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http://www.asmp.fr - Gérald Antoine. 1 La langue française dans l'Europe d'aujourd'hui Par Gérald Antoine Comment dissimuler mon embarras devant ce sujet cent fois débattu jusqu'à en être rebattu ? C'est le cas de se rappeler le mot de La Bruyère : « tout est dit, et l'on vient trop tard » ! Cela est vrai surtout de la description des faits, du diagnostic de l'affaiblissement et des maux dont souffre aujourd'hui la langue française. C'est sans doute moins vrai de l'énoncé des remèdes éventuels - disons : de la thérapeutique. Vous me permettrez donc d'être relativement bref sur le premier point, pour accorder plus d'attention au second. Examen de la situation. - Trop d'analystes se croient encore au 18 e siècle, au temps où Rivarol, à l'invitation de l'Académie de Berlin, dissertait sur « l'Universalité de la langue française » (l'Académie de Berlin prenait soin de préciser : « Qu'est-ce qui fait de la langue française la langue universelle de l'Europe ? »). C'était le temps où Louis-Antoine Caraccioli, plus Parisien que Romain, pouvait publier un livre intitulé Paris, le modèle des nations étrangères, ou l'Europe française (1777). La France du XIX e siècle ne se reposera que trop sur cette glorieuse tradition. L'avertissement reproduit en tête de toutes les éditions du Dictionnaire universel de la langue française de Boiste (lère éd., 1800,10 e éd., 1841 ) en est une parfaite illustration : « Notre but est (…) de contribuer à ce que la langue française, conservée dans sa pureté, ne puisse pas cesser d'être, en Europe, la langue universelle ». Autre témoignage hautement révélateur, par son auteur et sa date: en 1888, donc plus d'un siècle après Rivarol, Renan prononce devant l'Alliance française une conférence « pour la propagation » de notre langue. Or, il retrouve les définitions et les accents de Rivarol: « Que de choses éternellement bonnes et vraies ont été pour la première fois dites en français, ont été frappées en français, ont fait leur apparition dans le monde en français. Que d’idées libérales et justes ont trouvé tout d'abord en français leur formule (...). C'est une langue libérale vraiment ». N'oublions pas le dernier mot: « Messieurs, je me fie à vous pour que le français soit la langue éternelle ». Une différence, toutefois, doit être relevée de l'un à l'autre. La France a connu la défaite en 1870: sa puissance politique est ébranlée, sa puissance économique est entamée, il importe d'autant plus de sauvegarder les valeurs de l'esprit et de la langue où il s'incarne. Le clairon sonne encore, mais les avant-gardes sont sur la défensive. A prendre les choses de haut, le XX e siècle français, en matière de langue, nous apparaît avant tout comme un continuateur du précédent, soucieux de défendre l'idiome à la fois contre les ennemis, réels ou supposés, de l'intérieur et de l'extérieur, beaucoup plus que de l'illustrer en l'enrichissant, à l'image des hommes de la Renaissance.

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La langue française dans l'Europe d'aujourd'hui

Par Gérald Antoine

Comment dissimuler mon embarras devant ce sujet cent fois débattu jusqu'à en êtrerebattu ? C'est le cas de se rappeler le mot de La Bruyère : « tout est dit, et l'on vient troptard » !

Cela est vrai surtout de la description des faits, du diagnostic de l'affaiblissement etdes maux dont souffre aujourd'hui la langue française. C'est sans doute moins vrai del'énoncé des remèdes éventuels - disons : de la thérapeutique. Vous me permettrez doncd'être relativement bref sur le premier point, pour accorder plus d'attention au second.

Examen de la situation. - Trop d'analystes se croient encore au 18e siècle, au tempsoù Rivarol, à l'invitation de l'Académie de Berlin, dissertait sur « l'Universalité de la languefrançaise » (l'Académie de Berlin prenait soin de préciser : « Qu'est-ce qui fait de la languefrançaise la langue universelle de l'Europe ? »). C'était le temps où Louis-AntoineCaraccioli, plus Parisien que Romain, pouvait publier un livre intitulé Paris, le modèle desnations étrangères, ou l'Europe française (1777).

La France du XIXe siècle ne se reposera que trop sur cette glorieuse tradition.L'avertissement reproduit en tête de toutes les éditions du Dictionnaire universel de lalangue française de Boiste (lère éd., 1800,10e éd., 1841 ) en est une parfaite illustration :

« Notre but est (…) de contribuer à ce que la langue française, conservée dans sapureté, ne puisse pas cesser d'être, en Europe, la langue universelle ».

Autre témoignage hautement révélateur, par son auteur et sa date: en 1888, doncplus d'un siècle après Rivarol, Renan prononce devant l'Alliance française une conférence« pour la propagation » de notre langue. Or, il retrouve les définitions et les accents deRivarol:

« Que de choses éternellement bonnes et vraies ont été pour la première fois ditesen français, ont été frappées en français, ont fait leur apparition dans le monde en français.Que d’idées libérales et justes ont trouvé tout d'abord en français leur formule (...). C'estune langue libérale vraiment ».

N'oublions pas le dernier mot: « Messieurs, je me fie à vous pour que le françaissoit la langue éternelle ».

Une différence, toutefois, doit être relevée de l'un à l'autre. La France a connu ladéfaite en 1870: sa puissance politique est ébranlée, sa puissance économique est entamée,il importe d'autant plus de sauvegarder les valeurs de l'esprit et de la langue où il s'incarne.Le clairon sonne encore, mais les avant-gardes sont sur la défensive.

A prendre les choses de haut, le XXe siècle français, en matière de langue, nousapparaît avant tout comme un continuateur du précédent, soucieux de défendre l'idiome à lafois contre les ennemis, réels ou supposés, de l'intérieur et de l'extérieur, beaucoup plusque de l'illustrer en l'enrichissant, à l'image des hommes de la Renaissance.

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Comment s'explique cette attitude à tous égards dangereuse pour l'avenir du françaisdans ce qu'on ne saurait appeler le concert européen, encore moins mondial ? - Elle a deuxcauses principales: l'une externe, très visible et dont tout le monde parle; l'autre interne,moins ostensible, sur laquelle on s’exprime peu mais qui, par là même, est pernicieuse.

La cause externe, chacun l'a compris, c'est la prépondérance croissante,spécialement en Europe, de l'anglais. Comme je l'ai déjà fait remarquer ailleurs, à lasurprise, semble-t-il, de l'auditoire, cette situation linguistique présente avait étépronostiquée, de la manière la plus lucide par l'Allemand Johann-Christopher Schwab,lauréat ex aequo avec Rivarol de l'Académie de Berlin en 1784. Rivarol, prudent ouparesseux, n'avait pas répondu à la troisième question posée par le jury: « Peut-onprésumer que la langue française conserve cette prérogative de l'universalité en Europe ? »Schwab, courageux et appliqué, répond: « Les autres langues qui sont en concurrence avecla langue française ne peuvent enlever à cette langue le rang qu'elle occupe que dans les cassuivants: il faudrait ou qu'elle vînt à s'altérer, ou que la culture d'esprit fût négligée dans lanation qui la parle, ou que cette nation perdît de son influence politique, ou que sous cestrois rapports une nation voisine reçût un accroissement proportionnel.

Mais ce n'est pas tout. Il précise pour finir :« Ceci ne doit s'entendre que de l'Europe, car la langue anglaise peut, en suivant le

rapport des accroissements de l'Amérique septentrionale, y acquérir un empireprodigieux ».

Eh bien, au seuil du XXIe siècle, toutes ces prophéties se trouvent, hélas ! réalisées.Prenons-les à rebours : « empire prodigieux » de l'anglais, spécialement dans les domaines-clés des sciences et des techniques, tant industrielles que commerciales. – « Perte de notreinfluence politique », qui a pris des allures vertigineuses depuis la disparition du Généralde Gaulle, - Dégradation de l'esprit, en particulier dans l'ordre moral.- Enfin « altération »de la langue elle-même, sous l'influence conjointe de quantité de facteurs qui tendent àl'amoindrir (ainsi l'éloignement de la nature animale et végétale par suite de l'urbanisationgalopante) ou à la fragiliser (ainsi l'on n'écrit plus laborieusement; on dicte, on téléphone -bref : on parle).

Cependant, ce dernier concept d’«altération » nous met sur le chemin d'une autrecause à laquelle il est permis d'imputer le comportement défensif, conservateur, bien plutôtqu'inventif, généreux, innovant de la majorité des usagers actuels de notre langue et, plussouvent encore, de ceux qui de près ou de loin ont en charge sa pédagogie.

Dire comme Schwab: « il faudrait que la langue vînt à s'altérer », c’est admettrequ'elle possède un degré de pureté qu'il importe de préserver contre toute atteinte. Cetidéal est d'ailleurs plus affirmé chez Schwab que chez Rivarol: aux yeux de Schwab laprincipale cause d'infériorité de sa langue par rapport à la nôtre tient au fait que l'allemand,victime de la diversité des parlers en usage d'une région à l'autre, n'est pas encore unelangue fixée, alors que le français est un idiome bien établi , riche d'un acquis lexical et d'uncode syntaxique parfaitement assurés.

Par le fait une conviction unanime se manifeste aussi bien chez les grammairiensréputés gardiens du « bon usage » que parmi toutes les catégories de la société policée: lalangue française, après avoir connu les obscurités du moyen âge, puis le flamboiement de laRenaissance, enfin la patiente épuration du grand Siècle, est parvenue à un état deperfection merveilleusement assorti aux besoins d'expression de l'Age des Lumières. Maiscette médaille a un revers: à pareil compte, l'avenir de notre langue tiendrait dans une

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cruelle alternative : ou bien, sévèrement gardée, elle demeure en cet état ; ou bien, par fautede vigilance, elle ne peut que perdre de son éclat, et comme disaient les Académiciensberlinois, « sa prérogative ».

De là vient le culte de la sauvegarde et du fixisme qui perdure jusqu’à nos jours.Selon la formule d'un grand linguiste, Mario Roques, le français est « une langue enperpétuelle surveillance. d'elle-même » - ce que ne sont point, en tous cas point au mêmedegré, tant s'en faut, les autres langues d'Europe, qu'elles soient de souche romane,germanique ou slave.

De là vient, dans le domaine des institutions, un foisonnement d'organismes, d’Etatou non, voués à la défense de notre idiome. Citerai-je, pour mémoire, sur le versantofficiel :

L’Académie française, première en dateSes statuts définissent sa « principale fonction » qui consiste à « donner des règles

certaines à notre langue, et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et lessciences ».

Le Conseil supérieur de la langue françaiseLa Délégation générale à la langue françaiseLe haut conseil de la francophonieEt sur le versant associatif :Le Conseil international de la langue françaiseL'Avenir de la langue françaiseL'Alliance francophone, etc.Savez-vous, à ce propos, que nous vivons en ce moment même dans « l'Année

francophone internationale 2001 » patronnée par les instances susdites ?Ce vaste déploiement de gendarmerie linguistique me paraît présenter assez peu

d'avantages, mais en revanche de graves inconvénients.A l'extérieur de nos frontières d'abord, tant en Europe qu'ailleurs, il suscite des

réactions allant de l'ironie à l'hostilité. La plupart y voient une trop claire manifestation de« l'arrogance française ».

A l'intérieur, cet appétit de sauvegarde sourcilleuse confinant au fixisme n’a pasmanqué d'entraîner, à l'opposé, des fringales d'affranchissement confinant au laxisme; mai68 n'a fait que précipiter le mouvement.

Au total, notre infortunée langue française se voit aujourd'hui menacée sur deuxfronts, intérieur et extérieur: le premier n'est pas au programme de ce soir. Je m'arrête doncà la situation internationale, et plus précisément européenne du français. L'Académie deBerlin pourrait mettre à présent au concours non plus l'universalité de la langue française,mais bien l'Universalité de la langue anglaise en Europe. Inutile de revenir sur les causes, laprincipale étant que l'anglais se trouve être à la fois la langue d'un des pays de l'Europe,non des moindres, et celle des Etats-Unis, actuellement encore première puissancemondiale et, de ce fait même, animé de sentiments hégémoniques.

Cela peut nous heurter; des événements récents montrent que cela n'est pas sansrisques pour leur propre avenir; mais cela est dans l'ordre humain et ne date point d'hier.En 1898 Théodore Roosevelt lâchait déjà cette phrase: « l'américanisation du monde estnotre destinée ».

L'historien de la langue que j'essaie d'être se bornera, lui, à mentionner trois faits. Lepremier est peu connu, mais ses conséquences pratiques, à l'échelle européenne pourcommencer, furent décisives: en 1965, sous l'autorité de Brejnev, le Praesidium du Soviet

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Suprême décrète : désormais tous les spécialistes de science et de technique ayant reçul’habilitation de l'Académie des Sciences de l'URSS devront publier leurs articles en anglais,avec un résumé en russe.

Comment a-t-on pu, dans ces conditions faire reproche à l'Institut Pasteur dedécider, un quart de siècle plus tard (1989) - c’est le second fait - l'emploi exclusif del'anglais dans ses publications ? N’est-ce pas, à l’évidence, la condition sine qua non de sonaudience internationale ?

Le troisième fait appartient au présent immédiat.Les perspectives d'élargissement de l’Union européenne soulèvent, comme chacun

le sait dans cette Maison, des problèmes nombreux et complexes. Celui des langues ne serange sans doute point parmi les plus importants ; mais il a le don d’enflammer les esprits.Jusqu'ici le Parlement européen reconnaissait à chacun de ses membres le droit de parler etd’écrire dans sa propre langue. L'arrivée, à plus ou moins proche échéance, de dix nouveauxpays membres implique la prise en compte de huit langues supplémentaires, et du mêmecoup des moyens et des frais d'interprétation exorbitants. D’où, en juillet dernier,l'émergence de propositions à portée réductrice: les uns ont suggéré de s'en tenir désormaisaux onze langues officielles de la Commission. ; - les autres aux trois langues de travailreconnues au sein du Conseil; tel enfin (le britannique James Elles) de se contenter del'anglais, puisqu'il est désormais enseigné comme première ou deuxième langue dans tousles Etablissements secondaires européens. Ce fut un beau tollé, d'autant que dans le mêmetemps était avancée l'idée de reconnaître l'anglais comme « la principale langue de travail dela Commission ». Là-dessus les Ministres des Affaires étrangères allemand et françaisadressèrent une lettre de protestation conjointe, fondée sur le refus de 1'unilinguisme, signed'unimentalisme.

Voilà le péril fondamental nettement diagnostiqué. Il est dès lors très urgentd’inventorier les composantes d'une thérapeutique non pas idéalement conçue, maisadaptée aux réalités présentes. Il est bien entendu qu'il s'agit ici des destinées du français;mais les remèdes envisagés valent également, mutatis mutandis, pour les autres grandeslangues européennes.

Article 1er de l'ordonnance : « La raison du plus fort est toujours la meilleure ». Aulieu de nous acharner à « défendre » le français, appliquons-nous à l’« illustrer », commedisait J. du Bellay, c'est-à-dire à le fortifier, en l'enrichissant de tous les nouveaux moyensd’expression requis par l'incessant renouvellement du monde. Du Bellay voulait qu'onpillât le grec, le latin, les dialectes, les autres langues vivantes ... La recommandation vautplus que jamais, à une condition: il faut, dans toute la mesure du possible, assimiler lesemprunts1 et non point les plaquer tels quels sur le corps de la langue. Cette tâche capitalerevient à la Commission nationale de néologie et de terminologie.

Autre tâche, connexe, qui lui incombe : procurer dans les plus courts délais des« équivalents » français aux dénominations anglo-américaines des nouveautés scientifiques,techniques, industrielles et commerciales. Pour réussir, ces équivalents doivent être aussiattrayants que brefs.

(1) Nos ancêtres ont donné l'exemple : cf. bol, boulingrin, redingote, etc.

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Article II. - Il ne suffit pas de fortifier le français en lui-même et à l'intérieur del'Hexagone; il faut en même temps fortifier ses positions au sein de l’Europe, L'usage réel,généreux d'un plurilinguisme européen est à coup sûr le remède le plus salutaire, à la foispour le français et pour ses voisins. Soyons pratiques et concrets : pourquoi ne pas lancerun appel à une conférence mixte des Ministres européens de l'Education d'une part, de laCulture et de la Communication de l'autre, les invitant à établir conjointement, au cours dessix mois à venir, une carte du plurilinguisme dans les établissements scolaires de l'ensembledes Pays adhérant à l'Union européenne ?

L'objectif est clair : parvenir à ce que tout élève, à compter au plus tard de sonentrée au Collège, apprenne, outre son idiome national, deux autres langues vivantes degrande civilisation.

Les moyens à prévoir passent, eux, de toute nécessité par une coopérationpermanente entre les responsables de l'Education et ceux des médias audiovisuels.L'apprentissage des langues ne saurait plus être désormais une mission dévolue à la seuleEducation nationale, Il doit prendre, pour une large part, la forme d'une pratiquequotidienne acquise dans le cadre familial, devant l'écran de télévision, selon des horaires etdes programmes établis en commun par les pédagogues des langues et par les animateursdes chaînes télévisuelles réservées à la diffusion des savoirs et de la culture.

Article III. Rassurez-vous : je m'en tiendrai là pour aujourd'hui; mais permettez-moi, en terminant, de ne pas quitter le terrain de la pédagogie – tout en faisant retour versnotre langue nationale.

Si nous voulons qu'elle vive, il importe pour commencer de l'enseigner de manièrevivante aux enfants. Erik Orsenna vient de publier un charmant livre intitulé : LaGrammaire est une chanson douce, Hélas ! pour combien d'entre nous ne fut-elle pas unepotion amère ! - Il serait temps, croyez-moi, de mettre fin à un absurde contresenspédagogique: on prétend enseigner la langue française aux enfants dans les classes dites degrammaire, c'est-à-dire à un âge où les concepts abstraits dont on habille ladite grammaireles rebute. Dans les classes suivantes, à l'âge où ils seraient capables d'y mordre et mêmeavec appétit, on leur parle d'histoire, de sociologie, de psychologie de la littérature. Bref,nos enfants sortent du lycée sans jamais avoir appris réellement leur langue. De grâce,appelez-en au Ministre de l'Education nationale et demandez-lui de remettre les chosesdans leur bon sens – celui de la nature: qu' on enseigne aux élèves des écoles et des collègesleur langue comme « une chanson douce », à base de lectures, de récitations animées, delarges cueillettes guidées à travers les jardins du vocabulaire. Qu'on les initie lorsqu'ils sontdevenus lycéens à la logique comme à l'antilogique de la grammaire, autrement dit auxstructures de leur idiome.

Cette triple ou quadruple ordonnance étant délivrée, je me sens plus à l'aise pourreprendre le large et vous répéter ce qu'il m'est arrivé de dire en d'autres lieux: une languen'est que la somme des moyens d'expression d'une collectivité. Si cette collectivité estnombreuse, puissante, rayonnante en tous les domaines: scientifique, économique, culturel,moral, ses moyens d'expression seront à son image. A celles et ceux qui exercent desresponsabilités dans ces divers ordres d'en prendre pleine conscience: les grammairiens nesont pas seuls au monde et leur chanson n'est jamais qu'un écho.