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La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

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les luttes qu'une femme iranienne (l'auteure de cet ouvrage) a menées avec un courage inouï, une détermination exemplaire et une clairvoyance politique remarquable pour la cause de la liberté, une liberté qu'elle veut conquérir pour tout le peuple iranien : (citoyen-ne-s, femmes, travailleurs/ses, pauvres, minorités etc.).Elle revendique la liberté politique pour tout un peuple, ce qui l'amène à combattre les régimes politiques quels qu'ils soient, monarchiques ou dictature religieuse, qui interdisent toute tentative de discussion ou de contestation de la pensée unique. Reposant sur la terreur, ces régimes sanctionnent par la violence, la prison, la torture ou la mort toute opposition de paroles ou d'actions protestataires non violentes

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La lutte des femmes iraniennes

pour la liberté

Samar Azad

Traduit du persan par Laïa Roshan - J S

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Samar Azad : La lutte des femmes

iraniennes pour la liberté

Paris, Société des Ecrivains, 2005, traduit

de l'Iranien par le Docteur Rosham et J.J

Quel plaisir de lire cet ouvrage et de

découvrir les luttes qu'une femme iranienne

(l'auteure de cet ouvrage) a menées avec un

courage inouï, une détermination exemplaire

et une clairvoyance politique remarquable

pour la cause de la liberté, une liberté qu'elle

veut conquérir pour tout le peuple iranien :

(citoyen-ne-s, femmes, travailleurs/ses,

pauvres, minorités etc.).

Elle revendique la liberté politique pour tout

un peuple, ce qui l'amène à combattre les

régimes politiques quels qu'ils soient,

monarchiques ou dictature religieuse, qui

interdisent toute tentative de discussion ou de

contestation de la pensée unique. Reposant

sur la terreur, ces régimes sanctionnent par la

violence, la prison, la torture ou la mort toute

opposition de paroles ou d'actions

protestataires non violentes.

Elle se bat pour la liberté des femmes de

s'habiller comme elles l'entendent, de porter

ou non le voile, et d'accéder à tous les

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domaines d'activité professionnelle. Dans ce

but, elle avait initié et mis au point tout un

programme de développement de crèches et

garderies pour enfants afin que les femmes

puissent travailler. Programme que le régime

des mollahs s'empressa de saboter au début

de leur arrivée au pouvoir, leur doctrine de

départ étant que les femmes devaient rester à

la maison pour s'occuper des enfants et de la

cuisine.

Elle soutient la mobilisation des

travailleurs/ses, des ouvriers, des pauvres et

des exclu-e-s pour défendre leur dignité et

sauver les quelques droits sociaux déjà

existants. Elle se propose d'élever leur

qualification en développant des cours de

formation professionnelle dans les différents

métiers ; elle lutte pour que les prostituées

soient considérées comme des êtres humains

à part entière dans une société, qui les

méprise.

Profondément laïque, elle s'attire la haine des

ayatollahs en défendant la liberté des Bahaï,

un mouvement religieux très minoritaire aussi

détesté par le régime. Elle s'oppose à leur

expulsion et les soutient en bravant les

représailles.

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Pour réaliser tous ses objectifs et surmonter la

répression qui s'abat sur elle parce qu'ils

contrecarrent ceux des ayatollahs, Samar

mobilise tout son potentiel humain et sacrifie

sa vie personnelle et familiale, son confort, sa

sécurité, ses ressources propres aux causes

qu'elle défend. Elle est infatigable. Bien que

les luttes qu'elle relate dans ce livre ne

concernent qu'une brève période de sa vie en

Iran, on est stupéfait par la capacité de Samar

de résister à ce régime de terreur et à gagner

la sympathie d'une population qu'elle a réussi

plus d'une fois à entrainer dans des actions de

contestation à l'arbitraire des ayatollahs.

Epuisée, traquée, humiliée, emprisonnée,

condamnée à mort par le régime, elle

continue à militer dans la clandestinité sans

de départir de sa sérénité et de son

dynamisme.

Elle évite la mort de justesse en s'exilant à

l'étranger après une vie nomade

mouvementée à travers l'Iran pour échapper à

ses persécuteurs…

Nul doute que grâce à ses luttes, en

particulier au sein de l'organisation des

Moudjahidines du peuple iranien, elle a semé

des graines de résistance et d'espérance qui

ont germé dans le peuple iranien,

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particulièrement dans la jeunesse. Elle fait

partie des grandes figures de la Résistance à

la dictature qui, en Iran et dans le monde

considèrent que l'idéal de la liberté ne doit

pas se réduire à un mot inscrit au fronton des

monuments mais doit se conquérir en

s'incarnant dans des luttes quotidiennes. A ce

titre, son ouvrage nous interpelle en tant que

citoyen-ne-s et féministes d'Occident qui,

enfermé-e-s dans nos certitudes, hésitons à

exprimer notre solidarité à une Résistance

iranienne dont Samar Azad est une

représentante exemplaire.

Andrée Michel, directrice honoraire de

recherche au CNRS, Paris.

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Dédié à toutes les femmes opprimées de mon pays.

Samar AZAD .le 21 novembre 2005

Préambule

Cher lecteur

Avant que tu ne saches son nom, il faut te

présenter ce livre. L’auteur a agi en qualité de

femme entièrement passionnée de liberté, qui a

appris, à travers les évènements d’une révolution,

que la vie est faite seulement pour la liberté, et c’est

tout.

Cher compatriote, le livre « Vivre pour

la liberté » est le récit de la vie d’une femme qui au

cours des évènements de la révolution contre le

pouvoir royal, vécue avec l’amour de la liberté, a été

transformée du tout au tout, avec cet amour lors de

l’avènement du régime infâme de Khomeiny.

Dans ce livre j’ai voulu, sans

l’ornementer, faire le récit des faits et des

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évènements de la vie d’une femme iranienne, depuis

son enfance (très abrégée) jusqu’à la trentaine, c’est à

dire jusqu’à la fin de ses deux premières années de

travail avec le régime infect de Khomeiny et des

évènements qui se sont succédés pendant ces deux

années. Je le fais dans ma propre langue, en qualité

de témoin oculaire. Deux années pleines de remous,

dont les péripéties ont marqué le reste du cours de sa

vie, de même que celle de beaucoup d’autres

iraniens.

Oui, ce livre expose une partie de

l’histoire d’une femme dont tous les fondements de

la pensée et de l’esprit, et le déroulement de la vie,

se sont trouvés transformés en amour de la liberté, et

dont le seul délit, au lendemain de la révolution

contre la monarchie, et sous le régime misogyne des

mollahs fut d’avoir eu des activités politiques,

pourtant légales, pour améliorer la situation des

femmes opprimées de son pays, et qui a subi de ce

fait les attaques et les agressions de réactionnaires

enragés.

Ces assauts furent tellement aveugles et

cruels qu’à la fin des deux premières années du

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pouvoir honteux des réactionnaires, cette femme

pleine d’un immense espoir de voir les enfants de la

terre iranienne vivre en liberté, a choisi de « Vivre

pour la Liberté », et a dressé sa poitrine contre les

balles de la Garde du chah dictateur, responsable de

la répression des manifestations dans sa ville natale.

Et maintenant, moins de deux ans après la chute de

chah, son mari et d’autres membres de sa famille ont

été exécutés ou mutilés ou emprisonnés dans les

geôles du régime criminel des mollahs. Cette femme

a vu ses biens mobiliers et immobiliers

réquisitionnés et, condamnée à mort par contumace

par le régime hors la loi des mollahs provocateurs,

elle a dû, seule et sans disposer de la moindre

sécurité, entrer dans la clandestinité.

C’est ainsi que à l’issue de deux années

et demie de combat politique, de 1979 à 1981, il n’y

eut plus pour elle, comme pour toutes les autres

personnes passionnées de liberté, d’autre chemin que

la résistance et l’opposition à tant d’oppression,

d’ignorance et de crimes de ce régime.

Oui, ce régime moyenâgeux des mollahs

leur a imposé, contre leur gré, à elle et à beaucoup

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d’autres personnes du peuple opprimé d’Iran

l’abandon du foyer, de la famille, et l’exil pour vivre

en liberté.

Cette liberté, pour laquelle le peuple

opprimé d’Iran a résisté au despotisme du chah, ou

bien il fallait assister à son deuil, ou bien il fallait,

pour la protéger, mener avec amour et véhémence

contre les mollahs rétrogrades une lutte très dure et

très pénible pour laquelle il était nécessaire de

renoncer à tout, aux attachements, et même aux

désirs naturels.

C’est ainsi que le 21 Juin 1981, après la

mitraillade de la manifestation pacifique de la foule à

Téhéran et la suppression, imposée par le régime de

Khomeiny, de toutes les possibilités de lutte

politique en Iran, cette femme, comme des milliers

d’Iraniens assoiffés de liberté et sans hésiter un

instant, a choisi la lutte contre ce régime misogyne et

liberticide. Un tel choix impliquait l’éloignement du

foyer et de la terre antique de l’Iran et même

l’acceptation de la mort.

Mais aujourd’hui, comme le dit elle

même cette combattante iranienne, le choix qu’elle

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fit il y a près de 23 ans, en dépit de toutes les

difficultés qui se sont présentées sur le chemin

parcouru depuis lors avec » la passion de la

liberté », et qu’il lui faudra désormais encore

parcourir à l’avenir, fut un choix heureux pour

lequel elle est infiniment reconnaissante à Dieu.

Elle est en outre très redevable à la noble

organisation pionnière des Modjahedines du peuple

Iranien, car c’est elle qui a montré pas à pas au

peuple iranien le chemin de ce combat sanglant pour

que cette fois « Liberté » ne soit pas égorgée

tranquillement et sans bruit pour une longue période

dans l’abattoir de mollahs hypocrites à la recherche

des jouissances matérielles.

Ce qui peut arriver de mieux à un regard

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C’est qu’il soit humide de l’expression

de l’amour

« Sorhab Sépehri »

Chapitre Premier

L’époque de l’enfance.

La période de l’enfance, bien qu’elle ne

comporte que des évènements mineurs, est souvent la

meilleure partie dans la vie d’un homme. Moi même,

lorsque je regarde le passé lointain de la période de

mon enfance, je reste étonnée de cette beauté.

Chaque fois que je pense à mon enfance,

apparaît dans ma mémoire l’image d’une petite fille

habillée de velours rouge avec des pierres précieuses

cousues, chaussée de souliers noirs vernis, et avec

des poupées parfois de plus grande taille et de

meilleure facture qu’elles ne l’étaient en réalité.

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Evidemment, les souvenirs de cette

enfant, quand, je me remémore les beautés de ce pays

ancien qu’est l’Iran, et le joli district où je suis née, le

Lorestan, cette région ,de héros et d’opprimés de

longue date depuis l’Antiquité jusqu ‘à nos jours, se

mêlent dans un tableau où se reflète l’image d’une

vie gaie au pied des montagnes de velours vert, avec

des ruisseaux rugissants, des champs de blé qui

ondulent, et des visions pleines de fleurs de

nénuphars.

Je suis venue au monde le 23 novembre

de l’année 1950 dans l’une des villes du Lorestan,

région du sud ouest de l’Iran, dans une famille de

condition moyenne. Selon une coutume iranienne, les

autres enfants de la famille et moi même reçurent

souvent deux prénoms. C’est ainsi que par la volonté

de mon frère, on m’appelait Maliheh. Mon père et

ma mère étaient des habitants de la ville de Hamedan

venus habiter la ville de Khorram Abad bien avant

ma naissance. J’étais le sixième membre d’une

famille qui comportait six personnes, pour qui

j’éprouve encore maintenant beaucoup de sympathie

et d’affection.

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Parmi les membres de la famille il y avait

Mehdi, l’aîné des enfants, qui avait 18 ans lorsque je

vins au monde et qui, poursuivi pour une

participation aux luttes dans l’industrie du pétrole,

vivait caché dans notre maison auprès de ma mère.

Aux dires de celle ci, Mehdi avait

accueilli immédiatement avec bonheur la petite

soeur récemment arrivée, et avait passé son temps à

s‘occuper d’elle, et à choyer le bébé avec affection.

A l’époque du décès de mon père, alors

que j’avais neuf ans il s’était même chargé de faire

tirer pour moi une photographie de celui ci, et avait

pu en corriger les imperfections. Plus tard, dans ma

jeunesse, alors qu’il avait déjà eu l’occasion d’être

confronté aux difficultés de la vie, il joua pour moi le

rôle d’un ami très sincère

Notre attachement ne fit que croître au

fil des jours, et notre affection me fut très salutaire

dans les étapes ultérieures de ma vie, en particulier

pendant ma jeunesse et mon adolescence, et j’eus

même le sentiment que cela lui était également

agréable.

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Mais ce dont je suis aujourd’hui

certaine, c’est que dans nos destinées, notre

affection et notre attachement réciproques ont été

pour nous un soutien et nous ont permis de prendre

patience et de persévérer devant les difficultés de nos

vies. Ces relations ont duré plus de vingt cinq années,

jusqu’au moment où, à la suite des évènements liés à

la révolution contre le pouvoir royal, en l’an 1978,

j’eus la révélation que pour moi qui étais pleine de

fougue, entièrement dévouée à la cause de la

révolution et rayonnante de l’amour de la liberté,

cette liberté qu’elle avait nourrie en moi, je pouvais

renoncer, encore que ce me soit dur et difficile, à

l’attachement pour mon frère, comme d’ailleurs à

d’autres attachements, pour consacrer toutes mes

pensées et tous mes actes à la révolution et

concentrer mes efforts et l’ensemble de mon activité

au renversement du régime du chah.

.Malheureusement, après ces jours là,

sous le pouvoir honteux de Khomeiny, pour des

raisons de circonstance la Réaction s’imposa à nous,

et je n’eus qu’une fois, le jour de l’an de 1980, un

contact, d’ailleurs très agréable et mémorable, avec

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mon frère. En raison de mon départ hors d’Iran, et de

sa mort précoce et douloureuse à l’âge de 56 ans des

suites d’une congestion sanguine, peu après qu’il

eut appris la disparition douteuse de ma soeur

Mansourah au cours du massacre de 1978, je ne le

revis pas et la réunion de la nouvelle année 1980 fut

la dernière fois où nous nous vîmes.

Je continue à feuilleter les pages du

cahier de mon enfance bien que ces souvenirs aient

traîné dans la poussière de plus de cinquante ans

d’une vie d’incommodités, digne d’être chantée, et

qui est encore chantante pour moi.

Les souvenirs de nos hôtes dans la cohue

des vendredis soir, des bonheurs enfantins de ma

sœur et de moi même et de ma soeur Mansourah, de

nos jeux aquatiques pendant les midis chauds de l’été

dans le bassin de notre petite cour, où se déversait

une source permanente, et le visage amical de mon

frère, que le bruit de nos jeux enfantins avait réveillé

de sa sieste, et qui, derrière les vitres de sa chambre,

regardait avec bienveillance, le sourire aux lèvres et

sans la moindre protestation nos joyeux jeux

d’enfant.

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Les parties de pêche des midis chauds

avec d’autres enfants du coin, dans la rivière

Karganeh qui passait devant notre maison, et Hamid,

le fils de notre voisin, avec qui chaque jour pendant

des heures nous échangions des jouets et des fruits

par l’intermédiaire du courant d’eau de la source, qui

traversait leur cour avant de venir dans la notre en

passant sous le mur.

Je me rappelle aussi les promenades des

fins d’ après midi et les retours de l’école,Chaque

jour, après la sortie de l’école je jetais mon cartable

dans un coin, et je parcourais en courant la distance

séparant notre maison de la boutique de mon frère, et

je restais auprès de lui jusqu’à ce qu’il m’achète une

pâtisserie très connue, le fat ahi, une glace ou un

grand pain au lait, qu’il me donne ensuite un peu

d’argent, puis je continuais mon périple en passant au

magasin de mercerie que tenait mon père et qui se

trouvait dans le voisinage immédiat et prenais, dans

tout ce qu’il avait en vitrine, ce qui captivait mon

attention.

Ensuite je rentrais à la maison en

compagnie d’un cocher de nos connaissances à qui

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mon père me confiait, et je me laissais conduire dans

le carrosse du monde doré de mon enfance, et faisais

le tour de la ville en retournant à la maison tout en

mangeant mon pain au lait jusqu’à ce que à la fin j’y

parvienne. Mais, au milieu de tous ces souvenirs, il

en est un que j’aime particulièrement, celui du beau

visage bienveillant de ma mère, et de l’attention

qu’elle me portait.

C’est elle qui me tenait dans son giron,

débordante de tendresse. Jusqu’à ma trentième

année, alors qu’elle en avait elle même plus de

soixante dix, il n’était de jour qu’elle réservât un

moment pour moi seule, prête à tout instant, dans

les maisons où nous vivions cachées, à prendre pour

moi les risques les plus dangereux pour sauvegarder

ma vie.

Ma famille comportait officiellement six

membres, mais en raison du caractère tendre et

ouvert de ma mère, qui avait dans la maison un rôle

déterminant., le nombre officieux des membres de la

famille, et des invités, attendus ou importuns, était

toujours supérieur à ce nombre. Parmi eux, Mohsen,

le fils de ma tante paternelle, qui avait perdu en deux

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ans son père et sa mère, ou les deux filles de mon

oncle maternel prénommées Vadjiheh et Fatemeh,

dont le père et la mère étaient séparés, et qui, en

raison des difficultés rencontrées avec la femme de

leur père, avaient été placées sous la tutelle de ma

mère, ou encore Sahra, la bienveillante soeur de

mon père, femme seule qui depuis la naissance de

ma soeur Mansourah, de cinq ans plus âgée que moi,

était entrée à la maison pour venir en aide à ma mère.

Elle est restée jusqu’à son dernier jour dans notre

famille et fut pour nous tous une tante attentionnée et

aimée.

Mais pour moi, l’être le plus cher de la

famille fut ma petite nièce Zohreh, venue au monde

alors que j’avais sept ans, et mon attachement et mon

amour pour elle dépassent l’imagination. Cette

affection, je dirais plutôt cette dépendance, se

prolongea jusqu’à ce qu’elle ait atteint huit ans, alors

que j’en avais quinze, sans que quelqu’un ne

parvienne à nous séparer. Elle grandit ainsi près de

moi et de ma mère. Plus tard, en1997, elle fut arrêtée

par le régime criminel des mollahs et mourut sous le

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martyre. Le récit de sa vie exaltante mériterait qu’un

autre livre lui soit consacré.

En plus des membres permanents, il y

avait toujours un nombre de femmes et d’enfants

seuls de la famille, et de nécessiteux qui allaient et

venaient dans notre maison tout au long de la

semaine, et dont ma mère s’occupait. C’est ainsi

qu’à l’ombre de ma mère, pleine de chaleur

humaine, je passai à mon insu une belle et agréable

enfance, remplie d’affection.

Notre situation financière était moyenne,

et les revenus de la famille, apportés par les

professions libérales de mon père et de mon frère

suffisaient à assurer pour nous tous une vie correcte.

La mort soudaine de mon père

Notre vie s’écoulait dans le calme et le

silence. C’est pendant la nuit du 20 du mois de

Ramadan de l’année 1969 que le bouleversement se

produisit.

Il était trois heures du matin. Ma soeur

Mansourah et moi même furent réveillées et tirées

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précipitamment du lit par des coups frappés à la porte

de la maison. C’était mon père, qui, ne se sentant pas

dans un état physique satisfaisant, avait quitté les

cérémonies de la nuit de prières, et rentrait à la

maison. Il ne s’était passé que quelques minutes

depuis son retour que les cris de notre mère nos

firent bondir et courir vers la chambre du père, et

c’est là que nous nous trouvâmes devant le spectacle

pénible d’un mort, terrassé par une attaque cardiaque

soudaine.

La mort de mon père fut le premier

évènement amer et plein de sens dans ma vie, et

pour moi qui n’avais pas plus de 9 ans, ce fut un

coup très grave. Evidemment mon frère Mehdi, à

partir de ce moment, s’efforça de combler le vide, et

y parvint dans une certaine mesure.

Adolescence et jeunesse

J’étais peu à peu devenue grande et avais

mis le pied dans l’adolescence. .Contrairement à ma

jeunesse, mon adolescence fut une période de

tristesse, émaillée de nombreux évènements, tant

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amers que plus doux. Parmi ceux ci, l’apparition

chez ma mère d’une maladie désagréable et

dangereuse qui, après la mort de mon père, fut pour

moi très difficile à supporter, au point que le

cauchemar de l’éventualité de sa mort ne me quitta

plus un instant jusqu’à ce que, enfin, devant la

gravité de son état physique, mon frère l’emmène

contre son gré à Téhéran, et par un traitement

approprié, lui permette de venir vivre de nouveau

parmi nous. Elle nous revint très heureuse, mais ne le

resta pas longtemps, car, peu après, la faillite de mon

frère lui fit perdre toute gaieté.

C’est en1962 que mon frère prit en

charge la gestion d’une société de fourniture de

viande à Khorram Abad, mais à la suite d’un hiver

rigoureux et glacial tel que jamais vu qui sévit cette

année là dans la région, tous les moutons de sa

société périrent gelés et il se retrouva avec de lourdes

dettes, et une situation financière qui l’obligea à

déposer le bilan.

A partir de ce moment, chaque jour

disparaissait l’une des pièces de ménage de notre

maison, un jour les tapis, le lendemain la glacière,

Page 24: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

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ainsi que la vaisselle de valeur, et bientôt les objets

en or, et nos bijoux qui se trouvaient dans le coffret

de ma mère, et constituaient un petit trésor que nous

trouvions toujours très beau et que nous aimions voir.

En très peu de temps, tous les objets, en

nombre limité que possédait ma chère mère, et qui

lui étaient chers et lui rappelaient des souvenirs, y

compris un ancien poste de radio de mon frère,

disparurent et il ne resta bientôt dans la maison

aucun objet de valeur. J’ai compris peu à peu que ma

mère les avait tous cédés aux créanciers de mon

frère, en remboursement de ses dettes. Ces méthodes

attristantes se poursuivirent jusqu’au jour où il ne fut

plus possible pour mon frère de vivre dans notre

ville et fut contraint, les larmes aux yeux, de nous

faire ses adieux, à moi, à ma mère et à ma soeur, et

de partir, en compagnie d’un voisin et de son fils,

pour devenir chauffeur dans une compagnie

d’autobus de Téhéran, où commença pour lui une vie

misérable.

Entrant dans le monde des ouvriers de la

compagnie, il entreprit une activité politique et devint

en peu de temps le représentant et porte parole des

Page 25: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

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chauffeurs, et fut à ce titre repéré par le régime du

chah et sa SAVAK.1Et ceci ajouta encore à notre

inquiétude sur son sort. Cette situation dura trois

années. Mais toutes les difficultés de cette période,

qui fut pour nous tous la période la plus mauvaise de

notre vie, étaient plus supportables pour moi,

adolescente de quatorze ans, bien que séparée de son

frère, qui souffrait de diabète et vivait dans un état

physique déplorable.

Le cauchemar de sa mort maintenant

qu’il avait cette maladie, et vivait dans des conditions

difficiles me faisait souffrir en permanence, ne me

laissait aucun répit, et assombrissait ma vie. En ces

jours là mon inquiétude pour la situation dans

laquelle se trouvait mon frère avait grandi au point

que tout évènement contrariant concernant sa santé

ou ses arrestations par la SAVAK, qui avaient

souvent lieu, avait sur moi un tel effet que sans

hésiter un instant, j’abandonnai les leçons et l’école,

et que je me rendis à Téhéran d’où je ne revins à

1 NdT :Organisation de Sécurité et de Renseignement de l’Etat,

c’est à dire la police secrète du Chah.

Page 26: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

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Khorram Abad tant que je ne l’eus vu, et pu arranger

ses problèmes.

Par suite des tensions consécutives aux

difficultés de mon frère et par ailleurs la survenance

d’un évènement affectif amer lié à la rupture de mes

relations avec Hamid, l’ami et le compagnon de jeu

de mon enfance, je fis une dépression nerveuse

sévère qui me conduisit à la frontière même du

suicide.

Pendant cette période, ma mère, en dépit

de son âge et de la maladie entreprit des travaux de

couture pour assurer notre subsistance. Ma soeur

Mansourah, bien qu’admise à l’Université renonça à

poursuivre ses études, et pour éviter de faire peser ses

dépenses de subsistance sur les frêles épaules de ma

mère, alla dans une école de formation à

l’enseignement, et après avoir obtenu le diplôme,

devint institutrice.

Pendant cette période, ma mère et ma

soeur ne me laissèrent pas ressentir les difficultés de

la vie, et s’efforcèrent de me procurer, comme par

le passé, tout ce que je désirais .Et moi même,

Page 27: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

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réciproquement, j’essayai de ne pas heurter sa

susceptibilité en matière de religion traditionnelle.

La susceptibilité primordiale de ma mère

résidait dans l’observance des relations avec les

hommes. En dépit de mon âge à cette époque, je me

suis efforcée de ne pas trop m’écarter des volontés

de ma mère dans ce domaine.

Pendant cette période, mes relations avec

les garçons de la famille et du voisinage, parmi

lesquels Hamid, le compagnon de jeux de mon

enfance, bien que sorties du cadre de l’amitié

réciproque de deux enfants, avaient subi une

transformation, mais se bornaient à un échange limité

de livres et de romans. D’autant que ma mère

m’avait, dès mon enfance, inculqué une animosité à

l’égard des hommes, en raison de la mauvaise

conduite de mon père à son égard dans leur jeunesse.

Elle nous avait sans relâche encouragée à ne pas nous

marier, à poursuivre nos études, et de ne jamais

dépendre d’un mari.

Bien que moi même et ma soeur

Mansourah ayons déjà attiré à un certain moment

l’attention de quelques hommes, nous ne les

Page 28: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

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suivions jamais, et ne parlions jamais de mariage,

bien que nous ayons pris de l’âge et atteint celui de

convoler.

Première et dernière aventure

L’éducation particulière reçue dans notre

famille, et les limitations culturelles et sociales

strictes en usage dans une ville relativement petite

comme Khorram Abad avaient fait de moi un étrange

mélange.

Ce mélange se traduisait chez moi en une

fille élégamment habillée et soignée, mais se

comportant de façon sèche et dure avec les garçons,

au point qu’ aucun d’entre eux ne s’approchait de ma

soeur et moi, et n’avait pas même le courage de

lancer des quolibets à notre encontre.

Ayant depuis l’enfance pris l’habitude d

être rapidement remarquée, maintenant que j’étais

devenue adulte et que j’avais 15 ans, je recherchais

Page 29: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

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comme auparavant la considération dans mon

entourage, et avais centré cette recherche sur Hamid.

Nous échangions des livres, nous nous

aidions mutuellement à faire nos devoirs d’école, et

tous les deux, sans sortir du cadre de nos relations de

jeunesse, nous continuâmes une relation plus

collective, au sein de la famille ou parmi les autres

jeunes voisins.

Un jour, de retour d’un voyage à

Téhéran, Hamid me rapporta trois livres de poche en

cadeau.

Ces livres étaient l’Amoureux de

l’épouvantail, Rébecca et la Mère, de Pearl Buck.

Je fus très heureuse à la vue de ces livres,

et dès que je les ouvris, je découvris une enveloppe

sentant fortement le parfum entre les pages de l’un

des livres..J’ouvris l’enveloppe et en tirai une lettre

qui était imprégnée d’un agréable parfum. Je la lus

plusieurs fois. Il y était question de son attachement

pour moi. Conformément à mon habitude de confier

tous mes secrets à ma soeur Mansourah, je lui

montrai cette lettre.

Page 30: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

30

Après s’être assurée que je n’avais pas

écrit à Hamid, ma sœur, sans qu’elle m’en ait parlé

au préalable, porta la lettre dans la famille de

Hamid qui reçut une volée de coups de son frère

aîné. Cet épisode contraria considérablement Hamid

à mon égard.

A la suite de cette aventure, il subit de la

part de sa famille des pressions pour qu’il cesse de

tourner autour de moi. Peu après, il obtint son

diplôme et fut admis à la faculté nationale de droit de

Téhéran. Il y partit, et ne se préoccupa plus de moi.

Cette aventure, qui fut pour moi source de chagrin,

était terminée, et deux ans plus tard, je le retrouvai à

Téhéran où il était venu en aide à mon frère. Je pris

rendez vous avec lui place du 24 Esfand.

Nous éprouvâmes un grand plaisir à nous

revoir .Il voulut m’emmener à son université.

Pendant le trajet en autobus, il me questionna un peu

sur notre ville et nous parlâmes aussi de nos

souvenirs d’enfance. L’autobus arriva enfin à

destination, et il m’invita à prendre un thé au self

service. Chacun de nous, tout en étant sur sa réserve,

désirait parler de l’aventure passée entre nous, mais

Page 31: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

31

attendait que ce soit l’autre qui fasse le premier pas.

Finalement, aucun ne prit l’initiative et, bien que

tentée de le faire, je ne dis rien. Nous prîmes congé et

je fus séparée de lui pour toujours.

Après cette entrevue, je pris la décision

de ne plus jamais penser à lui et, tant que je serai

vivante, de ne de ne plus accorder d’affection à un

homme, de ne livrer à aucun d’eux le chemin de

mon cœur. Je réussis à tenir à cette étrange

résolution jusqu’à l’âge de 28 ans, lorsque je me

mariai avec Ali Akbar Ghazi, futur martyr.

Une évolution importante

après un fait divers mineur

En cette période désargentée et de faillite

financière de la famille, nous passions un jour dans la

rue ma soeur Mansourah et moi et regardions les

vitrines des magasins. Je montrai à ma soeur une

paire de souliers et lui dis : »Si j’avais à acheter des

chaussures, c’est certainement celles là que je

Page 32: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

32

choisirais. » Elle venait d’être recrutée au sein de

l’éducation nationale mais n’avait pas encore perçu

son premier salaire. Elle me jeta un regard sans rien

dire et j’oubliai ce court dialogue presque aussitôt.

Après la faillite de mon frère et son

départ à Téhéran, parmi les objets que ma mère

n’avait pas encore vendus y étant attachée, se

trouvait l’ancien poste de radio de mon frère qu’elle

laissait allumé en permanence, écoutant les chansons

de Marzieh, Elaheh et Om Al Kolsoum, et

quelquefois elle pleurait doucement, doucement..

Quelque temps après la conversation que

j’avais eue avec ma soeur, ce poste de radio disparut

de la maison, et quand je demandai à ma mère ce

qu’il était devenu, elle me dit qu’il était détraqué et

qu’elle l’avait donné à réparer. Deux ou trois jours

plus tard, ma soeur me dit qu’elle avait perçu une

allocation financière et qu’elle pouvait m’acheter les

souliers en question. Nous allâmes ensemble les

acheter.

Plusieurs jours après, le poste de radio

n’était toujours pas réapparu à la maison, et quand je

vis qu’il n’en était plus question, j’eus le sentiment

Page 33: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

33

qu’il avait été vendu pour m’acheter les souliers. J’en

parlai à ma soeur et lui demandai pourquoi elle avait

parlé à maman de vendre le poste de radio pour

m’acheter des souliers. Au début, elle fit comme si

elle ne savait pas, mais à la fin elle me dit : » Maman

ne veut pas que tu aies d’autre peine et dit toujours

que la séparation avec Mehdi (mon frère) est bien

suffisante pour cette enfant.... »

Je fus profondément retournée par cette

affaire, et particulièrement par le fait que je ne

pouvais rien faire, car le poste de radio était vendu et

que je portais les souliers aux pieds. Ce fait divers fut

à l’origine d’une transformation étonnante en moi, en

ce sens que je trouvais désormais que la vie, et toutes

les choses de la vie avait une nouvelle signification.

Mon caractère d’adolescente de 15 à 16 ans pleine

de la fougue de la jeunesse s’est trouvé changé en

celui d’une femme mûre. Au début, je suis venue en

aide à ma mère dans ses travaux de couture, allégeant

ses épaules d’ une part de mes dépenses, puis je

cherchai du travail et fus engagée à l’administration

de la Justice, tout en continuant à suivre des cours

pour obtenir mon diplôme.

Page 34: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

34

Au fur et à mesure que je résolvais ces

contradictions, je devenais plus mûre au point qu’en

un temps très court je devins le pôle de la famille,

chargée d’entendre les demandes et de résoudre les

problèmes de tous, sans cesse plus nombreux. Même

mon grand frère et ma grande soeur comptaient sur

moi et sur mes conseils pour résoudre des problèmes

importants de leur propre vie et de celle de leurs

enfants.

La vente du poste de radio et l’achat de la

paire de souliers m’apprirent que préalablement à

mes pensées et mes prétentions, il me fallait porter un

regard attentif sur le milieu qui m’entoure, penser

aux autres et même m’efforcer et me dévouer pour la

réalisation de leurs désirs.

Après cette transformation mentale, moi

qui depuis l’enfance m’abstenais de manger de la

viande, je devins officiellement végétarienne et

même membre d’une société de défense des

animaux, et à côté des cours de l’école, je consacrais

une partie de mon temps à m’occuper des oiseaux et

autres animaux blessés, ou encore à écrire.

Page 35: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

35

Pendant cette période de ma vie, j’écrivis

des fragments de littérature, des poèmes et parfois

des sortes de contes que j’envoyais aux magazines

bien pensants auxquels j’étais abonnée, et qui parfois

même étaient imprimés. C’est également à ce

moment là que le martyr champion du monde Takhti

et la poétesse Forough Farrokhzad furent tous deux

rapidement l’objet de mon attachement.

Je dis à mes amis de l’école que ces deux

personnes avaient été tuées par la SAVAK. Le

lendemain, le directeur de l’école nous convoqua, ma

soeur Mansourah et moi, et nous avertit que si nous

continuions à tenir de tels propos et à troubler

l’atmosphère morale de l’école, l’affaire serait

confiée à la SAVAK .Jusqu’alors, je n’avais jamais

pensé au caractère sérieux de ces affaires de SAVAK.

Après cet avertissement, je fus en proie à une peur

intense, qui me poursuivit pendant des années, si bien

qu’en dépit de mon opposition au régime du chah,

longtemps je ne m’étais pas départie de ma prudence

et n’avais jamais entrepris d’actions contre ce

régime.

Page 36: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

36

Premier face à face avec la police

secrète du chah.

Dès mon enfance, encouragée en cela par ma soeur

Mansourah, j’étais constamment à la recherche de

livres de connaissances générales. Puis je ne le fus

plus. Une métamorphose récente m’avait conduite à

reporter mon attention sur des livres traitant de

politique. J’avais économisé tout mon argent, et

j’allais régulièrement à Téhéran où j’assistais parfois

à des réunions entre mon frère et ses amis, réunions

qui se tenaient secrètement contre le régime du chah.

Je créai une association et, avec des personnes que

mon frère connaissait, je rassemblai les livres de

politique du moment, parmi lesquels la Mère de

Gorki, Héritiers de la colonisation Je les rassemblais

à Téhéran, les cachais dans ma valise et les apportais

à Khorram Abad où nous les lisions avec des amis.

En peu de temps, je montai à la maison une

bibliothèque bien fournie en livres politiques.

Page 37: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

37

C’est également à cette époque que ma

mère, en raison d’une situation financière difficile,

décida de mettre notre maison en location et de louer

une maison moins chère pour nous loger. Notre

locataire était un vieux libraire. Il avait une figure

bienveillante et polie, une longue barbe blanche et la

respectabilité d’un derviche. Je fréquentai bientôt sa

librairie du Carrefour des Martyrs qui se trouvait

dans le quartier le plus animé de la ville et était la

mieux achalandée de la ville en revues. J’en devins

une cliente assidue, et c’est ainsi que chaque mois,

quand il faisait ses comptes avec ma mère, il retenait

une somme importante du loyer pour les livres que je

lui avais achetés. Ceci provoquait les protestations de

ma mère, qui avait grand besoin de cet argent.

Au début, lorsque je fis la connaissance

de cet homme, je ne lui achetais que des livres

courants, mais peu à peu, je lui accordais ma

confiance, et lui demandai de chercher pour moi des

livres interdits.

Chaque fois que je le priais de me

procurer un de ces livres,il me demandait comment

j’en avais pris connaissance et me regardait

Page 38: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

38

rapidement ensuite par dessus ses lunettes dans

l’attente de ma réponse. Je lui répondais avec

simplicité que c’était dans un cercle de personnes de

connaissance, que j’avais eu l’occasion de lire la

biographie de l’auteur du livre et que j’aurais aimé

l’acheter. Il avait alors un sourire, et ne disait rien.

C’est ainsi que ma bibliothèque, jour après jour,

grandit en importance et devint l’un de mes intérêts

principaux. Mais par peur de la SAVAK, tous les

livres étaient cachés dans un débarras de la maison.

En ces années là, en raison même de la

composition des organisations politiques, dont les

leaders provenaient du milieu estudiantin, et des

intellectuels du Lorestan, et plus particulièrement de

la ville de Boroudjerd, la pression de la SAVAK

s’exerçait plus particulièrement sur les lycées et les

collèges de ce district.

Un jour, alors que, revenant du lycée, je

rentrais à la maison, ,je fus incroyablement surprise

de voir que ma mère avait sorti tous mes livres de

l’endroit où ils étaient dissimulés et les brûlait un à

un dans le foyer de la cuisine. Je fus choquée en

voyant cette scène, et en demandai la raison à ma

Page 39: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

39

mère, qui me dit : »Le vieux libraire qui est notre

locataire, est un colonel, agent secret de la SAVAK :

il a donné ton nom et celui de tes amis, pour que

vous soyez arrêtés, et ton cousin est venu me dire de

brûler les livres et que tu partes au plus vite de la

ville. » Mon cousin maternel avait été commandant

dans l’armée, et occupait un poste important au

tribunal militaire de Khorram Abad .Ma mère

continua en me disant : » Je lui ai demandé de rayer

ton nom et celui de Hamid, mais il m’a répondu que

tous tes amis sont sur la liste. Je communiquai

immédiatement la nouvelle à Hamid et aux autres

copains. Hamid partit à Téhéran, et moi j’allai à

Kermanchah chez ma soeur. Un grand nombre des

amis qui avaient pris la nouvelle au sérieux purent se

cacher. D’autres furent arrêtés et restèrent en prison

jusqu’à la révolution de 78, et furent exécutés en

1981 par les soins du régime de Khomeiny.

Après cette affaire, étant terrorisée à

l’idée d’être arrêtée par la police du chah, je

m’efforçai à mon retour de Khorram Abad,

d’observer la plus grande prudence avant d’intégrer

Page 40: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

40

un mouvement pour ne pas à nouveau tomber dans

les filets de la SAVAK.

Mes débuts dans l’enseignement

J’étais en classe de onzième2 lorsque

pour apporter mon aide aux dépenses familiales de

subsistance, j’obtins un emploi dans l’Administration

de la Justice. Dès la première année de mon

embauche, je suivais le cours de terminale dans une

classe de sciences naturelles du lycée de notre ville,

une terminale obligatoire pour les filles. A la fin de

l’année, je me présentai à l’examen et je fus reçue.

Lorsque j’obtins mon diplôme, je donnai

ma démission de l’administration de la Justice, et je

continuai mes études en littérature et sciences

2NdT : L’équivalent dans notre système éducatif est la classe de

première

Page 41: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

41

humaines. En fin d’année, j’allai même exercer en

qualité de professeur de collège dans les écoles

d’enseignement secondaire de Sar Pol Zohab3 et de

Ghasr Chirine4, engagée par le ministère de

l’éducation.

L’enseignement dans ces régions

déshéritées fut la meilleure de mes expériences de la

vie sociale et de la connaissance de la communauté.

Les habitants de cette région, étaient parmi les plus

démunis que j’avais jusqu’alors eu l’occasion de

voir.

Dans ce travail, la pauvreté excessive du

peuple constituait un terrain favorable à l’action

politique et à la persuasion des gens par les élèves

de l’école, qui étaient quelquefois leurs propres fils,

dont l’âge réel était souvent supérieur à celui inscrit

sur leur carte d’identité (dans la campagne en Iran, il

est courant que l’âge indiqué sur la carte d’identité

des jeunes soit inférieur à l’âge réel, pour retarder

leur enrôlement au service militaire)

3NdT : Sar Pol Zohab ville près de la frontière entre l’Iran et

l’Irak 4NdT : Ghasr Chirine :Ville frontalière proche de Sar Pol

Zohab

Page 42: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

42

Ces jeunes, dépourvus de tout, étaient

comme une terre vierge et assoiffée qui absorbait très

vite chaque bribe d’information et s’en servait sans

plus tarder.

Les élèves de mon école venaient des

campagnes de la frontière entre l’Iran et l’Irak, et

parlaient le farsi avec difficulté. Durant cette période,

qui fut l’une des plus heureuses de ma vie, j’avais

beaucoup de travail. Parallèlement je faisais

dépensais beaucoup d’efforts avec les élèves dans le

domaine de l’action politique, et j’employais

essentiellement mes revenus à l’achat de livres et de

cassettes de Samad Behrengi 5

La population de cette région, notamment

en raison de son extrême pauvreté, était

profondément opposée au chah, mais détestait aussi

entendre parler de Khomeiny et de son arrivée au

pouvoir. Quand il était question de ce grand escroc

de l’époque, les habitants protestaient avec beaucoup

de vigueur, et disaient : »Si Khomeiny vient au

pouvoir, il nous privera même de l’eau. »

5 NdT :Samad Behrengi :instituteur révolutionnaire qui a écrit

des livres et des cassettes pour les enfants des écoles

Page 43: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

43

Il n’est pas inutile de rappeler ici que

l’eau douce existait dans les quartiers sud de la ville

de Sar Pol Zohab habités par une population

musulmane, et de là était distribuée par des conduites

dans le quartier nord, dont les habitants étaient en

majorité membres de la » secte religieuse de la

Justice »

A l’arrivée de Khomeiny, les

réactionnaires opposés aux droits de l’homme, jetant

l’huile sur le feu, se mêlèrent des problèmes entre

chiites et sunnites ainsi que des peuplades de

nationalités et de religions diverses. Ils provoquèrent

des disputes entre les musulmans et les habitants de

la » secte de la Justice » de la ville et ce que mes

amis avaient préalablement prévu se réalisa : les

hommes de main du régime des mollahs coupèrent

l’eau aux habitants de cette secte. Cela se passa au

moment où je me trouvais là, tout au début de la

révolution au mois de Avril 1979, et j’en fus

personnellement témoin.

A Sar Pol Zohab, des relations cordiales

s’établirent rapidement entre les familles des élèves

et moi, au point que la population notable de cette

Page 44: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

44

ville et plus particulièrement les dirigeants prirent

l’initiative de mettre sur pied un programme de

protection de l’habitation que ma mère et moi

habitions seules, sans autre locataire, et sans nous le

dire, faisaient des rondes la nuit pour sécuriser les

lieux.

Cette attention des habitants de la ville

fut la cause d’un avertissement du directeur de

l’enseignement de la ville de Sar Pol Zohab. Ce

directeur m’appela un jour et me dit de porter

attention à mes fréquentations avec la population de

la ville, et de ne pas trop me mêler à elle, car elle

comportait des éléments peu sûrs et dangereux.

Quand je lui demandai pourquoi ils étaient

dangereux, il me répondit avoir entendu dire qu’ils

avaient organisé un système de surveillance de ma

maison. Moi qui jusqu’à ce moment n’avais pas

même entendu parler de cette surveillance, lui

répliquai que si ce que l’on disait était vrai, cela ne

pouvait constituer un danger pour moi, puisqu’ils

avaient pris eux mêmes l’initiative de la surveillance.

Le directeur, sans alors me donner plus

d’explications, me mit en garde contre les relations

Page 45: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

45

trop proches avec la population locale. Mais moi qui

travaillais pour les habitants de la ville et qui prenais

grand plaisir à être à leur coté, je ne tins aucun

compte de cet avertissement et continuai à faire mon

travail comme auparavant.

Malheureusement, dès le début de mon

séjour, le climat particulier de cette région très

chaude me fit contracter une sorte d’allergie sévère,

et en l’absence d’un traitement réellement efficace,

je fus obligée deux ans plus tard de demander ma

mutation de Sar Pol Zohab à Khorram Abad.

Ma demande de mutation fut rapidement

acceptée par le ministère de l’Enseignement, et c’est

avec une multitude de souvenirs restés gravés dans

ma mémoire que je pris congé, les larmes aux yeux,

des élèves et de la population que j’aimais et que je

revins à Khorram Abad à la fin de l’année1976 où je

travaillais dans les établissements d’enseignement

secondaire de la ville. Les constatations sur des

amères réalités de la vie et le spectacle des

nombreuses difficultés de la population de Sar Pol

Zohab m’avaient privée de sommeil et d’appétit.

Mon retour à Khorram Abad, et les retrouvailles,

Page 46: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

46

après une période d’absence de cinq années, des

personnes de connaissance me permirent de

reprendre le combat contre le régime du chah. Bien

que la durée journalière de mon travail fût

officiellement de six heures à cette époque, il

m’arrivait de faire douze heures dans certaines

écoles, et tous mes revenus allaient aux élèves sans

moyens et autres nécessiteux de la ville.

Seulement un nom

Après mon retour à Khorram Abad, le

fils et la fille d’une personne de l’administration de la

Justice, que j’avais connue au temps où j’étais

employée dans ce service, se trouvaient tous deux

séparément et dans deux écoles distinctes, être mes

élèves. Je pris alors conscience de la situation

particulière de la mère dans cette famille.

C’était une femme triste, qui était en

permanence habillée de noir. Un jour, je lui

demandai la permission de lui poser une question et

Page 47: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

47

lui dis : » Tu es une femme jeune et belle, tu as deux

enfants intelligents et remplis de gaîté, ton mari, que

je connais est un homme très honorable. Pourquoi es

tu toujours si triste, et portes tu toujours des

vêtements noirs ? » Elle qui se sentait dans une

atmosphère étouffante, attendant depuis des années

que quelqu’un en Iran lui pose enfin cette question,

fondit brusquement en larmes, et m’expliqua les

circonstances particulières de sa vie. Elle me

dit : »Après 1972, date à laquelle mon frère aîné

partit militer avec l’organisation des Modjahedines

du peuple et fut fusillé par la SAVAK du chah, mon

vieux père, très éprouvé et ne se remettant pas de la

perte de son fils, était mort de consomption, après

avoir fait établir par un acte que je devais porter des

vêtements noirs tant que le régime du chah n’aurait

pas été renversé ». C’est ce qu’elle faisait, et ce n’est

que le 12 janvier 1979 qu’elle les quitta lorsque le

chah fut renversé, c’est à dire près de sept ans après

que je l’aie vue toute habillée de noir.

C’est à cette date que je pris conscience

qu’elle était la soeur d’un martyr de l’organisation

des Modjahedines du peuple iranien. Avant d’avoir

Page 48: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

48

fait la connaissance de cette famille, je n’avais

jamais entendu parler des Modjahedines.Par la suite,

j’obtins d’elle des informations succinctes sur le nom

et l’activité des Modjahedines et j’entendis, de la

bouche de quelqu’un qui avait connu son frère

martyr, qu’une seule personne, Massoud Radjavi,

dans le cadre de l’activité internationale de ce frère,

n’avait pas été mis à mort, mais tout de même

torturé et condamné à la détention perpétuelle.

La personne qui me donna, à cette

époque des informations résumées me transmit le

désir d’en savoir plus sur les Modjahedines, et sur

Massoud Radjavi. Plus tard, après la chute du régime

du chah, et l’arrivée au pouvoir du tortionnaire

Khomeiny, elle m’a conduite à sympathiser avec les

Modjahedines.

Les premiers frémissements de la

Révolution

Au printemps de l’année I977, avec

l’ouverture de l’espace politique, notre ville se trouva

fortement enfiévrée. En raison de l’activité du

Page 49: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

49

docteur Houchang Ezami, la province du Lorestan,

dont la population avait été précédemment écrasée

par le chah et avant lui par son père, qui en avaient

mis à mort tous les chefs des grandes familles

constamment en révolte, constituaient un foyer

permanent de rébellion. L’ouverture plus ample de

l’espace politique rendait propice l’émergence d’un

esprit révolutionnaire.

Je tirais beaucoup de profit à enseigner

l’histoire, et en ces temps là je travaillais avec la plus

grande liberté et parlais essentiellement des

oppressions exercées par le gouvernement du chah et

ses hommes de main, ainsi que la vérité sur l’histoire

des chahs que je racontais aux élèves d’après des

livres d’archives impartiaux. Dans les autres écoles et

collèges qui n’avaient même pas d’heure d’histoire

au programme, j’enseignais ces vérités amères de

l’histoire hors programme sous la forme de

conférences sur les conditions de vie de notre pays, et

plus particulièrement dans le domaine économique.

Fin février 1977 je fus convoquée chez

le directeur de l’école, qui me laissa seule avec un

homme assis dans le bureau. Sur le moment, je

Page 50: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

50

pensai que c’était un parent d’élève haut placé, mais

je me rendis bientôt compte de mon erreur, car il se

présenta et déclara venir des services de

renseignements et de sécurité de la province. Il avait

reçu des rapports sur mes paroles provocantes et des

injures incontestables de ma part contre le régime du

Chah des Chahs, au sujet desquelles il me fallait

m’expliquer.

Je lui répondis : « Je ne sais pas de quoi

vous faîtes état. Non seulement pour les cours

d’histoire, mais dans toutes les disciplines que

j’enseigne, je mets à la disposition des élèves

l’ensemble des connaissances générales et les

renseignements que je tire de livres d’archives

authentiques que je peux me procurer. Si dire la

vérité représente à vos yeux une provocation, brûlez

les livres pour que je ne puisse les lire. Mais tant

qu’ils seront à ma disposition, je me comporterai

comme une intellectuelle en les mettant à la

disposition des élèves pour leur éducation et leurs

études, en les utilisant »

Il me jeta un coup d’oeil et dit : » Nous

savons que vous n’avez pas de relations avec des

Page 51: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

51

groupes contre l’ordre existant, et que vous servez de

garde malade à une vieille mère décrépite. Vous

êtes jeune et manquez d’expérience et vous dites ces

paroles par amour pour votre métier. C’est pourquoi

il ne faut voir dans l’entrevue de ce jour qu’un

avertissement pour que vous ne continuiez pas dans

la voie que vous avez prise. »

De cette conversation avec ce

fonctionnaire de la SAVAK, je retins que ce service

disposait de renseignements pour m’arrêter et

m’accuser, et que l’avertissement avait été donné à

titre amical ! En dépit de la peur qui me saisit au

début et qui affecta particulièrement fort ma mère

lorsqu ‘elle eut connaissance de cet incident, et bien

qu’elle me répétât constamment, en tête à tête, de

prendre garde à la SAVAK, avec le temps, cette

entrevue tomba dans le sac aux oublis, et je continuai

de faire mon travail comme auparavant.

Cette rencontre eut cependant un

retentissement parmi les élèves et mes collègues de

travail, et je pus même étendre mon domaine

d’activité.

Page 52: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

52

L’été 1978, je passais mes vacances à

Téhéran et à Ispahan avec une association, à

manifester dans la rue et je pris part à Kermanchah à

des grèves d’enseignants avant de revenir à Khorram

Abad au début du mois d’octobre.

Ce fut à ce moment là à l’école du 17

Deï6, que nous avions rebaptisée école du 17

Charivar que j’eus la meilleure de mes heures

d’enseignement, en appelant les professeurs à faire

grève. Parmi les cadres enseignants de cette école la

future martyre Ferechteh Nouraimani, récemment

rentrée d’Angleterre, fut le seul professeur qui

m’accompagna dans l’annonce de cette grève.

Après cette action, le directeur de l’école

et un professeur membre du parti Toudeh7, par peur

essayèrent de me dissuader de ma détermination, en

me prodiguant nombre de conseils pour me faire

revenir sur ma dangereuse décision, sans succès. Le

professeur membre du parti Toudeh, une poule

mouillée, faisait état de l’expérience de son parti, de

6 Nom de l’école, dite école du 6 Janvier, comme en France les

places du 14 juillet ou du 11novembre. 7 Le parti Toudeh est un parti communiste se réclamant du

soviétisme bolchevique.

Page 53: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

53

ce qu’il était inutile de mener un combat contre le

Chah, et me disait qu’il me fallait penser à ma mère,

vieille et seule.

Je fis la connaissance de la Modjahed

future martyre Ferechteh Nouraimani lorsque je

commençai à travailler à l’école du 17 Charivar, et

notre amitié dura jusqu’en octobre- novembre de

l’année 1981, date à laquelle cette femme héroïne des

Modjahedines du Peuple, fut arrêtée dans une rafle

épique à Siah Hamedan, et fut exécutée.

J’estime nécessaire ici de relater le

témoignage de sa conduite héroïque.

C’était à la fin du mois de novembre

1981. Elle circulait dans les rues de Siah Hamedan,

lorsqu’elle tomba dans les filets des sbires de la ville

et fut capturée. Ferechteh était certaine d’être

exécutée par le régime des mollahs, car elle ne leur

donnerait aucune information. Dès qu’elle entra dans

le bureau du commissaire de police du centre de Siah

Hamedan, elle désarma inopinément avec bravoure et

détermination l’un des pasdarans chargés de la

protection du commissaire, et eut des démêlés armés

avec les policiers présents.

Page 54: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

54

Finalement, les policiers l’abattirent sur

place d’une rafale et la firent mourir en martyre.

La martyre Ferechteh Nouraimani était

une femme héroïque qui, avant de rejoindre les

Modjahedines, avait pris des cours en Angleterre, et

qui, dès le début de la révolution contre la

monarchie en I977, interrompit ses études pour

revenir en Iran. Je l’avais accompagnée plusieurs fois

durant cette période dans les réunions d’une

association d’étudiants islamistes qui n’avait alors,

dans les journées proches de la victoire de la

Révolution contre le Chah, que peu d’existence et de

présence ondamentales. Dès lors que l’espace

politique était davantage ouvert, ils renoncèrent,

selon leurs propres voeux, à leur prudente

dissimulation, et faisaient acte de présence.

Moi qui, jusqu’alors, n’avais jamais eu

de relation avec les religieux et les associations

islamiques, j’accompagnais Ferechteh à leurs

réunions, d’ailleurs très peu nombreuses et de portée

limitée, prenant part à quelques réunions de leur

programme.

Page 55: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

55

Comme il n’était pas question, dans ces

débats, du combat contre le chah et des difficultés

avec son régime, et que seul un homme, Hadj

Sadakhi, réservait son art de la parole à cinq ou six

auditeurs, je ne pris part que deux fois à ces réunions

à la suite desquelles je dissuadai Ferechteh d’y

participer, et nous n’assistâmes plus à aucune de ces

manifestations.

Pour l’extension de la lutte des

enseignants aux autres villes de la région et aux

autres provinces, et en particulier à Karmanchah, où

j’étais personnellement intervenue en majeure partie,

j’animai une association de professeurs du secondaire

et du supérieur, dont tous étaient membres, quelles

que soient leurs idées .

Après la formation de cette association,

le gouvernement fut d’accord pour débattre avec

nous de nos revendications qui, au début, étaient

uniquement professionnelles.

C’est par l’intermédiaire de cette

association d’enseignants de Khorram Abad, qui

m’avaient choisie pour la représenter, que j’entrai

dans le courant de la révolution contre la monarchie.

Page 56: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

56

La première grève, avec cessation de

travail, dans les écoles, fut organisée par mes soins,

et ceux de Ferechteh Nouraimani.

Sauf erreur, c’est le 15 ou le 16

octobre1978, qu’après une période de quelques jours

de grèves dispersées, nous décidâmes la grève totale

dans toutes les écoles de la ville, et que nous

entreprîmes classe par classe, école par école, l’arrêt

du travail. Nous organisâmes alors une manifestation.

Ce jour là, la manifestation démarra avec

cinq personnes de nos écoles, rejointes dans les rues

par une foule de professeurs des écoles tant de

garçons que de filles ; le cortège des manifestants

défila jusqu’à la place du 6 Bahman, ainsi nommée à

l’époque. A son arrivée, il comportait plus de cinq

mille personnes. Ce jour là, la population totale de

Khorram Abad se répandit dans la ville, et les

banques et les bureaux administratifs de l’Etat furent

pillés par la foule des manifestants.

Les forces de répression du régime du

chah se contentèrent de lancer des grenades

lacrymogènes et de pulvériser de l’eau sous pression

sur les manifestants. Mais à partir de ce moment, la

Page 57: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

57

ville de Khorram Abad ne connut plus sa tranquillité,

car elle fut occupée par l’armée avec des blindés et

toute son intendance, qui ne put rester sur place

qu’un seul jour.

Au lendemain de cette journée, l’armée

et la préfecture de police de la province, craignant

des affrontements avec la population, retirèrent les

troupes de la ville ? Les autorités remplacèrent par

des unités de l’éternelle Garde Royale qui, jusqu’à

la chute du régime du Chah le 22 du mois de

Bahman, commirent de nombreux crimes dans la

ville de Khorram Abad

Moi même, je fus très occupée par

l’extension des manifestations et par des opérations

de guérilla de fixation contre la SAVAK et les forces

de la Garde. Je me tirai d’affaire pendant cette

période grâce aux personnes honorables de Khorram

Abad qui me témoignèrent leur affection,

m’apportèrent une aide importante et me permirent

de réaliser ces opérations avec succès.

La description de ces arrestations et des

évènements qui, pendant cette période de la

révolution s’abattirent sur nous, en particulier celle

Page 58: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

58

des journées et des nuits de fièvre lors des rafles

effectuées par la SAVAK et les mercenaires du chah,

pourraient à elles seules faire l’objet d’un livre

séparé. C’est la raison pour laquelle je préfère ne pas

m’étendre dans le présent ouvrage sur les

évènements de la période allant de septembre1978 à

février 1979, espérant avoir une autre occasion de les

mettre par écrit.

Premières discordes semées par les

réactionnaires

C’était le 21janvier de l’année 1978. Dans le cadre de

la révolution, dans notre ville, nous avions collaboré

de manière enthousiaste et franche avec des

personnes de toutes les couches sociales, sous la

direction de l’association des intellectuels, et avions

marché du même pas que d’autres villes d’Iran.

Jusqu’à ce jour toutes les forces politiques et les

intellectuels de Khorram Abad et des autres villes de

la province n’avaient aucune appartenance à un

groupement et étaient connus pour leur orientation,

religieuse ou non. Dans tous les affrontements ils

Page 59: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

59

luttaient ensemble contre les agents de répression du

chah.

Un jour, au cours d’une réunion de

l’association des intellectuels, un jeune étudiant, qui

s’était lui même présenté sous le nom de Reza et que

je connaissais de loin, demanda, en dehors de l’ordre

du jour de la réunion, que l’autorisation lui soit

donnée, de faire une communication au nom de

l’association des étudiants islamistes de Khorram

Abad. Sa demande fut acceptée et il lut sa

déclaration.

Quelques jours après cette réunion, cette

même association des étudiants islamistes organisa

un programme d’interventions à la faculté de la ville,

et m’invita à y prendre part, de même que les autres

membres de l’association des intellectuels.

L’ensemble de mes amis et moi même

participâmes à ce programme. Le conférencier était

un mollah portant le nom de Faker.

Ce religieux impur, dont on sut plus tard

qu’il était l’un des donneurs de coups de matraque

des réactionnaires, dès son entrée en scène, s’installa

à la tribune sans faire le moindre salut et déclara que

Page 60: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

60

s’il y avait des communistes parmi les auditeurs,

qu’ils se lèvent et partent pour qu’il puisse

commencer sa conférence. Puis il se mit à prononcer

des insultes contre les communistes.

Mes amis, et particulièrement ceux qui

n’avaient rien à voir avec la religion, me regardèrent

et restèrent dans l’expectative, attendant de voir

quelle était ma Réaction. Moi même, que cette

manière aveugle de semer la discorde avec de telles

façons avait fortement choquée, je me demandai

pendant quelques instants quelle attitude je devais

adopter. D’un côté je voyais les gens de la SAVAK, et

les mercenaires du chah qui nous assiégeaient et qui

devaient bien rire après le discours de ce mollah

imbécile. D’un autre côté, je pensai à l’image

historique de semeurs de discorde des mollahs dans

les mouvements d’aspiration à la liberté et à la

monarchie constitutionnelle, aux manifestations et

aux affrontements ayant eu lieu jusqu’à ce jour, sans

que parmi nous il y ait la moindre trace d’un mollah

ou de l’un des hommes de main des réactionnaires.

Convaincue que le renversement du chah

devait être opéré par ces mêmes jeunes et ces mêmes

Page 61: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

61

intellectuels de la ville avec lesquels nous avions déjà

travaillé, et dont beaucoup n’étaient pas de tendance

religieuse, le doute ne me gagna pas longtemps, et,

opposée à ce qui venait de se produire, je m’adressai

à l’un des organisateurs du programme, et lui dis que

cette action n’était pas correcte, qu’elle créait des

dissensions entre les personnes, que cette façon

d’aborder le problème en le considérant réglé et que

le bénéfice de cette opération allait tout droit au chah

et à la SAVAK, Je lui demandai pourquoi il voulait

réitérer l’affaire du 25 Mordad.

Il me répondit : » Nous ne pouvons rien

dire à Faker. On l’a envoyé de Téhéran à Khorram

Abad, et il ne voudra pas écouter nos arguments »

Sans espoir désormais sur les possibilités

d’intervention des responsables du programme pour

régler de cette affaire, je dis à ceux qui m’avaient

accompagnée à cette réunion qu’ou bien nous

restions tous, ou alors nous quittons tous ensemble la

réunion. Je proposai même à ceux qui se sentaient

concernés avec la religion de rester, mais ils ne furent

pas de cet avis, et nous nous levâmes tous et

sortîmes, et moi même, à l’étonnement des

Page 62: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

62

mercenaires réactionnaires, quittant la salle très

affectés.

Notre sortie de la salle fit qu’un grand

nombre des autres participants quittèrent aussi la

réunion, et le mollah Faker resta seul avec quelques

membres de l’association islamique qui, plus tard

s’avérèrent être les uns et les autres les noyaux de la

terreur et du tabassage dans la ville et dans toute

l’étendue de la province. C’est dans ces conditions

que fut semée parmi la population de la ville la

première graine d’une dissension aveugle, par des

réactionnaires de l’époque moyenâgeuse, graine dont

le peuple opprimé d’Iran a depuis ce moment là

jusqu’à nos jours récolté les mauvais fruits sous

forme d’oppression, de guerre et de désolation,

accoutumé qu’il était au gibet, à la torture, au

chômage et à la famine. Cette discorde, semée par les

mollahs impurs, a conduit à la ruine de nombreuses

vies, de richesses et de l’honneur du peuple.

Page 63: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

63

Rencontre avec les Modjahedines

Ce fut dans les jours qui suivirent la

chute du régime du chah que le directeur de l’école

me fit venir à son bureau et me dit qu’un monsieur

était arrivé et demandait à me voir pour affaire. Je me

rendis au bureau de l’école, et y vis un homme qui se

présenta lui même comme militant de l’Organisation

des Modjahedines du peuple d’Ira, et me déclara : «

Nous avons l’intention d’ouvrir un bureau pour la

coordination de l’activité politique des Modjahedines

dans la ville de Khorram Abad. D’après ce que nous

savons, vous avez des possibilités et beaucoup

d’amis et vous pourriez nous apporter une aide

importante dans ce domaine. C’est pourquoi je suis

venu vous voir aujourd’hui. » Je lui demandai de me

préciser quelle était l’aide qu’il attendait de moi, ce à

Page 64: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

64

quoi il répondit qu’il désirait mon aide pour prendre

le bâtiment de la SAVAK afin d’ y installer le

mouvement des Modjahedines. Puis il me donna une

liste de ce qui leur était nécessaire pour commencer à

travailler, et à la fin il me dit : » Mais ce qui est plus

important que ces facilités, c’est votre collaboration

directe avec le mouvement des Modjahedines que, je

l’espère, vous ne nous refuserez pas ».

Je lui expliquai que je ne désirais devenir

membre d’aucun groupe ni d’aucune faction

politique que ce soit, et que je préférais continuer à

travailler directement avec tous les groupes

politiques comme je le faisais avant la chute de la

dictature du chah, pour créer une cohésion entre les

groupes qui depuis le renversement du régime

lançaient chaque jour une nouvelle proclamation.

A la fin, je lui donnai ma parole qu’ils

recevraient de moi toute l’aide que j’étais en mesure

de leur apporter, et en particulier pour la mise en

route de leur implantation locale. C’est ainsi que

débuta ma collaboration avec les Modjahedines

Page 65: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

65

Chapitre 2

La plus grande escroquerie du siècle

La fin du début ou un début sans fin

Le printemps de l’année1979 fut connu

pour être celui de la liberté. Mais il est regrettable

que ce printemps de liberté ait rapidement laissé

place à un automne froid, puis un hiver épouvantable.

Car c’est à ce moment que commença le

gouvernement du guide suprême des jurisconsultes

musulmans Khomeiny le bourreau, et ceci représenta

une conclusion plutôt qu’un début.

Page 66: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

66

Une fin prématurée pour un début de

révolution de novices mêlée dans un long roman,

d’une idéologie vieille de 2500 ans, à laquelle

Khomeiny substitua une idéologie réactionnaire et

pourrie venant des siècles d’obscurantisme et d’une

époque révolue.

En vérité le poison Khomeiny ne

représentait qu’un début dans la mise en place d’une

idéologie arriérée et barbare, dont les mollahs firent

montre en ces temps sans fin, car ce retour

réactionnaire plonge des racines vieilles de 1400

ans dans les profondeurs de la civilisation populaire.

Une civilisation où, sans aucun doute, il

y eut une connivence parfaite entre le chah et les

mollahs au fil des siècles. Les destins de ces deux

idéologies désuètes étaient intimement liés de bout

en bout des hauts et des bas de l’histoire de notre

peuple, et s’étaient assurément renforcés

mutuellement, en se camouflant l’un derrière l’autre,

entraînant l’abrutissement des masses, le chah par ses

programmes et les mollahs par les situations

particulières qu’ils en ont obtenues. C’est ainsi que

le chah pouvait se désigner lui même comme étant

Page 67: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

67

l’ombre de Dieu sur terre. Et c’est cette position que

le sinistre Khomeiny, qui se prétendait descendu de

la lune, a prise et conservée.

.En fait, lorsque nous fîmes la révolution,

l’absence parmi nous des vrais révolutionnaires, tous

supprimés par les soins du monarque dictateur ou

mis en prison, propulsa ce religieux impur de

Khomeiny qui arriva et s’appropria cette révolution.

Dans ces conditions, ce dernier s’assimila

au plus grand usurpateur du siècle, y mettant en

place un pouvoir plus honteux encore que celui du

chah commençant à attaquer l’esprit, les biens et

l’honneur de ceux ayant fait la révolution. Le slogan

misogyne de cette attaque débuta par « ou le voile,

ou la taloche » et continue jusqu’à nos jours par

l’écrasement des lois les plus élémentaires du peuple

iranien au moyen d’une oppression féroce.

Les débuts d’un pouvoir voué à la

catastrophe,

avec un slogan honteux

Page 68: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

68

Jamais je n’oublierai, c’était le 8

septembre 1978, alors que le soleil se couchait dans

le sang. Les rues de Téhéran ressemblaient

réellement à un champ de bataille ensanglanté,

vestiges d’un immense massacre des gens de la ville

qui avait eu lieu ce jour là. Etant venue en hâte à

Téhéran et ayant participé pendant des heures avec

mon frère à une guérilla farouche contre les soldats

dans les rues de la ville, j’étais exténuée.

Sur le chemin du retour, je pensais à tout

ce que j ‘avais vu, et à ce moment même, dans

l’excitation de l’opposition au chah, et en signe de

lutte muette contre une civilisation dont la Cour

était le symbole, je décidai de porter le voile.

Après cela, et pendant tout le

déroulement de la période de lutte contre la

monarchie je pris part aux manifestations en portant

le voile. Hélas, le système islamique de Khomeiny

entra en vigueur avec un premier défi imposé aux

femmes, en les contraignant de porter le voile, avec

le slogan : »Ou le voile ou la taloche. »

Page 69: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

69

Dans les premiers jours qui suivirent la

victoire de la révolution, les mollahs réactionnaires

commencèrent leur campagne sauvage contre les

femmes opprimées de l’Iran.

Cette campagne infecte coïncida avec

l’approbation d’autres lois asservissantes pour les

femmes, et en particulier la limitation de leur

embauche, ce qui me tourmenta fortement. Je

ressentis de façon tout à fait naturelle que cette

campagne préludait à des douleurs, des effusions de

sang et des tortures qui accompagneraient le peuple

de mon pays dans sa marche vers la liberté.

Par ailleurs, moi qui avais décidé de mon

plein gré de porter un foulard, je me trouvais face à

une répression exercée par les réactionnaires à

l’encontre des femmes sous prétexte d’absence de

voile ou de voile mal mis, et me demandais ce que je

pouvais faire.

Un certain nombre de femmes décidèrent

de s’opposer, par des manifestations, au port

obligatoire du voile. D’une part, je désirais

ardemment participer à ces manifestations, mais par

Page 70: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

70

ailleurs je n’avais aucune connaissance sur la

question du Hidjab.8

Je décidai de porter ce problème devant

le responsable du mouvement des Modjahedines,

récemment installé dans notre ville, car je savais

parfaitement que, bien que musulmans et pourtant

bien différents de Khomeiny, ils rencontraient des

femmes non voilées qui allaient et venaient dans les

bureaux du mouvement et les traitaient avec respect,

et ne faisant aucune distinction avec les femmes

portant le voile.

C’est avec cette idée que je me rendis à

leur bureau et je posai ce problème au responsable

qui, avant toute réponse pour ou contre cette

campagne, me dit : » Nous souhaitons que vous

preniez part à ces manifestations et que vous

encouragiez vivement les intellectuelles et les

étudiants à y participer aussi ».

Je lui en demandai la raison. Il me

répondit clairement et de manière catégorique : »

Vous le savez très bien .Quel que soit leur slogan, les

8 Hidjab : sorte de cape noire recouvrant entièrement les habits

des femmes islamiques

Page 71: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

71

réactionnaires vous tabasseront avec le foulard que

vous vous êtes mis sur la tête au même titre que

celles qui n’ont pas de foulard et porteront atteinte à

leur liberté.

Il insista ensuite : « Si, au cours d’une

manifestation à laquelle vous prenez part, vous,

femme voilée, soutenez des femmes qui ne le sont

pas, votre voile sera un bouclier contre les

bastonnades et les projections d’acide sur des

femmes sans défense, dont le seul délit est de ne pas

être voilée dans la rue ».

Pour finir, il me dit : » De la même façon

que vous avez librement décidé de porter le voile,

quelqu’un qui n’en porte pas doit rester libre de ne

pas en porter. Dans cette perspective, vous qui

portez le voile défendez leur liberté plus que les

autres. »

C’est ainsi que, n’ayant pas jusqu’à ce

jour compris la signification profonde que le port du

voile pouvait revêtir, j’en perçus à ce moment là le

contenu et décidai alors de prendre part aux

manifestations en le portant, au bénéfice de celles

qui désirent ne pas le porter.

Page 72: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

72

Il n’est pas besoin de préciser qu’ au

cours des manifestations, quelques autres de mes

amis et moi même qui portions le voile, fûmes l’objet

de reproches et de sévices plus importants encore que

les manifestantes non voilées de la part des membres

du Hezbollah et des miliciens de Khomeiny.

Pourquoi venir voilées pour la défense de celles qui

ne le sont pas ?

Entrée dans le nouveau gouvernement

Un soir de mars de 1979, à peine rentrée

à la maison, ma mère, inquiète, me dit que l’on me

demandait avec insistance et qu’un monsieur avait

téléphoné à plusieurs reprises pour me parler. Elle

venait tout juste de m’en informer lorsque le

téléphone sonna. Je répondis, et au bout du fil, un

homme se présenta : « Cheikh Mehdi Ghazi ».

Pendant un instant, je fus frappée de stupeur : qu’est

ce que ce charlatan me voulait ?

Page 73: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

73

Depuis le début de la révolution et

durant les deux ou trois mois qui s’étaient écoulés, la

révolution ayant triomphé et le régime du chah

effondré, on n’avait plus entendu parler de lui dans la

ville. Que s’était il passé pour qu’il montre de

nouveau le bout de son nez ?

J’étais plongée dans cette réflexion,

quand le cheikh Mehdi me dit qu’il avait pour moi

une affaire importante et qu’il voulait me voir. Je lui

expliquai que je rentrais à l’instant à la maison, que

ma mère était seule, qu’il se faisait tard et que cette

affaire pouvait être différée au lendemain.

Il me répondit que non, et que si je le

permettais, il m’envoyait à l’instant même son

chauffeur pour m’emmener. Il m’attendrait chez lui,

en compagnie de quelques amis qui aimeraient me

voir et que je pourrais rencontrer dès que je serais

arrivée. Par curiosité, je lui donnai mon accord et il

raccrocha. Son but était que j’aille au fameux

château de Ghazi Abad, plus connu pour les gens du

peuple sous le nom de château du Pharaon. Je reposai

le combiné du téléphone avec calme, mais je fus

prise pendant un moment par le vertige et l’angoisse.

Page 74: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

74

Mon esprit était entièrement occupé par cette

question : que pouvait il bien vouloir faire avec moi ?

Je ne me sentais pas à l’aise, faute de

pouvoir donner une réponse à cette question. Cet

homme avait tellement mauvaise réputation et était si

peu digne de confiance que je ne fus pas heureuse de

cette invitation. Je fis part de mes sentiments à ma

mère, qui me dit : « Veux tu que j’aille avec toi ? » Je

lui répondis : « Non, mais tu sais où je me trouve ».

Peu après, le chauffeur arriva et je me mis en route.

Jusqu’à ce soir là, je n’avais vu le château du cheikh

que de loin. Quand nous fûmes arrivés, je descendis

de voiture, et suivant les indications du chauffeur,

j’entrai dans le château. La résidence de ce mollah

pervers était en pierres d’Europe, identiques à celles

des châteaux que j’avais vus dans les films, de

même que la décoration. Les pièces étaient de

couleurs gaies, bleu, rose, orange, vert clair, et les

rideaux et les belles tentures de velours ornés en

harmonie avec la couleur de la pièce.

Dès mon entrée dans le hall, le cheikh

Mehdi, dont je voyais pour la première fois le visage

abominable, apparut à l’entrée de l’une des salles et

Page 75: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

75

me souhaita la bienvenue. J’avais entendu dire

beaucoup de choses à son sujet, allant de ses relations

peu humaines avec les métayers des villages placés

sous son autorité, jusqu’à celles, certaines, mais

cachées, qu’il entretenait avec la SAVAK du chah.

La Société des Femmes de la province

Le cheikh Mehdi me fit entrer dans une

pièce, où trois dames habillées de noir de pied en

cap, étaient assises. Il me présenta l’une d’elles en

me disant « Madame Azam Talaghani, la fille de

monsieur Talaghani, a désiré faire votre connaissance

et discuter avec vous d’une affaire ». Et c’est ainsi

qu’il me laissa avec elle et partit. .Azam Talaghani

commença à me parler, après avoir présenté ses

salutations. Elle me dit : « Le cheikh Mehdi m’a

demandé de l’aider pour les affaires de la province et

m’a dit que vous étiez une femme révolutionnaire et

croyante, et que pour l’organisation d’une force de

police révolutionnaire ils avaient opté pour un

Page 76: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

76

commandant femme, et vous avaient choisie. Il m’a

demandé de lui servir d’intermédiaire, car vous avez

une grande popularité parmi la population… »Toutes

ces flatteries du cheikh Mehdi me donnaient la

nausée.

Tout ce qu’elle me dit après me parut

plus étonnant encore et une multitude de questions

et d’équivoques firent assaut dans mon esprit.

D’abord le cheikh étant anti

révolutionnaire, que venait il faire dans la

révolution ? Une force de police ? Depuis quand était

elle établie ? Serait il préfet de police qu’il ait à

choisir seul les personnes qui l’organiseraient ?

En second lieu, en quoi serais je, moi,

une femme pieuse ...susceptible de devenir le

commandant de la police ? Moi qui, comme cette

femme et le cheikh appartenais au milieu culturel,

j’étais complètement étrangère à la religion, je ne

portais le voile que depuis quelques mois et j’avais

rangé le tchador au rayon des oripeaux de mes

ancêtres. Par ailleurs ma famille et moi même étions

connus dans la ville comme n’étant pas de ceux dont

on parlait. Alors pourquoi m’avait on choisie ?

Page 77: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

77

Quand elle eut fini de parler, je lui dis

que Hadj Akha n’avait pas fait le bon choix, car je

n’étais pas la femme pieuse qui existait dans son

esprit, que je ne portais le voile que depuis peu de

temps, et que je venais seulement de me mettre à

l’étude du Coran, que je n’avais pas acquis de

notoriété dans la ville, et, plus important encore,que

je ne maîtrisais pas entièrement la langue du

Lorestan, et qu’il était préférable de choisir une autre

personne qui parle au moins couramment la langue

de la population locale. A la fin, j’insistai même sur

le fait que j’aimais beaucoup mon métier

d’enseignante, et que je ne me sentais pas prête à

perdre le poste que j’avais pour prendre une fonction

militaire ne convenant absolument pas à mon

caractère.

Elle ne s’éleva pas contre mes arguments

et me dit qu’elle allait me faire une seconde

proposition, qui peut être me plairait plus, car

s’accordant mieux avec mon amour des gens et mon

caractère humanitaire. « Moi même je pense qu’il

faut vous faire entrer dans le domaine de la culture et

Page 78: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

78

des femmes, et que vous vous occupiez plus

particulièrement des femmes. »

Elle continua son exposé en

disant : « Vous savez certainement qu’une Société

des Femmes de la Révolution Islamique a été créée

en remplacement de l’ancienne Organisation des

femmes. J’en ai la responsabilité globale et vous

propose d’en prendre la responsabilité pour cette

province. Ce travail nouveau est un travail

d’enseignant qui correspond à vos aspirations pour

cette fonction ».

Je lui répondis que j’avais à plusieurs

reprises changé de métier pour devenir enseignante,

que j’aimais les enfants et que je n’envisageais pas

de quitter l’école. Elle me dit qu’il était préférable

que j’y réfléchisse, que si j’entrais dans cette

fonction avec l’attachement que je portais aux

enfants, je serais beaucoup plus utile. Elle me laissait

jusqu’au lendemain soir pour lui donner ma réponse.

Puis elle changea de sujet de conversation, et raconta

des souvenirs précis du temps des prisons du chah.

Page 79: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

79

Elle raconta un souvenir de prison et de

la torture de Massoud Radjavi qui, plus que toute

autre chose, est resté gravé dans ma mémoire.

Selon son témoignage, celui de l’histoire

et celui de personnes encore vivantes, la SAVAK du

chah soumit en 1975 Massoud Radjavi à la torture,

en qualité de seul rescapé de l’organe central de

l’Organisation des Modjahedines, afin qu’il déclare

officiellement que le mouvement était devenu

communiste. Par le moyen de ce complot, commun

aux réactionnaires du chah et à ceux des mollahs,

l’Organisation des Modjahedines, la seule

organisation révolutionnaire musulmane, se

trouverait définitivement rayée avec succès de

l’histoire.

Ce soir là, Azam Talaghani me rapporta

un de ses souvenirs de cette époque historique, et

dit : « C’était en 1975, après qu’un certain nombre de

Modjahedines qu’on appelait les opportunistes,

soient devenus communistes. Des fonctionnaires de

la SAVAK m’emmenèrent un jour dans la salle des

interrogatoires, et je vis dans un couloir une

couverture dégoulinante de sang, contenant une

Page 80: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

80

masse de chair ensanglantée, que deux employés

changeaient de place. Après avoir vu cette scène, les

fonctionnaires de la SAVAK me firent entrer dans la

salle. L’enquêteur me demanda : « As tu vu ce

morceau de chair écrasée ? C’est Massoud Radjavi,

votre guide à tous. Si tu veux que les malheurs

s’abattent sur ta tête, tu en parles. »

Evidemment, cette même Azam

Talaghani, quand elle eut plus tard compris que

j’étais sympathisante des Modjahedines, modifia du

tout au tout son récit de ce souvenir en utilisant

cette image d’admiration pour « Massoud » pour

refuser la nouvelle position de celui-ci, et en

répétant : « Massoud Radjavi, qui a subi tant de

tortures dans la prison du chah, voilà maintenant

qu’il affronte l’imam ». Puis elle me déconseilla de

devenir sympathisante des Modjahedines car, disait

elle, le passé des hommes importe peu, ce qui compte

c’est leur position actuelle.

Autrement dit, elle me faisait savoir,

dans sa langue de bois, qu’il était préférable que,

comme elle, je sois une girouette ! Bien sûr, chaque

fois qu’elle racontait cette histoire, j’adressais du

Page 81: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

81

fond de mon coeur mille bénédictions à Massoud

pour sa décision de se battre contre les

réactionnaires sous toutes leurs formes, que ce soit

celle du chah ou que ce soit celle des cheikhs.

Un premier pas vers une autre

révolution

En portant un regard sur l’histoire des

pays asservis, nous arrivons à cette réalité que notre

révolution n’est pas la seule qui ait été récupérée à

mi route par les réactionnaires. Mais elle fut

véritablement la première qui, en raison de

l’existence et de la présence d’une organisation

révolutionnaire active telle que celle des

Modjahedines, bien entendu appuyée puissamment

par les masses et des gens prêts à donner leur vie, a

été prise en main par des révolutionnaires audacieux

et sauvée de siècles d’oppression et de colonisation

avant d’être asphyxiée et oubliée pour des siècles de

silence.

Page 82: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

82

En effet, le véritable révolutionnaire et

leader emprisonné de cette révolution, qui dans ce

magnifique chapitre du renversement du chah, fut

jeté en prison, et de ce fait obligatoirement absent, ne

quitta pas cette fois ci une seconde la scène, et sa

popularité devint très grande. Avec nombre de

sacrifices et de renoncements, dans l’effort et dans

un océan de sang et de souffrance, il continue à

ouvrir, pour le peuple d’Iran, le chemin d’une autre

révolution, nouvelle et pleine de majesté.

Ceux qui avaient trente ans à cette

époque - là se souviennent certainement que pendant

les premiers jours de la révolution, on commençait à

connaître toutes les personnes qui, comme moi,

avaient eu une activité politique sérieuse dans la

révolution contre la monarchie, et allaient avec

curiosité à la recherche des révolutionnaires

pionniers et des prisonniers du chah libérés. Parmi

eux, il y avait un nom que l’on entendait plus que les

autres, celui de Massoud Radjavi.

Je désirais ardemment en savoir plus à

son sujet, et mieux le connaître, en qualité de

créateur d’un mouvement révolutionnaire musulman,

Page 83: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

83

contrairement à Khomeiny qui n’a utilisé la religion

que pour tromper le peuple et enlever les bijoux des

mains et des cous des femmes pour les remplacer par

des cordes de misère. Le récit des souvenirs de Azam

Talaghani sur Massoud Radjavi m’aida sérieusement

à acquérir une certitude, qui maintenant est devenue

une foi profonde et inébranlable dans son rôle de

pionnier.

Qui était le cheikh Mehdi Ghazi ?

Au moment de dresser un portrait de ce

cheikh hypocrite, symbole de la situation générale

du clergé de Khomeiny et qui eut un rôle important

pour la population de Khorram Abad, et

particulièrement pour moi, il me faut d’abord

résumer la situation avant et après la révolution.

Page 84: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

84

Le cheikh Mehdi Ghazi était un

religieux, un riche promoteur fortement détesté par

toute la population de Khorram Abad. Il possédait

une partie d’un village donnant sur une jolie colline

qu’il avait par la ruse et la fourberie arrachée à ses

habitants.

Cet important territoire dépendait, selon

certains d’une dame veuve avec plusieurs enfants

orphelins, et le cheikh l’avait acheté pour presque

rien, par la force et l’intimidation et y avait fait bâtir

des grandes villas modernes et construit une petite

ville pour les personnes riches et les amateurs de

luxe, qu’il avait appelée de son propre nom Ghazi

Abad.

Ce cheikh, riche promoteur, avait fait

construire, au point le plus élevé de cette jolie petite

ville, et tourné vers celle ci, un grand château de

couleur blanche pour lui même, dans lequel il vivait

avec sa famille et sa nombreuse domesticité .Il était

connu qu’il entretenait des relations cachées avec la

SAVAK du chah et quelques autres religieux, riches

promoteurs de Téhéran et d’ailleurs.

Page 85: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

85

J’ai plus tard entendu ceci de la bouche

de son neveu, le martyr Ali Akbar Ghazi, qui était au

courant de tous ses secrets : « Ces religieux étaient

Rafsandjani et Béhechti, et les ornements de marbre

des bâtiments de la SAVAK à Ispahan et à Qom sont

exactement identiques à ceux du cheikh qui les

commanda pour en faire cadeau à ce service

secret ».

. C’est pourquoi il était au mieux avec la

SAVAK, et pourquoi les autres mollahs étaient

satisfaits de lui.

Pendant toute la période de l’insurrection

contre le chah, on n’entendit évidemment pas parler

dans la ville du cheikh Ghazi, ni de ses acolytes

bastonneurs, et la rumeur courait dans la foule qu’il

était allé à Qom. Cependant, après la victoire de la

révolution, il réapparut peu à peu dans la ville.

Après la prise de fonction de Khomeiny,

il fut l’un des membres officieux du « conseil de

direction » de Khomeiny dont le directeur était

Béhechti. Mais nous comprîmes plus tard, qu’après

le départ de Khomeiny pour Paris, il y partit aussi

pendant un moment, soit pour recevoir des

Page 86: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

86

instructions du diabolique Khomeiny, soit pour lui

transmettre des instructions de la SAVAK. Et voila

qu’aujourd’hui, après la victoire de la révolution

contre le chah, et sa présence retrouvée dans la ville,

des porteurs de gourdin et des assassins aveugles

étaient de nouveau recrutés par ses soins parmi la

populace et la racaille. Ce cheikh répugnant donna

également de lui une mauvaise image dans la

répression des gens de langue arabe du Khouzestan

pendant ces mêmes premiers mois après la chute du

chah.

La population de Khorram Abad disait

qu’il allait chez les paysans des villages sous

développés du Lorestan, et intimidait ces paysans

simples en leur disant ce gros mensonge que les

communistes étaient venus d’Irak, qu’ils avaient pris

Avaj et Abadan et pillaient le pétrole. Il les trompait,

leur prêchait une guerre sainte pour la religion et les

envoyait en autobus pour venir en aide aux policiers

dans leurs engagements contre le peuple du

Khouzestan.

Cette image du cheikh répressif, allant

jusqu’à prononcer des sentences de mise à mort de

Page 87: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

87

jeunes gens de la ville de Khorram Abad, et en

particulier de son neveu le modjahed martyr Ali

Akbar Ghazi resta dans les esprits pendant des

années dans la province du Lorestan .

Un combat intérieur, une décision

difficile

Ce soir là, je restai près d’une heure avec

Azam Talakhani. Au moment de faire mes adieux, je

vis une seconde fois Cheikh Mehdi qui

m’accompagna et me dit : « J’attendrai votre réponse

et votre décision demain. »

Je retournai chez moi avec le même

chauffeur. Je racontai la totalité de cette affaire à ma

mère, qui, jusqu’à mon retour était restée éveillée

dans l’inquiétude. Elle me dit : « Je ne sais pas ce

que ces religieux ont prévu pour toi, mais tu ferais

bien de ne pas accepter. Le meilleur métier pour toi

Page 88: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

88

est celui d’enseignante. Je connais particulièrement

bien certains de ceux qui se sont engagés chez les

pasdarans ».

Ma mère continua : « Ces jours ci tout le

monde parle dans le dos du cheikh Mehdi et dit qu’il

est redevenu très actif et qu’il a engagé à grands frais

tout ce que la ville compte de canailles et de voyous

pour en faire des policiers en attendant d’être de

nouveau le leader de la population ».

Elle m’embrassa alors et me dit : « Je

sais que tu es très mûre et que tu ne te laisses pas

facilement tromper. Le travail que tu as accompli est

très correct et ne mettait pas en cause jusque là ta

tranquillité ».

Sans pouvoir fermer l’oeil jusqu au

matin mon esprit fut occupé par cette affaire et par ce

qu’il me fallait faire. En dehors du fait qu’elle était la

fille de Talaghani, je ne savais rien de Azam

Talaghani, ni du cheikh Mehdi qui n’avait eu à ce

jour expressément aucune relation avec le monde

politique. Je ne saisis rien non plus des relations

entre les deux personnages.

Page 89: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

89

Le lendemain matin, j’allai chez ma

soeur Mansourah pour lui demander conseil et lui

racontai mon aventure de la veille. Je lui dis que

d’avoir rencontré Azam Talaghani dans la maison du

cheikh Mehdi ne m’avait pas plu et que j’aurais

préféré la voir dans la maison d’un malheureux.

Elle me demanda ce que je pensais de la

proposition de travail du cheikh Mehdi. Je lui

répondis catégoriquement que la combinaison de ces

deux personnages ne me plaisait pas, que je les

rejetais tous les deux, que je ne voulais pas être un

pion entre leurs mains et que je resterai dans mon

métier d’enseignante.

Ma soeur Mansourah me dit alors :

« Ton sentiment est certainement très juste et ils

veulent utiliser ta popularité dans la ville, en

particulier chez les jeunes, pour la réalisation de leurs

objectifs ». A ce moment, j’avais grande envie d’en

finir avec cette affaire. Je l’interrompis de bon coeur

et de manière enfantine en lui disant : « Il serait donc

bon que je refuse ? » Immédiatement elle me dit non

et continua : « Tu dois accepter la seconde

proposition ». Je lui demandai pourquoi. Je craignais

Page 90: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

90

dans ce système d’avoir le sentiment de ne pas être

dans mon élément, de devenir un moyen, de devenir

aussi l’un des leurs, et cela, je ne le voulais pas.

Mansourah me répondit : « Non, si tu as

un objectif et si tu acceptes de faire ce travail pour

atteindre cet objectif particulier, tu vas concentrer tes

efforts sur cette réalisation, et le résultat sera que tu

ne seras aucunement un moyen pour eux, mais au

contraire, dans ton entourage tu laisseras une trace

plus positive encore ». Ses paroles, encore que je

n’en comprisse pas entièrement le sens, me

paraissaient logiques.

Je lui répondis : » Toi qui me connais, tu

sais bien que si, j’entreprends une affaire j’irai

jusqu’au bout .Il est alors préférable que je ne prenne

pas de telles fonctions. Il ne m’arrivera pas même un

seul jour d’affronter ce peuple et les enfants de notre

ville que j’aime tant.

Elle me dit alors : « Non, et c’est bien la

raison pour laquelle il faut que tu acceptes le travail à

la Société des Femmes. Car si tu refusais cette

fonction avec toutes les possibilités qu’elle offre au

service des gens démunis de notre province, tu les

Page 91: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

91

mettrais en position de choisir quelqu’un parmi les

leurs, de prendre toutes les choses en main et de

mettre en oeuvre leurs idées usées et rétrogrades à

l’encontre de l’intérêt du peuple, alors que toi, tu

pourrais les retoucher au bénéfice des gens et des

femmes privées de droits que tu aimes tant ».

Je lui répondis : « Mais mon objectif, qui

était le renversement du chah est maintenant atteint.

Je ne pourrai désormais mener une vie tranquille

avec maman et je vais entrer dans un travail

essentiellement politique ».

Elle eut un sourire, et entreprit avec

patience, pendant deux heures entières, de m’amener

à accepter le poste, tant et si bien que par ses paroles

et ses raisons logiques, elle me persuada que pour la

révolution, et pour la liberté, il me fallait accepter de

prendre la responsabilité de la Société des Femmes.

A la fin de cette conversation, j’étais

ébranlée, et en définitive, je lui donnai mon accord,

et téléphonai à Azam Talaghani pour lui annoncer

que j’acceptais le travail pour les femmes. Elle me

pria alors d’aller la voir pour me donner des

explications nécessaires.

Page 92: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

92

Je la rencontrai le jour même. Les

explications sans queue ni tête qu’elle me donna et

qui montraient qu’elle n’avait aucun objectif clair

pour sa Société des Femmes de la Révolution

islamique me donnèrent plutôt le tournis. Elle me

remit un gros trousseau de clés, celles du siège de

la Société des Femmes, laissé en place par Achraf

Pahlavi9 et dont elle avait hérité.

Elle me dit : « Je vais m’installer dans

cette administration où je vais continuer les actions

antérieures jusqu’à ce que de nouveaux ordres me

soient transmis ». C’est de cette manière, consciente

de ma contradiction, que j’entrai dans le système du

nouveau gouvernement des mollahs.

Une séparation inoubliable

Les vacances de fin de l’année étaient

terminées, et le jour de la rentrée des classes, je

retournai à l’école pour faire mes adieux aux élèves.

Lorsque je leur communiquai ma décision de partir,

9 NdT : La sœur du chah

Page 93: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

93

l’école fut entièrement chamboulée et les slogans se

répandirent dans toute l’enceinte de l’école du 17

Charivar. : « Ou toi, ou la mort... », »Nous ne

voulons personne d’autre que toi ».

Mes efforts pour les faire taire restèrent

sans résultat, et sur la recommandation du directeur

de l’école, je quittai les lieux, mais les élèves ne

quittèrent pas les classes et la situation resta confuse

et désorganisée.

Cette confusion se prolongea quelques

jours. Les parents d’élèves, qui m’étaient fidèles et

qui pensaient que les religieux m’avaient fait partir

de l’école en trouvant des prétextes, écrivirent une

lettre de protestation au préfet de la province et au

directeur de l’enseignement. Deux ou trois jours

après cet évènement, le préfet me fit venir et me

donna quelques lettres, en me disant : « Il est de ton

devoir d’aller calmer les filles de l’école ».

Je retournai à l’école pour rétablir l’ordre

et faire cesser les troubles. Je mentionnai que

personne ne m’avait chassée de l’école et qu’il y

avait d’autres tâches importantes qu’il me fallait

initier. Je leur demandai à toutes par mes

Page 94: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

94

explications, de me faire confiance lorsque je leur

affirmais n’avoir pas été expulsée, et de m’aider

ainsi dans mon nouveau travail. Ce désir fut exaucé.

Réponse à une question

Après tout cela, j’entrai dans l’appareil

du nouveau gouvernement, comme chef de service

parmi d’autres dans la province .Je commençai à

travailler avec le préfet et d’autres membres du

Conseil de province, uniquement composé

d’hommes.

Le préfet était le maintenant regretté

Docteur Ali. Je le connaissais depuis mon enfance

pour sa bienveillance et son humanité alors qu’il

exerçait à Khorram Abad et en était le meilleur

médecin. Lorsque mon père tomba malade, c’est lui

qui était venu à son chevet.

Page 95: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

95

Plus tard, il quitta notre ville pour

Téhéran, et j’entendis dire par mon frère qu’il était

chargé de soigner les guérilleros blessés à la prison,

et qu’après la chute du régime du chah, il était revenu

dans le Lorestan au poste de préfet de la province

dans notre ville. Il n’avait évidemment pas oublié

mon enfance et les relations qu’il avait eues avec

mon père et mon frère. Pendant la période de dix huit

mois où nous travaillions ensemble, il me traita

comme un père bienveillant, avec son amabilité

habituelle, et au cours des querelles et des bagarres

que j’eus avec les réactionnaires, il fut pratiquement

toujours de mon côté, sans évidemment le montrer,

et, dans la limite où cela était dans ses possibilités, il

arbitrait toujours les affaires à mon avantage.

C’est dans mes relations avec ce Docteur

Ali que je trouvai en partie la réponse à la question

fondamentale qui avait occupé mon esprit dès les

premiers jours de mon travail à la Société des

Femmes, à savoir dans quel but la direction

Réactionnaire m’avait placée à ce poste.

Lors des affrontements électoraux, un

jour, après une altercation orageuse au Conseil de la

Page 96: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

96

province avec Seyed Fakhralladin Mousavi, directeur

du parti de la République à Khorram Abad, lorsque

tout le monde fut parti, le docteur Ali me dit : » Ils se

disait à quel point il était judicieux qu’on t’éloigne de

la scène des écoles, car tu les tenais toutes et les

enseignants dans tes griffes, et maintenant, comme

du temps du chah, tu leur ravageais la ville. »

Ce fut alors que je me rendis compte de

la raison de l’insistance de leurs contre

révolutionnaires pour que je quitte les écoles, cela

d’autant plus que dans le cours de mon travail à la

Société des Femmes, eux mêmes se rendirent

compte des erreurs qu’ils commettaient dans leurs

choix, et avouaient parfois que, par ma nomination à

ce poste de direction, ils avaient provoqué beaucoup

de dégâts.

Page 97: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

97

Rencontre avec Khomeiny ou

l’escroquerie des femmes

Il ne s’était passé que deux ou trois jours

depuis ma prise de fonction à la Société des Femmes

lorsque la fille aînée du cheikh Mehdi vint me rendre

visite .Je l’avais vue la première fois le soir où j’étais

allée au château du cheikh pour rencontrer Azam

Talaghani.

Après les salutations d’usage, elle s’assit

dans mon bureau, et me dit : « Je suis venue vous

voir au sujet d’une rencontre des femmes avec

l’Imam. Je veux vous en parler ». Puis elle

continua : »Nous voudrions que les femmes de cette

province, comme celles des autres provinces du

pays, organisent un repas pour une entrevue avec

l’Imam ».

Page 98: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

98

Je lui dis immédiatement : « Si vous

organisez un transport systématique et lancez un

appel général, beaucoup de femmes seront

intéressées ».

Elle me répondit qu’elle était de mon

avis, mais que celui de son père était que la Société

des Femmes devait être mobilisée et qu’il

m’appartenait de prendre en charge la responsabilité

de cette affaire.

J’avais saisi la raison pour laquelle elle

m’avait rendu visite. Je marquai une petite pause et

lui dis : « Vous savez vous-même que je n’ai pris

mon poste que depuis quelques jours. Je suis très

occupée, il y a beaucoup de centres de la Société des

Femmes dans les divers départements de la

province qui ont cessé leur activité à cause de la

Révolution et qui n’ont pas encore été ré ouverts. Les

employés et le personnel de ces centres sont pour la

plupart des femmes pauvres, au chômage depuis des

mois, et je passe beaucoup de temps en voyages

dans les différentes régions de la province pour

rétablir l’activité de la Société des Femmes. De ce

fait, je ne suis pas souvent dans la ville pour

Page 99: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

99

m’occuper de ce genre d’affaires » Puis je lui dis

quelle était plus à même que moi d’organiser cette

rencontre, et qu’en cas de difficultés, elle aurait plus

de facilités pour utiliser l’influence de son père.

Son visage se renfrogna. Il était évident

qu’elle ne s’attendait pas à une Réaction de ce genre

de ma part et elle me dit immédiatement « : Mais, est

ce que vous-même ne désirez pas qu’il y ait une

rencontre avec l’Imam ? » Je lui

répondis : « Evidemment si, j’aimerais, mais

accepter la mobilisation dans la situation où je me

trouve est difficile et, il serait vraiment préférable

que quelqu’un d’autre prenne cette responsabilité,

d’autant que régler une telle affaire ne présente pas

de difficultés. »

Elle poursuivit alors : « Evidemment, au

cours de cette rencontre, nous désirons que les

femmes fassent cadeau à l’Imam de leurs bijoux en

or » Moi qui jusqu’à présent pensais que les bijoux

que les femmes offraient à Khomeiny lors de leurs

rencontres avec lui, et que l’on montrait

pompeusement à la télévision, étaient des dons

spontanés de leur part, et je demandai avec

Page 100: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

100

étonnement pourquoi solliciter les gens de cette

manière. « Chacun peut faire à qui il veut le cadeau

qu’il désire lui faire. Il n’est pas besoin de le lui

dire ».

Elle, qui pensait sottement que je n’avais

pas compris quel était son but, commença à

m’expliquer que le Comité des œuvres de l’Imam

avait besoin d’argent pour régler les problèmes des

nécessiteux,….Je lui coupai la parole pour la

congédier. Je lui dis que si notre pays était riche et

que tous nos litiges avec le chah avaient eu pour

objet de répartir cette richesse de façon équitable, il

ne resterait plus de nécessiteux. Que maintenant que

nous avions fait la révolution,et que le chah avait été

renversé, nous désirions dire aux femmes dépourvues

que si elles avaient encore des colliers et des

bracelets du temps du chah, qu’elles les apportent.

Elle se rendit compte que la discussion

avec moi était inutile et n’insista plus. Alors que cet

artifice de brigands des mollahs me mettait en colère

et m’étonnait, elle dit au revoir et partit.

Page 101: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

101

La Société des Femmes de la

Révolution islamique

Je commençai mon travail à la Société

des Femmes qui était un service important et très

compliqué. Dès le début, je reçus l’aide des gens et

en particulier de femmes titulaires en activité et

d’élèves qui, après les heures de travail de bureau,

venaient passer leur temps avec moi et exécutaient

des tâches administratives. Ainsi les travaux

avançaient normalement.

Des ateliers d’apprentissage pour les

femmes et les filles seules et sans soutien, de même

que de nombreuses crèches pour les enfants des

femmes employées ou ouvrières avaient été installées

et mises en service, réparties dans les villes et en

différents endroits de la province.

Je passais tout mon temps à oeuvrer pour

l’extension du nombre des crèches et la mise en route

à Khorram Abad d’un établissement pour la garde

Page 102: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

102

des nourrissons sans soutien, et également son

extension à d’autres parties de la province. Je

réussis, pendant les quelques premiers mois de mon

travail, à obtenir l’autorisation d’ouvrir, dans la rue

du regretté martyr Docteur Ezami d’une crèche avec

possibilités et normes adaptées à la garde des enfants

pour y installer onze bébés de quelques jours à

plusieurs mois dont les mamans étaient sans soutien

ou avaient un travail.

Finalement, la politique d’extension de

crèches et de garderies pour les enfants des femmes

actives, à laquelle je croyais profondément, qui était

une nécessité pour le développement des femmes et

leur plus grande participation à la vie sociale dans la

province, n’était pas compatible avec la politique du

régime de Khomeiny qui, dès le début, avait pour

objectif de laisser toutes les femmes à la maison.

Pour cette raison j’eus beaucoup de

désaccords et d’accrochages avec les réactionnaires

dans l’exercice de mon métier, avec parfois des

luttes et des entraves dans le développement de mes

affaires, exercées par les partisans du retour en

arrière.

Page 103: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

103

Evidemment, dans ces différends et

jusqu’à mon départ, j’eus toujours le soutien du

préfet et de ses adjoints, qui étaient des intellectuels

que je contraignais à me suivre, et qui, à la fin, étant

de mon côté agissaient dans ces occasions

habituellement à mon avantage.

L’une des divergences de vue concernait

le contrôle de la prostitution qui, après l’incendie des

maisons de tolérance de Khorram Abad et la victoire

de la révolution, s’était développée pour les

matraqueurs et les voyous mercenaires qui

vagabondaient dans la ville.

Moi, je voulais prendre ces

malheureuses laissées pour compte par le régime

pourri du chah et qui n’avaient plus aucune

protection dans la république anti islamique de

Khomeiny sous la protection de la Société des

Femmes. Je souhaitais créer des classes de

différentes formations professionnelles et essayer de

trouver des solutions leur permettant de vivre en

gagnant leur pain. Des Iraniens revenus d’exil en

Irak, menaient apparemment une guerre sainte sous

la responsabilité d’une crapule liée au régime et

Page 104: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

104

portant le nom d’ « ingénieur des turcs ». Celui ci prit

bientôt la tête des porteurs de matraque et eut des

responsabilités dans les différents cabinets de la

Réaction, en particulier au ministère de la guerre et

au ministère des transports. Concernant les

prostituées il avait des désirs d’organisation

différents pour régler les problèmes

A la suite de quelques inspections que je

fis chez des concitoyens ayant subi des injustices, je

constatais la situation très regrettable de leurs

femmes et de leurs filles, et en particulier les

problèmes liés des l’attaques nocturnes des pasdarans

contre des filles jeunes et à leur viol, je dus affronter

les mercenaires et les hommes de main du régime

dans la province.

Outre ces affrontements passagers,

l’opposition des mollahs à l’extension du nombre des

garderies d’enfants était constante. Ils disaient

qu’elles encourageaient les femmes à travailler à

l’extérieur et que ceci était une faute, car il fallait que

les femmes ne s’occupent que de la cuisine et de la

garde des enfants à la maison. Dans tous ces

affrontements, petits ou importants, l’armée de

Page 105: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

105

métier, les miliciens et le parti exerçaient sur moi une

pression collective derrière laquelle il y avait bien sûr

le cheikh Mehdi, et le chef du parti de la République.

J’étais cependant soutenue par le préfet et ses

adjoints, la préfecture de police et les directeurs

généraux des administrations de la ville.

Généralement, après les manifestations,

le docteur Ali, bienveillant et compatissant me

donnait des conseils en me disant que j’étais jeune,

que je manquais d’expérience et qu’en raison du fait

que c’est eux qui avaient le pouvoir, je ne pouvais

pas agir toute seule ....Généralement, quand je me

trouvais dans ces situations, je gardais le silence par

déférence pour lui.

Interdiction de recruter

Juste après le vote dans les premiers

jours du mois d’avril 1979, des lois contraires à

Page 106: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

106

l’intérêt du peuple par le Conseil de la révolution des

mollahs dont le président était Béhechti, exécuté

depuis, vote qui eut lieu une loi interdisant le

recrutement dans les administrations de l’Etat fut

ratifiée. Cette loi fut à l’origine de l’un de mes

grands combats contre les mollahs.

Conformément à cette circulaire, toute

forme de recrutement direct ou par contrat était

interdite. Cette loi était peu compatible avec mon

activité, qui consistait à solutionner les difficultés

rencontrées par les gens démunis et plus

spécialement les femmes sans soutien, en passant

par l’apprentissage et en allant jusqu’au recrutement

avec l’assurance pour elles de trouver un travail ; ce

qui était contraire aux dispositions de cette loi. Sans

me préoccuper de celle ci, je procédai à l’embauche

de quelques personnes, principalement des femmes et

des filles seules et livrées à elles mêmes.

L’une de ces femmes, la Modjahed

future martyre Masoumah était satisfaite que sa vie

soit devenue une épopée. Je dus lui demander de

moins manifester sa joie.

Page 107: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

107

Masoumah la brave

C’était dans le milieu du mois d’avril

1979. Un jour, je m’apprêtais à prendre mon petit

déjeuner dans mon bureau lorsqu’on frappa

doucement à la porte de la pièce. J’invitai à entrer, la

porte s’ouvrit et une jeune fille, de seize à dix sept

ans, très maigre et le visage blafard, entra. Je lui

demandai : « Vous voulez manger ? » et elle me dit

avec simplicité : « Oui, j’ai très faim ». Nous

commençâmes à manger .Elle se présenta sous le

nom de Masoumah Rezahi, et me dit : « Je suis

venue d’Ispahan. Je suis à la recherche d’un emploi,

et l’un des habitants de votre ville à qui j’ai été

présentée m’a conseillée de venir vous voir, en

m’assurant que vous me trouveriez du travail ».

Je lui demandai avec étonnement,

pourquoi elle n’allait pas à l’école et pourquoi elle

cherchait du travail. Elle répondit qu’elle n’allait pas

à l’école, mais, « quand j’aurai un travail, je suivrai

en plus des cours et je passerai en individuel les

Page 108: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

108

examens de fin d’année pour entrer en classe de

dixième dans un lycée ».

Masoumah, sans plus attendre mes

questions, se mit à me parler spontanément de

l’étonnante histoire de sa vie : Habitant Afarineh,

village voisin de Khorram Abad, elle était seule

depuis cinq ans que son père était décédé. Cette mort

les laissa sans ressources elle, sa mère, trois soeur et

un frère moins âgés qu’elle.

La mère de Masoumah, qui était jeune et

sans abri dans le village, s’était remariée avec le

grand oncle des enfants, qui avait lui même femme et

enfants suivant une tradition ancienne dans les

villages du Lorestan qui veut que les femmes, après

la mort de leur mari, et en particulier lorsqu’elles ont

des enfants en bas âge, soient habituellement

contraintes de prendre pour époux le frère du mari

mort.

Avec ce mariage commença une vie

pénible pour Masoumah et les autres membres de la

famille. Elle, qui était une enfant de cinq ans fut

obligée de faire un travail très dur, à ramasser des

Page 109: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

109

reines- claudes dans les champs des cultivateurs pour

aider sa mère.

Comme nous habitions une région

chaude, elle et sa mère étaient obligées de se mettre

au travail bien avant le lever du soleil, pour être en

mesure de se reposer à la maison pendant la partie

torride de la journée.

Pendant qu’elle racontait les souvenirs

amers de sa jeunesse, le visage de Masoumah s’était

décomposé, et elle continua : « Durant cette période

de ma vie, chaque jour, nous faisions le trajet de la

maison jusqu’aux champs comme dans un état de

rêve, et je n’ouvrais pas les yeux de tout le chemin ».

La petite Masoumah fut obligée, à l’âge

de sept ans, de devenir l’élève de la seule couturière

du village, en dehors des heures de classe pour

gagner l’argent des dépenses de son Alimentation et

celle de ses frère et soeurs.

Elle n’avait que neuf ans quand elle fut

contrainte d’arrêter ses études, car l’entrée à l’école

de son frère et de ses sœurs accroissait les besoins

d’argent. Elle partit de son plein gré et alla à Ispahan

Page 110: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

110

chez une personne apparentée où pendant un certain

temps, elle travailla dans la maison.

Quand elle eut onze ans, elle fut

embauchée dans un atelier comme ouvrière, où elle

effectua un travail lourd et pénible jusqu’à l’âge de

16 ans. Un jour, dans la circulation de Ispahan,

pendant le trajet de son domicile à son travail qui se

trouvait à l’extérieur de la ville, elle fit l’objet de

violences de la part d’un conducteur.

Ayant un genre de vie très dur pour son

âge, elle était une fille très brave et courageuse. Elle

réussit à se sortir des griffes de ce chauffeur agressif,

mais par crainte de la répétition de situations

identiques qui l’auraient conduite à perdre toute

espérance en la société, elle ne resta pas plus

longtemps à Ispahan.

Elle était maintenant revenue à Khorram

Abad pour y trouver un travail convenable et sur le

conseil d’un habitant de la ville, elle était venue me

voir pour que je lui procure une place.

Après avoir entendu le récit de la vie

amère et touchante de cette jeune fille qui, dès le

premier contact, et bien que ne la connaissant pas,

Page 111: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

111

m’avait paru intelligente et digne de confiance, je

pris immédiatement la décision, en dépit de la loi

d’interdiction de recruter du Conseil de la révolution

des religieux, de l’embaucher pour effectuer des

travaux d’administration comptable.

Je lui fis donner une formation par l’un

de mes collègues de travail, un homme très

bienveillant et comptable expérimenté de l’une des

administrations du gouvernement qui effectuait à

l’occasion des travaux comptables pour la Société

des Femmes. Elle fut, dans un délai très court de

deux mois, chargée de la responsabilité comptable de

cette Société.

En raison des lois interdisant le

recrutement, elle ne put, après son embauche,

recevoir de salaire. Je lui donnais donc chaque mois

une partie du mien et je quittai le logement de

fonction (appartenant à l’Etat) mis à ma disposition

au titre de directrice de la Société des Femmes pour

le lui céder, moi même louant une autre maison en

ville.

Dans ces conditions, elle put même faire

venir ses jeunes frère et soeurs de leur village

Page 112: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

112

Khorram Abad, et prendre la responsabilité de leur

surveillance.

Elle y vécut avec eux jusqu’au mois de

septembre 1981, date à laquelle elle fut obligée de

quitter la ville de Khorram Abad pour vivre dans la

clandestinité, et ne cessa, pendant cette courte

période, de leur donner toutes les possibilités de bien

être et d’étude.

Le recrutement de Masoumah, et pour

ainsi dire la connaissance que je fis d’elle, qui au

début n’était pas une personne politique, mais qui, en

un temps très court se transforma en une militante

sérieuse des Modjahedines, furent l’un des

évènements les plus exaltants et les plus agréables de

cette période, et qui restera toujours dans ma

mémoire. Je ne peux pas oublier que pendant ces

deux années de luttes politiques, l’image de cette

femme courageuse et dévouée m’a apporté une aide

précieuse et déterminante en qualité de Modjahed

dans mes manifestations contre la Réaction.

L’héroïne Masoumah, après mon

expulsion de la Société des Femmes et mon départ

forcé de Khorram Abad resta dans la même fonction

Page 113: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

113

de comptable jusqu’à ce que, au début des luttes

clandestines de l’année 1981, elle détourne du régime

une importante somme de sept millions de tomans au

profit de la révolution, le huitième jour du

témoignage du martyr Ali Akbar Ghazi, en utilisant

son nom.

Durant cette période, l’héroïne

Masoumah, surveillait avec soin ses deux soeurs et

son frère, qui sans elle sont maintenant restés sans

soutien et ont été obligés par la ville de Khorram

Abad de partir et vivre cachés, de manière très

dangereuse..

C’est pourquoi après le détournement de

sept millions de tomans qu’elle fit, le régime des

religieux diffusa pendant trois jours sa photographie

à la télévision dans tout le territoire. Puis sa

photographie fut placardée et le régime demanda

avec insistance aux habitants de toutes les villes

d’Iran de la retrouver et de la livrer aux forces

mercenaires des pasdarans.

Après son départ de Khorram Abad,

Masoumah vécut une période très dure, comme les

femmes ayant choisi de vivre pour la liberté,

Page 114: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

114

soutenue par l’amitié du noble peuple de l’Iran qui

l’aida à de multiples reprises à échapper aux griffes

des agents sanguinaires de Khomeiny et des autres

religieux du même acabit.

Après cinq années de vie clandestine en

Iran, et des jours très durs passés en exil dans

différentes villes du pays, activement recherchée par

les mercenaires du régime religieux, elle put, en

1986, avec l’aide de courageux frontaliers, quitter le

territoire du Kurdistan avec son mari et ses deux

enfants et gagner l’Irak. Finalement elle accomplit

encore de grands exploits, jusqu’à sa mort en martyre

par les agents de la Réaction au mois d’août de 1988.

La Modjahed martyre Masoumah

disparut très jeune, laissant trois enfants, dont un de

sept ans, qui se trouvent maintenant dans un pays en

Europe où ils poursuivent leurs études. Que son

souvenir nous soit cher.

L’expulsion des Bahaï

Page 115: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

115

Un autre de mes différends concernait

une loi votée par le Conseil de la révolution des

mollahs, selon laquelle tous les fonctionnaires

appartenant à la religion Bahaï devaient être

révoqués des administrations gouvernementales.

J’avais bataillé contre le régime au sujet

de cette loi et ce fut finalement l’accusation

essentielle qui conduisit à ma condamnation à mort.

Contrairement aux dispositions de cette

loi, je n’avais pas congédié deux jeunes soeurs de

religion Bahaïï, qui étaient parmi les meilleures

éducatrices d’ ouvrières pour la garde des enfants et

qui n’avaient pas tardé à jouir de l’attachement des

enfants et de la considération de leurs mamans.

J’informai qu’en raison du besoin pressant

d’éducateurs spécialisés, je n’étais pas d’accord pour

en licencier, et que personnellement, je ne

considérais pas que les congédiements pour motifs

religieux soient convenables car contraires à l’esprit

de la liberté.

En fin de compte, grâce au recueil des

signatures et des témoignages des familles d’enfants,

et à la menace, si les personnes en question venaient

Page 116: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

116

à être renvoyées, d’un mouvement de protestation de

la part des femmes employées dans les services

administratifs de l’Etat, je parvins, tant que je

conserverais la responsabilité de mon service, à

prévenir tout licenciement.

Evidemment, j’ai bénéficié, pour ces

engagements contre les réactionnaires, de l’aide des

habitants, et plus particulièrement des femmes

courageuses de Khorram Abad. Lors de ma

condamnation à mort, le régime des mollahs ajouta

sur mon casier judiciaire un autre crime : la

collaboration avec les Bahaï.

L’engagement le plus fondamental

En réalité, le plus important engagement

que j’eus avec la Réaction fut l’affaire des

Page 117: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

117

Modjahedines. Les réactionnaires savaient

pertinemment que je n’avais aucune animosité envers

eux, et que l’espace qui nous séparait s’amenuisait de

jour en jour par les contacts que je nouais

quotidiennement avec eux, dont le programme dès la

victoire de la révolution et contrairement au régime

de Khomeiny, faisait une place spéciale aux femmes.

D’autre part les actions de pression sur

les Modjahedines, exercées par le cheikh Mehdi, en

qualité de meneur de la Réaction dans notre province

et ses porteurs de gourdins avaient commencé au

lendemain même de la victoire de la révolution et

avaient rapidement inquiété les gens et les familles

de ces Modjahedines.

Mon engagement fut tel que j’étais la

seule femme qui, pendant le déroulement de la

révolution contre la monarchie avait de façon

publique invité les gens à renverser le régime du

chah, et que, à chaque mouvement anormal de la

Réaction dans la province, j’en étais aussitôt

informée, en particulier par les femmes, qui faisaient

l’objet d’agressions.

Page 118: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

118

A chaque attaque, à chaque bastonnade,

les familles et les mères des personnes blessées ou

mises en état d’arrestation s’adressaient à moi, se

plaignaient et me demandaient ce qu’était devenue la

révolution et où était partie la liberté

Durant cette période là, je pouvais

seulement m’opposer à ces actions anti humanitaires

et contraires à l’Islam, dirigées contre les partisans

de la liberté et de l’Islam, par des tracts

intitulés « La croyance à la religion n’est pas

obligatoire » et par des interventions à la radio. Je

faisais également des conférences de presse dans les

média de la province, et incitais à la persévérance et

à la résistance contre les cogneurs. Parfois même,

j’exprimais mon point de vue sous la forme d’articles

ou en écrivant des tracts de protestation dans les

journaux du matin.

Les premières bastonnades...

Page 119: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

119

A la suite de l’assassinat en avril mai de

1979 de Mathari, le grand idéologue des mollahs par

un groupe portant le nom de Forghan, une grande

manifestation fut organisée dans la ville pour

condamner cet assassinat. Le mouvement des

Modjahedines y prit part.

Au coucher du soleil, comme je venais

de rentrer à la maison après cette manifestation, il y

eut un appel téléphonique. C’était le futur martyr

Mohammad Ali Iahiavi, responsable du mouvement

des Modjahedines. Il me dit précipitamment : « Dans

les environs du siège, il y a des signes montrant que

les cogneurs nous ont encerclés et se préparent à

porter une attaque contre notre local ». Je lui

demandai ce que je pouvais faire. C’était l’heure de

fermeture du bureau du mouvement, et je ne pouvais

aller chez lui. Il me dit qu’il ne me serait pas de

difficile de me rendre rapidement sur les lieux.

Il convient de mentionner ici qu’en

raison de la pression exercée par la Réaction et par

mesure de prévention des rumeurs de mauvaises

moeurs portées contre les Modjahedines répandues

Page 120: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

120

par les réactionnaires dans d’autres villes, l’entrée de

femmes dans les bureaux du mouvement à Khorram

Abad avait été limitée à partir du coucher du soleil.

Pourtant ce soir là, je rejoignis

rapidement le mouvement. Des cogneurs étaient

dispersés autour du bâtiment. Comme je n’étais pas

connue, j’entrai par une porte de derrière. J’étais à

peine arrivée que l’attaque commença. Les

responsables du mouvement me confièrent les livres

et les documents, et je me rendis dans le local du

central téléphonique, dont je fermai les portes sur

moi, pour téléphoner aux familles et au préfet.

Je dis au préfet que j’étais prisonnière en

cet endroit. Lui qui, à ce jour, ne connaissait pas

l’étendue de mes relations avec le mouvement fut

dans un premier temps choqué et me demanda ce que

je faisais là à une telle heure, me disant que si j’y

étais vue, ce serait dangereux pour moi . Je lui

répondis qu’il avait raison, mais que c’était pour

prévenir toute effusion que j’y étais venue

rapidement, car si ces individus armés

s’introduisaient dans les locaux, ils feraient couler le

sang.

Page 121: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

121

A la suite de mes explications, il se calma

un peu et me donna raison. Il me conseilla de

m’efforcer de n’être pas reconnue jusqu’à ce qu’il

envoie quelqu’un pour me sortir de là.

Environ un quart d’heure plus tard, il me

rappela et me dit qu’il envoyait deux fonctionnaires

avec deux voitures, et pendant que l’un occuperait les

assaillants, je sortirais par la porte arrière avec la

seconde voiture. Au moment où je sortais, je vis les

cogneurs entrer de tous côtés dans le bâtiment.

Aussitôt sortie de là je me rendis

directement auprès du préfet. J’étais complètement

hors de moi et, irritée, je ne cessai de lui dire : « Il

vous faut faire quelque chose, il ne faut pas que vous

laissiez ces crapules fouler la liberté aux pieds ».

Les familles des partisans du

mouvement, informées par téléphone de l’attaque,

vinrent apporter leur soutien aux Modjahedines et

s’étaient rassemblés autour du siège du mouvement.

Les voyous assaillants, issus de la lie de la société,

furent effrayés et plièrent rapidement bagage,

quittant provisoirement les lieux.

Page 122: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

122

Les familles restèrent jusqu’à minuit

pour garder le bâtiment, et ce n’est que sur la

recommandation du responsable du mouvement

qu’ils partirent. Mais après le départ de ces familles

une armée de mollahs, ayant appris que l ‘attaque de

leurs mercenaires était restée sans résultat,

montrèrent leur véritable visage et montèrent

officiellement à l’assaut du mouvement, rouant de

coups violents les membres restés dans les locaux,

au total dix personnes, qu’ils arrêtèrent et

emmenèrent en prison

Un étalage inique des mollahs

Page 123: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

123

Le lendemain de l’attaque du siège du

mouvement des Modjahedines, le visage de la ville

de Khorram Abad refléta l’indignation et parmi ceux

dont le coeur battait pour la liberté, beaucoup

ravalèrent leur rage.

Les familles se réfugièrent au palais de

justice. Le préfet convoqua une réunion de sécurité

de la province, à laquelle assistèrent les représentants

de la Réaction qui, ignorant que lors de l’attaque du

mouvement, je me trouvais à l’intérieur du bâtiment,

croyaient pouvoir raconter des mensonges et

calomnier les Modjahedines de façon inique.

Chacun d’entre eux tenta de se mettre en

valeur par ses mensonges. L’un affirma que l’on

avait découvert dans les locaux une quantité

importante de pilules abortives. Un autre déclara que

l’on avait trouvé des cartons entiers de revues

pornographiques. Mais dans ce type de mensonges,

les sommets furent atteints par le chef de l’armée

lorsqu’il déclara avec beaucoup

d’emphase : « Lorsque j’arrivai sur les lieux pour

faire sortir les assaillants, j’ai vu une femme avec

Taghi Saket, (numéro deux des Modjahedines) qui

Page 124: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

124

se trouvaient dans la salle de bain et que les autres

firent s’enfuir dans une Jeep blanche. »

L’exposition de ces infamies m’était

insupportable, et me rongeait intérieurement.

L’inquiétude gagnait à chaque instant le visage du

regretté docteur Ali qui surveillait mes réactions.

Finalement, je réussis à écouter ces

mensonges et ces vilenies sans sortir de mes gonds.

Mais à la fin de la réunion, je dis cependant au

préfet : » Docteur, vous avez certainement compris

que cette femme, c’était moi, et que l’endroit où

j’étais cachée et où votre fonctionnaire m’a vue était

le central téléphonique et non la salle de bain ».

Une popularité inégalable

Page 125: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

125

L’occupation du palais de justice par les

familles se prolongea durant une semaine environ,

jusqu’à la remise en liberté complète des personnes

arrêtées, semaine pendant laquelle des vagues de

sympathisants et de curieux se mobilisèrent pour la

défense des libertés violées. D’une certaine manière,

ce fut pour le mouvement des Modjahedines une

publicité sans pareille, et l’augmentation du nombre

des partisans du mouvement dans notre ville en

moins de deux mois à partir du début de cette affaire

fut remarquable.

Chaque jour, la population de la ville

fournissait aux familles des personnes arrêtées

plusieurs fois autant de repas que nécessaire, qu’elle

apportait sur place. Parallèlement, de nombreux

employés du palais de justice partageaient leur

déjeuner avec les occupants.

Le soutien populaire aux familles, ainsi

que la fourniture de repas et de commodités étaient

tellement importants que les responsables et les

habitués du mouvement furent obligés d’établir un

programme détaillé de collecte et de répartition des

Page 126: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

126

aides reçues entre les partisans pour éviter

l’accumulation des vivres et autres dons et faire

obstacle à tout détournement.

Les déclarations de soutien aux

Modjahedines se multipliaient jour après jour. Toutes

les corporations, les groupes, en provenance de

toutes les couches de la population de Khorram Abad

et aussi des autres villes de la province, informées

par des publications d’avis, de l’attaque sauvage dont

les agents de police s’étaient rendus coupables,

apportèrent leur assistance aux occupants du palais

de justice.

En raison de ce soutien croissant le

régime fut contraint en définitive de libérer les

Modjahedines arrêtés. Mais sous prétexte que le

bâtiment du mouvement était un édifice de l’Etat,

confisqué en son temps, on ordonna aux

Modjahedines d’évacuer les lieux. Le mouvement fut

alors transféré dans un autre édifice, au Carrefour

des martyrs.

Depuis lors, la maison de chaque

sympathisant des Modjahedines de la ville devint un

siège du mouvement en soi et chaque individu

Page 127: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

127

devint un sympathisant du mouvement. En raison de

la confiscation des possibilités d’impression du

mouvement, les femmes et les filles des adhérents, et

en particulier la Modjahed martyre Masoumah Rezaï

et ma sœur Mansoureh, qui travaillaient avec moi à la

Société des Femmes, étaient chargées de l’édition et

de la duplication des publications du mouvement en

dehors des heures de bureau, sous la conduite du

martyr Ali Akbar Ghazi qui, à cette époque était

responsable des publications et des éditions locales

des Modjahedines.

Le 15 juin 1979, alors que l’occupation

protestataire du palais de justice par les

Modjahedines se poursuivait encore, la radio et la

télévision de la province diffusèrent un entretien avec

moi au sujet de l’anniversaire du martyre des

fondateurs du mouvement.

Lors de cette interview, je fis allusion à

l’attaque contre le siège des Modjahedines et

l’occupation du palais de justice, disant que de telles

actions avaient peu de rapports avec l’Islam et la

religion. Juste après cela une vague de soutien aux

Modjahedines occupants se répandit dans la ville. Par

Page 128: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

128

ailleurs je reçus au travail et à la maison un grand

nombre d’appels téléphoniques de menaces.

Le 19juin 1979, jour anniversaire du

regretté docteur de la loi religieuse Ali, je qui pris la

parole au stade Takhti de Boroudjerd, et mon

discours commença par un verset du Coran.

A la fin de mon allocution, Khollami, le

sous- préfet de Boroudjerd, me lança un regard

significatif, voulant dire : « J’ai bien reçu votre

message ». Lorsque je rentrai de Boroudjerd à

Khorram Abad, je fus stupéfaite d’apprendre que le

soir précédent, le policier Tarkan, chef du djihad,

avait envahi mon lieu de travail à la tête d’un groupe

d’agents de police armés et avait perquisitionné les

locaux.

Opposée à de telles opérations, je

présentai au Préfet une demande de réunion urgente

pour l’examen de cette affaire. Au cours de cette

commission, Tarkan pour expliquer les raisons de

l’attaque des locaux où je travaillais, dit : « On nous

avait rapporté que la nuit, dans les locaux de la

Société des Femmes, des personnes appartenant aux

Modjahedines utilisaient le matériel d’impression et

Page 129: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

129

de reproduction du bureau pour la publication de

leurs propres documents ».

Pendant cette période, l’accroissement du

nombre d’attaques et d’agressions contre les

Modjahedines et les jeunes de la ville qui diffusaient

leurs publications, entraînait celui des heurts entre la

Réaction et moi-même. Dans les réunions avec le

préfet, j’étais devenue de facto le porte parole des

familles et de ceux qui chaque jour, faisaient l’objet

de coups et de sévices de la part des cogneurs. Et cela

d’autant plus que je croyais vraiment que ces

méthodes n’avaient rien à voir avec l’Islam, qu’elles

constituaient une violation de la liberté et

conduisaient à de nombreuses effusions de sang.

Lors de ces débats, les discussions et les

luttes avaient généralement lieu entre moi d’un côté,

et le chef du parti de la république, les mollahs et

l’armée de l’autre.

Page 130: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

130

Une bataille visible sur un champ de

bataille invisible

La Société des Femmes, dont l’activité

avait maintenant été comprise par la population

pesait énormément désormais dans la lutte que se

livraient dans la province la Réaction et la Contre-

Réaction.

Dans la ville, quiconque était contre les

cogneurs essayait d’obtenir mon soutien ou celui de

quelqu’un agissant dans le champ de mes

responsabilités, mais les polémiques avec la

Réaction devenaient incessantes, qu’elles soient

cachées ou publiques.

La Société des Femmes s’était

développée et disposait d’un effectif de plus de cent

personnes au niveau de la province. Elle possédait

cinq agences dans les villes de la province, cinq

centres principaux de garde d’enfants, des dizaines

de classes d’apprentissage et de cours d’adultes pour

les femmes et les filles démunies des villes

dispersées dans les arrondissements proches ou

lointains de la province. Certainement, cette

Page 131: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

131

extension ajoutait encore aux querelles quotidiennes

avec les réactionnaires.

En ces jours là, mon esprit était

entièrement occupé à mettre en oeuvre une tactique

visant à neutraliser les complots. Naturellement ces

actions me rapprochaient chaque jour des

Modjahedines, car dans cette rude bataille, j’avais

besoin d’eux et je ne pouvais plus continuer seule à

me heurter à la Réaction, dont la pression s’exerçait

sur moi, femme jeune et manquant d’expérience dans

ce domaine, d’une façon que je trouvais parfois

pénible.

Ces pressions se faisaient

particulièrement sentir au cours des

réunions chez le préfet. Elles avaient commencé par

des attaques quotidiennes, et continuaient par

d’autres agressions de la Réaction, et plus

particulièrement de la Djihad de la Reconstruction,

sous la présidence du pasdar Turkan, qui était à

l’avant garde des cogneurs dans la ville. Ils

m’importunèrent jusqu’à l’épuration et mon

expulsion de la Société des Femmes, prononcée en

même temps que ma condamnation à mort.

Page 132: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

132

En de février mars 1979, en raison de

l’approche des élections des députés du Conseil

national et de ma candidature, la Réaction donna des

ordres pour m’expulser de la Société des Femmes.

Pour la même raison, elle lança, en plein jour, une

attaque armée contre les centres de formation et les

bureaux, parmi lesquels ceux de la succursale de la

Société des Femmes de Boroudjerd, et de ses

garderies d’enfants, qui furent fermées.

Lors de cette action armée, un grand

nombre d’enfants, en train de se reposer, furent

choqués et en perdirent l’usage de la parole. Le

bâtiment de ce centre fut depuis utilisé par l’armée et

les recrues de Boroudjerd. Le représentant du préfet

pour cette ville, le mercenaire Khollami, prit

personnellement part à cette violence.

A la suite de cette attaque sauvage, très

dommageable pour les gens, nous organisâmes, pour

venir en aide aux femmes employées ou ouvrières

dans toutes les villes de la province et plus

particulièrement celles de Boroudjerd, ainsi qu’aux

familles des enfants concernés, nous organisâmes

Page 133: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

133

une grande manifestation devant les locaux du

gouvernement de la ville.

Et cette fois, en raison de notre

persévérance, la Réaction fut finalement obligée de

faire machine arrière. Sous prétexte que l’armée avait

un besoin urgent des locaux, elle me proposa un

autre lieu pour y installer les garderies et les bureaux

locaux de l’administration de la Société des Femmes.

C’est ainsi que la question fut réglée, et, pendant

tout le temps où je dirigeai le service, la Réaction

n’eut plus à aucun moment le courage d’investir les

centres d’accueil de la Société des Femmes.

Page 134: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

134

La fête du « Premier Mai »

Pendant les deux mois qui suivirent

l’établissement du mouvement dans Khorram Abad,

et bien que ma sympathie et ma reconnaissance à

l’égard des Modjahedines soient très grandes, je

n’étais pas encore apparue en public au mouvement.

Le soir du 30 avril 1979, l’un des

responsables du mouvement à Khorram Abad me

téléphona pour m’inviter à participer aux cérémonies

de la fête des travailleurs, au siège du mouvement. Je

fus très heureuse de cette invitation, et le lendemain,

ma mère et moi fûmes presque les premiers hôtes

présents à cette fête.

Il y avait beaucoup de monde. Avant

d’entrer dans le bâtiment, j’observai dix ou douze

garçons et adolescents avec un certain nombre de

jeunes barbus, rassemblés à l’extérieur de l’édifice

du mouvement, et opposés au programme de la

journée des travailleurs organisé par le mouvement,

disant qu’il était établi en liaison avec les

communistes !

Page 135: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

135

Je remarquai que leur groupe n’était pas

familiarisé avec la fête du premier mai et qu’ils

étaient payés pour troubler cette fête. Je leur

expliquai ce que représentait le premier mai et la

mauvaise utilisation que les ennemis de la

Révolution faisaient d’eux, dans le but d’affronter les

Modjahedines. Désemparés, ils acceptèrent de partir.

Jusqu’alors, je n’avais été en contact

qu’avec Mohammad Ali Iahiavi, responsable du

mouvement, et son adjoint. Ce fut la première fois

que je rencontrai un autre modjahed permanent du

mouvement de Khorram Abad, Ali Akbar Ghazi.

C’était un homme de frêle stature qui

semblait avoir environ 18 ou 19 ans, ayant des

mouvements très vifs et qui allait d’un endroit à

l’autre pour préparer la sonorisation de la salle.

Plusieurs filles du collège qui se

trouvaient près de moi le montrèrent en protestant et

déclarèrent : « Mais c’est le fils de Ghazi le

réactionnaire, et il tient une grande place dans le

mouvement ? » A la suite de cette protestation,

plusieurs de mes amis se joignirent à elles en

déclarant : « En dehors d’ici, c’est le cheikh Mehdi

Page 136: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

136

qui tient les commandes et ici aussi c’est son neveu

qui prend les choses en main ».

Je ne connaissais pas du tout cet homme,

et leur dis : » Si vous permettez, j’en parlerai avec le

responsable du mouvement ». Après la cérémonie, ce

point étant digne d’être considéré, j’informai

immédiatement Mohammad Ali Ihavi, responsable

du mouvement.

Il me résuma les relations antérieures

d’Ali Ghazi avec les Modjahedines :« Il est opposé

aux actes de son oncle et depuis 1975 il travaille de

près ou de loin avec les Modjahedines. C’est à cette

fête qu’il me fit connaître sa tante, qui était la mère

d’Ali Ghazi. Et c’est cette personne de connaissance

qui six mois plus tard, servit d’intermédiaire pour

mon mariage avec Ali, futur martyr.

Plus tard, c’est sur le conseil du

responsable du mouvement que je décidai, pour

conserver ma situation de travail, de ne pas

apparaître dans le programme général et public des

Modjahedines, et de venir sur place deux fois par

semaine le soir après la fermeture des bureaux du

mouvement pour me tenir au courant des affaires,

Page 137: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

137

poser mes questions et mes doutes sur les livres et

le manifeste des Modjahedines a Mohammad Ali

Iahiavi, futur martyr.

Par cette fréquentation, je constatais que

jour après jour mon attirance pour les Modjahedines

grandissait et que j’étais de plus en plus proche

d’eux. Par ailleurs, les jeunes et les amis qui

m’avaient fait trouver ma voie, maintenant devenus

militants, et qui n’étaient pas au courant des

relations secrètes que j’entretenais avec lui, n’étaient

pas du tout satisfaits de mon absence dans la

réalisation des programmes et dans les activités

publiques du mouvement.

Par affection pour moi, ils essayaient à

toute occasion et de toutes les façons possibles de

m’encourager à prendre part aux activités du

mouvement et d’y apparaître en public.

Certains d’entre eux firent même des

pressions sur moi et me rappelaient continuellement

que j’avais choisi la mauvaise route en devenant

directrice générale, que cette fonction n’avait rien

d’intéressant. Je ne pouvais leur donner l’explication

Page 138: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

138

de mon attitude, et je me trouvais, de manière

sérieuse, sous leur pression.

Evidemment, il va sans dire que leurs

remarques et leurs rappels à l’ordre agissaient sur

moi comme des stimulants et me confirmaient dans

la foi que la voie que j’avais choisie pour tenir tête à

la Réaction était la meilleure, et jour après jour, je

consacrais sous le manteau plus d’énergie, plus

d’argent et plus d’avantages en commodités au

mouvement.

C’est ainsi que le cours de ma vie se

dirigea doucement vers celui des Modjahedines, et se

mêla intimement à lui.

Page 139: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

139

Un mariage dépareillé

Ma rencontre, mon mariage, ainsi que

ma vie commune avec Ali Akbar Ghazi, qui à cette

époque n’avait que 22ans (il était né en 1957) et à la

fin, son exécution qui fut une séparation déchirante,

représentent une durée qui ne dépasse pas deux ans.

Mais ces deux années furent remplies d’évènements

et d’activité politiques dans le début du

gouvernement du bourreau Khomeiny. C’est la

chaîne des évènements de ma vie politique tissée

avec la trame de son souvenir, que j’ai essayé, autant

que faire se peut, de raconter dans le présent livre,

sans toujours entrer dans les détails.

La connaissance plus complète de la

famille des Ghazi qui, jusqu’à cette date, allait de

pair avec la répulsion que je ressentais à l’égard de

Mehdi, le grand homme de cette maison, commença

ce même jour, le2 mai 1979.

Cette connaissance était liée à mon

entourage de Modjahedines, puisque la mère d’Ali

Akbar Ghazi, qui avait une grande réputation auprès

des femmes de Khorram Abad, en était une

Page 140: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

140

militante, et l’amitié née de cet idéal commun entre

elle et notre famille ne cessa de grandir au fil des

jours.

Avec le temps, la pression de la Réaction

sur les Modjahedines qui ne s’occupaient que

d’action politique et de la vente de publications, se fit

plus forte et les militants firent l’objet de persécution

et de sévices de la part des cogneurs.

Ma mère et ma soeur Mansourah, de

même que d’autres femmes de la ville, protégeaient

les jeunes occupés à la vente de publications, et

prenaient part aux accrochages et aux échauffourées

des Modjahedines avec la Réaction. Pour cette raison

même, leurs relations avec les familles des militants

et en particulier avec celle d’Ali Akbar Ghazi,

devinrent progressivement plus étroites.

Par ailleurs, Madame Ghazi, la mère

d’Ali, ainsi que d’autres mères de la ville faisaient en

permanence l’objet des coups de la part des

cogneurs de la Réaction. Elle venait toujours avec

Ali, et Mohammad, son plus jeune fils, pour

protester. Ces rencontres avaient pour conséquence

un rapprochement entre madame Ghazi et moi même.

Page 141: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

141

Deux ou trois mois se passèrent, jusqu’à

ce qu’un soir, rentrant à la maison à la sortie du

bureau, je remarquai, dès mon entrée dans ma

chambre, un paquet cadeau que madame Ghazi avait

apporté pour moi.

Je demandai à ma mère à quelle occasion

ce cadeau avait été remis. Elle se tut prudemment un

instant, puis me dit : « Elle est venue te demander en

mariage pour son fils ».

Je lui répondis que ses deux fils aînés

étaient déjà mariés, qu’ils avaient même des enfants

de 15 ou 20 ans qui prenaient chaque jour des coups

de la part des porteurs de massue et que c’était ma

pauvre personne qui devait aller les faire sortir de

prison.

Ma mère me dit calmement : » C’est pour

son fils qui est Modjahed ».

Je n’étais absolument pas préparée à

entendre une telle chose, je sortis de mes gonds, et lui

demandai ce qu’elle avait répondu. Je

continuai : « Tu lui as dit que je n’étais pas une fille

à me marier avec des hommes de mon âge, et à plus

forte raison avec un enfant qui sent encore le

Page 142: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

142

lait ! ».Et tout en m’emportant, je

rajoutai : « Comment ont ils eu l’audace de faire une

telle demande ? »

Ma mère essaya de me calmer et me

dit : « Maintenant, la chose n’est pas encore décidée

et tu peux lui retourner le cadeau. » Puis elle

ajouta : » J’ai expliqué à madame Ghazi que tu

n’avais pas l’intention de te marier, et que si tu

l’avais eue, maintenant que tu as atteint 28 ans, tu le

serais certainement déjà. Puis elle se tut.

Je lui dis de renvoyer le cadeau le

lendemain et de dire que si elle désirait que je

conserve avec elle nos relations d’amitié, elle oublie

cette affaire pour toujours. Ma conversation avec ma

mère à ce sujet prit fin sur ces paroles.

Près d’une semaine s’était passée depuis

cet évènement lorsqu’un jour, alors que j’étais

occupée dans mon bureau à faire mon travail, le

portier me dit : « Monsieur Ghazi voudrait vous

voir ». Je lui demandai quel Ghazi et il me répondit

Ali Ghazi. Je compris qu’Ali était venu pour me voir,

mais je ne pouvais pas devant le portier lui réserver

un accueil négatif et je lui répondis : « Dites lui

Page 143: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

143

d’entrer ». Peu après, la porte s’ouvrit et il apparut

sur le seuil, la tête basse.

A ce moment, ma soeur, la Modjahed

Masoumah, de même que ma cousine Zohreh,

étaient occupées à des travaux d’impression et de

reproduction de documents pou la Société des

Femmes monothéistes dans l’atelier d’impression du

bureau. En voyant Ali, elles lui dirent que s’il voulait

se familiariser avec les travaux d’imprimerie, on

pouvait donner du travail aux enfants dans l’atelier.

Il répondit que ce n’était pas elles qu’il

voulait voir, mais que si elles le permettaient, il

viendrait leur faire la conversation, puis sans même

attendre la réponse, il entra et s’assit dans l’un des

fauteuils et commença à parler : « La semaine

dernière, ma mère est allée chez vous, et par

l’intermédiaire de votre mère, vous a adressé un

message au sujet duquel je voudrais vous

entretenir ».

De prime abord, je fus très surprise de

voir ce jeune suffisamment effronté pour se

permettre de venir me parler de ce sujet, et je lui

dis : « Oui, j’ai reçu ce message et j’y ai répondu,

Page 144: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

144

j’ai même donné mon point de vue à ce sujet. Il n’y

avait donc aucun besoin que vous vous veniez ici, car

je vous ai donné une réponse ferme et définitive ».

Il redressa brusquement la tête et dit : »

Mais je ne vous ai pas encore parlé ». Et il

continua : « Dans votre esprit, je suis devenu fou,

mais j’ai voulu vous présenter la réalité telle qu’elle

est, pour que vous preniez ensuite votre décision ».

Puis il continua : » Je sais que vous me

considérez comme un enfant, et que ce qui apparaît

dans votre esprit avant toute autre chose, ce sont les

problèmes liés à mon âge. Mais permettez moi de

vous dire que nous sommes tous deux musulmans,

que notre prophète se maria avec une femme de

quarante ans alors qu’il n’en avait lui même que

vingt cinq, car il avait la foi que ce mariage serait une

réussite et que le Seigneur lui donnerait l’aide

voulue, dans la voie qu’il avait tracée... ».

Je ne lui permis pas de continuer son

discours et lui dis avec colère : « Mais vous n’êtes

pas le prophète, et je ne suis moi même pas Hezrat

Khadidjé. Je vous prie de bien vouloir sortir de mon

bureau, et de ne plus jamais remettre les pieds dans

Page 145: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

145

cette administration ». Il dit alors avec

inquiétude : « Alors, qu’en adviendra- t-’il de ces

travaux d’imprimerie ? » Je répondis que par

l’intermédiaire de son frère Mohammad, ou tout

autre qu’il jugerait aussi valable, il pouvait continuer

à faire réaliser ces travaux par les personnes

actuelles.

Après notre conversation, il s’établit un

silence profond pendant quelques instants, et il finit

par dire : « Ce sera comme vous le désirez ». Puis il

se leva, sortit et me laissa à la fois surprise et

courroucée. Ainsi donc, je pensais tout simplement

que cette affaire était désormais complètement

terminée car tout au long de cette demande en

mariage étrange, la première solution utilisée

respectait les us et coutumes en usage en Iran, en

passant par l’intermédiaire de la mère du prétendant.

La deuxième voie était la demande

directe formulée par le prétendant, qui venait d’avoir

lieu. Je m’imaginais être maintenant tranquille,

l’affaire était close et j’essayai de m’en libérer

l’esprit pour l’oublier, sans prendre conscience que

dans le choix qu’il avait fait, il était beaucoup plus

Page 146: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

146

obstiné que ne le montraient ses paroles et que pour

parvenir à ses fins, il allait mettre en oeuvre une

troisième voie de demande en mariage.

Lui avait compris que j’étais attachée à

ma mère et plus particulièrement à ma soeur

Mansourah, pour qui j’avais un respect particulier.

Il continua ses contacts avec elles, leur parlait en

mon absence de son désir, sachant qu’elles étaient

des militantes des Modjahedines. A partir de ce

moment, ce fut l’un des sujets de conversation avec

ma mère et ma soeur, et elles essayaient d’obtenir

de moi un consentement à ce mariage.

Moi qui étais opposée au mariage en

général et au mariage avec cet homme en particulier,

j’eus avec elles de nombreuses discussions et je

disais parfois à ma mère : » N’est ce pas toi qui

m’avais toujours dit d’essayer d’éviter de me marier

et de mettre ma vie entre les mains d’un homme ?

N’est ce pas toi qui m’avais dit de vivre de telle

façon que je ne sois pas au chevet d’un homme ?

Alors que sont devenus ces conseils ? »

Dans ses réponses, elle me disait toujours

avec bienveillance »Il est différent de tous les

Page 147: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

147

hommes que j’ai eu l’occasion de connaître jusqu’à

maintenant, il est Modjahed, pur et innocent ». Bref

elle me raconta tant de belles choses sur lui qu’à la

fin, je fus tellement tourmentée que je ne terminais

plus les conversations engagées avec elle et que je

me mettais à faire autre chose.

Je me souviens qu’un jour, devant

l’insistance de ma mère, je lui dis que si elle l’aimait

tant, elle pouvait toujours lui proposer Zohreh en

mariage (ma cousine Zohreh était une très jolie fille

de 18 ans et elle vivait avec ma mère et moi).

Ma mère me répondit : « C’était mon

souhait et je lui ai fait cette proposition. Mais il m’a

répondu qu’il ne désirait pas avoir une femme pour

sa vie privée, mais qu’il voulait une associée avec qui

avancer dans la voie qui est la sienne. C’est pour

cette raison qu’en dépit de la différence d’âge c’est

toi qu’il a choisie. »

Evidemment, cette réponse qu’Ali avait

donnée à ma mère était de nature à toucher son

coeur et celui de ma soeur Mansoureh. De ce fait,

leur pression sur moi en faveur de ce mariage

devenait chaque jour plus forte alors que ma

Page 148: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

148

résistance continuait sans faiblir. Mais à l’intérieur de

moi même, je me sentais curieuse de savoir le motif

d’une telle insistance

Cette situation se prolongea pendant près

de trois mois, de juin à septembre 1979 jusqu’au jour

de la mort du père Talaghani, le 19 septembre.

Il était minuit lorsque le téléphone sonna,

je répondis et madame Ghazi (la mère d’Ali)

m’annonça la nouvelle de la mort du Père, tout en

versant force larmes, et me dit que le lendemain

matin, une cérémonie de deuil serait organisée dans

la garnison de la ville .Elle proposa que je vienne la

chercher pour nous y rendre ensemble.

La nuit fut difficile, je ne dormis pas

jusqu’au matin et je pleurais, car la mort du Père

Talaghani, nous affligeait d’autant plus que c’était un

grand homme pour nous, militants Modjahedines,

dans cette ville où, en l’espace de moins de trois

mois depuis la révolution, les réactionnaires

déchaînés avaient pris toutes les choses en main et,

plus important encore, avaient restreint la liberté pour

laquelle nous tous avions hurlé et versé du sang.

Page 149: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

149

En réalité, en ces jours là, la seule

autorité à laquelle les Modjahedines et leurs

sympathisants pouvaient s’adresser pour se plaindre

de l’oppression des réactionnaires en herbe était le

Père Talaghani.

Chaque fois que la pression de la

Réaction devenait trop pesante pour moi, j’allais à

Téhéran faire un tour à son bureau. Rien que de le

voir de loin, je rentrais calmée. Vue de cette façon, sa

disparition constituait une très grande perte pour moi

et sa mort laissa en moi un vide étrange. Cette nuit là

fut très difficile, et le matin, lorsque le jour se leva,

je me mis en tenue de deuil, et j’avais des difficultés

à empêcher mes larmes de couler dans la rue, en

allant prendre part à la cérémonie des funérailles, en

compagnie de Madame Ghazi. Je passai d’abord chez

eux pour la prendre. Ali apparut sur le seuil et fut

frappé d’étonnement en me voyant.

Depuis le jour où il était sorti de mon

bureau, je ne lui avais plus parlé. Je lui dis que j’étais

venue chercher sa mère et il me répondit: » Ma mère

n’est pas à la maison, elle ne vous a attendue, comme

Page 150: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

150

vous n’arriviez pas, elle est partie à la garnison de la

ville pour assister aux cérémonies de deuil ».

Je lui dis rapidement au revoir pour

partir, mais Ali me retint: » Vous pouvez attendre un

instant, je vais m’enquérir auprès de la Société des

Jeunes Monothéistes. Si nous vous accompagnons,

avec les amis, les cogneurs nous attaquerons

certainement, mais n’auront pas le courage de vous

agresser ni de vous brutaliser » .Je lui donnai mon

accord.

Il partit et je restai à l’attendre devant la

porte d’entrée .Il ne revint pas immédiatement et

pendant que je l’attendais, je fus saisie par un

sentiment d’ambiguïté mêlé d’anxiété. Tout d’abord,

il me vint à l’esprit de ne pas l’attendre et de m’en

aller, mais je ne saurais dire pourquoi je ne le fis pas.

Je l’appelai en lui disant que si ce qu’il faisait prenait

trop de temps, j’allais partir. Immédiatement, il revint

avec un paquet de feuilles imprimées.

Ses yeux brillaient de larmes qui lui

couvraient également le visage, et pendant un

moment, je me demandai quelle conduite adopter.

Ses larmes m’avaient troublée et j’étais incapable de

Page 151: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

151

retenir les miennes. Il resta à quelques enjambées de

moi et je m’assis sur les marches de l’escalier et je

me mis à pleurer avec violence.

Je ne sais combien de temps il se passa

avant que je ne relève la tête, pour m’apercevoir que

lui aussi pleurait. Je lui demandai pourquoi le Père

était mort. C’était beaucoup trop tôt ! Qu’allaient

faire les Modjahedines maintenant ? Il se reprit et

dit : « Ils l’ont certainement tué, pour enlever un

obstacle de leur route et pouvoir plus facilement nous

décapiter ».

Je pensai cependant que ma présence en

ces lieux dans de telles circonstances n’était pas

correcte. Je me levai et lui dis rapidement au revoir.

Au dernier moment, il dit : » Vous êtes toujours

opposée à l’affaire dont il a été question il y a

quelques mois ? Je lui dis que oui, et il me demanda

pourquoi. Je lui répondis que je n’étais pas en mesure

d’en parler pour l’instant et je quittai rapidement les

lieux

Après cette rencontre et cette très courte

conversation, mon esprit fut occupé, et contrairement

aux fois précédentes où je m’efforçais d’oublier,

Page 152: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

152

cette fois je me demandais quelle était sa motivation

pour ce mariage. Pourquoi insistait il à ce point ?

Pourquoi n’avait il pas encore renoncé, après

plusieurs mois d’attente ? En ces jours où mon esprit

avait été préoccupé par cette affaire, cela me semblait

étrange. J’avais le sentiment que j’étais comme un

enfant, que je ne pouvais la regarder en face, et je me

disais à moi-même que si sa proposition avait eu un

caractère puéril, il l’aurait certainement oubliée après

tout ce temps passé…

Peut être aussi l’espace vide créé par la

perte du père Talaghani et les conditions mentales

difficiles liées à sa mort m’entraînaient elles à penser

à Ali ? Car les traditions en usage et dominantes dans

une société à laquelle j’appartenais en qualité de

femme importante voulaient que la fragilité des

femmes devant les difficultés les amène, en de telles

circonstances, à rechercher un point d’appui auprès

d’un homme.

En particulier, auprès d’un homme qui

avait remarqué cette femme et lui témoignait une

gentillesse caractérisée. Encore que cet homme ne

soit pas l’homme idéal et que dans la tradition

Page 153: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

153

dominante, un jeune garçon de 22 ans, ne possédant

pas encore les valeurs en vigueur dans cette société,

(n’ayant pas de métier, n’ayant pas fait d’études

supérieures), ayant une silhouette ordinaire, une

taille relativement petite et frêle, et sept ans de

différence d’âge. A cette époque, la différence d’âge

constituait dans mon esprit un tabou très difficile à

éliminer et par ailleurs, pour une personnalité et un

pôle de la vie politique de la ville, il y avait lieu de

s’inquiéter sur ce que représenterait un tel mariage

dans l’esprit des autres.

Le mariage secret

Les cérémonies de deuil du père

Talaghani eurent lieu avec une participation

nombreuse des habitants de la ville de Khorram

Abad, et se déroulèrent depuis le matin très tôt

jusqu ’au coucher du soleil. Le soir c’est brisée de

fatigue et remplie d’un grand chagrin que je rentrai à

la maison.

Page 154: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

154

C’était la première fois qu’Ali venait

chez nous, accompagnant ma sœur Mansourah. J’eus

le sentiment étrange que cela se passait différemment

des fois précédentes, et que je n’éprouvais plus de

colère en le voyant. Instinctivement je fis un effort

pour rester maîtresse de moi-même.

Mansourah se mit à parler et me dit

qu’Ali était venu me chercher pour que nous parlions

ensemble de cette affaire et que nous puissions la

régler. Je lui répondis que j’avais déjà exprimé ma

façon de penser sur cette affaire et que dans un

entretien précédent j’avais manifesté mon intention

de ne pas me marier, argumentant qu’il y avait des

inconvénients à un tel mariage en raison de la

différence d’âge et de ce que pourraient penser les

autres.

Au cours de cette conversation, j’essayai

de faire en sorte qu’Ali n’intervienne pas

directement, et que ma mère et ma sœur Mansourah

répondent directement elles mêmes du tac au tac à

mes objections.

En insistant fortement sur la grande

différence d’âge, je dis : « Ce mariage ne pourra être

Page 155: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

155

durable en raison de la différence d’âge ». Ali se

mêla alors à la conversation et s’adressa à moi sur un

ton beaucoup plus sincère qu’il ne l’avait fait

jusqu’alors. Il me dit avec calme : « Tu commets une

erreur de fixer de cette façon cette idée dans ton

esprit .Serais je donc un homme ordinaire, qui

déciderait consciemment, avant d’avoir ensuite des

regrets ? Si tel était le cas, je n’aurais pas insisté à ce

point. »

Il continua : « Tu sais très bien que si je

n’étais qu’un quelconque prétendant au mariage,

dans la situation où je me trouve, pour tout choix

autre que toi que j’aurais fait, je n’aurais pas à

attendre aussi longtemps la décision et dès les

premiers jours l’affaire serait conclue. Je t’ai choisie

car nous sommes militants d’un mouvement aussi

magnifique que celui des Modjahedines et si nous

sauvegardons notre engagement dans ce mouvement,

seule la mort pourra nous séparer ».

Ali poursuivit en insistant sur ces

conditions exceptionnelles et dit « Si tu crois que

nous allons vivre jusqu’à ce que nous devenions

vieux, et qu’à un âge plus avancé, la différence d’âge

Page 156: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

156

pourrait nous séparer, tu commets une profonde

erreur, car dans le combat que nous menons avec la

Réaction notre espérance de vie ne dépassera pas

trois ans avant que nous ne soyons assassinés. Cette

inquiétude se trouve donc être sans objet ».

Ce débat dura encore deux ou trois

heures. Mais cette fois celle qui céda, ce fut moi, et

Ali, en insistant successivement sur ses différentes

prétentions, et avec sa persévérance, sa patience et

son sérieux essaya de me donner satisfaction. Nous

finîmes par tomber d’accord.

Après ces entretiens, je laissai tomber

toutes les supputations dont j’avais jusqu’à

maintenant tenu compte, comme on tire un rideau, et

j’eus le sentiment que mon mariage avec lui était

une affaire personnelle et que je pouvais me

déterminer sans plus tenir compte des préjugés

culturels et patriarcaux .

C’est ainsi que ce soir-là, je me déclarai

d’accord pour ce mariage, à la condition que, tant

que les circonstances favorables ne seront pas

réunies, cette affaire de mariage reste une affaire

cachée, et que personne n’en soit informé, en dehors

Page 157: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

157

de nous-mêmes et de sa mère. De même, j’exigeai

que nous vivions séparément, chacun dans sa propre

maison.

Ce même soir, il donna son accord sur

ces conditions et, en présence de ma mère et de ma

sœur, il lut le serment de mariage. Pour que le

mariage ait officiellement lieu, à Téhéran, il me

donna rendez vous pour le lendemain matin, et partit

en vitesse en disant : « Il faut que j’aille au plus vite

annoncer cette nouvelle à ma mère, qui en sera

certainement très heureuse ».

Ainsi, c’est dans ces conditions que je

décidai de me marier secrètement à Ali Akbar Ghazi,

dans le cadre actif du mouvement des Modjahedines,

car je ne voulais pas, en raison de ma popularité

dans ville d’une part, et de ce qu’Ali était connu

comme militant Modjahed d’autre part, être

importunée par la Réaction dans l’exercice de ma

propre activité au sein de la Société des femmes.

Le lendemain, c'est-à-dire le 11

septembre 1979, nous allâmes ensemble en autobus à

Téhéran et en fin d’après midi de ce même jour, nous

nous mariâmes par contrat officiel dans un modeste

Page 158: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

158

bureau des mariages de la rue des Hachémi à

Téhéran. Le contrat fut enregistré avec des biens

antiphernaux, un Coran, un Nahdj el Balagheh, livre

composé par Amir el Momenin10, emblème de

l’organisation des Modjahedines.

Seuls un cousin maternel et l’un de ses

amis assistèrent en tant que témoins à ce mariage,

A la fin de la cérémonie, devant

l’insistance de ce cousin à nous inviter chez lui, nous

dûmes lui expliquer le caractère secret de ce mariage

et nous prîmes congé de lui après l’avoir salué.

L’étape suivante fut l’achat des alliances.

Avec une grosse motocyclette qu’Ali emprunta à un

cousin paternel, le futur martyr Mahmoud Mahboubi,

nous nous rendîmes dans une bijouterie du centre de

Téhéran.

Très inquiète qu’il ne rencontre

quelqu’un de sa connaissance, je choisis en hâte un

anneau en or, simple et bon marché, coûtant 80

tomans. Lui n’en acheta pas pour lui, disant qu’il

n’était pas bon que nous nous mettions ensemble à

porter un anneau. Mais il ajouta qu’il fallait que j’en

10 Amir el Momenin :Le prince des Croyants

Page 159: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

159

porte un pour que mon imagination soit tranquille en

ce qui concerne les prétendants que les phalangistes

et le docteur Ali enverraient peut être à ma rencontre.

Ce jour là, nous nous baladâmes en moto jusqu’au

soir dans les rues de Téhéran pour visiter les endroits

touristiques et le soir nous allâmes ensemble au

cinéma pour voir un film pédagogique.

Il était environ minuit lorsque nos

sortîmes du cinéma.

Pour passer la nuit, il m’emmena dans

une auberge de Nasser Khosrow. Je m’attendais à ce

que nous allions dans un hôtel, et je lui demandai s’il

n’avait pas trouvé un autre endroit. Il me dit : « Si,

mais c’est cher ». Sans lui dire un mot de plus, cette

nuit là, je ne pus dormir dans le lit de cette chambre

et je m’étonnai de ce qu’un homme de la famille des

Ghazi, si opulente, puisse dormir dans un tel endroit.

Sans vouloir dévoiler ici les pensées qui

me vinrent à l’esprit en un tel jour, je compris

parfaitement qu’il avait des moeurs de modjahed et

que dans l’utilisation des possibilités de confort, il

n’avait pas les mêmes vues que moi. Je lui dis que je

ne voulais pas dormir, je m’assis dans un canapé

Page 160: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

160

délabré qui se trouvait dans la chambre et je

commençai la lecture d’un livre.

Après m’avoir observée d’un regard

profond, il me dit : « Si tu souhaites être plus

tranquille, je peux prendre une autre chambre pour

moi » Je lui dis de manière allusive : « Non, cela

fera une dépense supplémentaire. Dors, je dormirai

demain dans la voiture ».

Me souhaitant bonne nuit, il se mit au lit

tout habillé et en raison de la fatigue importante

accumulée pendant toute une journée de conduite

d’une moto dans la circulation de Téhéran, il sombra

tranquillement dans un sommeil profond aussitôt

qu’il mit sa tête sur l’oreiller.

Le lendemain, avec la même

motocyclette, nous allâmes au marché de Téhéran, où

il fut entièrement occupé par son travail et les visites

qu’il rendit à ses correspondants pour les problèmes

d’édition, les achats de papier, et par des achats de

machines à photocopier ..Il fut très absorbé par ses

affaires.

Ce jour là, contrairement à la veille, ce

n’est qu’entre les lieux de ses différents achats que

Page 161: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

161

son visage réfléchi et sérieux s’égaya, qu’ il rit, et

chanta à tue- tête l’hymne »Aftabkaran11»ou encore

des mélodies célèbres du Lorestan telles que Dayah,

Dayah »12

Cette journée passa très rapidement et le

soir arriva. Sur proposition de ma part nous allâmes

dans une poissonnerie dans une ruelle près du parc de

la ville de Téhéran où, par le passé, j’allais en

compagnie de mon frère chaque fois que je venais à

Téhéran, et nous y dînâmes.

Après le repas, il me dit : « Je n’ai plus

rien à faire à Téhéran. Nous pouvons passer la nuit

ici et repartir demain matin en autobus pour Khorram

Abad. De peur de retourner dans la même auberge et

de revivre l’expérience de la veille, je répondis : « Si

demain tu n’as plus rien à faire à Téhéran, je préfère

que nous rentrions dès cette nuit ».

Il accepta, et nous rentrâmes à Khorram

Abad dans la nuit par l’autobus « TBT ».Là, il me

demanda mes impressions sur ce voyage de deux

11 Aftabkaran :Les semeurs de lumière 12 Mère, mère

Page 162: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

162

jours et une nuit effectué ensemble à Téhéran et la

raison pour laquelle je ne voulus pas rester ce soir là.

Je lui dis que je ne m’attendais pas à ce

qu’il m’emmène dans une telle auberge. Il éclata de

rire en me disant : « Tu pensais qu’en te mariant avec

un Ghazi, il t’emmènerait à l’hôtel Hilton ». Puis, il

me dit à ce sujet que pas même un rial de l’argent

que lui et moi possédions ne nous appartenait, mais

était la propriété du peuple et de la révolution et qu’il

fallait tenir compte de cet impératif.

Pour terminer il ajouta : « Cette nuit

même, j’ai compris qu’en allant dans cette auberge,

tu avais été étonnée, mais je l’avais fait à dessein

pour que tu te prépares à la nouvelle vie que nous

mènerons ensemble et qui sera différente de

l’ancienne ». Il me présenta ses excuses pour cette

première nuit et me demanda de l’oublier, alors que

moi, au plus profond de moi-même, je l’admirais de

tout mon être, pour sa conception des choses de « la

vie » et de «la femme ».

Sur le chemin du retour, dès le départ,

nous nous sommes assis l’un à côté de l’autre, et

nous parlâmes jusqu’à l’aube.

Page 163: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

163

Au début de notre conversation, il me

parla de ma vie passée et il me demanda pourquoi

j’avais atteint cet âge sans me marier. Je lui racontai

l’histoire de Hamid, de nos jeux de l’époque de

l’enfance, et lui dis que c’était là peut être l’une des

causes. Il dit en plaisantant : « Où est il, cet Hamid,

que j’aille le remercier du fait que, à cause de lui, tu

ne te sois pas mariée » .Nous en rîmes tous les deux.

Il parla ensuite de sa vie passée à lui, du

mariage coûteux et pompeux de son frère et des

autres jeunes de la grande famille des Ghazi, dont les

vêtements de cérémonie devaient avoir été importés

de chez Christian Dior à Paris.

Il me parla aussi des saletés des mollahs

au moment des élections dans la région, auxquelles il

lui avait été un moment demandé de participer et

qu’il avait examiné de près, ainsi que des relations

secrètes entre son oncle, le cheikh Mehdi et la

SAVAK du chah et à quel point ce cheikh impur sera

choqué quand il apprendra la nouvelle du mariage.

Puis il me parla de ce que dirait le reste

de sa famille quand ils seraient au courant de notre

mariage de pauvre et de leur réaction quand ils

Page 164: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

164

sauraient qu’il était Modjahed. Ensuite il évoqua

pendant des heures sa vocation de Modjahed et de

fidèle de Massoud, assura que, dans l’ombre des

militants des Modjahedines, nous formerions

certainement le couple le plus heureux de la ville.

Au moment où l’autobus arrivait à Khorram Abad, il

changea de place pour que nous soyons assis à

quelques sièges l’un de l’autre. Il me demanda de

faire un effort pour l’aider en matière de relations

entre mari et femme, et que dans la famille et dans la

ville nous soyons reconnus comme un modèle de

couple de Modjahedines, en faisant peu de cas des

réactionnaires…

Cette même nuit, il fut convenu que je

dise à tous que je m’étais fiancée à Téhéran avec

mon cousin maternel Bijan. C’est ainsi que

commença notre mariage officiel et nous convînmes

entre nous que nous resterions sans enfant pendant au

moins deux ans, après quoi nous verrions l’évolution

de la situation.

Finalement, il en fut ainsi. Comme il

l’avait pressenti, à la fin de cette période de deux ans,

et seulement neuf jours avant la fin de la troisième

Page 165: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

165

année de notre mariage, notre mariage et notre vie

commune furent interrompus par son arrestation et sa

condamnation à mort.

Nouvelle période d’activité

Avec ce mariage mon activité s’accrut de façon

considérable. D’autres actions de préparation et de

soutien, d‘impression et de reproduction de la Société

des Jeunes Monothéistes furent officiellement et

entièrement placées sous ma responsabilité et

exécutées par mes chères futures martyres

Massoumeh et Zohreh.

Ali, avec sa maîtrise de la composition,

venait comme avant le mariage au bureau, dans son

atelier pour les travaux d’imprimerie et pendant six

mois, nous nous retrouvâmes en privé cinq ou six

fois pour des rendez-vous que nous nous donnions à

Téhéran.

Ces rendez vous d’un ou deux jours

étaient préparés et nous allions à Téhéran en voiture.

Là, il garait la voiture dans un coin et prenait la

Page 166: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

166

grosse moto de son cousin pour sillonner du matin au

soir la ville dans tous les sens.

Il s’occupait de ses affaires, et moi-

même j’essayais de me souvenir que j’étais à

Téhéran, mais pas pour faire des achats dans les

grands magasins ou aller dans les grands cinémas du

nord de la ville pour y voir de bons films mais pour

descendre dans un hôtel qui soit bon marché, car en

réalité, je n’avais pas beaucoup d’argent à dépenser.

En dehors de la somme destinée aux

dépenses courantes et pour le loyer de la maison que

je donnais à ma mère, toutes les traites importantes

que je percevais étaient utilisées pour le frais

d’imprimerie de la Société des Jeunes Monothéistes

de Khorram Abad.

Et ceci pendant toute la période où notre

mariage fut secret. Les affaires courantes de travail

ou les consultations que je demandais à Ali (après la

cessation du mouvement, il devint l’un des

responsables de la Société des Jeunes Monothéistes

et j’eus des relations directes avec lui) se faisaient

par téléphone, ou en cas de besoin, j’allais chez lui en

compagnie de ma mère sous prétexte de rendre

Page 167: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

167

visite à la sienne. Chez eux nous avions des

conciliabules en tête à tête.

Six mois plus tard, c'est-à-dire en février

mars 1979, vint le moment des élections de

l’Assemblée nationale islamique. Peu de temps avant

cette date, Taghi Ghazi, le frère aîné d’Ali et moi-

même fûmes candidats sur la même liste pour ces

élections.

Page 168: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

168

Chapitre 3

Les élections législatives nationales

En février mars 1979, dans la perspective

des élections des députés de la première Assemblée

Nationale, que le diabolique Khomeiny avait appelée

Assemblée Nationale Islamique, le préfet convoqua

une réunion pour organiser ces élections au niveau de

la province. A l’issue de cette réunion, le mollah

Fakhaladine Mousavi, directeur de l’infâme

parti « de la République Islamique » m’invita à venir

le voir à son bureau car il voulait discuter avec moi

d’un problème très important.

Quand je me rendis à son bureau, je fus

stupéfaite qu’il me proposât d’être candidate aux

élections pour le compte du parti de la République

Page 169: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

169

Islamique. Je lui donnai une réponse négative sans

hésiter un instant. Il ne fut pas convaincu et me dit

que si je n’aimais pas le parti, je pouvais être

candidate pour la Société des Femmes. Je refusai de

nouveau et quittai les locaux du parti.

J’étais à la maison le soir, lorsque le

téléphone sonna. C’était Azam Talaghani, qui me

dit : « J’ai entendu dire que vous avez refusé la

candidature du Parti. Mais il faut que vous soyez

candidate pour le compte de la Société des Femmes,

et je lui donnai à elle aussi sur le champ une réponse

négative et lui dis que j’avais déjà suffisamment de

casse tête dans sa Société des Femmes sans m’en

créer de nouveaux en acceptant d’être candidate à la

députation. Je la priai dès lors de bien vouloir

excuser mon refus.

Après cela, j’appelai Ali pour lui parler

de cette affaire, et il me dit que j’avais bien fait.

J’étais satisfaite de n’avoir pas ces nouveaux soucis

et de ne pas participer à ces élections.

Deux ou trois jours plus tard, j’étais au

bureau lorsqu’ Ali m’appela pour me dire : « Il faut

que je te voie en tête à tête pour une affaire

Page 170: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

170

urgente. » Le soir, j’allai chez eux et, à l’humeur

joviale d’Ali et aux efforts qu’il prodigua pour rendre

l’ambiance agréable, je compris qu’il s’agissait d’une

affaire sérieuse. Profitant de l’occasion que sa mère

nous donna de rester seuls, Ali s’adressa à moi et me

dit : « Je vais te dire de quoi il s’agit, mais à

condition que tu n’en sois pas inquiète, et que tu ne

dises pas non ». Moi, je ne voulais pas donner mon

accord sans savoir de quelle affaire il s’agissait, je fis

un peu de résistance. Je finis par dire que pour ce qui

concernait la première condition, j’étais d’accord, je

ne serais pas inquiète, mais que pour la seconde,

c’était à moi de dire oui ou non.

Il me dit : « Je sais, madame, que vous

êtes têtue, mais je vous prie de ne pas prendre quatre

mois pour prendre votre décision (allusion au temps

qu’il fallut pour me décider à notre mariage)

Ali continua : « Je te propose de te

présenter aux élections en t’inscrivant en qualité de

candidate indépendante, et plus tard, notre

association déclarera te choisir comme candidate, et

annoncera son soutien à ta candidature ».

Page 171: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

171

Je fus troublée, je fis des efforts pour

rester calme et je lui dis : «Tu connais mes difficultés

avec les réactionnaires dans cette province et tu sais

que les luttes et les tiraillements que j’ai déjà eus

avec eux ont souvent été accablants. En me

demandant une chose pareille, la pression qu’ils vont

exercer sur moi va devenir plus forte encore ». Je

continuai de même en disant : « Pour moi qui ai

refusé la proposition du Parti et de la Société des

Femmes, il ne m’est pratiquement pas possible de

faire cette chose là et accepter ta demande

équivaudrait à entrer en guerre ouverte et publique

avec les réactionnaires, ce qui ne m’intéresse pas et

que je ne suis pas en mesure de supporter. »

Je le priai de ne plus insister et de tenir

compte de ma situation. Puis avec l’amertume

d’avoir refusé sa demande, je pris congé de sa mère

et de lui et retournai à la maison.

Page 172: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

172

Candidate à l’Assemblée

Cette nuit-là, vers une heure du matin,

j’eus l’impression que quelqu’un donnait des petits

coups à la fenêtre de ma chambre. Je me réveillai en

sursaut et je regardai à l’extérieur en écartant

légèrement le rideau. Je vis alors Ali qui se tenait de

l’autre côté, le moteur de sa motocyclette arrêté. Il

me dit de lui ouvrir la porte.

J’étais choquée de sa venue chez moi à

cette heure de la nuit, j’étais également effrayée à

l’idée que quelqu’un le voie au moment où il entrait

dans la maison ; demain, lui et moi serions le sujet

d’histoires d’amour propagées dans la ville par la

Réaction rétrograde, ce qui me faisait trembler.

D’abord, je lui demandai de s’en aller, mais il ne fut

pas d’accord et il insista pour que je lui ouvre la

porte. A la fin, plutôt que de le laisser être vu

derrière ma fenêtre en pleine nuit, le faire entrer

constituant un pis aller, je fus donc obligée de lui

ouvrir la porte de la maison.

Page 173: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

173

Dès qu’il entra dans ma chambre, il

s’excusa d’être venu à l’improviste et de n’avoir pas

tenu les promesses qu’il m’avait faites à ce sujet. Il

continua en disant : « C’est demain à dix heures

qu’expire le délai d’inscription des candidatures et je

désirerais que tu ailles t’inscrire demain à huit heures

du matin ! ».

Très étonnée de son insistance étrange et

inopportune, j’essayai d’abord par des demandes et

des supplications puis avec colère, de le dissuader de

m’engager dans une tâche dont je ne pourrais

assumer toutes les conséquences.

Cette nuit- là, il resta près de moi

jusqu’au matin et me parla de ce que ma candidature

permettrait de résoudre beaucoup de problèmes dans

la ville, de l’importance qu’elle avait et me donna sa

parole que je recevrais l’aide et l’assistance de tous

les militants de son association pour résoudre toutes

les contrariétés qu’elle pouvait entraîner. Puis, avant

le lever du jour et après qu’il eut obtenu mon

assentiment pour que j’aille, à huit heures du matin

m’inscrire à la préfecture de Khorram Abad, il me dit

au revoir et partit.

Page 174: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

174

Le lendemain matin, les yeux enflés, je

me rendis à la préfecture et à l’étonnement du préfet

et des assistants, au courant de mon refus définitif de

la proposition d’être leur candidate, présentée par le

Parti et la Société des Femmes, je m’inscrivis en

qualité de candidate indépendante, sans lien avec

aucun groupe ou parti. Après m’être inscrite, j’allai

au bureau où je me mis au travail, mais je n’avais pas

commencé à travailler depuis plus d’une heure que le

téléphone sonna. C’était le docteur Ali qui me

demandait des explications au sujet de mon

inscription.

Moi qui n’avais accepté cette tâche

qu’avec beaucoup de réticences, je fus embarrassée

pour lui donner des explications, et en particulier sur

le motif qu’Ali avait invoqué, à savoir que ma

candidature servait les intérêts du mouvement. Mes

arguments ne parvinrent pas à convaincre le préfet.

Je lui dis : « Je vais venir

immédiatement à la préfecture pour vous donner des

explications en tête à tête ». Je fus étonnée, quand

j’arrivai, de constater qu’il était dans un état de grand

emportement. Je lui demandai ce qui se passait. Il me

Page 175: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

175

répondit : »Votre action résulte visiblement d’une

affaire personnelle, et aucun d’entre nous, que ce

soit moi ou d’autres personnes, n’a le droit de s’y

immiscer. Mais vous savez, si le Parti comprend

votre geste, quels troubles vont se produire dans la

ville ». J’insistai sur le fait que je me présentais en

qualité de candidate indépendante, et n’étais celle

d’aucun groupe ou parti .Je finis par le convaincre et

je retournai au bureau.

A partir de ce même jour, la campagne

électorale fut inscrite à l’ordre du jour pour la totalité

des militants Modjaheds de la ville de Khorram

Abad. Ali prit ce jour là dans mon album quelques

photographies de moi pour en faire des affiches

électorales et alla à Téhéran pour en faire préparer

des agrandissements destinés à être imprimés en

posters, qu’il rapporta à Khorram Abad.

A son retour de Téhéran, il entreprit,

chaque nuit jusqu’au matin l’impression clandestine

de ces posters dans l’imprimerie de l’un des

courageux habitants de Khorram Abad, les frais

d’impression étant à la charge de sa famille dont tous

les membres comptaient parmi les commerçants les

Page 176: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

176

plus riches de la ville. C’est ainsi qu’Ali devint le

directeur de ma campagne électorale.

C’est avec l’affichage des premiers

posters sur les murs de la ville que commença la

guerre de l’affichage avec la lacération des affiches

entre les jeunes de la ville ainsi que les militants des

associations de jeunes d’une part, et les pasdarans et

les membres du Hezbollah d’autre part. Chaque nuit

des centaines et peut être même des milliers

d’affiches recouvraient les murs de la ville et des

villages, et l’armée des pasdarans avait beaucoup de

mal à les déchirer toutes.

Avec le début de notre campagne

électorale commencèrent les attaques et les voies de

fait à l’encontre des jeunes colleurs d’affiches, tandis

que le soutien de la population ne faisait que croître

au fil des jours.

Ces affrontements, et ces bagarres

devinrent si fréquents et généralisés que, même

après vingt et quelques années, ceux qui prirent

part, à un titre ou à un autre, à cette campagne ne les

ont pas oubliés. Moi même, lorsque je rencontre des

habitants de Khorram Abad, ils me parlent souvent

Page 177: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

177

du déroulement de la campagne des législatives, des

collages d’affiches et des coups reçus des hommes de

main des réactionnaires .En raison de la persévérance

et du dévouement des militants héroïques des

Modjahedines, il n’y avait pratiquement pas un mur

qui n’ait eu son poster, soit intact, soit déchiré.

Par ailleurs, moins d’une journée après le

début de notre campagne électorale active, celle de la

Réaction, dirigée contre nous, commença également.

Ce fut d’abord une photographie de moi sans voile,

datant de l’époque où j’étais déléguée des

enseignants locaux et assistais, à ce titre, aux

cérémonies du 7 février (jour commémoratif du

dévoilement des femmes par le chah Reza. Agrandie,

elle apparut sur tous les murs de la ville et me

présentait en tant que candidate adversaire de la

révolution islamique.

Peu après cette première réaction, de

brèves attaques épisodiques commencèrent à se

produire contre le siège de mon état major de

campagne, situé dans un petit édifice de deux étages,

dans la rue du 6 Bahman.

Page 178: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

178

Une femme nue à l’affiche

Quelques jours avant la date des

élections, j’entendis au milieu de la nuit le bruit de la

motocyclette d’Ali, je me levai en hâte pour lui

demander d’arrêter son moteur et je lui ouvris

rapidement la porte pour que les voisins ne le

remarquent pas. Ali entra, les mains toutes noires

d’encre. Il était patent qu’il était venu rapidement et

directement chez moi depuis son imprimerie.

Je lui demandai, peu rassurée, ce qui se

passait, et pourquoi il était venu à cette heure de la

nuit et de plus avec sa motocyclette. Cette fois,

contrairement à son habitude, il resta silencieux et ne

fit que me regarder.

Je le fixai des yeux. Bien qu’il fasse des

efforts pour rester calme, je lisais clairement

l’inquiétude dans son regard. Finalement, il dit d’une

Page 179: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

179

voix posée : « Je sais que je viens à un moment

inopportun, j’étais tellement pressé que je n’ai pas

pris le temps de retourner chercher ma voiture et je

suis venu ici avec ma motocyclette. Je vais te dire

quelque chose, mais je te demande d’abord d’être

logique, de bien réfléchir, de ne pas t’inquiéter, de ne

pas dire que c’est de ma faute et que tu ne voulais pas

être candidate ».

Avec une telle préparation du terrain, je

pouvais deviner que des évènements très déplaisants

étaient arrivés.

Il continua ainsi : « Je me trouvais dans

l’imprimerie, lorsque le responsable m’appela pour

me dire que l’après midi même Seyed Fakhralladine

Mousavi, le directeur du Parti de la République, lui

avait apporté un poster à imprimer, qu’il ne l’avait

pas mis sous presse pour me le montrer. Et alors il

me le montra ».

Après une courte pause, Ali me

demanda : « Tu sais de quelle affiche il s’agit ? » Je

lui répondis non. Il me dit : « Il s’agit de ton visage

sur le corps d’une femme entièrement nue. C’est un

montage qu’ils ont fait pour l’imprimer et le coller

Page 180: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

180

demain sur tous les murs de la ville et je suis venu

t’en informer immédiatement pour que tu y sois

préparée ». »

Je fus troublée par tant de bassesse de la

part des mollahs et par les moyens sordides mis en

oeuvre par eux. J’étais également inquiète et

préoccupée par l’état dans lequel serait ma mère

lorsqu’elle entendrait parler de cette affaire ou

qu’elle verrait les posters.

Je fis part à Ali de mes inquiétudes pour

ma mère, et continuai en lui disant qu’en ce qui me

concernait, il n’y avait vraiment pas lieu de

s’inquiéter car toute la population de la ville me

connaissait depuis ma naissance et savait, bien que je

ne porte jamais le voile,que je ne suis jamais une

seule fois allée à la mer, car je n’aime pas m’exhiber,

que c’est eux qui, par leur acte ignoble allaient se

déshonorer, et qu’il était donc inutile qu’il s’inquiète

pour moi.

Il respira plus librement, son visage

s’éclaira et il dit en plaisantant : » Je savais que tu

étais sage, mais je ne me serais jamais imaginé que

Page 181: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

181

ce fût à ce point ». Puis, il me conseilla en hâte de

bien prendre garde à moi, dit au revoir et partit.

Le lendemain matin, je n’allai pas au

bureau comme d’habitude, je donnai à ma mère

toutes les explications nécessaires en ce qui

concernait le poster pour que cette affaire ne la

traumatise pas, puis je me rendis auprès de la mère

d ‘Ali, et lui demandai, à elle qui était la seule femme

à souvent porter la burka dans la ville, de me prêter

une burka noire car j’avais quelques contrôles à

effectuer en ville, et de rester à la maison jusqu’à

mon retour. Puis je m’en revêtis et sortis sur la place

principale de la ville.

En plusieurs endroits, parmi lesquels le

Carrefour des Banques, qui se trouvait derrière la

maison d’Ali, le poster avait été collé. Sur ce poster,

il y avait l’une des photographies de mon visage,

tirée de mes affiches de campagne, sur laquelle le col

de ma veste était accidentellement resté,

maladroitement montée sur le corps d’une femme

nue.

Sur la place des Martyrs, l’un des

endroits les plus animés de la ville, des gens étaient

Page 182: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

182

attroupés près de l’un de ces posters. Je m’approchai

et demandai ce qui se passait. Les gens, qui ne

pouvaient pas me reconnaître avec mon visage voilé,

me dirent que des impies avaient fait imprimer puis

apposer la photographie d’une candidate, une femme

honorable, et connue dans toute la ville pour sa

pudeur, que c’était une indignité de leur part, et tout

le monde, quelle que soit sa croyance ou sa religion,

en était dégoûté.

Je me rendis en d’autres endroits, au

voisinage d’autres posters, et sans être reconnue, je

demandai l’avis de la population, et tous attribuèrent

sans émettre le moindre doute la paternité de cette

atteinte aux bonnes moeurs au Parti de la

République, qu’en bons habitants du Lorestan, nous

maudîmes tous.

Mais ce qui fut intéressant, c’est que

certaines personnes, en raison du port de la burka, me

confondirent avec la mère d’Ali, et ne pouvant

connaître nos liens de parenté, se plaignirent auprès

d’elle de ce que les mollahs ne soient pas de bons

musulmans proférèrent des injures à l’encontre du

cheikh Mehdi et lui demandèrent, en sa qualité de

Page 183: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

183

femme ayant une grande influence dans la ville, étant

même la femme du frère du cheikh Mehdi, de faire

quelque chose pour prévenir de telles indécences de

la part de la Réaction, et je ne pus leur répondre que

par mon silence, car je n’avais rien à ajouter à leurs

paroles.

Après cette promenade en ville, rassurée

sur la réaction de la population, je revins chez la

mère d’Ali, lui racontai mon expédition, et nous en

rîmes bien toutes les deux. Ali, rentré de l’imprimerie

était couché. Il fut réveillé par le bruit de nos rires. Il

vint me voir et en entendant le récit de mon aventure,

il rit bien lui aussi. Peu après, je pris le chemin du

bureau pour me rendre à mon travail.

Ce jour là, du matin jusqu’au soir, le

téléphone n’arrêta pas de sonner et tous ceux qui

avaient vu le poster ou en avaient entendu parler

m’appelèrent pour injurier le parti de la République

et les mollahs, et chacun essaya de me consoler et

m’assura qu’après cela la population me réserverait

encore plus de suffrages.

Le soir quand je rentrai à la maison, ma

mère était très fâchée de l’affaire du poster et elle me

Page 184: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

184

dit : « Jusqu’à présent tu avais fait de ta poitrine un

bouclier contre les balles de la Garde du Chah, et

c’était bien. Maintenant que les mollahs sont entrés

en lice, c’est beaucoup moins bon et ils vont te faire

des misères. » C’est à ce moment qu’Ali arriva, à

mon étonnement et à celui de ma mère.

C’était la première fois depuis les six

mois qui s’étaient écoulés depuis notre mariage

secret qu’il venait à la maison à cette heure de la

journée. Il dit : » J’étais inquiet pour maman, et c’est

pour dissiper son inquiétude que je suis passé chez

vous.

Ali, ayant compris quel était le sujet de

conversation entre ma mère et moi, me fit

discrètement signe de laisser tomber et de lui laisser

prendre la chose en main. Je me sentais

nerveusement très fatiguée par les évènements de la

journée. J’allai dans ma chambre pour y prendre un

peu de repos, et les laissai seuls.

.Lorsque je m’éveillai, Ali était parti,

après avoir apparemment convaincu ma mère que les

dégâts dans cette affaire seraient plus importants

pour les mollahs que pour moi.

Page 185: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

185

Le soulèvement populaire.

Les posters écoeurants que le Parti de la

République des mollahs avait fait imprimer pour me

desservir furent immédiatement lacérés et ramassés

par la population, et les réactionnaires, ayant obtenu

dans cette opération le résultat inverse de celui qu’ils

recherchaient, ne la prolongèrent pas.

Après la diffusion de ce poster, les

militants et les forces de jeunes gens intensifièrent la

publicité de leur campagne. Les jeunes de

l’association des Jeunes Monothéistes de Khorram

Abad publièrent un communiqué annonçant qu’ils

me déclaraient officiellement candidate de leur

association, et la population et tous les amoureux de

la liberté, ainsi que les sympathisants des

Modjahedines m’apportèrent leur soutien.

Après ces communiqués et ces

déclarations, je reçus journellement des dizaines de

Page 186: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

186

témoignages de soutien et de solidarité de la part de

diverses administrations, d’écoles, de syndicats,

provenant des différentes couches de la société de

toute la ville et des villages voisins de Khorram

Abad.

Cela étant, la fièvre des élections se

propagea bientôt dans toute la ville. Les affiches en

couleur, de qualité impeccable, imprimées par Ali et

son équipe dans une imprimerie souterraine

clandestine installée dans Khorram Abad même,

étaient aussitôt largement affichées de sorte que

l’armée des mercenaires de la Réaction se trouvait

complètement dépassée.

Ils étaient convaincus que nous ne

pouvions obtenir des posters de cette qualité qu’en

provenance de Téhéran, et tous les camions et les

camionnettes étaient contrôlés aux portes de la ville

pour les rechercher et les saisir.

L’armée des pasdarans et les militants

des mollahs, se rendaient ridicules aux yeux de la

population par cette recherche idiote dans les

véhicules, et les gens plaisantaient entre eux en

disant qu’en recherchant du papier, les pasdarans

Page 187: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

187

pourraient laisser passer les armes et des substances

narcotiques.

En fin de compte un communiqué de

l’Association des Jeunes Monothéistes, témoignant

son soutien à tous les candidats indépendants de la

province, y compris ceux de Khorram Abad, fut

diffusé.

Quelques heures après cette diffusion le

préfet m’appela et j’allai à la préfecture. Dès que

j’entrai dans le cabinet du préfet, je compris à la

composition du tour de table que la situation était

grave. Il y avait les chefs de l’armée des pasdarans,

du parti, les sous préfets et le préfet, et aussi le

directeur de la police, assis côte à côte et ayant

apparemment tenu en dehors de ma présence une

réunion du conseil de la Province.

Je pris place calmement dans un coin de

la salle, et demandai à voix basse à la personne qui se

trouvait à côté de moi, qui était l’un des assistants du

préfet : « Quel est l’ordre du jour de la réunion ? ».

Il me répondit, avec un sourire significatif : « Vous ».

Je ne compris pas quel était son but. Etonnée, je

dis : « Moi ? » Il me répondit : » Oui, Madame ».

Page 188: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

188

Par ailleurs, lorsque j’entrai dans la salle,

j’avais fait l’objet d’un regard hostile des chefs de la

Réaction. Je comprenais maintenant qu’il aurait fallu

que je sois préparée plus que je ne l’étais avant de

venir à cette réunion, et que je me cuirasse.

.En voyant cette mise en scène je pris

courage, en me disant qu’il n’y avait pas plus noir

que le noir, et qu’ils ne pouvaient rien faire de plus

contre moi que ce qu’ils m’avaient déjà fait à ce jour.

Je demandai à voix basse à l’adjoint du préfet : « De

quoi s’agit il ? Qu’ai je fait pour être le sujet d’une

réunion ? » Il me répondit : « Vous n’avez rien fait.

La déclaration des Modjahedines les a complètement

affolés. Ils ont exercé une pression sur le préfet pour

le convaincre de vous faire donner un démenti. Au

début, le docteur Ali a opposé une résistance, mais à

la fin il leur a dit : Je vais la convoquer moi même,

mais ce sera vous qui le lui demanderez ».

La courte conversation murmurée avec

l’adjoint du préfet, me permit de reprendre les choses

en main et je comprenais maintenant que l’affaire

était pire encore que je ne l’avais imaginée. Il fallait

que je me tienne prête à leur résister.

Page 189: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

189

Enfin le préfet ouvrit la séance et dit : »

Madame A...vous voilà en personne, vous allez

pouvoir donner votre point de vue à ces messieurs ».

Seyed Fakhralladine, maintenant exécuté,

sans même me lancer un coup d’oeil, prit la parole

avec l’intonation écoeurante des mollahs et

dit : « Madame A..., étant donné que les

Modjahedines n’ont pas donné leur voix à la loi

constitutive et que de ce fait même leur candidat à la

Présidence de la République a été écarté par l’Imam

Khomeiny en personne, maintenant que

l’organisation des Modjahedines vous a accordé son

soutien, vous êtes en réalité devenue leur candidate.

Vous n’avez donc plus le droit de devenir députée.

Vous ne pouvez maintenir votre candidature à ces

élections que si vous faites une déclaration écrite

disant que vous n’avez aucun lien avec les

Modjahedines et que vous renoncez à obtenir leurs

voix ».

Dans ma réponse j’essayai de réfuter le

premier point de leur requête, disant que je n’étais

pas apparentée avec les Modjahedines, et soutenant

que j’étais officiellement et légalement inscrite en

Page 190: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

190

qualité de candidate indépendante. Les documents

attestant cette inscription se trouvaient d’ailleurs

entre les mains de Monsieur le préfet.

Mais pour ce qui concerne la seconde

partie de la requête, relative aux voix des

sympathisants Modjahedines, je ne voulus pas m’en

mêler, et lui répondis : « Aucune personne

raisonnable ne ferait une chose pareille. Dans toutes

les élections, les candidats sont à la recherche du

maximum de voix. Moi même, je ne pouvais faire la

folie de conseiller aux électeurs de ne pas voter pour

moi ».

Ensuite, je donnai la liste des

administrations, écoles, ateliers et organisations,

choisies dans différentes couches de la population,

m’ayant accordé leur soutien et demandai pourquoi,

parmi tant de déclarations de soutien, une seule était

montrée du doigt.

Dans leur réponse, les représentants de la

Réaction ne cédèrent pas d’un pouce et maintinrent

leurs revendications. Mais, dans la mesure où mes

paroles étaient raisonnables et logiques, ils se

trouvaient bloqués et ne pouvaient que proférer des

Page 191: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

191

menaces quant à la façon dont se solderait cette

affaire. La réunion se termina donc sans résultat

apparent.

Après le départ des réactionnaires,

quelques uns des directeurs administratifs me

félicitèrent pour les excellentes réponses que j’avais

données et pour la façon dont j’avais remis les

mollahs à leur place.

Puis j’eus une conversation avec le

docteur Ali, dont je savais qu’il subissait des

pressions importantes à mon sujet, et je lui

demandai : « Que feriez vous si vous étiez à ma

place ? »

Le docteur me répondit : « D’abord je

remercie Dieu de n’être pas à votre place, et ensuite,

avec cette affaire, vous vous rendez malheureuse, et

nous aussi, car ils sont convaincus que vous êtes une

sympathisante des Modjahedines. Ils ne resteront pas

longtemps les bras croisés et ne vous laisseront pas

aller à l’Assemblée, où vous constitueriez une gêne

permanente pour eux. Ils mettront certainement en

oeuvre tout ce qu’ils pourront pour que vous soyez

écartée de ces élections ».

Page 192: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

192

Attaques contre le quartier général de

campagne.

Quelques heures après la réunion à la préfecture, vers

deux ou trois heures de l’après midi, les bastonneurs

et les voyous de Hezbollah procédèrent à une attaque

sauvage contre le siège de notre campagne électorale.

En même temps que celle du siège de

notre campagne, des attaques portées par les

mercenaires de la Réaction se produisirent dans la

ville contre les centres de vente des publications de la

société des Jeunes Monothéistes, sympathisants de

Modjahedines.

Par ailleurs, les sympathisants

Modjahedines et les familles des Modjahedines du

quartier général de campagne et des autres centres

avaient eux mêmes procédé à l’encerclement du

quartier général, pour ne pas y laisser entrer les

forces de la Réaction auxquelles ils faisaient front,

évidemment à mains nues. L’inspection par les

pasdarans des moyens de transport aux portes de la

Page 193: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

193

ville dans le but de trouver nos affiches électorales se

poursuivait et avait même été renforcée.

En ces jours là, la situation de la ville

était telle que l’on aurait pu croire qu’elle avait été

attaquée par un ennemi extérieur. Le visage excité et

inquiet des habitants laissait présager qu’à l’instant

même ou les jours suivants des incidents très durs se

produiraient.

Chaque jour, la jolie ville de Khorram

Abad s’enfonçait un peu plus dans la fièvre et le

chaos, il n’y avait presque aucune maison, bureau,

centre des militants Modjahedines qui n’ait fait

l’objet d’attaques de la part des mercenaires porteurs

de gourdins.

Chaque jour, le nombre de blessés et des

prisonniers parmi les jeunes de l’organisation des

militants des Modjahedines ne faisait que croître. Les

rassemblements des parents et alliés en colère avaient

lieu devant les lieux des oppressions et les hôpitaux.

Dans tous les coins de la ville, l’insécurité s’était

installée. i Vraiment, quels étaient la faute ou le délit

des jeunes gens capturés ou blessés ?

Page 194: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

194

Cette colère et cette fièvre ne faisaient

que s’accroître parmi ceux qui, chaque jour,

prenaient les coups, étaient blessés ou estropiés par

les voyous de la Réaction ou étaient arrêtés par

l’armée des pasdarans. Et aussi parmi les jeunes

sympathisants des Modjahedines, dont le seul crime

était de coller des affiches électorales sans jamais

porter la main sur un membre du Hezbollah ou sur un

pasdar, alors que ceux-ci les attaquaient avec

sauvagerie.

Devant l’intensité croissante de ces

attaques, la population se demandait ce que ces

voyous agressifs et ces pasdarans recherchaient en

réalité en cassant les bras les jambes et la tête et en

foulant aux pieds l’honneur de tous, hommes et

femmes, jeunes et vieux, dans toutes les ruelles et les

rues, et en les y abandonnant ensanglantés.

Finalement, les familles des blessés et de

ceux qui avaient été arrêtés, pour s’opposer à ces

actes barbares et obtenir réponse à leur question,

participèrent à des « sit in » organisés devant le

palais de justice de Khorram Abad.

Page 195: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

195

Pendant tous ces jours là, je passais tout

mon temps à assister aux « sit in », à faire des visites

aux blessés et à écouter leurs plaintes et les

lamentations que poussaient les familles des

personnes interpellées.

Vers le soir, alors que je rentrais à la

maison après l’attaque de mon quartier général de

campagne, le téléphone sonna. Je répondis et l’un de

mes amis m’informa d’une nouvelle attaque de ce

quartier général.

Je m’y rendis en hâte, et lorsque j’y

parvins, les jeunes sympathisants Modjahedines et

leurs familles avaient chassé les agresseurs hors du

bureau et les avaient repoussés en dehors du quartier.

Ceux qui par leurs rangs serrés avaient

constitué un mur pour la protection de l’état major de

campagne, me dirent leur enthousiasme et le

sentiment de leur responsabilité dès qu’ils me virent.

Ils voulurent rester sur place jusqu’au matin pour

assurer la protection des locaux de campagne.

J’essayai de les disperser et de les

renvoyer dans leurs foyers et je restai sur les lieux.

Page 196: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

196

Ce n’est qu’après le départ de tous de ce point chaud

que je rentrai chez moi à pied.

Peu après que j’aie quitté cet endroit, un

taxi s’arrêta à mes côtés. Le chauffeur, que je ne

connaissais pas, me déclara avec inquiétude que les

pasdarans qu’il appelait les chiens enragés des

mollahs, étaient disséminés dans toute la ville et

insista pour que je monte dans son taxi.

Il exprima sa compassion pour moi, et sa

désolation pour tant de désastres provoqués dans la

ville par les porteurs de matraques de la Réaction. Je

le remerciai pour sa charité et sa considération. Je lui

dis : « Si seulement c’était moi qu’ils frappaient ou

qu’ils arrêtaient plutôt que des jeunes qui ne font que

coller des affiches sur les murs, si seulement il n’y

avait pas d’attaques, d’arrestations ni de tortures

pour les jeunes gens du peuple ».

Ce compatriote honorable me dit avec un

sourire amer : «Madame A… n’ayez aucune hâte,

certainement votre tour viendra. Le chemin que ces

criminels ont initié n’a pas de fin et vous pouvez être

certaine qu’un jour, quand ils auront opprimé ceux

Page 197: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

197

qui ne sont pas de leur bord, ils se battront entre

eux »

Pendant le trajet, cet honorable

concitoyen et moi avons parlé de beaucoup de

choses, des dures conditions que les réactionnaires

imposaient, et sur l’avenir plus dur encore pour les

amoureux de la liberté.

Je rentrai enfin à la maison. Ma mère,

qui était très inquiète pour ma santé, avait appelé Ali

peu après mon départ. Elle lui avait dit que j’étais

sortie seule de la maison pour aller sur le lieu d’un

affrontement.

Peu de temps après Ali, qui m’avait

cherchée partout et ne m’avait pas trouvée, était venu

à la maison, effrayé et le visage tout enflammé de

colère.

Depuis les six derniers mois, c’était la

première fois que je le voyais en colère. Sans lui en

demander la raison, je lui fis remarquer qu’il était

venu à la maison le soir et que si les pasdarans

envahissaient les lieux ils le trouveraient. Toute notre

affaire serait alors fichue.

Page 198: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

198

Il était sérieusement irrité contre moi, et

dit : « Au diable qu’ils me voient, pourquoi sors tu

seule de la maison ? Ne connais tu pas la situation

dans la ville, et ne sais tu pas que des troupeaux de

pasdarans et de miliciens ont envahi tous les lieux ?

S’ils t’avaient interpellée, qu’aurions nous pu

faire ? »

J’avais déjà pu me rendre compte que sa

colère était simplement motivée par ce que j’avais

fait. Je lui dis que j’étais allée sur les lieux d’une

échauffourée, dans le but d’éviter une effusion de

sang. J’avais dispersé les gens en les renvoyant dans

leurs foyers, car il n’était pas certain qu’avec la

tombée de la nuit, des malheurs ne s’abattent pas sur

eux.

Ali essayait de se contrôler. Il me parla

de ne plus prendre ce genre de risques à l’avenir. En

définitive, je parvins à le calmer, et il obtint de moi la

promesse que le lendemain, je ne ferais pas d’allées

et venues sans un chauffeur, puis il partit. Cette nuit

là se passa sans nouvelles attaques de la part des

réactionnaires.

Page 199: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

199

Le lendemain matin, moi qui préférais

toujours me rendre à pied à mon bureau, utilisant très

peu les services du chauffeur de mon administration

pour mes petits déplacements, conformément à la

parole que j’avais donnée à Ali, j’appelai ce

chauffeur pour me conduire sur mon lieu de travail.

Vers onze heures du matin, j’étais

occupée à travailler quand le téléphone sonna pour

m’annoncer une nouvelle attaque contre le quartier

général de ma campagne. Mais cette fois les voyous

étaient armés et bénéficiaient du soutien officiel et

ostensible de l’armée. Quelques uns des agresseurs

avaient même encerclé le bureau et avaient

l’intention d’y mettre le feu. Après avoir pris

connaissance de cette nouvelle, je pris contact avec le

commissaire de police de la ville, et quelques

fonctionnaires de police honorables du commissariat

et leur demandai leur aide.

Une équipe de policiers du commissariat

vint me prendre, dans quelques Jeep, et nous nous

rendîmes ensemble sur les lieux. Entourée de ces

fonctionnaires de police, je m’ouvris un chemin à

travers le cercle des assaillants, qui pour la plupart

Page 200: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

200

ne connaissaient pas mon visage, jusqu’au point

même de l’affrontement, et nous parvînmes ainsi

jusqu’au bâtiment de mon quartier général.

De celui ci, un édifice de deux étages, il

ne restait que des ruines, tous les équipements ayant

été pillés et anéantis. L’armée empêchait la

population de s’approcher du bâtiment pour que les

voyous du Hezbollah puissent continuer à perpétrer

leurs crimes et tiraient à cet effet par intervalles des

coups de feu en l’air.

Sept jeunes filles qui, au moment de

l’assaut des agresseurs, avaient trouvé refuge dans le

bâtiment et étaient montées au second étage, se

trouvaient elles aussi encerclées. Les hommes du

Hezbollah répandaient de l’essence pour mettre le

feu à l’édifice.

Les agents de police du commissariat

réussirent, avec l’aide de la population qui, nous

voyant nous frayer un passage dans les rangs de

pasdarans, nous accompagna jusqu’à proximité du

bâtiment, et à sortir les lycéennes de leur situation

dangereuse .Au rez de chaussée, quelques uns des

Page 201: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

201

assaillants attaquaient un homme allongé à la

matraque et au couteau. Ils manifestaient l’intention

de le tuer et lui criaient : « C’est toi qui es

responsable des troubles ». Pour le sauver, deux des

agents de police du commissariat et moi même

essayâmes de le sortir des mains de ces

réactionnaires féroces, et nous parvînmes jusqu’à lui.

Nous vîmes alors Ali ensanglanté, que les hommes

de main piétinaient et bourraient de coups de

gourdin.

A ce moment là, l’un des pasdarans me

reconnut, et signala ma présence aux autres

agresseurs qui se dirigèrent vers moi pour m’assaillir,

et finalement, les agents de police et moi même

emmenâmes en toute hâte, et avec beaucoup de

peine, le corps couvert de sang et à demi mort et le

plaçâmes dans une des Jeep. Pendant que la voiture

s’éloignait, et tant que nous ne fûmes pas

suffisamment éloignés, les pasdarans continuèrent

de nous suivre et de nous prendre pour cible de leurs

jets de pierres.

A mi chemin, une grosse pierre passa à

travers la vitre avant de la voiture, atteignant le

Page 202: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

202

conducteur au front. Celui ci fut étourdi et hors d’état

de conduire. Il fallut faire un arrêt. L’un des agents

de police honorables escortant notre voiture, avertit

immédiatement le commissariat de police par radio

pour qu’une ambulance vienne recueillir le

conducteur blessé. Puis il nous emmena, Ali et moi,

dans sa propre voiture.

Pendant que nous roulions, l’un d’eux

me demanda où il pouvait me déposer pour que nous

soyons en sécurité. Je lui répondis que pour examiner

les blessures de monsieur Ghazi et lui faire les

pansements nécessaires, il fallait que nous allions à

l’hôpital.

Ali était maintenant à bout de forces mais

pouvait encore parler et intelligemment il s’y opposa

et il me dit très officiellement : » Non, Madame A. Je

n’ai heureusement que des blessures superficielles, et

aller à l’hôpital est dangereux à la fois pour vous et

pour moi, car les phalangistes, pour se saisir de moi,

attaqueront certainement l’hôpital ». Les agents de

police qui étaient avec nous approuvèrent ses paroles.

Page 203: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

203

Je m’étais rendue compte que l’hôpital

était effectivement dangereux pour Ali et pour moi,

et par ailleurs, je ne disposais d’aucun endroit sûr

dans la ville où je puisse laisser Ali seul. Je

demandai que l’on nous emmène à la Préfecture de

Police. Le chauffeur de la voiture nous y conduisit à

toute vitesse.

A peine avions nous franchi le seuil, que

le chef de la police fut informé par radio que les gens

du Hezbollah nous avait suivis et se préparaient à

porter une attaque contre la préfecture de police. Un

moment plus tard, les agresseurs s’abattirent comme

des criquets ou des fourmis sur les murs de l’hôtel de

police en poussant des cris : « Il faut que vous nous

remettiez ces deux « hypocrites » que vous avez

amenés ici. »

L’un des agents nous fit entrer en hâte,

Ali et moi, dans le central de communications radio

de la Préfecture de Police, dont l’entrée est interdite

et la porte blindée et codée. Il me dit : »Ils ne

peuvent ouvrir la porte de ce local. Restez y tant

qu’ils seront là ». Puis il nous laissa seuls, Ali et moi,

et partit.

Page 204: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

204

Ali, sans prêter attention aux blessures

qu’il avait reçues, me demanda un mouchoir et

essuya le sang qu’il avait sur son visage, et me

remerciait sans arrêt de lui avoir sauvé la vie, me

disant : « Je m’étais préparé à mourir en martyr, si tu

étais arrivée quelques minutes plus tard, ils

m’auraient certainement tué ».

Il était dans un état physique très sérieux,

mais il riait quand même, et racontait que ceux du

Hezbollah le frappaient en disant : » Tu es avec cette

femme seule et sans maître, que fais tu avec elle ?

Pourquoi jour et nuit fais tu en plus de la publicité

pour elle ? Et j ‘avais envie de leur crier : Idiots, cette

femme n’a pas besoin de maître, c’est vous qui

historiquement auriez besoin d’en avoir un. »

Moi même je lui racontai que lorsque je

me plaçai en bouclier devant son corps pour qu’il ne

reçoive pas de coups ils m’avaient reconnue, et

m ‘avaient tenu le même discours. Ils m’avaient

menacée et m’avaient dit : » Va t’en, ça ne te regarde

pas. Tu n’as donc pas de mari que tu te sacrifies pour

cet hypocrite ? »

Page 205: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

205

Pendant le temps où nous restâmes dans

ce local nous récapitulâmes tous les incidents qui

s’étaient produits, Ali avait le moral et disait en

riant : « D’abord, je fus très heureux qu’ils ne t’aient

pas arrête, car je désirais que tu restes à l’écart de

cette affaire. Je craignais en effet que mise au

courant tu viennes, qu’ils te capturent ou qu’ils te

fassent subir des sévices. Mais dès l’instant où je

t’aperçus dans un cercle d’agents de la préfecture de

police et que je vis que tu intimidais ceux du

Hezbollah, je fus très satisfait de te voir jouer ce

rôle ».

Annonce publique du mariage

Je ne sais pas le temps qui s’écoula avant que l’un

des agents de la préfecture de police n’ouvre la porte

et nous informe que les agresseurs avaient tous quitté

les lieux sans nous trouver . « Nous leur avons dit

que vous étiez allés à l’hôpital, et ils sont partis dans

cette direction. Vous pouvez maintenant sortir de

cette pièce. »

Cet agent de police honorable, qui ne

nous connaissait pas du tout, nous dirigea vers sa

Page 206: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

206

propre chambre, et commanda un repas pour nous

.Pendant que nous prenions ce repas, il s’adressa à

Ali en ces termes : » Monsieur Ghazi, quel genre de

relations entretenez vous avec Madame A .En réalité,

ils voulaient vous tuer à cause d’elle, et il était

notoire qu’ils éprouvaient beaucoup de haine pour

vous. »

Ali lui expliqua que depuis peu, c’est lui

qui s’occupait de la publicité de ma campagne

électorale, et que c’était ce qui les mettait en colère.

Puis il me jeta un regard et se tut. Pendant un

moment j’eus le sentiment qu’il aurait aimé pouvoir

dire : » Cette dame est ma femme » Mais c’était

comme si ma présence l’empêchait de le faire.

Pendant quelques secondes, je pensai à ce que

j’allais dire au sujet de cette affaire. Dans les

conditions nouvelles qui venaient de se présenter, Ali

s’était trouvé dans une situation très dangereuse et

que si ma propre popularité ne l’avait protégé, ils

l’auraient tué.

En pensant à cela, j’en arrivai

rapidement à la conclusion qu’il me fallait annoncer

publiquement notre mariage. D’un côté cette annonce

Page 207: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

207

entraverait le régime dans ses actions de persécution

et de harcèlement d’Ali. Par ailleurs je serais plus à

même de le soutenir en qualité d’épouse qu’en tant

que sympathisante des Modjahedines.

Je décidai sur le champ de rendre

publique l’annonce de notre mariage, d’autant plus

qu’un militant m’avait dénoncé à la Réaction comme

étant Modjahed. De ce fait, je n’avais plus rien à

cacher.

Finalement, je m’adressai à ce policier et

lui dis : « Certainement, Monsieur Ghazi est le

directeur de ma campagne électorale, mais il est

aussi en même temps mon mari. Lorsque j’eus dit

cette phrase, je vis un éclair de contentement et de

satisfaction étrange dans les yeux d’Ali, et il me

remercia d’un regard et d’un sourire.

Nous prîmes le déjeuner, puis on nous

ramena à la maison d’Ali. Celui ci, qui était

grièvement blessé, se mit au lit. Je le confiai à sa

mère à qui je recommandai d’appeler un médecin,

car je craignais, si je l’emmenai à l’hôpital, que les

manieurs de matraques n’aillent le subtiliser et ne lui

fassent subir des sévices et des tortures.

Page 208: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

208

Ali, dès son entrée dans la maison

rapporta à sa mère la nouvelle de l’annonce publique

de notre mariage que j’avais faite à la préfecture de

police et sa mère manifesta son bonheur en disant

qu’il s’agissait d’une communication que j’avais

faite de façon opportune.

Après en avoir terminé avec les

recommandations nécessaires pour que la mère d’Ali

puisse s’occuper de lui, je retournai en toute hâte sur

le lieu de l’affrontement. Le quartier général avait été

complètement anéanti. Un grand nombre de

personnes, déjà au courant de l’attaque des

mercenaires du régime, était venu voir les lieux où

avait eu lieu l’affrontement et le bâtiment détruit. De

là je me rendis à l’hôpital, où se trouvaient beaucoup

de jeunes de la ville, pour la plupart membres des

Modjahedines blessés à coups de couteau ou de

gourdin. Parmi ces blessés, il y avait un jeune

étudiant s’appelant Ibrahim Ahmadi, victime de

coups sur le crâne et se trouvant dans le coma. Sa

situation était des plus préoccupantes. Le jour même,

les Modjahedines le firent transférer à Téhéran et le

sauvèrent d’une mort certaine.

Page 209: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

209

Le valeureux Modjahed Ibrahim Ahmadi,

qui s’était ensuite marié et avait un enfant en bas âge

fut deux ans plus tard l’un des héros qui se battirent

contre les pasdarans dans un village du Lorestan et

mourut en martyr en même temps qu’un autre héros,

Djafar Hidari. Que leur mémoire reste vivante !

Réactions de la ville à la nouvelle de mon

mariage

La divulgation de mon mariage avec Ali

Akbar Ghazi au moment de sa libération de prison fit

rapidement le tour de la ville, et suscita des réactions

très différentes. Les réactionnaires de la ville et leurs

complices furent extrêmement stupéfaits et étourdis

par cette nouvelle et essayèrent dès le début de

polluer l’ambiance en diffusant des nouvelles

immorales sur Ali et sur moi.

Après notre mariage officiel, nous avions

confié l’original de l’acte officiel du contrat de

mariage à la mère de Ali.

Page 210: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

210

Après l’annonce de notre mariage, la

mère de Ali montra ce contrat, daté de six mois,

c'est-à-dire de Chahrivar 135813 à ses deux filles,

dont l’une était la belle sœur de Taheri Khoram

Abadi, le représentant de Khomeiny dans l’armée, et

l’autre la belle fille du cheik Mehdi Ghazi. .Les maris

de ces deux sœurs d’Ali comptaient parmi les

dirigeants du régime à Khorram Abad et à Qom, et

les rétrogrades, en voyant l’acte officiel daté de plus

de six mois, en conclurent finalement qu’ils ne

pouvaient parvenir à leurs objectifs de souillure en

propageant des rumeurs obscènes, abandonnèrent

cette méthode et gardèrent le silence.

Les partisans des Modjahedines de la

ville manifestèrent tous leur joie à l’annonce de ce

mariage.

Mes amis, et les Modjahedines actifs et

militants, dont certains, avant d’avoir appris la

nouvelle me reprochaient mon engagement

insuffisant et mon absence dans les réunions

publiques des Modjahedines, se rapprochèrent de

moi pour me féliciter et me demander pardon.

13 Chahrivar 1358 : Septembre 1979

Page 211: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

211

Mais dans tout cela ce fut la réaction du

personnel de la Société des Femmes qui fut la plus

intéressante. Ceux qui avaient eu l’occasion de faire

connaissance de Ali au cours de ses allées et venues

au bureau pour ses travaux de publication, furent à la

fois surpris et très ravis, et lorsque Ali, après sa

libération, y vint directement de la prison, ils

bouleversèrent complètement l’ambiance du bureau.

Dès son arrivée, les dames,

conformément à la tradition du Lorestan, se mirent à

crier de joie et les messieurs à applaudir pour

l’accueillir, et me firent son éloge en me présentant

leurs félicitations.

En me félicitant, l’un des employés me

dit : »La population de Khorram Abad dit que la

famille Ghazi dans cette ville est comme une bague,

dont monsieur Ali serait la pierre précieuse, et nous

sommes heureux de vous avoir fait cadeau de la

pierre précieuse de notre ville. »

Je lui dis en plaisantant : »J’espère que

votre pierre précieuse est une vraie, et non pas une

contrefaçon. Mais lui, très sûr de lui,

répondit : »Jamais, jamais, madame, soyez rassurée,

Page 212: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

212

il est authentique, car c’est un Modjahed du

Peuple. »

Ali fut bouleversé par cet accueil, et

lorsqu’il entra dans ma chambre me dit : »Il faut que

tu saches que tout le bien qu’ils disent de moi se

rapporte au militant de l’Organisation des

Modjahedin du Peuple, et de « Massoud », mais qu’il

faut évidemment porter tous mes défauts à mon

débit.

Ce fut, bien entendu la première leçon

sérieuse que j’appris de lui au sujet des Modjahedin,

une leçon que jusqu’à présent je n’ai pas oubliée

pendant des années de militantisme au sein des

Modjahedin, et qui a toujours contribué à m’ouvrir la

voie de l’avenir.

A la suite de la libération de prison de

Ali, l’un de ses oncles, qui avait beaucoup

d’admiration pour lui, organisa chez lui un repas

solennel à l’occasion de notre mariage, auquel il

invita la grande famille des Ghazi.

Page 213: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

213

Accroissement de la pression de la

Réaction…

A partir de ce jour là, dans la ville de

Khorram Abad en état d’émeute on vit se manifester

des bastonneurs recrutés par troupeaux dans les

villages par le cheikh Mehdi. Armés de bâtons et de

massues, ils étaient ensuite transportés dans la ville.

Les manifestants criaient des slogans

hostiles contre moi et contre ceux qui prenaient part à

ma campagne électorale. En hurlant « Mort aux

hypocrites14 » ils se rendaient chez les militants, les

attaquaient, cassaient tout et procédaient à des

pillages. Un soir même, je fus informée qu’une

manifestation dirigée contre moi s’était mise en

route.

Dans le courant de ces journées dures et

pleines de tumultes, moi qui n’avais jamais rien vu

d’autre que la bienveillance et le dévouement des

habitants de Khorram Abad, il était intéressant que

14 Hypocrites : Appellation injurieuse donnée par le régime des

mollahs aux Modjahedines.

Page 214: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

214

je voie de près la figure de ceux qui voulaient ma

mort et criaient des slogans contre moi. C’est la

raison pour laquelle, sans que ma mère ni Ali ne le

sachent, ayant changé mon apparence extérieure et

passé un tchador et des vêtements locaux, j’allai sur

les lieux et me mêlai aux manifestants.

A l’entrée de la rue du martyr Docteur

Houchang Azami, je vis moins de cent jeunes

villageois ayant à la main de longs bâtons et

criant : « Mort à Madame A... », « Mort aux

hypocrites », « Ceux qui n’ont pas voté n’ont pas le

droit de donner leur avis ». Ces slogans étaient les

mêmes que ceux utilisés contre Massoud Radjavi par

les mercenaires des mollahs lors des élections à la

présidence de la République. Car dans cette élection,

Khomeiny l’ »antéchrist de l’Islam » était intervenu

personnellement. Sous prétexte qu’il n’avait pas

donné sa voix à la loi constituante, il avait rayé

Massoud Radjavi de la liste des candidats à la

Présidence de la République.

J’avais marché avec les manifestants sur

une longue distance, depuis l’hôpital du docteur

Azami jusqu’au carrefour des Banques. Là, comme il

Page 215: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

215

n’y avait plus aucune femme parmi les manifestants,

je fus obligée de quitter le cortège et de marcher sur

le bord de la route et sur le trottoir.

Au Carrefour des Banques, je me

séparai silencieusement d’eux et j’allai chez Ali. Je

jetai d’abord un oeil dans sa chambre. Il était

endormi, car le médecin était venu et lui avait

administré un somnifère .Je l’observai, son visage

était devenu complètement bleu et enflé. En le

voyant dans cet état, les larmes me vinrent un instant

aux yeux. Je sortis de la chambre sans faire de bruit.

La mère et la soeur d’Ali, en voyant mon

habillement et ce tchador furent ébahies et me

demandèrent la raison de mon accoutrement, et je

leur racontai l’histoire de la manifestation des

cogneurs.

La mère d’Ali ne fut pas rassurée et dit :

« Ali serait très en colère s’il savait, car c’est une

action très dangereuse que tu as accomplie, car si

dans le nombre, l’un d’eux t’avait reconnue, ils

t’auraient mutilée ou tuée ».

Je répondis à la mère d’Ali : « J’étais

convaincue qu’il n’ y aurait pas une seule personne

Page 216: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

216

de Khorram Abad parmi eux, et que tous étaient des

hommes de main du cheikh Mehdi et du Parti de la

République venus avec leur riz et leurs brochettes de

leur village ». Puis je dînai avec elles, leur

recommandai de ne rien dire à Ali pour ne pas

l’inquiéter, leur dis au revoir et retournai chez moi.

Lorsque j’arrivai à la maison, ma mère

avait déjà été mise au courant par la mère d’Ali au

téléphone. Elle contesta le bien fondé d’une telle

opération et me dit : » Si tu me l’avais dit, je serais

au moins allée avec toi. S’ils avaient voulu te faire

subir des brutalités, j’aurais pu crier et appeler les

gens à l’aide ».

Je la pris dans mes bras, je l’embrassai, et

lui dis : « Je ne voulais précisément pas que tu sois

personnellement exposée au danger. En second lieu,

il ne s’est effectivement rien produit ; pourquoi donc

t’inquiéter outre mesure ? » Ensuite je lui fis

l’annonce de mon mariage public, et elle en fut

heureuse.

Après avoir rassuré ma mère, moi qui

avais vécu des journées dures et de très forte tension,

je me sentais très fatiguée .Je me retirai donc dans

Page 217: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

217

ma chambre pour m’y reposer. La scène d’une

manifestation de casseurs armés de bâtons se

présenta à mes yeux et je pensai à l’affrontement

que, avec je ne sais quelle bassesse les mollahs

mettraient en scène demain .C’est dans de telles

pensées que je plongeai dans un profond sommeil,

dont je fus réveillée en sursaut, quelques heures

après, par la sonnerie du téléphone.

Il était aux environs de six heures du

matin. C’était la mère d’Ali qui m’informait que les

pasdarans s’étaient introduits la veille au soir dans

leur maison et avaient procédé à l’arrestation d’Ali et

l’avaient emmené dans l’état physique où il se

trouvait

Je lui fis remarquer qu’elle aurait du

m’appeler aussitôt pour m’informer de cette

situation. Elle me dit l’avoir fait, mais que ma mère

lui avait dit que je dormais et n’avait pas eu le coeur

de me réveiller, promettant de me transmettre

l’information dès mon réveil. « De plus, dit elle, tu

te faisais déjà assez de souci pour Ali et j’ai pensé

qu’à cette heure de la nuit, tu ne pourrais

Page 218: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

218

entreprendre aucune démarche et que cela

augmenterait ton tourment ».

Je lui demandai si de son côté elle avait

commencé à intervenir. Elle me dit que non et je lui

demandai d’appeler le cheikh Mehdi, et de lui

demander la libération d’Ali, mais elle me répondit

qu’elle ne lui présenterait jamais une prière en

faveur de son fils.

Plus tard, après l’arrestation d’Ali

j’entendis dire qu’une de ses tantes était allé voir le

cheikh Mehdi et que tout ce qu’elle avait pu faire

était de l’injurier. Le cheikh lui avait cependant

donné sa parole qu’il le ferait relâcher et qu’il ne

l’avait fait capturer que pour pouvoir mieux le

protéger, que le Hezbollah ne le tuerait pas, car il

n’était pas dans leurs intentions de le faire mourir.

Il faut dire ici que le Hezbollah est un

nom de couverture pour des pasdarans, recrues de

cogneurs réputés en habits civils, utilisés par la

Réaction pour l’oppression des forces

révolutionnaires au lendemain même de la victoire de

la révolution contre le chah. Cela, toute la

population le savait.

Page 219: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

219

Il n’est pas inutile non plus de

mentionner ici que cette tante d’Ali, qui avait

présenté des objections à son maintien sous les

verrous, manifestant ainsi de l’attachement pour lui,

eut une crise cardiaque deux années plus tard,

lorsqu’elle apprit l’exécution d’Ali. Elle en mourut.

Le jour même où j’appris la nouvelle de

l’arrestation d’Ali, je décidai de prendre contact avec

le mollah Taheri, le représentant de Khomeiny dans

l’armée des pasdarans à Khorram Abad.

Le mollah Taheri était le frère du gendre

de Madame Ghazi. J’obtins son numéro de télé

phone par la mère d Ali et je l’appelai le matin même

très tôt à son domicile.

Ce fut Maryam, son épouse, qui répondit.

Mais je pensai que peut être Taheri reconnaîtrait ma

voix et ne serait alors pas disposé à m’écouter. Je me

présentai donc comme étant l’épouse d’Ali et belle

fille de Madame Ghazi. Je lui dis : » Je suis la belle

fille de Madame Bétoul et j’ai avec Hadj Akha un

problème à régler, car on a arrêté Ali et il faut que je

lui parle de cette affaire. Elle fut beaucoup plus

frappée d’étonnement par le mariage d’Ali que par

Page 220: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

220

son arrestation, elle se chargea de transmettre ma

demande et appela Hadji Agha en lui disant : » C’est

la nouvelle belle fille de Madame Bétoul », et lui

passa rapidement le combiné.

Je me présentai à Taheri de Khorram

Abad sous mon vrai nom et je lui dis : « Dans quel

Islam sommes nous ? Quelle liberté avons nous ? Où

est l’équité ? L’armée des pasdarans, pour laquelle

vous êtes le représentant de monsieur Khomeiny,

pour qui travaille t’elle ? ».

Dans ce contact, je fis avec colère des

objections aux affrontements, aux arrestations, et

aux attaques, et je lui déclarai : « En dehors du fait

que je prends part à des élections législatives, quel

autre délit avez vous à me reprocher qui motive tant

de pression de votre part et les coups dont je fais

l’objet ? » Puis ensuite, je le menaçai en lui

disant : « S’il manque un cheveu à l’un quelconque

de ceux que vous avez arrêtés pendant les élections,

je vais faire détruire la ville sur vos têtes, et je ferai

mettre en grève toutes les administrations et toutes

les écoles de la ville ».

Page 221: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

221

Quand il se rendit compte que les

circonstances lui étaient défavorables, il me parla de

façon fort courtoise, me demanda de rester calme et

me dit « Je vais immédiatement me rendre à l’armée

des pasdarans et recommander Ali. Vous pouvez

même aller le voir si vous le désirez. Soyez assurée

que je suis personnellement cette affaire. »

Lorsque la communication téléphonique

fut terminée, je m’habillai rapidement et j’allai à la

maison d’Ali. Nous allâmes ensuite avec Madame

Ghazi et une petite soeur d’Ali à la prison de l’armée

des pasdarans, sous la forteresse historique de

Falakolaflak, dans la garnison de Khorram Abad.

En voyant le spectacle du centre de

l’armée installé dans ces bâtiments, des scènes de

libération des bâtiments de l’Etat le jour du

22Bahman me revint à la mémoire et je fus la proie

de sentiments amers.

Je me rappelai combien d’amour et

combien d’espoir nous avions mis dans l’ouverture

des portes de ce bâtiment, qui était la prison du

régime du Chah et maintenant la même histoire se

répétait, en plus amer et en plus douloureux, et les

Page 222: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

222

mêmes jeunes et révolutionnaires que ceux que les

hommes de main du Chah y avaient amenés se

trouvent maintenant dans ces mêmes bâtiments,

prisonniers du gouvernement des mollahs.

C’est là que me revint le souvenir de l’un

de mes amis. Il raconta qu’au cours d’un voyage de

tourisme à Paris, à quel point il aurait voulu voir la

prison de la Bastille, libérée au début de la révolution

française, pensant qu’elle avait été transformée en un

grand musée ou un joli centre culturel.

Mon ami disait : « Lorsque j’arrivai sur

les lieux et demandai aux gens dans un français

écorché où se trouvait la prison, on me regarda avec

la plus grande surprise et on me dit des choses,

auxquelles je ne prêtai pas attention, en raison de

mon ignorance de la langue française. Finalement,

c’est par l’intermédiaire d’une personne parlant

l’anglais que je posai ma question dans cette langue.

Cette personne en rit très fort et me dit : « C’est à

l’emplacement de la station de métro que se trouvait

la prison de la Bastille qui, après la révolution et la

libération des prisonniers fut entièrement détruite et

ramenée au niveau du sol par le peuple de Paris et les

Page 223: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

223

révolutionnaires ». Transformée en station de métro,

il ne reste de cette prison effrayante que l’image des

prisonniers et des révolutionnaires qui ont été libérés.

En me rappelant ce souvenir lointain, je

me dis au fond du coeur : « Si seulement nous

avions, nous aussi, le jour où nous prîmes ce

bâtiment, procédé à sa démolition pour qu’il ne serve

pas une nouvelle fois aujourd’hui, et si peu de temps

après, de prison et de lieu de torture ».J’étais plongée

dans ces pensées lorsqu’ un pasdar nous ouvrit la

porte et nous montra le chemin du bureau de la

prison.

Je me présentai au pasdar qui s’y

trouvait, et en ma qualité de femme d’Ali, je

demandai à avoir un entretien avec lui. Il me regarda

d’abord avec grand étonnement, se demandant de

quelle manière Ali Ghazi, en l’espace de moins d’un

jour et dans une telle échauffourée, avait bien pu

trouver le temps de se marier, et après m’avoir jaugée

un court moment, de même que Madame Ghazi,

comme s’il avait été persuadé que j’étais la femme d

Ali, il se leva de sa place et partit.

Page 224: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

224

Nous restâmes à attendre un moment

dans ce même bureau, jusqu’à ce qu’Ali arrive,

accompagné d’un autre prisonnier qui était dans la

même cellule que lui, et dont j’ai malheureusement

oublié le nom. Il fut un candidat du parti communiste

à Khorram Abad et Ali, quand il avait compris que

j’étais venue lui rendre visite, l’avait amené avec lui.

Comme Ali il tomba plus tard entre les mains des

réactionnaires qui le condamnèrent à mort et fut

exécuté.

Je parlai à ces deux hommes et leur dis

que j’essayais d’obtenir leur libération. Ali, bien que

sérieusement blessé par les coups subis la veille et en

portant des traces sur son corps frêle, était cependant

bien vivant et même en bonne santé. Au début, il

plaisanta avec sa mère et sa soeur. Puis il s’adressa à

moi et me dit : « Je ne pense pas que tu obtiennes ma

liberté, car ils ne me libéreront pas avant le

lendemain des élections. Ils se sont saisis de moi

pour limiter l’activité de ta campagne électorale, car

ils pensent que sans moi, tu ne sauras pas solutionner

les problèmes de publicité. »

Page 225: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

225

Il me recommanda de ne pas m’inquiéter

de son état et dit : « A partir de maintenant, mets

toutes tes forces dans les élections avec l’aide des

militants et des cellules de l’Association et fais bien

attention qu’ils ne trichent pas et ne puissent te rayer

des listes électorales. »

Il confirma ainsi que, dans ces élections,

il fallait que nous soyons présents de toutes nos

forces et utiliser toutes les possibilités jusqu’à la fin

de la dernière étape, et ne pas nous arrêter en cours

de route, même si légalement, ils parvenaient à rayer

ma candidature des listes électorales. « Il faut que tu

continues le travail commencé et que tu entraînes les

gens derrière toi. », me dit il.

Au cours de cet entretien, Ali, après

s’être entretenu avec moi, plaisanta encore un peu

avec sa mère et sa soeur, puis nous partîmes. Il resta,

comme il l’avait prévu, encore quelques jours en

prison. Le lendemain du jour du scrutin, il fut libéré

et revint à la maison.

Page 226: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

226

Suppression de la liste des candidats

La préparation des élections, sans la

présence d’Ali Ghazi, mais avec le zèle des jeunes

ardents et courageux de Khorram Abad continua

avec la même intensité qu’auparavant.

Après la mise à sac de notre état major de

campagne, la population de la ville mit à notre

disposition les maisons de la ville pour y exécuter les

travaux de publicité électorale. Et les militants

Modjahedines, dans toute la ville de Khorram Abad

ne se laissèrent pas abattre, et poursuivirent les

opérations de propagande électorale.

La veille même des élections, le directeur

de la radio et de la télévision locales, qui était de la

même classe que le martyr Reza Rezaï, mais

également un homme progressiste et honorable, eut

un long entretien avec moi sur mon programme

électoral, mais aussi sur les affrontements des jours

précédents. Dans le cours de mon allocution, je

demandai à la population de participer de toutes ses

Page 227: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

227

forces à ces élections et de faire échouer les complots

des ennemis de la Liberté.

Le soir précédant les élections arriva

enfin. Dans les nouvelles locales, la radio annonça à

l’étonnement général, la nouvelle officielle émanant

de la préfecture de la ville, qu’accusée de n’avoir pas

donné ma voix à la loi constituante, et d’avoir troublé

l’ordre et la sécurité dans la ville, ma candidature

était supprimée de la liste .Il m’était donc interdit de

participer à cette élection.

Dans le même communiqué, il était

précisé que toutes les voix en faveur de candidats se

réclamant du soutien des Modjahedines déposées

dans les urnes seraient nulles. Il était demandé à la

population de reporter les voix sur d’autres candidats.

C’est ainsi que les premières élections législatives

organisées après la chute de la monarchie se sont

transformées en celles de super phalanges de députés

réactionnaires.

Après la libération de prison d’Ali, l’un

de ses oncles, qui ressentait pour lui une vive

affection et s’était beaucoup occupé de lui après la

mort de son père, nous invita chez lui en qualité

Page 228: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

228

d’hôtes à l’occasion de notre mariage, ainsi

également que d’autres membres de la famille Ghazi

et des amis.

Ali et moi avions revêtu selon nos

habitudes nos habits les plus ordinaires. Avant que

nous n’entrions dans le salon de nos hôtes, la mère

d’Ali, voyant mon accoutrement, une tunique et un

vieux pantalon, fut fort gênée. Sur un ton neutre

manifestement destiné à ne pas me blesser, elle me

dit : » Ton costume ne convient pas à ce type de

cérémonie. Si tu en es d’accord, mets un autre

vêtement ». Elle me donna alors une jolie blouse

blanche qu’elle avait achetée pour moi. Je changeai

de vêtement avant d’entrer dans le salon.

Après l’annonce publique de notre

mariage, tous les membres de ma famille et de celle

d’Ali nous apportèrent des cadeaux, pour la plupart

en or. Ali me dit à voix basse en guise de

moquerie : » En voyant tout cet or, je propose que tu

te convertisses en orfèvre ». Je lui répondis : « La

majeure partie de ces cadeaux sera pour

l’Organisation. » Nous nous occupâmes cette affaire

la première fois que nous retournâmes à Téhéran.

Page 229: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

229

Je dirai ici dans une courte parenthèse

que deux années plus tard, lorsqu’ Ali fut devenu

martyr, ce fut ce même oncle qui recueillit son corps

et le fit ensevelir. Malgré les efforts du régime pour

empêcher les cérémonies de deuil pour Ali, celles ci

se déroulèrent cependant en grande pompe dans la

ville.

Après avoir été les hôtes de la famille

d’Ali, nous nous rendîmes à Karman chah début

mars 1980 pour voir ma soeur Zohreh et mon neveu

le premier enfant qu ‘elle venait de mettre au monde.

Il n’est pas inutile de signaler que deux

ans plus tard, alors que cet enfant n’avait donc que

de deux ans, il fut fait prisonnier en même temps que

sa mère et son petit frère de un an et tenu en

détention pendant plusieurs années dans les prisons

du régime des mollahs, pour le simple délit

d’appartenance de sa mère à ma famille. Ces enfants

furent témoins des tortures sauvagement infligées à

leur mère par les pasdarans criminels.

Après avoir été les hôtes de ma soeur

pendant une journée, nous quittâmes Karmanchah

pour Téhéran, où nous rencontrâmes mon frère.

Page 230: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

230

La rencontre avec mon frère, avec lequel

j’avais toujours été liée par une très vive amitié, et

que je n’avais pas revu depuis le début de la

révolution contre le chah, fut un grand moment de

bonheur pour tous deux. Nous fûmes, Ali et moi, les

invités de mon frère pour le dîner, et ce fut

malheureusement la dernière fois que nous nous

vîmes. Une rencontre agréable et inoubliable.

Après avoir rencontré mon frère, nous

allâmes rendre visite avec une boîte de gâteaux à

mon cousin maternel et son ami, les deux témoins de

notre mariage, que nous remerciâmes d’avoir si bien

tenu auprès des autres membres de la famille le

secret de notre mariage. Nous leur annonçâmes qu’il

n’était plus nécessaire de le faire, notre mariage

ayant été rendu public.

Page 231: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

231

Les résultats des élections

Le jour des élections, nous avions placé

des observateurs dans presque tous les bureaux de

vote de la ville et des villages. En dépit de la quantité

de miliciens que le régime avait déployée pour

empêcher la population de voter pour moi, la majeure

partie des personnes m’ayant assuré de leur soutien

n’était pas au courant, en raison de l’annonce tardive

qui en avait été faite, de la suppression de ma

candidature. Celles qui la connaissaient

m’honorèrent toutes aussi de leurs suffrages.

Les observateurs du mouvement qui

étaient près des urnes virent que les miliciens et les

pasdarans, déchiraient les bulletins de vote à mon

nom et en effrayaient les électeurs qui voulaient voter

pour moi. Ces derniers faisaient l’objet de violences,

de désagréments, de sévices et de voie de fait. Moi

même, pour exprimer mon suffrage, j’allai au bureau

de vote de mon secteur, où se trouvaient de

nombreux reporters et photographes. Je me heurtai

Page 232: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

232

cependant à l’opposition d’innombrables pasdarans

et phalangistes.

Le décompte de mes voix et le résultat

que j’obtins ne furent pas publiés, mais l’un de mes

amis de la préfecture mit à ma disposition un compte

rendu manuscrit de la répartition des voix. Selon ce

document, le nombre des voix en ma faveur pour la

ville de Khorram Abad était supérieur de six mille

voix à celui obtenu par Fagharalladine Mousavi,

directeur du Parti de la République et candidat placé

en tête pour la ville. Il fut proclamé élu.

Après ces élections, je rassemblai un

dossier épais des fraudes pratiquées, ainsi que de

certificats médicaux provenant de médecins ayant

soigné les électeurs qui avaient subi des coups. Je le

fis parvenir à Bani Sadr qui était à l’époque Président

de la République auprès de qui je déposai une

plainte. Je n’en reçus jamais d’accusé de réception.

Page 233: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

233

Chapitre 4

Deuxième année de combat politique

Après les élections ma responsabilité

dans la Société des Femmes se trouva entachée par

les évènements de la période électorale, et plus

particulièrement par l’annonce de mon mariage avec

Ali Ghazi. Il ne se passa pas plus de six mois pour

qu’apparaissent des pressions insupportables de la

part de la Réaction .Je fus obligée de quitter cette

fonction et de choisir de vivre cachée.

Un moment après les élections, Azam

Talaghani me dit : « Evidemment, je ne m’attendais

pas à ce que vous choisissiez pour époux un

hypocrite avéré comme Ali Ghazi, et j’ai été choquée

lorsque j’ai appris cette nouvelle. Je lui répondis : »

Page 234: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

234

Je ne savais pas que dans l’ordre de la République

Islamique et dans la Société des Femmes, en plus de

leur sujétion au père, au frère et au passé, les femmes

devaient en plus obtenir l’autorisation de leur chef de

service pour se marier. Je m’imaginais que le

mariage était une affaire personnelle et que l’on

pouvait choisir soi même qui on voulait ».

Six mois se passèrent donc après les

élections avec des engagements et des coups

continuellement échangés avec la Réaction. De

février–mars 1979 jusqu’en septembre–octobre de la

même année les heurts avec la Réaction devinrent

plus nombreux et importants.

C’est dans cette même période qu’un

terrorisme aveugle apparut et que des phalangistes

en vêtements civils mais portant des armes se mirent

à aller et venir dans la ville et à constituer des

groupes actifs de terroristes. L’atmosphère d’

oppression dans Khorram Abad atteint un niveau tel

que les phalangistes n’avaient même pas de pitié

Page 235: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

235

pour le candidat du parti Toudeh,15et le mitraillaient

dans les rues, allant jusqu’au meurtre.

Pendant ces six mois, Ali tomba deux

fois dans les mailles du filet des terroristes du régime

qui tirèrent sur lui, mais il put habilement s’échapper

de leurs griffes et trouver son salut. Après la

première attaque perpétrée contre lui, nous louâmes

en cachette une maison dans Khorram Abad dans

laquelle Ali se tenait le jour, ne sortant que la nuit

pour régler ses affaires, escorté par mon neveu

Alireza Nafisi, un jeune costaud et sportif.

Il lui était interdit de toute façon d’aller

et venir seul et sans escorte .En raison de la violence

de mes accrochages avec la Réaction à la Société des

Femmes, je limitai moi aussi graduellement mes

allées et venues jusqu’à l’annonce de ma

condamnation à mort, qui eut lieu le

18septembre1980. C’est après cela que commença

pour moi une nouvelle période de ma vie, et que je

fus obligée de quitter ma ville et ma région, et ma

maison, et mon foyer.

15 Le parti Toudeh était le seul parti qui était d’accord avec les

mollahs

Page 236: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

236

Les combats officiels et cachés

Il était devenu évident que mes

accrochages avec les mollahs réactionnaires allaient

bientôt toucher à leur fin

Le régime, déjà fortement échaudé par

l’annonce publique de ma candidature et par l’affaire

de mon mariage avec Ali Akbar Ghazi, avait par

ailleurs subi une défaite cuisante dans l’attaque de la

Société des Femmes de Boroudjerd. Il avait encore

tout ceci sur le cœur et avait préparé en secret un

épais dossier dirigé contre moi, avec des documents

et des motifs fabriqués qu’il avait réunis et transmis

au tribunal contre-révolutionnaire. Je fus condamnée

pour rébellion contre Dieu, et corruption sur le

territoire. Dans le jugement, j’étais en particulier

déclarée coupable de collaboration avec les Bahaï (Je

n’avais pas licencié deux éducatrices du personnel

de crèches qui étaient de religion Bahaï),d’embauche

officielle non autorisée, de désobéissance aux lois

Page 237: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

237

(Allusion au recrutement de la martyre Massoumeh

Rezaï) et d’insoumission aux lois votées par

l’Assemblée de la Révolution (En raison du

recrutement de quelques femmes et de quelques filles

sans soutien que j’avais recrutées à titre de

contractuelles ), de mauvaise utilisation de la

fonction et mise à disposition des « Hypocrites » (les

Modjahedines) des moyens de l’Etat, d’ incitation de

la population à l’insurrection contre l’ordre établi

(Allusion à l’occupation des crèches de Khorram

Abad et de Boroudjerd ) et en plus de toute une foule

d’autres délits et contraventions imaginaires.

Mais j’avais prévu que de telles

accusations seraient un jour portée à mon encontre.

Je savais très bien que le complot de la Réaction

contre toute parcelle de progrès et de recherche de la

liberté n’aurait pas de fin, et j’en avais prévenu tous

les amis de l’administration de la Justice et des

tribunaux qui, après la dissolution du Parquet,

avaient tous retrouvé du travail dans les tribunaux

révolutionnaires. Je leur avais demandé d’accorder

une grande attention à tout ce qui pouvait être retenu

contre moi et de m’en informer immédiatement.

Page 238: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

238

C’est le 2I septembre de l’année 1980

que débuta la guerre avec l’Irak, et la nouvelle

enflamma la société de Khorram Abad. Le soir,

quand je retournai à la maison, ma mère s’élança à

ma rencontre et me dit qu’un monsieur de mes amis

était venu chez nous. » Il m’a donné ce papier pour

toi, et m’a dit qu’il fallait que je te trouve, où que tu

sois. Il m’a dit aussi qu’il s’agissait de ton arrêt de

mort ».

Je regardai le papier en question. Elle

disait vrai, c’était une copie d’un jugement qui était

daté du 23 septembre. Il était prévu que mon

interpellation aurait lieu le soir même. J’annonçai

immédiatement la nouvelle à Ali, qui me

dit : « Attends que le soir tombe, pour que je puisse

venir te chercher ».

Le temps de l’attente s’écoula avec

lenteur. Et le soleil se coucha dans le sang dans le

ciel calme, froid et indifférent. J’attendis l’arrivée

d’Ali, inquiète pour sa santé.

Dès que l’obscurité gagna le ciel chargé

de souvenirs de ma bonne ville de Khorram Abad Ali

arriva chez moi, nous dîmes au revoir à ma mère, qui

Page 239: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

239

calmement, calmement versait des larmes.

Accompagnés d’un membre de ma famille, le futur

martyr Alireza Nafisi nous prîmes la route et

sortîmes de la ville. Sur le bord de la route, nous

fîmes stopper un camion se dirigeant vers

Boroudjerd. C’est là nous débutâmes la vie cachée de

tous les Modjahedines, six mois avant le début de la

phase militaire.

Au moment du départ du camion, je vis

mon cher Reza, avec son aspect imposant et ses

larges épaules, courant derrière ce camion pour me

serrer encore une fois la main par la vitre. Ce fut la

dernière fois que je le vis.

Un an plus tard, et à peine un mois après

le martyre d’Ali, Alireza Nafisi fut mutilé sous la

torture par les bourreaux de Khomeiny et périt en

héros.

L’armée des pasdarans meurtriers de

Khorram Abad, après avoir pris de ma vieille mère

l’argent des munitions utilisées, lui rendit le corps

épanoui d’Alireza criblé de balles. Comme, dans la

république contre l’Islam de Khomeiny on ne donne

pas l’autorisation officielle d’inhumer les corps des

Page 240: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

240

condamnés dans le cimetière, ils la menacèrent de le

lui reprendre si elle pensait l’enterrer au cimetière

après une cérémonie de deuil.

Ma vieille mère, au corps tout courbé

depuis la ceinture, emmena le cadavre mutilé de son

petit fils bien-aimé, âgé de seulement vingt trois ans,

avec l’aide d’habitants honorables de la ville, venus

en pleine nuit et en cachette au cimetière de Khézer.

Il y fut inhumé, les habits maculés de sang, dans la

terre de Khoram Abad.

Départ involontaire de la ville et de la

région.

Cette nuit là, en m’éloignant de la ville

en suivant Ali, celui ci me demanda à voix basse

quels étaient mes sentiments au sujet de la situation

telle qu’elle se présentait. Ce qui était quand même

étrange pour moi, c’est qu’en dépit du lourd fardeau

supporté durant dix huit mois de guerre des nerfs et

d’affrontements quotidiens avec les sauvages

Page 241: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

241

débridés de la Réaction, je ne ressentais aucune

fatigue.

Bien entendu, il était bien clair pour moi

que j’avais bénéficié de circonstances propices chez

les Modjahedines du Peuple d’Iran, en collaborant

avec la marée des militants de l’Organisation, purs

motivés, et révolutionnaires qui se battaient en

permanence sans se sentir fatigués. Moi-même, je me

sentais posséder un potentiel énorme dans ma lutte

contre les réactionnaires féroces et sanguinaires.

Mais le sentiment qui prévalait en moi

était cependant inexplicable. Ali, qui semblait

inquiet pour moi en cours de route ne cessait de me

demander comment j’allais. « Bien ? » Je lui disais

seulement : » Très bien ». Cela, je le disais du fond

du cœur. Après l’inquiétude des premiers jours de

travail à la Société des Femmes, maintenant, après y

avoir passé deux années passées sans l’ombre d’une

compromission et sans la moindre concession à

l’égard de la Réaction sanguinaire et liberticide, je

me sentais gênée d’avoir quitté ma fonction à la

Société des Femmes et les amis et les excellents

Page 242: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

242

collaborateurs de cette administration, pour lesquels

j’avais conservé de bons sentiments.

C’est dans cet état d’esprit que six mois

après les élections législatives, au début du mois

d’octobre qui me rappelait toujours les bons

souvenirs des années où j’étais occupée en qualité

d’enseignante j’acceptai le départ forcé de la ville, et

sans aucun moyen, je quittai Khorram Abad dans la

nuit, avec pour bilan de mon activité à la « Société

des Femmes islamiques un mandat d’arrêt pour Ali

et une condamnation à mort pour moi. Je n’avais plus

la possibilité d’exercer aucune activité politique, non

plus que la moindre perspective pour mon avenir.

Ce furent ce soir là les derniers moments

de ma présence dans cette ville que j’aimais

beaucoup, la ville des jours de bonheur de mon

enfance, de mon destin troublé d’adolescente et de

jeune fille, une ville dont tous les quartiers sont pour

moi remplis de nombreux souvenirs, amers ou

agréables, une ville pour qui j’avais choisi cette

nouvelle voie et à qui j’avais montré, avec le

choix de vivre pour la liberté, la voie du combat

Page 243: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

243

pour la liberté hors des serres tâchées de sang des

mollahs, d’une population et d’un peuple bien aimés.

Cette jolie ville de Khorram Abad, il ne

m’a pas été donné d’y retourner pendant les vingt

trois années qui se sont écoulées depuis lors.

Dans Boroudjerd même, notre vie semi

clandestine était uniforme, avec ses hauts et ses bas.

Dès le début de la phase de terreur aveugle qui régna

à Khorram Abad, le centre d’activité de la Société

des Jeunes Monothéistes fut transféré à Boroudjerd,

où l’espace politique était plus ouvert. Ali et moi,

dans le cadre des activités de cette association,

effectuions un travail semi clandestin dans la ville.

Ali avait une activité quotidienne dans les

approvisionnements et l’aide apportée à tous les

membres de l’association, dont et y compris à nos

amis. Il était devenu célèbre en parlant le langage du

Lorestan avec les pères des jeunes adhérents. Il avait

également la responsabilité des achats et des finances

de l’association.

J’avais une activité dans l’organisation

des forces sociales, et en particulier la mise en train

d’une association des mères, des enseignants et des

Page 244: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

244

employés et je commençai la première période de

mon travail professionnel dans l’appareil.

Chaque semaine, le jeudi soir, je prenais

une leçon d’idéologie du mouvement des

Modjahedines et l’après midi des vendredis, je

l’enseignais aux dames de l’association. A la fin des

réunions, je collectais l’argent....et j’établissais avec

elles un programme détaillé pour l’association. Le

reste de la semaine, je donnais un coup de main pour

les travaux de publication.

De même, les analyses politiques du jour,

qui me parvenaient soit par Ali, soit par d’autres

responsables du mouvement, étaient transmises par

mon intermédiaire lors des communications que j’en

faisais aux réunions des enseignants ou des

employés. De ce point de vue, je participais

activement à l’éducation des forces sociales de la

ville de Boroudjerd, et j’agissais aussi dans la grande

maison cachée que nous avions à Boroudjerd. Nous

y avions mis en oeuvre un atelier d’impression et de

reprographie de nos communiqués, que nous faisions

fonctionner avec l’aide de deux militants. Mon

travail concernait essentiellement la typographie,

Page 245: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

245

tandis qu’eux deux se partageaient la responsabilité

de l’impression et de la reproduction

A côté des travaux ci dessus, dont Ali me

chargeait généralement, je pouvais, chaque semaine,

disposer de quelques heures de loisirs que je

consacrais à la peinture sur verre. Je reproduisais des

portraits de Massoud ou de martyrs modjahedines, en

particulier Fatemeh Amini, Mehdi Rezaï etc. La

vente de ces reproductions permettait de financer des

équipements et d’assurer la trésorerie de

l’Association.

Une autre de mes occupations pendant

cette époque, était de lire des livres ou d’écouter de

la musique tout en travaillant. C’est une habitude que

j’avais prise dans mon adolescence, un

magnétophone était toujours à côté de moi. Tout en

restant entièrement concentrée sur le travail que

j’exécutais, j’écoutais en même temps la musique

classique iranienne, des cassettes de flûte hongroise,

les symphonies de Beethoven, ou encore d’autres

musiciens auxquels je suis attachée.

Page 246: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

246

L’année 1981, l’année rouge de la

résistance

L’année 1980 fut marquée d’un bout à

l’autre de notre province par le terrorisme aveugle,

que nous payâmes de la mort de nos chers martyrs :

Kordestani, Bahram, Saremi Meheri, Mère Aïazi

Kobra, et un adolescent, du nom duquel je ne me

souviens malheureusement plus.

Le printemps 1981 était en route

.L’année 1981 avait commencé par des bastonnades

et le massacre des jeunes filles et des jeunes garçons

vendant des publications des Modjahedines.

En avril mai, il y eut un regain de

répression et les arrestations par les pasdarans et des

miliciens venus à Boroudjerd venant de Khorram

Abad atteignirent leur paroxysme. Elles

correspondaient d’ ailleurs à une recrudescence des

protestations de la population, et cette répression

s’étendit à l’ensemble du pays.

Parmi les témoignages d’opposition, il y

eut une manifestation s’élevant contre la mise à mort

Page 247: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

247

des Modjahedines du peuple Samaïe Nokhre

Khadjou et deux autres jeunes filles dans une ville du

nord de l’Iran, et Siavach Chams, du personnel de

l’armée, qui pour défendre un jeune vendeur du

journal des Modjahedines, au sud de l’Iran fut tué

d’un coup de poignard. Ces manifestations

s’élevaient aussi contre d’autres supplices, perpétrés

dans mon pays natal par des pasdarans ignorants et

criminels à la solde des mollahs, pendant la

diffusion de communiqués et la vente de

publications.

Je travaillais en coulisse à l’organisation

de ces manifestations dans la ville de Boroudjerd,

mais en raison de la possibilité d’y être reconnue, il

ne m’était pas permis d’y participer. Presque chaque

jour, du matin au soir, je parcourais à pied toutes les

ruelles de la ville, où je faisais du porte à porte et

invitais les habitants à prendre part à ces

manifestations.

Au début de chaque soirée, je rentrais

avec peine très fatiguée à la maison, et il était

convenu qu’Ali et moi nous rencontrions chez un

marchand de sandwiches qui tenait boutique à

Page 248: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

248

proximité de chez nous et, notre sandwich mangé,

nous rentrions à la maison.

Cependant, en raison de la recrudescence

des bastonnades dans la ville, il me fallut limiter mes

sorties et je restai à la maison où je me chargeais

des travaux de frappe à la machine et de reproduction

de documents.

Il y a lieu de tenir ici en honneur la

mémoire du Modjahed héroïque que fut Mohammad

Moradi, qui était un jeune militant de la section des

ouvriers de l’Organisation, qui fut cette année là

martyrisé à mort dans la ville de Doroud. C’est avec

lui que pendant des heures, nous étions occupés dans

le sous-sol de la maison à des travaux de frappe,

d’impression et de photocopie de publications.

Mohammad et moi préparions les

publications et les communiqués, et Ali Ghazi, sous

la menace d’être appréhendé, se chargeait de leur

emballage dans les paquets appropriés, de leur

distribution et de leur expédition dans le reste des

villes et des cantons de la province. Il n’est pas

inutile de le rappeler ici.

Page 249: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

249

L’armée des pasdarans de Boroudjerd,

renforcée par des éléments venant de l’armée de

Khorram Abad et de celle d’Ispahan était à la

recherche de nos stocks de papier et de l’endroit où

se trouvait notre imprimerie. Nous entreposions nos

gros cartons de papier d’imprimerie dans une

camionnette ouverte, que nous recouvrions d’une

bâche, et que nous garions dans une ruelle ou une rue

de Boroudjerd.

Un soir, nous fûmes informés que notre

façon de faire avait été dénoncée, et que l’armée

allait se répandre dans la ville et inspecter le contenu

de toutes les camionnettes parquées dans toute

l’étendue de la ville.

Ce soir là, Ali et moi étions seuls à la

maison. Ayant appris cette nouvelle Ali dit : « Nous

n’avons pas d’autre solution que d’apporter ce papier

à la maison. ». Il était une heure et demie du matin, et

en prenant des risques énormes, Ali et moi allâmes

chercherla camionnette, pour l’amener à l’entrée de

notre ruelle, une impasse courte et étroite.

Il nous fallait décharger le papier, un

ballot énorme qui aurait nécessité la force de deux

Page 250: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

250

hommes pour être déchargé et acheminé jusqu ‘à la

maison. En le voyant je fus un instant effrayée et je

ne crus réellement pas qu’il soit possible de le bouger

d’un centimètre. Ali, chétif, n’avait pas beaucoup

plus de force que moi. Mais nous décidâmes de

déplacer ce papier, faute de quoi il pouvait être

confisqué, ainsi que la camionnette.

Pour descendre ce gros ballot de papier,

qui pesait peut être plusieurs centaines de kilo, nous

montâmes tous les deux à l’intérieur de la

camionnette, puis nous le poussâmes, et en faisant

de gros efforts, nous parvînmes à le descendre au

sol. Ensuite nous le roulâmes en silence de toutes

nos forces le long de la ruelle, prenant bien garde de

ne pas faire de bruits qui pourraient réveiller les

voisins. C’est avec énormément de peine que nous

parvînmes à nous deux à amener dans notre cour cet

énorme ballot de papier pesant plusieurs fois notre

propre poids, et lorsque nous rentrâmes à la maison,

nous nous trouvâmes mal tous les deux.

Lorsque nous ouvrîmes l’œil le

lendemain mati, un des frères, possédant une clef et

étant entré dans la maison, vint à notre chevet, et

Page 251: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

251

nous vîmes que nous avions des blessures sérieuses,

Ali au niveau des reins et moi au niveau du cou, et

tous deux les mains sérieusement endommagées.

Constatant notre état physique sérieux,

ce frère demanda que nous soyons transportés à

Téhéran et nous fûmes hospitalisés pendant quelques

jours pour y recevoir un traitement des dommages

corporels subis au cours de ce déchargement de

papier..

Le mois de Mai/ Juin sanglant

Une nuit de la deuxième quinzaine de

Juin, l’un des responsables de l’Association vint

chez nous vers minuit et me donna en hâte un

communiqué et nous demanda de le taper et de le

reproduire en vitesse. Je descendis en hâte dans le

sous sol et me mis à le taper. Si je ne me trompe,

outre la phrase très simple du communiqué politique,

je remarquai dans l’autre coin un ordre qui attira mon

attention. Bien que je sois à même de taper à la

machine à grande vitesse, quoi que je fasse, je me

Page 252: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

252

concentrais sur le contenu de cet écrit, de sorte que

ma frappe n’avançait pas très vite.

Le responsable avait remarqué le manque

de concentration dans mon travail de frappe. Il me

dit : « Je vais dicter, vous allez taper. »Quand j’eus

complètement tapé le texte, j’allai avec Ali chez l’un

des militants qui cachait dans sa maison un appareil

de reproduction photographique, nous préparâmes les

copies et nous revînmes.

Le communiqué de cette nuit fut

immédiatement reproduit en grande dimension et

empaqueté, puis chargé dans une camionnette, et le

lendemain matin dès le lever du jour, Ali sortit cette

voiture de la maison et commença sa distribution.

Ce communiqué était une protestation

contre le massacre des jeunes vendeurs des

publications des Modjahedines dans les différentes

villes de la province, et insistait sur le droit

d’imprimer et de diffuser des écrits. C’est de cette

façon que débuta notre face à face avec le régime

moyenâgeux des mollahs, après l’avoir supporté

durant deux années remplies de souffrances et de

Page 253: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

253

douleurs, et le sacrifice de 58 martyrs sans que nous

ne commettions ni faute, ni acte de vengeance.

Après avoir terminé ce travail, et bien

que ma fatigue ait été grande, je ne fermai pas l’œil

.En raison de la transformation de l’atmosphère de la

ville, où la présence militaire était de plus en plus

grande, il y avait un certain temps que nous avions

fait venir ma vieille mère pour que l’ambiance de la

maison apparaisse normale aux yeux des voisins.

Elle avait été éveillée par nos allées et venues et avait

lu l’inquiétude dans nos regards. Elle vint près de

moi et me demanda ce qui se passait. Je lui donnai

des explications au sujet du communiqué, et lui

dis : « Mère, il est vraisemblable que le massacre va

commencer demain, et ma mère ne crut pas mes

paroles. Sans nous adresser un mot de consolation,

elle me dit : « Non, espérons que ce ne sera pas

comme vous le dites ».

Le lendemain, nous fûmes obligés, pour

des raisons de sécurité de quitter cette maison et nous

renvoyâmes momentanément ma mère à Khorram

Abad. Nous nous installâmes dans une nouvelle

Page 254: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

254

maison, et déménageâmes aussi tout notre matériel

d’impression de documents.

C’est vers fin Juin1981 que nous

emménageâmes dans notre nouvelle maison. Il ne

s’était pas passé plus de deux ou trois jours depuis

notre installation qu’un jour Ali fut pris dans une

rafle des pasdarans, mais réussit à forcer leur

encerclement et à s’enfuir. Le soir, après quelques

heures d’anxiété de n’avoir pas de ses nouvelles, il

me téléphona qu’après s’être échappé, il avait été

obligé de quitter la ville et se trouvait maintenant à

Hamedan. Il ne pourrait plus revenir à Boroudjerd et

me demandait d’être patiente en attendant la suite des

évènements.

Je restai un moment dans cette même

maison, avec le futur martyr Mohammad Moradi

avec qui nous effectuions les travaux d’impression et

de reproduction. Mohammad menait une vie

complètement cachée. Dans l’obscurité je lui portais

de l’eau et de la nourriture dans le sous sol de la

maison, où était installé le matériel d’imprimerie, et

il ne sortait qu’une ou deux fois un instant en

cachette dans l’obscurité pour utiliser les installations

Page 255: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

255

sanitaires situées dans la cour, puis retournait en

vitesse dans le sous sol, pour ne pas être aperçu des

voisins, dont le balcon donnait sur notre maison.

Une semaine se passa à vivre dans ces

conditions, et un soir, le modjahed martyr

Mohammad Afchar, qui faisait partie des chefs de

l’Association, vint chez nous pour nous dire : « Ali

est à la recherche d’une maison à Hamedan. En

attendant d’en avoir trouvé une, nous allons

t’envoyer à Hamedan, car, pour des raisons de

sécurité te laisser seule dans cette maison avec

Mohammad n’est pas une bonne solution. Si votre

présence dans la maison venait à être dénoncée, et

que le régime comprenait, il en ferait toute une

histoire. »

Il me parla aussi un peu des conditions

nouvelles, et de ce qu’était notre devoir dans cette

phase de notre lutte et partit. Ce fut ma dernière

rencontre avec ce modjahed héroïque. Selon ce que

j’ai entendu dire, peu après notre rencontre, il fut

arrêté dans la ville de Avaz et mourut sous la torture.

Deux ou trois jours se passèrent ainsi, et

un soir Ali vint en vitesse à la maison et me dit de me

Page 256: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

256

préparer rapidement, que nous devions partir à

Hamedan. Je pris mon petit nécessaire individuel, et

je partis dans la nuit avec lui. Notre maison à

Hamedan était une grande et jolie maison. Pour lui

conférer l’air d’une maison habituelle, nous fîmes

venir ma mère chez nous. C’est dans cette maison

que je vis pour la première fois le Modjahed du

Peuple Mohammad Mehdi Baba Djani, qui faisait

partie des responsables Modjahedines de notre

région, et je compris qu’à partir de maintenant, son

lieu de résidence serait notre maison.

Nouvelle période de résistance

C’est moins de deux mois seulement

après le 20 juin de l’année1981, date du début de la

résistance armée que le moment de la séparation se

présenta opportunément. Ces deux mois allant de fin

Juin à fin Août avaient été sanglants, et j’avais été

constamment aux côtés d’Ali, que je ne quittais pas

.Les journées étaient très troublées. Chaque jour un

grand nombre de nos amis étaient arrêtés ans la rue et

Page 257: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

257

mis à la torture. Condamnés à mort, ils mouraient au

gibet.

Nous étions nous-mêmes, à tout moment

et dans toutes nos allées et venues, prêts au sacrifice

de notre vie. Après deux années de vie commune

avec Ali, j’étais très attachée à lui, et la vie sans lui,

serait ce un seul instant, me paraissait insupportable.

Je vivais dans le cauchemar continuel de son

arrestation et de sa mise à la torture et je demandais

toujours à Dieu de devenir martyre avant lui.

Deux années d’une vie pleine d’émotion

et de trouble au cours desquelles je ne sentis pas le

temps passer, et comme Ali l’avait imaginé dès le

début, peu à peu nous nous approchions de la fin de

notre vie. Connaissant ma dépendance vis-à-vis de

lui, il saisissait toutes les occasions de l’utiliser pour

me préparer à supporter les jours très durs qu’il

faudrait vivre après qu’il soit devenu martyr.

Il me revient à l’esprit que dans la

seconde quinzaine d’Août, nous étions passés

ensemble devant la vitrine d’un grand fleuriste dans

la rue Bou Ali de Hamedan, je fis une pause devant

cette vitrine pour regarder les fleurs. Ali me

Page 258: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

258

demanda : « Laquelle préfères tu ? » J’en choisis

une, et il me dit en riant en guise de

boutade : « Dans un mois ce sera notre anniversaire

de mariage, et si je suis vivant, je te ferai

certainement cadeau de celle là. Mais si je ne suis

plus là, tu viendras seule l’acheter en mémoire de

moi, et tu l’emporteras à la maison. » Je fus fâchée

de ces paroles, je ne lui répondis pas, et nous

passâmes notre chemin.

Pendant cette période je lui demandais

en permanence : « Si tu es arrêté ou si tu meurs

torturé, que ferai je ? » Il me répondait : « Tout

l’enthousiasme et la beauté de notre vie réside dans

notre militantisme de Modjahedines et la différence

d’âge et la différence de goûts n’ont pas empêché

que nous ayons passé sans les ressentir deux années

à côté l’un de l’autre. Pour celui de nous deux qui

restera vivant après l’autre, la vie sera encore aussi

belle qu’avant si elle se poursuit avec les

Modjahedines et Massoud. Tu commets une erreur de

penser qu’après moi la vie sera terminée pour toi ».

Mais chaque fois que nous parlions

ensemble de ce sujet, il comprenait bien à mon

Page 259: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

259

regard et à mon humeur que je n’étais pas

entièrement convaincue par ses paroles. Par des

exemples et des modèles tirés de l’histoire des

Modjahedines ou de l’Imam Hossein, il essayait de

me faire saisir le sens du sacrifice et de me

tranquilliser. Il me disait toujours : « Est-ce que dès

le début nous n’avions pas mis nos pas dans ceux de

l’imam Hossein ? Jusqu’à présent, nous en avions

parlé, maintenant, on doit tenir la promesse et mettre

en pratique ce que nous croyons de tout notre cœur ».

Page 260: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

260

Le jour le plus amer

Fin juillet début août 1981 l’armée des

pasdarans de Khorram Abad se précipita dans notre

maison pour m’arrêter .Ils y trouvèrent Alireza

Nafisi, le fils aîné de ma sœur, âgé de 23 ans et

étudiant dans la branche commerciale, ainsi que

quatre de ses amis qui se trouvaient être là. Les

pasdarans les arrêtèrent et les emmenèrent avec eux.

Les amis d’Alireza furent tous

condamnés à mort dans les deux mois qui suivirent.

Mais jusqu’à la mi-septembre le régime se retint de

prononcer la mort d’Alireza, dans le but d’exercer

des pressions sur lui et d’obtenir des renseignements

sur l’endroit où j’habitais. Alireza fut torturé et

mutilé à mort le 14 septembre. Un peu avant son

arrestation, Zohreh, sa plus jeune sœur fut elle aussi

arrêtée alors qu’elle vendait des publications et je fus

très sérieusement inquiète à son sujet.

C’était le matin du 20 août, vers huit

heures du matin. Après avoir pris le petit déjeuner,

Page 261: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

261

j’étais occupée à desservir la table quand Ali entra

dans la cuisine, ferma la porte et dit : « Hier soir, j’ai

compris que tu avais encore pleuré pour Reza et

Zohreh .Serait ce que tu n’as pas l’esprit tranquille à

leur sujet ? »

Je lui répondis : » Tu y penses trop,

finalement tu sais à quel point j’aime ces deux

enfants, comme si je les avais élevés moi-même ». Il

me dit : » Il arrive souvent que l’homme qui croit

soit obligé de donner ce qu’il aime beaucoup, dans

son chemin vers Dieu ». Je lui répondis : « Je n’ai

pas encore atteint ce stade dans ma foi en dieu pour

que je lui donne volontairement ce que j’ai de plus

cher et que je ne lui demande pas ce jour là de sortir

immédiatement de la maison, car je ne suis plus

capable de le supporter dans ces conditions ».

Il me dit alors : « Si je le pouvais, pour

l’amour de toi, je ne partirais pas, mais j’ai une

mission importante à accomplir que je ne pourrai

certainement pas terminer avant midi, ce qui me fera

rentrer tard ». Puis il continua : « Ne pas sortir de la

maison, et ne pas mettre la main à la pâte sont une

façon de se soumettre. Par ces arrestations massives

Page 262: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

262

et ces emprisonnements, le régime entend s’imposer,

mais nous devons ne pas toujours nous soumettre aux

pressions de ce régime ».

Je lui répondis en pleurant : « Mais si toi

aussi tu venais à être arrêté que ferais, je, moi ? » et il

me répondit sans la moindre hésitation : « Ce qu’il te

faudrait faire est évident : vivre et te battre pour que

tout ne soit pas fini pour toi, te remarier avec un des

frères Modjahedines et continuer à vivre avec encore

plus d’ardeur et d’enthousiasme qu’avant. »

Ses paroles me donnèrent la chair de

poule, et c’est avec une profonde colère que je lui

répondis : « Pars, et ne continue pas, car les paroles

que tu profères me heurtent ». Mais lui, qui disons

le, attendait de moi une telle réaction, rit avec

beaucoup de sang froid, et me dit : « Mais, j’ai mis

tes pieds dans la voie la plus correcte, car ce chemin

que nous devons parcourir, des milliers de gens

comme nous n’en verront pas l’extrémité. Chacun

d’entre nous doit pendant sa vie, aimer cette vie, et

doit lutter contre les réactionnaires pour la rendre

meilleure. Un combat, non seulement pour mieux

Page 263: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

263

vivre notre propre vie, mais aussi un combat pour

rendre plus belle la vie des autres ».

Ses paroles m’avaient un peu rassérénée.

Je lui demandai pardon de m’être mise en colère, et

de n’être pas aujourd’hui sur la même longueur

d’onde que lui .Il me répondit en riant : « Si ton

cœur revient vers le mien, pourquoi mon cœur ne

serait il pas un moment séparé du tien ?

Malheureusement aujourd’hui ma tâche est telle que

je ne puis rester avec toi ». Il me dit au revoir et partit

pendant que, du haut des marches de l’escalier je le

regardai depuis la porte du bâtiment jusqu’à ce qu’il

disparaisse de ma vue. En partant il jetait à

intervalles réguliers un regard vers le haut en me

faisant un signe de la main. Ce jour là, je ne fis pas

grand-chose jusqu’à midi, et à partir de cette heure là

tout mon être fut étrangement envahi par l’anxiété.

J’étais sans nouvelles de lui et j’attendis ainsi jusqu’à

la fin de l’après midi, sans le voir revenir.

Peu à peu l’obscurité tomba et je fus

prise d’une étrange sensation d’étouffement. J’aurais

voulu crier et dire à tout le monde qu’Ali était en

retard pour rentrer à la maison.

Page 264: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

264

Au coucher du soleil, Mohammad Mehdi

Babakhani vint à la maison. Une onde d’inquiétude

se lisait dans ses yeux. Je lui dis : « Ali est en retard,

il se pourrait qu’il ait été arrêté et il me parait

préférable que vous ne restiez pas dans la maison. »

Il me dit : « Soyons vigilants, mais je ne pars pas ».

Ni Mehdi, ni moi ne fermâmes les yeux jusqu’au

matin. Je m’enfermai dans ma chambre et pleurai

avec beaucoup de chagrin.

Pendant la nuit, je sortis plusieurs fois de

ma chambre, et je vis Mohammad Mehdi qui se

tenait debout, effrayé, en fumant des cigarettes sur le

pas de sa chambre .Lorsque le jour pointa, j’étais

encore certaine qu’Ali s’en sortirait. Cependant, au

fur et à mesure que le ciel s’éclairait, le chagrin de

mon coeur ne faisait que s’accroître et s’opacifier

pour devenir noir comme la nuit et recouvrir toute

mon existence .

Le matin vint enfin, et je fis des efforts

pour me contrôler et ne pas pleurer en face de

Mohammad Mehdi lorsque nous parlions d’Ali. Au

début, je lui parlai un peu de l’attachement que

j’avais pour Ali, et de la conversation que nous

Page 265: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

265

avions tenue le jour même. Je continuai même : « Je

suis certaine qu’il a été arrêté ou qu’il est mort en

héros. S’il n’est pas mort, ils pourraient le condamner

à mort très rapidement ». Il confirma mes paroles et

me dit : » Je vais aujourd’hui essayer d’obtenir des

informations précises au sujet d’Ali. Je te les

communiquerai ». Puis il me dit au revoir et partit.

Après qu’il fut parti, je restai seule dans

la maison et j’entrai dans la grande pièce où chaque

matin Ali et Mehdi faisaient de la gymnastique. Les

vêtements d’Ali et le matériel de gymnastique se

trouvaient dans l’un des coins, et en les voyant, j’eus

le sentiment d’être à bout de forces et d’avoir la tête

qui tourne. Je m’appuyai contre le mur de la pièce,

puis je m’assis calmement, mis ma tête sur mes

genoux et je pleurai convulsivement.

Je n’étais seule que depuis quelques

minutes, lorsque je sentis l’ombre de quelqu’un qui

se trouvait à côté de moi. Je relevai la tête, c’était

Mohammad Mehdi.. Je fus désagréablement surprise,

et confuse de la situation dans laquelle je me

trouvais, mais je me repris aussitôt et je dis : « Je

Page 266: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

266

vous croyais parti ». J’avais cependant bien entendu

le bruit étouffé de la porte.

Il sourit et répondit : « J’étais parti, mais

j’avais quelque chose à faire et je suis revenu ».

J’étais certaine qu’il n’était pas sorti, mais avait

simplement manœuvré la porte de façon à ce que je

croie qu’il était parti, pour pouvoir constater quelles

étaient mes réactions profondes face à cette situation

douloureuse.

Il me dit immédiatement : « Je peux

rester et parler un peu avec vous, ou peut être serez

vous plus tranquille si je m’en vais, que vous vous

asseyez ici et que vous pleuriez seule ». Je lui dis :

« Restez ».

Il s’assit à distance et commença à

parler : « Si je considérais les vies sacrifiées de ces

militants qui s’en vont, moi qui suis responsable

d’eux, qui les aime d’un grand amour, un si grand

nombre de martyrs et de prisonniers enregistrés dans

mon secteur de responsabilité depuis un mois

m’empêcherait de vivre et de réfléchir à notre

combat ».

Page 267: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

267

Le visage décomposé par le souvenir des

martyrs et des militants, il ajouta : » Dans le grand

chaudron de la révolution et du combat, quand on

regarde ces martyrs, ou bien on devient un ennemi de

ce tortionnaire qu’est Khomeiny ou l’on cesse de

verser le sang, de devenir martyr, de se sacrifier et on

se désintéresse de toutes ces choses. Ou alors on

parvient à la grandeur par la victoire. L’histoire nous

a toujours enseigné que la révolution ne se fait qu’au

prix de sacrifices. Dans cette période, nous nous

trouvons face à face avec des mollahs diaboliques et

criminels, auxquels nous sommes contraints de faire

face et de résister en sacrifiant nos meilleurs

combattants et nos plus dévoués militants. »

Il apporta son Coran et en lut quelques

versets et leur exégèse, et il me demanda de ne pas

considérer le départ d’Ali comme la fin de tout.

Mohammad Mehdi insista sur le fait que si je ne

prenais la douleur de perdre Ali et toute sa bonté et

son amour que pour moi-même, elle serait alors

énorme et impossible à supporter. Mais si je replaçais

son sacrifice dans la masse des autres sacrifiés et

prisonniers que les mollahs nous imposaient, et que

Page 268: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

268

nous continuions dans la voie que nous avions prise,

alors je verrai qu’elle deviendrait sans aucun doute

plus supportable.

Après une ou deux heures de

conversation avec moi, que mon esprit et mon âme

absorbèrent comme le sol desséché attire les gouttes

de pluie, il put enfin partir tranquille, sachant qu’il

pouvait me laisser seule pour me sortir du tourbillon

effrayant où me plongeait l’imagination des tortures

d’Ali et de sa mise à mort.

Au moment de lui dire au revoir, je lui

demandai de n’avoir aucune inquiétude à me laisser

seule et de ne pas revenir dans cette maison. Car

après l’arrestation d’Ali, il était dangereux pour lui

de s’y trouver et il fut d’accord pour que ma mère,

qui allait sur ses 70 ans, et qui était une

sympathisante Modjahedine convaincue vienne

habiter chez moi pour que je n’y reste pas seule.

En partant, Mohammad Mehdi me

dit : « Vous me donnez votre parole que vous n’allez

plus pleurer ? » Mais je lui répondis : « Non, je ne

peux pas vous mentir. » Il me

demanda : « Pourquoi ? » Je lui dis : « Les femmes

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269

pleurent dans les circonstances difficiles, et moi

aussi, et je ne puis donner ma parole que je ne

pleurerai plus. » Il me regarda d’un regard profond,

me sourit avec bienveillance et me dit : « Mais pas la

femme d’un Modjahed ». Ce fut la première fois que

quelqu’un s’adressa à moi en ma qualité de

Modjahed.

Au début, m’entendre appeler ainsi me fit

tourne la tête, et je lui répondis : » Si je veux devenir

Modjahed, j’ai encore un long chemin devant moi.

Pour l’instant je ne le suis pas. Et vous pouvez

seulement m’appeler Madame Maliheh. » Il me

répliqua avec un autre sourire : « Ce n’est déjà plus

vrai à cet instant précis, Sœur Maliheh ». Puis il dit

rapidement au revoir et partit, tandis que je restais

sur place dans le plus grand étonnement de m’être

entendue appeler sœur.

Des informations complémentaires que

nous pûmes recueillir, il ressort qu’Ali fut

personnellement pris le jour même, tombant dans un

coup de filet tendu par l’armée des pasdarans sur

trahison d’un certain Essagh Biranvand et qu’il

opposa une grande résistance en criant des slogans

Page 270: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

270

tels que : « Mort à Khomeiny » et : » Vive Radjavi »

avant d’être capturé. Il fut transféré aussitôt, couvert

de chaînes jusqu’au lieu de torture du régime à

Khorram Abad.

L’un des prisonniers qui avait occupé la

même cellule que mon neveu martyr Alireza Nafisi,

se trouvait être présent à la prison de Khorram Abad

lorsqu’ Ali y arriva. Plus tard il réussit à s’échapper

de cette prison, trouva mon adresse en exil cinq

années plus tard, écrivit les souvenirs qu’il avait

conservés de cette période où il avait côtoyé Reza et

Ali à la prison. Il me les fit parvenir. Voici ce qu’il

a écrit au sujet de l’incarcération d’Ali à la prison de

Khorram Abad.

Il était près de midi et Reza (Alireza

Nafisi) faisait les cent pas dans notre cellule. Reza

passa rapidement la tête dans le couloir par la fenêtre,

et se retourna avec un mouvement de colère. Il jeta

violemment ses lunettes sur le livre qui se trouvait

sur le plancher de la pièce, et dit : « Il ne peut avoir

été arrêté », et il me raconta ensuite l’histoire d’Ali.

Il me dit : » Ali est parmi les meilleurs

des Modjahedines de la ville, et n’a pas pu être

Page 271: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

271

arrêté. Certainement vont-ils l’exécuter dès ce soi. ».

Ensuite, une heure après qu’Ali eut été introduit dans

la prison, le pasdar de garde entra un moment dans

notre cellule, à la recherche d’une éventuelle faute

de gardiennage.

Dès les premières minutes de son entrée

à la prison, Ali y avait changé l’atmosphère, et au

lieu de rester dans sa cellule, avait pris contact avec

les autres prisonniers, avait aussitôt jeté un œil dans

les autres cellules de la prison, embrassé et demandé

des nouvelles de tous les détenus. Il était très vif et

plein d’ardeur. Il était tellement content et de bonne

humeur que l’on aurait pu croire qu’il était venu en

visite à la prison, et qu’il n’y était pas détenu. Il me

demanda des nouvelles de ma santé et dit : « Fais tu

de la gymnastique, ou pas ? » Reza lui dit : « Oui, il

vient juste de commencer ». Il entra dans notre

cellule en courant, serra fortement Reza dans ses

bras, l’embrassa et lui dit à voix basse quelque chose

dans l’oreille qui les fit rire tous les deux.

Ali savait bien qu’il serait dans tous les

cas de figure condamné à mort, et n’observait

Page 272: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

272

aucune règle de sécurité, et disait à voix haute, et

sans se cacher tout ce qu’il avait à dire

Il n’était pas arrivé de quelques minutes

dans sa cellule qu’il vint rapidement chez Reza, lui

demanda ses chaussures et lui dit : Je vais m’enfuir.

Reza lui dit : « Ali, je vais partir avec toi, de façon à

ce que, s’ils s’en aperçoivent, ils s’occupent de moi

pendant que tu t’enfuis ».

Reza prononça ces phrases de toute

bonne foi, et voulait vraiment se lancer avec lui

pour assurer la réussite de l’évasion d’Ali. Il était

entièrement prêt à se sacrifier pour lui, mais Ali ne

fut pas d’accord et lui dit : « Moi je suis un

condamné à mort, et ils exécuteront peut être cette

sentence cette nuit. Il vaut donc mieux pour moi que

je meure dans la ville plutôt que derrière ces murs,

pour que ma mort ait un plus grand impact sur la

population, mais toi, il faut que tu restes et que tu

continues ton chemin. Il ne faut pas que tu te jettes

pour moi dans une affaire périlleuse ».

Il ne perdit pas de temps, s’éloigna très

rapidement de nous et quelques instants plus tard

nous entendîmes le bruit de ses pas qui se

Page 273: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

273

rapprochaient de notre cellule. Reza, qui s’était levé

d’avance pour dire une prière, la commença tandis

que l’on entendait la voix d’un enfant qui

disait : « Maman, un homme s’est enfui ». C’était le

garçon du chef de la prison. Un instant plus tard,

nous entendîmes la voix d’Ali qui s’envolait dans la

ruelle.

Environ une demi heure s’écoula dans

le silence. Il était trois heures de l’après midi. Reza

qui venait de terminer une nouvelle prière avait les

genoux qui tremblaient d’agitation. Il se planta

devant moi et me dit : » L’oiseau s’est envolé de sa

cage ».

Nous restâmes inquiets et mal à l’aise, et

une demi heure plus tard nous entendîmes des coups

de fusil .Je dis : « Reza, tu penses qu’il pouvait

s’échapper ? » Il me répondit : « S’il n’est pas arrêté

avant d’arriver à la place Takhti, l’affaire est dans le

sac ». Peu après on vit apparaître la tête d’un

enquêteur criminel appelé Ahmadi, qui nous cria des

injures et des paroles inconvenantes et nous dit qu’il

allait nous tuer tous, car « vous lui avez tous prêté la

main. »

Page 274: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

274

Le pasdar assurant la garde était très

affecté et donnait force coups en

disant régulièrement : « Le gredin, comme si je ne

l’avais pas dit que c’était un individu dangereux !

Maintenant il court, et il va donner aux hypocrites

toutes les informations recueillies ici et demain les

Modjahedines nous en feront voir ».

Ahmadi le criminel, tout en s’étranglant

de rage se tourna vers nous et dit : » Si Ali n’est pas

repris, vous allez tous avoir droit au câble électrique,

et je vous réduirai tous en morceaux. » Il hurla des

injures à tout l’univers, retourna tout autour de lui.

Mais une heure plus tard, la prison fut de nouveau en

effervescence, et on ramena le corps à demi mort

d’Ali à l’intérieur de sa cellule et on ferma la porte

du couloir.

Nous regardions par la porte de notre

cellule. Deux enquêteurs, Ahmadi et Foroutan, et

quatre autres pasdarans donnaient des coups de pied

dans la poitrine et le ventre d’Ali, et Ali le héros

criait régulièrement : « Votre crime ne restera pas

sans réponse de la part du peuple, et il vous faudra un

jour en rendre compte. »

Page 275: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

275

Finalement ils jetèrent le corps à demi

mort dans la cellule et partirent. A partir de ce jour le

nombre des pasdarans placés en sentinelle fut

multiplié et quatre d’entre eux furent affectés à la

seule surveillance d’Ali, et même beaucoup plus tard

les pasdarans se racontaient cette affaire entre eux

avec étonnement. Cette nuit là Ali eut des

vomissements de sang jusqu’au matin, mais personne

ne vint le trouver. Il resta abandonné dans sa cellule

dans un état sérieux. On vint le chercher dans la

journée pour un interrogatoire et quand il en revint le

corps ensanglanté par l’excès de torture et

entièrement disloqué .Malgré cela il était resté gai et

plein d’enthousiasme. Dans les rares occasions où

nous pûmes le voir en tête à tête, il riait avec

excitation. Il expliqua à Reza : « Je suis allé défendre

l’idéologie de l’Organisation. J’ai écrit la légitimité

de cette Organisation en seulement onze pages, pour

qu’elle reste dans l’histoire. »

Suite à la torture, Ali eut cette nuit là de

violents vomissements de sang jusqu’au matin, de

sorte que les deux hommes partageant sa cellule

protestèrent et dirent qu’ils ne pouvaient pas rester

Page 276: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

276

dans cette cellule au milieu d’une mare de sang. Ils

demandèrent qu’Ali soit emmené à l’hôpital. Mais

les pasdarans l’abandonnèrent dans l’état où il était

et installèrent ces deux hommes dans d’autres

cellules.

Le lendemain, Ali frappa violemment à

coups de pied la porte de sa cellule et dit au gardien :

« Ouvre la porte, je vais faire mes ablutions et réciter

ma prière ». Le pasdar criminel prenant le ton d’un

maître spirituel lui dit ironiquement : « Tu es un

hypocrite, depuis quand dis tu ta prière pour moi ? »

.Ali lui répondit en criant à haute voix : « Meurs

étouffé, petit morveux, toi et ton dirigeant Khomeiny

également .Vous êtes des chiens, je ne dirai pas de

prière pour vous. Un modjahed du peuple ne dit sa

prière que pour dieu, et c’est tout ».

Aux cris d’Ali, trois autres pasdarans

arrivèrent rapidement devant sa cellule. Le maître,

frappé de stupeur, n’eut plus le courage de

répliquer, et Ali se remit à donner de violents coups

de pied dans la porte de la cellule, en criant :

« Ouvrez la porte ». Le maître ouvrit cette porte avec

affolement et deux pasdarans se saisirent de la main

Page 277: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

277

d’Ali, tandis que deux autres se disposaient l’un

devant lui et l’autre derrière et l’emmenaient jusqu’à

un lavabo .A partir de ce moment, et jusqu’à son

exécution, Ali Ghazi eut une escorte de quatre

hommes pour faire ses ablutions rituelles avant

d’être reconduit à sa cellule, sans même avoir pu

prendre l’air.

Fuite hors du cercle de la mort

Avec l’arrestation d’Ali Ghazi dans la

ville de Hamedan le régime pouvait être assuré que je

me trouvais moi-même dans cette ville. Des équipes

de pasdarans, accompagnées du traître Eshagh, furent

envoyées de Khorram Abad, pour m’arrêter. Ma

photographie fut reproduite et diffusée aux pasdarans

et aux miliciens de Hamedan

Le régime des mollahs avait des plans

bien établis, et en particulier avait envisagé de

fouiller maison par maison pour me capturer dans la

Page 278: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

278

ville de Hamedan. Pour ne pas être reconnue, je fus

obligée de transformer mon aspect physique.

C’était le 23 septembre 1981. Je

m’occupais, dans la ville de Hamedan, de rendre

visite aux mères de martyrs ou de prisonniers

politiques. Ce jour là, vers11heures du matin, je

m’apprêtais, sur la place Bou Ali de Hamedan à aller

visiter une mère, dont les trois enfants avaient été

capturés ensemble et le fils aîné condamné à mort.

Cette femme vivait dans une grande souffrance

morale

Je venais d’entrer sur la place BouAli

lorsque mon attention fut attirée par plusieurs

voitures blanches dont les occupants étaient armés,

stationnant dans un coin de la place. J’eus le

sentiment que j’étais prise dans un cercle de mort,

dans le filet de l’armée des pasdarans. Je continuai en

direction de la ruelle Ekbatan, qui se termine par un

grand quartier ancien. Lorsque j’arrivai près de cette

ruelle, brusquement je vis un homme bouger

rapidement de la place où il était. Un moment, son

regard croisa le mien. C’était Eshagh le traître, ce

mercenaire connu pour avoir fait tomber le martyr

Page 279: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

279

Ali et beaucoup d’autres jeunes de Khorram Abad

dans le filet des pasdarans.

En raison du changement de mon aspect

physique, cet homme ne m’avait pas reconnue de

loin, et n’avait donc pu avertir à temps les pasdarans

de ma présence. Maintenant que j’étais arrivée près

de lui, il avait surgi avec sauvagerie comme s’il

pensait que je pouvais lui faire des misères.

Il avait un aspect lamentable et

complètement décrépit. Dès que je le reconnus, je

n’hésitai pas un instant et je m’engageai à toute

vitesse dans la ruelle et me mis à courir en entendant

les pasdarans qui me donnaient l’ordre de faire halte.

Je passai d’une ruelle à l’autre sans arrêter de courir

et m’engageai dans une ruelle étroite et entrai dans

une maison dont le portail était ouvert. Je refermai ce

portail derrière moi.

C’était une grande cour pavée, sur le côté

de laquelle une femme âgée était occupée à faire la

lessive dans un bassin. Cette femme, libre et

honorable, dès qu’elle me vit, entra précipitamment

dans sa maison, sourit, et dit : « Tu es

modjahed ? » Je lui répondis affirmativement. Elle

Page 280: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

280

me dit, avec l’accent doux de Hamedan : « Les

chiens sont à tes trousses ? » J’acquiesçai. Elle me dit

alors : « Ne crains rien, ils me passeront d’abord sur

le corps avant de pouvoir porter la main sur toi ».

Elle suspendit immédiatement

l’exécution de sa lessive et me fit entrer dans le sous-

sol de sa maison. Elle me donna un vêtement et un

tchador, me dit de me changer rapidement pour ne

pas être me reconnue s’ils venaient à envahir la

maison et elle plaça une machine à coudre devant

moi et me dit de m’occuper à coudre. S’ils venaient,

elle pourrait dire que j’étais sa fille. Puis elle

m’embrassa, me consola, m’assurant qu’il ne

m’arriverait rien de mal. Ensuite elle se remit à son

travail.

Cette mère honorable de Hamedan me

garda près d’elle près de cinq heures dans sa maison,

et jeta à plusieurs reprises un coup d’œil dans la

ruelle, et chaque fois qu’elle revenait elle

disait : « Ces chiens ont complètement :envahi le

quartier. Ils sont aussi sur la place BouAli et même à

l’entrée de l’autre ruelle qui donne sur la rue Abbas

Abad, et ils t’attendent. »

Page 281: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

281

Finalement, c’est après six heures de

l’après midi qu’ayant fait une nouvelle inspection de

la ruelle, elle me dit qu’ils avaient quitté les lieux et

qu’elle pouvait m’accompagner jusqu’à l’entrée de la

rue Abbas Abad. Je me mis en route avec elle dans

ces vêtements d’emprunt qu’elle m’avait donnés et

elle m’amena jusqu’à l’entrée de la ruelle.

Elle héla un taxi et me dit : « Monte »,

puis elle s’adressa au conducteur du taxi : « Cette

femme fait partie des Modjahedines, les chiens

étaient à ses trousses depuis le matin et ils avaient

barré toutes les ruelles du côté de la place BouAli et

de la rue Abbas Abad. Je voudrais que tu la fasses

sortir saine et sauve de ce quartier et que tu

l’emmènes là où elle voudra aller. »

Je fus très étonnée de la façon dont cette

femme me présenta au chauffeur de taxi, et je lui

demandai à voix basse si elle connaissait ce

conducteur. Cette femme me dit: « non ». Le

chauffeur, qui avait remarqué mon inquiétude, me

dit : « Ma sœur, ne crains vraiment rien, je te

conduirai comme la prunelle de mes yeux, saine et

Page 282: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

282

sauve là où tu voudras .Vive les Modjahedines,

monte que l’on démarre. »

Cette mère magnanime de Hamedan et

moi, sans même que nous ne sachions vraiment nos

noms respectifs, nous séparâmes l’une de l’autre et je

grimpai à l’arrière du taxi, et la voiture se mit en

route. Le conducteur, sans même me demander

d’argent pour la course, me déposa à proximité de ma

maison, et me donna en plus une somme d’argent en

me disant : « C’est toute la recette de ce jour, prends

la et dépense la pour tes amis, ce n’est rien ». Puis il

me recommanda d’être très vigilante et partit, tandis

que je restais sur place, étonnée de tant d’amour et de

bienveillance à l’égard des Modjahedines.

Lorsque j’arrivai à la maison, tout le

monde était très affecté, pensant que j’avais aussi été

arrêtée, et quand ils me virent, et que je leur racontai

mon histoire, ils furent tous rassérénés. Mais il me

fut interdit par mes amis d’aller et venir à l’extérieur

de la maison, de sorte qu’il ne me fut plus possible de

sortir de chez moi à quelque titre que ce soit, de peur

d’être arrêtée.

Page 283: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

283

Une rumeur qui fait mal

Le choc de l’arrestation d’Ali, et la perte

d’un mari auquel je m’étais fortement attachée, me

laissèrent un immense sentiment de vide et de

solitude. Je me trouvais en permanence aux prises

avec cette situation et j’essayais de mettre en

pratique ses recommandations, et ce qu’il me disait

toujours : » »Nous nous sommes disposés, dès le

début, à prendre le chemin de l’imam Hossein, et il

nous faut suivre ce chemin jusqu’au bout avec

honneur ».

Mais il ne s’était pas passé plus de deux

ou trois jours amers et lourds à rester à la maison

que l’on me rapporta que le bruit courait dans

Khorram Abad qu’ Ali Ghazi avait trahi et avait

donné au régime tous les renseignements qu’il

possédait. En entendant une telle nouvelle, ce fut

comme si je tombais du haut d’une montagne. J’eus

en réalité le sentiment que j’étais entièrement

disloquée.

Page 284: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

284

Avant d’entendre dire cela, je croyais que

les jours les plus noirs de ma vie avaient été ceux qui

avaient suivi l’arrestation d’Ali. Mais maintenant,

cette nouvelle noircissait de façon étrange mes jours

et mes nuits. Jusqu’à présent, je vivais en

permanence dans le vide laissé par la disparition

d’Ali et le cauchemar de son exécution .De me sentir

vivante, me plongeait maintenant dans un état

extraordinaire de détresse et d’inquiétude et je

n’avais plus un instant de calme et de repos. Je ne

cessais de pleurer en me demandant pourquoi Ali

avait fait cela et tourné le dos à tout ce que nous

avions réalisé et souffert pendant deux ans pour y

parvenir.

C’est dans ces jours là que Mohammad

Mehdi apprit que je n’avais pas l’esprit en repos, et à

mon grand étonnement, il vint un soir à la maison. Je

fus choquée de sa visite, intervenant peu de temps

après ces nouvelles épouvantables, et je lui objectai

qu’il n’avait pas à venir dans une maison qui était

dangereuse pour lui, mais il en rit et me dit : « Les

copains m’ont dit : Notre sœur, en entendant la

rumeur de la trahison de son mari est presque

Page 285: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

285

devenue folle ». Je suis donc venu te voir pour

savoir ce qu’il en est exactement ».

Je lui fis remarquer que si la rumeur était

fondée, cette maison pourrait être le lieu de son

assassinat. Il n’aurait donc pas du venir. Il me

répliqua : « Ton erreur est de croire que ce que l’on

en dit est vrai. Moi je te donne ma parole que si l’on

considérait l’ensemble des gens qui trahissent, Ali ne

saurait en aucun cas être l’un d’entre eux. »

Je fus très étonnée de cette confiance

totale qu’il avait en Ali, et je lui racontai que dès que

j’avais entendu cette rumeur, en dépit de

l’interdiction d’aller et de venir en dehors de la

maison, je m’étais rendue à l’endroit le plus

dangereux de la ville de Hamedan, c'est-à-dire là où

se trouve le bureau des télécommunications. J’avais

appelé la mère d’Ali au téléphone pour prendre des

nouvelles et faire la part des vérités et des

mensonges. Il commença par se fâcher de ce que

j’étais allée en cet endroit et dit : « Que ce soit la

dernière fois que tu fais ce genre de choses ». Il me

demanda ensuite quel avait été le résultat de mon

contact avec la mère d’Ali .Je lui dis qu’elle m’avait

Page 286: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

286

répondu : « Je n’ai pas encore eu d’entretien avec

Ali, et cette nouvelle a elle aussi été répandue dans la

ville par le régime ».

Evidemment, avant le contact que j’ai eu

avec la mère d’Ali, j’avais appelé un de mes amis

pour avoir des nouvelles et il m’avait dit : « La

nouvelle de la trahison d’Ali est une rumeur que le

régime fait courir, mais le peuple de la ville dit que le

cheikh Mehdi a fait parvenir à Ali le message que s’il

livrait tous les renseignements et qu’il parvenait à

convaincre son épouse de se faire connaître, on ne le

ferait pas mourir. Il leur procurerait même un

passeport à tous les deux et les enverrait en

Amérique où ils pourraient vivre tranquillement.

Mais que dans sa réponse, Ali lui avait dit qu’il

emporterait dans sa tombe son désir de le voir trahir

et qu’il ferait mieux de se préoccuper de lui-même et

de son diabolique Imam Khomeiny le bourreau, car

après son renversement par la puissance populaire et

les Modjahedines, ils ne trouveraient plus en Iran un

seul endroit où leur sécurité soit assurée.

Mohammad Mehdi me livra rapidement

ce message et dit : « Il est évident qu’Ali n’a pas

Page 287: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

287

donné suite à ce message. Ils auraient continué leurs

sévices sur lui, tu serais aussi tombée entre leurs

griffes et que vous auriez été tous les deux traînés

dans la fange avant d’être tous deux anéantis. »

J’informai Mohammad Mehdi que j’avais demandé à

la mère d’Ali d’avoir par tout moyen possible un

entretien avec Ali , de le voir personnellement, et de

lui transmettre un message de ma part.

Il me demanda : « Quel message as tu

envoyé à Ali ? » Je répondis : « J’ai dit à sa mère, si

vous le voyez, donnez lui ma parole que mon état est

très satisfaisant, que je suis fière de lui, et que, fidèle

aux recommandations qu’il me faisait quand il

s’absentait, je poursuivrai avec force et vigueur, la

voie qu’il avait prise, qu’il aille avec bravoure au

paradis et qu’il me réserve à côté de l’imam

Hossein, une place en attendant que je vienne le

rejoindre ». En entendant mon message, une lueur de

joie brilla dans les yeux bienveillants de Mehdi, qui

se tourna vers ma mère et lui dit : « J’avais deviné

que la femme dont vous êtes la mère ferait face avec

courage à cette situation ». Il continua pour ma

mère en plaisantant : » Ma sœur, si elle pleure bien,

Page 288: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

288

elle laisse aussi de beaux messages, vous pouvez être

fière d’avoir une telle fille et un tel gendre ».

Nous nous mîmes à rire tous les trois (Ma

mère, Mehdi et moi), mais au souvenir des larmes

que j’avais versées, j’eus honte devant lui.

Mohammad Mehdi, après qu’il ait été

rassuré sur moi, récita une prière collective avec ma

mère et moi, puis il lut le Coran pendant une heure

et en fit l’exégèse puis il dîna avec nous et partit,

après m’avoir recommandé de lui faire parvenir

rapidement ma réponse à ses messages par

l’intermédiaire d’un correspondant, d’être forte

comme l’est une femme Modjahed, de pleurer peu

et de continuer de penser à la voie prise par Ali et les

autres martyrs.

Deux ou trois jours plus tard j’appelai la

mère d’Ali, qui avait pu le voir. Pendant qu’elle

parlait, elle pleura abondamment et me raconta l’état

physique déplorable dans lequel elle l’avait trouvé,

les tortures qu’il subissait, et ses vomissements de

sang permanents. Elle me parla un peu de moi et

m’informa qu’elle avait transmis mon message à Ali

et qu’il lui avait donné la réponse suivante : « Ma

Page 289: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

289

chérie, ton message plein d’espoir m’a fait plaisir .Je

mourrai maintenant en martyr tranquille et

certainement que je retiendrai au paradis une place

comme tu le désires. »

La mère d’Ali me rapporta ses propos : «

Ils vont m’exécuter dans les prochains jours, mais il

faut que tu sois forte et s’ils te demandent de venir

chercher le corps de ton fils, ne leur donne pas ton

accord et dis leur comme les femmes dans

l’Achoura : » Le secret que j’ai confié à Dieu, je ne

le reprends pas. » Après avoir reçu ce message,

Mehdi vint de nouveau à la maison pour nous rendr e

visite, à ma mère et à moi, et en fumes très

heureuses.

Page 290: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

290

Le moment de l’exécution.

Le 28 août, Radjaï16, et Bahonar17 furent

exécutés par la population en expiation de leurs

actes honteux. C’est ce jour là que fut diffusée la

nouvelle que la racaille et les voyous de l’armée des

pasdarans et de la milice avaient attaqué une prison à

l’intérieur de laquelle étaient détenus des

Modjahedines et exercé des voies de fait sur les

prisonniers. En particulier sur Ali qui avait été laissé

en piteux état. On l’avait attaché à demi mort à un

arbre de la garnison de Khorram Abad, où il fut

fusillé.

La nouvelle de l’attaque de la prison et

des sévices infligés aux prisonniers avait été

colportée aux oreilles de la population de la ville et

des familles des prisonniers par les voyous de la

Réaction. L’atmosphère dans la ville était très

houleuse, certains s’étaient rassemblés devant le

16 NdT : Président de la République Islamique 17NdT : Premier ministre de la République Islamique

Page 291: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

291

centre de l’armée des pasdarans. Les responsables du

régime, pour prévenir une extension de l’agitation,

empêchèrent l’exécution d’Ali par les miliciens

porteurs de gourdins et donnèrent aux agresseurs leur

parole qu’ils se chargeraient eux-mêmes de sa mise

à mort dans la nuit même.

En vertu de cette parole, dans la nuit du

28 août, Ali, qui à force de torture n’avait plus la

force de se tenir debout mais criait encore de toutes

ses forces des slogans de mort contre Khomeiny et de

louanges à Radjavi fut attaché à un arbre, aux yeux

de tous les autres détenus, et fusillé.

On dit qu’une partie des membres du

peloton d’exécution, après que le mollah Ahmadi eut

donné l’ordre de tirer, ne tira pas. Ce mollah Ahmadi,

qui avait vu la scène, fut effrayé de n’être pas obéi. Il

sortit son Colt et tira sauvagement une balle dans la

bouche d’Ali, qui fut en plus achevé ensuite d’une

rafale de mitrailleuse.

C’est à minuit que la famille d’Ali fut

informée de son exécution .Il lui fut demandé de

venir récupérer le corps à la prison, mais

conformément à la recommandation d’Ali il leur fut

Page 292: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

292

répondu: « Nous ne voulons pas du corps, dont

l’esprit est désormais auprès de l’imam Hossein. Ce

corps appartient à ses meurtriers ». En fin de compte,

c’est ce même oncle qui deux années plus tôt, avait

organisé une fête pour notre mariage, qui alla

chercher le cadavre du martyr Ali et qui le fit

inhumer dans le mausolée de leur famille.

Pendant quelques jours, des cérémonies

eurent lieu dans sa maison, à la mémoire du martyr

Ali, et la population de toute la ville et des villages

voisins de Khorram Abad, qu’ils soient proches ou

éloignés, y prirent part, pour exprimer leurs

condoléances pour son sacrifice.

Le jour du 28 août 1981, la nouvelle de

l’exécution d’Ali fut annoncée à la radio dans les

informations générales. Ma mère et moi étions seules

à la maison. Pour que ma mère n’en prenne pas

conscience, j’éteignis précipitamment le poste de

radio.

Entendre cette nouvelle en ces jours là,

était certes pour moi très amer et très lourd, et à vrai

dire très dur à supporter, mais j’avais quand même

deux motifs de paix intérieure. Le premier était

Page 293: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

293

qu’Ali était libéré des souffrances de la torture, et le

second de penser qu’il n’avait pas cédé, ce qui était

impossible, mais cette idée me travaillait et je

n’aurais pas voulu qu’il cède.

Je cachai la nouvelle de l’exécution d’Ali

à ma mère, et j’essayai en tous cas de ne pas laisser

couler mes larmes en sa présence et de faire en sorte

qu’elle ne remarque pas l’état dans lequel je me

trouvais. Car je savais l’amour et l’attachement

qu’elle avait pour Ali, et que cette nouvelle lui serait

insupportable.

Au début de la soirée, Mahammad Mehdi

vint de nouveau nous rendre visite. Il me demanda

d’abord si je connaissais la nouvelle, et je lui

répondis affirmativement. Il me demanda : « Ta mère

la connaît aussi ? » Je lui fis un signe négatif .Mehdi

lui annonça alors calmement la nouvelle, et lui

présenta ses condoléances, puis il parla d’Ali et de

ses qualités.

En entendant ce qu’il avait été,

j’exprimai mes sentiments à Mehdi et à ma mère en

pleurant abondamment, et il me dit amèrement : »

Vous voyez jusqu’où va la bassesse de Khomeiny, à

Page 294: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

294

conduire femme à se réjouir de l’exécution de son

mari. »

Ma mère pleura très fortement, resta

sans ressort, et dit toutes les difficultés rencontrées et

toutes les peines subies pendant les soixante quinze

années de sa vie, et s’éleva contre les douleurs et les

tortures infligées depuis l’arrivée au pouvoir il y a

deux ans de l’inhumain Khomeiny.

C’est alors que Mehdi dit à ma mère de

ne pas s’inquiéter pour ma solitude et il lui donna sa

parole que le lendemain il enverrait quelqu’un près

de moi pour qu’elle puisse se rendre à Khorram Abad

et assister aux cérémonies de deuil à la mémoire

d’Ali. Il me demanda d’enregistrer une cassette dans

laquelle je m’adresserais aux mères et aux épouses de

martyrs pour leur demander d’être fortes, et de la lui

faire parvenir pour la cérémonie.

Je me mis au travail en vitesse, mais quoi

que je fasse, les larmes m’empêchèrent de parler et je

décidai d’écrire.

J’écrivis une biographie d’Ali, et

composai aussi un long poème, destiné à être récité

de ma part au cours de la cérémonie funèbre. Cette

Page 295: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

295

nuit là, jusqu’au matin, je couvris plus de dix fois le

papier de larmes et je dus en changer pour pouvoir le

terminer et permettre à ma mère de l’emporter avec

elle à Khorram Abad.

Persistance dans la conviction

merveilleuse

Avec le sacrifice d’Ali, moi qui pensais

jusqu’à ce jour là que je pouvais seulement rester à

son côté dans la voie difficile et pénible des

Modjahedines, je me trouvai devant deux chemins :

que faire seule, et quel itinéraire choisir. Etais je

capable et avais je les qualités pour parcourir seule

cette voie difficile ?

En ce qui concerne ma résolution, je

n’hésitai pas un seul instant, et je décidai de

poursuivre dans la voie engagée, mais il faut

reconnaître que parcourir cette voie parsemée

d’embûches sans les aides lointaines ou rapprochées

que mon héroïque mère, les autres Modjaheds

Page 296: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

296

magnanimes, tels que Mohammad Mehdi Babakhani,

Bhedjat Sadoughi, Mahammad Ali Iahiavi, Achraf

Ahmadizadeh, et beaucoup d’autres, m’apportèrent,

cela n’aurait pas été possible.

Mais en choisissant cette voie difficile, il

me parut évident que, même en ayant une expérience

de deux ans et demi lutte politique, il me faudrait

certainement, traverser, en me serrant la ceinture,

un océan de souffrances, de sang et d’efforts pour

parvenir, à un endroit et à une époque que je ne

connaissais pas, et que je ne connais pas encore.

Oui, en ces jours là, je ne pouvais voir

aucun signe marquant le bout du chemin, mais en

même temps quelque chose luisait au fond de moi-

même, me poussait vers l’avant, et c’était cet

horizon lumineux et merveilleux de ma conviction

que cette voie était bien celle restant à explorer et

dans laquelle je devais m’engager. Il fallait, sans

tergiverser, et sans hésiter un instant, la parcourir

sans renoncer jusqu’au bout, quel qu’en soit le prix.

C’est avec cette ferme résolution que je fis les

premiers pas dans une nouvelle étape dans la voie de

la liberté en commençant à écrire pour les martyrs.

Page 297: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

297

Ce fut l’époque où, bien que le souvenir

d’Ali ne me quittât pas un instant, mais sous tendait

tous mes efforts, je consacrai toute ma vie et tout

mon être, à lui et aux autres cœurs qui battent pour

l’amour des autres et de la liberté et se dressent

chaque jour au cri de « Vive Radjavi »

C’est dans ce but même que je me suis

efforcée jour et nuit avec beaucoup d’amour, de faire

en sorte que le chemin des martyrs soit édifiant, et

de porter le message de leur sang versé.

Dans chaque ville ou chaque prison où

étaient morts des suppliciés j’ai recueilli leur

testament ou leurs notes manuscrites, certaines

quelquefois tachées de sang ou parfois écrites dans

les étroites marges blanches des journaux, et bien

souvent illisibles et que les familles retrouvaient dans

leurs vêtements sanglants de martyrs et qui me

parvenaient rapidement, transmis par l’intermédiaire

d’amis, pour que j’écrive pour chacun un mémorial

et un poème.

Lorsque le texte écrit à la mémoire de

chaque supplicié, il était chanté, de sa voix agréable

et chaude par la martyre Achraf Amahdizadeh que

Page 298: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

298

nous appelions Nasrine, avec beaucoup de difficultés

et en secret, avec beaucoup de difficultés, j’en

faisais un enregistrement musical dans les maisons

cachées où nous vivions. Et lorsque nous arrivions à

la cérémonie funèbre organisée par la famille de ces

martyrs, nous diffusions sur place, le texte polycopié

qui avait été édité avec l’aide de la résistance de

l’endroit où avait eu lieu le supplice de chacun des

martyrs.

Pour pouvoir réaliser notre tâche dans les

maisons qui servaient de cachette, et pour ne pas

faire de bruits qui pourraient les faire repérer, nous

avions installé un « studio »que nous appelions en

plaisantant »le studio du korsi ».18

Ce studio du korsi était une de mes

brillantes créations .Et il était ainsi fait que, sous une

petite table, nous avions placé une lampe, et pendant

l’enregistrement de la cassette du mémorial de

chaque supplicié, toutes les couvertures et toute la

literie disponibles dans la maison étaient placés au

dessus, tandis que Nasrine et moi, dans la chaleur

18 NdT :Le korsi est une table, généralement recouverte d’un

tapis et sous laquelle des braises maintiennent une température

agréable.

Page 299: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

299

parfois suffocante nous nous installions dessous pour

réaliser un enregistrement avec deux cassettes

jumelles. Elle pouvait chanter à pleine voix pendant

que je faisais tourner l’accompagnement musical et

opérais le mixage.

C’est dans ces conditions que pendant

deux années, avant que je ne vive complètement

recluse en Iran et jusqu’à mon départ du pays, j’ai

sans exagérer pendant des centaines d’heures, vécu

au milieu des larmes et le cœur déchiré dans une

chambre cachée et sombre à l’intérieur de laquelle je

regardais seule toute la journée un ciel zébré que je

pouvais voir derrière des jalousies fermées, et où

j’écrivais pour les martyrs, afin peut être de délivrer

un petit message pour tout le sang qu’ils ont

injustement versé.

Pendant que j’écrivais ces biographies,

dans une faible lumière et parfois dans l’obscurité

totale, j’oubliais parfois la promenade quotidienne, et

je continuais tellement à travailler que des

hémorragies importantes affectèrent les vaisseaux

capillaires de mes yeux, avec de l’infection, et je ne

fus plus en mesure d’écrire. Par ailleurs, en raison du

Page 300: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

300

danger d’être repérée par les mercenaires du régime,

il n’était pas possible que j’aille consulter u médecin

de la ville de Hamedan.

Devant la gravité de l’état de mes yeux,

plusieurs de mes amis, aidés par la famille honorable

qui m’hébergea secrètement pendant une période de

18 mois, tout en ayant deux enfants en bas âge,

m’emmenèrent dans le plus grand secret aux

dernières heures du soir, dans le cabinet médical d’un

ophtalmologue discret, auquel je me présentai

comme étant militante des Modjahedines, et qui

m’apporta son assistance.

Ce médecin honorable de Hamedan

courut un risque énorme en m’accueillant, et ne

refusa pas de me traiter jusqu’à guérison totale de

mes yeux.

Dès que mes yeux furent guéris, je pus

reprendre le cours de mes écrits, que je continuai

jusqu’à ce que je sois contrainte de quitter le

territoire.

Je crois qu’il est ici nécessaire que je

fasse mention de deux martyrs magnanimes, que

Page 301: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

301

furent les Modjahedines Achraf Emamizadeh et

Behdjat Sadoughi

Après la mort du martyr Ali Ghazi, c’est

avec ces deux héroïques Modjahedines, Nasrine, qui

avait obtenu une licence de Psychologie, et Bhedjat

qui était étudiante à l’université de Meshed dans le

domaine de la littérature, qui étaient venus vivre

cachés à Hamedan, et avec qui j’ai cohabité.

La sœur âgée de 16 ans de Nasrine, la

Modjahed martyre Sahra Ahmadizadeh tomba aux

mains des pasdarans meurtriers de Khomeiny, à

Téhéran et fut mise à mort le 28 septembre, et son

mari, le martyr héroïque Hossein Imani, qui fut lui

aussi candidat aux élections législatives dans la ville

de Djadjrom dans la province du Khorasan, et fut, lui

aussi, mis à mort par les pasdarans début

septembre1981, presque au même moment que Sahra

dans la région de Abbas Abad Hamedan.

Behdjat Sadoughi, et son mari Madjid

furent arrêtés au mois de septembre de 1981à

Hamedan et emmenés à la prison, et après

l’exécution de la martyre Behdjat, Madjid resta près

Page 302: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

302

de deux ans en prison sans aucune condamnation, et

fut mis à mort après avoir subi la torture.

En ces jours, qui étaient très durs, nous

étions trois personnes, avec ma vieille mère à vivre

dans une maison située dans une rue du quartier

Djahannama de Hamedan, où j’écrivais, et ma mère,

s’évertuait à montrer que la maison était occupée par

des gens ordinaires, qui allaient et venaient, et elle se

rendait en ville avec Behdjat et Nasrine dans le froid

et le gel pénibles pour régler les problèmes

domestiques extérieurs de la maison.

C’est réellement beaucoup de gentillesse

et de considération que ces personnes nous

témoignèrent, à ma mère et à moi, en ces temps

difficiles et manifestèrent à mon égard beaucoup de

patience et d’encouragements et j’aurai toujours une

dette de reconnaissance envers elles pour cette

période où nous avons vécu ensemble.

Ces deux femmes héroïques, peu après

que j’eus quitté le territoire au mois de septembre

octobre 1983, furent arrêtées alors qu’ayant, elles

aussi, décidé de partir elles étaient sur le chemin du

départ. Après avoir passé un moment incarcérées à

Page 303: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

303

la prison de Hamedan, elles subirent la torture, avant

d’être pendues sur place.

Les pasdarans, peu après leur arrestation,

amenèrent Behdjat à un poste téléphonique pour

qu’elle téléphone à ses amis qui, de l’étranger, lui

apportaient leur aide pour la faire sortir du territoire

afin de connaître leur identité.

Pour les tromper, elle leur avait promis

de collaborer avec eux, et entourée de pasdarans, elle

décida de prendre un contact téléphonique avec ses

amis en Europe, et dès le début de la conversation,

leur révéla qu’elle avait été arrêtée, qu’elle était

soumise à la torture, et qu’elle avait trouvé ce moyen

pour que ses amis soient informés de son arrestation,

sans que le régime puisse en faire une mauvaise

utilisation, et ne parvienne pas à obtenir des

renseignements sur le réseau des personnes qui

apportait son assistance aux personnes voulant sortir

du territoire

Après cette action courageuse de sa part,

une cassette de cette conversation épique qui avait

été enregistrée par un ami, est arrivée entre mes

mains, et j’ai entendu de mes propres oreilles, après

Page 304: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

304

que son courageux procédé eût révélé la machination

des pasdarans, le coup que les pasdarans lui ont

asséné sur la tête, et le bruit de ses cris, de ses

rugissements et des injures qu’elle leur lança.

C’est la seule voix qui, sans exagérer,

après vingt ans, résonne encore à mes oreilles

chaque fois que je me la rappelle, et me confirme

dans mon opposition aux réactionnaires sanguinaires.

Que leur mémoire nous soit chère.

Une séparation douloureuse

C’était le 18 mars de l’année1981. Ma

mère, à la suite des pressions résultant de

l’oppression des mollahs, et des évènements

douloureux qui s’étaient produits durant les six

premiers mois de 1981 dans notre famille, devint

gravement malade. Par ailleurs, les difficultés de sa

vie cachée avec moi et mes amis, le poids des

contraintes liées à la vie dans une maison

clandestine reposaient sur ses frêles épaules et

avaient réellement dépassé les limites de ses

possibilités physiques et mentales, encore qu’elle fût

Page 305: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

305

encore prête à tous les sacrifices pour la cause des

Modjahedines.

De plus, tous ces chagrins sans fin

concernant les sacrifices d’Ali et de Reza,

l’arrestation de Zohreh et d’autres de ses petits

enfants, les martyres successifs des Modjahedines

qui vivaient avec elle et qu’elle accompagnait de ses

bénédictions, qui sortaient de la maison, étaient

arrêtés quelques heures plus tard, ou étaient mis à

mort et ne revenaient jamais à la maison,

entretenaient chez elle une inquiétude constante et

fatale.

Oui, elle redoutait en permanence que

nous soyons arrêtés et de mourir dans les maisons

secrètes des Modjahedines et elle me disait : « Si je

meurs chez vous, ne faites pas d’annonces pour mon

ensevelissement et mon enterrement, car le régime

vous connaît et procèderait à votre arrestation. ». Elle

disait aussi : « Si je meurs, emmenez en cachette ma

dépouille dans la rue et abandonnez la jusqu’à ce que

la municipalité l’emporte ».

J’avais de la peine pour ma mère affligée,

au cours de la période où elle avait vécu avec nous,

Page 306: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

306

elle n’avait jamais voulu, même lorsque sa condition

physique était très mauvaise, venir avec moi chez le

médecin, et disait : Je ne veux pas, pour avoir un

traitement médical, que tu sois reconnue et que vous

soyez arrêtés. Et quand elle fut très sérieusement

atteinte, elle alla à Khorram Abad, consulta un

docteur sur place, et revint chez moi à Hamedan

lorsqu’elle eut recouvré sa santé.

Par ailleurs, le régime féroce de

Khomeiny, devinant que ma mère devait vivre à

proximité de chez moi, chaque fois qu’elle allait à

Khorram Abad rendre visite à ma sœur ou qu’elle

allait consulter son médecin, l’arrêtait pendant un

certain temps, et en dépit de son âge avancé et de sa

maladie, la torturait sévèrement et lui faisait subir des

sévices corporels et mentaux, pour qu’elle dénonce

ma cachette.

Ma mère, chaque fois qu’elle se trouvait

devant eux, disait courageusement : L’endroit où vit

ma fille, je ne le connais pas, mais si je le

connaissais, je ne vous le dirais pas, meurtriers qui la

mutileriez comme vous l’avez fait pour mon martyr

Page 307: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

307

Reza (Son petit fils Alireza Nafisi) avant de me la

rendre.

A la suite de cette vie très dure, et des

pressions psychologiques, la maladie de ma mère

s’aggrava peu à peu, et je devins terriblement

inquiète pour sa santé.

Comme je le pensais, c’est pour moi

qu’elle supportait les difficultés de la vie

clandestine, et je décidai de l’envoyer vivre chez ma

sœur à Khorram Abad.

Pour que son imagination ne l’entraîne

pas à penser que ma santé était compromise, je la

rassurai en lui disant qu’il allait falloir que je parte à

l’étranger, et que je désirais que, après mon départ,

elle revienne chez mes sœurs pour y vivre plus

tranquillement. Jamais je ne pourrai oublier le

moment où j’ai été séparée d’elle.

Ce fut en fin d’après midi du 18mars1981

que je dis au revoir pour toujours à mon aimable

mère. Au moment de la séparation, je la serrai très

fortement contre ma poitrine, faisant pour moi une

grande provision de la chaleur reposante de son sein

plein de tendresse, et je fis un effort considérable

Page 308: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

308

pour ne pas pleurer devant elle…En réalité, cette

séparation fut très dure pour ma mère et pour moi, et

la douleur fut d’autant plus vive qu’il s’était passé

trente années au cours desquelles nous n’avions

jamais été séparées l’une de l’autre.

Ce jour là, selon un programme précis je

déménageai dans la maison d’une honorable famille

de militants Modjahedines, je m’installai dans mon

nouveau lieu de séjour, et une période de 18 mois

s’écoula, que je passai de manière complètement

clandestine dans cette famille avant que je ne quitte

le territoire.

Contrairement à ce que j’avais pensé, à

savoir que c’était pour moi qu’elle supportait la vie

cachée dans les maisons de Modjahedines, avec

toutes ses difficultés, ma mère, après notre

séparation, et tant que ses forces physiques le lui

permirent, garda le contact avec eux. Elle continua

encore longtemps à les aider et à collaborer avec mes

amis, jusqu’à ce que, à la suite des pressions

mentales résultant de la vie douloureuse que le

régime de Khomeiny créait pour elle et que, bien sûr,

notre séparation ne faisait que doubler, elle ne

Page 309: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

309

devienne très malade. Il ne fut plus possible de la

conserver dans des maisons cachées, et il ne devint

indispensable de la faire rentrer à Khorram Abad

pour qu’elle vive auprès de ma sœur.

La mort douteuse de ma sœur

Mansourah, après les massacres de l’année1988, et la

mort de mon frère Mehdi, qui apprenant la nouvelle

de la mort de ma sœur, eut lui-même une crise

cardiaque, dont il mourut en peu de temps, laissèrent

ma mère complètement abattue.

Cette femme courageuse, ayant beaucoup

souffert jusqu’au moment de mourir, a toujours vécu

en attendant de me revoir, au point que, dans les dix

dernières années de sa vie, bien qu’ayant perdu ses

facultés mentales, elle n’avait conservé qu’un

souvenir et un nom dans sa mémoire, et elle

demandait à ses connaissances ou aux étrangers :

« Monsieur, madame, n’avez-vous pas vu ma

Maliheh ? »

Page 310: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

310

Le départ du pays

En avril de l’année 1983, il me fallut

pour laisser mon pays derrière moi, avec l’aide de

concitoyens fidèles dévoués et courageux, deux mois

remplis d’aventures, de risques et de dangers, en

passant par les provinces du Kerman, du Sistan, et

du Baloutchistan et, pour me faire sortir du pays ce

fut pour eux une épreuve réelle à supporter, et je

n’ai jamais oublié leur abnégation.

Ainsi donc, j’ai quitté l’Iran en passant

par le Pakistan au cours d’un voyage de deux mois

extrêmement fatigant en passant au travers

d’innombrables dangers, avec l’aide des nombreux

amis que j’avais, qui me firent passer au Pakistan, et

j’allai ensuite du Pakistan en Turquie.

De Turquie, je vins dans un pays

européen dans lequel je fus acceptée en qualité de

réfugiée politique. Depuis ce moment jusqu’à

maintenant, j’ai passé plus de vingt années de ma vie

en exil forcé, un exil qui pendant toutes ces longues

années de ma vie s’est déroulé dans l’éloignement et

Page 311: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

311

la solitude avec seulement l’espoir et le désir d’un

retour dans le giron bienveillant du pays natal.

Postface

Vivre pour la liberté

Page 312: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

312

Comme je l’ai expliqué au début, bien

que le sujet principal de ce livre se présente comme

la relation des évènements de ma vie politique dans

les deux premières années du gouvernement des

mollahs, c’est au cours de ces deux années là que

dans le même temps j’ai fait la connaissance du

modjahed martyr Ali Akbar Ghazi et que je me suis

mariée avec lui. La trame des évènements est

obligatoirement tissée entièrement avec la chaîne des

souvenirs que j’ai de lui, et la séparation des deux

était pratiquement irréalisable.

Pour la même raison, à titre de postface à

cet ouvrage, j’ai jugé essentiel de signaler le point

suivant, qui sera peut être utile à mes chers lecteurs

et en particulier aux femmes de mon pays.

Mon mariage avec le Modjahed martyr

Ali Akbar Ghazi, a eu lieu après une longue

insistance de sa part, mais c’est moi qui, au

lendemain même de son annonce officielle, me suis

attachée à lui, et mon attachement n’a fait que croître

au fil du temps, au point que, en particulier après les

élections où il fut l’objet du terrorisme des

réactionnaires dans la ville, je n’eus plus un seul

Page 313: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

313

instant de tranquillité en pensant qu’il pouvait être

leur victime et martyrisé par eux., et chaque fois

qu’il sortait de la maison, je vivais dans l’anxiété en

me demandant s’il allait rentrer ou non, si j’allais le

revoir, ou si je l’avais vu pour la dernière fois.

Mais j’étais plus ou moins comme toutes

les femmes qui ont été élevées dans le carcan de la

civilisation patriarcale, et qui, sans être absolument

dépendantes du mari, ne vivent pas leur identité

propre. Pendant les deux années de notre vie

commune, j’ai été terriblement attachée à Ali, et c’est

à cause de cet attachement, que, même si le cahier

de notre vie commune est court, en raison même du

martyre d’Ali Akbar Ghazi, il n’est fermé qu’en

apparence, car pendant de longues années, lui et les

souvenirs que j’ai de lui sont demeurés présents à

mes cotés comme mon mari, sans successeur dans

ma vie.

En particulier, tout ce qu’il y avait de bon

et de pur dans son comportement, indépendamment

de son supplice, se trouve maintenant magnifié par

l’auréole de sainteté du martyr qui a suivi la voie de

la liberté. La mémoire de ce mari et le souvenir de

Page 314: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

314

son ardeur et de sa sainteté ne se sont pas érodés avec

le temps, mais sont devenus jour après jour plus

vivaces et confèrent de la valeur à mon existence.

Oui, une existence au fil des jours, vécue

seulement dans le souvenir pendant de longues

années.

Evidemment, cultiver la mémoire des

martyrs est une démarche de liberté, et la

reconnaissance de leurs mérites, un acte de louange.

Mais ce que je veux, ce n’est pas tant mettre à

l’honneur la mémoire d’un héros, que montrer ce que

peut être la vie avec un homme qui, dans la

civilisation patriarcale, est le maître incontesté d’une

femme. Une vie digne, qui respecte l’intégrité de

cette dernière.

Ainsi, animée de l’amour de la liberté, et

douée de persévérance, j’ai pu, après le sacrifice

d’Ali, poursuivre sans m’interrompre dans la voie de

« Massoud »ma vie de combat en qualité de simple

militante, mais ma vie naturelle a été interrompue

le 10 du mois de Charivar, le jour de son martyre.

C’est pourquoi, au cours des années qui

ont suivi notre séparation, je n’ai pas accepté comme

Page 315: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

315

un sacrifice volontaire la lutte contre un ennemi

inhumain et misogyne, mais comme une imposition,

et de ce point de vue acceptée à contre cœur. Au fond

de moi-même, je n’ai jamais admis cette séparation

amère, et c’est toujours avec tristesse et regrets que je

me suis remémoré cela. Jusqu’à ce qu’enfin, le

courage magnifique d’une femme libre me permette

de rompre cette chaîne d’esclavage qui consistait à

vivre dans le souvenir d’un homme.

Elle était prête à se séparer d’un époux ou

le répudier pour être en mesure de se battre plus et

mieux, et c’est seulement pour pouvoir continuer son

combat qu’elle choisit de se marier sans tenir compte

de considérations ancestrales et que, contrairement à

la tradition plus que millénaire, elle récita elle-même

l’homélie du contrat de mariage, pour bien attirer

mon attention sur cette réalité.

Cette réalité, dont le nom est

extraordinaire (Vivre pour la Liberté) je ne pouvais,

jusqu’à ce moment là, la comprendre. .Je le fais

mieux aujourd’hui.. Mais il me faudra encore du

temps pour en découvrir les aspects merveilleux.

Pendant de longues années, je n’ai regardé la mort du

Page 316: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

316

martyr Ali Akbar Ghazi que comme celle d’un mari

martyr, m’appartenant à moi, et non celle d’un

martyr ayant choisi la voie de la liberté, ayant offert

gaiement sa vie dans un magnifique combat.

Ce martyr, qui aimait follement sa femme

plus que tout a traité les affaires de l’organisation

dont il avait la charge avec opiniâtreté, et est mort

courageusement pour dans le futur et pour une

longue période, apporter sa vie et sa gaîté en cadeau

aux autres jeunes époux.

Mais aujourd’hui, quand je pense à lui de

cette nouvelle manière, je sens en moi l’énergie et la

capacité infinies de tout sacrifier pour la réalisation

des idéaux élevés de ce combat, sous la conduite

sincère et dévouée de l’Organisation des

Modjahedines du peuple d’Iran et que le Modjahed

Ali Akbar Ghazi n’est qu’un martyr parmi des

dizaines de milliers qui ont suivi cette voie avec

honneur.

Evidemment, avec cette conception du

combat et du sacrifice, vivre pour la liberté, avec tout

ce que cela représente de difficultés, et en dépit de

l’amertume que suppose le fait d’être privée de l’être

Page 317: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

317

aimé mis à mort par les réactionnaires féroces, peut

constituer encore une belle vie, digne d’être aimée, et

selon le vieux courageux « Nimayouchidj » :

« Il faut embrasser chaque jour le

visage de la vie,

Pour y découvrir quelque chose qui

soit digne d’amour ».

Page 318: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

318

Chers amis

J’ai commencé le livre « Vivre pour la

Liberté », en mettant en exergue un vers du défunt

poète Sohrab Sépehri, dans lequel, il décrit ce qu’il y

a de plus poignant dans l’amour, mais je me

permettrai d’ajouter pour terminer une autre

Page 319: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

319

expression de l’amour, mais cette fois dans la

bouche du maître de Chiraz, Hafez :

« Celui qui vit, mais ne vit pas pour

l’amour

J’ordonne pour lui, encore vivant, la

prière des morts.

Samar AZAD

Email:[email protected]

www.adcali.com

Samar Azad : La lutte des femmes

iraniennes pour la liberté

Paris, Société des Ecrivains, 2005,

traduit de l'Iranien par le Docteur Rosham et J.J

Quel plaisir de lire cet ouvrage et de

découvrir les luttes qu'une femme iranienne (l'auteure

de cet ouvrage) a menées avec un courage inouï, une

détermination exemplaire et une clairvoyance

Page 320: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

320

politique remarquable pour la cause de la liberté, une

liberté qu'elle veut conquérir pour tout le peuple

iranien : (citoyen-ne-s, femmes, travailleurs/ses,

pauvres, minorités etc.).

Elle revendique la liberté politique pour

tout un peuple, ce qui l'amène à combattre les

régimes politiques quels qu'ils soient, monarchiques

ou dictature religieuse, qui interdisent toute tentative

de discussion ou de contestation de la pensée unique.

Reposant sur la terreur, ces régimes sanctionnent par

la violence, la prison, la torture ou la mort toute

opposition de paroles ou d'actions protestataires non

violentes.

Elle se bat pour la liberté des femmes de

s'habiller comme elles l'entendent, de porter ou non

le voile, et d'accéder à tous les domaines d'activité

professionnelle. Dans ce but, elle avait initié et mis

au point tout un programme de développement de

crèches et garderies pour enfants afin que les femmes

puissent travailler. Programme que le régime des

mollahs s'empressa de saboter au début de leur

Page 321: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

321

arrivée au pouvoir, leur doctrine de départ étant que

les femmes devaient rester à la maison pour

s'occuper des enfants et de la cuisine.

Elle soutient la mobilisation des

travailleurs/ses, des ouvriers, des pauvres et des

exclu-e-s pour défendre leur dignité et sauver les

quelques droits sociaux déjà existants. Elle se

propose d'élever leur qualification en développant

des cours de formation professionnelle dans les

différents métiers ; elle lutte pour que les prostituées

soient considérées comme des êtres humains à part

entière dans une société, qui les méprise.

Profondément laïque, elle s'attire la haine

des ayatollahs en défendant la liberté des Bahaï, un

mouvement religieux très minoritaire aussi détesté

par le régime. Elle s'oppose à leur expulsion et les

soutient en bravant les représailles.

Pour réaliser tous ses objectifs et

surmonter la répression qui s'abat sur elle parce qu'ils

contrecarrent ceux des ayatollahs, Samar mobilise

tout son potentiel humain et sacrifie sa vie

Page 322: La lutte des femmes iraniennes pour la liberté

322

personnelle et familiale, son confort, sa sécurité, ses

ressources propres aux causes qu'elle défend. Elle est

infatigable. Bien que les luttes qu'elle relate dans ce

livre ne concernent qu'une brève période de sa vie en

Iran, on est stupéfait par la capacité de Samar de

résister à ce régime de terreur et à gagner la

sympathie d'une population qu'elle a réussi plus d'une

fois à entrainer dans des actions de contestation à

l'arbitraire des ayatollahs. Epuisée, traquée, humiliée,

emprisonnée, condamnée à mort par le régime, elle

continue à militer dans la clandestinité sans de

départir de sa sérénité et de son dynamisme .

Elle évite la mort de justesse en s'exilant

à l'étranger après une vie nomade mouvementée à

travers l'Iran pour échapper à ses persécuteurs…

Nul doute que grâce à ses luttes, en

particulier au sein de l'organisation des

Moudjahidines du peuple iranien, elle a semé des

graines de résistance et d'espérance qui ont germé

dans le peuple iranien, particulièrement dans la

jeunesse. Elle fait partie des grandes figures de la

Résistance à la dictature qui, en Iran et dans le

monde considèrent que l'idéal de la liberté ne doit pas

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se réduire à un mot inscrit au fronton des monuments

mais doit se conquérir en s'incarnant dans des luttes

quotidiennes. A ce titre, son ouvrage nous interpelle

en tant que citoyen-ne-s et féministes d'Occident qui,

enfermé-e-s dans nos certitudes, hésitons à exprimer

notre solidarité à une Résistance iranienne dont

Samar Azad est une représentante exemplaire.

Andrée Michel, directrice honoraire de

recherche au CNRS, Paris.

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Table des matières

Préambule ..................................................................................................................... 8

Chapitre Premier ......................................................................................................... 13

L’époque de l’enfance. ............................................................................................ 13

La mort soudaine de mon père ................................................................................ 21

Adolescence et jeunesse .......................................................................................... 22

Première et dernière aventure ................................................................................. 28

Une évolution importante après un fait divers

mineur ..................................................................................................................... 31

Premier face à face avec la police secrète du chah. ................................................ 36

Mes débuts dans l’enseignement ............................................................................ 40

Seulement un nom ................................................................................................... 46

Premières discordes semées par les réactionnaires ................................................. 58

Rencontre avec les Modjahedines ........................................................................... 63

Chapitre 2 .................................................................................................................... 65

La plus grande escroquerie du siècle ...................................................................... 65

La fin du début ou un début sans fin ....................................................................... 65

Les débuts d’un pouvoir voué à la catastrophe, ..................................................... 67

avec un slogan honteux ........................................................................................... 67

Entrée dans le nouveau gouvernement .................................................................. 72

La Société des Femmes de la province ................................................................... 75

Un premier pas vers une autre révolution ............................................................... 81

Qui était le cheikh Mehdi Ghazi ? .......................................................................... 83

Un combat intérieur, une décision difficile ............................................................. 87

Réponse à une question ........................................................................................... 94

Rencontre avec Khomeiny ou l’escroquerie des

femmes .................................................................................................................... 97

La Société des Femmes de la Révolution islamique ............................................. 101

Masoumah la brave ............................................................................................... 107

L’expulsion des Bahaï ........................................................................................... 114

L’engagement le plus fondamental ...................................................................... 116

Les premières bastonnades... ................................................................................ 118

Une popularité inégalable ..................................................................................... 124

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Une bataille visible sur un champ de bataille

invisible ................................................................................................................. 130

La fête du « Premier Mai » ................................................................................... 134

Un mariage dépareillé ........................................................................................... 139

Le mariage secret .................................................................................................. 153

Chapitre 3 .................................................................................................................. 168

Les élections législatives nationales ..................................................................... 168

Candidate à l’Assemblée ...................................................................................... 172

Une femme nue à l’affiche ................................................................................... 178

Le soulèvement populaire. .................................................................................... 185

Attaques contre le quartier général de campagne. ................................................ 192

Réactions de la ville à la nouvelle de mon mariage .............................................. 209

Accroissement de la pression de la Réaction… .................................................... 213

Suppression de la liste des candidats .................................................................... 226

Les résultats des élections ..................................................................................... 231

Chapitre 4 .................................................................................................................. 233

Deuxième année de combat politique .................................................................. 233

Les combats officiels et cachés ............................................................................. 236

Départ involontaire de la ville et de la région. ...................................................... 240

L’année 1981, l’année rouge de la résistance ....................................................... 246

Le mois de Mai/ Juin sanglant .............................................................................. 251

Nouvelle période de résistance ............................................................................. 256

Le jour le plus amer .............................................................................................. 260

Fuite hors du cercle de la mort ............................................................................. 277

Une rumeur qui fait mal ........................................................................................ 283

Le moment de l’exécution. ................................................................................... 290

Persistance dans la conviction merveilleuse ......................................................... 295

Postface ..................................................................................................................... 311

Vivre pour la liberté .............................................................................................. 311

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