2002: 178)

Cependant, l’amélioration de l’étendu du réseau de distribution ne s’est pas réalisée sans

heurt, car ne l’oublions pas, la Vallée centrale de Cochabamba a une quantité d’eau limitée

comme nous le constatons sur cette photographie de la rivière Rocha, la principale rivière de

la région (Figure 9).

Figure 9 : La Rivière Rocha de Cochabamba38

Source: Simon Mélançon 2004

38 Cette photographie représente des dizaines de personnes s’alimentant en eau douce à même la rivière Rocha, le principale cours d’eau de la ville de Cochabamba. Cette photographie a été prise lors de la saison sèche, en plein cœur de l’hiver, au mois de juillet 2004.

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46

… et une ressource limitée À une échelle régionale, la nouvelle place que prend la proportion de la population urbaine

dans la Vallée centrale accentue la pression sur l’utilisation de l’eau d’irrigation des paysans.

Les sources d’eau de la Semapa étant relativement restreintes, l’option d’augmenter le

pourcentage d’eau provenant de sources souterraines a provoqué le mécontentement des

paysans de la Vallée centrale, car ces derniers utilisent également l’eau de la nappe

souterraine. Selon les paysans, ces nouveaux puits à vocation urbaine viennent diminuer l’eau

disponible pour l’irrigation paysanne. Ainsi, la tension entre la ville et la campagne est

croissante dans la vallée depuis le creusement par la Semapa de 10 puits dans la région de

Vinto en 1977. Ces puits ont été construits afin d’augmenter la quantité d’eau disponible pour

le réseau de distribution urbain (Crespo Flores 1999: 45). Depuis le début des années 1990,

plusieurs puits ont été creusés dans la région de Sipe Sipe. Ces nouveaux puits ont été creusés

malgré l’opposition des paysans de la région. Durant les années 1994 et 1995, il y a eu de

fortes tensions entre les paysans et les ouvriers de la Semapa autour de ses nouveaux puits.

Cet épisode fut baptisé « la guerra de los pozos39 ». La Fedecor s’est formée dans ce contexte

où la Semapa voulait augmenter son volume d’eau pour les citadins. La Fedecor, rappelons-le

est un nouveau syndicat de paysans spécialement formé pour défendre les droits acquis des

populations paysannes sur l’eau souterraine de la vallée. Les positions divergentes qu’ont les

citadins et les paysans dans leur relation à l’eau ont amené une territorialité particulière où le

clivage ville/campagne est central. La privatisation de la gestion de l’eau viendra modifier

radicalement les relations entre ces deux groupes d’acteurs.

Aujourd’hui, une partie majeure des sources d’eau de la Semapa provient de ces puits situés à

l’ouest de la Vallée centrale en plus de l’eau de surface qui est canalisée directement dans la

cordillère Tunari (voir Figure 10 Tableau 5). En 2003, la Semapa n’avait pas encore réussi à

étendre son réseau d’aqueduc dans la zone sud de la ville, malgré ces sources d’eau

diversifiées (voir Figure 11).

39 La guerre des puits.

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47

Figure 10 : Eaux de surface et souterraine canalisées par la Semapa

Sources : (Semapa 2003b) ; fonds de carte : (CLAS 2003); réalisation Simon Mélançon

2004

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48

Figure 11 : Réseau d’aqueduc de la Semapa en 200340

Source : (Semapa 2003c)

Sur la Figure 11, nous apercevons que le réseau d’aqueduc s’arrête au sud du Lac Alalay. En

juillet 2004, la Semapa et les Comités de gestion de l’eau de la zone sud de la ville était en

pourparler pour une entende visant à étendre le réseau d’aqueduc public vers ce secteur.

40 Le réseau principal de distribution d’eau est en bleu foncé et les réseaux secondaires sont en bleu pâle. Le gris représente les rues et le vert, les parcs.

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Depuis mars 2005, la Semapa peut compter sur un premier apport d’eau supplémentaire

provenant du détournement du projet Misicuni (voir Tableau 5)41. Seulement, ce nouvel

apport en eau a une histoire particulière, car il est au centre des représentations territoriales

depuis plusieurs décennies. Les représentations favorables à ce projet ont été centrales lors du

processus de privatisation. Ce projet a incarné et incarne toujours l’espoir de la population de

la Vallée de Cochabamba de voir se régler le problème d’approvisionnement en eau. En effet,

Misicuni pourrait augmenter considérablement la quantité d’eau, à la fois des paysans et des

citadins. De plus, il pourrait augmenter la capacité de production électrique de la région. Il est

représenté par la population comme un outil indispensable de développement économique.

Évidemment, les débats entourant la réalisation du projet ont été très politiques.

Por otro lado, Misicuni esta inserto en el imaginario popular como el Proyecto que solucionará la mayoría de los problemas regionales, particularmente del Valle, de ahí que constituye un sueño largamente anhelado. Indudablemente ha sido instrumentalizado politicamente por los poderes oficiales en función a las coyunturas e intereses especificos, y en el conflicto de Vinto Sipe-Sipe también encontraremos este rasgo42 (Crespo Flores 1999: 34-35).

Tableau 5 : Les sources d’eau de la Semapa en mars 2005 Nom des sources Type de source Quantité en l/s Pourcentage Vinto Souterraine 72 5,3 El Paso I Souterraine 156 11,5 El Paso II Souterraine 161 11,9 El Paso III Souterraine 159 11,8 Central Souterraine 27 2,0 G.F. Chungara Souterraine 24 1,8 Sous-total Souterraine 599 44,3 Escalerani De surface 285 21,1 Wara Wara (voir fig. 12) De surface 66 4,9 Hierba Buenani De surface 1,5 0,1 El Toro (réserve) De surface 0 0 Misicuni (mars 2005) De surface 400 29,6 Sous-total De surface 752,5 55,7

Total Mixte 1351,5 100,0

Source: (Semapa 2003a)

41 Le contexte dans lequel le projet Misicuni s’est développé sera analysé dans le prochain chapitre. 42 D’un autre côté, Misicuni est entré dans l’imaginaire populaire comme le Projet qui solutionnera la grande partie des problèmes régionaux, particulièrement de la vallée, il constitue un rêve ardemment désiré. Indubitablement, il a été instrumentalisé politiquement par les pouvoirs officiels en fonction des conjonctures et des intérêts spécifiques, et dans le conflit de Vinto et Sipe-Sipe nous rencontrons aussi ce trait.

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Synthèse et ouverture Bref, entre les bonnes intentions des instances internationales pour aider les pays en voie de

développement et la réalisation de ces intentions, le fossé est très large. Beaucoup d’eau

coulera sous le pont avant que l’on puisse le traverser. Comme le prétend la Banque

mondiale, il faut s’adapter aux différents contextes nationaux. Cette remarque est juste.

Seulement, dans le cadre de sa politique elle signifie s’adapter pour mieux privatiser, car la

politique de la Banque mondiale est claire, les problèmes de gestion de l’eau n’ont de

solution que par la voie du privé.

Figure 12 : Le lac Wara Wara43

Source : Simon Mélançon 2004

Cependant, la réalité bolivienne rime avec mécontentement envers les politiques néolibérales

qui n’ont pas réussies à satisfaire les attentes de ce peuple multiethnique. Les gens n’ayant

pas accès à l’eau sont en général les plus pauvres de la société. Le modèle marchand de la

Banque mondiale propose d’augmenter les prix de l’eau afin de créer un marché de la

consommation. Une fois de plus, ce sont les familles démunies qui ne pourront payer la

facture. Nous verrons cette théorie se réaliser lors du chapitre concernant la mise en place de

la nouvelle gestion de l’eau par Aguas del Tunari, suite à la privatisation.

Le cas de Cochabamba démontre un contexte complexe : forte croissance urbaine dans une

région à tradition agricole et rareté relative de l’eau. Ainsi, la solution au problème doit

43 Cette photographie représente le lac Wara Wara, un réservoir naturel d’eau douce canalisé par la Semapa (voir Tableau 5). Wara Wara est situé à environ 10 km au nord de la ville de Cochabamba, à l’intérieur des contreforts de la cordillère Tunari.

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également prendre en compte les conditions physiques limitées de la Vallée centrale. C’est

dans ce contexte que le débat sur l’augmentation de la quantité d’eau disponible a pris

naissance. Deux projets de transferts massifs d’eau douce ont alors été proposés : le Projet

Multiple Misicuni et le Projet Corani. Le premier est un projet vieux de 50 ans, et il incarne

l’espoir de la fin des problèmes de pénurie d’eau, en plus de promettre le développement

énergétique et économique de la région. Le second, plus modeste et moins dispendieux, a été

proposé par le président Sánchez de Lozada. Il prévoit une augmentation du volume d’eau

disponible qui pourrait satisfaire les besoins immédiats de Cochabamba, mais n’a pas le

même panache que Misicuni et surtout il ne possède pas l’appui de la population locale. En

effet, cette dernière se représente le projet Misicuni comme étant un projet pouvant engendrer

et soutenir une croissance économique pour les prochaines décennies. Ainsi, c’est à travers de

ce débat que le discours des acteurs portant sur la privatisation de la gestion de l’eau de

Cochabamba est analysé. C’est à travers ces derniers que les représentations sont perceptibles

et que la territorialité fait surface.

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Troisième chapitre

L’émergence de l’idée de privatisation et de son opposition

Uno de los factores importantes para identificar los usos y costumbres de los sistemas de riego del Valle

central es el proceso histórico de la structura agraria de este valle, los cambios que se dan en la relación de los recursos Tierra – Agua como consecuencia de los

cambios ocurridos en la relación de tenencia y accesso sobre los recursos, realizados por los

diferentes grupos sociales44. Omar Fernandez

Ce premier chapitre d’analyse du discours proprement dit se concentre sur la période se

déroulant avant la privatisation. Plus précisément, nous analysons les événements ayant

amené à la privatisation entre janvier 1997 et novembre 1999. Durant cette période, à travers

le discours des différents acteurs, nous décryptons les relations donnant vie à la territorialité

qui prévalait avant la privatisation. De plus, à l’intérieur de cette période nous pouvons

apercevoir le germe des changements de relations de pouvoir entre les acteurs.

Cette période a succédé à une décennie de conflits régionaux sur la gestion de l’eau de la

Vallée centrale de Cochabamba. De plus, lors des élections de 1997 la gestion de l’eau de

Cochabamba fut au cœur des promesses électorales. En effet, le président sortant Gonzalo

Sánchez de Lozada favorisait la mise en chantier d’un transfert d’eau douce en provenance

du barrage Corani, alors qu’Hugo Banzer, l’aspirant président, promettait de réaliser le projet

Misicuni. Les représentations historiques du « mythe Misicuni » ont favorisé l’éclosion d’un

certain consensus régional en faveur de Banzer et de la réalisation de Misicuni. Les

représentations favorables à Misicuni étaient telles que l’idée de privatiser la Semapa et

Misicuni à une même entreprise privée a été acceptée par la majorité des citoyens de la

vallée.

44 Un des facteurs importants afin d’identifier les us et coutumes des systèmes d’irrigations de la Vallée centrale est le processus historique de la structure agraire de cette vallée, les changements dans la relation Terre – Eau comme conséquence des changements survenus dans la relation de propriété et d’accès sur les ressources, réalisés par les différents groupes sociaux.

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Cependant, c’est parmi la minorité s’opposant au processus de privatisation et à la nouvelle

loi de l’eau que germaient les grandes manifestations d’avril 2000. Ces organisations,

modestes au départ, ont su faire valoir leur conviction étroitement liées à leur mode de vie

paysan et à leur « usos y costumbres45 ». Conjointement à ce mouvement paysan, un

mouvement urbain, le Comite de defensa del agua y economía familial46, se mobilisait contre

la hausse de la tarification de l’eau sans toutefois s’opposer à la privatisation. Ces deux

organisations sont à la base de la formation de la Coordinadora.

Finalement, cette période nous permet de comprendre dans quel contexte le rapprochement

des relations ville-campagne fut possible. Ce rapprochement c’est d’abord fait dans le

contexte du soutien à Misicuni et finalement dans l’opposition à la privatisation. Ce chapitre

cherche à analyser et à démontrer les relations comprises dans la territorialité avant la

privatisation.

Les conflits villes-campagnes et la rareté relative de l’eau Au cours des années 1990, de nombreux conflits opposant la Semapa et les associations

paysannes de Cochabamba ont éclaté. Ces conflits contemporains étaient en partie une

continuité des conflits entre la Semapa et la campagne datant des années 1970 (Peredo

Beltrán 2003: 7). Au cœur de ces conflits se trouvaient deux visions de la légitimité de

l’utilisation de l’eau. D’un côté, les paysans représentés par la Fedecor réclamaient le droit

acquis de l’usage de l’eau souterraine de la vallée. Les paysans utilisaient cette eau depuis des

centaines d’années. Malgré l’utilisation de l’eau souterraine, ces derniers manquent d’eau à

chaque printemps et accusent la Semapa d’être responsable de cette situation47. Ils

prétendaient que les puits creusés par la Semapa en 1977 ont fait baisser la nappe phréatique

et que depuis ce temps des conditions de sécheresse sévissent périodiquement (Crespo Flores

1999: 45). Les paysans, représentés par la Fedecor, s’opposaient farouchement à tout projet

de creusement de puits par la Semapa. Il est à noter que « le pompage dans un puits de

surface a pour effet de former autour du puits un cône de dépression. Un excès de pompage

45 Littéralement, cette expression se traduit par « us et coutumes ». 46 Le Comité de défense de l’eau et de l’économie familiale, le Codaef. 47 Il est à noter qu’en Bolivie, le printemps s’étend de septembre à décembre.

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abaissera le niveau phréatique et pourra contribuer à assécher d'autres puits avoisinants »

(Bourque 2004: Internet) (voir Figure 13). Dans le cas de la Vallée centrale de Cochabamba,

les puits de la Semapa sont plus profonds que les puits des paysans¸ ce qui amène une

divergence de données relatives à l’accessibilité à l’eau de la nappe phréatique de la part des

deux groupes d’acteurs territorialisés.

Figure 13 : Les puits de surface et la nappe phréatique

Source : (Bourque 2004)

De son côté, la Semapa argumentait qu’étant donné la forte croissance démographique de la

ville de Cochabamaba, elle se voyait dans l’obligation d’augmenter le volume d’eau

disponible et que la façon la plus rapide et la plus abordable était d’utiliser l’eau souterraine.

La Semapa a ainsi creusé des puits profonds en toute légalité. Malgré le fait que la juridiction

donne crédit à la Semapa, les paysans ont recouru à de nombreux moyens de pressions au

cours de la décennie 1990 pour renverser les décisions de l’entreprise publique. Les

politiciens locaux et nationaux ont eu la volonté de régler ces conflits qui ne pouvait que se

répéter étant donné la croissance accrue de l’utilisation de l’eau souterraine par la population

urbaine et rurale. C’est dans ce contexte qu’a refait surface l’idée d’augmenter la quantité

d’eau d’approvisionnement de la Semapa par le biais d’un transfert d’eau de surface de la

cordillère Tunari. Le président Sánchez de Lozada a alors proposé d’utiliser l’eau du

réservoir Corani.

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55

Le transfert massif d’eau potable pour augmenter la quantité d’eau d’approvisionnement de la Semapa Lors de son mandat de 1993 à 1997, le président Sánchez de Lozada s’est retrouvé aux prises

avec les conflits entourant les nouveaux puits de la Semapa et a démontré sa volonté de régler

ce problème. C’est ainsi que le projet Misicuni a refait surface dans l’actualité politique,

paradoxalement lorsque le président le laissa de côté au profit du projet Corani. L’idée du

Proyecto Múltiple Misicuni remonte au années 1940 (Oporto Castro 1999: 3) ou 1950 (Laurie

et Marvin 1999: 9) selon les sources. Brièvement, le projet consiste à effectuer un transfert

d’eau du nord de la Cordillère Tunari vers le sud, dans la Vallée centrale de Cochabamba

(voir Figure 14). Ce projet est fortement ancré dans les représentations régionales comme un

moyen d’atteindre une certaine compétitivité économique devant La Paz et Santa Cruz.

« For Cochabambinos, Misicuni had become emblematic of the region’s identity and hopes

for the future48» (Laurie et Marvin 1999: 12). Depuis 25 ans, le projet Misicuni a été soumis

à plusieurs études de faisabilité et a été promis lors de nombreuses élections. Seulement,

depuis 1978, l’instabilité politique, les récessions, l’inflation, le manque d’investisseurs ont

fait en sorte que le projet a périodiquement été laissé sur la glace (Oporto Castro 1999: 7).

48 Pour les citoyens de Cochabamba (Cochabambinos), Misicuni est devenu emblématique de l’identité régionale et d’espoir pour le futur.

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56

Figure 14 : Le projet Misicuni

Sources : (Laurie et Marvin 1999; CLAS 2003) ; réalisation Simon Mélançon 2004

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57

De son côté, le projet Corani est né dans les années 1960 (Laurie et Marvin 1999: 10). Un

barrage a été réalisé en 1966 afin de produire de l’hydroélectricité (voir Figure 15). En juillet

1995, lors de la « capitalisation » de l’entreprise nationale d’électricité (ENDE), la Duke

Energy Inc. des États-Unis est devenu copropriétaire de l’entreprise Corani S.A., de son

barrage et de son lac artificiel. Étant donné que cette entreprise possède une grande quantité

d’eau, le président Sánchez de Lozada proposa l’idée d’utiliser ce surplus d’eau pour la ville

de Cochabamba. Cette proposition a fait naître l’idée de détournement de l’eau du réservoir

Corani vers la ville de Cochabamba et par le fait même le débat entre Misicuni et Corani.

Figure 15 : Le projet Corani

Source : (Laurie et Marvin 1999)

Les deux projets ont le même objectif : augmenter le volume d’eau disponible de la Vallée de

Cochabamba. Corani est plus simple, sa réalisation plus rapide et son coût moins élevé par

rapport à Misicuni. Par contre, Misicuni propose un plus grand volume d’eau pour la ville,

une phase du projet liée à l’irrigation des terres et une autre à la production d’électricité (voir

Tableau 6).

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Tableau 6 : Comparaison technique des projets Misicuni et Corani Caractéristiques Misicuni (3 phases) Corani Quantité d’eau totale (m3/s) 6,6 4 Qt eau urbaine (m3/s) 4,27 2 Coût eau urbain ($ US/m3) 0,20 0,21 Qt eau irrigation (m3/s) 2,33 2 (indirect) Coût eau irrigation ($ US/m3) 0,08 0,08 Superficie de terres irriguées 10 800 (priorité à Vallée centrale) ? (priorité à Vallée Sacaba) Volume réservoir (millions de m3) 185 141 Hauteur barrage (mètres) 120 (barrage principal) ? (déjà construite depuis 1966) Longueur des tunnels (km) 37 16 Longueur des canaux de dérivations (km) 71 (pour irrigation) 14 (sans irrigation) Production hydroélectrique (MWh) 120 (supplémentaire) 126 (déjà en opération) Temps de réalisation 4 à 5 ans 1ère phase, 20 ans total 3 à 4 ans total Coût total (millions de $ US) 147 1ère phase, 311,78 total 162,9 total Financement public (millions de $ US) 42,3 0 Investissement privé (millions de $ US) 213 88 Autofinancement (profits réinvestis) 57 74,9 Appuis politiques Organisations régionales, Banzer Organisation internationales, Goni

Sources : (Aporto 1999 ; Los Tiempos, 25 août 1997)

Bref, un projet pour le court terme, un autre pour le long terme. Un projet appuyé par les

institutions internationales et un autre par la population locale. L’attention portée au choix du

projet à réaliser a ouvert la porte à l’idée de privatiser la Semapa et ainsi faire en sorte que la

gestion de l’eau ne soit faite que par une seule entité, ce qui ouvre la porte à une gestion

intégrée de l’eau. L’idée de la privatisation est venue pour assurer l’investissement nécessaire

au projet retenu, financement que l’État ne peut garantir étant donné la logique néolibérale

dans laquelle la Bolivie évolue en 1997. Voyons les deux rationalités appuyant les projets

Corani et Misicuni.

Les représentations territoriales face à la rationalité économique

La rationalité économique des institutions internationales derrière Corani « Durante más de medio siglo dicho proyecto sólo ha servido para la existencia de una

téorica y parasitaria empresa y para la propaganda demagógica de políticos en campaña

electoral49» (in Peredo Beltrán 2003: 11). Cette affirmation de Sánchez de Lozada démontre

49 Durant plus d’un demi siècle, ce dit projet a seulement servi pour l’existence théorique et parasitaire d’une entreprise et pour la propagande démagogique de politiciens en campagne électorale.

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bien à quel point le projet Misicuni a été exploité par les politiciens. En 1997, Sánchez de

Lozada a fait le pari de régler le problème de quantité d’eau de Cochabamba en proposant un

autre projet, le projet Corani. Ce projet n’est venu de nulle part ; l’entreprise

d’hydroélectricité Corani existe déjà depuis plus de 30 ans et personne n’avait jamais proposé

sérieusement d’acheminer l’eau de ce réservoir vers la ville.

Sánchez de Lozada devient le porte-parole de l’option-Corani. Il est convaincu que ce projet

est beaucoup plus viable que le projet Misicuni, jugé trop imposant, trop coûteux, trop risqué.

En avril 1997, il va jusqu’à affirmer : « Cochabamba debe definirse si quiere agua o

Misicuni50» (Los Tiempos, 7 avril 1997). Cette affirmation est une façon de signifier qu’avec

l’option Misicuni, Cochabamba n’aura jamais l’eau souhaitée, car selon lui, le projet ne sera

jamais rendu à terme par manque de ressources financières.

Néanmoins, le président Sánchez de Lozada ne ferme pas la porte au projet Misicuni, il

propose un plan, « Estrategia Agua para Cochabamba51 » dans lequel il privilégie le projet

Corani pour l’année 2001, tout en planifiant la mise en chantier de Misicuni à partir de 2005

ou 2006 (Oporto Castro 1999: 15). La population y voyait là une façon de ne jamais réaliser

Misicuni et par conséquent, elle n’a pas appuyé le président dans sa démarche.

Dans sa campagne de promotion du projet Corani, le président a un appui de taille, la Banque

mondiale. Selon cette institution: « El proyecto Corani es la alternativa más viable para el

abastecimiento de Agua para Cochabamba52» (La Razón, 24 août 1997). Pour la Banque

mondiale, le choix du projet doit absolument « ser analizado desde el punto de vista

económico53 » (Última Hora, 9 juillet 1997). Malgré cette recommandation en faveur de

Corani, la Banque mondiale ne ferme pas la porte à Misicuni : elle a déclaré que la décision

finale « estará en manos bolivianas54 » (Presencia, 10 juillet 1997).

Son argumentation en faveur du projet Corani reflète sa préoccupation financière. Voici des

extraits de « La posición del Banco Mundial sobre la alternativa más viable para el 50 Cochabamba doit définir s’il veut de l’eau ou s’il veut Misicuni. 51 Stratégie : Eau pour Cochabamba. 52 Le projet Corani est l’alternative la plus viable pour l’approvisionnement en eau de Cochabamba. 53 …être analysé depuis un point de vue économique. 54 …sera en mains boliviennes.

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abastecimiento de agua para la ciudad de Cochabamba55 », paru dans journal Los Tiempos

du 25 août 1997. Pour bien mettre en perspective cette analyse de la Banque mondiale, voir le

Tableau 6.

1. De acuerdo con la información suministrada a la misión, el potencial de suministro de agua de ambos proyectos es equivalente. Asimismo, consideramos que los beneficios que se puede generar del agua proveniente del proyecto Corani son equivalentes a los que se puede generar del agua proveniente del proyecto Misicuni.

2. Con Corani, estimamos que la disponibilidad de agua para riego será suficiente para satisfacer la demanda que podría surgir.

3. Desde el punto de vista financiero la propuesta de la empresa Corani es mucho más sólida y respalda por garantías adecuadas. [...] Las estimaciones sobre el valor presente se han realizado considerando un 12% de costo de oportunidad del capital.

4. Esta diferencia en el tiempo en el cual cada proyecto puede asegurar el suministro de agua tiene una importancia dentro del contexto de la aguda crisis de agua potable en Cochabamba, de modo que el proyecto Corani tiene una gran ventaja desde el punto de vista del período de ejecución.

5. El proyecto Misicuni es menos flexible y presenta el riesgo de impone al sector urbano una tarifa mayor de la programada.

6. El componente de mayor impacto ambiental en un proyecto múltiple de este tipo es el embalse de almacenamiento de agua. El embalse del proyecto Corani ya está construido y se encuentra en operación desde hace 30 años. Por el contrario, el embalse del proyecto Misicuni aún no está construido, así que el riesgo ambiental asociado con este proyecto sera mayor.

7. Finalmente y en forma complementaria, el Banco Mundial considera necesario aclarar que la ejecución del proyecto Corani, inviabilizaría el proyecto Misicuni puesto que la demanda tanto de agua potable como de riego estaría principalmente atendida por el proyecto Corani, dejando prácticamente sin mercado al proyecto Misicuni56.

55 La position de la Banque mondiale sur l’alternative la plus viable pour l’approvisionnement en eau de la ville de Cochabamba.

1. 56 En accord avec l’information reçue à la mission, le potentiel concernant l’apport en eau des deux projets est équivalent. Donc, nous considérons que les bénéfices que l’on peut générer de l’eau provenant du projet Corani sont équivalent aux bénéfices que l’on peut générer de l’eau provenant du projet Misicuni.

2. Avec Corani, nous estimons que la disponibilité de l’eau pour l’irrigation sera suffisante pour satisfaire la demande qui pourrait surgir.

3. Depuis le point de vue financier, la proprosition de l’entreprise Corani est beaucoup plus solide et appuyée par des garanties adéquates. […] Les estimations sur la valeur présente ayant été réalisée, considère à 12% le coût meilleur marché sur l’invesissement en Capatal [pour Corani].

4. Cette différence dans le temps auquel chaque projet peut assurer l’approvisionnement en eau a une importance dans le contexte de la crise de l’eau potable de Cochabamba, de manière que le projet Corani a un grand avantage depuis le point de vue de la période d’exécution.

5. Le projet Misicuni est moins flexible et présente le risque d’imposer au secteur urbain un tarif plus élevé que ce qu’il prévoit au programme.

6. La composante majeure des impacts environnementaux dans un projet multiple de ce type est le barrage de retenue d’eau. Le barrage du projet Corani, aujourd’hui, est déjà construit et est en

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61

En résumé, la Banque mondiale favorise le projet Corani, car il propose une quantité d’eau

jugée suffisante aux besoins de la ville et de la campagne, un coût moins élevé, réalisable à

plus court terme, révélant moins de risques financiers et ayant une meilleure image

environnementale. Sur ce point, il faut dire que certains projets d’infrastructures hydrauliques

ont été très critiqués sur la scène internationale, que l’on pense au Barrage des Trois-Gorges

en Chine, au transfert massif d’eau du Rhône vers la ville de Barcelone en Espagne ou aux

nouveaux projets hydroélectriques dans le nord du Québec, les impacts environnementaux

sont davantage considérés que lors de l’époque des « 30 glorieuses ». La dernière prise de

position de la Banque mondiale selon laquelle le projet Corani rendrait non-viable le projet

Misicuni est la seule divergence à l’argumentation de Sánchez de Lozada.

Les prises de position de Sánchez de Lozada et de la Banque mondiale en faveur du projet

Corani ont été fortement critiquées à Cochabamba. En effet, la mobilisation pour défendre le

projet Misicuni fut très importante. La campagne électorale du printemps 1997 a eu pour

thème central le débat Misicuni-Corani. Ainsi, la rationalité économique a dû se confronter à

la rationalité des représentations territoriales, un terrain qui ne faut pas négliger pour

comprendre le choix du projet retenu.

L’identité régionale et l’espoir que suscite Misicuni Misicuni représente une solution aux problèmes d’eau correspondant aux décennies 1950-

1970, l’époque des grands projets (Marvin et Laurie 1999: 350). Cette idée de grandeur a

justement la possibilité de faire rêver un peuple à un projet « total », réglant à la fois les

problèmes d’eau à long terme (consommation urbaine et irrigation) et les besoins

énergétiques de Cochabamba nécessaires à son développement économique. « Misicuni is not

only a massive engineering project, but powerfully embodies and symbolises strong

representations of Cochabamban [sic] identity and the completion of a local pathway to

development57» (Marvin et Laurie 1999: 349). Toujours selon ces deux géographes, Misicuni

opération depuis 30 ans. Au contraire, le barrage du projet Misicuni, lui, n’est pas construit, donc le risque environnemental associé à ce projet est plus élevé.

7. Finalement et en forme complémentaire, la Banque mondiale considère nécessaire d’annoncer que l’exécution du projet Corani, rendrait le projet Misicuni non-viable puisque la demande tant d’eau potable comme d’irrigation serait principalement atteinte par le projet Corani, laissant pratiquement sans marché le projet Misicuni.

57 Misicuni n’est pas seulement un projet d’ingénierie massif, mais incarne fortement et symbolise l’identité de la population de Cochabamba et le moyen d’atteindre la voie du développement local.

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symbolise « hopes for the future58 » (Laurie et Marvin 1999: 12). Ce point de vue est

également avancé par le chercheur de Cochabamba Henri Oporto (Oporto Castro 1999: 36).

En réaction à la proposition de Sánchez de Lozada du MNR, tous les partis d’opposition à

l’échelle nationale se sont unis au maire de Cochabamba, Manfred Reyes Villa, ainsi qu’au

Comité civique pour faire contrepoids au projet Corani, en soutenant le projet Misicuni59

(Oporto Castro 1999: 14).

La population urbaine, représentée par le Comité civique de Cochabamba a pris position en

faveur de Misicuni, essentiellement parce qu’il est un projet à long terme et parce qu’il offre

une plus grande quantité globale d’eau. « La ejecución del proyecto Corani ocasionaria la

muerte de Misicuni, porque no existiría más mercado para la venta de agua, además que no

se garantizaría la provisión del líquido para el riego en el valle60» a déclaré le président du

Comité civique, Oscar Bakir (Última Hora, 22 mai 1997).

En 1995, le maire Manfred Reyes Villa avait réclamé au président Sánchez de Lozada qu’il

réalise Misicuni avec l’argent de l’État. Il avait argumenté que le gouvernement central avait

une dette envers Cochabamba et que ce projet serait un moteur de développement régional

(Laurie et Marvin 1999: 15).

Quoique les élections aient eu lieu le premier juin 1997, le président n’a été connu que le 5

août de la même année. Le candidat ayant reçu le plus de fort pourcentage de votes au

suffrage universel fut Hugo Banzer avec 22,3%. En Bolivie, lorsque la majorité absolue n’est

obtenue par aucun candidat, lors du premier tour, les deux candidats ayant obtenu le plus

grand pourcentage doivent courtiser les autres partis pour avoir l’appui de la majorité des

députés et devenir président. C’est ainsi que les différents partis ont dû former la

« mégacoalition » pour élire le président Banzer le 5 août. C’est durant ce laps de temps

58 … l’espoir pour le futur. 59 Les principaux partis à former cette coalition sont l’ADN représenté par Hugo Banzer, le NFR représenté par Manfred Reyes Villa, le MIR représenté par l’ancien président Jaime Paz Zamora et le Comité civique était représenté par Oscar Bakir en 1997 et Edgar Montaño en 1998-1999. 60 L’exécution du projet Corani occasionnera la mort de Misicuni, parce qu’il n’y existera plus de marché pour la vente de l’eau, de plus l’eau destinée à l’irrigation dans la vallée ne serait pas garantie [par Corani].

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(juin-août) que les deux partis présidentiables, l’ADN et le MNR ont respectivement déployé

leur argumentation en faveur de Misicuni et de Corani.

Le 19 juillet, Banzer a fait une déclaration officielle en faveur de Misicuni. Cette prise de

position lui a valu l’appui des autres partis et le mena à la présidence du pays. Banzer

prétendait alors que Misicuni était la meilleure option, car il est un projet à long terme. « Es

importante pensar que Cochabamba seguirá creciendo y la demanda de agua será mayor no

sólo para el consumo de la población sino también para el riego, lo que obliga a pensar en

opciones de largo plazo como es Misicuni61» (Presencia, 19 juillet 1997).

Cette affirmation laisse entendre que Misicuni pourra subvenir à la croissance

démographique et économique de Cochabamba, et donc que Corani ne pourrait pas soutenir

cette croissance, car il n’a pas assez d’envergure. De plus, tout comme le président du Comité

civique, Banzer a pris la parole à la fois pour la population urbaine et pour la population

rurale. Misicuni avait l’avantage sur Corani d’inclure directement de l’eau pour l’irrigation.

Rappelons que Corani proposait une quantité d’eau similaire à Misicuni pour l’irrgation, mais

la façon d’opérationnaliser cette augmentation déplaisait aux paysans. Corani prévoyait

augmenter la quantité d’eau urbaine et ainsi libérer la ville de l’utilisation de l’eau souterraine

de l’ouest de la vallée, ce qui avait pour but de diminuer la pression sur la nappe phréatique.

Mathématiquement, cette eau non-utilisée pour la ville deviendrait disponible pour

l’irrigation. Cependant, les paysans argumentaient déjà depuis 20 ans que l’utilisation de cette

eau souterraine était insoutenable et non durable et donc, éventuellement ils devraient devoir

se passer d’une proportion non négligeable de ce volume d’eau. Ainsi, l’opérationnalisation

de l’apport en eau pour l’irrigation fait en sorte que Corani ne peut pas prétendre apporter de

l’eau « nouvelle » pour l’irrigation. Statistiquement, le volume d’eau pour l’irrigation que

promettent les deux projets est comparable, cependant Misicuni a un avantage qualitatif, car

non seulement il libère la ville de l’utilisation de l’eau souterraine, mais il prévoit un apport

supplémentaire et direct pour l’irrigation.

61 Il est important de penser que Cochabamba continuera à croître et la demande d’eau sera plus grande non seulement pour la consommation de la population, mais aussi pour l’irrigation, ce qui oblige à penser à des options de long terme, comme l’est Misicuni.

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64

Il faut dire aussi, que contrairement à Sánchez de Lozada, le nouveau président Hugo Banzer

a pris la défense de Misicuni avec une argumentation très populiste. « Misicuni sobre Corani

tiene una potencialidad diez veces superior en riego, diez veces superior en electricidad y

una relativa igualdad en suministro de agua potable para la ciudad62» (Los Tiempos, 15

septembre 1997). Cette affirmation exagérée de la supériorité de Misicuni sur Corani est

venue entretenir le mythe de Misicuni comme unique voie de développement pour

Cochabamba. Si l’on se rapporte au Tableau 6, nous constatons que Misicuni a un meilleur

potentiel que Corani en irrigation et en électricité, mais pas dix fois supérieur.

Les représentations favorables à Misicuni sont en partie responsable de l’élection d’Hugo

Banzer et finalement, de la mise en chantier du projet. Seulement, comme l’avait fait

remarquer la Banque mondiale et Sánchez de Lozada, Misicuni coûte plus cher. C’est à ce

moment précis que la privatisation conjointe de Misicuni et de la Semapa est proposée par les

partis de la mégacoalition. Les investissements privés sont alors appelés à réaliser Misicuni.

C’est dans ce contexte que la population de Cochabamba a commencé à se diviser et que

l’idée de privatiser la gestion de l’eau afin de réaliser le projet Misicuni créa les premiers

remous de mécontentement face au président Banzer et au maire Reyes Villa.

L’idée de privatiser Au début de juillet 1997, la Banque mondiale proposa un prêt à la Bolivie, à la condition de

privatiser la Semapa (Última Hora, 2 juillet 1997). Cependant, quoiqu’elle favorise le projet

Corani, la Banque mondiale ne rejetait pas le projet Misicuni. Ce qui est important pour la

Banque mondiale est que le projet soit soumis à un appel d’offres conjoint à celui de la

Semapa. Si le projet Misicuni est réalisé dans ces conditions, elle promet d’appuyer le

gouvernement Banzer (La Razón, 11 septembre 1997).

En 1998, le gouvernement Banzer signe un Accord d’ajustement structurel renforcé avec le

FMI. Cette entente a pour horizon la gestion économique de la Bolivie entre 1998 et 2001.

Dans l’entente, en plus de prévoir la privatisation des entreprises publiques (nationales)

restantes, le FMI exige la privatisation de la Semapa (Presencia, 11 octobre 1998). La table

62 Misicuni par rapport à Corani, a un potentiel dix fois supérieur pour l’irrigation, dix fois supérieur en électricité et une relative égalité en approvisionnement d’eau potable pour la ville.

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était donc mise par les deux institutions internationales pour que la Bolivie soumette le projet

Misicuni à un investisseur privé et qu’elle jumelle le projet avec la concession de la Semapa

pour rendre l’appel d’offres plus attrayant aux yeux des investisseurs.

C’est dans cette optique de financement par l’investissement privé que la Semapa fut

concédée à une entreprise internationale spécialisée en gestion de l’eau. Cette idée était alors

très populaire. Le gouvernement pouvait compter sur des appuis de taille parmi la population

de Cochabamba. Par exemple, le maire de Cochabamba, Manfred Reyes Villa qui est

membre de la mégacoalition du président, est en faveur de la concession. « El proceso de

licitación para la concesión de Semapa y el resto de obras del Proyecto Múltiple Misicuni ha

tenido avances significativos63» (Opinión, 18 décembre 1997). De plus, lors de la fête de

l’Indépendance de Cochabamba, le président du Comité civique, Edgar Montaño, a

déclaré : « Cochabamba declarará el 14 septiembre un día de regocijo por la aprobación del

decreto supremo que autoriza la participación privada y la licitación para la concesión de

Misicuni y Semapa64».

Finalement, ce processus était soutenu par la Banque mondiale, le FMI et l’opinion populaire.

Banzer, Reyes Villa et Montaño mettaient de l’avant l’idée de privatiser la Semapa et

Misicuni dans l’espoir de voir se régler les problèmes d’approvisionnement d’eau et de sa

redistribution. Ils sont les représentants politiques du peuple, puisqu’ils ont été élus à la

présidence, à la mairie et comme représentant civique. Cependant, une certaine classe de la

société ne se sentait pas représentée, ce qui a permis à de nouveaux acteurs d’émerger sur la

scène politique. Les représentants politiques conventionnels ont donc été confrontés à un

autre groupe de représentants du peuple : celui des milieux syndicaux et des associations

citoyennes.

L’enthousiasme de la privatisation a fait place à la méfiance et à la révolte, car pour

privatiser, il fallait revoir la loi qui encadre la gestion de l’eau, ainsi que son coût. Comme l’a

inscrit la Banque mondiale dans sa politique de gestion de l’eau, pour que la privatisation soit

63 Le processus de « vente aux enchères » pour la concession de la Semapa et le reste des travaux du Projet multiple Misicuni a eu un progrès significatif. 64 Cochabamba déclarera le 14 septembre comme un jour du souvenir de l’approbation du Décret Suprême qui aura autorisé la participation privée et l’appel d’offres pour la concession de Misicuni et de la Semapa.

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possible, il faut encadrer la nouvelle entreprise d’une législation qui lui permet de faire une

gestion intégrée de la ressource hydrique. De plus, il faut augmenter la tarification de l’eau,

afin de permettre au gestionnaire d’être autonome de tout financement extérieur.

Pour analyser les premières oppositions à l’idée de privatiser, nous allons faire une analyse

distincte des mouvements paysans et urbains, car ils ne s’étaient pas encore unifiés et

évoluaient en vases clos. Les paysans s’opposaient essentiellement à la nouvelle

réglementation tandis que les citadins s’opposaient à l’augmentation tarifaire.

Privatisation et législation Depuis 1996, alors que Sánchez de Lozada était le président, plane l’idée de refaire la

législation encadrant les droits à l’eau dans le but d’une éventuelle privatisation de la Semapa

et de la Samapa (entreprise de distribution de l’eau de La Paz – El Alto). Cette volonté avait

pour but de modifier la loi datant de 1906, alors jugée désuète.

La loi de 1906 sur la gestion de l’eau Cette loi reconnaissait que le propriétaire d’un terrain possédait tout son sous-sol, y compris

l’eau. De plus selon la loi de 1906, le propriétaire peut creuser un puit et utiliser tout l’eau qui

lui est nécessaire, en tant que cela n’affecte pas un tiers. Pour ce qui est de l’eau située sur les

terres publiques, elle appartient à l’instance publique municipale. Toutefois, une personne

peu demander la permission de creuser un puits sur une terre publique et dans ce cas, il

devient propriétaire de l’eau. Pour ce faire, une autorisation du gouvernement central est

nécessaire si la source utilisée est supérieure à 100 l/s. Dans le cas d’une source inférieure à

100 l/s, c’est l’accord de la municipalité qui est démandé. Toutes sources publiques utilisées

par un particulier depuis 30 ans sans préjudice à un tiers deviennent automatiquement sa

propriété à perpétuité (CGIAB 2001: 2-4).

Pour les paysans qui cultivent la terre de génération en génération, cette loi en fait les

propriétaires de l’eau à perpétuité, car ils l’utilisent « depuis toujours ». Conscient de ce droit

acquis, la Fedecor tient à conserver son droit à l’eau pour ses membres. Devant la volonté de

Sánchez de Lozada de changer la loi de l’eau, la Fedecor participe à toutes les réunions de

discussions et présente un mémoire informant le gouvernement de son point de vue et de ses

recommandations. « Los usos y costumbres como forma de establecer derechos adquiridos

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de uso del recurso, son la base para reconocer que esos existen con carácter previo, y que lo

único que hace falta es consolidarlos legalmente de acuerdo a la normativa vigente65 »

(Fedecor 1998: 3). La rhétorique principale de la Fedecor est que les populations autochtones

ont un accès privilégié à la ressource non seulement parce qu’elles l’utilisent depuis plus de

30 ans, mais aussi parce qu’elles sont autochtones et que leurs us et coutumes font en sorte

que leurs liens à l’eau existaient bien avant l’arrivée des Espagnols dans les Andes.

Los usos y costumbres Les us et coutumes que revendiquent la Fedecor répondent à une définition complexe.

Essenciellement, la Fedecor ne reconnaît pas la souveraineté de l’État dans la gestion de l’eau

et favorise une gestion répondant aux repères traditionnels et au collectivisme autochtone :

« consideran el recurso agua como un don de Dios, la Pachamama y Wirakhocha, y en

ningún momento como dominio del Estado66 » (Crespo Flores et Fernández 2001: 90). Voici

en détail la définition que donne la Fedecor aux us et coutumes :

Los Usos y Costumbres son los derechos naturales que Dios ha dado al hombre. El agua es la Pachamama y Wirakhocha, que no es una persona ni espíritu, sino la tierra que nos da la vida y su sangre es el agua que permite la vida de la humanidad. [...]Era costumbre desde el principio, de nuestro gusto hemos despertado a eso y eso se había llamado usos y costumbres, el agua esta caminando según usos y costumbres, como un camino que se abre siempre, nadie puede cambiarlo. No hay patrón, para nosotros no hay alcalde, ni quien nos diga algo, entonces nadie nos tiene que decir esto has, aquello o aquel otro. Es una Ley que no esta escrita en papel. Por los usos y costumbres nuestra lucha será permanente, por esa causa hemos peleado y siempre vamos ha defender67 (Crespo Flores et Fernández 2001: 92).

65 Les us et coutumes établissent les droits acquis d’usage de la ressource. Ils sont la base pour reconnaître que ces droits existent comme un caractère ayant une préséance juridique, et que l’unique chose faisant défaut est de les consolider par une loi, en accord à la norme déjà en vigueur. 66 Nous considérons la ressource eau comme un don de Dieu, la Pachamama (la Terre mère) et Wirakhocha (dieu de la création), et en aucun moment comme domaine de l’État. 67 Les Us et Coutumes sont les droits naturels que Dieu a donnés à l’homme. L’eau est Pachamama et Wirakhocha, elle n’est ni une personne ni un esprit, sinon la terre qui nous donne la vie et son sang est l’eau qui permet la vie de l’humanité. Était coutume depuis le principe, l’eau s’écoule selon les us et coutumes, comme un chemin qui s’ouvre toujours, personne ne peut le changer. Il n’y a pas d’autorité, pour nous il n’y a pas de maire, ni personne qui nous dise quoi faire, alors personne n’a à nous dire quoi que ce soit d’autre. C’est une loi qui n’est pas écrite sur papier. Pour les us et coutumes notre lutte sera permanente, pour cette cause on s’est battu et nous allons toujours nous défendre.

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68

Comme nous l’avons dit précédemment, la raison d’être de la Fedecor était de faire respecter

l’usage de l’eau des regantes auprès de la Semapa lors des années 1990. Cependant, depuis

l’annonce que la Semapa allait être privatisée et que la nouvelle entreprise pourrait bénéficier

d’une nouvelle législation consolidant son accès à l’eau, la principale revendication de la

Fedecor était alors de maintenir ses droits acquis sur la ressource.

En plus du respect des us et coutumes, la Fedecor a fait pression auprès des autorités

nationales pour que la nouvelle loi incorpore certains aspects jugés fondamentaux :

• L’eau n’est pas un bien économique, mais un droit social. • Le refus de payer des brevets pour l’accès à une source. • Promouvoir une gestion communautaire de l’eau. • Le refus d’instaurer un marché de l’eau. • L’octroi aux communautés paysannes de Titre de l’Eau, reconnaissant

définitivement leurs droits en tant que propriétaires de la source et le droit de la puiser selon leurs nécessités.

• Ne pas imposer de servitudes, ni exproprier des communautés de paysans autochtones.

• Prioriser l’usage agricole de l’eau après celui de l’usage humain. • Créer un Conseil national de l’eau venant remplacer la « Superintendance » de l’eau

(Crespo Flores et Fernández 2001: 87).

Il est évident, en lisant ces recommandations, qu’il y a des divergences fondamentales entre

les propositions faites par la Fedecor et celles de la Politique de la Banque mondiale sur la

gestion de l’eau. Ainsi, dans un contexte où la loi devait être prête hâtivement, le

gouvernement d’Hugo Banzer a promulgué la nouvelle référence juridique en matière de

gestion de l’eau, la loi 2029, sans tenir compte des demandes de la Fedecor.

La loi 2029 : Ley de servicios de agua potable y alcantarillado sanitario68 La nouvelle loi prévoit des changements majeurs à la loi de 1906, tels :

• L’indexation des tarifs au dollar des États-Unis, afin d’assurer la stabilité des revenus de la compagnie concessionnaire.

• La création d’un monopole ayant l’exclusivité de la propriété et de la gestion de l’eau de toute la Vallée centrale de Cochabamba pour le concessionnaire. Ce dernier aura en main un titre de droit à l’eau de 40 ans.

68 Loi des services d’eau potable et des services sanitaires.

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• La prohibition de services de distribution alternatifs. Aucune personne naturelle ou juridique de caractère public ou privé, association civile avec ou sans but lucratif, société anonyme, coopérative ou de quelque nature que ce soit d’autre nature que le concessionnaire ne pourra assurer des services de distribution d’eau potable ou d’assainissement (Peredo Beltrán 2003: 14).

Pour ce qui est des paysans autochtones, ils ne perdent pas tous leurs droits à l’eau et à la

gestion de leurs puits communautaires. Cependant, leur statut de propriétaire à perpétuité est

changé pour celui de simple détenteur d’une licence valide pour cinq ans et renouvelable à

chaque échéance, selon le jugement du Superintendant de l’eau. La loi établit donc deux

classes de propriétaires, le concessionnaire et les licenciés. Selon Omar Fernandez « la ley

nos clasifica en concecionarios y a otros con licencia, resulta que nosotros que somos

dueños y hemos trabajado nuestros pozos y lagunas, solo vamos a sacar una licencia para 5

años, así perdemos nuestro derecho de propriedad. Esta ley esta hecha sólo para la empresa

privada69 » (Crespo Flores et Fernández 2001: 99). D’ailleurs, cette loi nationale a aussi fait

des mécontents dans le reste du pays. La Fedecor obtient l’appui de la CSUTCB70. Le

représentant de cette centrale syndicale paysanne, « el Mallku71 », Felipe Quispe, a déclaré

une lutte ouverte au gouvernement : « ellos tienen que atenerse a las consecuencias porque

vamos a aplicar la ley del Inca la horca y el cuchillo72 » (La Prensa, 21 janvier 1999).

Cette classification hiérarchique de la loi en concessionnaire et licenciés a pour but d’amorcer

une « gestion intégrée » de la ressource. Cette façon de faire devait théoriquement mettre fin

aux querelles entre la ville et les campagnes, car un seul concessionnaire allait devenir

responsable de la gestion de toute l’eau du bassin versant. Cependant, cette nouvelle forme de

gestion est nettement en faveur du mode de vie urbain. Selon sa logique, il faut rationaliser

les usages de l’eau et il faut augmenter la valeur ajoutée de l’eau. Étant donné qu’une plus

grande proportion de l’eau de Cochabamba était utilisée dans l’irrigation73, le gouvernement

69 La loi nous classe en concessionnaires et en licenciers, ce qui fait en sorte que nous qui sommes les doyens et qui avons travaillé pour nos puits et nos lacs, nous allons seulement recevoir une licence pour cinq ans, ainsi nous perdons notre droit de propriété. Cette loi est faite seulement pour l’entreprise privée. 70 Confederación Sindical Única de Trabajadores Campesinos de Bolivia ou Confédération syndicale unique des travailleurs paysans de Bolivie. 71 « Le condor », symbole aymara pour désigner le chef. 72 Ils ont qu’à s’en tenir aux conséquences de leurs actes, parce que nous allons appliquer la loi de l’Inca : la fourche et le couteau. 73 Je ne possède malheureusement pas les chiffres exacts pouvant démontrer cette réalité.

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70

voulait non-seulement prioriser le raccordement résidentiel, mais aussi l’utilisation

industrielle de l’eau. Ainsi, la nouvelle loi a pris le virage de la rationalité économique et de

la gestion intégrée de la ressource. Cette nouvelle rationalité amenée par la nouvelle loi, vient

déstabiliser la « territorialité » de l’eau de la Vallée centrale de Cochabamba en mettant

l’emphase sur ses usages urbains (domestiques et industrielles).

Cette idée est très bien développée par le Suédois Leif Ohlsson et sa théorie du « Turning of

screw ». Pour Ohlsson, « the story of changing social uses of water rather forms a spiral

movement, oscillating between a perceived scarcity of the natural resource water, and a

perceived scarcity of the social means required to overcome the original scarcity; all the

while progressing towards ever increased amounts of social resources applied to overcome

the natural resource scarcity74 » (Ohlsson 2000: 2). Selon Ohlsson, cette nouvelle rationalité

de la gestion de l’eau peut amener des conflits sociaux. Il y a trois types de conflits : entre

deux pays, entre deux régions d’un même pays (conflit d’usage) et entre les différents

secteurs économiques dépendant de l’eau d’une même région (Ohlsson 2000: 6).

Ce dernier type de conflit correspond exactement au cas de la Vallée centrale de

Cochabamba. Dans les années 1990, les conflits ville-campagne liés à l’usage de l’eau

souterraine correspondaient à ce conflit entre différents secteurs géographiques et

économiques. Ainsi, la loi 2029 est une prise de position de la part de l’État en faveur de la

ville. Le concessionnaire obtient le droit de gérer toute l’eau de surface et souterraine pour

une période de 40 ans. Le mandat premier du concessionnaire est d’étendre le réseau de

distribution urbain et de soutenir la demande commerciale et industrielle. Les paysans, quant

à eux, doivent payer des « brevets » pour obtenir une licence d’utilisation de leurs puits

ancestraux. De plus, la possibilité qu’une licence ne soit pas renouvelée au terme de cinq ans

insécurise les paysans. Ainsi, le gouvernement Banzer voulait, tel que le recommande la

Banque mondiale, privilégier les secteurs économiques les plus rentables pour arriver à un

meilleur développement économique de la région et du pays. De plus, ce sont ces secteurs

économiques qui avaient les moyens d’acquérir ou de maintenir les droits d’usages (brevet).

74 L’histoire des changements sociaux reliée à l’usage en eau prend la forme d’un mouvement en spirale oscillant entre la perception de la précarité des ressources naturelles d’eau, et la perception de précarité des moyens sociaux requis pour régler cette précarité originelle, tout ce processus place en amont les ressources sociales appelées à régler la précarité naturelle de la ressource. Le soulignement est d’Ohlsson.

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71

Ce qu’a vécu Cochabamba, c’est une crise pour la redéfinition de l’usage de l’eau, une

redéfinition de la territorialité qui prévalait jusqu’au changement législatif. Cette crise est

compréhensible dans la mesure où la population la plus riche (urbaine) reçoit l’appui du

gouvernement pour un accès privilégié à l’eau tandis que la population la plus pauvre

(paysanne) se voit reléguée au second rang des priorités régionales.

Acá se presentaba una prohibición explicita a las comunidades, pueblos indígenas y sistemas alternativos de las ciudades, a acceder a otras fuentes de agua para satisfacer sus necesidades básicas, sin antes solicitar la concesión o la licencia. [...] Asimismo, en un área de concesión, la población estaba prohibida de captar el recurso, por el problema de la exclusividad en favor del concessionario. […] La Ley 2029 no solo se refería a la distribución, sino también a las fuentes de agua, su acceso; y en este tema los campesinos, indígenas y regantes eran los grandes perdedores75 (Crespo Flores et Fernández 2001: 106 et 128).

À travers la déclaration du « Mallku » et de celles de la Fedecor, nous apercevons clairement

les références faites au passé. Ces références sont porteuses de légendes et de mythes propres

à l’époque Inca, pré-républicaine, etc. Ce sont des représentations historiques utilisées pour

faire la promotion de l’idée selon laquelle les peuples originaires doivent avoir un accès

privilégié à l’eau. De plus, à travers ces représentions historiques, Quispe et Fernandez

rejettent à la fois l’État et son système législatif. Pourtant, cette dernière avait participé aux

négociations pour réaliser la nouvelle loi. Donc, cette institution avait accepté de jouer le jeu

législatif avant de perdre son pari. La Fedecor veut aussi conserver le mode de vie des

paysans. Elle lutte contre le privilège accordé à la « modernisation » des modes de vies

urbains et à l’idée d’allouer l’eau au secteur le plus productif. Cette situation réflète bien la

théorie d’Ohlsson portant sur les conflits sociaux reliés à l’eau.

Ainsi, la Fedecor défend un usage « non rentable » de l’eau, car cet usage est celui des

ancêtres et il correspond à un mode de vie qui doit être conservé. Si les paysans ne peuvent

avoir un accès privilégié à l’eau, ils doivent abandonner leur mode de vie qui devient alors

75 Ici se présentait une prohibition explicite aux communautés, peuples autochtones et systèmes alternatifs des villes, à accéder à d’autres sources d’eau pour satisfaire leurs besoins de bases, sans avoir préalablement sollicité la concession ou la licence. […] Donc, dans une aire de concession, la population était empêchée de capter la ressource, par le problème de l’exclusivité en faveur du concessionnaire. […] La loi 2029 non seulement se référerait à la distribution, mais aussi aux sources d’eau, à leurs accès; et sur ce thème les paysans, autochtones et « irrigants » furent les grands perdants.

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insoutenable. Cette situation démontre bien comment l’application de la politique de gestion

de l’eau de la Banque mondiale (à travers la loi 2029) peut ébranler indirectement le mode de

vie de populations paysannes des Andes, tout en se justifiant par une rhétorique de

développement et d’amélioration de la qualité de vie. Il est probable que la politique de la

Banque mondiale puisse améliorer la qualité de vie moyenne de la population bolivienne,

mais dans les faits, elle privilégie celle d’une population au détriment d’une autre déjà plus

pauvre. Cette politique est un vecteur de polarisation de la richesse sociale en Bolivie, en

accordant à la population urbaine un meilleur accès à l’eau au détriment du mode de vie

paysan qui nécessite un accès à l’eau pratiquement gratuit. Ainsi, dans l’optique d’une

gestion autonome ayant une logique d’utilisateur payeur, la classe sociale la plus pauvre est la

plus désavantagée. Il est vrai que la gestion de l’eau « par l’offre » occasionne une forme

d’utilisation non-rentable économiquement, mais dans le cas de Cochabamba, le fait de

modifier cette logique par une logique de gestion « par la demande » peut aussi vouloir dire

la précarisation d’un mode de vie, voire son extinction.

Suite à cette critique formulée par les représentants paysans se plaignant d’être désavantagé

au profit de la population urbaine, voyons la critique des représentants urbains. Ne l’oublions

pas, pour réaliser le projet Misicuni, sans financement extérieur, la population doit être prête

à payer le coût réel de l’eau.

Privatisation et tarification La seconde critique à l’idée de privatiser, formulé par des représentants urbains, est survenue

suite à une annonce publique du Ministre du commerce extérieur de Bolivie, Amparo

Ballivián. En juillet 1998, il a annoncé qu’une augmentation du prix de l’eau était nécessaire

avant de privatiser la Semapa : « […] este incremento se hace necesario, para viabilizar la

concesión del Servicio de Agua Potable y Alcantarillado Semapa y Misicuni76 » (El Diario,

24 juillet 1998). Cette annonce est tout à fait en accord avec les principes de la politique de

gestion de l’eau de la Banque mondiale.

76 Cette augmentation se fait nécessaire pour rendre viable la concession du service d’eau potable et d’égoût Semapa et Misicuni.

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73

Le député Gonzalo Maldonado fait d’abord savoir, en son nom personnel, qu’une éventuelle

augmentation du prix de l’eau serait une augmentation injustifiée. « No se puede incrementar

precios por un servicio que no existe o que es totalmente deficiente77» (El Diario, 24 juillet

1998). Avec cette première opposition, l’ingénieur et député Maldonado marque un tournant

historique dans la guerre de l’eau de Cochabamba, en associant privatisation et nouvelle

tarification. Maldonado croit que l’accès à l’eau est un droit et que subventionner cet accès

appartient au rôle de l’État.

La déclaration du député a des échos parmi la population. La Federación de juntas vecinales

(FEJUVE) appuit Maldonado quelques jours plus tard78. « NO PERMITIREMOS QUE SE

INCREMENTE UN SOLO CENTAVO en las Tarifas de Agua Potable, porque no condice

con la magra economía de la mayoría de los Cochabambinos y porque no podemos pagar

por algo que no recibimos79» (Los Tiempos, 30 juillet 1998).

En janvier 1999, la Semapa annonce l’augmentation de 20% du tarif de l’eau dans le but de

réduire sa dette de 32 millions de $ US envers la Banque mondiale et la Banque

Interaméricaine de Développement (BID). Cette augmentation a aussi pour objectif de rendre

plus attrayante sa propre concession pour l’appel d’offres internationales. La FEJUVE s’est

alors opposée à cette première augmentation (La Razón, 12 janvier 1999).

Devant ce germe de mécontentement, Manfred Reyes Villa et Edgar Montaño font des

pressions auprès du gouvernement central pour que la Semapa soit privatisée le plus

rapidement possible. À travers cette annonce, les représentants locaux manifestent, une fois

de plus, leur appui à la privatisation en démontrant leur espoir de voir le mécontentement

diminuer rapidement suite à l’arrivée du gestionnaire privé (Los Tiempos, 29 janvier 1999).

C’est dans ce contexte de mécontentement et de hâte que l’appel d’offres est rendu public au

mois d’avril et qu’une seule compagnie propose ses services, soit le consortium Aguas del

77 Il ne peut pas y avoir une augmentation des prix pour un service qui n’existe pas ou qui est totalement déficient. 78 Fédération des comités de voisins. 79 NOUS NE PERMETTRONS PAS QU’AUGMENTE D’UN SEUL CENT les Tarifs d’Eau Potable, parce que cela ne cadre pas avec la mince économie de la majorité des Cochabambinos et parce que nous ne pouvons payer pour quelque chose que nous ne recevons pas.

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Tunari80 (AdT). En plus d’être le seul candidat, AdT ne répond pas aux exigences de l’appel

d’offres. Une négociation est donc mise en place revoyant à la baisse les exigences de la

concession81. Le contrat qui en résulte inclut notamment une nouvelle augmentation des tarifs

d’eau. Le député Maldonado forme alors le Comite de defensa del agua y de la economía

familial (Codaef) afin de lutter contre cette augmentation des tarifs82.

Vamos a tener que pagar tarifas muy altas, las más altas del país, pero mientras no tengamos agua seguiremos pagando por aire, esa es la realidad » (Presencia, 3 juillet 1999). « Ya nos cobran por el aire, pero una vez que se firme el contrato con el consorcio Aguas del Tunari, no sólo seguiresos pagando por lo que no existe, sino con aumento de más de 100 por ciento83 (La Razón, 20 juillet 1999).

Maldonado devient officieusement le représentant des citoyens de la ville s’opposant à

l’augmentation de la tarification. Le Codaef devient une nouvelle organisation populaire

ayant pour mandat de représenter la population urbaine mécontente de l’augmentation

tarifaire. Ainsi, la population urbaine insatisfaite du maire et du Comité civique se tourne vers

cette troisième voie représentative. Le Codaef n’est pas fondamentalement opposée à la

privatisation telle qu’elle a été promise par les différents politiciens locaux durant les deux

dernières années. La privatisation promettait d’améliorer les conditions de vie des citoyens,

pas de les détériorer. Ainsi, le Codaef ne s’oppose pas à la privatisation, mais à la nouvelle

tarification nécessaire au « plein recouvrement des coûts » qui vient avec elle.

Cette nuance est importante, car le Codaef sera un membre fondateur de la Coordinadora,

qui aura un discours très différents. Ce changement sera démontré dans le prochain chapitre.

Néanmoins, le Codaef s’oppose à la nouvelle relation à l’eau qu’apporte la hausse des tarifs.

En ce sens, le Codaef et la Fedecor se représentent tous deux comme désavantagés dans la

territorialité qu’apporte la privatisation à une entreprise étrangère.

80 Pour connaître les compagnies formant ce consortium, voir annexe 1. 81 Le contenu du contrat convenu entre les deux parties sera analysé à l’intérieur du prochain chapitre. 82 Comité de défense de l’eau et de l’économie familiale. 83 Nous allons avoir à payer des tarifs très élevés, les plus élevés du pays, mais en retour nous n’aurons pas d’eau et nous continuerons à payer pour de l’air, cela est la réalité. […] Maintenant, ils nous chargent pour de l’air, mais une fois que se signera le contrat avec Aguas del Tunari, non seulement nous continuerons à payer pour ce qui n’existe pas en plus d’avoir une augmentation de 100%.

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Synthèse et ouverture Voilà donc toute la complexité de cette territorialité, où la relation entre les paysans (qui

avaient un accès à l’eau presque gratuit) et les citadins (qui manquaient d’eau dans leur

réseau de distribution), a causé des conflits mineurs en 1977 et dans les années 1990. Ces

conflits ont posé la question du manque d’eau et de la nécessité d’en augmenter le volume.

Misicuni, malgré son coût élevé, est le projet soutenu par les représentations populaires.

Cependant, sa réalisation nécessite la participation d’une entreprise privée, car

l’investissement qu’il nécessite est trop imposant pour la collectivité publique. De là est né

l’idée de privatiser Misicuni et la Semapa. Cette privatisation nécessitait, comme le

recommandait la Banque mondiale, une nouvelle législation pour garantir toute l’eau

disponible à une gestion intégrée et une hausse de la tarification, afin de rendre le projet

rentable pour la compagnie concessionnaire. Ces deux changements fondamentaux dans les

rapports à l’eau ont fait en sorte que les populations paysannes et urbaines aient rejeté cette

façon de faire en démontrant leur désaccord par des moyens de pressions distincts.

L’arrivée d’Aguas del Tunari, ce nouvel acteur territorial, est un facteur déterminant dans la

redéfinition de la territorialité. L’ancienne relation ville-campagne est bouleversée : les

paysans perdent leur accès privilégié à l’eau et les citadins doivent débourser davantage.

Dans ce contexte où un nombre croissant de la population se représente comme perdant, les

deux mouvements de contestation sont portés à s’unir au sein de la Coordinadora. Le

nouveau porte-parole, Oscar Olivera, amènera les revendications vers un autre paradigme

plus abstrait, conjointement aux revendications initiales très concrètes. Il fera la lutte au

néolibéralisme et à la globalisation des marchés en utilisant le cas de la privatisation de la

gestion de l’eau à Aguas del Tunari comme exemple concret des impacts négatifs de la mise

en œuvre de cette idéologie. C’est avec ce nouvel acteur que la « Guerra del agua » prendra

réellement forme. Le moteur de ce mouvement populaire sera la conservation de la

territorialité qui existait avant la privatisation. Paradoxalement, la Coordinadora sera

également un vecteur de changements territoriaux, car les paysans et les citadins se

retrouveront unis au sein d’un même mouvement. Finalement, un nouveau clivage en résutera

à l’échelle locale. Les représentants politiques traditionnels seront eux-aussi fortement

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critiqués par la Coordinadora. La guerre de l’eau laissera sa trace sur l’échiquier politique

bolivien.

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Quatrième chapitre

La privatisation et les revendications socio-territoriales La Coordinadora no es un ente técnico para elaborar

proyectos, somos un instrumento de presión, porque queremos construir un presente y un fururo distinto a

los gobernantes y sus socios extranjeros y criollos, los cochabambinos queremos agua abundante y barata, queremos una gestión y administración del servicio,

transparente y honesta y queremos que los pobres sean los primeros en proveerse de este derecho84.

Oscar Olivera

Ce chapitre, central dans l’analyse du discours, couvre une période relativement courte, mais

très intense. En effet, la période de six mois contenue entre les mois de novembre 1999 et

d’avril 2000 correspond aux deux changements de gestionnaire de l’eau de Cochabamba. Le

1er novembre 1999, Aguas del Tunari (AdT) succède à la Semapa comme gestionnaire du

réseau de distribution et de traitement des eaux de Cochabamba. Six mois plus tard, soit le 11

avril 2000, suite au chaos politique découlant de la gestion d’AdT, le gouvernement bolivien

a annulé le contrat de concession et la Semapa renaît de ses cendres.

Durant cette période, il y a eu trois moments de manifestations populaires très intenses, soit

« El Gran Bloqueo por la Dignidad Civil » qui s’est déroulé entre le 11 et le 14 janvier, la

« Toma pacífica de Cochabamba » qui s’est déroulée les 4 et 5 février et finalement la

« Batalla Final » qui s’est déroulée entre le 4 et le 10 avril85. En plus de ces manifestations

populaires, le Coordinadora a organisé une « Consulta Popular86 » le 25 mars pour légitimer

ses deux principales revendications : la modification de la loi 2029 et la fin du contrat de

concession d’Aguas del Tunari.

Au cours de cette période mouvementée, la nouvelle territorialité s’est consolidée

parallèlement aux manifestations qui la remettaient en question, créant ainsi une situation de

84 La Coordinadora n’est pas une entité technique qui élabore des projets, nous sommes un instrument de pression, parce que nous voulons construire un présent et un futur distinct de celui des gouvernements et de leurs amis étrangers et créoles, les citoyens de Cochabamba, nous voulons de l’eau abondante et à un coût abordable, nous voulons une gestion et une administration du service transparente et honnête et nous voulons que les pauvres soient les premiers à se prévaloir de ce droit. 85 Le Grand Barrage pour la Dignité Civile, La Prise pacifique de Cochabamba et la Bataille finale. 86 Consultation populaire.

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plus en plus instable. Les relations de pouvoir entre les acteurs qui prévalaient depuis une

trentaine d’années avaient amené les paysans et les citadins à s’opposer au sujet de

l’utilisation de l’eau souterraine de la vallée. Comme nous l’avons démontré dans le chapitre

précédant, ces deux groupes avaient des intérêts convergents quant à la réalisation du projet

Misicuni. Devant le projet du gouvernement de privatiser la gestion de l’eau, la Fedecor et le

Codaef, deux nouvelles entités qui représentaient respectivement paysans et citadins, s’étaient

opposés à cette idée de privatisation, arguant respectivement d’une entache aux us et

coutumes paysannes et d’une augmentation du prix de l’eau en ville.

Rapidement, au cours du mois de décembre 1999, la Fedecor, le Codaef et d’autres

mouvements syndicaux ont uni leurs forces au sein d’une même organisation afin de

s’opposer avec plus de cohésion aux changements qu’ils envisageaient dans leur relation à

l’eau. C’est à travers cette union que la Coordinadora de defensa del agua y de la vida87 est

née et que les relations de pouvoir furent modifiées. Les paysans et les citadins sont alors

passés d’adversaires à alliés afin de défendre une cause commune, la protection des acquis

dans leurs relations respectives à l’eau.

Cependant, la Coordinadora ne représente alors pas tous les citoyens, car elle a développé un

discours plus large à la simple question de l’eau. Pour la Coordinadora, la gestion de l’eau

n’est qu’un exemple parmi d’autres de la mauvaise gestion néolibérale du gouvernement

central depuis 15 ans. Cette radicalisation du discours a eu pour effet de légitimer l’existence

de la Coordinadora au sein d’une certaine part de la population et a eu pour effet simultané

de s’éloigner des préoccupations d’une autre partie de la population. Ainsi, la Coordinadora

a représenté à la fois les paysans et une majorité de citadins. Seulement une partie de la

population urbaine a continué à soutenir les représentants locaux traditionnels tels le maire de

Cochabamba, Manfred Reyes Villa, et les présidents du Comité civique, Edgar Montaño et

Mauricio Barrientos. Quoique ces représentants aient appuyé la privatisation et la nouvelle

tarification, ils ont modifié leur position suite à la mise en application de l’augmentation des

tarifs de l’eau au 1er janvier 2000. Ils prônaient alors une renégociation du contrat,

contrairement à la Coordinadora qui revendiquait son annulation et le retour à la gestion

publique. 87 La coordination de défense de l’eau et de la vie.

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Dans cette période conflictuelle, le consortium Aguas del Tunari s’est montré très discret et le

gouvernement fut de facto le représentant du consortium lors des diverses négociations. Ils

favorisaient le maintien du contrat tel qu’il avait été signé, en justifiant la nécessité de

l’augmentation du prix de l’eau pour la réalisation de Misicuni (García et al. 2003: 64).

Malgré le fait qu’il y avait une scission entre le Comité civique et la Coordinadora dans la

façon de s’opposer à la privatisation, il y avait un consensus régional à l’idée de voir changer

les conditions du contrat d’Aguas del Tunari. À une échelle nationale, cette prise de position

régionale était contraire à celle que défendait le gouvernement adéniste d’Hugo Banzer. Une

fois de plus, le conflit s’est déroulé sur le théâtre de Cochabamba, mais les discours et les

relations de pouvoir se sont simultanément déroulés à différentes échelles.

Dans ce chapitre, à l’aide des archives de la Coordinadora et des archives des différents

journaux présentés dans la méthodologie, nous allons analyser l’évolution de ces relations de

pouvoir relatives à la consolidation d’une territorialité envisagée différemment selon les

acteurs. Plus que jamais, l’analyse des discours est centrale dans l’étude de cette territorialité

qui a menée au conflit civil. Voyons tout d’abord à travers le contrat d’Aguas del Tunari, les

conditions légales dans lesquelles la gestion de l’eau fut transmise de la Semapa à AdT.

Finalement, c’est à travers les différents moyens de pressions que les discours ont évolué

pour donner raison à la Coordinadora et ainsi forcer le gouvernement à annuler le contrat

d’AdT et à revoir la loi 2029.

Le contrat d’Aguas del Tunari Le Contrat de concession de Semapa-Misicuni à Aguas del Tunari a soulevé bien des

passions. Voyons brièvement les grandes lignes de ce contrat afin de mettre en contexte les

analyses et les critiques qui en découlent.

Revenons un peu en arrière pour mettre en contexte la signature du contrat d’Aguas del

Tunari. Le 14 avril 1999, le gouvernement bolivien a lancé un appel d’offres international

pour la concession de Semapa-Misicuni. Plusieurs compagnies étrangères étaient allées

chercher les devis de l’appel d’offres, mais plusieurs d’entre elles se sont alors regroupées

pour former un seul consortium, Aguas del Tunari88. Cependant, la proposition du

88 Pour connaître la formation précise du consortium, vous pouvez vous référer à l’annexe 1.

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consortium ne correspondait pas aux demandes de l’appel d’offres. Plutôt que de refaire un

deuxième appel d’offres, le gouvernement bolivien entame une négociation directe avec AdT

pour en arriver à une entente entre les deux parties (Oporto Castro 1999: 32). Cette façon de

procéder du gouvernement bolivien contrevient à la recommandation de la Banque mondiale

de laisser jouer la concurrence dans le processus d’appel d’offres. Ainsi, AdT se retrouve

dans une situation confortable pour la négociation, étant donné qu’il est le seul promoteur à

avoir postulé. Il peut donc revoir les conditions de la concession en sa faveur.

Parmi les changements survenus entre l’appel d’offres et le contrat, le projet Misicuni a été

revu à la baisse (voir Tableau 7) ainsi que le montant de l’investissement du consortium,

tandis que l’augmentation du prix de l’eau a été revue à la hausse. Cette hausse de

l’augmentation des coûts passe donc de deux augmentations de 20 % à deux augmentations

de 35 et 20 %, soit une première le 1er janvier 2000 et une deuxième lorsque le projet

Misicuni serait réalisé.

Tableau 7 : Le nouveau projet Misicuni, rebaptisé « Misicunito89 » Caractéristiques Misicuni Misicunito Quantité d’eau totale (m3/s) 6,6 1 à 1,5 Qt eau urbaine (m3/s) 4,27 0,5 à 1 Coût eau urbain ($ US/m3) 0,20 vendu à Semapa Augmentation de 35 et 20 % Qt eau irrigation (m3/s) 2,33 0,5 Coût eau irrigation ($ US/m3) 0,08 0,08 Superficie de terres irriguées 10 800 (priorité à Vallée centrale) 500 (priorité à Vallée centrale) Volume réservoir (millions de m3) 185 100 Hauteur barrage (mètres) 120 95 Longueur des tunnels (km) 37 19 Longueur des canaux de dérivations (km) 71 (pour irrigation) non mentionné Production hydroélectrique (MWh) 120 40 Temps de réalisation 4 à 5 ans 1ère phase, 20 ans total 2 ans eau urbaine, 7 ans total Coût total (millions de $ US) 147 1ère phase, 311,78 total 217 total (une seule phase) Financement public (millions de $ US) 42,3 42,3 Investissement privé (millions de $ US) 213 97 Autofinancement (profits réinvestis) 57 78

Source : (Oporto Castro 1999; Crespo Flores 2000; Maldonado Rojas 2004)

89 Littéralement, « petit Misicuni ».

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Le président Banzer a tenu sa promesse électorale, Misicuni sera mis en fonction, cependant,

il ne comportera que la moitié de la première phase. Le coût de ce nouveau projet est

disproportionné par rapport à la quantité d’eau et d’électricité qu’il promet d’apporter.

« Misicunito » n’est pas l’ombre ni de Misicuni, ni de Corani, les chiffres du Tableau 7

parlent d’eux mêmes.

Le contrat d’Aguas del Tunari comprend bien d’autres clauses que celles encadrant la

réalisation de « Misicunito ». Brièvement, le contrat est d’une durée de 40 ans, il prévoit un

taux de profits de 15 à 17% annuellement, des augmentations totales de 55% du prix de l’eau

urbaine ainsi que l’indexation de la facture au dollar des États-Unis, l’exclusivité de la

distribution de l’eau pour la ville de Cochabamba et la possibilité d’exproprier un propriétaire

d’une source d’eau pour augmenter la quantité disponible dans le réseaux d’aqueduc,

l’obligation pour la population de se connecter au service d’AdT, l’imposition de compteurs

sur les puits privés pour améliorer la planification de la gestion intégrée de la ressource. Dans

le contrat, ces principales clauses sont inscrites dans les termes que l’on retrouve à

l’intérieure du Tableau 8. Malheureusement, nous n’avons jamais réussi à obtenir une copie

officielle du contrat d’AdT, ce qui explique que notre connaissance de ce dernier soit tiré de

sources secondaires portant sur la guerre de l’eau.

Tableau 8 : Quelques passages du contrat d’Aguas del Tunari90 1. « La Tasa mínima de retorno será del 15%. La Tasa máxima de retorno será del 17% »

(Peredo Beltrán 2003: 13). 2. « Todas las tarifas y otros ingresos operativos serán cobrados en bolivianos al tipo de

cambio del dólar oficial publicado por el Banco Central de Bolivia el último día del período por el cual se está facturando sercicio. El valor en dólares de todas las tarifas de la estructura tarifaria, incluyendo las tasas de referencia aplicables a la venta de agua potable en bloque y al suministro de agua para regadío y todas las tarifas cobradas por servicios se ajustará anualmente, al año de aplicación de la modificación tarifaria más reciente, tomándose en cuenta la inflación en costos en dólares expresada come cambio en el IPC de los Estados Unidos de Norteamérica [...] » (Peredo Beltrán 2003: 13).

3. « [...] el concesionario tendrá el derecho de instalar un medidor en la fuente alternativa, a expensas del Usurario, con el fin de evaluar el cargo correcto por concepto de sercicio de alcantarillado, [...] » (Peredo Beltrán 2003: 14).

4. « Seis meses después de la fecha en que se logre el suministro de agua en el área de concesión que cumpla con las normas de niveles de servicio, no se permitirá el uso de

90 Afin d’alléger la présentation du texte, la traduction du contenu du Tableau 8 se retrouve à l’Annexe 2.

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fuentes alternativas (pozos) en áreas en que está disponible el suministro de agua de parte del concesionario, sin la aplicación del mismo » (Opinión, 18 octobre 1999).

5. « [...]el territorio establecido esta la totalidad de la Provicia Cercado » (Crespo Flores et Fernández 2001: 124).

6. « El concesionario podrá pedir la expropriación de terrenos para la perforación de nuevos pozos (en El Paso, Tiquipaya, Quillacollo, Vinto), también podrá solicitar la expropriación de sistemas de distribución de agua de cooperativas existentes en el área de concesión » (Crespo Flores et Fernández 2001: 126).

7. « […] la Superintendencia de Aguas otorga y el Concesionario recibe, une concesión exclusiva para la prestación del Servicio en el Area de Concesión » (Crespo Flores 2000).

8. « Les droits du concessionaires sont « la prestación exclusiva del Servicio y el derecho de obligar a los usuarios potenciales a conectarse a los sistemas de agua potable y alcantarillado del concessionario de acuerdo a la Ley aplicable » (Crespo Flores 2000).

9. « Si el usuario no cancela el monto adeudado en un plazo de seis meses a partir de la fecha del corte de Servicio inicial, el concesionario podrá desconectar el Servicio en forma definitiva, pudiendo recurrir a los recursos que tenga disponibles de acuerdo a la ley para recuperar los montos adeudados por el usuario y sus costos incurridos en la recuperación de dichos montos » (Crespo Flores 2000).

Afin de finaliser la mise en contexte du dévoilement du contrat, il est important de connaître

les gens ayant consenti explicitement aux clauses du contrat. Le contrat a été signé le 3

septembre 1999. Simultanément, une manifestation se déroulait devant l’édifice

gouvernemental où était paraphé le contrat. À ces manifestants, le président de la République,

l’ancien dictateur Hugo Banzer, a affirmé « estoy acostumbrado a esa música de fondo91 »

(Los Tiempos, 23 janvier 2000). Les figures locales ayant donné leur accord à ce contrat sont

Manfred Reyes Villa (maire), Edgar Montaño (Comité civique), Ulrico Beerel (préfet du

département), Arturo Coca (gérant de la Semapa), Gonzalo Rico (gérant de Misicuni), Luis

Uzín (Superintendant de l’eau) et Jeoffrey Thorpe (Gérant d’AdT).

Figure 16 : La signature du contrat d’Aguas del Tunari92

Source : (Coordinadora 2000)

91 Je suis habitué à cette musique de fonds. 92 Sur la photographie, nous reconnaissons de gauche à droite : Hugo Banzer, Manfred Reyes Villa, Edgar Montaño et Luis Uzín.

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La nouvelle tarification progressive Plusieurs auteurs ont écrit sur l’augmentation de la tarification incluse dans le contrat

d’Aguas del Tunari (Crespo Flores 2000; Nickson et Vargas 2002; Calisaya Hinojosa 2004).

Afin de présenter brièvement cette tarification, disons simplement que chaque habitation a un

compteur d’eau mesurant la quantité d’eau consommée dans un mois. Ensuite, selon la valeur

estimée de la propriété, cette dernière est classée à l’intérieur de quatre catégories de niveau

de richesse. Finalement, plus vous êtes riche, plus vous payez cher votre mètre cube d’eau.

Malheureusement, quoique ce phénomène soit spatial (Fournier 2001), les analyses de la

tarification progressive de l’eau ont été effectuées par des sociologues et la spatialisation de

la tarification n’a pas été analysée. De plus, nous avons cherché ces données du côté de la

Semapa, mais nous n’avons pas pu les obtenir. Par contre, l’aspect de la progression tarifaire

selon le revenu du ménage a été bien analysé. Étant donné que la répartition de la richesse

urbaine de Cochabamba a un patron concentrique, nous pouvons généraliser en disant que les

quartiers centraux sont plus riches et que les quartiers périphériques sont plus pauvres. Vous

pouvez vous référer à la Figure 17 pour visualiser ce phénomène socio-spatial.

De plus, les quartiers centraux sont mieux dotés en services d’eau potable (voir les figures 7

et 8), mais doivent payer l’eau à un prix plus élevé, étant donné leur plus grande solvabilité.

Finalement, rappelons que la tarification progressive avait été implantée en 1992 par la

Semapa (Calisaya Hinojosa 2004). Cependant, cette tarification de la Semapa était

progressive entre les catégories (niveau de richesse), mais elle était dégressive en ce qui à

trait à la consommation de l’eau. C'est-à-dire que plus la consommation est grande, plus le

prix de l’eau au mètre cube diminue. Cette structure tarifaire va à l’encontre de la façon de

faire d’AdT, qui favorise une structure de consommation progressive, c'est-à-dire que le prix

au mètre cube augmente lorsque la consommation est élevée.

Aguas del Tunari a conservé la logique progressive de la tarification de l’eau entre les

catégories. De plus AdT a essayé de rendre également progressive, la tarification selon la

consommation. Ceci explique l’écart entre la première augmentation théorique de 35% et les

augmentations réelles allant de 10 à 106 % (voir Tableau 9). Cette tarification progressive qui

favorise les ménages les plus pauvres démontre une certaine conscience, de la part du

consortium, de la solvabilité limitée des citoyens de Cochabamba. Cependant, les ménages

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les mieux nantis, même s’ils ont la capacité de payer, n’approuvent pas pour autant une

augmentation de 100% de leur facture d’eau.

Analysons brièvement l’augmentation du prix de l’eau incluse dans le contrat d’Aguas del

Tunari. Tout d’abord, comme nous l’avons mentionné, les consommateurs résidentiels sont

subdivisés en quatre catégories de niveaux de richesse, correspondant aux descriptions

suivantes :

Catégorie 1 : Appartiennent à cette catégorie, les usagers pauvres, habitant des maisons abandonnées, des maisons en litiges de propriétés, des maisons en démolition, […].

Catégorie 2 : Appartiennent à cette catégorie, les usagers pauvres, ayant des constructions précaires, des maisons non fonctionnelles, avec fontaines publiques, […].

Catégorie 3 : Appartiennent à cette catégorie, les usagers de la classe moyenne, ayant des maisons « économiques, des logements sociaux, des appartements fonctionnels, […].

Catégorie 4: Appartiennent à cette catégorie, les usagers les mieux nantis, ayant des constructions de luxes, avec des matériaux de construction de première qualité, avec toutes les commodités, pouvant avoir plus d’une étage, […].

Source : (Contrat de concession in Calisaya Hinojosa 2004)

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Figure 17 : Distribution générale des catégories de tarification de l’eau

Sources : (Clas 2003 ; Progeo 2003) ; réalisation Simon Mélançon 2005

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Tableau 9 : Tarification d’Aguas del Tunari pour les services de distribution de l’eau potable et d’égout

Consommation Évolution Janvier 2000Mètres cubes Semapa AdT Pourcentage Prix au m3

10 14,00 18,40 31,43 1,8411 14,00 18,40 31,43 1,6712 14,00 18,40 31,43 1,5313 15,00 20,10 34,00 1,5514 15,50 21,60 39,35 1,5415 16,00 23,20 45,00 1,55

Consommation Évolution Janvier 2000Mètres cubes Semapa AdT Pourcentage Prix au m3

10 25,50 31,00 21,57 3,1011 25,50 31,00 21,57 2,8212 25,50 31,00 21,57 2,5813 26,50 33,90 27,92 2,6114 27,50 36,80 33,82 2,6315 29,00 39,80 37,24 2,6520 35,00 54,40 55,43 2,7230 49,00 84,90 73,27 2,8340 63,00 116,20 84,44 2,9150 76,50 147,40 92,68 2,95

Consommation Évolution Janvier 2000Mètres cubes Semapa AdT Pourcentage Prix au m3

10 45,00 49,50 10,00 4,9511 45,00 49,50 10,00 4,5012 45,00 49,50 10,00 4,1313 46,50 53,60 15,27 4,1214 47,50 57,70 21,47 4,1215 49,00 61,60 25,71 4,1120 57,00 81,60 43,16 4,0830 74,50 123,30 65,50 4,1140 90,50 166,30 83,76 4,1650 106,50 209,30 96,53 4,19

Consommation Évolution Janvier 2000Mètres cubes Semapa AdT Pourcentage Prix au m3

10 73,00 88,30 20,96 8,8311 73,00 88,30 20,96 8,0312 73,00 88,30 20,96 7,3613 75,00 93,50 24,67 7,1914 76,50 98,80 29,15 7,0615 78,50 104,10 32,61 6,9420 87,50 130,60 49,26 6,5330 107,00 185,30 73,18 6,1840 126,00 242,10 92,14 6,0550 145,00 298,90 106,14 5,98

Catégorie 3Coût en Bolivianos

Catégorie 4Coût en Bolivianos

Catégorie 1Coût en Bolivianos

Catégorie 2Coût en Bolivianos

Source : (Aguas del Tunari S.A. 2000)

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La clientèle d’AdT est composée à 5% d’usagers dans la première catégorie, à 35% dans la

deuxième, à 32% dans la troisième, à 18% dans la quatrième et finalement environ 10 % sont

dans la catégorie spéciale « commerciale93 ». Dans le Tableau 9, nous avons mis en gris la

consommation par mètre cube correspondant aux habitudes de plus de 90 % des usagers par

catégorie. Dans l’objectif de rendre progressive la structure tarifaire selon la consommation,

plus la quantité consommée d’eau est grande, plus l’augmentation de la tarification l’est

également. Pour les ménages ayant une faible consommation, l’augmentation est plus grande

pour les populations aisées financièrement de manière absolue. Cependant, l’augmentation

est plus importante pour les usagers des catégories 1 et 2 par rapport aux usagers des

catégories 3 et 4 lorsque l’on regarde l’augmentation relative d’une consommation de 12

mètres cubes. C’est à cette augmentation tarifaire que le Codaef s’était opposé en 1999. À

cette opposition, le Ministre du commerce extérieur, Carlos Saavedra Bruno avait alors

répondu à ces critiques qu’elles n’étaient que de la démagogie. « Estos comentarios de que el

aumento es del 100 por ciento, de que el Comité de Defensa de Cochabamba sostiene, es

politiquería, po-li-ti-que-ría. [...] Sus protestas son demagógicas, tendenciosas y sus

argumentos imprecisos y sin respaldo94» (Los Tiempos, 23 juillet 1999 in García et al. 2003).

En analysant le Tableau 9, nous nous apercevons que la grande majorité des citadins ont

connu une augmentation oscillant entre 10 et 73 %. De plus, la possibilité de voir le montant

de sa facture doubler existe bel et bien. Ainsi, le parti le plus démagogique dans ce cas-ci est

le représentant du gouvernement et non Maldonado, représentant du Codaef.

Cette nouvelle tarification a été analysée par deux études appuyant et rejetant respectivement

cette façon d’augmenter le prix de l’eau. Tout d’abord, Andrew Nickson et Claudia Vargas

(2002) ont qualifié cette nouvelle tarification de « pro-poor95 ». « The new tariff structure

was socially progressive. In incorporated differential rates within the fixed charge, with high-

income householders (residential 4) paying nearly three times as much as low-income

93 Nous n’avons pas jugé pertinent d’inclure la catégorie commerciale, puisque les commerçants n’étaient pas au centre du conflit de Cochabamba. En aucun moment, nous n’avons rencontré leurs revendications. À titre indicatif, l’augmentation du prix de l’eau pour les commerçants est comparable en pourcentage à celle de la catégorie 2. 94 Ces commentaires que le Codeaf soutiennent disant que l’augmentation est de 100 %, c’est de la politicaillerie, po-li-ti-cail-le-rie. […] Leurs protestations sont démagogiques, tendancieuses et leurs arguments imprécis et sans fondement. 95 Avantageuse pour les populations pauvres.

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householders (residential 2) for the first 12 m3 96 » (Nickson et Vargas 2002: 108). Ce que

ces auteurs omettent de dire c’est que la structure tarifaire de base d’AdT était un héritage de

la Semapa et que la hausse relative du coût des 12 premiers mètres cubes d’eau a été plus

importante pour les deux catégories les plus défavorisés par rapport aux deux catégories

représentant la population la plus favorisée.

Victor Hugo Calisaya Hinajosa (2004a-b) a développé l’antithèse de Nickson et Vargas. Il

argumente le fait que la tarification était plus progressive durant la gestion de la Semapa, car

selon ses calculs, les usagers riches payaient 2,12 fois plus que les plus pauvres, tandis que

cette proportion tombait à 1,80 fois plus, suite à la nouvelle tarification d’AdT. Ainsi, l’écart

du taux progressif par catégorie de richesse a été diminué lors de la nouvelle tarification. De

plus, il nous apprend que d’autres frais s’ajoutant au simple coût par mètre cube

défavorisaient les usagers pauvres. Par exemple, le coût de connexion a été augmenté de

225%, passant de 240 à 530 $US. Étant donné que ce sont dans une très grande majorité les

populations pauvres qui sont sujettes à de nouvelles connexions au réseau de distribution

d’eau, cette augmentation spécifique et considérable est nettement défavorable aux plus

démunis. Cette augmentation du coût de connexion est le résultat de la volonté d’AdT d’être

rentable à chaque étape de la distribution de l’eau. Le prix de connexion n’est plus absorbé en

partie par d’autres revenus et les nouveaux clients doivent payer le plein prix de revient de

leur connexion. Cette logique de l’utilisateur payeur répond aux recommandations de la

politique de gestion de l’eau de la Banque mondiale. Analysons maintenant deux autres

clauses centrales au contrat d’AdT, soit les notions d’exclusivité et la possibilité d’exproprier

des systèmes alternatifs de distribution de l’eau afin d’augmenter rapidement la quantité

d’eau du réseau principal.

Exclusivité et expropriation Les clauses d’exclusivité et d’expropriation (voir les points 6-7-8 du Tableau 8) n’ont pas eu

la même couverture médiatique que l’augmentation du prix de l’eau, car le concessionnaire

n’a pas eu le temps de les appliquer. Le fait qu’AdT n’ait en réalité exproprié personne et

donc que qu’il n’ait pas usé de son droit de distributeur exclusif explique peut-être le fait que 96 La nouvelle structure tarifaire était socialement progressive. Elle incorporait différent taux avec des charges fixes, avec un coût élevé pour les clients riches (résidentiel 4) qui paye trois fois plus que les clients pauvres (résidentiel 2) pour les premiers 12 mètres cubes.

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le Comité civique n’ait pas critiqué ces clauses. De son côté, la Coordinadora avait au sein de

son organisation, des membres de la Fedecor qui avaient déjà compris le danger que ces

clauses signifiaient pour les us et coutumes des paysans et pour les infrastructures alternatives

de distribution de l’eau (voir chapitre précédent).

Comme nous l’avons constaté sur les Figures 7 et 8, certains quartiers périurbains ont un

accès très limité à l’eau du réseau municipal. Dans ces deux cas, les citoyens de certains

quartiers se sont regroupés afin de creuser des puits communautaires pour avoir accès à une

source d’eau autre que celle de la rivière et celles des revendeurs d’eau par camion-citerne.

Cette relation précaire à l’eau correspond à celle de près de 25 % de la population de

Cochabamba. De ce groupe, environ le quart dispose de puits communautaires pour obtenir

de l’eau (voir Tableau 4). Devant la menace de se faire exproprier de ces infrastructures par le

concessionnaire afin d’augmenter rapidement la quantité d’eau du réseau général, ces

citoyens des zones périurbaines refusent de se départir de leur accès à l’eau, si précaire soit-il,

en échange de la promesse de voir arriver l’aqueduc à leurs portes plus rapidement. Malgré

leurs installations de fortune, ces résidents sont fiers de leurs puits communautaires et

tiennent à pouvoir continuer de gérer leur eau au sein même du quartier. La venue d’Aguas

del Tunari a semé un sentiment d’insécurité au sein de la populaiton périurbaine. Le président

des Juntas vecinales (associations de quartiers), René Orellana a affirmé que « Todas las

formas asociativas vecinales y communitarias en general, urbanas y rurales, serán

absorbidas por el concesionario a través de procesos de expropriación de sus obras e

infraestructura y a través de servidumbres forzosas, para favorecer al concesionario97 » (in

Crespo Flores et Fernández 2001: 105).

Ces deux clauses du contrat d’AdT sont le vecteur de changement de relation à l’eau le plus

important pour les populations rurale et périurbaine, contrairement à la nouvelle tarification

qui est le vecteur de changement le plus important pour la population urbaine. Pour la

population urbaine, cette logique de gestion intégrée et d’exclusivité ne pourra qu’augmenter

l’eau disponible dans le réseau et donc augmenter le nombre d’heures par jour où l’eau est

disponible. En effet, même dans les quartiers de catégories 4, l’eau n’est présente que 97 Toutes les formes d’association (de voisins, de quartiers, communautaires, etc.) en général, urbaines et rurales, seront absorbées par le concessionnaire à travers des processus d’expropriation de son œuvre et de ses infrastructures et à travers des redevances forcées pour favoriser le concessionnaire.

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quelques heures par jour, obligeant les résidents à se doter de citernes sur le toit de leur

maison pour avoir de l’eau durant les heures où la circulation de l’eau est coupée dans leur

quartier au profit d’un autre quartier (voir Figure 18).

Figure 18 : Réservoir d’eau d’une résidence de catégorie 3

Source : Simon Mélançon 2004

Cependant, comme nous l’avons dit précédemment, les résidents des quartiers périurbains ont

vécu dans la crainte de se faire exproprier leurs puits communautaires durant la période de

gestion d’AdT. Cette partie de la population a constitué un appui important à la

Coordinadora.

Lors de notre terrain de recherche, nous avons participé à la foire annuelle des Associations

de comités d’eau de la Zone sud de Cochabamba (voir Figure 19). Nous y avons rencontré

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91

plusieurs représentants de ces associations de quartiers possédant un puits communautaire

(voir Figure 20). À titre de comparaison, nous avons réalisé le Tableau 10 qui compare

l’accès à l’eau entre les gens ayant accès au réseau de distribution public, ceux qui ont des

puits communautaires et finalement ceux qui n’ont pas d’autres accès que celui de la rivière

et des revendeurs d’eau. Ces revendeurs transportent l’eau à l’aide de camions-citernes à

partir d’une source privée.

Figure 19 : Foire des Comités de gestion de puits communautaires de la Zone sud de Cochabamba

Source : Simon Mélançon 2004

Afin d’avoir une idée de l’étendue de la distribution des différents puits communautaires,

nous avons cartographié certaines des associations communautaires de la Zone sud de

Cochabamba, situées dans le quartier de Valle Hermoso (voir Figures 17 et 21). Il existe plus

de 120 associations de quartiers faisant la gestion d’un puits communautaire à Cochabamba.

Ces exemples ne sont qu’un échantillon non représentatif statistiquement de l’étendue du

phénomène. Cependant, ces exemples sont représentatifs quant à la relation qualitative de

l’accès à l’eau que peuvent avoir les citoyens des quartiers périurbains.

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Figure 20 : Vice-présidente de l’A.V.H.A.P.A.

Source : Simon Mélançon 2004

Tableau 10 : Comparaison entre les puits communautaires de Valle Hermoso, la Semapa et les distributeurs d’eau

Association Prix (Bs/m3) Nbre familles l/s Qualité Date d’entrée en fonction A.V.H.A.P.A.98 7 423 1,5 Eau salée (potable) 1994 El Molino 3 364 1,73 Mauvaise 1998 Mula Mayu 2,50 325 5 Bonne 2001 San Miguel 3 240 1,5 Variable 1994 Agua Cruz 5 107 0,32 Mauvaise 1998 Santa Vera Cruz 5 ---- 0,90 Bonne 1999 Total/Moyenne 4,25 291,8 1,825 Variable Entre 1994 et 2001

Semapa (12 m3) Nombre d’heures de service

Catégorie 1 1,20 --- --- Bonne (1-5) Catégorie 2 2,20 --- --- Bonne (6-10) Catégorie 3 4 --- --- Bonne (11-15) Catégorie 4 6,5 --- --- Bonne (16-20)

Distributeur 20 --- --- Mauvaise sur demande, réservoir privé

(Source : Entrevues lors de la Feria del agua del Sur, 20 juin 2004)

98 L’A.V.H.A.P.A. est l’une des plus importante association de quartier faisant la gestion d’un puit scommunautaire. Son acronyme signifie Asociación Valle Hermoso Agua Potable y Alcantarillado (Association de Valle Hermoso pour l’eau potable et le traitement des eaux usées). Elle est située au centre du quartier Valle Hermoso (voir figure 21).

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93

Figure 21 : Exemples de territoires desservis par des puits communautaires dans le quartier Valle Hermoso

Source et réalisation : Simon Mélançon. Données recueillies lors de la Feria del agua del

sur; Carte de base: Municipalité de Cochabamba, 1999.

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La relation à l’eau des citoyens de Cochabamba est donc bien différente pour les populations

rurales, périurbaines et urbaines. Entre l’accès à l’eau par l’intermédiaire d’un distributeur-

citerne et les usagers de la catégorie 4 de la Semapa, la qualité de l’accès à l’eau n’est pas la

même. Ces différentes relations à l’eau font partie de la territorialité très complexe de

Cochabamba. Il n’est pas étonnant de voir que plusieurs acteurs revendiquent d’être la voix

du « peuple », car ce dernier n’est pas un tout homogène. Quoiqu’il y ait une corrélation entre

les groupes sociaux et les différents rapports à l’eau, l’appartenance à la Coordinadora ou au

Comité civique passe d’abord par la relation à l’eau qu’a le citoyen.

Ainsi, la table est mise pour bien comprendre les justifications, les critiques et les

revendications sociales contenues dans les discours des différents acteurs. Malgré le fait que

le conflit proprement dit n’a duré que quatre mois (janvier à avril 2000), les discours ont

évolué selon les circonstances du moment, laissant transparaître les convictions profondes de

certains acteurs et l’opportunisme politique des autres. La loi 2029, que nous avons

brièvement analysé lors du chapitre précédent et la nouvelle tarification sont les éléments

pragmatiques les plus souvent évoqués dans les revendications de la Coordinadora. Ils

matérialisent une critique théorique et fondamentale d’opposition aux politiques néolibérales

boliviennes et à la globalisation des marchés. L’enchevêtrement de ces revendications

concrètes et abstraites est au cœur du discours de la Coordinadora. De plus, cette dernière se

présente comme la seule entité représentant à la fois les paysans et les citadins. Ainsi, c’est

durant cette période que les différents acteurs se sont mobilisés afin de s’opposer à ces

nouvelles relations à l’eau, imposé par le processus de privatisation.

La guerra del agua La fin de ce chapitre analyse les constantes et les voltes faces dans les discours et dans les

moyens de mobilisations. La territorialité étant un ensemble de relations de pouvoir qui

évoluent dans le temps, il est important de bien connaître dans quelles circonstances le conflit

civil a évolué. Cette démarche est importante, car, à l’issue du conflit, chaque acteur en

explique le déroulement rétrospectivement en tâchant de faire en sorte que la « faute » soit

attribuée aux autres acteurs et que le « mérite » soit attribué à son groupe d’appartenance.

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Étant donné que la guerre de l’eau de Cochabamba a été commentée et expliquée par des

intellectuels et par les acteurs eux-mêmes, il est primordial pour l’analyse des faits

historiques de présenter un déroulement nuancé du conflit en se basant sur les archives

journalistiques. Dans le cadre du cinquième et dernier chapitre, nous analyserons la suite des

événements de la guerre de l’eau de Cochabamba : la gestion concrète de l’eau, mais aussi les

discours qui ont fabriqué ce symbole de la « victoire » de la résistance populaire bolivienne et

altermondialiste envers les politiciens boliviens corrompus, la transnationale américaine et les

institutions internationales.

La naissance d’un conflit, son déploiement, son issue et ses conséquences sont des

phénomènes complexes difficile à étudier. Avant que l’histoire ne soit réinterprétée par les

principaux intéressés et que les mémoires collectives en oublient les nuances, nous vous

proposons une revue des événements qui n’a pas la prétention d’être objective, mais celle

d’être nuancée. Il n’y a pas une seule cause au conflit, mais nous ponvons en proposer

plusieurs.

El Gran Bloqueo por la Dignidad Civil (janvier 2000) Le début réel des manifestations s’opposant à la nouvelle tarification, à la loi 2029 et à la

privatisation est survenu lors du Grand Barrage pour la Dignité civile de janvier 2000. La

mise en application de la nouvelle tarification d’Aguas del Tunari a été un élément

déclencheur de la prise de conscience des citoyens sur les effets réels qu’impliquait la

privatisation de la Semapa.

Devant cette prise de conscience spontanée, le maire Manfred Reyes Villa et le nouveau

président du Comité civique, Mauricio Barrientos ont tous deux fait volte-face en se déclarant

subitement contre la nouvelle tarification. Rappelons-le, Reyes Villa et Montaño (le

prédécesseur de Barrientos à la présidence du Comité civique) avaient pourtant approuvé de

leur signature la nouvelle tarification incluse dans le contrat d’AdT (voir Figures 16 et 22).

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Figure 22 : Caricature de Manfred Reyes Villa99

Source : Los Tiempos, 23 janvier 2000

La Coordinadora a profité de cette perte de légitimité des instances politiques locales pour

s’imposer comme étant l’organisation représentant les revendications du peuple. Tout au long

du conflit, le Comité civique et la Coordinadora se sont disputés cette légitimité. De facto, ils

ont été des représentants tout aussi légitimes l’un que l’autre : ils représentaient différents

groupes de la société. La Coordinadora représentait les paysans, les populations périurbaines

et une certaine partie de la population urbaine, tandis que le Comité civique représentait

l’autre part de la population urbaine. De son côté, le gouvernement bolivien a répété que la

réalisation de Misicuni rendait nécessaire la nouvelle tarification d’Aguas del Tunari. Le

gouvernement s’est fait le représentant d’AdT et il a également affirmé que le contrat n’était

pas renégociable avant 40 ans.

Les discours démontrent très bien ce jeu de pouvoir relationnel entre les différents acteurs.

D’abord, suite à la signature du contrat d’AdT et de la nouvelle loi 2029, les représentants

politiques du gouvernement et de la mairie ont salué l’entente qu’ils venaient de signer. Si

l’on revient un peu en arrière Luis Uzín, le Superintendant de l’eau avait commenté les deux

accords ainsi :

99 Sur la caricature, le maire clame haut et fort « Non à la nouvelle tarification » et cache derrière lui le contrat d’Aguas del Tunari, qu’il a signé le 3 septembre 1999.

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La Ley de Saneamiento Básico, Agua y Alcantarillado no trata del uso del agua; sin embargo, no debe olvidarse que el agua es propiedad del Estado y sólo él podrá fijar la mejor mandera de administrar este recurso. Aguas del Tunari sólo cobrara por el servicio de agua potable y alcantarillado que presta. Se instalarán medidores en pozos privados para estimar el caudal que descarga ese pozo al aclcantarrilado, no para cobrar agua. [...] Aguas del Tunari explicó claramente toda la política de dotación, [...] ésta se constituye en un esfuerzo común para vivir mejor, [...] se aplicarán las nuevas tarifas [...] es imprescindible esta subida pues sin ella Misicuni no será una realidad. Este no es un tarifazo sino un aumento solidario pues permitirá que el servicio llegue a las zonas más deprimidas100 (Opinión, 10 décembre 1999 in García et al. 2003).

La façon dont est présenté le contrat d’AdT est très positive. Un effort de solidarité collectif

pour aider les plus pauvres, en plus de réaliser Misicuni. Cependant, Luis Uzín ne semble pas

être préoccupé par la possibilité d’expropriation et passe sous silence les clauses

impopulaires, comme la garantie de 15 à 17 % de profit pour la compagnie. Devant cette

présentation optimiste, une majorité de la population urbaine était favorable à cette nouvelle

gestion, à cette nouvelle territorialité.

Rappelons une fois de plus, que le maire Manfred Reyes Villa était tout à fait en accord avec

la nouvelle tarification prévue lors de la privatisation de la Semapa. « Es un buen acuerdo

que permitirá solucionar el problema álgido. El proyecto se adecúa a nuestras necesidades y

si falta traerán más agua101 » (Opinión, 14 août 1999 in García et al. 2003). Cependant,

voyant l’augmentation de l’impopularité de la nouvelle tarification, Manfred Reyes Villa

changea sa position afin de ne pas perdre sa popularité auprès de la population de

Cochabamba. « Si es necessario, levantaré al pueblo para evitar el tarifazo (La Razón, 11

novembre 1999) [...] Me declaro inocente por la firma del contrato, que no conocía. Pero

quiero que quede claro que yo no incité a la violencia. El gobierno ha iniciado una campaña

100 La Loi des services de base, de l’eau et du traitement des eaux ne traite pas de l’usage de l’eau; cependant, on ne doit pas oublier que l’eau est la propriété de l’État et lui seulement pourra fixer la meilleure manière d’administrer cette ressource. Aguas del Tunari, elle seule, chargera pour le service d’eau potable et de traitement des eaux qui seront donné. Il y aura des installations de compteurs d’eau sur les puits privées pour estimer la quantité d’eau utilisée afin de savoir quelle quantité d’eau sera traitée et non pour faire payer cette eau. […] Aguas del Tunari a clairement expliqué toute la politique d’allocation. […] Tout ceci constitue un effort commun pour vivre mieux, […] les nouveaux tarifs s’appliqueront […] Cette hausse est nécessaire, sans elle Misicuni ne sera jamais une réalité. Elle n’est pas une augmentation des tarifs, sinon une augmentation solidaire qui permettra que le service arrive aux zones les plus pauvres. 101 C’est un bon accord qui permettra de solutionner le problème crucial. Le projet tient compte de nos nécessités (hydriques) et si elles ne sont pas satisfaites nous trouverons plus d’eau.

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98

de desprestigio contra mi persona, haciendo circular un documento con la elevación de las

tarifas que lleva mi firma102 » (La Razón, 6 février 2000 in García et al. 2003). Ainsi, le

maire de Cochabamba a nié connaître les clauses d’un contrat qu’il a signé. Il fait l’aveu de

son incompétence.

Tout comme Reyes Villa, Mauricio Barrientos, le nouveau président du Comité civique s’est

subitement opposé à la nouvelle tarification lorsque le mécontentement populaire a

commencé à se faire entendre : « creemos que el contrato en varios puntos es atentatorio a

los intereses de los cochabambinos. Existen varias cláusulas que así lo demuestran, pero

sobre todo en el tema del incremento de las tarifas, pues no se puede pagar por un servicio

que no se recibe103 » (Opinión, 21 décembre 1999). Dans leur critique du contrat, ces

représentants s’opposent surtout à la nouvelle tarification et restent silencieux en ce qui a

trait à la clause d’expropriation qui concerne davantage les populations rurales et

périurbaines.

De leur côté, la Fedecor et le Codaef étaient déjà préoccupés par les conséquences de la loi

2029 et par la nouvelle tarification de l’eau. Afin de mieux coordonner leurs revendications,

ils se sont regroupés au sein de la Coordinadora de defensa del agua y de la vida104. Cette

union stratégique avait pour but de faire reculer le gouvernement sur sa décision de privatiser

les services de distribution d’eau. Ainsi, dans le contexte de la venue du nouvel acteur

responsable de la gestion de l’eau, Aguas del Tunari, la Coordinadora est née avec un

mandat bien précis, celui de s’opposer à la privatisation de la gestion de l’eau dans son

ensemble (Coordinadora 1999-2000). Ce contexte lui assura un appui des populations rurale,

périurbaine et urbaine durant la période des revendications se rattachant à la gestion de l’eau.

Durant la période conflictuelle, une lutte à l’organisation citoyenne la plus légitime s’est

déployée entre la Coordinadora et le Comité civique. Oscar Olivera, le porte-parole de la

102 Si cela est nécessaire, je ferai lever le peuple pour éviter l’augmentation des tarifs. […] Je me déclare innocent pour la signature du contrat, que je ne connaissais pas. Mais je veux que se soit clair que je n’ai pas incité à la violence. Le gouvernement a initié une campagne faisant atteinte à ma réputation, en faisant circuler un document avec l’augmentation des tarifs contenant ma signature. 103 Nous croyons que le contrat, dans plusieurs clauses, est une atteinte aux intérêts de la population de Cochabamba. Il existe plusieurs clauses qui le démontrent, mais par-dessus tout le thème relatif à l’augmentation des tarifs. Nous ne pouvons payer pour un service que nous ne recevons pas. 104 Convergence de défense de l’eau et de la vie.

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99

Coordinadora, a eu un discours très critique envers l’implication qu’a eu le Comité civique

dans l’approbation du contrat d’AdT. « El Comité Cívico dejó de existir porque ha sido

utilizado como un trampolín político por varios de sus dirigentes. Por eso ha perdido

legitimidad y representación. Además, todos sus miembros tienen algo que ver con la firma

del contrato con Aguas del Tunari105 » (Los Tiempos, 2 janvier 2000).

De plus, le discours d’Oscar Olivera met en perspective l’impasse de janvier 2000 avec les

quinze dernières années du néolibéralisme bolivien. Pour lui, la privatisation de l’eau n’est

pas un phénomène isolé, il n’est qu’un exemple de l’application des politiques économiques

néolibérales ayant pour but d’insérer la Bolivie dans un monde globalisé. Pour lui, la lutte à la

nouvelle tarification ne suffit pas, il faut lutter contre le système tout entier.

Dans le communiqué #1 envoyé aux journaux de Cochabamba à la mi-décembre 1999, la

Coordinadora affirmait que « luego de más de 14 años de modelo económico, iniciar una

batalla en contra del modelo y sus administradores. [...] La implementación del 21060, la ola

de despidos, el remate del patrimonio nacional a las transnacionales, [...] y ahora nos

pretenden robar nuestra agua106 » (Coordinadora 1999-2000: 12). Ici, le 14 ans de modèle

économique et le « 21060 » font références au « décret suprême 21060 » qui a instauré une

gestion néolibérale dans les politiques économiques du pays, en conformité avec le Plan

d’ajustements structurels signé avec le FMI en 1985. De plus, à travers ce communiqué, nous

percevons l’amertume qu’ont les représentants de la Coordinadora envers les multinationales

étrangères qui ont achetées les compagnies d’État (patrimoine national) entre les années 1993

et 1997. Bref, la Coordinadora met en contexte la privatisation de l’eau de Cochabamba en

l’associant à ces événements et assimile les transnationales à des voleurs, une façon de

décrier la possibilité de l’expropriation. Finalement, dans ce même communiqué, la

Coordinadora invite la population à mettre en pratique une résistance civile populaire en ne

105 Le Comité civique a cessé d’exister parce qu’il est devenu une trampoline politique pour plusieurs de ses dirigeants. Pour cette raison, il a perdu la légitimité et n’est plus représentatif. De plus, tous ses membres ont quelque chose à voir avec la signature du contrat avec AdT. 106 Après plus de 14 ans de modèle économique, il faut initier une bataille contre ce modèle et ses administrateurs. […] L’implantation du 21060, la vague de licenciements, la liquidation du patrimoine national aux transnationales […] et maintenant ils prétendent nous voler notre eau.

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100

payant pas les factures d’eau d’Aguas del Tunari. De plus, elle revendique officiellement

quatre points107 :

Derogatoria de la Ley de agua potable y alcantarillado sanitario (2029). Nulidad del contrato con Aguas del Tunari. Destitución del Superintendente Luis Uzín. Aprobación de la proxima Ley de aguas con la participación de todos los sectores involucrados.

Source: (Coordinadora 1999-2000: 16)

Une fois de plus, ce communiqué indique à la population que la Coordinadora a la volonté de

représenter les paysans et les citadins. Suite à ce communiqué, la Coordinadora a invité la

population au Grand Barrage pour la Diginité civile, qui s’est déroulé entre les 11 et 14

janvier (voir Figure 23). Ce fut le début des mouvements populaires de contestations à la

privatisation. D’une certaine façon, ce barrage routier marque le début de ce qui fut baptisée,

la guerra del agua.

Figure 23 : Les barrages routiers de janvier 2000

Source : Coordinadora

107 L’annulation de la Loi de l’eau potable et du traitement sanitaire (2029). L’annulation du contrat avec AdT. La destitution du Superintendant (de l’eau) Luis Uzín. L’approbation de la prochaine Loi de l’eau avec la participation de tous les secteurs impliqués.

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101

Devant ces manifestations populaires organisées par la Coordinadora, le gouvernement

réitère son appui à Aguas del Tunari. Une fois de plus, l’image populaire de Misicuni est

utilisée à des fins politiques. Cette fois, le gouvernement prétend que la réalisation de

Misicuni serait impossible autrement qu’à l’intérieur de l’entente actuelle. Le recours aux

représentations faisant référence au projet Misicuni a pour objectif d’apaiser la colère d’une

population. Le Ministre du commerce extérieur, Carlos Saavedra a déclaré en réaction aux

revendications de la Coordinadora que « el futuro del proyecto múltiple Misicuni está

íntimamente ligado al incremento de las tarifas del agua108 » (La Razón, 11 janvier 2000).

Devant la menace de non-paiement des factures d’eau, Saavedra a prétendu que les citoyens

de Cochabamba « van a pagar porque el que no paga, no tiene agua109 », démontrant la

fermeté du gouvernement face à la situation conflictuelle (La Razón, 11 janvier 2000). Au

moment où la crise n’était qu’embryonnaire, Saavedra a provoqué la Coordinadora et les

gens qu’elle représente en les marginalisant, en ne laissant aucune ouverture possible à la

négociation et en menaçant la population d’être réprimée par l’armée bolivienne, si les

manifestations devaient perdurer.

Existen muy pocas posibilidades de revisar el contrato, ya que fue extensamente revisado, y fue lo mejor que se obtuno en el proceso de negociación. Lamento mucho el paro anunciado, pero es claro que se trata de un movimiento político en pro de intereses particulares. Las medidades que se llevan a cabo en contra de la Ley de Agua Potable y del incremento tarifario son estrategias políticas; por lo tanto se harán respetar las leyes y se asegurará el libre tránsito, pues en democracia no están permitidas estas cosas. [...] El Gobierno encuentra ningún impedimento en el contrato para que no se lo haga efectivo. [...] Por tanto, no descarta la intervención militar para limpiar las carreteras de los bloqueos110 (Los Tiempos, 10 janvier 2000 in García et al. 2003).

À la fin janvier, les relations entre les différents acteurs étaient tendues. Le Comité civique et

la Coordinadora se disputaient tous deux l’appui de la population devant le gouvernement 108 Le futur du projet multiple Misicuni est intimement lié à l’augmentation des tarifs d’eau. 109 Ils vont payer parce que s’ils ne payent pas, ils n’auront plus d’eau. 110 Il existe très peu de possibilités de réviser le contrat, il a déjà été suffisamment révisé, et c’est le meilleur que nous avons obtenu dans le processus de négociation. La manifestation annoncée est regrettable, mais il est clair qu’il est question d’un mouvement politique en quête d’intérêts particuliers. Les moyens qui ont été pris contre la loi de l’eau potable et l’augmentation des tarifs sont des stratégies politiques, ils ont à respecter les lois et à assurer la libre circulation, ces choses ne sont pas permises en démocratie. […] Le gouvernement ne rencontre rien dans le contrat qui fasse en sorte qu’il ne puisse être exécuté. […] De plus, il ne faut pas écarter l’intervention militaire pour nettoyer les rues des barrages.

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102

qui défendait la compagnie étrangère. Pour se dissocier du Comité civique, la Coordinadora

a radicalisé son discours et ses moyens de pressions, tandis que le Comité civique favorisait

la voie de la négociation. De son côté, le gouvernement a vu sa légitimité diminuer plus les

policiers défendaient les installations d’Aguas del Tunari, car la remise en question de la

nouvelle tarification était généralisée et le gouvernement démontrait ainsi son insensibilité

envers les préoccupations des citoyens de toute la vallée centrale de Cochabamba.

Voyons la continuité des stratégies utilisées par les différents acteurs pour faire en sorte que

leur conception respective de la territorialité soit celle qui devait finalement être entendue par

la population et perdurer dans le futur. C’est l’ensemble de ces stratégies qui a mené au chaos

social d’avril 2000.

La Toma pacífica de Cochabamba (février 2000) Devant l’appui populaire qu’avait reçu la Coordinadora suite à la manifestation de janvier,

cette dernière a organisé un autre rassemblement populaire au début février : la Toma pacífica

de Cochabamba111. Avec cette deuxième manifestation populaire, la Coordinadora a utilisé

la stratégie de la résistance populaire plutôt que celle de la renégociation du contrat, stratégie

qu’utilisait le Comité civique.

La prise pacifique de Cochabamba était symbolique pour la Coordinadora. Cette

manifestation avait pour but de clamer haut et fort que les citoyens des campagnes et des

différents quartiers de la ville s’étaient unis dans leur opposition au gouvernement et à Aguas

del Tunari. De plus, pour la Coordinadora, ce moyen de pression était une expression

démocratique face à un État illégitime et corrompu :

La Toma de las banderas de la democracia, porque hace tiempos que está fue usurpada por un grupo de politiqueros y empresarios que se enriquecen a costa del pueblo (Los Tiempos, 3 février 2000). [...] El objetivo es sellar la unidad entre hombres y mujeres de la ciudad y el campo. El pacto campo-ciudad busca la derogatoria de la Ley 2029, la anulación del contrato con Aguas del Tunari, la revisión de tarifas incrementadas de agua y la aprobación de una ley del recurso agua de consenso [...] quiero la unidad de todos los habitantes de Cochabamba, para evitar que se comentan más

111 La prise pacifique de Cochabamba consistait à occuper symboliquement la place centrale de la ville, la Plaza 14 de Septiembre.

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103

atropellos al los derechos de la ciudadanía112 (Última Hora, 3 février 2000 in García et al. 2003).

À cette incitation à la manifestation de la Coordinadora, le Comité civique a répondu qu’il ne

participait pas et il a incité les citoyens à ne pas prendre part à l’événement, ne reconnaissant

pas la Coordinadora et trouvant l’événement trop subversif (Los Tiempos, 4 février 2000).

« Entendemos que una toma de Cochabamba no es correcta, por lo tanto no vamos a

participar en el movimiento que realizará la Coordinadora113 » (Opinión, 2 février 2000).

Finalement, le Comité civique a préféré demander au gouvernement de renégocier le contrat

d’AdT, ainsi que la nouvelle tarification de l’eau. Cependant, ni le gouvernement ni Aguas

del Tunari n’entendait revoir le contrat, clamant que cela était impossible : « la comisión no

puede cambiar el contrato114 » affirmait Jeoffrey Thorpe, le gérant général d’AdT (Los

Tiempos, 27 janvier 2000).

La Prise de Cochabamba s’est déroulée comme prévu. Cependant, elle ne fut pas pacifique.

Le gouvernement qui désirait affermir son autorité a appelé un renfort militaire venu de La

Paz pour disperser les foules et mettre fin aux manifestations. Le résultat souhaité ne s’est pas

produit, la présence de l’armée a entraîné une escalade de la violence de part et d’autres des

barricades, faisant plusieurs blessés (voir Figure 24).

Suite à ce dérapage, le gouvernement accepta de négocier une nouvelle entente globale avec

les représentants de Cochabamba pour que cesse cette escalade de violence. C’est dans ce

contexte qu’est né le « Convenio por Cochabamba115 », une table de négociation ayant pour

but de trouver un compromis au conflit sur l’eau. Cette table de négociation impliquait, entre

autres de revoir l’augmentation des tarifs d’eau, la loi 2029 et le contrat d’AdT. De leur côté,

les manifestants s’engageaient à arrêter tous leurs moyens de pressions. La présidence de

112 C’est une Prise des banderoles de la démocratie, parce que cela fait longtemps que celle-ci a été usurpée par un groupe de petits-politiciens et d’hommes d’affaires qui s’enrichissent sur le dos du peuple. […] L’objet est de sceller l’unité entre les hommes et les femmes de la ville et de la campagne. Le pacte campagne-ville cherche l’annulation de la Loi 2029, du contrat avec AdT, la révision des tarifs de l’eau et l’approbation de une loi sur la ressource en eau fait à partir d’un consensus […] je veux l’unité de tous les habitants de Cochabamba, pour éviter que se commettent d’autres violations aux droits des citoyens. 113 Nous trouvons qu’une prise de Cochabamba n’est pas correcte, donc nous n’allons pas participer au mouvement que réalisera la Coordinadora. 114 La commission ne peut pas changer le contrat. 115 Accord pour Cochabamba.

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104

cette négociation a été accomplie par deux acteurs considérés neutres, à savoir Monseigneur

Tito Solari, Archevêque de Cochabamba et le Dr. José Luis Baptista Morales, le Defensor del

Pueblo116.

Figure 24 : Affrontement derrière les barricades sur la rue Bolivar

Source : Coordinadora

En plus des deux présidents, des représentants du Comité civique, de la Coordinadora, du

Gouvernement (qui représentait AdT) et des députés nationaux représentant le département

de Cochabamba siégeaient à cette table de négociation. Finalement, dans leur stratégie

respective, les deux organisations populaires s’étaient en quelques sortes entraidées sans le

vouloir. En refusant de négocier avec le Comité civique, le gouvernement a indirectement

encouragé la population à la manifestation de la Coordinadora et en réprimant cette dernière,

il s’est vu dans l’obligation de plier et de proposer une négociation.

116 Le « défenseur du Peuple » s’apparente à un « Ombudsman » lors de conflits légaux. Un individu ou un groupe peut demander ses services gratuitement lorsqu’il se sent lésé. Au Québec, le système d’Aide juridique s’apparente au système bolivien de « défenseur du peuple ». Le financement de cet organisme est fait conjointement par l’État et des ONG internationales.

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Parallèlement à cette table de négociation, Aguas del Tunari a lancé une série de publicités

afin de convaincre la population de sa volonté d’améliorer la gestion de l’eau de la ville. En

voici un exemple117 :

AGUAS DEL TUNARI : Un esfuerzo en común, para vivir mejor

SÍ: Se hará ralidad el proyecto Múltiple Misicuni Agua potable las 24 horas del día Servicio de alcantarillado y seneamiento Mejoramiento del medio ambiente

Source: (Opinión, 9 février 2000)

Ces publicités ont paru dans les journaux simultanément aux négociations. Cependant, elles

n’eurent pas l’effet escompté, soit celui de renouer avec la sympathie de la population. Les

négociations ne durèrent pas longtemps, la Coordinadora s’était retirée suite à une rumeur

voulant qu’Aguas del Tunari soit prête à abandonner la réalisation du projet Misicuni si la

tarification de l’eau était changée (Los Tiempos, 23 février 2000). Suite à ce retrait de la

Coordinadora, le Comité civique a prétendu être le seul représentant légitime des citadins de

Cochabamba. Cependant, la Coordinadora continuait toujours à représenter une large partie

de la population. Derrière ce retrait de la table de négociation se cachait la réaffirmation des

deux principales revendications de la Coordinadora, à savoir le retrait d’Aguas del Tunari

jumelé au retour à la gestion publique de la Semapa et la modification de la loi 2029. Pour la

Coordinadora, le conflit ne serait pas réglé avec une nouvelle tarification, il fallait tout

annuler et repartir à zéro.

La Consulta popular (mars 2000) À la fin du mois de mars, afin de connaître et de faire connaître l’opinion de la population au

sujet de la gestion de l’eau, la Coordinadora a organisé une consultation populaire. Celle-ci

comprenait trois questions et était organisée dans le but de donner une légitimité au

117 AGUAS DEL TUNARI : Un effort commun, pour vivre mieux Oui :

Le projet multiple Misicuni sera une réalité Il y aura de l’eau potable 24 heures par jour Il y aura un service de traitement des eaux usées Il y aura une amélioration de l’environnement

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mouvement populaire devant le gouvernement et ainsi exiger l’annulation du contrat d’AdT.

Les trois questions de la consultation étaient les suivantes118 :

1. ¿Usted está de acuerdo con el incremento de tarifas? 2. ¿Usted está de acuerdo con la anulación del contrato de concesión con Aguas del

Tunari? 3. ¿Usted está de acuerdo con la mercantilización del agua en la Ley 2029?

Cette initiative de la Coordinadora fut saluée par l’Église et critiquée par les représentants

politiques locaux et nationaux. Pendant que Mauricio Barrientos affirmait « desconocer la

llamada consulta popular por carecer de legalidad y credibilidad », un représentant de la

mairie de Cochabamba a qualifié la consultation populaire d’« actitud anarquista e

irresponsable de dirigentes de la Coordinadora […]119 ». (Opinión, 25 mars 2000).

Malgré le seul appui des représentants de l’Église Catholique et les critiques des

représentants politiques, la Coordinadora a tout de même réussi à mobiliser près de 50 000

personnes, soit une participation très élevée120. Le résultat va dans le sens des revendications

de la Coordinadora (voir Tableau 11). De plus, il a eu pour conséquence d’augmenter la

crédibilité et la légitimité de l’organisation citoyenne, tout en diminuant celle du Comité

civique qui n’avait pas appuyé cette démarche. Olivera et Maldonado y voient un acte

démocratique d’une grande valeur et une obligation pour le gouvernement d’annuler le

contrat d’AdT (Opinión, 27 mars 2000).

Tableau 11 : Les résultats de la consultation populaire Question Oui % Non % Blanc % Total

# 1 490 1,01 47117 97,01 963 1,98 48570# 2 45915 94,53 1954 4,02 701 1,44 48570# 3 1204 2,48 46450 95,64 916 1,89 48570 Source : (Coordinadora, Los Tiempos 27 mars 2000)

118 Êtes-vous en accord avec l’augmentation de la tarification de l’eau ? Êtes-vous en accord avec l’annulation du contrat de concession d’Aguas del Tunari ? Êtes-vous en accord avec le caractère mercantile de l’eau dans la loi 2029 ? 119 Je ne reconnais pas l’appel de la consultation populaire par manque de légalité et de crédibilité. […] attitude anarchiste et irresponsable de dirigeants de la Coordinadora. 120 À titre de comparaison, lors des élections municipales de décembre 1999, 162 000 citoyens ont exercé leur droit de vote. Ainsi, la consultation populaire (volontaire), sans l’appui de la Corte National Electoral, avec des moyens modestes et des bénévoles a réussi à mobiliser près du tiers du nombre de votes obtenus lors d’une élection officielle, qui est obligatoire rappelons-le. Source : www.cne.org.bo .

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Malgré la forte participation et le résultat de la consultation, le gouvernement a continué

d’ignorer les revendications de la Coordinadora. Luis Uzín, le superintendant de l’eau, a

commenté les résultats de la consultation populaire en disant que « los resultados de esa

consulta popular no tienen ninguna validez121 » (Opinión, 28 mars 2000 in García et al.

2003). Encore une fois, l’attitude non conciliatrice du gouvernement a amené un

mécontentement de la population qui déboucha sur une autre manifestation, baptisée par

anticipation « la bataille finale ». L’attitude du gouvernement fut une véritable provocation

aux yeux de la Coordinadora.

La Batalla final (Avril 2000) Suite à la consultation populaire, à l’insuccès des négociations et à l’attitude autoritaire du

gouvernement, est survenue une autre manifestation populaire : la bataille finale. Une fois de

plus, la Coordinadora exigeait le départ de la compagnie Aguas del Tunari, la véritable

source des problèmes de gestion de l’eau. « Esta lucha es legítima, digna y cochabambina y

no se negociará nada que signifique la permanencia de la empresa concesionaria122 »

(Coordinadora 1999-2000: 70).

Pour sa part, le gouvernement prétendait que si Aguas del Tunari s’en allait, cela ferait une

mauvaise image à la Bolivie et à Cochabamba, en plus de laisser la région sans eau pour une

période de dix ans (Los Tiempos, 8 avril 2000). Cependant, devant l’ampleur des

manifestations (voir figures 25 et 26), le gouvernement s’est vu dans l’obligation de résilier le

contrat d’Aguas del Tunari et de promettre des modifications substentielles à la loi 2029. Luis

Uzín, le Superintendant de l’eau, a envoyé une lettre le 9 avril afin d’informer Jeoffrey

Thorpe, le gérant général d’AdT, que le contrat était résilié :

Debido a la situación creada por protestas públicas y conmoción civil en la ciudad de Cochabamba, considero necesario solicitar que la Empresa Aguas del Tunari S.A. se retire del Contrato de Concesión de Aprovechamiento de Aguas y de Servicio Público de Agua Potable y Alcantarillado en la ciudad

121 Les résultats de cette consultation populaire n’ont aucune validité. 122 Cette lutte est légitime, digne et pour Cochabamba et il ne se négociera rien qui signifie la permanence de l’entreprise concessionnaire.

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de Cochabamba, suscrito con esta Superintendencia en fecha 3 de septiembre de 1999123 (Los Tiempos, 24 avril 2000).

Figure 25 : Manifestations devant les bureaux de la Coordinadora

Source : Coordinadora

À cette résiliation de contrat, Oscar Olivera a réagi en déclarant que s’était « un triunfo para

Cochabamba124 » (Los Tiempos, 11 avril 2000). De son côté, le président de la Bolivie, Hugo

Banzer a indiqué « lo que hoy los Cochabambinos festejan como una gran victoria, podría

convertirse en su peor derrota125 » (Opinión, 14 avril 2000).

123 Due à la situation créée par les protestations publiques et la commotion civile dans la ville de Cochabamba, je considère nécessaire de solliciter que l’entreprise Aguas del Tunari S.A. se retire du Contrat de Concession d’Approvisionnement d’Eaux, de Service Publique d’Eau Potable et d’Assainissement dans la ville de Cochabamba, souscrit avec cette Superintendance en date du 3 septembre 1999. 124 Un triomphe pour Cochabamba. 125 Ce que, aujourd’hui, les citoyens de Cochabamba fêtent comme une grande victoire, pourrait se convertir comme étant sa pire défaite.

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Figure 26 : Oscar Olivera devant une manifestation d’appui aux revendications de la Coordinadora

Source : Coordinadora

Devant le départ d’Aguas del Tunari se concluait le conflit civil baptisé la guerra del agua.

Dans cet affrontement politique entre le Comité civique, la Coordinadora et le gouvernement

central, l’option défendue par la Coordinadora (le départ d’AdT) aura été celle qui allait

mettre une fin définitive au conflit. Cependant, la situation de la gestion de l’eau n’était pas

réglée. Pour les citoyens de Cochabamba, il fallait désormais vivre avec ce passé tumultueux

et trouver une solution au manque d’eau et à son inégale distribution. Cet aspect sera abordé

lors du prochain chapitre, mais d’abord revoyons brièvement les événements de la guerre de

l’eau sous l’angle de la territorialité de Cochabamba.

Victoire et mort de la Coordinadora del agua La victoire de la Coordinadora est tributaire d’une conjoncture favorable. Elle s’explique par

une redéfinition de la territorialité. Comme nous l’avons mentionné, la privatisation de la

gestion de l’eau à Aguas del Tunari a favorisé l’avènement d’un nouvel acteur territorial

s’opposant à cette transnationale qui venait déranger l’équilibre des relations de pouvoir en

vigueur dans la vallée de Cochabamba entre les paysans (Fedecor) et les citadins (Semapa-

Codaef). L’appui populaire à la Coordinadora résidait de l’union historique de la paysannerie

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et de la communauté urbaine autour d’une cause commune symbolique, l’opposition à Aguas

del Tunari. De plus, l’enchevêtrement du discours anti-néolibéral et altermondialiste appliqué

au cas concret de la gestion de l’eau a été un facteur de rassemblement pour expliquer et

critiquer des conséquences concrètes : l’augmentation de la tarification de l’eau et le non-

respect des us et coutumes paysannes. Ainsi, c’est en accusant l’autre, l’étranger capitaliste,

d’être le responsable des déboires de la gestion de l’eau que la Coordinadora a su se rendre

légitime dans ses revendications auprès des instances politiques traditionnelles locales et

nationales. Il est difficile de bien démontrer la complexité du discours de la Coordinadora.

Pour vous présenter un aperçu de ce discours, nous avons rassemblé, à l’intérieur du Tableau

12, les slogans inscrits sur les communiqués officiels publiés durant la guerre de l’eau. À

travers ces slogans nous percevons les éléments centraux des discours de la Coordinadora,

soit l’union ville-campagne, la lutte au néolibéralisme et le rejet de l’État central corrompu

par la promotion d’un régionalisme à saveur démocratique.

D’autre part, les représentants politiques locaux se sont montrés impuissants devant le

mécontentement populaire et l’engouement suscité face au discours de la Coordinadora. En

ayant fait la promotion de la privatisation et en ayant signé le contrat de concession d’Aguas

del Tunari, le Comité civique et le maire de Cochabamba, Manfred Reyes Villa ont été

considérés comme incapables de veiller aux intérêts communs de la population qu’ils

représentaient. De plus, ils n’ont jamais été capables d’aller chercher la sympathie des

populations rurales et périurbaines en ne critiquant pas la loi 2029 et en approuvant le

processus de privatisation de l’eau dans son ensemble. La focalisation de leur revendication

sur une renégociation à la baisse de l’augmentation de la tarification de l’eau ne pouvait être

rassembleuse, car les populations rurales et périurbaines qui n’ont pas accès au réseau

d’aqueduc, et donc qui ne sont donc pas concernés par la tarification, ne pouvaient être

représentées par ces deux institutions politiques traditionnelles.

Quant au gouvernement central, il n’a pas su comprendre les revendications de la population

de la vallée centrale de Cochabamba en imposant une nouvelle forme de propriété de l’eau

dans la loi 2029 en plus de la nouvelle tarification.

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Tableau 12 : L’évolution des slogans de la Coordinadora dans ses communiqués aux journaux126

Date des communiqués Slogans 16 décembre 1999 ¡¡BASTA!! AL ALZA DEL COSTO DE VIDA 16 décembre 1999 ¡¡BASTA!! A LOS TARIFAZOS 16 décembre 1999 NO PERMITIREMOS MAS NUEVOS TARIFAZOS ? janvier 2000 ¡¡BASTA DE SUFRIMENTO SOCIAL!! 1er janvier 2000 « Los Bolivianos jamás hemos tenido alma de esclavos127 » 7 janvier 2000 ¡El gran bloqueo por la dignidad civil no se detiene! ? janvier 2000 EL AGUA ES NUESTRA ¡CARAJO! (voir Figure 25) ? janvier 2000 ¡¡LA RIQUEZA ES NUESTRA!! ¡¡ALTO AL ROBO DE NUESTRA AGUA!! 11 janvier 2000 Cochabambina, Cochabambino: Los derechos no se mendigan. Los derechos se conquistan. Nadie va a luchar por lo nuestro. O luchamos juntos por lo justo o toleramos la humillación de malos gobernantes. 11 janvier 2000 EL AGUA ES NUESTRA 11 janvier 2000 ¡¡QUE YA NO NOS MAMEN!! 11 janvier 2000 ¡¡SI A MISICUNI, SIN ENGANOS NI ROBOS!! 15 janvier 2000 Cochabamba unida, Cochabamba victoriosa 28 janvier 2000 “Nosotros los bolivianos [sic] decidimos que hacer con nuestro recursos” Junto a los cochabambinos y cochabambainas, la Coordinadora apuesta por Misicuni 6 février 2000 ¡Y...EL AGUA SIGUE SIENDO NUESTRA! 6 février 2000 EL TARIFAZO YA HA QUEDADO SIN EFECTO 17 février 2000 NUEVAMENTE OTRO GASOLINAZO Y GARRAFAZO 15 mars 2000 NO AL TARIFAZO 15 mars 2000 FUERA AGUAS DEL TUNARI 30mars 2000 COCHABAMBA HACIA LA “BATALLA FINAL” 4 avril 2000 EL PUEBLO COCHABAMBINO MAS UNIDO QUE NUNCA 9 avril 2000 Y...RECUPERAMOS NUESTRA VICTORIA 29 juin 2000 ¡¡NUNCA MAS AGUAS DEL TUNARI EN COCHABAMBA!! 25 juillet 2000 AYER LUCHAMOS POR EL AGUA, HOY Y MAÑANA POR NUESTRA

LIBERTAD Source : (Coordinadora 1999-2000)

De plus, le gouvernement n’a jamais montré d’ouverture à une renégociation du contrat

d’AdT, ni à une révision de la loi 2029. Sa position théorique respectait les propositions faites

dans la politique de gestion de l’eau de la Banque mondiale, mais la répression armée aux

manifestations populaires donnait raison à la Coordinadora qui affirmait qu’Hugo Banzer

avait été élu démocratiquement, mais qu’il gouvernait comme au temps de la dictature de

126 La traduction des Slogans se trouve à l’Annexe 3. 127 Ce slogan se retrouve en bas de page de tous les communiqués officiels de la Coordinadora.

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1971 à 1978 (Los Tiempos, 5 février 2000). Durant la guerre de l’eau, le gouvernement a

contribué à entretenir le conflit, plutôt que de chercher à le régler.

Finalement, une fois Aguas del Tunari mis en déroute, la Coordinadora del agua a eu a

diversifier ses revendications sociales afin de ne pas mourrir. Ce phénomène peut s’expliquer

à l’aide de l’étude de la territorialité. En effet, la Coordinadora del agua est née afin de

s’opposer à Aguas del Tunari, mais une fois que cet opposant a quitté la Bolivie et qu’il ne

représentait plus une menace dans la relation à l’eau des citoyens, la Coordinadora del agua

n’avait plus de cause à défendre et était vouée à la mort. Pourtant en Avril 2005, la

Coordinadora existe encore bel et bien. Oscar Olivera en est toujours le porte-parole et il a

toujours un discours anti-néolibéral. La gestion de l’eau étant redevenue publique, il n’avait

plus de cause pragmatique où il pouvait rattacher ses critiques politiques plus théoriques.

Olivera a compris cette situation et il a fait la promotion de plusieurs nouvelles causes

sociales telles : une nouvelle réforme agraire, la protection des cultivateurs de coca, la

diminution des tarifs d’électricité, la diminution du prix des carburants, la promotion d’une

Assemblée constituante et finalement la nationalisation du gaz naturel bolivien. La

Coordinadora de defensa del agua y de la vida est morte même si elle existe toujours

officiellement. Tel un caméléon, son nom change avec les causes qu’elle défend.

Présentement, l’organisation se nomme la Coordinadora de defensa del Gas128 ! Bref,

Olivera a utilisé un discours critique envers le néolibéralisme bolivien afin de rassembler la

population derrière ses revendications sur la gestion de l’eau. À partir d’avril 2000, il fera

l’inverse : utiliser la « victoire » régionale à la cause de l’eau afin de faire progresser sa lutte

au néolibéralisme à l’échelle mational.

Ouverture La guerre de l’eau proprement dite est terminée, cependant son existence a eu des

conséquences. Tour à tour, les acteurs de la guerre de l’eau ont réécrit l’histoire, amenant une

explication de l’échec de la privatisation de l’eau. Le gouvernement a mis en cause les

producteurs de Coca du Chapare (la partie tropicale du département de Cochabamba). Quant

à elle, la Coordinadora a clamé haut et fort que cette « victoire du peuple » contre le

néolibéralisme est un signe que les mouvements sociaux boliviens sont en émergences et que 128 Convergence de défense du gaz (naturel).

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l’armée ne fait désormais plus peur à personne. Certains événements donneront en parti

raison à la Coordinadora.

Du côté de la gestion de l’eau, la Semapa a repris ces anciennes fonctions de gestionnaire de

l’eau. L’entreprise publique a essentiellement la même forme qu’avant, à l’exception que son

conseil d’administration compte désormais trois citoyens élus et un représentant du syndicat

des travailleurs, sur un total de sept administrateurs. Cette nouvelle formule a pour but de

faire participer davantage la population à la gestion de l’entreprise. Dans un autre dossier, les

actionnaires d’Aguas del Tunari ont intenté une poursuite de 25 millions de dollars US envers

la Bolivie pour bris de contrat et perte de profits anticipés. Cette poursuite est toujours en

cours. Finalement, le projet Misicuni sera réalisé, mais dans des délais plus longs que ce qui

avait été prévu au départ. En mars 2005, un premier 400 l/s a été rendu disponible à la

Semapa. Quant à eux, les citoyens de la Zone sud de la ville se sont organisés pour négocier

avec l’entreprise publique la démarche à suivre pour coordonner l’arrivée prochaine de

l’extension du réseau de distribution et de traitement des eaux dans leur quartier.

La guerre de l’eau de Cochabamba est bien présente cinq ans après son déroulement. Elle a

marqué la politique nationale bolivienne, elle représente l’espoir du retour à des politiques

économiques plus près du le peuple. Elle est également devenue un icône du mouvement

altermondialiste.

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Cinquième chapitre

Retour à la gestion publique et internationalisation de la territorialité

Cochabamba hoy es considerada un ejemplo para los movimientos sociales del mundo que están luchando

contra la privatización y los efectos perversos del capitalismo global129.

Carlos Crespo et Omar Fernandez

Comment la guerre de l’eau a-t-elle été récupérée par ses acteurs ? Quels souvenirs cet

événement a-t-il laissé dans la mémoire collective des Boliviens ? Dans le cas de la guerre de

l’eau de Cochabamba, les différents acteurs ont trouvé une explication à ce conflit civil :

« c’est la faute de l’autre ». Ce conflit est un tournant dans la représentation de la

construction du territoire de Cochabamba. L’aménagement du territoire, celui des ressources

hydriques et de leur gestion a été redéfini lors de cet événement politique. Les relations de

pouvoir ont fait en sorte que la gestion de l’eau allait à nouveau être planifiée et gérée par un

organisme public. La loi 2029 encadrant la gestion de l’eau a également été modifiée,

d’abord par la loi 2066 et ensuite par la loi de l’irrigation (loi 2878). À partir de quelle

conception de la propriété les différents rapports à l’eau (ruraux, périurbains et urbains) se

sont-ils développés ? La construction et la consolidation de ces relations à l’eau et des

nouvelles relations entre les acteurs politiques sont à la base de la territorialité produite par ce

nouvel environnement géopolitique « post-privatisation ».

Une fois Aguas del Tunari parti, les entreprises publiques Misicuni et Semapa se sont

retrouvés dans une certaine précarité financière. Malgré leur statut de compagnies d’État,

elles ne disposaient pas de budgets planifiés par le gouvernement. Cependant, elles ont réussi

à équilibrer leurs budgets avec l’aide de différentes subventions d’organismes internationaux.

La « victoire du peuple » de Cochabamba lors de la guerre de l’eau a réveillé l’espoir de

pouvoir changer d’autres politiques néolibérales en plus de faire naître une réelle confiance

en la démocratie. Ainsi, lors des élections présidentielles de 2002, les autochtones ont créé un

129 Cochabamba est aujourd’hui considérée comme un exemple pour les mouvements sociaux du monde qui sont en train de lutter contre la privatisation et les effets pervers du capitalisme global.

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précédent dans l’histoire politique du pays en fondant deux partis politiques qui ont reçu un

appui considérable aux urnes. En 2004, un premier référendum à eu lieu sur la nationalisation

du gaz naturel et une Assemblée constituante est prévue pour le mois d’août 2005. Ainsi, les

instances politiques traditionnelles s’ouvrent davantage à la participation citoyenne. La

consultation populaire de la Coordinadora a été le véritable coup d’envoi de cette démocratie

participative.

À l’échelle internationale, la guerre de l’eau a beaucoup fait parler d’elle. D’abord, le

consortium Aguas del Tunari a intenté une poursuite de 25 millions de dollars US et la

communauté altermondialiste a élevé la guerre de l’eau de Cochabamba en un symbole de la

résistance citoyenne au processus de globalisation des marchés et de la privatisation de la

gestion de l’eau.

La réinterprétation de la guerre de l’eau par les acteurs

La Coordinadora « Y…recuperamos nuestra victoria130 » (Coordinadora 1999-2000: 76) titre le premier

communiqué de la Coordinadora après le départ d’Aguas del Tunari. La Coordinadora est

sans contredit l’organisation qui s’est réappropriée le plus les événements de la guerre de

l’eau. Pour Oscar Olivera, le porte-parole, la guerre de l’eau fut la victoire de la démocratie

du peuple sur la pseudo-démocratie militaire de l’État et sur les transnationales étrangères.

Quelques mois plus tard, il a affirmé que la guerre de l’eau a été « un ejemplo de dignidad,

soberanía y de democracía » (Presencia, 11 Novembre 2000) et la « voz de la gente131 »

(Opinion 7 avril 2001). Ainsi, Olivera vient légitimer les actions de protestations qui se sont

déroulées entre les mois de janvier et d’avril en affirmant qu’elles étaient la volonté du

« peuple » contre un État corrompu. De plus, Olivera accuse le consortium de ne pas avoir

respecté le contrat qu’il avait signé avec le Superintendant de l’eau (Los Tiempos, 16

novembre 2000). Il remet ainsi en doute la crédibilité d’Aguas del Tunari sur sa capacité à

respecter le contrat. Pourtant, le mécontentement qu’avait suscité AdT n’était nullement relié

au fait de ne pas avoir respecté le contrat, mais bien au fait de l’avoir appliqué à la lettre. Pour

130 Et… récupérons notre victoire. 131 Un exemple de dignité, de souveraineté et de démocratie […] la voix du peuple.

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Olivera, la guerre de l’eau fut le premier événement de la lutte au néolibéralisme. Comme

nous l’analysons plus tard dans ce chapitre, cette première bataille au néolibéralisme a eu

l’effet d’un tremplin pour la promotion d’autres causes sociales. « Hemos ganado una batalla

que seguiremos ganando otras más, porque hay esperanza, hay futuro, hay vida132 »

(Coordinadora 1999-2000: 83). Bref, la Coordinadora se représente comme le grand

vainqueur de cet événement et se promet de l’être à nouveau. Ainsi, l’organisation citoyenne

délaisse la cause de l’eau au profit d’autres revendications sociales. Elle réutilise le rôle

qu’elle a joué dans la guerre de l’eau afin d’augmenter sa popularité. Cependant, ce ne sont

pas tous les acteurs qui peuvent se réapproprier la guerre de l’eau aussi facilement.

Le Comité Civique et la mairie de Cochabamba Le président du Comité civique, Mauricio Barrientos, et le maire de Cochabamba, Manfred

Reyes Villa, n’ont fait aucune déclaration médiatique suite à la résiliation du contrat d’AdT.

Leur « échec » était tel que sans faire de bruit, ils démissionnèrent tous deux de leurs

fonctions, avouant tacitement la légitimité de la démarche de la Coordinadora (La Prensa, 8

avril 2000). En 2002, Manfred Reyes Villa était à la tête du parti Nueva Fuerza

Républicana133 (NFR) lors des élections présidentielles. Durant la campagne électorale, son

parti politique s’est réapproprié la « victoire » d’avril 2000 et a bâti sa campagne électorale

sur la promesse qu’il finaliserait le projet Misicuni. Cette « politisation » de Misicuni a par la

suite été critiquée par le nouveau président du Comité civique, Roger Revuelta (La Voz, 25

avril 2002). Ainsi, en critiquant Reyes Villa, le président du Comité civique tentait de

reconquérir une certaine légitimité pour son organisation citoyenne.

Le Gouvernement Pendant que se déroulaient les événements d’avril, le gouvernement a pris la défense du

contrat de concession d’AdT et il a formellement accusé les narcotraficants d’être

responsables de ce désordre civil (El Mundo, 8 avril 2000). Lors de l’abdication du

gouvernement le 11 avril 2000, le président de la république, Hugo Banzer, a de nouveau

132 Nous avons gagné une bataille que nous poursuivrons en en gagnant d’autres en plus, parce qu’il y a de l’espoir, il y a un futur, il y a de la vie. 133 Nouvelle force républicaine.

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117

attribué la faute de ce soulèvement populaire aux narcotrafiquants qui cherchaient à

déstabiliser un État démocratique.

Como portavoz del gobierno, quiero denunciar ante la opinión pública una actitud de subversión absolutamente política, financiada por el narcotráfico, que tiene por fin destabilizar un gobierno constitucional, democráticamente elegido y suplantar a las instituciones legítima y legalmente constituidas por grupos, coordinadoras y movimientos que están al margen del orden constitucional y que quieren suplantar el estado de derecho por un estado de facto134 (Los Tiempos, 11 avril 2000).

Hugo Banzer, rappelons-le, a été un des dictateurs les plus importants que la Bolivie ait

connu durant les années de dictature comprises entre 1964 et 1982. Il est demeuré au pouvoir

de 1971 à 1978 (Lavaud 1991). Ses paroles n’étaient pas destinées aux Boliviens, mais bien à

la presse internationale et aux actionnaires du consortium AdT. Les Boliviens se souviennent

de la dictature de Banzer et savent très bien que, lors de la guerre de l’eau, ce sont les

militaires et non les narcotrafiquants qui ont été responsables de l’escalade de violence. Cette

mise en cause des narcotrafiquants est une utilisation stratégique du président pour montrer à

la communauté internationale le sérieux de la Bolivie en matière d’éradication de la culture

de coca. Banzer utilise le symbole des narcotrafiquants afin de justifier la répression de l’État

et discréditer le mouvement citoyen dirigé par la Coordinadora. En Bolivie, la distinction

entre coca et cocaïne est très claire. La coca est légale et la cocaïne ne l’est pas. Le président

a fait cette déclaration, car Evo Morales est le principal représentant du mouvement de

protection des cultivateurs de coca, les cocaleros. Morales, en tant que personnage politique

important en Bolivie, s’était prononcé en faveur des actions de la Coordinadora. Banzer tente

aussi d’associer producteur de coca et narcotrafiquant aux yeux de la communauté

internationale et ainsi discréditer Evo Morales, qui est le chef du parti politique Movimiento

al Socialismo (MAS), un des principaux partis de l’opposition. Ces éléments montrent bien

que ce discours du président était destiné à la communauté internationale.

134 Comme porte-voix du gouvernement, je veux dénoncer devant l’opinion publique une attitude de subversion absolument politique, financée par le narcotrafic, qui a pour fin de déstabiliser un gouvernement constitutionnel, démocratiquement élu, ayant des institutions légitimes et légalement constituées pour le remplacer par des groupes, des mouvements qui sont en marge de l’ordre constitutionnel et qui veulent supplanter l’État de droit pour un État de fait.

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118

Devant la possibilité de voir Aguas del Tunari poursuivre la Bolivie pour bris de contrat, le

gouvernement a subitement changé son discours et accuse désormais le consortium d’être le

responsable de la guerre de l’eau. En septembre, Ana María Cortés, la déléguée

présidentielle, accuse formellement Aguas del Tunari d’être coupable de son insuccès auprès

de la population (Los Tiempos, 7 septembre 2000). Un mois plus tard, le gouvernement

renforce sa nouvelle position en déclarant qu’il n’indemnisera jamais Aguas del Tunari, car

ce dernier n’a pas été en mesure de réaliser le projet Misicuni (Última Hora, 7 octobre 2000).

Il rejoint ainsi la position de la Coordinadora. Comme nous l’analysons plus tard, dans ce

chapitre, le gouvernement n’avait pas intérêt à remettre la faute sur les narcotraficants, car

cela signifiait que le gouvernement bolivien n’avait pas été en mesure de protéger les intérêts

d’une compagnie étrangère. Par contre, lorsqu’il accuse AdT d’être le seul responsable de la

résiliation du contrat, il se met dans une position favorable à ce que la demande

d’indemnisation d’AdT soit discréditée.

Aguas del Tunari Le gestionnaire de l’eau, Aguas del Tunari, a quant à lui accusé le gouvernement d’avoir été

responsable de la révolte populaire. AdT prétend être la victime d’un contexte d’agitations

politiques créées par la mauvaise gestion de l’État. « La represión del gobierno a la

producción de la hoja de coca contribuyó a la agitación. Más aún, la legislación nacional de

aguas (sin relación a la concesión de Aguas del Tunari) puso restricciones a los nuevos

pozos – acción particularmente impopular para los pequeños granjeros y terratenientes

pudientes135 » (Shultz 2000-2002). Cette accusation d’AdT envers le gouvernement sera

réutilisée afin de poursuivre le gouvernement bolivien pour bris de contrat. De plus, les

représentants d’AdT semblent confondre l’appui politique des cocaleros du Chapare (région

amazonienne du département de Cochabamba) et le mécontentement des regantes,

représentés par la Fedecor. Ces deux groupes de paysans ne vivent pas dans les mêmes

régions du Département de Cochabamba et ne cultivent pas la même chose. Les regantes ne

font pas la culture de la coca, car le climat de la Vallée centrale ne le permet pas. Quoiqu’il

soit vrai que la Fedecor ait milité pour l’annulaiton de la loi 2029, il est aussi vrai que le

135 La répression du gouvernement à la production de la feuille de coca a contribué à l’agitation. En plus, la législation nationale sur l’eau (sans relation à la concession d’Aguas del Tunari) a amené des restrictions aux nouveaux puits – une action particulièrement impopulaire pour les petits agriculteurs.

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119

Codaef d’abord, et la Coordinadora ensuite, se sont opposés à la hausse tarifaire de l’eau et

au principe de privatisation. AdT passe volontairement sous silence la tarification. Les

raisons qu’il évoque ne sont donc que partiellement vraies. AdT ne se considère pas comme

une cause du conflit, alors qu’il était au centre du mécontentement.

En plus d’accuser le gouvernement d’incompétence, AdT a défendu son innocence à propos

de la nouvelle tarification en prétendant que la tarification dégressive (selon la

consommation) héritée de la Semapa était incohérente avec la façon de faire de l’entreprise.

Ainsi, AdT a justifié la modification de la structure tarifaire comme étant un moyen de la

redresser dans le but que cette dernière devienne progressive (voir Tableau 9). Finalement, le

consortium défend la nouvelle tarification en prétextant que pour réaliser Misicuni en deux

ans, il n’y avait pas d’autres solutions. « The Misicuni dam had become a collective obsession

and the municipality insisted that the dam be built during the first two years of our contract.

Consequently we used our financial model […]136» (Shultz 2000-2002). Cette argumentation

décrit bien l’importance du projet Misicuni pour la population de Cochabamba. Cependant,

ce que la rhétorique d’AdT ne dit pas est que le contrat prévoyait un profit annuel de 15 à 17

%. De plus, augmenter les tarifs avant l’amélioration des services ne fut pas une première

action populaire envers la communauté de Cochabamba. Ainsi, la compagnie a également sa

part de responsabilité dans le conflit.

La Banque mondiale Finalement, la Banque mondiale a été sollicitée à commenter cet échec de privatisation. La

Banque a non seulement répondu aux questions des journalistes Jim Shultz et Tomas Kruse,

mais elle a également produit deux rapports traitant respectivement de la privatisation de

l’eau en Bolivie et des projets de privatisations annulés dans divers pays.

L’argumentation de la Banque mondiale repose sur trois points. Premièrement, la

privatisation est une bonne chose en soit. Elle affirme que seulement 48 des 2500 projets de

privatisations d’infrastructures qu’elle a parrainés ont été annulés (Clive Harris et al. 2003).

Cependant, comme nous l’avons exposé dans le deuxième chapitre, il n’y a pas de corrélation

136 Le projet de barrage Misicuni est devenue une obsession collective et la municipalité insistait pour que le barrage soit construit durant les deux premièrs annnées de notre contrat. En conséquence, nous avons utilisé notre modèle financier.

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120

significative entre le pourcentage d’annulation de contrats et le taux d’insatisfaction envers

ces cas de privatisation. Le taux d’insatisfaction peut être beaucoup plus élevé que le taux

d’annulation de contrat. Deuxièmement, la Banque mondiale insiste beaucoup sur le fait que

le projet Misicuni a été la cause centrale de l’échec de la privatisation de Cochabamba. Selon

elle, le coût du projet étant trop élevé pour les moyens de la Bolivie, le gouvernement aurait

dû favoriser le projet Corani. « The Bank advised against proceeding with the Misicuni

project, […] the Bank favored the alternative project, known as Corani, as offering a lower-

cost, fully private-financed option which no tariff increases would have been permitted for at

least five years137 » (Shultz et Kruse 2000: 1). Cette déclaration de Wolfenshohn rejoint le

troisième point de l’argumentaire de la Banque mondiale, soit l’augmentation des tarifs qui a

été effectuée trop rapidement suite à la privatisation. En effet, la Banque mondiale préconise

un certain laps de temps entre la privatisation et l’augmentation des tarifs afin permettre au

consommateur de constater l’amélioration des services offerts. Sinon, la Banque mondiale

note que « les consommateurs ont eu l’impression de payer simplement plus cher un service

restant de piètre qualité. L’opposition au relèvement des tarifs […] a pris rapidement de

l’ampleur » (Banque mondiale 2002: 3). Bref, pour la Banque mondiale, le cas bolivien

démontre que la privatisation peut également connaître des ratés. Cependant, comme le

démontrait l’autoévalutation de sa politique de gestion de l’eau, la solution au problème est

« d’adopter une approche pragmatique adaptée aux réalités locales » afin que l’ouverture du

secteur à des prestataires privés se traduisent par des avantages tangibles (Banque mondiale

2002: 3).

Finalement, la Coordinadora accuse la gestion néolibérale dans son ensemble, le président du

Comité civique et le maire démissionnent ; le gouvernement accuse les narcotraficants, puis

l’incompétence d’AdT; ce dernier accuse la mauvaise gestion du gouvernement et la Banque

mondiale remet également en cause la gestion gouvernementale de la privatisation en plus de

l’augmentation hâtive de la tarification par AdT. Tous ces arguments détiennent une part de

vérité et une part de mensonges. Chacun des acteurs est indirectement responsable de la

guerre de l’eau, tandis que les grands perdants sont les citoyens de Cochabamba qui se voient

137 La Banque avait donné une opinion opposée au projet Misicuni, […] la Banque favorisait l’autre projet, connu sous le nom de Corani, il offrait un coût plus bas, un financement totalement privé sans augmentation de tarifs pour une période d’au moins cinq ans.

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une fois de plus aux prises avec un rapport précaire à la ressource hydridque. Ces différentes

interprétations nous introduisent aux chassés-croisés des relations de pouvoir durant la

période de la renationalisation. Cette période est marquée par une augmentation du nombre

d’acteurs et par une plus grande prédominance de l’échelle internationale dans leur relation.

Retour à la gestion publique de la Semapa Le retour de l’administration de la Semapa a été effectué à la hâte lors des événements d’avril

2000. Au départ, l’incertitude régnait quant à la structure administrative de l’entreprise, son

mandat, ses objectifs d’investissement et même l’état de ses finances. Depuis, l’euphorie et

l’enthousiasme du retour de la Semapa ont laissé place à la prise de conscience de la réalité

financière de l’entreprise. La Semapa a changé la structure de son conseil dadministration,

incorporant une forme de représentation citoyenne par le biais du suffrage universel. Ce

nouvel aspect avait pour principe de donner un « contrôle social » à la Semapa. Cette

nouvelle façon de faire a amené une vision sociale très importante, amenant entre autre la

Semapa à geler ses tarifs et à subventionner l’eau pour certains quartiers périphériques

pauvres. Cette logique administrative va à l’encontre de la Politique de gestion de l’eau de la

Banque mondiale. Cette tarification, jumelée à sa dette qu’AdT n’avait pas payée et à la

volonté du gouvernement de ne pas subventionner l’entreprise, maintiennent la Semapa dans

une précarité financière aigue. Malgré tout, la Semapa a réussi à améliorer l’étendue de son

réseau de distribution ainsi que la qualité de son eau en recevant du financement de différents

organismes internationaux, selon un principe de demandes de subventions étudiées à la pièce.

Il faut mentionner que contrairement à Aguas del Tunari, la Semapa n’a pas à réaliser le

projet Misicuni, ce qui lui permet de consacrer ses dépenses à la distribution de l’eau.

La participation citoyenne à la Semapa Suite au succès de la consultation populaire organisée par la Coordinadora, la Semapa a

intégré une forme de représentation citoyenne au sein de son conseil d’administration.

Désormais, la Semapa compte trois représentants issus de la population. Ainsi, la ville est

divisée en trois circonscriptions (nord, centre, sud) comprenant chacune un représentant. De

plus, le conseil d’administration compte deux représentants nommés par la mairie de

Cochabamba, un par le syndicat de l’entreprise et un par la Fédération des professionnels de

l’entreprise. Ainsi, la Semapa compte sept administrateurs (CEDIB 2004). Lors de la mise en

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122

place de cette mesure démocratique, la Coordinadora a applaudi cette initiative. Cependant,

après deux élections ayant attiré très peu d’électeurs et ayant eu des problèmes d’irrégularités

dans la procédure, les critiques de la Coordinadora ont refait surface. Lors des premières

élections en mai 2002, il y a eu 597 votes dans la zone nord, 648 dans la zone centrale et

1600 dans la zone sud pour un total d’un peu moins de 3000 votes (Los Tiempos, 2 mai

2002). Les élections de 2004 qui devaient avoir lieu en mai ont été reportées au mois de

septembre pour cause d’irrigularités dans les procédures (Los Tiempos, 7 mai 2004). En

septembre, la participation a été semblable à celle de 2002, à savoir 947 votes dans la zone

nord, 2041 dans la zone centrale et 667 dans la zone sud pour un total d’un peu plus de 3500

votes (Los Tiempos, 27 septembre 2004). Ce taux de participation, avoisinant 1 %, est

nettement inférieur au taux de participation de la consultation populaire qu’avait organisé la

Coordinadora (environ 20 %) et à celui des élections municipales de 2004 (environ 65 %)

(Corte Nacional Electoral 2005).

Lors d’un débat public sur la gestion de la Semapa, Carmen Peredo, membre active de la

Coordinadora et de la Fedecor, a affirmé que le problème de la participation était le résultat

d’une mauvaise organisation des élections, faisant en sorte que la population était mal

informée de ses droits et de ses devoirs. « El 95 % de la poblacíon no sabe que tiene

directores sociales, a consecuencia de esto no existe ningún control de la sociedad a los

directores138 » (CEDIB 2004). Ainsi, elle indique explicitement que la portée décisionnelle

de la société sur la Semapa demeure déficiente. Cependant, ce taux de participation très bas

démontre un autre phénomène : le délaissement de la problématique locale de l’eau par la

Coordinadora. Normalement, la Coordinadora aurait également pu faire une campagne

d’information au sujet de l’élection du conseil d’administration de la Semapa, au lieu de

simplement critiquer après coup le manque d’information à la population.

La Mission sociale de la Semapa D’une manière générale, les citoyens de Cochabamba sont satisfaits du rôle social de la

Semapa même si, dernièrement, quelques critiques ont été formulées. Dans son mémoire

annuel de 2003, la Semapa décrit la mission de l’entreprise. « Es la de lograr el servicio de

138 95 % de la population ne savent pas qu’ils ont des directeurs issuent de la société, cela a pour conséquence qu’il n’existe aucun contrôle de la société sur les directeurs [de la Semapa].

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agua potable y alcantarillado sanitario a toda la área de concesión, [...] a través de una

gestión que garantice su sostenibilidad, con control social139 » (Semapa 2003d: 9).

Comme exemple de gestion sociale, la Semapa a gelé les tarifs de l’eau au prix d’octobre

1999. De plus, les dirigents de l’entreprise publique affirment qu’ils ont l’intention de

maintenir le même tarif à moyen terme (Opinión, 12 octobre 2000). Non seulement la

Semapa conserve les tarifs d’avant la gestion d’AdT, mais elle réduit les tarifs pour les

nouveaux usagers de la zone sud de la ville par souci d’équité sociale. Le gérant de

l’entreprise a annoncé 12 000 nouvelles connexions pour l’année 2004 et 19 000 autres en

2005 (Los Tiempos, 7 mars 2005) (voir Figure 27). Le raccordement est complètement payé

par l’entreprise et le coût de l’eau défie toute concurrence ! Vous pouvez comparer le tarif au

mètre cube, aux prix de l’eau des Tableaux 9, 10 et 13.

Tableau 13 : Le prix de l’eau subventionné pour la Zone sud Consommation (m3) Tarif (Bs) Tarif par m3 (Bs)

< 5 1 0,20 5 3 0,60 10 6 0,60 15 9 0,60 16 14 0,88 17 19 1,11 18 24 1,33 19 29 1,53 20 34 1,70 25 59 2,36 30 84 2,80

Source : (Gente, 7 janvier 2004)

139 C’est de donner le service d’eau potable et d’égoût pour l’aire de concession, […] à travers une gestion qui garantie sa viabilité économique, avec un contrôle social.

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Figure 27 : Travaux d’excavation de la Semapa pour l’extension du réseau de distribution d’eau dans la zone sud

Source : (Semapa 2003d)

Dans cette nouvelle tarification, nous remarquons que la Semapa a instauré une tarification

progressive de la consommation. Ainsi, la Semapa améliore une structure tarifaire qui avait

d’ailleurs été critiquée par l’administation d’AdT. Lors de la diffusion de cette nouvelle, le

gérant de la Semapa, Gonzalo Ugalde, a commenté que l’entreprise pourrait revoir la

tarification des autres catégories d’usagés, afin qu’elles soient davantage équitables. « Las

categorías que rigen en Semapa no son las más adecuadas y queremos que sea justa donde

los que consuman poco prácticamente no paguen por el líquido elemento. Estarían

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subvencionados porque su condición de vida está muy por debajo de los estándares140 » (Los

Tiempos, 7 janvier 2004). Cette annonce à reçu un appui très favorable de la population.

Malgré cette bonne intention d’offrir le meilleur service au meilleur coût, et ce dans une

condition économique difficile, la Semapa a reçu quelques critiques de la Fedecor concernant

la consommation trop élevée de l’eau des puits d’El Paso (Los Tiempos, 5 mai 2002). Cette

critique nous rappelle les relations belliqueuses entre la Fedecor et la Semapa avant la guerre

de l’eau. Cependant, ces critiques restent isolées et se sont résorbées avec l’annonce conjointe

de la Semapa-Misicuni que la communauté d’El Paso aura de l’eau gratuitement lorsque le

barrage principal de Misicuni sera terminé (Los Tiempos, 5 août 2003). Toutefois, l’aspect le

plus difficile de la gestion de la Semapa n’est ni les élections, ni sa relation avec la Fedecor,

mais sa situation financière très précaire.

La réalité financière précaire de l’entreprise publique Mécontent de la tournure des événements d’avril, le gouvernement a réagi en continuant

d’appliquer les recommandations de la Politique de la gestion de l’eau de la Banque

mondiale, c’est-à-dire qu’il s’est engagé à ne pas financer la Semapa. De plus, le

gouvernement a prétendu que l’entreprise publique allait être obligée d’augmenter sa

tarification de l’eau afin d’avoir un budget équilibré. « Esto quiere decir que Semapa no tiene

presupuesto, [...] y que se verá obligada a ajustar las tarifas141 » (Opinión, 11 octobre 2000).

De plus, dans le contrat d’AdT, il était prévu que le consortium paye la dette que la Semapa

avait accumulée avant 1999. Une fois le contrat annulé, cette dette a refait surface dans la

planification budgétaire de l’entreprise publique. Le gouvernement insiste pour que la

Semapa paye sa dette et le gérant de cette dernière, Jorge Alvarado (2000-2002) refuse en

prétextant que la dette a été accumulée alors que la Semapa était une entreprise gérée par

l’État central (comparativement à municipal depuis 1997) et donc que l’État avait la

responsabilité de payer cette dette (Opinión, 6 décembre 2000). La dette de l’entreprise se

chiffre à 30 millions de dollars US, dont sept à l’entreprise publique Misicuni (Los Tiempos,

30 novembre 2000). Pour l’instant, la Semapa paye les frais minimums des intérêts de sa

140 Les catégories que régissent la Semapa ne sont pas les plus adéquates et nous voulons que [la tarification] soit juste, où les gens consomment peu, qu’ils payent pratiquement rien pour le liquide élémentaire. Ils seraient ainsi subventionnés parce que leur condition de vie est très au-dessous des moyennes. 141 Cela veut dire que la Semapa n’avait pas été planifiée dans le budget, […] et qu’elle sera obligée d’ajuster les tarifs.

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dette et négocie toujours avec le gouvernement pour que ce dernier se charge de payer la

dette (Opinión, 20 août 2004).

Malgré ce refus du gouvernement central de subventionner la Semapa, cette dernière a réussi

à obtenir du financement par le biais de divers organismes internationaux. Par exemple, la

Semapa a reçu 18 millions de dollars US de la Banque Interaméricaine de Développement

(BID), via le Fonds National de Développement Régional (FNDR) (Opinión, 9 mars 2002).

Dernièrement, la Semapa a reçu 2,2 millions de dollars US de la Corporation Andine de

Financement (CAF) (Los Tiempos, 16 juin 2004) et a été sélectionnée comme étant

l’organisme ayant un des six projets les plus importants (sur 260 projets de 66 pays), lors

d’un concours de l’Union International pour la Conservation de la Nature tenu a Bangkok en

Taïlande. Ainsi, cet organisme donnera 3,5 millions de dollars à la Semapa afin que cette

dernière puisse accélérer son projet « Agua para todos142 », qui prévoit étendre le réseau de

distribution d’eau potable dans la zone sud de la ville (Los Tiempos, 13 décembre 2004).

D’ailleurs, tous ces financements servent à améliorer l’état des infrastructures et à offrir de

meilleurs services à la population (voir Figures 28 et 29). Ainsi, la Semapa n’est pas

indépendante financièrement, l’entreprise locale entretient une certaine dépendance envers les

bailleurs de fonds internationaux.

Dans les circonstances financières actuelles de la Semapa, les relations avec l’entreprise

Misicuni sont cordiales. Le coût d’achat de l’eau de Misicuni est meilleur marché que la

perforation de nouveaux puits. Cette situation permet à la Semapa de produire une eau à

moindre coût et ainsi de maintenir les tarifs bas pour ses usagers (Los Tiempos, 23 mars

2005). Quant à elle, l’entreprise publique Misicuni est dans la même situation financière que

la Semapa. Une fois le contrat avec AdT annulé, Misicuni est demeurée avec tous les travaux

à effectuer sans avoir réellement de revenu de la vente de l’eau ou de l’électricité. Voyons

dans quel contexte le projet Misicuni s’est développé depuis avril 2000.

142 L’eau pour tous.

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Figure 28 : Travail de canalisation de l’eau de surface dans la cordillère

Source : (Semapa 2003d)

Figure 29 : Canalisation de l’eau de surface dans la cordillère Tunari

Source : (Semapa 2003d)

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128

La poursuite du projet Misicuni Malgré le départ d’Aguas del Tunari, la réalisation du projet Misicuni s’est poursuivie. La

Bolivie s’est trouvée un premier bailleur de fonds avec l’Italie qui finance une partie de la

réalisation du projet. Cependant, étant donné ses finances précaires, le projet Misicuni est

désormais prévu dans un plus long terme que ce qui avait été prévu dans le contrat avec AdT.

Lentement mais sûrement, les premières gouttes d’eau sont arrivées le 22 mars 2005 dans la

ville de Cochabamba (Los Tiempos, 23 mars 2005). Cinq ans après la guerre de l’eau,

Misicuni continue à être réaproprié par les discours politiques et l’envergure du projet est

toujours en discussion. Pour les citoyens de Cochabamba, ce projet est un rêve qui se fera

dans en tenant compte des contraintes financières, ce qui ne peut que décevoir une population

en espérance.

Le financement du projet Suite au départ d’Aguas del Tunari, l’entreprise publique Misicuni est recréée afin de réaliser

le projet qui porte son nom. À cette époque, le gouverment estimait à 178 millions de dollars

US le coût total des travaux qui restaient à effectuer (tunnel, barrage, centrale

hydroélectrique, etc.) (Última Hora, 25 août 2000). L’exécution du projet doit s’échelonner

sur plus d’une décennie. La première étape était de terminer le tunnel principal reliant le

réservoir à la centrale hydroélectrique. Cette étape, qui a été entamée en 1997, s’est terminée

en 2002, grâce au financement du gouvernement italien. Malgré quelques controverses entre

Misicuni et l’entreprise italienne qui effectuait les travaux, le gouvernement italien a même

revu à la hausse sa contribution financière pour que le projet se réalise comme prévu

(Opinión, 15 mars 2002). À cette subvention italienne, la Corporation Andine de

Développement (CAF) a ajouté 11 millions de dollars US afin que le revêtement intérieur du

tunnel soit complété et qu’il puisse ainsi être mis en opération le plus rapidement possible

(Los Tiempos, 30 septembre 2003). Récemment, une fois le tunnel terminé, l’Italie a proposé

de continuer sa collaboration au projet Misicuni avec un prêt de 20 millions d’Euros à 0,5 %

d’intérêt (environ 27 millions de dollars US) pour effectuer le barrage principal. Le coût du

barrage étant évalué à 38 millions de dollars US, la CAF serait amenée à verser le reste de la

somme. Pour le moment, les négociations se poursuivent afin de trouver des sources de

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financement supplémentaires. À ce propos, le Brésil a démontré un intérêt à investir dans le

projet Misicuni (Los Tiempos, 8 juin 2004).

Déjà, en décembre 2004, la CAF a accordé un prêt de 7 millions de dollars US à Misicuni

pour commencer les travaux du barrage, en plus de 5 millions à la Semapa pour qu’elle

rénove les infrastructures de distribution d’eau du centre-ville. Les tuyaux étant vétustes,

l’entreprise publique perdait plus du tiers de son eau en raison des fuites. Avec cette

subvention, la Semapa sera en mesure de récupérer une quantité d’eau non négligeable en

plus de consolider son réseau afin de pouvoir distribuer efficacement la venue d’une nouvelle

quantité d’eau. Ainsi, une nouvelle phase du projet Misicuni est mise en chantier (Los

Tiempos, 14 décembre 2004). Le projet prend forme lentement, malgré des retards successifs

par rapport aux différentes prévisions énoncées au cours des cinq dernières années (voir

Tableau 14). La réalité économique du projet est toujours au centre des préoccupations, le

projet original Misicuni pourrait être revu à la baisse.

Projections et réalisation du projet Misicuni Les projections de la réalisation des différentes étapes de construction du projet Misicuni ont

été nombreuses. Cependant, elles ont sans cesse été revues et corrigées. Le projet Misicuni

est plus long à faire que ce qui était prévu (voir Tableau 14). Finalement, les premières

gouttes d’eau sont arrivées au mois de mars 2005. Pour la première fois, les citoyens de

Cochabamba peuvent bénéficier d’une augmentation substentielle du volume d’eau dans le

système de distribution de la Semapa. Selon toute vraisemblance, la première phase du projet

Misicuni devrait être complétée en 2007 ou en 2008. Par ailleurs, le projet actuel est plus

modeste que celui qui avait été élaboré avant la venue d’AdT puisqu’il a encore une fois été

revu à la baisse. Par exemple, le barrage principal ne devrait pas dépasser 85 mètres.

L’entreprise ne peut donc pas réaliser le barrage initial qui était de 120 mètres, ou même le

barrage de « Misicunito » qui était de 95 mètres. L’entreprise espère pouvoir élever le barrage

à 120 mètres lors de la deuxième phase, mais ne peut pas réaliser le tout dès maintenant, faute

d’argent (Opinión 1er septembre 2004).

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Tableau 14 : Misicuni, un projet entre rêve et réalité

Partie du projet Émission de la projection Projection fin des travaux Date de réalisationExcavation du tunnel principal 24 août 2000 2002 16 juin 2004Recouvrement du tunnel 17 avril 2001 Février 2003 Décembre 2004Excavation du tunnel principal 23 janvier 2002 Avril 2002 16 juin 2004Recouvrement du tunnel 23 janvier 2002 Mars 2003 Décembre 2004Recouvrement du tunnel 21 octobre 2002 Décembre 2003 Décembre 2004Vente d'eau à la Semapa 21 octobre 2002 Décembre 2003 22 mars 2005Vente d'eau pour irrigation 21 octobre 2002 2006 Non réaliséBarrage principal 21 octobre 2002 2005 Non réaliséCentrale hydroélecrique 21 octobre 2002 2006 Non réaliséProjet Misicuni (1ère phase) 21 octobre 2002 2005 Non réaliséProjet Misicuni (1ère phase) 29 mars 2003 2006 Non réaliséProjet Misicuni (2e phase) 6 septembre 2003 2015 Non réaliséProjet Misicuni (3e phase) 6 septembre 2003 Après la 2e phase Non réaliséProjet Misicuni (1ère phase) 8 juin 2004 2007 Non réaliséVente d'eau à la Semapa 28 décembre 2004 Février ou Mars 2005 22 mars 2005Vente d'eau à la Semapa 7 mars 2005 15 mars 2005 22 mars 2005Vente d'eau à la Semapa 15 mars 2005 20 mars 2005 22 mars 2005

Les projections de la réalisation du projet Misicuni

Source : Los Tiempos

Lorsque le président de l’entreprise a annoncé que le barrage n’aurait que 85 mètres,

plusieurs acteurs ont été offusqués de cette option trop conservatrice. La Coordinadora, le

Comité civique et la Société des ingénieurs ont tous déclarés être en faveur d’un projet

médian ayant un barrage de 105 mètres de haut (Opinión, 16 octobre 2004). Encore une fois,

les représentations de Misicuni comme étant un outil de développement régional ont été

utilisées pour faire la promotion d’un barrage plus haut. La Coordinadora a affirmé que :

No hay voluntad de las autoridades gubernamentales y ejecutivos de la empresa, para buscar el financiamento que garantice la ejecución total del proyecto, se están conformando con lograr el apoyo económico para una represa de sólo 85 metros. [...] El proyecto es decisivo en el desarollo de Cochabamba, por lo tanto todos los cochabambinos debemos pelear para que sea una realidad en el menor tiempo posible143 (Opinión, 2 septembre 2004).

Ce débat sur la hauteur du barrage était toujours en cours au début du mois de mars 2005. La

Coordinadora accuse les autorités gouvernementales de ne pas donner leur appui à la

réalisation du projet Misicuni. Cet argument est contestable, car depuis la guerre de l’eau,

tous les gouvernements et même les partis de l’opposition ont donné à maintes reprises leur

appui politique à la réalisation du projet. Si le barrage de Misicuni n’aura que 85 mètres, c’est 143 Il n’y a pas de volonté des autorités gouvernementales et exécutives de l’entreprise pour trouver le financement garantissant l’exécution totale du projet, ils se conforment à donner un appui économique pour un barrage de seulement 85 mètres. […] Le projet est décisif pour le développement de Cochabamba, pour ces raisons, tous les citoyens de Cochabamba doivent se battre pour que soit une réalité (le barrage de 105 m.) dans les plus brefs délais.

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parce que le gouvernement ne peut pas trouver plus d’argent. Malgré tout, depuis le 1er

janvier 2005, Misicuni est prêt à donner un premier 400 l/s d’eau à la Semapa en plus de 100

l/s pour l’irrigation dans l’ouest de la Vallée centrale de Cochabamba. Cependant, la Semapa

a été en mesure de recevoir cette eau qu’à la fin mars de la même année. L’entreprise devait

préalablement vérifier si ces conduites d’eau peuvent recevoir un tel volume d’eau (Los

Tiempos, 28 décembre 2004).

Les représentations et les appuis politiques à Misicuni Depuis que le projet a réellement été mis en chantier en 1997, un concensus règne au sein des

organisations politiques de Bolivie : il faut réaliser le projet Misicuni, car la stabilité

régionale en dépend. En 2002, pour cause de maladie, le président Hugo Banzer s’est retiré

de la politique et le vice-président, Jorge Quiroga a terminé les quelques mois du mandat de

l’ADN. Lors de l’inauguration du tunnel principal de Misicuni, le président Quiroga a

symboliquement affirmé que s’était « el agua al final del túnel144 » (El Deber, 16 juin 2002).

L’espoir est alors toujours présent de voir arriver de l’eau provenant du projet Misicuni,

malgré tous les retards et tous les ennuis financiers.

Même le président, Sánchez de Lozada, qui avait fait campagne contre le projet Misicuni et

pour le projet Corani en 1997, a donné son appui politique à Misicuni lors de son deuxième

mandat (2002-2003). « Irónicamente yo voy a tener que terminar ese proyecto, aunque dije

no era lo que teníamos que haber hecho. Yo lo voy a terminar, lo voy a sacar adelante. Lo

único que pido es que no hagamos política con el agua, miraremos el mejor proyecto y lo

haremos para que tengan agua145 » (Los Tiempos, 31 mars 2003). Avec cette déclaration, le

président a donné un appui politique très clair à la réalisation du projet Misicuni et s’est

engagé à réaliser la première phase avant la fin de son mandat (2007). Cependant, il ne veut

pas être critiqué pour les décisions qu’il doit prendre, comme la hauteur du barrage. Dans ce

discours, il donne un appui tacite au projet de barrage de 85 mètres. Sánchez de Lozada a

aussi utilisé Misicuni pour redorer son image politique. Alors que toute la Bolivie était contre

lui, un mois avant sa destitution en octobre 2003, il faisait une déclaration durant la fête de

144 L’eau au bout du tunnel. 145 Ironiquement, je vais avoir à terminer ce projet, même si j’ai dit que je n’avais pas à le faire. Je vais le terminer, je vais aller de l’avant. La seule chose que je demande est que nous ne fassions pas de politique avec l’eau, nous regardons pour le meilleur projet et nous le ferons pourqu’arrive l’eau.

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Cochabamba (14 septembre) en faveur de Misicuni. Il promettait alors de réaliser le projet

Misicuni, tout en faisant l’éloge de la région et du potentiel que le projet amènera à son

développement économique.

Como todos saben, se dio una solución a los problemas de Misicuni y le va a tocar a mi Gobierno terminar este proyecto que muchos prometieron y no cumplieron. [...] Cochabamba es el corazón de Bolivia y es la más golpeada por la crisis y el enfrentamiento social y esto no nos debería ni preocupar ni desalentar porque es la vitalidad de esta tierra que también va a dar soluciones a nuestros problemas146 (Los Tiempos, 15 septembre 2003).

Cette déclaration contraste avec celle, plus arrogante, du mois de mars. Elle a pour but de

renouer avec la popularité dans cette région. Sánchez de Lozada a donc réutilisé le symbole

du développement régional que promet le projet Misicuni. Cette stratégie n’aura cependant

pas été suffisante et le président a dû s’exiler aux États-Unis un mois plus tard.

Finalement, Carlos Mesa, celui qui assure la présidence depuis le départ de Sánchez de

Lozada, a déclaré que la réalisation de la première phase du projet Misicuni « es prioridad

nacional147 » (Los Tiempos, 6 novembre 2003). Ainsi, ce que revendiquaient les citoyens de

Cochabamba lors des élections de 1997 est devenu réalité. Les citoyens de Cochabamba

demandaient au gouvernement central d’aider leur région à réaliser ce projet. Depuis la

guerre de l’eau, par leurs appuis politiques, les différents gouvernements boliviens ont

contribué à faire avancer l’exécution du projet Misicuni.

Voyons maintenant le développement d’un dossier qui a été au cœur de la guerre de l’eau, la

législation encadrant la gestion de l’eau. Ne l’oublions pas, en plus de la tarification et de la

réalisation de Misicuni, l’adoption de la loi 2029 avait été au centre du mécontentement des

paysans et des populations périurbaines. La législation encadrant les droits de propriété de

l’eau est un élément fondamental dans la construction de la territorialité.

146 Comme tous le savent, une solution est donnée aux problèmes de Misicuni et il (projet Misicuni) sera pris en charge par mon Gouvernement qui terminera ce projet que beaucoup ont promis, mais qu’ils n’ont jamais accompli. […] Cochabamba est le cœur de la Bolivie et est le plus frappé par la crise et les affrontements sociaux et cela (le projet Misicuni) ne devrait ni préoccuper ni ralentir, parce que la vitalité de cette terre va aussi donner des solutions à nos problèmes. 147 Est une priorité nationale.

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La Ley de Riego, un long parcours Suite à la guerre de l’eau, le gouvernement de Hugo Banzer a rapidement modifié la loi 2029

encadrant la gestion de l’eau. Il a adopté la Ley de servicios de agua potable y alcantarillado

sanitario148 (loi 2066) en avril 2000. Suite à cette entente, les groupes de pressions

(Coordinadora et Fedecor) pensaient avoir réglé le problème de la reconnaisance des us et

coutumes des paysans. Tel n’a pas été le cas, car le gouvernement a inclus de nombreuses

clauses qui déplaisent aux paysans lors de la réglementation et de l’application de la loi en

2002. En réaction, la Fedecor a entamé une nouvelle vague de revendications. De ces

dernières, a émergé une nouvelle loi, la Ley de Promocion y Apoyo al Sector Riego (loi

2878)149. Celle-ci est pour l’instant très bien accueillie par les paysans.

De la loi 2029 à la loi 2066 La loi 2029 n’aura été en vigueur que six mois. Dès la mi-avril 2000, la loi 2066 la

remplaçait. Suite à cette substitution, la Fedecor avait crié « victoire », voyons pourquoi.

Rappelons-nous que la loi 2029 avait classé les propriétaires de l’eau en concessionnaire et

licencier. Le concessionnaire avait le monopole de la distribution de l’eau à l’intérieur de sa

concession et avait un contrat de 40 ans. Le licencier n’avait pas le monopole et devait

renouveler son contrat tous les cinq ans.

La loi 2066 classe désormais les utilisateurs en trois catégories : les concessions, les licences

et les registres. Les concessionnaires sont des entreprises publiques ou privées ayant un

contrat de 40 ans. Pour obtenir une concession, il doit y avoir plus de 10000 ménages

recevant l’eau potable. Ainsi, ce ne sont que les villes d’une certaine importance qui peuvent

détenir une concession. Les concessionnaires ont le devoir de distribuer l’eau sur leur

territoire, mais n’en on pas le monopole comme ils l’avaient avec la loi 2029. Ils doivent être

indépendants du financement de l’État. Par exemple, la Semapa est une entreprise publique

ayant une concession de 40 ans.

Détenir une licence de distribution d’eau est possible pour un regroupement de citoyens ayant

une organisation à but non-lucratif et un rôle social dans la communauté (Comité d’eau

148 Loi des services d’eau potable et traitements sanitaires (loi 2066). 149 Loi de promotion et d’appui au secteur de l’irrigation (loi 2878).

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potable, Association de voisins, Gouvernement de petites municipalités, etc.). Une licence est

octroyée pour un groupe de moins de 10 000 ménages. Par exemple, les associations de

distributions d’eau de la Zone sud de la ville de Cochabamba ont des licences. Ces derniers

peuvent devenir une enclave sur le territoire de la Semapa (concession), ce qui était

impossible avec la loi 2029.

Le registre est une nouvelle forme de propriété de l’eau, spécialement conçue pour les

paysans qui irriguent leur terre. Cette certification reconnaît les us et coutumes des

autochtones et elle est une façon de reconnaître les droits acquis des paysans à une source

d’eau servant à l’irrigation. Tout comme la licence, le registre en peut être décerné qu’à un

organisme ayant un but non-lucratif et ne peut être alloué qu’à des communautés où à un

groupe de citoyens paysans. Finalement, le registre et la licence sont octroyés pour une durée

de « vie utile », soit tant que la source d’eau est utilisée (CGIAB 2000, 2001).

Cette nouvelle loi a amené de grandes espérances pour la reconnaisance des droits acquis des

paysans autochtones de Cochabamba sur l’utilisation de l’eau de surface et des puits

communautaires. Cependant, les paysans ont été désenchantés très rapidement par

l’imposition de règlements rendant très difficile l’obtention de licences et de registres.

Un nouveau mécontentement en réaction à la réglementation de la loi 2066 Après avoir accepté la loi 2066, le président Banzer a refusé de la compléter d’une

réglementation (Presencia, 26 septembre 2000). Ce refus de réglementer la nouvelle loi, et

donc de permettre aux paysans de recevoir la reconnaissance de leur droit acquis à l’eau, a

engendré une fois de plus le mécontentement de la Fedecor. Omar Fernandez, le porte-parole

de la Fédération départementale des regantes menace alors le gouvernement d’une nouvelle

guerre de l’eau. « Si el gobierno quiere evitar graves conflictos debe respetar las conquistas

de abril; caso contrario, iniciaremos movilizaciones contundentes150 » (Opinión, 31 janvier

2001). La Fedecor a même été jusqu’à écrire la règlementation pour que le processus avance

plus rapidement et pour que le point de vue des paysans soit bien entendu par l’État.

Seulement, ces derniers ont dû attendre que le gouvernement de Sánchez de Lozada soit élu

en 2002 avant qu’une réglementation soit adoptée. 150 Si le gouvernement veut éviter de graves conflits, il doit respecter les conquêtes d’avril; dans le cas contraire, nous initierons un mouvement de protestations ferme.

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Encore une fois, les paysans se sont sentis floués par le gouvernement. Selon eux, plusieurs

règlements vont à l’encontre du sens de la loi 2066. Les principales clauses conflictuelles font

en sorte que pour détenir une licence ou un registre, les communautés doivent :

• Faire arpenter leur source d’eau. • Faire installer des compteurs d’eau aux puits. • Faire une nouvelle demande à chaque cinq ans prouvant que les installations n’ont

pas été dépréciées. • Doivent suivre un cours d’instruction en développement communautaire.

À cette réglementation, les paysans argumentent qu’il est impossible pour eux de se payer les

services d’un spécialiste pour faire la cartographie exacte des sources d’eau de surface. Ils

prétendent que le coût d’une seule localisation par GPS (positionnement géoréférencé par

sattelite) est de 100 dollars US. Les paysans argumentent également que le coût de

l’installation d’un compteur d’eau est trop cher pour qu’ils puissent se le payer. De plus, ils

sont insultés de se faire demander de suivre un cours sur le développement communautaire,

alors qu’ils vivent selon un mode de vie communautaire depuis des générations et que ce

mode de vie est au centre de leurs des us et coutumes. Finalement, pour ce qui est de faire

renouveler la licence ou le registre à tous les cinq ans, ils conçoivent que ce règlement va à

l’encontre de l’esprit de la loi 2066 qui stipule que ces deux formes de propriétés doivent en

principe être valides durant une durée de « vie utile ». Sur ce point le gouvernement rétorque

que si les équipements de distribution de l’eau déprécient, il se réserve le droit de ne pas

renouveler la licence ou le registre après cinq ans. Pour les paysans, « vida util es cuando el

servicio esta funcionando151 » (Crespo Flores 2004: 2). Donc, pour les paysans, les

installations peuvent très bien être dépréciées à un moment donné, tout en étant encore

fonctionnelles pour la distribution de l’eau.

Bref, après avoir demandé la réglementation à la loi 2066, les paysans la critiquent

sévèrement. Omar Fernandez, le porte-parole de la Fedecor prétend avoir plus de cent

propositions de changements à effectuer dans la réglementation de la loi 2066 (Los Tiempos,

21 mai 2004). Carmen Peredo, l’adjointe de Fernandez à la Fedecor va dans le même sens en

affirmant : « La intención de la GTZ y del gobierno fue desconocer la victoria que se había

logrado en la Guerra del Agua y en la ley 2066 que protegía los comités urbano-rurales y los 151 Vie utile est quand le service est en fonction.

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usos y costumbres152 » (CEDIB 2004). En parlant de la GTZ (l’organisation d’aide

internationale de l’Allemagne, équivalent de l’ACDI au Canada), Peredo fait référence à

l’aide que cette organisation a apportée à la Bolivie pour réglementer la loi 2066. Finalement,

Oscar Olivera a demandé l’annulation de la loi 2066 (La Voz, 23 novembre 2004). Encore

une fois, le respect des us et coutumes est au centre des revendications paysannes.

Un précédent de législation participative : la Loi de l’irrigation Contre toutes attentes, le président Carlos Mesa a proposé une nouvelle loi pour satisfaire les

demandes de la Fedecor. Un an après son arrivée à la tête du pays, Carlos Mesa a proposé

une loi encadrant l’utilisation de l’eau pour l’irrigation et la gestion paysanne. Ce qui est

exceptionnel dans le cas de cette nouvelle loi, c’est qu’elle a été fait à partir de la proposition

de réglementation de la loi 2066 que la Fedecor avait soumis à l’État en 2001. Donc, la Ley

de Riego a été construite par la population civile et adoptée par le gouvernement, à l’inverse

de la façon de faire habituelle. Omar Fernandez ne retient pas sa satisfaction en qualifiant la

nouvelle loi :

Es la primera vez que el Parlemento aprueba una ley hecha por el pueblo por los mismos interesados y usuarios del agua, esto nos permitirá tener documentos legales y respaldo jurídico » (La Voz, 30 septembre 2004). « Esta ley nace en el campo, en el corazón de la gente. [...] la Ley se basa en el respeto pleno de los usos y costumbres153 (Opinión, 5 octobre 2004).

La loi de l’irrigation crée le Service National d’irrigation (SENARI) et les Services

Départementaux d’irrigation (SEDERIs) qui sont des entités autonomes et indépendantes de

l’État. Les SEDERIs codifieront leurs us et coutumes pour chacune des communautés et le

SENARI sera une confédération de SEDERIs. La réglementation de la loi est présentement

élaborée conjointement avec la Fedecor. Cette nouvelle loi signale entre autres que les

paysans recevront le transfert des infrastructures et de leurs administrations. Ainsi, la

propriété des installations (par exemple un puits) ayant été financées par l’État ou une

152 L’intention de la GTZ et du gouvernement fut de ne pas reconnaître la victoire que nous avions obtenue durant la Guerre de l’eau et dans la loi 2066 qui protégeait les comités urbains et ruraux ainsi que les us et coutumes. 153 C’est la première fois que le Parlement approuve une loi faite par le peuple et par ceux-là même qui sont concernés et qui sont des utilisateurs de l’eau, cela nous permettra d’avoir des documents légaux qui nous appuierons juridiquement. Cette loi est née dans la campagne, dans le cœur des gens. […] la loi se base sur le respect entier des us et coutumes.

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organisation internationale continuera à être publique (de l’État), mais l’administration sera

faite au sein de la communauté (Opinión, 9 octobre 2004). Cette nouvelle approche vient

remplacer les registres de la loi 2066. La propriété des sources d’eau demeure donc à l’État,

mais son administration est effectuée par la population locale. Ainsi, les us et coutumes sont

reconnus par cette nouvelle loi.

Finalement, le sénateur responsable de la promotion de la loi, Marcelo Aramayo (un

autochtone du Mouvement vers le Socialisme – MAS), a signalé que cette loi « tiene la

significación de la Ley de Reforma Agraria154 » (Opinión, 9 octobre 2004). Il qualifie ainsi

indirectement la Ley de Riego de « révolution tranquille » dans la reconnaissance des us et

coutumes des paysans. Innatendue, mais très appréciée, cette nouvelle loi reconnaissant

pleinement les us et coutumes des communautés autochotones paysannes est le résultat de

plusieurs années de revendications de la part de la Fedecor. La loi de l’irrigation amène une

nouvelle relation de dialogue entre les paysans et l’État. De plus, cette loi survient dans un

contexte où le gouvernement de Carlos Mesa tente de plus en plus de faire participer la

population bolivienne à la gouvernance du pays afin de solidifier la démocratie bolivienne

qui est, encore aujourd’hui, chancelante. Cet aboutissement politique actuel est le résultat de

diverses périodes d’instabilités politiques qui trouvent leurs sources dans la guerre de l’eau.

Les revendications de la Coordinadora suite à la guerre de l’eau Suite à la « victoire » de la Coordinadora lors de la guerre de l’eau, la scène socio-politique a

rapidement changé en Bolivie. D’abord, la population autochotone s’est organisée pour la

première fois sous la forme de partis politiques nationaux lors de l’élection présidentielle de

2002. De plus, la Coordinadora a continué ses revendications sociales auprès du

gouvernement. Pour Oscar Olivera, la guerre de l’eau n’était que le début de la lutte au

néolibéralisme. En janvier 2005, les villes de La Paz et d’El Alto ont mis fin au contrat de

concession qui les liait au consortium Aguas del Illimani. Plusieurs analystes considèrent déjà

l’annulation de ce contrat comme une répercution directe du précédent litige sur la gestion de

154 Cette loi à la même importance que la Loi de la Réforme Agraire. (La loi de la réforme agraire a été effectuée lors de la Révolution de 1952.)

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l’eau de Cochabamba. En effet, il est pertinent de se questionner sur l’impact politique qu’a

eu la guerre de l’eau de cochabamba à l’échelle nationale.

La crise démocratique Depuis 1952, la Bolivie a une histoire politique complexe. Cette année est celle de la

Révolution nationaliste organisé par le Movimiento nacionalista revolucionario155. Il s’en

suit une période de 12 ans de démocratie contrôlée par le MNR. De 1964 à 1982, la Bolivie

est très instable, les dictatures se succèdent et le pays connaît autant de dictateurs qu’il y a

d’années dans cette période. Le dictateur emblématique de cette période est Hugo Banzer

(1971-1978). En 1982, c’est le retour de la démocratie, mais la population autochtone (70 %

de la population nationale), paysanne et pauvre ne participent que très peu à la démocratie et

la scène politique est dominée et contrôlée par la minorité blanche, urbaine et riche. (Lavaud

1991, 2000, 2002). En général, la population autochtone vit selon le modèle des Ayllu

(tradition de vie communautaire inca) et n’a jamais participé activement à la vie politique

nationale (Albó 2002) (voir Figure 30).

Figure 30 : Contestation des élections par les autochtones156

Source : Lavaud 2002

155 Mouvement nationaliste révolutionnaire (MNR). 156 Cette photographie nous montre un regroupement de femmes quechuas de Cochabamba faisant une grève de la faim et faisant la promotion de l’abstention lors des élections. On peut lire sur la pancarte : « Peuple, contre la tromperie des politiciens, abstenons-nous aux élections.

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Pour un groupe de chercheurs du Programme de recherches stratégiques en Bolivie (PIEB),

la crise de Cochabamba a été favorisée par ce contexte de démocratie partielle où certains

groupes majoritaires étaient très mal représentés (García et al. 2003). Pour Jean-Pierre

Lavaud (2002), la guerre de l’eau de Cochabamba a eu un effet de rupture sur la politique

nationale. Il évoque le fait que c’est seulement depuis cet événement politique que les

populations autochtones participent pleinement à la démocratie bolivienne (voir Figure 31).

Figure 31 : Participation autochtone aux élections de 2002

Source : La Prensa

Au contraire, un autre groupe de chercheurs boliviens avance que la démocratie

représentative, telle que nous la connaissons, n’est pas pas une forme de représentation qui

soit viable et envisageable pour les peuples autochotones, et principalement pour la nation

aymara. Ils soulignent que la guerre de l’eau de Cochabamba a été un exemple de cette

organisation politique communautaire s’opposant à la conception même de l’État. « La

rebelión de abril es la victoria de la forma multitud sobre el estado157 » (García Linera et al.

2000: 148). Selon ces auteurs, non seulement les événements de la guerre de l’eau n’ont pas

incité les autochtones à participer davantage à la démocratie, mais ils les encouragent à

renverser l’État (García Linera et al. 2000; Viana Uzieda 2000; Gutiérrez et al. 2002).

Quelle est la thèse correspondant le mieux à la réalité bolivienne ? Curieusement, toutes les

thèses de ce débat détiennent une part de vérité, car le président Carlos Mesa a promis

d’implanter une Assemblée constituante au mois d’août 2005. Cette assemblée a pour but de 157 La rébellion d’avril est la victoire de formes de vies multiples (la convergence de la multitude des organisations) sur l’État.

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renforcer la participation politique citoyenne (surtout autochtone). Ainsi, cette voie, jumelée

au succès des deux partis politiques autochotones (MAS, MIP) lors des élections de 2002,

puis au fort taux de participation au référendum de juillet 2004 (61 %), semble donner raison

à la thèse Lavaud. La participation populaire organisée par la Coordinadora durant la guerre

de l’eau aurait été un élément déclencheur pour favoriser la participation citoyenne à la

démocratie. Selon les principes de l’Assemblée constituante, le pouvoir du gouvernement

central dans l’État perd de sa liberté au profit d’un plus grand concensus avec la population.

L’Assemblée constituante sera en effet fortement inspirée de la tradition communautaire

aymara et a pour but que les décisions soient prises par la base populaire et qu’elles soient

ensuite adoptées par le gouvernement. Paradoxalement donc, le gouvernement perd de ses

pouvoir au profit de la population, afin de consolider la démocratie. Cependant, le clivage

entre la consolidation de la démocratie et la déstabilisation de cette dernière est bien présent.

À titre d’exemple, le président Carlos Mesa a voulu démissionner le dimanche 6 mars 2005 à

cause d’une grande instabilité politique dans le pays due à des manifestations réclamant sa

démission. Cependant, sa demande de démission a été refusée par le congrès bolivien suite à

des manifestations spontannées appuyant le président et s’opposant à son départ (Los

Tiempos, 7 mars 2005). Finalement, le président prévoit la tenue d’une élection présidentielle

anticipée au mois d’août 2005. Cette annonce a calmé les Boliviens qui réclamaient le départ

du président et ceux qui réclamaient qu’il reste. C’est un exemple du paradoxe de la

consolidation et de la déstabilisation simultanée de la démocratie bolivienne.

L’Assemblée constituante n’est pas une proposition de l’État à la population, mais plutôt une

demande que cette dernière a formulé lors des événements d’octobre 2003. D’ailleurs, suite à

la guerre de l’eau de Cochabamba, la Coordinadora del Agua158 a soutenu plusieurs causes

ne se rattachant pas seulement à l’eau, mais bien à la lutte au néolibéralisme et à

l’amélioration de la participation démocratique. C’est pour cette raison que cette dernière

abandonne le « del Agua159 » de son nom. La Coordinadora est même allée jusqu’à ajouter

« del Gas160 » lors du conflit relié à la gestion des hydrocarbures boliviens. Ainsi, la

158 La Coordination de l’eau. 159 De l’eau. 160 Du Gaz.

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Coordinadora est devenue un mouvement de revendications sociales allant beaucoup plus

loin que la problématique de l’eau qui l’avait fait naître.

Les nouvelles revendications de la Coordinadora « Ayer luchamos por el agua, hoy y mañana por nuesta libertad161 » titre le communiqué du

25 juillet 2000 envoyé par la Coordinadora aux journaux de Cochabamba. Comme nous

l’avons développé dans le quatrième chapitre, une fois AdT parti de Cochabamba, la

Coordinadora n’avait plus de raison d’être. Cependant, afin de ne pas mourir, l’organisation

citoyenne a défendu d’autres causes depuis cinq ans, devenant ainsi un organisme de lutte

permanente au néolibéralisme. De plus, la Coordinadora tente de devenir un organisme de

revendications ayant une portée nationale, plutôt que régionale.

Par exemple, la Coordinadora revendique la révision de la loi INRA (la loi de la réforme

agraire de 1952). Olivera commente cette nouvelle revendication en disant que : « aquí no se

trata de temas estrictamente regionales o particulares, sino de preocupaciones

nacionales162 » (Opinión, 26 septembre 2000). La Coordinadora revendique aussi le droit de

cultiver la feuille de Coca (Opinión, 11 octobre 2000), la baisse du tarif de l’électricité

(Opinión, 31 janvier 2001), un changement dans la Loi de l’électricité jugée trop favorable

aux entreprises étrangères (Opinión, 1er août 2002) et elle s’oppose à toutes formes de

privatisation de l’eau et demande à ce que l’eau soit une ressource excluse du traité de la futur

Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA) (Los Tiempos, 26 novembre 2003). À partir de

septembre 2003, lors du fort mécontentement des Boliviens face à la gestion des ressources

d’hydrocarbures par le gouvernement de Sánchez de Lozada, la Coordinadora modifie son

nom en ajoutant « del Gas » et organise une vaste coalition nationale faisant la promotion de

la nationalisation des hydrocarbures. « ¡El Gas es Nuestro, Nacionalización Ya !163 » est le

nouveau slogan de la Coordinadora (Los Tiempos, 16 juin 2004).

Paradoxalement, c’est en devenant un mouvement de revendications sociales et nationales

que la Coordinadora s’est rapprochée de la raison même de son existence, lorsqu’elle a

appuyé la population d’El Alto (ville voisine de La Paz). En effet, la Fédération des comités 161 Hier nous luttions pour l’eau, aujourd’hui et demain pour notre liberté. 162 Ici, il ne s’agit pas d’un thème strictement régional ou particulier, sinon de préoccupations nationales. 163 Le Gaz est à nous, nationalisons-le dès maintenant !

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142

de voisinage d’El Alto a reçu le soutien de la Coordinadora lors de la demande d’expulsion

du consortium Aguas del Illimani, l’entreprise privée faisant la gestion de l’eau de La Paz –

El Alto (La Voz, 23 novembre 2004). Ainsi, la Coordinadora n’a pas totalement délaissé la

problématique de l’eau, mais elle a diversifié ses revendications afin de ne plus être une

organisation vouée à une seule cause.

De Cochabamba à El Alto Le 11 janvier 2005, le gouvernement de Carlos Mesa a annoncé qu’il mettait fin au contrat de

gestion de l’eau qui liait pour encore 23 ans le consortium Aguas del Illimani164 aux villes de

La Paz et d’El Alto (La Prensa, 13 janvier 2005). Cette annonce a rapidement été faite suite à

un barrage routier, effectué par la population d’El Alto, qui isolait la Paz du reste du pays et

du monde165. Le barrage n’aura duré que trois jours et la demande citoyenne a été entendue

immédiatement. Pourquoi le gouvernement a-t-il été aussi attentif aux demandes de la

population d’El Alto ? Avait-il peur de voir se rééditer les conflits de Cochabamba de 2000 et

celui de d’El Alto d’octobre 2003 ? Il est encore trop tôt pour répondre à ces questions.

Plusieurs hypothèses ont été avancées, dont celle que le gouvernement aurait aussi reçu une

demande du consortium Aguas del Illimani disant que le contrat était insoutenable, car il

n’était pas assez rentable (Mazalto 2005). Si cette hypothèse n’est pas fondée et que le contrat

ait été annulé sans l’accord tacite de la compagnie, la bataille juridique entre la Bolivie et

Suez s’annonce très longue.

La Bolivie avait signé deux contrats de concession de gestion de l’eau à des consortiums

formés à partir de deux transnationales : La Paz – El Alto en 1997 avec Aguas del Illimani

(Suez) et Cochabamba en 1999 avec Aguas del Tunari (Bechtel). Cela aura pris moins d’une

décennie pour que ces deux contrats soient annulés. Faut-il penser que la Banque mondiale

n’a pas su adapter sa politique au contexte particulier de ce pays andin ? La Bolivie est le

pays le plus pauvre du continent sud-américain. Depuis 1985, la privatisation de plusieurs

compagnies d’État a été fortement critiquée par les Boliviens. Privatiser la gestion de l’eau et

augmenter radicalement la tarification de cette ressource à une population majoritairement

164 Le principal actionnaire du consortium est la compagnie française Suez Lyonnaise des Eaux (ONDEO). 165 Il est a noté que la route reliant La Paz au sud-ouest de la Bolivie (Oruro, Potosí, Cochabamba, Sucre, Tarija et Santa Cruz) passe par la ville d’El Alto et qu’il faut utiliser cette même route pour se rendre à l’aéroport international de La Paz.

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non-solvable n’est pas une solution appropriée pour accroître le financement. Soit la

population n’est pas en mesure de payer la facture, soit la compagnie ne fait pas assez de

profits. La mercantilisation de l’eau bolivienne n’est pas une option viable.

Afin de mettre en perspective quel type de poursuite Suez pourrait intenter envers la Bolivie,

voyons le cas de la poursuite des actionnaires du consortium Aguas del Tunari envers la

Bolivie.

La poursuite d’Aguas del Tunari envers la Bolivie L’actionnaire majoritaire et ayant le plus d’influence au sein du consortium Aguas del Tunari

est la Compagnie Bechtel, des États-Unis. Cette compagnie détient la moitié des actions

d’International Water et cette dernière détient 55 % des actions d’AdT (voir la structure des

actionnaires d’AdT en Annexe 1). Le 25 février 2002, Aguas del Tunari S.A. a intenté une

poursuite devant le International Center for Settlement of Investment Disputes166, un tribunal

de la Banque mondiale. Devant l’argumentation des deux parties, il nous apparaît que cette

cause est devenue davantage un symbole qu’un enjeu réellement lié aux investissements

financiers de la compagnie.

Bechtel, le porte-parole d’Aguas del Tunari La compagnie Bechtel est le porte-parole du consortium dans cette poursuite. Bechtel est une

entreprise des États-Unis ayant eu des relations étroites avec l’administration Reagan dans les

années 1980. Depuis, elle est devenue une des dix entreprises les plus importantes du pays.

Elle se spécialise dans les travaux de sidérurgie, d’exploitation minière, d’exploitation des

hydrocarbures, de construction et de gestion de centrales nucléaires, d’infrastructures civiles,

etc. Présentement, elle est une des compagnies ayant reçu le plus de contrats pour la

reconstruction de l’Irak. En outre, elle gère plus de 19 000 projets dans 140 pays et elle a un

chiffre d’affaires annuel de plus de 14,3 milliards de dollars US (Peredo Beltrán 2003: 33).

En novembre 1999, International Water, une filiale de Bechtel et principal actionnaire d’AdT

(voir Annexe 1), change son siège social de pays. Cette compagnie anglaise, qui était

enregistrée aux Îles Caïmans, a déménagé son adresse aux Pays-Bas. Il est à noter que ce 166 Centre international d’arrangements des différents sur l’investissement (ICSID en anglais et CIADI en français et en espagnol).

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144

pays possède un traité bilatéral sur les investissements avec la Bolivie. Ce traité a notamment

une clause qui indique que la Bolivie doit garantir la pleine sécurité des investissements des

entreprises des Pays-Bas (Los Tiempos, 14 octobre 2000). Ainsi, sans savoir à ce moment que

la Bolivie annulerait le contrat d’AdT, International Water s’était assuré d’une protection

advenant une éventuelle résiliation de contrat avec la Bolivie.

Les argumentations et le CIADI Suite à l’annulation du contrat d’AdT par la Bolivie, le consortium a formulé une demande

d’indemnisation de 25 millions de dollars US à la Bolivie pour bris de contrat et perte de

profits anticipés. Suite au refus de la Bolivie d’indemniser le consortium, ce dernier a déposé

la cause devant le CIADI, un tribunal de la Banque mondiale ayant pour but de trancher lors

d’une dispute juridique commerciale entre deux pays ou entre un pays et un investisseur. Ce

tribunal existe depuis 1966. Jusqu’à maintenant, il a rendu 88 jugements et il étudie

présentement 86 autres cas, dont deux pour des concessions de gestion de l’eau qui ont

également été annulées. Il s’agit des litiges entre l’Argentine et Aguas del Aconguija (Vivendi

Universal) et l’Argentine et Azurix (Enron). Près de 90 % des litiges ont éclatés depuis les

années 1990 ; signe d’une intensification du phénomène de globalisation. Finalement, il peut

être significatif de mentionner que toutes les poursuites sont faites par des compagnies envers

des États, principalement des pays en voie de développement (ICSID 2005).

La façon de fonctionner du CIADI est simple. Chaque partie se nomme un représentant afin

de négocier un arrangement au litige. Le tout est présidé par une tierce personne nommée par

la Banque mondiale. Cette tierce personne, qui est présupposée neutre, agit à titre de

médiateur et d’éventuel arbitre si aucune entente n’est convenue.

En vertu du traité bilatéral d’investissements entre les Pays-Bas et la Bolivie, Geoffrey

Thorpe, le gérant d’AdT, a affirmé que l’État bolivien n’a pas tout fait ce qui était en son

pouvoir afin de protéger l’investissement du consortium (Los Tiempos, 16 novembre 2000).

De son côté, les gouvernements boliviens de 2000 à 2005 ont déclaré que le pays avait tout

fait pour protéger l’investissement d’AdT, allant même jusqu’à réprimer sévèrement les

manifestations par l’armée lors de l’état de siège de Cochabamba en avril 2000. La Bolivie

accuse AdT de ne pas avoir réalisé le contrat tel que convenu. En 2002, le gouvernement

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145

Banzer proposait de rembourser les investissements réels qu’AdT avait réalisés et affirmait

ironiquement que la somme de ces investissements étaient « extremadamente muy poco

[…]167 » (La Voz, 12 avril 2002). Cette affirmation est une façon de signifier qu’AdT n’avait

pas fait tous les investissements planifiés dans le contrat.

De son côté, la Coordinadora s’oppose à toutes formes de compensation financière envers

AdT et prétend que c’est ce dernier qui devrait débourser de l’argent à Cochabamba (Última

Hora, 14 juillet 2000). Donc, la Coordinadora a une relation de soutien et de contestation

envers le gouvernement bolivien. Elle l’appuie dans sa démarche contre de refus de payer

l’indemnisation à AdT, tout en continuant de le critiquer au sujet d’autres politiques

intérieures.

Oscar Olivera a fait la comparaison du PIB bolivien (8,5 milliards $) avec le chiffre d’affaire

de la compagnie-mère Bechtel (14,3 milliards $) et affirme qu’étant donné que la compagnie

est pratiquement deux fois plus riche que la Bolivie, la relation de pouvoir entre les deux est

très inégale. Après vérification, le PIB de la Bolivie était de 20,19 milliards de dollars US en

2000 (Collectif 2002: 426). Quoique très révélatrice, cette comparaison a été exagérée de la

part de son auteur. Olivera s’insurge de voir un milliardaire étasunien (Riley Bechtel)

poursuivre le pays le plus pauvre de l’Amérique du Sud. De plus, Olivera affirme que les 25

millions de dollars US représentent près de 1,7 % du budget annuel bolivien (estimé à 1,5

milliard en 2001) comparativement à 0,017 % du chiffre d’affaires annuel de Bechtel. Pour le

porte-parole de la Coordinadora, cette somme n’est pas significative pour Bechtel. La

compagnie poursuit donc la Bolivie afin de défendre sa réputation internationale. Par contre,

toujours selon Olivera, cet argent représente pour la Bolivie le salaire de 3 000 médecins, de

12 000 professeurs ou d’ajouter 125 000 nouvelles connexions au réseau de distribution d’eau

potable de Cochabamba. Finalement, il ajoute que l’arbitre nommé par la Banque mondiale

au CIADI n’est pas neutre, puisque la Banque mondiale fait la promotion de la privatisation

de la gestion de l’eau (Coordinadora 2000). Ainsi, Olivera se révolte contre le fait qu’une

puissante transnationale puisse s’enrichir sur une population pauvre, pour un contrat rejeté

« démocratiquement » par cette dernière et ce, devant un CIADI idéologiquement impartial.

167 Extrêmement très peu […].

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146

Pour Olivera, ce litige international est désormais un symbole pour le mouvement

altermondialiste (Opinión, 9 septembre 2002).

La Guerre de l’eau de Cochabamba, un symbole altermondialiste Dans un contexte où trois litiges concernant des concessions de gestion de l’eau sont

présentement devant le CIADI et qu’une quatrième poursuite pourrait être déposée devant

cette cours internationale, suite à l’annulation du contrat de La Paz – El Alto avec Suez, la

décision du CIADI constituera un précédent international : le litige Bolivie – Aguas del

Tunari est donc lourd de conséquences. La Bolivie veut démontrer qu’elle n’a rien à se

reprocher, qu’elle est un pays où l’on peut investir en toute sécurité, et que la seule raison du

conflit avec AdT résulte d’une mauvaise gestion de ce dernier. Quant à lui, le groupe AdT –

Bechtel veut démontrer qu’il n’a rien à se reprocher et que la Bolivie est un pays où

l’instabilité politique rend l’investissement étranger très risqué pour les actionnaires en plus

de créer un précédent rendant peu attractif de le bris de contrat.

De plus, ce litige représente un affrontement symbolique entre la globalisation des marchés

(les transnationales, les accords bilatéraux et multilatéraux sur les investissements, les

organisations internationales telles la Banque mondiale et le FMI) contre la société civile

planétaire unie par différents réseaux de militants altermondialistes. Pour Oscar Olivera « si

se logra esto sería una globalización de los logros del tercer mundo con relación al primero,

un triumfo de abajo para arriba. [...] Sería una victoria, no sólo de nosotros sino de todo el

mundo168 » (Opinión, 9 septembre 2002).

Les appuis du mouvement altermondialiste Depuis la guerre de l’eau, plusieurs organisations, dans diverses régions du monde, ont

démontré leur appui à la cause défendue par la Coordinadora. Citons quelques exemples : en

2001, l’ONG étasunienne Goldman a remis un chèque de 125 000 dollars US à la

Coordinadora, afin de lui rendre hommage pour son rôle dans la guerre de l’eau (La Razón,

24 avril 2001). En 2002, lors de l’annonce de la poursuite officielle d’AdT devant le CIADI,

168 Si nous remportons cela, ce sera une globalisation des victorieux du Tiers monde sur le Premier monde, un triomphe de la base au sommet (de la pyramide) […] Ce serait une victoire, non seulement de nous mais aussi de tout le monde entier.

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de nombreuses manifestations populaires ont été organisées dans différentes parties du

monde. En juillet, une manifestation avait lieu simultanément à San Francisco (siège social

de Bechtel), à Amsterdam (siège social d’International Water), à Washington (siège social de

la Banque mondiale et du CIADI), à La Paz (capitale de la Bolivie) et à Cochabamba. Cette

manifestation demandait le retrait de la poursuite d’AdT envers la Bolivie (Opinión, 8 juillet

2002). La même année, plus de 300 groupes de la « société civile » de 40 pays différents ont

fait l’envoi d’une demande officielle devant le CIADI pour que ce dernier rende publique

l’enquête entourant la poursuite d’AdT envers la Bolivie (Los Tiempos, 30 août 2002). Cette

demande n’a pas été entendue, le CIADI a l’habitude de travailler à huis clos. Finalement,

lors du Forum mondial de l’eau de Kyoto en 2003, il y a eu de nombreuses discussions autour

du cas de Cochabamba. Plusieurs débats ont eu lieu entre les partisants de la privatisation de

l’eau et les groupes réclamant l’eau comme un bien commun non commercial. Lors de ce

Forum, la guerre de l’eau de Cochabamba fut citée à de nombreuses reprises afin de faire

valoir les défaillances possibles que peut apporter la privatisation (La Prensa, 18 mars 2003).

Bien que le cas de Cochabamba soit plus complexe que cette question philosophique de bien

économique versus bien commun, il est aujourd’hui devenu une référence lorsqu’il est

mention d’un échec de privatisation de gestion de l’eau.

La récupération de la guerre de l’eau de Cochabamba Finalement, plusieurs ouvrages de réflexion sur la gestion de l’eau, sur la privatisation de

l’eau, sur la géopolitique de l’eau amène comme référence le cas de la guerre de l’eau de

Cochabamba. Parmi les ouvrages les plus connus nous avons noter le livre de Maude Barlow

et de Tony Clarke, L’or bleu : l’eau, nouvel enjeu stratégique et commercial dans lequel la

thèse défendue est que la Bolivie a été obligée de privatiser son eau sous les menaces

financières de la Banque mondiale. Ce livre présente Oscar Olivera comme un super héros

qui a été en mesure de s’opposer aux méfaits de la globalisation dans sa ville (Barlow et

Clarke 2002). Le documentaire réalisé par Mark Achbar, The Corporation (2004) soutient la

même thèse que le livre de Barlow et Clarke169. Deux livres faisant la promotion de l’eau

comme un bien commun de l’humanité (en opposition aux biens économiques) prennent pour

exemple le cas de privatisation de Cochabamba afin d’illustrer les dangers de la privatisations 169 Il est à noter que ce documentaire a été nommé le meilleur documentaire canadien de l’année en mars 2005 lors du gala des prix Génie de Toronto.

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de l’eau. Ces livres de Mohamed Larbi Bouguerra et Riccardo Petrella nous démontre à quel

point le cas de Cochabamba est devenu un cas emblématique pour les défenseurs de la

gestion publique de l’eau (Larbi Bouguerra 2003; Petrella 2003). Tout comme ces deux

livres, plusieurs organismes québécois citent le cas de Cochabamba afin de défendre la

gestion publique de l’eau au Québec et dans le monde entier. Citons notamment, La Coalition

Eau Secours !, l’Association québécoise pour un contrat mondial de l’eau, Les AmiEs de la

Terre de Québec et l’ONG Développement et Paix. Bref, le cas de Cochabamba a reçu un

appui important du mouvement altermondialiste, mais il le sert également.

Quoiqu’il en soit, il est désormais impossible d’aborder la géopolitique de l’eau de

Cochabamba sans avoir une démarche multiscalaire. Le mode de vie paysan, les politiques

nationales et les organisations supraétatiques sont en relation dans la construction du territoire

et à l’aménagement de l’eau de Cochabamba.

Synthèse Tous les acteurs ont réinterprété les causes du conflit civil de la guerre de l’eau de

Cochabamba. La Coordinadora, de par la cohérence de sa démarche, est l’organisation qui a

su le mieux se réapproprier les événements d’avril 2000. Cependant, le retour à la gestion

publique de la Semapa et de Misicuni rappelle aux Boliviens que l’amélioration des services

ne se finance pas aussi facilement qu’ils ne l’auraient souhaité. La Semapa a tout de même

élaboré une nouvelle structure tarifaire progressive selon la consommation pour la zone sud

de la ville. Même si ce nouveau principe tarifaire a été emprunté à la gestion d’AdT, les

citoyens l’ont bien accueilli. Ceci démontre que la hausse de tarif d’AdT était plus

problématique que sa structure tarifaire.

Malgré des budgets restreints, la Semapa et Misicuni ont tout de même trouvé le moyen de

poursuivre l’amélioration de leurs infrastructures respectives en obtenant du financement

d’organismes internationaux. Ainsi, l’avenir de la Semapa ne semble plus être compromis par

quoique ce soit. L’approvisionnement en eau ne fera que s’améliorer avec l’apport d’eau du

projet Misicuni.

Finalement, la Fedecor a obtenu la Ley de Riego, après une décennie de revendications pour

la reconnaissance des us et coutumes des paysans. La Coordinadora a quant à elle profité du

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vent de sympathie à son endroit pour revendiquer l’amélioration de la gestion des politiques

socio-économiques de l’État et de la représentativité de la démocratie. L’organisation

citoyenne a ainsi réutilisé le cas de l’eau, tout en délaissant cette problématique, afin de

maintenir sa popularité en travaillant à l’avancement d’autres causes sociales. La

Coordinadora est devenue un mouvement politique luttant contre les politiques néolibérales à

une échelle nationale. Elle est toujours basée à Cochabamba, mais elle ne défend plus des

causes proprement régionales.

Seule incertitude pour le moment, la poursuite de 25 millions de dollars US d’Aguas del

Tunari envers la Bolivie. Ce litige de droit international est aujourd’hui devenu un symbole

international. Est-ce la Bolivie qui n’a pas su protéger l’investissement de la compagnie ou

cette dernière qui n’a pas investi assez d’argent pour contenter la population de

Cochabamba ? L’annulation du contrat d’Aguas del Illimani démontre une fois de plus que la

non-solvabilité des Boliviens rend tout projet de privatisation très délicat.

Néanmoins, ce litige a fait connaître le cas de Cochabamba au monde entier. La guerre de

l’eau de Cochabamba est désormais citée par les groupes de revendications altermondialistes

et a été débattue lors du Forum mondial de l’eau de Kyoto. À droite comme à gauche,

Cochabamba s’inscrit dans le phénomène de la globalisation.

La guerre de l’eau de Cochabamba a été un conflit géopolitique complexe. D’abord, il s’est

développé simultanément à différentes échelles. Depuis avril 2000, Cochabamba a été au

centre d’une redéfinition du rapport à l’eau avec l’adoption de la Ley de Riego et la mise en

place d’une tarification d’eau subventionnée par la Semapa, ce qui va à l’encontre de la

Politique de gestion de l’eau de la Banque mondiale. Du coin de rue où s’opposaient l’armée

et les citoyens, la guerre de l’eau de Cochabamba est rapidement devenu un conflit national,

puis un symbole international. Elle a été un événement unificateur pour les populations

paysannes et urbaines de la région de Cochabamba qui ont dû entrer en relation avec des

acteurs extra-régionaux pour la construction de leur territoire et pour la réalisation de

l’aménagement des infrastructures hydriques. Paradoxalement, ce conflit politique a été un

événement qui a simultanément été la genèse de nouvelles contestations populaires

déstabilisant le gouvernement central et a également contribué au renforcement de la

démocratie bolivienne. À cet égard, depuis le succès de la Consultation populaire organisée

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150

par la Coordinadora en mars 2000, la population autochtone a fondé deux partis politiques

nationaux, tandis que le gouvernement a légitimé sa nouvelle politique sur la gestion des

hydrocarbures grâce au premier référendum de l’histoire bolivienne en juillet 2004, et promet

la formation d’une Assemblée constituante pour l’année 2005. Cependant, la consolidation de

la pratique de la démocratie évulue parallèlement aux mouvements de déstabilisation de cette

dernière.

Finalement, la Coordinadora s’est incorporé au réseau international altermondialiste. Pour

différentes organisations altermondialistes, Cochabamba est désormais un symbole de

résistance citoyenne à la globalisation des marchés.

Bref, le rayon de la construction de la territorialité de Cochabamba s’est bien élargi depuis

1997 et depuis avril 2000. Les relations de pouvoir entre les acteurs se sont internationalisées

et politisées. Désormais, on ne peut parler de Cochabamba sans mentionner la lutte au

néolibéralisme et la promotion de la participation citoyenne à la démocratie. Les causes et les

solutions aux problèmes de gestion de l’eau sont désormais représentées autant à l’échelle

nationale et internationale qu’à l’échelle régionale. Cette nouvelle conception du monde est

davantage multiscalaire, car il y a dix ans, les citoyens de Cochabamba n’étaient pas aussi

conscients du rôle des organisations internationales dans la gestion de l’eau de leur région.

L’échelle politique d’influence la plus abstraite était alors celle de l’État. Aujourd’hui, la

Semapa et Misicuni reçoivent du financement de diverses organisations internationales, la

Bolivie est devant une cour de justice internationale et plusieurs organisations

altermondialistes soutiennent la Coordinadora. Ainsi, en plus des acteurs locaux et

nationaux, la construction de la territorialité de Cochabamba est de plus en plus influencée

par des acteurs internationaux.

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Conclusion El Sur es un mundo arrollado por el desarrollo

ajeno170 Eduardo Galeano

La territorialité, ensemble des relations de pouvoir construisant les territoires, est en

perpétuelle reconstruction. La guerre de l’eau de Cochabamba est un événement qui a

bouleversé les relations de pouvoirs. Pour un pays du Sud, une région comme la Vallée

centrale de Cochabamba, il est désormais plus difficile de prendre une décision locale afin de

construire son territoire tel qu’il le désire. Désormais, la territorialité s’inscrit à l’intérieur de

relations politiques multiscalaires où l’échelle internationale tend à prendre une place de plus

en plus importante.

Un geste de survie tel qu’aller chercher l’eau à la rivière est un geste politique s’inscrivant

dans un monde globalisé. Jamais les citoyens de Cochabamba n’ont été empêchés de prendre

l’eau de la rivière ou l’eau du puits familial. Cependant, cette possibilité avait été pensée,

mais le conflit civil a éclaté avant que la nouvelle législation ne soit appliquée. La

normalisation législative bolivienne, inspirée de la Politique de gestion de l’eau de la Banque

mondiale, avait pour but ultime de distribuer l’eau à tous les citoyens, selon le prix de

production. Cependant, cette façon de penser, cette gestion théorique, ne tient pas compte du

contexte particulier à chacune des régions boliviennes, ni de l’espace vécu par les populations

habitant ces territoires. Au fil des siècles, les paysans de Cochabamba ont appris à survivre en

cultivant leurs champs en harmonie avec ce qu’ils appellent les us et coutumes.

Culturellement, selon leur mode de vie, l’eau… ça n’a pas de prix !

Autocritique de la démarche méthodologique L’analyse des discours par l’analyse de contenu est une méthode laissant place à une grande

liberté pour le chercheur. Cette analyse des discours et des représentations a la volonté de

présenter les différentes thèses qui ont été soutenues par les différents acteurs. C’est dans la

confrontation des thèses et de leurs antithèses que peut naître une synthèse.

170 Le Sud est un monde asservi par le développement étranger.

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152

Cette recherche essaie d’expliquer la géopolitique d’un événement qui s’est déroulé dans le

passé. Pour cette raison, afin de bien cerner l’évolution des enjeux et des représentations,

l’usage des archives et des journaux que nous avons regroupés a constitué le corpus à l’étude.

Ces documents produits au moment même où le conflit se déroulait nous ont permis de bien

comprendre l’évolution de ce dernier.

Cependant, les archives et les journaux ne peuvent pas nous informer de tout. Entre les

discours de la Coodinadora et ce que pensait réellement la population civile, y existe-t-il une

marge ? Si oui, quelle est cette marge, pourquoi les citoyens ont-ils appuyé la Coordinadora,

par principe, par nécessité ? Il n’y a eu aucun sondage et les quelques lettres d’opinions dans

les journaux peuvent-elles être représentatives ? L’idée nous est venue de faire des entretiens

avec les gens de différents quartiers de Cochabamba. Cependant, quatre ans après le conflit,

peut-on se fier à la mémoire de personnes qui ont peut-être changé leur point de vue entre

temps ? Cette avenue méthodologique aurait pu être retenue si cette recherche s’était

questionnée sur la mémoire collective sur la guerre de l’eau, autrement cette démarche

demeure hasardeuse. Si cette recherche était à recommencer nous la réaliserions de la même

façon, car l’utilisation de ces sources nous a permis de répondre à notre questionnement.

La territorialité en évolution Dans son évolution, la territorialité a été confrontée à deux événements majeurs, soit la

privatisation et la re-nationalisation de la gestion de l’eau. Ces deux événements ont marqué

les frontières temporelles ayant modifié les relations de pouvoir autour de la gestion de l’eau.

L’idée de privatiser Avant 1997, les populations urbaines et paysannes de la Vallée centrale de Cochabamba

avaient une relation conflictuelle à propos de la gestion de la ressource hydrique. Le niveau

de la nappe phréatique diminuait et les puits des paysans s’assèchaient. Trop peu d’eau pour

tous, il en fallait plus ! Devant cette problématique régionale, une solution survient : réaliser

le projet Misicuni. Cette option a fait rêver les citoyens de tous les milieux, elle a été préférée

au projet Corani. Les représentations populaires favorablent au projet Misicuni ont

indirectement été responsables de la privatisation de l’entreprise publique de gestion de l’eau,

la Semapa. En effet, le soutien populaire à Misicuni a été réapproprié par les politiciens afin

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de justifier la nécessité de la privatisation de l’eau et par Aguas del Tunari pour justifier la

nécessité d’augmenter la tarification.

Selon le président Hugo Banzer, le projet Misicuni coûte très cher et ni la Bolivie, ni la région

de Cochabamba n’avaient les fonds nécessaires à sa réalisation. Devant cette frontière

monétaire, le gouvernement néolibéral adéniste a proposé la voie de la privatisation. Cette

décision était alors soutenue par les politiciens locaux et par la Banque mondiale.

L’entreprise privée allait réaliser le projet Misicuni en plus de faire la gestion de l’eau urbaine

dans le cadre d’une gestion intégrée de la ressource. Pour l’État, cela semblait être la solution

idéale. Cependant, la privatisation nécessitait un nouvel encadrement législatif relatif à la

gestion de l’eau en plus d’engendrer une augmentation tarifaire de la ressource bleue. Une

redéfinition importante de la territorialité était alors en gestation.

La Fedecor, représentant les paysans, s’opposait alors à la loi 2029 qui venait bafouer les us

et coutumes de ses membres. Quant au Codaef, représentant la population urbaine, il

s’opposait à la nouvelle tarification de l’eau. Aucun changement dans la gestion de l’eau

n’avait encore été fait et déjà, une forte proportion de paysans et de citadins s’opposait à la

voie de la privatisation alors soutenue par les politiciens locaux, le gouvernement national et

la Banque mondiale. Les relations de pouvoir pour la gestion de l’eau étaient en changement.

Les représentants de la démocratie représentative locale et nationale furent confrontés aux

représentants de diverses associations citoyennes. La territorialité entrait alors dans une phase

d’instabilité. Déjà, les relations de pouvoir se définissaient dans l’interaction des échelles

locale, nationale et internationale. À l’aube de la privatisation, les relations « locale-locale »

et « locale-nationale » étaient au centre de la territorialité.

La privatisation et la construction du territoire Lors de l’adoption de la loi 2029 et de la concession de la gestion de l’eau au consortium

Aguas del Tunari, une nouvelle relation à l’eau a été imposée à la population. Pour les

paysans et la population périurbaine, la loi 2029 signifiait la possibilité de se faire exproprier

leurs puits. Pour la population urbaine, la privatisation représentait une hausse tarifaire du

mètre cube d’eau par l’entremise de l’instauration du principe d’utilisateur-payeur. Devant

ces changements radicaux qui pouvaient rendre plus précaire l’accessibilité à l’eau, les

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populations paysanne, périurbaine et urbaine se sont unies au sein de la Coordinadora del

agua. Deux nouveaux acteurs ont ainsi fait leur apparition sur le territoire de Cochabamba, un

consortium formé de transnationales face à une organisation citoyenne. C’est à ce moment

précis que ce qui fut baptisé « la guerra del agua » a commencé.

La territorialité fut alors bouleversée, les relations de pouvoirs se sont transformées en une

véritable guérilla urbaine entre les partisans de la Coordinadora et l’armée bolivienne qui

soutenait le consortium. De plus, la Coordinadora et les élites politiques locales (Maire et

Comité civique) ont mené une lutte discursive afin d’obtenir la légitimité représentative de

Cochabamba devant l’État bolivien. Lors de ce conflit social, les relations de pouvoir qui

dominaient étaient toujours « locale-locale » et « locale-nationale ». À l’échelle locale,

contrairement à ce qui prévalait avant 1997, les populations paysannes et urbaines étaient

unies sous la même bannière. Ce qui a caractérisé le clivage entre la Coordinadora et les

élites poliques traditionnelles locales et nationales est la perte de légitimité des représentants

de la démocratie représentative qui ont été jugés responsables de la privatisation de l’eau.

Devant la pression populaire, malgré la répression des militaires, le gouvernement a été

contraint à annuler le contrat d’Aguas del Tunari, à re-nationaliser la gestion de l’eau et à

modifier la loi 2029. En apparence, il s’agissait d’un retour en arrière pour la construction des

territoires, cependant, ce conflit a laissé des cicatrices et les relations de pouvoir autour de la

gestion de l’eau ne sont plus les mêmes après la guerre de l’eau.

Internationalisation de la territorialité Suite à la guerre de l’eau, les relations de pouvoir se déroulant à l’échelle locale sont

beaucoup plus effacées que lors des deux périodes précédentes. Certes, quelques animosités

persistent, mais rien de véritablement conflictuel. La gestion de l’eau de Cochabamba semble

avoir trouvé un certain consensus à l’échelle locale. Il y a un respect des us et coutumes

paysannes, une volonté palpable de la Semapa d’étendre le réseau de distribution d’eau dans

les zones périurbaines et d’offrir l’eau au plus bas coût possible. Finalement, la construction

du projet Misicuni progresse lentement. Cette relative stabilité locale est cependant au cœur

de relations plus tendues entres l’échelle locale et les échelles nationale et internationale.

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La Fedecor a continué à revendiquer une reconnaissance des us et coutumes, ce qui a été fait

à l’automne 2004, lors de l’adoption de la nouvelle loi sur l’irrigation. De son côté, la

Coordinadora a utilisé la « victoire » de la guerre de l’eau afin de revendiquer l’amélioration

des politiques sociales boliviennes ainsi que la nationalisation du gaz naturel. Cette relation

conflictuelle entre la Coordinadora et l’État a eu des conséquences paradoxales. D’un côté,

ces revendications ont fait en sorte que le pays a périodiquement été paralysé par différents

moyens de pressions populaires qui déstabilisent la démocratie représentative nationale. D’un

autre côté, ces nombreuses revendications ont favorisé une prise de conscience de

l’importance de la participation démocratique au sein notamment des populations

autochtones. Ainsi, la démocratie bolivienne se consolide tout en étant périodiquement

déstabilisée par des moyens de pressions populaires. Le plus bel exemple de ce phénomène

est la démission du président Carlos Mesa en mars 2005. Le président a d’abord annoncé sa

démission parce qu’il jugeait la situation politique ingouvernable (barrage routier).

Cependant, deux jours plus tard, il a dû revenir sur sa décision, car les députés ont refusé sa

démission suite à une nouvelle vague de revendications…appuyant le président. Lors de cet

événement, Oscar Olivera a été pointé du doigt comme étant un des responsables de la

volonté de démissionner du président. Les relations politiques entre la Coordinadora del gas

et le gouvernement (locale-nationale) sont très tendues.

Finalement, l’échelle internationale est de plus en plus présente dans la construction de la

territorialité. Premièrement, la Semapa et Misicuni sont dépendants de diverses formes de

subventions internationales afin de réaliser leurs travaux respectifs, soit l’extension du réseau

de distribution d’eau et l’achèvement du projet Misicuni. Sans ces subventions,

l’amélioration des infrastructures hydriques serait impossible. Deuxièmement, la poursuite

d’Aguas del Tunari envers la Bolivie, en vertu d’un traité bilatéral sur l’investissement avec

les Pays-Bas, jugé devant le CIADI à Washington, est un autre bel exemple de l’incursion

d’acteurs internationaux dans la construction du territoire de Cochabamba. De plus, cette

poursuite a été accompagnée de nombreuses revendications de soutiens d’organisations

altermondialistes. Qui sait, peut-être que ces pressions citoyennes pourront avoir un impact

sur la décision du CIADI ? Depuis, la re-nationalisation de la gestion de l’eau, les relations

« locale-internationale », « nationale-internationale » et même « internationale-

internationale » sont désormais au centre des rapports de pouvoir qui définiront ce que sera le

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territoire de Cochabamba. Cette plus grande importance de l’échelle internationale démontre

une certaine facette de la globalisation. Les pays en voie de développement ne peuvent en

aucun cas ignorer les pays développés, car une certaine interdépendance (ou dépendance)

entre les deux mondes semble se consolider.

¿Guerra por o contra el agua? Dans la littérature abordant la guerre de l’eau de Cochabamba, deux thèses centrales

s’opposent. Bien que plusieurs autres écrits aient été fait sur le cas de Cochabamba, l’idée

principale qui est développée correspond toujours à l’une de ces deux thèses : la guerra por

el agua de Manuel De la Fuente et la guerra contra el agua de Roberto Laserna171 (De la

Fuente 2000; Laserna 2000). Ces deux chercheurs sont Boliviens, De la Fuente est chercheur

à l’Université San Simón de Cochabamba et Roberto Laserna est chercheur au Centre

d’études sur la réalité économique et sociale de Cochabamba (CERES). De la Fuente affirme

que la guerre de l’eau a été une victoire citoyenne contre un État néolibéral corrompu et une

transnationale représentant le phénomène de globalisation des marchés. En ce sens, elle est

une victoire collective sur des intérêts particuliers. Quant à lui, Roberto Laserna défend

l’antithèse selon laquelle le consortium Aguas del Tunari aurait pu réaliser le projet Misicuni

et étendre le réseau de distribution de l’eau plus rapidement pour le bien de tous s’il n’y avait

pas eu la guerre de l’eau. Donc, il affirme que l’intérêt commun de la population était

représenté par AdT et que la campagne anti-privatisation organisée par la Coordinadora

reposait sur une idéologie politique plutôt que sur des faits tangibles. Ainsi selon Laserna, le

bien commun aurait été bafoué pour des intérêts particuliers.

Ces deux thèses démontrent bien comment la sphère d’analyse politique a été centrale dans

les études du cas de la guerre de l’eau. Le territoire et ses habitants semblent souvent négligés

dans la littérature portant sur la guerre de l’eau. L’importance des représentations

géopolitiques tels l’appui populaire au projet Misicuni et l’importance accordée aux us et

coutumes ne sont généralement pas des aspects de la problématique auxquels les différents

auteurs accordent une importance significative.

171 La guerre pour l’eau de Manuel De la Fuente et la guerre contre l’eau de Roberto Laserna.

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Pourtant, lors de l’analyse de contenu du corpus, ces deux éléments étaient centraux dans

l’explication de la territorialité de Cochabamba. De plus, l’analyse multiscalaire de cette

recherche démontre que le phénomène de globalisation a évolué entre 1997 et 2005.

L’échelle internationale a toujours été présente dans les différentes périodes de cette

recherche, mais les relations politiques tendent à s’internationaliser.

Dans ce contexte d’intensification de la globalisation (économique, sociale, culturelle, etc.), il

est fondamental que l’inéquité des échanges Nord-Sud soit remplacée par une réelle relation

fondée sur le respect des modes de vie et l’équité des échanges économiques. Présentement,

la dette des pays en voie de développement ne cesse d’augmenter et les transferts de capitaux

sont plus importants du Sud vers le Nord que l’inverse (Waridel 2005). Le cas de

Cochabamba démontre une chose : un manque d’argent d’à peine 300 millions de dollars US

a été la véritable cause de ce conflit social. La Bolivie ne peut payer une telle somme, mais

les pays développés peuvent facilement dégager cet argent. Il aura malheureusement fallu

qu’un conflit civil éclate pour ouvrir les yeux à certains bailleurs de fonds internationnaux et

que la Semapa et le projet Misicuni reçoivent de l’aide financière.

La privatisation des infrastructures publiques n’est pas une solution de financement, elle ne

fait que déplacer la facture vers la population qui est déjà dans une situation économique

précaire. Une compagnie n’est pas une organisation philanthropique. Dans les circonstances

économiques, politiques et culturelles de la Bolivie, la guerre de l’eau a été positive, car

aujourd’hui les paysans peuvent irriguer leurs terres presque gratuitement, la Semapa étend

rapidement son réseau de distribution vers les zones périurbaines et le projet Misicuni a

apporté ces premiers litres d’eau dans la Vallée centrale de Cochabamba. Néanmoins,

quelques améliorations pourraient être apportées à la gestion de l’eau de Cochabamba. Cette

dernière se fait toujours dans une rationalité de gestion par « l’offre ». Pourtant, dans un

contexte de pénurie relative d’eau, une gesiton par la « demande » serait beaucoup plus

appropriée. La nouvelle structure tarifaire de la Semapa va dans ce sens, mais l’irrigation

gravitationnelle des paysans pourrait être grandement améliorée afin de réduire la quantité

d’eau utilisée. Cependant, cela nécessiterait de l’argent et surtout une meilleure éducation

pour cette population encore trop souvent analphabète. Les paysans pourraient ainsi adopter

une agriculutre plus intensive sans toutefois rompre avec leur mode de vie traditionnel. La

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situation est loin d’être parfaite, mais elle s’améliore, contrairement à ce qui prévalait du

temps de la concession d’Aguas del Tunari. Il s’agit de construire les territoires du futur sans

créer de rupture avec la production territoriale du passé.

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Los Yanquis Autor: Richard Desjardins Traductor: Simon Mélançon con la ayuda de Carole Richard y de Luz Maria Medina Lopez La noche dormía en Acuario, las cabras bebían en el río íbamos a la aventura, y vivíamos con más fuerza a pesar del frío y de los bárbaros. Sabíamos que un día ellos vendrían, a golpes de eje y de impuestos nos atravesarían a todos el cuerpo, nosotros, los últimos humanos de la tierra. El viejo Aquiles dijo : “ La tarde, está un poco tranquila. Amigos, déjenme hacer la ronda. ¡Vayan! ¡Duerman tranquilos! ” No es el ruído de un trueno ni el rumor del río sino el galope de millares de caballos corriendo bajo el ojo del centinela. Y todas estas personas bajo la tienda de campaña Duermen profundamente : “ Despiértense ” Ahí están los Yanquis, ahí están los Yanquis Llegan, Visigodos, ¡Ahí están los gringos! Atraviezcan el bosque y prepararán sus juguetes de hierro. Uno de ellos cargado de armas avanza y toma el megáfono. “ Venimos de la parte del Big Control, su laser vibra en el polo, hemos conquistado todo hasta el hielo de las galaxias. El presidente me encomendó pacificar el mundo entero venimos como amigos.

Ahora, se acabó la discusión firmen la rendición pues antes de que la noche se acabe, regresaremos a Virginia ” Ahí están los Yanquis, ahí están los Yanquis Llegan, Visigodos, ¡Ahí están los gringos! “ Àhora, yo cuento hasta tres y todas sus hijas para nuestros soldados. Los granos, el perro y el uranio, el opio y el canto del viejo, de ahora en adelante todo nos pertenece y para que todos comprendan bien, contaré dos veces y para las noticias de la CNN Dígame amigo, ¿quién es el jefe aquí? ¡Que se levante! Y el sol se levantará. ¡Oiga gringo, escúcheme gringo! Nosotros hemos atravezado continentes, océanos sin fin en balsas trenzadas de sueños y henos aquí vivos, hijos del sol resplandeciente la vida reflejada en una espada. América, América. Tu dragón loco se aburre tráiganlo que yo lo acabo. Calígula, sus legionarios, tu presidente, sus millonarios los tenemos en la punta de la lengua. ¡Gringo! No tendrás nada de nosotros de mi memoria de titán, memoria de niño : hace mucho tiempo que yo te espero. ¡Gringo! Vete, vete ¡Váyase gringo! ¡Que Dios te haga daño! La noche dormía en Acuario, las cabras bebían en el río íbamos a la aventura, y vivíamos con más fuerza a pesar del frío y de los bárbaros.

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Bechtel (É-U)

50% IWL Edison (Italie) 50% IWL

Abengoa Servicios Urbanos

(Espagne) 25% AdT

International Water Holdings B.

V. (Holande) 55% AdT

Aguas del Tunari (AdT)

Compañía Bol. de Ingenieria S. R. L, 5% AdT

Sociedad Boliviana de Cemento, 5% AdT

Constructora Petricevic S. A., 5% AdT

ICE Agua y Energía S. A., 5% AdT

Actionnaires boliviens, 20%

Annexe 1: Les actionnaires d’Aguas del Tunari

Figure 32: Les actionnaires d’Aguas del Tunari selon le schéma de Kruse (Cité par Quiroz 2004: 92)

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Annexe 2: Traduction française du Tableau 8 « Le taux minimum de profit sera de 15 %. Le taux maximum de profit sera de 17 % » (Peredo Beltrán 2003: 13).

« Tous les tarifs et les autres revenus seront chargés en bolivianos (argent bolivienne) selon le taux de change du dollars officiel publié par la Banque centrale de Bolivie le dernier jour de la période pour la quelle a été facturé le service. La valeur en dollars de tous les tarifs de la structure tarifaire, incluant les taux de référence applicable à la vente d’eau potable en bloc et a l’approvisionnement de l’eau pour l’irrigation et tous les tarifs chargés pour des services seront ajustés annuellement, à l’année d’application de la modification tarifaire la plus récente, prenant en compte l’inflation des coûts en dollars des États-Unis […](Peredo Beltrán 2003: 13).

« [...] le concessionnaire aura le droit d’installer un compteur d’eau aux sources alternatives, aux frais de l’usager, avec la fin d’évaluer le coût adéquat au service d’égout [...] » (Peredo Beltrán 2003: 14).

« Six mois après la date du début de l’approvisionnement en eau d’une aire de concession qui reçoit nouvellement les services de distribution, il ne sera plus permi l’usage de sources alternatives (de puits) dans le secteur où l’eau est disponible par le fournisseur d’eau » (Opinión, 18 octobre 1999).

« [...] le territoire établi est la totalité de la province de Cercado » (Crespo Flores et Fernández 2001: 124).

« Le concessionnaire pourra demander l’expropriation de terrains pour la perforation de nouveaux puits (à El Paso, Tiquipaya, Quillacollo, Vinto), il pourra aussi solliciter l’expropriation de systèmes de distributions d’eau de coopératives existente dans l’aire de concession » (Crespo Flores et Fernández 2001: 126).

« […] la Superintendance de l’eau donne et le Concessionnaire reçoit, une concession exclusive pour la prestation du service dans l’aire de concession » (Crespo Flores 2000).

« Les droits du concessionnaires sont la prestation exclusive du Service et le droit d’oubliger les usagers potentiels à se brancher aux systèmes d’eau potable et d’égout du concessionnaire, en accord à la loi applicable » (Crespo Flores 2000).

« Si l’usager ne paye pas le montant qu’il doit dans un laps de temps de six mois à partir de la date du début de l’émission de services, le concessionnaire pourra débrancher le Service d’une manière définitive, tout en ayant recours aux ressources disponibles, en accord avec la loi, afin de récupérer le montant dû par l’usager et les coûts encourrus pour la récupération du montant » (Crespo Flores 2000).

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Annexe 3: Traduction française du Tableau 11 Date des communiqués Slogans 16 décembre 1999 ASSEZ !! À LA HAUSSE DU COÛT DE LA VIE 16 décembre 1999 ASSEZ !! À LA HAUSSE DES TARIFS 16 décembre 1999 NOUS NE PERMETTRONS PAS DE NOUVELLES HAUSSES DE TARIFS ? janvier 2000 ASSEZ DE SOUFFRANCE SOCIALE !! 1er janvier 2000 Les Boliviens, nous n’avons jamais eu une âme d’esclaves172 7 janvier 2000 Le Grand barrage pour la dignité civile ne s’arrête pas ! ? janvier 2000 L’EAU EST À NOUS AUTRES, TABARNAC ! (voir Figure 26) ? janvier 2000 LA RICHESSE EST À NOUS AUTRES ! FIN AU VOL DE NOTRE EAU ! 11 janvier 2000 Citoyens de Cochabamba: Les droits de ne mendient pas. Les droits se conquèrent. Personne ne va lutter pour nous. Ou nous luttons pour la justice, ou nous tolérons L’humiliation des mauvais gouvernants. 11 janvier 2000 L’EAU NOUS APPARTIENT 11 janvier 2000 QUE L’ON ARRÊTE DE TÉTER !! 11 janvier 2000 OUI À MISICUNI, SANS TROMPERIES NI VOLS !! 15 janvier 2000 Cochabamba uni, Cochabamba victorieux 28 janvier 2000 Nous les Boliviens, décidons quoi faire avec nos ressources Conjointement à tous les citoyens et toutes les citoyennes, la Coordinadora appuie Misicuni 6 février 2000 ET...L’EAU CONTINUE À NOUS APPARTENIR ! 6 février 2000 LA HAUSSE DES TARIFS EST DEMEURÉE SANS EFFET 17 février 2000 NOUVELLEMENT, D’AUTRES HAUSSES DU PRIX DE L’ESSENCE ET DU GAZ 15 mars 2000 NON À LA HAUSSE DES TARIFS 15 mars 2000 DEHORS AGUAS DEL TUNARI 30mars 2000 COCHABAMBA JUSQU’À LA « BATTAILLE FINALE » 4 avril 2000 LE PEUPLE DE COCHABAMBA PLUS UNI QUE JAMAIS 9 avril 2000 ET... RÉCUPÉRONS NOTRE VICTOIRE 29 juin 2000 JAMAIS PLUS AGUAS DEL TUNARI À COCHABAMBA!! 25 juillet 2000 HIER NOUS AVONS LUTTÉ POUR L’EAU, ET AUJOURD’HUI ET DEMAIN

POUR NOTRE LIBERTÉ Source : (Coordinadora 1999-2000)

172 Ce slogan se retrouve sur tous les communiqués officiels de la Coordinadora.

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