La Liberte Des Enfants de Dieu

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  • 8/3/2019 La Liberte Des Enfants de Dieu

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    T E X T E S S P I R I T U E L S

    collection dirige par le R. P. Adrien-M. Brunet, O.P.

    SAINT THOMAS D'AQUIN

    LA LIBERTDES

    ENFANTS DE DIEU

    DITIONS DE L'ARBRE

    60 ouest, rue Saint-JacquesMontral

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    Biblio!que Saint Librehttp://www.liberius.net

    Bibliothque Saint Libre 2009.

    Toute reproduction but non lucratif est autorise.

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    ENFANTS DE DIEU

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    !' ME COLLECTION

    P.irns :

    . < n . i f u l . trait de Vunion a Dieu

    h : < I ' I M , i . l l c m a n l , s ; : Doctrine spirituelle (extraits)

    Pre de Caussade, vj. : Vabandon la Providence divine

    (extraits)

    Pre Chardon : /../ Croix de Jsus

    Saint Thomas d'Aquin : Rites et Prires de la Messe

    Saint Athanase : Vie de Saint Antoine

    Thcodn'c d'Antyrc et sa int Lon le Grand : Sermons pour

    la \..;.\

    >!,: r ^ : ' . ' j u ! ! , / ; libert des enfants de Dieu

    paratre :

    lauier : Sertn

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    N l H I t OBSTAT :

    fr. Jdouard-M. Marcotte, O.P.Lecteur en thologiefr. Hyacinthe-M. Robillard, O.P.

    Lecteur en thologie

    IMPRIMATUR :

    Philippe Perrier, P.A., V.G.Montral, 10 novembre 1944

    IMPRIMI POTEST :

    fr. Pie-M. Gaudrault, O.P.Provincial,

    Montral, 2 novembre 1944

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    INTRODUCTION

    Saini Thomas n'a pas compos un trait spcial sur lalibert des enfants de Dieu, mais il nous a laiss un ensemblede considrations inspires par la Sainte Ecriture. En corn- mentant certaines paroles du Christ et des aptres, il aexpos la conception qu'un chrtien doit se faire de lalibert et l'attitude d'homme libre qu'il doit adopter, s'ilveut tre la fois le serviteur et l'ami de Dieu. L'ide fon

    damentale de cette doctrine est que la loi divine, loin de s'opposer la libert humaine, en est l'ducatrice, puisqu'elleapprend a l'homme bien user de sa libert. Et lorsqu'ils'agit de la loi nouvelle, justement appele loi d'amour, ellefait mieux encore : elle engendre la charit, elle nousincline spontanment nous comporter en enfants de Dieu.Donner libre cours cet esprit d'adoption, c'est tre libre,car celui qui aime, se plat rpter saint Thomas, se meutde lui-mme, et ses actes accomplis par amour sont de tousles plus volontaires.

    A celui qui connat l'amour divin et y croit, Dieu

    n'apparat plus comme un matre exigeant et un adversaire redoutable dont les ordres sont autantd'atteintes a la libertde ses sujets. Il est le Pre, l'Ami qui nous indique la voie suivre pour Le rejoindre dans l'lan conscient et volontairede notre libert. En nous attachant Lui-mme, Il nousgarde de tout ce qui pourrait nous asservir, Il nous rend

    vraiment libres l'gard de tout ce qui n'est pas le Bien absolu. Sans doute, Il exige des sacrifices; mais sont-ils

    La libert... 3

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    8 LA LIBERT DES ENFANTS DE DIEU

    autre chose que la libre prfrence accorde a des biens suprieurs, et se peut-il plus noble usage de la libert ?

    Cette doctrine thomiste est de la plus haute importance

    pour Vorientation de la Die chrtienne . qu'elle prsente sous son vrai jour, la lumire de la parole si profonde desaint Paul : L o est l'Esprit du Seigneur, l est la libert.L'Eglise dans ses oraisons liturgiques demande pour le peuple chrtien la grce d'une parfaite libert et celle d'aimerce que Dieu commande. Cette prire qui doit tre aussi la ntre ne sera-t-elle pas plus fervente et plus srementexauce si nous comprenons mieux le don trs prcieux dela libert que Dieu accorde ses enfants avec son amiti ?

    La mditation des textes runis ici nous y aidera.

    Joseph-Marie PARENT, O.P.

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    Libert imparfaite et peccabilit

    La libert des enfants de Dieu, loin de pactiser avec le

    pch, tend son limination ; le chrtien est d'autant plus

    libre qu'il pche moins. A la limite, le chrtien parfait oule bienheureux uni pour toujours Dieu ne peut plus pcher.Ces affirmations supposent que le pouvoir de pcher ou de

    choisir le mal n'est pas un lment essentiel de la libert,

    qu'il convient seulement une libert imparfaite comme

    celle de l'homme ici-bas.

    Il est de l'essence du libre arbitre de pouvoir s'orienter

    en divers sens. Mais cette diversit peut elle-mme s'entendre

    de trois faons. Premirement, selon la multiplicit des

    moyens choisir en vue d'une fin. A chaque tre, en effet,

    convient naturellement une fin qu'il dsire ncessairement

    d'une ncessit qui surgit de sa nature parce que la

    nature tend toujours un but unique; mais cette fin

    unique divers moyens peuvent tre ordonns, et c'est pour

    cela que l'apptit d'une nature intellectuelle ou raisonna

    ble peut s'tendre divers objets, dans le choix des

    moyens.De cette faon, Dieu veut naturellement comme fin

    propre sa bont, et II ne peut pas ne pas la vouloir. Mais,

    parce que divers ordres de choses peuvent tre ordonns

    cette bont, la volont de Dieu ne se porte pas sur l'un

    de ces ordres de telle faon qu'elle ne puisse se porter sur

    un autre ; et pour autant, le libre arbitre convient Dieu.

    De mme, l'ange et l'homme ont une fin qui leur est

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    70 LA LIBERT DES ENFANTS DE DIEU

    assigne par la nature, et c'est le bonheur. Ils le veulent

    donc naturellement et ne peuvent pas vouloir son contraire,

    la misre, selon la remarque de saint Augustin. Mais, parce

    que divers biens peuvent tre ordonns ce bonheur, la

    volont de l'homme, comme celle de l'ange bon ou mauvais,

    peut dans le choix des moyens s'orienter en divers sens.

    La deuxime diversit relative au libre arbitre consiste

    dans la diffrence qui existe entre le bien et le mal. Mais

    cette diversit-l n'appartient pas essentiellement la facultdu libre arbitre; elle n'a qu'un rapport accidentel avec cette

    facult, provenant de ce qu'elle se trouve dans une nature

    faillible. Puisqu'en effet la volont est de soi ordonne au

    bien comme son objet propre, le fait qu'elle tende au

    mal ne peut provenir que de ce que le mal est envisag

    comme un bien ; et cette erreur suppose une dfaillance de

    l'intelligence ou de la raison cause de la libert. Or, il n'est

    pas essentiel une facult de faire dfaut dans son acte:

    par exemple, il n'est pas essentiel la puissance visuelle

    que quelqu'un voie seulement de faon obscure. C'est

    pourquoi rien n'empche de trouver un libre arbitre qui

    tende au bien avec une telle sret qu'il ne puisse d'aucune

    manire tendre au mal, soit en vertu mme de sa nature

    comme en Dieu, soit grce une perfection surnaturelle

    comme dans les anges et les hommes batifis.

    Une troisime diversit se rencontre dans le libre arbitre,

    selon qu'il est changeant: cette diversit ne consiste pas vouloir diffrentes choses, car Dieu lui-mme veut la rali

    sation de divers vnements selon qu'ils conviennent des

    poques et des personnes diffrentes. Mais les variations

    du libre arbitre consistent en ce qu'une mme personne ne

    veut plus ce qu'elle voulait d'abord ou veut maintenant

    ce qu'elle ne voulait pas. Ce caractre changeant n'est pas

    essentiel au libre arbitre, mais il s'attache la condition

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    LA LIBERT DES ENFANTS DE DIEU u

    propre d'une nature muable. II n'est pas essentiel, par

    exemple, la puissance visuelle de voir tantt d'une faon,

    tantt d'une autre ; mais cela provient de la disposition de

    celui qui voit, dont l'oeil peut tre normal ou troubl.

    De mme, la mutabilit ou la versatilit du libre arbitre

    ne lui est pas essentielle ; mais elle vient s'y ajouter lors

    qu'il se trouve dans une nature changeante. En nous, le

    libre arbitre est expos "au changement par l'intervention

    d'une cause intrinsque ou extrinsque : cause intrinsque,du ct de la raison, par exemple chez celui qui ignorant

    d'abord une chose l'apprend ensuite; ou du ct de l'apptit

    qui sous l'influence de la passion ou de l'habitude se porte

    vers un objet comme lui convenant, tandis qu'une fois la

    passion ou l'habitude disparue, ce mme objet ne lui con

    vient plus. La cause extrinsque est Dieu qui par sa grce

    fait passer la volont de l'homme du mal au bien, selon

    cette parole du livre des Proverbes ( X X I , 1) : Le coeur des

    rois est dam la main de Dieu, et II l'incline partout o H

    veut. Qu. disp. de Maio, 16, a, 5.

    Libert parfaite et hnpeccabilit

    L'acte propre du libre arbitre est le choix qui porte sur

    les moyens, non sur la fin moins que celle-ci soit une fin

    subordonne et premie le caractre de moyen par rapport la

    fin ultime qui, elle, s'impose l'agent libre. Le choix est

    donc bon lorsqu'il est conforme aux exigences de la finultime, et la constante rectitude du choix, loin de nuire aulibre arbitre, en atteste la perfection.

    Cette parole de l'Ecclsiastique (XV, 14) : Dieu a laiss

    l'homme dans la main de son conseil, ne signifie pas qu'il

    est permis l'homme de faire tout ce qu'il veut; elle signifie

    que l'homme dans sa conduite n'est pas contraint par une

    ncessit de nature, comme les tres dpourvus de raison,

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    12 LA LIBERT DES ENFANTS DE DIEU

    mais qu'il agit en vertu d'un libre choix auquel il s'est

    dtermin lui-mme, Sum. theol.,11-11, q. 104, a. 1, ad 1.

    Le libre arbitre est par rapport au choix des moyens

    ce qu'est l'intelligence par rapport la dduction des con

    clusions. Or, il est manifeste que la perfection de l'intelli

    gence consiste pouvoir se diriger elle-mme vers les con

    clusions, partir de principes donns ; mais que l'intelli

    gence dans la dcouverte des conclusions ne respecte pas

    l'ordre exig par les principes, cela dnote une dfaillancede sa part.

    De mme, il appartient la perfection de la libert

    de pouvoir choisir diffrents moyens, en respectant l'ordre

    impos par la fin ; mais faire un choix sans tenir compte

    de cet ordre, autrement dit pcher, c'est une dfaillance de

    la libert. La libert est donc plus parfaite dans les anges

    qui ne peuvent pcher qu'en nous qui gardons cette pos

    sibilit. Sum. theol., I, q. 62, a. 8, ad 3.

    Ce qui est vrai des anges l'est aussi des bienheureux, duChrist et de Dieu. Leur libert qui ne peut se porter qu'au

    bien est parfaite.

    Il n'est pas essentiel au libre arbitre de se porter indiff

    remment au bien ou au mal. Le libre arbitre est de soi

    ordonn au bien, celui-ci tant l'objet de la volont ; il ne

    tend au mal qu' la suite d'une erreur qui le fait envisager

    comme un bien ce qui en ralit est un mal, la volont oule choix ne pouvant se fixer que sur un bien au moins

    apparent.

    C'est pourquoi, l o le libre arbitre est absolument

    parfait comme en Dieu, il ne peut nullement tendre au nul

    parce qu'il ne peut souffrir aucune imperfection ni erreur.

    Ce qui est essentiel au libre arbitre, c'est de pouvoir agir ou

    non, et cela convient Dieu ; car les biens qu'il cause, 11

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    LA LIBERT DES ENFANTS DE DIEU 13

    pourrait ne pas les causer ; Il ne peut cependant faire le

    mal. In Sent., lib. II, d. 25, q. 1, a. 1, ad 2.La crature raisonnable dsire naturellement tre heu

    reuse ; d'o il suit qu'elle ne peut pas vouloir n'tre pas

    heureuse. Elle peut cependant se dtourner par la volont de

    l'objet dans lequel consiste la vraie batitude ; la volont

    est alors perverse. Et cela arrive parce que Ton considre

    comme constituant la batitude, non l'objet en lequel elle

    se trouve vraiment, mais quelque autre chose vers laquelle

    la volont dsordonne dvie comme vers sa fin : ainsi,

    celui qui met sa fin dans les plaisirs corporels, les estime

    comme ce qu'il y a de meilleur et y cherche la batitude.

    Or, ceux qui sont dj dans la vie bienheureuse consi

    drent l'objet dans lequel se trouve la vraie batitude

    comme constituant vraiment le bonheur et la fin dernire;

    autrement leur dsir ne se reposerait pas dans cet objet, et

    par consquent ils ne seraient pas heureux. Il est donc im

    possible tous ceux qui sont dj bienheureux de dtour

    ner leur volont de l'objet dans lequel se trouve la vraie

    batitude. Donc ils ne peuvent avoir une volont perverse.

    Sum. Contra Gentile s, lib. IV, c. 92.

    La droiture de la volont accompagne ncessairement la

    batitude ; celle-ci en effet consiste dans la vision de l'es

    sence divine qui est l'essence mme du bien et ainsi la

    volont du bienheureux qui voit Dieu dans son essence aime

    ncessairement tout ce qu'elle aime par rfrence Dieu,selon l'ordre voulu par Dieu, de la mme manire que la

    volont de celui qui ne voit pas l'essence divine aime n

    cessairement tout ce qu'elle aime par rfrence au bien en

    gnral qui prside ses choix. Or, cette rfrence Dieu

    est justement ce qui rend une volont droite. Il est donc

    vident que la batitude ne peut exister sans la droiture de

    la volont. Sum. theol., I-II, q. 4, a. 4.

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    14 LA LIBERT DES ENFANTS DE DIEU

    Dieu, objet d'un choix mritoire

    Ce dernier texte nous fournit l'explication de la situation

    paradoxale de l'homme. Il veut ncessairement le bien engnral ou la batitude, et cependant il ne veut pas toujoursDieu qui est pourtant concrtement le Bien absolu, la Bati

    tude subsistante, Aussi longtemps, en effet, que Dieu n'est

    pas vu intuitivement et en son essence, Ildemeure pour

    l'homme l'objet d'une option libre et par consquent

    mritoire.

    Il y a des biens qui sont relis la batitude par un

    lien de connexion ncessaire ; tels sont les biens par les

    quels l'homme s'attache Dieu en qui seul consiste la

    vraie batitude. (La volont devrait donc leur donner son

    adhsion tout comme elle veut ncessairement la batitude).

    Cependant, tant que la vision de l'essence divine ne nous

    a pas manifest avec vidence ce lien de connexion nces

    saire, notre volont n'adhre pas ncessairement Dieu ni

    aux biens qui s'y rapportent. Mais la volont de celui qui

    voit Dieu dans son essence ne peut pas ne pas adhrer

    Dieu de mme que maintenant nous ne pouvons pas ne

    pas vouloir tre heureux. Sum. theol. I, q. 82, a. 2.

    Y a-t-il quelque mrite vouloir ce que l'on veut

    naturellement ? La nature a mis dans l'homme un dsir de

    la fin ultime prise en gnral, de manire que l'homme

    dsire naturellement ce qui peut le parfaire ou le rendreheureux. Mais en quoi consiste cette perfection de l'homme

    est-elle dans les vertus morales ou intellectuelles, dans

    les plaisirs ou quelque autre bien de ce genre cela n'est

    pas dtermin par la nature.

    Quand donc l'homme, avec l'aide de la grce divine et

    en suivant sa propre raison envisage comme sa batitude

    un bien spcial dans lequel se trouve vraiment cette bati-

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    LA LIBERT DES ENFANTS DE DIEU 15

    tude, il accomplit un acte mritoire : non du fait qu'il

    dsire la batitude, mais parce qu'il se porte vers un bien

    spcial, la vision de Dieu par exemple, bien qui n'est pas

    dtermin par la nature mais dans lequel se trouve en

    vrit la batitude de l'homme.

    Si, au contraire, par une erreur de sa raison, l'homme

    est amen dsirer comme sa batitude un bien particulier,

    par exemple les plaisirs corporels, en lequel ne consiste

    pas la batitude, il dmrite, non parce qu'il dsire la

    batitude, mais parce qu'il dsire indment comme batitude

    ce en quoi elle ne peut se trouver.

    Il est donc manifeste qu'il n'y a de soi ni mrite ni

    dmrite vouloir ce que l'on veut naturellement, comme

    la batitude ; mais il peut y avoir mrite ou dmrite selon

    que ce vouloir naturel du bonheur se porte sur tel ou tel

    bien concret. Et ainsi, les saints mritent en dsirant Dieu

    ou la vie ternelle. Qu. disp. de Veritate, 22, a. 7.

    Peccabilit de la crature libre

    L'impeccabilit n'est naturelle qu' Dieu. Quant l'hom

    me, il a reu le libre arbitre pour accepter librement l'ordretabli par Dieu, pour y conformer ses choix. Mais il peut

    aussi abuser de sa libert pour s'carter de cet ordre.

    De mme que le bien de toute chose est de demeurer

    dans l'ordre qui lui convient, de mme son mal est

    d'abandonner cet ordre. Or, Tordre de la crature raisonnable

    est d'tre soumise Dieu et de dominer les autres cratures.

    C'est donc un mai pour la crature raisonnable de se sou

    mettre, par l'amour, aux tres infrieurs ; c'est aussi un

    mal pour elle de ne pas se soumettre Dieu, mais au con

    traire de L'attaquer prsomptueusement ou de Le mpriser.

    Or, la crature raisonnable considre dans sa nature est

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    16 LA LIBERT DES ENFANTS DE DIEU

    expose ce mal, par suite de la flexibilit de son libre

    arbitre ; mais chez les bienheureux la perfection de la

    gloire exclut ce mal. Sum. theol., II-II, q. 19, a. 11.

    Les fins, comme les agents, sont ordonnes entre elles

    de sorte que la fin secondaire dpend de la fin principale,

    de mme que l'agent secondaire dpend de l'agent principal.

    Or, il y a dsordre ou pch quand l'agent secondaire sort

    de l'ordre fix par l'agent principal : ainsi, lorsque la jambe,

    cause d'une inflexion, n'excute pas le mouvement com

    mand par la volont, ce dfaut produit une dmarche

    vicieuse. De mme toutes les fois que la fin secondaire

    cesse d'tre subordonne la fin principale, la volont

    pche, bien que son objet soit bon et constitue une fin.

    Or, toute volont veut naturellement le bien propre de

    son sujet, c'est--dire sa perfection, et elle ne peut vouloirle contraire. Le pch de la volont est donc impossible

    dans l'agent volontaire dont le bien propre est la fin

    suprme ou le souverain bien ; car cette fin n'est pas subor

    donne une autre, mais toutes les autres lui sont subor

    donnes. Cet agent volontaire est Dieu dont l'tre mme

    est la bont souveraine c'est--dire la fin dernire. Il ne

    peut donc y avoir de pch de la volont en Dieu.

    Mais, si Ton considre dans sa nature tout autre tre

    dou de volont dont le bien propre doit tre subordonn

    un bien suprieur, Je pch de Ja volont est possible.

    Bien qu'il y ait, en effet, dans chacun de ces tres uneinclination naturelle de la volont vouloir et aimer sa

    propre perfection, en sorte qu'il ne puisse vouloir le con

    traire ; il ne lui est pas donn par la nature de subordonner

    sa perfection une fin suprieure, sans jamais pouvoir

    s'carter de cet ordre ; car la fin suprieure n'est pas la fin

    propre de sa nature, mais celle d'une nature plus leve.

    Il dpend donc de son libre arbitre de subordonner sa

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    18 LA LIBERT DES ENFANTS DE DIEU

    ralis. En eux, la charit parfaite qui les unit entirement

    Dieu domine jamais l'inclination naturelle de la volont;

    aussi leur est-il impossible de pcher, et ils sont parfaite

    ment confirms dans le bien par la grce.

    A un degr moindre, on est confirm dans le bien

    lorsqu'en vertu d'un don spcial de la grce on se trouve

    inclin au bien de telle sorte qu'on n'en peut tre facilement

    dtourn. Cependant, on n'est pas prserv du mal au point

    de ne plus pouvoir du tout pcher, du moins sans une

    protection spciale de la divine Providence. Ici-bas, on peut

    tre confirm dans le bien de cette deuxime manire, non

    de la premire.

    En effet, il est impossible d'tre rendu entirement im

    peccable, moins que ne soit abolie la source mme du

    pch. Or, cette source, c'est ou bien l'erreur de la raison

    elle-mme se trompant concrtement sur la fin pour

    suivre ou sur les moyens qui y conduisent, fin et moyens

    qu'elle aime naturellement dans l'abstrait ; ou bien quelque

    passion infrieure venant intercepter le jugement de la

    raison. Il est vrai que, mme ici-bas, les dons de sagesse et

    de conseil pourraient prserver la raison de toute erreur sur

    la fin poursuivre et les moyens qui y conduisent.

    Mais, que le jugement de la raison ne puisse tre

    intercept, c'est une perfection qui dpasse notre condition

    prsente pour deux raisons : d'abord et principalement

    parce qu'il est impossible sur la terre que notre raison soittoujours en acte de droite contemplation, ce qui ferait de

    Dieu la rgle de toutes nos actions. En second lieu, parce

    que dans le mme tat prsent les puissances infrieures ne

    sont jamais soumises au point de ne pouvoir empcher en

    aucun cas l'exercice de la raison. Le Seigneur Jsus-Christ

    fait exception, qui tait la fois en route vers Dieu et dj

    en possession de Dieu.

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    LA LIBERT DES ENFANTS DE DIEU

    Ce qui est compatible avec notre condition prsente, c'est

    une grce attachant l'homme au bien de manire qu'il lui

    soit trs difficile de pcher. Ses puissances infrieures se

    trouvent alors refrnes par les vertus morales, sa volont est

    fortement incline vers Dieu, sa raison est rendue parfaite

    en la contemplation de la divine vrit, contemplation dont

    la continuit provenant de la ferveur de la charit retire

    l'homme du pch. Ce qui manque encore cette confirma

    tion, la protection de la divine Providence le supple chez

    ceux que l'on dit tre confirms dans le bien. Toutes les fois

    qu'il surgit une occasion de pcher, leur esprit est divine

    ment excit y rsister. Qu. disp. de Veritate, 24, a. 9.

    La vraie libert

    Ceux qui sont ainsi confirms dans le bien jouissent dela vraie libert dont parle saint Paul, lorsqu'il compare la

    condition de l'homme justifi par lagrce celle du pcheur.Du reste, le Christ lui-mme, (Jean VIII, 34) avait affirm :

    Quiconque se livre au pch est esclave du pch.

    Pour comprendre la condition du pcheur dcrite par

    saint Paul, on doit considrer que l'homme possdant natu

    rellement, en vertu de sa raison et de sa volont, le libre

    arbitre, ne peut tre vraiment contraint bien qu'il puisse tre

    inclin en tel ou tel sens. Il demeure donc, par sa libert,

    libre de toute contrainte mais non de toute inclination.

    Parfois, en effet, le libre arbitre est inclin au bien parla grce habituelle ou la justice surnaturelle : il est alors

    le serviteur de la justice et il est libre l'gard du pch.

    Parfois, au contraire, il est inclin au mal par l'habitude du

    pch : alors, il est esclave du pch et affranchi de la

    justice. C'est ce que dit saint Paul : Au temps o vous

    tiez libres l'gard de la justice.

    Servitude qui entrane l'homme consentir au pch

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    20 LA LIBERT DES ENFANTS DE DIEU

    contre le jugement de la raison ; libert qui le fait se prcipiter

    dans le pch parce que le frein de la justice ne le re

    tient plus : ce qui est vrai surtout de ceux qui pchent de

    propos dlibr, car ceux qui pchent par faiblesse ou par

    passion y mettent quelque retenue de sorte qu'ils n'appa

    raissent pas compltement affranchis de la justice. On lit

    dans Jrmie (II, 2 0 ) : Depuis longtemps tu as bris ton

    joug, tu as rompu tes liens et tu as dit ; Je ne servirai plus,

    et dans Job (XI , 1 2 ) : Uhomme vain se dresse dans son

    orgueil, et il se croit affranchi de tout joug comme le petit

    de Vonagre.

    Il faut cependant remarquer que cet tat comporte un

    vritable esclavage et une libert apparente seulement. Puis

    que l'homme est ce qu'il est par sa raison, il est vraiment

    esclave lorsqu'il se laisse loigner du bien conforme laraison par quelque chose d'tranger la raison. Secouer tout

    frein spirituel pour suivre ses convoitises n'est donc une

    manifestation de libert qu'aux yeux de celui qui met le

    souverain bien dans la satisfaction des convoitises.

    La condition du juste est tout autre : il est affranchi du

    pch, de sorte qu'il n'est pas domin par lui au point

    d'y consentir. C'est pourquoi saint Paul dit : Maintenant

    affranchis du pch, vous tes devenus les serviteurs de Dieu.

    De mme que dans l'tat de pch, on est esclave du

    pch auquel on obit ; ainsi dans l'tat de justice,

    on est serviteur de Dieu auquel on obit volontairement, selon ce mot du Psaume (XCIX, 2 ) :

    Servez le Seigneur dans la joie.

    Voil la vraie libert et la meilleure servitude : par la

    justice, en effet, l'homme est inclin ce qui lui convient,

    au bien proprement humain ; il se dtourne de ce qui

    satisfait les convoitises ou de ce qui le rapproche davantage

    des btes. In Rom., c, VI, lect. 4.

  • 8/3/2019 La Liberte Des Enfants de Dieu

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    LA LIBERT DES ENFANTS DE DIEU 21

    La conduite de l'esclave n'est point rgle par son

    propre jugement, mais par celui du matre. Le pcheur,

    dira-t-on, agit selon son jugement propre ; il n'est donc

    pas esclave, A cela il faut rpondre qu'un tre est avant

    tout ce qui lui convient selon sa nature. Quand donc il est

    mis en branle par un principe tranger sa nature, il

    n'agit pas de lui-mme, mais sous une impulsion extrieure,

    ce qui est une vritable servitude.

    Or, l'homme est selon sa nature un tre raisonnable.Quand donc il agit selon la raison, il se meut de son

    propre mouvement, il agit de lui-mme, ce qui est le

    propre d'un homme libre. Mais, quand il pche, il agit en

    marge de la raison, il est m pour ainsi dire par un autre,

    il est prisonnier de puissances trangres ; et c'est pourquoi

    il est crit : Quiconque se livre au pch est esclave dupch, et dans la deuxime ptre de saint Pierre (II, 1 9 ) :

    On est esclave de celui par qui on s'est laiss vaincre.

    Mais, plus on est m par un principe tranger, plus on

    est rduit en servitude ; plus on est domin par le pch,

    moins on agit de son propre mouvement, c'est--dire selonla direction de la raison, et plus on devient esclave. On voit

    par l que certains sont d'autant plus enchans par l'escla

    vage du pch qu'ils se livrent au mal avec plus d'apparente

    libert, comme le dit saint Grgoire. Cette servitude est

    srement trs lourde parce qu'on ne peut y chapper : o

    que l'homme aille, son pch l'accompagne, mme une fois

    que l'acte et la dlectation sont disparus. In joami., c.

    VIII, lect. 4.

    Dans l'ordre spirituel, il y a une double servitude et une

    double libert : la servitude du pch et la servitude de la

    justice ; la libert ou l'affranchissement l'gard du pch

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    22 LA LIBERT DES ENFANTS DE DIEU

    et la libert l'gard de la justice. C'est ce que dit l'Aptre

    aux Romains (VI, 20) : Lorsque vous tiez les serviteurs du

    pch, vous tiez libres Vgard de la justice ; maintenant

    affranchis du pch, vous tes devenus les serviteurs de Dieu

    ou de la justice.

    Or, il y a servitude ou esclavage du pch chez celui

    qui est inclin au mal par l'habitude du pch ; il y a

    servitude ou mieux service de la justice chez celui qui est

    inclin au bien par l'habitude de la justice. De mme, celui

    qui ne se laisse pas dominer par l'inclination au pch est

    libre l'gard du pch ; au contraire, celui que l'amour de

    la justice ne dtourne pas du mal est libre l'gard de la

    justice.

    Cependant, dans l'apprciation de cette double libert,

    on doit se rappeler que l'homme est inclin la justiceselon la raison naturelle, tandis que le pch est toujours

    oppos cette mme raison; d'o il suit que l'affranchisse

    ment l'gard du pch est la vraie libert et se trouve uni

    au service de la justice : par l'un et l'autre, en effet, l'homme

    tend au bien qui lui convient. De mme, le vritable escla

    vage est celui du pch, accompagn de l'affranchissement

    l'gard de la justice, parce que l'un et l'autre empchent

    l'homme d'atteindre son bien propre, le bien conforme

    la raison. Sum. theol., II-II, q. 183, a. 4.

    Les degrs de la libert

    Cet esclavage du pch laisse subsister le libre arbitre,

    mais pratiquement il en empche le bon usage, plus ou

    moins selon l'intensit de l'habitude mauvaise qui s'est im

    plante dans le pcheur. Si l'on parle de l'augmentation ou

    de la diminution de la libert, ce sera donc en considration

    des inclinations vertueuses ou vicieuses qui facilitent ouentravent ce bon usage.

    Le libre arbitre est dit libre du fait qu'il ne peut tre con-

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    LA LIBERTDES ENFANTS DE DIEU 23

    traint. Mais la contrainte est elle-mme double, selon qu'elle

    force quelqu'un ou l'incline dans un sens plutt que dans

    l'autre. Il est naturel et essentiel au libre arbitre, quel que

    soit son tat, de n'tre pas soumis la premire contrainte ;

    la libert ainsi entendue n'augmente ni ne diminue essen

    tiellement, mais seulement de faon accidentelle, c'est--dire

    selon la perfection de nature des tres libres, En effet, toute

    proprit dcoulant d'une nature est possde d'autant plus

    parfaitement que la nature elle-mme est plus leve endignit ; de cette faon on dit de l'homme qu'il est moins

    intelligent que l'ange. Il en est de mme de la libert qui

    chappe toute contrainte ncessitante : elle est plus

    parfaite en Dieu que dans l'ange, dans un ange que dans

    un autre, et dans l'ange que dans l'homme.

    D'autre part, la libert l'gard des influences qui peu

    vent nous incliner dans un sens plutt que dans un autre,

    augmente ou diminue, s'acquiert ou se perd, selon que ces

    influences augmentent ou diminuent, apparaissent ou dispa

    raissent. Une telle libert augmente donc ou diminue essen

    tiellement dans l'homme, selon les divers tats o il se

    trouve.

    Ajoutons que le libre arbitre n'est jamais tellement do

    min ou asservi par les passions qu'on soit contraint de

    pcher, car alors la responsabilit n'existerait plus ; mais

    on dit qu'il est soumis au pch en tant qu'il y est inclin

    par de fortes dispositions.Quant au pouvoir de pcher, il est essentiellement le

    mme chez tous ; mais il est plus prompt l'acte chez celui

    qui a l'habitude du mal : car l'opration conforme une

    habitude est dlectable pour celui qui possde cette

    habitude. C'est pourquoi les gens vicieux accomplissent avec

    plaisir et sans aucune rpugnance des actes abominables ;

    on dit qu'ils les font librement parce que chez eux l'oppo-

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    24 LA LIBERT DES ENFANTS DE DIEU

    sition de la raison est touffe par le vice qui obscurcit

    l'esprit ; ce qui ne peut se produire en l'absence du vice.

    In Sent., lib. II, d. 25, q. 1, a. 4, c. ; ad 4-5.

    La loi, ducatrice de la libert

    Ce qui nous affermit dans le bien nous libre, c'est--direrend notre libert de plus en plus parfaite. C'est le rle desvertus naturelles et surnaturelles qui nous aident faire de

    bons choix, en tout premier lieu de la charit, la vertu lib

    ratrice par excellence, comme nous le verrons plus loin. Maisce rle bienfaisant convient aussi la loi. Quoiqu'on

    l'oppose couramment la libert, la loi en est l'auxiliaire,

    parce qu'elle-mme est ordonne la vertu, et en dfinitive,

    lorsqu'il s'agit de la loi divine, la charit.

    Il y a dans l'homme une certaine aptitude naturelle lavertu ; mais son parfait dveloppement suppose la discipline

    ou l'exercice. En cela l'homme ne saurait aisment se suffire

    lui-mme. En effet, l'acquisition parfaite de la vertu con

    siste loigner l'homme des plaisirs indus auxquels les

    hommes sont principalement ports, surtout les jeunes pour

    qui la discipline est d'une plus grande efficacit.

    Cest pourquoi les hommes doivent recevoir d'autrui

    cette discipline par laquelle on parvient la vertu. Certes,

    pour les jeunes gens qui sont ports aux actes de vertu par

    une heureuse disposition de leur nature ou par l'accoutu

    mance et surtout par le secours divin, il suffit de la disciplinepaternelle qui s'exerce par des conseils. Mais, parce d'autres

    sont pervers ou enclins au vice et ne se laissent pas facile

    ment diriger par des paroles, il a t ncessaire qu'ils

    fussent contraints par la force et la crainte s'abstenir du

    mal ; de la sorte, ils cessent au moins de mal agir et laissent

    la paix aux autres. Et puis, pour leur bien, ils sont amens

    par une telle accoutumance accomplir de bon gr ce qu'ils

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    LA LIBERTDES ENFANTS DE DIEU 25

    ne faisaient auparavant que par crainte, et finissent ainsi

    par devenir vertueux. Cette discipline qui oblige par crainte

    des chtiments est prcisment la discipline des lois. Aussi

    fut-il ncessaire pour la paix des hommes et le dveloppe

    ment de la vie vertueuse de porter des lois. Sum. theol., I-II,

    q. 95, a. 1.

    La fin de toute loi, et surtout de la loi divine, est de

    rendre les hommes bons. On dit de l'homme qu'il est bon

    lorsqu'il a une volont bonne au moyen de laquelle ilfait passer l'acte tout ce qu'il y a de bon en lui. Or, la

    volont est bonne par l mme qu'elle veut le bien, et

    surtout le souverain bien qui est la fin ultime. Donc la

    bont de l'homme augmente mesure que sa volont veut

    plus ardemment ce bien.

    Or, l'homme veut plus ardemment ce qu'il veut par

    amour que ce qu'il veut seulement par crainte ; le vouloir

    qui procde uniquement de la crainte est pour une part

    involontaire, comme dans le cas du navigateur qui par

    crainte du danger veut jeter ses marchandises la mer.

    Donc l'amour du souverain bien qui est Dieu, rend les

    hommes aussi bons que possible, et c'est la fin principale

    de la loi divine.

    La bont de l'homme dcoule de la vertu, car c'est la

    vertu, au dire du Philosophe, qui le rend bon. C'est

    pourquoi la loi vise rendre les hommes vertueux, et ses

    prceptes portent sur les actes de vertu. Mais, c'est une condition de la vertu que le vertueux agisse avec fermet et dlecta

    tion ; condition que ralise surtout l'amour, car c'est lui qui

    donne nos actions d'tre la fois fermes et agrables. Donc

    l'amour du bien est la principale fin de la loi divine.

    Par l'autorit de la loi, les lgislateurs dirigent ceux

    qui elle s'adresse. Or, de tous les tres qui sont mus par un

    premier moteur, celui-l est le plus parfaitement m qui

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    26 LA LIBERTE DES ENFANTS DE DIEU

    participe davantage l'impulsion et la ressemblance du

    premier moteur. Dieu qui est l'auteur de la loi divine fait

    tout pour son amour. Donc celui qui se porte vers Dieu de

    la mme manire, c'est--dire par amour, est dirig vers Lui

    de la faon la plus parfaite. Puisque tout agent recherche la

    perfection dans ce qu'il fait, la fin de toute lgislation est

    donc que l'homme aime Dieu.

    C'est pourquoi il est dit dans la premire Timothe

    (I, 5) : la fin du prcepte est la charit, et dans Matthieu,(XXII , 37) que le premier et le plus grand commandement

    est : Vous aimerez le Seigneur votre Dieu. C'est pourquoi

    nous appelons la loi nouvelle, loi d'amour, comme la plus

    parfaite ; et la loi ancienne, loi de crainte, comme tant

    moins parfaite. Sum. Contra Genfiles, lib. III, c. 116.

    La loi nouvelle et la libert

    Parce qu'elle est tout ordonne la charit, la loi

    nouvelle jouit d'une incontestable supriorit ; elle n'est pas

    seulement une promesse de libration, elle en est le facteur

    le plus efficace par son lment principal, la grce duSaint-Esprit.

    Toutes les diffrences que l'on remarque entre la loi

    ancienne et la loi nouvelle sont celles qui existent entre

    deux ralits dont l'une est parfaite et l'autre imparfaite.

    Les prceptes de toute loi portent, en effet, sur les actesvertueux. Or, l'inclination ces actes de vertu ne se trouve

    pas de la mme manire chez ceux qui sont encore impar

    faits, n'ayant pas en eux l'habitude de la vertu, et chez

    ceux qui sont dj perfectionns par cette habitude.

    En l'absence de la vertu, on n'est inclin aux actes que

    par une cause extrinsque, comme la menace de chtiments

    ou la promesse de rcompenses extrieures, l'honneur par

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    LA LIBERT DES ENFANTS DE DIEU 27

    exemple, les richesses ou quelque autre bien de ce genre.

    C'est pourquoi la loi ancienne impose des sujets

    imparfaits qui n'avaient pas encore reu la grce du Saint-

    Esprit, tait appele loi de crainte, en tant qu'elle induisait

    l'observance de ses prceptes par la menace de certains

    chtiments. De mme, on dit qu'elle promettait des biens

    temporels.

    Au contraire, ceux qui possdent dj la vertu sont

    inclins en accomplir les actes par amour de la vertu,non cause d'un chtiment redout ou d'une rcompense

    extrieure. Aussi la loi nouvelle, dont l'lment principal

    consiste en la grce du Saint-Esprit infuse en nos coeurs,

    est-elle appele loi d'amour. Et on dit qu'elle promet des

    biens spirituels et ternels qui sont les objets mmes des

    vertus, en particulier de la charit. Et ainsi, les hommes ver

    tueux sont ports vers ces biens, non comme vers des ralits

    trangres, mais comme vers leur propre perfection.

    Pour la mme raison, on dit aussi de la loi ancienne

    qu'elle retenait la main sans contenir les sentiments parce

    qu'en celui qui s'abstient du pch par crainte du chtiment,

    la volont ne s'loigne pas vraiment du mal, comme chez

    celui qui s'abstient par amour de la justice. Et c'est pour

    cela que la loi nouvelle, loi d'amour, est dite rectifier les

    sentiments de l'me.

    Cependant, mme sous le rgime de l'Ancien Testa

    ment, il y eut des fidles possdant la charit et la grce del'Esprit-Saint, qui espraient surtout la ralisation de

    promesses spirituelles et ternelles. Et en cela ils se ratta

    chaient la loi nouvelle. Par contre, mme dans le Nouveau

    Testament, il y a encore des hommes charnels, ne s'levant

    point la perfection de la loi nouvelle, qu'il a fallu pousser

    la pratique des actes de vertu par la crainte des chtiments

    et par la promesse de certains avantages temporels. D'autre

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    28 LA LIBERT DES ENFANTS DE DIEU

    part, mme si la loi ancienne prescrivait la charit, elle ne

    confrait pas le Saint-Esprit par qui la charit est rpandue

    dans nos curs. Sum theol., I-II, q. 107, a. 1, ad 2.

    Tout de mme, la loi vanglique ne restreint-elle pasnotre libert par ses prescriptions et ses dfenses? Non, laloi n'est une contrainte que pour celui qui, oubliant la finmme de la loi, l'observe sans amour. Celui-l demeuresous la loi.

    Il n'y a pas de libert, dira-t-on, l o l'homme est tenud'accomplir ou d'viter certains actes extrieurs. La loi

    nouvelle, tant une loi de libert, ne prescrit donc ni ne

    dfend les actes extrieurs.

    A cela il faut rpondre que selon Aristote est libre

    celui qui est cause de soi . Agit donc librement celui qui

    agit de lui-mme. Or, ce que l'homme accomplit en vertu

    d'une habitude conforme sa nature, il l'accomplit de

    lui-mme, parce que cette habitude l'incline l'acte avec la

    spontanit d'une nature. Par contre, si l'habitude n'tait

    pas conforme sa nature, l'homme n'agirait plus selon ce

    qu'il est lui-mme, mais selon une altration l'affectant dans

    son tre ou dans son activit.

    Puisque donc la grce du Saint-Esprit nous est infuse

    comme une habitude intrieure nous inclinant bien agir,

    elle nous fait accomplir librement ce qui est conforme la

    grce et viter ce qui lui est oppos. Et ainsi, la loi nouvelle

    est une loi de libert un double titre : d'abord parcequ'elle ne nous oblige faire que ce qui est ncessaire au

    salut et viter que ce qui lui est contraire : seules ces

    deux catgories d'actes tombent sous le commandement ou

    sous la dfense de la loi. Deuximement parce qu'elle nous

    fait accepter librement ses prescriptions ou ses dfenses

    dans la mesure o nous nous y conformons sous la pousse

    intrieure de la grce. Et pour ces deux motifs, la loi

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    LA LIBERT DES ENFANTS DE DIEU 29

    nouvelle est appele par saint Jacques (I, 25) la loi de

    libert parfaite. Sum. theol., I-II, q. 108, a. 1, ad 2.Relativement aux prceptes moraux, tre sous la loi peut

    s'entendre en deux sens: cette expression dsigne premirement une obligation, et en ce sens tous les fidles sont sous

    la loi parce qu'elle a t donne tous pour tre observe, et

    le Christ a dit, Matthieu (V, 17) : Je ne suis pas venu

    abolir la loi.

    Ces mots expriment aussi une contrainte, et dans ce

    deuxime sens, les justes ne sont pas sous la loi parce que

    l'instinct de l'Esprit-Saint qui est en eux et qui les meut est

    devenu leur propre instinct. En effet, la charit les incline

    cela mme que la loi prescrit. Parce que les justes ont

    ainsi une loi intrieure, ils font spontanment ce que la loi

    commande, sans tre contraints par elle. D'autres qui ont la

    volont de mal faire sont retenus par la pudeur ou la crainte

    de la loi ; ceux-l subissent une contrainte. Et ainsi, les

    justes sont soumis l'obligation de la loi, mais ils n'en

    subissent pas la contrainte comme les pcheurs. In Gai., c. V,

    lect. 5.

    On voit que la libert des enfants de Dieu ne consiste pasdans le rejet de la loi, mais dans un accomplissement qui estlibre parce qu'il procde de la charit.

    La o est VEsprit du Seigneur, l est la libert, dit saintPaul dans la deuxime ptre aux Corinthiens (III, 17) .

    Il faut savoir que certains ont invoqu ce texte et celui dela premire Timothe (I , 9 ) o il est dit que la loi n'est

    pas faite pour le juste l'appui de l'erreur suivante :

    l'homme spirituel n'est pas tenu d'observer les prceptes de

    la loi divine. Mais ceci est faux parce que les prceptes

    divins sont la rgle de la volont humaine ; et il n'est

    personne, ni ange ni homme, dont la volont n'ait besoin

    d'tre rgle et dirige par la loi divine.

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    30 LA LIBERT DES ENFANTS DE DIEU

    Lorsque l'Aptre dit que la loi n'est pas faite poux

    l'homme juste, il faut l'entendre ainsi : la loi n'a pas t

    tablie pour les justes qu'une habitude intrieure incline

    dj cela mme qui est prescrit par la loi, mais pour ceux

    qui n'ont pas cette justice habituelle ; les justes sont

    cependant tenus de l'observer.

    Ce qui est affirm ici de la libert a la mme signifi

    cation. Est libre celui qui est cause de soi ; est esclave

    celui qui ne vit et n'agit que pour son matre. Agit donclibrement celui qui agit de lui-mme, mais non celui qui est

    m l'action par autrui. C'est pourquoi celui qui vite le

    mal, non parce que c'est le mal, mais cause des prceptes

    divins, n'est pas vraiment libre ; celui, au contraire, qui

    vite le mal, parce que c'est le mal, est libre.

    C'est ce qu'accomplit le Saint-Esprit en nous : Il nous

    perfectionne intrieurement par la grce habituelle de telle

    manire que nous agissions par amour conformment la

    loi divine. Et ainsi, on dit du juste qu'il est libre, non parce

    qu'il cesse d'tre soumis la loi divine, mais parce qu'une

    habitude intrieure l'incline faire ce que la loi commande.

    In II Cor., c. III, lect. 3-

    La vraie libert, don de l'Esprit-Saint

    La vraie libert, celle qui ne subit pas la loi maisl'embrasse, dcoule de la charit et par consquent de

    VEsprit-Saint qui la rpand dans nos coeurs, si bien qu'il n'ya pour l'homme d'authentique libert que celle qui lui vient de Dieu.

    Le libre arbitre est cause de son mouvement ; par le

    libre arbitre en effet, l'homme se meut lui-mme l'action.

    Cependant, il n'est pas requis, pour tre libre, d'tre la

    cause premire de soi-mme ; pas plus qu'il n'est requis pour

    tre la cause de quelque chose d'tre sa cause premire. Ce

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    LA LIBERT DES ENFANTS DE DIEU 31

    rle de cause premire appartient en propre Dieu qui

    donne le mouvement aux causes naturelles et aux causes

    volontaires.

    Et de mme qu'en mettant en mouvement les causes

    naturelles, Dieu n'empche point leurs actes d'tre naturels,

    ainsi en mettant en mouvement les causes volontaires, Il

    n'enlve point leurs actes leur modalit volontaire, mais

    bien plutt II la ralise en eux ; car Dieu opre dans les

    tres selon leur nature propre. Sum. theol., I, q. 83, a. 1, ad 3.Le propre de l'amiti est de consentir ce que veut un

    ami. Or, la volont de Dieu nous est manifeste par ses

    prceptes. L'amour dont nous aimons Dieu comporte donc

    que nous accomplissions ses commandements selon cette

    parole du Christ, (Jean, XIV, 15) : Si vous m'aimez, gardez

    mes commandements.Puisque le Saint-Esprit nous introduit dans l'amiti

    divine, c'est Lui galement qui nous meut l'accomplisse

    ment des commandements de Dieu, selon ce que dit l'Aptre

    aux Romains (VIII, 14) : Tous ceux qui sont mus parl'Esprit de Dieu, ceux-l sont fils de Dieu.

    Il faut observer cependant que les fils de Dieu sont

    mus par l'Esprit-Saint, non comme des esclaves mais comme

    des hommes libres. Puisqu'tre libre, c'est tre cause de

    soi , nous faisons librement ce que nous faisons de nous-

    mmes, c'est--dire de par notre volont. Au contraire, ce

    que nous faisons contre notre volont, nous le faisons enesclaves non en hommes libres : soit qu'il y ait violence

    absolue, le principe de l'action tant tout extrieur et le

    sujet soumis la violence n'ayant aucune initiative, comme

    dans le cas de celui qui est forc de se mouvoir ; soit que la

    contrainte se mle au volontaire, comme lorsqu'on accepte

    de faire ou de souffrir ce qui est moins oppos sa

    volont, pour viter ce qui la contrarie davantage.

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    LA LIBERT DES ENFANTS DE DIEU 33

    Serviteur et ami de Dieu

    Par la charit, Vhomme devient Vami de Dieu sans cesser

    d'tre son serviteur parce qu'un tel service, command par

    l'amour et la crainte filiale, n'a rien d'incompatible avec la

    libert. Saint Augustin en faisait la remarque : Le service

    du Seigneur est un service libre : ce n'est pas la ncessit

    mais la charit qui le commande.

    Il y a deux craintes de Dieu : Tune est la crainte servileque bannit la charit ; l'autre est la crainte filiale engendre

    par la charit, qui fait redouter de perdre Celui que l'on

    aime : c'est la crainte bonne et chaste dont il est dit dans

    le Psaume (XVIII, 10) : La crainte du Seigneur est sainte,

    elle subsiste jamais. De mme, il y a deux services de

    Dieu : l'un procde de la crainte filiale : il est celui des

    justes et des fils de Dieu ; l'autre procde de la crainte du

    chtiment et il est oppos la charit : Notre-Seigneur y

    fait allusion lorsqu'il dit : Je ne vous appellerai plus mes

    serviteurs, mais mes amis.

    Comme on sait, est proprement serviteur ou esclavecelui qui n'est pas cause de soi , qui ne peut disposer de

    lui-mme ; est libre celui qui est cause de soi . Il y a donc

    cette diffrence entre l'esclave et l'homme libre, que le

    premier agit seulement cause d'un autre tandis que le

    second agit pour lui-mme et de lui-mme, que l'on

    considre la fin ou le principe de leur action. L'homme

    libre agit pour lui-mme, ordonnant ses actions son

    propre bien ; il agit aussi de lui-mme, m l'action par sa

    propre volont. L'esclave, au contraire, n'agit pas pour lui-

    mme, mais pour son matre ; il n'agit pas non plus de

    lui -mme, mais en dpendance de la volont de son matre et

    pour ainsi dire par contrainte.

    Mais il arrive aussi parfois, et c'est le cas du serviteur

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    34 LA LIBERT DES ENFANTS DE DIEU

    de Dieu, qu'un serviteur agisse pour un autre considr

    comme sa fin ; par ailleurs, il agit de lui-mme selon qu'il

    se meut l'action de son propre gr. Ce service n'a rien

    que d'excellent puisque dans le cas c'est la charit qui porte

    bien agir ; mais on n'agit point pour soi, parce que la

    charit ne cherche pas son avantage mais celui de Jsus-

    Christ et du prochain. Ceux au contraire qui n'agissent qu'

    cause d'un autre, c'est--dire par crainte servile, sont de

    mauvais serviteurs. Il est donc manifeste que les disciplestaient de bons serviteurs, leur service procdant de l'amour.

    De plus, le serviteur qui n'agit pas de lui-mme, qui

    est entirement m par un autre, se trouve l'gard de

    celui qui le meut comme l'instrument dans les mains de

    l'artisan. L'instrument concourt avec l'artisan la ralisation

    de l'uvre, mais il en ignore l'ide ; de mme, les esclaves

    ne participent qu' la ralisation de l'uvre. Mais lorsque

    le serviteur agit de son propre gr, il doit connatre le

    plan de l'uvre : le secret lui en est rvl pour qu'il

    agisse en connaissance de cause.

    Or, les aptres s'appliquaient d'eux-mmes aux bonnes

    uvres, la charit y inclinant leur volont ; c'est pourquoi

    le Seigneur leur rvle ses secrets. Mais il est vrai d'affirmer

    que les mauvais serviteurs ignorent ce que fait leur matre.

    Qu'est-ce qu'ils ignorent ? Cela mme que Dieu accomplit

    en nous ; tout le bien que nous accomplissons, en effet,

    c'est Dieu qui l'opre en nous. // opre en nous le vouloiret le faire, dit saint Paul aux Philippiens (II, 13 ) . Le

    mauvais serviteur gar dans les tnbres par l'orgueil de

    son coeur s'attribue ce qu'il fait et ignore par l mme ce

    que fait son matre. In Joann., c. XV, lect. 3.

    La charit confre l'homme une grande dignit. Toutes

    les cratures, en effet, ayant t faites par Dieu sont au service

    de la majest divine, comme les uvres d'un artisan aux

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    36 LA UBERT DES ENFANTS DE DIEU

    Le service du prochain et la liberte

    Le service de Dieu n'est pas oppos la libert ; cetut

    du prochain non plus, tant comme le premier un libreexercice de la charit. Le don de l'Esprit, source de notrelibert, est un bien commun, le plus lev qui soit, parce quel'Esprit n'habite et ne se communique que dans la communaut des fidles. C'est donc au service de ce bien commun etde cette communaut que le chrtien exerce sa charit et par fait sa libert. Et celui qui est constitu en dignit doit considrer son autorit comme un service.

    Vous avez t appels, vous, la libert chrtienne. Parla charit rendez-vous serviteurs les uns des autres, (Galates,V, 13) - Puisque l'Aptre dit aux Galates qu'ils ont t

    appels la libert, pourquoi leur recommande-t-il d'tre

    les serviteurs les uns des autres ? A cela il faut rpondre

    que la charit exige que nous nous rendions service les uns

    aux autres, et elle ne cesse pas pour autant d'tre libre.

    Il est remarquer que l'homme libre, comme dit le

    Philosophe, est cause de soi tandis que l'esclave est

    pour ainsi dire caus par autrui, que l'on considre la cause

    efficiente ou la fin de son agir : il n'agit pas de lui-mme,

    mais par la volont de son matre et pour l'avantage de

    celui-ci. Sous le premier aspect, c'est--dire comme cause

    efficiente, la charit est entirement libre parce qu'elle agit

    d'elle-mme. On lit dans la deuxime ptre aux Corinthiens(V, 14) La charit du Christ nous presse; cela veut dire

    qu'elle nous incite la ralisation volontaire et spontane

    de ce qu'elle commande. Par ailleurs, celui qui pratique la

    charit est un serviteur parce qu'il fait passer l'intrt du

    prochain avant le sien propre. In Gol., c. V, lect. 3.

    Et nous sommes vos serviteurs en considration de Jsus-Christ, (II Corinthiens, IV, 5 ) . La raison en est que nous

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    Ce qui fait dire saint Augustin( 1 )

    : La convoitise des

    biens temporels que Ton veut acqurir ou retenir est le

    poison de la charit ; ce qui nourrit la charit diminue la

    convoitise, car celle-ci est la racine de tous les maux. Qui

    conque veut nourrir la charit doit s'appliquer diminuer

    la convoitise. Or, la convoitise est le dsir d'acqurir ou de

    possder des biens temporels ; on commence l'affaiblir en

    craignant Dieu qui seul ne peut tre craint, comme II doit

    l'tre, sans amour.

    C'est pour cela qu'ont t tablies les diverses formes de

    vie religieuse dans lesquelles et par lesquelles l'me se dta

    che des choses mondaines et corruptibles pour s'lever aux

    ralits divines : ce qui est exprim par cette parole du

    deuxime livre des Machabes (I, 2 2 ) : Le soleil jusque-l

    couvert de nuages resplendt. Le soleil, c'est--dire l'esprithumain, est couvert de nuages quand il se livre aux choses

    terrestres ; mais il resplendit quand il se dgage et s'loigne

    de leur amour.

    Le deuxime moyen est une ferme patience dans les adver

    sits. Il est manifeste en effet que si nous supportons de lour-

    preuves pour celui que nous aimons, notre amour loin d'tre

    dtruit est accru. Il est dit dans le Cantique des Cantiques

    (VIII, 7) : Les grandes eaux, c'est--dire de multiples

    tribulations, ne sauraient teindre l'amour. C'est pourquoi

    les saints qui supportent pour Dieu leurs adversits sont

    affermis dans son amour, tout comme l'artisan aime davantage l'uvre qui Jui a demand plus de travail. Il suit de l

    que les fidles grandissent dans l'amour de Dieu en propor

    tion des afflictions qu'ils endurent pour Lui. De duobus

    Praec, c. 1.

    (1) Li. 83 quaestionum, q.36 (PJL. 40, 25).

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    LA LIBERT DES ENFANTS DE DIEU 39

    Pour se protger contre les dfaillances toujours possiblesde la libert, le chrtien a la ressource de s'engager par vu la poursuite d'un bien meilleur. En prenant comme en

    tenant cet engagement, il fait un excellent usage de sa libertet l'affermit dans le bien.

    Certains ont pens qu'il tait insens de s'obliger par

    vu obir quelqu'un ou faire quelque chose. Un acte

    n'est-il pas d'autant plus vertueux qu'il est plus librement

    accompli ? A cette libert s'oppose la ncessit qui nousastreint poser une action. Le mrite des actes vertueux

    semble donc diminuer par l mme qu'ils procdent de la

    ncessit d'obir ou de remplir un vu.

    Ceux qui parlent ainsi paraissent ignorer la notion

    mme de ncessit. Il y a en effet diverses ncessits. La

    premire est la ncessit de contrainte qui diminue le mrite

    des actes vertueux parce qu'elle est oppose au volontaire ;

    car ce qui est fait par contrainte est contraire la volont.

    Il y a une autre ncessit qui procde d'une inclination

    intrieure ; loin de diminuer le mrite de l'acte vertueux,

    elle l'augmente car elle fait que la volont se porte cet

    acte avec plus d'intensit. II est vident que plus une

    habitude vertueuse est parfaite, plus elle incline la volont

    tendre au bien de cette vertu. Si cette habitude atteint la

    perfection, elle impose une certaine ncessit de bien agir,

    comme dans le cas des bienheureux qui ne peuvent pcher.

    Toutefois, il n'y a rien en cela qui diminue la libert de lavolont ou la bont de l'acte.

    Une troisime ncessit se tire de la fin : on dit, par

    exemple, qu'il est ncessaire d'avoir un navire pour traverser

    la mer. Une telle ncessit n'enlve rien la libert de la

    volont ni la bont de l'acte. Au contraire, ce que l'on fait

    comme tant ncessaire pour atteindre une fin, participe la

    bont de cette fin.

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    40 LA LIBERT DES ENFANTS DE DIEU

    Or, la ncessit de remplir un vu ou d'obir celui

    que Ton a pris pour suprieur n'est point une ncessit de

    contrainte ; elle ne procde pas non plus d'une inclination

    intrieure, mais plutt de l'ordination la fin. Celui qui a

    fait un vu est dans la ncessit de faire ceci ou cela pour

    que le vu soit accompli ou l'obissance pratique. Puisque

    ces fins sont louables par elles l'homme se soumet

    Dieu la ncessit qui en dcoule ne diminue aucunement

    le mrite de la vertu. Sum. contra Gentiles, lib. III, c. 138.

    Le fait de ne pouvoir pcher ne diminue pas la libert ;

    de mme la ncessit o se trouve la volont affermie dans

    le bien ne diminue pas la libert comme on peut le voir

    chez les bienheureux et en Dieu. Telle est la ncessit du

    vu qui a quelque similitude avec la confirmation dans le

    bien des bienheureux. C'est une heureuse ncessit, ditsaint Augustin, ( 1 ) que celle qui nous pousse mieux agir.

    Sum. tbeol. II-II, q. 88, a. 4, ad 1.

    La libert des lus

    Dans la dpendance entire o il se tient l'gard du

    Dieu qu'il aime, le chrtien participe dj la libert divine,

    il anticipe cette libert parfaite que le rgne de Dieu assure

    aux lus.

    Ce rgne de Dieu est souverainement dsirable en raisonde la trs parfaite libert qu'il comporte. Ici-bas, en effet, la

    vraie libert n'existe pas, bien que tous la dsirent naturelle

    ment. Mais au ciel une entire libert exclura toute servitude.

    Toute la cration, dit saint Paul aux Romains (VIII, 2 1 ) ,

    sera affranchie de la servitude de la corruption.

    (1 ) Epht. 217 (P.L. 33, 48 7)

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    LA LIBERT DES ENFANTS DE DIEU 41

    Et les lus non seulement seront libres, mais ils rgne

    ront. Vous nous avez faits rois, dit l'Apocalypse (V, 10) .

    La raison en est que tous auront avec Dieu une mme

    volont : Dieu veut ce que veulent les lus, et eux veulent

    ce qu'il veut. C'est pourquoi, dans le rgne dfinitif de

    Dieu, leur volont sera accomplie avec celle mme de Dieu,

    et ainsi tous rgneront parce que leur volont sera faite et

    parce que Dieu mme sera leur couronne, selon la parole

    d'Isae (XXVIII, 5) : En ce jour-l, le Seigneur sera un brillant diadme et une couronne de gloire pour le reste de

    son peuple. Collationes de Pater Noster.