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Erin Hunter

La Guerre des ClansIII

Le pouvoir des étoiles,Livre IV

Éclipse

Traduit de l’anglais par

Aude Carlier

Remerciements toutparticuliers à Kate

Cary

PROLOGUE

LA FORÊT CHATOYAIT sous lesoleil étincelant et le gibier frétillaitdans les sous-bois. Étendu sous unfrêne, un matou noir laissait lesrayons de l’astre lui réchauffer leventre. Il se donna un coup de langue

sur le poitrail en ronronnant.Soudain, une chatte écaille jaillit

d’un buisson et fila devant lui à touteallure. Le matou roula sur le flanc etlui lança :

« Une souris ?— Bientôt morte ! » répondit la

chatte.Elle plongea dans les fougères et

le bout de sa queue blanche disparutderrière les frondes.

De l’autre côté de la haies’étendait une clairière verdoyanteen pente douce. En contrebas, unefemelle au poil gris sombremordillait une tique logée à la basede sa queue. Alors qu’elle tirait sur

l’insecte dodu en grommelant, elles’arrêta soudain pour lever la têtevers les taillis qui frémissaient enhaut de la pente.

Un miaulement triomphal résonnadans la forêt :

« Je t’ai eue ! »Les frondes s’agitèrent de

nouveau, plus violemment, puis lachatte écaille reparut avec unrongeur dans la gueule. Elle salua lachatte grise :

« Bonjour, Croc Jaune !— Bonjour, Petite Feuille. C’est

une belle journée pour chasser.— La chasse est toujours bonne

ici. »

D’un mouvement vif de la tête,Petite Feuille jeta sa proie devantCroc Jaune.

Celle-ci renifla l’offrande avantde reculer brusquement. Du bout dela patte elle frotta son large museauaplati tandis que l’ombre d’une pucecourait sur sa truffe.

« Je pensais que ces territoiresseraient épargnés par les puces !

— Tu les as sans doute apportéesavec toi, lui rétorqua Petite Feuilleen lorgnant le pelage négligé de sacamarade. Quand apprendras-tudonc à faire ta toilette ? »

Elle tendit le cou pour lécher unebourre de poils sur l’épaule de son

aînée.« Quand toi, tu arrêteras de

vouloir t’occuper de tout le monde.»

Un miaulement les interrompit.« J’ai du mal à croire que cela

puisse arriver. »Petite Feuille releva la tête. Un

matou blanc descendait la pente verselles.

« Tornade Blanche ! ronronna-t-elle. Étoile Bleue ne t’accompagnepas ?

— Elle était avec moi il y a uninstant encore.

— Je suis là ! lança Étoile Bleueen jaillissant à son tour dans la

clairière. Tornade Blanche nem’aurait pas distancée si ÉtoileFilante ne m’avait pas retenue.

— Que voulait-il ? s’enquit PetiteFeuille.

— Il s’inquiétait pour rien,comme d’habitude. Tu n’as pas dechance, poursuivit la meneuse envoyant la truffe gonflée de CrocJaune. Je ne pensais pas qu’il y avaitdes puces, ici. »

Petite Feuille ronronna en donnantun coup d’épaule amical à CrocJaune.

« Étoile Filante ? insista cettedernière en repoussant PetiteFeuille.

— Ils s’inquiètent pour les petits.— Nuage de Houx, Nuage de Lion

et Nuage de Geai ? hasarda CrocJaune.

— Bien sûr… La prophétie letourmente comme une tique.

— Leur entraînement se passebien, fit remarquer Petite Feuille.Chacun semble enfin trouver sa voie.

— En effet, reconnut Croc Jaune,avant d’ajouter doucement, les yeuxbaissés : Mais ils ignorent tant dechoses.

— Ils sont encore très jeunes, luirappela Étoile Bleue.

— Cela ne nous autorise pas à lestromper.

— Crois-tu vraiment que cela lesaiderait de connaître toute la vérité ?

— Les vies qui débutent dans latromperie se déroulent toujours dansl’ombre.

— Nous ne pouvons pas leur direla vérité, argumenta Étoile Bleue ens’asseyant. Nous avons gardé lesecret pour une bonne raison – etnous étions tous d’accord, CrocJaune. Nous devons avant toutpenser au bien du Clan.

— C’est un mensonge. Commentcela pourrait-il être bien ?

— Nous n’avons pas été lespremiers à leur mentir, intervintTornade Blanche.

— Mais nous avons continué àleur dissimuler la vérité, contraCroc Jaune. Je suis toujourspersuadée qu’il y a trop de secretsdans leur vie.

— Ils connaissent la prophétie,miaula Petite Feuille.

— La prophétie ! pesta CrocJaune. J’aurais préféré qu’ils n’enentendent jamais parler. Parfois, jeme dis qu’il aurait mieux valu qu’ilsne reçoivent pas leurs pouvoirs. »

Petite Feuille caressa le flanc desa camarade du bout de la queue enrépondant :

« Tu sais que nous n’y sommespour rien. Nous pouvons juste

espérer qu’ils se serviront de leurspouvoirs à bon escient, pour le biendu Clan du Tonnerre.

— Du Clan du Tonnerreseulement ? fit Tornade Blanche,pensif. Si leurs pouvoirs sont siconsidérables, ne devraient-ils pasbénéficier à tous les Clans ?

— Ces petits sont nés dans leClan du Tonnerre ! s’offusqua ÉtoileBleue. Ils ont été élevés pour êtredes guerriers loyaux à leur Clan.Pourquoi se sentiraient-ilsresponsables du bien-être des autres? »

Croc Jaune coula un regardoblique vers la vieille meneuse,

mais s’abstint de tout commentaire.« Nous devons parfois admettre

que nous ne sommes pas d’accord,suggéra le matou blanc d’un tonconciliateur. L’important, c’est queces petits écoutent et respectent leursancêtres.

— Oui, convint Petite Feuille.Nous devons nous assurer qu’ilstiennent compte de nosrecommandations. Nous devons lesguider.

— Plus facile à dire qu’à faire…Et toi ? lança Croc Jaune à PetiteFeuille, tandis qu’Étoile Bleue etTornade Blanche s’éloignaient. Tucautionnes tous ces mystères ?

— La vérité est une armepuissante. Nous devons prendregarde à bien l’utiliser.

— Ce n’est pas une réponse !— Pourquoi t’inquiètes-tu autant ?— Je ne sais pas…, admit la

vieille guérisseuse. J’ai comme unmauvais pressentiment. » Son regardglissa vers les arbres, comme pourscruter la forêt. « Quelque chose neva pas. Une vague de ténèbres seprépare, si puissante que le Clan desÉtoiles lui-même ne pourra lacontenir. Et lorsqu’elle sera là, nousserons incapables de protéger lesClans. Incapables de nous protégernous-mêmes. »

CHAPITRE 1

NUAGE DE HOUX S’ACCROUPIT uninstant sur un rocher avant deredescendre vers les lointainescollines. Un vent froid venu desmontagnes ébouriffa sa fourrure. De

son perchoir, elle contemplait leschamps verdoyants qui s’étendaientjusqu’à la forêt ; quelque partderrière ces arbres se trouvaient lelac et leur territoire.

Même si les arbres étaient encoretouffus, leurs feuilles roussissaientdéjà et une nouvelle senteur humideimprégnait l’air. La saison desfeuilles mortes arrive, songea-t-elle.

Elle avait hâte d’être rentrée, illui semblait qu’elle avait passé deslunes parmi la Tribu. Enfin, ilsavaient réussi à quitter lesmontagnes sans encombre. Le solserait bientôt plus doux sous leurs

pattes, la chasse plus facile et leterritoire plus familier que lepaysage de rocs, d’eau et d’arbustesrabougris qu’ils avaient quitté.

Elle jeta un coup d’œil en arrière.Griffe de Ronce et Poil d’Écureuils’entretenaient à voix basse avecPelage d’Orage et Source. Pelaged’Or et Plume de Jais les écoutaientattentivement. Se disaient-ils aurevoir ?

Nuage de Houx était toujours sousle choc de la nouvelle : Pelaged’Orage et Source ne lesaccompagneraient pas. La veille ausoir, au cours du festin d’adieu dansla caverne derrière la cascade,

Pelage d’Orage avait annoncé queSource et lui les suivraient jusqu’aupied des collines, mais pas plusloin. Nuage de Geai, évidemment,s’était contenté de hausser lesépaules comme s’il savait depuis ledébut que le couple ne rejoindraitpas le Clan du Tonnerre. Nuage deHoux, elle, en avait été très surprise,mais comprenait la décision duguerrier gris. Source doit ressentirpour les montagnes ce que jeressens pour mon propre territoire.Et Pelage d’Orage l’aimesuffisamment pour rester auprèsd’elle, quel que soit le décor.

Soudain, un mouvement de plumes

marron attira son attention. Un aigleplanait un peu plus bas, à lapoursuite d’un lièvre terrifié quidétalait en projetant derrière lui dela terre et de l’herbe. Les ailesplaquées contre son corps, l’aiglepiqua soudain : il fit rouler le lièvredans l’herbe avant de le clouer ausol avec ses serres acérées.

Nuage de Houx enviait le rapace.Elle aurait tant aimé voler comme ça! Elle ferma les yeux et s’imaginafilant au-dessus de l’herbe, lespattes effleurant à peine le sol,légère comme une plume, plusrapide que la plus rapide desproies…

Le miaulement impatient de Nuagede Lion, qui l’avait rejointe, la tirade ses pensées.

« Si seulement on continuait àavancer… », grommela-t-il ensuivant le regard de sa sœur jusqu’àl’aigle qui se régalait. « Et siseulement je pouvais moi aussiavaler quelque chose…

— Tu crois qu’on pourra voler,un jour ? » murmura Nuage de Houx.

Son frère se tourna vers elle en ladévisageant comme si elle avaitperdu la raison.

« Parce que… Nuage de Geai adit qu’on détenait le pouvoir desétoiles entre nos pattes », se hâta-t-

elle d’expliquer. Le dire à hautevoix était toujours étrange. « Nousne savons pas vraiment ce que celasignifie. Je me demandais juste si…

— Des chats volants ! se gaussa-t-il. Et pour quoi faire ?

— Tu n’as aucune imagination,rétorqua-t-elle, les oreillesbrûlantes. Nous avons plus depouvoirs qu’aucun chat vivant et tuagis comme si ce n’était rien du tout! Et pourquoi ne pourrions-nous pasvoler, ou faire tout ce que nousvoulons ? Arrête de te moquer demoi !

— Je ne me moque pas… C’estjuste que, à mon avis, on aurait l’air

bêtes avec des ailes.— Tu ne prends pas cela

suffisamment au sérieux ! s’emporta-t-elle. Il nous faut découvrir ce quecette prophétie signifie ! »

Nuage de Lion cligna des yeux enreculant d’un pas.

« T’énerve pas. Tu connais Nuagede Geai et ses visions. Elles sontséduisantes, mais nous devons vivredans le monde réel.

— Qu’est-ce que le monde réel,pour nous, avec tant de pouvoirs ?Tout est possible pour nous !Imagine tout ce que nous pourronsfaire pour le Clan !

— La prophétie ne dit rien de tel,

la reprit-il. Elle ne parle que denous.

— Mais le code du guerrier nousenseigne à protéger notre Clan avanttout ! »

Le regard de Nuage de Liondériva vers les collines lointaines.

« Sommes-nous tenus de suivre lecode du guerrier si nous sommesplus puissants que le Clan desÉtoiles ? » se demanda-t-il tout haut.

Nuage de Houx frémit.« Comment peux-tu dire une chose

pareille ? »Nuage de Geai sauta sur le rocher

pour les rejoindre.« Vous pourriez parler un petit

peu plus fort ? feula-t-il. Je croisque certains n’ont pas bien entendu.»

Ses yeux bleus lançaient deséclairs. La cécité ne les empêchaitpas d’être expressifs.

Inquiète, Nuage de Houx fit volte-face vers leurs camarades pour voirs’ils les avaient écoutés. Non, ilsétaient toujours absorbés par leurpropre conversation.

« Personne ne fait attention ànous, le rassura-t-elle.

— Tout le monde n’a pas l’ouïeaussi fine que toi, ajouta Nuage deLion.

— C’était juste une mise en garde,

d’accord ? miaula Nuage de Geai.Nous devons garder le secret.

— On sait, rétorqua Nuage deLion.

— Mais comprends-tu seulementpourquoi ? À ton avis, commentréagiraient les autres s’ilsdécouvraient que nous sommes nésavec davantage de pouvoirs que leClan des Étoiles ?

— Ils n’y croiraient pas, réponditl’apprenti guerrier en jetant un coupd’œil à ses parents.

— J’y crois à peine moi-même,admit Nuage de Houx.

— Oh que si, ils y croiraient,rétorqua Nuage de Geai d’une voix

glaciale. Et je doute que ça leurplairait.

— Et pourquoi pas ? s’étonna sasœur, un peu déconcertée. Ilsseraient sans doute contents qu’onpuisse devenir les meilleursguerriers du monde, non ?

— La prophétie n’a rien à voiravec le fait d’être un bon guerrier !Elle dit que nous sommes pluspuissants que le Clan des Étoiles !Vous ne pensez pas que cela pourraiteffrayer des chats ordinaires ?

— Nous ne ferons jamais rien demal, insista la novice. C’est un donfait à tout notre Clan, pas seulementà nous. »

Que croyait-il donc qu’ils feraientavec leurs pouvoirs ?

« Chut ! » la coupa Nuage de Geaien entendant Poil d’Écureuil trottervers eux.

Elle s’arrêta au pied du rocher.« Pour quelle raison vous

disputez-vous ?— Nuage de Houx et Nuage de

Lion se chamaillent pour savoirlequel des deux est le meilleurchasseur », répondit Nuage de Geaisans une hésitation.

La jeune chatte noire ouvrit lagueule pour protester avant de seraviser.

« Vous avez mieux à faire, les

gronda Poil d’Écureuil. Griffe deRonce vous a dit d’aller chasserpour la Tribu. »

Pris par leur dispute, ils n’avaientmême pas entendu les ordres !

« Nous ne devrions pas avoirbesoin de nous répéter, ajouta-t-elle.

— Désolée », marmonnal’apprentie guerrière, tête baissée.

D’un mouvement de la queue, larouquine leur désigna un bosquet quilongeait la pente.

« Essayez de ce côté, et dépêchez-vous ! »

L’ombre des arbres s’étirait versle sommet de la colline. Le soleilallait bientôt se coucher.

« Les proies doivent êtrenombreuses, là-bas, miaula Nuagede Lion en se léchant le museau.

— Oui, il y en aura pour tout lemonde, ajouta leur mère. Nuage deGeai, tu veux bien examiner lescoussinets de Pelage d’Or ? Elles’est égratignée sur une pierrecoupante. »

En redescendant des montagnes,ils s’étaient tous plus ou moinsabîmé les pattes sur les cailloux dessentiers. Nuage de Houx devina quesa mère cherchait juste à occuperNuage de Geai, puisqu’il ne pouvaitpas chasser. Elle se crispa, sachant àquel point son frère pouvait être

susceptible. Pourtant, il se contentade hocher la tête et de suivre laguerrière. Il ne se hérissa même paslorsque celle-ci lui donna un coupde langue pour nettoyer quelquespoils crasseux derrière son oreille.

Cette attention agaça Nuage deHoux. Poil d’Écureuil lesconsidérait toujours comme deschatons. Tout serait tellement plussimple si c’était le cas ! Les chatonsn’avaient pas à s’inquiéter d’êtreplus puissants que les guerriers dejadis. Les choses changent, se dit-elle. Elle se détourna avec angoisse.Poil d’Écureuil aurait-elle un jourpeur de ses propres petits ?

« Qu’est-ce qui te chagrine ?s’enquit Nuage de Lion.

— Peu importe. Allons chasser. »Elle s’approcha du bord du

surplomb et laissa pendre ses pattesavant dans le vide. C’était haut, maisl’herbe en contrebas promettait unatterrissage en douceur. Dès qu’elletoucha le sol, une boule de poils lapercuta, lui coupant le souffle. Quim’attaque ? Haletante, elle sereleva, prête à la bagarre.

« Pourquoi t’es-tu mise sur monchemin ? »

Nuage de Brume !L’apprenti du Clan du Vent

s’ébrouait près d’elle.

« J’allais attraper une souris !— Désol… » Elle se reprit à mi-

mot, le poil dressé sur l’échine.Cette cervelle de souris ne pouvait-il donc pas regarder où il allait ? «Je croyais qu’on était censés chasserlà-bas ! feula-t-elle, la queue pointéevers le bosquet.

— Je décide seul de l’endroit oùje vais chasser ! Au moins, moi, jeme rends utile au lieu de papoteravec mes camarades ! ajouta-t-il enlevant les yeux vers Nuage de Lion,qui les contemplait du haut du roc.

— Tes camarades ne voudraientmême pas papoter avec toi s’ilsétaient là ! » s’emporta-t-elle, avant

de regretter aussitôt ses paroles.Même s’il avait aussi mauvais

caractère que son père, et était deuxfois plus prétentieux que lui, ellel’avait pris en pitié. Plume de Jaistraitait son fils avec tant de méprisque Nuage de Brume semblaitparfois être un solitaire dans sonpropre Clan.

D’un bond, Nuage de Lion lesrejoignit.

« Tu vas bien ?— Mais oui, elle va bien !

rétorqua l’apprenti du Clan du Vent.Elle irait encore mieux si elle étaitpartie chasser comme on le lui ademandé au lieu de se mettre dans

mes pattes. Plus vite on rapporterace gibier, plus vite on rentrera cheznous. »

Depuis le début, ils avaientdeviné que Nuage de Brume avaitété contraint de les accompagnerdans les montagnes. Et Plume de Jaislui-même n’avait pas l’airparticulièrement heureux de saprésence. Il ne semblait jamais fierde son fils, au contraire de Griffe deRonce qui complimentait toujoursNuage de Houx comme si elle étaitla meilleure guerrière du Clan. Lanovice couva le malheureux apprentid’un regard compatissant et ditgentiment :

« Nous serons bientôt au lac.— Pourquoi devons-nous trouver

du gibier pour la Tribu, d’ailleurs ?s’emporta Nuage de Brume. Ils n’ontqu’à se débrouiller seuls ! »

La compassion de la jeune chattenoire fondit comme neige au soleil.Elle hésita à lui rappeler que laTribu était épuisée après la bataillerécente et que le gibier se faisaitplus rare que jamais dans lesmontagnes. Mais elle décida de nepas gaspiller sa salive. Tout cequ’elle voulait, c’était rentrer auplus vite et se coucher dans son nidchaud le ventre plein, au milieu deses camarades.

« Va donc attraper un lapin, lançaNuage de Lion avant de s’éloignerd’un pas lourd.

— Les chats du Clan du Tonnerrese croient vraiment meilleurs quetout le monde », feula Nuage deBrume.

Alors que le matou noir s’élançaitdans la descente, Nuage de Houxentendit son frère marmonner :

« Si seulement j’avais le pouvoirde faire taire cette sale boule depoils une fois pour toutes… »

Est-ce qu’il plaisante ? Elle ledépassa et bloqua son chemin.

« Tu ne penses pas ce que tu dis,n’est-ce pas ?

— Bien sûr que non, grogna-t-il.Je suis juste fatigué.

— Tu crois que c’est ça, le“pouvoir du Clan des Étoiles” ?Forcer les autres à se plier à notrevolonté ? »

Nuage de Lion haussa les épaulesen évitant de la regarder en face.

« J’imagine… Je n’y ai pasvraiment réfléchi, en fait.

— Mais si, forcément ! »Il la contourna, fit quelques pas

avant de poursuivre :« Moi, j’espère que cela me

rendra plus fort que tous les autresguerriers, comme ça je remporteraitoujours mes combats… Et toi ?

— Moi, j’espère que cela mepermettra de connaître des chosesque les autres ignorent.

— Comme quoi ? fit-il, une lueurmalicieuse dans les yeux. Tuvoudrais connaître la langue desBipèdes ?

— Ne dis pas de bêtises ! Je parledu pouvoir de comprendre…absolument tout. »

Ils avaient presque atteint lesarbres lorsqu’il reprit la parole.

« Peut-être que ce pouvoirs’exprimera différemment en chacunde nous. Nuage de Geai arrive déjàà lire dans les pensées des autres. Ille fait avec toi, non ? »

Nuage de Houx acquiesça.« Alors que Feuille de Lune en est

incapable. Comme les autresguérisseurs. Nuage de Geai fait déjàdes prédictions concernant les autresClans. Ce doit être son pouvoir –voir des choses que les autres nevoient pas.

— De nous tous, c’est lui le moinsaveugle », murmura Nuage de Houxen frémissant.

Elle s’arrêta pour laisser passerson frère dans les taillis quis’épaississaient à l’orée du bois.

« As-tu déjà ressenti quelquechose de spécial ? » s’enquit-elle.

À sa grande surprise, il fit volte-

face et hocha la tête. Ses yeuxbrillaient d’une étrange intensité.

« Au début de notre voyage, nousnous sommes arrêtés sur la crêtepour regarder le lac en contrebas, tute rappelles ? Puis tu es partiechasser et te reposer, mais moi, jen’avais pas faim… Alors que jecontemplais les territoires, j’aicommencé à me sentir… un peubizarre.

— Bizarre comment ?— J’ai eu l’impression de

pouvoir faire tout ce que je voulais !Courir jusqu’à l’horizon sans jamaisme fatiguer, combattre n’importequel ennemi et triompher, affronter

n’importe quelle bataille sanstrembler. »

Nuage de Houx se rendit comptequ’elle avait reculé malgré elle.Quelque chose en lui la mettait mal àl’aise : la façon dont il avaitredressé les épaules, et qui luidonnait l’air plus fort qu’avant, sonregard lointain, comme s’il pouvaitvoir au-delà d’elle, au-delà desbois, un lieu distant où il triomphaitde ses ennemis d’un seul coup depatte. Elle repensa au combat livrépour la Tribu, puis à la façon dont ilétait sorti, trébuchant, de la mêlée,couvert de sang – de sang ennemi –,encore prêt à en découdre jusqu’à ce

qu’il n’y ait plus un seul adversairedebout.

Le feu qui embrasait ses prunellesla fit trembler.

Comment pouvait-elle avoir peurde son propre frère ?

CHAPITRE 2

NUAGE DE GEAI posa le bout desa truffe sur les coussinets de Pelaged’Or. Ils étaient chauds et gonflés.

« Ce n’est qu’une inflammation,annonça-t-il. Ta patte est érafléemais ne saigne pas. Enfin, ça, tu dois

déjà le savoir. »Il entendait les murmures de

Nuage de Houx et de Nuage de Lionqui s’en allaient chasser.Discutaient-ils de la prophétie ?

Pelage d’Or retira sa patte.« Oui, je le savais. Je n’avais pas

senti le goût du sang. Je medemandais juste si un gravier m’étaitrentré dans la peau. Mes coussinetsont tellement durci depuis que noussommes dans les montagnes que jene fais plus la différence entre unecoupure et un durillon.

— Pas de gravier, la rassura-t-ilavant de se tourner vers le ruisseauqu’il entendait couler non loin sur

les rochers. Ce cours d’eau ne doitpas être profond. Va t’y tremper lespattes. L’eau devrait soulager ladouleur. »

Il la suivit et entendit des bruitsd’éclaboussures lorsqu’elle sautadans le torrent.

« L’eau est gelée ! hoqueta-t-elle.— Tant mieux. Tes coussinets

dégonfleront plus vite. »Il dressa l’oreille. Les voix de

son frère et de sa sœur avaientdisparu au loin. Il avait enfin partagéavec eux le secret qu’il gardaitdepuis trop longtemps. Le leurrévéler avait été comme s’aventureren terre inconnue tant il appréhendait

leur réaction. Nuage de Lion l’avaitaccepté comme si cela expliquaitquelque chose qui le troublait. Laréaction de Nuage de Houx avait étéplus frustrante. Évoquant sans cessele code du guerrier, elle semblait nepenser qu’à aider leur Clan. Necomprenait-elle pas ce que laprophétie impliquait ? Ils avaientreçu des pouvoirs qui s’étendaientbien plus loin que les limites érigéespar des chats ordinaires.

Le miaulement de sa tante le tirade ses pensées.

« Cette eau est vraiment glaciale.— Elle descend de la montagne.— Je m’en doute… Je ne sens

plus mes pattes !— Sors, dans ce cas. »Avec un soupir de soulagement,

elle le rejoignit sur la rive et secouases pattes pour les sécher, l’arrosantau passage.

Il frémit et s’écarta bien vite. Lesvents de la montagne et l’eauglaciale ne faisaient guère bonménage.

« Tu as toujours mal à la patte ?— Je ne la sens plus du tout… Et

les autres non plus. »Poil d’Écureuil s’approcha d’eux.« Ça va mieux ?— J’ai l’impression, répondit la

guerrière.

— Et toi, tu vas bien, mon petit ?demanda la rouquine à Nuage deGeai en lui léchant l’oreille.

— Pourquoi ça n’irait pas ?grommela-t-il en s’écartant.

— Tu as le droit d’être fatigué. Levoyage a été long.

— Ça va », rétorqua-t-ilsèchement.

La queue de sa mère allait etvenait sur les rochers granuleux.Elle allait sans doute dire que levoyage devait être encore plus durpour lui, puisqu’il était aveugle,avant d’ajouter bêtement qu’il s’étaittrès bien débrouillé dans ceterritoire inconnu.

« Vous êtes bien silencieux, tousles trois, depuis la bataille »,miaula-t-elle.

Elle s’inquiète pour nous trois !Sa colère s’évapora. Il aurait tantvoulu la rassurer ! Mais il nepouvait en aucun cas lui révéler lesecret incroyable qui occupait leurspensées.

« On est juste pressés de rentrer àla maison.

— Comme nous tous. »Elle posa le menton sur la tête de

son fils et il se pressa contre elle,comme un chaton, heureux de sentirla chaleur de sa mère.

« Ils sont de retour ! » lança

Pelage d’Or.Poil d’Écureuil releva la tête.

Nuage de Geai flaira aussitôtl’odeur de Nuage de Houx et deNuage de Lion. Il entendit des griffescrisser sur les rochers et reconnutaussi le parfum de Nuage de Brume.Les chasseurs étaient rentrés.

« Allons voir ce qu’ils ont pris ! »suggéra Pelage d’Or, qui s’élançaaussi sec.

Nuage de Geai le savait déjà. Sonestomac gargouillait tandis qu’ilsuivait sa tante. L’odeur alléchantede l’écureuil, du lapin et du pigeonlui emplissait la truffe. Si seulementces prises n’étaient pas pour la

Tribu…Plume de Jais et Griffe de Ronce

s’étaient déjà approchés de laréserve de fortune. Pelage d’Orageet Source restaient en arrière,comme si ce présent les gênait.

« Ce lapin est si dodu qu’ilnourrira tous les aspirants, miaulaPoil d’Écureuil.

— Belle prise, Nuage de Brume», ronronna Pelage d’Or.

Nuage de Geai, qui s’attendait àsentir la fierté de l’apprenti du Clandu Vent, fut surpris de ne percevoirque de l’angoisse. Il attend que sonpère le complimente.

« Beau pigeon », lança Plume de

Jais à Nuage de Lion.Nuage de Brume se raidit, furieux.« Et regardez l’écureuil que j’ai

attrapé ! ajouta Nuage de Houx.Vous en aviez déjà vu un aussijuteux ?

— Venez voir ! lança Pelage d’Orà Pelage d’Orage et Source, quiobtempérèrent.

— Voilà qui nous sera très utile,miaula le guerrier gris d’un tonformel.

— La Tribu vous remercie »,ajouta sa compagne sans plus dechaleur.

Nuage de Geai comprenait leurmalaise. En acceptant ce gibier, ils

admettaient ouvertement leurfaiblesse. La chasse était difficiledans les montagnes à présent quedeux groupes de chats separtageaient le territoire. Etpourtant, Nuage de Geai devinait lafierté de Pelage d’Orage. La brisequi souffle sur les montagnestouche son cœur autant que sonpelage. Il possédait au fond de luiune réserve de force, dedétermination que Nuage de Geain’avait encore jamais sentie. Il croitsincèrement que son destin est devivre dans les montagnes. La Tribuétait le nouveau Clan de Pelaged’Orage. Après être né dans le Clan

de la Rivière et avoir vécu au seindu Clan du Tonnerre, il semblaitavoir enfin trouvé sa place.

Nuage de Geai frémit. Avec lafraîcheur tombée en cette find’après-midi, le vent devenaitcinglant.

Un hurlement résonna au-dessusde leur tête.

« Des loups, murmura Source, lafourrure hérissée.

— Nous rentrerons sains et saufsà la caverne avec ce gibier, larassura son compagnon. Les loupssont trop maladroits pour noussuivre dans les sentiers montagneux.

— Vous devez traverser une large

bande à découvert avant d’y arriver.Vous devriez partir tout de suite,conseilla Griffe de Ronce.

— Et nous aussi, renchérit Plumede Jais. L’odeur de ces proies vaattirer tous les prédateurs desenvirons. »

Alors que Nuage de Geai flairaitun étrange fumet dans le vent, ilperçut aussitôt la détresse de tousles guerriers. C’était la premièrefois qu’il humait un loup. L’odeur luirappelait les chiens de la ferme desBipèdes, en plus sauvage, pluscruelle. Heureusement, le fumet étaitléger.

« Ils sont loin, murmura-t-il.

— Peut-être, mais ils sontrapides, rectifia Source.

— Vous allez nous manquer »,soupira Poil d’Écureuil avectristesse.

Source vint se frotter à elle etdéclara :

« Merci de nous avoir accueillisparmi vous.

— Le Clan du Tonnerre vous estreconnaissant pour votre loyauté etvotre courage, répondit Griffe deRonce.

— On se reverra, non ? » s’enquitNuage de Houx avec espoir.

Nuage de Geai se demanda s’ilretournerait un jour dans les

montagnes. Reverrait-il la Tribu dela Chasse Éternelle ? Il était entrédans les rêves de Conteur et avaitété guidé jusqu’à une combe où unemultitude de chats couverts depoussière d’étoiles s’étaient réunisautour d’un bassin scintillant. Ilfrémit en se remémorant leursparoles : « Tu es venu. » Ilsl’attendaient, et ils connaissaient laprophétie ! Nuage de Geais’interrogea une fois de plus surl’origine de la prophétie et le lienéventuel entre la Tribu de la ChasseÉternelle et ses propres ancêtres.

« Nous n’avons plus de tempspour les adieux ! s’impatienta Plume

de Jais.— Prends soin de toi, jeune félin,

miaula Source à Nuage de Geai enpressant sa joue contre la sienneavant de se tourner vers Nuage deHoux.

— Veille sur ton frère et ta sœur,murmura Pelage d’Orage à Nuage deGeai en lui léchant l’oreille.

— Au revoir, Pelage d’Orage,répondit-il. Au revoir, Source. »

Source l’avait toujours réconfortéet encouragé, comme si ellecomprenait ce que cela faisait d’êtredifférent. Et Pelage d’Orage, loin dele traiter comme un chaton, lui avaittémoigné la même chaleur et l’avait

traité comme tous les autresapprentis. Ils lui manqueraient tousdeux.

Nuage de Lion vint se placerdevant lui.

« Au revoir, Pelage d’Orage.Montre à ces envahisseurs qu’unchat de Clan ne se laisse jamaisabattre.

— Au revoir, Nuage de Lion.N’oublie pas que, même si nosexpériences nous changent, nousdevons poursuivre la lutte. »

Nuage de Geai devina un courantchaleureux passant du guerrier àl’apprenti, et il comprit avecsurprise qu’un lien spécial les

unissait. Il y réfléchit un instanttandis que ses camaradescommençaient à dévaler la pente etque Pelage d’Orage ramassait legibier pour aller rejoindre sacompagne partie devant.

« Arrête de traînasser ! lançaPlume de Jais en le poussant du boutdu museau vers le flanc herbeux dela colline.

— Je n’ai pas besoin d’aide !s’indigna l’aveugle.

— Comme tu veux. Mais tu neviendras pas te plaindre si on teperd en cours de route. »

Le matou s’élança d’un pas lourdqui fit vibrer le sol.

Je n’ose pas imaginer ce que çadoit faire d’avoir un père commeça. Je suis bien content de ne pasêtre à la place de Nuage de Brume.

« Dépêche, Nuage de Geai ! » letança Nuage de Lion.

L’apprenti guérisseur leva latruffe. Sur ce versant exposé au vent,il lui était facile de deviner où lesautres se trouvaient. Griffe de Roncemenait le groupe, suivi par Nuage deBrume. Plume de Jais, qui les avaitdéjà rattrapés, cheminait près dePelage d’Or. Poil d’Écureuilavançait seule, tandis que Nuage deHoux et Nuage de Lion fermaient lamarche.

Nuage de Geai courut lesrejoindre. L’herbe était lisse etdouce sous ses pattes.

« Ça me fait bizarre de partir sanseux, haleta-t-il.

— C’est leur choix, lui rappelaPlume de Jais.

— Crois-tu que nous lesreverrons un jour, eux et le reste dela Tribu ? l’interrogea Pelage d’Or.

— J’espère pas. Je ne veux plusjamais revoir ces fichues montagnes.

— Ils pourraient nous rendrevisite au lac », suggéra Nuage deHoux.

Un nouveau hurlement terrifiantretentit dans les montagnes derrière

eux.« Il faudrait d’abord qu’ils

rentrent chez eux sains et saufs,murmura Nuage de Lion.

— Ils y arriveront, le rassuraGriffe de Ronce. Ils connaissentparfaitement le territoire – ils sontchez eux. »

Alors qu’il avançait au côté deson frère et de sa sœur, Nuage deGeai flaira l’odeur humide de laforêt. Bientôt, il ne foula plus del’herbe, mais de l’humus. L’espaced’un instant, Nuage de Geai regrettade ne pas pouvoir rester sur le flancde la colline. Là-bas, au moins, lesodeurs et les bruits n’étaient pas

étouffés par les feuillages et nulleronce ne risquait de l’écorcher.Dans cette forêt inconnue, il sesentait plus aveugle que jamais.

« Attention ! »La mise en garde de Nuage de

Lion arriva trop tard. Nuage de Geais’était déjà pris une patte dans desronces.

« Crotte de souris ! »Il se débattit pour se libérer mais

les piquants se resserrèrent autourde ses pattes.

« Ne bouge plus ! » lui conseillaNuage de Houx qui venait à larescousse.

Il obéit en ravalant sa fierté et

laissa Nuage de Lion le libérer.« Stupide roncier ! » grommela

Nuage de Geai, et il reprit sonchemin le menton levé.

Il n’avait aucune idée de là où ilmettait les pattes et essayaitdésespérément de le cacher.

Sans un mot, son frère et sa sœurvinrent se placer de chaque côté delui. En le frôlant du bout desmoustaches, Nuage de Houx lui fitcontourner un bouquet d’orties. Plustard, lorsqu’ils se retrouvèrentdevant un tronc tombé en travers dusentier, Nuage de Lion lui posa lebout de la queue sur l’épaule –l’apprenti guérisseur comprit qu’il

devait s’arrêter le temps que sonfrère trouve le meilleur endroit oùgrimper par-dessus.

Tout en suivant Nuage de Lion surl’écorce friable, Nuage de Geai neput s’empêcher de se demander : Laprophétie est-elle vraiment destinéeà un aveugle ?

CHAPITRE 3

NUAGE DE LION REMUA dans sonsommeil. Il rêvait.

Dressé sur un piton rocheux, illaissait la brise des montagnesébouriffer son pelage. Un ciel sansétoiles s’étendait jusqu’à l’horizon,

aussi noir qu’une aile de corbeau.Devant lui, les crêtes et les arêtes sesuccédaient telles des ridules à lasurface d’un lac balayé par le vent.Malgré l’absence de lune, lessommets brillaient d’un éclatmagnifique. Tout cela m’appartient! Plein de liesse, il bondit en avant,ses pattes arrière puissantesprojetant des graviers dans leprécipice devant lui. Il le franchitavec aisance et atterrit sur la crêteopposée. Ses griffes se plantèrentdans la roche. Il bondit de nouveau,léger comme l’air. Il lui sembla quesa queue frôlait le ciel, qui lui parutaussi doux qu’une fourrure soyeuse.

Alors que le sang lui battait auxtempes, il releva le menton et feula.Son cri résonna comme le tonnerredans les montagnes désertes : Jedétiens le pouvoir des étoiles entremes pattes !

L’appel de Pelage de Granit leréveilla en sursaut :

« Nuage de Lion ! Patrouille dechasse ! »

Les rayons dorés du soleilfiltraient droit à travers les branchesde la tanière. Les autres nids étaientv i de s . Midi, déjà ! Il se mitpéniblement debout. Et il se souvintde tout. Ils n’avaient atteint le campqu’à minuit passé. Pelage de Granit

ne lui en voudrait sans doute pasd’avoir dormi si longtemps…

Il bâilla en s’étirant longuement. Ilavait mal aux pattes après leur longpériple dans les montagnes. Il selécha prudemment les coussinetspour voir si les égratignurescommençaient à guérir. Aucune tracede sang. Les croûtes étaient dures. Iln’aurait pas de mal à fouler le solmoelleux de la forêt.

« Nuage de Lion ! » le héla denouveau son mentor, d’un ton plussec.

L’apprenti guerrier s’extirpa de latanière. Il avait bien le droit de sereposer, non ? Les pattes lourdes, il

avança dans la clairière, aveuglé parle soleil qui réchauffait sa fourrure.Une brise légère agitait les arbres ausommet de la combe. Dans lesmontagnes, on ne pouvait se protégerdu vent qu’en regagnant la cavernefroide et humide derrière la cascade.Au nom du Clan des Étoiles,comment la Tribu faisait-elle poursurvivre à la mauvaise saison ? Ilsavaient déjà eu très froid durant lasaison des feuilles vertes !

« Enfin debout ! lui lança Pelagede Granit en guise de bonjour.Depuis le temps qu’on t’attend, legibier a bien pu mourir devieillesse.

— Tant mieux, il sera plus facileà attraper, grommela le jeune matou.

— Je sais que tu es fatigué, maisNuage de Givre meurt d’envie departir en forêt et j’ai promis à AileBlanche que nous lesaccompagnerions. »

Nuage de Lion remarqua alors laprésence de la guerrière. Sa jeuneapprentie courait partout dans laclairière tel un lièvre joyeux, sautantet bondissant comme pour attraperune proie invisible. Et si sa proieétait invisible, elle, en revanche,avec son pelage blanc soyeux et sesyeux bleu clair, ne l’était pas du tout.C’était peut-être la raison pour

laquelle Étoile de Feu lui avaitdonné Aile Blanche pour mentor. Lachatte connaissait bien lesinconvénients d’un pelage immaculé,aussi voyant qu’un tas de neige enpleine saison des feuilles vertes.Elle pourrait enseigner à sonapprentie quelques techniques detraque spéciales. Tandis qu’ilregardait Nuage de Givre sautilleren tous sens, il se retint de ronronneren se rappelant à quel point il avaitété excité au début de son propreapprentissage.

Aile Blanche vint les rejoindre.« On peut y aller, maintenant ? »Nuage de Lion remarqua que le

bout de sa queue s’agitait de-ci de-là. Nuage de Givre était sa premièreapprentie. La guerrière s’inquiétait-elle de ne pas arriver à former cetteboule d’énergie ?

« Par où veux-tu commencer ? »demanda Pelage de Granit.

Aile Blanche observait Nuage deGivre d’un air pensif. La petitechatte bondit sur un tas de feuilles,qui vola dans toutes les directions.

« Tu crois que Nuage de Givres’entraînerait mieux près du VieuxChêne ou près de l’ancien Chemindu Tonnerre ? »

Le ventre de Nuage de Liongargouilla. Il jeta un coup d’œil à la

réserve de gibier : une souris doduetrônait au sommet. Mais le Clandevait être nourri avant lui.

« Il y a souvent plus de gibierautour du Chêne, hasarda-t-il.

— C’est à toi de décider »,répondit Pelage de Granit à AileBlanche en ignorant son apprenti.

Nuage de Lion en fut contrarié.Pourquoi l’avoir réveillé ? Sonopinion ne les intéressaitvisiblement pas. Et ni l’un ni l’autrene l’avait interrogé sur son voyagedans les montagnes. Il balaya lecamp du regard, courroucé.D’ailleurs, personne n’avaitmanifesté la moindre curiosité à son

retour.« Hé, Nuage de Lion ! lui lança

Nuage de Givre. Je m’y prends bien? »

Elle rampait dans la position duchasseur en remuant la queue.

« Oui », fit-il, distrait.« Ta queue doit rester immobile,

Nuage de Givre », lui conseillaPelage de Granit.

Nuage de Lion se tourna vers sonmentor, surpris. Je croyais que tudédaignais tous les apprentis…

Le matou soutint son regard avantde s’adresser de nouveau à Nuagede Givre.

« Si tu fais bouger les feuilles, le

gibier saura que tu approches. »Le guerrier pensait manifestement

que Nuage de Lion aurait dû releverl’erreur de la jeune chatte. Le novicevit rouge. Pourquoi son mentors’attendait-il à ce qu’il s’occupe del’apprenti d’un autre ? C’était leboulot d’Aile Blanche. Puis il s’envoulut un peu en se souvenant à quelpoint il avait été heureux lorsquePelage d’Orage ou Plume Grise luiavaient fait remarquer ses erreurs.

Il s’approcha de sa cadette.« Je vais te montrer ce qu’il veut

dire, annonça-t-il, joignant le geste àla parole. Aplatis ton dos comme ça.Plus tu frôles le sol, moins tu es

visible.— Comme ça ? s’enquit-elle en

l’imitant.— Exactement. »Nuage de Givre leva la tête, et ses

yeux reflétèrent le ciel.« Merci, Nuage de Lion.

J’appréhende ma première leçon dechasse.

— Tout ira bien, lui promit-il enlui caressant le dos du bout de saqueue. Contente-toi d’imiter nosmentors et n’espère pas attraperquelque chose du premier coup. Ilm’a fallu beaucoup d’essais pour yparvenir. »

Nuage de Givre hocha la tête,

l’air très concentré, et Nuage deLion lui donna un petit coup delangue sur l’oreille. Est-ce quec’était ça qu’on ressentait, lorsqu’onétait mentor ? Il aimait bien l’idéede transmettre à un jeune félin toutce qu’il savait sur la chasse et lecombat, et de voir un chatonturbulent devenir un guerrierpuissant et rapide.

Et si la prophétie l’entraînait loinde la voie ordinaire des guerriers ?

« Est-ce qu’on peut chasser ici ? »s’enquit de nouveau Nuage de Givre,comme elle l’avait fait dans toutesles clairières qu’ils avaient

traversées avant d’arriver au VieuxChêne.

L’arbre majestueux se dressait àprésent devant eux et le sol étaitcouvert de feuilles et de glands. À lalisière de la forêt, les bouquets defougères baignaient dans les rayonsdu soleil.

Aile Blanche jeta un coup d’œil àPelage de Granit.

« Est-ce qu’on continue jusqu’aulac ? demanda-t-elle. Il y aura peut-être du gibier près de la rive. »

Son camarade la toisa sans luirépondre.

Pourquoi refuse-t-il de l’aider ?La guerrière balaya l’endroit du

regard.« Bon, ici, c’est très bien,

déclara-t-elle. Dans ces fougères,peut-être… ? »

Nuage de Lion remarqua que laqueue de la chatte s’agitait denouveau. Si Pelage de Granitrefusait de l’aider, il pourrait peut-être le faire à sa place.

« Il y a un roncier… »Le matou le fit taire en faisant

glisser le bout de sa queue sur sagueule.

« Aile Blanche, fais confiance àton instinct. »

Il ajouta à l’oreille de Nuage deLion :

« Je sais que tu veux bien faire,mais Aile Blanche doit prendreconfiance en elle. »

Ils observèrent la guerrière tandisque, du bout du museau, elleencourageait Nuage de Givre àadopter la position du chasseur.

« Elle s’en sort bien. »Les fougères frémirent. Les tiges

pâles tremblaient au niveau de leursracines plutôt qu’au bout des frondes– ce n’était donc pas le vent qui lesagitait. Nuage de Givre commença àramper. Doucement, Aile Blancheposa sa queue sur le dos de sonapprentie jusqu’à ce que la novices’immobilise. Elle lui murmura des

encouragements avant de s’asseoir.À toi de jouer, Nuage de Givre !

La petite chatte bondit dans lesfougères.

Un couinement bref retentit, puisla novice ressortit de la végétation,un petit campagnol dans la gueule.Ses yeux brillaient de bonheur.

« Bravo ! la félicita Pelage deGranit en s’approchant d’elle.

— C’était très bien, Nuage deGivre, ajouta Aile Blanche, lepoitrail gonflé de fierté.

— Belle prise », fit encore leguerrier gris.

Tant d’excitation pour uncampagnol minuscule ! Lui aussi

était content que Nuage de Givre aitattrapé sa première prise si vite,mais qu’auraient-ils dit s’ilsl’avaient vu se battre contre lesenvahisseurs des montagnes ?

« Une grive ! » murmura Pelagede Granit.

Nuage de Lion suivit le regard duguerrier. Une grive dodue picoraitparmi les feuilles derrière l’énormetronc du Chêne. Aussi silencieuxqu’un serpent, Nuage de Lioncontourna l’arbre. Le ventre plaquécontre le sol, il s’approcha del’oiseau, la queue légèrementrelevée pour ne pas frôler lesfeuilles. Il marqua une pause, évalua

la distance et bondit. Son sautspectaculaire le porta troislongueurs de queue plus loin que lesracines. La grive paniquée déployases ailes, mais il était déjà trop tard.Nuage de Lion atterrit sur son dosavec une précision mortelle et la tuad’un coup de crocs rapide.

« C’était fantastique ! » s’écriaNuage de Givre, qui l’observait del’autre côté de l’arbre, les yeuxécarquillés.

Aile Blanche, surprise, avaitrabattu les oreilles en arrière.

« Impressionnant, confirma Pelagede Granit.

— Tu as sauté de vraiment loin,

miaula Aile Blanche. Tu auraisfacilement pu rater ta cible. »

Non. Nuage de Lion se retint derépondre. Vu l’air estomaqué de sescamarades de Clan, il valait mieuxles laisser penser qu’il avait eu de lachance. Nuage de Geai avait sansdoute raison. Ils ne seraient pasforcément heureux de connaître lavérité sur cette attaque puissante.

Alors qu’ils regagnaient le camp,le fumet alléchant de la grive faisaitsaliver Nuage de Lion. Il la portaitfièrement entre ses mâchoires.Nuage de Givre cheminait près delui en trébuchant sur sa prise

minuscule.« Si seulement mes pattes

n’étaient pas si petites, se plaignit-elle.

— Elles grandiront. »Aile Blanche et Pelage de Granit

marchaient devant, eux aussi chargésde gibier. À la fin de la saison desfeuilles vertes, le Clan devait senourrir autant que possible s’ilvoulait passer la mauvaise saison.Du moins, selon les dires des aînés.Nuage de Lion ne se souvenait guèrede la mauvaise saison – pour lui,c’était une menace à l’extérieur de lapouponnière qui inquiétait lesguerriers et faisait trembler les

parois de leur repaire.« C’était vraiment une belle prise

», reprit Nuage de Givre.Nuage de Lion la remercia en

grommelant. Il ne voulait pas avalerune plume et passer le reste de lajournée à tousser.

« Pourquoi as-tu sauté si tôt ?insista-t-elle. Tu avais peur qu’ellet’entende si tu t’approchaisdavantage ?

— Je voulais juste essayer. »Nuage de Lion aurait pu ramper

jusqu’à la grive, il en était certain.Mais pourquoi perdre du temps ?

« Tu es vraiment un chasseurgénial… Je trouvais que Nuage de

Houx était douée, mais toi tu esextraordinaire. Où as-tu appris àsauter comme ça ? Tu suis unentraînement supplémentaire, pourêtre aussi fort ? Tu crois que je dois,moi aussi, m’entraîner plus ?

— Je suis certain qu’Aile Blanchet’enseignera tout ce qu’il faut savoir.

— J’espère qu’elle me formeraaussi bien que Pelage de Granit t’aformé. »

Nuage de Lion regarda son mentordisparaître derrière un roncier.Pelage de Granit l’avait bien formé,oui. Il n’avait jamais regretté que ceguerrier soit son mentor. Cependant,Étoile du Tigre aussi l’avait

entraîné. Et il était né avec despouvoirs que Nuage de Givre nepouvait imaginer, et qu’elle nepourrait jamais égaler même ens’entraînant jour et nuit toute sa vie.

Tandis qu’il suivait le sentier quidescendait vers la combe – sonfoyer –, Nuage de Lion se sentit seul.À croire qu’il appartenait à un Clandifférent, éloigné par la prophétiedes silhouettes familières quiattendaient dans le camp de voir cequ’ils avaient rapporté de leurchasse.

Nuage de Givre le dépassa poursuivre les deux mentors à travers labarrière de ronces et rejoindre la

combe rocheuse. Lorsque Nuage deLion déboucha à son tour dans laclairière, il la vit déposer soncampagnol sur le tas de gibier et setourner vers Nuage de Cendre,Nuage de Miel et Nuage de Pavot,qui prenaient le soleil devant latanière des apprentis.

« Ta première prise ? lançaNuage de Miel.

— Oui, je l’ai eue du premiercoup ! Est-ce que Nuage de Renardest déjà rentré ? »

La petite chatte avait visiblementhâte de montrer sa prise à son frère.

« Poil d’Écureuil l’a emmené enpatrouille frontalière, l’informa

Nuage de Cendre. Ils seront bientôtde retour. »

Nuage de Lion s’approcha à sontour de la réserve et y déposa sagrive. Sentant qu’on le frôlait, il setourna et découvrit Nuage de Houx.

« Belle prise. »Le ton de la novice était neutre,

comme si elle pensait à autre chose.Elle observait les apprentis, devantleur tanière. Nuage de Cendre etNuage de Pavot jouaient à s’envoyerune boule de mousse pendant queNuage de Miel sautait pour tenter del’attraper.

« Tu ne vas pas les rejoindre ?demanda-t-il à sa sœur.

— Je n’ai pas trop le cœur à ça.— Quelque chose ne va pas ?— Je ne suis pas d’humeur, c’est

tout. »Nuage de Lion scruta son regard

vert. Est-ce qu’elle se sentait isolée,elle aussi ?

« C’est bizarre, hein ? hasarda-t-il.

— Quoi ?— De se rendre compte qu’on est

différent.— Vus de l’extérieur, nous ne

sommes pas différents.— Tu vois ce que je veux dire »,

répondit-il avec impatience. Il avaitbesoin de parler à quelqu’un. Toute

la journée, il avait dû s’agripper àleur secret comme si c’était uneproie qui cherchait à lui échapper.Nuage de Houx ne lui facilitait pasla tâche. « C’est bizarre de savoirquelque chose de cette importancesans pouvoir le dire à qui que cesoit.

— Tu n’as pas l’intention d’enparler, n’est-ce pas ? s’alarma-t-elle, le poil hérissé.

— Non, je…— Personne ne doit être mis au

courant ! le coupa-t-elle. Pas tantque nous ne savons pas précisémentce que la prophétie signifie. » Ellejeta des coups d’œil furtifs autour

d’elle avant de terminer : « Nousdevons découvrir ce que noussommes censés faire de nospouvoirs.

— Je n’avais pas l’intention de lerévéler à qui que ce soit ! »rétorqua-t-il.

Pourquoi fallait-il toujoursqu’elle joue au chef ? Il n’était pasune cervelle de souris ! Et pourquoidevait-elle toujours réfléchir à tout ?La prophétie était simple : ilsseraient plus puissants quequiconque. Ils devaient juste se tenirprêts à utiliser leurs pouvoirs quandils en auraient besoin. Il tourna ledos à sa sœur pour gagner le demi-

roc.Le soleil commençait à décliner

derrière la cime des arbres et lesguerriers venaient peu à peu seservir sur le tas de gibier. Nuage deCendre attrapa la grive de Nuage deLion et l’emporta vers lapouponnière. Millie, Chipie et sespetits avaient sans doute faim.

Nuage de Pavot ramassa unesouris et la posa devant le gîte desanciens.

« On mange ! » lança-t-elle.Longue Plume émergea du

noisetier, la truffe frémissante, ets’arrêta sur le seuil pendant que Poilde Souris le rejoignait d’une

démarche raide. La vieille chattefaiblissait chaque lune un peu plus.Longue Plume attendit qu’elles’installe près du rongeur et s’assit àcôté d’elle.

« Tu n’as pas besoin de veillersur moi comme si j’étais un chatonsans défense ! » lui lança-t-elle.

L’ancien remua les moustachesd’un air amusé.

« C’est bien dommage que talangue ne soit pas aussi fatiguée quele reste de ton corps », ronronna-t-il.

Du bout de la queue, elle luicingla l’oreille.

« Tu en veux ? demanda-t-elle enpoussant la souris avec sa truffe.

— Tu peux aussi manger ça !s’écria Nuage de Givre ens’approchant avec son petitcampagnol dans la gueule, qu’elledéposa devant les pattes de LonguePlume. Je l’ai attrapé moi-même !

— Ta première prise ? s’enquitPoil de Souris, l’œil brillant.

— Elle sent délicieusement bon »,renchérit l’aveugle.

Le rideau de ronces quidissimulait l’entrée de la tanière dela guérisseuse frémit au passage deNuage de Geai. Il tenait prudemmentdans sa gueule une boule de moussequ’il vint déposer devant Poil deSouris et Longue Plume.

L’apprenti guérisseur tourna sonregard bleu aveugle vers Nuage deGivre et dit :

« Il paraît que tu as bien travaillé,aujourd’hui. Tu devrais aller mangerun morceau.

— C’est vrai que j’ai très faim.— Merci pour le campagnol !

lança Longue Plume tandis quel’apprentie retournait vers laréserve.

— De rien ! répondit-ellejoyeusement.

— Ça t’embête si je m’occupe detes tiques pendant que tu manges ?demanda Nuage de Geai à Poil deSouris.

— Non, s’il le faut… Même si tuaurais dû choisir un autre momentpour apporter cette chose puante »,grommela-t-elle.

D’un signe de la tête, elle désignala mousse et Nuage de Lion devinaqu’elle était imbibée de bile desouris.

« Je n’osais pas venir plus tôt depeur de vous réveiller. »

Nuage de Geai commençapatiemment à examiner la fourrurede l’ancienne. Il s’arrêta pourprélever un peu de mousse etl’appliquer sur la base de la queuede la vieille chatte.

Nuage de Lion observait son

frère. Il paraissait désormaissatisfait d’être apprenti guérisseur.Et pourtant, il est plus puissant quetous ses camarades. Nuage de Liongrimpa sur le demi-roc et s’allongea,le ventre contre la pierre réchaufféepar le soleil. Peut-être que le faitde savoir qu’il est si puissant rendsupportables les tâches les plusingrates. Combien de lunes s’étaientécoulées depuis que Nuage de Geais’était faufilé dans le rêve d’Étoilede Feu, où il avait entendu l’inconnuprédire la naissance de trois chatonspossédant le pouvoir des étoiles ?

Il jeta un coup d’œil vers laCorniche. Étoile de Feu descendait

l’éboulis, suivi de Tempête deSable. Le chef du Clan du Tonnerren’avait jamais laissé paraître qu’ilconnaissait la prophétie. Il avaittoujours traité Nuage de Lion, Nuagede Houx et Nuage de Geai commetrois apprentis ordinaires. Nuage deLion regarda son grand-père prendreune souris dans la réserve et lapasser à Tempête de Sable avant dechoisir un moineau pour lui-même.Qu’éprouve-t-il réellement pournous ? De la fierté ? De la peur ?

Le tunnel frémit pour livrerpassage à Poil d’Écureuil et Griffede Ronce, suivis de Nuage deRenard et Truffe de Sureau.

« Rien à signaler sur lesfrontières, annonça Griffe de Ronceà son chef. Mais la patrouille ducrépuscule devrait garder un œil surle Clan du Vent. Nous avons sentileur odeur, ils chassent de leur côtéde la forêt. »

Étoile de Feu s’installa sous laCorniche auprès de Tempête deSable.

Nuage de Cendre, qui partageaitun pigeon avec Nuage de Miel, levala tête, l’œil pétillant.

« Je pourrai rejoindre lapatrouille ? » s’enquit-elle.

À présent que sa blessure à lapatte était en voie de guérison, du

moins suffisamment pour luipermettre de reprendrel’entraînement, elle se portaitvolontaire pour toutes les tâches desapprentis, comme pour rattraper letemps perdu.

« Oui, répondit Griffe de Ronce.J’allais demander à Plume Grised’en prendre la tête.

— Quelqu’un a parlé de PlumeGrise ? » s’enquit Millie, qui sortaitde la pouponnière, encoreensommeillée.

Son compagnon réparait unetrouée dans la paroi de lapouponnière que le vent avaitabîmée.

« Tu te sens bien ? lança-t-il enscrutant l’énorme ventre de sacompagne (elle devait mettre basd’un jour à l’autre).

— Très bien, le rassura-t-elleavant d’aller prendre deux sourisdans la réserve. J’avais envie demanger avec toi, dehors. »

Nuage de Lion sursauta tout àcoup : Nuage de Houx venait delancer une grive au pied du demi-roc.

« Je me disais que tu en voudraispeut-être un morceau », déclara-t-elle en le dévisageant.

Était-ce une manière de s’excuser? Nuage de Lion en doutait. Il

soupçonnait sa sœur de ne pas avoirconscience de son autoritarisme.Mais il lui en fut tout de mêmereconnaissant. Malgré son sentimentde solitude, il ne devait pas oublierque Nuage de Houx et Nuage deGeai partageaient ce lourd secret.Tant qu’ils seraient près de lui, il neserait jamais vraiment seul.

« Merci », ronronna-t-il endescendant du rocher.

C’était la première fois depuisleur périple dans les montagnes queles membres du Clan mangeaientensemble et Nuage de Lioncommençait à se sentir plus à l’aise.Rien n’a vraiment changé, songea-t-

il avec espoir.« Alors, comment va la Tribu ? »

demanda Étoile de Feu à Griffe deRonce.

Le lieutenant avala une bouchéede viande avant de répondre :

« La mauvaise saison va être durepour eux. Mais je pense qu’ils vonts’en tirer. »

Nuage de Lion plissa les yeux.Est-ce que son père était aussiconfiant qu’il l’affirmait ?

« Tu crois qu’ils pourrontdéfendre les frontières que vousavez établies ? voulut savoir Cœurd’Épines.

— Nous les avons entraînés de

notre mieux, expliqua Poild’Écureuil.

— Y a-t-il eu beaucoup deblessés durant les batailles ? relançaTempête de Sable.

— Quelques-uns, mais rien degrave. Cela dit, le combat fut âpre. »

Et vous ne l’auriez jamais gagnésans moi. Nuage de Lion attendit queson père fasse le récit de sesexploits.

« Tous les apprentis se sont battuscomme de vrais guerriers, ajouta lelieutenant en regardant son fils. Ilsont fait honneur à notre Clan. »

Le novice au pelage doré sentitses poils se dresser.

« Pourquoi ne leur dit-il pas àquel point je me suis bien battu ?souffla-t-il.

— Chut ! le coupa sa sœur. Mieuxvaut que les autres l’ignorent. Nousne devons pas attirer l’attention surnous. »

Nuage de Lion morditfurieusement dans la grive. Quelintérêt d’être si puissant sipersonne ne le sait ?

Les pattes lourdes, les musclesencore endoloris après le voyage,Nuage de Lion se faufila dans sonnid. Une bonne nuit de sommeil, et ilreprendrait du poil de la bête. Il

tourna sur lui-même dans la moussesèche et propre, se laissa tomber etferma les yeux.

« Tu ne vas pas t’endormir tout desuite, si ? s’étonna Nuage de Pavot.

— Je suis fatigué », murmura-t-il.Soudain, deux petites pattes

s’enfoncèrent dans ses côtes.« Fais attention ! »Nuage de Renard recula d’un

bond lorsque Nuage de Lionredressa brusquement la tête.

« Je montrais juste à Nuage deGivre comment j’allais attraper unrenard pour gagner mon nom deguerrier, expliqua le jeune apprenti.Je veux qu’on m’appelle Chasseur

de Renard ! »Nuage de Renard bondit et attrapa

la boule avant qu’elle atteigne sasœur. Il la renvoya à Nuage dePavot.

« Tu ne serais même pas capabled’attraper le mal vert ! l’asticotaNuage de Pavot.

— Si, je pourrais ! rétorquaNuage de Renard, ce qui fitronronner les autres apprentis. Enfin,je veux dire que je pourrais attrapern’importe quel gibier. Si seulementPoil d’Écureuil arrêtait de faire tantd’histoires…

— Elle ne ferait sans doute pastant d’histoires si tu arrêtais de

t’éloigner, répliqua Nuage de Miel.On a dû attendre une éternité pendantqu’elle te cherchait, aujourd’hui.Lorsqu’elle t’a ramené, l’écureuilque j’avais flairé avait déjà rejointle territoire du Clan de l’Ombre.

— J’étais parti explorer !— Tiens, explore un peu ça ! »Nuage de Cendre venait de rentrer

dans la tanière. Nuage de Lionreconnut l’odeur du miel. Il resta oùil était tandis que les autresapprentis s’extirpaient de leurs nidsafin de voir ce que leur camaradeavait apporté.

« Où tu l’as trouvé ? s’émerveillaNuage de Givre.

— Flocon de Neige a déniché uneruche dans un tronc creux pendantque nous patrouillions près du nid deBipèdes abandonné, expliqua Nuagede Cendre. Il a réussi à y glisser lapatte et à remonter quelques rayons.

— Est-ce qu’il s’est fait piquer ?— Juste une fois.— Il y a des lunes que je n’ai pas

mangé de miel, se lamenta Nuage dePavot.

— Flocon de Neige a donné leplus gros à Feuille de Lune pour saréserve, et il m’a autorisée à prendrece petit bout.

— Je peux lécher ? supplia Nuagede Givre.

— Vas-y, mais n’en prends pastrop. Il en faut pour tout le monde. »

Nuage de Givre ferma les yeux enavalant avant de les rouvrir,surprise.

« Ça n’a pas de goût !— Tout le monde le sait, cervelle

de souris, ronronna Nuage de Pavot,qui lécha le rayon et soupira debonheur. Moi, j’aime bien la façondont ça me réchauffe la gorge et leventre. Ça me rappelle le lait. »

Nuage de Lion enfouit la truffesous ses pattes, tentant d’ignorer lesronrons de contentement de sescamarades. Comme il en fallait peupour les satisfaire ! Un jour, tout le

miel de la forêt serait à lui. Il n’étaitpas comme eux – il ne pouvait plusse contenter de si peu. Plus quejamais, la solitude lui fendait lecœur.

Un corps chaud frôla le sien.Nuage de Houx s’était faufilée dansla tanière et s’installait près de lui.

« Tu ne rejoins pas les autres pourle festin ? murmura-t-il.

— Autant que les autres enprofitent… »

Il se sentit aussitôt moins seul etferma les yeux pour plonger dans lesommeil.

En rêve, le novice courait sur le

sol froid de la forêt. Une brumelégère s’enroulait autour des troncsnus qui se succédaient dans lesténèbres.

« Il était temps que tu nousreviennes », gronda Étoile du Tigre,caché dans l’ombre.

Nuage de Lion devina alors lecontour des épaules massives dumatou lorsque celui-ci émergea desarbres.

Plume de Faucon le suivait.« Tu as besoin de tout notre

enseignement et tu dois encorebeaucoup t’entraîner.

— Vous ne m’avez pas vu mebattre dans les montagnes ? »

s’indigna-t-il.Pourquoi devait-il encore

s’entraîner ? Il était déjà meilleurcombattant que tous ses camarades.Il l’avait prouvé !

« Les batailles passées ne nousintéressent pas, miaula Étoile duTigre. Seules comptent les bataillesà venir. »

Nuage de Lion plissa les yeux.Voilà qui ressemblait à unemauvaise excuse. Ils ne me voyaientpas, dans les montagnes ! Même lespouvoirs d’Étoile du Tigrepossédaient leurs limites.

« Voyons voir si tu peux utiliser tacervelle aussi bien que tes muscles,

poursuivit le guerrier sombre en lepoussant du bout du museau versPlume de Faucon. Essaie del’attaquer sur son point faible.

— Mais tu ne veux pas que je teparle des chats des montagnes ?

— Ils ne me concernent en rien. »Ça ne l’intéresse pas ! Nuage de

Lion dévisagea son mentor fantôme.Ne pensait-il donc pas qu’il pourraittirer des enseignements de son longvoyage et de son combat contre deschats différents ? Étoile du Tigrepensait-il vraiment tout connaître del’art de la guerre ? Eh bien, en toutcas, il était loin de tout savoir deNuage de Lion. Il était peut-être

temps de lui ouvrir les yeux.« Qu’est-ce que t’attends ? feula

Étoile du Tigre. Attaque Plume deFaucon ! »

Furieux, Nuage de Lion bondit surle guerrier tacheté et, toutes griffesdehors, il laboura si brutalement sonflanc qu’il sentit la peau se fendre etle sang gicler sur sa patte.

Plume de Faucon recula avec unhurlement de rage.

Nuage de Lion pivota vers Étoiledu Tigre.

« Tu vas m’écouter, maintenant ?J’ai une chose importante à te dire.Il y a une prophétie ! À mon sujet !Voilà pourquoi je peux me battre si

bien.— Comment ça, une prophétie ?— Un vieux chat l’a dit à Étoile

de Feu, dans un rêve : “Ils seronttrois, parents de tes parents, àdétenir le pouvoir des étoiles entreleurs pattes”, récita-t-il. Tu necomprends pas ? Ce doit être nous,parce que Poil d’Écureuil est safille, sa plus proche parente.

— Étoile de Feu ! s’exclamaÉtoile du Tigre d’un air dégoûté.

— C’est vrai ! Si tu m’avais vume battre dans les montagnes, tucomprendrais. J’ai vaincu tous ceuxqui se sont dressés devant moi.J’avais l’impression que je pouvais

me battre sans fin et les écraserjusqu’au dernier.

— Pour la simple raison que, moi,je t’ai entraîné.

— Pas seulement ! Je détiens lepouvoir des étoiles entre mes pattes!

— Et c’est Étoile de Feu qui te l’adit, c’est ça ? le railla son aîné.

— Non… Nuage de Geai apénétré l’un de ses rêves. Il a surprisla conversation.

— Je vois… » Les yeux d’Étoiledu Tigre pétillaient. « Un chat fait unrêve et tout à coup te voilà le plusfort du monde… »

Pourquoi ne prenait-il pas cela au

sérieux ? Pourquoi n’était-il pas fierque l’un de ses parents gouverne unjour la forêt ? N’était-ce pas là cequ’il voulait ? Nuage de Lionréprima un feulement. Peut-êtrequ’Étoile du Tigre ne voulait lepouvoir que pour lui-même.

« Ne te moque pas de moi,ordonna-t-il.

— Regarde-moi ce petit guerrier !se moqua Plume de Faucon. Il seprend pour Étoile de Feu. Il fait soncourageux.

— Comment expliquez-vous labataille dans les montagnes, dans cecas ? demanda Nuage de Lion. Jen’ai même pas été blessé !

— Tu as vaincu un ramassis dechats errants sans expérience et àmoitié morts de faim, ricana Plumede Faucon. Waouh. Quel grandguerrier tu fais ! »

Nuage de Lion cligna des yeux. Lesol lui semblait soudain plus froidencore. Et s’ils avaient raison ? Onne pouvait pas comparer les chatserrants à de féroces guerriers. LaTribu aurait pu les battre sansaucune aide. Elle n’avait pas besoinque le plus grand guerrier de tous lestemps remporte la bataille à saplace. Et si la prophétie n’étaitvraiment qu’un rêve ?

« Tu n’es plus si sûr de toi, pas

vrai ? insista Étoile du Tigre. Je saisqu’il doit être plaisant de se prendrepour le meilleur du monde, maisÉtoile de Feu aurait-il vraimentenvoyé trois chats si importants dansles montagnes se battre au péril deleur vie ? »

Le doute serra le ventre de Nuagede Lion. Étoile de Feu n’avaitjamais évoqué la prophétie. S’il yavait vraiment cru, il n’aurait pasaccepté qu’ils aillent risquer leurvie. Il les aurait gardés au camp, ensécurité, où ils pouvaient veiller surle Clan tout entier.

Étoile du Tigre se pencha si prèsque son souffle fit vibrer les

moustaches de Nuage de Lion.« Il n’y a qu’une seule voie à

suivre, siffla-t-il. L’entraînement.Entraîne-toi à te battre, sans relâche,et un jour tu seras peut-être le plusfort de la forêt. » Il recula enajoutant d’un ton plus dur : «Maintenant, recommence ton attaque! Et sans sortir les griffes, cette fois-ci. Sauf si moi, je te le demande. »

CHAPITRE 4

NUAGE DE GEAI plaça le rayonde miel collant sur la grande feuillede rhubarbe posée sur le sol de satanière. Malgré l’oseille quil’emballait déjà, le miel dégoulinait.Craignant qu’il ne poisse les autres

remèdes de la réserve, Feuille deLune avait demandé à son apprentide l’envelopper de nouveau.

Le novice replia les bords de lafeuille de rhubarbe en espérant quele miel les maintiendrait collés letemps qu’il attache des bandesd’écorce tout autour.

Un couinement le figea sur place.Un chaton souffrait. Dressantl’oreille, il reconnut le geignementde Petit Crapaud et fila aussitôt versla sortie, où il dut s’arrêter netdevant Chipie. Il huma l’odeur de sapeur et reçut un petit coup de griffeslorsqu’elle passa devant lui. Elledevait porter le chaton par la peau

du cou.« Pose-le près de la flaque d’eau,

ordonna-t-il.— Il pourchassait une abeille

lorsqu’il est tombé dans les orties,haleta la reine après avoir lâché sonpetit.

— Stupide abeille ! » se plaignitcelui-ci.

Nuage de Geai poussa un soupirde soulagement. Des piqûresd’orties ! Vu le tapage, Nuage deGeai pensait qu’il s’était faitattaquer par un renard.

« Étoile de Feu devrait fairearracher ces orties, se lamentaChipie. Je savais qu’il y aurait un

accident tôt ou tard.— Les orties ne sont pas

mortelles », rétorqua l’apprentiguérisseur en reniflant son patient.

Cette fois-ci, il reçut un coup depatte sur le museau. La petite boulede poils se tournait dans tous lessens pour tenter de lécher sespiqûres tout en se frottant la truffe dubout de la patte.

« Tiens-toi tranquille.— Mais ça fait mal ! »Son duvet de chaton ne l’avait

guère protégé et Nuage de Geaisentait l’inflammation sur sa truffe etses oreilles, là où la peau nue avaitdéjà commencé à gonfler.

« Je vais te chercher de l’oseille», annonça l’apprenti guérisseur. Ilse dirigea vers la réserve.

Angoissée, Chipie tournait autourde son chaton et Nuage de Geaitrébucha sur la queue de la chatte. Ilprit quelques feuilles dans la réserveet les mâcha pour les réduire enpulpe : le suc soulagerait rapidementPetit Crapaud s’il arrivait à le luiappliquer sur la fourrure.

Tout en continuant à mâcher, lejeune chat tigré revint vers le chatonagité. Il cracha la mixture sur sapatte pour l’appliquer sur l’oreilledu blessé.

D’instinct, le chaton recula.

« Ne me touche pas ! » s’écria-t-ilen donnant un coup de patte dans lapulpe, qui fut projetée dans laflaque. Nuage de Geai l’entendittomber dans l’eau avec un petit «plop ». Bouillonnant d’impatience, ilretourna au tas de feuilles.

« Plus vite je te soignerai, plusvite la douleur disparaîtra. » Ilpercuta alors Chipie qui tournaittoujours autour de son fils. Pourl’amour du Clan des Étoiles ! « Vadonc surveiller Petite Rose ! Il nefaudrait pas qu’elle finisse elle aussidans les orties. Je m’occupe de PetitCrapaud… Enfin, s’il peut restertranquille !

— Tu es certain qu’il s’enremettra ? »

Nuage de Geai inspiraprofondément. Rester calme, c’estmieux pour toi et ton patient.

« Personne n’est mort d’unepiqûre d’orties, rétorqua-t-il enserrant les dents.

— Essaie de ne pas bouger, chéri,lança la reine à son fils en sortant del’antre. Je vais m’assurer que PetiteRose va bien et je reviens.

— Prends tout ton temps ! »marmonna Nuage de Geai, qui revintvers son patient la gueule pleine depulpe de feuilles.

Le chaton se débattit de nouveau.

Nuage de Geai le cloua au sol.« Ne bouge pas », ordonna-t-il en

traitant les oreilles du chaton. PetitCrapaud eut beau hurler, Nuage deGeai continua jusqu’à ce qu’ellessoient recouvertes de suc. « Je saisque ça pique, poursuivit-il en lerelâchant, mais ce n’est pas grave.Reste là pendant que je vaischercher de quoi soigner ta truffe. »

En se tournant, il sentit la fureurmonter chez le chaton et entendit unfrôlement de fourrure sur le sol :Petit Crapaud allait lui sauter sur laqueue !

Nuage de Geai fit volte-face.« Tu n’as pas intérêt à faire ça ! »

le rabroua-t-il.Petit Crapaud, qui se retrouvait

presque truffe contre truffe avecNuage de Geai, poussa un cri desurprise.

« C… comment savais-tu ce quej’allais faire ?

— Je ne suis pas aussi aveugleque tu le penses.

— Pardon, murmura le chaton.— Tu vas te tenir tranquille,

maintenant ?— Oui. »Nuage de Geai, qui s’en voulait

un peu de l’avoir terrifié ainsi,retourna chercher de l’oseille. Cettefois-ci, il déposa la pulpe devant le

malade.« Étale ça sur tes pattes et

appliques-en sur ta truffe »,ordonna-t-il.

D’un mouvement tremblant, lechaton obéit. Nuage de Geai perçutque sa douleur diminuait. Le sucd’oseille faisait effet. Soulagé,l’apprenti guérisseur retourna enchercher et aida Petit Crapaud àtraiter sa peau sous son pelagejusqu’à ce que, à eux deux, ils aientrecouvert toutes les piqûres. Jedonnerai une graine de pavot àChipie à son retour. Elle pourra lafaire avaler à son fils pour qu’ilpasse une bonne nuit malgré les

démangeaisons.Les ronces frémirent. Feuille de

Lune était revenue, la gueule pleined’herbe à chat. Elle posa sonfardeau et s’approcha du petitmalade.

« Chipie m’a dit que tu t’étais faitpiquer… Beau travail, dit-elle à sonapprenti après avoir reniflé lechaton. Tu as mis juste ce qu’ilfallait d’oseille. »

Nuage de Geai se demanda s’ildevait lui dire à quel point PetitCrapaud avait été difficile.

« Tu devrais lui donner une petitegraine de pavot, lui conseilla-t-elle,pour que les piqûres ne l’empêchent

pas de dormir. »Merci du conseil ! se retint-il de

répondre. Il devait s’habituer àentendre des leçons dont il n’avaitplus besoin ; contrairement à Nuagede Houx et Nuage de Lion, il seraitencore traité comme un apprentipendant des lunes et des lunes. Entant que guérisseur, on attendait delui qu’il suive les enseignements deson mentor et obéisse à ses ordres,même après avoir reçu son nomdéfinitif.

« Merci, Nuage de Geai. » Lemurmure du chaton le prit parsurprise. « Désolé d’avoir été aussibête.

— Tu avais mal, et tu étaisapeuré, répondit-il avecbienveillance le prenant en pitié.

— Maintenant, ça va, grâce à toi,lança Petit Crapaud en se dirigeantvers la sortie.

— Tu n’attends pas que Chipievienne te chercher ?

— Je crois que je suis à peu prèscapable de retrouver le chemin de lapouponnière ! »

Petit polisson ! Nuage de Geaiétait fier de lui. Ce n’avait pas étéfacile, mais il avait gagné le respectdu chaton.

« Je lui porterai la graine depavot ce soir », promit-il à Feuille

de Lune avant qu’elle le lui rappelle.Son mentor semblait plongé dans

ses pensées. Quelque chose lapréoccupe. Son esprit, même s’il luirestait fermé, semblait dégager uneénergie malsaine, comme un cielchargé de nuages d’orage. D’un paslourd, elle s’approcha du miel àmoitié empaqueté. Elle semblaitépuisée. Elle a dû travailler deuxfois plus dur pendant mon absence.Il se hâta de nettoyer le reste depulpe et d’aller aider son mentor.

« Désolé, je n’ai pas eu le tempsde terminer. »

Il posa les pattes sur la feuille derhubarbe pour que Feuille de Lune

finisse de l’envelopper dans lesbandes d’écorce.

« Tu as dû t’occuper de PetitCrapaud », répondit-elle d’une voixempreinte de fatigue.

Pourquoi ne s’en était-il pasaperçu plus tôt ?

« Je vais vérifier les réserves,annonça-t-il en léchant le jusd’oseille sur ses pattes. Comme ça,nous saurons quoi ramasser avantl’arrivée de la saison des feuillesmortes. »

Il se faufila dans la fissure au fondde l’antre sans laisser à la chatte letemps de lui proposer de l’aide.

Ils avaient découvert récemment

ce creux bien utile lorsque Feuillede Lune avait arraché le lierre quienvahissait une partie de sa tanière.L’ouverture était étroite, juste assezlarge pour qu’un petit chat s’y glisse,mais la cavité s’élargissait ensuitesuffisamment pour abriter un nid.Nuage de Geai y renifla lesdifférents tas de remèdes, de racineset de baies alignés le long de laparoi.

« Passe-les-moi, lui ordonnaFeuille de Lune. Nous y verrons plusclair. »

Il obéit et, lorsqu’il ressortit de laréserve, Feuille de Lune avaitreconstitué des petits tas bien nets.

Sa truffe sensible identifia chaqueodeur. Ainsi, il eut une imagementale claire de la rangée deremèdes : consoude, mauve, thym,herbe à chat, graines de pavotempaquetées avec soin dans del’écorce de chêne, et beaucoupd’autres encore.

« Il n’y a presque plus de feuillesde mauve, constata Feuille de Lune.Et je dois retourner chercher del’herbe à chat. J’en ai rapportéautant que possible, dit-elle. Mais ilen reste encore dans la forêt. Autanten profiter tant qu’elle est à maturité.Nous la ferons sécher pour lamauvaise saison. »

Dessécher les remèdes au soleilétait la meilleure solution pouréviter qu’ils pourrissent dans laréserve.

Du bout de la patte, Nuage deGeai tapota le thym, qui luichatouilla les coussinets. Son odeurétait un peu éventée.

« Depuis quand l’avons-nous ?— Depuis la saison des feuilles

vertes passée, je dirais, vu l’odeur.Il a dû perdre de son efficacité.Nous devrions aller en chercher dufrais.

— Est-ce qu’il nous faut des baiesempoisonnées ? »

Nuage de Geai avait entendu Petit

Orage mentionner les baies fataleslors de leur dernière réunion à laSource de Lune. On ne l’utilisait quepour éviter aux chats les plusmalades une trop longue agonie. Ilen poussait un buisson sur leterritoire du Clan de l’Ombre, etPetit Orage avait proposé de leur endonner. Feuille de Lune avait refuséet Nuage de Geai sentait que saquestion la mettait mal à l’aise.

« Je ne me sers pas de ces baies,murmura-t-elle avant d’examiner untas de pas-d’âne. Les guérisseurs duClan de l’Ombre en ont toujours enréserve, ajouta-t-elle. Ils enseignentleurs usages à leurs apprentis. » Sa

voix était rauque, comme voilée parun mauvais souvenir. « Mais je n’enferai rien. »

Et pourquoi ? Nuage de Geaiétait intrigué par l’idée de détenir lepouvoir de vie et de mort entre sespattes.

Feuille de Lune, elle, ne voulaitclairement pas en entendre parler.

« Nous devons faire tout notrepossible pour aider nos camarades,mais il revient au Clan des Étoilesde choisir le moment de leur mort. »Elle poussa un tas de feuilles versson apprenti. De la consoude, àl’odeur. « Examine ça et jette toutescelles qui ont pris l’humidité ou qui

commencent à perdre leur fumet. »Il obéit pendant que son mentor

déchirait des feuilles de pas-d’ânepour les rouler ensuite.

« Je n’ai pas eu l’occasion de tedemander comment s’était passévotre voyage, déclara-t-elle.

— Plutôt bien. »Nuage de Geai se remémora le

saut terrifiant qu’il avait dû exécutersans savoir où il atterrirait ni si lafaille était très profonde. Il frémit.

« Qu’as-tu pensé des membres dela Tribu ?

— Ils sont étranges… La vie dansles montagnes est difficile ; jepensais que ça les avait rendus plus

résistants, alors qu’ils n’avaientaucune idée de la façon dont ilspourraient repousser lesenvahisseurs. »

On aurait dit un Clan qui secache de quelque chose. Nuage deGeai avait eu pitié d’eux,recroquevillés dans leur cavernederrière la cascade, toujours en trainde guetter le moindre signe dedanger.

« Et j’ai rencontré la Tribu de laChasse Éternelle », admit-il.

La guérisseuse poursuivit sontravail, mais l’odeur du pas-d’ânedevint plus profonde, comme si sespattes tremblaient un peu.

« Comment sont-ils ?— Un peu comme le Clan des

Étoiles. » Ils savaient que jeviendrais. Ils connaissaient laprophétie. « Sauf qu’ils n’ont mêmepas essayé d’aider la Tribu àvaincre ses ennemis.

— Parfois, même nos ancêtressont incapables de nous aider.

— Ce n’est pas tout… On auraitdit qu’ils étaient perdus. »

Nuage de Geai ne pouvait sedéfaire de l’idée que la Tribun’avait pas toujours connu lesmontagnes, qu’ils avaient vécu bienloin des vents mauvais et des picsacérés, parmi d’autres chats – ceux

qui, les premiers, avaient reçu laprophétie.

Feuille de Lune s’était enfinarrêtée et il sentait sur lui le poidsde son regard curieux.

« J’ai été surpris que Conteur soità la fois chef et guérisseur, miaula-t-il avant qu’elle ne l’interrogedavantage à propos de la Tribu de laChasse Éternelle.

— Oui, c’est beaucoup deresponsabilités pour un seul chat,convint-elle tout en se remettant autravail. Un savoir immense estsouvent synonyme de solitude. »

Le cœur de Nuage de Geai fit unbond dans sa poitrine. Parle-t-elle

de la prophétie ? Est-elle aucourant ? Non ! Elle m’en auraitparlé… Son pouls se calma aussitôt.Feuille de Lune n’aurait jamais pugarder un tel secret. Néanmoins, iltenta de percer ses pensées pours’en assurer. Le brouillard habituellui barrait la voie. Il sentit justequ’elle baignait dans un lac denostalgie. Elle n’était peut-être pasau courant pour la prophétie, maisquelque chose d’autre lapréoccupait.

Pourquoi semblait-elle simalheureuse ? Il voulut lui changerles idées :

« Est-ce que tu veux une part de

gibier ? demanda-t-il.— Non, répondit-elle en

frémissant, comme pour écarter uneidée déplaisante. Tu peuxcommencer à ranger nos réserves. »

Alors qu’il remettait un tas deremèdes dans la fissure, une voixrésonna à l’entrée de la tanière.

« Feuille de Lune ? Ah, tu es là…», miaula Flocon de Neige avecsoulagement.

Nuage de Geai continua à roulerles feuilles de consoude et à lesremettre en place.

« Tu es blessé ? s’enquit laguérisseuse.

— Non, soupira-t-il en faisant les

cent pas. Je m’inquiète pour Nuagede Cendre. »

Nuage de Geai dressa l’oreille.Jusqu’à présent, seuls Feuille deLune et lui savaient que Nuage deCendre était la réincarnation del’ancienne guérisseuse du Clan duTonnerre, Museau Cendré. Elle avaiteu une deuxième chance de vivre lavie dont elle avait toujours rêvé :celle d’une guerrière du Clan duTonnerre. Nuage de Cendre elle-même n’en avait pas conscience.Cependant, des bribes deconnaissances qui ne luiappartenaient pas refaisaient parfoissurface et elle parlait de l’ancienne

forêt comme si elle y avait vécu.Flocon de Neige commençait-il àsoupçonner quelque chose ?

« Elle va bien ? s’inquiéta laguérisseuse.

— Oui. Tu crois qu’elle est prêtepour sa dernière évaluation ? Nuagede Miel et Nuage de Pavot le sont,mais je ne veux pas imposer ce test àNuage de Cendre avant que sa pattesoit complètement guérie. »

Feuille de Lune hésita.Pourquoi ne répond-elle pas ?

Inquiet, Nuage de Geai tenta denouveau de percer ses pensées, biendécidé à pénétrer le brouillard. Ilretint soudain son souffle. Un

souvenir embrasait l’esprit de sonmentor, un souvenir si fort qu’elle nepouvait le dissimuler.

Il vit un ravin rempli de neige.Aussitôt, Nuage de Geai reconnut lecamp de l’ancienne forêt qu’il avaitvisitée dans le rêve de Nuage deCendre. Une couche de poudreusecoiffait les tanières et les buissons.La clairière centrale avait étédégagée et une chatte grise latraversait en boitant, la queue basse,les moustaches ourlées de givre.Elle était si maigre que ses ospointaient sous sa fourrure. Un ventmordant soufflait des nuages deneige dans les tanières. Nuage de

Geai trembla de froid, prisonnier dusouvenir de son mentor.

Feuille de Lune s’approcha de lachatte grise, le pelage constellé deflocons. Elle faisait toute jeune, avecson visage rond comme celui d’unchaton et sa fourrure ébouriffée pourlutter contre le froid.

« Museau Cendré, laisse-moi terapporter une part de gibier,l’implora-t-elle. Une patrouille dechasse vient justement de reveniravec un merle.

— Un merle ? répéta MuseauCendré avec espoir. Nous n’avonspas eu de si gros gibier depuislongtemps.

— Je peux t’en apporter unmorceau », insista Feuille de Lune.

L’expression de son mentorchangea aussitôt. Ses yeuxsemblaient à présent deux éclats deglace.

« Ce serait du gâchis ! rétorqua-t-elle. Les anciens et les reinesdoivent se nourrir en premier. Etensuite les guerriers et les apprentis.Ils ont besoin de prendre des forcespour trouver plus de nourriture.

— Mais toi aussi, tu as besoin deprendre des forces. Tu t’occupes deceux qui sont atteints du mal blanc.Et si cela tourne au mal vert ? Ilsauront besoin de toi plus encore. »

Museau Cendré baissa la tête pourreprendre d’un ton plus doux :

« Avec ma patte folle, je ne peuxpas aller très loin. Encore plus en cemoment – par ce froid, elle me faitmal. J’ai moins besoin de mangerque les autres. »

Sa voix trahissait sa peine et sesregrets. Nuage de Geai devinait cequ’elle taisait : Si je n’étais pasinfirme, je pourrais sortir en forêt,et chercher de la nourriture pourmes camarades…

Le miaulement joyeux de Feuillede Lune le ramena à la réalité.

« Elle est prête, assura-t-elle àFlocon de Neige. Rien ne

l’empêchera de devenir uneguerrière.

— J’ai remarqué que sa patte seraidissait pendant certaines attaques.J’ai peur qu’elle ne me cache sesdouleurs.

— C’est sans doute qu’elle n’ajamais mal.

— Tu pourrais peut-être laregarder durant un entraînement ?Pour être sûre ?

— Inutile. Elle sera une guerrièreredoutable. Tu devrais être fierd’elle.

— Je le suis. Mais je ne veux pasla brusquer. Si elle a besoin d’uneconvalescence plus longue,

j’attendrai volontiers.— Tu ne la brusques pas, j’en

suis certaine.— Je suis soulagé de l’entendre.

Tu veux manger ? Une patrouille dechasse vient de rentrer. »

Le novice attendit que les deuxfélins s’éloignent avant de s’extirperde la fissure. Le chagrin de MuseauCendré continuait à le tourmenter,telle une blessure à vif. Feuille deLune avait dû l’éprouver tout commelui, puisque ce souvenir était le sien.Pourtant, elle avait répondu d’un tonjoyeux à Flocon de Neige. Un peutrop joyeux. Comme pour seconvaincre elle-même. Nuage de

Geai prit un paquet de pas-d’ânedans la gueule et retourna dans laréserve. Il espérait que Feuille deLune avait raison d’être optimiste,pour la blessure de Nuage deCendre.

CHAPITRE 5

FEUILLE DE LUNE partageait unesouris avec Flocon de Neige lorsqueNuage de Geai émergea à son tourdu rideau de ronces.

Il y avait l’embarras du choix,dans la réserve. Les patrouilles de

chasse du matin l’avaient biengarnie. Alors qu’il tirait unemusaraigne de sous le tas – encoretoute chaude –, l’image de MuseauCendré affamée dans le campenneigé lui revint en tête. Est-ce queFeuille de Lune pensait à elle enmangeant sa pièce de viande ?

« Nuage de Geai ! lança PlumeGrise en accourant jusqu’à lui. Gobeça en vitesse ! Nous partons chasser.

— Vous voulez que je vienne ?s’étonna-t-il, tout joyeux.

— Poil de Châtaigne, Patte deMulot et moi, nous nous occuperonsde la chasse », le détrompa le matougris. Il dut deviner la déception de

l’apprenti guérisseur, car il sedépêcha de poursuivre : « Tu as unemission très importante. Feuille deLune veut que tu nous accompagnespour ramasser des remèdes. »

Génial. Nuage de Geai n’avaitplus faim, tout à coup. Il repoussa lamusaraigne dans le tas.

« Je mangerai en revenant,bougonna-t-il.

— Nous descendons au lac.— Au lac ? » répéta l’aveugle

avec intérêt. Son bâton aux encochesétait toujours sur la rive. « Bon,j’imagine que me dégourdir lespattes me fera du bien.

— Voilà qui est mieux. »

Le matou se dirigea vers le tunnelde ronces, où Poil de Châtaigne etPatte de Mulot faisaient les cent pas– Nuage de Geai les entendait alleret venir avec impatience. Il se lançaà la poursuite de Plume Grise et lapatrouille gagna la forêt.

Patte de Mulot – guerrier depuispeu – bouillonnait d’excitation.

« J’espère que j’attraperai unebelle proie ! Un écureuil, peut-être…

— Les écureuils vont avoir dusouci à se faire », ronronna PlumeGrise.

Les bois semblaient somnolerdans la chaleur – aucun bruit ne

sortait des taillis lorsque Nuage deGeai les frôlait. Le bourdonnementdes abeilles résonnait dans l’air.Patte de Mulot fila à toute allurepour prendre la tête du groupe,bientôt suivi par Plume Grise.

« J’aimerais que la saison desfeuilles vertes dure toujours,murmura Poil de Châtaigne, quimarchait tout près de Nuage de Geaipour que leurs fourrures se frôlent.

— Moi aussi… »Il s’écarta d’elle, puisqu’il

connaissait ce coin de la forêtsuffisamment pour ne pas avoirbesoin de guide. À son tour, il se mità courir sur le sol couvert de feuilles

en suivant le sentier habituel.« Attends-moi ! » lança sa

camarade, surprise.Ils rattrapèrent Plume Grise et

Patte de Mulot au sommet de lacrête. Les arbres s’arrêtaient là, et laforêt laissait place à une penteverdoyante qui menait au lac.

Patte de Mulot était horsd’haleine.

« Il a failli avoir son écureuil,annonça Plume Grise. Mais il a filédans cet arbre.

— Si ce merle stupide n’avait pasdonné l’alerte…, grommelal’apprenti malchanceux.

— Tu attraperas le prochain,

l’encouragea le matou gris.— Moi, j’ai hâte de chasser avec

mes petits, déclara Poil deChâtaigne avec fierté. Nuage deMiel, Nuage de Pavot et Nuage deCendre vont passer leur dernièreévaluation d’un jour à l’autre.

— Ce sera chouette de les avoiravec nous, dans la tanière desguerriers, répondit Patte de Mulot.Ça empêchera peut-être les vieuxguerriers de garder pour eux lesmeilleurs nids et la mousse la plusdouce.

— Nous, les vieux guerriers, nousavons besoin de la plus douce desmousses pour nos pauvres vieux os,

ronronna Plume Grise, amusé.— Je ne parlais pas de vous !

miaula Patte de Mulot, embarrassé.— Je suis certaine que Cœur

d’Épines et Pelage de Poussièreseront ravis de l’apprendre, letaquina Poil de Châtaigne.

— Vous n’allez pas le leur dire ?gémit le jeune guerrier.

— Mais non ! le rassura laguerrière en se lançant dans ladescente. En plus, nous ne sommespas vieux. Et dès que les petits deMillie seront là, Plume Grise sesentira plus jeune que jamais. »

Nuage de Geai s’élança aprèselle, heureux de humer la brise qui

ébouriffait sa fourrure. Elle portaitl’odeur du lac.

Sur la rive, Plume Grise marquaune pause.

« Est-ce que le coin est bon pourles remèdes ?

— Oui. Je trouverai des mauvessur la berge.

— Patte de Mulot pourra t’aider,décida Poil de Châtaigne.

— Et mon écu…— Ton écureuil peut attendre, le

coupa Plume Grise.— Oui, sans doute… En plus, si

nous allons sur la rive, je pourraipeut-être attraper un poisson ! »

Seulement si tu as eu un

deuxième mentor dans le Clan de laRivière… Nuage de Geai s’aventuradans les galets, quis’entrechoquaient sous ses pattes.

Patte de Mulot le suivit.« Le lac est aussi lisse qu’une

feuille de laurier. »Nuage de Geai l’avait déjà

deviné. Il entendait le léger clapotisdes vaguelettes qui venaientdoucement lécher la berge.

« À quoi ressemble la mauve ?demanda Patte de Mulot.

— Aucune idée, je n’en ai jamaisvu.

— Oh, pardon !— Ne t’inquiète pas. » Ce n’était

qu’une bête étourderie. « Autoucher, elle est douce et un peuduveteuse. Les feuilles sont trèsgrandes. »

Nuage de Geai leva la truffe. Il sesouvenait d’être déjà venu ici pourcueillir des mauves. Et pourconfirmer cela, une douce fragrancevint caresser sa truffe. Nuage deGeai tendit la queue vers le bord del’eau.

« Tu vois cette plante, là-bas ?C’est une mauve.

— Vraiment ? » s’étonna le jeuneguerrier.

Le novice ne prit pas la peine derépondre. Ses pattes le

démangeaient. Le bâton devait êtrejuste là, sur la côte.

« Tu veux bien aller ramasser desfeuilles ? demanda-t-il à soncamarade. Je dois vérifier quelquechose un peu plus loin.

— D’accord, répondit le jeuneguerrier, qui se tourna vers le lac. Ilt’en faut combien ?

— Autant que tu peux en porter ! »Nuage de Geai poursuivit le long

de la berge. Il remonta jusqu’àl’orée des bois, où des racinesnoueuses se faufilaient entre lesgalets, et flaira le sol jusqu’à cequ’il repère le bâton. Il était là où ill’avait laissé, sous la racine d’un

sorbier, à l’abri des vagues.Il le tira de là et fut aussitôt

soulagé de sentir le bois lisse sousses coussinets. C’était bien lui, avecses encoches familières. Nuage deGeai s’interrogeait beaucoup sur leClan de Feuille Morte, d’où venaitce bâton. Et sur la Tribu. Les deuxétaient-ils liés ? Est-ce que tous lesClans, Tribus et autres, malgré leursdifférences, étaient unis d’une façonou d’une autre ?

Bientôt, Patte de Mulot accourutvers lui ; il embaumait la mauve.Nuage de Geai, que sa hâte rendaitmaladroit, fourra le bout de boisderrière la racine. Les galets

s’entrechoquaient sous les pattes duguerrier.

« Qu’est-ce que tu fais ? s’enquitle guerrier, la gueule pleine.

— Je vérifiais quelque chose.— Un bâton ? s’étonna Patte de

Mulot après avoir craché lesfeuilles.

— Rien d’important, mentitl’aveugle. Des trucs de guérisseur…Tu ne comprendrais pas. »

Il se prépara à une volée dequestions, mais Patte de Mulot secontenta de ranger sa récolte en tas.

« Si tu le dis. Je ne suis plusapprenti. Je suis un guerrier – jechasse et je me bats. Je te laisse tes

bizarreries de guérisseur. » Sonmiaulement fut de nouveau étouffécar il reprit son paquet dans lagueule. « Je suis bien content de nepas avoir besoin de me souvenird’autant de choses que toi. »

Tu ne crois pas si bien dire…La voix de Plume Grise résonna

entre les arbres au-dessus d’eux.« Tu as attrapé un poisson, Patte

de Mulot ?— Non, mais j’ai attrapé des

mauves ! »Dans son empressement à

répondre, le jeune guerrier avaitcraché une partie des feuilles surNuage de Geai. Celui-ci se retint de

feuler. Il les ramassa une par une etles prit dans sa propre gueule. Ilsuivit ensuite Patte de Mulot jusqu’àla lisière des bois, où Plume Griseet Poil de Châtaigne attendaient. Àl’odeur, Nuage de Geai compritqu’ils avaient attrapé des souris etson estomac gargouilla. Il regretta dene pas avoir mangé quand il en avaiteu l’occasion.

« Rapportons ça au camp, miaulaPoil de Châtaigne. On dirait quequelqu’un a faim. »

Sur ces mots, elle disparut dansles taillis. Les autres la suivirent.Une fois au sommet de la crête,Nuage de Geai s’immobilisa.

« Qu’y a-t-il ? l’interrogea PlumeGrise.

— Une patrouille, qui vient droitsur nous. »

Leur odeur leur parvenait déjà. Uninstant plus tard, Nuage de Geaientendit Cœur d’Épines et sonapprentie, Nuage de Pavot, cavaler àtravers le sous-bois. Cœur Blanc etBois de Frêne les talonnaient. Leurexcitation était palpable.

Ils jaillirent soudain des buissons,sur la crête.

« Le Clan du Vent a franchi lafrontière ! lança la guerrièreblanche.

— Ils sont encore sur notre

territoire ? s’enquit aussitôt PlumeGrise en lâchant sa prise.

— Non, gronda Cœur d’Épines.Mais leur trace est fraîche. Ils n’ontvisiblement pas écouté la dernièremise en garde d’Étoile de Feu, et ilsont de nouveau chassé sur notreterritoire.

— Avez-vous renouvelé lemarquage ?

— Bien sûr, aussitôt, le rassuraBois de Frêne tout en faisant les centpas autour de ses camarades.

— Bien. Nous devons avertirÉtoile de Feu tout de suite. »

Le camp baignait dans la même

touffeur que celle qui régnait dansles bois. Personne ne remua lorsquela patrouille déboula dans laclairière.

« Cœur Blanc ? Où vas-tu ? fitFlocon de Neige qui, à en juger parson miaulement ensommeillé, faisaitla sieste devant le gîte des guerriers.

— Je reviens tout de suite »,promit-elle tout en escaladantl’éboulis à la suite de Cœurd’Épines.

Patte de Mulot posa son paquet defeuilles près de Nuage de Geai.

« Tu peux te débrouiller avec ça ?Je veux prévenir Truffe de Sureau etPlume de Noisette. »

C’était le premier incident depuisque Patte de Mulot avait reçu sonnom de guerrier. Nuage de Geaicomprenait son excitation.

« Pas de problème. »Il posa son propre paquet sur

celui du guerrier pour n’en fairequ’un seul.

« Tu veux de l’aide ? demandaNuage de Houx, venue près de lui.

— Oui, merci. »Nuage de Geai ne supportait plus

le goût des mauves.« Pourquoi tout ce tapage ?

s’enquit sa sœur en se constituantson propre paquet.

— Le Clan du Vent a de nouveau

franchi la frontière.— Je pensais qu’après ce qui

s’est passé… »Nuage de Geai haussa les épaules.

Manifestement, avoir sauvé les troischatons de leurs voisins ne suffisaitpas à apaiser leur hostilitégrandissante. L’apprenti guérisseurs’attendait à ce que Nuage de Houxlui serve un discours indigné,insistant sur le fait que les véritablesguerriers respectaient les frontières.Il fut donc surpris de découvrirqu’elle pensait à tout autre chose.

« Nuage de Cendre vient de medire qu’elle passe sa dernièreévaluation demain. »

Si tôt ?« Est-ce qu’elle s’est déjà plainte

de sa patte ? Est-ce qu’elle a mal ?s’enquit-il.

— Hein ? Pourquoi ? Qu’est-cequi ne va pas ? Elle est guérie, n’est-ce pas ?

— Selon Feuille de Lune, oui.— Alors il n’y a aucune raison de

s’inquiéter. Si seulement je pouvaisla regarder…

— Pendant son évaluation ?demanda-t-il, avec une petite idéederrière la tête.

— Oui, ce serait chouette ! »Nuage de Geai réfléchit à toute

allure. Il pourrait surveiller Nuage

de Cendre pendant l’épreuve. Ets’assurer que tout se passait bien.

« Et pourquoi on ne le ferait pas ?— Hein ? Mais c’est interdit, non

?— Interdit par quoi, le code du

guerrier ?— De quoi vous parlez, tous les

deux ? les coupa Nuage de Lion enles rejoignant.

— De la possibilité d’aller voirl’évaluation de Nuage de Cendre,demain, expliqua la jeune chattenoire.

— On a le droit ? s’étonna Nuagede Lion à son tour.

— Sans doute pas, admit Nuage

de Geai. Peu importe, nous necomptons pas annoncer nosintentions à tout le monde du haut dela Corniche.

— Alors c’est d’accord ! s’écriaNuage de Lion.

— Si quelqu’un nous surprend,nous pourrons toujours expliquerque nous cherchions juste à nousfaire une idée de l’épreuve avantnotre propre évaluation. Personne nepourra nous le reprocher. »

Les pépiements des oiseauxréveillèrent Nuage de Geai lelendemain. C’est l’aube. Il s’étira etsortit de son nid en frissonnant. La

fraîcheur du petit matin était tombéesur la combe comme pour rappelerau Clan que la saison des feuillesmortes serait bientôt là. Il se nettoyales pattes et le museau en vitesse.L’évaluation commencerait de bonneheure et il avait promis de retrouverNuage de Lion et Nuage de Houx àl’extérieur du camp.

« Où vas-tu ? »Alors qu’il se dirigeait vers la

sortie, le miaulement de Feuille deLune le fit sursauter.

« Hier, j’ai laissé quelques tas defeuilles, mentit-il.

— Tu pourras les retrouver seul ?— Je sais exactement où je les ai

posées. Je ne suis pas une cervellede souris », rétorqua-t-il.

Il savait que Feuille de Lunecraindrait de le vexer en posantd’autres questions.

Il gagna la clairière et traversa letunnel de ronces. Dehors, CœurBlanc gardait l’entrée.

« Tu sors tôt.— Je vais chercher des remèdes

pour Feuille de Lune.— Tu as besoin d’une escorte ?— Non, merci.— La patrouille de l’aube est déjà

partie. Et l’évaluation va bientôtcommencer. Tu auras donc descamarades tout près si tu as besoin

d’aide. »Il suivit le sentier habituel puis,

une fois certain que la guerrière nepouvait plus le voir, il se faufiladans les buissons. Nuage de Lion luiavait dit de le retrouver près duchêne où poussent des champignons.À cette période de l’année, leurodeur était si forte que même un chatsans odorat pouvait les repérer deloin. Il les flairait déjà. Il suivit lapiste jusqu’à sentir sous sescoussinets le sol tourbeux où ilspoussaient.

Aucun signe de son frère ni de sasœur.

Puis une horrible odeur de crotte

lui envahit la truffe. Les buissonsfrémirent derrière lui.

« Désolé pour le retard, haletaNuage de Houx.

— Comme on n’arrivait pas àtrouver une excuse pour sortir ducamp, on est passés par le “petitcoin”. »

Nuage de Geai fronça le nez. Le «petit coin », c’était la clairière oùtous les membres du Clan allaientfaire leurs besoins.

« J’avais deviné. »Ils puaient encore plus que les

champignons tout autour d’eux.« Et j’ai des épines plein la

fourrure, gémit Nuage de Houx.

— Essayez de vous rouler dans laterre, suggéra l’apprenti guérisseur.Cela vous débarrassera de l’odeur etdes épines.

— Bonne idée ! s’écria-t-elleavant de mettre en pratique leconseil de son frère. Ça marche !s’étonna-t-elle en se reniflantensuite.

— Je te l’avais bien dit.— À moi, annonça Nuage de Lion

en imitant sa sœur.— Maintenant vous sentez le

champignon, soupira Nuage de Geai.— Ce sera un bon camouflage, lui

fit remarquer sa sœur.— La pauvre Nuage de Cendre va

croire qu’elle se fait poursuivre pardes bolets ! gloussa Nuage de Lion.

— Chut ! » fit Nuage de Geai,l’oreille dressée.

Il entendait les buissons frémirnon loin. Les odeurs de Tempête deSable, Flocon de Neige et Cœurd’Épines leur parvinrent, portées parla brise matinale.

« Suivez-moi, et taisez-vous. »Alors qu’il s’était mis à ramper

comme s’il traquait une proie, il seprit la patte dans une racine ettrébucha.

« Je vais passer devant, annonçaNuage de Lion. Dis-moi dans quelledirection aller.

— Droit devant, marmonnal’apprenti guérisseur. Cœurd’Épines et les autres ne sont pasloin. »

Après avoir rampé quelquesinstants dans les broussailles, Nuagede Houx tira la queue de Nuage deGeai.

« Je les entends. »Nuage de Geai avait lui aussi

entendu le miaulement grave deCœur d’Épines. Il disait à Nuage dePavot : « J’espère que tu es prête. »

« Il y a un roncier, juste là, le miten garde Nuage de Lion. Restederrière moi, et aplatis-toi. »

Nuage de Geai obéit et sentit les

épines lui râper le dos.La voix de Flocon de Neige était

très nette, à présent :« Je sais que vous ferez tous de

votre mieux. Rappelez-vous quevous ne devez pas surpasser lesautres, mais vous-mêmes.

— Vous ne pouvez pas non plusvous entraider, ajouta Tempête deSable. C’est un test pour évaluer voscompétences individuelles.

— Nous vous observerons, mêmesi vous ne nous voyez pas », conclutCœur d’Épines.

Nuage de Lion s’immobilisa.Nuage de Geai se faufila à côté delui malgré les ronces qui lui

rentraient dans la peau. Nuage deHoux les rejoignit à son tour.

« Comme c’est palpitant !— Chut ! » la rabroua Nuage de

Lion.Les guerriers et leurs apprentis

devaient être à une longueur dequeue, droit devant eux. Nuage deGeai faisait confiance à son frèrepour leur avoir choisi une bonnecachette, tout en espérant quel’odeur de champignon suffirait àdissimuler leur présence.L’excitation des trois apprentis quiattendaient leur évaluation étaitpresque palpable.

« Nuage de Cendre ne tient pas en

place, remarqua Nuage de Houx.— La pauvre Nuage de Miel

paraît terrifiée, souffla Nuage deLion. Mais Nuage de Pavot sembleaussi calme qu’une renarde.

— Rien ne peut déstabiliserNuage de Pavot. »

Nuage de Geai ressentait avecforce l’intensité de leur espoir etleur détermination.

« Bonne chance », miaula Cœurd’Épines.

Les trois guerriers disparurentdans la forêt en laissant seules lesapprenties.

« À votre avis, où est-ce que jedois aller chasser ? demanda Nuage

de Miel, nerveuse.— Fie-toi à ton instinct, lui

conseilla Nuage de Pavot. Moi, jevais par là. »

Nuage de Geai entendit les pas del’apprentie écaille se diriger vers leroncier où ils étaient cachés.N’osant pas reculer de peur de fairefrémir le buisson, il s’aplatit contrele sol. Nuage de Lion et Nuage deHoux se crispèrent près de lui. Tousretinrent leur souffle lorsque lafourrure de Nuage de Pavot frôla lesfeuilles.

Pourvu qu’elle ne nous voie pas !Nuage de Houx planta ses griffes

dans la terre meuble.

Chut ! Nuage de Geai se tendit,avant de pousser un profond soupirde soulagement lorsque l’apprenties’élança dans la montée.

« Elle va vers le lac, devinaNuage de Houx.

— Et Nuage de Cendre ? voulutsavoir l’aveugle.

— Elle hume l’air, murmura sasœur à son oreille. Elle a dû flairerune proie. Ça y est, elle démarre.

— Allez, siffla Nuage de Lion.Suivons-la. »

Il s’extirpa tant bien que mal dubuisson. Nuage de Geai le suivait desi près que la queue de son frère luichatouillait la truffe. Dans la

clairière, il reconnut bientôt leterrain : ils suivaient le bas de lapente. Entre son frère devant lui etsa sœur à côté de lui, il n’eut aucunmal à se maintenir à l’allure deNuage de Cendre.

« Elle a l’air sûre d’elle ! miaulaNuage de Houx. Sa queue restedressée.

— Attention, elle fait demi-tour !» feula Nuage de Lion en s’arrêtanttout à coup.

Nuage de Geai évita de justesseson frère. Nuage de Houx le saisitpar la queue et le tira en arrière,puis Nuage de Lion le poussa decôté, si bien qu’ils tombèrent tous

les trois dans un bouquet de fougèresjuste avant que Nuage de Cendre neleur passe devant.

« On l’a échappé belle ! » haletaNuage de Lion.

Au loin, un cri déchira le silence,suivi d’un battement d’ailes.

« Crotte de souris ! grogna un chaten colère.

— On dirait que Nuage de Miel araté sa première prise, devina Nuagede Lion.

— Ne t’occupe pas de Nuage deMiel, reprit Nuage de Houx. On vaperdre Nuage de Cendre ! »

La jeune chatte jaillit des fougèreset se lança à la poursuite de sa

camarade. Nuage de Lion poussaNuage de Geai pour qu’il la suive etils se retrouvèrent de nouveau àcavaler derrière l’apprentie.

« Un écureuil ! » s’écria Nuage deGeai, qui en avait reconnu l’odeur.

Nuage de Cendre accéléra encorela cadence.

« Elle le suit, annonça Nuage deLion.

— Je la vois ! renchérit Nuage deHoux. Elle le traque bel et bien.Aussi discrètement qu’un serpent.

— Est-ce que l’écureuil l’a vue ?s’enquit Nuage de Geai.

— Il s’enfuit, en tout cas, réponditson frère. Mais il est toujours au sol.

Je crois qu’il a senti quelquechose…

— Il essaie de s’échapper,murmura Nuage de Houx. Nuage deCendre va devoir attaquer bientôt.

— Il court le long d’un arbrecouché, vers un chêne. Elle doitpasser à l’action tout de suite oubien elle va le perdre.

— Ça y est ! s’écria Nuage deHoux. Quel saut… »

Elle laissa sa phrase en suspens.« Quoi ? Que se passe-t-il ? la

pressa Nuage de Geai, avantd’entendre un bruit de bois qu’ongriffait suivi d’un choc sourd.

— Elle a mal anticipé son saut !

hoqueta Nuage de Lion.— Elle s’est écrasée sur l’arbre

couché ! »Nuage de Geai fut traversé par

une décharge de douleur.« Elle est blessée ! » hurla Nuage

de Houx, mais Nuage de Geaicourait déjà vers l’apprentie enpriant pour ne pas trébucher.

Sa sœur le doubla et bondit sur letronc vers son amie qui gémissait,inerte. Nuage de Geai escaladal’écorce en envoyant des éclatsd’écorce au passage. Haletant, ils’accroupit près de Nuage deCendre.

Flocon de Neige jaillit des

buissons.« Elle est blessée ? »Nuage de Geai pressa sa joue

contre la patte brûlante de la jeunechatte grise – elle gonflait déjà ettremblait.

« C’est sa mauvaise patte ! lançal’apprenti guérisseur.

— Elle s’est raidie quand j’aisauté, parvint à articuler la novicemalgré sa respiration saccadée.

— Je savais qu’elle n’était pasprête ! se lamenta Flocon de Neigeen écartant Nuage de Houx pours’approcher de sa protégée.

— Nous devons la ramener aucamp, l’avertit Nuage de Geai.

Nuage de Houx, pars devant pouravertir Feuille de Lune. »

La chatte noire hésita, elle nevoulait pas abandonner son amie.

« Vas-y ! » lui ordonna son frère,et elle disparut à toute allure dansles broussailles.

« Tout va bien, Nuage de Cendre,murmura Flocon de Neige. On va teramener au camp. » Il tendit le coupour s’adresser à Nuage de Lion,resté en contrebas. « Je vais laprendre par la peau du cou poursauter. Tu devras t’assurer que sapatte blessée ne touche rien, etsurtout pas le sol. Tu crois que tupeux faire ça ?

— Oui. »Nuage de Cendre gémit tandis que

Flocon de Neige la soulevait avecprécaution. Fermement campé surses pattes arrière, Nuage de Lion sedressa pour l’aider. Nuage de Geaile rejoignit d’un bond. Toutdoucement, Flocon de Neige selaissa glisser le long du tronc. Nuagede Cendre gémit lorsqu’il atterrit etla déposa sur le sol.

Nuage de Geai pressa sa jouecontre le flanc tremblant del’apprentie. Son pouls était fort etrégulier.

« Peux-tu marcher sur trois pattes?

— Je crois, grogna-t-elle.— Nous t’aiderons », la rassura

Nuage de Lion.Nuage de Geai l’entendit se

mettre péniblement debout. Ils’écarta du passage pour que Nuagede Lion et Flocon de Neige puissentl’encadrer. Lentement, l’apprentieavança en boitant.

Chaque pas transperçait Nuage deGeai comme un aiguillon.

« On ne peut pas la porter ?s’enquit-il, contrarié. Feuille deLune doit la voir le plus vitepossible.

— Il ne vaut mieux pas, réponditFlocon de Neige. On risquerait

d’aggraver sa blessure. »À l’allure d’un escargot, ils

finirent par atteindre la barrière deronces. Nuage de Houx les attendaitau bout du tunnel, la fourrurehérissée par l’inquiétude.

« Elle marche !— Pas vraiment, grommela la

blessée.— C’est grave ? voulut savoir

Plume Grise.— Elle s’est recassé la patte ?

demanda Chipie, à l’entrée de lapouponnière.

— Impossible de le dire tout desuite. »

Nuage de Geai tournait autour de

sa patiente tandis que Nuage de Lionet Flocon de Neige l’aidaient àclaudiquer jusqu’à la tanière de laguérisseuse. Nuage de Houx écartales ronces pour les laisser entrer.

« Allonge-toi », ordonna Feuillede Lune.

À l’odeur qui régnait là, Nuage deGeai devina que son mentor avaitdéjà préparé une litière de moussefraîche dans un coin tranquille del’antre.

Nuage de Cendre poussa ungrognement de douleur lorsque sapatte frôla la mousse.

« Sortez, s’il vous plaît, déclaraFeuille de Lune en chassant Nuage

de Houx et Nuage de Lion.— Mais je veux rester avec elle !

protesta la jeune chatte noire.— Tu lui rendras visite plus tard,

rétorqua la guérisseuse en lespoussant résolument vers la sortie.Que s’est-il passé ? lança-t-elleensuite d’un ton sec à Flocon deNeige.

— Elle voulait sauter par-dessusun tronc…

— Ma stupide patte m’a lâchée !le coupa Nuage de Cendre. Et j’airaté mon évaluation !

— Ce n’est pas grave, tenta de larassurer son mentor.

— Bien sûr que si, c’est grave !

Je ne veux pas que Nuage de Miel etNuage de Pavot gagnent la tanièredes guerriers sans moi. Je voulaisveiller avec elles, pas toute seule !

— Tu es sous le choc, murmuraFeuille de Lune. Laisse-moi voir sije peux te soulager. » Malgré son toncalme, Nuage de Geai devinait sadétresse à mesure qu’elle faisaitglisser ses coussinets sur la patteblessée. « Rien de cassé. C’estmoins grave que la dernière fois.

— Ça me semble pire…— Tu t’es juste déchiré les

muscles, lui assura-t-elle. Ilsguériront avec du repos.

— Pourquoi elle a lâché ? »

Feuille de Lune ne répondit pas.Elle se tourna vers Flocon de Neige.

« Laisse-la-moi, miaula-t-elledoucement. Je te donnerai de sesnouvelles dès que j’aurai fini de lasoigner. »

Nuage de Geai s’écarta pourlaisser sortir le guerrier. Il sedemanda s’il devait proposer sonaide, mais Feuille de Lune semblaitsi occupée à soigner la blessurequ’il resta silencieux, tapi près del’entrée au cas où elle aurait besoinde lui.

« Pourquoi a-t-elle lâché ? répétal’apprentie d’une voix plus forte.Elle n’était pas bien guérie ? Elle

restera toujours faible ? Et si je nepouvais jamais devenir uneguerrière ? »

La panique de Feuille de Lunefrappa Nuage de Geai avec la forced’une bourrasque.

« Tout ira bien, déclara laguérisseuse. J’ai préparé unemplâtre. » Elle gagna le fond deson antre. Nuage de Geai flaira uneodeur d’orties et de consoudelorsqu’elle rapporta le remèdequ’elle appliqua sur la patte blessée.« Avale ces graines de pavot. Ellest’aideront à te reposer. »

Nuage de Geai écouta larespiration de Nuage de Cendre

ralentir et s’approfondir. Feuille deLune restait immobile, près d’elle, etelle ne se détourna qu’une foiscertaine que sa protégée s’étaitendormie.

Elle fut surprise de voir Nuage deGeai.

« Tu es encore là ?— Je n’allais pas partir alors que

nous avions une patiente à soigner,répondit-il en se redressant, lesmembres engourdis d’être resté tapisi longtemps.

— Je croyais que tu étais sortiavec les autres.

— Tu n’aurais pas dû dire àFlocon de Neige qu’elle était prête

pour son évaluation.— Ce n’est pas à toi d’en juger,

rétorqua-t-elle d’une voixtremblotante.

— Tu n’as même pas été la voir àl’entraînement pour t’assurer qu’elleétait totalement remise.

— Tu ne comprends pas !— Si », la contredit-il en lui

faisant signe de le suivre vers uncoin où personne ne pourrait lesentendre. Nuage de Geai inspiraprofondément et reprit : « Je saisque tu veux que Nuage de Cendredevienne une guerrière le plus vitepossible. Tu ne veux pas qu’elle aitle même destin que Museau Cendré.

— Et quel mal y a-t-il à cela ? Nepas pouvoir devenir une guerrièrelui avait brisé le cœur. »

Il y a des destins pires encore.« Tu es obsédée par le passé, la

mit-il en garde. Tu veux t’assurerque les choses tournent comme tu lejuges bon.

— Je veux simplement faire cequi est le plus juste.

— Ce n’est pas toujours possible.Même si tu ne souhaites rien de plusau monde.

— Je sais. » Son chagrin étaitplus profond, plus intense que Nuagede Geai ne s’y attendait. « Maisj’essaierai toujours. »

CHAPITRE 6

NUAGE DE HOUX regardait le cielpâlir. Était-il trop tôt pour rendrevisite à Nuage de Cendre ? Feuillede Lune l’avait chassée la veille ausoir car sa patiente dormait.

La barrière de ronces frémit,

annonçant le retour de la patrouillede l’aube.

Plume Grise et Pelage dePoussière entrèrent dans le camp,suivis par Aile Blanche et Nuage deGivre. Aile Blanche tentait depersuader son apprentie de se taire.

« Tu as bavardé sans cesse depuisnotre départ, la grondait-elle. Noussommes de retour au camp, et tescamarades dorment encore.

— Mais je demandais juste àPlume Grise si je pouvaisl’accompagner pour avertir Étoilede Feu. »

C’était sa première patrouillematinale et la jeune apprentie

débordait d’énergie.« Ce sont des nouvelles

importantes, expliqua le guerriergentiment. Je ne suis pas certainqu’Étoile de Feu apprécierait que tusautes partout dans son antre pendantque je les lui annonce.

— Quelles nouvelles ? s’enquitNuage de Houx en s’approchantd’eux.

— Tu le sauras bien assez tôt »,répondit-il en suivant Pelage dePoussière dans l’éboulis menant à laCorniche.

Déçue, la jeune chatte noire setourna vers la tanière de laguérisseuse. Je vais juste jeter un

coup d’œil, histoire de voir siquelqu’un est réveillé. Elles’approcha de la fissure et se faufilaà travers le rideau de ronces qui engardait l’entrée. Elle cilla pours’habituer à la pénombre et vitFeuille de Lune en train de mélangerdes herbes au fond de son repaire.

« C’est pour Nuage de Cendre ?s’enquit Nuage de Houx en entrant.

— Oui, confirma la guérisseusesans lever les yeux.

— Je suis venue la voir. Elle estréveillée ?

— Il y a une éternité que je suisréveillée », lança une voix rauquevenue d’un nid plongé dans l’ombre.

Nuage de Cendre avait l’air desouffrir horriblement. Nuage deHoux se précipita vers son amie.L’apprentie grise gisait sur lamousse, sa patte tendue en dehors,les yeux dans le vague.

Feuille de Lune déposa unebouchée de feuilles près du nid.

« Elle va bien ? lui demandaNuage de Houx, inquiète.

— Elle s’est déchiré un muscle.— Ce n’est pas grave, se réjouit

Nuage de Houx. Il faudra juste unpeu de rééducation.

— Facile à dire, grommelal’intéressée.

— Allez, essaie de l’étirer. »

Nuage de Cendre, tremblante,tenta de tendre la patte.

« Je ne peux pas ! »Le cœur de Nuage de Houx se

serra. Son amie n’avait jamais eul’air si malheureuse.

« C’est normal que ta patte soitraide », déclara Feuille de Lune.

Nuage de Houx plissa les yeux,étonnée par son ton sec. Était-elleagacée que Nuage de Cendre leprenne si mal ?

« Essaie encore, lui ordonna laguérisseuse.

— Oui, renchérit Nuage de Houx.Plus tôt tu recommenceras à t’enservir, plus vite tu te remettras. »

Nuage de Cendre s’efforça de selever en grimaçant.

« Essaie de t’appuyer un peudessus », suggéra Feuille de Lune.

Nuage de Cendre obéitprudemment.

« Aïe ! gémit-elle en se laissanttomber dans son nid. ça fait tropmal, et je suis trop fatiguée.

— Avale ces feuilles, répondit laguérisseuse en poussant les remèdesvers elle. Je vais chercher un autrecataplasme pour que ta pattedégonfle plus vite. »

Son expression était sombre.Était-elle inquiète, ou agacée ?

En attendant qu’elle revienne,

Nuage de Houx décida de distraireson amie.

« Nuage de Givre a participé à sapremière patrouille.

— Vraiment ? » miaula Nuage deCendre sans conviction.

Nuage de Houx se creusa lesméninges pour trouver d’autreschoses à lui raconter. Devait-elle luidire ce que Griffe de Ronce avaitannoncé la veille au soir ? Ellefinira par l’apprendre, de toutefaçon.

« Nuage de Pavot et Nuage deMiel recevront leurs noms deguerrières aujourd’hui. »

Nuage de Cendre tourna la tête et

ferma les yeux.« Ton tour viendra bientôt…— Je veux juste dormir,

marmonna Nuage de Cendre.— Entendu. » Démoralisée,

Nuage de Houx se dirigea vers lasortie. « N’oublie pas de prendre tesremèdes ! » lança-t-elle.

Son amie se contenta de grogner.Quand Nuage de Houx sortit de latanière, elle croisa Nuage de Geai.

« Tu es debout de bonne heure,s’étonna-t-elle.

— J’étais parti examiner Millie.Tu as rendu visite à Nuage deCendre ?

— Oui… Elle semble plus mal

encore que la dernière fois.— Elle se sentira mieux quand sa

patte aura désenflé.— Est-ce qu’elle pourra

remarcher un jour ? demanda Nuagede Houx.

— Évidemment ! Ce n’est qu’unedéchirure. Elle devrait guérir plusvite, cette fois. »

C’est vrai ? Elle scruta le visagede son frère.

« Nuage de Cendre refuse debouger. La dernière fois, c’étaitl’inverse, elle refusait de se tenirtranquille !

— Elle est juste contrariée… Elleétait tout près de devenir une

guerrière, et à présent elle doitpatienter.

— Mais Feuille de Lune semblevraiment inquiète.

— Pfff… Feuille de Lune… »,siffla-t-il avec colère, avant dedisparaître dans la tanière.

Elle le regarda partir avecstupeur. S’était-il fâché avec sonmentor ?

« Nuage de Houx ! »C’était Nuage de Renard. Le jeune

apprenti faillit la percuter tant ilarrivait vite.

« Le baptême de Nuage de Pavotet Nuage de Miel va bientôtcommencer ! »

En levant la tête, la jeune chattenoire aperçut Étoile de Feu quicontemplait la clairière.

« Que tous ceux qui sont en âge dechasser s’approchent de la Cornichepour une assemblée du Clan ! »lança-t-il.

Cœur d’Épines et Tempête deSable attendaient déjà avec leursapprenties – elles avaient fait unetoilette soignée et leur pelage luisaitau soleil. Quant à leurs yeux, ilsbrillaient de mille feux.

Nuage de Houx se pressa derejoindre Nuage de Lion au bord dela clairière. Elle frissonna. Ellen’avait qu’une lune de moins que

Nuage de Pavot et Nuage de Miel.La prochaine fois, ce serait son tour.

« Imagine un peu ce qu’on doitressentir quand on devient unguerrier ! murmura-t-elle à son frère.

— Quand ce sera à nous, tout lemonde nous prendra enfin au sérieux», répondit-il, le poitrail gonflé.

Millie, dont le ventre était plusénorme que jamais, sortit de lapouponnière et inspecta la clairière.Son regard s’illumina lorsqu’elleaperçut Plume Grise. Poil de Sourissortit d’un pas raide de la tanièredes anciens, au côté de LonguePlume. Il était dur de savoir quiguidait qui.

« À cette allure, il n’y aura bientôtplus d’apprentis pour aller chercherla mousse fraîche de ma litière », seplaignit Poil de Souris.

Nuage de Givre, qui passait àtoute vitesse devant l’ancienne,s’arrêta net et la dévisagea d’un airgrave.

« Moi, j’irai toujours te chercherla mousse la plus douce, Poil deSouris, promit-elle. Même quand jeserai guerrière. »

La vieille chatte ronronna avantde la pousser affectueusement dubout du museau.

« File, canaille !— Nuage de Givre doit être

complètement folle », chuchotaNuage de Houx à Nuage de Lion, quiremua les moustaches d’un airamusé.

Flocon de Neige et Cœur Blancs’étaient installés à l’ombre de laCorniche. Cœur d’Épines etTempête de Sable les saluèrent d’unsigne de tête. Les deux mentorss’étaient éloignés de Nuage de Pavotet de Nuage de Miel et s’étaientplaqués contre la roche comme pourpermettre à Poil de Châtaigne et Poilde Fougère de venir dorloter leurspetits.

La guerrière nettoyaitvigoureusement les oreilles de

Nuage de Pavot.« Je veux que tu sois toute belle,

miaula-t-elle tandis que sa filles’écartait.

— Elle est très jolie comme ça,ronronna Poil de Fougère avant deporter son regard plein de fierté surNuage de Miel. Elles le sont toutesles deux. »

Poil de Châtaigne baissa la tête,peinée.

« Petite Taupe devrait être là, luiaussi. »

Son seul fils était mort du mal vertavant même de quitter lapouponnière.

« Et Nuage de Cendre aussi. »

Flocon de Neige jeta un coupd’œil vers la tanière de laguérisseuse. Il redressa lesmoustaches en voyant les roncesremuer, puis les laissa retomberlorsque Feuille de Lune en sortit. Ilavait sans doute espéré que sonapprentie viendrait assister à lacérémonie.

Poil de Châtaigne quitta un instantses deux autres filles pour courirvers la guérisseuse.

« Elle va bien ?— Oui. Sinon, je ne l’aurais pas

laissée seule. »L’air inquiet de Feuille de Lune

contredisait son ton joyeux. Poil de

Châtaigne enfouit son museau dansl’épaule de son amie de toujours.

« Ça doit te rappeler l’accident deMuseau Cendré », murmura-t-elle.

Feuille de Lune écarquilla lesyeux comme si elle n’y avait jamaispensé avant.

« Et c’est exactement pour ça queje ne laisserai pas la même chosearriver à Nuage de Cendre.

— J’espère qu’elle a raison, cettefois-ci, marmonna Flocon de Neigeà Cœur Blanc.

— Oui, tu verras. Le tour deNuage de Cendre viendra bientôt. »

Nuage de Givre, elle, ne s’étaitpas calmée. Elle tournait autour de

son frère en miaulant :« J’ai hâte que ce soit mon tour.

Je veux qu’on m’appelle Tempête deGivre. Tu crois que je pourraichoisir ?

— Non, c’est Étoile de Feu quidécide. Mais j’espère qu’il menommera Chasseur de Renard.

— C’est un nom horrible !— Pas du tout !— Si, c’est vrai ! »Fleur de Bruyère s’approcha de

ses petits.« Vous vous disputez encore ?

s’enquit-elle en donnant un coup delangue sur le front de son fils pouraplatir une touffe de poils rebelles.

— C’est Nuage de Renard qui acommencé ! se défendit Nuage deGivre.

— Je me moque de savoir qui acommencé. Taisez-vous et écoutezÉtoile de Feu. »

Paniquée, Nuage de Givre leva latête et découvrit que son chef latoisait durement. À toute vitesse, sonfrère et elle contournèrent le groupede chats rassemblés afin d’allers’installer près de Nuage de Houx.Celle-ci ronronna en voyant la petitechatte blanche enrouler sa queueautour de ses pattes pour tenter derester immobile.

Étoile de Feu s’approcha du bord

de la Corniche.« Moi, Étoile de Feu, chef du

Clan du Tonnerre, j’en appelle à nosancêtres pour qu’ils se penchent surces deux apprenties. Elles se sontentraînées dur pour comprendre leslois de votre noble code. Elles sontmaintenant dignes de devenirguerrières à leur tour. » Il dévalal’éboulis et gagna le milieu de laclairière. D’un hochement de la tête,Tempête de Sable encouragea Nuagede Miel, qui paraissait avoir le trac.Cœur d’Épines poussa Nuage dePavot en avant, et les deux novicesapprochèrent.

« Nuage de Pavot et Nuage de

Miel, promettez-vous de respecter lecode du guerrier, de protéger et dedéfendre le Clan, même au péril devotre vie ?

— Oui, murmura Nuage de Miel.— Oui ! » s’écria Nuage de

Pavot, dont le miaulement couvrit laréponse de sa sœur.

La jalousie serra la gorge deNuage de Houx. Elle la repoussa.Bientôt, ce sera moi.

« Alors par les pouvoirs qui mesont conférés par le Clan desÉtoiles, je vous donne vos noms deguerrières. » D’un mouvement de laqueue, il fit avancer Nuage de Pavot.Elle obéit, le menton bien levé. Le

museau contre la tête de la jeunechatte, Étoile de Feu poursuivit : «Nuage de Pavot, à partir demaintenant, tu t’appelleras PavotGelé. Nos ancêtres rendent honneurà ton courage et à ton sens del’initiative. » Il jeta un coup d’œil àl’autre apprentie, qui s’avança à sontour. « Nuage de Miel, tut’appelleras Pelage de Miel. Nosancêtres rendent honneur à tonintelligence et à ta gentillesse. »

Du bout de la truffe, il lui frôla lefront.

« Pavot Gelé ! Pelage de Miel ! »les acclamèrent leurs camarades.

Nuage de Houx miaula aussi fort

qu’elle put, fière de ses deuxcamarades. Mais elle se tut dèsqu’elle vit Pelage de Miel jeter uncoup d’œil timide à Truffe deSureau ; à croire que les félicitationsdu jeune guerrier comptaient pluspour elle que toutes les autres.

« J’aimerais bien que Nuage deMiel – euh, Pelage de Miel – arrêtede soupirer après ce je-sais-tout,souffla-t-elle à l’oreille de son frère.

— Ce sera pire encore puisqu’ilsvont de nouveau partager la mêmetanière. »

Nuage de Houx fut surprise parson ton méprisant. Après tout, ilavait eu lui aussi des déboires

sentimentaux. Pense-t-il encore àNuage de Myosotis de temps entemps ? En tout cas, il nementionnait jamais son nom.

« On ne devrait jamais s’éprendreautant de quelqu’un, déclara-t-il, latirant de ses pensées. Ça nousdistrait et nous empêche de devenirles meilleurs guerriers possible. »

Soulagée par ses paroles, Nuagede Houx se colla à lui. Elle savait àquel point il lui avait été difficile dedire adieu à Nuage de Myosotis. Ilavait pourtant fait le bon choix. Leseul possible.

Tandis que le silence revenait,Étoile de Feu reprit la parole :

« Je suis désolé de ne pas pouvoirbaptiser Nuage de Cendreaujourd’hui. Cependant, je sais que,dès que sa patte sera guérie, le Clantout entier sera ravi de l’accueillircomme nouvelle guerrière.

— Nuage de Cendre ! » clamèrentPelage de Miel et Pavot Gelé, ettous reprirent en chœur.

Nuage de Houx jeta un coup d’œilplein d’espoir vers l’entrée de latanière de Feuille de Lune. Est-ceque Nuage de Cendre s’était avancéesur le seuil ? Non, aucun signe de lablessée. Avait-elle seulemententendu la cérémonie ?

« Griffe de Ronce ! » Pendant que

les guerriers retournaient à leurstâches ou dans leurs gîtes, Étoile deFeu appela son lieutenant. « Vachercher Tempête de Sable, Poil deFougère et Nuage de Houx. »

Nuage de Houx n’attendit pas queson père l’appelle. Elle se précipitasur la Corniche. Plume Grise y étaitdéjà. Tempête de Sable et Poil deFougère arrivèrent bientôt avecGriffe de Ronce.

« Que se passe-t-il ? » s’enquit lelieutenant.

Inquiète, Nuage de Houx tendit lecou, les moustaches frémissantes.Elle repensa aux paroles de PlumeGrise : « Ce sont des nouvelles

importantes. »« La patrouille de l’aube a de

nouveau flairé l’odeur du Clan duVent de notre côté de la frontière,annonça le meneur avec gravité.

— Et cette fois-ci, nous avonstrouvé la preuve qu’ils ne se sontpas contentés de pourchasser dugibier sur notre territoire. Ils l’y ontaussi tué.

— Tué ? répéta Poil de Fougère,sidéré.

— Comment osent-ils, après notredernière mise en garde ?

— Nous ignorons leursmotivations, continua Étoile de Feu.Nous devons les découvrir avant de

réagir.— C’est évident, enfin !

s’emporta Griffe de Ronce. Ils sontavides !

— Nous n’en savons rien,rétorqua le meneur en gardant soncalme.

— Nous devrions poster unepatrouille à la frontière, déclaraTempête de Sable. Et les attaquer laprochaine fois qu’ils empiéteront surnotre territoire.

— Je sais ce que tu ressens.Cependant, ce n’est pas la meilleuresolution. Je veux éviter un bain desang.

— Ils nous volent notre nourriture

! rétorqua la guerrière, la fourrurehérissée.

— Et ils ne vont pas s’en tirercomme ça. Sauf qu’il est inutile denous précipiter au combat alors quenous ignorons ce qui se passe.

— Tu refuseras donc toujoursl’affrontement ? s’offusqua-t-elle.

— Je me battrai s’il le faut ! Maisje ne veux pas que le sang coule s’ily a un moyen pacifique de régler leproblème.

— Nous avons déjà essayé deparlementer avec eux par le passé,rétorqua Griffe de Ronce. Tu agiscomme s’ils étaient toujours nosalliés.

— Non. Je sais qu’ils ne le sontplus depuis longtemps…, répondit-ilavec nostalgie. Les Clans sont tousrivaux, à présent. »

Nuage de Houx soutint le regardde son chef. Pense-t-il au GrandPériple ? Ou à leur récent voyagedans les montagnes ? Nuage deHoux sentit le doute l’envahir. Peut-être que ce voyage n’avait pas étéune bonne idée. Peut-être quel’effacement des Clans menait àl’effacement des frontières. Et si lesfrontières disparaissaient, commentle gibier pourrait-il être partagééquitablement ? Il devait y avoir desrègles, sinon seuls ceux qui étaient

prêts à se battre en permanencesurvivraient ! C’était la raison pourlaquelle le Clan des Étoiles voulaitqu’ils suivent le code du guerrier.Nous avons besoin du code toutautant que d’eau et de nourriture !Nuage de Houx planta les griffesdans le sol. La survie des Clansdépendait du code. C’était aussisimple que ça.

« Alors quel est ton plan ?demanda Griffe de Ronce.

— Je veux que tu ailles voirÉtoile Solitaire. Emmène Tempêtede Sable, Poil de Fougère et Nuagede Houx. Découvre pourquoi il agitainsi. Dis-lui que nous allons

multiplier les patrouilles frontalièreset que si nous surprenons desvoleurs de gibier, nous lesattendrons toutes griffes dehors.

— Très bien. Nous partons sur-le-champ. »

Le lieutenant s’en fut aussitôt endirection du tunnel de ronces, Poilde Fougère et Tempête de Sable surles talons.

Je dois avertir Nuage de Lion !Nuage de Houx inspecta la clairière.La queue de son frère dépassait dela tanière des anciens. Il devait sansdoute nettoyer leurs litières.

Elle fila droit vers lui.Son arrière-train se tortillait

tandis qu’il jetait derrière lui desmorceaux de litière défraîchie. De lamousse rance pleuvait tout autour delui et il grommelait dans sesmoustaches :

« Poil de Souris a raison. » Uneboule de mousse frôla l’oreille deNuage de Houx. « Il n’y a pas assezd’apprentis pour faire toutes lescorvées et Petite Rose et PetitCrapaud ne deviendront pas des“Nuages” avant longtemps !

— Je pars pour le territoire duClan du Vent », siffla Nuage deHoux.

Nuage de Lion fit volte-face.« Pourquoi ?

— Nous allons prévenir ÉtoileSolitaire qu’il doit rester hors denotre territoire.

— Si seulement je pouvaisvenir… »

Le miaulement impatient de Griffede Ronce retentit depuis le tunnel : «Nuage de Houx ! »

« Je te raconterai tout à monretour ! »

Elle détala et disparut dans letunnel avec le reste de la patrouille.

La forêt était lugubre. Pas unrayon de soleil ne filtrait entre lesbranches ; le ciel était bas et gris,l’air moite. Une odeur de feuillessèches et d’écorce en décomposition

flottait dans l’air. Les coussinets del’apprentie s’enfonçaient un peudans le sol. La saison des feuillesmortes s’installerait bientôt.

Lorsque la patrouille sortit desbois, le vent aplatit les oreilles deNuage de Houx et s’infiltra dans sagueule. Il avait un goût de pluie. Elleplissa les yeux pour s’en protéger.En contrebas, la pente descendaitjusqu’à la frontière ; la colline étaitcouverte de bruyère.

« Pourquoi ne sommes-nous paspassés par le gué du torrent ?s’enquit-elle.

— Nous aurons une meilleure vuepar ici, lui répondit Griffe de Ronce.

Nous pourrons repérer de très loinune patrouille du Clan du Vent etleur faire signe sans poser une pattesur leur territoire. »

Nuage de Houx ouvrit la gueuleafin de guetter le marquage du Clanrival. Une odeur forte lui emplit lesnarines. Elle fronça la truffe.

« Qu’est-ce que c’est que cettepuanteur ? s’enquit-elle.

— Les moutons », lui apprit Poilde Fougère en plongeant dans unmassif de bruyère.

Évidemment ! Elle sortit tant bienque mal de la haie derrière sonmentor et elle reconnut les formesclaires sur la colline.

« Pourquoi sont-ils si nombreux ?»

Ils parsemaient la lande commeautant de nuages sur un ciel gris-vert.

« La saison a dû être bonne poureux, hasarda Poil de Fougère.

— Voilà la frontière », annonçaGriffe de Ronce en s’arrêtant.

Nuage de Houx renifla la lande etdétecta l’odeur éventée du Clan duVent.

Tempête de Sable dressa soudainles oreilles.

« Des chiens ! »Nuage de Houx se raidit. À moitié

aveuglée par le vent cinglant, elle

scruta les collines lointaines quis’élevaient jusqu’à l’horizon gris.Elle discernait les silhouettes noir etblanc des cabots qui filaient dans labruyère. Un Bipède restait prèsd’eux. Il agitait ses pattes avant etsifflait tel un oiseau poussant un crid’alerte.

Est-ce que ces chiens chassent leBipède ?

Elle observa plus attentivement.Non. Le Bipède semblait se servirdes chiens pour chasser les moutons.Lorsqu’il tendait ses pattes avant,les molosses encerclaient lesanimaux pour les rassembler en ungroupe bêlant de terreur. Avec un

peu de chance, les moutons lesoccuperaient assez longtemps pourpermettre à la patrouille d’atteindrele camp du Vent.

Griffe de Ronce scrutait ladescente.

« Aucun signe de patrouille,annonça-t-il. Et, à en juger par leurmarquage, ils ne sont pas venus icidepuis longtemps.

— C’est parce qu’ils sont tropoccupés à chasser dans notre forêt,gronda Tempête de Sable.

— Est-ce qu’on rentre au campprévenir Étoile de Feu ? demandaPoil de Fougère.

— Pas sans avoir parlé à Étoile

Solitaire », répondit Griffe deRonce.

Le lieutenant franchit la frontièreet, d’un mouvement de la queue, ilordonna à sa patrouille de l’imiter.

Nuage de Houx suivait son mentordans la bruyère du Clan du Vent, lecœur battant, la fourrure ébourifféepar les bourrasques. Griffe de Roncemenait le groupe, le menton levé, lesoreilles dressées, aux aguets.

À mesure qu’ils progressaient,Nuage de Houx se sentait de plus enplus nerveuse. Quelque chosen’allait pas. Elle huma l’air, la truffefroncée à cause de la puanteur desmoutons. Où étaient les oiseaux et

les lapins ? Elle flaira de nouveau.Pas de patrouille ennemie, pasd’oiseaux, pas de lapins. À croireque la lande avait été désertée partous sauf les moutons et les chiens.

Griffe de Ronce s’arrêta soudain,les poils dressés sur l’échine.Inquiète, Nuage de Houx releva latête. Un gros rocher se dressait surla pente verdoyante et, à sonsommet, se découpait la silhouetted’un chat. Un guerrier du Clan duVent !

« Restez où vous êtes ! »Nuage de Houx reconnut Poil de

Lièvre, un jeune mâle brun et blanc.Il les foudroyait du regard en

montrant les crocs.« Il n’y a pas suffisamment de

gibier chez vous ?— Comment ose-t-il nous

accuser, nous ? feula Tempête deSable.

— Attention, lui souffla Griffe deRonce. Nous sommes bien sur sonterritoire. »

Deux autres félins apparurent prèsde Poil de Lièvre : Patte Cendrée, lelieutenant du Clan du Vent, et Plumede Hibou. La haine embrasait leurregard.

Griffe de Ronce s’avança sanslaisser à Patte Cendrée le temps des’exprimer.

« Nous sommes venus parler avecÉtoile Solitaire.

— Nous venons en paix, ajoutaTempête de Sable.

— Retournez d’où vous venez !ordonna Patte Cendrée.

— Pas avant d’avoir vu ÉtoileSolitaire », insista Griffe de Ronce.

Plume de Hibou plissa les yeux etdéclara :

« Le Clan du Tonnerre devraitarrêter de croire qu’il peut aller etvenir sur le territoire du Clan duVent comme bon lui semble ! Jeparie que vous n’allez pas voirÉtoile de Jais aussi souvent !

— Rentrez chez vous, gronda

Patte Cendrée. Étoile Solitaire nevous doit aucune faveur.

— Nous avons promis à Étoile deFeu que nous parlerions à ÉtoileSolitaire. Nous voulons seulementlui parler ! » feula Griffe de Ronceen avançant.

Poil de Lièvre sauta du rocher etatterrit juste devant Griffe de Ronce.

« Plus un pas ! »Nuage de Houx sortit les griffes,

prête à défendre ses camarades.« Nous voulons voir Étoile

Solitaire », répéta le lieutenanttacheté d’un ton calme.

Il leva la patte pour faire un passupplémentaire.

Poil de Lièvre bondit sur lui,toutes griffes dehors.

D’un seul coup de patte, Griffe deRonce fit tomber le jeune guerrier.Tout en le maintenant au sol, ildécocha un regard noir à PatteCendrée.

« Nous venons en paix », assura-t-il, la mâchoire serrée.

La guerrière sauta à son tour durocher en jetant un coup d’œil pleinde désarroi à son camarade.

« S’il te plaît, relâche-le !l’implora-t-elle, et son tondésespéré étonna Nuage de Houx.

Griffe de Ronce recula et laissaPoil de Lièvre se relever. Le jeune

félin lui cracha au museau.Paniquée, Patte Cendrée

s’interposa entre les deux mâles.« Il faut vraiment que vous

partiez, miaula-t-elle d’un tonpresque suppliant. Étoile Solitairen’a rien à vous dire. »

Griffe de Ronce hésita, avant dehocher la tête. Il fit demi-tour enagitant la queue. Au signal, Nuage deHoux suivit ses camarades pourregagner la frontière. La novice étaitsi indignée que sa fourrure avaitdoublé de volume.

« C’est trop injuste ! lança-t-elle àPoil de Fougère. Nous n’avons rienvolé, nous ! Nous étions juste venus

pour donner à Étoile Solitaire unechance de s’expliquer !

— Tu ne trouves pas qu’ilsavaient l’air maigres ?

— Les guerriers du Clan du Ventsont toujours maigres. »

Mais il avait raison. Les troismembres du Clan du Vent étaientencore plus décharnés qued’habitude.

Griffe de Ronce jeta un coupd’œil en arrière vers Poil deFougère pour lui demander son avis:

« Tu crois qu’ils ont desproblèmes ?

— Cela expliquerait qu’ils nous

aient renvoyés, miaula Tempête deSable.

— Ils ne voulaient sans doute pasque nous voyions à quel point ilssont affaiblis », ajouta le mentor deNuage de Houx.

Celle-ci repensa à l’absenced’odeurs de lapins et d’oiseaux.

« Et qu’est-il arrivé à leur gibier? » lança-t-elle à la cantonade.

Personne d’autre n’était assezrapide pour leur voler leurs lapins.

Poil de Fougère inclina la têtevers les moutons et les chiens quiaboyaient au loin.

« C’est peut-être eux qui onteffrayé les lapins et les oiseaux. »

L’estomac de Nuage de Houx senoua.

« Ça ne leur donne pas le droit denous voler notre gibier ! »s’emporta-t-elle.

Les choses ne pouvaient paschanger. Il devait y avoir quatreClans autour du lac. Si le territoiredu Clan du Vent ne leur fournissaitplus de quoi survivre, qu’allait-ilarriver aux autres frontières ?

À leur retour au camp, Griffe deRonce et Tempête de Sablebondirent vers la Corniche pourfaire leur rapport à Étoile de Feu.

Nuage de Houx aperçut Nuage de

Lion qui avançait la queue basse aubord de la clairière. Une grosseboule de mousse pendait de sagueule, et des brins constellaient sonpelage.

« Ne me dis pas que tu nettoiesencore l’antre des anciens !

— J’ai fini depuis longtemps !répondit-il en crachant la mousse. Jem’occupe de la pouponnière,maintenant.

— Laisse-moi t’aider.— Je croyais que tu étais trop

occupée à patrouiller le long desfrontières…

— Arrête de ronchonner,rétorqua-t-elle en lui rabattant

l’oreille. J’ai eu moi aussi ma dosede nettoyage de litières.

— C’est pas faux…— Sortons ces saletés du camp et

allons chercher de la mousse propre.»

Elle prit une grosse boule dans lagueule qu’elle alla jeter dans desbuissons de l’autre côté du tunnel deronces.

Nuage de Lion balança sonfardeau près du sien.

« J’en ai ras le bol de la mousse !— Nous aurons fini en un rien de

temps. Regarde ! Il y a de la litièrefraîche entre les racines de cetarbre. »

Nuage de Lion la rejoignit tandisqu’elle commençait à décoller lamousse douce de l’écorce rêche.

« Tu ne veux pas savoir ce quis’est passé ? s’étonna-t-elle.

— Désolé, soupira-t-il. Je suis demauvais poil depuis ton départ. Unvrai chaton jaloux… Alors, ques’est-il passé ? s’enquit-il enarrachant une longue bande demousse qu’il laissa pendre au boutde sa griffe.

— Patte Cendrée nous a chassésavant même qu’on arrive au camp.

— Elle vous a chassés ?s’exclama-t-il en laissant tomber lamousse.

— Nous n’avons même pas pu luiexpliquer la raison de notre visite.Ils nous ont accusés de venir volerleur gibier.

— C’est un comble !— Je sais bien ! dit-elle, et elle

déposa une nouvelle bande demousse sur leur tas. Mais je croisque nous avons découvert pourquoiils le font.

— On s’en fiche, de savoirpourquoi !

— Leur propre gibier a disparu,poursuivit-elle, ignorant soncommentaire.

— Ce n’est pas une excuse.— Certes. Au moins, nous savons

ce qui se passe. »Et nous pourrons résoudre le

problème avant qu’il s’aggrave.« J’espère qu’Étoile de Feu

enverra une patrouille pour leurdonner une bonne leçon. »

Nuage de Houx se retint de luidonner raison. Elle voulait resterrationnelle. Il fallait empêcher leClan du Vent de voler leur gibier,sans l’affaiblir. Les quatre Clansdevaient rester forts.

« Étoile de Feu pense que nous nedevons pas les attaquer, reprit-elle.Il va juste multiplier les patrouilles.

— On a déjà fait ça, s’emportaNuage de Lion. Maintenant, il faut

faire comprendre une bonne foispour toutes qu’ils ne doivent paschasser chez nous. »

Son regard était si féroce qu’ellese surprit à reculer.

« Tu veux qu’il y ait une bataille ?» hoqueta-t-elle.

Pensait-il seulement aux frontières?

« Pas toi ? fit-il.— Je veux que le Clan du Vent

reste sur son territoire. Lesfrontières sont les frontières. »

Si elles disparaissaient,qu’adviendrait-il des Clans ? Lecode du guerrier disparaîtrait-il luiaussi ? Un frisson d’effroi courut le

long de son échine.Nuage de Lion reprit sa tâche et

arracha une nouvelle bande demousse. L’écorce se brisa et projetaune pluie d’échardes dans le petit tasqu’ils avaient récolté.

Cette litière doit servir auxnouveau-nés ! songea Nuage deHoux, affolée par son insouciance.Elle devinait en voyant les musclesde son frère se contracter sous safourrure qu’il pensait déjà aucombat, pas aux chatons. Était-ce làtout ce qu’il tirait de son pouvoir ?Le besoin de se battre à la moindreoccasion ?

Nuage de Houx frémit. Dans ce

cas, y aurait-il quelqu’un capable devaincre son frère ?

CHAPITRE 7

NUAGE DE LION ôta un énièmebrin de mousse de son pelage. Àforce d’en sortir et d’en remettredans les tanières, il en avait pleinles poils et ça le démangeait de

partout. Sans parler des courbatures.Il soupira, la tête levée vers le soleilqui disparaissait derrière les arbres.La patrouille du soir était partie sanslui.

Quelle journée ennuyeuse !Frustré, il se dirigea vers le repairedes apprentis. Il n’avait rien d’autreà faire que dormir, alors qu’il avaitune folle envie d’aller courir dans laforêt pour se dégourdir les pattes etsentir le vent dans sa fourrure.

Il se glissa dans le roncier, oùNuage de Renard et Nuage de Givrebavardaient comme des pies.

« Aile Blanche m’a appris àrouler au sol, se vantait Nuage de

Givre.— Et moi, j’arrive à me battre sur

mes pattes arrière, rétorqua Nuagede Renard. Tu veux voir ? »

Il fallut un instant à Nuage de Lionpour comprendre que le jeuneapprenti s’adressait à lui. Las, ilhocha la tête et regarda la boule depoils se dresser sur ses pattesflageolantes avant de trébucher dansla mousse de son nid.

« J’y arrivais mieux cet après-midi ! ronchonna Nuage de Renarden se relevant.

— Je n’en doute pas. »Nuage de Lion enviait l’entrain de

son petit camarade. Depuis leur

retour des montagnes, il avaitl’impression que sa vie n’étaitqu’une succession de corvéesbarbantes. S’il était utile de nourrirle Clan et de nettoyer les tanières, illui tardait surtout d’avoir unenouvelle occasion de se servir dupouvoir qui palpitait dans ses pattes.

Il se roula en boule dans son nid.« Regarde ! lança Nuage de

Renard. J’y arrive, cette fois-ci. »Nuage de Lion ne daigna même

pas relever la tête.« Montre-lui comment tu traques

le gibier », l’encouragea Nuage deGivre.

Nuage de Lion sursauta lorsque

Nuage de Renard lui sauta dessus,luttant avec sa queue comme s’ils’agissait d’un serpent. Furieux,Nuage de Lion repoussa l’apprenti.

« Hé ! protesta Nuage de Givre,comme pour protéger son frère.

— Restez dans vos nids etlaissez-moi dormir !

— Tu n’es plus du tout drôle ! »grommela Nuage de Renard.

Le roncier frémit lorsque Nuagede Houx se faufila à l’intérieur.

« Nuage de Lion a poussé Nuagede Renard ! lança Nuage de Givre àl’apprentie noire.

— Je peux me défendre tout seul,objecta le petit rouquin.

— Je crois que Nuage de Lion estfatigué, les rassura Nuage de Houx.Je suis certaine qu’il voudra joueravec vous demain matin. »

Elle s’installa près de son frère etse mit à lui faire sa toilette. Il lalaissa le débarrasser des derniersbrins de mousse avecreconnaissance, et les coups delangue cadencés finirent par lecalmer.

« Réjouis-toi, miaula-t-elle. Poilde Fougère vient de me dire quenous partons tous deux en patrouilledemain matin. »

Nuage de Lion dressa les oreilles.« Étoile de Feu envoie des

patrouilles supplémentaires sur lafrontière du Clan du Vent, pourguetter d’éventuels envahisseurs. »

Enfin ! Nuage de Lion éprouvaune espèce de joie sombre à l’idéed’affronter les voleurs de gibier.

« Nous ferions mieux de dormir,conseilla sa sœur. Nous devons êtreà la frontière dès l’aube. »

Nuage de Lion ferma les yeux,soulagé de pouvoir se montrer utiledans le domaine où il excellait.

« Nuage de Lion ! »Le cri d’Étoile du Tigre l’éveilla.

Lorsqu’il ouvrit les yeux, il vit qu’ilse trouvait sur de la terre battue, au

milieu d’une forêt dense où les pinssemblaient murmurer dans le ventléger.

Il rêvait.Scrutant la lugubre forêt, il

aperçut son mentor nocturne quisortait des bois. Plume de Fauconétait déjà assis dans la combe seméed’aiguilles de pin – ses yeux ambrésluisaient dans le clair-obscur.

« J’espère que tu es prêt, le mit engarde Étoile du Tigre. Je vaist’apprendre à déséquilibrern’importe quel guerrier, quelle quesoit sa taille. »

Du bout de la queue, il fit signe àPlume de Faucon de s’approcher.

« Qu’est-ce que je dois faire ?s’enquit l’apprenti en sortant lesgriffes.

— Tu n’es pas encore assez lourdpour avoir le dessus sur n’importequi, déclara Étoile du Tigre. Celaviendra. En attendant, sers-toi de tapetite taille comme d’un avantage.Tu devras être rapide. Glisse-toidiscrètement sous ton ennemi afin delui griffer les pattes arrière. Il setournera, pensant te trouver derrièrelui, alors que tu seras devant lui,pour profiter de son déséquilibre.

— Et comment je reste devant luisans me faire lacérer ?

— Je te l’ai dit. Sois rapide !

Essaie sur lui », conclut-il encontournant son fils.

Nuage de Lion s’accroupitpendant qu’Étoile du Tigre s’écartaitde son chemin. Il se concentra surl’espace sous le ventre blanc dePlume de Faucon et banda sesmuscles. Puis il bondit. Plongeantsous le guerrier haut sur pattes, ilfrappa, sans sortir les griffes, lespattes arrière du matou commeÉtoile du Tigre le lui avait indiqué.L’autre se tourna au-dessus de lui,dressé sur ses pattes arrière. Nuagede Lion recula à toute vitesse et fittomber sans effort son adversairedéjà déséquilibré.

« Excellent », ronronna Étoile duTigre.

Plume de Faucon se remit sur sespattes et s’ébroua pour faire tomberles aiguilles de pin de son pelage.

Nuage de Lion releva le mentonet, tout fier, se tourna vers sonmentor nocturne.

« Pas mal, hein ? »Au même instant, deux pattes

puissantes le firent basculer et il seretrouva cloué au sol. Nuage de Lionavait beau se débattre, hoquetant desurprise, Plume de Faucon tenaitbon, ses larges pattes écrasant leflanc de l’apprenti.

« Ne jamais tourner le dos à

l’ennemi avant de l’avoir tué ! lançaÉtoile du Tigre.

— Alors, qu’as-tu découvert denouveau concernant ta prophétie ? lerailla Plume de Faucon.

— Je n’y pense plus, mentitNuage de Lion.

— Le Clan des Étoiles ne t’a pasencore nommé chef de la forêt, alors? » ajouta le matou d’un tonsarcastique.

Une douleur fulgurante traversales côtes de Nuage de Lion. Plumede Faucon le griffa profondémentavant de le relâcher.

En se remettant d’un bond sur sespattes, l’apprenti guerrier sentit le

sang couler sur sa fourrure. Il vitrouge. Pourquoi ne prenaient-ils pasla prophétie au sérieux ? Celapourrait être son arme la pluspuissante. Néanmoins, ils avaientréussi à semer le doute dans sonesprit. Et s’ils avaient raison et quece ne soit rien d’autre que le rêved’Étoile de Feu ?

« Debout ! »Un museau s’enfonçait dans ses

côtes, là où Plume de Faucon l’avaitgriffé. Il grimaça de douleur et seleva péniblement.

Nuage de Houx était assise prèsde lui.

« La patrouille va bientôt partir. »La lumière du petit matin filtrait

dans la tanière. Une pluie légèrecrépitait sur les branches.

Nuage de Houx se lécha la truffe.« Du sang ? » s’étonna-t-elle

avant de se lécher de nouveau enlouchant vers le flanc de son frère.

Abasourdi, Nuage de Lion donnaun coup de langue sur sa blessure. Iln’avait jusque-là pas compris que lafrontière séparant le rêve de laréalité était si floue.

« Il doit y avoir une épine danston nid », conclut Nuage de Houx,qui poussa son frère pour inspecterla mousse.

Des pas résonnèrent dehors, dansla clairière.

« Nous la trouverons plus tard,miaula Nuage de Lion. On diraitqu’ils se préparent à partir. »

Le frère et la sœur sortirent sansbruit.

« Nous n’attendions plus quevous, déclara Pelage de Granit enremuant les moustaches pour en fairetomber des gouttelettes. Allons-y !

— Attends ! le héla Étoile de Feu,qui descendit de la Corniche.Rappelez-vous que vous allezchercher des preuves qu’on nousvole du gibier. Je ne veux pas quevous vous battiez avec d’éventuels

intrus. Si vous en trouvez, venez mefaire votre rapport, expliqua-t-ild’un air préoccupé. C’est bien plusgrave qu’une simple escarmouche defrontière. S’il doit y avoir unebataille, elle doit être décisive,conclut-il en les passant en revue.C’est compris ? »

Nuage de Lion hocha la tête, toutcomme ses camarades.

« Bien. »Alors que le chef regagnait son

antre, Poil de Fougère se glissa entreles deux apprentis.

« Vous êtes prêts, tous les deux ?»

Pelage de Granit détalait déjà

vers le tunnel. Nuage de Lions’élança à sa suite, les pattesclaquant sur le sol boueux. Le tunnell’abrita brièvement de la pluie, puisil se retrouva sous les arbresdégoulinants. Nuage de Houx et sonmentor cavalaient derrière lui, ilsles entendaient déraper sur lesfeuilles glissantes. Il sortit lesgriffes pour avoir plus de prise surle sol. Une énergie brûlanteenvahissait tout son corps.

Pelage de Granit, qui filait en têtede la patrouille, semblait tout petitsous les arbres. Nuage de Lionallongea sa foulée et regagna duterrain. Je pourrais atteindre la

frontière d’un seul bond si je levoulais. Un pouvoir immense coulaitdans ses veines. Et si nous croisonsle Clan du Vent, je pourrai lesbattre jusqu’au dernier. La douleurdisparut de son flanc, comme s’ilguérissait déjà. La pluie lava le sangde sa fourrure. Plume de Fauconferait bien de se méfier, laprochaine fois.

Devant lui, Pelage de Granitobliqua pour suivre le sentier. MaisNuage de Lion connaissait unmeilleur chemin. Il coupa à traversles fougères. Lorsqu’il en rejaillit del’autre côté, Pelage de Granit leregarda avec stupeur. L’apprenti

était devant lui, à présent.« Ralentis ! ordonna le guerrier.

C’est moi qui dirige cette patrouille! »

Nuage de Lion obéit et laissaPelage de Granit le dépasser. Lesyeux bleus du matou brillaient decolère.

Droit devant, le torrent quimarquait la frontière scintillait entreles arbres. Pelage de Granit pressal’allure. Il sauta par-dessus unmassif de carottes sauvages avant des’arrêter au bord de l’eau. Nuage deLion s’immobilisa derrière lui, lafourrure trempée par la pluie.

« Au nom du Clan des Étoiles, à

quoi pensais-tu ? le rabroua sonmentor. Tu aurais pu tomber dansune embuscade ! »

Nuage de Houx et Poil de Fougèreles rejoignirent.

« Je voulais juste prendre unraccourci.

— Eh bien, la prochaine fois,reste à ta place !

— Il y a un problème ? s’enquitPoil de Fougère.

— Rien que je ne puisse réglerseul », répliqua le guerrier gris.

Nuage de Houx lança à son frèreun regard lourd de reproches. Celui-ci haussa les épaules.

Poil de Fougère huma l’air.

« La pluie a effacé toutes lesodeurs.

— Nous trouverons peut-êtred’autres indices, répondit Pelage deGranit. Séparons-nous, nous seronsplus efficaces.

— Entendu. Mais restons à portéede voix. Nous ignorons ce que nousallons découvrir. »

Pendant que les autress’éloignaient en reniflant la moindrefeuille et la moindre brindille,Nuage de Lion scruta l’aval dutorrent. Des buissons bordaient larive. Était-il possible qu’un membredu Clan du Vent s’y soit abrité de lapluie ? Dans ce cas, l’odeur était

peut-être toujours perceptible.Il se glissa sous un groseillier, où

le sol était plus sec. Il flaira le tronc.Rien. Lorsqu’il s’extirpa de sousl’arbuste, quelque chose lui piqua latruffe. Un large buisson de houxpoussait à côté – ses feuillescireuses luisaient sous la pluie.Plissant les yeux pour se protégerdes piquants, il se faufila àl’intérieur. Au fur et à mesure de saprogression, de la boue se collait surson ventre et des feuilles pointueslui grattaient le dos.

« Qu’est-ce que tu fais ? soufflaNuage de Houx, non loin. Tu teprotèges de la pluie ?

— Chut ! » Nuage de Lion sentaitune infime odeur de Clan du Vent.

Il remua prudemment les feuillespiquantes amassées au pied del’arbrisseau.

« J’ai trouvé quelque chose !s’exclama-t-il en s’extirpant de là àreculons, la fourrure ébouriffée etsalie. Regarde ! »

Il sortit des branches les restesd’un merle.

« Qu’est-ce que c’est ? » s’enquitPelage de Granit, qui avait accouru,suivi de Poil de Fougère.

Le paquet de plumes et d’ossanglants était encore chaud.L’odeur du Clan du Vent se mêlait à

celle de la proie. Elle avait étéattrapée par un chasseur rival etmangée aussitôt, à l’abri du buisson.

« On a dû les rater de peu »,gronda Poil de Fougère.

Nuage de Houx contemplait ladépouille de l’oiseau avecstupéfaction.

« Belle trouvaille, pas vrai ? luidemanda son frère en lui donnant unpetit coup dans l’épaule.

— Ils enfreignent le code duguerrier ! s’indigna-t-elle. Ilsdevraient rapporter leurs prises chezeux, pour les anciens et les reines.Au lieu de se goinfrer aussitôt !

— Tu parles, des chats capables

de voler du gibier se moquent sansdoute du code du guerrier !

— Ils doivent être désespérés »,soupira Poil de Fougère.

Pelage de Granit poussa ladépouille vers lui en déclarant :

« Rapporte ça à Étoile de Feu.J’emmène Nuage de Houx et Nuagede Lion pour inspecter l’amont dutorrent.

— Est-ce bien nécessaire ?s’étonna le guerrier doré, la queuetendue vers les ronces quicouvraient la rive plus haut. Le Clandu Vent n’a pas l’habitude de sefrayer un passage dans ce genre debroussailles.

— L’un d’eux a pourtant réussi àse glisser sous le buisson de houx,contra Nuage de Lion, qui n’avaitpas envie de rentrer tout de suite aucamp.

— Ça vaut la peine de vérifier,confirma Pelage de Granit.

— Ne tardez pas », répondit Poilde Fougère, qui prit la carcasse dansla gueule et disparut entre les arbres.

Nuage de Lion scruta la rive duregard en plissant les yeux pour lesprotéger de la pluie. C’était unevraie jungle de ronces. Un guerrierdu Clan du Vent s’y cachait peut-être. Il se dirigea vers une petitetrouée dans la roncière en

contractant les épaules, prêt àbatailler avec les épines pour sefrayer un passage.

« Attends ! le héla Nuage de Houxavant de le retenir par la queue. Tuvas te faire lacérer si tu essaies de teglisser dans ce trou de souris !Laisse-moi y aller, je suis pluspetite. Je passerai sans problème.

— Je ne serai pas blessé, larassura Nuage de Lion. Ce ne sontque des épines.

— Allez, Nuage de Lion, ordonnaPelage de Granit. Laisse-la passer. »

Contrarié, le novice s’écarta et sasœur se faufila prudemment dans lesronces.

« Nous irons par là, lui indiqua leguerrier tout en contournant laroncière pour aller renifler lesracines mouillées d’un hêtre quipoussait sur la berge.

— Je vais aller voir plus près del’eau. »

Nuage de Lion se laissa glisserdans la pente et longea le torrentmalgré l’eau qui lui éclaboussait lespattes. Il renifla la moindre touffed’herbe et écarta les feuilles dechaque plante pour vérifier que rienn’y était caché.

Un bouquet de fougères bloquasoudain sa progression. Il entrouvritla gueule pour mieux détecter les

odeurs. Lorsqu’il tendit la patte versles frondes, un miaulement retentitau-dessus de lui.

« Rien dans la roncière ! »annonça sa sœur en dévalant lapente.

Ses yeux étaient écarquillés, et safourrure hérissée malgré la pluie.

« Tu en es certaine ? insista-t-il,étonné qu’elle semble si excitéealors qu’elle n’avait soi-disant rientrouvé.

— Certaine. Il n’y a que desépines. Pelage de Granit veut quenous retournions au camp. »

Toujours méfiant, Nuage de Lionla rejoignit en surplomb de la berge,

où Pelage de Granit attendait.« Le Clan du Vent est

manifestement rentré chez lui, miaulale guerrier gris. Nous perdons notretemps.

— Oui, confirma aussitôt Nuagede Houx. Rentrons. »

Nuage de Lion la regarda à ladérobée. Que manigance-t-elle ?

Pelage de Granit s’éloignait déjàvers les arbres, suivi de Nuage deHoux. Elle a découvert quelquechose. Pourquoi le cacher ? Cetteidée le tourmentait tandis qu’ilbondissait pour les rattraper.

« Attends ! lança-t-il à Pelage deGranit, qui s’arrêta pour se tourner

vers lui.— Qu’y a-t-il ? s’enquit Nuage de

Houx en pivotant vers lui, lafourrure en bataille.

— J’ai entendu quelque chose surla rive, mentit Nuage de Lion. Jeveux retourner voir ce que c’était.

— Qu’est-ce que tu as entendu ?demanda son mentor.

— Je ne sais pas trop… Rien,sans doute. Je préfère m’en assurer.

— Je viens avec toi, déclaraNuage de Houx, en agitant le bout dela queue.

— Non, ça ira. »Sa sœur semblait sceptique.« Je vous rattraperai sans doute

avant même que vous soyez arrivésau camp, ajouta-t-il, le regard fuyant.

— Vas-y, dans ce cas, miaulaPelage de Granit. Mais si tu voisquoi que ce soit de louche, viens toutde suite m’avertir. Ne joue pas auhéros. La situation est bien tropgrave.

— Entendu. »Il retourna à toute allure à la

roncière. En s’y faufilant, Nuage deHoux avait un peu agrandil’ouverture et il n’eut aucun mal às’y introduire, malgré les épines quilui chatouillaient le dos. Au moins,il était au sec.

Une odeur âcre lui parvint

aussitôt. Un renard ! Était-ce celaqui avait perturbé sa sœur ?Pourquoi ne pas avoir averti Pelagede Granit ? Il continua à avancer,mais avec prudence. Il se rappelaittrop bien son équipée avec son frèreet sa sœur, alors qu’ils étaient partischasser le renard lorsqu’ils n’étaientencore que des chatons. Pour finir,ils s’étaient fait poursuivre par desrenardeaux et avaient failli y laisserleur peau.

Soudain, les ronces s’espacèrentpour révéler une cavité dans le sol.Nuage de Houx a trouvé unerenardière ! Elle n’avait pas servidepuis longtemps, à en juger par

l’odeur éventée.Nuage de Lion rampa vers le trou

et jeta un coup d’œil dansl’obscurité. Le parfum de sa sœur semêlait à la puanteur du renard. Elleétait entrée là ! Impressionné par soncourage, il se glissa dans lesténèbres, le cœur battant. Le tunnelétait si étroit que ses épaulesfrôlaient la terre froide. La pentes’accentua tout à coup. Nuage deLion remua les moustaches ensentant la terre humide lui coller auxpattes. La tanière du renard ne devaitplus être très loin. Cependant, letunnel se poursuivit, encore etencore, toujours plus profondément,

et Nuage de Lion commença à sedemander s’il ne perdait pas sontemps. Pourtant, quelque chose avaitbel et bien effrayé Nuage de Houx,et il devait découvrir quoi. Ilcontinua d’avancer, troublé par lesilence. Quelle créature pouvait bienvivre si loin sous terre ?

Soudain un courant d’air luichatouilla la truffe. Il y avait uneouverture, un peu plus loin. Il suivitle tunnel qui tournait brusquement etse rendit compte que ce n’était plusde la terre mais de la pierre, sousses pattes. Le vent frais caressait sesmoustaches. Le tunnel s’élargitdevant lui et Nuage de Lion hoqueta

de stupeur : ce n’était pas seulementune tanière de renard. La lumièrefiltrait juste assez pour qu’il devineque les parois étaient elles aussi enpierre et qu’une voûte hérissée depointes rocheuses se trouvait au-dessus de sa tête. Une odeur d’eau etde pierre flottait là – odeur qu’iln’avait jamais flairée dans la forêtmais qui lui était pourtantdouloureusement familière. Cetunnel doit mener à la rivière noire! Des images de Nuage de Myosotiset de l’inondation des tunnelsdéfilèrent devant ses yeux. Ses poilsse dressèrent le long de son échine.Nuage de Houx avait trouvé une

autre entrée !Pourquoi le lui avoir caché ?

Nuage de Lion griffa la roche sousses pattes. En fait, il savait très bienpourquoi.

Elle a peur que je retourne voirNuage de Myosotis ! La colèrebouillonna en lui. Je suis unguerrier loyal du Clan du Tonnerre! Ne me fera-t-elle donc jamaisconfiance ?

CHAPITRE 8

« MES CHATONS ! »Nuage de Geai ne put s’empêcher

de soupirer. Chipie ne s’inquiétaittoujours que pour ses petits. Le restedu Clan pouvait bien mourir de faim,elle ne s’en souciait guère. On

reconnaissait à cela qu’elle n’étaitpas née dans le Clan. Depuisqu’Étoile de Feu avait révélé à tousque le Clan du Vent leur volait dugibier, il régnait une atmosphèred’inquiétude mêlée d’excitation dansle camp. La dépouille du merlegisait au centre de la clairière, oùPoil de Fougère l’avait laisséetomber.

Chipie enroula sa queue touffueautour de Petite Rose et PetitCrapaud.

« Laisse-moi tranquille ! » gémitle petit chat gris, qui griffa le solpour échapper à sa mère.

Bien fait ! se dit l’apprenti

guérisseur en s’éloignant de lapouponnière, où il était alléexaminer Millie.

« Nous devons leur apprendre àrespecter les frontières ! grondaCœur d’Épines.

— J’espère affronter un jourÉtoile Solitaire, feula Pelage dePoussière, dont la queue balayait lesol. Il nous a volé bien trop souvent,ce cœur de renard !

— Le Clan du Vent a tellementchangé depuis la mort d’ÉtoileFilante… », gémit Poil de Souris,qui allait et venait devant la tanièredes anciens.

Étoile de Feu se dressait sur la

Corniche. À son côté, Poil deFougère était encore essoufflé par sacourse folle à travers la forêt.

« Nous déploierons despatrouilles supplémentaires, annonçale meneur pour rassurer son Clan.Dont une avant la patrouille del’aube pour protéger notre gibier. »

Si son ton était neutre, Nuage deGeai percevait son angoisse, quiémanait de lui en vagues puissantes.

Le Clan du Vent ! songea Nuagede Geai en faisant le gros dos. Ilsavaient peut-être du mal à se nourrir,mais le vol de proies était unesolution de lâches. Étoile Solitaireétait le chef d’un Clan de guerriers.

Comment pouvait-il les transformeren voleurs ?

Il retourna à sa tanière, soulagé devoir que Feuille de Lune n’était paslà – partie chercher des remèdes,sans doute. Il n’était guère surprisqu’elle ne lui ait pas proposé del’accompagner. Depuis leur dispute,ils s’étaient à peine parlé. Elles’était mis en tête que Nuage deCendre devait absolument devenirune guerrière. Pourquoi une telleobsession ? Elle était butée, voilàtout. Et la présence de Nuage deCendre, prostrée dans son nid, luirappelait sans cesse leur querelle.

Tandis qu’il se faufilait entre les

ronces, une voix l’appela faiblementde l’intérieur.

« Pourrais-tu m’apporter de l’eau? »

Nuage de Cendre n’avait pasessayé de quitter sa litière. Mêmelorsque Étoile de Feu avaitrassemblé le Clan pour annoncer lamauvaise nouvelle.

« Tu peux te déplacer jusqu’à laflaque », miaula-t-il avec humeur.

Silence.« S’il te plaît ! » gémit-elle.Comment pouvait-elle l’implorer

de la sorte ? Elle était presque uneguerrière ! Nuage de Geais’approcha jusqu’à ce que ses

moustaches frôlent celles de lachatte.

« Ta patte va guérir, lâcha-t-il. Àcondition que tu t’en serves !

— Et si elle ne guérit pas ? »miaula-t-elle, pitoyable.

Dès qu’il entendit cette question,son esprit fut envahi par untourbillon d’images et de bruits. Ilavait l’impression que son cœurchavirait. Il se tenait sur une banded’herbe étroite, devant un Chemin duTonnerre aussi large que le lac. Unrugissement l’assourdit et il serecroquevilla, terrorisé, lorsqu’unmonstre fila devant lui, si près queson souffle lui aplatit la fourrure. Un

autre gronda, venant de l’autredirection, puis un autre encore. Lapuanteur étouffante des monstresfinit par lui piquer les yeux.

Soudain, l’un d’eux quitta satrajectoire et fonça droit sur lui. Ilvoulut s’enfuir mais ses pattesglissaient sur l’herbe mouillée. Puisun éclair de douleur fulgurant luitraversa une patte et tout devint noir.

Il ouvrit les yeux en cillant. Lalumière l’aveugla un instant, plusclaire encore que les rayons dusoleil. Des fougères se dressaienttout autour de lui, et le sol étaitmoelleux, couvert d’herbe parfumée.Couché dans une clairière, il

entrevoyait le ciel azur entre lesfeuilles. En plissant les yeux, ilreconnut Étoile Bleue et Croc Jaune,qui murmuraient près de l’entréed’un étroit tunnel. De temps entemps, l’une ou l’autre lui jetait unregard angoissé. Une douleur sourdepalpitait dans sa patte et, lorsqu’ilessaya de bouger, il comprit que sonmembre pendait, inerte.

« Tu te remets bien. » Étoile deFeu était penché au-dessus de lui, lemuseau couvert de fourrure toutedouce, comme s’il était bien plusjeune. « Non, tu ne deviendrasjamais une guerrière, murmura-t-ilsoudain avec tristesse. Je suis

désolé. »Ce sont les souvenirs de Museau

Cendré ! Le chagrin de la jeunechatte fendait le cœur de l’apprentiguérisseur. Son désespoir et sapanique lui déchiraient le ventre.J’ai tout perdu ! Tout !

« Nuage de Geai ! »Le miaulement inquiet de Nuage

de Cendre le ramena au présent.« Je pensais que tu ne savais

pas…, murmura-t-il, encoredéphasé.

— Que je ne savais pas quoi ?— Museau Cendré… »Il s’interrompit en sentant les

moustaches de sa camarade lui

effleurer les pattes.« C’était la guérisseuse d’avant,

c’est ça ? miaula la blessée, commepour l’encourager à poursuivre.

— Que se passe-t-il ? demandaFeuille de Lune en déboulant dans latanière. De quoi parlez-vous ? »

Nuage de Geai se tourna, lesouffle coupé par le déluge de peuret de colère qui émanait de sonmentor.

« Elle sait, pour Museau Cendré,souffla-t-il.

— Je sais quoi ?— Non, elle ne sait rien, siffla la

chatte tigrée. Elle ne doit jamais lesavoir, tu comprends ? »

Les oreilles rabattues, Nuage deGeai recula.

« Mais… Mais… elle se souvient! bégaya-t-il.

— Ne t’en fais pas, Nuage deCendre, dit la guérisseuse avecdouceur en écartant son apprenti.Nuage de Geai se demandait juste siMuseau Cendré aurait essayé unautre remède sur ta patte. »

Menteuse ! Le novice était sifurieux que ses oreilles devinrentbrûlantes. Pourquoi tenait-elle tant àgarder le secret ?

Feuille de Lune caressa le dos desa patiente avec sa queue.

« Je savais que tu n’arriverais pas

à me soigner, gémit celle-ci. Je neserai jamais une guerrière, c’est ça ?

— Tu as besoin de repos. Tesoreilles me semblent trop chaudes. »Au froissement de la mousse, Nuagede Geai comprit qu’elle réajustaitencore une fois le nid de la blessée.« Apporte-lui de l’eau, s’il te plaît.»

À pas lourds, Nuage de Geaigagna la flaque, prit une boule demousse sur la pile et la trempa dansl’eau froide. Si elle la chouchoutecomme ça, évidemment que sa pattene guérira pas ! Feuille de Lune setrompait du tout au tout ! Il laissatomber la mousse trempée près du

nid de sa camarade et sortit prendrel’air.

Sa rancœur envers son mentor semêlait à ses visions de monstres etau souvenir de la douleur dans sapatte. Il s’arrêta à côté du rideau deronces et inspira profondément enespérant que l’air frais l’aiderait às’éclaircir les idées.

Le miaulement de Feuille de Lunele surprit :

« Nuage de Geai ?— Je croyais que tu étais occupée

à dorloter ta patiente.— Désolée d’avoir été sèche

avec toi. Elle ne doit pas ledécouvrir.

— Pourquoi ?— Parce que ce ne serait pas

juste, répondit-elle en s’asseyantlourdement. Elle ne doit pas êtreinfluencée par sa vie antérieure, tucomprends ?

— Mais… tu l’es bien, toi ! Latraites-tu vraiment comme tusoignerais Pavot Gelé ou Pelage deMiel ? Chaque fois que tul’approches, tu ne penses plus qu’àelle. »

Tout en parlant, il entrevoyait desbribes de souvenirs qui défilaientdans l’esprit de son mentor : unblaireau forçant le passage dans lapouponnière et mordant Museau

Cendré, qui se dressait devant lesnouveau-nés de Poil de Châtaigne.

« Tu vois, tu continues à ne penserqu’à elle ! Ce n’est pas ta faute siMuseau Cendré est morte.

— Si, c’est ma faute ! protesta lachatte tigrée d’une voix empreinte dechagrin. Si je n’avais pas quitté leClan… »

Une brume voila aussitôt sespensées et Nuage de Geai ne vit plusrien.

« Tu dois arrêter de lire dans monesprit ! protesta-t-elle.

— Je ne peux pas m’en empêcher,lui expliqua-t-il. Ça arrive tout seul.

— Rien n’arrive tout seul avec

toi, Nuage de Geai.— Qu’est-ce que tu veux dire,

exactement ? »Il sentait qu’elle essayait de se

calmer.« Rien, miaula-t-elle, et ce fut

comme si elle sombrait dans unelassitude infinie. Le Clan des Étoilesa renvoyé Museau Cendré parminous pour qu’elle vive la vie dontelle avait toujours rêvé. En tant queguerrière du Clan du Tonnerre. Jeveux juste m’assurer que c’est bience qui va se passer.

— Alors pourquoi la laisses-tumoisir dans son nid comme uneinfirme ?

— Je ne veux plus qu’elle souffre.— Tu l’as abandonnée à son sort !

l’accusa-t-il. Elle a trop peur pourbouger et toi tu as trop peur pour l’ycontraindre.

— Ce n’est pas vrai !— Ah oui ? Alors pourquoi tu

n’irais pas lui dire que, la prochainefois, elle pourra se lever toute seulepour aller boire ?

— Parce que je ne sais pas si çal’aiderait ou si ça la décourageraitdavantage. »

Nuage de Geai n’en croyait passes oreilles. Comment Feuille deLune avait-elle pu perdre touteconfiance en elle ?

« Tu as examiné sa patte ! Tu saisque ce ne sont que ses muscles quisont blessés !

— Mais je me suis trompée,auparavant ! J’ai affirmé qu’elleétait prête pour son évaluation, etj’avais tort. » Elle ajouta d’une voixà peine audible : « J’ai trahi saconfiance, comme j’ai trahi celle duClan des Étoiles.

— Tu renonces toujours aussifacilement ? rétorqua-t-il, plusfurieux que jamais. Je pensais quec’était important pour toi, mais ça nel’est peut-être pas tant que ça ! »

Sans attendre sa réponse, iltraversa la clairière. Il voulait

quitter la combe et aller le plus loinpossible de Feuille de Lune.Lorsqu’il sortit du tunnel de ronces,Bois de Frêne, qui était de garde,l’interpella :

« Hé, Nuage de Geai ! Tu veuxque quelqu’un t’accompagne ?

— Non ! »Se fiant à la direction du vent et à

l’odeur qu’il lui apportait, il alladroit vers le lac. L’atmosphère étaitfroide et humide – le refroidissementétait net depuis les dernières pluies.Il avançait vite, suivant un itinérairequ’il connaissait bien. À l’orée desbois, il s’arrêta un instant. Le venttroublait la surface du lac, qui

semblait clapoter tout près. Peut-êtreque l’air humide portait le son plusfacilement. Nuage de Geai descenditsur les galets de la berge. Il fit unpas en avant et… splash !

Il avait plongé la patte dans l’eau,peu profonde heureusement. Il reculad’un bond en tremblant. Depuis qu’ilétait tombé dans le lac quand il étaitchaton, l’eau le terrifiait. Il escaladala berge pour se mettre à l’abri, lecœur battant. Il avait tellement pluque les eaux du lac avaient dûmonter.

Mon bâton ! Paniqué, il longea larive en restant sur le coteau herbeuxjusqu’à ce qu’il atteigne la rangée

d’arbres qu’il cherchait. Il se faufilaentre les troncs en essayant dedeviner lequel abritait le bâton entreses racines. À force de reniflersoigneusement le sol, il retrouva lesorbier où il l’avait coincé. Ilsoupira, soulagé. Il grimpa sur unegrosse racine et se pencha. Encontrebas, les vagues venaientlécher le coteau. Les griffes de sespattes arrière plantées dans l’écorce,il plongea la patte avant dans l’eau àla recherche de son bâton.

Il n’est pas là ! Il tâtonna le creuxsous la racine. De plus en pluspaniqué, il se pencha davantage.L’eau vint lécher son autre patte

avant, cramponnée à l’écorce.Tendant la patte aussi loin quepossible, il fouilla le fond du trou,cherchant désespérément son bout debois lisse. Les vagues lui léchèrentle museau et il dut recracher del’eau.

Où est-il ? Est-ce que le lacl’avait repris ? Il risquait de ne plusjamais le revoir !

Un objet dur vint heurter sa truffe.Il flottait à la surface. Il le reniflapuis s’étrangla car il avait inspiré del’eau par les narines. Cependant, ilavait eu le temps de reconnaître lebâton. Il donna des coups de pattedans l’eau pour essayer de le

ramener vers lui, mais le bout debois tanguait, hors de portée, chaquefois qu’il essayait d’y planter unegriffe. Pourquoi était-il si lisse ? Lapeur le disputait à la frustration enlui.

« Au nom du Clan des Étoiles,que fais-tu ? »

Des mâchoires se refermèrent sursa queue et on le tira sur le coteau.

C’était Étoile de Feu.« Je voulais juste… » Nuage de

Geai s’interrompit. Commentexpliquer qu’il avait besoin de cebâton ? Dire qu’il risquait dedériver au loin pendant qu’il perdaitdu temps à réfléchir… « Il me faut

ce bout de bois ! » s’exclama-t-il enpriant pour que son miaulementdésespéré suffise à convaincre sonchef.

Il reprit espoir en sentant Étoilede Feu le frôler pour se pencher versl’eau.

« Quoi ? Ce bâton lisse qui flotteprès de la berge ?

— Oui !— Il ne va pas couler, tu sais, le

rassura Étoile de Feu. Le bois flottetoujours. Ce serait grave, si tu leperdais ?

— Oui… Il est très important…pour moi. »

Il s’efforça de rester calme tandis

qu’il devinait le regard curieux deson chef. Il crut attendre une luneavant que ce dernier réponde enfin :

« Entendu. Je vais l’attraper. »Il planta les griffes de ses pattes

arrière dans les racines de l’arbrepuis se pencha pour plonger la pattedans l’eau. Nuage de Geai entenditdes bruits d’éclaboussures ainsi quele grognement d’Étoile de Feu quiavait saisi quelque chose entre sesmâchoires.

Il l’a eu !Le bâton racla la berge boueuse

lorsque Étoile de Feu le sortit del’eau. Il le lâcha sur l’herbe.

« Oh, merci ! murmura l’aveugle

en posant une patte sur le bâtonmouillé.

— Tu veux que je le rapporte aucamp ? proposa le rouquin.

— Non ! »Nuage de Geai avait répondu sans

prendre le temps de réfléchir.C’était son secret. Il frémit enimaginant les questions que poseraitFeuille de Lune, en pensant à sescamarades qui lorgneraient sonbâton, voyant ce que lui ne pouvaitvoir, touchant ce qui lui appartenait.

« Eh bien, il ne risque plus rien,maintenant, reprit le chef. Tiens, il ya de drôles de marques, dessus.C’est toi qui les as faites ?

— Non », répondit l’apprenti entoute franchise.

Il retint son souffle en espérantqu’Étoile de Feu ne poserait pasd’autres questions.

« Viens, ordonna le matou. Onrentre. »

Merci, Clan des Étoiles ! Nuagede Geai fit rouler le bâton jusqu’àl’arbuste le plus proche et le poussacontre le tronc, coincé sous uneracine noueuse. Dans le cas peuprobable où l’eau monterait si haut,le bâton ne dériverait pas. Au revoir,songea-t-il avant de suivre son chefdans la pente herbeuse qui menait àla forêt.

Une fois sous les arbres, Nuagede Geai tenta de lire dans l’espritd’Étoile de Feu. Il voulait savoir ceque son meneur pensait vraiment delui, connaissant la prophétie. Mais,comme celles de Feuille de Lunelorsqu’elle était sur ses gardes, lespensées d’Étoile de Feu étaientvoilées et impossibles à deviner.

« Comment va Nuage de Cendre ?» s’enquit le matou d’un ton quitrahissait son inquiétude.

Nuage de Geai se souvint de savision : c’était Étoile de Feu quiavait annoncé à Museau Cendréqu’elle ne serait jamais uneguerrière. Il prit son chef en pitié. Le

nouvel accident de Nuage de Cendredevait avoir rouvert d’anciennesblessures.

« Elle va guérir, n’est-ce pas ?insista-t-il.

— Elle souffre beaucoup,répondit prudemment l’apprentiguérisseur. La gravité de la blessureest difficile à déterminer. »

Il ne voulait pas contredire ce queFeuille de Lune avait pu affirmerdevant lui.

« Museau Cendré… Nuage deCendre… Ce nom doit portermalheur », murmura Étoile de Feu.

Nuage de Geai dut se retenir delui apprendre que Nuage de Cendre

ne partageait pas que le nom del’ancienne guérisseuse, mais aussison esprit.

Ils cheminèrent en silence jusqu’àla combe et, lorsqu’ils entrèrentdans le camp, Feuille de Luneaccourut vers eux, hors d’haleine.

« Tout va bien ? demanda-t-elle àson apprenti.

— Oui, la rassura Étoile de Feu.Je l’ai croisé dans les bois et noussommes rentrés ensemble. »

Nuage de Geai lui futreconnaissant de ne pas parler dubâton.

« Viens avec moi, il nous faut dela bile de souris, lui ordonna Feuille

de Lune. Chipie a une tique. »Tandis qu’il se dirigeait vers la

tanière, la guérisseuse le suivit sansun mot. Était-elle toujours fâchéeaprès leur dispute ? Il repensa à sonbâton, flottant sur l’eau. Il n’avaitpas coulé. Selon Étoile de Feu, il nepouvait pas couler. Nuage de Geaiavait toujours considéré l’eaucomme une créature sournoise,aspirant tout ce qu’elle touchaitjusqu’à ses profondeurs glaciales.L’eau avait essayé de l’avalerlorsqu’il était chaton. Mais ellen’avait pas englouti le bâton. Ellel’avait maintenu à la surface.

Les membres du Clan de la

Rivière savaient nager. Les anciensracontaient même qu’Étoile de Feuet Plume Grise avaient bravé jadisune inondation pour aller sauver uneportée de chatons. Et lorsque sonfrère, sa sœur, lui et les autresavaient réussi à s’échapper destunnels, ils étaient tous parvenus àregagner la terre ferme, pas vrai ?

Il repensa à cette nuit-là, où ilavait battu des pattes, sans pouvoirse raccrocher à quoi que ce soit.L’eau avait imprégné son pelage, letirant vers le fond, tant et si bienqu’il avait fini par cesser de sedébattre. Alors il avait flotté, commele bâton. Il se souvenait de la

sensation de ses pattes s’agitant, del’eau qui tourbillonnait autour de lui,le malmenant comme s’il se trouvaiten pleine tempête. Il s’était sentiaussi léger qu’une plume.

Il s’immobilisa.« Qu’est-ce qu’il y a ? s’enquit

Feuille de Lune, qui s’était arrêtéeprès de lui.

— Rien. »Nuage de Geai venait d’avoir une

idée.Il cavala jusqu’à la tanière de son

mentor.Il fonça à travers le rideau de

ronces et entendit bruire la mousselorsque Nuage de Cendre remua

dans son nid.« Qu’est-ce qu’il se passe ?

s’écria-t-elle.— Tu dois nager ! annonça-t-il,

tout excité.— Nager ? Je ne sais pas

comment faire !— Il suffit d’essayer, répondit-il

en s’approchant de son nid. Ceux duClan de la Rivière le font tout letemps.

— Mais ils vivent pour ainsi diredans l’eau !

— Tu ne comprends pas ?répliqua-t-il en faisant les cent pasdevant elle. Tu pourras t’entraîner àte servir de ta patte dans l’eau, sans

peser de tout ton poids dessus. Ellese rééduquera en douceur.

— Elle se rééduquera ? répéta-t-elle, perplexe.

— Ce sera comme si tu marchais,en plus facile, insista-t-il.

— Et où est-ce que je vais nager ?— Dans le lac, bien sûr !— Et comment j’irai jusque là-

bas ?— Tu as réussi à rentrer au camp

en marchant, pas vrai ? Et tu t’esbien reposée, depuis.

— Tu oublies que je ne sais pasnager !

— Je te montrerai. »Nuage de Geai ignora le frisson

de terreur qui le traversa à l’idée dese mouiller les pattes.

« Toi ? »Un ronron amusé résonna dans la

gorge de Nuage de Cendre. C’étaitla première fois qu’elle ronronnaitdepuis son accident. À présent,Nuage de Geai était certain depouvoir la convaincre.

« Je ferai de mon mieux, promit-il.

— Feuille de Lune croira quenous sommes plus fous que deslièvres.

— Alors ne lui disons rien. Cesera notre secret. Imagine commeelle sera surprise de te voir

remarcher sur quatre pattes ! »La novice ne dit rien, mais Nuage

de Geai détecta la petite lueurd’espoir qui venait de s’allumerdans l’esprit de la blessée.

« D’accord, céda-t-elle enfin.— Nous commencerons demain !

se réjouit Nuage de Geai. Tu teremettras en un rien de temps.

— Si je ne me noie pas avant »,rétorqua-t-elle en lui rabattantl’oreille du bout de la queue.

CHAPITRE 9

NUAGE DE GEAI ouvrit les yeux.Tout près, Feuille de Lune s’étiraitdans son nid. Ce doit être l’aube. Laguérisseuse s’assit en bâillant. Ilattendit qu’elle quitte la tanière pouraller faire ses besoins, comme elle

en avait l’habitude tous les matins auréveil.

L’air chaud et sec promettait unebelle journée ensoleillée, idéalepour emmener Nuage de Cendre aulac. Il se leva à son tour en tentantd’ignorer le doute qui lui nouaitl’estomac. Même si apprendre ànager à sa camarade ne sauvait passa patte, cela prouverait à Feuille deLune que lui n’avait pas renoncé à laguérir.

« Nuage de Geai ? fit Nuage deCendre, nerveuse. Feuille de Luneest sortie. Mais elle va bientôtrevenir. Peut-être qu’on devraitremettre notre leçon de natation à

plus tard.— Si nous nous dépêchons, elle

ne nous verra pas partir. Nousdevons essayer. »

Nuage de Cendre soupira avecrésignation et entreprit de se lever.

« Aïe !— Ta patte est juste ankylosée, la

rassura-t-il.— Est-ce que tu pourrais me

donner une ou deux graines de pavot,juste pour diminuer la douleur ?

— Non. Ça t’endormirait alorsque tu auras besoin d’avoir les idéesclaires pour apprendre à nager. »

Silence.Puis Nuage de Cendre miaula

avec détermination :« D’accord. »Nuage de Geai se glissa à son

côté et se colla à elle pour l’épauler.Elle pesait lourd et il lutta pourl’aider à sortir de la tanière.

Dans la clairière, il leva lemuseau et dressa l’oreille, guettantla moindre présence. Mal réveillée,Poil d’Écureuil sortait d’un pashésitant du tunnel de ronces. Elleavait dû monter la garde toute lanuit.

« Ne bouge pas », ordonna-t-il àNuage de Cendre, et ils restèrenttous deux immobiles jusqu’à ce quela guerrière regagne sa tanière.

L’entrée du camp ne serait plusgardée le temps que le remplaçantde Poil d’Écureuil arrive. Lapatrouille de l’aube allait bientôtrentrer, et Feuille de Lune n’allaitpas tarder non plus.

« Allez. »Du bout du museau, il poussa sa

camarade et ils traversèrent laclairière cahin-caha. Nuage de Geaise crispait chaque fois que Nuage deCendre trébuchait en gémissant. Ilpria pour qu’elle garde courage etque personne ne l’entende. Alorsqu’ils arrivaient à l’entrée du camp,les feuilles frémirent non loin.

Nuage de Geai renifla et se figea

aussitôt.Feuille de Lune.À l’autre bout du passage, la

guérisseuse sortait du tunnelsecondaire.

Il se hâta de pousser Nuage deCendre contre les ronces et luiplaqua la queue sur la gueule pourétouffer son hoquet de surprise. Ilguetta le bruit des pas de son mentoret, dès qu’il entendit le rideau deronces de sa tanière se refermer surelle, il entraîna sa camarade dans letunnel.

« Tu t’en sors très bien,l’encouragea-t-il.

— Ce n’est pas comme si j’avais

le choix », grommela-t-elle.Haletant sous l’effort, elle finit

par gagner la forêt, où Nuage deGeai se détendit enfin. Là, lenouveau garde et la patrouille ne lesverraient pas.

« Repose-toi un instant, miaula-t-il.

— Où vas-tu ? s’enquit-elle ens’asseyant avec soulagement.

— Je pars en éclaireur. »Il alla tâter le terrain, guettant la

moindre feuille glissante, la moindrebranche morte qui les auraitentravés. Nuage de Cendre souffraitbeaucoup et il voulait lui faciliter letrajet autant que possible.

À son retour, il la trouva affaléesur le flanc, mais sa respiration étaitcalme et lente. Nuage de Geai flairasa patte. Elle ne lui parut pas tropchaude, ni plus gonflée qu’à leurdépart.

« Ta patte se porte à merveille.— On dirait pas, gémit-elle.— Imagine qu’on fait ça pour

sauver un chaton de la noyade »,suggéra Nuage de Geai.

Nuage de Cendre leva la tête.« Tu ne laisserais pas une patte

douloureuse t’empêcher d’arriver àtemps, pas vrai ?

— Ça, c’est certain ! » répondit-elle en se forçant à se remettre sur

ses pattes.Voilà qui ressemble déjà plus à

la Nuage de Cendre que je connais.« Alors allons-y. »L’apprenti guérisseur se colla de

nouveau à elle pour l’aider du mieuxqu’il pouvait.

Les moustaches de la noviceremuèrent, chatouillant la joue deNuage de Geai au passage.

« Un aveugle qui sert de guide !s’esclaffa-t-elle.

— Je parie que tu ne l’auraisjamais cru possible », dit-il, contentde l’entendre plaisanter.

Ils sortirent du couvert des arbreset glissèrent sur la pente herbeuse

qui descendait jusqu’au lac.« Tu es sûr qu’on n’aggrave pas

ma blessure ? grommela-t-ellelorsqu’ils tombèrent pour latroisième fois.

— Ça en vaut la peine, je te lepromets », lui assura-t-il en priantpour que ce soit vrai.

Est-ce que la nage était vraimentla solution ? Guerriers de jadis,faites que j’aie raison !

Une brise fraîche caressait leurfourrure lorsqu’il aida enfin sacamarade à traverser la petite plage.Les galets roulaient sous leurspattes.

« Le lac est magnifique,

aujourd’hui, murmura-t-elle. Lasurface ondule sous le vent, on diraitun doux pelage gris. »

Nuage de Geai avançaitprudemment. Il s’attendait à marcherdans l’eau à tout instant. Mais leniveau avait baissé depuis la veille.Il recula soudain d’un bond ensentant les vagues lui lécher lespattes.

« Elle est froide ?— Pas trop. »Il devrait rester dans l’eau avec

elle, sans cela comment pourrait-illa mettre en confiance ? Il se raiditpour résister au courant et avançavaillamment en s’efforçant de

dissimuler sa phobie de l’eau.« Viens ! »Il entendit des éclaboussures

lorsqu’elle boitilla pour lerejoindre.

« Et maintenant ? s’enquit-elle.— Continue à avancer jusqu’à ce

que tu ne sentes plus les galets soustes pattes.

— À t’entendre, c’est très simple.— Ça l’est. » Nuage de Geai se

souvenait de ses efforts pourregagner la rive après leur fuite destunnels, de la sensation terrifiante dese faire aspirer vers le fond, de soncombat pour rester à la surface. « Tusauras quoi faire, je te le garantis. »

Après tout, même lui y était arrivé!

Nuage de Cendre se colla à lui,tétanisée par la peur.

« Je ne peux pas. »Il essaya d’imaginer le lac qui

s’étendait devant eux, mais sonesprit fut envahi par une vision deforêt impénétrable. Des fougèresd’un vert intense encerclaient unechatte grise. Nuage de Cendre étaitassise dans la tanière de laguérisseuse de l’ancien camp. Lavoûte nocturne, piquetée d’étoiles,s’étendait au-dessus d’elle.

« Je ferais n’importe quoi pourdevenir une guerrière », murmurait-

elle en regardant les cieuxétincelants.

Nuage de Geai cilla pour chasserla vision.

« Tu veux être une guerrière ?— Bien sûr », répondit-elle sans

hésiter.Il n’eut pas besoin d’ajouter quoi

que ce soit. Nuage de Cendre avançadans le lac. Elle poussa un hoquetlorsque l’eau atteignit son ventre.

« Tu m’as dit qu’elle n’était pasfroide !

— Tu vas t’habituer.— L’eau alourdit ma fourrure !— Réjouis-toi, tu n’auras pas

besoin de faire ta toilette pendant

des jours ! plaisanta-t-il en espérantqu’elle n’entendait pas sa voixtrembler.

— J’en ai jusqu’au cou !— Continue, tout doucement.— L’eau a pénétré jusqu’à ma

peau. Je me sens lourde comme unepierre ! »

Nuage de Geai entendit de grosbruits d’éclaboussures. L’avait-ilenvoyée droit à la noyade ?

« Je ne sens plus le sol ! Ausecours ! »

Il se précipita en avant et l’eau luimonta jusqu’au poitrail.

« Nuage de Cendre ! hurla-t-il, lesang lui battant aux tempes. Reviens

! »Il l’entendait battre des pattes.« Que dois-je faire ? paniqua-t-

elle en crachant de l’eau.— Continue à remuer les pattes !

Imagine que tu es en train de courir.Utilise ta queue pour garderl’équilibre. »

Tout ce qui te permet de garderla truffe hors de l’eau.

Les éclaboussures cessèrentsoudain.

« Nuage de Cendre ?! »Pas de réponse. Pas de bruit, juste

le clapotis des vagues sur la plage.Avait-elle sombré ?

« Nuage de Cendre ? Ça va ?

lança-t-il, désespéré.— Je nage !— Vraiment ?— Comment ça, “vraiment” ? »Son miaulement plein de

reproches fut noyé par une vague quila fit tousser et cracher en mêmetemps.

« Continue à bouger les pattes !— C’est ce que je fais ! Et ça

marche. Ça marche vraiment ! Jeflotte ! crachota-t-elle encore.

— Concentre-toi sur la nage ! »lui ordonna-t-il.

Il l’entendait avancer dans l’eau,à présent. Elle se dirigeait vers laberge.

Soudain, un hurlement retentitdepuis la rive.

« Nuage de Cendre ! Que fais-tu ?»

C’était Feuille de Lune.« Je nage ! s’écria Nuage de

Cendre, qui avait retrouvé pied ets’avançait, toute dégoulinante, versla guérisseuse. Nuage de Geai m’aappris ! »

Ce dernier se tourna vers sonmentor, rabattit les oreilles enarrière, prêt à entendre son sermon.Cependant, il comprit qu’elle étaitintriguée plus que fâchée.

« Je t’écoute, l’encouragea-t-elle.— Je me disais que l’eau la

porterait… Et que Nuage de Cendrepourrait remuscler sa patte sanspeser de tout son poids dessus.

— Et comment va ta patte,maintenant ? demanda la guérisseuseà l’apprentie.

— Elle me fait toujours mal, maismoins que sur la terre ferme. Est-ceque je peux réessayer ? » miaula-t-elle en s’enfonçant de nouveau dansl’eau sans attendre la réponse.

Les galets roulèrent sous les pasde Feuille de Lune, qui s’approchade son apprenti.

« Beau travail, murmura-t-elle.— Museau Cendré ne pouvait pas

devenir guerrière. Nuage de Cendre,

elle, le pourra, déclara-t-il, confiant.— Je l’espère, répondit-elle en le

caressant du bout de la queue. Nuagede Cendre ! Tu devrais sortir, sinontu seras trop fatiguée pour marcherjusqu’au camp. » Elle se tourna versNuage de Geai et ajouta : « Ramène-la doucement, puis repose-toi. Cesoir, c’est la demi-lune et nous nousrendons à la Source de Lune. »

Les griffes de Nuage de Geaicrissaient sur les rochers lissestandis qu’il grimpait vers lesanctuaire des guérisseurs. Encorequelques longueurs de queue, et j’yserai. Il avait mal aux pattes et la

fatigue lui donnait le tournis. Il avaitlentement raccompagné Nuage deCendre jusqu’au camp, et leurscamarades s’étaient rassemblésautour d’eux, stupéfaits de voir lepelage détrempé de la blessée.

« Tu es toute mouillée ! avaitlancé Poil de Châtaigne.

— Tu es tombée dans le lac ?s’était inquiétée Nuage de Houx entournant autour de son amie.

— Je suis allée nager ! » leuravait-elle annoncé fièrement.

Si elle boitait toujours, elleparvenait à marcher sans aide, àprésent.

« Nager ? avait répété Nuage de

Houx, incrédule.— Elle ira au lac tous les jours

pour renforcer sa patte, avaitexpliqué l’apprenti guérisseur avantd’éloigner sa patiente de la clairièrepour l’installer dans sa litière.

— Merci, Nuage de Geai, avait-elle murmuré avec émotion. Devenirune guerrière, c’est tellementimportant pour moi !

— Je sais. »Le novice sursauta lorsque le

miaulement de son mentor le ramenaau présent :

« Dépêche-toi ! »Il escalada le sommet de la crête

et une bourrasque lui plaqua les

moustaches au museau. SuivantFeuille de Lune, il longea le sentiersinueux jusqu’au bassin. Commetoujours, la pierre lissée par lepassage des chats des temps ancienslui sembla chaude et douce sous sespattes.

Écorce de Chêne, le guérisseur duClan du Vent, avait à peine parlépendant le trajet. Et Feuille de Luneguère plus. La tension entre eux étaittelle que l’air crépitait comme avantun orage. Le matou n’avait pasamené Nuage de Crécerelle carcelui-ci s’était soi-disant blessé lapatte sur une épine. Cependant,Nuage de Geai devinait qu’il avait

voulu protéger son apprenti desquestions difficiles que Feuille deLune aurait pu lui poser à propos duvol de gibier.

Papillon, Nuage de Saule et PetitOrage ne semblaient rien remarquer.

Les félins se déployèrent autourde la Source de Lune. Nuage deGeai suivit son mentor de l’autrecôté et s’assit près d’elle, pressé delaper l’eau glacée. Il voulait parlerde la prophétie à ses ancêtres.Découvrir s’ils connaissaient laTribu de la Chasse Éternelle. LeClan des Étoiles pourrait-il luiexpliquer pourquoi la Tribuconnaissait la prophétie ?

Nuage de Geai releva le museau.Il percevait l’impatience d’un autrechat. Papillon.

La guérisseuse du Clan de laRivière s’éclaircit la voix et déclara:

« Avant que nous partagions lesrêves du Clan des Étoiles, jesouhaite donner à Nuage de Sauleson nom de guérisseuse.

— Déjà ? s’extasia l’apprentie.Oh, waouh ! Comment te remercier,Papillon ?

— Tu l’as bien mérité, réponditdoucement la chatte dorée. C’est lefruit de ton travail.

— Oh, merci… Tu as été un

mentor formidable.— Et j’espère le rester. »Nuage de Geai savait que Nuage

de Saule continuerait d’êtrel’apprentie de Papillon tant quecelle-ci vivrait, mais son nouveaunom – et son nouveau statut – luiapporterait le respect de sescamarades. Le novice gris tigréremua la queue. Combien de tempsdevrait-il attendre pour que Feuillede Lune fasse de même avec lui ?

Une idée lui traversa soudainl’esprit : comment Papillon pouvait-elle diriger la cérémonie du baptêmesi elle ne croyait pas au Clan desÉtoiles ?

Les moustaches de son mentor luieffleurèrent la joue – Feuille deLune s’était penchée vers lui.

« Le Clan des Étoiles l’entendra,même si elle, elle refuse del’entendre.

— Comment… ? hoqueta-t-il.— Je te connais plus que tu ne le

crois, Nuage de Geai », ronronna-t-elle.

Il s’écarta, vexé que son mentorpuisse deviner ses pensées.

Papillon débuta la cérémonie.« Moi, Papillon, guérisseuse du

Clan de la Rivière, j’en appelle ànos ancêtres pour qu’ils se penchentsur cette apprentie. Elle s’est

entraînée dur afin de comprendre lavoie du guérisseur et, avec votreaide, elle servira son Clan pour deslunes et des lunes. »

Était-ce son imagination ou bienla nuit étoilée lui réchauffait lafourrure, soudain ? Nuage de Geaiferma les yeux et projeta son espritdans celui de Papillon. Sa joie lesubmergea.

« Nuage de Saule, promets-tu derespecter la voie du guérisseur, derester en dehors des rivalitésclaniques, de protéger chaqueguerrier équitablement, même aupéril de ta vie ?

— Oui, murmura la jeune chatte,

des étoiles dans les yeux.— Alors par les pouvoirs qui me

sont conférés par le Clan desÉtoiles, je te donne ton nom deguérisseuse : Nuage de Saule, àpartir de maintenant, tu t’appellerasFeuille de Saule. Nos ancêtresrendent honneur à ta loyauté et à tacompassion. Que ces qualitést’aident à servir ton Clan pour deslunes et des lunes. »

Nuage de Geai entendit le coup delangue que donna Feuille de Saule àPapillon.

« Feuille de Saule ! Feuille deSaule ! » l’acclamèrent Feuille deLune, Écorce de Chêne et Petit

Orage en levant le museau vers laToison Argentée.

« Feuille de Saule ! » lança aussiNuage de Geai, pris par l’excitationdu moment.

Il entendit un léger clapotislorsque sa camarade toucha l’eau dubout de la patte.

« Merci… à vous tous. Le Clandes Étoiles m’a guidée dans lemoindre de mes actes et j’espèrequ’il continuera à le faire jusqu’à lafin de mes jours.

— Qu’il en soit ainsi, murmuraÉcorce de Chêne.

— Félicitations, Feuille de Saule,miaula Feuille de Lune avec chaleur.

— Bravo, ronronna Petit Orageavant de s’allonger près de laSource de Lune. Le Clan des Étoilesdoit avoir hâte de t’ouvrir ses rêves,j’en suis certain. »

Il lapa l’eau et s’immobilisa. Desfrôlements de fourrure contre lapierre indiquèrent à Nuage de Geaique les autres suivaient son exemple.Alors que lui-même posait la tête surla pierre, Feuille de Lune luimurmura :

« N’entre pas dans les rêves deFeuille de Saule cette nuit. Laisse-larencontrer seule le Clan des Étoiles.»

C’était bien mon intention ! Il se

réjouit de la méprise de son mentor.Elle ne pouvait pas lire dans sespensées, finalement. Nuage de Geaine comptait pas partager les rêvesde qui que ce soit. Il voulait sapropre rencontre avec ses ancêtres,pour les interroger à propos de laprophétie.

Il lapa l’eau glaciale et son espritfut aussitôt rempli d’images deverdure luxuriante – il était entré surle terrain de chasse du Clan desÉtoiles. Il n’y avait là aucun signe dela venue de la saison des feuillesmortes, juste des arbres touffus etdes sous-bois grouillants de vie.

Des chats s’y déplaçaient,

certains discutaient, d’autreschassaient, d’autres encoreprofitaient simplement du soleil. Unpelage roux brilla derrière unbouquet de fougères. Un matou grisfaisait la toilette d’une chatteécaille, tandis qu’un félin au poilnoir et blanc rampait dans l’herbehaute pour traquer une proie. Nuagede Geai s’irrita de ne reconnaîtrepersonne. Des ancêtres des autresClans.

Il reprit espoir en remarquant unchat d’allure familière qui avançaitvers lui. Puis il soupira en serendant compte que c’était PetitOrage. Il n’avait eu aucune intention

d’être là, dans le rêve d’un autre. Ilallait faire demi-tour lorsqu’ilremarqua un petit matou gris et blancqui s’approchait du guérisseur duClan de l’Ombre. Son museau étaittout gris. Il doit être très vieux !

Petit Orage le salua en baissant latête.

« Rhume des Foins. »Le matou ne répondit que par un

clignement d’yeux, sans cesser derenifler, la truffe humide.

Pas étonnant qu’ils nes’effleurent pas le museau pour sesaluer. Nuage de Geai se glissaderrière un arbre pour les épier. Ilsavait que Rhume des Foins avait été

le guérisseur du Clan de l’Ombre,bien des lunes plus tôt. Quel genrede guérisseur est incapable detraiter son propre rhume ?

« Comment ça va ? » s’enquitl’ancêtre.

Petit Orage sembla hésiter àrépondre.

« La chasse est bonne ? insistal’autre, qui plissa les yeux en voyantPetit Orage s’agiter devant lui.

— Oui, très bonne.— Est-ce que les Bipèdes vous

embêtent ? »Petit Orage secoua la tête.« Et les chatons de Pelage d’Or ?

Ils sont en bonne santé ? demanda

encore l’ancêtre en s’asseyant.Qu’est-ce qui ne va pas ?

— C’est Étoile de Jais ! » révélaenfin le guérisseur, qui avaitprononcé le nom de son chef enjetant derrière lui un coup d’œilcoupable. Il est si… » Il cherchaitses mots. « Si… distant.

— Distant ? Tu veux dire qu’il aquitté le Clan ?

— Non ! s’emporta Petit Orage.“Distant” comme “distrait”. Il laisseFeuille Rousse organiser toutes lespatrouilles et il commence à dire deschoses…

— Quel genre de choses ?— Il se demande si le Clan des

Étoiles avait vraiment l’intention denous guider jusqu’à ce lac !

— Alors tu as raison det’inquiéter, soupira Rhume desFoins, la mine sombre.

— Vraiment ?— Étoile de Jais est en train de

perdre la foi.— Comment est-ce possible ? Il a

toujours cru en vous.— Peu importe la raison, répondit

son aîné en s’essuyant la truffe d’unrevers de patte. Tu dois l’aider àretrouver la foi.

— Comment ? Que puis-je faire ?— Aide-le à retrouver la foi »,

répéta l’autre.

Le vieux matou disparaissait peuà peu, tout comme les arbres autourde lui.

« Aide-moi ! » l’implora PetitOrage, mais la forêt s’étaitévaporée.

Nuage de Geai ouvrit les yeux etse retrouva de nouveau plongé dansles ténèbres, près de la Source deLune. Il se leva, contrarié. Que luiimportait qu’Étoile de Jais perde lafoi ? C’était toujours mieux que si leClan de l’Ombre était dirigé par unvieux chat sénile, non ?

« As-tu rêvé de quelque chose ?s’enquit Feuille de Lune en remuantprès de lui.

— Non… Rien d’important, entout cas. »

CHAPITRE 10

UN RENARD GLAPIT au loin dansla forêt. Nuage de Houx remua dansson nid tandis que le cri de la bêterésonnait dans la combe, jusque dansses rêves.

« Pas dans les tunnels…,

murmura-t-elle.— Quoi ? »Nuage de Lion s’était tourné vers

elle, mais sa sœur ne répondit pas.Elle s’était rendormie, glissant denouveau dans son rêve.

Une galerie s’étendait devant elleet disparaissait dans les ténèbres. Larivière noire écumait ettourbillonnait derrière elle. Desbruits de pas lourds et de griffesraclant le sol rocailleux luiparvenaient depuis le tunnel, droitdevant. La puanteur d’un renard luiemplit la truffe. Terrorisée, ellereconnut la silhouette qui se formaitpeu à peu dans les ombres, les yeux

qui brillaient dans l’obscurité. Unrenard ! Elle recula et sentit le coursd’eau souterrain autour de ses pattes.La forme s’approchait toujours, sansciller, jusqu’à ce qu’elle émergedans le clair-obscur.

C’était Nuage de Lion.Elle se réveilla en sursaut

lorsqu’une patte la secoua parl’épaule.

« Nuage de Houx ? » Poil deFougère se tenait près d’elle. Latanière était plongée dans le noir –la douce lumière de la lune filtraitentre les branches. « Tout va bien ?»

Elle tremblait, brûlante de

panique.« Ce n’était qu’un cauchemar,

expliqua-t-elle en se calmantaussitôt.

— Tu ne peux pas rêver ensilence ? grommela son frère. J’étaisdehors, avec la patrouille de minuit,pendant que tu ronflais. »

Il roula de l’autre côté, le museaucoincé sous une patte.

« C’est ton tour, maintenant,Nuage de Houx », murmura Poil deFougère.

Nuage de Renard et Nuage deGivre dormaient profondément dansleurs nids.

« C’est déjà l’aube ? s’étonna la

jeune chatte noire, qui se frotta lesyeux pour mieux se réveiller.

— Non, l’aube est encore loin.Nous partons pour la patrouilled’avant l’aube. »

Les patrouilles supplémentairesépuisaient le Clan, mais le pland’Étoile de Feu semblait porter sesfruits. Il n’y avait eu aucun signed’intrusion ou de vol de gibierdepuis des jours. Nuage de Houxs’étira et suivit son mentor dans laclairière. Ses pattes étaient encoreengourdies et même la fraîcheur dupetit matin ne parvenait pas àchasser sa fatigue.

Une lune blanche illuminait le

Clan. Assis devant le tunnel deronces, Cœur d’Épines se tenait laqueue d’une patte pour en laver lebout.

Poil de Châtaigne tournicotaitautour de lui.

« Il fait trop froid pour resterimmobile, gémit-elle.

— Nous aurons d’autres nuits plusdouces avant la fin de la saison desfeuilles vertes, lui promit Poil deFougère qui alla se frotter à laguerrière écaille.

— Est-ce que Nuage de Houx estréveillée ? s’enquit Cœur d’Épines.

— Presque, répondit l’intéresséeen sortant de l’ombre.

— Tant mieux. Dans ce cas, nouspouvons y aller. »

Un petit couinement leur parvintde la pouponnière.

« Est-ce que le renard est parti ?miaula Petite Rose avec angoisse. Jel’ai entendu glapir et il avait l’airtout près !

— Il est loin, très loin dans laforêt, ma chérie, la rassura Chipie.Maintenant, rendors-toi. »

Nuage de Houx se plaça derrièreson mentor, tandis que la patrouillegagnait la forêt à la queue leu leu. Ilfaisait sombre, sous les arbres, etNuage de Houx trébucha sur uneracine dans la montée vers la

frontière du Clan du Vent.Poil de Fougère coula un coup

d’œil vers elle.« Tu dors debout ?— Ça ira mieux dans un instant »,

lui assura-t-elle.Ils cheminèrent jusqu’au torrent

frontalier et s’arrêtèrent sur la berge,au signal de Poil de Châtaigne, quidirigeait la patrouille. La guerrièreleva la truffe.

« Pas de traces fraîches par ici. »Cœur d’Épines se laissa glisser

jusqu’au bord de l’eau et inspectales buissons un à un.

« Ici non plus. »Ils suivirent le torrent en silence.

Poil de Fougère se faufila dans unbouquet de fougères et en ressortiten secouant la tête.

« Rien à signaler. »Cœur d’Épines renouvela le

marquage au pied d’un chêne.« Nous allons longer le torrent

jusqu’à l’orée de la forêt, annonçaPoil de Châtaigne. Puis nous nousoccuperons du marquage sur lafrontière en amont. »

Lorsqu’ils y arrivèrent, le clair delune baignait la colline d’une étrangelumière laiteuse. Le silence quirégnait sur les bois et la lande fitfrissonner Nuage de Houx.

« Il n’y a pas un bruit, murmura-t-

elle.— L’aube approche, répondit son

mentor. Les oiseaux se réveillerontbientôt. »

Le vent balayait la lande, labruyère frémissait.

« Cœur d’Épines, Poil deFougère, je vous confie le marquage,déclara Poil de Châtaigne. Nuage deHoux et moi, nous allons inspecterles environs et guetter l’odeur duClan du Vent. Suis-moi », ordonna-t-elle à l’apprentie.

D’un pas hésitant, Nuage de Houxdescendit tant bien que mal la pentederrière la guerrière écaille endérapant sur l’herbe. La truffe au

sol, elle allait d’un buisson à l’autre,suivant l’arrondi d’une butte. Lafrontière était là, détectabledavantage grâce au marquage duClan du Tonnerre qu’à l’odeuréventée du Clan du Vent. À croireque cette frontière ne les intéressaitplus. Ils devaient être trop occupés àchasser dans la forêt.

Nuage de Houx leva la tête vers lesommet de la colline, qui semblaitdessiner le dos d’un chat géant sur leciel couleur crème. À mesure que lesoleil gagnait du terrain sur lesténèbres, le ciel jaunissait etbaignait la butte d’une douce lumièrerosée.

Nuage de Houx remarqua alorsune silhouette sur la crête. Elleplissa les yeux pour l’identifier.Impossible de deviner sa taille mais,lorsque l’aurore éclaira la pente,elle reconnut un corps de félin, avecun museau allongé, un long dos lisseet une queue recourbée à l’extrémitétouffue. Il était magnifique, avec sonport de tête fier et ses grandesoreilles écartées.

« C’est un lion ! s’écria Nuage deHoux.

— Un lion ? Où ça ? » s’enquitPoil de Châtaigne en courant larejoindre.

Du bout du museau, l’apprentie lui

désigna le félin immobile.« Ce n’est qu’un chat, la rassura

la chatte écaille. Mais il n’a pasl’air du Clan du Vent. Il est tropmusclé et ses poils sont trop longs. »

Nuage de Houx cilla encomprenant que sa camarade avaitraison. Pourtant, l’espace d’uninstant, elle avait vraiment cru voirun lion. Elle avait entendu parlerd’eux dans les histoires qu’on luimurmurait jadis, dans lapouponnière – énorme et farouche,le fauve se levait tel le soleil pourvaincre tous ses ennemis.

« Nous avons renouvelé lemarquage ! annonça Poil de Fougère

depuis la lisière de la forêt. Nousdevrions rentrer pour que lapatrouille de l’aube puisse partir àson tour. »

Poil de Châtaigne s’élançaaussitôt vers eux. À regret, Nuage deHoux quitta du regard l’étrange chatqui se dressait toujours à l’horizon.Est-ce qu’il les observait ?

« Nuage de Houx s’imaginequ’elle a vu un lion dans la lande,annonça Poil de Châtaigne aux deuxguerriers sur le chemin du retour.

— Un lion ? répéta Poil deFougère d’un air amusé. Tu escertaine que tu n’étais pas encore entrain de rêver ?

— Sûre et certaine ! se défendit-elle. Ce chat ressemblait réellementà un lion.

— C’est vrai qu’il avait une drôled’allure, convint Poil de Châtaigne.Ce n’était pas un guerrier du Clan duVent, ça c’est sûr.

— Tant qu’il ne franchit pas notrefrontière… », grommela Cœurd’Épines.

Nuage de Cendre sortait de latanière de Feuille de Lune lorsqueNuage de Houx rentra au camp. Elletraversait la clairière en boitillant,vers le tunnel de ronces.

« Où vas-tu ? lui demanda Nuage

de Houx.— Je vais nager.— Seule ?— Nuage de Geai est occupé à

ranger des remèdes et Feuille deLune pense que ça ira si je marchedoucement. »

Nuage de Houx remarqua alorsque les paroles de Nuage de Cendren’étaient plus ponctuées de hoquetsde douleur.

« Ta patte va mieux ?— Beaucoup mieux. »Nuage de Cendre s’étira. Sa patte

blessée trembla sous l’effort mais lajeune chatte ne grimaça pas.

« Est-ce que je peux

t’accompagner ?— Tu n’es pas fatiguée ?— Plus maintenant. »Voir le « lion » dans la lande

l’avait complètement réveillée.« Je serais ravie d’avoir de la

compagnie, ronronna Nuage deCendre. Tu veux que je t’apprenne ànager ? »

Nuage de Houx frémit en pensantà l’eau glacée trempant sa fourrure.

« Non, merci ! »Elles traversèrent le tunnel de

ronces l’une derrière l’autre. Lesoleil qui se levait doucement dansle ciel réchauffait la forêt et lesoiseaux pépiaient dans les bois.

Nuage de Houx aimait l’air hirsutedes arbres à la fin de la belle saison,les broussailles qui débordaient surles sentiers, les jeunes pousses quijaillissaient d’entre les racines – laforêt était plus luxuriante que jamais.

Elle ralentit dans la montée pourque Nuage de Cendre puisse lasuivre malgré sa claudication.

« T’as vu comment Pelage deMiel suit Truffe de Sureau partoutavec son air de crapaud mortd’amour ? lança Nuage de Cendre.

— Ne m’en parle pas ! À croirequ’il est l’envoyé du Clan desÉtoiles !

— Ne voit-elle pas à quel point il

peut être autoritaire ?— Je crois qu’elle l’apprécie

presque autant qu’il s’apprécie lui-même !

— Ah, l’amour ! gloussa laconvalescente. D’ailleurs, tu as vuque Bois de Frêne et Aile Blancheavaient commencé à faire leurtoilette ensemble ?

— La pouponnière risque d’êtrebientôt trop petite.

— Je ne sais même pas s’ilrestera de la place après lanaissance des petits de Millie.Feuille de Lune pense qu’ils serontau moins trois.

— Est-ce que Millie leur a déjà

choisi un nom ? lui demanda Nuagede Houx, en songeant que son amieavait peut-être entendu descommérages pendant son repos forcédans la tanière de la guérisseuse.

— D’après Feuille de Lune, ilfaut voir un chaton pour pouvoir lenommer.

— Dans ce cas, je devais avoir lafourrure hérissée, quand je suis née», plaisanta Nuage de Houx.

Qu’il était bon de parler de tout etde rien. Comme au bon vieux temps,avant la prophétie. Pour la premièrefois depuis son retour desmontagnes, elle avait l’impressiond’être une apprentie comme les

autres, aspirant à devenir uneguerrière loyale.

Je dois aspirer à beaucoup plusque ça… même si j’ignoretotalement à quoi.

CHAPITRE 11

UNE DOUCE BRISE soufflait sur lacombe et apportait au camp lessenteurs nocturnes de la forêt. Lalune était haute ; Nuage de Geaidevinait ses rayons sur son pelage. Ilse dandina sur place, un peu

engourdi par l’attente.« Tu es certain que je ne peux rien

faire ? » murmura-t-il à Feuille deLune à travers les ronces quimasquaient l’entrée de la fissure.

Elle l’avait chassé dehorslorsqu’il avait renversé le tas degraines de pavot à force d’aller etvenir. Son mentor les ramassaitpatiemment.

« Je pourrais t’aider à lesranger…

— Non, merci. Contente-toi deguetter le moindre bruit venant de lapouponnière. »

Millie tournait en rond dans satanière depuis midi et, même si les

douleurs n’avaient pas commencé,Feuille de Lune l’avait avertie queles chatons pourraient arrivern’importe quand. Le reste du campdormait, sauf Plume Grise quimontait la garde devant lapouponnière, plein d’angoisse.Nuage de Geai tentait de ne pas selaisser submerger par la peur quiémanait du guerrier.

Tout ira bien pour Millie.Les ronces de la pouponnière

frémirent et des bruits de pasrésonnèrent dans la clairière.

« Les chatons arrivent ! lançaChipie à voix basse.

— Suis-moi ! » ordonna Feuille

de Lune à Nuage de Geai enjaillissant de sa tanière.

Il courut derrière elle, le cœurbattant, pendant que les deux chattesse faufilaient dans la pouponnière.

Le miaulement affolé de PlumeGrise le fit sursauter :

« Prends soin de Millie. »Le guerrier était si près que leurs

fourrures se touchaient.« Si tu dois choisir quelle vie

sauver, sauve la sienne. »Avant qu’il puisse répondre,

Nuage de Geai fut aspiré dans lessouvenirs du guerrier. Une chatte aupelage argenté gisait dans une marede sang. Le chagrin déchira le cœur

de Nuage de Geai. Il lutta pourquitter cette vision et poussa unsoupir de soulagement lorsque lemonde redevint noir autour de lui.

« Feuille de Lune veillera sur elle», promit-il.

Il se faufila bien vite entre lesronces, craignant de ressentir denouveau le chagrin de Plume Grise.Il avait dû aimer très fort cette chatteargentée.

À l’intérieur, Millie respiraitbruyamment. Elle poussa une longueplainte grave lorsque l’apprentiguérisseur se glissa près de sonmentor.

« Elle va bien ? » murmura-t-il.

Après avoir manqué la naissancedes petits de Chipie, il était toutexcité à l’idée d’être présent quandMillie donnerait la vie à denouveaux membres du Clan.

« Oui, tout se passe normalement.— Si ça c’est normal, croassa

Millie, alors je me demande… »Une autre contraction la fit taire.Petite Rose et Petit Crapaud

gigotaient à l’autre bout de latanière.

« Restez en arrière ! leur ordonnasèchement Chipie.

— Je veux voir les chatons !gémit la petite chatte.

— Il y a du sang ? couina son

frère.— Chut ! » feula Feuille de Lune.Millie haletait de nouveau.« Tu te débrouilles très bien, la

rassura la guérisseuse.— Où est Plume Grise ?— Juste devant.— Tant mieux, soupira la reine

tandis que la contraction passait. Nele laissez pas entrer, pas encore. »

Feuille de Lune enroula sa queueautour de Nuage de Geai pour lefaire approcher.

« Là, lui dit-elle en prenant sapatte doucement dans sa gueule pourla poser sur le ventre gonflé deMillie. Une autre contraction arrive.

Elles viennent comme des vaguesléchant la berge, l’une après l’autre,de plus en plus rapprochées et deplus en plus fortes. »

Nuage de Geai se sentit grisélorsque le flanc de la reine se durcitsous sa patte.

« Ses muscles travaillent pourexpulser les chatons, expliquaFeuille de Lune. Bientôt, elle devrapousser elle aussi.

— Maintenant ? fit Millie.— Non, pas tout de suite. »Feuille de Lune plaça sa patte

près de celle de son apprenti et lespasme se dissipa. Une sérénité àtoute épreuve émanait de la

guérisseuse. Nuage de Geai en futimpressionné. Son propre cœurcognait si fort dans sa poitrine queles autres devaient l’entendre.

« Maintenant ! »Une nouvelle contraction arrivait

et l’apprenti guérisseur sentit lachatte se crisper et trembler sousl’effort.

« Le premier arrive, l’encourageaFeuille de Lune. Je le vois déjà. »

Millie poussa de plus belle etNuage de Geai huma une nouvelleodeur, à la fois chaude, fraîche etmusquée.

Feuille de Lune alla se placerdevant la queue de Millie.

« Il est là », murmura-t-elle àNuage de Geai, qui se pencha pourrenifler le petit paquet mouilléremuant sous sa truffe. La joue deson mentor frôla la siennelorsqu’elle lécha le nouveau-né. «J’ai ouvert la poche pour qu’ilpuisse respirer pour la premièrefois. »

Millie hoqueta.« Voilà le deuxième », annonça

Feuille de Lune.Chipie écarta Nuage de Geai pour

éloigner le premier chaton qu’ellecommença à nettoyer.

« Tu lui fais sa toilette ? »demanda-t-il.

Au bruit des coups de langue, ellele léchait à rebrousse-poil.

« Non, c’est pour le réchauffer etl’aider à respirer », expliqua Chipie.

Nuage de Geai se pencha un peuplus et entendit un petit halètementlorsque la boule de poils inspira sapremière goulée d’air.

Millie gémit longuement, et unautre petit paquet mouillé tomba surla mousse.

« À toi, dit Feuille de Lune enpoussant son apprenti. Ouvre lapoche pour le libérer. »

Soudain nerveux, Nuage de Geailécha la chose qui se tortillait devantlui et sentit la membrane gluante sur

sa langue. Prenant soin d’éviter lachair tendre dessous, il donna uncoup de dents dans la membrane quise déchira aussitôt. Le chaton rouladans la mousse en couinant.

« Celui-là respire déjà, annonça-t-il à Feuille de Lune.

— Très bien. Maintenant, lèche-lecomme le fait Chipie. »

Il le renifla une fois pour localiserla tête et se mit à lécher le chaton dela queue vers les oreilles. Trempéjusqu’aux os, le petit s’était déjàrefroidi, mais il se réchauffa bientôtsous les coups de langue du novice.

Millie remua derrière lui et glissason museau entre Chipie et lui pour

renifler ses petits. Puis elle serallongea en gémissant.

« Encore un autre », annonçaFeuille de Lune.

Millie gémit moins fort, comme sila douleur s’estompait.

« Et voilà, murmura laguérisseuse lorsqu’un troisième petitpaquet roula dans la mousse. C’estle dernier. Un mâle et deux femelles.»

La reine se tourna pour libérerelle-même le chaton de samembrane. Elle lécha le petit corpsen ronronnant puis se laissaretomber dans son nid, sans cesserde ronronner. Feuille de Lune

souleva les deux petites femellespour les placer contre le ventre de lareine.

« Il leur faut du lait », expliqua-t-elle à son apprenti.

Nuage de Geai souleva le chatonqu’il avait nettoyé et le déposa prèsde ses sœurs. Le petit se mit aussitôtà ramper vers le giron chaud de samère. Le novice s’assit et les écoutatéter ; leurs petits ronrons étaientcouverts par ceux de Millie et unevague de nostalgie s’abattit sur luilorsqu’il sentit le doux parfum dulait.

« Vous avez de la chance d’êtrenés dans le Clan du Tonnerre », leur

murmura-t-il en pensant à laprophétie pour la première fois de lasoirée.

Les ronces ondulèrent et PlumeGrise se faufila à l’intérieur. Feuillede Lune avait dû l’appeler. Il setapit près de sa compagne et Nuagede Geai l’entendit renifler lafourrure de la reine avecsoulagement.

« Tu as deux filles et un fils, luiannonça Millie d’une voix quitrahissait sa fatigue.

— Ils sont parfaits », répondit-ildoucement.

Sa compagne s’efforça deredresser la tête pour regarder les

petits qu’elle allaitait.« Le mâle te ressemble comme

deux gouttes d’eau, même s’il a plusde rayures noires que toi. Déjà grandet fort.

— Il ressemble à un bourdon,ronronna Plume Grise. Et si nousl’appelions comme ça : PetitBourdon ? Et la femelle au pelagebrun sombre pourrait être PetiteÉglantine.

— Ça me plaît. J’aimeraisappeler la plus petite Petit Pétale.Les taches sur son pelage écailleressemblent à une pluie de pétales.

— Petit Bourdon, Petite Églantineet Petit Pétale, murmura Plume

Grise. Bienvenue dans le Clan duTonnerre, mes précieux chatons.

— Ils n’ont plus besoin de nous,miaula Feuille de Lune à Nuage deGeai. Chipie gardera un œil sur euxet nous appellera s’il le faut. »

Alors qu’ils regagnaient leur antresous le clair de lune, l’apprentiguérisseur sentit une bouffée defierté monter en lui – il était fier deMillie, de lui-même et de Feuille deLune.

« Tu as fait du beau travail, lecomplimenta-t-elle en lui frôlant lajoue du bout du museau, comme sielle devinait son émoi.

— Merci », répondit-il avant de

lui lécher l’oreille. Leur disputeétait bien loin dans son esprit. «C’est la chose la plus incroyable quiexiste !

— C’est vrai. »Pourquoi ce ton triste ? songea-t-

il. Elle était loin d’être aussi griséeque lui. Lui avait l’impression d’êtreléger comme l’air. Son mentor avaitpeut-être aidé tant de reines à mettrebas que cela ne l’émouvait plus. Oupeut-être qu’elle était jaloused’elles, de leurs boules de poilsminuscules qui savaient d’instinctqui était leur mère, qui l’aimaientabsolument depuis leur premièrebouffée d’air. Nuage de Geai ralentit

en essayant d’imaginer ce queFeuille de Lune ressentait vraimentdevant ces naissances. Était-ellemalheureuse de ne pouvoir porterses propres petits ?

Le lendemain, Nuage de Geai fitune grasse matinée. Lorsqu’il sortitenfin dans la clairière, où le soleillui réchauffa le dos, ses penséesétaient encore confuses. Un parfumdélicieux lui parvint de la réserve degibier. Affamé après sa nuit detravail, il prit une souris au sommetet se mit à manger.

« J’ai entendu dire que tu avaisaidé à ta première mise bas ! s’écria

Nuage de Houx en accourant.J’aurais voulu voir ça !

— C’était incroyable », confirma-t-il entre deux bouchées.

Plume Grise se faufila hors de lapouponnière. Il irradiait de bonheur.

« Félicitations, Plume Grise ! luilança Longue Plume.

— Est-ce que Millie va bien ?s’enquit Nuage de Cendre, quifaisait sa toilette devant la tanièredes apprentis.

— Oui, elle va très bien. Et lespetits aussi.

— J’ai hâte de les voir ! piaillaNuage de Givre, qui sautait en toussens, bouillonnant d’impatience.

— Nous, on les a déjà vus !fanfaronna Petit Crapaud. PetitBourdon jouera avec moi quand ilsera un peu plus grand.

— Ils sont trop mignons, renchéritPetite Rose. Surtout Petit Pétale.Elle est minuscule ! »

Nuage de Geai entendait PlumeGrise fouiller dans la réserve degibier.

« Millie doit avoir faim, lançaPoil de Souris depuis le seuil de songîte.

— Et elle va avoir droit à lameilleure pièce de viande que jepourrai trouver !

— Comment s’appellent les petits

? voulut savoir Poil de Châtaigne.— Petit Bourdon, Petite Églantine

et Petit Pétale.— Au moins, ils auront de vrais

noms de guerriers, eux », marmonnaPelage de Poussière, qui n’avaitvisiblement pas oublié que Millieavait refusé de changer de nom.

Plume Grise ignora son camaraderonchon et continua ses recherchesjusqu’à ce qu’Étoile de Feudescende de la Corniche.

« Vous avez choisi de beaux nomsde guerriers », ronronna le rouquin,visiblement ravi pour son vieil ami.

Pourtant, Nuage de Geai distinguaune sorte de tristesse qui unissait les

deux guerriers, comme s’ilspartageaient un lourd souvenir.Était-ce lié à la chatte argentée de savision ?

« Tu aurais dû appeler PetitPétale Petite Pleureuse, parcequ’elle ne fait que se plaindre !grommela Petit Crapaud.

— Ne sois pas méchant ! lerabroua sa sœur, qui sauta sur sonfrère pour le faire rouler au sol.

— Arrêtez, tous les deux ! »Le miaulement sévère de Patte

d’Araignée résonna partout dans lacombe tandis qu’il les séparait.

« On ne faisait que jouer, gémitPetit Crapaud.

— Eh bien, jouez à autre chose demoins bruyant ! Je ne t’envie pas,Plume Grise. Deux chatons, c’estassez difficile comme ça. » Il poussasoudain un cri de douleur. « PetitCrapaud ! Quand je vous disais defaire autre chose, ce n’était pas pourque tu attaques ma queue ! »

Le tunnel de ronces frémit. Nuagede Geai avala sa dernière bouchéede souris. Griffe de Ronce, Pelagede Granit et Nuage de Lionrentraient au camp. Ils vinrentdéposer leurs prises sur le tas.

« Où est la patrouille de l’aube ?lança Griffe de Ronce. Ils devraientdéjà être rentrés, non ?

— Qui avais-tu envoyé ? demandaPatte d’Araignée à Étoile de Feu.

— Cœur d’Épines, Pavot Gelé etBois de Frêne. »

Nuage de Geai se concentra sur lecamp, à l’affût de l’odeur desguerriers absents.

« Ils ont peut-être décidé dechasser, suggéra Plume Grise.

— Ils devaient venir faire leurrapport sur-le-champ, lui rappelaGriffe de Ronce.

— Dans ce cas, c’est qu’il n’yavait rien d’urgent à nous annoncer.»

Nuage de Geai ne flaira que desfumets éventés. Il projeta son esprit

plus loin, au-delà de la combe. S’ilsétaient près du camp, il détecteraitpeut-être une pensée ou une émotion.Il se figura des arbres et desbuissons, paysage construit grâceaux images de ses rêves. Aucunsigne de ses camarades.

Tout à coup, son esprit se vida,terrassé par des ténèbres soudaines.Il fut aussitôt saisi par le froid quis’insinuait dans sa fourrure, jusqu’àses os. Il voulut respirer, mais levide l’étouffait, le suffoquait commede l’eau, le noyait dans sa noirceurterrifiante.

Puis tout disparut et il put denouveau visualiser la forêt, verte et

tranquille.Nuage de Geai s’efforça de

reprendre son souffle, d’inspirer del’air frais, revigorant.

« Tout va bien ? lui demandaFeuille de Lune, inquiète.

— Qu’est-ce qu’il a ? » gémitNuage de Houx en se collant à sonfrère.

Combien de temps avait pus’écouler ?

Plume Grise se tenait encore prèsdu tas de gibier, un campagnol dansla gueule. Patte d’Araignée tentaittoujours d’écarter son fils de saqueue. La vision ne l’avait subjuguéqu’un instant.

« Quelque chose arrive, avertitNuage de Geai d’une voix rauque.Quelque chose… d’épouvantable ! »conclut-il, en proie à une terreurindicible.

Feuille de Lune garda le silence.Elle avait tourné la tête en entendantle frémissement du tunnel de ronces.

« Pavot Gelé ! » salua Étoile deFeu lorsque la jeune guerrières’extirpa des épines. Puis sonmiaulement s’aiguisa : « Tout vabien ? »

La jeune chatte était nerveuse.Bois de Frêne arriva après elle, d’unpas hésitant, suivi de Cœurd’Épines. Nuage de Geai se pencha

en avant, les poils dressés sur sonéchine. Des pas étranges foulaient letunnel. Une odeur nouvelle lui emplitla truffe tandis qu’un inconnu entraitdans la clairière.

« Qui est-ce ? souffla l’apprentiguérisseur.

— Je ne sais pas, murmura sasœur.

— À quoi ressemble-t-il ? »La novice ne répondit pas, trop

préoccupée par l’arrivée del’inconnu. Le pelage du matousentait la bruyère et le parfum fraisdu vent et de l’eau, mais rien d’autrede familier. Lorsque Nuage de Geaivoulut scruter l’esprit de l’étranger,

il se retrouva ébloui par des imagesd’arbres, de ciel, d’éclairs, demonstres rugissants, de vastesétendues d’eau verte agitée.Cependant, aucune d’elles ne duraitassez pour qu’il les voie clairement.C’était comme essayer de regarderune chute d’eau reflétant le soleil.

« Alors ? demanda-t-il à sa sœuren lui donnant un petit coupd’épaule.

— Il… il est grand, murmura-t-elle, distraite. Plus grand qu’Étoilede Feu. Il a le menton pointu, degrandes oreilles écartées et sonpelage est plus long que le nôtre –d’une couleur brune mouchetée de

taches écaille – et sa queue… Je l’aidéjà vu ! C’est le lion.

— Quoi ? s’exclama son frère.— Dans la lande, alors que le

soleil se levait derrière lui. Ilressemblait à un lion », expliqua-t-elle plus bas encore.

Nuage de Geai voulait tout savoir,mais Étoile de Feu s’approchait déjàde l’étranger. La tension étaitpalpable dans l’air.

« Cœur d’Épines, tonna lemeneur, pourquoi as-tu amené cechat ici, dans notre camp ?

— Je… je… »Alors que le vétéran balbutiait,

Nuage de Geai percevait la

confusion qui régnait dans sonesprit. Il ne savait même pluspourquoi il avait conduit un parfaitinconnu au cœur du territoire duClan du Tonnerre.

« Étoile de Feu, déclara l’étrangerà la surprise générale, c’est unhonneur de te rencontrer. Il y alongtemps que je voulais faire laconnaissance du Clan du Tonnerre. »

Son miaulement était profond etson ton léger, comme pour accentuerson honnêteté.

« Comment peut-il nous connaître? siffla Patte d’Araignée.

— D’où vient-il ? murmuraFeuille de Lune.

— Tu voulais faire notreconnaissance ? répéta Étoile de Feu,incrédule. Qu’est-ce que tu veux denous ?

— On n’a rien pour lui ! grondaPoil de Souris. Qu’on le chasse !

— Je n’attends rien de vous. »Les paroles du matou résonnèrent

dans la combe.« Alors que fais-tu là ? s’enquit le

meneur, agacé.— Je suis venu parce qu’il était

temps.— Il était temps de quoi ? lança

Patte d’Araignée.— Temps de vous voir. »Nuage de Geai frissonna.

Comment ce chat rendait-il des motssi simples si puissants ?

Étoile de Feu se dandina surplace.

« Il raconte n’importe quoi,marmonna Poil de Souris. Dites-luide partir.

— Mais il vient juste d’arriver !s’écria Petit Crapaud, tout excité.Qui es-tu ? » demanda-t-il enbondissant vers l’inconnu.

Ce dernier ronronna avant derépondre :

« Je suis Sol. »Griffe de Ronce s’avança

rapidement.« Petite Rose et toi, vous devriez

vous reposer dans la pouponnière,dit-il à Petit Crapaud. Vous n’avezpas dû dormir beaucoup cette nuit.

— Que s’est-il passé ? s’enquitSol.

— Rien. » Le lieutenant suivit duregard les deux chatons quiregagnèrent leur gîte en grommelant.Il attendit de les y voir entrer avantde se tourner vers Cœur d’Épines. «Où as-tu trouvé cet inconnu ?

— Sur la frontière du Clan duVent. Il ne volait pas de gibier,n’essayait pas d’entrer sur notreterritoire. Il ne faisait… qu’attendre.

— J’attendais une patrouille »,leur apprit Sol.

Comment un solitaire peut-ilconnaître les patrouilles et lesfrontières ?

« Pourquoi ? demanda Étoile deFeu, ébahi.

— Pour qu’on m’escortejusqu’ici. »

Nuage de Geai se concentra surSol, cherchant dans son esprit laraison de sa venue. Cependant, il netrouva de nouveau que la nuéed’images scintillantes incohérentes.

Ses camarades semblaient toustrop abasourdis pour parler.

Brisant le silence, Sol déclara :« Je vois que je ne suis pas le

bienvenu. » Le bout de sa queue

effleura le sol. « Je pensais que leClan du Tonnerre, entre tous,m’accueillerait. » Il braqua sonregard tel un rayon lumineux surÉtoile de Feu. « Tu aimes aider leschats moins fortunés que toi, non ?

— Nous ne chassons pas ceux quisont dans le besoin, rétorquaprudemment le rouquin, la fourrureen bataille. Or, toi, tu affirmes nerien attendre de nous.

— Tu veux donc que je m’en aille», conclut Sol, sans pour autant fairemine de partir. Au lieu de quoi, illeva la truffe comme pour obtenir deplus amples informations sur seshôtes. « Puis-je d’abord faire la

connaissance de tes guerriers ? J’aivoyagé longtemps, et seul, et jeserais ravi de frôler le pelaged’autres chats, ne serait-ce qu’uninstant.

— Très bien. Voici Griffe deRonce, mon lieutenant, déclara lechef, avant de tendre la queue del’autre côté. Et Feuille de Lune,notre guérisseuse.

— Alors, c’est toi, la guérisseuse? fit Sol, l’air enchanté.

— Euh… oui, confirma la chatte,mal à l’aise.

— Et voilà Cœur d’Épines, PlumeGrise et Pelage de Poussière,conclut Étoile de Feu.

— Et moi, c’est Nuage de Givre !lança l’apprentie en s’avançant. Etlui, c’est mon frère, Nuage deRenard.

— Ah… les “Nuages”… Vousapprenez à devenir des guerriers,c’est ça ?

— En effet, confirma Griffe deRonce à la place de la novice.D’ailleurs, ils devraient s’entraîner,en ce moment même. Nuage deGivre, Nuage de Renard, vosmentors auraient dû vous emmeneren forêt, non ?

— C’est vrai, répondit AileBlanche en accourant. Viens, Nuagede Givre, allons réviser nos

attaques. Nuage de Renard, tupourras t’entraîner avec nous enattendant que Poil d’Écureuilrevienne de la chasse.

— On ne peut pas rester ? » gémitle petit rouquin, alors qu’AileBlanche les poussait déjà vers lasortie.

Petite Rose et Petit Crapaudchoisirent cet instant pour sortir entrébuchant de la pouponnière.

« Je croyais vous avoir dit…,gronda Griffe de Ronce avant des’interrompre en voyant que Chipieles chassait.

— Je vous l’ai répété, les chatonsde Millie sont trop petits pour jouer

! Même si vous ne faisiez que leschatouiller avec une plume ! »

Le miaulement furieux de la reines’arrêta net. Elle avait dû voir Sol.

« Allez, ouste ! souffla-t-elle à sespetits, gênée, en les poussant vers latanière des apprentis. Jouez par là-bas et ne faites pas de bruit. Étoilede Feu est occupé.

— Elle n’est pas née au sein d’unClan, pas vrai ? commenta Sol.

— Elle fait partie du Clan duTonnerre, à présent ! gronda Patted’Araignée.

— Bien sûr, susurra Sol.— Je voulais juste dire que c’est

une des nôtres, c’est tout », ajouta

Patte d’Araignée, tête basse.Nuage de Geai flaira une odeur de

gibier frais au moment même où lesronces du tunnel s’agitaient. Poild’Écureuil et Tempête de Sablerevenaient de la chasse. Ellesralentirent en apercevant Sol,déroutées.

« Encore du gibier ? s’étonna lenouveau venu tandis qu’ellesdéposaient leurs prises sur laréserve, mal à l’aise. Vous arrive-t-il d’en manquer ? »

Griffe de Ronce traversa laclairière pour rejoindre Poild’Écureuil. Nuage de Geai ne putentendre ce qu’il murmura à sa

compagne. Le lieutenant se tournaensuite vers Sol.

« Le gibier se fait rare durant lamauvaise saison, mais noussurvivons.

— Je le vois, fit l’autre d’un tonapprobateur.

— Nous pourrions peut-êtret’offrir une pièce de viande avantque tu continues ton voyage, proposaÉtoile de Feu.

— Je chasse moi-même, réponditSol en s’asseyant.

— Il n’a pas compris le message,ou quoi ? » murmura Nuage deHoux.

Nuage de Geai sentit soudain sur

lui le regard de Sol.« Il y a des aveugles dans votre

Clan ?— Nuage de Geai est mon

apprenti, miaula Feuille de Lune ense plaçant devant lui dans un gesteprotecteur.

— Deux guérisseurs… C’estencore mieux. J’ai quelque chose àpartager qui, je le crois, sera mieuxapprécié par un guérisseur que parun guerrier.

— Tu es donc bien venu pour uneraison ! remarqua Étoile de Feu.

— Je ne fais que passer. Etpendant que je suis là, je peux aussibien partager mon savoir. » Il

marqua une pause avant d’ajouter : «Préféreriez-vous que je parte tout desuite ?

— Non ! lança Feuille de Lune ens’avançant. Étoile de Feu, laisse-leme parler.

— Ce n’est pas pour toutes lesoreilles, le mit en garde l’étranger.

— Nous pouvons aller dans laforêt », suggéra la chatte.

Elle aussi, elle sent son pouvoir !Étoile de Feu hésita.« Très bien, céda le meneur. Mais

emmène Nuage de Geai avec toi. »Feuille de Lune conduisit Sol

dans la forêt. Nuage de Geai lessuivit prudemment jusqu’à une

clairière mousseuse non loin del’entrée du camp.

« Alors, qu’as-tu à nous dire ?lança Feuille de Lune sans se laisserimpressionner.

— Les ténèbres arrivent »,annonça-t-il.

Une étrange énergie fusait de lui.Nuage de Geai retint son souffle.L’obscurité suffocante ! Il écartacette idée. Il devait entendre tout ceque ce félin avait à dire.

« Ce qui signifie ? s’enquitFeuille de Lune sèchement.

— Une ère de grand vide nousattend. Rien ne sera plus jamaiscomme avant. »

La voix de Sol était hypnotique etses mots semblaient chargés de lasagesse des Clans anciens. Nuage deGeai se pencha un peu plus car Solbaissa d’un ton.

« Le soleil disparaîtra. »Que veut-il dire ? L’apprenti

s’efforçait de voir au-delà des mots,jusque dans les pensées du matou.C’était comme essayer d’attraperdes poissons glissants.

« Le Clan des Étoiles ne m’aenvoyé aucun signe à ce propos,rétorqua la guérisseuse, hésitante.

— Chère Feuille de Lune, soupiral’autre, ta foi est noble. Crois-tudonc que le Clan des Étoiles sait

tout ?— Mais…— Ce ne sont que les esprits de

félins ordinaires, comme toi et moi,n’est-ce pas ? »

C’est exactement ce que je pense! La fourrure de Nuage de Geai sedressa sur son échine. Sauf que, lui,il est suffisamment courageux pourle dire tout haut. Il voulait en savoirdavantage sur Sol. Avait-il rencontréle Clan des Étoiles ? La Tribu de laChasse Éternelle ? Pierre ?

« Le Clan des Étoiles nous aguidés pour traverser maintesépreuves, rétorqua la guérisseuseavec fermeté. Nos ancêtres nous ont

trouvé un nouveau territoire lorsquenotre forêt a été ravagée par lesBipèdes. Nous continuerons à leurfaire confiance pendant les lunes àvenir.

— Je ne pensais qu’au bien desClans », répondit Sol en se levant.Feuille de Lune l’avait-elle offensé? « Mais ils peuvent se débrouillerseuls, naturellement, comme ils l’onttoujours fait.

— Oui, c’est ce que nous ferons.»

Feuille de Lune se redressa à sontour et prit le chemin de la barrièrede ronces. Elle se moquait bien desavoir si Sol était vexé ou non.

Le visiteur la suivit lentement.Était-ce de la satisfaction que Nuagede Geai devinait en lui ? L’apprentise mit en route à son tour.

Il s’immobilisa en entendant unmurmure dans les taillis.

« Chut ! »Il leva la truffe.Nuage de Renard et Nuage de

Givre !« Je croyais que vous vous

entraîniez », les rabroua-t-il.Les fougères s’écartèrent et les

deux apprentis quittèrent leurcachette.

« Aile Blanche nous a dit d’allernous entraîner à traquer le gibier »,

expliqua timidement Nuage deRenard.

Nuage de Givre, elle, ne semblaitnullement gênée.

« C’est vrai ? couina-t-elle. Lesoleil va vraiment mourir ? » Elletremblait, en proie à un mélanged’excitation et de terreur. « Pourquoile Clan des Étoiles ne nous a-t-il pasprévenus ?

— Taisez-vous ! » Nuage de Geaidressa les oreilles, craignantqu’Aile Blanche ne soit dans lesparages. « Personne ne doit le savoir!

— Nous devrions prévenir lesautres !

— En qui avez-vous le plusconfiance ? rétorqua Nuage de Geai.Cet étranger ? Ou le Clan desÉtoiles ? Répandre ce genre derumeurs ne ferait que causer unevague de panique. Vous devezréfléchir comme des guerriers, pascomme des chatons. »

Priant pour que cela suffise à leurfaire garder le secret, il les poussavers le camp et les suivit tandisqu’ils s’engouffraient dans lesronces.

Nuage de Lion, dont le pelageportait encore le parfum de la forêt,se précipita à sa rencontre.

« Qu’as-tu découvert sur lui ?

Nuage de Houx m’a dit que vousétiez partis dans la forêt pourdiscuter.

— Il a discuté avec Feuille deLune, pas avec moi.

— Et qu’ont-ils dit ? »Nuage de Geai dressa l’oreille.

Étoile de Feu s’entretenait à son touravec Sol.

« Une patrouille t’escorterajusqu’à la frontière, annonça le chef.

— Nous nous assurerons qu’ilquitte bien notre territoire », grondaPelage de Poussière, qui attendaitprès du tunnel avec Tempête deSable et Patte d’Araignée.

Les oreilles de Nuage de Geai

chauffèrent lorsque Sol se dirigeavers eux.

« Eh bien ? » insista Nuage deLion.

Le parfum léger, étrange, de Solmonta aux narines de l’apprentiguérisseur. Le félin se pencha verslui pour murmurer :

« N’oublie pas… Les ténèbresarrivent.

— Qu’est-ce qu’il a dit ? s’enquitNuage de Lion tandis que l’intrusdisparaissait dans le tunnel.

— Rien d’important », réponditNuage de Geai en réprimant unfrisson.

CHAPITRE 12

« POURQUOI vous ne voulez pasdormir ? » grommela Nuage de Lionqui se retournait dans son nid.

Nuage de Givre et Nuage deRenard n’avaient pas cessé dechuchoter depuis qu’Aile Blanche

les avait envoyés se coucher.Comme il ne restait que cinqapprentis dans la tanière, les bruitsrésonnaient davantage. Nuage deHoux s’était endormie la queue surles oreilles et Nuage de Cendre,enfin rétablie, ronflait doucement àcôté d’elle. Nuage de Givre etNuage de Renard n’étaient donc pasfatigués ? Nuage de Lion essaya dese mettre à l’aise, mais la mousse desa litière formait des boulesinconfortables.

« De quoi est-ce que vous parlez,d’abord ? feula-t-il.

— De rien d’important », miaulaNuage de Renard.

Nuage de Lion se tortilla ensentant un gravier sous lui. Voilàpeut-être pourquoi il ne parvenaitpas à s’endormir. Il enfouit sonmuseau dans la mousse à larecherche du caillou et pesta.

Les murmures reprirent de plusbelle.

« La ferme ! siffla-t-il.— Ce n’était pas nous ! »

s’indigna Nuage de Givre.Nuage de Lion se crispa. Qui

était-ce, alors ? En se redressant, ilentendit du bruit dans la clairière.Une ombre glissa sur les branchesde la tanière. Nuage de Lion renifla.Une odeur musquée lui emplit la

truffe. Pas celle du Clan duTonnerre.

Il se figea.Le Clan du Vent !Étaient-ils venus demander de

l’aide ? Pourquoi maintenant, aubeau milieu de la nuit ? Il rampajusqu’à la sortie de la tanière.

« Où vas-tu ? murmura Nuage deRenard.

— Chut ! »En jetant un coup d’œil dehors,

Nuage de Lion vit des ombresallongées se glisser dans le tunnel deronces. Des silhouettes au pas légerse massaient dans la clairière, àpeine visibles sous le ciel sans lune.

Il cilla, incrédule. Une invasion ?« Alerte ! On nous attaque ! »

rugit-il en jaillissant de la tanière.Il percuta un membre du Clan du

Vent, surpris par ce guerrierfantomatique. Des cris et desfeulements retentirent tout autour delui lorsque les envahisseursl’encerclèrent. À coups de griffes, iltint bon face à ses ennemis.

Puis il se laissa retomber au sol ets’extirpa de la mêlée tandis que sesassaillants tombaient les uns sur lesautres.

Les guerriers du Clan du Tonnerrejaillissaient de leur repaire, lafourrure en bataille, les yeux

écarquillés. Nuage de Houx débouladans la clairière avec Nuage deCendre, Nuage de Givre et Nuage deRenard sur les talons.

« Pourquoi nous attaquent-ils ? »Ce n’était pas le moment de se

poser des questions.« Contournez la clairière et

affrontez les intrus ! » ordonnaNuage de Lion.

Il se baissa pour esquiver unguerrier du Clan du Vent qui luisautait dessus puis il fit le gros dos.L’assaillant lui roula gauchementpar-dessus et retomba de travers, sibien que Nuage de Lion pivota et luisauta à la gorge.

Au dernier moment, il tourna latête pour le mordre derrière l’oreilleavant de le jeter à terre. J’ai failli letuer ! Nuage de Lion comprit qu’ilavait été à un poil de souris del’égorger.

« Dégage de mon camp ! » feula-t-il en l’immobilisant avec ses pattesavant pour lui lacérer le ventre avecses pattes arrière. Ou je te tueraipour de bon !

Le guerrier du Clan du Vents’arracha à son étreinte mais, au lieude s’enfuir, il se jeta dans la mêlée.

Un éclair blanc ! C’était Floconde Neige qui se frayait un passage aumilieu des combattants. Puis

l’apprenti distingua Tempête deSable à l’autre bout du camp, suiviede Poil de Châtaigne et Cœur Blanc.Devant la tanière des anciens, AileBlanche et son apprentie, Nuage deGivre, bataillaient ferme contre laligne d’ennemis qui avançait verselles. Plume Grise se dressa devantla pouponnière pour asséner unepluie de coups si puissants que sonadversaire dut reculer en crachant.

Cœur Blanc roula tout à coupdevant Plume Grise, aux prises avecun ennemi féroce. Le matou ardoisesaisit ce dernier pour le détacher desa camarade et le jeta au loin commeune pièce de gibier.

« Rentre dans la pouponnière ! »ordonna-t-il.

Cœur Blanc obéit pour défendreles reines et les chatons. Le guerrierse campa devant l’entrée, ses yeuxscintillants mettant quiconque au défide s’approcher.

« Nuage de Lion ! héla Pelage deGranit depuis la tanière des anciens.Viens ici, vite ! »

L’apprenti contourna la batailleen esquivant les coups de patteperdus. Aile Blanche et Nuage deGivre luttaient toujours contre leursennemis, le pelage rouge de sang.

« Il faut que nous fassions grimperLongue Plume et Poil de Souris sur

la Corniche, gronda Pelage deGranit. J’aiderai Aile Blanche etNuage de Givre pour retenir ceux-là.» Il roula soudain sur le dos pourrepousser de ses pattes arrière unguerrier adverse. « Toi, tu aides lesanciens à grimper l’éboulis. »

Nuage de Lion jeta un coup d’œilà Nuage de Givre, qui affrontait unjeune mâle. Ses yeux brillaient defureur tandis qu’elle lui frappait lesoreilles, encore et encore.

« Exécution ! » hurla Pelage deGranit.

Le novice se faufila dans latanière des anciens. Longue Plume etPoil de Souris étaient tapis au fond

de leur antre, la fourrure en bataille,les griffes sorties.

« Vous devez me suivre jusqu’à laCorniche.

— On devrait se battre, oui !cracha Poil de Souris.

— Il le faudra peut-être. Pourl’instant, il nous sera plus facile dechasser le Clan du Vent si nousn’avons pas à nous en faire pourvous. »

Il savait qu’il se montrait brutal,mais il n’avait pas le temps d’êtrediplomate. Toutes leurs vies étaienten jeu. Il vérifia l’entrée du gîte –Pelage de Granit et Aile Blancherepoussaient leurs ennemis. Nuage

de Givre, dont le museau dégoulinaitde sang, avait vaincu son assaillant.Les yeux plissés, elle se jeta sur lespattes arrière de celui qui malmenaitAile Blanche.

Ils avaient suffisamment dégagél’entrée pour que Nuage de Lionpuisse faire sortir les anciens. Dubout du museau, il poussa Poil deSouris dehors, puis Longue Plume. Ilrestait tout près d’eux afin de lesprotéger d’éventuels coups degriffes, tandis qu’ils se frayaient unpassage jusqu’à l’éboulis.

Dépêche-toi ! songea-t-il enencourageant Poil de Souris par lapensée.

Longue Plume escaladait déjà lesrochers, mais Poil de Souris setraînait, comme si chaque pas étaitun combat. Appuyé contre elle,Nuage de Lion la souleva un peupour l’aider à monter.

« Arrêtez ! » feula Étoile de Feu,qui se dressait sur la Corniche, lesyeux brûlants de rage.

Son feulement retentit tel letonnerre dans la combe.

Nuage de Lion s’immobilisa etbientôt tous l’imitèrent, la têtetournée vers le chef roux.

« Comment osez-vous ? »La marée de chats se sépara en

deux, révélant Étoile Solitaire. Leur

chef avait mené l’attaque enpersonne ! Nuage de Lion se raidit.Ce n’était pas une attaque ordinaire.C’était la guerre.

La nuit étoilée se reflétait dans lesyeux du meneur adverse.

« Nous l’osons parce que noussommes de véritables guerriers,miaula-t-il d’un ton neutre. Cettebataille couvait depuis troplongtemps. Le Clan du Tonnerre doitcomprendre qu’il n’est pas le pluspuissant de la forêt. »

Étoile de Feu l’écouta, figécomme un roc.

« Tu regardes les autres souffriren attendant qu’ils te supplient de

leur venir en aide comme si tuappartenais au Clan des Étoiles,martela Étoile Solitaire, la queuebattant furieusement l’air. Lessuppliques, ce n’est pas pour nous.Nous sommes des guerriers ! Nousnous battrons pour obtenir le gibieret le territoire dont nous avonsbesoin pour survivre.

— Vous envahissez donc notrecamp ? demanda Étoile de Feu,outré.

— Pour nous assurer que vouscompreniez bien le message. Vouspensez qu’être un guerrier signifiealler secourir des chats desmontagnes et recueillir des errants.

Nous, nous pensons que celaimplique de prendre soin de notreClan. »

C’est si injuste ! Où seraient-ils,tous les Clans, si Étoile de Feun’avait pas été là ? Nuage de Lionplanta ses griffes dans le sol pours’empêcher de sauter à la gorge duchef du Clan du Vent.

Étoile de Feu bondit de laCorniche, atterrit en toute légèreté ets’approcha de son ancien allié. Lesguerriers s’écartèrent pour le laisserpasser. Il s’arrêta sans ciller à unpoil de l’autre meneur.

« Si c’est une bataille que tu veux,feula-t-il, alors tu vas l’avoir. »

La queue d’Étoile Solitaire claquaavec force et Nuage de Lion secrispa, prêt à pousser Longue Plumeet Poil de Souris en lieu sûr si lecombat reprenait. Mais, à son grandétonnement, les guerriers du Vent sereplièrent et disparurent dans letunnel de ronces. Le bruit de leurspas mourut au loin et la stupeurtomba sur le camp.

« Ah ! s’écria soudain Nuage deGivre en bondissant en avant. Ils onttrop peur pour nous affronter !

— Cela n’a aucun sens, grondaPelage de Poussière. Pourquoiprendre la peine de nous attaquer denuit si c’est pour repartir aussitôt ?

Ils avaient l’avantage sur nous. Nousn’étions pas préparés.

— Ce n’est plus le cas, réponditNuage de Renard en ruant pourrépéter une attaque bien apprise.

— Je veux qu’une patrouille lessuive, ordonna Étoile de Feu. Pourm’assurer qu’ils quittent bel et bienle territoire.

— J’irai ! proposa Pelage dePoussière.

— Entendu. Prends Bois deFrêne, Flocon de Neige… »

Voyant qu’il passait le Clan enrevue, Nuage de Lion s’avança.

« Pelage de Granit et Nuage deLion, vous allez avec eux. »

Oui ! Nuage de Lion dévalal’éboulis.

« Y a-t-il des blessés ? » lança lerouquin tandis que Feuille de Lune etNuage de Geai se faufilaient déjàparmi les guerriers, la gueule pleinede remèdes.

Aile Blanche léchait le sang quisouillait son pelage.

« Aile Blanche ? miaula Étoile deFeu avec inquiétude.

— Rien que des égratignures.C’est surtout le sang de nos ennemis.

— Tant mieux. Je veux que tuemmènes une patrouille jusqu’à lafrontière du Clan de l’Ombre pourvérifier que tout y est calme.

Emmène Poil de Fougère et Poil deChâtaigne.

— Je peux y aller ? demandaNuage de Houx en s’avançant.

— Oui. Nuage de Givre, tu lesaccompagnes aussi. »

Il se tourna alors vers PlumeGrise, qui gardait toujours lapouponnière.

« Tu veux que j’y aille ? proposale matou ardoise.

— Non. Il nous faut des guerrierspuissants pour protéger le Clan aucas où ils reviendraient, et personnene défendra mieux que toi lapouponnière. Griffe de Ronce !Pourquoi n’y avait-il pas de garde à

l’entrée, ce soir ?— Les patrouilles

supplémentaires nous ont tousépuisés, répondit-il, la mine sombre.

— Postes-y quelqu’un. À partir demaintenant, elle sera gardée jour etnuit, patrouille ou non. Nous devronsnous habituer à moins dormirjusqu’à ce que le danger soit passé.»

Des miaulements leur parvinrentde la pouponnière et Plume Grise secrispa. Cœur Blanc se montra sur leseuil et les rassura :

« Les petits ont eu peur mais ilsvont bien.

— Je veux voir la bataille ! »

s’écria Petit Crapaud en pointant lemuseau hors de la pouponnière.

Cœur Blanc le prit par la peau ducou et le ramena à l’intérieur.

« Tempête de Sable, poursuivit lemeneur, l’accès au camp doit êtredavantage protégé. Nous yajouterons toutes les ronces que nouspourrons trouver. Je veux que tout lemonde y travaille. »

La guerrière s’inclina.Nuage de Lion courut vers le

tunnel, où Pelage de Poussièreattendait déjà avec Flocon de Neige.Pelage de Granit et Bois de Frêneles rejoignirent.

Nuage de Lion ne tenait plus en

place. Il voulait partir au plus vitepour voir le Clan du Vent franchir lafrontière à toute allure comme deslâches.

« Venez. »L’odeur du Clan du Vent était

partout dans les bois. Le novicefronça la truffe. Des guerriers ? Ilsn’étaient rien d’autre que desvoleurs et des persécuteurs. Nousles rattraperons peut-être avantqu’ils atteignent la frontière. Il nedemandait qu’à se battre. Il vaincraitle Clan du Vent tout comme il avaitvaincu les chats des montagnes. Ilsn’étaient tous qu’une sale bande devoleurs de gibier !

Flocon de Neige, qui filait en tête,fit signe à la patrouille de ralentir.C’était le meilleur pisteur du Clan.Aucun fumet ennemi ne luiéchapperait. Il les conduisit droitvers la frontière, s’arrêtant de tempsà autre pour renifler des brindilles etdes feuilles avant de hocher la tête etde guetter la trace suivante.

Alors qu’ils approchaient de lapartie de la forêt qui appartenait auClan du Vent, il s’arrêta devant unpetit if. Il le flaira puis tourna la tête,les oreilles dressées. Il gagna uneravine, où il renifla un buisson deronces d’un air interdit. Il sauta surle talus, qui surplombait le torrent et

ouvrit la gueule pour mieux détecterles odeurs. Il finit par secouer la têteet se tourner vers ses camarades.

« Qu’est-ce qu’il y a ? s’enquitPelage de Poussière.

— Ils se sont séparés ici, miaulaFlocon de Neige.

— Quoi ? s’exclama le guerrierbrun.

— Un groupe est parti par ici »,expliqua le matou blanc, la queuetendue vers l’if.

Vers l’ancien Chemin duTonnerre ! Nuage de Lion eut unmauvais pressentiment.

« Un autre par là, poursuivitFlocon de Neige, le museau pointant

le lac. Et l’autre…— L’autre ? le coupa Bois de

Frêne, incrédule.— Le troisième groupe s’est

enfoncé dans les bois. »Nuage de Lion déglutit. C’était là

que se trouvait la renardièreabandonnée.

« Donc aucun d’entre eux n’afranchi la frontière ? s’enquit Pelagede Granit, qui tournait autour de sescamarades, la fourrure en bataille.

— C’est ce que j’en conclus,confirma Flocon de Neige. Lesodeurs ne vont pas plus près de lafrontière.

— Il n’y a aucune trace fraîche

sur la frontière ? » insista-t-il.Flocon de Neige secoua la tête.« C’est donc qu’ils ne sont pas

venus par ici à l’aller non plus,déclara Pelage de Granit.

— Ils ont dû passer par la lande», conclut Bois de Frêne.

Nuage de Lion pria pour que cesoit vrai. Mais il ne pouvait oublierla renardière qu’il avait découverteaprès Nuage de Houx. Est-ce que leClan du Vent l’avait trouvée aussi ?Était-il passé par là pour les envahir? Il se retint de courir de touteurgence au roncier pour s’en assurer.Comment expliquer ses soupçonsaux autres ?

« Nous devrions rentrer au camp,suggéra Bois de Frêne. L’ennemi esttoujours sur nos terres. »

Les yeux ronds, il passa sescamarades en revue avant de détaler.Nuage de Lion fila derrière lui,Flocon de Neige et Pelage dePoussière sur les talons.

« Étoile de Feu ! » hurla Pelagede Poussière lorsqu’il déboula dansle camp peu après.

À son grand soulagement, Nuagede Lion constata que le camp étaitcalme. Nuage de Renard et Nuage deGivre passaient des tiges de roncesà Cœur Blanc pour renforcer leursdéfenses. Patte d’Araignée en

apportait d’autres qu’il prélevaitderrière la tanière de la guérisseuse,pendant que Truffe de Sureau etPelage de Miel déposaient de laboue et des feuilles à la base de lahaie pour la consolider. Plume Grisefaisait les cent pas devant lapouponnière, les poils hérissés. Poilde Souris et Longue Plume étaienttapis sur la Corniche.

Étoile de Feu, qui discutait avecGriffe de Ronce au milieu de laclairière baignée de lune, relevaaussitôt la tête.

« Ils sont partis ? »Pelage de Poussière fit non de la

tête.

« Quoi ? s’étrangla le meneur, lesgriffes plantées dans le sol.

— Ils se sont séparés en troisgroupes avant de disparaître.

— Ils se sont séparés ? répétaPlume Grise, qui accourut.

— Ils veulent nous affaiblir ennous forçant à diviser nos forces,gronda Griffe de Ronce.

— L’attaque du camp n’était quele début, conclut Étoile de Feu. Ilsveulent nous attirer dans la forêt.

— S’ils se sont séparés, ils sesont affaiblis, eux aussi, fitremarquer Pelage de Poussière.

— Mais ils ont l’avantage de lasurprise, marmonna Plume Grise. Ils

savent que nous arrivons.— Et nous ignorons où ils se

cachent », finit Pelage de Poussière.Cœur Blanc les rejoignit, tout

comme Patte d’Araignée, Truffe deSureau et Pelage de Miel.

« Nous savons quelles directionsils ont prises, précisa Flocon deNeige en expliquant sa découverte.

— Au nom du Clan des Étoiles,comment parviennent-ils à s’orienter? se demanda Pelage de Poussière.

— On dirait qu’ils connaissentnotre territoire bien mieux que nousne l’imaginions.

— C’est impossible ! insistaGriffe de Ronce. Nos patrouilles les

ont empêchés de franchir lafrontière. »

Nuage de Lion les écoutait ensilence, le ventre noué. Il imaginaittrop bien les guerriers du Clan duVent sortant nuit après nuit de larenardière, se rendant jusqu’au cœurmême du territoire du Clan duTonnerre, guettant des endroitsstratégiques pour se battre.

Le tunnel de ronces frémit puisAile Blanche déboula dans le camp.

« Aucun signe de trouble sur lafrontière du Clan de l’Ombre ! »

Poil de Fougère et Nuage de Houxsurgirent à sa suite, talonnés parNuage de Givre et Poil de

Châtaigne.« Le Clan du Vent s’est séparé en

trois groupes. Ils sont toujours surnotre territoire, leur annonça Étoilede Feu. Je vais désigner troispatrouilles de guerriers pour allerles débusquer. Une quatrièmeescouade restera en arrière pourdéfendre le camp. Plume Grise, ellesera sous tes ordres. »

Le matou hocha la tête.« Je dirigerai une patrouille.

Griffe de Ronce, tu mèneras ladeuxième et Pelage de Poussière latroisième. »

Entre-temps, le Clan tout entiers’était rassemblé autour du meneur.

Assis devant leur tanière, Feuille deLune et Nuage de Geai écoutaientattentivement. Étoile de Feu scrutales visages anxieux de ses guerriers.

« Le Clan du Tonnerre défendrason territoire, promit-il. Pelage deGranit, Nuage de Lion, Truffe deSureau, Patte d’Araignée, PavotGelé, suivez-moi. Griffe de Ronce etPelage de Poussière, choisissez voscombattants. Feuille de Lune etNuage de Geai resteront au campavec les reines et les anciens. CœurBlanc et Aile Blanche, vous lesprotégerez. Vous aussi, Nuage deCendre, Fleur de Bruyère et Nuagede Givre. »

Nuage de Cendre faillit protesteravant de se reprendre.

Nuage de Givre ne fut pas siavisée :

« Mais je…— Tu crois que les chatons et les

anciens ne valent pas la peine qu’onles défende ?

— S-si, bien sûr ! »Pelage de Poussière et Griffe de

Ronce rassemblèrent leurspatrouilles. Le Clan se répartit entreeux tel un torrent divisé par unrocher.

« Prêts ? » demanda le meneur.Griffe de Ronce fit signe à Patte

de Mulot et à Plume de Noisette de

le rejoindre avant de hocher la tête.« Et moi ? lança Nuage de

Renard.— Tu viens avec nous, bien sûr »,

lui répondit Poil d’Écureuil, assise àcôté de Pelage de Poussière.

L’apprenti se précipita pourrejoindre son mentor.

« J’irai dans les bois près de lafrontière », annonça Étoile de Feu.

Nuage de Lion dressa l’oreille.Aurait-il une chance d’aller voir larenardière ? Il pourrait peut-êtremême sceller l’ouverture…

« Griffe de Ronce, poursuivit lerouquin, tu iras sur la frontière duClan de l’Ombre. Va voir le nid de

Bipèdes abandonné. Pelage dePoussière… tu iras vers le lac. »

Nuage de Lion se précipita versNuage de Houx.

« Sois prudente, d’accord ?— Je ferai mon devoir »,

répliqua-t-elle.Le pelage gris tigré de Nuage de

Geai brillait au clair de lunelorsqu’il s’approcha d’eux.

« Vous devez revenir tous lesdeux », miaula-t-il, une lueur deterreur dans ses yeux bleus.

La prophétie ! Il n’y avait doncrien de plus important pour lui ?Leur territoire était en jeu.

« Bien sûr que nous reviendrons

», promit Nuage de Houx, la gorgeserrée.

Elle frotta sa joue contre celle deson frère aveugle. Nuage de Lion sesentit un peu coupable. Peut-être queNuage de Geai était simplementinquiet pour eux.

« Nuage de Lion ! » lança Étoilede Feu à l’embouchure du tunnel deronces – la patrouille partait déjà.

« Bonne chance ! » murmural’apprenti à son frère et à sa sœuravant de s’élancer derrière sescamarades.

Étoile de Feu les entraîna à touteallure dans la forêt, à l’abri dessous-bois. Nul ne parlait. Dans

l’obscurité, Nuage de Lion seprenait les pattes dans les racines ettrébuchait sur les pierres. Ils allaientau combat, mais son excitationhabituelle était dominée parl’inquiétude. Et s’il avait vu juste ?Et si le Clan du Vent s’était bel etbien servi de la renardière pourarriver en douce ?

L’odeur du Clan du Ventempuantissait l’air. Pire, elledevenait de plus en plus prégnante àmesure qu’ils approchaient de lafrontière, au point qu’il eut bientôtl’impression que chaque feuille,chaque brindille en était imprégnée.Le cœur de l’apprenti s’emballa.

Pourquoi n’avait-il rien fait pourcondamner l’ancienne renardière ? Ilaurait dû avertir Étoile de Feu, ou laboucher lui-même.

Un feulement courroucé le fitsursauter.

« Les lâches ! Les sales cœurs derenard ! » feula Étoile de Feu.

En jaillissant des taillis, Nuage deLion vit que son chef se dressaitdevant la roncière qui dissimulaitl’entrée des souterrains. Lapatrouille se rassembla autour delui. Même dans l’obscurité, lesempreintes de leurs ennemis étaientvisibles. Le sol de la forêt avait étéretourné par les allées et venues des

intrus.« Il y a des lunes qu’ils doivent se

servir de ce passage ! gronda Pelagede Granit.

— En tout cas, ils sont passés parlà cette nuit, c’est certain »,confirma le rouquin en reniflantl’ouverture.

Patte d’Araignée fit quelques pasdans la trouée où Nuage de Lions’était faufilé quelques jours plustôt.

« Il y a une galerie, là-dedans,confirma-t-il en ressortant. Je ne suispas descendu très profondément,mais ça pue le Clan du Vent. Çamène tout droit à leur territoire, c’est

évident.— Alors nous devons condamner

l’entrée, ordonna Étoile de Feu. Plusaucun guerrier du Clan du Vent nepourra nous envahir par ici.

— Ils sont déjà là, miaula PavotGelé en jetant des coups d’œilinquiets autour d’elle.

— Nous nous occuperons d’euxensuite, promit Étoile de Feu avantde s’emparer d’une branche morte etde la fourrer au milieu de laroncière. Nous nous occuperons dela galerie plus tard. Bloquer cepassage suffira pour l’instant. »

Pelage de Granit se tourna et semit à projeter de la boue dans

l’ouverture, et les autres l’imitèrentaussitôt. Nuage de Lion prit uneautre branche dans sa gueule et la fitglisser près de celle de son chef.Pourquoi n’avait-il pas fait cela plustôt ?

Étoile de Feu l’écarta du bout dumuseau.

« Toi et Pavot Gelé, vous montezla garde. Les autres, vous venezavec moi, nous allons inspecter lereste de la frontière. »

Il les entraîna au loin en silence –ils rampaient tous comme s’ilstraquaient du gibier. Et le gibier estle Clan du Vent.

Pavot Gelé faisait les cent pas

devant Nuage de Lion, la truffefrémissante.

« Tu sens quelque chose ? » luidemanda-t-il.

Elle ouvrit la gueule pourrépondre avant de se figer : unbuisson avait frémi à quelqueslongueurs de queue.

Une ombre se glissa vers elle.Belle-de-Nuit !« On nous atta… »L’alerte de Nuage de Lion fut

coupée net lorsque Poil de Lièvrejaillit d’un bouquet de fougères et lefit tomber au sol. Feulant de plusbelle, Nuage de Lion se remit sur sespattes tandis que les guerriers

ennemis surgissaient des ombres toutautour de lui.

CHAPITRE 13

LE VENT SE LEVA sur la forêt. Lesbranches claquèrent et une pluie defeuilles tomba sur la patrouille deNuage de Houx.

Il fait si sombre !

Elle leva la tête. Nulle étoile nebrillait dans le ciel et les nuagesavaient voilé la lune.

La queue de Poil de Fougère luifrôla la joue. Il n’était qu’à quelquespas devant elle, mais elle le voyait àpeine.

« Reste près de moi », murmura-t-il.

L’escouade progressait lentement.Le Clan du Vent pouvait être partout,à l’affût.

Soudain, le cri étouffé de Patte deMulot venu de derrière la fitsursauter :

« Aïe !— Ça va ? s’enquit-elle.

— Une ronce m’a griffé l’œil. »Nuage de Houx s’arrêta un instant

pour examiner la coupure de soncamarade. Du sang lui coulait autourde l’œil, déjà gonflé.

Le jeune guerrier s’essuya la joued’un revers de patte.

« Ça ira, miaula-t-il.— Ne traînez pas ! » leur lança

Poil de Fougère.Nuage de Houx pressa l’allure

tout en guidant Patte de Mulot. Elleavait l’impression de courir àl’aveuglette. Ses coussinets foulaientdes feuilles, de la boue ou desracines emmêlées. Le cœur battant,elle huma l’air pour essayer de

deviner où elle se trouvait. Voilà ceque devait ressentir Nuage de Geaien permanence.

Lorsque ses griffes crissèrent surde la pierre, elle comprit qu’ilsavaient atteint l’ancien Chemin duTonnerre. Il était semé de touffesd’herbes et elle devait prendre gardeà ne pas trébucher.

« Restez groupés », ordonnaGriffe de Ronce. Nuage de Houxdevinait tout juste sa silhouette dansl’obscurité. « Le Clan du Ventn’aura aucun mal à nous prendre parsurprise. »

Que veut le Clan du Vent ? Cettequestion tournait en boucle dans la

tête de Nuage de Houx. Tout notreterritoire ? Alors où irions-nous ?Nous n’avons pas mérité ça ! Seulle Clan du Tonnerre s’était montrésecourable quand tous les autres s’yrefusaient. Chipie, Millie, Pelaged’Orage et Source auraient dûsurvivre comme des solitaires si leClan du Tonnerre ne les avait pasaccueillis. Et Étoile de Feu n’auraitpas pu sauver le Clan du Tonnerre –et tous les autres Clans – si ÉtoileBleue ne l’avait pas recueilli alorsqu’il était un chat domestique, biendes lunes plus tôt.

Pourquoi les autres Clans enfaisaient-ils toute une histoire ?

Parce que le code du guerrierrejette les chats domestiques, lessolitaires et les chats errants.

Nuage de Houx eut l’impressionque la terre se dérobait sous sespattes. Son Clan déviait de ce quiétait le code du guerrier depuistoujours ! En relevant la tête, elleaperçut le nid de Bipèdes abandonnéqui se dressait d’un air menaçantcontre le ciel noir.

« Embuscade ! »Le cri de Griffe de Ronce la tira

de ses réflexions. Elle constata alorsque le nid grouillait de guerriersennemis. Ils attaquaient tel unescadron fantôme.

« Déployez-vous ! » ordonna lelieutenant.

Où ça ? Nuage de Houx tenta devoir dans quelle direction pointait saqueue, sauf qu’il faisait trop noir. LeClan du Vent fondit sur le lieutenantet il disparut dans une masse defourrures sombres. Terrifiée, elle vitdeux guerriers ennemis – Poil deBelette et Patte de Braise – foncerdroit vers elle. Dans leurs yeuxbrillait leur soif de sang. Incapablede réagir, elle se retrouva à roulerau sol sous leurs coups.

Rappelle-toi ton entraînement !La colère fusa en elle telle la

foudre et elle se releva d’un bond,

toutes griffes dehors, prête àriposter. Elle blessa Poil de Beletteau museau et sentit le sang duguerrier imprégner sa fourrure.

Patte de Mulot apparut prèsd’elle, son œil blessé à demi fermé,et se jeta sur Patte de Braise pendantque l’apprentie frappait de nouveauPoil de Belette. Elle dut reculer d’unbond pour laisser passer Poil deFougère, qui roulait au sol avecOreille Balafrée. Son adversaire enprofita pour lui décocher un coupterrible à la tête qui la fit chanceler.Elle perdit l’équilibre et tomba surle sentier de pierre. Une lueurtriomphale embrasa le regard de

Poil de Belette qui se laissa tombersur elle, les crocs découverts. Lesang rugit aux oreilles de Nuage deHoux qui lutta contre un accès depanique. Elle se tordit juste à tempspour éviter les crocs acérés duguerrier et le frappa avec ses pattesarrière.

Oui ! Percuté en plein ventre, ilfut forcé de reculer, ce qui permit àla novice de se relever d’un bond etde lui mordre une patte.

« Bravo », la complimenta Poil deFougère, arrivé à la rescousse.

Il se dressa sur ses pattes arrièreet cloua Poil de Belette au sol.Nuage de Houx attaqua de nouveau

et sentit le goût du sang dans sagueule lorsqu’elle lui mordit uneautre patte. Le guerrier du Clan duVent poussa un cri de douleur ets’enfuit dans l’ombre.

Tout en reprenant son souffle,Nuage de Houx balaya la mêlée duregard.

Cœur d’Épines luttait contre deuxadversaires. Tandis qu’il enrepoussait un, l’autre lui mordait lespattes.

La fourrure blanche de Flocon deNeige brillait devant le nid deBipèdes. Il était encerclé. Sonpelage le trahit !

Tout près, Patte de Mulot poussa

un cri soudain. Alors que Patte deBraise l’avait cloué au sol, il sedébattait dans tous les sens, à demiaveugle à cause de son œil blessé.

« Je m’en occupe, souffla Poil deFougère. Toi, va aider Flocon deNeige. »

Nuage de Houx s’élança, maisGriffe de Ronce, qui l’avait prise devitesse, avait déjà arraché les deuxmatous du dos du guerrier blanc et illes jetait au loin comme de vulgairesfeuilles mortes. Ses yeuxétincelèrent lorsqu’il vit sa fille.

« Nous sommes en inférioriténumérique, siffla-t-il. Tu dois allerdemander de l’aide à Étoile de Jais !

— Moi ? » hoqueta-t-elle.Comment pourrait-elle persuader

le chef du Clan de l’Ombre de sebattre pour le Clan du Tonnerre ?

« Vas-y ! hurla Griffe de Ronce.Étoile de Jais préférera partager safrontière avec nous plutôt qu’avec ceramassis de cœurs de renard ! »

Les deux guerriers du Clan duVent s’étaient relevés et retournaientà l’assaut. Avant que Griffe deRonce disparaisse dans un tourbillonde fourrure, il lui jeta un ultimeregard en hurlant :

« Va-t’en ! »Nuage de Houx détala aussitôt. Un

sang glacé coulait dans ses veines.

Comment parviendrait-elle àtraverser le territoire du Clan del’Ombre seule ? Mes camarades ontbesoin d’aide. Cette idée luiredonna courage. Et son pelage noirla camouflerait.

Elle se glissa dans les ombres quilongeaient le Chemin du Tonnerrepuis obliqua dans les bois dèsqu’elle sentit la frontière. Ellen’était jamais allée par là. Commenttrouverai-je leur camp ?

La truffe au sol, elle se fraya unpassage dans la forêt qui changeaitpeu à peu sous ses pattes : les largesfeuilles glissantes firent place auxaiguilles piquantes. Les taillis

s’espacèrent, les troncs s’amincirentà mesure qu’elle quittait la forêtpour s’enfoncer dans la pinède. Laforte odeur du Clan de l’Ombre lahérissa. Elle devait être en train defranchir la frontière. Elle rampait auras du sol, soulagée qu’il fasse nuit.Elle ne voulait pas se fairesurprendre par une patrouilleméfiante, car elle comptait arriverdirectement au camp pour pouvoirparler à Étoile de Jais. Elle sefaufila entre les arbres, rasant leurtronc pour que leur ombre ladissimule.

Où est le camp ? Son cœur cognaplus fort encore. Elle huma l’air.

L’odeur du Clan de l’Ombre luiinonda la gueule. Reprenant espoir,elle continua à progresser, la truffeau sol. Un sentier ! D’innombrablespattes de guerriers de l’Ombreétaient passées par ici. Il devaitmener au camp !

Elle suivit la piste, les pattestremblantes, puis, en relevant la tête,elle vit une ombre menaçante devantelle. Une énorme roncière bloquaitle passage. Est-ce que derrière setrouvait leur camp ? Elle ralentit, lesoreilles dressées. Elle entendit desmiaulements étouffés. Un chatongémit et le roncier frémit.

Aucun doute, c’est bien là.

Elle s’approcha plus près encore,contournant les épines en sedemandant où était l’entrée.

« Qui va là ? »Le feulement l’avait fait sursauter.

Elle cilla et vit qu’une chattebloquait le passage. C’était Plumede Lierre. Nuage de Houx lareconnut car elle avait déjà vu sonpelage blanc et écaille lors desAssemblées.

« Je suis Nuage de Houx, du Clandu Tonnerre, expliqua-t-elle, lesouffle court. C’est Griffe de Roncequi m’envoie. Je dois parler à Étoilede Jais. »

Plume de Lierre avança

prudemment et renifla l’apprentie enremuant les moustaches. Elle scrutaensuite la forêt.

« Où est le reste de ta patrouille ?— Je suis seule. »Nuage de Houx repéra une trouée

dans la roncière. L’entrée ? Est-ceque la guerrière la gardait ?

« Aucun guerrier digne de ce nomn’enverrait une apprentie seule enterritoire ennemi.

— C’est une urgence, et je doisparler à Étoile de Jais », insista lanovice, les griffes plantées dans lesol.

Mes camarades sont en train dese faire réduire en charpie !

« Tu as l’intention de le distrairependant que tes camarades nousattaquent ? feula la guerrière. Vousnous prenez vraiment pour descervelles de souris ? »

Nuage de Houx perdit patience.D’un coup d’épaule, elle écarta lachatte blanche et écaille de sonpassage et fila droit versl’ouverture. Plume de Lierre selança à sa poursuite tandis qu’elledéboulait dans le camp du Clan del’Ombre.

Un grand matou tigré pivota pourse retrouver nez à nez avecl’apprentie.

« Au nom du Clan des Étoiles,

qu’est-ce qui se… ?— Où est Étoile de Jais ? »Le matou fit le gros dos, les yeux

écarquillés.« Nuage de Houx ! » lança alors

une voix familière tout près d’elle.La novice fut aussitôt soulagée en

reconnaissant Pelage d’Or.« Il faut que tu m’aides ! gémit-

elle, au désespoir.— Calme-toi et explique-moi ce

qui se passe.— Il n’y a pas de temps à perdre !

Le Clan du Vent nous attaque, et lapatrouille de Griffe de Ronce n’estpas assez nombreuse. Il m’a envoyéechercher de l’aide ! »

Pelage d’Or se raidit.« Suis-moi. »Elle lui fit traverser la clairière et

l’entraîna dans une ouverture aumilieu des épines. À l’intérieur,Nuage de Houx cilla pour tenter d’yvoir quelque chose.

« Étoile de Jais, lança Pelaged’Or à une ombre au fond de latanière, le Clan du Tonnerre abesoin de notre aide. »

Du bout de la queue, elle caressale flanc de Nuage de Houx pourl’inviter à parler.

« Salutations, Étoile de Jais,miaula l’apprentie en s’inclinant.Excuse-moi d’avoir pénétré dans

votre camp, mais c’est une questionde vie ou de mort. Le Clan du Vent aenvahi notre territoire. Les guerriersgrouillent dans notre forêt et ils sonttrop nombreux pour nous. Tu doisnous aider ou ils nous chasseront. »

Étoile de Jais sortit de l’ombre,les yeux ronds.

« Va chercher Feuille Rousse »,murmura-t-il à Pelage d’Or.

La guerrière se faufila hors de latanière, laissant Nuage de Houxseule avec Étoile de Jais.

« Combien de guerriers du Clandu Vent ? lui demanda-t-il.

— Je crois que le Clan est venutout entier, à l’exception des anciens

et des chatons.— Où sont-ils ?— Griffe de Ronce affronte une

patrouille près du nid de Bipèdesabandonné, répondit-elle en essayantde maîtriser sa voix tremblante.Étoile de Feu est parti vers lafrontière et Pelage de Poussièretraque une autre patrouille près dulac.

— Voilà qui ressemble à uneinvasion bien préparée, déclaraFeuille Rousse en entrant avecPelage d’Or.

— C’est le cas, confirmal’apprentie. Nous ne nous yattendions pas du tout. »

Le lieutenant agita les moustaches.« Le Clan du Tonnerre s’est fait

prendre par surprise, hein ? »Son ton amusé mit Nuage de Houx

hors d’elle.« Mes camarades sont en train de

mourir pendant que vous parlez !— C’est vrai, reconnut la

guerrière en s’asseyant. L’affaire estsérieuse. Nous ne pouvons paslaisser un Clan se faire chasser. »

Nuage de Houx contempla Étoilede Jais. N’avait-il donc rien à dire ?

« Il y a toujours eu quatre Clansdans la forêt, reprit Feuille Rousse.Étoile Solitaire semble l’avoiroublié. Nous serons tous fragilisés si

l’un des Clans disparaît. Pourtant…est-ce que le Clan de l’Ombre doitrisquer la vie de ses propresguerriers pour soutenir le Clan duTonnerre ? »

Oui ! Nuage de Houx guetta laréaction du meneur. Oh, pitié, disoui !

« Nous viendrons, annonça-t-il ense levant, au grand soulagement dela novice. Feuille Rousse organiserala patrouille. »

Dépêchez-vous ! Pelage d’Or dutlire dans ses pensées car elle la fittaire en faisant glisser le bout de saqueue sur son museau.

« Je peux partir sur-le-champ

avec Nuage de Houx, suggéra laguerrière. Je les aiderai de monmieux en attendant les renforts. »

Étoile de Jais plissa les yeux d’unair méfiant. Se demandait-il siPelage d’Or s’inquiétait surtout pourson frère, Griffe de Ronce, et pourses anciens camarades de Clan ?

Peu importe ! Allons-y !« Très bien », fit le meneur.Pelage d’Or s’inclina et sortit de

la tanière à reculons.« Oh, merci ! » s’écria la novice

avant de suivre la chatte.Elle faillit trébucher sur les

chatons qui couraient dans les pattesde leur mère, juste devant l’antre de

leur chef.« Petite Aube, Petite Flamme,

restez en dehors de mon chemin ! »les gronda Pelage d’Or.

Une troisième boule de poilssautait sur place devant elle.

« Nous voulons aller nous battre !couina-t-il.

— Petit Tigre ! Tu nous as encoreespionnés ? »

La chatte eut beau foudroyer sonfils du regard, la tendresse se lisaittoujours au fond de ses yeux.

Nuage de Houx ronronna malgréelle devant leurs petites queuesgonflées.

« Désolée pour mes chatons,

miaula la chatte. Ils ont hâte dedevenir des guerriers.

— J’étais comme eux, je m’ensouviens encore », ronronna Nuagede Houx.

Pelage d’Or poussa ses petits versun if. Une reine blanche attendait àl’entrée.

« Veille sur eux, Oiseau de Neige,miaula la chatte écaille. Assure-toiqu’ils ne quittent pas le camp.

— Ne t’inquiète pas, je connaistoutes leurs ruses, la rassura sacamarade.

— Je serai revenue dans un riende temps… Si le Clan des Étoiles leveut », ajouta-t-elle dans un

murmure.Nuage de Houx jeta un coup d’œil

vers le ciel. Les nuagess’effilochaient devant la lune.

« Guerriers de jadis, aidez-nous !— Suis-moi », lui dit Pelage

d’Or.Elle lui fit traverser la pinède

jusqu’à une clairière où passait uncours d’eau. C’était le bout deterritoire que le Clan du Tonnerreavait cédé des lunes plus tôt au Clande l’Ombre. Les Bipèdes y vivaientdans d’étranges nids colorés, maisseulement à la saison des feuillesvertes.

« Baisse-toi », lui conseilla la

vétérante, qui traversa la clairière àtoute vitesse et franchit le coursd’eau là où il était le plus étroit.Tout était silencieux autour d’elles.

Elles furent bientôt dans la forêtdu Clan du Tonnerre. Pelage d’Orconnaissait visiblement bien leterrain. Elle se dirigea droit versl’ancien Chemin du Tonnerre et lesuivit d’un pas presque silencieuxsur la pierre.

Nuage de Houx dressa l’oreille,soudain terrifiée. Était-elle partietrop longtemps ? Est-ce que le Clandu Vent avait déjà chassé les siens ?

Un cri féroce l’informa que labataille faisait toujours rage. Pelage

d’Or se remit à courir et Nuage deHoux fila derrière elle. Le nid deBipèdes abandonné se dressasoudain devant elles, des feulementsdéchiraient l’air. Flocon de Neige sebattait avec deux guerriers du Clandu Vent. Sa fourrure, tachée de sang,pendouillait par endroits. Poil deFougère poussa un cri de fureur touten se débarrassant d’un matou tigréagrippé à son dos. Griffe de Ronceet Patte de Mulot se battaient côte àcôte, repoussant une ligne d’ennemiscontre la paroi de pierre du nid deBipèdes. Pelage d’Or feula de rageet se jeta dans la bataille.

Nuage de Houx contempla la

scène. Cette guerre ne finirait-elledonc jamais ? Elle sortit les griffeset courut défendre ses camarades.

CHAPITRE 14

« JE NE SUPPORTE PAS de lesentendre se battre sans pouvoir lesaider », se lamenta Fleur deBruyère, tapie dans la clairière àcôté de Nuage de Geai.

Au loin, des gémissements et des

cris résonnaient dans la forêt.« Nous avons besoin de toi au cas

où le camp serait de nouveau prisd’assaut, lui rappela l’apprentiguérisseur.

— Attendre, c’est pire que sebattre.

— Concentre-toi sur les bruits denotre camp.

— Quels bruits ? »La guerrière se crispa près de lui,

l’oreille tendue. Ne distinguait-ellepas les murmures et les frottements àl’intérieur de la tanière d’Étoile deFeu ?

Longue Plume et Poil de Souriss’y étaient réfugiés avec Millie,

Chipie et les chatons. Ils semblaientun peu à l’étroit.

« Où est-ce que je suis censém’asseoir ? se plaignait l’ancien.

— Reste où tu es, rétorqua Poilde Souris de sa voix rauque. Si tubouges, tu risques d’écraser un autrechaton. »

Les miaulements reprirent de plusbelle jusqu’à ce que Millie chuchote:

« Tout va bien, mes petits. N’est-ce pas amusant d’être dans l’antre duchef ?

— Je veux sortir pour me battre !couina Petit Crapaud. Pas restercoincé dans ce trou.

— Tu vas faire vieillir ta mèreavant l’âge, à parler comme ça,gronda Poil de Souris. Tu es tropjeune pour te battre. Arrête de teplaindre et rends-toi utile, commePetite Rose. »

La petite chatte aidait les reines àcalmer les nouveau-nés en miaulantdoucement.

« Vous croyez qu’ils vont revenir? s’inquiéta Chipie.

— Quoi qu’il arrive, personne nefera de mal à nos petits », grondaMillie.

Pourtant, Nuage de Geai percevaitsa peur. Elle ne pouvait rien fairepour aider ses camarades dans la

forêt.Plume Grise, Aile Blanche et

Nuage de Givre patrouillaientdevant le tunnel de ronces. Ils étaienttrop occupés à guetter le moindresigne de danger pour discuter. Nuagede Geai entendait de temps en tempsNuage de Givre se rouler au sol.Elle doit répéter ses attaques.

Dans la combe même, CœurBlanc tournait en rond. Elles’arrêtait parfois et Nuage de Geaidevinait qu’elle scrutait les rochersau sommet de la combe au cas oùdes guerriers du Clan du Ventchercheraient à descendre en douce.Nuage de Geai avait confiance en

elle ; comme elle était borgne, sonouïe et son odorat étaient presqueaussi bons que les siens. Personnene pourrait entrer sans qu’elle s’enaperçoive. Quant à Nuage deCendre, elle quadrillait la clairière,la fourrure en bataille.

« Tu es certaine que ta patte vabien ? » lui demanda Nuage de Geai.

Il avait peur qu’elle ne la fragiliseà force de faire les cent pas.

« Elle est bien plus robuste depuisque je vais nager, le rassura-t-elle.

— Repose-toi un peu.— D’accord, je vais m’asseoir

sur la Corniche. »Nuage de Geai voulut lui

déconseiller de grimper l’éboulis,mais elle paraissait si déterminéequ’il renonça. L’attaque du blaireau,qu’il avait vue dans l’esprit deFeuille de Lune, lui revint en têtedans un tourbillon d’images etd’impressions confuses : unefourrure noir et blanc défonçant leshaies de ronces, des mâchoiresclaquantes, la puanteur du sang, descris de chatons terrifiés. MuseauCendré était morte pour les protéger.Est-ce que l’écho de ce souvenirrésonnait dans l’esprit de Nuage deCendre ? Si c’était le cas, alors rienne la dissuaderait de protéger lespetits.

Il pria pour que sa patte blesséene glisse pas sur les pierres etpoussa un soupir de soulagement enl’entendant s’installer devant latanière d’Étoile de Feu.

Feuille de Lune était dans sonantre, occupée à préparer des rationsde remèdes. Leurs arômes puissantsflottaient jusqu’à lui.

« Nous sommes parés à tout,miaula Nuage de Geai pourréconforter Fleur de Bruyère. LeClan du Tonnerre ne se laissera pasvaincre aussi facilement qu’ÉtoileSolitaire semble le penser.

— Bon, et si tu me disais ce quetu penses vraiment…

— Comment ça ? »Cela ne ressemblait pas à la

guerrière de se montrer si sceptique.« Il est de ton devoir

d’encourager tes camarades, maisque t’a dit le Clan des Étoiles àpropos de cette bataille ?

— Le Clan des Étoiles n’a riendit, avoua-t-il.

— Rien du tout ?— Non. »Fleur de Bruyère se ramassa un

peu plus sur elle-même, lesmoustaches frémissantes.

Est-ce que les guerriers de jadisétaient eux aussi surpris par cetteattaque ? Ou étaient-ils juste du côté

du Clan du Vent ?« Comment Nuage de Cendre est-

elle arrivée là-haut ? s’enquitFeuille de Lune en les rejoignant.

— Elle a grimpé toute seule. Jelui ai dit de ménager sa patte, ajouta-t-il en voyant son mentor se hérisser.Et il n’y a que là qu’elle acceptait dese poser.

— N’essaie pas de descendretoute seule ! lança la guérisseuse.

— Je n’ai pas besoin d’aide ! Mapatte va bien !

— Elle est suffisammentintelligente pour savoir qu’elle doitse montrer prudente. Elle a travaillédur pour rééduquer sa patte et elle

sait mieux que nous deux ce dontelle est capable ou pas. N’oubliepas qu’elle veut plus que toutdevenir une guerrière. Elle ne ferarien qui risque de compromettre seschances. »

Feuille de Lune ne répondit pas.« Fais-lui confiance », insista

l’apprenti guérisseur.Et fais-moi confiance !Elle soupira avant de lui

demander :« Est-ce que tu arrives à savoir ce

qui se passe dans la forêt ? »Soulagé par ce changement de

sujet, Nuage de Geai projeta sessens hors de la combe, concentré sur

les cris éloignés. Peu à peu, il putles identifier.

« La patrouille de Pelage dePoussière se bat près du lac. Celled’Étoile de Feu est tombée dans uneembuscade non loin de la frontièredu Clan du Vent. Et l’escadron deGriffe de Ronce s’est fait attaquerdevant le nid de Bipèdes abandonné.»

Finalement, il regretta qu’ellel’ait interrogé. À présent, des imagesde chats au corps à corps, depelages ensanglantés, de chairdéchirée sous les crocs défilaientdans son esprit. Il frémit.

« Laisse-moi y aller, la supplia-t-

il.— Hors de question !— Certains de nos camarades

sont blessés ! Je pourrais lesramener au camp. »

Il devait faire quelque chose pouraider les siens. Là, il était inutile,même en cas d’attaque du Clan duVent.

« Je te rappelle que tu es aveugle!

— Et alors ? rétorqua-t-il entournant vers elle son regard bleuimmense. Il fait nuit, je seraiavantagé. Je pourrai entendre lesautres alors qu’eux ne pourront pasme voir.

— Bon… Sois prudent, d’accord?

— Je ne laisserai personnem’approcher. »

La prophétie me protège.« Mieux vaut commencer à

soigner les blessés le plus tôtpossible », conclut-elle d’une voixmal assurée.

Jamais ils n’avaient connusemblable bataille, livrée àplusieurs endroits à la fois sur unmême territoire. En voulant lire dansles pensées de son mentor, ildécouvrit que son esprit n’était pasplongé dans le brouillard, mais dansles ténèbres.

Ils se battaient tous à l’aveuglette.Nuage de Geai se dressa.« J’y vais. Il n’y a pas de temps à

perdre.— Fais attention », murmura-t-

elle en lui touchant la joue du boutdu museau.

Lorsqu’il sortit du tunnel deronces, Plume Grise lui lança,surpris :

« Où vas-tu ?— Feuille de Lune dit que je peux

aller chercher les blessés.— Tu veux une escorte ? proposa

Aile Blanche.— Seul, j’aurai moins de mal à

rester caché.

— Fais-toi discret, conseillaPlume Grise. Si tu entends dugrabuge, garde tes distances.

— Promis.— Que le Clan des Étoiles

t’accompagne », lança Aile Blanche,tandis que l’apprenti guérisseurs’éloignait.

Tout en se frayant un passage dansles taillis, Nuage de Geai sedemanda quels ancêtresl’accompagnaient. Les ancêtres deFeuille Morte, peut-être ? Ou ceuxde la Tribu ?

Il s’arrêta, les sens en alerte.Quelle bataille était la plus proche ?Il entendit une plainte venue de la

rive. Le lac. Il irait d’abord là-bas.Il se laissa guider par l’odeur de

l’eau et dérapa un peu dans unedescente. Il se retrouva au piedd’une butte – derrière retentit ungrognement. Quelqu’un venait detomber au sol. En levant la truffe,Nuage de Geai reconnut les odeursde Poil de Châtaigne et Pelage deMiel. Celle-ci feula tout en donnantun coup de griffes à un chat. Un cris’éleva, suivi d’un grattement depattes sur le sol couvert de feuilles.Qui donc affrontaient-elles ?

Il huma de nouveau l’air ens’attendant à découvrir l’odeur duClan du Vent. Mais cette senteur

était différente. Plus aquatique, avecdes relents de poisson.

Le Clan de la Rivière !Ils étaient deux.Au nom du Clan des Étoiles, que

font-ils ici ?Il avança et se faufila sous un

groseillier. Les feuilles douces luicaressèrent le dos. Il y serait sansdoute bien caché. Il avançadoucement en prenant soin de ne pasfaire bouger l’arbuste.

L’un des guerriers ennemisterrorisait Pelage de Miel.

« Tu n’es même pas digne d’êtreune guerrière !

— Et toi tu n’es pas digne d’être

un chat ! »Les deux félins roulèrent au sol,

au corps à corps.Poil de Châtaigne poussa un

gémissement de douleur.Un léger courant d’air frôla le

museau de Nuage de Geai. Puis unebouffée de puanteur de poissonsuivit lorsque le guerrier passa justedevant lui. Poussant un cri de guerre,le novice bondit en avant, toutesgriffes dehors, et lacéra sonadversaire.

Le matou poussa un cri desurprise.

« Merci, Nuage de Geai ! » lançaPoil de Châtaigne.

L’apprenti guérisseur recula pourlaisser ses camarades reprendrel’avantage. Les deux guerriersennemis étaient sur la défensive, àprésent.

« Vous pensiez qu’on serait desproies faciles ? »

Le feulement de Pelage de Mielfut suivi par une plainte ennemie.

« Ils s’enfuient ! se réjouit Poil deChâtaigne.

— Suivons-les jusque chez eux !s’écria Pelage de Miel, qui s’élançaaussitôt à leur poursuite.

— Aïe ! gémit soudain Poil deChâtaigne alors qu’elle s’était elleaussi mise à courir.

— Qu’est-ce qui ne va pas ?s’enquit Nuage de Geai en jaillissantdu buisson.

— Je me suis tordu la patte ! »Il renifla le membre qu’elle

tendait prudemment devant lui. Ilétait juste chaud, pas enflé. Il le pritavec douceur entre ses mâchoires, lesouleva avant de le secouergentiment.

Poil de Châtaigne eut un hoquetmais ne cria pas.

« C’est une entorse, pas unefracture, annonça-t-il en reposant lapatte avec précaution. Je dois quandmême te ramener au camp.

— Je ne peux pas partir

maintenant ! Le Clan de la Rivières’est joint à l’attaque ! Ils ont envahila rive. Ils nous ont pris à reverspendant que nous affrontions le Clandu Vent. Qu’est-ce qu’on leur a fait,à part les aider ? s’indigna-t-elle.Pourquoi essaient-ils de nouschasser de chez nous ? »

Nuage de Geai fut incapable derépondre. Il ignorait la cause de cescombats, et le Clan des Étoilesn’était d’aucun secours.

« Est-ce que Pelage de Miel vabien ? voulut-il savoir.

— Elle n’a reçu que quelqueségratignures. Quand nous seronscertaines que nos deux attaquants

sont rentrés chez eux, elle rejoindrala patrouille. C’est ce que je devraisfaire, moi aussi. »

Nuage de Geai bondit devant elle,prêt à lui barrer la route, mais ce nefut pas nécessaire. Elle hoqueta dedouleur lorsqu’elle voulut s’appuyersur son membre blessé.

« Allons nous occuper de cettepatte », miaula-t-il en se collant àelle pour l’aider à descendre lapente jusqu’au camp.

Avec un pincement au cœur, il sesouvint d’avoir aidé Nuage deCendre de cette façon après sonaccident. Cela lui semblait bien loin.

Le souffle court, ils finirent par

rejoindre le camp. Nuage de Geaitrébuchait sous le poids de laguerrière. Il fut soulagé lorsquePlume Grise vint à leur rencontre.

« Laisse-moi prendre le relais. »Feuille de Lune accourut à son

tour, des feuilles de consoude dansla gueule.

« Pose-la ici », dit-elle auguerrier.

Elle est entre de bonnes pattes.Nuage de Geai se prépara à repartir.

« Attends ! lança Plume Grise.Comment ça se passe, là-bas ?

— Le Clan de la Rivière se bat aucôté du Clan du Vent, lui appritNuage de Geai. Je vais tenter de

découvrir jusqu’où ils ont progressé.— Essaie de trouver Étoile de

Feu. Préviens-le, pour le Clan de laRivière, mais ne prends pas derisques. »

Nuage de Geai ressortit du campet fila vers la frontière, où lapatrouille d’Étoile de Feu se battaittoujours contre le Clan du Vent. Lefeulement aussi désespéré quedéterminé de Pelage de Granitretentit dans la forêt. Ils n’avaientpas encore été vaincus.

Nuage de Geai se faufila entre lestroncs, guidé par ses vibrisses. Ilguettait le moindre bruit autre que laclameur des combats.

Soudain, il recula dans un bouquetde fougères.

« Stupides ronces ! » miaula unchat inconnu.

L’apprenti guérisseur se figea,bien content d’avoir pu se cacher.

« Tu as entendu ça ? »La voix n’était qu’à quelques

longueurs de queue de lui. Nuage deGeai renifla l’air. Encore le Clan dela Rivière !

« Entendu quoi ?— Ce bruit de feuilles.— Toutes les feuilles font du bruit

dans ce fichu endroit. »Quatre guerriers du Clan de la

Rivière progressaient gauchement

dans les bois. L’un d’eux trébucha,ce qui agita tout un roncier.

« Essaie de faire un peu plus debruit encore, Cœur de Roseau !

— La ferme, Pelage de Mousse !C’est toi qui as couiné comme unchaton en tombant dans un terrier delapin ! »

Aussi patauds que des poissonshors de l’eau, songea Nuage deGeai, amusé. Il attendit de voir ladirection qu’ils prenaient. Ils vontvers la frontière du Clan du Vent.

La patrouille d’Étoile de Feu !Il devait y arriver en premier. Il

sortit à reculons des fougères aussisilencieusement que possible et

s’élança sur une sente de renard quimenait droit au torrent frontalier.Pour une fois, la puanteur du renardl’arrangeait : le chemin en étaitd’autant plus facile à suivre et celadissimulait sa propre odeur. Il serapprocha de la clameur descombats. Nuage de Geai reconnutl’odeur du sang – la peur et ladouleur étaient palpables dansl’atmosphère. Il ralentit en entendantdes piétinements droit devant lui etleva la truffe.

Nuage de Lion.L’odeur de son frère était forte.

En tendant l’oreille, Nuage de Geaicomprit que le novice se battait seul

contre deux guerriers du Clan duVent. L’apprenti guérisseur sortit sesgriffes, espérant l’aider. Mais sonfrère semblait se débrouiller trèsbien tout seul. L’un de sesadversaires clopinait déjà sur troispattes et les griffes de l’autredérapaient sur le sol tandis qu’ilbattait en retraite.

« C’est ça, rentrez chez vous,bande de lâches ! les railla le jeunechat doré tandis qu’ils détalaientdans les taillis.

— Nuage de Lion ? soufflal’apprenti guérisseur.

— Nuage de Geai ? C’est toi ?s’étonna le novice en courant vers

son frère. Tout va bien ? »Il avait le souffle rauque et son

pelage puait le sang. Des flotsd’énergie se déversaient de luicomme si un feu brûlait dans sonventre, et Nuage de Geai devina sonexultation.

« Quatre guerriers du Clan de laRivière viennent par ici pour aiderle Clan du Vent, le prévint-il.

— Le Clan de la Rivière ? Jem’en occupe. »

Il détala aussitôt.« Tu ne peux pas les vaincre seul

! »Son frère avait déjà disparu entre

les arbres.

« Nuage de Geai ? miaula Étoilede Feu tout près de son oreille. Quefais-tu ici ?

— Le Clan de la Rivière s’estallié au Clan du Vent contre nous. »

Étoile de Feu retint son souffle.Nuage de Geai huma l’odeursoudaine de sa peur.

« Va prévenir Griffe de Ronce,ordonna-t-il d’un ton sinistre. Tuparviendras à le trouver ? »

Nuage de Geai hocha la tête.« Ils sont trop nombreux pour

nous. Il va peut-être falloir nousreplier dans la combe et défendre lecamp. »

La gorge de Nuage de Geai se

serra. Un tel retrait laisserait lecontrôle du reste du territoire auClan du Vent. Il ne serait plusquestion de protéger les frontières,mais bien leurs propres vies. Ilaurait tant voulu qu’Étoile de Feu lerassure ! Au lieu de quoi, le chef duClan du Tonnerre était reparti aucœur des combats.

L’apprenti guérisseur leva latruffe pour s’orienter. La brise venuedu lac soufflait dans son dos. Àl’inverse, les cris de la patrouille dulieutenant venaient droit sur lui, deface. Il repartit donc dans les taillis,les moustaches frémissantes, testantle sol à chaque pas. Il ne pouvait

risquer de se blesser bêtement entrébuchant.

Les oiseaux pépiaient dans lesarbres, perturbés par le fracas de labataille. L’air devenait doux. L’aubene tarderait plus.

Nuage de Geai dérapa lorsque leterrain s’inclina tout à coup. Ildévala la pente, mi-courant, mi-tombant, et atterrit dans un bouquetde fougères. À quelques longueursde queue, il entendit un crissementde griffes sur la pierre. Des chatshuaient et feulaient, et l’odeur dusang était suffocante.

Comme celle du poisson. Le Clande la Rivière était déjà là. Nuage de

Geai avait trouvé la patrouille deGriffe de Ronce trop tard !

Nuage de Geai trembla lorsqu’ilressentit l’épuisement de sescamarades. Ils ne tiendraient pluslongtemps.

« Nuage de Geai ? s’étranglaNuage de Houx qui se fraya unpassage vers lui dans les fougères. Ilme semblait bien avoir reconnu tonodeur. »

Elle n’avait plus la forced’articuler et son pelage étaitpoisseux de sang. Il ne l’avait jamaisvue dans un tel état. Et pourtant, ladétermination irriguait encore soncorps meurtri.

J’aurais dû emporter des herbesfortifiantes.

« Que fais-tu là ? haleta-t-elle.— Je suis venu vous prévenir que

le Clan de la Rivière est venu aiderle Clan du Vent.

— Merci, mais on le sait déjà,répondit-elle avant de le repousserviolemment. Écarte-toi ! »

Un chat arrivait à toute allure. Unmâle du Clan de la Rivière.

Nuage de Houx gronda. Nuage deGeai perçut l’énergie qui émanait duguerrier de la Rivière. Ce n’était pasun combat équitable ! Nuage deHoux était épuisée. Il devait l’aider.Tapi à côté d’elle, il se dressa

devant l’ennemi, les griffes plantéesdans le sol.

Puis il se figea. Une autre odeurflottait dans l’air.

Le Clan de l’Ombre !Pelage d’Or se battait tout près de

Griffe de Ronce. Est-ce qu’ilsdevaient aussi affronter le Clan del’Ombre ?

Des pas retentirent sur le Chemindu Tonnerre. D’autres membres duClan de l’Ombre !

Nuage de Geai se sentit gagné parle désespoir. Comment pourraient-ils se battre contre trois Clans enmême temps ? Est-ce que le Clandes Étoiles les avait totalement

abandonnés ? Il recula dans lesfougères. À présent, il ne pouvaitplus rien faire pour sauver son Clan.

Un chat le frôla. Pelage d’Or étaitprès de lui.

« Qu’est-ce que tu fais là ?demanda-t-elle.

— Comment peux-tu attaquer lesmembres de ta famille ? » s’indigna-t-il en tentant de lui griffer lemuseau.

Elle para son attaque en levant lapatte.

« Nous sommes là pour vousaider, feula-t-elle. Nuage de Houxest venue nous chercher ! » Elle lerepoussa plus loin dans les frondes.

« Retourne au camp et reste endehors des combats !

— Mais Nuage de Houx… ?— Queue de Serpent et Nuage de

Charbon l’aideront. »Nuage de Geai leva la truffe.

Deux camarades de sa tante sebattaient au côté de sa sœur, et leurodeur se mêlait à celle du sang duguerrier de la Rivière qui l’attaquait.Lorsque les griffes de Nuage deHoux crissèrent sur le sol, Nuage deGeai devina qu’elle sautait à lagorge de son adversaire. Ce derniers’enfuit dans la forêt en poussant uncri de rage et de douleur.

« Va-t’en immédiatement ! » feula

Pelage d’Or.Comme elle s’apprêtait à

retourner au combat, Nuage de Geaiposa sa patte sur son flanc.

« Étoile de Feu perd du terrainprès de la frontière du Clan du Ventet Pelage de Poussière est endifficulté sur la rive du lac.

— Je vais envoyer des guerrierspour les aider. » Les fougèresfrémirent un instant puis la guerrières’immobilisa. « Attends, emmènePatte de Mulot. Il est blessé à l’œil.»

D’un bond, elle s’en fut avant derevenir avec le jeune guerrier.

« Je veux rester pour me battre !

protesta-t-il.— Tu ne peux pas avec un œil en

moins.— L’autre voit bien.— Ça ne suffit pas.— Tu pourras revenir une fois

que je l’aurai nettoyé, le rassuraNuage de Geai, qui sentait une odeurde sang. Tu te battras encore mieux.

— Bon… d’accord. À conditionqu’on se dépêche. »

Pelage d’Or replongea dans labataille.

« Allez, viens », le pressa Pattede Mulot.

Côte à côte, ils longèrent à touteallure la haie sur le bord du Chemin

du Tonnerre abandonné, droit vers lecamp. Patte de Mulot se collait à luipour le guider au milieu desbroussailles qui envahissaient lapiste. Le souvenir des bruits de labataille et du sang qui giclaitétourdissait Nuage de Geai. La forêtsemblait s’être transformée en unemarée de chats blessés, crachant ethurlant.

Les quatre Clans livraientbataille, et le Clan des Étoiles ne luien avait rien dit.

CHAPITRE 15

NUAGE DE LION se jeta sur ledernier guerrier du Clan de laRivière. Les trois autres avaient déjàfui dans la forêt, mais celui-là étaitpris au piège, acculé contre unroncier si dense que même un

membre du Clan du Tonnerre yréfléchirait à deux fois avant de s’yfaufiler.

Pelage de Mousse. Nuage de Lionreconnaissait la chatte écaille auxyeux bleus pour l’avoir vue à desAssemblées. Il allait lui faireregretter d’avoir posé la patte surson territoire.

Tremblante, elle s’étaitrecroquevillée tandis qu’ils’approchait, aveuglé par la haine.

« Nuage de Lion ! »Le miaulement d’Étoile de Feu le

figea sur place. Pelage de Mousse enprofita pour filer entre lui et lesronces et disparaître sous les arbres.

« Regarde ce que tu as fait ! lançaNuage de Lion à son chef. J’auraispu en finir avec elle.

— Je crois qu’elle se savait déjàbattue », rétorqua le meneur d’un airpréoccupé.

Nuage de Lion baissa les yeuxvers sa fourrure souillée par le sang,encore frais par endroits. Qu’avait-ilfait ? Dans le feu des combats, iln’était pas toujours certain de savoirse contrôler. Le plus souvent,l’odeur du sang l’enivrait et sesgriffes déchiraient la chair.

« Et le Clan du Vent ? »Nuage de Lion se demandait si les

autres envahisseurs étaient déjà

vaincus.« Nous venons de poursuivre le

dernier jusqu’à la frontière »,répondit Étoile de Feu.

Pelage de Granit et Truffe deSureau émergèrent des broussailles.Ils encadraient Patte d’Araignée etPavot Gelé. Le poil du guerrier grisétait tout poisseux de sang. L’unedes oreilles de Truffe de Sureauétait déchirée à la pointe. Patted’Araignée boitait horriblement etPavot Gelé, qui avait le pelageébouriffé et les yeux ronds, semblaitsous le choc.

« Et les autres patrouilles ? insistaNuage de Lion. Nous devrions aller

les aider puisque nous avons fini ici.— Patte d’Araignée a été

grièvement blessé au ventre. Nousdevons le ramener au camp avantd’aller inspecter le reste duterritoire. »

Patte d’Araignée s’était couchésur le côté. Il gisait dans une marede sang. Ses flancs se soulevaient àtoute vitesse. Pelage de Granit glissason museau sous l’épaule de soncamarade pour l’aider à se relever.

« Allez, l’encouragea-t-il. Nousallons te ramener à Feuille de Lune.»

Truffe de Sureau alla se placer del’autre côté du blessé et, à eux deux,

ils entraînèrent leur camarade versla combe.

« Je vais voir si je peux aider lesautres patrouilles pendant que vousle ramenez », déclara Nuage deLion, qui n’était pas prêt à rentrerchez lui.

Il entendait les autres bataillesfaire rage au loin. Sa place était là-bas, au cœur du combat.

« Je ne peux pas te laissertraverser seul la forêt », rétorquaÉtoile de Feu.

Nuage de Lion crut voir une lueurde peur dans les yeux de son chef.Frustré, il rejoignit ses camaradessur le chemin du retour. Il voulut les

inciter à presser le pas en passantdevant eux, sauf qu’Étoile de Feu necessait de le rappeler en arrière.Patte d’Araignée haletait. Chaquepas lui arrachait un grognement.Dépêchez-vous !

Ils atteignirent enfin la descentejusqu’au camp. Pelage de Granit etTruffe de Sureau firent passer Patted’Araignée par le tunnel. Étoile deFeu les suivit, mais Nuage de Lionhésita, intrigué par les frémissementsdes buissons derrière lui.

« Nuage de Geai ? s’étonna-t-il envoyant son frère sortir de l’ombreavec Patte de Mulot.

— Tu vas bien ? s’inquiéta

l’apprenti guérisseur, qui fronça latruffe. Tu pues le sang.

— Ce n’est pas le mien. Qu’est-cequ’il a ? s’enquit-il en regardantPatte de Mulot, dont l’œil enflé étaitgros comme une noix.

— Il faut juste désinfecter laplaie.

— C’est ma seule blessure, à partquelques égratignures », lui appritfièrement le guerrier.

Nuage de Geai le guida jusqu’aucamp et Nuage de Lion leur emboîtale pas. Il lui démangeait de retournerse battre.

« Le Clan de la Rivière est venu àl’aide du Clan du Vent, expliquait

Nuage de Geai à Étoile de Feu. Maisle Clan de l’Ombre a envoyéquelques guerriers pour nous aider.

— Étoile de Jais nous aide ?répéta le meneur, incrédule.

— Il a dépêché tout un escadron.— Alors les quatre Clans se

battent sur notre territoire. »Nuage de Geai acquiesça.« Tu ferais mieux d’aller aider

Feuille de Lune à soigner lesblessés. »

La guérisseuse s’était déjàprécipitée vers Patte d’Araignée etpressait des feuilles contre sonventre pour arrêter l’hémorragie.

Étoile de Feu se retourna vers la

sortie en appelant sa patrouille d’unmouvement de la queue.

C’est pas trop tôt ! Nuage deLion suivit son chef dans le tunnel,refusant même de s’écarter lorsqu’ilsentit que Pelage de Granit luicollait au train.

Son mentor le doubla dès qu’ilssortirent du tunnel.

« Tu devrais te nettoyer, lâcha-t-ilen lorgnant le pelage poisseux deson apprenti.

— J’aurai tout le temps de le faireaprès la bataille. »

Pelage de Granit s’écarta dugroupe pour se rapprocher desbroussailles. Le soleil s’était levé et

il brillait au-dessus des arbres dansun ciel pâle et dégagé. Le matou grisfit halte, les oreilles dressées, etÉtoile de Feu ordonna à sapatrouille de l’imiter.

« Des guerriers viennent duterritoire du Clan du Vent », sifflaPelage de Granit.

Nuage de Lion leva la truffe.Le Clan du Vent.Toute une patrouille.Il se crispa et renifla une nouvelle

fois pour en être sûr.Nuage de Myosotis !Il fonça droit sur l’adversaire en

ignorant Étoile de Feu qui luiordonnait de revenir. Il filait, rapide,

dans les taillis, comme si ses pattestouchaient à peine terre. Les rayonsdu soleil brillaient d’un éclat doréentre les arbres, ce qui lui permit derepérer facilement ses ennemis quise glissaient telles des fouines dansla forêt. Ils se dirigeaient vers le lac,pour en finir avec le détachement dePelage de Poussière, sans doute.

Nuage de Lion entendait sescamarades courir derrière lui. Ilsjaillirent des buissons tout autour delui au moment même où il rattrapaitles envahisseurs.

La patrouille ennemie se dispersadans la panique, mais passuffisamment vite. Pelage de Granit

renversa un guerrier au pelage brunet tigré pendant qu’Étoile de Feu sejetait sur un mâle noir. Nuage deLion fonça droit sur deux apprentiset les écarta d’un coup de patte.Derrière eux, Nuage de Myosotis sedressa sur ses pattes arrière, sesyeux bleus écarquillés. Nuage deLion lui sauta à la gorge. Elle sedébattit en gémissant tandis qu’il latraînait à travers un bouquet defougères. De l’autre côté de la haie,il la cloua au sol en laissant sesgriffes pénétrer la peau de sonancienne camarade de jeux.

« Tu leur as dit, pour lessouterrains ! cracha-t-il. Je n’arrive

pas à croire que tu m’aies trahi.J’avais confiance en toi, j’ai cru quetu garderais le silence.

— Ce n’est pas moi !— Alors pourquoi tes camarades

ont-ils envahi ma forêt ? » demanda-t-il, fou de rage.

Nuage de Myosotis tenta des’arracher à son étreinte en luimordant la patte avant de toutes sesforces.

« Je ne suis pas une menteuse,gronda-t-elle. Ce n’est pas moi !C’est Petite Fleur !

— Pourquoi aurait-elle fait unechose pareille ? Je lui ai sauvé lavie !

— Elle s’est vantée devant Poilde Belette d’avoir trouvé destunnels, et tout le Clan a été aucourant. »

Nuage de Lion dévisagea lachatte. Il dut se retenir de luiarracher la fourrure.

« Je ne te crois pas, souffla-t-il.Tu ne m’as jamais pardonné devouloir devenir un guerrier loyal. »Il se pencha un peu plus sur elle etlui enfonça les griffes dans la peaualors qu’elle se débattait pouréchapper à son haleine chaude. « Jene l’oublierai jamais, Nuage deMyosotis. Je serai ton ennemi pourtoujours. »

Il la relâcha et retourna d’un pasrageur dans les fougères. L’avait-ilvraiment aimée, naguère ? Il étaitquelqu’un d’autre, alors. À présentla prophétie le guidait, et il suivaitune voie que Nuage de Myosotis nepouvait même pas imaginer.

Un regard vert brilla devant lui.« Où est Nuage de Myosotis ?

lança Plume de Jais, qui lui bloquaitle passage.

— Dégage de mon chemin ! »Le guerrier gris sombre jeta un

coup d’œil derrière l’apprenti.« Qu’est-ce que tu lui as fait ?— DÉGAGE DE MON CHEMIN ! »

répéta Nuage de Lion en se ruant sur

le combattant.Plantant ses griffes dans le cou de

son adversaire, il le poussa dans lesfougères avant de le jeter au sol.Sans lui lâcher la gorge, il lui lacérale ventre avec les griffes de sespattes arrière.

Tout à coup, il sentit qu’on luimordait l’épaule et qu’on lui griffaitle flanc. Nuage de Myosotis tentaitde le tirer en arrière.

« Arrête ! hurla-t-elle. Qu’est-ceque tu fais ? »

Surpris par sa voix terrorisée,Nuage de Lion se figea. Plume deJais gisait au milieu des fougèresvertes. Son sang rouge vif giclait de

son cou.Nuage de Myosotis se tapit près

de son mentor.« Plume de Jais !— Ça va. »Il releva la tête. La novice recula

tandis qu’il se mettait péniblementdebout en crachotant du sang.

Nuage de Lion eut honte de lui. Lecode du guerrier lui enseignait qu’iln’avait pas besoin de tuer pourvaincre. Si Nuage de Myosotis nel’avait pas retenu, il aurait pris lavie de Plume de Jais.

Qu’est-ce que je suis devenu ?Tout à coup, la lumière changea.La clarté du matin s’assombrit.

L’aube semblait laisser place aucrépuscule. Les oiseaux se turent.Les cris et les gémissements descombats cessèrent. Même lebourdonnement des insectess’interrompit tandis que les ténèbresfondaient sur les arbres.

Nuage de Lion leva la tête.Le soleil disparaissait, englouti

par un grand disque noir, plussombre et plus net que n’importequel nuage.

« Que se passe-t-il ? »Le miaulement terrifié de Nuage

de Myosotis résonna dans l’oreillede Nuage de Lion, mais il ne putrépondre. Il avait la gorge nouée.

Autour de lui, l’air se rafraîchit. Etau-dessus, le soleil disparutcomplètement, plongeant la forêtdans la nuit.

Le cri d’un guerrier du Clan duVent retentit dans les bois. « Le Clandes Étoiles a tué le soleil ! »Aussitôt, des chats se mirent àmiauler et les arbres frémirent tandisqu’ils s’enfuyaient à travers la forêtenténébrée.

« Nous devons rentrer au camp,toussa Plume de Jais, qui tira Nuagede Myosotis par la peau du cou afinde la sortir de sa stupeur. Viens ! »

Les yeux écarquillés, la novice seretourna pour suivre son mentor.

« Je ne l’oublierai jamais », luisouffla Nuage de Lion à l’oreille.

Alors qu’elle disparaissait dansla forêt, il regarda l’agonie dusoleil, dont le sang ourlait le granddisque noir.

CHAPITRE 16

NUAGE DE GEAI posa la truffe surla patte de Poil de Châtaigne.Feuille de Lune l’avait enveloppéedans des feuilles de consoudehumides, et elle semblait déjà moinschaude.

« Comment tu te sens ?— Bien mieux, répondit la

guerrière en levant la patte. Jedevrais retourner me battre.

— Non », déclara Feuille de Lunequi nettoyait l’œil de Patte de Mulotavec de la mousse gorgée d’eau. LeClan de l’Ombre est venu nous aideret, à en juger par tous ces cris, nousaurons suffisamment de blessures àsoigner sans que tu en rapportes uneautre.

— Mais le combat serapproche…

— Dans ce cas, nous auronsbesoin de toi ici. »

Alors que le camp était silencieux

et désert, le fracas des combatsrésonnait dans la forêt. Nuage deGeai dressa l’oreille. Le grouped’Étoile de Feu affrontait le Clan duVent juste au-dessus de la combe.Avaient-ils vraiment perdu tant deterrain ?

« Et si nous emmenions tous lesblessés dans ta tanière ? » suggéraNuage de Geai. Patte d’Araignée s’yreposait déjà, calmé grâce auxgraines de pavot. Les toilesd’araignées avaient endiguél’hémorragie. « Ils y seront plus ensécurité. »

Si le camp est envahi.« Il y a davantage de lumière ici,

maintenant que le soleil est levé,objecta Feuille de Lune. De plus,notre présence ici rassure les autres.»

Elle parlait des chatons et deChipie. Millie leur donnait desconsignes sur la Corniche.

« Alors, est-ce que vous vousrappelez ce que nous devons faire sides inconnus entrent dans le camp ?

— Nous devons emmener tespetits au fond de l’antre d’Étoile deFeu, couina Petite Rose.

— Et ensuite ?— Nous restons avec eux au cas

où les inconnus entreraient, miaulaPetit Crapaud.

— Et moi, où je serai ?— Juste devant la tanière, en train

de monter la garde avec Chipie.— Longue Plume et moi, nous

défendrons le haut de l’éboulis, pourempêcher quiconque d’arriver sur laCorniche, annonça Poil de Souris.

— Et je serai en bas ! » lançaCœur Blanc, au pied du surplomb.

Plume Grise et Aile Blanchemontaient toujours la garde devant lecamp. Nuage de Givre était rentréepour répéter des attaques avecNuage de Cendre et Fleur deBruyère.

« Tu feras attention à ta patte,d’accord ? lança Feuille de Lune à

Nuage de Cendre. Pas d’acrobaties.— Promis. Mais si nous sommes

envahis, je ne resterai pas cachée aufond de ta tanière !

— Nous ne serons pas envahis,j’en suis certaine », répondit laguérisseuse, le ventre pourtant nouépar la peur.

Est-ce que les patrouilles du Clandu Tonnerre parviendraient vraimentà tenir en respect le Clan du Vent etle Clan de la Rivière ?

« N’oubliez pas que le Clan del’Ombre nous aide ! leur rappelaPatte de Mulot. Je me battais au côtéd’un de leurs apprentis lorsquePelage d’Or m’a tiré du combat. Ce

sont de très bons combattants. Nousétions sur le point de l’emporter faceà un guerrier du Clan du Vent.

— Tiens-toi tranquille », legronda Feuille de Lune en le voyants’agiter.

Patte de Mulot se languissait deretourner au front. Ne comprenait-ilpas à quel point la situation étaitgrave ? Les quatre Clans étaient enguerre. Sans aucun avertissement duClan des Étoiles. Sans aucune raisonapparente.

Nuage de Geai retourna tremperde la consoude dans la flaque. Ils’arrêta soudain devant l’entrée dela tanière, car l’air devenait glacial.

Son pelage se gonfla aussitôt.« Pourquoi fait-il si sombre ? »

miaula Petite Rose, et sa plainterésonna dans la combe.

Un orage approchait-il ?Plume Grise et Aile Blanche

traversèrent le tunnel à toute allure.« Que se passe-t-il ? demanda le

guerrier ardoise.— Pourquoi le camp plonge-t-il

dans l’ombre ? s’inquiéta Chipie. Leciel est toujours clair.

— Le soleil est en train dedisparaître ! » s’étrangla CœurBlanc.

Nuage de Geai se raidit. Ce nepouvait être un simple nuage glissant

devant l’astre. Les oiseaux s’étaienttus dans la forêt. Même les combatsavaient cessé. Que se passait-il ?

Il revint aussitôt vers Feuille deLune.

« Qu’est-ce qu’elle veut dire ? luidemanda-t-il.

— Quelque chose est en traind’avaler le soleil ! » murmura sonmentor.

Les chatons de Millie se mirent àpousser des cris, étouffés par lafourrure de leur mère qui les serraitcontre elle.

Feuille de Lune se colla à Nuagede Geai.

« Nous devons garder notre

calme. » Elle tremblait mais son tonrestait posé. « C’est sans doute unmessage du Clan des Étoiles. Celane va pas durer.

— Quel message ? s’enquit Fleurde Bruyère.

— Essaient-ils de nous empêcherde nous battre ? hasarda PlumeGrise.

— Je… je ne sais pas, balbutia laguérisseuse. Ils n’ont encore jamaiscaché le soleil. Juste la lune. »

Pourquoi envoyer ce messagemaintenant ? Ils n’avaient donnéaucune mise en garde.

Le sang de Nuage de Geai se figeadans ses veines.

Cela n’avait rien à voir avec leClan des Étoiles. C’était Sol qui lesavait alertés. Sol qui les avaitprévenus que les ténèbres arrivaient,qu’elles dépassaient même lepouvoir du Clan des Étoiles. Solavait tenté de leur expliquer que lesoleil disparaîtrait, mais ils nel’avaient pas écouté.

Des gémissements s’élevèrent ducamp et des bruits de pasrésonnèrent près de l’entrée.

Une attaque ?Plume Grise s’élança ventre à

terre vers le tunnel, suivi de CœurBlanc.

Nuage de Geai retint son souffle

lorsque le roncier fut secoué par unflot de félins qui se déversa dans laclairière.

Le Clan du Tonnerre.Nuage de Geai fut submergé par

l’odeur de la peur de ses camarades,et aussi par celle du sang. Des chatsblessés, trop effrayés pour sesoucier de leurs plaies.

« Pourquoi est-ce qu’une chosepareille arrive ?

— Où est parti le soleil ?— Est-ce que le Clan des Étoiles

nous a abandonnés ? »Ils étaient tous terrifiés.« Est-ce qu’on peut se cacher

dans la pouponnière ? » implora

Nuage de Givre.Nuage de Lion jaillit du tunnel et

s’arrêta en dérapant près de Nuagede Geai. Nuage de Houx le suivaitde près.

L’apprenti guérisseur les reniflarapidement, soulagé de découvrirque leurs blessures n’étaient pasgraves.

« Le soleil a vraiment disparu ?s’enquit-il.

— Oui, confirma Nuage de Lionen griffant le sol.

— Est-ce qu’il fait nuit ?— On dirait plutôt le crépuscule,

précisa Nuage de Houx.— Le soleil est vraiment parti ? »

insista l’aveugle, stupéfait.Nuage de Lion lui posa la queue

sur l’épaule.« Il y a un mince cercle de feu

dans le ciel. Le reste a été recouvert.»

Pourquoi est-ce que je ne voisrien ?

« Tout le monde est sain et sauf ?demanda Étoile de Feu.

— Autant que possible, grommelaPlume Grise. Où sont les autresClans ?

— Ils se sont enfuis pour regagnerleur territoire », l’informa Griffe deRonce.

Des gémissements et des cris

s’élevaient de partout.« Fleur de Bruyère ! miaula

Nuage de Givre. Où es-tu ? Je n’yvois presque rien !

— Tout le monde garde son calme! ordonna Étoile de Feu. J’ignore cequi se passe. Mais nous sommes desguerriers et nous devons affronter lasituation avec courage. »

Alors que le silence revenait peuà peu, le meneur s’approcha deFeuille de Lune.

« Peux-tu nous dire ce qui sepasse ? »

Va-t-elle parler del’avertissement de Sol ?

« Le Clan des Étoiles ne m’a rien

dit. »Parce qu’il n’en savait rien…« Ce doit être un signe,

poursuivit-elle. Pour mettre fin auxcombats. Ce phénomène a bel et bienarrêté la bataille. Ce devait êtrel’intention du Clan des Étoiles.

— Sommes-nous donc condamnésà vivre dans le noir pour toujours ?demanda Cœur d’Épines, quisemblait plus indigné qu’effrayé.

— Attendez ! lança Feuille deLune. Le ciel s’éclaircit. La lumièrerevient ! »

CHAPITRE 17

NUAGE DE HOUX contemplait lesarbres qui dominaient la combetandis que le soleil chassait lapénombre. Le ciel redevint azur etl’air se réchauffa. Près d’elle, Nuagede Lion trépignait et Nuage de Geai

levait la truffe. Les oiseaux seremirent à pépier. Des abeillesrecommencèrent à voler peu à peu,comme si elles venaient de seréveiller. Pourtant, malgré lesrayons qui caressaient sa fourrure,Nuage de Houx frémissait toujours.Son corps meurtri, endoloritremblait malgré elle.

Que s’est-il passé ?Elle se tourna pour interroger

Nuage de Geai. Si le Clan desÉtoiles avait dissimulé le soleil, sonfrère devait savoir quelque chose.Mais il s’éloignait déjà pour suivreFeuille de Lune parmi les chatsblessés.

« Est-ce que tu peux étirer tespattes avant ? demanda laguérisseuse à Poil de Fougère, quigrimaça en essayant. Entorse àl’épaule, conclut-elle. Va près dudemi-roc. Je ne serai pas longue. »Elle passa à Aile Blanche. Le pelageimmaculé de la guerrière étaitsouillé de taches de sang. « Foulures? Entorses ?

— Que des égratignures.— Dans ce cas, va près de la

tanière des guerriers. Nousviendrons te soigner dès quepossible.

— Cœur d’Épines s’est tordu lapatte avant, lança Nuage de Geai.

— Aide-le à marcher jusqu’aufond de la clairière, il pourra sereposer sous la Corniche. »

Elle examina les blessés suivantset envoya Plume de Noisette etPavot Gelé attendre avec AileBlanche.

Plume de Noisette s’accroupitprès de cette dernière.

« Comment le soleil a-t-il pudisparaître ?

— Le ciel était dégagé, ça nepouvait pas être un nuage, murmuraPavot Gelé.

— Les nuages n’apportent jamaisune telle obscurité, ni un tel froid »,ajouta Aile Blanche.

Feuille de Lune les toisadurement.

« Vous devriez nettoyer vosgriffures au lieu de gaspiller votresalive ! » Du museau, elle poussaBois de Frêne puis Truffe de Sureauvers Cœur d’Épines. « Attendez là-bas. »

Bois de Frêne traversait laclairière sur trois pattes.

« Je ne vois pas pourquoi le Clandes Étoiles devrait nous cacher lesoleil ! » s’indigna-t-il.

Truffe de Sureau claudiquait prèsde lui – une de ses pattes arrièretraînait sur le sol.

« Le Clan du Vent n’aurait jamais

dû déclencher cette bataille. C’estbien fait pour eux si le Clan desÉtoiles leur en veut. »

Nuage de Houx jeta un coup d’œilà Nuage de Lion, qui observait leClan.

« Ça va ? s’inquiéta-t-elle.— Oui. »Ne voulait-il pas parler du soleil

disparu ?« Tu ne dis rien.— Je sais. »L’apprenti guerrier leva la tête

vers la Corniche : Millie descendaitprudemment l’éboulis. PetiteÉglantine pendait entre sesmâchoires. Chipie la précédait avec

Petit Crapaud.« Allons les aider », suggéra-t-il

en détalant.Comment pouvait-il avoir encore

autant d’énergie ? Nuage de Houx sesentait terrassée par la fatigue, sansparler des griffures et des morsuresqui la brûlaient sur tout le corps.Elle le suivit en soupirant.

« J’aurais pu descendre tout seul !protesta Petit Crapaud en agitant lespattes.

— Reste tranquille, ou noustomberons tous les deux ! » grognaChipie, la gueule pleine de poils.Elle sauta dans la clairière et setourna vers Millie. « Ça va ? »

Millie hocha la tête. PetiteÉglantine pendait, les yeuxécarquillés, sous son menton.

La vie ne ressemble pas toujoursà ça, aurait voulu dire Nuage deHoux au chaton, sans savoir s’il étaitassez grand pour comprendre.

Nuage de Lion tendit une pattepour stabiliser Millie, qui avait unpeu glissé sur les cailloux.

« Nous allons ramener les autres,leur annonça-t-il.

— Merci, miaula Chipie aprèsavoir posé Petit Crapaud, qui détala,la fourrure gonflée. Attention ! »

Chipie ferma les yeux en le voyantfoncer droit sur Plume Grise.

Le guerrier ardoise l’esquiva dejustesse.

« Et si tu allais t’assurer qu’il y asuffisamment de mousse dans le nidde Millie, mon petit ? miaula-t-il.

— D’accord ! lança la boule depoils.

— Il n’a pas l’air trop ébranlé,déclara Plume Grise à Chipie.

— Oui, il pense que ce n’estqu’une aventure amusante, soupira lareine.

— Cela vaut peut-être mieux. »Plume Grise prit Petite Églantine

des mâchoires de Millie et ilsrejoignirent la pouponnière. Millieavançait près de lui – leurs pelages

se touchaient.Nuage de Lion grimpait déjà sur

les rochers. Nuage de Houx montaprudemment derrière lui et le suività l’intérieur du gîte de leur chef.

Il y faisait noir. Nuage de Houxfaillit trébucher sur Petite Rose,tapie à l’entrée. Derrière elle,Longue Plume tentait de réconforterPetit Bourdon. Le petit mâle grisrayé de noir appelait sa mère.

« Chut, tu vas réveiller ta sœur »,lui murmurait l’ancien.

Nuage de Houx distinguait à peinePetit Pétale pelotonnée contre leventre de Poil de Souris,profondément endormie.

« Ne l’embête pas, miaula lavieille chatte en repoussant lanovice d’un mouvement de la queue.Plume Grise pourra venir lachercher plus tard. »

Longue Plume donna un coup demuseau dans l’épaule de Nuage deHoux. Ses yeux aveugles étaient toutronds, signe de son inquiétude.

« Tu as vu ce qui s’est passé ?— Oui.— Qu’en dit Nuage de Geai ?

s’enquit Poil de Souris.— Il ne nous révèle pas toujours

ce que le Clan des Étoiles luiapprend », répondit Nuage de Lionavec un haussement d’épaules.

Nuage de Houx croisa son regard.Est-ce qu’il pense ce que je pense ?S’ils étaient vraiment plus puissantsque le Clan des Étoiles, Nuage deGeai aurait dû connaître lasignification de la disparition dusoleil. Nuage de Lion se détourna.

« Il partagera peut-être leursrêves cette nuit, miaula la novice.

— Je l’espère », soupira Poil deSouris avant d’enrouler sa queueautour de Petit Pétale.

Nuage de Houx saisit PetitBourdon par la peau du cou. Lechaton poussa un cri de surprise enbattant l’air de ses petites pattes.

« Je ne veux pas qu’on me porte !

protesta Petite Rose en reculant.— On ne te demande pas ton avis

! »Nuage de Lion la souleva et sortit

de la caverne.Sa sœur le suivit jusqu’à la

pouponnière, les pattes lourdes defatigue. Plume Grise les y attendait.

« Petit Pétale dort, lui apprit-elleen lui confiant Petit Bourdon. Poilde Souris dit que tu pourras venir lachercher plus tard. »

Plume Grise hocha la tête etdisparut dans les ronces.

Nuage de Cendre trotta vers eux.« Les petits vont bien ?— Nuage de Lion ! » lança

Feuille de Lune. À l’autre bout de laclairière, elle étalait de la pulpe defeuilles sur l’épaule de Pelage deMiel. « Nuage de Renard et toi, allezme chercher d’autres toilesd’araignées. »

Nuage de Renard bondit enentendant son nom.

« Je sais où on peut en trouver detrès grosses, miaula-t-il. Il y a unebûche creuse juste à l’entrée ducamp, elle en est remplie. »

Nuage de Lion jeta un coup d’œilà Griffe de Ronce. Sous la Corniche,le lieutenant se tenait immobilependant que Nuage de Geaiappliquait un cataplasme poisseux

sur son flanc.« Est-ce qu’on peut sortir du camp

? alla-t-il lui demander. Feuille deLune a besoin de toiles d’araignées.

— Oui, mais soyez prudents. »Alors que les deux apprentis

disparaissaient, la guérisseuse setourna vers Nuage de Houx.

« Il y a des remèdes empilés prèsde la flaque, dans ma tanière.Donne-les à Aile Blanche et auxautres. Avec ton débutd’apprentissage de guérisseuse, tupourras leur expliquer comment ilsdoivent les mâcher et appliquer lejus sur leurs blessures.

— Moi aussi, je sais le faire !

miaula soudain Nuage de Cendre.— Comment ? s’étonna Nuage de

Houx. Tu n’es pas une apprentieguérisseuse. »

Feuille de Lune arrêtad’envelopper la patte de Pelage deMiel.

« Elle est restée si longtemps enconvalescence près de moi qu’elle adû l’apprendre en me regardantfaire. Nuage de Cendre, accompagneNuage de Houx. Et fais attention à tapatte.

— Promis. »Alors qu’elles se dirigeaient vers

le rideau de ronces, Nuage de Houxremarqua que sa camarade boitait à

peine.« Comment va ta patte ?— Beaucoup mieux. Je ne serais

sans doute pas capable de fairetoutes les attaques, mais ça ne va pastarder. Nager m’a aidée… juste àtemps », ajouta-t-elle d’un tonsolennel.

Elles passèrent devant Poild’Écureuil. La guerrière au pelageroux sombre était assise de traversau bord de la clairière, l’arrière-train remonté et une patte en l’air.

Lorsque Nuage de Houx lui fit unpetit signe de la tête, sa mère secontenta de regarder dans le vide.

La novice s’inquiéta aussitôt.

« Est-ce que Feuille de Lune t’aexaminée ?

— Pas encore », répondit lachatte, les dents serrées.

Quelque chose ne va pas.En baissant la tête, la novice

constata que le sable autour despattes de sa mère était rouge sombre.Du sang.

« Tu es blessée ! »Oubliant sa fatigue, elle accourut

auprès de sa mère et renifla sonpelage. Du sang frais coulait de sousson poitrail. Ses pattes avanttremblaient et elle se laissa tomberen gémissant.

Des pas retentirent derrière elle.

« Qu’est-ce qui ne va pas ?s’inquiéta Tempête de Sable.

— Elle perd du sang », murmuraNuage de Houx, qui se sentaitdéfaillir.

Gémissant de nouveau, Poild’Écureuil roula sur le côté, révélantainsi son ventre ensanglanté.

« Pourquoi est-ce que personne net’a soignée ? s’étrangla Tempête deSable. Nuage de Houx ! Va chercherFeuille de Lune ! »

L’apprentie contemplait sa mère.Celle-ci haletait et ses flancs sesoulevaient de façon irrégulière.

« Maintenant ! » feula Tempête deSable en la poussant.

Accroupie au bout de la clairière,Feuille de Lune mâchait desremèdes.

« Poil d’Écureuil est blessée ! »Nuage de Houx n’eut pas besoin

d’en dire davantage. La guérisseuses’était levée d’un bond et filait déjàvers la guerrière.

La jeune chatte la suivit à touteallure. Son ancien mentor fit roulerPoil d’Écureuil d’une patte et écartales poils de son ventre de l’autre.Une coupure profonde descendait desa poitrine jusqu’à la naissance desa cuisse. Du sang s’en échappait etformait une flaque sous elle.

Nuage de Houx pressa son museau

contre les côtes de sa mère.« Elle respire à peine. » Les

paupières de la blessée se fermaientpeu à peu. « Ne t’endors pas ! »supplia-t-elle.

Elle vit du coin de l’œil Nuage deLion et Nuage de Renard reveniravec des paquets de toilesd’araignées dans la gueule. Que leClan des Étoiles soit loué !

« Par ici ! »Nuage de Lion accourut auprès de

sa mère.« Donne-moi ça. » Feuille de

Lune lui arracha les toiles de lagueule et se mit à tamponnerl’entaille. Elle fit signe à Nuage de

Renard de s’approcher et lui pritaussi son lot de toiles. « Va dans matanière, lui ordonna-t-elle sans leverla tête. Rapporte de la moussetrempée. Aussi vite que tu peux. »

Nuage de Lion dévisageait samère d’un air horrifié.

« Toi aussi ! gronda Feuille deLune. Vite ! »

Les deux apprentis s’exécutèrent.Nuage de Geai avait dû entendre

le tapage. Il laissa Griffe de Ronceet, les pattes toujours pleines de suc,il se fraya un passage au milieu desguerriers blessés.

Le lieutenant le regardas’éloigner, surpris, puis vit à son

tour Poil d’Écureuil. Il contourna legroupe des blessés au pas de chargeet l’emplâtre de Nuage de Geai sedécolla de son flanc.

« Qu’est-ce qu’elle a ? demanda-t-il à Nuage de Houx.

— Une blessure au ventre,murmura-t-elle. Et personne ne s’enest aperçu…

— Elle se battait près de moi surla rive, intervint Tempête de Sable.Je pensais qu’elle allait bien, ellen’est jamais restée à terre plus d’uninstant.

— Ne me quitte pas », supplia lelieutenant, et il s’étendit près de sacompagne. Poil d’Écureuil ouvrit les

yeux en entendant sa voix avant deles refermer. Il posa sa joue contrela sienne. « Ça va aller. Feuille deLune ne te laissera pas mourir. »

Nuage de Houx se tourna avecespoir vers la guérisseuse, maiscelle-ci était trop occupée à soignerla blessure pour lever les yeux.Nuage de Geai se glissa près d’ellepour maintenir les toiles en placependant que son mentor enappliquait de nouvelles plus bas.

Nuage de Lion revint et laissatomber un morceau de mousse prèsde Feuille de Lune, qui s’en emparaaussitôt pour laver le sang.

« Va m’en chercher d’autres ! »

Le contact de l’eau froide ne fitpas broncher Poil d’Écureuil. Elleétait inconsciente.

Nuage de Houx s’approcha plusprès.

« Elle va s’en remettre, pas vrai ?» gémit-elle.

Griffe de Ronce commença àlécher la joue de Poil d’Écureuil.

« Dors bien, ma douce. Je serai làà ton réveil.

— Que s’est-il passé ? demandaÉtoile de Feu, les yeux ronds, enarrivant à son tour.

— Reculez, vous tous ! » feulasoudain Feuille de Lune.

Le sang battit aux oreilles de

Nuage de Houx. Elle va mourir !Elle fit un pas en arrière et frôlaGriffe de Ronce. Son père tremblait.

« Nuage de Houx ! lança Feuillede Lune en la regardant droit dansles yeux. Va me chercher desfeuilles de chêne. »

Feuilles de chêne. Feuilles dechêne. Elle fila vers le rideau deronces, terrifiée à l’idée d’oublierce qu’elle devait rapporter tant ellepaniquait.

Une fois à l’intérieur de la tanièrede la guérisseuse, elle tendit la pattedans la fissure et en sortit un tas deplantes. Elle les passa en revue et entira les feuilles de chêne.

Heureusement, elles étaient faciles àreconnaître. Elle les prit entre lesdents et se précipita vers sa mère.

« Tu veux que je les mâche ?proposa-t-elle à la guérisseuse.

— Nuage de Geai peut le faire. »Nuage de Houx s’écarta. Nuage

de Lion contemplait sa mère, lesprunelles embrasées. Il veut savoirqui lui a fait ça.

Elle se rendit alors compte qu’iltremblait comme un chaton. Elleferma les yeux et sentit Tempête deSable contre elle.

« S’il est possible de la sauver,Feuille de Lune y arrivera. »

Nuage de Houx se blottit contre

son aînée, rassurée par sa chaleur.Feuille de Lune et Nuage de Geaifinirent de panser la blessure de larouquine.

« Je ne peux rien faire d’autre,annonça Feuille de Lune en seredressant. Sa vie est entre les pattesdu Clan des Étoiles. »

Elle prit une boule de mousse etla porta aux lèvres de Poild’Écureuil pour laisser l’eau luicouler dans la gorge.

Un instant plus tard, Poild’Écureuil déglutit. Était-ce bonsigne ?

« Elle a besoin d’un nid bienchaud, expliqua Feuille de Lune.

Mais je n’ose pas la déplacer depeur de rouvrir sa blessure. » Elleregarda Nuage de Houx et Nuage deLion. « Est-ce que je peux comptersur vous pour rassembler une litièreautour d’elle ? »

La novice hocha la tête.« De la fougère, des plumes, tout

ce que vous pourrez trouver. Elledoit rester immobile, bien au chaud.» La chatte au poil tigré et blanc seleva et déclara à son apprenti : «Nuage de Geai, veille sur elle etviens me trouver en cas d’évolution.Je dois m’occuper des autresblessés. » Elle tourna la tête versCœur Blanc, qui se faufilait entre les

guerriers avec un paquet de remèdesdans la gueule. « Cœur Blanc nepeut pas être partout. »

Étoile de Feu s’approcha d’elle etlui posa le museau entre les oreilles.

« Je suis fier de toi.— J’espère avoir fait ce qu’il

faut. ȃtoile de Feu se tourna vers sa

compagne.« Tu es épuisée. Tu devrais

manger et te reposer.— C’est ma fille ! Je ne bouge

pas de là ! »Le cœur de Nuage de Houx se

serra. C’est aussi ma mère ! Elle nepeut pas mourir !

« Viens, lui murmura alors Nuagede Lion. Allons chercher de quoi luiconstruire un nid. »

Nuage de Renard et Nuage deGivre étaient assis l’un contrel’autre à une longueur de queue.Étaient-ils là depuis le début ?

« Est-ce qu’on peut vous aider ?proposa Nuage de Renard.

— Nous devons trouver de quoilui faire un nid, expliqua Nuage deLion. Tout ce qui est doux et chaudfera l’affaire. »

Tandis que Nuage de Renard etNuage de Givre s’éloignaient ventreà terre, Nuage de Houx remarquaqu’Étoile de Feu et Griffe de Ronce

se trouvaient déjà sous la Corniche,en grande conversation avec PlumeGrise, Pelage de Poussière et Cœurd’Épines. Leurs regards étaientsombres et ils prenaient soin demurmurer. Elle tendit vainementl’oreille pour les épier.

« La bataille est finie, non ? Dequoi peuvent-ils bien parler ?marmonna-t-elle à son frère.

— La bataille n’a été ni gagnée niperdue, lui rappela Nuage de Lion.La disparition du soleil l’ainterrompue. Maintenant qu’il fait denouveau jour, le Clan du Ventpourrait revenir finir le travail.

— Il ne ferait pas une chose

pareille ! Le Clan des Étoiles nous abien fait comprendre que nous nedevions pas nous battre !

— Si ce sont vraiment nosancêtres qui ont caché le soleil… »

Nuage de Renard revint à toutevitesse avec une grande plume dansla gueule.

« Ça ira, ça ? demanda-t-il avantd’éternuer, et la plume s’envola pourse poser au sol.

— C’est un bon début, réponditNuage de Lion. Mais je pense quevous devriez chercher hors du camp.Il nous en faudra beaucoup. »

Nuage de Houx jeta un coup d’œilà Poil d’Écureuil, qui gisait sur le

flanc. Ses côtes se soulevaient àpeine. Elle semblait toute petite etfrigorifiée. Nuage de Geai était colléà elle, le museau près de celui de samère comme pour écouter sarespiration.

« Viens », la pressa Nuage deLion, qui partit vers la forêt.

Nuage de Houx balaya le camp duregard avec stupeur. C’est sipaisible. Comme si rien ne s’étaitpassé. Le soleil se déversait àtravers les branches et les oiseauxpépiaient dans les arbres. Quelquesfeuilles tombèrent. La saison desfeuilles mortes approchait. Lesfougères brunissaient déjà, trop

dures et sèches pour faire un nid.Elle suivit son frère, de nouveau

étourdie par la fatigue. Çà et là, unetouffe d’herbe écrasée ou des poilspris dans les ronces lui rappelaientla bataille qu’ils venaient de livreret ses blessures se remettaient à labrûler.

« Celles-ci sont douces », déclaraNuage de Lion en s’arrêtant prèsd’un bouquet de fougères vertes.

Il commença à couper une frondeavec ses crocs.

Nuage de Houx l’imita et ilstravaillèrent en silence jusqu’à cequ’ils en aient récolté une quantitésuffisante.

« Nuage de Renard ! héla Nuagede Lion.

— On arrive ! »Les taillis frémirent et les deux

jeunes apprentis apparurent avec degros morceaux de mousse dans lagueule.

« Je crois qu’on en a assez »,déclara le jeune chat doré.

Il enroula sa patte autour du tas defougères et entreprit de le tirerjusqu’au tunnel. Nuage de Houx lesuivit en poussant les frondes qui luiéchappaient en cours de route. Elleétait si épuisée que sa vue setroublait et que la forêt semblaittanguer devant elle.

« On aurait gagné, de toute façon», haleta Nuage de Lion, une foisprès du tunnel de ronces.

Vraiment ? Nuage de Houx n’enétait pas sûre. Alors qu’ellecontournait une fine traînée de sang,elle eut l’impression que les quatreClans y avaient tous perdu quelquechose, même si elle n’aurait su direquoi, exactement.

Dans le camp, Nuage de Geaiétait toujours lové contre Poild’Écureuil. À leur approche, ilreleva la tête, se mit debout ets’étira.

« Glissez la mousse sous elle,leur indiqua-t-il. Le sol est très dur.

»Nuage de Houx en poussa une

partie sous les épaules de sa mère,une autre sous son arrière-train,avant de placer le reste toutdoucement autour de son ventre. Lafourrure imprégnée de sang séché dela rouquine formait des piques dureset embaumait les remèdes. Chipieavait apporté des plumes de lapouponnière et, pendant que Nuagede Lion entourait sa mère defougères, Nuage de Houx déposa lesplumes sur elle pour lui tenir chaud.Une fois le nid fini, Nuage de Geairevint s’installer contre elle, lementon sur son épaule.

« Venez manger ! » leur lançaGriffe de Ronce, près du tas degibier.

Il ne restait que quelques prises.Ce jour-là, ils n’avaient pas eu letemps d’aller chasser.

Nuage de Lion le rejoignit, maisNuage de Houx ne bougea pas. Elleétait trop fatiguée pour manger et lechagrin lui nouait le ventre. Elle nequitterait plus sa mère. Elle se roulaen boule près de la tête de Poild’Écureuil et, soufflant doucementcontre l’oreille froide de la blessée,elle ferma les yeux.

Pitié, faites que cette bataille neme prive pas de ma mère.

CHAPITRE 18

NUAGE DE LION avala sadernière bouchée. S’il avait à peinesenti le goût de sa souris, elle avaittout de même calmé les gargouillisde son ventre. Il jeta un coup d’œilvers le soleil qui brillait haut dans le

ciel dégagé. Allait-il encoredisparaître ?

Que se passe-t-il ? Le miaulementterrifié de Nuage de Myosotis luirevint en mémoire.

Il ne pouvait pas lui faireconfiance.

Il ne pouvait pas faire confianceau soleil.

Il ne pouvait faire confiance qu’àlui-même et à son Clan.

La clairière se vidait doucementtandis qu’Étoile de Feu serpentaitentre ses guerriers pour les envoyerse reposer.

Poil d’Écureuil gisait au milieu deson nid de fortune avec Nuage de

Houx et Nuage de Geai pelotonnéscontre elle. Feuille de Lunel’examinait de nouveau.

« Tu dois te reposer, insistaÉtoile de Feu.

— Et les autres blessés ?protesta-t-elle en vacillant sur sespattes.

— Cœur Blanc s’en occupera.Elle viendra te chercher sinécessaire. »

La guerrière borgne allait d’unetanière à l’autre pour s’assurer quetous allaient bien.

« Elle aussi, elle aura besoin derepos.

— Et elle en prendra dès que tu

auras dormi. »Feuille de Lune cligna des yeux et

ses moustaches frémirent lorsqu’elleretint un bâillement.

« D’accord. Mais réveillez-mois’il y a le moindre problème. »

Son regard était posé sur Poild’Écureuil.

Nuage de Houx se blottit un peuplus contre sa mère, pressant sonmuseau contre son oreille commepour lui murmurer des paroles qui laguériraient. Nuage de Lion se crispa.Il planta ses griffes dans la terremeuble. Si seulement il pouvaitlivrer bataille contre la mort à laplace de sa mère, il en sortirait

vainqueur à coup sûr. Son ventre senoua. C’était un combat qu’elledevait gagner seule.

« Et toi, tu ne devrais pas être entrain de te reposer ? lui murmuraÉtoile de Feu à l’oreille.

— Je ne suis pas fatigué,répondit-il en soutenant le regardvert de son chef.

— Dans ce cas, suis-moi. Nousdevons décider de ce que nousallons faire. »

Nuage de Lion l’accompagnaauprès de Pelage de Poussière,Pelage de Granit et Griffe de Ronce,qui partageaient un lapin avecFlocon de Neige et Tempête de

Sable.Cette dernière leva la tête à leur

approche et poussa un morceau degibier vers le rouquin.

« Tu dois avoir faim.— Je mangerai une fois que la

réserve aura été regarnie. »La guerrière le dévisagea avant de

baisser les yeux sur le bout deviande qu’elle lui avait offert.

« Tu as besoin de reprendre desforces comme tout le monde. »

Étoile de Feu s’assit, les épaulestombantes, et prit le morceau delapin.

« Merci. »Griffe de Ronce était installé de

travers – l’épine plantée dans sonflanc le gênait visiblement. Nuage deLion ravala le grondement quimontait dans sa gorge. Personned’autre ne souffrirait à cause de latrahison de Nuage de Myosotis ! Ilsallaient organiser les représaillescontre le Clan du Vent et le Clan dela Rivière. Les lâches ! Leur attaquesournoise n’était pas digne devéritables guerriers. Le Clan duTonnerre les ferait payer.

« Vous croyez qu’il va denouveau disparaître ? » lança Pelagede Poussière, la queue gonflée.

Pelage de Granit n’avait pasencore nettoyé le sang qui souillait

ses pattes. Il traça une ligne dans lesable du bout d’une griffe écarlate.

« Ce pourrait n’être que le début.— Nous ne devons pas paniquer,

miaula Étoile de Feu. Nous devonscroire que ce n’était qu’un message,rien de plus. »

Voilà tout ce dont ils vont causer? De la disparition du soleil ?Nuage de Lion n’en croyait pas sesoreilles.

« Et si ce n’était pas un message ?répondit Pelage de Poussière. Et sile soleil était malade ?

— Il n’a jamais été malade,rétorqua Tempête de Sable.Pourquoi le serait-il maintenant ?

— Il n’avait jamais disparu avant,lui rappela Pelage de Granit.

— C’était sûrement un moyenpour le Clan des Étoiles de nousordonner de cesser les combats,miaula Griffe de Ronce.

— Pourquoi nous prévenir, nous ?feula Pelage de Poussière. Ce n’estpas nous qui avons déclenché cetteguerre !

— Ce n’était peut-être qu’unnuage étrange », suggéra Flocon deNeige.

Nuage de Lion savait que leguerrier blanc était né dans un nid deBipèdes et qu’il n’avait jamaisvraiment cru au Clan des Étoiles.

« Et d’où venait ce nuage ? lepressa Pelage de Granit. Et où est-ilallé ensuite ? Le ciel était dégagé.

— Il doit y avoir une explication,soupira Flocon de Neige.

— C’est le Clan des Étoiles,insista Pelage de Poussière.Forcément. »

Qu’est-ce que ça peut bien faire? s’impatienta Nuage de Lion, quibouillonnait de rage. La bataillecontre le Clan du Vent devait êtreterminée une bonne fois pour toutess’ils voulaient un jour pouvoirdormir l’esprit tranquille dans leurstanières. Peu importait le soleil. Ilfallait s’occuper des ennemis. Ses

griffes s’enfoncèrent dans le sol.« Tu as quelque chose à dire ? »Nuage de Lion se rendit compte

que le meneur s’adressait à lui.J’ai plein de choses à dire !« Nous devons donner une leçon

au Clan du Vent ! s’emporta-t-il ense levant. Ils ne peuvent pas nousenvahir sans en subir lesconséquences.

— Trop de sang a déjà coulé,Nuage de Lion, répondit Griffe deRonce en secouant la tête.

— La bataille est terminée,confirma Étoile de Feu. Nousdevons découvrir pourquoi le soleila disparu.

— Est-ce que Feuille de Lune iraà la Source de Lune pour communieravec nos ancêtres ? » voulut savoirTempête de Sable.

Étoile de Feu jeta un coup d’œil àPoil d’Écureuil, à l’autre bout de laclairière.

« Une fois que nos blesséspourront se passer d’elle.

— J’espère que ce sera bientôt,marmonna Pelage de Poussière.

— Le plus tôt sera le mieux »,enchérit Pelage de Granit.

Nuage de Lion lacéra le sol.Pourquoi attendre de savoir si leursancêtres connaissaient la réponse ?Ce n’était pas le moment de

s’interroger sans fin. Il fallait agir !Une bataille devait être livrée. Unetrahison devait être punie.

« Et pourquoi on ne pourraitpas… ? »

Il se tut.Il avait interrompu Tempête de

Sable. Elle le fixait, la gueuleouverte.

« Pardon. »Nuage de Lion recula, soudain

conscient qu’il n’était qu’unapprenti.

« Tu devrais peut-être aller tereposer », suggéra gentiment Étoilede Feu.

Nuage de Lion hocha la tête et

s’éloigna, laissant le cercle deguerriers aux prises avec leursquestionnements. À chaque pas, ilsoulevait un nuage de poussière. Unjour, ils l’écouteraient.

Nuage de Houx et Poil d’Écureuildormaient. Il s’arrêta près d’ellespour regarder leurs flancs sesoulever en rythme comme si ellesrespiraient d’un même souffle.Nuage de Geai était parti.

Mais il apparut sur le seuil de latanière de Feuille de Lune, de lamousse dégoulinante dans la gueule.Il vint presser la mousse contre leslèvres de leur mère.

« Est-ce qu’elle va s’en remettre ?

murmura l’apprenti guerrier.— Je le pense. Il n’y a aucun

signe d’infection.— Est-ce que le Clan des Étoiles

t’a prévenu qu’elle serait blessée ? »Nuage de Geai reposa la mousse.« Non. » Il aplatit une fronde qui

rebiquait devant la truffe de Poild’Écureuil. « Et, avant que tu me ledemandes, il ne m’avait pas non plusparlé de la disparition du soleil nide la bataille. »

Nuage de Lion plissa les yeux. Ilsavait lorsque son frère avait uneidée en tête.

« Tu ne crois pas que le Clan desÉtoiles soit mêlé à la disparition du

soleil, pas vrai ?— En effet », confirma l’aveugle

en s’asseyant.Et ? Pourquoi Nuage de Geai

devait-il toujours faire des mystèrespour tout ?

« Je crois…— Oui ?— Je crois que je connais

quelqu’un qui pourrait nousrépondre. »

Les poils de Nuage de Lion sehérissèrent le long de son échine.Les yeux bleu pâle de Nuage deGeai semblaient le fixer.

« Nous devons retrouver Sol. Ilavait tout prédit. Il a dit à Feuille de

Lune que des ténèbres arrivaient etque le soleil disparaîtrait. Je croisqu’il était prêt à nous en diredavantage, mais Étoile de Feu l’achassé. »

Une vague de déception engloutitNuage de Lion. Nuage de Geain’était pas mieux que les guerriers.

« Pourquoi est-ce que tout lemonde est obsédé par le soleil ?s’emporta-t-il. Ce n’est pasimportant ! Ce qui compte, c’estqu’il est revenu et que tout va bien.Maintenant, il faut régler leproblème du Clan du Vent. Ils vontrevenir si nous ne leur montrons pasque…

— C’est très important, le coupal’apprenti guérisseur. Le Clan duVent n’est rien d’autre qu’une épinedans notre pelage. Nous pouvonsnous en débarrasser n’importequand. Or, le soleil a disparu, et Solsavait que cela arriverait.Contrairement au Clan des Étoiles !Tu ne comprends pas ce que çasignifie ?

— Et que pouvons-nous y faire ?s’exclama Nuage de Lion, quirefusait d’admettre qu’il n’ycomprenait rien.

— Nous devons trouver Sol.— Ne dis pas de bêtises ! Il est

parti hier. Il pourrait être n’importe

où. Et Étoile de Feu ne va pas nouslaisser nous promener à sarecherche. Il y a eu une bataille. Lamoitié des guerriers sont blessés etqui sait quand viendra la prochaineinvasion ?

— Souviens-toi de la prophétie !rétorqua l’aveugle. Nous détenons lepouvoir des étoiles entre nos pattes !Ce qui nous rend plus puissantsqu’Étoile de Feu, que le Clan desÉtoiles ! Si Sol sait pourquoi lesoleil a disparu, nous devons leretrouver ! »

CHAPITRE 19

NUAGE DE GEAI avait envie degriffer les oreilles de son frère pourqu’il l’écoute. Essaie decomprendre !

« Nous devons trouver Sol !

répéta-t-il.— Qui ça ? » murmura Poil

d’Écureuil, qui remua près de lui.Elle est réveillée !Nuage de Geai enfouit son museau

dans le pelage de sa mère. Elles’était réchauffée. Mais elle n’avaitpas de fièvre. Pas d’infection, donc.Il posa une patte sur son flanc. Sarespiration était plus régulière, pastrop rapide. Elle se remettait duchoc causé par la blessure.

« Comment va Nuage de Lion ?s’enquit la guerrière d’une petitevoix.

— Je suis là, répondit-il en luieffleurant l’oreille du bout de la

truffe.— Et Nuage de Houx ? Est-ce

qu’elle est blessée ?— Nuage de Houx va bien aussi,

la rassura Nuage de Geai. Noussommes tous sains et saufs. »

Les fougères bruissèrentlorsqu’elle leva la tête.

« Est-ce que le soleil a denouveau disparu ?

— Non, regarde ! l’encourageal’apprenti guérisseur. Il brilletoujours. »

Poil d’Écureuil reposa sa tête surses pattes.

« Le Clan des Étoiles doit être encolère contre nous.

— Pas contre nous, rectifia Nuagede Lion. Contre le Clan du Vent. »

Cela n’a rien à voir avec le Clandes Étoiles. Nuage de Geai tapotales fougères autour de la tête de samère. Il avait l’impression deprendre soin d’un chaton angoissé.

Nuage de Houx leva la tête à sontour.

« Elle est réveillée ? demanda-t-elle en se levant d’un bond. Poild’Écureuil !

— C’est toi, Nuage de Houx ? »La novice plongea son museau

dans la fourrure de sa mère.« J’ai eu tellement peur que tu

meures !

— Je ne te quitterai jamais, machère petite », ronronna la rouquine.

Nuage de Geai entendit des pasprécipités venir vers eux et reconnutl’odeur de Cœur Blanc.

« Je l’ai vue bouger ! s’écria laborgne.

— Elle est réveillée, lui appritNuage de Geai. Pas de fièvre et sarespiration est stable.

— Est-ce que je vais chercherFeuille de Lune ?

— Non, miaula Nuage de Geai.Elle dort. Nous ne la réveilleronsque si l’hémorragie reprend ou siPoil d’Écureuil commence às’agiter.

— Comment ces plumes se sont-elles retrouvées là ? demanda lablessée en reniflant sa doucecouverture. Et les fougères ?

— Nous avons bâti un nid toutautour de toi, lui expliqua sa fille.

— Merci, murmura-t-elle, pleinede fierté. J’ai de la chance d’avoirdes petits si courageux, et si gentils.

— Tu devrais te reposer, Poild’Écureuil, lui conseilla CœurBlanc. Tu as perdu beaucoup desang.

— Oui, souffla Poil d’Écureuil, tuas raison.

— Elle ferme les yeux, murmuraNuage de Houx. Laissons-la dormir.

— Vous devriez vous reposeraussi, tous les trois, leur conseilla laguerrière blanche. Je veillerai surelle jusqu’à ce que Feuille de Lunese réveille. »

Nuage de Geai fut secoué defrissons. Ce pourrait être leur chancede chercher Sol.

« Merci, Cœur Blanc, répondit-ilen simulant une grande fatigue.Venez, dit-il à Nuage de Lion etNuage de Houx. Allons dormir. »

Il s’immobilisa dès qu’il ne futplus à portée de voix de CœurBlanc.

« Qu’est-ce qu’il y a ? s’enquitNuage de Houx en s’arrêtant près de

lui. Tu es nerveux comme une puce.— Nous devons trouver Sol !

s’écria-t-il, avant d’expliquer sathéorie à sa sœur. Et tout de suite,pendant que le Clan pense que nousdormons.

— Nous devons l’accompagner,dit Nuage de Lion. Sinon, il seraitbien capable de partir seul. Tu tesens d’attaque ?

— Oui. Ma sieste m’a fait un bienfou. Attendez un instant. »

Elle partit à toute vitesse et revintavec une musaraigne un peu sèche.Nuage de Geai fronça la truffe.

« Tu ne vas pas manger ça, quandmême ?

— Je meurs de faim, pas toi ?— Non. » Nuage de Geai était

trop angoissé pour se préoccuper deson estomac. Il pourrait manger plustard. « Dépêche-toi. »

Nuage de Houx attaqua le rongeurà grands coups de crocs.

« Est-ce que Cœur Blanc nousregarde ? demanda Nuage de Geai àson frère.

— Non, elle veille sur Poild’Écureuil. Elle nous tourne le dos.

— Qui d’autre est dans laclairière ?

— Personne. Ils sont tous allés secoucher dans leur tanière. » Ilmarqua une pause avant d’ajouter : «

Étoile de Feu est sur la Corniche.— Mais il dort.— Comment le sais-tu ?— J’entends sa respiration, elle

est profonde. » Il leva la truffe etpoursuivit : « Plume Grise gardel’entrée. Il faudra qu’on parte endouce par le “petit coin”.

— Oh non, encore ! soupiraNuage de Lion. Tu es vraimentcertain qu’on doive retrouver ce Sol?

— Il pourrait détenir toutes lesréponses !

— Tu parles de la prophétie, pasvrai ? »

Et du Clan des Étoiles. Et de la

Tribu de la Chasse Éternelle. Quid’autre pouvait connaître ce secret ?

« Ce n’est qu’une hypothèse,admit Nuage de Geai. Je dois enavoir le cœur net. »

Nuage de Lion donna un petitcoup de museau à Nuage de Houx.

« Tu as fini ?— Oui ! » répondit-elle la gueule

pleine tout en suivant ses deux frèresvers le tunnel menant à la petiteclairière où ils faisaient leursbesoins.

« Attendez ! » souffla soudainNuage de Geai.

Tous trois se cachèrent derrièreun buisson. Des bruits de pas

approchaient. Nuage de Lion se tapitprès de Nuage de Geai.

« Qu’est-ce qu’il y a ? »Bois de Frêne et Truffe de Sureau

sortaient l’un derrière l’autre dupetit tunnel.

« J’ai battu deux guerriers du Clandu Vent seul, se vantait le premier.

— Ils sont peut-être rapides, maisils sont petits, répondit le second.Une fois qu’on les a attrapés, il estfacile de leur donner une correction.

— Contrairement au Clan de laRivière. Ceux-là, ils doivent passerleur temps à manger. Ils ressemblentplus à de gros poissons sur pattesqu’à des chats. »

Nuage de Geai retint son soufflelorsqu’ils passèrent devant eux avantde disparaître dans le gîte desguerriers.

Ils se faufilèrent dans la petiteclairière puis dans la forêt. Nuagede Geai se sentit soulagé de seretrouver sous les arbres malgré lapuanteur des crottes qui emplissaitses narines. Ils se cachèrent derrièreun roncier le temps de décider de ladirection à prendre.

« Alors ? » fit Nuage de Houx.Nuage de Geai huma l’air. Il avait

eu le vague espoir de retrouver lapiste de Sol. Cependant, s’il n’avaitpas plu depuis sa visite, la veille, la

bataille avait déversé sur la forêtune marée d’odeurs inconnues.Quatre Clans s’étaient battus ici. Ilne restait aucune trace du passage deSol.

« Pelage de Poussière l’araccompagné à la frontière du Clandu Vent, lui rappela Nuage de Lion.

— C’est là que je l’ai vu lapremière fois, ajouta leur sœur.Dans la lande.

— Il n’y sera plus, rétorquaNuage de Geai.

— Et pourquoi ?— Parce qu’il y a déjà été. »Nuage de Geai était certain que

Sol connaissait tout des quatre

Clans. Comme il avait cherché àrencontrer Étoile de Feu et qu’ilétait passé par le territoire du Vent,il paraissait logique qu’il veuilleentrer en contact avec les autresClans. Nuage de Geai espéraitsimplement qu’il n’était pas partivers le Clan de la Rivière. C’étaitde l’autre côté du lac, trop loin pourfaire l’aller-retour sans que leurscamarades remarquent leur absence.

« Il a dû aller voir le Clan del’Ombre », affirma-t-il malgré sonincertitude.

Il craignait que son frère et sasœur refusent de le suivre s’il n’étaitpas certain de savoir où aller.

— Comment le sais-tu ? s’enquitNuage de Lion.

— Je le sais, c’est tout.— Nous ne pouvons pas aller sur

leur territoire ! s’étrangla Nuage deHoux.

— Tu l’as pourtant fait, toi, luirappela l’aveugle.

— C’était une urgence.— Là aussi, c’est une urgence !— Nous ignorons où il se trouve

exactement. Je n’ai vu aucunétranger lors de ma visite.

— Il n’était peut-être pas encorearrivé.

— Nuage de Houx a raison, lasoutint Nuage de Lion. Nous ne

pouvons pas nous promener sur leurterritoire. Nous sortons tout justed’une bataille. Ils nous réduiraienten charpie.

— Tu n’es pourtant pas du genre àavoir peur, le railla Nuage de Geai.

— Je n’ai pas peur pour moi,mais pour le Clan.

— C’est vrai, soupira Nuage deHoux. Le Clan de l’Ombre a éténotre seul allié. Nous ne devons pasrisquer de les contrarier. »

Nuage de Geai fit claquer unepatte sur le sol. Leur conversation nemenait à rien.

« Et si nous grimpions vers lafrontière tout en restant sur notre

territoire ? suggéra Nuage de Houx.Nous pourrions trouver une trace dupassage de Sol. Si tu as raison et s’ilessaie en effet d’entrer en contactavec nos voisins de l’Ombre, il estobligé de traverser notre territoire.

— C’est logique, approuva Nuagede Lion. Et un solitaire comme luiaura tout fait pour rester à l’écartdes combats.

— Entendu », miaula Nuage deGeai, et il sortit du roncier.

Il trébucha aussitôt sur unebranchette.

« Je vais prendre la tête »,proposa Nuage de Lion.

Nuage de Geai oublia de se vexer.

L’heure était trop grave. Il était plusprès que jamais d’obtenir desréponses à propos de la prophétie.

Ils prirent la direction opposée aulac et s’enfoncèrent dans la forêt,plus loin qu’aucun d’eux n’étaitjamais allé. Ils ne reconnaissaientplus le terrain. Les grandes feuillesde chêne et de hêtre, si douces sousleurs pattes, laissèrent la place à desfeuilles froissées de noisetier.Nuage de Geai ne sentait même plusl’odeur du lac et les bois devinrentplus touffus. Des arbustes poussaientles uns contre les autres et ilsdevaient louvoyer le long d’unsentier sinueux. Les odeurs de gibier

se firent plus rares.Le terrain grimpait de plus en

plus, et Nuage de Geai flairait déjàl’air de la montagne.

« Nous avons atteint le bord denotre territoire ! » annonça Nuage deLion.

Nuage de Geai renifla. Quelquestraces éventées du Clan du Tonnerreet, au-delà, plus rien. Le cœur del’apprenti guérisseur s’affolalorsqu’il suivit son frère de l’autrecôté du marquage, soulagé de sentirsa sœur tout près de lui. Il avaitl’impression de tomber au bord dumonde.

« Je sens quelque chose »,

annonça Nuage de Lion en s’arrêtant.Nuage de Geai se précipita pour

renifler les brindilles près de sonfrère.

« C’est lui ! s’écria-t-il. Il estpassé par là. »

L’odeur du matou était ténue,dissipée par la brise, mais encorereconnaissable. Nuage de Geais’avança en se fiant à son odorat.Une autre trace, là ! Ils avaientretrouvé la piste de Sol !

« Il se dirigeait donc bien vers leClan de l’Ombre, déclara Nuage deHoux.

— Et s’il a pénétré dans leurterritoire ? demanda Nuage de Lion.

— On avisera », répondit Nuagede Geai, pressé de se remettre enroute.

Ils avancèrent droit devant eux.Soudain, Nuage de Geai flairal’odeur du Clan de l’Ombre. Ils’arrêta, aux aguets. Pas le moindresigne d’une patrouille approchant,personne ne faisait bruire les taillis.

« Ce n’est que leur marquage, lerassura son frère. Nous avons atteintla limite du territoire du Clan del’Ombre. »

Nuage de Geai exulta. Il avait vujuste. Sol avait bel et bien cherché leClan de l’Ombre. La piste longeaitla frontière ; une brindille ici, une

feuille là portaient la trace de Sol.L’excitation de Nuage de Geai étaità son comble lorsque, soudain,l’odeur disparut. Il tourna en rond, latruffe en l’air.

Rien !Nuage de Lion renifla les taillis

devant eux.« Rien par ici ! »Non !Nuage de Geai fut soudain

découragé.« J’ai l’impression qu’on l’a

perdu, soupira Nuage de Houx.— Essayons dans une autre

direction, suggéra Nuage de Geai, leventre noué.

— Il est peut-être passé du côtédu Clan de l’Ombre.

— Allons voir ! s’impatiental’apprenti guérisseur.

— Pas question ! protesta sonfrère.

— Attendez ! lança Nuage deHoux en s’éloignant à toute vitesse.

— Où vas-tu ? »Elle fut bientôt de retour.« J’ai trouvé une touffe de

fourrure, annonça-t-elle. Longue,avec un mélange de poils écaille etblancs. Ce doit être lui. »

Nuage de Geai flaira les poilsqu’elle avait posés par terre.C’étaient bien ceux de Sol !

« Où les as-tu trouvés ?— Dans l’herbe, là-bas. On voit

même par où il est passé : les touffessont écrasées.

— Mais cette piste s’éloigne de lafrontière du Clan de l’Ombre, fitremarquer Nuage de Lion. Je croyaisqu’il était censé gagner leur camp.

— J’ai dû me tromper », réponditNuage de Geai avec un haussementd’épaules.

La truffe au sol, il plongea dansl’herbe haute en déployant son espritdans l’espoir de repérer l’étranger.Il ne découvrit que des odeursnouvelles et un territoire inconnu.

Une épine lui griffa la joue. Nuage

de Geai recula d’un bond. Desronces avaient envahi le sentier.

« Attention, murmura Nuage deLion en se glissant devant lui pourécarter l’obstacle.

— Laisse-moi passer devant,suggéra Nuage de Houx. Il y a desronces partout. »

Nuage de Geai la laissa faire sansprotester. Des picotements couraientsous sa fourrure. Ils devaient êtretout près de Sol ! Plus ilss’éloignaient de la frontière du Clande l’Ombre, plus l’odeur devenaitforte. Il allait enfin savoir pourquoile soleil avait disparu. Et si c’étaitlié à la prophétie.

« Aïe ! gémit Nuage de Houx. Uneépine m’a griffé la truffe.

— Ça va ? s’inquiéta Nuage deGeai en flairant l’odeur du sang.

— Oui. Je ne l’ai pas vue. Ilcommence à faire sombre. »

L’aveugle se rendit alors comptequ’il devait être tard. Il pensait quel’air s’était rafraîchi parce qu’ilss’étaient rapprochés des montagnes,alors que le soleil avait décliné. Ilse sentit un peu coupable enpercevant l’épuisement de sa sœur.Il lui imposait ce long périple alorsqu’elle avait déjà livré une bataille,ce jour-là. Il se concentra sur Nuagede Lion, qui avait poursuivi seul.

Son frère paraissait aussi fort qued’habitude, comme s’il neconnaissait pas la fatigue.

« Nous devrions peut-être nousarrêter un peu, lança l’apprentiguérisseur. Afin que Nuage de Houxpuisse se reposer. » Pour lapremière fois, il prit conscience desa propre fatigue. Il avait mal auxpattes, ses coussinets étaient à vif etil était si tendu que ses muscles letiraillaient. Et toi qui te disais pluspuissant que le Clan des Étoiles ! Ilavait l’impression d’être un apprenticomme les autres, soumis auxvulgaires besoins de son corps.

« Nuage de Lion ? lança-t-il

encore, inquiet que son frère n’aitpas répondu. Nuage de Houx, tu levois ?

— Il n’est qu’à quelqueslongueurs de queue de nous. Il s’esttapi dans l’herbe…

— Qu’est-ce qu’il y a ?— Un nid de Bipèdes, murmura-t-

elle. À travers les arbres, jel’entrevois tout juste. »

Nuage de Geai se dépêcha derejoindre son frère, aussitôt imitépar Nuage de Houx.

« Il est abandonné, leur annonçaNuage de Lion lorsqu’ils se tapirentprès de lui. Comme celui de notreterritoire. » Il renifla avant de

poursuivre : « La moitié des mursest en ruine et il n’y a même pas deplafond.

— Ça pue le Bipède, pourtant »,gronda Nuage de Houx.

Nuage de Geai fronça la truffe.Les remugles étaient éventés.

« Ils ne sont pas venus ici depuislongtemps, déclara-t-il.

— Venez, les pressa Nuage deLion qui se mit à ramper vers le nid.Restez tout près de moi. »

Nuage de Geai le suivit en secollant à sa sœur, bien conscientd’avoir besoin d’elle pour le guidersur ce sentier sinueux. Il s’efforça dese bâtir une image mentale de la

forêt alentour, mais il ne voyait quedes ténèbres. Le vent sifflait, faisaitgrincer les arbres. Nuage de Geaidressa l’oreille, guettant le chant desoiseaux. Rien. Ils doivent déjàdormir. Il huma l’air. Pas de fumetde gibier, pas même une souris.Frustré et perturbé, il suivit Nuagede Lion en se sentant plus aveugleque jamais.

Il foula bientôt des graviers, puisde la pierre. Le vent n’ébouriffaitplus sa fourrure.

« Nous sommes dedans ? »demanda-t-il à son frère.

Son miaulement résonnaétrangement.

« Juste sur le seuil.— Tu vois quelque chose ? »L’apprenti guérisseur remua les

moustaches, dégoûté par lapestilence qui régnait là.

« Ça a l’air désert », murmuraNuage de Lion.

Le cœur de Nuage de Geai seserra. Jusqu’où devraient-ils allerpour retrouver Sol ? Il sursautalorsque Nuage de Houx pivotabrutalement près de lui, les poils enbataille.

Une voix grave résonna derrièreeux.

« Est-ce moi que vous cherchez ?»

CHAPITRE 20

NUAGE DE HOUX fixa Sol,soudain consciente de l’alluredépenaillée qu’ils présentaient, sesfrères et elle. Leur pelage étaitébouriffé, semé de bouts de feuilleset de brins de mousse, sans parler

des traces de sang autour de leursgriffes. Sol les dévisagea, sonélégante tête tricolore penchée decôté, les taches blanches de sonpelage teintées de rose parl’approche du crépuscule. Ses yeuxbrillaient, ambrés telle la sève sousles rayons du soleil.

Serait-il furieux qu’ils l’aienttraqué ?

Il n’en avait pas l’air.Il ne semblait même pas surpris. Il

cligna calmement des yeux en lessaluant d’un hochement de tête.

« Je me disais bien que vousviendriez. » Son miaulement étaitprofond et doux comme le miel de la

saison chaude. Il ajouta à l’adressede Nuage de Geai : « Je savais quetu serais curieux après la venue de lagrande obscurité.

— Comment savais-tu qu’ellearrivait ?

— As-tu eu peur ?— Bien sûr !— Alors même que je t’avais

prévenu ? »Son regard était inflexible et si

intense que la vue de Nuage de Houxse troubla : elle ne voyait plus lesarbres autour d’eux, juste les yeuxde Sol.

Elle cilla en frissonnant et mitcela sur le compte de la fatigue.

« C’est pour cette raison que tu esvenu parmi nous ? demanda Nuagede Geai en s’approchant de Sol, lementon relevé. Pour nous prévenir ?

— Donner des mises en garden’est pas dans mes habitudes »,répondit Sol – le bout de sa queues’agitait.

Il gagna les herbes folles quipoussaient le long du sentiercaillouteux, en aplatit un carré dubout d’une patte avant de s’asseoir.Il enroula sa queue épaisse au poilbrun et blanc autour de ses pattes.

« Asseyez-vous, déclara-t-il, et illeur fit signe de le rejoindre. S’ilnous faut parler, autant être à notre

aise. »Nuage de Geai se guida au son de

sa voix en tâtonnant l’herbe. Nuagede Houx le suivit, un peu mal àl’aise. Sol scrutait leurs moindresmouvements. L’herbe était longuemais douce. Comme Sol, ellel’aplatit avant de s’asseoir.

Nuage de Lion s’attarda sur leseuil du nid de Bipèdes, la fourrurehérissée.

« Viens », lui lança Nuage deHoux en lui préparant une place prèsd’elle.

Sans quitter l’inconnu des yeux, ilvint s’installer à côté d’elle.

« Votre frère n’a pas l’air de me

faire confiance, fit remarquer Sol.— Tu n’es pas un chat des Clans,

rétorqua Nuage de Lion.— Fais-tu donc confiance à tous

les membres des Clans ?— Bien sûr que non ! Par contre,

je peux plus ou moins deviner cequ’ils ont en tête.

— C’est vous qui êtes venus mechercher, fit remarquer Sol. Est-ilbien juste de me déranger, puis deme reprocher votre incapacité à liredans mes pensées ?

— J’imagine que non », admitl’apprenti guerrier.

Nuage de Houx sentait Nuage deGeai trépigner à côté d’elle. Sol dut

s’en apercevoir aussi car il luidemanda :

« Tu as une question à me poser,non ?

— Connais-tu la prophétie ? »lança l’apprenti guérisseur tout dego.

Nuage de Houx écarquilla lesyeux. Personne ne connaissait cetteprophétie à part Étoile de Feu – etlui-même ignorait qu’ils étaient tousles trois au courant. Les oreilles deNuage de Lion frémirent. PourquoiNuage de Geai partageait-il leursecret le plus important avec unparfait inconnu ?

Un inconnu, certes, mais qui avait

su que le soleil disparaîtrait.Sol remua le bout de sa queue.« Elle vous concerne, n’est-ce pas

?— Oui. “Ils seront trois, parents

de tes parents, à détenir le pouvoirdes étoiles entre leurs pattes.”

— Et vous êtes ces trois-là »,murmura Sol en s’inclinant avecrespect.

Nuage de Geai tremblait commeun chaton excité. Nuage de Houx luijeta un coup d’œil surpris. Son frèrepensait réellement que Sol détenaitles réponses que le Clan des Étoilesne voulait pas lui donner… Ou nepouvait pas. Elle frémit. La

prophétie dépassait peut-être lescompétences du Clan des Étoiles…

Prise de nausée, elle écarta cetteidée alors que son cœur s’emballait.Rien n’était supérieur au Clan desÉtoiles ! Ni au code du guerrier !

Sol la tira de ses pensées.« La prophétie est une lourde

responsabilité à porter pour trois sijeunes félins, déclara-t-il, son regardambré plein de compassion.

— Je suis capable de pénétrer lesrêves des autres chats, et leurssouvenirs, déclara Nuage de Geai engriffant l’herbe.

— Et toi ? fit Sol à Nuage deLion. Je sens une force brûler en toi.

»La queue de Nuage de Lion frémit.« Une force qui te fait peut-être un

peu peur ? suggéra l’inconnu d’unevoix plus douce.

— Je peux me battre sans jamaisfaiblir ni être blessé », admit Nuagede Lion d’une toute petite voix.

Nuage de Houx contemplait sespattes. Quel était son propre pouvoir? Elle savait qu’elle en possédait un.Elle le sentait vibrer au plus profondde son être. Mais la seule chose dontelle était certaine – si certaine quecela la blessait comme une épineplantée dans son flanc –, c’étaitqu’elle devait défendre le code du

guerrier, que c’était vital pourl’existence des Clans.

Est-ce que Sol comprendrait ?C’était un solitaire. Commentpourrait-il saisir l’importance de cequi assurait la cohérence des quatreClans ? Elle se redressa ens’attendant à ce qu’il la regarde,mais il avait fermé les yeux, la têtepenchée de côté.

« Bien sûr, vous devez nourrir cespouvoirs, annonça-t-il d’un tonléger. Écoutez vos voix intérieures,votre instinct, qui, chez les autreschats, ne pousse qu’à chercher de lanourriture et un abri. Allez savoir,cet instinct vous poussera peut-être à

accomplir de grandes choses…— Est-ce que la disparition du

soleil était liée à nous ? » demandaNuage de Geai en chassant unmoustique posé sur sa truffe.

Nuage de Houx se raidit. Ellen’avait pas pensé que la prophétie etl’horrible obscurité pouvaient êtreliées. Elle se pencha en avant ; despicotements fourmillaient dans sespattes.

« Peut-être.— Comment ça ? se braqua Nuage

de Lion.— Peut-être que vous êtes comme

l’ombre qui a couvert le soleil etqu’un jour vous couvrirez les étoiles

du firmament pour que les chats vousvoient, vous, à la place du Clan desÉtoiles.

— Est-ce que cela veut dire quenous serons morts ? hoqueta Nuagede Houx.

— Bien sûr que non. Vous serezsimplement plus puissants que vosancêtres. La lumière reviendra, toutcomme le soleil est revenu,cependant, ce sera votre lumière etil vous appartiendra de la contrôler.»

Notre lumière ?Nuage de Geai ressemblait à une

souris ébahie, sa queue dressée droitderrière lui.

« Mais… mais si nous contrôlonsla lumière… » Nuage de Houxcherchait les mots justes pourdécrire sa peur grandissante. Plusrien n’avait de sens. « Si nouscontrôlons la lumière… »

Sol se pencha vers elle, commepour l’encourager à parler.

« Et le code du guerrier, alors ?finit-elle par miauler. Quelle placeaura-t-il ?

— La place que vous luidonnerez. Vous aurez le pouvoir dele détruire, ou de le préserver. Àvous de voir. »

Détruire le code !Nuage de Houx eut le tournis.

« Nous ne pouvons pas être pluspuissants que le code…, murmura-t-elle.

— Sol, la coupa Nuage de Geai,tu dois nous suivre jusqu’au camp.Tu dois devenir notre mentor.

— Moi ? s’étonna le matou. Vousn’avez pas besoin de moi. Laprophétie se réalisera d’elle-même.»

À l’entendre, c’était la chose laplus simple du monde.

« Tu en sais tellement plus que lesautres, insista Nuage de Geai. Tusavais que le soleil allaitdisparaître. Tu dois pouvoir nousaider.

— Je ne peux pas vivre sur votreterritoire, leur fit-il remarquer.Étoile de Feu ne le permettraitjamais.

— Tu pourrais t’installer juste àla frontière, suggéra Nuage de Lion,l’œil brillant. Nous pourrionst’aménager une tanière et te rendrevisite tous les jours pour t’apporterde la nourriture. »

Nuage de Houx luttait toujourscontre la vague de peur qui menaçaitde l’engloutir. Plus puissants que lecode ! Elle sentit Nuage de Geai luidonner un coup de museau.

« Tu veux qu’il vienne, n’est-cepas ?

— Est-ce… est-ce que ce seracompatible avec nos corvéesd’apprentis ? »

Son esprit pratique s’exprimaitmachinalement pendant que millequestions tourbillonnaient dans satête. Que pourrait leur montrer cetétranger ? Ils avaient appris presquetout ce que leurs mentors avaient àleur transmettre. Pourtant ilspouvaient en apprendre encorebeaucoup. Et si leur destin étaitvraiment de devenir plus puissantsque le code du guerrier, alors ilsauraient besoin d’être habilementguidés.

« Je t’en prie, viens ! implora

Nuage de Geai.— Très bien », répondit Sol après

avoir jeté un coup d’œil au nid deBipèdes en fronçant la truffe.

Nuage de Houx le dévisagea avecstupéfaction. Comment avait-il puchanger d’avis si vite ?

« Vraiment ? fit-elle, soulagée.— Oui. Comment pourrais-je

ignorer la prophétie ? Voussouhaitez que je vous aide à suivrevotre voie véritable.

— Allons-y ! » s’écria Nuage deGeai en bondissant sur le sentier depierre.

Nuage de Lion passa en tête et Solferma la marche. Nuage de Geai

trépignait derrière son frère commeun chaton pour essayer de le faireaccélérer, comme s’il mouraitd’impatience de recevoir sapremière leçon de Sol. Nuage deHoux avait l’habitude de voir sonfrère traîner les pattes dans laclairière pour aller faire ses corvéesd’apprenti. À présent qu’il était toutexcité, elle se demanda pourquoielle-même ne ressentait que de lapeur.

Mais c’était vraiment exaltant,non ? Plus puissante que le code duguerrier, ce n’était pas pour autantqu’elle devrait le détruire. Aucontraire, elle aurait le pouvoir de le

préserver pour toujours. Sol l’avaitdit. C’était plus que ce dont elleavait toujours rêvé : la capacitéd’assurer le futur des Clans pour deslunes et des lunes à venir.

Ils revinrent sur leurs pas jusqu’àla frontière du Clan de l’Ombre puissuivirent le marquage jusqu’à leurpropre territoire. Il était tard, lesoleil déclinait et Nuage de Lionpressait l’allure, manifestementimpatient d’installer Sol dans unetanière de fortune et de rentrer aucamp. Leurs camarades s’étaient-ilsrendu compte de leur absence ?Comment allaient-ils s’expliquer ?

Un frémissement dans les taillis

de l’autre côté de la frontière fitsursauter Nuage de Houx.

« Chut ! » fit Nuage de Geai, quis’arrêta et retint Nuage de Lion parla queue.

Les félins se tapirent dans lesherbes, mais il était trop tard.

« Au nom du Clan des Étoiles,que faites-vous ici ? lança FeuilleRousse, les yeux écarquillés.

— Ne t’inquiète pas, murmuraNuage de Houx à Sol. Les guerriersdu Clan de l’Ombre étaient nosalliés, aujourd’hui, sur le champ debataille.

— Vous nous espionnez ? Est-ceque c’est Étoile de Feu qui vous

envoie ? »Nuage de Geai se redressa face au

lieutenant du Clan de l’Ombrecampé de l’autre côté de la frontière.

« Crois-tu qu’Étoile de Feu mechoisirait pour espionner qui que cesoit ? rétorqua l’apprenti guérisseur,sarcastique.

— Alors que faites-vous ici ? »Pelage de Fumée vint se placer

près de Feuille Rousse. Alors qu’ilexaminait Sol, son regard s’attardasur la fourrure soyeuse et les griffesémoussées de ce dernier.

« On dirait qu’Étoile de Feu vaadopter un autre chat domestique,déclara-t-il.

— Un chat domestique ? répétaSol sans comprendre.

— Il veut dire un matou né dansun nid de Bipèdes, lui apprit Nuagede Lion avant de se tourner vers leguerrier, les yeux brillants. Sol n’arien d’un chat domestique.

— Alors c’est un solitaire, grondaPelage de Fumée. Ça revient aumême. »

Une femelle tigrée au poil négligérejoignit ses camarades.

« Oh, mais tu sais bien que leClan du Tonnerre accueillen’importe qui », railla-t-elle.

Nuage de Lion sortit les griffes.« La ferme, Pelage Hirsute,

ordonna Feuille Rousse. Nous noussommes suffisamment battus pouraujourd’hui. »

Une pointe de peur perçait dans savoix. Nuage de Houx remarqua alorsà quel point la fourrure du lieutenantétait abîmée. Du sang avait séché àla pointe d’une de ses oreilles.Quant à Pelage de Fumée, il était siépuisé que ses yeux étaient vitreux.La bataille avait laissé des tracesaussi dans le Clan de l’Ombre. Ellerepéra Nuage de Chouette, derrièreses aînés. L’apprenti contemplait lesoleil d’un air apeuré. L’astrerougeoyait à présent derrière la cimedes arbres. Craignaient-ils que le

Clan des Étoiles ne le fassedisparaître de nouveau s’ils sebattaient ?

« Ils ne vont pas nous attaquer,murmura Nuage de Houx à Nuage deLion en lui indiquant le soleil dubout de la truffe.

— Allez, miaula son frère enfaisant signe aux trois autres de lesuivre. Rentrons chez nous.

— Attendez ! » ordonna FeuilleRousse.

Nuage de Houx se figea. Ilsn’allaient pas s’en tirer à si boncompte.

« Vous allez me suivre pourexpliquer à Étoile de Jais votre

présence sur nos frontières.— Nous n’avons même pas

franchi votre marquage ! protestaNuage de Geai.

— De justesse », cracha FeuilleRousse.

À son signal, sa patrouilleencercla les quatre félins.

Nuage de Lion fit le gros dos.Nuage de Houx sortit ses griffes,mais Sol se contenta de dévisagerles guerriers de l’Ombre. Son regardposé les calma aussitôt et ilsreculèrent.

« Quel genre de solitaire es-tu ?lui demanda Feuille Rousse. Tu nesais pas que nous sommes des

guerriers ?— Si, je le sais, répondit Sol sans

fléchir. Étoile de Jais est votre chef,n’est-ce pas ?

— Oui, reconnut-elleprudemment.

— Je serais ravi de faire saconnaissance. »

Le cœur de Nuage de Houx seserra. Ils n’avaient pas le tempsd’aller jusqu’au camp de l’Ombre !Étoile de Feu allait remarquer leurabsence d’un instant à l’autre.

Nuage de Geai s’approcha de lafrontière.

« Autant y aller, déclara-t-il.Imaginez tout ce que Sol pourra

apprendre d’un autre Clan ! »Il pourra nous livrer les secrets

du Clan de l’Ombre ! s’emballa lanovice. Ce n’était peut-être pas unesi mauvaise idée, finalement. Lacolère d’Étoile de Feu ne luiparaissait plus si importante. Nuagede Houx suivit Nuage de Geai en seréjouissant de voir les regardsperplexes de leur escorte. Elle guidason frère à travers la forêt inconnue,collée à son épaule pour qu’il nesorte pas du sentier. Nuage de Lionavançait à quelques pas devant euxet prévenait dès qu’une brindille ouun trou de souris menaçait de le fairetrébucher. Sol avançait à leur côté,

observant la pinède d’un air fasciné.Feuille Rousse ne quittait pas

l’étranger des yeux. Regrettait-ellede l’avoir conduit au cœur de sonterritoire ?

Nuage de Houx finit parreconnaître l’environnement. Unecôte menait à une petite crête. Elleavait suivi ce chemin lorsqu’elleétait venue supplier Étoile de Jais deles aider. Encore quelques pas etelle repéra la grande haie de roncesentourant le camp de l’Ombre.

Pelage Fauve gardait l’entrée –son poil roux sombre constituait laseule tache de couleur dans la forêtqui s’assombrissait. Il contempla

avec stupeur la patrouille quirentrait, mais Feuille Rousse secontenta de lui passer devant avecson escorte.

Plume de Lierre et Patte deCrapaud se levèrent d’un bondlorsque les membres du Clan duTonnerre entrèrent dans leur camp.Une souris à moitié mangée gisaitsur le sol, entre eux. Au milieu de laclairière, Queue de Serpent et Nuagede Charbon fixaient Sol avec unestupeur non feinte.

« Qui est-ce ? murmura Nuage deCharbon.

— Pas un chat de Clan, ça c’estsûr, répondit Queue de Serpent

après avoir levé la truffe.— Où sont-ils tous passés ? »

souffla Nuage de Lion à l’oreille desa sœur.

La novice inspecta le camp. Ilétait étrangement désert.

« Ils doivent se reposer, après labataille, hasarda-t-elle.

— Attendez là », ordonna lelieutenant avant de disparaître dansl’antre de son chef.

Les ronces frémirent sur le côté.Nuage de Houx reconnut l’entrée dela pouponnière, où Oiseau de Neigeavait attiré les petits de Pelage d’Or.Petite Flamme, Petite Aube et PetitTigre s’en échappèrent justement,

les yeux illuminés.« Nuage de Houx ! » s’écria Petite

Flamme, qui se précipita vers elle etse mit à sauter pour lui attraper lebout de la queue.

Elle l’esquiva et le salua d’unetape amicale derrière l’oreille. PetitTigre, lui, bondissait autour deNuage de Lion.

« Est-ce que j’ai grandi ? »demanda le chaton en tendant le coupour se faire plus grand qu’il n’était.

Petite Aube bondit sur son frère etle renversa.

« Y a intérêt à ce que tu aiesgrandi, vu tout ce que tu manges ! »

Alors qu’elle lui martelait le dos

avec ses pattes arrière, elles’interrompit en voyant Sol. Elle seredressa pour dévisager l’inconnu.

« C’est qui ? s’enquit-elle.— Qu’est-ce qu’il fait ici ? ajouta

Petit Tigre en suivant le regard de sasœur. Qu’est-ce que vous faites tousici ? »

Craignait-il qu’ils ne lui prennentsa mère une nouvelle fois ?

Petite Flamme tournait autour deNuage de Geai.

« Et toi, t’es qui ?— C’est Nuage de Geai, mon

frère, lui apprit Nuage de Lion.— Pourquoi il ne me regarde pas

?

— Tu veux vraiment que je teregarde ? » lui lança l’apprentiguérisseur en se penchantsoudainement vers lui.

Sa truffe n’était qu’à un poil desyeux du chaton.

« Ses yeux sont tout bizarres ! »gémit celui-ci en reculant.

Nuage de Houx soupira,contrariée par l’attitude de son frère.

« Je suis aveugle, expliqua-t-ild’un ton plus doux.

— Comment es-tu arrivé jusque-là ? voulut savoir le chaton.

— En marchant.— Sans te cogner ? s’étonna Petit

Tigre.

— J’espère que vous n’embêtezpersonne ! » tonna Pelage d’Or, quisortit de la pouponnière en bâillant,le poil ébouriffé. Elle écarquilla lesyeux lorsqu’elle aperçut Nuage deHoux. « Tu es revenue ! » Puis sonregard glissa vers Nuage de Geai,Nuage de Lion et, enfin, Sol. « Aunom du Clan des Étoiles, que faites-vous ici ? » Elle poussa ses petitsvers leur tanière. « Et qui est-il ? »Petit Tigre essaya de lui échapper,mais elle le rattrapa d’un mouvementde la queue et le poussa vers lesronces. « Rentrez, ordonna-t-elle.Vous pourrez leur dire au revoirquand ils s’en iront.

— Mais…, protesta Petite Aube.— Il n’y a pas de “mais”,

rétorqua-t-elle en les poussant unedernière fois, et ils disparurent parl’ouverture. Qui es-tu ? demanda-t-elle alors à Sol.

— Je suis venu voir Étoile deJais. »

Au même instant, Feuille Rousseémergea du gîte du chef et s’écartapour le laisser passer. La fourrureblanche du meneur était négligée. Salongue queue traînait derrière lui etil traversa la clairière d’un paslourd.

« Feuille Rousse me dit qu’il y aun étranger parmi nous, gronda-t-il

en lorgnant Nuage de Houx, Nuagede Lion et Nuage de Geai. Elle m’arapporté que vous lui montriez nosfrontières.

— On ne lui montrait rien du tout !s’indigna Nuage de Geai. On rentraitchez nous.

— Et que faisiez-vous là ? »Étoile de Jais s’assit face à eux.

Ses yeux étaient étrangement ternespour un chef dont le Clan venait devivre une terrible bataille.

« Nous étions partis à larecherche de Sol, expliqua Nuage deHoux en s’avançant d’un pas.

— C’est lui, Sol, j’imagine ?miaula Étoile de Jais en dévisageant

l’inconnu pour la première fois.— En effet, confirma l’intéressé.

C’est un honneur de rencontrer lechef du Clan de l’Ombre.

— Tu connais le Clan de l’Ombre? s’étonna le meneur, une lueur decuriosité dans les yeux.

— J’ai beaucoup entendu parlerde ton Clan.

— Grâce à ces intrus ?— Nous n’avons pas franchi la

frontière ! gronda Nuage de Lion,qui foudroyait Feuille Rousse duregard comme pour la mettre au défide le nier.

— Nous cherchions Sol, insistaNuage de Geai en se rapprochant de

son frère.— Ça, vous l’avez déjà dit, mais

pourquoi ? Ce n’est qu’un solitaire,non ?

— Un voyageur, corrigea lematou.

— Et pourquoi trois apprentisseraient-ils tant intéressés par unvoyageur ?

— Parce qu’il nous avaitprévenus que le soleil allaitdisparaître ! » rétorqua Nuage deGeai.

La fourrure de Feuille Rousse sehérissa. Derrière elle, Plume deLierre et Patte de Crapaudécarquillèrent les yeux.

Pelage d’Or se dandina sur place.« Tu savais que cela allait arriver

? répéta la guerrière.— J’ai vu les ténèbres se

refermer sur les Clans, confirma Sol.— C’est le Clan des Étoiles qui te

l’a dit ? s’enquit Petit Orage, sortide sa tanière.

— La grande obscurité n’a rien àvoir avec le Clan des Étoiles »,rétorqua-t-il en tournant la tête versle guérisseur.

Le silence tomba sur le camptandis que le couchant transformaitles ronces en écheveauxcharbonneux.

« Alors qui a fait disparaître le

soleil ? » gronda le meneur.Sol s’avança dans la clairière et

se tourna de façon que sa queuetrace un arc-en-ciel sur le sol seméd’aiguilles.

« C’était un signe », répondit-il. Illeva le menton et les taches sombresde son pelage brillèrent sous lesderniers rayons du soleil. Desmuscles noueux ondulaient sousl’épaisse fourrure de ses épaules. «Un signe qu’un changement est àvenir, que vous le vouliez ou non. »

Nuage de Houx jeta un coup d’œilà Nuage de Lion, le ventre noué.Nuage de Lion secoua légèrement latête. Elle comprit.

Ne parle pas de la prophétie.Étoile de Jais s’approcha de Sol,

l’œil luisant.« Quel genre de changement ?— Tu souhaites le changement ?

murmura Sol d’une voix presqueinaudible.

— Je ne suis pas certain que lesClans soient à leur place ici », admitle meneur.

Nuage de Houx se demanda si lechef du Clan de l’Ombre avaitoublié où il se trouvait. Était-ilcensé partager ses craintes siouvertement ?

Une lueur d’espoir brillait dansles yeux d’Étoile de Jais, comme s’il

venait enfin de trouver quelqu’un quile comprenait.

« Le Clan des Étoiles aurait-il puse tromper en nous guidant jusqu’aulac ? »

Pelage de Fumée coula un regardétonné vers Plume de Lierre, quihaussa les épaules. Petit Orage sepenchait en avant, comme s’il avaitdu mal à admettre – ou à croire – cequ’il entendait.

À moins qu’il attende simplementla réponse de Sol.

Le cœur de Nuage de Houxs’emballa. Le Clan de l’Ombre était-il sur le point de rejeter le Clan desÉtoiles ? Et le code du guerrier ?

« Le changement n’est pasnécessairement une mauvaise chose», murmura Sol.

Si, ça l’est ! Elle planta sesgriffes dans la terre, en proie aubesoin soudain de s’accrocher àquelque chose de solide.

Sol poursuivit tout bas :« Surtout si l’on sait anticiper ce

qui va advenir. » Étoile de Jaishocha la tête et Sol ajouta : « Il y aplus d’un chemin à suivre, dans lavie.

— Il en existe certainement unplus facile que celui-ci. La vie esttrop dure, en ces lieux. La faminefait rage lors de la mauvaise saison

et, à la saison des feuilles vertes, lesBipèdes nous repoussent toujoursplus loin de nos terrains de chasse. »

Sol ferma les yeux en l’écoutant,comme pour se faire une imagementale de la vie du Clan del’Ombre dans son nouveau territoire.

« Les batailles s’enchaînent etmême le voyage que nous faisonspour les Assemblées est plus long etplus pénible qu’il ne l’était dans laforêt.

— Vous avez bien des soucis,compatit Sol sans ouvrir les yeux.

— Mes soucis sont infinis,soupira le meneur.

— La nuit tombe, les coupa

soudain Pelage d’Or. Les apprentisdu Clan du Tonnerre devraient semettre en route. Leurs camaradesvont se demander où ils sont »,conclut-elle avec un coup d’œil versNuage de Houx.

Elle a deviné que nous sommespartis en douce. Nuage de Houxregarda ses pattes. Elle se sentaitcoupable. Et elle ne veut pas quenous entendions les révélationsd’Étoile de Jais.

Le chef se détourna un instant deSol et cligna des paupières commes’il était surpris de les voir encorelà.

« Bien sûr. Pelage de Fumée,

Plume de Lierre, raccompagnez-lesà la frontière.

— Et Sol ? fit Nuage de Lion.— Je dois rester ici, expliqua

l’intéressé d’une voix aussi douceque ferme. Enfin, si Étoile de Jais yconsent, corrigea-t-il.

— Cela va sans dire ! répondit lemeneur.

— Mais il devait venir avec nous! » protesta Nuage de Houx.

Il avait tant de choses à leurapprendre. Il devait être leur mentor,et non celui d’Étoile de Jais. En quoiun chef de Clan pouvait-il avoirbesoin d’un mentor ? Elle étaitoutrée. Sol connaissait la prophétie !

Il avait promis de venir avec nous !« Tu as promis…, miaula Nuage

de Geai en s’avançant.— Allons-nous-en avant de nous

attirer d’autres ennuis, le coupaNuage de Lion.

— Mes petits ! lança Pelage d’Orvers la pouponnière, et ses troischatons déboulèrent aussi sec. Dites-leur au revoir. »

Petite Aube leva son museau versNuage de Houx et ronronna lorsquel’apprentie frotta sa joue entre sesdeux oreilles.

« Au revoir. »Petit Tigre bondit vers Nuage de

Lion.

« La prochaine fois qu’on severra, je serai encore plus grand !

— Au revoir, miaula PetiteFlamme en s’approchantprudemment de Nuage de Geai.

— Allez jouer avec voscamarades de Clan », les rabrouaPlume de Lierre en écartant leschatons de son chemin.

Tandis que Nuage de Houx suivaitson escorte dans le tunnel, elle jetaun dernier coup d’œil vers laclairière. Assis tête contre tête,Étoile de Jais et Sol discutaient, sibas que personne ne pouvait lesentendre.

CHAPITRE 21

« ARRÊTEZ ! »Nuage de Geai s’était jeté devant

Nuage de Houx et Nuage de Lionpour les empêcher de descendrevers le tunnel de ronces.

« Nous ne devons dire à personne

ce qui s’est passé, ni où noussommes allés.

— Évidemment, miaula Nuage deLion.

— Je ne comptais pas en parler àqui que ce soit », confirma Nuage deHoux.

Il devinait la perplexité et ladéception de sa sœur. Cet étrangechat les avait abandonnés.

Si Nuage de Geai était lui aussidérouté par le revirement de Sol,cela ne changeait rien à sescroyances. À eux trois, ils étaientplus puissants que le Clan desÉtoiles.

La nuit était déjà tombée sur le

camp lorsqu’ils arrivèrent dans laclairière. Nuage de Geai constata àson grand soulagement que sescamarades commençaient tout juste àremuer dans leur tanière. Le repairedes guerriers frémit au passage deGriffe de Ronce et Plume Grise. Desmiaulements de chatonss’échappaient de la pouponnière.Nuage de Givre et Nuage de Renardreniflaient les derniers vestiges de laréserve de gibier.

« Où étiez-vous passés ? s’enquitNuage de Renard.

— Dans la forêt, répondit Nuagede Lion.

— Vous avez rapporté du gibier ?

»Nuage de Geai entendit

gargouiller l’estomac de l’apprentiau pelage roux.

« Non, désolé. »Plume Grise s’approcha d’eux en

bâillant.« Vous êtes sortis longtemps ?

s’enquit le guerrier ardoise d’unevoix ensommeillée.

— Non, mentit Nuage de Geai enespérant que personne n’avaitremarqué qu’ils n’avaient jamaisregagné leurs nids.

— Nuage de Lion ! lança Pelagede Granit, qui s’étirait devant latanière des guerriers. Nous partons

chasser pour le Clan. Nuage deHoux, si tu allais réveiller Poil deFougère ? Vous feriez aussi bien denous accompagner. »

Nuage de Geai sentit ledécouragement de sa sœur. Il étaitdésolé pour son frère et elle.

« Vous serez bientôt dans vosnids, leur promit-il.

— Ce ne sera jamais assez tôt »,grommela la jeune chatte noire.

Nuage de Geai regagna son antreavec un léger sentiment deculpabilité. C’était lui qui les avaitconvaincus de quitter le camp. Il sefraya un passage dans le rideau deronces en inspirant les odeurs

réconfortantes de son foyer – leparfum de Feuille de Lune, lesfragrances des remèdes, de la rochehumide où l’eau s’écoulait pourformer une flaque. Patte d’Araignéeronflait dans l’ancien nid de Nuagede Cendre. Et l’odeur d’un autrefélin lui parvint du fond de latanière.

« Nuage de Geai ? C’est toi ?— Poil d’Écureuil ?— Nous l’avons ramenée à

l’intérieur, expliqua Feuille de Lune,assise près de la flaque. Il faisaittrop froid pour la laisser dehorstoute la nuit.

— Et sa blessure ?

— Nous l’avons bougéedoucement. Comme elle a un peusaigné dans la manœuvre, je l’aitraitée dès qu’on l’a installée ici.

— Tu as mangé, Nuage de Geai ?demanda Poil d’Écureuil.

— Pas encore. »Il mourait de faim.« Alors vas-y. »Le miaulement de la guerrière

semblait un peu plus assuré.« Je sais très bien m’occuper de

mon apprenti », lança Feuille deLune.

Si son ton sec surprit Nuage deGeai – d’habitude, elle nes’emportait jamais avec ses patients

–, il était trop fatigué et trop affamépour chercher à savoir ce qui latracassait. Sa mère semblait allermieux, et c’était tout ce qui luiimportait.

Il se traîna jusqu’au tas de gibieroù il croqua un moineau tout secavant de recracher les plumescoincées dans sa gorge. Il n’avaitpas fini d’avaler sa dernièrebouchée qu’il se dirigeait déjà versson antre. Il s’approcha du nid de samère et fourra la truffe dans safourrure.

« Bonne nuit, Poil d’Écureuil. Jeserai juste à côté si tu as besoin dequoi que ce soit.

— Merci, Nuage de Geai. »Le novice rampa jusqu’à son nid

et ferma les yeux.

Un miaulement rauque le réveilla.« Nuage de Geai ! »Des branches se croisaient dans le

ciel, au-dessus de sa tête, poudréesd’argent par la lumière des étoiles.Le territoire des guerriers de jadis.Il se leva et sentit une herbe douce,baignée de lune, lui caresser lescoussinets.

« Tu es encore parti chercher desréponses, pas vrai ? » lui lança CrocJaune, assise près de lui.

Ses yeux brillaient d’un éclat

accusateur.« Je serais un piètre guérisseur si

je ne le faisais pas. »Elle lui donna un coup de patte

sur l’oreille.« Aïe !— Je suis toujours ton aînée, un

peu de respect ! Et j’essaie det’enseigner une chose importante.

— Quoi donc ? miaula-t-il en sefrottant l’oreille d’un air indigné.

— Sois patient ! Les réponsesviendront en temps et en heure.

— Et pourquoi n’ai-je pas le droitde savoir ce qui se passe ? protesta-t-il, les griffes plantées dans le sol.Ce n’est pas juste si je n’ai même

pas le droit d’être curieux !— La curiosité doit être tempérée

par la patience. Vois-tu, le savoir nevaut que si l’on est assez sage pourl’utiliser à bon escient. Et la sagessene vient vraiment qu’avec le temps.»

Toujours les mêmes excuses. Lacontrariété lui nouait le ventre. Tucrois que tu sais tout, mais un jourje serai plus puissant que toi. Il fixala vieille chatte ébouriffée, quisoutint son regard, le menton haut,sans ciller. Nuage de Geai laissa sespoils retomber en place. Il ne put serésoudre à lui parler de la prophétie.

Lorsque Croc Jaune se pencha

vers lui, il réprima un mouvement derecul devant son haleinepestilentielle.

« Sers ton Clan, murmura-t-elle.Fais confiance au Clan des Étoiles ettout te sera révélé au moment voulu.»

Nuage de Geai leva les yeux. Laclairière était pleine de chats, dontles yeux scintillaient comme autantd’étoiles.

« Écoute Croc Jaune, le pressaÉtoile Bleue.

— Elle te dit la vérité, renchéritTornade Blanche en le couvant d’unregard chaleureux.

— Et tout te sera révélé au

moment voulu, répéta Cœur de Lion.— Nous t’observons », lui

rappela Croc Jaune.Nuage de Geai renifla doucement.

Leur allure de guerriers-étoilesn’était due qu’à un jeu de lumières.Ce n’était qu’un ramassis de chatsmor ts . Lui, il était vivant. Toutcomme Nuage de Lion et Nuage deHoux. Et Sol. Cela ne les rendait-ilpas déjà plus puissants que le Clandes Étoiles ?

Croc Jaune cracha comme si ellepouvait lire dans ses pensées :

« Tu ne sais pas ce qui est bonpour ton Clan, Nuage de Geai !Souviens-t’en ! »

CHAPITRE 22

RÉVEILLÉ PAR LE SOLEIL, Nuagede Lion ouvrit les yeux. Les rayonsqui filtraient par la voûte de latanière réchauffaient sa fourrure. Ilroula sur le côté, les musclesendoloris. Pelage de Granit l’avait

fait chasser toute la soirée alorsqu’il était déjà fatigué par la batailleet la recherche de Sol. À leur retourau camp, il s’était effondré dans sonnid.

Nuage de Houx dormait encore.La veille, elle ne tenait presque plussur ses pattes lorsqu’ils étaientrentrés de leur partie de chasse.

Il examina son pelage, en quêted’égratignures éventuelles. Seulestraces de la bataille : le sang et lestouffes de poils de ses ennemisencore coincés dans ses griffes.

« Nuage de Houx ! » appelasoudain Nuage de Cendre depuis leseuil de la tanière.

Nuage de Lion quitta son nid et larejoignit dehors.

« Qu’est-ce qu’il y a ? murmura-t-il.

— Poil de Fougère veut que tasœur m’aide à nettoyer lapouponnière.

— Laisse-la dormir. » Nuage deLion jeta un coup d’œil au mentor deNuage de Houx, qui partageait legibier de la veille avec Pelage deGranit. « Je vais lui parler. »

Il traversa la clairière.« Nuage de Houx dort encore.

C’est moi qui aiderai Nuage deCendre, annonça-t-il à Poil deFougère.

— Ta sœur va bien ? s’inquiétason mentor, la bouche pleine.

— Elle est juste épuisée, elle abesoin de récupérer après labataille.

— Est-ce que Feuille de Lune aexaminé ses blessures ?

— Elle n’a que quelquesgriffures… » Il chercha une excusepour justifier la fatigue de sa sœur. «Elle n’a pas bien dormi parcequ’elle s’inquiétait pour Poild’Écureuil.

— Bon, laisse-la se reposer,alors. Tu peux aider Nuage deCendre à sa place.

— Mais ne traîne pas, ajouta

Pelage de Granit. On part pour laprochaine patrouille.

— Entendu. » Il courut retrouverNuage de Cendre. « Toi, tu vaschercher de la mousse fraîche. Jevais commencer à sortir la sale. Tu yarriveras toute seule ? lui demanda-t-il en baissant les yeux vers sa patteblessée.

— Bien sûr, soupira-t-elle avantd’ajouter en marmonnant :J’aimerais bien qu’on arrête de metraiter comme si je n’avais que troispattes. »

Devant la pouponnière, Nuage deRenard montrait une attaque à Nuagede Givre. Il se roula sur le dos et

donna un coup dans l’air avec sespattes arrière.

« Et alors un guerrier de laRivière a voulu se jeter sur moi,mais je l’ai esquivé en faisant uneroulade. » Il se releva d’un bond. «Et je l’ai mordu de toutes mesforces. Je parie qu’il a encore mal.

— J’aurais bien aimé participer àla bataille, murmura Nuage deGivre, l’air impressionné.

— Quelqu’un devait garder lecamp », lui rappela son frère avecdouceur.

Chipie sursauta lorsque Nuage deLion se glissa entre les épines.

« Ce n’est que toi », soupira-t-

elle, soulagée.Petit Crapaud et Petite Rose se

précipitèrent vers lui.« Tu veux bien nous apprendre

des mouvements d’attaque ? »l’implora Petit Crapaud.

Petite Rose battit des pattescomme pour repousser un ennemi.

« Nous devons être prêts si leClan du Vent nous envahit denouveau, haleta-t-elle.

— Ils ne le feront pas, n’est-cepas ? interrogea la chatte, dont lepelage avait doublé de volume. Pasaprès que le soleil a disparu commeça…

— J’en doute », la rassura Millie.

Étendue sur le flanc, la reineallaitait ses petits. Une quinte detoux secoua son corps et ses chatonssursautèrent. Petite Églantine miaularageusement avant de ramper versles mamelles de sa mère. PetitBourdon s’assit en bâillant, les yeuxà peine ouverts, pendant que PetitPétale s’enfonçait dans la moussepour s’endormir.

« Tu devrais voir Feuille de Lune,conseilla Chipie. Tu as toussé toutela nuit.

— Quelque chose me chatouille lagorge, miaula Millie. J’ai dû avalerune plume. »

Chipie se pencha pour renifler le

museau de sa camarade.« Tu as un peu de fièvre.— J’irai chercher Feuille de Lune

dès que j’aurai changé vos litières,déclara Nuage de Lion.

— Et nos mouvements d’attaque ?gémit Petit Crapaud, déçu.

— Désolé. Je dois partir enpatrouille juste après.

— C’est pas juste, se plaignitPetite Rose. Toi, tu fais tous lestrucs marrants pendant que nous onest coincés ici. »

Nuage de Lion soupira. Nettoyerdes tanières et patrouiller sur lesfrontières n’était pas « marrant »…pas du tout. Il aurait voulu retourner

au combat, se battre pour son Clanen sentant le pouvoir des étoiles luibrûler les pattes.

« Pourquoi ne demanderais-tu pasà Nuage de Renard de te montrer ? Ilest dehors. J’ai besoin de nettoyervotre nid, de toute façon », ajouta-t-il en se tournant vers Chipie.

Celle-ci se leva doucement,comme si elle quittait lapouponnière à contrecœur.

« J’imagine que nous avons tousbesoin d’un peu d’air frais. Millie,tu devrais rester à l’intérieur. »

La reine hocha la tête en toussant.« C’est vrai que je suis fatiguée. »Elle se recroquevilla autour de

ses petits et ferma les yeux.Nuage de Lion commença à retirer

les bouts de mousse secs du nid deChipie. Le souffle de Millie étaitrauque et fétide.

Nuage de Lion fit une boule avecla mousse sale et la prit dans sagueule avant de sortir à reculons. Enlâchant son fardeau, il aperçut Nuagede Cendre qui revenait au camp avecde la litière fraîche.

« Je n’ai pas encore fait le nid deMillie, lui lança-t-il. Je crois qu’elleest malade. »

Plume Grise, qui prenait le soleilsous la Corniche, se leva aussitôt.

« Qu’est-ce qu’elle a ? s’inquiéta-

t-il.— Elle tousse. J’allais justement

chercher Feuille de Lune.— Dépêche-toi », lui ordonna le

guerrier ardoise, qui filait déjà versla pouponnière.

Nuage de Lion se hâta d’allertrouver la guérisseuse.

« Millie ne va pas bien, annonça-t-il.

— Et les petits ?— Ils ont l’air en bonne santé »,

la rassura-t-il.Son frère entra dans la tanière la

gueule pleine de feuilles.« Mets-les à sécher, ordonna

Feuille de Lune à son apprenti. Je

dois aller examiner Millie. »Elle sortit.Nuage de Geai entreprit d’étaler

les feuilles près d’un trou dans laparoi de la fissure.

« Tu as bien dormi ? murmuraNuage de Lion, qui se demandait sile Clan des Étoiles avait parlé à sonfrère de la disparition du soleil.

— Est-ce que j’ai rêvé, tu veuxdire ? Pourquoi ne peux-tu pas êtrefranc ?

— Tu t’es assis sur un chardon ?répliqua Nuage de Lion, dérouté parle ton sec de son frère.

— Désolé. La nuit a été longue. »Nuage de Lion jeta un coup d’œil

vers Poil d’Écureuil, profondémentendormie.

« Elle va mieux ?— Oui. Mais je dois souvent

changer les toiles d’araignées pourempêcher que ça s’infecte.

— Tu veux que j’aille en chercherdavantage ?

— Nuage de Cendre en a rapportéplein ce matin, merci. »

Pendant que je dormais, songea-t-il, se sentant coupable. Il devaitaider davantage son Clan. Ilapprocha de sa mère et renifla safourrure, son parfum réconfortant.

« Nuage de Lion ? murmura laguerrière en ouvrant les yeux.

Comment vas-tu ?— Bien.— Étoile de Feu m’a dit que tu

t’étais battu comme un véritableguerrier. » Elle releva un peu la têtepour l’observer à travers ses yeuxbouffis de sommeil. « Tu ne semblespas avoir la moindre égratignure.

— Un coup de chance, sans doute.»

Son ventre gargouilla.« Tu devrais aller manger,

souffla-t-elle en reposant la tête surses pattes.

— J’y vais. »Il lui donna un tendre coup de

langue sur l’oreille tandis qu’elle

refermait les yeux.Nuage de Geai triait toujours les

feuilles qu’il avait rapportées.Est-ce que le Clan des Étoiles

était vraiment resté silencieux ? Oubien gardait-il des choses pour lui ?

« Tu as faim ? » lui demanda-t-il.Peut-être que, en partageant un

morceau de gibier, Nuage de Geaideviendrait plus bavard.

« J’ai déjà mangé », réponditl’apprenti guérisseur sans lever latête.

Nuage de Lion sortit en soupirant.Nuage de Houx s’étirait devant la

tanière des apprentis. Lorsqu’elleaperçut son frère, elle se dirigea

vers lui, les moustachesfrémissantes.

« Pourquoi tu ne m’as pasréveillée ?

— Tu semblais fatiguée.— Pas plus que toi !— Je voulais juste être gentil ! »

Pourquoi son frère et sa sœurétaient-ils si cassants avec lui ? « Situ meurs d’envie d’aller nettoyer lapouponnière, vas-y ! »

Il se dirigea d’un pas furieux versla réserve où il préleva unemusaraigne. Alors qu’il s’installaitpour la dévorer, il surprit lemiaulement de Pelage de Poussière.

« On n’avait pas vécu bataille

semblable depuis des lunes, disait leguerrier brun, assis près du demi-rocà côté de Pelage de Granit et dePavot Gelé.

— On se serait crus de retourdans notre ancienne forêt, convint lematou gris.

— Vous aviez déjà connu uncombat pareil ? s’étonna la jeuneguerrière.

— Des pires, même, réponditPelage de Poussière. Tu te rappellesla guerre contre le Clan du Sang,Pelage de Granit ?

— Ça, c’était une sacrée bataille !— Est-ce que le soleil avait

disparu aussi ? voulut savoir la

chatte.— Non, soupira Pelage de

Poussière.— J’espère ne jamais voir pire

que ça, soupira Pavot Gelé. J’ai dûaffronter deux guerriers à la fois ! Jesais qu’on nous l’apprend àl’entraînement, mais je n’avais pasimaginé que je devrais le mettre enapplication un jour.

— Tu t’es bien battue, ronronnaPelage de Granit.

— Pas aussi bien que Nuage deLion, corrigea la jeune guerrière.Vous l’avez vu à l’œuvre ? Et il n’amême pas une égratignure.

— Il est prêt à devenir un guerrier

», répondit le mentor en cessantaussitôt de ronronner.

Nuage de Lion releva la tête. Lematou le fixait.

« Je n’ai plus grand-chose à luiapprendre », ajouta ce dernier. Il seleva. « Nuage de Lion, nous partonspour la patrouille.

— Oui », fit l’apprenti en avalantune dernière bouchée de viande.

Pelage de Granit fit signe à Poilde Châtaigne et à Aile Blanche, quifaisaient leur toilette devant l’antredes guerriers. Elles bondirent surleurs pattes et suivirent le chasseurdans le tunnel de ronces. Nuage deLion s’élança à leur suite.

La forêt était plus lumineuse àprésent que les feuillescommençaient à tomber. C’était unebelle journée, le soleil brillait dansle ciel. Tandis qu’ils se dirigeaientvers la frontière du Clan du Vent,Nuage de Lion se laissa un peudistancer. Était-il vraiment prêt àrecevoir son nom de guerrier ?Depuis toujours, il rêvait de devenirle plus grand guerrier que le Clan duTonnerre ait jamais connu. Maisquand il était chaton, ce n’était qu’unrêve. À présent, la guerre était bienréelle. Il frémit en se souvenant dusang qui avait giclé de la gorge dePlume de Jais et de la terreur de

Nuage de Myosotis. Il avait étépossédé par une force étrange qu’ilne pouvait contrôler. Est-ce quec’était cela, être un guerrier ?Parviendrait-il un jour à maîtriser lapuissance qui irriguait ses pattes ?

Nuage de Lion frissonna lorsqueles bois s’assombrirent. Des nuagesavaient voilé le soleil. Il entendait lebruissement des taillis devant lui,signe que ses camaradesprogressaient. Soudain, il perçut ducoin de l’œil un mouvement toutprès, dans les fougères. Il s’arrêta.Une silhouette ondula entre lesarbres. Une fourrure tachetée.

Étoile du Tigre.

Le guerrier grondait dans l’ombre.« J’ai observé la bataille. » Étoile

du Tigre se fraya un passage dansles frondes et vint se placer devantl’apprenti. « Tu t’es bien battu. Tuas fait honneur à tes ancêtres. »

Ses yeux ambrés étincelaient.Nuage de Lion regarda derrière sonmentor nocturne, guettant Plume deFaucon.

« Je suis venu seul, lui apprit lematou. Les médisances de Plume deFaucon m’agacent. Il pense que tucrois vraiment à cette prophétie.Mais je te sais trop intelligent pouraccorder de l’importance aux rêvesidiots d’Étoile de Feu. »

Nuage de Lion remua sur place,gêné par le regard fixe d’Étoile duTigre.

« Tu as vu le soleil disparaître ?lui demanda-t-il.

— Il semblerait que les Clansaient déçu le Clan des Étoiles,répondit l’autre en remuant lesmoustaches. Ces cœurs de sourisscintillants n’ont jamais eu d’estimepour l’art de la guerre.Contrairement à toi.

— Pelage de Granit dit que je suisprêt à devenir un guerrier.

— Vraiment ? fit le matou en luitournant autour. Tu penses que tu asappris tout ce qu’il était possible

d’apprendre ?— Tout ce que Pelage de Granit

pouvait m’enseigner, oui.— J’ai encore beaucoup de

choses à te transmettre, moi. »Nuage de Lion avait plissé les

yeux. Est-ce qu’Étoile du Tigre ensavait vraiment davantage ? Est-cequ’il guide mes pattes quand je mebats ? Était-ce seulementl’entraînement de l’ancien chef quil’avait aidé à vaincre tous sesennemis sans une égratignure ?

Le souffle chaud du matou glissasur le museau du novice lorsqu’il sepencha plus près d’un air menaçant.

« Beaucoup de choses, répéta-t-il.

C’est compris ? »Nuage de Lion trépignait sur

place. L’autre attendait une réponse.« Tu peux continuer à me montrer

des techniques martiales, concédal’apprenti en relevant le menton.Mais quel intérêt, alors que j’ai déjàprouvé que je pouvais battren’importe qui ? »

Les yeux d’Étoile du Tigres’embrasèrent.

« Tu t’estimes invincible ?!gronda-t-il. Plume de Faucon araison. Tu crois bel et bien à cetteprophétie.

— Oui ! Tu m’as vu combattre.Aurais-tu pu faire mieux, et en sortir

indemne ? Tu as été tué au combat,après tout. »

Il lui tourna le dos, prêt à partir. Iln’avait pas besoin des conseils dece chat mort !

Un rugissement déchira l’air.Nuage de Lion pivota. Trop tard :Étoile du Tigre le cloua au sol en luilacérant les épaules. L’apprenti sedébattit, mais l’autre l’immobilisait,ses épaules massives contractéessous l’effort.

« Tu imagines que tu n’as plusbesoin de moi, c’est ça ? lui siffla-t-il à l’oreille. Tu n’es qu’un imbécile! Tu as eu de la chance, voilà tout.La prophétie d’Étoile de Feu

t’aveugle. Tu es comme un chatonqui croit encore aux histoires qu’onlui raconte dans la pouponnière. »Pesant sur lui de tout son poids, illui écrasa la tête contre les feuilles.« Si tu es aussi fort, c’est grâce àmoi. Et tu le deviendras plus encoreavec mes enseignements. »

Il s’écarta d’un bond.Nuage de Lion se releva tant bien

que mal et se tourna vers lui, la rageau ventre. Étoile du Tigredisparaissait déjà, sa silhouette sefondant dans les arbres.

« Je n’en ai pas encore fini avectoi. »

Nuage de Lion tremblait de fureur.

Pourquoi Étoile du Tigre s’entêtait-il à ignorer la prophétie ?

« Nuage de Lion ! »C’était Pelage de Granit qui

l’appelait au loin, dans les taillis.Il se hâta de rattraper ses

camarades. Ses épaules le cuisaientlà où Étoile du Tigre l’avait griffé. Iljeta un coup d’œil en arrière. Est-ceque le guerrier sombre l’observaittoujours ? Que voulait-il de lui, si cen’était pas le pouvoir des étoiles ?

CHAPITRE 23

« EST-CE QUE TU VIENS àl’Assemblée ? demanda Nuage deHoux en s’arrêtant un instant de fairesa toilette.

— Oui, répondit Nuage de Geai,avant de rouler sur le côté, rassasié.

— Moi aussi », miaula Nuage deLion.

D’un coup de patte, l’apprentidoré écarta les restes de l’écureuilqu’ils avaient partagé et s’étira.

La réserve de gibier avait étéreconstituée dans les jours quiavaient suivi la bataille. Après leurrepas, ils profitaient des derniersrayons du soleil près du demi-roc.

« Vous croyez que les autresClans vont venir ? » bâilla la jeunechatte noire.

Personne n’avait trouvé lamoindre trace du Clan du Ventdepuis la bataille, mais la tensionétait toujours vive et les patrouilles

se succédaient le long de lafrontière.

« Ils viendront parce qu’ils auronttrop peur de fâcher le Clan desÉtoiles », répondit Nuage de Geai.

Les griffes de Nuage de Lioncrissèrent sur le roc.

« J’espère que le Clan du Ventsera là.

— N’oublie pas la trêve, luirappela sa sœur.

— Comme si je pouvais l’oublier! Je veux juste qu’ils voient que noussommes plus forts que jamais, etprêts à nous battre de nouveau s’il lefaut. »

Les guerriers et les apprentis du

Clan du Tonnerre se remettaient peuà peu de leurs blessures. Même Patted’Araignée commençait à marcherdans la clairière. Poil d’Écureuilétait toujours dans son nid, chezFeuille de Lune – ce qui l’agaçait deplus en plus. Mais la guérisseuserefusait de la laisser bouger tant ellecraignait que la blessure ne serouvre.

D’ailleurs, Nuage de Geai lasoupçonnait d’avoir refusé de venirà l’Assemblée pour pouvoir veillersur sa patiente. Elle ne faisaitconfiance à personne pourconvaincre sa sœur de rester dansson nid. Elle ne s’était même pas

encore rendue à la Source de Lunepour communier avec le Clan desÉtoiles.

« Si le Clan des Étoiles a quelquechose à me dire, il me le dira »,avait-elle expliqué à Étoile de Feu.

Nuage de Geai releva la têtelorsque Plume Grise sortit de lapouponnière ; il perçut les vaguesd’inquiétude qui émanaient de lui.

« Feuille de Lune ! lança le matouà travers le rideau de ronces. Millierecommence à tousser.

— J’arrive ! » répondit laguérisseuse.

Elle se précipita dans la clairière– elle sentait la tanaisie.

Millie avait attrapé le mal blanc.Chipie et ses chatons s’étaientinstallés dans la tanière desapprentis pour éviter la contagion et,depuis, Petite Rose et Petit Crapaudse pavanaient dans le camp commes’ils étaient déjà des novices.

Millie avait bon appétit, mais satoux perpétuelle empêchait ses petitsde dormir et de téter correctement.Avec un peu de chance, la tanaisie lasoulagerait.

Nuage de Geai reposa sa tête surses pattes, les yeux clos. Il duts’assoupir car, un instant plus tard,Nuage de Houx le secoua.

« La lune est levée, annonça-t-

elle. Tout le monde se prépare àpartir.

— Non, pas tout le monde !protesta Nuage de Renard derrièrelui. Comment se fait-il que vous ayezle droit d’y aller tous les trois alorsque Nuage de Givre, Nuage deCendre et moi, on doit rester là ?

— Vous irez la prochaine fois, leconsola Nuage de Geai en se levant.J’en suis certain.

— Si tu le dis… », ronchonnal’apprenti roux, qui s’éloigna d’unpas traînant.

Tandis que les guerriers serassemblaient pour le départ, PlumeGrise faisait les cent pas devant la

pouponnière. Nuage de Geairessentait son dilemme. Le guerrierardoise avait envie d’aller àl’Assemblée avec ses camarades,mais l’idée de quitter Millie luibrisait le cœur. Nuage de Geai cilla.Une vieille blessure tourmentaitPlume Grise, sans doute en rapportavec la chatte argentée qui hantaitses souvenirs.

« Plume Grise ! lança Étoile deFeu en s’approchant de son vieilami. Reste là pour garder le camp.J’emmène assez de guerriers pourque le Clan du Vent comprenne qu’ilne nous a pas affaiblis.

— Merci », miaula le matou,

soulagé.Le meneur se dirigea alors vers le

tunnel, devant lequel Pavot Gelé etPelage de Miel trépignaientd’impatience.

« Vous êtes pressées d’y être ?leur lança Pelage de Poussière.

— Oh, oui ! » miaula Pavot Gelé.Ce serait leur première

Assemblée en tant que guerrières.« Je me demande comment le Clan

du Vent va se justifier, déclaraTempête de Sable en tournant autourde Poil de Fougère.

— Ils trouveront bien quelquechose, marmonna le guerrier doré.

— Dépêche-toi », fit Nuage de

Houx en poussant Nuage de Geai dubout du museau.

Nuage de Lion attendait déjà prèsde Pelage de Granit.

« Nous devons montrer aux Clansdu Vent et de la Rivière que noussommes plus forts que jamais !déclara Étoile de Feu à l’entrée dutunnel. La lune brille, ce soir, ce quisignifie que le Clan des Étoiles n’estplus en colère.

— Je parie qu’ils sont toujours encolère contre le Clan du Vent, lançaPatte d’Araignée, qui les observaitdu seuil de la tanière de Feuille deLune.

— Nous, nous ne faisions que

défendre nos frontières, rappelaÉtoile de Feu. Le Clan des Étoilesne nous punirait jamais pour ça. Ladisparition du soleil nous a touseffrayés. Nous devons y voir lesigne que la bataille était injuste. Lesoleil est revenu à la fin du combat.Espérons que tout le monde auracompris que les Clans ont besoin lesuns des autres pour survivre. »

Nuage de Geai inclina la tête,étonné par tant d’optimisme. Feuillede Lune, qui était toujoursépouvantée par les caprices del’astre, n’avait rien dit de tel aumeneur. Et le Clan des Étoilesrestait silencieux sur la question.

Cependant, la guérisseuse gardaitses inquiétudes pour elle etaccomplissait son devoir comme side rien n’était. Seul Nuage de Geaidevinait son angoisse.

« Allons-y ! » ordonna Étoile deFeu en entraînant son Clan vers laforêt.

Les feuilles crissaient sous leurspattes. Nuage de Geai frémit. Lasaison des feuilles mortes arrivait. Ilse rapprocha de Nuage de Houx etsuivit à son côté l’itinéraire familierjusqu’au lac, vers le territoire duClan du Vent qu’ils devaienttraverser pour rejoindre l’île. Tantqu’ils longeaient le lac sans

s’éloigner à plus de deux longueursde queue du bord de l’eau, le Clandu Vent n’avait pas le droit de lesinquiéter. Pourtant, les guerriersfranchirent la frontière en silence etpressèrent le pas sur les galets.

« Est-ce que tu vois les chats duClan du Vent ? murmura Nuage deGeai.

— Pas encore. »Il sentait contre son flanc le

pelage hérissé de sa sœur. Soudain,il trébucha, surpris que de l’eau luilèche les pattes. D’habitude, ils nevoyageaient pas si près du bord.

« Ne t’inquiète pas, le rassuraNuage de Houx. Étoile de Feu se

montre prudent pour que personne nenous accuse d’avoir empiété sur leterritoire du Clan du Vent. »

Une fois sur l’arbre-pont, Nuagede Geai suivit prudemment la noviceen posant doucement une pattedevant l’autre sur l’écorce glissante.Lorsqu’ils franchirent ensuite la haiede fougères qui protégeait laclairière, deux odeurs distinctes lesaccueillirent. Les Clans du Vent etde la Rivière étaient déjà là. Nuagede Geai fronça la truffe. Aucun signedu Clan de l’Ombre.

Les membres du Clan du Tonnerrese regroupèrent d’un côté.

« Tout le monde est méfiant »,

remarqua Nuage de Houx.Nuage de Geai huma l’atmosphère

: elle avait raison. Les fragrancesdes deux Clans ne se mêlaient pas.Le Clan de la Rivière s’était installédos au vent, en petit groupe. Lesmembres du Clan du Vent allaient etvenaient près d’eux, sans toutefoisse joindre à leurs anciens alliés.

« Je suis surpris qu’ils ne fassentpas leur toilette ensemble,marmonna Nuage de Lion, lesmuscles bandés, prêt au combat.

— Où est le Clan de l’Ombre ?miaula Pavot Gelé, mal à l’aise.

— J’espère qu’ils arriverontbientôt », renchérit Pelage de Miel.

Un grognement résonna soudaindans la gorge de Nuage de Lion.

« Chut ! » le fit taire Pelage deGranit.

Même si Nuage de Lion obéit,Nuage de Geai perçut la fureur deson frère. En se concentrant, il putvisualiser la haine qui partait de luitel un rayon de lumière braqué sur unmembre du Clan du Vent. Nuage deMyosotis. Nuage de Geai reconnutson miaulement et son parfum quiévoquait un peu le miel. Il fut sisurpris que ses oreilles vibrèrent. Lahaine de Nuage de Lion était telleque la jeune chatte devait la sentirlui brûler la fourrure. Elle se doutait

sûrement de quelque chose car elles’agitait sans cesse, trop nerveusepour rester immobile.

Les taillis s’agitèrent de l’autrecôté de la clairière. Le Clan del’Ombre arrivait sans doute. Nuagede Geai leva la truffe et leur odeurle stupéfia. Ce n’était pas unepatrouille complète. Il n’y avaitque…

« Étoile de Jais et Sol ! soufflaNuage de Houx.

— Où sont les autres ? siffla unguerrier du Clan du Vent.

— Et lui, au nom du Clan desÉtoiles, qui est-il ? » murmura unmatou du Clan de la Rivière.

Tous frémirent, nerveux, tandisque le meneur du Clan de l’Ombres’avançait au centre de la clairière.Sol le suivait d’un pas léger.

Nuage de Geai fut saisi par lecalme qui émanait du meneur blancaux pattes noires. Il lui avait semblési perdu et inquiet, la dernière fois !Que s’était-il passé ?

« J’apporte des nouvelles,annonça Étoile de Jais.

— J’espère que le Clan del’Ombre va bien, murmura Nuage deHoux.

— Chut ! siffla Poil de Fougèretandis qu’Étoile de Jais poursuivait.

— Le Clan de l’Ombre

n’assistera plus aux Assemblées. »Un silence stupéfait se fit dans la

clairière. Personne ne s’attendait àcela.

« Nous ne croyons plus que leClan des Étoiles détient toutes lesréponses. Ce sont des chats vivantsqui ont trouvé le lac. Des chatsvivants qui chassent pour survivre.Et c’est un chat vivant qui a préditque le soleil allait disparaître. »

Il parle de Sol.« Il le savait ? » éructa Étoile

Solitaire, abasourdi.Tous les félins restèrent muets de

stupeur.« Je n’ai rien fait de plus que

l’annoncer, miaula humblement Sol.— Comment le savais-tu ? lui

demanda Étoile du Léopard.— Et vous, pourquoi ne le saviez-

vous pas ? rétorqua Sol. Après tout,c’est vous qui communiez avec leClan des Étoiles.

— Ils ne m’ont pas prévenu, sedéfendit Écorce de Chêne.

— Et moi non plus, miaula Sol. Jeme suis contenté d’écouter moninstinct, de me fier à monexpérience. Vous, bien évidemment,vous avez le droit de croire en ceque vous voulez…

— Qu’est-ce qu’il raconte ?s’étrangla Nuage de Houx. Pense-t-il

vraiment qu’on peut choisir sescroyances comme on choisit unepièce de viande dans la réserve degibier ? »

Envahi par la déception, Nuage deGeai s’écarta de sa sœur, dont lacolère était palpable.

Sol était censé nous aider, nous !Que fabrique-t-il avec le Clan del’Ombre ?

Des pas légers firent crisser lesfeuilles.

« Ils s’en vont, lui apprit Nuagede Lion. Ça veut dire que Sol ne vapas nous aider, j’imagine… »

Tandis qu’Étoile de Jais et Soldisparaissaient dans un bruissement

de fougères, les murmures fusaientparmi les félins.

« Qui est-ce ?— D’où vient-il ?— Est-ce que c’est vrai ? »Nuage de Geai sentait ses

camarades aller et venirnerveusement autour de lui. Leurspelages hérissés crépitaientlorsqu’ils se frôlaient.

Étoile de Feu s’était placé aucentre de la clairière.

« Nous devons rester calmes,lança-t-il à la cantonade.

— Calmes ? répéta ÉtoileSolitaire avec mépris. Même toi, tune peux rien y faire, Étoile de Feu !

— Je n’ai jamais dit le contraire.— Nous ne devons pas nous

quereller, les coupa Étoile duLéopard. C’est trop important. Nousne sommes plus que trois, à présent.

— Trois Clans ! » hoqueta PatteCendrée. Le lieutenant du Clan duVent tournait en rond autour deschefs. « Mais nous avons toujoursété quatre.

— Si le Clan de l’Ombre rejettele Clan des Étoiles, cela veut-il direque ce ne sont plus des guerriers ?se demanda tout haut Patte deBrume.

— Ont-ils renoncé au code duguerrier ? » s’enquit Nuage de Houx,

le souffle court.Ils ont renoncé à plus encore.

Nuage de Geai leva la tête vers leciel.

« Est-ce que la lune brilletoujours ? voulut-il savoir.

— Oui, sans un nuage pour lavoiler », lui assura Nuage de Lion.

Que fait le Clan des Étoiles ? Nese soucient-ils donc pas de ce quivient de se produire ?

« Nous vivons une ère detroubles, miaula Étoile du Léopard.Même le soleil n’est plus digne deconfiance. Est-il si surprenantqu’Étoile de Jais ait perdu la foi ? »

Ses paroles balayèrent

l’assemblée telle une bise glaciale.Personne ne la contredit. Sol avaitprédit la disparition du soleil, etcela s’était réalisé. Quelle était laplace du Clan des Étoiles, là-dedans? Les chats commencèrent à sefondre dans les taillis tout enéchangeant des murmures terrifiés.

« Venez, fit Nuage de Lion endonnant un coup de museau à Nuagede Houx. On s’en va. »

La novice trébucha comme si ellene savait plus marcher. Nuage deGeai se colla à elle pour la guiderau milieu des fougères.

« Est-ce que les membres du Clande l’Ombre ne sont vraiment plus

des guerriers ? s’enquit Pavot Gelé.— C’est à nos ancêtres d’en

décider, j’imagine », lui réponditBois de Frêne.

Alors que Nuage de Geai attendaitson tour pour franchir l’arbre-pont,il tenta de ne pas se laisser gagnerpar la panique de ses camarades. Ildevait réfléchir à tout cela. Maisleurs murmures incessants luiembrouillaient les idées.

« Si le Clan des Étoiles adissimulé le soleil pendant lecombat, que fera-t-il maintenantqu’Étoile de Jais lui a tourné le dos? gronda Pelage de Poussière.

— Les guerriers de jadis n’ont

pas voilé la lune, lui fit remarquerPoil de Fougère.

— Peut-être qu’ils nousabandonneront tous ! » lança Cœurd’Épines en bondissant sur le tronc.

Nuage de Geai traversa l’arbremort. Les paroles de ses camaradesrésonnaient dans son esprit commedes bourdonnements d’abeilles. LeClan des Étoiles n’avait rien dit àpropos du soleil ou de Sol. Ilsavaient peut-être bien renoncé àveiller sur les Clans.

« Ralentis », lui ordonna son frèreen lui posant la queue sur l’épaule.

Nuage de Geai obéit et laissa sescamarades le dépasser sur les galets.

Ils se retrouvèrent tous les trois horsde portée de voix.

« Je pensais que Sol était venunous aider, feula Nuage de Lion. Aufinal, il n’a fait qu’aggraver leschoses.

— Il a convaincu Étoile de Jaisde ne plus croire au Clan desÉtoiles, s’indigna Nuage de Houx.

— Il avait peut-être déjà perdu lafoi, hasarda Nuage de Geai.

— Non. C’est la faute de Sol,martela Nuage de Lion. Par sesbelles paroles, il a persuadé Étoilede Jais que le Clan des Étoiles neservait à rien.

— Je me fiche bien de ce que Sol

lui a dit ! s’emporta Nuage de Houxen donnant un coup de patte dans ungalet. Les membres du Clan del’Ombre ne peuvent pas perdre lafoi. Tous les guerriers croient auClan des Étoiles ! Le code duguerrier nous a conduits ici, c’estgrâce à lui que nous trouvons abri etnourriture. » Sa peur virait à lahargne. « Il nous protège !

— Mais Sol avait prédit ladisparition du soleil, lui rappelaNuage de Lion. Et pas le Clan desÉtoiles.

— Ça veut dire que, toi aussi, tune crois plus au Clan des Étoiles ? »

Les yeux de l’apprentie lancèrent

des éclairs si puissants que Nuagede Geai les ressentit, et il sedemanda si elle allait se jeter surleur frère. Mais elle se remit enroute, le souffle rauque.

« Ce n’est pas ce que je voulaisdire », protesta Nuage de Lion en luicourant après.

Nuage de Geai les laissa prendrede l’avance. Les galets étaient doux,à cet endroit, et glissaient autour deses pattes à chaque pas. Le lacmurmurait sur la rive. Une brisefraîche soufflait depuis la bergeopposée et Nuage de Geai tourna latête pour sentir le courant d’airagiter ses moustaches.

Le reflet brouillé du clair de lunebrillait à la surface.

Il le voyait.Je dois rêver.Les galets s’entrechoquèrent non

loin. Un chat se dirigeait vers lui.Croc Jaune.Nuage de Geai fut content de la

voir, même si son haleine fétide luidonna la nausée.

« Est-ce que le Clan des Étoiles avu ce qui s’est passé ? s’enquit-il.

— Bien sûr.— Et qu’est-ce que vous allez

faire ? » demanda-t-il, le cœurbattant.

La vieille chatte soupira avant de

répondre d’une voix lasse :« Nous devons choisir

prudemment nos batailles. »Est-ce que les guerriers de jadis

admettaient leur défaite si facilement? Nuage de Geai se tourna vers elle,pris de panique. Mais Croc Jauneavait déjà disparu. Tout devintconfus, puis le monde retrouva sonmanteau de ténèbres. Il entendit lesvoix de ses camarades, droit devant,et s’élança vers eux.

Ses pensées tourbillonnaienttelles des feuilles dans une tempête.Au moins, Croc Jaune lui avaitrévélé ce qu’il avait besoin desavoir.

Les guerriers de jadis ontcapitulé. Leur fin est proche.

Nuage de Geai, Nuage de Lion etNuage de Houx allaient enfinpouvoir accomplir leur destinée.

CHAPITRE 24

NUAGE DE LION rêvait.Un torrent de sang cascadait sur

lui, glissant dans sa fourrure, épaiset chaud, emplissant sa truffe, leprojetant contre des paroisrocheuses.

Au secours !Il luttait contre la marée écarlate

en battant des pattes, les musclestendus jusqu’au point de rupture. Sespoumons le mettaient au supplice etl’odeur métallique du sang luiimprégnait la gueule.

La vague le déposa sur desrochers pointus et poursuivit sacourse sans lui. Il suffoquait,détrempé. En battant des paupières,il vit qu’une voûte de pierres’élevait au-dessus de lui. Desrayons argentés filtraient par unefissure et éclairaient faiblement lesparois de la caverne. Nuage de Lionse releva péniblement, alourdi par

son pelage imbibé de sang. Ilcontempla les flaques rouges quis’étaient formées dans les creux dusol rocheux et aperçut une silhouette– un corps désarticulé – qui gisaitpar terre, les membres tordus, laqueue inerte, la tête rejetée enarrière, du sang coulant de sesmoustaches.

Nuage de Myosotis !Nuage de Lion s’approcha d’un

pas trébuchant, bouillonnant de rage.Il la secoua du bout de la patte engrondant, mais son corps restaimmobile.

Elle était morte.Il la foudroya du regard, satisfait.

Bien fait, tu l’as mérité !C’était elle qui avait provoqué la

bataille qui avait fait disparaître lesoleil. Et à présent, les Clansexplosaient, se détournaient du Clandes Étoiles comme le Clan desÉtoiles se détournait d’eux.

Il sortit les griffes, plus longues etplus acérées que des épines deprunellier. Elles griffèrent le sol,creusant de profonds sillons dans lapierre. Le sang battait dans sesoreilles, une énergie brûlanteirriguait son corps, comme en pleincombat. Aucun adversaire nepouvait le vaincre ; aucun ennemi nepouvait faire couler son sang.

Que viennent les guerriers. Rienne peut m’atteindre. Je suis pluspuissant que le Clan des Étoiles !

« Dégage ! cria Nuage de Renard,indigné, en le réveillant. Tu meplantes tes griffes dans le dos !

— Désolé », marmonna Nuage deLion, et il roula hors de son nid.

Son esprit était encore embrumépar le sommeil, mais son rêve lehantait toujours. Il sortit du gîte entitubant, au bord de la nausée.

J’étais content qu’elle soit morte!

Horrifié, il avança dans laclairière.

Je l’aimais, naguère.

Le soleil du petit matin avait beaubaigner son pelage, il frémit. La peurs’insinua en lui jusqu’à la moelle deses os. Il se lécha le poitrail et futsoulagé de ne pas y trouver la saveurdu sang et de voir que sa fourruren’était plus rouge sombre.

« Bonjour, petite marmotte ! »lança Nuage de Houx, qui emportaitde la mousse vers la tanière desanciens.

Nuage de Lion ne répondit pas. Ilcontinua à faire sa toilette. Il avaitl’impression que son rêve l’avaitsouillé. Voulait-il vraiment devenirplus puissant que le Clan des Étoilessi tel était le prix à payer ?

Flocon de Neige testait lescapacités de Nuage de Cendre sousla Corniche.

« Saute, esquive et roule », luiordonna-t-il.

Elle exécuta l’enchaînement etatterrit avec souplesse.

« Comment va ta patte ? luidemanda son mentor.

— Comme les trois autres !ronronna Nuage de Cendre, qui trottaautour du matou, la queue enpanache. Parfaitement bien ! »

Millie toussait dans lapouponnière, et ses chatonsgémissaient tandis que Chipieessayait de les apaiser :

« Tout va bien, mes trésors.Essayez de téter encore. »

Tempête de Sable se mit àsecouer les branches de la tanièredes apprentis.

« Nuage de Renard ! Réveille-toi,espèce de loir ! »

Le tunnel de ronces frémit etPlume Grise en jaillit.

« Des traces du Clan du Vent ?s’enquit Flocon de Neige.

— Non, répondit le guerrierardoise. Les frontières portent unmarquage récent, mais personne neles a franchies. »

Pelage de Poussière et AileBlanche arrivèrent à leur tour et

filèrent droit vers la réserve degibier.

Aile Blanche fouilla dans lesprises de la veille.

« Est-ce que la patrouille dechasseurs est déjà partie ?s’informa-t-elle.

— Pas encore, dit Tempête deSable. Nous n’allons pas tarder. »Elle secoua de nouveau le roncier. «Dès que j’aurai réussi à sortir Nuagede Renard de son nid. Il pense qu’ilpeut échapper à toutes ses corvéespendant que Poil d’Écureuil est enconvalescence. Tu veux venirchasser, Nuage de Lion ?

— Oui », répondit ce dernier en

s’interrompant dans sa toilette.Peut-être qu’une bonne course en

forêt lui éclaircirait les idées. Ilpourrait faire comme s’il était unapprenti ordinaire – pendant un courtinstant, au moins.

Feuille de Lune se glissa hors desa tanière. Nuage de Geai apparutderrière elle en bâillant.

« Il nous faut davantage defeuilles de souci, miaula-t-elle. Lablessure de Poil d’Écureuil sereferme comme il faut, mais je veuxêtre prête en cas d’infection tardive.On ne peut plus être sûrs de quoi quece soit. »

Elle jeta un coup d’œil inquiet

vers le soleil, qui se levait au-dessus des arbres surplombant lacombe.

« J’irai en chercher ce matin,proposa Nuage de Geai, qui s’étirasi fort que sa queue frémit. J’en ai vuun pied près de la rive.

— Ce sera la dernière récolte dela saison, soupira la guérisseuse.

— Dans ce cas, j’en rapporteraiautant que possible. »

Des gravillons dégringolèrent dela Corniche. Étoile de Feu était sortide son antre et faisait sa toilette surle seuil. Son pelage paruts’enflammer sous les rayons dusoleil. Il se nettoya les oreilles en

vitesse puis balaya le camp duregard.

« Que tous ceux qui sont en âge dechasser s’approchent de la Cornichepour une assemblée du Clan ! »

Tempête de Sable leva la tête,surprise.

Nuage de Lion se redressa. Et lapatrouille de chasse ?

Le gîte des guerriers s’ébranla aupassage de Poil de Fougère et deBois de Frêne. Pavot Gelé et Truffede Sureau les suivirent, les yeuxbouffis de sommeil. Nuage deRenard sortit d’un pas trébuchant dela tanière des apprentis.

« Il était temps ! le sermonna

Tempête de Sable. J’allais t’attraperpar la queue pour te faire sortir deforce.

— Désolée, s’excusa Nuage deGivre qui émergea après son frère.Je l’ai empêché de dormir, hier soir.On a essayé de rester éveillésjusqu’à ce que vous reveniez del’Assemblée.

— Vous allez entendre le compterendu dans un instant », répondit laguerrière.

Nuage de Lion alla se placer sousla Corniche au côté de sescamarades. Même Poil d’Écureuilavait réussi à se déplacer à la lisièrede la clairière, contre l’avis de

Feuille de Lune, qui lui décochaitdes œillades noires.

Nuage de Houx se glissa près deson frère.

« Que crois-tu qu’il va dire ? »murmura-t-elle.

Nuage de Lion devina qu’elleparlait de l’Assemblée. CommentÉtoile de Feu allait-il annoncer larévélation fracassante d’Étoile deJais ?

Nuage de Geai se faufila dans lamasse des félins pour venirs’asseoir à côté de son frère.

« J’espère que vous avez mieuxdormi que moi. »

Nuage de Lion regarda ses pattes,

les oreilles brûlantes. Puis lemiaulement de son chef le tira de savision sanglante.

« L’Assemblée ne s’est pasdéroulée comme prévu. Le Clan del’Ombre n’est pas venu. »

Des miaulements choquésjaillirent ici et là.

« Quel était leur problème ?s’enquit Cœur Blanc.

— Sont-ils frappés par uneépidémie ? » lança Flocon de Neige.

Ignorant les questions, Étoile deFeu poursuivit :

« Étoile de Jais est venu avec Sol,le chat errant, et nous a dit que leClan de l’Ombre ne reconnaissait

plus le Clan des Étoiles.— Qu’est-ce que ça veut dire ?

s’étonna Patte de Mulot.— Le Clan de l’Ombre ne croit

plus que le Clan des Étoiles détienttoutes les réponses. Ils ont perdu lafoi en leurs ancêtres et neparticiperont plus aux Assemblées. »

Le meneur éleva le ton pourcouvrir les murmures paniquésprovoqués par son annonce.

« Il semble que Sol les encouragedans cette voie. Cependant, j’aime àcroire que le Clan des Étoiles auraune influence plus grande encore surle Clan de l’Ombre. Je pense qu’ilparlera à Étoile de Jais par

l’entremise de Petit Orage, ou àÉtoile de Jais lui-même. Le Clan desÉtoiles ne nous a jamais fait défaut.Ils ont laissé Étoile de Jais s’égarersans doute pour une bonne raison.Mais je suis certain qu’ils leramèneront au sein des Clans. Toutira bien. Vous vous souvenez de ladisparition du soleil ? Il a fini parrevenir, plus chaud que jamais. Cetteère de ténèbres passera, elle aussi,j’en suis certain. »

Tandis que les guerriers du Clanlevaient la tête vers leur chef, Nuagede Lion se remémora les paroles deSol : « La lumière reviendra, toutcomme le soleil est revenu,

cependant, ce sera votre lumière etil vous appartiendra de la contrôler.»

Son rêve ensanglanté le hantaittoujours. Était-il prêt pour un telpouvoir ? Le méritait-il seulement ?

CHAPITRE 25

Il ne croit pas un traître mot dece qu’il dit.

Nuage de Geai leva le museauvers Étoile de Feu. Il n’est pascertain du tout que ces ténèbres

passeront.Il sentit Nuage de Lion se crisper

près de lui, miné par le doute. Laqueue de Nuage de Houx balayait lesol.

« On ne peut pas se débarrasserde Sol ? lança Pelage de Poussière.

— C’est à Étoile de Jais de faireses propres choix, répondit Étoile deFeu.

— Même s’ils affectent tous lesClans ? insista Tempête de Sable.

— Nous continuerons à vivrenormalement, déclara le rouquin.Nous chasserons et prendrons soinde nos petits et de nos anciens. Nouspatrouillerons le long de nos

frontières tout comme nous lefaisions dans notre ancienne forêt.Tout comme nous le faisons icidepuis notre arrivée. Quel que soitle changement qui adviendra, nousécouterons le Clan des Étoiles et lecode du guerrier sera notre guide.

— Le code du guerrier, murmuraNuage de Houx. Le code du guerrier.»

Elle le répéta comme si c’était lasolution à tous leurs problèmes.

Nuage de Geai enviait la foi de sasœur. Et son ignorance. Elle necomprenait pas qu’Étoile de Feu seréconfortait lui-même tout autant queleurs camarades.

Il se doit de croire que les chosesvont s’arranger, pour le bien duClan.

Le meneur reprit d’une voix claire:

« J’ai aussi une bonne nouvelle àvous annoncer. »

Nuage de Geai releva la tête,surpris.

« Le Clan du Tonnerre est restépuissant. Nous avons prouvé notrevaleur au combat et nous savons quele Clan des Étoiles veille toujourssur nous. Nous allons baptiser troisnouveaux guerriers. »

Nuage de Geai serra les dents ensentant l’excitation de son frère et de

sa sœur. Il eut l’impression d’êtreassis entre deux soleils.

« Nuage de Lion, Nuage de Houxet Nuage de Cendre. »

Étoile de Feu descendit l’éboulisafin de rejoindre la clairière où leClan s’écartait déjà pour lacérémonie.

Poil de Fougère accourut auprèsde Nuage de Houx et lissa lafourrure de son dos avec sa queue.

« Bravo, la félicita-t-il.— Tu seras un excellent guerrier,

disait Pelage de Granit à Nuage deLion.

— Je ferai tout pour que tu soisfier de moi. »

Poil d’Écureuil rayonnait debonheur. Assise près d’elle, Feuillede Lune ronronnait. Elle doit êtrecontente pour Nuage de Cendre,songea Nuage de Geai.

« Je t’avais dit que tu rejoindraisbientôt ton frère et ta sœur, Nuage deCendre », déclara Flocon de Neige àson apprentie, et il lui donna un petitcoup de tête affectueux.

Nuage de Geai ferma les yeux. Il yavait longtemps qu’il n’avait plusimaginé le jour où il deviendraitguerrier. Pourtant, ce rêve ne l’avaitjamais quitté. Il laissa la jalousiemonter en lui, puis s’apaiser. Lafierté lui gonfla le poitrail. Son frère

et sa sœur allaient devenir desguerriers !

« Félicitations, murmura-t-il.— Merci, ronronna Nuage de

Houx en se frottant à lui.— J’espère que Nuage de Givre

tiendra la promesse qu’elle a faite àPoil de Souris, parce que je nenettoierai plus jamais la tanière desanciens », annonça Nuage de Lion.

Il donna du bout de la queue unpetit coup sur l’oreille de son frère.

« Si la litière de tes camarades abesoin d’être changée, alors tu lachangeras, rétorqua Pelage deGranit.

— Est-ce que Nuage de Lion croit

déjà qu’Étoile de Feu le nomme chefà sa place ? ronronna Griffe deRonce en s’approchant de ses petits.

— Je ne faisais que plaisanter !— Je sais. » Griffe de Ronce

s’arrêta près de Nuage de Geai. « Jesuis fier de vous tous. »

Plume de Noisette et Truffe deSureau bondirent vers eux.

« Félicitations ! lança lapremière.

— J’imagine qu’on sera obligésde vous faire de la place dans latanière des guerriers, les taquina lesecond.

— Je suis bien contente de ne plusy dormir, lança Poil de Souris. Ça

doit être plus bruyant qu’un nidd’étourneaux. »

L’ancienne était assise devant lapouponnière. Petit Crapaud et PetiteRose sautillaient autour d’elle.Millie la rejoignit dehors. Nuage deGeai distingua les vagues de chaleurqui s’échappaient d’elle à cause dela fièvre et il reconnut l’odeur d’unchaton qui pendait dans sa gueule.

Elle posa Petite Églantine entreles pattes de Poil de Souris.

« Tu veux bien surveiller celle-cipendant que je vais chercher lesdeux autres ? » demanda-t-elle d’unevoix rauque, comme si elle avait malà la gorge. Nuage de Geai se dit

qu’il irait lui chercher les dernièresgouttes de miel après la cérémonie.« Ils seront contents de voir leurpremier baptême de guerriers.

— Je ferai en sorte que PetiteRose et Petit Crapaud nel’écrabouillent pas.

— Hé ! protesta le chaton. Onn’est pas si maladroits. Tout lemonde semble croire… »

Il se tut, car Étoile de Feus’adressait au Clan depuis le centrede la clairière :

« Moi, Étoile de Feu, chef duClan du Tonnerre, j’en appelle à nosancêtres pour qu’ils se penchent surces trois apprentis. Ils se sont

entraînés dur pour comprendre leslois de votre noble code. Ils sontmaintenant dignes de devenirguerriers à leur tour. »

Nuage de Houx s’avançait déjàvers son chef, et Nuage de Lion seprécipita derrière elle. Nuage deCendre les suivit d’un pas assuré.

« Nuage de Houx, Nuage de Lionet Nuage de Cendre, promettez-vousde respecter le code du guerrier, deprotéger et de défendre le Clan,même au péril de votre vie ?

— Oui, murmura Nuage de Houxen tremblant.

— Oui, répéta Nuage de Lion,déterminé.

— Oui. »Nuage de Cendre semblait aussi

soulagée et excitée qu’un apprentiqui vient d’attraper sa premièreproie.

Nuage de Geai retint son souffle.Ils n’avaient jamais été aussi prèsd’accomplir leur destin.

« Alors par les pouvoirs qui mesont conférés par le Clan desÉtoiles, je vous donne vos noms deguerriers. » Étoile de Feu frôla lafourrure de Nuage de Houx. « Nuagede Houx, à partir de maintenant, tut’appelleras Feuille de Houx. Nosancêtres rendent honneur à tonintelligence et à ta loyauté. »

Nuage de Lion s’approcha.« Nuage de Lion, tu t’appelleras

Pelage de Lion. Nos ancêtresrendent honneur à ton courage et àton habileté au combat. Nuage deCendre… » Il marqua une pause enattendant qu’elle s’approche, toutetremblante d’excitation. « Tut’appelleras Cœur Cendré, enhommage aux guerriers qui nous ontprécédés. » Une pointe de tristesseperçait dans sa voix. Pensait-il àMuseau Cendré ? Comment aurait-ilsu que l’esprit de l’ancienneguérisseuse se tenait devant lui,brillant de mille feux sous le pelagede Cœur Cendré ? « Nos ancêtres

rendent honneur à ta bravoure et à tadétermination. Te voilà enfinguerrière. »

« Feuille de Houx ! Pelage deLion ! Cœur Cendré ! »

Leurs camarades les acclamèrentà pleins poumons, comme pourdéfier le sort. Malgré la disparitiondu soleil et la décision dévastatriced’Étoile de Jais, le Clan duTonnerre prospérerait.

Nuage de Geai se réjouit aveceux, fier de son frère et de sa sœur,et aussi de Cœur Cendré, qui s’étaittant battue pour réaliser son rêve. Ledestin de Museau Cendré s’étaitaccompli.

Et le nôtre ?Nuage de Geai frémit. Il savait

mieux que ses camarades ce que ladisparition du soleil signifiait. L’èredes Clans touchait à sa fin. Pelagede Lion, Feuille de Houx et luiétaient les seuls capables de lessauver.

L’auteur

Pour écrire La guerre des Clans,Erin Hunter puise son inspirationdans son amour des chats et dumonde sauvage. Erin est une fidèleprotectrice de la nature. Elle aimepar-dessus tout expliquer lecomportement animal grâce auxmythologies, à l’astrologie et auxpierres levées. Erin Hunter estégalement l’auteur de la série Laquête des ours, dans la mêmecollection.

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Titre original : Eclipse

La série « La guerre desClans » a été créée parWorking Partners Ltd,Londres.

© 2008, Working PartnersLtd.Publié pour la premièrefois en 2008 par HarperCollins Publishers.Tous droits réservés.

© 2013, éditions PocketJeunesse, départementd’Univers Poche, pour laprésente édition et latraduction française.

Couverture © AmélieRigot

ISBN : 978-2-266-23046-9

Loi no 49 956 du 16 juillet 1949 sur lespublications destinées à la jeunesse :mars 2013.

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