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les luttes qu'une femme iranienne (l'auteure de cet ouvrage) a menées avec un courage inouï, une détermination exemplaire et une clairvoyance politique remarquable pour la cause de la liberté, une liberté qu'elle veut conquérir pour tout le peuple iranien : (citoyen-ne-s, femmes, travailleurs/ses, pauvres, minorités etc.).Elle revendique la liberté politique pour tout un peuple, ce qui l'amène à combattre les régimes politiques quels qu'ils soient, monarchiques ou dictature religieuse, qui interdisent toute tentative de discussion ou de contestation de la pensée unique. Reposant sur la terreur, ces régimes sanctionnent par la violence, la prison, la torture ou la mort toute opposition de paroles ou d'actions protestataires non violentes
Citation preview
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La lutte des femmes iraniennes
pour la liberté
Samar Azad
Traduit du persan par Laïa Roshan - J S
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Samar Azad : La lutte des femmes
iraniennes pour la liberté
Paris, Société des Ecrivains, 2005, traduit
de l'Iranien par le Docteur Rosham et J.J
Quel plaisir de lire cet ouvrage et de
découvrir les luttes qu'une femme iranienne
(l'auteure de cet ouvrage) a menées avec un
courage inouï, une détermination exemplaire
et une clairvoyance politique remarquable
pour la cause de la liberté, une liberté qu'elle
veut conquérir pour tout le peuple iranien :
(citoyen-ne-s, femmes, travailleurs/ses,
pauvres, minorités etc.).
Elle revendique la liberté politique pour tout
un peuple, ce qui l'amène à combattre les
régimes politiques quels qu'ils soient,
monarchiques ou dictature religieuse, qui
interdisent toute tentative de discussion ou de
contestation de la pensée unique. Reposant
sur la terreur, ces régimes sanctionnent par la
violence, la prison, la torture ou la mort toute
opposition de paroles ou d'actions
protestataires non violentes.
Elle se bat pour la liberté des femmes de
s'habiller comme elles l'entendent, de porter
ou non le voile, et d'accéder à tous les
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domaines d'activité professionnelle. Dans ce
but, elle avait initié et mis au point tout un
programme de développement de crèches et
garderies pour enfants afin que les femmes
puissent travailler. Programme que le régime
des mollahs s'empressa de saboter au début
de leur arrivée au pouvoir, leur doctrine de
départ étant que les femmes devaient rester à
la maison pour s'occuper des enfants et de la
cuisine.
Elle soutient la mobilisation des
travailleurs/ses, des ouvriers, des pauvres et
des exclu-e-s pour défendre leur dignité et
sauver les quelques droits sociaux déjà
existants. Elle se propose d'élever leur
qualification en développant des cours de
formation professionnelle dans les différents
métiers ; elle lutte pour que les prostituées
soient considérées comme des êtres humains
à part entière dans une société, qui les
méprise.
Profondément laïque, elle s'attire la haine des
ayatollahs en défendant la liberté des Bahaï,
un mouvement religieux très minoritaire aussi
détesté par le régime. Elle s'oppose à leur
expulsion et les soutient en bravant les
représailles.
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Pour réaliser tous ses objectifs et surmonter la
répression qui s'abat sur elle parce qu'ils
contrecarrent ceux des ayatollahs, Samar
mobilise tout son potentiel humain et sacrifie
sa vie personnelle et familiale, son confort, sa
sécurité, ses ressources propres aux causes
qu'elle défend. Elle est infatigable. Bien que
les luttes qu'elle relate dans ce livre ne
concernent qu'une brève période de sa vie en
Iran, on est stupéfait par la capacité de Samar
de résister à ce régime de terreur et à gagner
la sympathie d'une population qu'elle a réussi
plus d'une fois à entrainer dans des actions de
contestation à l'arbitraire des ayatollahs.
Epuisée, traquée, humiliée, emprisonnée,
condamnée à mort par le régime, elle
continue à militer dans la clandestinité sans
de départir de sa sérénité et de son
dynamisme.
Elle évite la mort de justesse en s'exilant à
l'étranger après une vie nomade
mouvementée à travers l'Iran pour échapper à
ses persécuteurs…
Nul doute que grâce à ses luttes, en
particulier au sein de l'organisation des
Moudjahidines du peuple iranien, elle a semé
des graines de résistance et d'espérance qui
ont germé dans le peuple iranien,
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particulièrement dans la jeunesse. Elle fait
partie des grandes figures de la Résistance à
la dictature qui, en Iran et dans le monde
considèrent que l'idéal de la liberté ne doit
pas se réduire à un mot inscrit au fronton des
monuments mais doit se conquérir en
s'incarnant dans des luttes quotidiennes. A ce
titre, son ouvrage nous interpelle en tant que
citoyen-ne-s et féministes d'Occident qui,
enfermé-e-s dans nos certitudes, hésitons à
exprimer notre solidarité à une Résistance
iranienne dont Samar Azad est une
représentante exemplaire.
Andrée Michel, directrice honoraire de
recherche au CNRS, Paris.
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Dédié à toutes les femmes opprimées de mon pays.
Samar AZAD .le 21 novembre 2005
Préambule
Cher lecteur
Avant que tu ne saches son nom, il faut te
présenter ce livre. L’auteur a agi en qualité de
femme entièrement passionnée de liberté, qui a
appris, à travers les évènements d’une révolution,
que la vie est faite seulement pour la liberté, et c’est
tout.
Cher compatriote, le livre « Vivre pour
la liberté » est le récit de la vie d’une femme qui au
cours des évènements de la révolution contre le
pouvoir royal, vécue avec l’amour de la liberté, a été
transformée du tout au tout, avec cet amour lors de
l’avènement du régime infâme de Khomeiny.
Dans ce livre j’ai voulu, sans
l’ornementer, faire le récit des faits et des
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évènements de la vie d’une femme iranienne, depuis
son enfance (très abrégée) jusqu’à la trentaine, c’est à
dire jusqu’à la fin de ses deux premières années de
travail avec le régime infect de Khomeiny et des
évènements qui se sont succédés pendant ces deux
années. Je le fais dans ma propre langue, en qualité
de témoin oculaire. Deux années pleines de remous,
dont les péripéties ont marqué le reste du cours de sa
vie, de même que celle de beaucoup d’autres
iraniens.
Oui, ce livre expose une partie de
l’histoire d’une femme dont tous les fondements de
la pensée et de l’esprit, et le déroulement de la vie,
se sont trouvés transformés en amour de la liberté, et
dont le seul délit, au lendemain de la révolution
contre la monarchie, et sous le régime misogyne des
mollahs fut d’avoir eu des activités politiques,
pourtant légales, pour améliorer la situation des
femmes opprimées de son pays, et qui a subi de ce
fait les attaques et les agressions de réactionnaires
enragés.
Ces assauts furent tellement aveugles et
cruels qu’à la fin des deux premières années du
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pouvoir honteux des réactionnaires, cette femme
pleine d’un immense espoir de voir les enfants de la
terre iranienne vivre en liberté, a choisi de « Vivre
pour la Liberté », et a dressé sa poitrine contre les
balles de la Garde du chah dictateur, responsable de
la répression des manifestations dans sa ville natale.
Et maintenant, moins de deux ans après la chute de
chah, son mari et d’autres membres de sa famille ont
été exécutés ou mutilés ou emprisonnés dans les
geôles du régime criminel des mollahs. Cette femme
a vu ses biens mobiliers et immobiliers
réquisitionnés et, condamnée à mort par contumace
par le régime hors la loi des mollahs provocateurs,
elle a dû, seule et sans disposer de la moindre
sécurité, entrer dans la clandestinité.
C’est ainsi que à l’issue de deux années
et demie de combat politique, de 1979 à 1981, il n’y
eut plus pour elle, comme pour toutes les autres
personnes passionnées de liberté, d’autre chemin que
la résistance et l’opposition à tant d’oppression,
d’ignorance et de crimes de ce régime.
Oui, ce régime moyenâgeux des mollahs
leur a imposé, contre leur gré, à elle et à beaucoup
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d’autres personnes du peuple opprimé d’Iran
l’abandon du foyer, de la famille, et l’exil pour vivre
en liberté.
Cette liberté, pour laquelle le peuple
opprimé d’Iran a résisté au despotisme du chah, ou
bien il fallait assister à son deuil, ou bien il fallait,
pour la protéger, mener avec amour et véhémence
contre les mollahs rétrogrades une lutte très dure et
très pénible pour laquelle il était nécessaire de
renoncer à tout, aux attachements, et même aux
désirs naturels.
C’est ainsi que le 21 Juin 1981, après la
mitraillade de la manifestation pacifique de la foule à
Téhéran et la suppression, imposée par le régime de
Khomeiny, de toutes les possibilités de lutte
politique en Iran, cette femme, comme des milliers
d’Iraniens assoiffés de liberté et sans hésiter un
instant, a choisi la lutte contre ce régime misogyne et
liberticide. Un tel choix impliquait l’éloignement du
foyer et de la terre antique de l’Iran et même
l’acceptation de la mort.
Mais aujourd’hui, comme le dit elle
même cette combattante iranienne, le choix qu’elle
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fit il y a près de 23 ans, en dépit de toutes les
difficultés qui se sont présentées sur le chemin
parcouru depuis lors avec » la passion de la
liberté », et qu’il lui faudra désormais encore
parcourir à l’avenir, fut un choix heureux pour
lequel elle est infiniment reconnaissante à Dieu.
Elle est en outre très redevable à la noble
organisation pionnière des Modjahedines du peuple
Iranien, car c’est elle qui a montré pas à pas au
peuple iranien le chemin de ce combat sanglant pour
que cette fois « Liberté » ne soit pas égorgée
tranquillement et sans bruit pour une longue période
dans l’abattoir de mollahs hypocrites à la recherche
des jouissances matérielles.
Ce qui peut arriver de mieux à un regard
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C’est qu’il soit humide de l’expression
de l’amour
« Sorhab Sépehri »
Chapitre Premier
L’époque de l’enfance.
La période de l’enfance, bien qu’elle ne
comporte que des évènements mineurs, est souvent la
meilleure partie dans la vie d’un homme. Moi même,
lorsque je regarde le passé lointain de la période de
mon enfance, je reste étonnée de cette beauté.
Chaque fois que je pense à mon enfance,
apparaît dans ma mémoire l’image d’une petite fille
habillée de velours rouge avec des pierres précieuses
cousues, chaussée de souliers noirs vernis, et avec
des poupées parfois de plus grande taille et de
meilleure facture qu’elles ne l’étaient en réalité.
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Evidemment, les souvenirs de cette
enfant, quand, je me remémore les beautés de ce pays
ancien qu’est l’Iran, et le joli district où je suis née, le
Lorestan, cette région ,de héros et d’opprimés de
longue date depuis l’Antiquité jusqu ‘à nos jours, se
mêlent dans un tableau où se reflète l’image d’une
vie gaie au pied des montagnes de velours vert, avec
des ruisseaux rugissants, des champs de blé qui
ondulent, et des visions pleines de fleurs de
nénuphars.
Je suis venue au monde le 23 novembre
de l’année 1950 dans l’une des villes du Lorestan,
région du sud ouest de l’Iran, dans une famille de
condition moyenne. Selon une coutume iranienne, les
autres enfants de la famille et moi même reçurent
souvent deux prénoms. C’est ainsi que par la volonté
de mon frère, on m’appelait Maliheh. Mon père et
ma mère étaient des habitants de la ville de Hamedan
venus habiter la ville de Khorram Abad bien avant
ma naissance. J’étais le sixième membre d’une
famille qui comportait six personnes, pour qui
j’éprouve encore maintenant beaucoup de sympathie
et d’affection.
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Parmi les membres de la famille il y avait
Mehdi, l’aîné des enfants, qui avait 18 ans lorsque je
vins au monde et qui, poursuivi pour une
participation aux luttes dans l’industrie du pétrole,
vivait caché dans notre maison auprès de ma mère.
Aux dires de celle ci, Mehdi avait
accueilli immédiatement avec bonheur la petite
soeur récemment arrivée, et avait passé son temps à
s‘occuper d’elle, et à choyer le bébé avec affection.
A l’époque du décès de mon père, alors
que j’avais neuf ans il s’était même chargé de faire
tirer pour moi une photographie de celui ci, et avait
pu en corriger les imperfections. Plus tard, dans ma
jeunesse, alors qu’il avait déjà eu l’occasion d’être
confronté aux difficultés de la vie, il joua pour moi le
rôle d’un ami très sincère
Notre attachement ne fit que croître au
fil des jours, et notre affection me fut très salutaire
dans les étapes ultérieures de ma vie, en particulier
pendant ma jeunesse et mon adolescence, et j’eus
même le sentiment que cela lui était également
agréable.
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Mais ce dont je suis aujourd’hui
certaine, c’est que dans nos destinées, notre
affection et notre attachement réciproques ont été
pour nous un soutien et nous ont permis de prendre
patience et de persévérer devant les difficultés de nos
vies. Ces relations ont duré plus de vingt cinq années,
jusqu’au moment où, à la suite des évènements liés à
la révolution contre le pouvoir royal, en l’an 1978,
j’eus la révélation que pour moi qui étais pleine de
fougue, entièrement dévouée à la cause de la
révolution et rayonnante de l’amour de la liberté,
cette liberté qu’elle avait nourrie en moi, je pouvais
renoncer, encore que ce me soit dur et difficile, à
l’attachement pour mon frère, comme d’ailleurs à
d’autres attachements, pour consacrer toutes mes
pensées et tous mes actes à la révolution et
concentrer mes efforts et l’ensemble de mon activité
au renversement du régime du chah.
.Malheureusement, après ces jours là,
sous le pouvoir honteux de Khomeiny, pour des
raisons de circonstance la Réaction s’imposa à nous,
et je n’eus qu’une fois, le jour de l’an de 1980, un
contact, d’ailleurs très agréable et mémorable, avec
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mon frère. En raison de mon départ hors d’Iran, et de
sa mort précoce et douloureuse à l’âge de 56 ans des
suites d’une congestion sanguine, peu après qu’il
eut appris la disparition douteuse de ma soeur
Mansourah au cours du massacre de 1978, je ne le
revis pas et la réunion de la nouvelle année 1980 fut
la dernière fois où nous nous vîmes.
Je continue à feuilleter les pages du
cahier de mon enfance bien que ces souvenirs aient
traîné dans la poussière de plus de cinquante ans
d’une vie d’incommodités, digne d’être chantée, et
qui est encore chantante pour moi.
Les souvenirs de nos hôtes dans la cohue
des vendredis soir, des bonheurs enfantins de ma
sœur et de moi même et de ma soeur Mansourah, de
nos jeux aquatiques pendant les midis chauds de l’été
dans le bassin de notre petite cour, où se déversait
une source permanente, et le visage amical de mon
frère, que le bruit de nos jeux enfantins avait réveillé
de sa sieste, et qui, derrière les vitres de sa chambre,
regardait avec bienveillance, le sourire aux lèvres et
sans la moindre protestation nos joyeux jeux
d’enfant.
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Les parties de pêche des midis chauds
avec d’autres enfants du coin, dans la rivière
Karganeh qui passait devant notre maison, et Hamid,
le fils de notre voisin, avec qui chaque jour pendant
des heures nous échangions des jouets et des fruits
par l’intermédiaire du courant d’eau de la source, qui
traversait leur cour avant de venir dans la notre en
passant sous le mur.
Je me rappelle aussi les promenades des
fins d’ après midi et les retours de l’école,Chaque
jour, après la sortie de l’école je jetais mon cartable
dans un coin, et je parcourais en courant la distance
séparant notre maison de la boutique de mon frère, et
je restais auprès de lui jusqu’à ce qu’il m’achète une
pâtisserie très connue, le fat ahi, une glace ou un
grand pain au lait, qu’il me donne ensuite un peu
d’argent, puis je continuais mon périple en passant au
magasin de mercerie que tenait mon père et qui se
trouvait dans le voisinage immédiat et prenais, dans
tout ce qu’il avait en vitrine, ce qui captivait mon
attention.
Ensuite je rentrais à la maison en
compagnie d’un cocher de nos connaissances à qui
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mon père me confiait, et je me laissais conduire dans
le carrosse du monde doré de mon enfance, et faisais
le tour de la ville en retournant à la maison tout en
mangeant mon pain au lait jusqu’à ce que à la fin j’y
parvienne. Mais, au milieu de tous ces souvenirs, il
en est un que j’aime particulièrement, celui du beau
visage bienveillant de ma mère, et de l’attention
qu’elle me portait.
C’est elle qui me tenait dans son giron,
débordante de tendresse. Jusqu’à ma trentième
année, alors qu’elle en avait elle même plus de
soixante dix, il n’était de jour qu’elle réservât un
moment pour moi seule, prête à tout instant, dans
les maisons où nous vivions cachées, à prendre pour
moi les risques les plus dangereux pour sauvegarder
ma vie.
Ma famille comportait officiellement six
membres, mais en raison du caractère tendre et
ouvert de ma mère, qui avait dans la maison un rôle
déterminant., le nombre officieux des membres de la
famille, et des invités, attendus ou importuns, était
toujours supérieur à ce nombre. Parmi eux, Mohsen,
le fils de ma tante paternelle, qui avait perdu en deux
20
ans son père et sa mère, ou les deux filles de mon
oncle maternel prénommées Vadjiheh et Fatemeh,
dont le père et la mère étaient séparés, et qui, en
raison des difficultés rencontrées avec la femme de
leur père, avaient été placées sous la tutelle de ma
mère, ou encore Sahra, la bienveillante soeur de
mon père, femme seule qui depuis la naissance de
ma soeur Mansourah, de cinq ans plus âgée que moi,
était entrée à la maison pour venir en aide à ma mère.
Elle est restée jusqu’à son dernier jour dans notre
famille et fut pour nous tous une tante attentionnée et
aimée.
Mais pour moi, l’être le plus cher de la
famille fut ma petite nièce Zohreh, venue au monde
alors que j’avais sept ans, et mon attachement et mon
amour pour elle dépassent l’imagination. Cette
affection, je dirais plutôt cette dépendance, se
prolongea jusqu’à ce qu’elle ait atteint huit ans, alors
que j’en avais quinze, sans que quelqu’un ne
parvienne à nous séparer. Elle grandit ainsi près de
moi et de ma mère. Plus tard, en1997, elle fut arrêtée
par le régime criminel des mollahs et mourut sous le
21
martyre. Le récit de sa vie exaltante mériterait qu’un
autre livre lui soit consacré.
En plus des membres permanents, il y
avait toujours un nombre de femmes et d’enfants
seuls de la famille, et de nécessiteux qui allaient et
venaient dans notre maison tout au long de la
semaine, et dont ma mère s’occupait. C’est ainsi
qu’à l’ombre de ma mère, pleine de chaleur
humaine, je passai à mon insu une belle et agréable
enfance, remplie d’affection.
Notre situation financière était moyenne,
et les revenus de la famille, apportés par les
professions libérales de mon père et de mon frère
suffisaient à assurer pour nous tous une vie correcte.
La mort soudaine de mon père
Notre vie s’écoulait dans le calme et le
silence. C’est pendant la nuit du 20 du mois de
Ramadan de l’année 1969 que le bouleversement se
produisit.
Il était trois heures du matin. Ma soeur
Mansourah et moi même furent réveillées et tirées
22
précipitamment du lit par des coups frappés à la porte
de la maison. C’était mon père, qui, ne se sentant pas
dans un état physique satisfaisant, avait quitté les
cérémonies de la nuit de prières, et rentrait à la
maison. Il ne s’était passé que quelques minutes
depuis son retour que les cris de notre mère nos
firent bondir et courir vers la chambre du père, et
c’est là que nous nous trouvâmes devant le spectacle
pénible d’un mort, terrassé par une attaque cardiaque
soudaine.
La mort de mon père fut le premier
évènement amer et plein de sens dans ma vie, et
pour moi qui n’avais pas plus de 9 ans, ce fut un
coup très grave. Evidemment mon frère Mehdi, à
partir de ce moment, s’efforça de combler le vide, et
y parvint dans une certaine mesure.
Adolescence et jeunesse
J’étais peu à peu devenue grande et avais
mis le pied dans l’adolescence. .Contrairement à ma
jeunesse, mon adolescence fut une période de
tristesse, émaillée de nombreux évènements, tant
23
amers que plus doux. Parmi ceux ci, l’apparition
chez ma mère d’une maladie désagréable et
dangereuse qui, après la mort de mon père, fut pour
moi très difficile à supporter, au point que le
cauchemar de l’éventualité de sa mort ne me quitta
plus un instant jusqu’à ce que, enfin, devant la
gravité de son état physique, mon frère l’emmène
contre son gré à Téhéran, et par un traitement
approprié, lui permette de venir vivre de nouveau
parmi nous. Elle nous revint très heureuse, mais ne le
resta pas longtemps, car, peu après, la faillite de mon
frère lui fit perdre toute gaieté.
C’est en1962 que mon frère prit en
charge la gestion d’une société de fourniture de
viande à Khorram Abad, mais à la suite d’un hiver
rigoureux et glacial tel que jamais vu qui sévit cette
année là dans la région, tous les moutons de sa
société périrent gelés et il se retrouva avec de lourdes
dettes, et une situation financière qui l’obligea à
déposer le bilan.
A partir de ce moment, chaque jour
disparaissait l’une des pièces de ménage de notre
maison, un jour les tapis, le lendemain la glacière,
24
ainsi que la vaisselle de valeur, et bientôt les objets
en or, et nos bijoux qui se trouvaient dans le coffret
de ma mère, et constituaient un petit trésor que nous
trouvions toujours très beau et que nous aimions voir.
En très peu de temps, tous les objets, en
nombre limité que possédait ma chère mère, et qui
lui étaient chers et lui rappelaient des souvenirs, y
compris un ancien poste de radio de mon frère,
disparurent et il ne resta bientôt dans la maison
aucun objet de valeur. J’ai compris peu à peu que ma
mère les avait tous cédés aux créanciers de mon
frère, en remboursement de ses dettes. Ces méthodes
attristantes se poursuivirent jusqu’au jour où il ne fut
plus possible pour mon frère de vivre dans notre
ville et fut contraint, les larmes aux yeux, de nous
faire ses adieux, à moi, à ma mère et à ma soeur, et
de partir, en compagnie d’un voisin et de son fils,
pour devenir chauffeur dans une compagnie
d’autobus de Téhéran, où commença pour lui une vie
misérable.
Entrant dans le monde des ouvriers de la
compagnie, il entreprit une activité politique et devint
en peu de temps le représentant et porte parole des
25
chauffeurs, et fut à ce titre repéré par le régime du
chah et sa SAVAK.1Et ceci ajouta encore à notre
inquiétude sur son sort. Cette situation dura trois
années. Mais toutes les difficultés de cette période,
qui fut pour nous tous la période la plus mauvaise de
notre vie, étaient plus supportables pour moi,
adolescente de quatorze ans, bien que séparée de son
frère, qui souffrait de diabète et vivait dans un état
physique déplorable.
Le cauchemar de sa mort maintenant
qu’il avait cette maladie, et vivait dans des conditions
difficiles me faisait souffrir en permanence, ne me
laissait aucun répit, et assombrissait ma vie. En ces
jours là mon inquiétude pour la situation dans
laquelle se trouvait mon frère avait grandi au point
que tout évènement contrariant concernant sa santé
ou ses arrestations par la SAVAK, qui avaient
souvent lieu, avait sur moi un tel effet que sans
hésiter un instant, j’abandonnai les leçons et l’école,
et que je me rendis à Téhéran d’où je ne revins à
1 NdT :Organisation de Sécurité et de Renseignement de l’Etat,
c’est à dire la police secrète du Chah.
26
Khorram Abad tant que je ne l’eus vu, et pu arranger
ses problèmes.
Par suite des tensions consécutives aux
difficultés de mon frère et par ailleurs la survenance
d’un évènement affectif amer lié à la rupture de mes
relations avec Hamid, l’ami et le compagnon de jeu
de mon enfance, je fis une dépression nerveuse
sévère qui me conduisit à la frontière même du
suicide.
Pendant cette période, ma mère, en dépit
de son âge et de la maladie entreprit des travaux de
couture pour assurer notre subsistance. Ma soeur
Mansourah, bien qu’admise à l’Université renonça à
poursuivre ses études, et pour éviter de faire peser ses
dépenses de subsistance sur les frêles épaules de ma
mère, alla dans une école de formation à
l’enseignement, et après avoir obtenu le diplôme,
devint institutrice.
Pendant cette période, ma mère et ma
soeur ne me laissèrent pas ressentir les difficultés de
la vie, et s’efforcèrent de me procurer, comme par
le passé, tout ce que je désirais .Et moi même,
27
réciproquement, j’essayai de ne pas heurter sa
susceptibilité en matière de religion traditionnelle.
La susceptibilité primordiale de ma mère
résidait dans l’observance des relations avec les
hommes. En dépit de mon âge à cette époque, je me
suis efforcée de ne pas trop m’écarter des volontés
de ma mère dans ce domaine.
Pendant cette période, mes relations avec
les garçons de la famille et du voisinage, parmi
lesquels Hamid, le compagnon de jeux de mon
enfance, bien que sorties du cadre de l’amitié
réciproque de deux enfants, avaient subi une
transformation, mais se bornaient à un échange limité
de livres et de romans. D’autant que ma mère
m’avait, dès mon enfance, inculqué une animosité à
l’égard des hommes, en raison de la mauvaise
conduite de mon père à son égard dans leur jeunesse.
Elle nous avait sans relâche encouragée à ne pas nous
marier, à poursuivre nos études, et de ne jamais
dépendre d’un mari.
Bien que moi même et ma soeur
Mansourah ayons déjà attiré à un certain moment
l’attention de quelques hommes, nous ne les
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suivions jamais, et ne parlions jamais de mariage,
bien que nous ayons pris de l’âge et atteint celui de
convoler.
Première et dernière aventure
L’éducation particulière reçue dans notre
famille, et les limitations culturelles et sociales
strictes en usage dans une ville relativement petite
comme Khorram Abad avaient fait de moi un étrange
mélange.
Ce mélange se traduisait chez moi en une
fille élégamment habillée et soignée, mais se
comportant de façon sèche et dure avec les garçons,
au point qu’ aucun d’entre eux ne s’approchait de ma
soeur et moi, et n’avait pas même le courage de
lancer des quolibets à notre encontre.
Ayant depuis l’enfance pris l’habitude d
être rapidement remarquée, maintenant que j’étais
devenue adulte et que j’avais 15 ans, je recherchais
29
comme auparavant la considération dans mon
entourage, et avais centré cette recherche sur Hamid.
Nous échangions des livres, nous nous
aidions mutuellement à faire nos devoirs d’école, et
tous les deux, sans sortir du cadre de nos relations de
jeunesse, nous continuâmes une relation plus
collective, au sein de la famille ou parmi les autres
jeunes voisins.
Un jour, de retour d’un voyage à
Téhéran, Hamid me rapporta trois livres de poche en
cadeau.
Ces livres étaient l’Amoureux de
l’épouvantail, Rébecca et la Mère, de Pearl Buck.
Je fus très heureuse à la vue de ces livres,
et dès que je les ouvris, je découvris une enveloppe
sentant fortement le parfum entre les pages de l’un
des livres..J’ouvris l’enveloppe et en tirai une lettre
qui était imprégnée d’un agréable parfum. Je la lus
plusieurs fois. Il y était question de son attachement
pour moi. Conformément à mon habitude de confier
tous mes secrets à ma soeur Mansourah, je lui
montrai cette lettre.
30
Après s’être assurée que je n’avais pas
écrit à Hamid, ma sœur, sans qu’elle m’en ait parlé
au préalable, porta la lettre dans la famille de
Hamid qui reçut une volée de coups de son frère
aîné. Cet épisode contraria considérablement Hamid
à mon égard.
A la suite de cette aventure, il subit de la
part de sa famille des pressions pour qu’il cesse de
tourner autour de moi. Peu après, il obtint son
diplôme et fut admis à la faculté nationale de droit de
Téhéran. Il y partit, et ne se préoccupa plus de moi.
Cette aventure, qui fut pour moi source de chagrin,
était terminée, et deux ans plus tard, je le retrouvai à
Téhéran où il était venu en aide à mon frère. Je pris
rendez vous avec lui place du 24 Esfand.
Nous éprouvâmes un grand plaisir à nous
revoir .Il voulut m’emmener à son université.
Pendant le trajet en autobus, il me questionna un peu
sur notre ville et nous parlâmes aussi de nos
souvenirs d’enfance. L’autobus arriva enfin à
destination, et il m’invita à prendre un thé au self
service. Chacun de nous, tout en étant sur sa réserve,
désirait parler de l’aventure passée entre nous, mais
31
attendait que ce soit l’autre qui fasse le premier pas.
Finalement, aucun ne prit l’initiative et, bien que
tentée de le faire, je ne dis rien. Nous prîmes congé et
je fus séparée de lui pour toujours.
Après cette entrevue, je pris la décision
de ne plus jamais penser à lui et, tant que je serai
vivante, de ne de ne plus accorder d’affection à un
homme, de ne livrer à aucun d’eux le chemin de
mon cœur. Je réussis à tenir à cette étrange
résolution jusqu’à l’âge de 28 ans, lorsque je me
mariai avec Ali Akbar Ghazi, futur martyr.
Une évolution importante
après un fait divers mineur
En cette période désargentée et de faillite
financière de la famille, nous passions un jour dans la
rue ma soeur Mansourah et moi et regardions les
vitrines des magasins. Je montrai à ma soeur une
paire de souliers et lui dis : »Si j’avais à acheter des
chaussures, c’est certainement celles là que je
32
choisirais. » Elle venait d’être recrutée au sein de
l’éducation nationale mais n’avait pas encore perçu
son premier salaire. Elle me jeta un regard sans rien
dire et j’oubliai ce court dialogue presque aussitôt.
Après la faillite de mon frère et son
départ à Téhéran, parmi les objets que ma mère
n’avait pas encore vendus y étant attachée, se
trouvait l’ancien poste de radio de mon frère qu’elle
laissait allumé en permanence, écoutant les chansons
de Marzieh, Elaheh et Om Al Kolsoum, et
quelquefois elle pleurait doucement, doucement..
Quelque temps après la conversation que
j’avais eue avec ma soeur, ce poste de radio disparut
de la maison, et quand je demandai à ma mère ce
qu’il était devenu, elle me dit qu’il était détraqué et
qu’elle l’avait donné à réparer. Deux ou trois jours
plus tard, ma soeur me dit qu’elle avait perçu une
allocation financière et qu’elle pouvait m’acheter les
souliers en question. Nous allâmes ensemble les
acheter.
Plusieurs jours après, le poste de radio
n’était toujours pas réapparu à la maison, et quand je
vis qu’il n’en était plus question, j’eus le sentiment
33
qu’il avait été vendu pour m’acheter les souliers. J’en
parlai à ma soeur et lui demandai pourquoi elle avait
parlé à maman de vendre le poste de radio pour
m’acheter des souliers. Au début, elle fit comme si
elle ne savait pas, mais à la fin elle me dit : » Maman
ne veut pas que tu aies d’autre peine et dit toujours
que la séparation avec Mehdi (mon frère) est bien
suffisante pour cette enfant.... »
Je fus profondément retournée par cette
affaire, et particulièrement par le fait que je ne
pouvais rien faire, car le poste de radio était vendu et
que je portais les souliers aux pieds. Ce fait divers fut
à l’origine d’une transformation étonnante en moi, en
ce sens que je trouvais désormais que la vie, et toutes
les choses de la vie avait une nouvelle signification.
Mon caractère d’adolescente de 15 à 16 ans pleine
de la fougue de la jeunesse s’est trouvé changé en
celui d’une femme mûre. Au début, je suis venue en
aide à ma mère dans ses travaux de couture, allégeant
ses épaules d’ une part de mes dépenses, puis je
cherchai du travail et fus engagée à l’administration
de la Justice, tout en continuant à suivre des cours
pour obtenir mon diplôme.
34
Au fur et à mesure que je résolvais ces
contradictions, je devenais plus mûre au point qu’en
un temps très court je devins le pôle de la famille,
chargée d’entendre les demandes et de résoudre les
problèmes de tous, sans cesse plus nombreux. Même
mon grand frère et ma grande soeur comptaient sur
moi et sur mes conseils pour résoudre des problèmes
importants de leur propre vie et de celle de leurs
enfants.
La vente du poste de radio et l’achat de la
paire de souliers m’apprirent que préalablement à
mes pensées et mes prétentions, il me fallait porter un
regard attentif sur le milieu qui m’entoure, penser
aux autres et même m’efforcer et me dévouer pour la
réalisation de leurs désirs.
Après cette transformation mentale, moi
qui depuis l’enfance m’abstenais de manger de la
viande, je devins officiellement végétarienne et
même membre d’une société de défense des
animaux, et à côté des cours de l’école, je consacrais
une partie de mon temps à m’occuper des oiseaux et
autres animaux blessés, ou encore à écrire.
35
Pendant cette période de ma vie, j’écrivis
des fragments de littérature, des poèmes et parfois
des sortes de contes que j’envoyais aux magazines
bien pensants auxquels j’étais abonnée, et qui parfois
même étaient imprimés. C’est également à ce
moment là que le martyr champion du monde Takhti
et la poétesse Forough Farrokhzad furent tous deux
rapidement l’objet de mon attachement.
Je dis à mes amis de l’école que ces deux
personnes avaient été tuées par la SAVAK. Le
lendemain, le directeur de l’école nous convoqua, ma
soeur Mansourah et moi, et nous avertit que si nous
continuions à tenir de tels propos et à troubler
l’atmosphère morale de l’école, l’affaire serait
confiée à la SAVAK .Jusqu’alors, je n’avais jamais
pensé au caractère sérieux de ces affaires de SAVAK.
Après cet avertissement, je fus en proie à une peur
intense, qui me poursuivit pendant des années, si bien
qu’en dépit de mon opposition au régime du chah,
longtemps je ne m’étais pas départie de ma prudence
et n’avais jamais entrepris d’actions contre ce
régime.
36
Premier face à face avec la police
secrète du chah.
Dès mon enfance, encouragée en cela par ma soeur
Mansourah, j’étais constamment à la recherche de
livres de connaissances générales. Puis je ne le fus
plus. Une métamorphose récente m’avait conduite à
reporter mon attention sur des livres traitant de
politique. J’avais économisé tout mon argent, et
j’allais régulièrement à Téhéran où j’assistais parfois
à des réunions entre mon frère et ses amis, réunions
qui se tenaient secrètement contre le régime du chah.
Je créai une association et, avec des personnes que
mon frère connaissait, je rassemblai les livres de
politique du moment, parmi lesquels la Mère de
Gorki, Héritiers de la colonisation Je les rassemblais
à Téhéran, les cachais dans ma valise et les apportais
à Khorram Abad où nous les lisions avec des amis.
En peu de temps, je montai à la maison une
bibliothèque bien fournie en livres politiques.
37
C’est également à cette époque que ma
mère, en raison d’une situation financière difficile,
décida de mettre notre maison en location et de louer
une maison moins chère pour nous loger. Notre
locataire était un vieux libraire. Il avait une figure
bienveillante et polie, une longue barbe blanche et la
respectabilité d’un derviche. Je fréquentai bientôt sa
librairie du Carrefour des Martyrs qui se trouvait
dans le quartier le plus animé de la ville et était la
mieux achalandée de la ville en revues. J’en devins
une cliente assidue, et c’est ainsi que chaque mois,
quand il faisait ses comptes avec ma mère, il retenait
une somme importante du loyer pour les livres que je
lui avais achetés. Ceci provoquait les protestations de
ma mère, qui avait grand besoin de cet argent.
Au début, lorsque je fis la connaissance
de cet homme, je ne lui achetais que des livres
courants, mais peu à peu, je lui accordais ma
confiance, et lui demandai de chercher pour moi des
livres interdits.
Chaque fois que je le priais de me
procurer un de ces livres,il me demandait comment
j’en avais pris connaissance et me regardait
38
rapidement ensuite par dessus ses lunettes dans
l’attente de ma réponse. Je lui répondais avec
simplicité que c’était dans un cercle de personnes de
connaissance, que j’avais eu l’occasion de lire la
biographie de l’auteur du livre et que j’aurais aimé
l’acheter. Il avait alors un sourire, et ne disait rien.
C’est ainsi que ma bibliothèque, jour après jour,
grandit en importance et devint l’un de mes intérêts
principaux. Mais par peur de la SAVAK, tous les
livres étaient cachés dans un débarras de la maison.
En ces années là, en raison même de la
composition des organisations politiques, dont les
leaders provenaient du milieu estudiantin, et des
intellectuels du Lorestan, et plus particulièrement de
la ville de Boroudjerd, la pression de la SAVAK
s’exerçait plus particulièrement sur les lycées et les
collèges de ce district.
Un jour, alors que, revenant du lycée, je
rentrais à la maison, ,je fus incroyablement surprise
de voir que ma mère avait sorti tous mes livres de
l’endroit où ils étaient dissimulés et les brûlait un à
un dans le foyer de la cuisine. Je fus choquée en
voyant cette scène, et en demandai la raison à ma
39
mère, qui me dit : »Le vieux libraire qui est notre
locataire, est un colonel, agent secret de la SAVAK :
il a donné ton nom et celui de tes amis, pour que
vous soyez arrêtés, et ton cousin est venu me dire de
brûler les livres et que tu partes au plus vite de la
ville. » Mon cousin maternel avait été commandant
dans l’armée, et occupait un poste important au
tribunal militaire de Khorram Abad .Ma mère
continua en me disant : » Je lui ai demandé de rayer
ton nom et celui de Hamid, mais il m’a répondu que
tous tes amis sont sur la liste. Je communiquai
immédiatement la nouvelle à Hamid et aux autres
copains. Hamid partit à Téhéran, et moi j’allai à
Kermanchah chez ma soeur. Un grand nombre des
amis qui avaient pris la nouvelle au sérieux purent se
cacher. D’autres furent arrêtés et restèrent en prison
jusqu’à la révolution de 78, et furent exécutés en
1981 par les soins du régime de Khomeiny.
Après cette affaire, étant terrorisée à
l’idée d’être arrêtée par la police du chah, je
m’efforçai à mon retour de Khorram Abad,
d’observer la plus grande prudence avant d’intégrer
40
un mouvement pour ne pas à nouveau tomber dans
les filets de la SAVAK.
Mes débuts dans l’enseignement
J’étais en classe de onzième2 lorsque
pour apporter mon aide aux dépenses familiales de
subsistance, j’obtins un emploi dans l’Administration
de la Justice. Dès la première année de mon
embauche, je suivais le cours de terminale dans une
classe de sciences naturelles du lycée de notre ville,
une terminale obligatoire pour les filles. A la fin de
l’année, je me présentai à l’examen et je fus reçue.
Lorsque j’obtins mon diplôme, je donnai
ma démission de l’administration de la Justice, et je
continuai mes études en littérature et sciences
2NdT : L’équivalent dans notre système éducatif est la classe de
première
41
humaines. En fin d’année, j’allai même exercer en
qualité de professeur de collège dans les écoles
d’enseignement secondaire de Sar Pol Zohab3 et de
Ghasr Chirine4, engagée par le ministère de
l’éducation.
L’enseignement dans ces régions
déshéritées fut la meilleure de mes expériences de la
vie sociale et de la connaissance de la communauté.
Les habitants de cette région, étaient parmi les plus
démunis que j’avais jusqu’alors eu l’occasion de
voir.
Dans ce travail, la pauvreté excessive du
peuple constituait un terrain favorable à l’action
politique et à la persuasion des gens par les élèves
de l’école, qui étaient quelquefois leurs propres fils,
dont l’âge réel était souvent supérieur à celui inscrit
sur leur carte d’identité (dans la campagne en Iran, il
est courant que l’âge indiqué sur la carte d’identité
des jeunes soit inférieur à l’âge réel, pour retarder
leur enrôlement au service militaire)
3NdT : Sar Pol Zohab ville près de la frontière entre l’Iran et
l’Irak 4NdT : Ghasr Chirine :Ville frontalière proche de Sar Pol
Zohab
42
Ces jeunes, dépourvus de tout, étaient
comme une terre vierge et assoiffée qui absorbait très
vite chaque bribe d’information et s’en servait sans
plus tarder.
Les élèves de mon école venaient des
campagnes de la frontière entre l’Iran et l’Irak, et
parlaient le farsi avec difficulté. Durant cette période,
qui fut l’une des plus heureuses de ma vie, j’avais
beaucoup de travail. Parallèlement je faisais
dépensais beaucoup d’efforts avec les élèves dans le
domaine de l’action politique, et j’employais
essentiellement mes revenus à l’achat de livres et de
cassettes de Samad Behrengi 5
La population de cette région, notamment
en raison de son extrême pauvreté, était
profondément opposée au chah, mais détestait aussi
entendre parler de Khomeiny et de son arrivée au
pouvoir. Quand il était question de ce grand escroc
de l’époque, les habitants protestaient avec beaucoup
de vigueur, et disaient : »Si Khomeiny vient au
pouvoir, il nous privera même de l’eau. »
5 NdT :Samad Behrengi :instituteur révolutionnaire qui a écrit
des livres et des cassettes pour les enfants des écoles
43
Il n’est pas inutile de rappeler ici que
l’eau douce existait dans les quartiers sud de la ville
de Sar Pol Zohab habités par une population
musulmane, et de là était distribuée par des conduites
dans le quartier nord, dont les habitants étaient en
majorité membres de la » secte religieuse de la
Justice »
A l’arrivée de Khomeiny, les
réactionnaires opposés aux droits de l’homme, jetant
l’huile sur le feu, se mêlèrent des problèmes entre
chiites et sunnites ainsi que des peuplades de
nationalités et de religions diverses. Ils provoquèrent
des disputes entre les musulmans et les habitants de
la » secte de la Justice » de la ville et ce que mes
amis avaient préalablement prévu se réalisa : les
hommes de main du régime des mollahs coupèrent
l’eau aux habitants de cette secte. Cela se passa au
moment où je me trouvais là, tout au début de la
révolution au mois de Avril 1979, et j’en fus
personnellement témoin.
A Sar Pol Zohab, des relations cordiales
s’établirent rapidement entre les familles des élèves
et moi, au point que la population notable de cette
44
ville et plus particulièrement les dirigeants prirent
l’initiative de mettre sur pied un programme de
protection de l’habitation que ma mère et moi
habitions seules, sans autre locataire, et sans nous le
dire, faisaient des rondes la nuit pour sécuriser les
lieux.
Cette attention des habitants de la ville
fut la cause d’un avertissement du directeur de
l’enseignement de la ville de Sar Pol Zohab. Ce
directeur m’appela un jour et me dit de porter
attention à mes fréquentations avec la population de
la ville, et de ne pas trop me mêler à elle, car elle
comportait des éléments peu sûrs et dangereux.
Quand je lui demandai pourquoi ils étaient
dangereux, il me répondit avoir entendu dire qu’ils
avaient organisé un système de surveillance de ma
maison. Moi qui jusqu’à ce moment n’avais pas
même entendu parler de cette surveillance, lui
répliquai que si ce que l’on disait était vrai, cela ne
pouvait constituer un danger pour moi, puisqu’ils
avaient pris eux mêmes l’initiative de la surveillance.
Le directeur, sans alors me donner plus
d’explications, me mit en garde contre les relations
45
trop proches avec la population locale. Mais moi qui
travaillais pour les habitants de la ville et qui prenais
grand plaisir à être à leur coté, je ne tins aucun
compte de cet avertissement et continuai à faire mon
travail comme auparavant.
Malheureusement, dès le début de mon
séjour, le climat particulier de cette région très
chaude me fit contracter une sorte d’allergie sévère,
et en l’absence d’un traitement réellement efficace,
je fus obligée deux ans plus tard de demander ma
mutation de Sar Pol Zohab à Khorram Abad.
Ma demande de mutation fut rapidement
acceptée par le ministère de l’Enseignement, et c’est
avec une multitude de souvenirs restés gravés dans
ma mémoire que je pris congé, les larmes aux yeux,
des élèves et de la population que j’aimais et que je
revins à Khorram Abad à la fin de l’année1976 où je
travaillais dans les établissements d’enseignement
secondaire de la ville. Les constatations sur des
amères réalités de la vie et le spectacle des
nombreuses difficultés de la population de Sar Pol
Zohab m’avaient privée de sommeil et d’appétit.
Mon retour à Khorram Abad, et les retrouvailles,
46
après une période d’absence de cinq années, des
personnes de connaissance me permirent de
reprendre le combat contre le régime du chah. Bien
que la durée journalière de mon travail fût
officiellement de six heures à cette époque, il
m’arrivait de faire douze heures dans certaines
écoles, et tous mes revenus allaient aux élèves sans
moyens et autres nécessiteux de la ville.
Seulement un nom
Après mon retour à Khorram Abad, le
fils et la fille d’une personne de l’administration de la
Justice, que j’avais connue au temps où j’étais
employée dans ce service, se trouvaient tous deux
séparément et dans deux écoles distinctes, être mes
élèves. Je pris alors conscience de la situation
particulière de la mère dans cette famille.
C’était une femme triste, qui était en
permanence habillée de noir. Un jour, je lui
demandai la permission de lui poser une question et
47
lui dis : » Tu es une femme jeune et belle, tu as deux
enfants intelligents et remplis de gaîté, ton mari, que
je connais est un homme très honorable. Pourquoi es
tu toujours si triste, et portes tu toujours des
vêtements noirs ? » Elle qui se sentait dans une
atmosphère étouffante, attendant depuis des années
que quelqu’un en Iran lui pose enfin cette question,
fondit brusquement en larmes, et m’expliqua les
circonstances particulières de sa vie. Elle me
dit : »Après 1972, date à laquelle mon frère aîné
partit militer avec l’organisation des Modjahedines
du peuple et fut fusillé par la SAVAK du chah, mon
vieux père, très éprouvé et ne se remettant pas de la
perte de son fils, était mort de consomption, après
avoir fait établir par un acte que je devais porter des
vêtements noirs tant que le régime du chah n’aurait
pas été renversé ». C’est ce qu’elle faisait, et ce n’est
que le 12 janvier 1979 qu’elle les quitta lorsque le
chah fut renversé, c’est à dire près de sept ans après
que je l’aie vue toute habillée de noir.
C’est à cette date que je pris conscience
qu’elle était la soeur d’un martyr de l’organisation
des Modjahedines du peuple iranien. Avant d’avoir
48
fait la connaissance de cette famille, je n’avais
jamais entendu parler des Modjahedines.Par la suite,
j’obtins d’elle des informations succinctes sur le nom
et l’activité des Modjahedines et j’entendis, de la
bouche de quelqu’un qui avait connu son frère
martyr, qu’une seule personne, Massoud Radjavi,
dans le cadre de l’activité internationale de ce frère,
n’avait pas été mis à mort, mais tout de même
torturé et condamné à la détention perpétuelle.
La personne qui me donna, à cette
époque des informations résumées me transmit le
désir d’en savoir plus sur les Modjahedines, et sur
Massoud Radjavi. Plus tard, après la chute du régime
du chah, et l’arrivée au pouvoir du tortionnaire
Khomeiny, elle m’a conduite à sympathiser avec les
Modjahedines.
Les premiers frémissements de la
Révolution
Au printemps de l’année I977, avec
l’ouverture de l’espace politique, notre ville se trouva
fortement enfiévrée. En raison de l’activité du
49
docteur Houchang Ezami, la province du Lorestan,
dont la population avait été précédemment écrasée
par le chah et avant lui par son père, qui en avaient
mis à mort tous les chefs des grandes familles
constamment en révolte, constituaient un foyer
permanent de rébellion. L’ouverture plus ample de
l’espace politique rendait propice l’émergence d’un
esprit révolutionnaire.
Je tirais beaucoup de profit à enseigner
l’histoire, et en ces temps là je travaillais avec la plus
grande liberté et parlais essentiellement des
oppressions exercées par le gouvernement du chah et
ses hommes de main, ainsi que la vérité sur l’histoire
des chahs que je racontais aux élèves d’après des
livres d’archives impartiaux. Dans les autres écoles et
collèges qui n’avaient même pas d’heure d’histoire
au programme, j’enseignais ces vérités amères de
l’histoire hors programme sous la forme de
conférences sur les conditions de vie de notre pays, et
plus particulièrement dans le domaine économique.
Fin février 1977 je fus convoquée chez
le directeur de l’école, qui me laissa seule avec un
homme assis dans le bureau. Sur le moment, je
50
pensai que c’était un parent d’élève haut placé, mais
je me rendis bientôt compte de mon erreur, car il se
présenta et déclara venir des services de
renseignements et de sécurité de la province. Il avait
reçu des rapports sur mes paroles provocantes et des
injures incontestables de ma part contre le régime du
Chah des Chahs, au sujet desquelles il me fallait
m’expliquer.
Je lui répondis : « Je ne sais pas de quoi
vous faîtes état. Non seulement pour les cours
d’histoire, mais dans toutes les disciplines que
j’enseigne, je mets à la disposition des élèves
l’ensemble des connaissances générales et les
renseignements que je tire de livres d’archives
authentiques que je peux me procurer. Si dire la
vérité représente à vos yeux une provocation, brûlez
les livres pour que je ne puisse les lire. Mais tant
qu’ils seront à ma disposition, je me comporterai
comme une intellectuelle en les mettant à la
disposition des élèves pour leur éducation et leurs
études, en les utilisant »
Il me jeta un coup d’oeil et dit : » Nous
savons que vous n’avez pas de relations avec des
51
groupes contre l’ordre existant, et que vous servez de
garde malade à une vieille mère décrépite. Vous
êtes jeune et manquez d’expérience et vous dites ces
paroles par amour pour votre métier. C’est pourquoi
il ne faut voir dans l’entrevue de ce jour qu’un
avertissement pour que vous ne continuiez pas dans
la voie que vous avez prise. »
De cette conversation avec ce
fonctionnaire de la SAVAK, je retins que ce service
disposait de renseignements pour m’arrêter et
m’accuser, et que l’avertissement avait été donné à
titre amical ! En dépit de la peur qui me saisit au
début et qui affecta particulièrement fort ma mère
lorsqu ‘elle eut connaissance de cet incident, et bien
qu’elle me répétât constamment, en tête à tête, de
prendre garde à la SAVAK, avec le temps, cette
entrevue tomba dans le sac aux oublis, et je continuai
de faire mon travail comme auparavant.
Cette rencontre eut cependant un
retentissement parmi les élèves et mes collègues de
travail, et je pus même étendre mon domaine
d’activité.
52
L’été 1978, je passais mes vacances à
Téhéran et à Ispahan avec une association, à
manifester dans la rue et je pris part à Kermanchah à
des grèves d’enseignants avant de revenir à Khorram
Abad au début du mois d’octobre.
Ce fut à ce moment là à l’école du 17
Deï6, que nous avions rebaptisée école du 17
Charivar que j’eus la meilleure de mes heures
d’enseignement, en appelant les professeurs à faire
grève. Parmi les cadres enseignants de cette école la
future martyre Ferechteh Nouraimani, récemment
rentrée d’Angleterre, fut le seul professeur qui
m’accompagna dans l’annonce de cette grève.
Après cette action, le directeur de l’école
et un professeur membre du parti Toudeh7, par peur
essayèrent de me dissuader de ma détermination, en
me prodiguant nombre de conseils pour me faire
revenir sur ma dangereuse décision, sans succès. Le
professeur membre du parti Toudeh, une poule
mouillée, faisait état de l’expérience de son parti, de
6 Nom de l’école, dite école du 6 Janvier, comme en France les
places du 14 juillet ou du 11novembre. 7 Le parti Toudeh est un parti communiste se réclamant du
soviétisme bolchevique.
53
ce qu’il était inutile de mener un combat contre le
Chah, et me disait qu’il me fallait penser à ma mère,
vieille et seule.
Je fis la connaissance de la Modjahed
future martyre Ferechteh Nouraimani lorsque je
commençai à travailler à l’école du 17 Charivar, et
notre amitié dura jusqu’en octobre- novembre de
l’année 1981, date à laquelle cette femme héroïne des
Modjahedines du Peuple, fut arrêtée dans une rafle
épique à Siah Hamedan, et fut exécutée.
J’estime nécessaire ici de relater le
témoignage de sa conduite héroïque.
C’était à la fin du mois de novembre
1981. Elle circulait dans les rues de Siah Hamedan,
lorsqu’elle tomba dans les filets des sbires de la ville
et fut capturée. Ferechteh était certaine d’être
exécutée par le régime des mollahs, car elle ne leur
donnerait aucune information. Dès qu’elle entra dans
le bureau du commissaire de police du centre de Siah
Hamedan, elle désarma inopinément avec bravoure et
détermination l’un des pasdarans chargés de la
protection du commissaire, et eut des démêlés armés
avec les policiers présents.
54
Finalement, les policiers l’abattirent sur
place d’une rafale et la firent mourir en martyre.
La martyre Ferechteh Nouraimani était
une femme héroïque qui, avant de rejoindre les
Modjahedines, avait pris des cours en Angleterre, et
qui, dès le début de la révolution contre la
monarchie en I977, interrompit ses études pour
revenir en Iran. Je l’avais accompagnée plusieurs fois
durant cette période dans les réunions d’une
association d’étudiants islamistes qui n’avait alors,
dans les journées proches de la victoire de la
Révolution contre le Chah, que peu d’existence et de
présence ondamentales. Dès lors que l’espace
politique était davantage ouvert, ils renoncèrent,
selon leurs propres voeux, à leur prudente
dissimulation, et faisaient acte de présence.
Moi qui, jusqu’alors, n’avais jamais eu
de relation avec les religieux et les associations
islamiques, j’accompagnais Ferechteh à leurs
réunions, d’ailleurs très peu nombreuses et de portée
limitée, prenant part à quelques réunions de leur
programme.
55
Comme il n’était pas question, dans ces
débats, du combat contre le chah et des difficultés
avec son régime, et que seul un homme, Hadj
Sadakhi, réservait son art de la parole à cinq ou six
auditeurs, je ne pris part que deux fois à ces réunions
à la suite desquelles je dissuadai Ferechteh d’y
participer, et nous n’assistâmes plus à aucune de ces
manifestations.
Pour l’extension de la lutte des
enseignants aux autres villes de la région et aux
autres provinces, et en particulier à Karmanchah, où
j’étais personnellement intervenue en majeure partie,
j’animai une association de professeurs du secondaire
et du supérieur, dont tous étaient membres, quelles
que soient leurs idées .
Après la formation de cette association,
le gouvernement fut d’accord pour débattre avec
nous de nos revendications qui, au début, étaient
uniquement professionnelles.
C’est par l’intermédiaire de cette
association d’enseignants de Khorram Abad, qui
m’avaient choisie pour la représenter, que j’entrai
dans le courant de la révolution contre la monarchie.
56
La première grève, avec cessation de
travail, dans les écoles, fut organisée par mes soins,
et ceux de Ferechteh Nouraimani.
Sauf erreur, c’est le 15 ou le 16
octobre1978, qu’après une période de quelques jours
de grèves dispersées, nous décidâmes la grève totale
dans toutes les écoles de la ville, et que nous
entreprîmes classe par classe, école par école, l’arrêt
du travail. Nous organisâmes alors une manifestation.
Ce jour là, la manifestation démarra avec
cinq personnes de nos écoles, rejointes dans les rues
par une foule de professeurs des écoles tant de
garçons que de filles ; le cortège des manifestants
défila jusqu’à la place du 6 Bahman, ainsi nommée à
l’époque. A son arrivée, il comportait plus de cinq
mille personnes. Ce jour là, la population totale de
Khorram Abad se répandit dans la ville, et les
banques et les bureaux administratifs de l’Etat furent
pillés par la foule des manifestants.
Les forces de répression du régime du
chah se contentèrent de lancer des grenades
lacrymogènes et de pulvériser de l’eau sous pression
sur les manifestants. Mais à partir de ce moment, la
57
ville de Khorram Abad ne connut plus sa tranquillité,
car elle fut occupée par l’armée avec des blindés et
toute son intendance, qui ne put rester sur place
qu’un seul jour.
Au lendemain de cette journée, l’armée
et la préfecture de police de la province, craignant
des affrontements avec la population, retirèrent les
troupes de la ville ? Les autorités remplacèrent par
des unités de l’éternelle Garde Royale qui, jusqu’à
la chute du régime du Chah le 22 du mois de
Bahman, commirent de nombreux crimes dans la
ville de Khorram Abad
Moi même, je fus très occupée par
l’extension des manifestations et par des opérations
de guérilla de fixation contre la SAVAK et les forces
de la Garde. Je me tirai d’affaire pendant cette
période grâce aux personnes honorables de Khorram
Abad qui me témoignèrent leur affection,
m’apportèrent une aide importante et me permirent
de réaliser ces opérations avec succès.
La description de ces arrestations et des
évènements qui, pendant cette période de la
révolution s’abattirent sur nous, en particulier celle
58
des journées et des nuits de fièvre lors des rafles
effectuées par la SAVAK et les mercenaires du chah,
pourraient à elles seules faire l’objet d’un livre
séparé. C’est la raison pour laquelle je préfère ne pas
m’étendre dans le présent ouvrage sur les
évènements de la période allant de septembre1978 à
février 1979, espérant avoir une autre occasion de les
mettre par écrit.
Premières discordes semées par les
réactionnaires
C’était le 21janvier de l’année 1978. Dans le cadre de
la révolution, dans notre ville, nous avions collaboré
de manière enthousiaste et franche avec des
personnes de toutes les couches sociales, sous la
direction de l’association des intellectuels, et avions
marché du même pas que d’autres villes d’Iran.
Jusqu’à ce jour toutes les forces politiques et les
intellectuels de Khorram Abad et des autres villes de
la province n’avaient aucune appartenance à un
groupement et étaient connus pour leur orientation,
religieuse ou non. Dans tous les affrontements ils
59
luttaient ensemble contre les agents de répression du
chah.
Un jour, au cours d’une réunion de
l’association des intellectuels, un jeune étudiant, qui
s’était lui même présenté sous le nom de Reza et que
je connaissais de loin, demanda, en dehors de l’ordre
du jour de la réunion, que l’autorisation lui soit
donnée, de faire une communication au nom de
l’association des étudiants islamistes de Khorram
Abad. Sa demande fut acceptée et il lut sa
déclaration.
Quelques jours après cette réunion, cette
même association des étudiants islamistes organisa
un programme d’interventions à la faculté de la ville,
et m’invita à y prendre part, de même que les autres
membres de l’association des intellectuels.
L’ensemble de mes amis et moi même
participâmes à ce programme. Le conférencier était
un mollah portant le nom de Faker.
Ce religieux impur, dont on sut plus tard
qu’il était l’un des donneurs de coups de matraque
des réactionnaires, dès son entrée en scène, s’installa
à la tribune sans faire le moindre salut et déclara que
60
s’il y avait des communistes parmi les auditeurs,
qu’ils se lèvent et partent pour qu’il puisse
commencer sa conférence. Puis il se mit à prononcer
des insultes contre les communistes.
Mes amis, et particulièrement ceux qui
n’avaient rien à voir avec la religion, me regardèrent
et restèrent dans l’expectative, attendant de voir
quelle était ma Réaction. Moi même, que cette
manière aveugle de semer la discorde avec de telles
façons avait fortement choquée, je me demandai
pendant quelques instants quelle attitude je devais
adopter. D’un côté je voyais les gens de la SAVAK, et
les mercenaires du chah qui nous assiégeaient et qui
devaient bien rire après le discours de ce mollah
imbécile. D’un autre côté, je pensai à l’image
historique de semeurs de discorde des mollahs dans
les mouvements d’aspiration à la liberté et à la
monarchie constitutionnelle, aux manifestations et
aux affrontements ayant eu lieu jusqu’à ce jour, sans
que parmi nous il y ait la moindre trace d’un mollah
ou de l’un des hommes de main des réactionnaires.
Convaincue que le renversement du chah
devait être opéré par ces mêmes jeunes et ces mêmes
61
intellectuels de la ville avec lesquels nous avions déjà
travaillé, et dont beaucoup n’étaient pas de tendance
religieuse, le doute ne me gagna pas longtemps, et,
opposée à ce qui venait de se produire, je m’adressai
à l’un des organisateurs du programme, et lui dis que
cette action n’était pas correcte, qu’elle créait des
dissensions entre les personnes, que cette façon
d’aborder le problème en le considérant réglé et que
le bénéfice de cette opération allait tout droit au chah
et à la SAVAK, Je lui demandai pourquoi il voulait
réitérer l’affaire du 25 Mordad.
Il me répondit : » Nous ne pouvons rien
dire à Faker. On l’a envoyé de Téhéran à Khorram
Abad, et il ne voudra pas écouter nos arguments »
Sans espoir désormais sur les possibilités
d’intervention des responsables du programme pour
régler de cette affaire, je dis à ceux qui m’avaient
accompagnée à cette réunion qu’ou bien nous
restions tous, ou alors nous quittons tous ensemble la
réunion. Je proposai même à ceux qui se sentaient
concernés avec la religion de rester, mais ils ne furent
pas de cet avis, et nous nous levâmes tous et
sortîmes, et moi même, à l’étonnement des
62
mercenaires réactionnaires, quittant la salle très
affectés.
Notre sortie de la salle fit qu’un grand
nombre des autres participants quittèrent aussi la
réunion, et le mollah Faker resta seul avec quelques
membres de l’association islamique qui, plus tard
s’avérèrent être les uns et les autres les noyaux de la
terreur et du tabassage dans la ville et dans toute
l’étendue de la province. C’est dans ces conditions
que fut semée parmi la population de la ville la
première graine d’une dissension aveugle, par des
réactionnaires de l’époque moyenâgeuse, graine dont
le peuple opprimé d’Iran a depuis ce moment là
jusqu’à nos jours récolté les mauvais fruits sous
forme d’oppression, de guerre et de désolation,
accoutumé qu’il était au gibet, à la torture, au
chômage et à la famine. Cette discorde, semée par les
mollahs impurs, a conduit à la ruine de nombreuses
vies, de richesses et de l’honneur du peuple.
63
Rencontre avec les Modjahedines
Ce fut dans les jours qui suivirent la
chute du régime du chah que le directeur de l’école
me fit venir à son bureau et me dit qu’un monsieur
était arrivé et demandait à me voir pour affaire. Je me
rendis au bureau de l’école, et y vis un homme qui se
présenta lui même comme militant de l’Organisation
des Modjahedines du peuple d’Ira, et me déclara : «
Nous avons l’intention d’ouvrir un bureau pour la
coordination de l’activité politique des Modjahedines
dans la ville de Khorram Abad. D’après ce que nous
savons, vous avez des possibilités et beaucoup
d’amis et vous pourriez nous apporter une aide
importante dans ce domaine. C’est pourquoi je suis
venu vous voir aujourd’hui. » Je lui demandai de me
préciser quelle était l’aide qu’il attendait de moi, ce à
64
quoi il répondit qu’il désirait mon aide pour prendre
le bâtiment de la SAVAK afin d’ y installer le
mouvement des Modjahedines. Puis il me donna une
liste de ce qui leur était nécessaire pour commencer à
travailler, et à la fin il me dit : » Mais ce qui est plus
important que ces facilités, c’est votre collaboration
directe avec le mouvement des Modjahedines que, je
l’espère, vous ne nous refuserez pas ».
Je lui expliquai que je ne désirais devenir
membre d’aucun groupe ni d’aucune faction
politique que ce soit, et que je préférais continuer à
travailler directement avec tous les groupes
politiques comme je le faisais avant la chute de la
dictature du chah, pour créer une cohésion entre les
groupes qui depuis le renversement du régime
lançaient chaque jour une nouvelle proclamation.
A la fin, je lui donnai ma parole qu’ils
recevraient de moi toute l’aide que j’étais en mesure
de leur apporter, et en particulier pour la mise en
route de leur implantation locale. C’est ainsi que
débuta ma collaboration avec les Modjahedines
65
Chapitre 2
La plus grande escroquerie du siècle
La fin du début ou un début sans fin
Le printemps de l’année1979 fut connu
pour être celui de la liberté. Mais il est regrettable
que ce printemps de liberté ait rapidement laissé
place à un automne froid, puis un hiver épouvantable.
Car c’est à ce moment que commença le
gouvernement du guide suprême des jurisconsultes
musulmans Khomeiny le bourreau, et ceci représenta
une conclusion plutôt qu’un début.
66
Une fin prématurée pour un début de
révolution de novices mêlée dans un long roman,
d’une idéologie vieille de 2500 ans, à laquelle
Khomeiny substitua une idéologie réactionnaire et
pourrie venant des siècles d’obscurantisme et d’une
époque révolue.
En vérité le poison Khomeiny ne
représentait qu’un début dans la mise en place d’une
idéologie arriérée et barbare, dont les mollahs firent
montre en ces temps sans fin, car ce retour
réactionnaire plonge des racines vieilles de 1400
ans dans les profondeurs de la civilisation populaire.
Une civilisation où, sans aucun doute, il
y eut une connivence parfaite entre le chah et les
mollahs au fil des siècles. Les destins de ces deux
idéologies désuètes étaient intimement liés de bout
en bout des hauts et des bas de l’histoire de notre
peuple, et s’étaient assurément renforcés
mutuellement, en se camouflant l’un derrière l’autre,
entraînant l’abrutissement des masses, le chah par ses
programmes et les mollahs par les situations
particulières qu’ils en ont obtenues. C’est ainsi que
le chah pouvait se désigner lui même comme étant
67
l’ombre de Dieu sur terre. Et c’est cette position que
le sinistre Khomeiny, qui se prétendait descendu de
la lune, a prise et conservée.
.En fait, lorsque nous fîmes la révolution,
l’absence parmi nous des vrais révolutionnaires, tous
supprimés par les soins du monarque dictateur ou
mis en prison, propulsa ce religieux impur de
Khomeiny qui arriva et s’appropria cette révolution.
Dans ces conditions, ce dernier s’assimila
au plus grand usurpateur du siècle, y mettant en
place un pouvoir plus honteux encore que celui du
chah commençant à attaquer l’esprit, les biens et
l’honneur de ceux ayant fait la révolution. Le slogan
misogyne de cette attaque débuta par « ou le voile,
ou la taloche » et continue jusqu’à nos jours par
l’écrasement des lois les plus élémentaires du peuple
iranien au moyen d’une oppression féroce.
Les débuts d’un pouvoir voué à la
catastrophe,
avec un slogan honteux
68
Jamais je n’oublierai, c’était le 8
septembre 1978, alors que le soleil se couchait dans
le sang. Les rues de Téhéran ressemblaient
réellement à un champ de bataille ensanglanté,
vestiges d’un immense massacre des gens de la ville
qui avait eu lieu ce jour là. Etant venue en hâte à
Téhéran et ayant participé pendant des heures avec
mon frère à une guérilla farouche contre les soldats
dans les rues de la ville, j’étais exténuée.
Sur le chemin du retour, je pensais à tout
ce que j ‘avais vu, et à ce moment même, dans
l’excitation de l’opposition au chah, et en signe de
lutte muette contre une civilisation dont la Cour
était le symbole, je décidai de porter le voile.
Après cela, et pendant tout le
déroulement de la période de lutte contre la
monarchie je pris part aux manifestations en portant
le voile. Hélas, le système islamique de Khomeiny
entra en vigueur avec un premier défi imposé aux
femmes, en les contraignant de porter le voile, avec
le slogan : »Ou le voile ou la taloche. »
69
Dans les premiers jours qui suivirent la
victoire de la révolution, les mollahs réactionnaires
commencèrent leur campagne sauvage contre les
femmes opprimées de l’Iran.
Cette campagne infecte coïncida avec
l’approbation d’autres lois asservissantes pour les
femmes, et en particulier la limitation de leur
embauche, ce qui me tourmenta fortement. Je
ressentis de façon tout à fait naturelle que cette
campagne préludait à des douleurs, des effusions de
sang et des tortures qui accompagneraient le peuple
de mon pays dans sa marche vers la liberté.
Par ailleurs, moi qui avais décidé de mon
plein gré de porter un foulard, je me trouvais face à
une répression exercée par les réactionnaires à
l’encontre des femmes sous prétexte d’absence de
voile ou de voile mal mis, et me demandais ce que je
pouvais faire.
Un certain nombre de femmes décidèrent
de s’opposer, par des manifestations, au port
obligatoire du voile. D’une part, je désirais
ardemment participer à ces manifestations, mais par
70
ailleurs je n’avais aucune connaissance sur la
question du Hidjab.8
Je décidai de porter ce problème devant
le responsable du mouvement des Modjahedines,
récemment installé dans notre ville, car je savais
parfaitement que, bien que musulmans et pourtant
bien différents de Khomeiny, ils rencontraient des
femmes non voilées qui allaient et venaient dans les
bureaux du mouvement et les traitaient avec respect,
et ne faisant aucune distinction avec les femmes
portant le voile.
C’est avec cette idée que je me rendis à
leur bureau et je posai ce problème au responsable
qui, avant toute réponse pour ou contre cette
campagne, me dit : » Nous souhaitons que vous
preniez part à ces manifestations et que vous
encouragiez vivement les intellectuelles et les
étudiants à y participer aussi ».
Je lui en demandai la raison. Il me
répondit clairement et de manière catégorique : »
Vous le savez très bien .Quel que soit leur slogan, les
8 Hidjab : sorte de cape noire recouvrant entièrement les habits
des femmes islamiques
71
réactionnaires vous tabasseront avec le foulard que
vous vous êtes mis sur la tête au même titre que
celles qui n’ont pas de foulard et porteront atteinte à
leur liberté.
Il insista ensuite : « Si, au cours d’une
manifestation à laquelle vous prenez part, vous,
femme voilée, soutenez des femmes qui ne le sont
pas, votre voile sera un bouclier contre les
bastonnades et les projections d’acide sur des
femmes sans défense, dont le seul délit est de ne pas
être voilée dans la rue ».
Pour finir, il me dit : » De la même façon
que vous avez librement décidé de porter le voile,
quelqu’un qui n’en porte pas doit rester libre de ne
pas en porter. Dans cette perspective, vous qui
portez le voile défendez leur liberté plus que les
autres. »
C’est ainsi que, n’ayant pas jusqu’à ce
jour compris la signification profonde que le port du
voile pouvait revêtir, j’en perçus à ce moment là le
contenu et décidai alors de prendre part aux
manifestations en le portant, au bénéfice de celles
qui désirent ne pas le porter.
72
Il n’est pas besoin de préciser qu’ au
cours des manifestations, quelques autres de mes
amis et moi même qui portions le voile, fûmes l’objet
de reproches et de sévices plus importants encore que
les manifestantes non voilées de la part des membres
du Hezbollah et des miliciens de Khomeiny.
Pourquoi venir voilées pour la défense de celles qui
ne le sont pas ?
Entrée dans le nouveau gouvernement
Un soir de mars de 1979, à peine rentrée
à la maison, ma mère, inquiète, me dit que l’on me
demandait avec insistance et qu’un monsieur avait
téléphoné à plusieurs reprises pour me parler. Elle
venait tout juste de m’en informer lorsque le
téléphone sonna. Je répondis, et au bout du fil, un
homme se présenta : « Cheikh Mehdi Ghazi ».
Pendant un instant, je fus frappée de stupeur : qu’est
ce que ce charlatan me voulait ?
73
Depuis le début de la révolution et
durant les deux ou trois mois qui s’étaient écoulés, la
révolution ayant triomphé et le régime du chah
effondré, on n’avait plus entendu parler de lui dans la
ville. Que s’était il passé pour qu’il montre de
nouveau le bout de son nez ?
J’étais plongée dans cette réflexion,
quand le cheikh Mehdi me dit qu’il avait pour moi
une affaire importante et qu’il voulait me voir. Je lui
expliquai que je rentrais à l’instant à la maison, que
ma mère était seule, qu’il se faisait tard et que cette
affaire pouvait être différée au lendemain.
Il me répondit que non, et que si je le
permettais, il m’envoyait à l’instant même son
chauffeur pour m’emmener. Il m’attendrait chez lui,
en compagnie de quelques amis qui aimeraient me
voir et que je pourrais rencontrer dès que je serais
arrivée. Par curiosité, je lui donnai mon accord et il
raccrocha. Son but était que j’aille au fameux
château de Ghazi Abad, plus connu pour les gens du
peuple sous le nom de château du Pharaon. Je reposai
le combiné du téléphone avec calme, mais je fus
prise pendant un moment par le vertige et l’angoisse.
74
Mon esprit était entièrement occupé par cette
question : que pouvait il bien vouloir faire avec moi ?
Je ne me sentais pas à l’aise, faute de
pouvoir donner une réponse à cette question. Cet
homme avait tellement mauvaise réputation et était si
peu digne de confiance que je ne fus pas heureuse de
cette invitation. Je fis part de mes sentiments à ma
mère, qui me dit : « Veux tu que j’aille avec toi ? » Je
lui répondis : « Non, mais tu sais où je me trouve ».
Peu après, le chauffeur arriva et je me mis en route.
Jusqu’à ce soir là, je n’avais vu le château du cheikh
que de loin. Quand nous fûmes arrivés, je descendis
de voiture, et suivant les indications du chauffeur,
j’entrai dans le château. La résidence de ce mollah
pervers était en pierres d’Europe, identiques à celles
des châteaux que j’avais vus dans les films, de
même que la décoration. Les pièces étaient de
couleurs gaies, bleu, rose, orange, vert clair, et les
rideaux et les belles tentures de velours ornés en
harmonie avec la couleur de la pièce.
Dès mon entrée dans le hall, le cheikh
Mehdi, dont je voyais pour la première fois le visage
abominable, apparut à l’entrée de l’une des salles et
75
me souhaita la bienvenue. J’avais entendu dire
beaucoup de choses à son sujet, allant de ses relations
peu humaines avec les métayers des villages placés
sous son autorité, jusqu’à celles, certaines, mais
cachées, qu’il entretenait avec la SAVAK du chah.
La Société des Femmes de la province
Le cheikh Mehdi me fit entrer dans une
pièce, où trois dames habillées de noir de pied en
cap, étaient assises. Il me présenta l’une d’elles en
me disant « Madame Azam Talaghani, la fille de
monsieur Talaghani, a désiré faire votre connaissance
et discuter avec vous d’une affaire ». Et c’est ainsi
qu’il me laissa avec elle et partit. .Azam Talaghani
commença à me parler, après avoir présenté ses
salutations. Elle me dit : « Le cheikh Mehdi m’a
demandé de l’aider pour les affaires de la province et
m’a dit que vous étiez une femme révolutionnaire et
croyante, et que pour l’organisation d’une force de
police révolutionnaire ils avaient opté pour un
76
commandant femme, et vous avaient choisie. Il m’a
demandé de lui servir d’intermédiaire, car vous avez
une grande popularité parmi la population… »Toutes
ces flatteries du cheikh Mehdi me donnaient la
nausée.
Tout ce qu’elle me dit après me parut
plus étonnant encore et une multitude de questions
et d’équivoques firent assaut dans mon esprit.
D’abord le cheikh étant anti
révolutionnaire, que venait il faire dans la
révolution ? Une force de police ? Depuis quand était
elle établie ? Serait il préfet de police qu’il ait à
choisir seul les personnes qui l’organiseraient ?
En second lieu, en quoi serais je, moi,
une femme pieuse ...susceptible de devenir le
commandant de la police ? Moi qui, comme cette
femme et le cheikh appartenais au milieu culturel,
j’étais complètement étrangère à la religion, je ne
portais le voile que depuis quelques mois et j’avais
rangé le tchador au rayon des oripeaux de mes
ancêtres. Par ailleurs ma famille et moi même étions
connus dans la ville comme n’étant pas de ceux dont
on parlait. Alors pourquoi m’avait on choisie ?
77
Quand elle eut fini de parler, je lui dis
que Hadj Akha n’avait pas fait le bon choix, car je
n’étais pas la femme pieuse qui existait dans son
esprit, que je ne portais le voile que depuis peu de
temps, et que je venais seulement de me mettre à
l’étude du Coran, que je n’avais pas acquis de
notoriété dans la ville, et, plus important encore,que
je ne maîtrisais pas entièrement la langue du
Lorestan, et qu’il était préférable de choisir une autre
personne qui parle au moins couramment la langue
de la population locale. A la fin, j’insistai même sur
le fait que j’aimais beaucoup mon métier
d’enseignante, et que je ne me sentais pas prête à
perdre le poste que j’avais pour prendre une fonction
militaire ne convenant absolument pas à mon
caractère.
Elle ne s’éleva pas contre mes arguments
et me dit qu’elle allait me faire une seconde
proposition, qui peut être me plairait plus, car
s’accordant mieux avec mon amour des gens et mon
caractère humanitaire. « Moi même je pense qu’il
faut vous faire entrer dans le domaine de la culture et
78
des femmes, et que vous vous occupiez plus
particulièrement des femmes. »
Elle continua son exposé en
disant : « Vous savez certainement qu’une Société
des Femmes de la Révolution Islamique a été créée
en remplacement de l’ancienne Organisation des
femmes. J’en ai la responsabilité globale et vous
propose d’en prendre la responsabilité pour cette
province. Ce travail nouveau est un travail
d’enseignant qui correspond à vos aspirations pour
cette fonction ».
Je lui répondis que j’avais à plusieurs
reprises changé de métier pour devenir enseignante,
que j’aimais les enfants et que je n’envisageais pas
de quitter l’école. Elle me dit qu’il était préférable
que j’y réfléchisse, que si j’entrais dans cette
fonction avec l’attachement que je portais aux
enfants, je serais beaucoup plus utile. Elle me laissait
jusqu’au lendemain soir pour lui donner ma réponse.
Puis elle changea de sujet de conversation, et raconta
des souvenirs précis du temps des prisons du chah.
79
Elle raconta un souvenir de prison et de
la torture de Massoud Radjavi qui, plus que toute
autre chose, est resté gravé dans ma mémoire.
Selon son témoignage, celui de l’histoire
et celui de personnes encore vivantes, la SAVAK du
chah soumit en 1975 Massoud Radjavi à la torture,
en qualité de seul rescapé de l’organe central de
l’Organisation des Modjahedines, afin qu’il déclare
officiellement que le mouvement était devenu
communiste. Par le moyen de ce complot, commun
aux réactionnaires du chah et à ceux des mollahs,
l’Organisation des Modjahedines, la seule
organisation révolutionnaire musulmane, se
trouverait définitivement rayée avec succès de
l’histoire.
Ce soir là, Azam Talaghani me rapporta
un de ses souvenirs de cette époque historique, et
dit : « C’était en 1975, après qu’un certain nombre de
Modjahedines qu’on appelait les opportunistes,
soient devenus communistes. Des fonctionnaires de
la SAVAK m’emmenèrent un jour dans la salle des
interrogatoires, et je vis dans un couloir une
couverture dégoulinante de sang, contenant une
80
masse de chair ensanglantée, que deux employés
changeaient de place. Après avoir vu cette scène, les
fonctionnaires de la SAVAK me firent entrer dans la
salle. L’enquêteur me demanda : « As tu vu ce
morceau de chair écrasée ? C’est Massoud Radjavi,
votre guide à tous. Si tu veux que les malheurs
s’abattent sur ta tête, tu en parles. »
Evidemment, cette même Azam
Talaghani, quand elle eut plus tard compris que
j’étais sympathisante des Modjahedines, modifia du
tout au tout son récit de ce souvenir en utilisant
cette image d’admiration pour « Massoud » pour
refuser la nouvelle position de celui-ci, et en
répétant : « Massoud Radjavi, qui a subi tant de
tortures dans la prison du chah, voilà maintenant
qu’il affronte l’imam ». Puis elle me déconseilla de
devenir sympathisante des Modjahedines car, disait
elle, le passé des hommes importe peu, ce qui compte
c’est leur position actuelle.
Autrement dit, elle me faisait savoir,
dans sa langue de bois, qu’il était préférable que,
comme elle, je sois une girouette ! Bien sûr, chaque
fois qu’elle racontait cette histoire, j’adressais du
81
fond de mon coeur mille bénédictions à Massoud
pour sa décision de se battre contre les
réactionnaires sous toutes leurs formes, que ce soit
celle du chah ou que ce soit celle des cheikhs.
Un premier pas vers une autre
révolution
En portant un regard sur l’histoire des
pays asservis, nous arrivons à cette réalité que notre
révolution n’est pas la seule qui ait été récupérée à
mi route par les réactionnaires. Mais elle fut
véritablement la première qui, en raison de
l’existence et de la présence d’une organisation
révolutionnaire active telle que celle des
Modjahedines, bien entendu appuyée puissamment
par les masses et des gens prêts à donner leur vie, a
été prise en main par des révolutionnaires audacieux
et sauvée de siècles d’oppression et de colonisation
avant d’être asphyxiée et oubliée pour des siècles de
silence.
82
En effet, le véritable révolutionnaire et
leader emprisonné de cette révolution, qui dans ce
magnifique chapitre du renversement du chah, fut
jeté en prison, et de ce fait obligatoirement absent, ne
quitta pas cette fois ci une seconde la scène, et sa
popularité devint très grande. Avec nombre de
sacrifices et de renoncements, dans l’effort et dans
un océan de sang et de souffrance, il continue à
ouvrir, pour le peuple d’Iran, le chemin d’une autre
révolution, nouvelle et pleine de majesté.
Ceux qui avaient trente ans à cette
époque - là se souviennent certainement que pendant
les premiers jours de la révolution, on commençait à
connaître toutes les personnes qui, comme moi,
avaient eu une activité politique sérieuse dans la
révolution contre la monarchie, et allaient avec
curiosité à la recherche des révolutionnaires
pionniers et des prisonniers du chah libérés. Parmi
eux, il y avait un nom que l’on entendait plus que les
autres, celui de Massoud Radjavi.
Je désirais ardemment en savoir plus à
son sujet, et mieux le connaître, en qualité de
créateur d’un mouvement révolutionnaire musulman,
83
contrairement à Khomeiny qui n’a utilisé la religion
que pour tromper le peuple et enlever les bijoux des
mains et des cous des femmes pour les remplacer par
des cordes de misère. Le récit des souvenirs de Azam
Talaghani sur Massoud Radjavi m’aida sérieusement
à acquérir une certitude, qui maintenant est devenue
une foi profonde et inébranlable dans son rôle de
pionnier.
Qui était le cheikh Mehdi Ghazi ?
Au moment de dresser un portrait de ce
cheikh hypocrite, symbole de la situation générale
du clergé de Khomeiny et qui eut un rôle important
pour la population de Khorram Abad, et
particulièrement pour moi, il me faut d’abord
résumer la situation avant et après la révolution.
84
Le cheikh Mehdi Ghazi était un
religieux, un riche promoteur fortement détesté par
toute la population de Khorram Abad. Il possédait
une partie d’un village donnant sur une jolie colline
qu’il avait par la ruse et la fourberie arrachée à ses
habitants.
Cet important territoire dépendait, selon
certains d’une dame veuve avec plusieurs enfants
orphelins, et le cheikh l’avait acheté pour presque
rien, par la force et l’intimidation et y avait fait bâtir
des grandes villas modernes et construit une petite
ville pour les personnes riches et les amateurs de
luxe, qu’il avait appelée de son propre nom Ghazi
Abad.
Ce cheikh, riche promoteur, avait fait
construire, au point le plus élevé de cette jolie petite
ville, et tourné vers celle ci, un grand château de
couleur blanche pour lui même, dans lequel il vivait
avec sa famille et sa nombreuse domesticité .Il était
connu qu’il entretenait des relations cachées avec la
SAVAK du chah et quelques autres religieux, riches
promoteurs de Téhéran et d’ailleurs.
85
J’ai plus tard entendu ceci de la bouche
de son neveu, le martyr Ali Akbar Ghazi, qui était au
courant de tous ses secrets : « Ces religieux étaient
Rafsandjani et Béhechti, et les ornements de marbre
des bâtiments de la SAVAK à Ispahan et à Qom sont
exactement identiques à ceux du cheikh qui les
commanda pour en faire cadeau à ce service
secret ».
. C’est pourquoi il était au mieux avec la
SAVAK, et pourquoi les autres mollahs étaient
satisfaits de lui.
Pendant toute la période de l’insurrection
contre le chah, on n’entendit évidemment pas parler
dans la ville du cheikh Ghazi, ni de ses acolytes
bastonneurs, et la rumeur courait dans la foule qu’il
était allé à Qom. Cependant, après la victoire de la
révolution, il réapparut peu à peu dans la ville.
Après la prise de fonction de Khomeiny,
il fut l’un des membres officieux du « conseil de
direction » de Khomeiny dont le directeur était
Béhechti. Mais nous comprîmes plus tard, qu’après
le départ de Khomeiny pour Paris, il y partit aussi
pendant un moment, soit pour recevoir des
86
instructions du diabolique Khomeiny, soit pour lui
transmettre des instructions de la SAVAK. Et voila
qu’aujourd’hui, après la victoire de la révolution
contre le chah, et sa présence retrouvée dans la ville,
des porteurs de gourdin et des assassins aveugles
étaient de nouveau recrutés par ses soins parmi la
populace et la racaille. Ce cheikh répugnant donna
également de lui une mauvaise image dans la
répression des gens de langue arabe du Khouzestan
pendant ces mêmes premiers mois après la chute du
chah.
La population de Khorram Abad disait
qu’il allait chez les paysans des villages sous
développés du Lorestan, et intimidait ces paysans
simples en leur disant ce gros mensonge que les
communistes étaient venus d’Irak, qu’ils avaient pris
Avaj et Abadan et pillaient le pétrole. Il les trompait,
leur prêchait une guerre sainte pour la religion et les
envoyait en autobus pour venir en aide aux policiers
dans leurs engagements contre le peuple du
Khouzestan.
Cette image du cheikh répressif, allant
jusqu’à prononcer des sentences de mise à mort de
87
jeunes gens de la ville de Khorram Abad, et en
particulier de son neveu le modjahed martyr Ali
Akbar Ghazi resta dans les esprits pendant des
années dans la province du Lorestan .
Un combat intérieur, une décision
difficile
Ce soir là, je restai près d’une heure avec
Azam Talakhani. Au moment de faire mes adieux, je
vis une seconde fois Cheikh Mehdi qui
m’accompagna et me dit : « J’attendrai votre réponse
et votre décision demain. »
Je retournai chez moi avec le même
chauffeur. Je racontai la totalité de cette affaire à ma
mère, qui, jusqu’à mon retour était restée éveillée
dans l’inquiétude. Elle me dit : « Je ne sais pas ce
que ces religieux ont prévu pour toi, mais tu ferais
bien de ne pas accepter. Le meilleur métier pour toi
88
est celui d’enseignante. Je connais particulièrement
bien certains de ceux qui se sont engagés chez les
pasdarans ».
Ma mère continua : « Ces jours ci tout le
monde parle dans le dos du cheikh Mehdi et dit qu’il
est redevenu très actif et qu’il a engagé à grands frais
tout ce que la ville compte de canailles et de voyous
pour en faire des policiers en attendant d’être de
nouveau le leader de la population ».
Elle m’embrassa alors et me dit : « Je
sais que tu es très mûre et que tu ne te laisses pas
facilement tromper. Le travail que tu as accompli est
très correct et ne mettait pas en cause jusque là ta
tranquillité ».
Sans pouvoir fermer l’oeil jusqu au
matin mon esprit fut occupé par cette affaire et par ce
qu’il me fallait faire. En dehors du fait qu’elle était la
fille de Talaghani, je ne savais rien de Azam
Talaghani, ni du cheikh Mehdi qui n’avait eu à ce
jour expressément aucune relation avec le monde
politique. Je ne saisis rien non plus des relations
entre les deux personnages.
89
Le lendemain matin, j’allai chez ma
soeur Mansourah pour lui demander conseil et lui
racontai mon aventure de la veille. Je lui dis que
d’avoir rencontré Azam Talaghani dans la maison du
cheikh Mehdi ne m’avait pas plu et que j’aurais
préféré la voir dans la maison d’un malheureux.
Elle me demanda ce que je pensais de la
proposition de travail du cheikh Mehdi. Je lui
répondis catégoriquement que la combinaison de ces
deux personnages ne me plaisait pas, que je les
rejetais tous les deux, que je ne voulais pas être un
pion entre leurs mains et que je resterai dans mon
métier d’enseignante.
Ma soeur Mansourah me dit alors :
« Ton sentiment est certainement très juste et ils
veulent utiliser ta popularité dans la ville, en
particulier chez les jeunes, pour la réalisation de leurs
objectifs ». A ce moment, j’avais grande envie d’en
finir avec cette affaire. Je l’interrompis de bon coeur
et de manière enfantine en lui disant : « Il serait donc
bon que je refuse ? » Immédiatement elle me dit non
et continua : « Tu dois accepter la seconde
proposition ». Je lui demandai pourquoi. Je craignais
90
dans ce système d’avoir le sentiment de ne pas être
dans mon élément, de devenir un moyen, de devenir
aussi l’un des leurs, et cela, je ne le voulais pas.
Mansourah me répondit : « Non, si tu as
un objectif et si tu acceptes de faire ce travail pour
atteindre cet objectif particulier, tu vas concentrer tes
efforts sur cette réalisation, et le résultat sera que tu
ne seras aucunement un moyen pour eux, mais au
contraire, dans ton entourage tu laisseras une trace
plus positive encore ». Ses paroles, encore que je
n’en comprisse pas entièrement le sens, me
paraissaient logiques.
Je lui répondis : » Toi qui me connais, tu
sais bien que si, j’entreprends une affaire j’irai
jusqu’au bout .Il est alors préférable que je ne prenne
pas de telles fonctions. Il ne m’arrivera pas même un
seul jour d’affronter ce peuple et les enfants de notre
ville que j’aime tant.
Elle me dit alors : « Non, et c’est bien la
raison pour laquelle il faut que tu acceptes le travail à
la Société des Femmes. Car si tu refusais cette
fonction avec toutes les possibilités qu’elle offre au
service des gens démunis de notre province, tu les
91
mettrais en position de choisir quelqu’un parmi les
leurs, de prendre toutes les choses en main et de
mettre en oeuvre leurs idées usées et rétrogrades à
l’encontre de l’intérêt du peuple, alors que toi, tu
pourrais les retoucher au bénéfice des gens et des
femmes privées de droits que tu aimes tant ».
Je lui répondis : « Mais mon objectif, qui
était le renversement du chah est maintenant atteint.
Je ne pourrai désormais mener une vie tranquille
avec maman et je vais entrer dans un travail
essentiellement politique ».
Elle eut un sourire, et entreprit avec
patience, pendant deux heures entières, de m’amener
à accepter le poste, tant et si bien que par ses paroles
et ses raisons logiques, elle me persuada que pour la
révolution, et pour la liberté, il me fallait accepter de
prendre la responsabilité de la Société des Femmes.
A la fin de cette conversation, j’étais
ébranlée, et en définitive, je lui donnai mon accord,
et téléphonai à Azam Talaghani pour lui annoncer
que j’acceptais le travail pour les femmes. Elle me
pria alors d’aller la voir pour me donner des
explications nécessaires.
92
Je la rencontrai le jour même. Les
explications sans queue ni tête qu’elle me donna et
qui montraient qu’elle n’avait aucun objectif clair
pour sa Société des Femmes de la Révolution
islamique me donnèrent plutôt le tournis. Elle me
remit un gros trousseau de clés, celles du siège de
la Société des Femmes, laissé en place par Achraf
Pahlavi9 et dont elle avait hérité.
Elle me dit : « Je vais m’installer dans
cette administration où je vais continuer les actions
antérieures jusqu’à ce que de nouveaux ordres me
soient transmis ». C’est de cette manière, consciente
de ma contradiction, que j’entrai dans le système du
nouveau gouvernement des mollahs.
Une séparation inoubliable
Les vacances de fin de l’année étaient
terminées, et le jour de la rentrée des classes, je
retournai à l’école pour faire mes adieux aux élèves.
Lorsque je leur communiquai ma décision de partir,
9 NdT : La sœur du chah
93
l’école fut entièrement chamboulée et les slogans se
répandirent dans toute l’enceinte de l’école du 17
Charivar. : « Ou toi, ou la mort... », »Nous ne
voulons personne d’autre que toi ».
Mes efforts pour les faire taire restèrent
sans résultat, et sur la recommandation du directeur
de l’école, je quittai les lieux, mais les élèves ne
quittèrent pas les classes et la situation resta confuse
et désorganisée.
Cette confusion se prolongea quelques
jours. Les parents d’élèves, qui m’étaient fidèles et
qui pensaient que les religieux m’avaient fait partir
de l’école en trouvant des prétextes, écrivirent une
lettre de protestation au préfet de la province et au
directeur de l’enseignement. Deux ou trois jours
après cet évènement, le préfet me fit venir et me
donna quelques lettres, en me disant : « Il est de ton
devoir d’aller calmer les filles de l’école ».
Je retournai à l’école pour rétablir l’ordre
et faire cesser les troubles. Je mentionnai que
personne ne m’avait chassée de l’école et qu’il y
avait d’autres tâches importantes qu’il me fallait
initier. Je leur demandai à toutes par mes
94
explications, de me faire confiance lorsque je leur
affirmais n’avoir pas été expulsée, et de m’aider
ainsi dans mon nouveau travail. Ce désir fut exaucé.
Réponse à une question
Après tout cela, j’entrai dans l’appareil
du nouveau gouvernement, comme chef de service
parmi d’autres dans la province .Je commençai à
travailler avec le préfet et d’autres membres du
Conseil de province, uniquement composé
d’hommes.
Le préfet était le maintenant regretté
Docteur Ali. Je le connaissais depuis mon enfance
pour sa bienveillance et son humanité alors qu’il
exerçait à Khorram Abad et en était le meilleur
médecin. Lorsque mon père tomba malade, c’est lui
qui était venu à son chevet.
95
Plus tard, il quitta notre ville pour
Téhéran, et j’entendis dire par mon frère qu’il était
chargé de soigner les guérilleros blessés à la prison,
et qu’après la chute du régime du chah, il était revenu
dans le Lorestan au poste de préfet de la province
dans notre ville. Il n’avait évidemment pas oublié
mon enfance et les relations qu’il avait eues avec
mon père et mon frère. Pendant la période de dix huit
mois où nous travaillions ensemble, il me traita
comme un père bienveillant, avec son amabilité
habituelle, et au cours des querelles et des bagarres
que j’eus avec les réactionnaires, il fut pratiquement
toujours de mon côté, sans évidemment le montrer,
et, dans la limite où cela était dans ses possibilités, il
arbitrait toujours les affaires à mon avantage.
C’est dans mes relations avec ce Docteur
Ali que je trouvai en partie la réponse à la question
fondamentale qui avait occupé mon esprit dès les
premiers jours de mon travail à la Société des
Femmes, à savoir dans quel but la direction
Réactionnaire m’avait placée à ce poste.
Lors des affrontements électoraux, un
jour, après une altercation orageuse au Conseil de la
96
province avec Seyed Fakhralladin Mousavi, directeur
du parti de la République à Khorram Abad, lorsque
tout le monde fut parti, le docteur Ali me dit : » Ils se
disait à quel point il était judicieux qu’on t’éloigne de
la scène des écoles, car tu les tenais toutes et les
enseignants dans tes griffes, et maintenant, comme
du temps du chah, tu leur ravageais la ville. »
Ce fut alors que je me rendis compte de
la raison de l’insistance de leurs contre
révolutionnaires pour que je quitte les écoles, cela
d’autant plus que dans le cours de mon travail à la
Société des Femmes, eux mêmes se rendirent
compte des erreurs qu’ils commettaient dans leurs
choix, et avouaient parfois que, par ma nomination à
ce poste de direction, ils avaient provoqué beaucoup
de dégâts.
97
Rencontre avec Khomeiny ou
l’escroquerie des femmes
Il ne s’était passé que deux ou trois jours
depuis ma prise de fonction à la Société des Femmes
lorsque la fille aînée du cheikh Mehdi vint me rendre
visite .Je l’avais vue la première fois le soir où j’étais
allée au château du cheikh pour rencontrer Azam
Talaghani.
Après les salutations d’usage, elle s’assit
dans mon bureau, et me dit : « Je suis venue vous
voir au sujet d’une rencontre des femmes avec
l’Imam. Je veux vous en parler ». Puis elle
continua : »Nous voudrions que les femmes de cette
province, comme celles des autres provinces du
pays, organisent un repas pour une entrevue avec
l’Imam ».
98
Je lui dis immédiatement : « Si vous
organisez un transport systématique et lancez un
appel général, beaucoup de femmes seront
intéressées ».
Elle me répondit qu’elle était de mon
avis, mais que celui de son père était que la Société
des Femmes devait être mobilisée et qu’il
m’appartenait de prendre en charge la responsabilité
de cette affaire.
J’avais saisi la raison pour laquelle elle
m’avait rendu visite. Je marquai une petite pause et
lui dis : « Vous savez vous-même que je n’ai pris
mon poste que depuis quelques jours. Je suis très
occupée, il y a beaucoup de centres de la Société des
Femmes dans les divers départements de la
province qui ont cessé leur activité à cause de la
Révolution et qui n’ont pas encore été ré ouverts. Les
employés et le personnel de ces centres sont pour la
plupart des femmes pauvres, au chômage depuis des
mois, et je passe beaucoup de temps en voyages
dans les différentes régions de la province pour
rétablir l’activité de la Société des Femmes. De ce
fait, je ne suis pas souvent dans la ville pour
99
m’occuper de ce genre d’affaires » Puis je lui dis
quelle était plus à même que moi d’organiser cette
rencontre, et qu’en cas de difficultés, elle aurait plus
de facilités pour utiliser l’influence de son père.
Son visage se renfrogna. Il était évident
qu’elle ne s’attendait pas à une Réaction de ce genre
de ma part et elle me dit immédiatement « : Mais, est
ce que vous-même ne désirez pas qu’il y ait une
rencontre avec l’Imam ? » Je lui
répondis : « Evidemment si, j’aimerais, mais
accepter la mobilisation dans la situation où je me
trouve est difficile et, il serait vraiment préférable
que quelqu’un d’autre prenne cette responsabilité,
d’autant que régler une telle affaire ne présente pas
de difficultés. »
Elle poursuivit alors : « Evidemment, au
cours de cette rencontre, nous désirons que les
femmes fassent cadeau à l’Imam de leurs bijoux en
or » Moi qui jusqu’à présent pensais que les bijoux
que les femmes offraient à Khomeiny lors de leurs
rencontres avec lui, et que l’on montrait
pompeusement à la télévision, étaient des dons
spontanés de leur part, et je demandai avec
100
étonnement pourquoi solliciter les gens de cette
manière. « Chacun peut faire à qui il veut le cadeau
qu’il désire lui faire. Il n’est pas besoin de le lui
dire ».
Elle, qui pensait sottement que je n’avais
pas compris quel était son but, commença à
m’expliquer que le Comité des œuvres de l’Imam
avait besoin d’argent pour régler les problèmes des
nécessiteux,….Je lui coupai la parole pour la
congédier. Je lui dis que si notre pays était riche et
que tous nos litiges avec le chah avaient eu pour
objet de répartir cette richesse de façon équitable, il
ne resterait plus de nécessiteux. Que maintenant que
nous avions fait la révolution,et que le chah avait été
renversé, nous désirions dire aux femmes dépourvues
que si elles avaient encore des colliers et des
bracelets du temps du chah, qu’elles les apportent.
Elle se rendit compte que la discussion
avec moi était inutile et n’insista plus. Alors que cet
artifice de brigands des mollahs me mettait en colère
et m’étonnait, elle dit au revoir et partit.
101
La Société des Femmes de la
Révolution islamique
Je commençai mon travail à la Société
des Femmes qui était un service important et très
compliqué. Dès le début, je reçus l’aide des gens et
en particulier de femmes titulaires en activité et
d’élèves qui, après les heures de travail de bureau,
venaient passer leur temps avec moi et exécutaient
des tâches administratives. Ainsi les travaux
avançaient normalement.
Des ateliers d’apprentissage pour les
femmes et les filles seules et sans soutien, de même
que de nombreuses crèches pour les enfants des
femmes employées ou ouvrières avaient été installées
et mises en service, réparties dans les villes et en
différents endroits de la province.
Je passais tout mon temps à oeuvrer pour
l’extension du nombre des crèches et la mise en route
à Khorram Abad d’un établissement pour la garde
102
des nourrissons sans soutien, et également son
extension à d’autres parties de la province. Je
réussis, pendant les quelques premiers mois de mon
travail, à obtenir l’autorisation d’ouvrir, dans la rue
du regretté martyr Docteur Ezami d’une crèche avec
possibilités et normes adaptées à la garde des enfants
pour y installer onze bébés de quelques jours à
plusieurs mois dont les mamans étaient sans soutien
ou avaient un travail.
Finalement, la politique d’extension de
crèches et de garderies pour les enfants des femmes
actives, à laquelle je croyais profondément, qui était
une nécessité pour le développement des femmes et
leur plus grande participation à la vie sociale dans la
province, n’était pas compatible avec la politique du
régime de Khomeiny qui, dès le début, avait pour
objectif de laisser toutes les femmes à la maison.
Pour cette raison j’eus beaucoup de
désaccords et d’accrochages avec les réactionnaires
dans l’exercice de mon métier, avec parfois des
luttes et des entraves dans le développement de mes
affaires, exercées par les partisans du retour en
arrière.
103
Evidemment, dans ces différends et
jusqu’à mon départ, j’eus toujours le soutien du
préfet et de ses adjoints, qui étaient des intellectuels
que je contraignais à me suivre, et qui, à la fin, étant
de mon côté agissaient dans ces occasions
habituellement à mon avantage.
L’une des divergences de vue concernait
le contrôle de la prostitution qui, après l’incendie des
maisons de tolérance de Khorram Abad et la victoire
de la révolution, s’était développée pour les
matraqueurs et les voyous mercenaires qui
vagabondaient dans la ville.
Moi, je voulais prendre ces
malheureuses laissées pour compte par le régime
pourri du chah et qui n’avaient plus aucune
protection dans la république anti islamique de
Khomeiny sous la protection de la Société des
Femmes. Je souhaitais créer des classes de
différentes formations professionnelles et essayer de
trouver des solutions leur permettant de vivre en
gagnant leur pain. Des Iraniens revenus d’exil en
Irak, menaient apparemment une guerre sainte sous
la responsabilité d’une crapule liée au régime et
104
portant le nom d’ « ingénieur des turcs ». Celui ci prit
bientôt la tête des porteurs de matraque et eut des
responsabilités dans les différents cabinets de la
Réaction, en particulier au ministère de la guerre et
au ministère des transports. Concernant les
prostituées il avait des désirs d’organisation
différents pour régler les problèmes
A la suite de quelques inspections que je
fis chez des concitoyens ayant subi des injustices, je
constatais la situation très regrettable de leurs
femmes et de leurs filles, et en particulier les
problèmes liés des l’attaques nocturnes des pasdarans
contre des filles jeunes et à leur viol, je dus affronter
les mercenaires et les hommes de main du régime
dans la province.
Outre ces affrontements passagers,
l’opposition des mollahs à l’extension du nombre des
garderies d’enfants était constante. Ils disaient
qu’elles encourageaient les femmes à travailler à
l’extérieur et que ceci était une faute, car il fallait que
les femmes ne s’occupent que de la cuisine et de la
garde des enfants à la maison. Dans tous ces
affrontements, petits ou importants, l’armée de
105
métier, les miliciens et le parti exerçaient sur moi une
pression collective derrière laquelle il y avait bien sûr
le cheikh Mehdi, et le chef du parti de la République.
J’étais cependant soutenue par le préfet et ses
adjoints, la préfecture de police et les directeurs
généraux des administrations de la ville.
Généralement, après les manifestations,
le docteur Ali, bienveillant et compatissant me
donnait des conseils en me disant que j’étais jeune,
que je manquais d’expérience et qu’en raison du fait
que c’est eux qui avaient le pouvoir, je ne pouvais
pas agir toute seule ....Généralement, quand je me
trouvais dans ces situations, je gardais le silence par
déférence pour lui.
Interdiction de recruter
Juste après le vote dans les premiers
jours du mois d’avril 1979, des lois contraires à
106
l’intérêt du peuple par le Conseil de la révolution des
mollahs dont le président était Béhechti, exécuté
depuis, vote qui eut lieu une loi interdisant le
recrutement dans les administrations de l’Etat fut
ratifiée. Cette loi fut à l’origine de l’un de mes
grands combats contre les mollahs.
Conformément à cette circulaire, toute
forme de recrutement direct ou par contrat était
interdite. Cette loi était peu compatible avec mon
activité, qui consistait à solutionner les difficultés
rencontrées par les gens démunis et plus
spécialement les femmes sans soutien, en passant
par l’apprentissage et en allant jusqu’au recrutement
avec l’assurance pour elles de trouver un travail ; ce
qui était contraire aux dispositions de cette loi. Sans
me préoccuper de celle ci, je procédai à l’embauche
de quelques personnes, principalement des femmes et
des filles seules et livrées à elles mêmes.
L’une de ces femmes, la Modjahed
future martyre Masoumah était satisfaite que sa vie
soit devenue une épopée. Je dus lui demander de
moins manifester sa joie.
107
Masoumah la brave
C’était dans le milieu du mois d’avril
1979. Un jour, je m’apprêtais à prendre mon petit
déjeuner dans mon bureau lorsqu’on frappa
doucement à la porte de la pièce. J’invitai à entrer, la
porte s’ouvrit et une jeune fille, de seize à dix sept
ans, très maigre et le visage blafard, entra. Je lui
demandai : « Vous voulez manger ? » et elle me dit
avec simplicité : « Oui, j’ai très faim ». Nous
commençâmes à manger .Elle se présenta sous le
nom de Masoumah Rezahi, et me dit : « Je suis
venue d’Ispahan. Je suis à la recherche d’un emploi,
et l’un des habitants de votre ville à qui j’ai été
présentée m’a conseillée de venir vous voir, en
m’assurant que vous me trouveriez du travail ».
Je lui demandai avec étonnement,
pourquoi elle n’allait pas à l’école et pourquoi elle
cherchait du travail. Elle répondit qu’elle n’allait pas
à l’école, mais, « quand j’aurai un travail, je suivrai
en plus des cours et je passerai en individuel les
108
examens de fin d’année pour entrer en classe de
dixième dans un lycée ».
Masoumah, sans plus attendre mes
questions, se mit à me parler spontanément de
l’étonnante histoire de sa vie : Habitant Afarineh,
village voisin de Khorram Abad, elle était seule
depuis cinq ans que son père était décédé. Cette mort
les laissa sans ressources elle, sa mère, trois soeur et
un frère moins âgés qu’elle.
La mère de Masoumah, qui était jeune et
sans abri dans le village, s’était remariée avec le
grand oncle des enfants, qui avait lui même femme et
enfants suivant une tradition ancienne dans les
villages du Lorestan qui veut que les femmes, après
la mort de leur mari, et en particulier lorsqu’elles ont
des enfants en bas âge, soient habituellement
contraintes de prendre pour époux le frère du mari
mort.
Avec ce mariage commença une vie
pénible pour Masoumah et les autres membres de la
famille. Elle, qui était une enfant de cinq ans fut
obligée de faire un travail très dur, à ramasser des
109
reines- claudes dans les champs des cultivateurs pour
aider sa mère.
Comme nous habitions une région
chaude, elle et sa mère étaient obligées de se mettre
au travail bien avant le lever du soleil, pour être en
mesure de se reposer à la maison pendant la partie
torride de la journée.
Pendant qu’elle racontait les souvenirs
amers de sa jeunesse, le visage de Masoumah s’était
décomposé, et elle continua : « Durant cette période
de ma vie, chaque jour, nous faisions le trajet de la
maison jusqu’aux champs comme dans un état de
rêve, et je n’ouvrais pas les yeux de tout le chemin ».
La petite Masoumah fut obligée, à l’âge
de sept ans, de devenir l’élève de la seule couturière
du village, en dehors des heures de classe pour
gagner l’argent des dépenses de son Alimentation et
celle de ses frère et soeurs.
Elle n’avait que neuf ans quand elle fut
contrainte d’arrêter ses études, car l’entrée à l’école
de son frère et de ses sœurs accroissait les besoins
d’argent. Elle partit de son plein gré et alla à Ispahan
110
chez une personne apparentée où pendant un certain
temps, elle travailla dans la maison.
Quand elle eut onze ans, elle fut
embauchée dans un atelier comme ouvrière, où elle
effectua un travail lourd et pénible jusqu’à l’âge de
16 ans. Un jour, dans la circulation de Ispahan,
pendant le trajet de son domicile à son travail qui se
trouvait à l’extérieur de la ville, elle fit l’objet de
violences de la part d’un conducteur.
Ayant un genre de vie très dur pour son
âge, elle était une fille très brave et courageuse. Elle
réussit à se sortir des griffes de ce chauffeur agressif,
mais par crainte de la répétition de situations
identiques qui l’auraient conduite à perdre toute
espérance en la société, elle ne resta pas plus
longtemps à Ispahan.
Elle était maintenant revenue à Khorram
Abad pour y trouver un travail convenable et sur le
conseil d’un habitant de la ville, elle était venue me
voir pour que je lui procure une place.
Après avoir entendu le récit de la vie
amère et touchante de cette jeune fille qui, dès le
premier contact, et bien que ne la connaissant pas,
111
m’avait paru intelligente et digne de confiance, je
pris immédiatement la décision, en dépit de la loi
d’interdiction de recruter du Conseil de la révolution
des religieux, de l’embaucher pour effectuer des
travaux d’administration comptable.
Je lui fis donner une formation par l’un
de mes collègues de travail, un homme très
bienveillant et comptable expérimenté de l’une des
administrations du gouvernement qui effectuait à
l’occasion des travaux comptables pour la Société
des Femmes. Elle fut, dans un délai très court de
deux mois, chargée de la responsabilité comptable de
cette Société.
En raison des lois interdisant le
recrutement, elle ne put, après son embauche,
recevoir de salaire. Je lui donnais donc chaque mois
une partie du mien et je quittai le logement de
fonction (appartenant à l’Etat) mis à ma disposition
au titre de directrice de la Société des Femmes pour
le lui céder, moi même louant une autre maison en
ville.
Dans ces conditions, elle put même faire
venir ses jeunes frère et soeurs de leur village
112
Khorram Abad, et prendre la responsabilité de leur
surveillance.
Elle y vécut avec eux jusqu’au mois de
septembre 1981, date à laquelle elle fut obligée de
quitter la ville de Khorram Abad pour vivre dans la
clandestinité, et ne cessa, pendant cette courte
période, de leur donner toutes les possibilités de bien
être et d’étude.
Le recrutement de Masoumah, et pour
ainsi dire la connaissance que je fis d’elle, qui au
début n’était pas une personne politique, mais qui, en
un temps très court se transforma en une militante
sérieuse des Modjahedines, furent l’un des
évènements les plus exaltants et les plus agréables de
cette période, et qui restera toujours dans ma
mémoire. Je ne peux pas oublier que pendant ces
deux années de luttes politiques, l’image de cette
femme courageuse et dévouée m’a apporté une aide
précieuse et déterminante en qualité de Modjahed
dans mes manifestations contre la Réaction.
L’héroïne Masoumah, après mon
expulsion de la Société des Femmes et mon départ
forcé de Khorram Abad resta dans la même fonction
113
de comptable jusqu’à ce que, au début des luttes
clandestines de l’année 1981, elle détourne du régime
une importante somme de sept millions de tomans au
profit de la révolution, le huitième jour du
témoignage du martyr Ali Akbar Ghazi, en utilisant
son nom.
Durant cette période, l’héroïne
Masoumah, surveillait avec soin ses deux soeurs et
son frère, qui sans elle sont maintenant restés sans
soutien et ont été obligés par la ville de Khorram
Abad de partir et vivre cachés, de manière très
dangereuse..
C’est pourquoi après le détournement de
sept millions de tomans qu’elle fit, le régime des
religieux diffusa pendant trois jours sa photographie
à la télévision dans tout le territoire. Puis sa
photographie fut placardée et le régime demanda
avec insistance aux habitants de toutes les villes
d’Iran de la retrouver et de la livrer aux forces
mercenaires des pasdarans.
Après son départ de Khorram Abad,
Masoumah vécut une période très dure, comme les
femmes ayant choisi de vivre pour la liberté,
114
soutenue par l’amitié du noble peuple de l’Iran qui
l’aida à de multiples reprises à échapper aux griffes
des agents sanguinaires de Khomeiny et des autres
religieux du même acabit.
Après cinq années de vie clandestine en
Iran, et des jours très durs passés en exil dans
différentes villes du pays, activement recherchée par
les mercenaires du régime religieux, elle put, en
1986, avec l’aide de courageux frontaliers, quitter le
territoire du Kurdistan avec son mari et ses deux
enfants et gagner l’Irak. Finalement elle accomplit
encore de grands exploits, jusqu’à sa mort en martyre
par les agents de la Réaction au mois d’août de 1988.
La Modjahed martyre Masoumah
disparut très jeune, laissant trois enfants, dont un de
sept ans, qui se trouvent maintenant dans un pays en
Europe où ils poursuivent leurs études. Que son
souvenir nous soit cher.
L’expulsion des Bahaï
115
Un autre de mes différends concernait
une loi votée par le Conseil de la révolution des
mollahs, selon laquelle tous les fonctionnaires
appartenant à la religion Bahaï devaient être
révoqués des administrations gouvernementales.
J’avais bataillé contre le régime au sujet
de cette loi et ce fut finalement l’accusation
essentielle qui conduisit à ma condamnation à mort.
Contrairement aux dispositions de cette
loi, je n’avais pas congédié deux jeunes soeurs de
religion Bahaïï, qui étaient parmi les meilleures
éducatrices d’ ouvrières pour la garde des enfants et
qui n’avaient pas tardé à jouir de l’attachement des
enfants et de la considération de leurs mamans.
J’informai qu’en raison du besoin pressant
d’éducateurs spécialisés, je n’étais pas d’accord pour
en licencier, et que personnellement, je ne
considérais pas que les congédiements pour motifs
religieux soient convenables car contraires à l’esprit
de la liberté.
En fin de compte, grâce au recueil des
signatures et des témoignages des familles d’enfants,
et à la menace, si les personnes en question venaient
116
à être renvoyées, d’un mouvement de protestation de
la part des femmes employées dans les services
administratifs de l’Etat, je parvins, tant que je
conserverais la responsabilité de mon service, à
prévenir tout licenciement.
Evidemment, j’ai bénéficié, pour ces
engagements contre les réactionnaires, de l’aide des
habitants, et plus particulièrement des femmes
courageuses de Khorram Abad. Lors de ma
condamnation à mort, le régime des mollahs ajouta
sur mon casier judiciaire un autre crime : la
collaboration avec les Bahaï.
L’engagement le plus fondamental
En réalité, le plus important engagement
que j’eus avec la Réaction fut l’affaire des
117
Modjahedines. Les réactionnaires savaient
pertinemment que je n’avais aucune animosité envers
eux, et que l’espace qui nous séparait s’amenuisait de
jour en jour par les contacts que je nouais
quotidiennement avec eux, dont le programme dès la
victoire de la révolution et contrairement au régime
de Khomeiny, faisait une place spéciale aux femmes.
D’autre part les actions de pression sur
les Modjahedines, exercées par le cheikh Mehdi, en
qualité de meneur de la Réaction dans notre province
et ses porteurs de gourdins avaient commencé au
lendemain même de la victoire de la révolution et
avaient rapidement inquiété les gens et les familles
de ces Modjahedines.
Mon engagement fut tel que j’étais la
seule femme qui, pendant le déroulement de la
révolution contre la monarchie avait de façon
publique invité les gens à renverser le régime du
chah, et que, à chaque mouvement anormal de la
Réaction dans la province, j’en étais aussitôt
informée, en particulier par les femmes, qui faisaient
l’objet d’agressions.
118
A chaque attaque, à chaque bastonnade,
les familles et les mères des personnes blessées ou
mises en état d’arrestation s’adressaient à moi, se
plaignaient et me demandaient ce qu’était devenue la
révolution et où était partie la liberté
Durant cette période là, je pouvais
seulement m’opposer à ces actions anti humanitaires
et contraires à l’Islam, dirigées contre les partisans
de la liberté et de l’Islam, par des tracts
intitulés « La croyance à la religion n’est pas
obligatoire » et par des interventions à la radio. Je
faisais également des conférences de presse dans les
média de la province, et incitais à la persévérance et
à la résistance contre les cogneurs. Parfois même,
j’exprimais mon point de vue sous la forme d’articles
ou en écrivant des tracts de protestation dans les
journaux du matin.
Les premières bastonnades...
119
A la suite de l’assassinat en avril mai de
1979 de Mathari, le grand idéologue des mollahs par
un groupe portant le nom de Forghan, une grande
manifestation fut organisée dans la ville pour
condamner cet assassinat. Le mouvement des
Modjahedines y prit part.
Au coucher du soleil, comme je venais
de rentrer à la maison après cette manifestation, il y
eut un appel téléphonique. C’était le futur martyr
Mohammad Ali Iahiavi, responsable du mouvement
des Modjahedines. Il me dit précipitamment : « Dans
les environs du siège, il y a des signes montrant que
les cogneurs nous ont encerclés et se préparent à
porter une attaque contre notre local ». Je lui
demandai ce que je pouvais faire. C’était l’heure de
fermeture du bureau du mouvement, et je ne pouvais
aller chez lui. Il me dit qu’il ne me serait pas de
difficile de me rendre rapidement sur les lieux.
Il convient de mentionner ici qu’en
raison de la pression exercée par la Réaction et par
mesure de prévention des rumeurs de mauvaises
moeurs portées contre les Modjahedines répandues
120
par les réactionnaires dans d’autres villes, l’entrée de
femmes dans les bureaux du mouvement à Khorram
Abad avait été limitée à partir du coucher du soleil.
Pourtant ce soir là, je rejoignis
rapidement le mouvement. Des cogneurs étaient
dispersés autour du bâtiment. Comme je n’étais pas
connue, j’entrai par une porte de derrière. J’étais à
peine arrivée que l’attaque commença. Les
responsables du mouvement me confièrent les livres
et les documents, et je me rendis dans le local du
central téléphonique, dont je fermai les portes sur
moi, pour téléphoner aux familles et au préfet.
Je dis au préfet que j’étais prisonnière en
cet endroit. Lui qui, à ce jour, ne connaissait pas
l’étendue de mes relations avec le mouvement fut
dans un premier temps choqué et me demanda ce que
je faisais là à une telle heure, me disant que si j’y
étais vue, ce serait dangereux pour moi . Je lui
répondis qu’il avait raison, mais que c’était pour
prévenir toute effusion que j’y étais venue
rapidement, car si ces individus armés
s’introduisaient dans les locaux, ils feraient couler le
sang.
121
A la suite de mes explications, il se calma
un peu et me donna raison. Il me conseilla de
m’efforcer de n’être pas reconnue jusqu’à ce qu’il
envoie quelqu’un pour me sortir de là.
Environ un quart d’heure plus tard, il me
rappela et me dit qu’il envoyait deux fonctionnaires
avec deux voitures, et pendant que l’un occuperait les
assaillants, je sortirais par la porte arrière avec la
seconde voiture. Au moment où je sortais, je vis les
cogneurs entrer de tous côtés dans le bâtiment.
Aussitôt sortie de là je me rendis
directement auprès du préfet. J’étais complètement
hors de moi et, irritée, je ne cessai de lui dire : « Il
vous faut faire quelque chose, il ne faut pas que vous
laissiez ces crapules fouler la liberté aux pieds ».
Les familles des partisans du
mouvement, informées par téléphone de l’attaque,
vinrent apporter leur soutien aux Modjahedines et
s’étaient rassemblés autour du siège du mouvement.
Les voyous assaillants, issus de la lie de la société,
furent effrayés et plièrent rapidement bagage,
quittant provisoirement les lieux.
122
Les familles restèrent jusqu’à minuit
pour garder le bâtiment, et ce n’est que sur la
recommandation du responsable du mouvement
qu’ils partirent. Mais après le départ de ces familles
une armée de mollahs, ayant appris que l ‘attaque de
leurs mercenaires était restée sans résultat,
montrèrent leur véritable visage et montèrent
officiellement à l’assaut du mouvement, rouant de
coups violents les membres restés dans les locaux,
au total dix personnes, qu’ils arrêtèrent et
emmenèrent en prison
Un étalage inique des mollahs
123
Le lendemain de l’attaque du siège du
mouvement des Modjahedines, le visage de la ville
de Khorram Abad refléta l’indignation et parmi ceux
dont le coeur battait pour la liberté, beaucoup
ravalèrent leur rage.
Les familles se réfugièrent au palais de
justice. Le préfet convoqua une réunion de sécurité
de la province, à laquelle assistèrent les représentants
de la Réaction qui, ignorant que lors de l’attaque du
mouvement, je me trouvais à l’intérieur du bâtiment,
croyaient pouvoir raconter des mensonges et
calomnier les Modjahedines de façon inique.
Chacun d’entre eux tenta de se mettre en
valeur par ses mensonges. L’un affirma que l’on
avait découvert dans les locaux une quantité
importante de pilules abortives. Un autre déclara que
l’on avait trouvé des cartons entiers de revues
pornographiques. Mais dans ce type de mensonges,
les sommets furent atteints par le chef de l’armée
lorsqu’il déclara avec beaucoup
d’emphase : « Lorsque j’arrivai sur les lieux pour
faire sortir les assaillants, j’ai vu une femme avec
Taghi Saket, (numéro deux des Modjahedines) qui
124
se trouvaient dans la salle de bain et que les autres
firent s’enfuir dans une Jeep blanche. »
L’exposition de ces infamies m’était
insupportable, et me rongeait intérieurement.
L’inquiétude gagnait à chaque instant le visage du
regretté docteur Ali qui surveillait mes réactions.
Finalement, je réussis à écouter ces
mensonges et ces vilenies sans sortir de mes gonds.
Mais à la fin de la réunion, je dis cependant au
préfet : » Docteur, vous avez certainement compris
que cette femme, c’était moi, et que l’endroit où
j’étais cachée et où votre fonctionnaire m’a vue était
le central téléphonique et non la salle de bain ».
Une popularité inégalable
125
L’occupation du palais de justice par les
familles se prolongea durant une semaine environ,
jusqu’à la remise en liberté complète des personnes
arrêtées, semaine pendant laquelle des vagues de
sympathisants et de curieux se mobilisèrent pour la
défense des libertés violées. D’une certaine manière,
ce fut pour le mouvement des Modjahedines une
publicité sans pareille, et l’augmentation du nombre
des partisans du mouvement dans notre ville en
moins de deux mois à partir du début de cette affaire
fut remarquable.
Chaque jour, la population de la ville
fournissait aux familles des personnes arrêtées
plusieurs fois autant de repas que nécessaire, qu’elle
apportait sur place. Parallèlement, de nombreux
employés du palais de justice partageaient leur
déjeuner avec les occupants.
Le soutien populaire aux familles, ainsi
que la fourniture de repas et de commodités étaient
tellement importants que les responsables et les
habitués du mouvement furent obligés d’établir un
programme détaillé de collecte et de répartition des
126
aides reçues entre les partisans pour éviter
l’accumulation des vivres et autres dons et faire
obstacle à tout détournement.
Les déclarations de soutien aux
Modjahedines se multipliaient jour après jour. Toutes
les corporations, les groupes, en provenance de
toutes les couches de la population de Khorram Abad
et aussi des autres villes de la province, informées
par des publications d’avis, de l’attaque sauvage dont
les agents de police s’étaient rendus coupables,
apportèrent leur assistance aux occupants du palais
de justice.
En raison de ce soutien croissant le
régime fut contraint en définitive de libérer les
Modjahedines arrêtés. Mais sous prétexte que le
bâtiment du mouvement était un édifice de l’Etat,
confisqué en son temps, on ordonna aux
Modjahedines d’évacuer les lieux. Le mouvement fut
alors transféré dans un autre édifice, au Carrefour
des martyrs.
Depuis lors, la maison de chaque
sympathisant des Modjahedines de la ville devint un
siège du mouvement en soi et chaque individu
127
devint un sympathisant du mouvement. En raison de
la confiscation des possibilités d’impression du
mouvement, les femmes et les filles des adhérents, et
en particulier la Modjahed martyre Masoumah Rezaï
et ma sœur Mansoureh, qui travaillaient avec moi à la
Société des Femmes, étaient chargées de l’édition et
de la duplication des publications du mouvement en
dehors des heures de bureau, sous la conduite du
martyr Ali Akbar Ghazi qui, à cette époque était
responsable des publications et des éditions locales
des Modjahedines.
Le 15 juin 1979, alors que l’occupation
protestataire du palais de justice par les
Modjahedines se poursuivait encore, la radio et la
télévision de la province diffusèrent un entretien avec
moi au sujet de l’anniversaire du martyre des
fondateurs du mouvement.
Lors de cette interview, je fis allusion à
l’attaque contre le siège des Modjahedines et
l’occupation du palais de justice, disant que de telles
actions avaient peu de rapports avec l’Islam et la
religion. Juste après cela une vague de soutien aux
Modjahedines occupants se répandit dans la ville. Par
128
ailleurs je reçus au travail et à la maison un grand
nombre d’appels téléphoniques de menaces.
Le 19juin 1979, jour anniversaire du
regretté docteur de la loi religieuse Ali, je qui pris la
parole au stade Takhti de Boroudjerd, et mon
discours commença par un verset du Coran.
A la fin de mon allocution, Khollami, le
sous- préfet de Boroudjerd, me lança un regard
significatif, voulant dire : « J’ai bien reçu votre
message ». Lorsque je rentrai de Boroudjerd à
Khorram Abad, je fus stupéfaite d’apprendre que le
soir précédent, le policier Tarkan, chef du djihad,
avait envahi mon lieu de travail à la tête d’un groupe
d’agents de police armés et avait perquisitionné les
locaux.
Opposée à de telles opérations, je
présentai au Préfet une demande de réunion urgente
pour l’examen de cette affaire. Au cours de cette
commission, Tarkan pour expliquer les raisons de
l’attaque des locaux où je travaillais, dit : « On nous
avait rapporté que la nuit, dans les locaux de la
Société des Femmes, des personnes appartenant aux
Modjahedines utilisaient le matériel d’impression et
129
de reproduction du bureau pour la publication de
leurs propres documents ».
Pendant cette période, l’accroissement du
nombre d’attaques et d’agressions contre les
Modjahedines et les jeunes de la ville qui diffusaient
leurs publications, entraînait celui des heurts entre la
Réaction et moi-même. Dans les réunions avec le
préfet, j’étais devenue de facto le porte parole des
familles et de ceux qui chaque jour, faisaient l’objet
de coups et de sévices de la part des cogneurs. Et cela
d’autant plus que je croyais vraiment que ces
méthodes n’avaient rien à voir avec l’Islam, qu’elles
constituaient une violation de la liberté et
conduisaient à de nombreuses effusions de sang.
Lors de ces débats, les discussions et les
luttes avaient généralement lieu entre moi d’un côté,
et le chef du parti de la république, les mollahs et
l’armée de l’autre.
130
Une bataille visible sur un champ de
bataille invisible
La Société des Femmes, dont l’activité
avait maintenant été comprise par la population
pesait énormément désormais dans la lutte que se
livraient dans la province la Réaction et la Contre-
Réaction.
Dans la ville, quiconque était contre les
cogneurs essayait d’obtenir mon soutien ou celui de
quelqu’un agissant dans le champ de mes
responsabilités, mais les polémiques avec la
Réaction devenaient incessantes, qu’elles soient
cachées ou publiques.
La Société des Femmes s’était
développée et disposait d’un effectif de plus de cent
personnes au niveau de la province. Elle possédait
cinq agences dans les villes de la province, cinq
centres principaux de garde d’enfants, des dizaines
de classes d’apprentissage et de cours d’adultes pour
les femmes et les filles démunies des villes
dispersées dans les arrondissements proches ou
lointains de la province. Certainement, cette
131
extension ajoutait encore aux querelles quotidiennes
avec les réactionnaires.
En ces jours là, mon esprit était
entièrement occupé à mettre en oeuvre une tactique
visant à neutraliser les complots. Naturellement ces
actions me rapprochaient chaque jour des
Modjahedines, car dans cette rude bataille, j’avais
besoin d’eux et je ne pouvais plus continuer seule à
me heurter à la Réaction, dont la pression s’exerçait
sur moi, femme jeune et manquant d’expérience dans
ce domaine, d’une façon que je trouvais parfois
pénible.
Ces pressions se faisaient
particulièrement sentir au cours des
réunions chez le préfet. Elles avaient commencé par
des attaques quotidiennes, et continuaient par
d’autres agressions de la Réaction, et plus
particulièrement de la Djihad de la Reconstruction,
sous la présidence du pasdar Turkan, qui était à
l’avant garde des cogneurs dans la ville. Ils
m’importunèrent jusqu’à l’épuration et mon
expulsion de la Société des Femmes, prononcée en
même temps que ma condamnation à mort.
132
En de février mars 1979, en raison de
l’approche des élections des députés du Conseil
national et de ma candidature, la Réaction donna des
ordres pour m’expulser de la Société des Femmes.
Pour la même raison, elle lança, en plein jour, une
attaque armée contre les centres de formation et les
bureaux, parmi lesquels ceux de la succursale de la
Société des Femmes de Boroudjerd, et de ses
garderies d’enfants, qui furent fermées.
Lors de cette action armée, un grand
nombre d’enfants, en train de se reposer, furent
choqués et en perdirent l’usage de la parole. Le
bâtiment de ce centre fut depuis utilisé par l’armée et
les recrues de Boroudjerd. Le représentant du préfet
pour cette ville, le mercenaire Khollami, prit
personnellement part à cette violence.
A la suite de cette attaque sauvage, très
dommageable pour les gens, nous organisâmes, pour
venir en aide aux femmes employées ou ouvrières
dans toutes les villes de la province et plus
particulièrement celles de Boroudjerd, ainsi qu’aux
familles des enfants concernés, nous organisâmes
133
une grande manifestation devant les locaux du
gouvernement de la ville.
Et cette fois, en raison de notre
persévérance, la Réaction fut finalement obligée de
faire machine arrière. Sous prétexte que l’armée avait
un besoin urgent des locaux, elle me proposa un
autre lieu pour y installer les garderies et les bureaux
locaux de l’administration de la Société des Femmes.
C’est ainsi que la question fut réglée, et, pendant
tout le temps où je dirigeai le service, la Réaction
n’eut plus à aucun moment le courage d’investir les
centres d’accueil de la Société des Femmes.
134
La fête du « Premier Mai »
Pendant les deux mois qui suivirent
l’établissement du mouvement dans Khorram Abad,
et bien que ma sympathie et ma reconnaissance à
l’égard des Modjahedines soient très grandes, je
n’étais pas encore apparue en public au mouvement.
Le soir du 30 avril 1979, l’un des
responsables du mouvement à Khorram Abad me
téléphona pour m’inviter à participer aux cérémonies
de la fête des travailleurs, au siège du mouvement. Je
fus très heureuse de cette invitation, et le lendemain,
ma mère et moi fûmes presque les premiers hôtes
présents à cette fête.
Il y avait beaucoup de monde. Avant
d’entrer dans le bâtiment, j’observai dix ou douze
garçons et adolescents avec un certain nombre de
jeunes barbus, rassemblés à l’extérieur de l’édifice
du mouvement, et opposés au programme de la
journée des travailleurs organisé par le mouvement,
disant qu’il était établi en liaison avec les
communistes !
135
Je remarquai que leur groupe n’était pas
familiarisé avec la fête du premier mai et qu’ils
étaient payés pour troubler cette fête. Je leur
expliquai ce que représentait le premier mai et la
mauvaise utilisation que les ennemis de la
Révolution faisaient d’eux, dans le but d’affronter les
Modjahedines. Désemparés, ils acceptèrent de partir.
Jusqu’alors, je n’avais été en contact
qu’avec Mohammad Ali Iahiavi, responsable du
mouvement, et son adjoint. Ce fut la première fois
que je rencontrai un autre modjahed permanent du
mouvement de Khorram Abad, Ali Akbar Ghazi.
C’était un homme de frêle stature qui
semblait avoir environ 18 ou 19 ans, ayant des
mouvements très vifs et qui allait d’un endroit à
l’autre pour préparer la sonorisation de la salle.
Plusieurs filles du collège qui se
trouvaient près de moi le montrèrent en protestant et
déclarèrent : « Mais c’est le fils de Ghazi le
réactionnaire, et il tient une grande place dans le
mouvement ? » A la suite de cette protestation,
plusieurs de mes amis se joignirent à elles en
déclarant : « En dehors d’ici, c’est le cheikh Mehdi
136
qui tient les commandes et ici aussi c’est son neveu
qui prend les choses en main ».
Je ne connaissais pas du tout cet homme,
et leur dis : » Si vous permettez, j’en parlerai avec le
responsable du mouvement ». Après la cérémonie, ce
point étant digne d’être considéré, j’informai
immédiatement Mohammad Ali Ihavi, responsable
du mouvement.
Il me résuma les relations antérieures
d’Ali Ghazi avec les Modjahedines :« Il est opposé
aux actes de son oncle et depuis 1975 il travaille de
près ou de loin avec les Modjahedines. C’est à cette
fête qu’il me fit connaître sa tante, qui était la mère
d’Ali Ghazi. Et c’est cette personne de connaissance
qui six mois plus tard, servit d’intermédiaire pour
mon mariage avec Ali, futur martyr.
Plus tard, c’est sur le conseil du
responsable du mouvement que je décidai, pour
conserver ma situation de travail, de ne pas
apparaître dans le programme général et public des
Modjahedines, et de venir sur place deux fois par
semaine le soir après la fermeture des bureaux du
mouvement pour me tenir au courant des affaires,
137
poser mes questions et mes doutes sur les livres et
le manifeste des Modjahedines a Mohammad Ali
Iahiavi, futur martyr.
Par cette fréquentation, je constatais que
jour après jour mon attirance pour les Modjahedines
grandissait et que j’étais de plus en plus proche
d’eux. Par ailleurs, les jeunes et les amis qui
m’avaient fait trouver ma voie, maintenant devenus
militants, et qui n’étaient pas au courant des
relations secrètes que j’entretenais avec lui, n’étaient
pas du tout satisfaits de mon absence dans la
réalisation des programmes et dans les activités
publiques du mouvement.
Par affection pour moi, ils essayaient à
toute occasion et de toutes les façons possibles de
m’encourager à prendre part aux activités du
mouvement et d’y apparaître en public.
Certains d’entre eux firent même des
pressions sur moi et me rappelaient continuellement
que j’avais choisi la mauvaise route en devenant
directrice générale, que cette fonction n’avait rien
d’intéressant. Je ne pouvais leur donner l’explication
138
de mon attitude, et je me trouvais, de manière
sérieuse, sous leur pression.
Evidemment, il va sans dire que leurs
remarques et leurs rappels à l’ordre agissaient sur
moi comme des stimulants et me confirmaient dans
la foi que la voie que j’avais choisie pour tenir tête à
la Réaction était la meilleure, et jour après jour, je
consacrais sous le manteau plus d’énergie, plus
d’argent et plus d’avantages en commodités au
mouvement.
C’est ainsi que le cours de ma vie se
dirigea doucement vers celui des Modjahedines, et se
mêla intimement à lui.
139
Un mariage dépareillé
Ma rencontre, mon mariage, ainsi que
ma vie commune avec Ali Akbar Ghazi, qui à cette
époque n’avait que 22ans (il était né en 1957) et à la
fin, son exécution qui fut une séparation déchirante,
représentent une durée qui ne dépasse pas deux ans.
Mais ces deux années furent remplies d’évènements
et d’activité politiques dans le début du
gouvernement du bourreau Khomeiny. C’est la
chaîne des évènements de ma vie politique tissée
avec la trame de son souvenir, que j’ai essayé, autant
que faire se peut, de raconter dans le présent livre,
sans toujours entrer dans les détails.
La connaissance plus complète de la
famille des Ghazi qui, jusqu’à cette date, allait de
pair avec la répulsion que je ressentais à l’égard de
Mehdi, le grand homme de cette maison, commença
ce même jour, le2 mai 1979.
Cette connaissance était liée à mon
entourage de Modjahedines, puisque la mère d’Ali
Akbar Ghazi, qui avait une grande réputation auprès
des femmes de Khorram Abad, en était une
140
militante, et l’amitié née de cet idéal commun entre
elle et notre famille ne cessa de grandir au fil des
jours.
Avec le temps, la pression de la Réaction
sur les Modjahedines qui ne s’occupaient que
d’action politique et de la vente de publications, se fit
plus forte et les militants firent l’objet de persécution
et de sévices de la part des cogneurs.
Ma mère et ma soeur Mansourah, de
même que d’autres femmes de la ville, protégeaient
les jeunes occupés à la vente de publications, et
prenaient part aux accrochages et aux échauffourées
des Modjahedines avec la Réaction. Pour cette raison
même, leurs relations avec les familles des militants
et en particulier avec celle d’Ali Akbar Ghazi,
devinrent progressivement plus étroites.
Par ailleurs, Madame Ghazi, la mère
d’Ali, ainsi que d’autres mères de la ville faisaient en
permanence l’objet des coups de la part des
cogneurs de la Réaction. Elle venait toujours avec
Ali, et Mohammad, son plus jeune fils, pour
protester. Ces rencontres avaient pour conséquence
un rapprochement entre madame Ghazi et moi même.
141
Deux ou trois mois se passèrent, jusqu’à
ce qu’un soir, rentrant à la maison à la sortie du
bureau, je remarquai, dès mon entrée dans ma
chambre, un paquet cadeau que madame Ghazi avait
apporté pour moi.
Je demandai à ma mère à quelle occasion
ce cadeau avait été remis. Elle se tut prudemment un
instant, puis me dit : « Elle est venue te demander en
mariage pour son fils ».
Je lui répondis que ses deux fils aînés
étaient déjà mariés, qu’ils avaient même des enfants
de 15 ou 20 ans qui prenaient chaque jour des coups
de la part des porteurs de massue et que c’était ma
pauvre personne qui devait aller les faire sortir de
prison.
Ma mère me dit calmement : » C’est pour
son fils qui est Modjahed ».
Je n’étais absolument pas préparée à
entendre une telle chose, je sortis de mes gonds, et lui
demandai ce qu’elle avait répondu. Je
continuai : « Tu lui as dit que je n’étais pas une fille
à me marier avec des hommes de mon âge, et à plus
forte raison avec un enfant qui sent encore le
142
lait ! ».Et tout en m’emportant, je
rajoutai : « Comment ont ils eu l’audace de faire une
telle demande ? »
Ma mère essaya de me calmer et me
dit : « Maintenant, la chose n’est pas encore décidée
et tu peux lui retourner le cadeau. » Puis elle
ajouta : » J’ai expliqué à madame Ghazi que tu
n’avais pas l’intention de te marier, et que si tu
l’avais eue, maintenant que tu as atteint 28 ans, tu le
serais certainement déjà. Puis elle se tut.
Je lui dis de renvoyer le cadeau le
lendemain et de dire que si elle désirait que je
conserve avec elle nos relations d’amitié, elle oublie
cette affaire pour toujours. Ma conversation avec ma
mère à ce sujet prit fin sur ces paroles.
Près d’une semaine s’était passée depuis
cet évènement lorsqu’un jour, alors que j’étais
occupée dans mon bureau à faire mon travail, le
portier me dit : « Monsieur Ghazi voudrait vous
voir ». Je lui demandai quel Ghazi et il me répondit
Ali Ghazi. Je compris qu’Ali était venu pour me voir,
mais je ne pouvais pas devant le portier lui réserver
un accueil négatif et je lui répondis : « Dites lui
143
d’entrer ». Peu après, la porte s’ouvrit et il apparut
sur le seuil, la tête basse.
A ce moment, ma soeur, la Modjahed
Masoumah, de même que ma cousine Zohreh,
étaient occupées à des travaux d’impression et de
reproduction de documents pou la Société des
Femmes monothéistes dans l’atelier d’impression du
bureau. En voyant Ali, elles lui dirent que s’il voulait
se familiariser avec les travaux d’imprimerie, on
pouvait donner du travail aux enfants dans l’atelier.
Il répondit que ce n’était pas elles qu’il
voulait voir, mais que si elles le permettaient, il
viendrait leur faire la conversation, puis sans même
attendre la réponse, il entra et s’assit dans l’un des
fauteuils et commença à parler : « La semaine
dernière, ma mère est allée chez vous, et par
l’intermédiaire de votre mère, vous a adressé un
message au sujet duquel je voudrais vous
entretenir ».
De prime abord, je fus très surprise de
voir ce jeune suffisamment effronté pour se
permettre de venir me parler de ce sujet, et je lui
dis : « Oui, j’ai reçu ce message et j’y ai répondu,
144
j’ai même donné mon point de vue à ce sujet. Il n’y
avait donc aucun besoin que vous vous veniez ici, car
je vous ai donné une réponse ferme et définitive ».
Il redressa brusquement la tête et dit : »
Mais je ne vous ai pas encore parlé ». Et il
continua : « Dans votre esprit, je suis devenu fou,
mais j’ai voulu vous présenter la réalité telle qu’elle
est, pour que vous preniez ensuite votre décision ».
Puis il continua : » Je sais que vous me
considérez comme un enfant, et que ce qui apparaît
dans votre esprit avant toute autre chose, ce sont les
problèmes liés à mon âge. Mais permettez moi de
vous dire que nous sommes tous deux musulmans,
que notre prophète se maria avec une femme de
quarante ans alors qu’il n’en avait lui même que
vingt cinq, car il avait la foi que ce mariage serait une
réussite et que le Seigneur lui donnerait l’aide
voulue, dans la voie qu’il avait tracée... ».
Je ne lui permis pas de continuer son
discours et lui dis avec colère : « Mais vous n’êtes
pas le prophète, et je ne suis moi même pas Hezrat
Khadidjé. Je vous prie de bien vouloir sortir de mon
bureau, et de ne plus jamais remettre les pieds dans
145
cette administration ». Il dit alors avec
inquiétude : « Alors, qu’en adviendra- t-’il de ces
travaux d’imprimerie ? » Je répondis que par
l’intermédiaire de son frère Mohammad, ou tout
autre qu’il jugerait aussi valable, il pouvait continuer
à faire réaliser ces travaux par les personnes
actuelles.
Après notre conversation, il s’établit un
silence profond pendant quelques instants, et il finit
par dire : « Ce sera comme vous le désirez ». Puis il
se leva, sortit et me laissa à la fois surprise et
courroucée. Ainsi donc, je pensais tout simplement
que cette affaire était désormais complètement
terminée car tout au long de cette demande en
mariage étrange, la première solution utilisée
respectait les us et coutumes en usage en Iran, en
passant par l’intermédiaire de la mère du prétendant.
La deuxième voie était la demande
directe formulée par le prétendant, qui venait d’avoir
lieu. Je m’imaginais être maintenant tranquille,
l’affaire était close et j’essayai de m’en libérer
l’esprit pour l’oublier, sans prendre conscience que
dans le choix qu’il avait fait, il était beaucoup plus
146
obstiné que ne le montraient ses paroles et que pour
parvenir à ses fins, il allait mettre en oeuvre une
troisième voie de demande en mariage.
Lui avait compris que j’étais attachée à
ma mère et plus particulièrement à ma soeur
Mansourah, pour qui j’avais un respect particulier.
Il continua ses contacts avec elles, leur parlait en
mon absence de son désir, sachant qu’elles étaient
des militantes des Modjahedines. A partir de ce
moment, ce fut l’un des sujets de conversation avec
ma mère et ma soeur, et elles essayaient d’obtenir
de moi un consentement à ce mariage.
Moi qui étais opposée au mariage en
général et au mariage avec cet homme en particulier,
j’eus avec elles de nombreuses discussions et je
disais parfois à ma mère : » N’est ce pas toi qui
m’avais toujours dit d’essayer d’éviter de me marier
et de mettre ma vie entre les mains d’un homme ?
N’est ce pas toi qui m’avais dit de vivre de telle
façon que je ne sois pas au chevet d’un homme ?
Alors que sont devenus ces conseils ? »
Dans ses réponses, elle me disait toujours
avec bienveillance »Il est différent de tous les
147
hommes que j’ai eu l’occasion de connaître jusqu’à
maintenant, il est Modjahed, pur et innocent ». Bref
elle me raconta tant de belles choses sur lui qu’à la
fin, je fus tellement tourmentée que je ne terminais
plus les conversations engagées avec elle et que je
me mettais à faire autre chose.
Je me souviens qu’un jour, devant
l’insistance de ma mère, je lui dis que si elle l’aimait
tant, elle pouvait toujours lui proposer Zohreh en
mariage (ma cousine Zohreh était une très jolie fille
de 18 ans et elle vivait avec ma mère et moi).
Ma mère me répondit : « C’était mon
souhait et je lui ai fait cette proposition. Mais il m’a
répondu qu’il ne désirait pas avoir une femme pour
sa vie privée, mais qu’il voulait une associée avec qui
avancer dans la voie qui est la sienne. C’est pour
cette raison qu’en dépit de la différence d’âge c’est
toi qu’il a choisie. »
Evidemment, cette réponse qu’Ali avait
donnée à ma mère était de nature à toucher son
coeur et celui de ma soeur Mansoureh. De ce fait,
leur pression sur moi en faveur de ce mariage
devenait chaque jour plus forte alors que ma
148
résistance continuait sans faiblir. Mais à l’intérieur de
moi même, je me sentais curieuse de savoir le motif
d’une telle insistance
Cette situation se prolongea pendant près
de trois mois, de juin à septembre 1979 jusqu’au jour
de la mort du père Talaghani, le 19 septembre.
Il était minuit lorsque le téléphone sonna,
je répondis et madame Ghazi (la mère d’Ali)
m’annonça la nouvelle de la mort du Père, tout en
versant force larmes, et me dit que le lendemain
matin, une cérémonie de deuil serait organisée dans
la garnison de la ville .Elle proposa que je vienne la
chercher pour nous y rendre ensemble.
La nuit fut difficile, je ne dormis pas
jusqu’au matin et je pleurais, car la mort du Père
Talaghani, nous affligeait d’autant plus que c’était un
grand homme pour nous, militants Modjahedines,
dans cette ville où, en l’espace de moins de trois
mois depuis la révolution, les réactionnaires
déchaînés avaient pris toutes les choses en main et,
plus important encore, avaient restreint la liberté pour
laquelle nous tous avions hurlé et versé du sang.
149
En réalité, en ces jours là, la seule
autorité à laquelle les Modjahedines et leurs
sympathisants pouvaient s’adresser pour se plaindre
de l’oppression des réactionnaires en herbe était le
Père Talaghani.
Chaque fois que la pression de la
Réaction devenait trop pesante pour moi, j’allais à
Téhéran faire un tour à son bureau. Rien que de le
voir de loin, je rentrais calmée. Vue de cette façon, sa
disparition constituait une très grande perte pour moi
et sa mort laissa en moi un vide étrange. Cette nuit là
fut très difficile, et le matin, lorsque le jour se leva,
je me mis en tenue de deuil, et j’avais des difficultés
à empêcher mes larmes de couler dans la rue, en
allant prendre part à la cérémonie des funérailles, en
compagnie de Madame Ghazi. Je passai d’abord chez
eux pour la prendre. Ali apparut sur le seuil et fut
frappé d’étonnement en me voyant.
Depuis le jour où il était sorti de mon
bureau, je ne lui avais plus parlé. Je lui dis que j’étais
venue chercher sa mère et il me répondit: » Ma mère
n’est pas à la maison, elle ne vous a attendue, comme
150
vous n’arriviez pas, elle est partie à la garnison de la
ville pour assister aux cérémonies de deuil ».
Je lui dis rapidement au revoir pour
partir, mais Ali me retint: » Vous pouvez attendre un
instant, je vais m’enquérir auprès de la Société des
Jeunes Monothéistes. Si nous vous accompagnons,
avec les amis, les cogneurs nous attaquerons
certainement, mais n’auront pas le courage de vous
agresser ni de vous brutaliser » .Je lui donnai mon
accord.
Il partit et je restai à l’attendre devant la
porte d’entrée .Il ne revint pas immédiatement et
pendant que je l’attendais, je fus saisie par un
sentiment d’ambiguïté mêlé d’anxiété. Tout d’abord,
il me vint à l’esprit de ne pas l’attendre et de m’en
aller, mais je ne saurais dire pourquoi je ne le fis pas.
Je l’appelai en lui disant que si ce qu’il faisait prenait
trop de temps, j’allais partir. Immédiatement, il revint
avec un paquet de feuilles imprimées.
Ses yeux brillaient de larmes qui lui
couvraient également le visage, et pendant un
moment, je me demandai quelle conduite adopter.
Ses larmes m’avaient troublée et j’étais incapable de
151
retenir les miennes. Il resta à quelques enjambées de
moi et je m’assis sur les marches de l’escalier et je
me mis à pleurer avec violence.
Je ne sais combien de temps il se passa
avant que je ne relève la tête, pour m’apercevoir que
lui aussi pleurait. Je lui demandai pourquoi le Père
était mort. C’était beaucoup trop tôt ! Qu’allaient
faire les Modjahedines maintenant ? Il se reprit et
dit : « Ils l’ont certainement tué, pour enlever un
obstacle de leur route et pouvoir plus facilement nous
décapiter ».
Je pensai cependant que ma présence en
ces lieux dans de telles circonstances n’était pas
correcte. Je me levai et lui dis rapidement au revoir.
Au dernier moment, il dit : » Vous êtes toujours
opposée à l’affaire dont il a été question il y a
quelques mois ? Je lui dis que oui, et il me demanda
pourquoi. Je lui répondis que je n’étais pas en mesure
d’en parler pour l’instant et je quittai rapidement les
lieux
Après cette rencontre et cette très courte
conversation, mon esprit fut occupé, et contrairement
aux fois précédentes où je m’efforçais d’oublier,
152
cette fois je me demandais quelle était sa motivation
pour ce mariage. Pourquoi insistait il à ce point ?
Pourquoi n’avait il pas encore renoncé, après
plusieurs mois d’attente ? En ces jours où mon esprit
avait été préoccupé par cette affaire, cela me semblait
étrange. J’avais le sentiment que j’étais comme un
enfant, que je ne pouvais la regarder en face, et je me
disais à moi-même que si sa proposition avait eu un
caractère puéril, il l’aurait certainement oubliée après
tout ce temps passé…
Peut être aussi l’espace vide créé par la
perte du père Talaghani et les conditions mentales
difficiles liées à sa mort m’entraînaient elles à penser
à Ali ? Car les traditions en usage et dominantes dans
une société à laquelle j’appartenais en qualité de
femme importante voulaient que la fragilité des
femmes devant les difficultés les amène, en de telles
circonstances, à rechercher un point d’appui auprès
d’un homme.
En particulier, auprès d’un homme qui
avait remarqué cette femme et lui témoignait une
gentillesse caractérisée. Encore que cet homme ne
soit pas l’homme idéal et que dans la tradition
153
dominante, un jeune garçon de 22 ans, ne possédant
pas encore les valeurs en vigueur dans cette société,
(n’ayant pas de métier, n’ayant pas fait d’études
supérieures), ayant une silhouette ordinaire, une
taille relativement petite et frêle, et sept ans de
différence d’âge. A cette époque, la différence d’âge
constituait dans mon esprit un tabou très difficile à
éliminer et par ailleurs, pour une personnalité et un
pôle de la vie politique de la ville, il y avait lieu de
s’inquiéter sur ce que représenterait un tel mariage
dans l’esprit des autres.
Le mariage secret
Les cérémonies de deuil du père
Talaghani eurent lieu avec une participation
nombreuse des habitants de la ville de Khorram
Abad, et se déroulèrent depuis le matin très tôt
jusqu ’au coucher du soleil. Le soir c’est brisée de
fatigue et remplie d’un grand chagrin que je rentrai à
la maison.
154
C’était la première fois qu’Ali venait
chez nous, accompagnant ma sœur Mansourah. J’eus
le sentiment étrange que cela se passait différemment
des fois précédentes, et que je n’éprouvais plus de
colère en le voyant. Instinctivement je fis un effort
pour rester maîtresse de moi-même.
Mansourah se mit à parler et me dit
qu’Ali était venu me chercher pour que nous parlions
ensemble de cette affaire et que nous puissions la
régler. Je lui répondis que j’avais déjà exprimé ma
façon de penser sur cette affaire et que dans un
entretien précédent j’avais manifesté mon intention
de ne pas me marier, argumentant qu’il y avait des
inconvénients à un tel mariage en raison de la
différence d’âge et de ce que pourraient penser les
autres.
Au cours de cette conversation, j’essayai
de faire en sorte qu’Ali n’intervienne pas
directement, et que ma mère et ma sœur Mansourah
répondent directement elles mêmes du tac au tac à
mes objections.
En insistant fortement sur la grande
différence d’âge, je dis : « Ce mariage ne pourra être
155
durable en raison de la différence d’âge ». Ali se
mêla alors à la conversation et s’adressa à moi sur un
ton beaucoup plus sincère qu’il ne l’avait fait
jusqu’alors. Il me dit avec calme : « Tu commets une
erreur de fixer de cette façon cette idée dans ton
esprit .Serais je donc un homme ordinaire, qui
déciderait consciemment, avant d’avoir ensuite des
regrets ? Si tel était le cas, je n’aurais pas insisté à ce
point. »
Il continua : « Tu sais très bien que si je
n’étais qu’un quelconque prétendant au mariage,
dans la situation où je me trouve, pour tout choix
autre que toi que j’aurais fait, je n’aurais pas à
attendre aussi longtemps la décision et dès les
premiers jours l’affaire serait conclue. Je t’ai choisie
car nous sommes militants d’un mouvement aussi
magnifique que celui des Modjahedines et si nous
sauvegardons notre engagement dans ce mouvement,
seule la mort pourra nous séparer ».
Ali poursuivit en insistant sur ces
conditions exceptionnelles et dit « Si tu crois que
nous allons vivre jusqu’à ce que nous devenions
vieux, et qu’à un âge plus avancé, la différence d’âge
156
pourrait nous séparer, tu commets une profonde
erreur, car dans le combat que nous menons avec la
Réaction notre espérance de vie ne dépassera pas
trois ans avant que nous ne soyons assassinés. Cette
inquiétude se trouve donc être sans objet ».
Ce débat dura encore deux ou trois
heures. Mais cette fois celle qui céda, ce fut moi, et
Ali, en insistant successivement sur ses différentes
prétentions, et avec sa persévérance, sa patience et
son sérieux essaya de me donner satisfaction. Nous
finîmes par tomber d’accord.
Après ces entretiens, je laissai tomber
toutes les supputations dont j’avais jusqu’à
maintenant tenu compte, comme on tire un rideau, et
j’eus le sentiment que mon mariage avec lui était
une affaire personnelle et que je pouvais me
déterminer sans plus tenir compte des préjugés
culturels et patriarcaux .
C’est ainsi que ce soir-là, je me déclarai
d’accord pour ce mariage, à la condition que, tant
que les circonstances favorables ne seront pas
réunies, cette affaire de mariage reste une affaire
cachée, et que personne n’en soit informé, en dehors
157
de nous-mêmes et de sa mère. De même, j’exigeai
que nous vivions séparément, chacun dans sa propre
maison.
Ce même soir, il donna son accord sur
ces conditions et, en présence de ma mère et de ma
sœur, il lut le serment de mariage. Pour que le
mariage ait officiellement lieu, à Téhéran, il me
donna rendez vous pour le lendemain matin, et partit
en vitesse en disant : « Il faut que j’aille au plus vite
annoncer cette nouvelle à ma mère, qui en sera
certainement très heureuse ».
Ainsi, c’est dans ces conditions que je
décidai de me marier secrètement à Ali Akbar Ghazi,
dans le cadre actif du mouvement des Modjahedines,
car je ne voulais pas, en raison de ma popularité
dans ville d’une part, et de ce qu’Ali était connu
comme militant Modjahed d’autre part, être
importunée par la Réaction dans l’exercice de ma
propre activité au sein de la Société des femmes.
Le lendemain, c'est-à-dire le 11
septembre 1979, nous allâmes ensemble en autobus à
Téhéran et en fin d’après midi de ce même jour, nous
nous mariâmes par contrat officiel dans un modeste
158
bureau des mariages de la rue des Hachémi à
Téhéran. Le contrat fut enregistré avec des biens
antiphernaux, un Coran, un Nahdj el Balagheh, livre
composé par Amir el Momenin10, emblème de
l’organisation des Modjahedines.
Seuls un cousin maternel et l’un de ses
amis assistèrent en tant que témoins à ce mariage,
A la fin de la cérémonie, devant
l’insistance de ce cousin à nous inviter chez lui, nous
dûmes lui expliquer le caractère secret de ce mariage
et nous prîmes congé de lui après l’avoir salué.
L’étape suivante fut l’achat des alliances.
Avec une grosse motocyclette qu’Ali emprunta à un
cousin paternel, le futur martyr Mahmoud Mahboubi,
nous nous rendîmes dans une bijouterie du centre de
Téhéran.
Très inquiète qu’il ne rencontre
quelqu’un de sa connaissance, je choisis en hâte un
anneau en or, simple et bon marché, coûtant 80
tomans. Lui n’en acheta pas pour lui, disant qu’il
n’était pas bon que nous nous mettions ensemble à
porter un anneau. Mais il ajouta qu’il fallait que j’en
10 Amir el Momenin :Le prince des Croyants
159
porte un pour que mon imagination soit tranquille en
ce qui concerne les prétendants que les phalangistes
et le docteur Ali enverraient peut être à ma rencontre.
Ce jour là, nous nous baladâmes en moto jusqu’au
soir dans les rues de Téhéran pour visiter les endroits
touristiques et le soir nous allâmes ensemble au
cinéma pour voir un film pédagogique.
Il était environ minuit lorsque nos
sortîmes du cinéma.
Pour passer la nuit, il m’emmena dans
une auberge de Nasser Khosrow. Je m’attendais à ce
que nous allions dans un hôtel, et je lui demandai s’il
n’avait pas trouvé un autre endroit. Il me dit : « Si,
mais c’est cher ». Sans lui dire un mot de plus, cette
nuit là, je ne pus dormir dans le lit de cette chambre
et je m’étonnai de ce qu’un homme de la famille des
Ghazi, si opulente, puisse dormir dans un tel endroit.
Sans vouloir dévoiler ici les pensées qui
me vinrent à l’esprit en un tel jour, je compris
parfaitement qu’il avait des moeurs de modjahed et
que dans l’utilisation des possibilités de confort, il
n’avait pas les mêmes vues que moi. Je lui dis que je
ne voulais pas dormir, je m’assis dans un canapé
160
délabré qui se trouvait dans la chambre et je
commençai la lecture d’un livre.
Après m’avoir observée d’un regard
profond, il me dit : « Si tu souhaites être plus
tranquille, je peux prendre une autre chambre pour
moi » Je lui dis de manière allusive : « Non, cela
fera une dépense supplémentaire. Dors, je dormirai
demain dans la voiture ».
Me souhaitant bonne nuit, il se mit au lit
tout habillé et en raison de la fatigue importante
accumulée pendant toute une journée de conduite
d’une moto dans la circulation de Téhéran, il sombra
tranquillement dans un sommeil profond aussitôt
qu’il mit sa tête sur l’oreiller.
Le lendemain, avec la même
motocyclette, nous allâmes au marché de Téhéran, où
il fut entièrement occupé par son travail et les visites
qu’il rendit à ses correspondants pour les problèmes
d’édition, les achats de papier, et par des achats de
machines à photocopier ..Il fut très absorbé par ses
affaires.
Ce jour là, contrairement à la veille, ce
n’est qu’entre les lieux de ses différents achats que
161
son visage réfléchi et sérieux s’égaya, qu’ il rit, et
chanta à tue- tête l’hymne »Aftabkaran11»ou encore
des mélodies célèbres du Lorestan telles que Dayah,
Dayah »12
Cette journée passa très rapidement et le
soir arriva. Sur proposition de ma part nous allâmes
dans une poissonnerie dans une ruelle près du parc de
la ville de Téhéran où, par le passé, j’allais en
compagnie de mon frère chaque fois que je venais à
Téhéran, et nous y dînâmes.
Après le repas, il me dit : « Je n’ai plus
rien à faire à Téhéran. Nous pouvons passer la nuit
ici et repartir demain matin en autobus pour Khorram
Abad. De peur de retourner dans la même auberge et
de revivre l’expérience de la veille, je répondis : « Si
demain tu n’as plus rien à faire à Téhéran, je préfère
que nous rentrions dès cette nuit ».
Il accepta, et nous rentrâmes à Khorram
Abad dans la nuit par l’autobus « TBT ».Là, il me
demanda mes impressions sur ce voyage de deux
11 Aftabkaran :Les semeurs de lumière 12 Mère, mère
162
jours et une nuit effectué ensemble à Téhéran et la
raison pour laquelle je ne voulus pas rester ce soir là.
Je lui dis que je ne m’attendais pas à ce
qu’il m’emmène dans une telle auberge. Il éclata de
rire en me disant : « Tu pensais qu’en te mariant avec
un Ghazi, il t’emmènerait à l’hôtel Hilton ». Puis, il
me dit à ce sujet que pas même un rial de l’argent
que lui et moi possédions ne nous appartenait, mais
était la propriété du peuple et de la révolution et qu’il
fallait tenir compte de cet impératif.
Pour terminer il ajouta : « Cette nuit
même, j’ai compris qu’en allant dans cette auberge,
tu avais été étonnée, mais je l’avais fait à dessein
pour que tu te prépares à la nouvelle vie que nous
mènerons ensemble et qui sera différente de
l’ancienne ». Il me présenta ses excuses pour cette
première nuit et me demanda de l’oublier, alors que
moi, au plus profond de moi-même, je l’admirais de
tout mon être, pour sa conception des choses de « la
vie » et de «la femme ».
Sur le chemin du retour, dès le départ,
nous nous sommes assis l’un à côté de l’autre, et
nous parlâmes jusqu’à l’aube.
163
Au début de notre conversation, il me
parla de ma vie passée et il me demanda pourquoi
j’avais atteint cet âge sans me marier. Je lui racontai
l’histoire de Hamid, de nos jeux de l’époque de
l’enfance, et lui dis que c’était là peut être l’une des
causes. Il dit en plaisantant : « Où est il, cet Hamid,
que j’aille le remercier du fait que, à cause de lui, tu
ne te sois pas mariée » .Nous en rîmes tous les deux.
Il parla ensuite de sa vie passée à lui, du
mariage coûteux et pompeux de son frère et des
autres jeunes de la grande famille des Ghazi, dont les
vêtements de cérémonie devaient avoir été importés
de chez Christian Dior à Paris.
Il me parla aussi des saletés des mollahs
au moment des élections dans la région, auxquelles il
lui avait été un moment demandé de participer et
qu’il avait examiné de près, ainsi que des relations
secrètes entre son oncle, le cheikh Mehdi et la
SAVAK du chah et à quel point ce cheikh impur sera
choqué quand il apprendra la nouvelle du mariage.
Puis il me parla de ce que dirait le reste
de sa famille quand ils seraient au courant de notre
mariage de pauvre et de leur réaction quand ils
164
sauraient qu’il était Modjahed. Ensuite il évoqua
pendant des heures sa vocation de Modjahed et de
fidèle de Massoud, assura que, dans l’ombre des
militants des Modjahedines, nous formerions
certainement le couple le plus heureux de la ville.
Au moment où l’autobus arrivait à Khorram Abad, il
changea de place pour que nous soyons assis à
quelques sièges l’un de l’autre. Il me demanda de
faire un effort pour l’aider en matière de relations
entre mari et femme, et que dans la famille et dans la
ville nous soyons reconnus comme un modèle de
couple de Modjahedines, en faisant peu de cas des
réactionnaires…
Cette même nuit, il fut convenu que je
dise à tous que je m’étais fiancée à Téhéran avec
mon cousin maternel Bijan. C’est ainsi que
commença notre mariage officiel et nous convînmes
entre nous que nous resterions sans enfant pendant au
moins deux ans, après quoi nous verrions l’évolution
de la situation.
Finalement, il en fut ainsi. Comme il
l’avait pressenti, à la fin de cette période de deux ans,
et seulement neuf jours avant la fin de la troisième
165
année de notre mariage, notre mariage et notre vie
commune furent interrompus par son arrestation et sa
condamnation à mort.
Nouvelle période d’activité
Avec ce mariage mon activité s’accrut de façon
considérable. D’autres actions de préparation et de
soutien, d‘impression et de reproduction de la Société
des Jeunes Monothéistes furent officiellement et
entièrement placées sous ma responsabilité et
exécutées par mes chères futures martyres
Massoumeh et Zohreh.
Ali, avec sa maîtrise de la composition,
venait comme avant le mariage au bureau, dans son
atelier pour les travaux d’imprimerie et pendant six
mois, nous nous retrouvâmes en privé cinq ou six
fois pour des rendez-vous que nous nous donnions à
Téhéran.
Ces rendez vous d’un ou deux jours
étaient préparés et nous allions à Téhéran en voiture.
Là, il garait la voiture dans un coin et prenait la
166
grosse moto de son cousin pour sillonner du matin au
soir la ville dans tous les sens.
Il s’occupait de ses affaires, et moi-
même j’essayais de me souvenir que j’étais à
Téhéran, mais pas pour faire des achats dans les
grands magasins ou aller dans les grands cinémas du
nord de la ville pour y voir de bons films mais pour
descendre dans un hôtel qui soit bon marché, car en
réalité, je n’avais pas beaucoup d’argent à dépenser.
En dehors de la somme destinée aux
dépenses courantes et pour le loyer de la maison que
je donnais à ma mère, toutes les traites importantes
que je percevais étaient utilisées pour le frais
d’imprimerie de la Société des Jeunes Monothéistes
de Khorram Abad.
Et ceci pendant toute la période où notre
mariage fut secret. Les affaires courantes de travail
ou les consultations que je demandais à Ali (après la
cessation du mouvement, il devint l’un des
responsables de la Société des Jeunes Monothéistes
et j’eus des relations directes avec lui) se faisaient
par téléphone, ou en cas de besoin, j’allais chez lui en
compagnie de ma mère sous prétexte de rendre
167
visite à la sienne. Chez eux nous avions des
conciliabules en tête à tête.
Six mois plus tard, c'est-à-dire en février
mars 1979, vint le moment des élections de
l’Assemblée nationale islamique. Peu de temps avant
cette date, Taghi Ghazi, le frère aîné d’Ali et moi-
même fûmes candidats sur la même liste pour ces
élections.
168
Chapitre 3
Les élections législatives nationales
En février mars 1979, dans la perspective
des élections des députés de la première Assemblée
Nationale, que le diabolique Khomeiny avait appelée
Assemblée Nationale Islamique, le préfet convoqua
une réunion pour organiser ces élections au niveau de
la province. A l’issue de cette réunion, le mollah
Fakhaladine Mousavi, directeur de l’infâme
parti « de la République Islamique » m’invita à venir
le voir à son bureau car il voulait discuter avec moi
d’un problème très important.
Quand je me rendis à son bureau, je fus
stupéfaite qu’il me proposât d’être candidate aux
élections pour le compte du parti de la République
169
Islamique. Je lui donnai une réponse négative sans
hésiter un instant. Il ne fut pas convaincu et me dit
que si je n’aimais pas le parti, je pouvais être
candidate pour la Société des Femmes. Je refusai de
nouveau et quittai les locaux du parti.
J’étais à la maison le soir, lorsque le
téléphone sonna. C’était Azam Talaghani, qui me
dit : « J’ai entendu dire que vous avez refusé la
candidature du Parti. Mais il faut que vous soyez
candidate pour le compte de la Société des Femmes,
et je lui donnai à elle aussi sur le champ une réponse
négative et lui dis que j’avais déjà suffisamment de
casse tête dans sa Société des Femmes sans m’en
créer de nouveaux en acceptant d’être candidate à la
députation. Je la priai dès lors de bien vouloir
excuser mon refus.
Après cela, j’appelai Ali pour lui parler
de cette affaire, et il me dit que j’avais bien fait.
J’étais satisfaite de n’avoir pas ces nouveaux soucis
et de ne pas participer à ces élections.
Deux ou trois jours plus tard, j’étais au
bureau lorsqu’ Ali m’appela pour me dire : « Il faut
que je te voie en tête à tête pour une affaire
170
urgente. » Le soir, j’allai chez eux et, à l’humeur
joviale d’Ali et aux efforts qu’il prodigua pour rendre
l’ambiance agréable, je compris qu’il s’agissait d’une
affaire sérieuse. Profitant de l’occasion que sa mère
nous donna de rester seuls, Ali s’adressa à moi et me
dit : « Je vais te dire de quoi il s’agit, mais à
condition que tu n’en sois pas inquiète, et que tu ne
dises pas non ». Moi, je ne voulais pas donner mon
accord sans savoir de quelle affaire il s’agissait, je fis
un peu de résistance. Je finis par dire que pour ce qui
concernait la première condition, j’étais d’accord, je
ne serais pas inquiète, mais que pour la seconde,
c’était à moi de dire oui ou non.
Il me dit : « Je sais, madame, que vous
êtes têtue, mais je vous prie de ne pas prendre quatre
mois pour prendre votre décision (allusion au temps
qu’il fallut pour me décider à notre mariage)
Ali continua : « Je te propose de te
présenter aux élections en t’inscrivant en qualité de
candidate indépendante, et plus tard, notre
association déclarera te choisir comme candidate, et
annoncera son soutien à ta candidature ».
171
Je fus troublée, je fis des efforts pour
rester calme et je lui dis : «Tu connais mes difficultés
avec les réactionnaires dans cette province et tu sais
que les luttes et les tiraillements que j’ai déjà eus
avec eux ont souvent été accablants. En me
demandant une chose pareille, la pression qu’ils vont
exercer sur moi va devenir plus forte encore ». Je
continuai de même en disant : « Pour moi qui ai
refusé la proposition du Parti et de la Société des
Femmes, il ne m’est pratiquement pas possible de
faire cette chose là et accepter ta demande
équivaudrait à entrer en guerre ouverte et publique
avec les réactionnaires, ce qui ne m’intéresse pas et
que je ne suis pas en mesure de supporter. »
Je le priai de ne plus insister et de tenir
compte de ma situation. Puis avec l’amertume
d’avoir refusé sa demande, je pris congé de sa mère
et de lui et retournai à la maison.
172
Candidate à l’Assemblée
Cette nuit-là, vers une heure du matin,
j’eus l’impression que quelqu’un donnait des petits
coups à la fenêtre de ma chambre. Je me réveillai en
sursaut et je regardai à l’extérieur en écartant
légèrement le rideau. Je vis alors Ali qui se tenait de
l’autre côté, le moteur de sa motocyclette arrêté. Il
me dit de lui ouvrir la porte.
J’étais choquée de sa venue chez moi à
cette heure de la nuit, j’étais également effrayée à
l’idée que quelqu’un le voie au moment où il entrait
dans la maison ; demain, lui et moi serions le sujet
d’histoires d’amour propagées dans la ville par la
Réaction rétrograde, ce qui me faisait trembler.
D’abord, je lui demandai de s’en aller, mais il ne fut
pas d’accord et il insista pour que je lui ouvre la
porte. A la fin, plutôt que de le laisser être vu
derrière ma fenêtre en pleine nuit, le faire entrer
constituant un pis aller, je fus donc obligée de lui
ouvrir la porte de la maison.
173
Dès qu’il entra dans ma chambre, il
s’excusa d’être venu à l’improviste et de n’avoir pas
tenu les promesses qu’il m’avait faites à ce sujet. Il
continua en disant : « C’est demain à dix heures
qu’expire le délai d’inscription des candidatures et je
désirerais que tu ailles t’inscrire demain à huit heures
du matin ! ».
Très étonnée de son insistance étrange et
inopportune, j’essayai d’abord par des demandes et
des supplications puis avec colère, de le dissuader de
m’engager dans une tâche dont je ne pourrais
assumer toutes les conséquences.
Cette nuit- là, il resta près de moi
jusqu’au matin et me parla de ce que ma candidature
permettrait de résoudre beaucoup de problèmes dans
la ville, de l’importance qu’elle avait et me donna sa
parole que je recevrais l’aide et l’assistance de tous
les militants de son association pour résoudre toutes
les contrariétés qu’elle pouvait entraîner. Puis, avant
le lever du jour et après qu’il eut obtenu mon
assentiment pour que j’aille, à huit heures du matin
m’inscrire à la préfecture de Khorram Abad, il me dit
au revoir et partit.
174
Le lendemain matin, les yeux enflés, je
me rendis à la préfecture et à l’étonnement du préfet
et des assistants, au courant de mon refus définitif de
la proposition d’être leur candidate, présentée par le
Parti et la Société des Femmes, je m’inscrivis en
qualité de candidate indépendante, sans lien avec
aucun groupe ou parti. Après m’être inscrite, j’allai
au bureau où je me mis au travail, mais je n’avais pas
commencé à travailler depuis plus d’une heure que le
téléphone sonna. C’était le docteur Ali qui me
demandait des explications au sujet de mon
inscription.
Moi qui n’avais accepté cette tâche
qu’avec beaucoup de réticences, je fus embarrassée
pour lui donner des explications, et en particulier sur
le motif qu’Ali avait invoqué, à savoir que ma
candidature servait les intérêts du mouvement. Mes
arguments ne parvinrent pas à convaincre le préfet.
Je lui dis : « Je vais venir
immédiatement à la préfecture pour vous donner des
explications en tête à tête ». Je fus étonnée, quand
j’arrivai, de constater qu’il était dans un état de grand
emportement. Je lui demandai ce qui se passait. Il me
175
répondit : »Votre action résulte visiblement d’une
affaire personnelle, et aucun d’entre nous, que ce
soit moi ou d’autres personnes, n’a le droit de s’y
immiscer. Mais vous savez, si le Parti comprend
votre geste, quels troubles vont se produire dans la
ville ». J’insistai sur le fait que je me présentais en
qualité de candidate indépendante, et n’étais celle
d’aucun groupe ou parti .Je finis par le convaincre et
je retournai au bureau.
A partir de ce même jour, la campagne
électorale fut inscrite à l’ordre du jour pour la totalité
des militants Modjaheds de la ville de Khorram
Abad. Ali prit ce jour là dans mon album quelques
photographies de moi pour en faire des affiches
électorales et alla à Téhéran pour en faire préparer
des agrandissements destinés à être imprimés en
posters, qu’il rapporta à Khorram Abad.
A son retour de Téhéran, il entreprit,
chaque nuit jusqu’au matin l’impression clandestine
de ces posters dans l’imprimerie de l’un des
courageux habitants de Khorram Abad, les frais
d’impression étant à la charge de sa famille dont tous
les membres comptaient parmi les commerçants les
176
plus riches de la ville. C’est ainsi qu’Ali devint le
directeur de ma campagne électorale.
C’est avec l’affichage des premiers
posters sur les murs de la ville que commença la
guerre de l’affichage avec la lacération des affiches
entre les jeunes de la ville ainsi que les militants des
associations de jeunes d’une part, et les pasdarans et
les membres du Hezbollah d’autre part. Chaque nuit
des centaines et peut être même des milliers
d’affiches recouvraient les murs de la ville et des
villages, et l’armée des pasdarans avait beaucoup de
mal à les déchirer toutes.
Avec le début de notre campagne
électorale commencèrent les attaques et les voies de
fait à l’encontre des jeunes colleurs d’affiches, tandis
que le soutien de la population ne faisait que croître
au fil des jours.
Ces affrontements, et ces bagarres
devinrent si fréquents et généralisés que, même
après vingt et quelques années, ceux qui prirent
part, à un titre ou à un autre, à cette campagne ne les
ont pas oubliés. Moi même, lorsque je rencontre des
habitants de Khorram Abad, ils me parlent souvent
177
du déroulement de la campagne des législatives, des
collages d’affiches et des coups reçus des hommes de
main des réactionnaires .En raison de la persévérance
et du dévouement des militants héroïques des
Modjahedines, il n’y avait pratiquement pas un mur
qui n’ait eu son poster, soit intact, soit déchiré.
Par ailleurs, moins d’une journée après le
début de notre campagne électorale active, celle de la
Réaction, dirigée contre nous, commença également.
Ce fut d’abord une photographie de moi sans voile,
datant de l’époque où j’étais déléguée des
enseignants locaux et assistais, à ce titre, aux
cérémonies du 7 février (jour commémoratif du
dévoilement des femmes par le chah Reza. Agrandie,
elle apparut sur tous les murs de la ville et me
présentait en tant que candidate adversaire de la
révolution islamique.
Peu après cette première réaction, de
brèves attaques épisodiques commencèrent à se
produire contre le siège de mon état major de
campagne, situé dans un petit édifice de deux étages,
dans la rue du 6 Bahman.
178
Une femme nue à l’affiche
Quelques jours avant la date des
élections, j’entendis au milieu de la nuit le bruit de la
motocyclette d’Ali, je me levai en hâte pour lui
demander d’arrêter son moteur et je lui ouvris
rapidement la porte pour que les voisins ne le
remarquent pas. Ali entra, les mains toutes noires
d’encre. Il était patent qu’il était venu rapidement et
directement chez moi depuis son imprimerie.
Je lui demandai, peu rassurée, ce qui se
passait, et pourquoi il était venu à cette heure de la
nuit et de plus avec sa motocyclette. Cette fois,
contrairement à son habitude, il resta silencieux et ne
fit que me regarder.
Je le fixai des yeux. Bien qu’il fasse des
efforts pour rester calme, je lisais clairement
l’inquiétude dans son regard. Finalement, il dit d’une
179
voix posée : « Je sais que je viens à un moment
inopportun, j’étais tellement pressé que je n’ai pas
pris le temps de retourner chercher ma voiture et je
suis venu ici avec ma motocyclette. Je vais te dire
quelque chose, mais je te demande d’abord d’être
logique, de bien réfléchir, de ne pas t’inquiéter, de ne
pas dire que c’est de ma faute et que tu ne voulais pas
être candidate ».
Avec une telle préparation du terrain, je
pouvais deviner que des évènements très déplaisants
étaient arrivés.
Il continua ainsi : « Je me trouvais dans
l’imprimerie, lorsque le responsable m’appela pour
me dire que l’après midi même Seyed Fakhralladine
Mousavi, le directeur du Parti de la République, lui
avait apporté un poster à imprimer, qu’il ne l’avait
pas mis sous presse pour me le montrer. Et alors il
me le montra ».
Après une courte pause, Ali me
demanda : « Tu sais de quelle affiche il s’agit ? » Je
lui répondis non. Il me dit : « Il s’agit de ton visage
sur le corps d’une femme entièrement nue. C’est un
montage qu’ils ont fait pour l’imprimer et le coller
180
demain sur tous les murs de la ville et je suis venu
t’en informer immédiatement pour que tu y sois
préparée ». »
Je fus troublée par tant de bassesse de la
part des mollahs et par les moyens sordides mis en
oeuvre par eux. J’étais également inquiète et
préoccupée par l’état dans lequel serait ma mère
lorsqu’elle entendrait parler de cette affaire ou
qu’elle verrait les posters.
Je fis part à Ali de mes inquiétudes pour
ma mère, et continuai en lui disant qu’en ce qui me
concernait, il n’y avait vraiment pas lieu de
s’inquiéter car toute la population de la ville me
connaissait depuis ma naissance et savait, bien que je
ne porte jamais le voile,que je ne suis jamais une
seule fois allée à la mer, car je n’aime pas m’exhiber,
que c’est eux qui, par leur acte ignoble allaient se
déshonorer, et qu’il était donc inutile qu’il s’inquiète
pour moi.
Il respira plus librement, son visage
s’éclaira et il dit en plaisantant : » Je savais que tu
étais sage, mais je ne me serais jamais imaginé que
181
ce fût à ce point ». Puis, il me conseilla en hâte de
bien prendre garde à moi, dit au revoir et partit.
Le lendemain matin, je n’allai pas au
bureau comme d’habitude, je donnai à ma mère
toutes les explications nécessaires en ce qui
concernait le poster pour que cette affaire ne la
traumatise pas, puis je me rendis auprès de la mère
d ‘Ali, et lui demandai, à elle qui était la seule femme
à souvent porter la burka dans la ville, de me prêter
une burka noire car j’avais quelques contrôles à
effectuer en ville, et de rester à la maison jusqu’à
mon retour. Puis je m’en revêtis et sortis sur la place
principale de la ville.
En plusieurs endroits, parmi lesquels le
Carrefour des Banques, qui se trouvait derrière la
maison d’Ali, le poster avait été collé. Sur ce poster,
il y avait l’une des photographies de mon visage,
tirée de mes affiches de campagne, sur laquelle le col
de ma veste était accidentellement resté,
maladroitement montée sur le corps d’une femme
nue.
Sur la place des Martyrs, l’un des
endroits les plus animés de la ville, des gens étaient
182
attroupés près de l’un de ces posters. Je m’approchai
et demandai ce qui se passait. Les gens, qui ne
pouvaient pas me reconnaître avec mon visage voilé,
me dirent que des impies avaient fait imprimer puis
apposer la photographie d’une candidate, une femme
honorable, et connue dans toute la ville pour sa
pudeur, que c’était une indignité de leur part, et tout
le monde, quelle que soit sa croyance ou sa religion,
en était dégoûté.
Je me rendis en d’autres endroits, au
voisinage d’autres posters, et sans être reconnue, je
demandai l’avis de la population, et tous attribuèrent
sans émettre le moindre doute la paternité de cette
atteinte aux bonnes moeurs au Parti de la
République, qu’en bons habitants du Lorestan, nous
maudîmes tous.
Mais ce qui fut intéressant, c’est que
certaines personnes, en raison du port de la burka, me
confondirent avec la mère d’Ali, et ne pouvant
connaître nos liens de parenté, se plaignirent auprès
d’elle de ce que les mollahs ne soient pas de bons
musulmans proférèrent des injures à l’encontre du
cheikh Mehdi et lui demandèrent, en sa qualité de
183
femme ayant une grande influence dans la ville, étant
même la femme du frère du cheikh Mehdi, de faire
quelque chose pour prévenir de telles indécences de
la part de la Réaction, et je ne pus leur répondre que
par mon silence, car je n’avais rien à ajouter à leurs
paroles.
Après cette promenade en ville, rassurée
sur la réaction de la population, je revins chez la
mère d’Ali, lui racontai mon expédition, et nous en
rîmes bien toutes les deux. Ali, rentré de l’imprimerie
était couché. Il fut réveillé par le bruit de nos rires. Il
vint me voir et en entendant le récit de mon aventure,
il rit bien lui aussi. Peu après, je pris le chemin du
bureau pour me rendre à mon travail.
Ce jour là, du matin jusqu’au soir, le
téléphone n’arrêta pas de sonner et tous ceux qui
avaient vu le poster ou en avaient entendu parler
m’appelèrent pour injurier le parti de la République
et les mollahs, et chacun essaya de me consoler et
m’assura qu’après cela la population me réserverait
encore plus de suffrages.
Le soir quand je rentrai à la maison, ma
mère était très fâchée de l’affaire du poster et elle me
184
dit : « Jusqu’à présent tu avais fait de ta poitrine un
bouclier contre les balles de la Garde du Chah, et
c’était bien. Maintenant que les mollahs sont entrés
en lice, c’est beaucoup moins bon et ils vont te faire
des misères. » C’est à ce moment qu’Ali arriva, à
mon étonnement et à celui de ma mère.
C’était la première fois depuis les six
mois qui s’étaient écoulés depuis notre mariage
secret qu’il venait à la maison à cette heure de la
journée. Il dit : » J’étais inquiet pour maman, et c’est
pour dissiper son inquiétude que je suis passé chez
vous.
Ali, ayant compris quel était le sujet de
conversation entre ma mère et moi, me fit
discrètement signe de laisser tomber et de lui laisser
prendre la chose en main. Je me sentais
nerveusement très fatiguée par les évènements de la
journée. J’allai dans ma chambre pour y prendre un
peu de repos, et les laissai seuls.
.Lorsque je m’éveillai, Ali était parti,
après avoir apparemment convaincu ma mère que les
dégâts dans cette affaire seraient plus importants
pour les mollahs que pour moi.
185
Le soulèvement populaire.
Les posters écoeurants que le Parti de la
République des mollahs avait fait imprimer pour me
desservir furent immédiatement lacérés et ramassés
par la population, et les réactionnaires, ayant obtenu
dans cette opération le résultat inverse de celui qu’ils
recherchaient, ne la prolongèrent pas.
Après la diffusion de ce poster, les
militants et les forces de jeunes gens intensifièrent la
publicité de leur campagne. Les jeunes de
l’association des Jeunes Monothéistes de Khorram
Abad publièrent un communiqué annonçant qu’ils
me déclaraient officiellement candidate de leur
association, et la population et tous les amoureux de
la liberté, ainsi que les sympathisants des
Modjahedines m’apportèrent leur soutien.
Après ces communiqués et ces
déclarations, je reçus journellement des dizaines de
186
témoignages de soutien et de solidarité de la part de
diverses administrations, d’écoles, de syndicats,
provenant des différentes couches de la société de
toute la ville et des villages voisins de Khorram
Abad.
Cela étant, la fièvre des élections se
propagea bientôt dans toute la ville. Les affiches en
couleur, de qualité impeccable, imprimées par Ali et
son équipe dans une imprimerie souterraine
clandestine installée dans Khorram Abad même,
étaient aussitôt largement affichées de sorte que
l’armée des mercenaires de la Réaction se trouvait
complètement dépassée.
Ils étaient convaincus que nous ne
pouvions obtenir des posters de cette qualité qu’en
provenance de Téhéran, et tous les camions et les
camionnettes étaient contrôlés aux portes de la ville
pour les rechercher et les saisir.
L’armée des pasdarans et les militants
des mollahs, se rendaient ridicules aux yeux de la
population par cette recherche idiote dans les
véhicules, et les gens plaisantaient entre eux en
disant qu’en recherchant du papier, les pasdarans
187
pourraient laisser passer les armes et des substances
narcotiques.
En fin de compte un communiqué de
l’Association des Jeunes Monothéistes, témoignant
son soutien à tous les candidats indépendants de la
province, y compris ceux de Khorram Abad, fut
diffusé.
Quelques heures après cette diffusion le
préfet m’appela et j’allai à la préfecture. Dès que
j’entrai dans le cabinet du préfet, je compris à la
composition du tour de table que la situation était
grave. Il y avait les chefs de l’armée des pasdarans,
du parti, les sous préfets et le préfet, et aussi le
directeur de la police, assis côte à côte et ayant
apparemment tenu en dehors de ma présence une
réunion du conseil de la Province.
Je pris place calmement dans un coin de
la salle, et demandai à voix basse à la personne qui se
trouvait à côté de moi, qui était l’un des assistants du
préfet : « Quel est l’ordre du jour de la réunion ? ».
Il me répondit, avec un sourire significatif : « Vous ».
Je ne compris pas quel était son but. Etonnée, je
dis : « Moi ? » Il me répondit : » Oui, Madame ».
188
Par ailleurs, lorsque j’entrai dans la salle,
j’avais fait l’objet d’un regard hostile des chefs de la
Réaction. Je comprenais maintenant qu’il aurait fallu
que je sois préparée plus que je ne l’étais avant de
venir à cette réunion, et que je me cuirasse.
.En voyant cette mise en scène je pris
courage, en me disant qu’il n’y avait pas plus noir
que le noir, et qu’ils ne pouvaient rien faire de plus
contre moi que ce qu’ils m’avaient déjà fait à ce jour.
Je demandai à voix basse à l’adjoint du préfet : « De
quoi s’agit il ? Qu’ai je fait pour être le sujet d’une
réunion ? » Il me répondit : « Vous n’avez rien fait.
La déclaration des Modjahedines les a complètement
affolés. Ils ont exercé une pression sur le préfet pour
le convaincre de vous faire donner un démenti. Au
début, le docteur Ali a opposé une résistance, mais à
la fin il leur a dit : Je vais la convoquer moi même,
mais ce sera vous qui le lui demanderez ».
La courte conversation murmurée avec
l’adjoint du préfet, me permit de reprendre les choses
en main et je comprenais maintenant que l’affaire
était pire encore que je ne l’avais imaginée. Il fallait
que je me tienne prête à leur résister.
189
Enfin le préfet ouvrit la séance et dit : »
Madame A...vous voilà en personne, vous allez
pouvoir donner votre point de vue à ces messieurs ».
Seyed Fakhralladine, maintenant exécuté,
sans même me lancer un coup d’oeil, prit la parole
avec l’intonation écoeurante des mollahs et
dit : « Madame A..., étant donné que les
Modjahedines n’ont pas donné leur voix à la loi
constitutive et que de ce fait même leur candidat à la
Présidence de la République a été écarté par l’Imam
Khomeiny en personne, maintenant que
l’organisation des Modjahedines vous a accordé son
soutien, vous êtes en réalité devenue leur candidate.
Vous n’avez donc plus le droit de devenir députée.
Vous ne pouvez maintenir votre candidature à ces
élections que si vous faites une déclaration écrite
disant que vous n’avez aucun lien avec les
Modjahedines et que vous renoncez à obtenir leurs
voix ».
Dans ma réponse j’essayai de réfuter le
premier point de leur requête, disant que je n’étais
pas apparentée avec les Modjahedines, et soutenant
que j’étais officiellement et légalement inscrite en
190
qualité de candidate indépendante. Les documents
attestant cette inscription se trouvaient d’ailleurs
entre les mains de Monsieur le préfet.
Mais pour ce qui concerne la seconde
partie de la requête, relative aux voix des
sympathisants Modjahedines, je ne voulus pas m’en
mêler, et lui répondis : « Aucune personne
raisonnable ne ferait une chose pareille. Dans toutes
les élections, les candidats sont à la recherche du
maximum de voix. Moi même, je ne pouvais faire la
folie de conseiller aux électeurs de ne pas voter pour
moi ».
Ensuite, je donnai la liste des
administrations, écoles, ateliers et organisations,
choisies dans différentes couches de la population,
m’ayant accordé leur soutien et demandai pourquoi,
parmi tant de déclarations de soutien, une seule était
montrée du doigt.
Dans leur réponse, les représentants de la
Réaction ne cédèrent pas d’un pouce et maintinrent
leurs revendications. Mais, dans la mesure où mes
paroles étaient raisonnables et logiques, ils se
trouvaient bloqués et ne pouvaient que proférer des
191
menaces quant à la façon dont se solderait cette
affaire. La réunion se termina donc sans résultat
apparent.
Après le départ des réactionnaires,
quelques uns des directeurs administratifs me
félicitèrent pour les excellentes réponses que j’avais
données et pour la façon dont j’avais remis les
mollahs à leur place.
Puis j’eus une conversation avec le
docteur Ali, dont je savais qu’il subissait des
pressions importantes à mon sujet, et je lui
demandai : « Que feriez vous si vous étiez à ma
place ? »
Le docteur me répondit : « D’abord je
remercie Dieu de n’être pas à votre place, et ensuite,
avec cette affaire, vous vous rendez malheureuse, et
nous aussi, car ils sont convaincus que vous êtes une
sympathisante des Modjahedines. Ils ne resteront pas
longtemps les bras croisés et ne vous laisseront pas
aller à l’Assemblée, où vous constitueriez une gêne
permanente pour eux. Ils mettront certainement en
oeuvre tout ce qu’ils pourront pour que vous soyez
écartée de ces élections ».
192
Attaques contre le quartier général de
campagne.
Quelques heures après la réunion à la préfecture, vers
deux ou trois heures de l’après midi, les bastonneurs
et les voyous de Hezbollah procédèrent à une attaque
sauvage contre le siège de notre campagne électorale.
En même temps que celle du siège de
notre campagne, des attaques portées par les
mercenaires de la Réaction se produisirent dans la
ville contre les centres de vente des publications de la
société des Jeunes Monothéistes, sympathisants de
Modjahedines.
Par ailleurs, les sympathisants
Modjahedines et les familles des Modjahedines du
quartier général de campagne et des autres centres
avaient eux mêmes procédé à l’encerclement du
quartier général, pour ne pas y laisser entrer les
forces de la Réaction auxquelles ils faisaient front,
évidemment à mains nues. L’inspection par les
pasdarans des moyens de transport aux portes de la
193
ville dans le but de trouver nos affiches électorales se
poursuivait et avait même été renforcée.
En ces jours là, la situation de la ville
était telle que l’on aurait pu croire qu’elle avait été
attaquée par un ennemi extérieur. Le visage excité et
inquiet des habitants laissait présager qu’à l’instant
même ou les jours suivants des incidents très durs se
produiraient.
Chaque jour, la jolie ville de Khorram
Abad s’enfonçait un peu plus dans la fièvre et le
chaos, il n’y avait presque aucune maison, bureau,
centre des militants Modjahedines qui n’ait fait
l’objet d’attaques de la part des mercenaires porteurs
de gourdins.
Chaque jour, le nombre de blessés et des
prisonniers parmi les jeunes de l’organisation des
militants des Modjahedines ne faisait que croître. Les
rassemblements des parents et alliés en colère avaient
lieu devant les lieux des oppressions et les hôpitaux.
Dans tous les coins de la ville, l’insécurité s’était
installée. i Vraiment, quels étaient la faute ou le délit
des jeunes gens capturés ou blessés ?
194
Cette colère et cette fièvre ne faisaient
que s’accroître parmi ceux qui, chaque jour,
prenaient les coups, étaient blessés ou estropiés par
les voyous de la Réaction ou étaient arrêtés par
l’armée des pasdarans. Et aussi parmi les jeunes
sympathisants des Modjahedines, dont le seul crime
était de coller des affiches électorales sans jamais
porter la main sur un membre du Hezbollah ou sur un
pasdar, alors que ceux-ci les attaquaient avec
sauvagerie.
Devant l’intensité croissante de ces
attaques, la population se demandait ce que ces
voyous agressifs et ces pasdarans recherchaient en
réalité en cassant les bras les jambes et la tête et en
foulant aux pieds l’honneur de tous, hommes et
femmes, jeunes et vieux, dans toutes les ruelles et les
rues, et en les y abandonnant ensanglantés.
Finalement, les familles des blessés et de
ceux qui avaient été arrêtés, pour s’opposer à ces
actes barbares et obtenir réponse à leur question,
participèrent à des « sit in » organisés devant le
palais de justice de Khorram Abad.
195
Pendant tous ces jours là, je passais tout
mon temps à assister aux « sit in », à faire des visites
aux blessés et à écouter leurs plaintes et les
lamentations que poussaient les familles des
personnes interpellées.
Vers le soir, alors que je rentrais à la
maison après l’attaque de mon quartier général de
campagne, le téléphone sonna. Je répondis et l’un de
mes amis m’informa d’une nouvelle attaque de ce
quartier général.
Je m’y rendis en hâte, et lorsque j’y
parvins, les jeunes sympathisants Modjahedines et
leurs familles avaient chassé les agresseurs hors du
bureau et les avaient repoussés en dehors du quartier.
Ceux qui par leurs rangs serrés avaient
constitué un mur pour la protection de l’état major de
campagne, me dirent leur enthousiasme et le
sentiment de leur responsabilité dès qu’ils me virent.
Ils voulurent rester sur place jusqu’au matin pour
assurer la protection des locaux de campagne.
J’essayai de les disperser et de les
renvoyer dans leurs foyers et je restai sur les lieux.
196
Ce n’est qu’après le départ de tous de ce point chaud
que je rentrai chez moi à pied.
Peu après que j’aie quitté cet endroit, un
taxi s’arrêta à mes côtés. Le chauffeur, que je ne
connaissais pas, me déclara avec inquiétude que les
pasdarans qu’il appelait les chiens enragés des
mollahs, étaient disséminés dans toute la ville et
insista pour que je monte dans son taxi.
Il exprima sa compassion pour moi, et sa
désolation pour tant de désastres provoqués dans la
ville par les porteurs de matraques de la Réaction. Je
le remerciai pour sa charité et sa considération. Je lui
dis : « Si seulement c’était moi qu’ils frappaient ou
qu’ils arrêtaient plutôt que des jeunes qui ne font que
coller des affiches sur les murs, si seulement il n’y
avait pas d’attaques, d’arrestations ni de tortures
pour les jeunes gens du peuple ».
Ce compatriote honorable me dit avec un
sourire amer : «Madame A… n’ayez aucune hâte,
certainement votre tour viendra. Le chemin que ces
criminels ont initié n’a pas de fin et vous pouvez être
certaine qu’un jour, quand ils auront opprimé ceux
197
qui ne sont pas de leur bord, ils se battront entre
eux »
Pendant le trajet, cet honorable
concitoyen et moi avons parlé de beaucoup de
choses, des dures conditions que les réactionnaires
imposaient, et sur l’avenir plus dur encore pour les
amoureux de la liberté.
Je rentrai enfin à la maison. Ma mère,
qui était très inquiète pour ma santé, avait appelé Ali
peu après mon départ. Elle lui avait dit que j’étais
sortie seule de la maison pour aller sur le lieu d’un
affrontement.
Peu de temps après Ali, qui m’avait
cherchée partout et ne m’avait pas trouvée, était venu
à la maison, effrayé et le visage tout enflammé de
colère.
Depuis les six derniers mois, c’était la
première fois que je le voyais en colère. Sans lui en
demander la raison, je lui fis remarquer qu’il était
venu à la maison le soir et que si les pasdarans
envahissaient les lieux ils le trouveraient. Toute notre
affaire serait alors fichue.
198
Il était sérieusement irrité contre moi, et
dit : « Au diable qu’ils me voient, pourquoi sors tu
seule de la maison ? Ne connais tu pas la situation
dans la ville, et ne sais tu pas que des troupeaux de
pasdarans et de miliciens ont envahi tous les lieux ?
S’ils t’avaient interpellée, qu’aurions nous pu
faire ? »
J’avais déjà pu me rendre compte que sa
colère était simplement motivée par ce que j’avais
fait. Je lui dis que j’étais allée sur les lieux d’une
échauffourée, dans le but d’éviter une effusion de
sang. J’avais dispersé les gens en les renvoyant dans
leurs foyers, car il n’était pas certain qu’avec la
tombée de la nuit, des malheurs ne s’abattent pas sur
eux.
Ali essayait de se contrôler. Il me parla
de ne plus prendre ce genre de risques à l’avenir. En
définitive, je parvins à le calmer, et il obtint de moi la
promesse que le lendemain, je ne ferais pas d’allées
et venues sans un chauffeur, puis il partit. Cette nuit
là se passa sans nouvelles attaques de la part des
réactionnaires.
199
Le lendemain matin, moi qui préférais
toujours me rendre à pied à mon bureau, utilisant très
peu les services du chauffeur de mon administration
pour mes petits déplacements, conformément à la
parole que j’avais donnée à Ali, j’appelai ce
chauffeur pour me conduire sur mon lieu de travail.
Vers onze heures du matin, j’étais
occupée à travailler quand le téléphone sonna pour
m’annoncer une nouvelle attaque contre le quartier
général de ma campagne. Mais cette fois les voyous
étaient armés et bénéficiaient du soutien officiel et
ostensible de l’armée. Quelques uns des agresseurs
avaient même encerclé le bureau et avaient
l’intention d’y mettre le feu. Après avoir pris
connaissance de cette nouvelle, je pris contact avec le
commissaire de police de la ville, et quelques
fonctionnaires de police honorables du commissariat
et leur demandai leur aide.
Une équipe de policiers du commissariat
vint me prendre, dans quelques Jeep, et nous nous
rendîmes ensemble sur les lieux. Entourée de ces
fonctionnaires de police, je m’ouvris un chemin à
travers le cercle des assaillants, qui pour la plupart
200
ne connaissaient pas mon visage, jusqu’au point
même de l’affrontement, et nous parvînmes ainsi
jusqu’au bâtiment de mon quartier général.
De celui ci, un édifice de deux étages, il
ne restait que des ruines, tous les équipements ayant
été pillés et anéantis. L’armée empêchait la
population de s’approcher du bâtiment pour que les
voyous du Hezbollah puissent continuer à perpétrer
leurs crimes et tiraient à cet effet par intervalles des
coups de feu en l’air.
Sept jeunes filles qui, au moment de
l’assaut des agresseurs, avaient trouvé refuge dans le
bâtiment et étaient montées au second étage, se
trouvaient elles aussi encerclées. Les hommes du
Hezbollah répandaient de l’essence pour mettre le
feu à l’édifice.
Les agents de police du commissariat
réussirent, avec l’aide de la population qui, nous
voyant nous frayer un passage dans les rangs de
pasdarans, nous accompagna jusqu’à proximité du
bâtiment, et à sortir les lycéennes de leur situation
dangereuse .Au rez de chaussée, quelques uns des
201
assaillants attaquaient un homme allongé à la
matraque et au couteau. Ils manifestaient l’intention
de le tuer et lui criaient : « C’est toi qui es
responsable des troubles ». Pour le sauver, deux des
agents de police du commissariat et moi même
essayâmes de le sortir des mains de ces
réactionnaires féroces, et nous parvînmes jusqu’à lui.
Nous vîmes alors Ali ensanglanté, que les hommes
de main piétinaient et bourraient de coups de
gourdin.
A ce moment là, l’un des pasdarans me
reconnut, et signala ma présence aux autres
agresseurs qui se dirigèrent vers moi pour m’assaillir,
et finalement, les agents de police et moi même
emmenâmes en toute hâte, et avec beaucoup de
peine, le corps couvert de sang et à demi mort et le
plaçâmes dans une des Jeep. Pendant que la voiture
s’éloignait, et tant que nous ne fûmes pas
suffisamment éloignés, les pasdarans continuèrent
de nous suivre et de nous prendre pour cible de leurs
jets de pierres.
A mi chemin, une grosse pierre passa à
travers la vitre avant de la voiture, atteignant le
202
conducteur au front. Celui ci fut étourdi et hors d’état
de conduire. Il fallut faire un arrêt. L’un des agents
de police honorables escortant notre voiture, avertit
immédiatement le commissariat de police par radio
pour qu’une ambulance vienne recueillir le
conducteur blessé. Puis il nous emmena, Ali et moi,
dans sa propre voiture.
Pendant que nous roulions, l’un d’eux
me demanda où il pouvait me déposer pour que nous
soyons en sécurité. Je lui répondis que pour examiner
les blessures de monsieur Ghazi et lui faire les
pansements nécessaires, il fallait que nous allions à
l’hôpital.
Ali était maintenant à bout de forces mais
pouvait encore parler et intelligemment il s’y opposa
et il me dit très officiellement : » Non, Madame A. Je
n’ai heureusement que des blessures superficielles, et
aller à l’hôpital est dangereux à la fois pour vous et
pour moi, car les phalangistes, pour se saisir de moi,
attaqueront certainement l’hôpital ». Les agents de
police qui étaient avec nous approuvèrent ses paroles.
203
Je m’étais rendue compte que l’hôpital
était effectivement dangereux pour Ali et pour moi,
et par ailleurs, je ne disposais d’aucun endroit sûr
dans la ville où je puisse laisser Ali seul. Je
demandai que l’on nous emmène à la Préfecture de
Police. Le chauffeur de la voiture nous y conduisit à
toute vitesse.
A peine avions nous franchi le seuil, que
le chef de la police fut informé par radio que les gens
du Hezbollah nous avait suivis et se préparaient à
porter une attaque contre la préfecture de police. Un
moment plus tard, les agresseurs s’abattirent comme
des criquets ou des fourmis sur les murs de l’hôtel de
police en poussant des cris : « Il faut que vous nous
remettiez ces deux « hypocrites » que vous avez
amenés ici. »
L’un des agents nous fit entrer en hâte,
Ali et moi, dans le central de communications radio
de la Préfecture de Police, dont l’entrée est interdite
et la porte blindée et codée. Il me dit : »Ils ne
peuvent ouvrir la porte de ce local. Restez y tant
qu’ils seront là ». Puis il nous laissa seuls, Ali et moi,
et partit.
204
Ali, sans prêter attention aux blessures
qu’il avait reçues, me demanda un mouchoir et
essuya le sang qu’il avait sur son visage, et me
remerciait sans arrêt de lui avoir sauvé la vie, me
disant : « Je m’étais préparé à mourir en martyr, si tu
étais arrivée quelques minutes plus tard, ils
m’auraient certainement tué ».
Il était dans un état physique très sérieux,
mais il riait quand même, et racontait que ceux du
Hezbollah le frappaient en disant : » Tu es avec cette
femme seule et sans maître, que fais tu avec elle ?
Pourquoi jour et nuit fais tu en plus de la publicité
pour elle ? Et j ‘avais envie de leur crier : Idiots, cette
femme n’a pas besoin de maître, c’est vous qui
historiquement auriez besoin d’en avoir un. »
Moi même je lui racontai que lorsque je
me plaçai en bouclier devant son corps pour qu’il ne
reçoive pas de coups ils m’avaient reconnue, et
m ‘avaient tenu le même discours. Ils m’avaient
menacée et m’avaient dit : » Va t’en, ça ne te regarde
pas. Tu n’as donc pas de mari que tu te sacrifies pour
cet hypocrite ? »
205
Pendant le temps où nous restâmes dans
ce local nous récapitulâmes tous les incidents qui
s’étaient produits, Ali avait le moral et disait en
riant : « D’abord, je fus très heureux qu’ils ne t’aient
pas arrête, car je désirais que tu restes à l’écart de
cette affaire. Je craignais en effet que mise au
courant tu viennes, qu’ils te capturent ou qu’ils te
fassent subir des sévices. Mais dès l’instant où je
t’aperçus dans un cercle d’agents de la préfecture de
police et que je vis que tu intimidais ceux du
Hezbollah, je fus très satisfait de te voir jouer ce
rôle ».
Annonce publique du mariage
Je ne sais pas le temps qui s’écoula avant que l’un
des agents de la préfecture de police n’ouvre la porte
et nous informe que les agresseurs avaient tous quitté
les lieux sans nous trouver . « Nous leur avons dit
que vous étiez allés à l’hôpital, et ils sont partis dans
cette direction. Vous pouvez maintenant sortir de
cette pièce. »
Cet agent de police honorable, qui ne
nous connaissait pas du tout, nous dirigea vers sa
206
propre chambre, et commanda un repas pour nous
.Pendant que nous prenions ce repas, il s’adressa à
Ali en ces termes : » Monsieur Ghazi, quel genre de
relations entretenez vous avec Madame A .En réalité,
ils voulaient vous tuer à cause d’elle, et il était
notoire qu’ils éprouvaient beaucoup de haine pour
vous. »
Ali lui expliqua que depuis peu, c’est lui
qui s’occupait de la publicité de ma campagne
électorale, et que c’était ce qui les mettait en colère.
Puis il me jeta un regard et se tut. Pendant un
moment j’eus le sentiment qu’il aurait aimé pouvoir
dire : » Cette dame est ma femme » Mais c’était
comme si ma présence l’empêchait de le faire.
Pendant quelques secondes, je pensai à ce que
j’allais dire au sujet de cette affaire. Dans les
conditions nouvelles qui venaient de se présenter, Ali
s’était trouvé dans une situation très dangereuse et
que si ma propre popularité ne l’avait protégé, ils
l’auraient tué.
En pensant à cela, j’en arrivai
rapidement à la conclusion qu’il me fallait annoncer
publiquement notre mariage. D’un côté cette annonce
207
entraverait le régime dans ses actions de persécution
et de harcèlement d’Ali. Par ailleurs je serais plus à
même de le soutenir en qualité d’épouse qu’en tant
que sympathisante des Modjahedines.
Je décidai sur le champ de rendre
publique l’annonce de notre mariage, d’autant plus
qu’un militant m’avait dénoncé à la Réaction comme
étant Modjahed. De ce fait, je n’avais plus rien à
cacher.
Finalement, je m’adressai à ce policier et
lui dis : « Certainement, Monsieur Ghazi est le
directeur de ma campagne électorale, mais il est
aussi en même temps mon mari. Lorsque j’eus dit
cette phrase, je vis un éclair de contentement et de
satisfaction étrange dans les yeux d’Ali, et il me
remercia d’un regard et d’un sourire.
Nous prîmes le déjeuner, puis on nous
ramena à la maison d’Ali. Celui ci, qui était
grièvement blessé, se mit au lit. Je le confiai à sa
mère à qui je recommandai d’appeler un médecin,
car je craignais, si je l’emmenai à l’hôpital, que les
manieurs de matraques n’aillent le subtiliser et ne lui
fassent subir des sévices et des tortures.
208
Ali, dès son entrée dans la maison
rapporta à sa mère la nouvelle de l’annonce publique
de notre mariage que j’avais faite à la préfecture de
police et sa mère manifesta son bonheur en disant
qu’il s’agissait d’une communication que j’avais
faite de façon opportune.
Après en avoir terminé avec les
recommandations nécessaires pour que la mère d’Ali
puisse s’occuper de lui, je retournai en toute hâte sur
le lieu de l’affrontement. Le quartier général avait été
complètement anéanti. Un grand nombre de
personnes, déjà au courant de l’attaque des
mercenaires du régime, était venu voir les lieux où
avait eu lieu l’affrontement et le bâtiment détruit. De
là je me rendis à l’hôpital, où se trouvaient beaucoup
de jeunes de la ville, pour la plupart membres des
Modjahedines blessés à coups de couteau ou de
gourdin. Parmi ces blessés, il y avait un jeune
étudiant s’appelant Ibrahim Ahmadi, victime de
coups sur le crâne et se trouvant dans le coma. Sa
situation était des plus préoccupantes. Le jour même,
les Modjahedines le firent transférer à Téhéran et le
sauvèrent d’une mort certaine.
209
Le valeureux Modjahed Ibrahim Ahmadi,
qui s’était ensuite marié et avait un enfant en bas âge
fut deux ans plus tard l’un des héros qui se battirent
contre les pasdarans dans un village du Lorestan et
mourut en martyr en même temps qu’un autre héros,
Djafar Hidari. Que leur mémoire reste vivante !
Réactions de la ville à la nouvelle de mon
mariage
La divulgation de mon mariage avec Ali
Akbar Ghazi au moment de sa libération de prison fit
rapidement le tour de la ville, et suscita des réactions
très différentes. Les réactionnaires de la ville et leurs
complices furent extrêmement stupéfaits et étourdis
par cette nouvelle et essayèrent dès le début de
polluer l’ambiance en diffusant des nouvelles
immorales sur Ali et sur moi.
Après notre mariage officiel, nous avions
confié l’original de l’acte officiel du contrat de
mariage à la mère de Ali.
210
Après l’annonce de notre mariage, la
mère de Ali montra ce contrat, daté de six mois,
c'est-à-dire de Chahrivar 135813 à ses deux filles,
dont l’une était la belle sœur de Taheri Khoram
Abadi, le représentant de Khomeiny dans l’armée, et
l’autre la belle fille du cheik Mehdi Ghazi. .Les maris
de ces deux sœurs d’Ali comptaient parmi les
dirigeants du régime à Khorram Abad et à Qom, et
les rétrogrades, en voyant l’acte officiel daté de plus
de six mois, en conclurent finalement qu’ils ne
pouvaient parvenir à leurs objectifs de souillure en
propageant des rumeurs obscènes, abandonnèrent
cette méthode et gardèrent le silence.
Les partisans des Modjahedines de la
ville manifestèrent tous leur joie à l’annonce de ce
mariage.
Mes amis, et les Modjahedines actifs et
militants, dont certains, avant d’avoir appris la
nouvelle me reprochaient mon engagement
insuffisant et mon absence dans les réunions
publiques des Modjahedines, se rapprochèrent de
moi pour me féliciter et me demander pardon.
13 Chahrivar 1358 : Septembre 1979
211
Mais dans tout cela ce fut la réaction du
personnel de la Société des Femmes qui fut la plus
intéressante. Ceux qui avaient eu l’occasion de faire
connaissance de Ali au cours de ses allées et venues
au bureau pour ses travaux de publication, furent à la
fois surpris et très ravis, et lorsque Ali, après sa
libération, y vint directement de la prison, ils
bouleversèrent complètement l’ambiance du bureau.
Dès son arrivée, les dames,
conformément à la tradition du Lorestan, se mirent à
crier de joie et les messieurs à applaudir pour
l’accueillir, et me firent son éloge en me présentant
leurs félicitations.
En me félicitant, l’un des employés me
dit : »La population de Khorram Abad dit que la
famille Ghazi dans cette ville est comme une bague,
dont monsieur Ali serait la pierre précieuse, et nous
sommes heureux de vous avoir fait cadeau de la
pierre précieuse de notre ville. »
Je lui dis en plaisantant : »J’espère que
votre pierre précieuse est une vraie, et non pas une
contrefaçon. Mais lui, très sûr de lui,
répondit : »Jamais, jamais, madame, soyez rassurée,
212
il est authentique, car c’est un Modjahed du
Peuple. »
Ali fut bouleversé par cet accueil, et
lorsqu’il entra dans ma chambre me dit : »Il faut que
tu saches que tout le bien qu’ils disent de moi se
rapporte au militant de l’Organisation des
Modjahedin du Peuple, et de « Massoud », mais qu’il
faut évidemment porter tous mes défauts à mon
débit.
Ce fut, bien entendu la première leçon
sérieuse que j’appris de lui au sujet des Modjahedin,
une leçon que jusqu’à présent je n’ai pas oubliée
pendant des années de militantisme au sein des
Modjahedin, et qui a toujours contribué à m’ouvrir la
voie de l’avenir.
A la suite de la libération de prison de
Ali, l’un de ses oncles, qui avait beaucoup
d’admiration pour lui, organisa chez lui un repas
solennel à l’occasion de notre mariage, auquel il
invita la grande famille des Ghazi.
213
Accroissement de la pression de la
Réaction…
A partir de ce jour là, dans la ville de
Khorram Abad en état d’émeute on vit se manifester
des bastonneurs recrutés par troupeaux dans les
villages par le cheikh Mehdi. Armés de bâtons et de
massues, ils étaient ensuite transportés dans la ville.
Les manifestants criaient des slogans
hostiles contre moi et contre ceux qui prenaient part à
ma campagne électorale. En hurlant « Mort aux
hypocrites14 » ils se rendaient chez les militants, les
attaquaient, cassaient tout et procédaient à des
pillages. Un soir même, je fus informée qu’une
manifestation dirigée contre moi s’était mise en
route.
Dans le courant de ces journées dures et
pleines de tumultes, moi qui n’avais jamais rien vu
d’autre que la bienveillance et le dévouement des
habitants de Khorram Abad, il était intéressant que
14 Hypocrites : Appellation injurieuse donnée par le régime des
mollahs aux Modjahedines.
214
je voie de près la figure de ceux qui voulaient ma
mort et criaient des slogans contre moi. C’est la
raison pour laquelle, sans que ma mère ni Ali ne le
sachent, ayant changé mon apparence extérieure et
passé un tchador et des vêtements locaux, j’allai sur
les lieux et me mêlai aux manifestants.
A l’entrée de la rue du martyr Docteur
Houchang Azami, je vis moins de cent jeunes
villageois ayant à la main de longs bâtons et
criant : « Mort à Madame A... », « Mort aux
hypocrites », « Ceux qui n’ont pas voté n’ont pas le
droit de donner leur avis ». Ces slogans étaient les
mêmes que ceux utilisés contre Massoud Radjavi par
les mercenaires des mollahs lors des élections à la
présidence de la République. Car dans cette élection,
Khomeiny l’ »antéchrist de l’Islam » était intervenu
personnellement. Sous prétexte qu’il n’avait pas
donné sa voix à la loi constituante, il avait rayé
Massoud Radjavi de la liste des candidats à la
Présidence de la République.
J’avais marché avec les manifestants sur
une longue distance, depuis l’hôpital du docteur
Azami jusqu’au carrefour des Banques. Là, comme il
215
n’y avait plus aucune femme parmi les manifestants,
je fus obligée de quitter le cortège et de marcher sur
le bord de la route et sur le trottoir.
Au Carrefour des Banques, je me
séparai silencieusement d’eux et j’allai chez Ali. Je
jetai d’abord un oeil dans sa chambre. Il était
endormi, car le médecin était venu et lui avait
administré un somnifère .Je l’observai, son visage
était devenu complètement bleu et enflé. En le
voyant dans cet état, les larmes me vinrent un instant
aux yeux. Je sortis de la chambre sans faire de bruit.
La mère et la soeur d’Ali, en voyant mon
habillement et ce tchador furent ébahies et me
demandèrent la raison de mon accoutrement, et je
leur racontai l’histoire de la manifestation des
cogneurs.
La mère d’Ali ne fut pas rassurée et dit :
« Ali serait très en colère s’il savait, car c’est une
action très dangereuse que tu as accomplie, car si
dans le nombre, l’un d’eux t’avait reconnue, ils
t’auraient mutilée ou tuée ».
Je répondis à la mère d’Ali : « J’étais
convaincue qu’il n’ y aurait pas une seule personne
216
de Khorram Abad parmi eux, et que tous étaient des
hommes de main du cheikh Mehdi et du Parti de la
République venus avec leur riz et leurs brochettes de
leur village ». Puis je dînai avec elles, leur
recommandai de ne rien dire à Ali pour ne pas
l’inquiéter, leur dis au revoir et retournai chez moi.
Lorsque j’arrivai à la maison, ma mère
avait déjà été mise au courant par la mère d’Ali au
téléphone. Elle contesta le bien fondé d’une telle
opération et me dit : » Si tu me l’avais dit, je serais
au moins allée avec toi. S’ils avaient voulu te faire
subir des brutalités, j’aurais pu crier et appeler les
gens à l’aide ».
Je la pris dans mes bras, je l’embrassai, et
lui dis : « Je ne voulais précisément pas que tu sois
personnellement exposée au danger. En second lieu,
il ne s’est effectivement rien produit ; pourquoi donc
t’inquiéter outre mesure ? » Ensuite je lui fis
l’annonce de mon mariage public, et elle en fut
heureuse.
Après avoir rassuré ma mère, moi qui
avais vécu des journées dures et de très forte tension,
je me sentais très fatiguée .Je me retirai donc dans
217
ma chambre pour m’y reposer. La scène d’une
manifestation de casseurs armés de bâtons se
présenta à mes yeux et je pensai à l’affrontement
que, avec je ne sais quelle bassesse les mollahs
mettraient en scène demain .C’est dans de telles
pensées que je plongeai dans un profond sommeil,
dont je fus réveillée en sursaut, quelques heures
après, par la sonnerie du téléphone.
Il était aux environs de six heures du
matin. C’était la mère d’Ali qui m’informait que les
pasdarans s’étaient introduits la veille au soir dans
leur maison et avaient procédé à l’arrestation d’Ali et
l’avaient emmené dans l’état physique où il se
trouvait
Je lui fis remarquer qu’elle aurait du
m’appeler aussitôt pour m’informer de cette
situation. Elle me dit l’avoir fait, mais que ma mère
lui avait dit que je dormais et n’avait pas eu le coeur
de me réveiller, promettant de me transmettre
l’information dès mon réveil. « De plus, dit elle, tu
te faisais déjà assez de souci pour Ali et j’ai pensé
qu’à cette heure de la nuit, tu ne pourrais
218
entreprendre aucune démarche et que cela
augmenterait ton tourment ».
Je lui demandai si de son côté elle avait
commencé à intervenir. Elle me dit que non et je lui
demandai d’appeler le cheikh Mehdi, et de lui
demander la libération d’Ali, mais elle me répondit
qu’elle ne lui présenterait jamais une prière en
faveur de son fils.
Plus tard, après l’arrestation d’Ali
j’entendis dire qu’une de ses tantes était allé voir le
cheikh Mehdi et que tout ce qu’elle avait pu faire
était de l’injurier. Le cheikh lui avait cependant
donné sa parole qu’il le ferait relâcher et qu’il ne
l’avait fait capturer que pour pouvoir mieux le
protéger, que le Hezbollah ne le tuerait pas, car il
n’était pas dans leurs intentions de le faire mourir.
Il faut dire ici que le Hezbollah est un
nom de couverture pour des pasdarans, recrues de
cogneurs réputés en habits civils, utilisés par la
Réaction pour l’oppression des forces
révolutionnaires au lendemain même de la victoire de
la révolution contre le chah. Cela, toute la
population le savait.
219
Il n’est pas inutile non plus de
mentionner ici que cette tante d’Ali, qui avait
présenté des objections à son maintien sous les
verrous, manifestant ainsi de l’attachement pour lui,
eut une crise cardiaque deux années plus tard,
lorsqu’elle apprit l’exécution d’Ali. Elle en mourut.
Le jour même où j’appris la nouvelle de
l’arrestation d’Ali, je décidai de prendre contact avec
le mollah Taheri, le représentant de Khomeiny dans
l’armée des pasdarans à Khorram Abad.
Le mollah Taheri était le frère du gendre
de Madame Ghazi. J’obtins son numéro de télé
phone par la mère d Ali et je l’appelai le matin même
très tôt à son domicile.
Ce fut Maryam, son épouse, qui répondit.
Mais je pensai que peut être Taheri reconnaîtrait ma
voix et ne serait alors pas disposé à m’écouter. Je me
présentai donc comme étant l’épouse d’Ali et belle
fille de Madame Ghazi. Je lui dis : » Je suis la belle
fille de Madame Bétoul et j’ai avec Hadj Akha un
problème à régler, car on a arrêté Ali et il faut que je
lui parle de cette affaire. Elle fut beaucoup plus
frappée d’étonnement par le mariage d’Ali que par
220
son arrestation, elle se chargea de transmettre ma
demande et appela Hadji Agha en lui disant : » C’est
la nouvelle belle fille de Madame Bétoul », et lui
passa rapidement le combiné.
Je me présentai à Taheri de Khorram
Abad sous mon vrai nom et je lui dis : « Dans quel
Islam sommes nous ? Quelle liberté avons nous ? Où
est l’équité ? L’armée des pasdarans, pour laquelle
vous êtes le représentant de monsieur Khomeiny,
pour qui travaille t’elle ? ».
Dans ce contact, je fis avec colère des
objections aux affrontements, aux arrestations, et
aux attaques, et je lui déclarai : « En dehors du fait
que je prends part à des élections législatives, quel
autre délit avez vous à me reprocher qui motive tant
de pression de votre part et les coups dont je fais
l’objet ? » Puis ensuite, je le menaçai en lui
disant : « S’il manque un cheveu à l’un quelconque
de ceux que vous avez arrêtés pendant les élections,
je vais faire détruire la ville sur vos têtes, et je ferai
mettre en grève toutes les administrations et toutes
les écoles de la ville ».
221
Quand il se rendit compte que les
circonstances lui étaient défavorables, il me parla de
façon fort courtoise, me demanda de rester calme et
me dit « Je vais immédiatement me rendre à l’armée
des pasdarans et recommander Ali. Vous pouvez
même aller le voir si vous le désirez. Soyez assurée
que je suis personnellement cette affaire. »
Lorsque la communication téléphonique
fut terminée, je m’habillai rapidement et j’allai à la
maison d’Ali. Nous allâmes ensuite avec Madame
Ghazi et une petite soeur d’Ali à la prison de l’armée
des pasdarans, sous la forteresse historique de
Falakolaflak, dans la garnison de Khorram Abad.
En voyant le spectacle du centre de
l’armée installé dans ces bâtiments, des scènes de
libération des bâtiments de l’Etat le jour du
22Bahman me revint à la mémoire et je fus la proie
de sentiments amers.
Je me rappelai combien d’amour et
combien d’espoir nous avions mis dans l’ouverture
des portes de ce bâtiment, qui était la prison du
régime du Chah et maintenant la même histoire se
répétait, en plus amer et en plus douloureux, et les
222
mêmes jeunes et révolutionnaires que ceux que les
hommes de main du Chah y avaient amenés se
trouvent maintenant dans ces mêmes bâtiments,
prisonniers du gouvernement des mollahs.
C’est là que me revint le souvenir de l’un
de mes amis. Il raconta qu’au cours d’un voyage de
tourisme à Paris, à quel point il aurait voulu voir la
prison de la Bastille, libérée au début de la révolution
française, pensant qu’elle avait été transformée en un
grand musée ou un joli centre culturel.
Mon ami disait : « Lorsque j’arrivai sur
les lieux et demandai aux gens dans un français
écorché où se trouvait la prison, on me regarda avec
la plus grande surprise et on me dit des choses,
auxquelles je ne prêtai pas attention, en raison de
mon ignorance de la langue française. Finalement,
c’est par l’intermédiaire d’une personne parlant
l’anglais que je posai ma question dans cette langue.
Cette personne en rit très fort et me dit : « C’est à
l’emplacement de la station de métro que se trouvait
la prison de la Bastille qui, après la révolution et la
libération des prisonniers fut entièrement détruite et
ramenée au niveau du sol par le peuple de Paris et les
223
révolutionnaires ». Transformée en station de métro,
il ne reste de cette prison effrayante que l’image des
prisonniers et des révolutionnaires qui ont été libérés.
En me rappelant ce souvenir lointain, je
me dis au fond du coeur : « Si seulement nous
avions, nous aussi, le jour où nous prîmes ce
bâtiment, procédé à sa démolition pour qu’il ne serve
pas une nouvelle fois aujourd’hui, et si peu de temps
après, de prison et de lieu de torture ».J’étais plongée
dans ces pensées lorsqu’ un pasdar nous ouvrit la
porte et nous montra le chemin du bureau de la
prison.
Je me présentai au pasdar qui s’y
trouvait, et en ma qualité de femme d’Ali, je
demandai à avoir un entretien avec lui. Il me regarda
d’abord avec grand étonnement, se demandant de
quelle manière Ali Ghazi, en l’espace de moins d’un
jour et dans une telle échauffourée, avait bien pu
trouver le temps de se marier, et après m’avoir jaugée
un court moment, de même que Madame Ghazi,
comme s’il avait été persuadé que j’étais la femme d
Ali, il se leva de sa place et partit.
224
Nous restâmes à attendre un moment
dans ce même bureau, jusqu’à ce qu’Ali arrive,
accompagné d’un autre prisonnier qui était dans la
même cellule que lui, et dont j’ai malheureusement
oublié le nom. Il fut un candidat du parti communiste
à Khorram Abad et Ali, quand il avait compris que
j’étais venue lui rendre visite, l’avait amené avec lui.
Comme Ali il tomba plus tard entre les mains des
réactionnaires qui le condamnèrent à mort et fut
exécuté.
Je parlai à ces deux hommes et leur dis
que j’essayais d’obtenir leur libération. Ali, bien que
sérieusement blessé par les coups subis la veille et en
portant des traces sur son corps frêle, était cependant
bien vivant et même en bonne santé. Au début, il
plaisanta avec sa mère et sa soeur. Puis il s’adressa à
moi et me dit : « Je ne pense pas que tu obtiennes ma
liberté, car ils ne me libéreront pas avant le
lendemain des élections. Ils se sont saisis de moi
pour limiter l’activité de ta campagne électorale, car
ils pensent que sans moi, tu ne sauras pas solutionner
les problèmes de publicité. »
225
Il me recommanda de ne pas m’inquiéter
de son état et dit : « A partir de maintenant, mets
toutes tes forces dans les élections avec l’aide des
militants et des cellules de l’Association et fais bien
attention qu’ils ne trichent pas et ne puissent te rayer
des listes électorales. »
Il confirma ainsi que, dans ces élections,
il fallait que nous soyons présents de toutes nos
forces et utiliser toutes les possibilités jusqu’à la fin
de la dernière étape, et ne pas nous arrêter en cours
de route, même si légalement, ils parvenaient à rayer
ma candidature des listes électorales. « Il faut que tu
continues le travail commencé et que tu entraînes les
gens derrière toi. », me dit il.
Au cours de cet entretien, Ali, après
s’être entretenu avec moi, plaisanta encore un peu
avec sa mère et sa soeur, puis nous partîmes. Il resta,
comme il l’avait prévu, encore quelques jours en
prison. Le lendemain du jour du scrutin, il fut libéré
et revint à la maison.
226
Suppression de la liste des candidats
La préparation des élections, sans la
présence d’Ali Ghazi, mais avec le zèle des jeunes
ardents et courageux de Khorram Abad continua
avec la même intensité qu’auparavant.
Après la mise à sac de notre état major de
campagne, la population de la ville mit à notre
disposition les maisons de la ville pour y exécuter les
travaux de publicité électorale. Et les militants
Modjahedines, dans toute la ville de Khorram Abad
ne se laissèrent pas abattre, et poursuivirent les
opérations de propagande électorale.
La veille même des élections, le directeur
de la radio et de la télévision locales, qui était de la
même classe que le martyr Reza Rezaï, mais
également un homme progressiste et honorable, eut
un long entretien avec moi sur mon programme
électoral, mais aussi sur les affrontements des jours
précédents. Dans le cours de mon allocution, je
demandai à la population de participer de toutes ses
227
forces à ces élections et de faire échouer les complots
des ennemis de la Liberté.
Le soir précédant les élections arriva
enfin. Dans les nouvelles locales, la radio annonça à
l’étonnement général, la nouvelle officielle émanant
de la préfecture de la ville, qu’accusée de n’avoir pas
donné ma voix à la loi constituante, et d’avoir troublé
l’ordre et la sécurité dans la ville, ma candidature
était supprimée de la liste .Il m’était donc interdit de
participer à cette élection.
Dans le même communiqué, il était
précisé que toutes les voix en faveur de candidats se
réclamant du soutien des Modjahedines déposées
dans les urnes seraient nulles. Il était demandé à la
population de reporter les voix sur d’autres candidats.
C’est ainsi que les premières élections législatives
organisées après la chute de la monarchie se sont
transformées en celles de super phalanges de députés
réactionnaires.
Après la libération de prison d’Ali, l’un
de ses oncles, qui ressentait pour lui une vive
affection et s’était beaucoup occupé de lui après la
mort de son père, nous invita chez lui en qualité
228
d’hôtes à l’occasion de notre mariage, ainsi
également que d’autres membres de la famille Ghazi
et des amis.
Ali et moi avions revêtu selon nos
habitudes nos habits les plus ordinaires. Avant que
nous n’entrions dans le salon de nos hôtes, la mère
d’Ali, voyant mon accoutrement, une tunique et un
vieux pantalon, fut fort gênée. Sur un ton neutre
manifestement destiné à ne pas me blesser, elle me
dit : » Ton costume ne convient pas à ce type de
cérémonie. Si tu en es d’accord, mets un autre
vêtement ». Elle me donna alors une jolie blouse
blanche qu’elle avait achetée pour moi. Je changeai
de vêtement avant d’entrer dans le salon.
Après l’annonce publique de notre
mariage, tous les membres de ma famille et de celle
d’Ali nous apportèrent des cadeaux, pour la plupart
en or. Ali me dit à voix basse en guise de
moquerie : » En voyant tout cet or, je propose que tu
te convertisses en orfèvre ». Je lui répondis : « La
majeure partie de ces cadeaux sera pour
l’Organisation. » Nous nous occupâmes cette affaire
la première fois que nous retournâmes à Téhéran.
229
Je dirai ici dans une courte parenthèse
que deux années plus tard, lorsqu’ Ali fut devenu
martyr, ce fut ce même oncle qui recueillit son corps
et le fit ensevelir. Malgré les efforts du régime pour
empêcher les cérémonies de deuil pour Ali, celles ci
se déroulèrent cependant en grande pompe dans la
ville.
Après avoir été les hôtes de la famille
d’Ali, nous nous rendîmes à Karman chah début
mars 1980 pour voir ma soeur Zohreh et mon neveu
le premier enfant qu ‘elle venait de mettre au monde.
Il n’est pas inutile de signaler que deux
ans plus tard, alors que cet enfant n’avait donc que
de deux ans, il fut fait prisonnier en même temps que
sa mère et son petit frère de un an et tenu en
détention pendant plusieurs années dans les prisons
du régime des mollahs, pour le simple délit
d’appartenance de sa mère à ma famille. Ces enfants
furent témoins des tortures sauvagement infligées à
leur mère par les pasdarans criminels.
Après avoir été les hôtes de ma soeur
pendant une journée, nous quittâmes Karmanchah
pour Téhéran, où nous rencontrâmes mon frère.
230
La rencontre avec mon frère, avec lequel
j’avais toujours été liée par une très vive amitié, et
que je n’avais pas revu depuis le début de la
révolution contre le chah, fut un grand moment de
bonheur pour tous deux. Nous fûmes, Ali et moi, les
invités de mon frère pour le dîner, et ce fut
malheureusement la dernière fois que nous nous
vîmes. Une rencontre agréable et inoubliable.
Après avoir rencontré mon frère, nous
allâmes rendre visite avec une boîte de gâteaux à
mon cousin maternel et son ami, les deux témoins de
notre mariage, que nous remerciâmes d’avoir si bien
tenu auprès des autres membres de la famille le
secret de notre mariage. Nous leur annonçâmes qu’il
n’était plus nécessaire de le faire, notre mariage
ayant été rendu public.
231
Les résultats des élections
Le jour des élections, nous avions placé
des observateurs dans presque tous les bureaux de
vote de la ville et des villages. En dépit de la quantité
de miliciens que le régime avait déployée pour
empêcher la population de voter pour moi, la majeure
partie des personnes m’ayant assuré de leur soutien
n’était pas au courant, en raison de l’annonce tardive
qui en avait été faite, de la suppression de ma
candidature. Celles qui la connaissaient
m’honorèrent toutes aussi de leurs suffrages.
Les observateurs du mouvement qui
étaient près des urnes virent que les miliciens et les
pasdarans, déchiraient les bulletins de vote à mon
nom et en effrayaient les électeurs qui voulaient voter
pour moi. Ces derniers faisaient l’objet de violences,
de désagréments, de sévices et de voie de fait. Moi
même, pour exprimer mon suffrage, j’allai au bureau
de vote de mon secteur, où se trouvaient de
nombreux reporters et photographes. Je me heurtai
232
cependant à l’opposition d’innombrables pasdarans
et phalangistes.
Le décompte de mes voix et le résultat
que j’obtins ne furent pas publiés, mais l’un de mes
amis de la préfecture mit à ma disposition un compte
rendu manuscrit de la répartition des voix. Selon ce
document, le nombre des voix en ma faveur pour la
ville de Khorram Abad était supérieur de six mille
voix à celui obtenu par Fagharalladine Mousavi,
directeur du Parti de la République et candidat placé
en tête pour la ville. Il fut proclamé élu.
Après ces élections, je rassemblai un
dossier épais des fraudes pratiquées, ainsi que de
certificats médicaux provenant de médecins ayant
soigné les électeurs qui avaient subi des coups. Je le
fis parvenir à Bani Sadr qui était à l’époque Président
de la République auprès de qui je déposai une
plainte. Je n’en reçus jamais d’accusé de réception.
233
Chapitre 4
Deuxième année de combat politique
Après les élections ma responsabilité
dans la Société des Femmes se trouva entachée par
les évènements de la période électorale, et plus
particulièrement par l’annonce de mon mariage avec
Ali Ghazi. Il ne se passa pas plus de six mois pour
qu’apparaissent des pressions insupportables de la
part de la Réaction .Je fus obligée de quitter cette
fonction et de choisir de vivre cachée.
Un moment après les élections, Azam
Talaghani me dit : « Evidemment, je ne m’attendais
pas à ce que vous choisissiez pour époux un
hypocrite avéré comme Ali Ghazi, et j’ai été choquée
lorsque j’ai appris cette nouvelle. Je lui répondis : »
234
Je ne savais pas que dans l’ordre de la République
Islamique et dans la Société des Femmes, en plus de
leur sujétion au père, au frère et au passé, les femmes
devaient en plus obtenir l’autorisation de leur chef de
service pour se marier. Je m’imaginais que le
mariage était une affaire personnelle et que l’on
pouvait choisir soi même qui on voulait ».
Six mois se passèrent donc après les
élections avec des engagements et des coups
continuellement échangés avec la Réaction. De
février–mars 1979 jusqu’en septembre–octobre de la
même année les heurts avec la Réaction devinrent
plus nombreux et importants.
C’est dans cette même période qu’un
terrorisme aveugle apparut et que des phalangistes
en vêtements civils mais portant des armes se mirent
à aller et venir dans la ville et à constituer des
groupes actifs de terroristes. L’atmosphère d’
oppression dans Khorram Abad atteint un niveau tel
que les phalangistes n’avaient même pas de pitié
235
pour le candidat du parti Toudeh,15et le mitraillaient
dans les rues, allant jusqu’au meurtre.
Pendant ces six mois, Ali tomba deux
fois dans les mailles du filet des terroristes du régime
qui tirèrent sur lui, mais il put habilement s’échapper
de leurs griffes et trouver son salut. Après la
première attaque perpétrée contre lui, nous louâmes
en cachette une maison dans Khorram Abad dans
laquelle Ali se tenait le jour, ne sortant que la nuit
pour régler ses affaires, escorté par mon neveu
Alireza Nafisi, un jeune costaud et sportif.
Il lui était interdit de toute façon d’aller
et venir seul et sans escorte .En raison de la violence
de mes accrochages avec la Réaction à la Société des
Femmes, je limitai moi aussi graduellement mes
allées et venues jusqu’à l’annonce de ma
condamnation à mort, qui eut lieu le
18septembre1980. C’est après cela que commença
pour moi une nouvelle période de ma vie, et que je
fus obligée de quitter ma ville et ma région, et ma
maison, et mon foyer.
15 Le parti Toudeh était le seul parti qui était d’accord avec les
mollahs
236
Les combats officiels et cachés
Il était devenu évident que mes
accrochages avec les mollahs réactionnaires allaient
bientôt toucher à leur fin
Le régime, déjà fortement échaudé par
l’annonce publique de ma candidature et par l’affaire
de mon mariage avec Ali Akbar Ghazi, avait par
ailleurs subi une défaite cuisante dans l’attaque de la
Société des Femmes de Boroudjerd. Il avait encore
tout ceci sur le cœur et avait préparé en secret un
épais dossier dirigé contre moi, avec des documents
et des motifs fabriqués qu’il avait réunis et transmis
au tribunal contre-révolutionnaire. Je fus condamnée
pour rébellion contre Dieu, et corruption sur le
territoire. Dans le jugement, j’étais en particulier
déclarée coupable de collaboration avec les Bahaï (Je
n’avais pas licencié deux éducatrices du personnel
de crèches qui étaient de religion Bahaï),d’embauche
officielle non autorisée, de désobéissance aux lois
237
(Allusion au recrutement de la martyre Massoumeh
Rezaï) et d’insoumission aux lois votées par
l’Assemblée de la Révolution (En raison du
recrutement de quelques femmes et de quelques filles
sans soutien que j’avais recrutées à titre de
contractuelles ), de mauvaise utilisation de la
fonction et mise à disposition des « Hypocrites » (les
Modjahedines) des moyens de l’Etat, d’ incitation de
la population à l’insurrection contre l’ordre établi
(Allusion à l’occupation des crèches de Khorram
Abad et de Boroudjerd ) et en plus de toute une foule
d’autres délits et contraventions imaginaires.
Mais j’avais prévu que de telles
accusations seraient un jour portée à mon encontre.
Je savais très bien que le complot de la Réaction
contre toute parcelle de progrès et de recherche de la
liberté n’aurait pas de fin, et j’en avais prévenu tous
les amis de l’administration de la Justice et des
tribunaux qui, après la dissolution du Parquet,
avaient tous retrouvé du travail dans les tribunaux
révolutionnaires. Je leur avais demandé d’accorder
une grande attention à tout ce qui pouvait être retenu
contre moi et de m’en informer immédiatement.
238
C’est le 2I septembre de l’année 1980
que débuta la guerre avec l’Irak, et la nouvelle
enflamma la société de Khorram Abad. Le soir,
quand je retournai à la maison, ma mère s’élança à
ma rencontre et me dit qu’un monsieur de mes amis
était venu chez nous. » Il m’a donné ce papier pour
toi, et m’a dit qu’il fallait que je te trouve, où que tu
sois. Il m’a dit aussi qu’il s’agissait de ton arrêt de
mort ».
Je regardai le papier en question. Elle
disait vrai, c’était une copie d’un jugement qui était
daté du 23 septembre. Il était prévu que mon
interpellation aurait lieu le soir même. J’annonçai
immédiatement la nouvelle à Ali, qui me
dit : « Attends que le soir tombe, pour que je puisse
venir te chercher ».
Le temps de l’attente s’écoula avec
lenteur. Et le soleil se coucha dans le sang dans le
ciel calme, froid et indifférent. J’attendis l’arrivée
d’Ali, inquiète pour sa santé.
Dès que l’obscurité gagna le ciel chargé
de souvenirs de ma bonne ville de Khorram Abad Ali
arriva chez moi, nous dîmes au revoir à ma mère, qui
239
calmement, calmement versait des larmes.
Accompagnés d’un membre de ma famille, le futur
martyr Alireza Nafisi nous prîmes la route et
sortîmes de la ville. Sur le bord de la route, nous
fîmes stopper un camion se dirigeant vers
Boroudjerd. C’est là nous débutâmes la vie cachée de
tous les Modjahedines, six mois avant le début de la
phase militaire.
Au moment du départ du camion, je vis
mon cher Reza, avec son aspect imposant et ses
larges épaules, courant derrière ce camion pour me
serrer encore une fois la main par la vitre. Ce fut la
dernière fois que je le vis.
Un an plus tard, et à peine un mois après
le martyre d’Ali, Alireza Nafisi fut mutilé sous la
torture par les bourreaux de Khomeiny et périt en
héros.
L’armée des pasdarans meurtriers de
Khorram Abad, après avoir pris de ma vieille mère
l’argent des munitions utilisées, lui rendit le corps
épanoui d’Alireza criblé de balles. Comme, dans la
république contre l’Islam de Khomeiny on ne donne
pas l’autorisation officielle d’inhumer les corps des
240
condamnés dans le cimetière, ils la menacèrent de le
lui reprendre si elle pensait l’enterrer au cimetière
après une cérémonie de deuil.
Ma vieille mère, au corps tout courbé
depuis la ceinture, emmena le cadavre mutilé de son
petit fils bien-aimé, âgé de seulement vingt trois ans,
avec l’aide d’habitants honorables de la ville, venus
en pleine nuit et en cachette au cimetière de Khézer.
Il y fut inhumé, les habits maculés de sang, dans la
terre de Khoram Abad.
Départ involontaire de la ville et de la
région.
Cette nuit là, en m’éloignant de la ville
en suivant Ali, celui ci me demanda à voix basse
quels étaient mes sentiments au sujet de la situation
telle qu’elle se présentait. Ce qui était quand même
étrange pour moi, c’est qu’en dépit du lourd fardeau
supporté durant dix huit mois de guerre des nerfs et
d’affrontements quotidiens avec les sauvages
241
débridés de la Réaction, je ne ressentais aucune
fatigue.
Bien entendu, il était bien clair pour moi
que j’avais bénéficié de circonstances propices chez
les Modjahedines du Peuple d’Iran, en collaborant
avec la marée des militants de l’Organisation, purs
motivés, et révolutionnaires qui se battaient en
permanence sans se sentir fatigués. Moi-même, je me
sentais posséder un potentiel énorme dans ma lutte
contre les réactionnaires féroces et sanguinaires.
Mais le sentiment qui prévalait en moi
était cependant inexplicable. Ali, qui semblait
inquiet pour moi en cours de route ne cessait de me
demander comment j’allais. « Bien ? » Je lui disais
seulement : » Très bien ». Cela, je le disais du fond
du cœur. Après l’inquiétude des premiers jours de
travail à la Société des Femmes, maintenant, après y
avoir passé deux années passées sans l’ombre d’une
compromission et sans la moindre concession à
l’égard de la Réaction sanguinaire et liberticide, je
me sentais gênée d’avoir quitté ma fonction à la
Société des Femmes et les amis et les excellents
242
collaborateurs de cette administration, pour lesquels
j’avais conservé de bons sentiments.
C’est dans cet état d’esprit que six mois
après les élections législatives, au début du mois
d’octobre qui me rappelait toujours les bons
souvenirs des années où j’étais occupée en qualité
d’enseignante j’acceptai le départ forcé de la ville, et
sans aucun moyen, je quittai Khorram Abad dans la
nuit, avec pour bilan de mon activité à la « Société
des Femmes islamiques un mandat d’arrêt pour Ali
et une condamnation à mort pour moi. Je n’avais plus
la possibilité d’exercer aucune activité politique, non
plus que la moindre perspective pour mon avenir.
Ce furent ce soir là les derniers moments
de ma présence dans cette ville que j’aimais
beaucoup, la ville des jours de bonheur de mon
enfance, de mon destin troublé d’adolescente et de
jeune fille, une ville dont tous les quartiers sont pour
moi remplis de nombreux souvenirs, amers ou
agréables, une ville pour qui j’avais choisi cette
nouvelle voie et à qui j’avais montré, avec le
choix de vivre pour la liberté, la voie du combat
243
pour la liberté hors des serres tâchées de sang des
mollahs, d’une population et d’un peuple bien aimés.
Cette jolie ville de Khorram Abad, il ne
m’a pas été donné d’y retourner pendant les vingt
trois années qui se sont écoulées depuis lors.
Dans Boroudjerd même, notre vie semi
clandestine était uniforme, avec ses hauts et ses bas.
Dès le début de la phase de terreur aveugle qui régna
à Khorram Abad, le centre d’activité de la Société
des Jeunes Monothéistes fut transféré à Boroudjerd,
où l’espace politique était plus ouvert. Ali et moi,
dans le cadre des activités de cette association,
effectuions un travail semi clandestin dans la ville.
Ali avait une activité quotidienne dans les
approvisionnements et l’aide apportée à tous les
membres de l’association, dont et y compris à nos
amis. Il était devenu célèbre en parlant le langage du
Lorestan avec les pères des jeunes adhérents. Il avait
également la responsabilité des achats et des finances
de l’association.
J’avais une activité dans l’organisation
des forces sociales, et en particulier la mise en train
d’une association des mères, des enseignants et des
244
employés et je commençai la première période de
mon travail professionnel dans l’appareil.
Chaque semaine, le jeudi soir, je prenais
une leçon d’idéologie du mouvement des
Modjahedines et l’après midi des vendredis, je
l’enseignais aux dames de l’association. A la fin des
réunions, je collectais l’argent....et j’établissais avec
elles un programme détaillé pour l’association. Le
reste de la semaine, je donnais un coup de main pour
les travaux de publication.
De même, les analyses politiques du jour,
qui me parvenaient soit par Ali, soit par d’autres
responsables du mouvement, étaient transmises par
mon intermédiaire lors des communications que j’en
faisais aux réunions des enseignants ou des
employés. De ce point de vue, je participais
activement à l’éducation des forces sociales de la
ville de Boroudjerd, et j’agissais aussi dans la grande
maison cachée que nous avions à Boroudjerd. Nous
y avions mis en oeuvre un atelier d’impression et de
reprographie de nos communiqués, que nous faisions
fonctionner avec l’aide de deux militants. Mon
travail concernait essentiellement la typographie,
245
tandis qu’eux deux se partageaient la responsabilité
de l’impression et de la reproduction
A côté des travaux ci dessus, dont Ali me
chargeait généralement, je pouvais, chaque semaine,
disposer de quelques heures de loisirs que je
consacrais à la peinture sur verre. Je reproduisais des
portraits de Massoud ou de martyrs modjahedines, en
particulier Fatemeh Amini, Mehdi Rezaï etc. La
vente de ces reproductions permettait de financer des
équipements et d’assurer la trésorerie de
l’Association.
Une autre de mes occupations pendant
cette époque, était de lire des livres ou d’écouter de
la musique tout en travaillant. C’est une habitude que
j’avais prise dans mon adolescence, un
magnétophone était toujours à côté de moi. Tout en
restant entièrement concentrée sur le travail que
j’exécutais, j’écoutais en même temps la musique
classique iranienne, des cassettes de flûte hongroise,
les symphonies de Beethoven, ou encore d’autres
musiciens auxquels je suis attachée.
246
L’année 1981, l’année rouge de la
résistance
L’année 1980 fut marquée d’un bout à
l’autre de notre province par le terrorisme aveugle,
que nous payâmes de la mort de nos chers martyrs :
Kordestani, Bahram, Saremi Meheri, Mère Aïazi
Kobra, et un adolescent, du nom duquel je ne me
souviens malheureusement plus.
Le printemps 1981 était en route
.L’année 1981 avait commencé par des bastonnades
et le massacre des jeunes filles et des jeunes garçons
vendant des publications des Modjahedines.
En avril mai, il y eut un regain de
répression et les arrestations par les pasdarans et des
miliciens venus à Boroudjerd venant de Khorram
Abad atteignirent leur paroxysme. Elles
correspondaient d’ ailleurs à une recrudescence des
protestations de la population, et cette répression
s’étendit à l’ensemble du pays.
Parmi les témoignages d’opposition, il y
eut une manifestation s’élevant contre la mise à mort
247
des Modjahedines du peuple Samaïe Nokhre
Khadjou et deux autres jeunes filles dans une ville du
nord de l’Iran, et Siavach Chams, du personnel de
l’armée, qui pour défendre un jeune vendeur du
journal des Modjahedines, au sud de l’Iran fut tué
d’un coup de poignard. Ces manifestations
s’élevaient aussi contre d’autres supplices, perpétrés
dans mon pays natal par des pasdarans ignorants et
criminels à la solde des mollahs, pendant la
diffusion de communiqués et la vente de
publications.
Je travaillais en coulisse à l’organisation
de ces manifestations dans la ville de Boroudjerd,
mais en raison de la possibilité d’y être reconnue, il
ne m’était pas permis d’y participer. Presque chaque
jour, du matin au soir, je parcourais à pied toutes les
ruelles de la ville, où je faisais du porte à porte et
invitais les habitants à prendre part à ces
manifestations.
Au début de chaque soirée, je rentrais
avec peine très fatiguée à la maison, et il était
convenu qu’Ali et moi nous rencontrions chez un
marchand de sandwiches qui tenait boutique à
248
proximité de chez nous et, notre sandwich mangé,
nous rentrions à la maison.
Cependant, en raison de la recrudescence
des bastonnades dans la ville, il me fallut limiter mes
sorties et je restai à la maison où je me chargeais
des travaux de frappe à la machine et de reproduction
de documents.
Il y a lieu de tenir ici en honneur la
mémoire du Modjahed héroïque que fut Mohammad
Moradi, qui était un jeune militant de la section des
ouvriers de l’Organisation, qui fut cette année là
martyrisé à mort dans la ville de Doroud. C’est avec
lui que pendant des heures, nous étions occupés dans
le sous-sol de la maison à des travaux de frappe,
d’impression et de photocopie de publications.
Mohammad et moi préparions les
publications et les communiqués, et Ali Ghazi, sous
la menace d’être appréhendé, se chargeait de leur
emballage dans les paquets appropriés, de leur
distribution et de leur expédition dans le reste des
villes et des cantons de la province. Il n’est pas
inutile de le rappeler ici.
249
L’armée des pasdarans de Boroudjerd,
renforcée par des éléments venant de l’armée de
Khorram Abad et de celle d’Ispahan était à la
recherche de nos stocks de papier et de l’endroit où
se trouvait notre imprimerie. Nous entreposions nos
gros cartons de papier d’imprimerie dans une
camionnette ouverte, que nous recouvrions d’une
bâche, et que nous garions dans une ruelle ou une rue
de Boroudjerd.
Un soir, nous fûmes informés que notre
façon de faire avait été dénoncée, et que l’armée
allait se répandre dans la ville et inspecter le contenu
de toutes les camionnettes parquées dans toute
l’étendue de la ville.
Ce soir là, Ali et moi étions seuls à la
maison. Ayant appris cette nouvelle Ali dit : « Nous
n’avons pas d’autre solution que d’apporter ce papier
à la maison. ». Il était une heure et demie du matin, et
en prenant des risques énormes, Ali et moi allâmes
chercherla camionnette, pour l’amener à l’entrée de
notre ruelle, une impasse courte et étroite.
Il nous fallait décharger le papier, un
ballot énorme qui aurait nécessité la force de deux
250
hommes pour être déchargé et acheminé jusqu ‘à la
maison. En le voyant je fus un instant effrayée et je
ne crus réellement pas qu’il soit possible de le bouger
d’un centimètre. Ali, chétif, n’avait pas beaucoup
plus de force que moi. Mais nous décidâmes de
déplacer ce papier, faute de quoi il pouvait être
confisqué, ainsi que la camionnette.
Pour descendre ce gros ballot de papier,
qui pesait peut être plusieurs centaines de kilo, nous
montâmes tous les deux à l’intérieur de la
camionnette, puis nous le poussâmes, et en faisant
de gros efforts, nous parvînmes à le descendre au
sol. Ensuite nous le roulâmes en silence de toutes
nos forces le long de la ruelle, prenant bien garde de
ne pas faire de bruits qui pourraient réveiller les
voisins. C’est avec énormément de peine que nous
parvînmes à nous deux à amener dans notre cour cet
énorme ballot de papier pesant plusieurs fois notre
propre poids, et lorsque nous rentrâmes à la maison,
nous nous trouvâmes mal tous les deux.
Lorsque nous ouvrîmes l’œil le
lendemain mati, un des frères, possédant une clef et
étant entré dans la maison, vint à notre chevet, et
251
nous vîmes que nous avions des blessures sérieuses,
Ali au niveau des reins et moi au niveau du cou, et
tous deux les mains sérieusement endommagées.
Constatant notre état physique sérieux,
ce frère demanda que nous soyons transportés à
Téhéran et nous fûmes hospitalisés pendant quelques
jours pour y recevoir un traitement des dommages
corporels subis au cours de ce déchargement de
papier..
Le mois de Mai/ Juin sanglant
Une nuit de la deuxième quinzaine de
Juin, l’un des responsables de l’Association vint
chez nous vers minuit et me donna en hâte un
communiqué et nous demanda de le taper et de le
reproduire en vitesse. Je descendis en hâte dans le
sous sol et me mis à le taper. Si je ne me trompe,
outre la phrase très simple du communiqué politique,
je remarquai dans l’autre coin un ordre qui attira mon
attention. Bien que je sois à même de taper à la
machine à grande vitesse, quoi que je fasse, je me
252
concentrais sur le contenu de cet écrit, de sorte que
ma frappe n’avançait pas très vite.
Le responsable avait remarqué le manque
de concentration dans mon travail de frappe. Il me
dit : « Je vais dicter, vous allez taper. »Quand j’eus
complètement tapé le texte, j’allai avec Ali chez l’un
des militants qui cachait dans sa maison un appareil
de reproduction photographique, nous préparâmes les
copies et nous revînmes.
Le communiqué de cette nuit fut
immédiatement reproduit en grande dimension et
empaqueté, puis chargé dans une camionnette, et le
lendemain matin dès le lever du jour, Ali sortit cette
voiture de la maison et commença sa distribution.
Ce communiqué était une protestation
contre le massacre des jeunes vendeurs des
publications des Modjahedines dans les différentes
villes de la province, et insistait sur le droit
d’imprimer et de diffuser des écrits. C’est de cette
façon que débuta notre face à face avec le régime
moyenâgeux des mollahs, après l’avoir supporté
durant deux années remplies de souffrances et de
253
douleurs, et le sacrifice de 58 martyrs sans que nous
ne commettions ni faute, ni acte de vengeance.
Après avoir terminé ce travail, et bien
que ma fatigue ait été grande, je ne fermai pas l’œil
.En raison de la transformation de l’atmosphère de la
ville, où la présence militaire était de plus en plus
grande, il y avait un certain temps que nous avions
fait venir ma vieille mère pour que l’ambiance de la
maison apparaisse normale aux yeux des voisins.
Elle avait été éveillée par nos allées et venues et avait
lu l’inquiétude dans nos regards. Elle vint près de
moi et me demanda ce qui se passait. Je lui donnai
des explications au sujet du communiqué, et lui
dis : « Mère, il est vraisemblable que le massacre va
commencer demain, et ma mère ne crut pas mes
paroles. Sans nous adresser un mot de consolation,
elle me dit : « Non, espérons que ce ne sera pas
comme vous le dites ».
Le lendemain, nous fûmes obligés, pour
des raisons de sécurité de quitter cette maison et nous
renvoyâmes momentanément ma mère à Khorram
Abad. Nous nous installâmes dans une nouvelle
254
maison, et déménageâmes aussi tout notre matériel
d’impression de documents.
C’est vers fin Juin1981 que nous
emménageâmes dans notre nouvelle maison. Il ne
s’était pas passé plus de deux ou trois jours depuis
notre installation qu’un jour Ali fut pris dans une
rafle des pasdarans, mais réussit à forcer leur
encerclement et à s’enfuir. Le soir, après quelques
heures d’anxiété de n’avoir pas de ses nouvelles, il
me téléphona qu’après s’être échappé, il avait été
obligé de quitter la ville et se trouvait maintenant à
Hamedan. Il ne pourrait plus revenir à Boroudjerd et
me demandait d’être patiente en attendant la suite des
évènements.
Je restai un moment dans cette même
maison, avec le futur martyr Mohammad Moradi
avec qui nous effectuions les travaux d’impression et
de reproduction. Mohammad menait une vie
complètement cachée. Dans l’obscurité je lui portais
de l’eau et de la nourriture dans le sous sol de la
maison, où était installé le matériel d’imprimerie, et
il ne sortait qu’une ou deux fois un instant en
cachette dans l’obscurité pour utiliser les installations
255
sanitaires situées dans la cour, puis retournait en
vitesse dans le sous sol, pour ne pas être aperçu des
voisins, dont le balcon donnait sur notre maison.
Une semaine se passa à vivre dans ces
conditions, et un soir, le modjahed martyr
Mohammad Afchar, qui faisait partie des chefs de
l’Association, vint chez nous pour nous dire : « Ali
est à la recherche d’une maison à Hamedan. En
attendant d’en avoir trouvé une, nous allons
t’envoyer à Hamedan, car, pour des raisons de
sécurité te laisser seule dans cette maison avec
Mohammad n’est pas une bonne solution. Si votre
présence dans la maison venait à être dénoncée, et
que le régime comprenait, il en ferait toute une
histoire. »
Il me parla aussi un peu des conditions
nouvelles, et de ce qu’était notre devoir dans cette
phase de notre lutte et partit. Ce fut ma dernière
rencontre avec ce modjahed héroïque. Selon ce que
j’ai entendu dire, peu après notre rencontre, il fut
arrêté dans la ville de Avaz et mourut sous la torture.
Deux ou trois jours se passèrent ainsi, et
un soir Ali vint en vitesse à la maison et me dit de me
256
préparer rapidement, que nous devions partir à
Hamedan. Je pris mon petit nécessaire individuel, et
je partis dans la nuit avec lui. Notre maison à
Hamedan était une grande et jolie maison. Pour lui
conférer l’air d’une maison habituelle, nous fîmes
venir ma mère chez nous. C’est dans cette maison
que je vis pour la première fois le Modjahed du
Peuple Mohammad Mehdi Baba Djani, qui faisait
partie des responsables Modjahedines de notre
région, et je compris qu’à partir de maintenant, son
lieu de résidence serait notre maison.
Nouvelle période de résistance
C’est moins de deux mois seulement
après le 20 juin de l’année1981, date du début de la
résistance armée que le moment de la séparation se
présenta opportunément. Ces deux mois allant de fin
Juin à fin Août avaient été sanglants, et j’avais été
constamment aux côtés d’Ali, que je ne quittais pas
.Les journées étaient très troublées. Chaque jour un
grand nombre de nos amis étaient arrêtés ans la rue et
257
mis à la torture. Condamnés à mort, ils mouraient au
gibet.
Nous étions nous-mêmes, à tout moment
et dans toutes nos allées et venues, prêts au sacrifice
de notre vie. Après deux années de vie commune
avec Ali, j’étais très attachée à lui, et la vie sans lui,
serait ce un seul instant, me paraissait insupportable.
Je vivais dans le cauchemar continuel de son
arrestation et de sa mise à la torture et je demandais
toujours à Dieu de devenir martyre avant lui.
Deux années d’une vie pleine d’émotion
et de trouble au cours desquelles je ne sentis pas le
temps passer, et comme Ali l’avait imaginé dès le
début, peu à peu nous nous approchions de la fin de
notre vie. Connaissant ma dépendance vis-à-vis de
lui, il saisissait toutes les occasions de l’utiliser pour
me préparer à supporter les jours très durs qu’il
faudrait vivre après qu’il soit devenu martyr.
Il me revient à l’esprit que dans la
seconde quinzaine d’Août, nous étions passés
ensemble devant la vitrine d’un grand fleuriste dans
la rue Bou Ali de Hamedan, je fis une pause devant
cette vitrine pour regarder les fleurs. Ali me
258
demanda : « Laquelle préfères tu ? » J’en choisis
une, et il me dit en riant en guise de
boutade : « Dans un mois ce sera notre anniversaire
de mariage, et si je suis vivant, je te ferai
certainement cadeau de celle là. Mais si je ne suis
plus là, tu viendras seule l’acheter en mémoire de
moi, et tu l’emporteras à la maison. » Je fus fâchée
de ces paroles, je ne lui répondis pas, et nous
passâmes notre chemin.
Pendant cette période je lui demandais
en permanence : « Si tu es arrêté ou si tu meurs
torturé, que ferai je ? » Il me répondait : « Tout
l’enthousiasme et la beauté de notre vie réside dans
notre militantisme de Modjahedines et la différence
d’âge et la différence de goûts n’ont pas empêché
que nous ayons passé sans les ressentir deux années
à côté l’un de l’autre. Pour celui de nous deux qui
restera vivant après l’autre, la vie sera encore aussi
belle qu’avant si elle se poursuit avec les
Modjahedines et Massoud. Tu commets une erreur de
penser qu’après moi la vie sera terminée pour toi ».
Mais chaque fois que nous parlions
ensemble de ce sujet, il comprenait bien à mon
259
regard et à mon humeur que je n’étais pas
entièrement convaincue par ses paroles. Par des
exemples et des modèles tirés de l’histoire des
Modjahedines ou de l’Imam Hossein, il essayait de
me faire saisir le sens du sacrifice et de me
tranquilliser. Il me disait toujours : « Est-ce que dès
le début nous n’avions pas mis nos pas dans ceux de
l’imam Hossein ? Jusqu’à présent, nous en avions
parlé, maintenant, on doit tenir la promesse et mettre
en pratique ce que nous croyons de tout notre cœur ».
260
Le jour le plus amer
Fin juillet début août 1981 l’armée des
pasdarans de Khorram Abad se précipita dans notre
maison pour m’arrêter .Ils y trouvèrent Alireza
Nafisi, le fils aîné de ma sœur, âgé de 23 ans et
étudiant dans la branche commerciale, ainsi que
quatre de ses amis qui se trouvaient être là. Les
pasdarans les arrêtèrent et les emmenèrent avec eux.
Les amis d’Alireza furent tous
condamnés à mort dans les deux mois qui suivirent.
Mais jusqu’à la mi-septembre le régime se retint de
prononcer la mort d’Alireza, dans le but d’exercer
des pressions sur lui et d’obtenir des renseignements
sur l’endroit où j’habitais. Alireza fut torturé et
mutilé à mort le 14 septembre. Un peu avant son
arrestation, Zohreh, sa plus jeune sœur fut elle aussi
arrêtée alors qu’elle vendait des publications et je fus
très sérieusement inquiète à son sujet.
C’était le matin du 20 août, vers huit
heures du matin. Après avoir pris le petit déjeuner,
261
j’étais occupée à desservir la table quand Ali entra
dans la cuisine, ferma la porte et dit : « Hier soir, j’ai
compris que tu avais encore pleuré pour Reza et
Zohreh .Serait ce que tu n’as pas l’esprit tranquille à
leur sujet ? »
Je lui répondis : » Tu y penses trop,
finalement tu sais à quel point j’aime ces deux
enfants, comme si je les avais élevés moi-même ». Il
me dit : » Il arrive souvent que l’homme qui croit
soit obligé de donner ce qu’il aime beaucoup, dans
son chemin vers Dieu ». Je lui répondis : « Je n’ai
pas encore atteint ce stade dans ma foi en dieu pour
que je lui donne volontairement ce que j’ai de plus
cher et que je ne lui demande pas ce jour là de sortir
immédiatement de la maison, car je ne suis plus
capable de le supporter dans ces conditions ».
Il me dit alors : « Si je le pouvais, pour
l’amour de toi, je ne partirais pas, mais j’ai une
mission importante à accomplir que je ne pourrai
certainement pas terminer avant midi, ce qui me fera
rentrer tard ». Puis il continua : « Ne pas sortir de la
maison, et ne pas mettre la main à la pâte sont une
façon de se soumettre. Par ces arrestations massives
262
et ces emprisonnements, le régime entend s’imposer,
mais nous devons ne pas toujours nous soumettre aux
pressions de ce régime ».
Je lui répondis en pleurant : « Mais si toi
aussi tu venais à être arrêté que ferais, je, moi ? » et il
me répondit sans la moindre hésitation : « Ce qu’il te
faudrait faire est évident : vivre et te battre pour que
tout ne soit pas fini pour toi, te remarier avec un des
frères Modjahedines et continuer à vivre avec encore
plus d’ardeur et d’enthousiasme qu’avant. »
Ses paroles me donnèrent la chair de
poule, et c’est avec une profonde colère que je lui
répondis : « Pars, et ne continue pas, car les paroles
que tu profères me heurtent ». Mais lui, qui disons
le, attendait de moi une telle réaction, rit avec
beaucoup de sang froid, et me dit : « Mais, j’ai mis
tes pieds dans la voie la plus correcte, car ce chemin
que nous devons parcourir, des milliers de gens
comme nous n’en verront pas l’extrémité. Chacun
d’entre nous doit pendant sa vie, aimer cette vie, et
doit lutter contre les réactionnaires pour la rendre
meilleure. Un combat, non seulement pour mieux
263
vivre notre propre vie, mais aussi un combat pour
rendre plus belle la vie des autres ».
Ses paroles m’avaient un peu rassérénée.
Je lui demandai pardon de m’être mise en colère, et
de n’être pas aujourd’hui sur la même longueur
d’onde que lui .Il me répondit en riant : « Si ton
cœur revient vers le mien, pourquoi mon cœur ne
serait il pas un moment séparé du tien ?
Malheureusement aujourd’hui ma tâche est telle que
je ne puis rester avec toi ». Il me dit au revoir et partit
pendant que, du haut des marches de l’escalier je le
regardai depuis la porte du bâtiment jusqu’à ce qu’il
disparaisse de ma vue. En partant il jetait à
intervalles réguliers un regard vers le haut en me
faisant un signe de la main. Ce jour là, je ne fis pas
grand-chose jusqu’à midi, et à partir de cette heure là
tout mon être fut étrangement envahi par l’anxiété.
J’étais sans nouvelles de lui et j’attendis ainsi jusqu’à
la fin de l’après midi, sans le voir revenir.
Peu à peu l’obscurité tomba et je fus
prise d’une étrange sensation d’étouffement. J’aurais
voulu crier et dire à tout le monde qu’Ali était en
retard pour rentrer à la maison.
264
Au coucher du soleil, Mohammad Mehdi
Babakhani vint à la maison. Une onde d’inquiétude
se lisait dans ses yeux. Je lui dis : « Ali est en retard,
il se pourrait qu’il ait été arrêté et il me parait
préférable que vous ne restiez pas dans la maison. »
Il me dit : « Soyons vigilants, mais je ne pars pas ».
Ni Mehdi, ni moi ne fermâmes les yeux jusqu’au
matin. Je m’enfermai dans ma chambre et pleurai
avec beaucoup de chagrin.
Pendant la nuit, je sortis plusieurs fois de
ma chambre, et je vis Mohammad Mehdi qui se
tenait debout, effrayé, en fumant des cigarettes sur le
pas de sa chambre .Lorsque le jour pointa, j’étais
encore certaine qu’Ali s’en sortirait. Cependant, au
fur et à mesure que le ciel s’éclairait, le chagrin de
mon coeur ne faisait que s’accroître et s’opacifier
pour devenir noir comme la nuit et recouvrir toute
mon existence .
Le matin vint enfin, et je fis des efforts
pour me contrôler et ne pas pleurer en face de
Mohammad Mehdi lorsque nous parlions d’Ali. Au
début, je lui parlai un peu de l’attachement que
j’avais pour Ali, et de la conversation que nous
265
avions tenue le jour même. Je continuai même : « Je
suis certaine qu’il a été arrêté ou qu’il est mort en
héros. S’il n’est pas mort, ils pourraient le condamner
à mort très rapidement ». Il confirma mes paroles et
me dit : » Je vais aujourd’hui essayer d’obtenir des
informations précises au sujet d’Ali. Je te les
communiquerai ». Puis il me dit au revoir et partit.
Après qu’il fut parti, je restai seule dans
la maison et j’entrai dans la grande pièce où chaque
matin Ali et Mehdi faisaient de la gymnastique. Les
vêtements d’Ali et le matériel de gymnastique se
trouvaient dans l’un des coins, et en les voyant, j’eus
le sentiment d’être à bout de forces et d’avoir la tête
qui tourne. Je m’appuyai contre le mur de la pièce,
puis je m’assis calmement, mis ma tête sur mes
genoux et je pleurai convulsivement.
Je n’étais seule que depuis quelques
minutes, lorsque je sentis l’ombre de quelqu’un qui
se trouvait à côté de moi. Je relevai la tête, c’était
Mohammad Mehdi.. Je fus désagréablement surprise,
et confuse de la situation dans laquelle je me
trouvais, mais je me repris aussitôt et je dis : « Je
266
vous croyais parti ». J’avais cependant bien entendu
le bruit étouffé de la porte.
Il sourit et répondit : « J’étais parti, mais
j’avais quelque chose à faire et je suis revenu ».
J’étais certaine qu’il n’était pas sorti, mais avait
simplement manœuvré la porte de façon à ce que je
croie qu’il était parti, pour pouvoir constater quelles
étaient mes réactions profondes face à cette situation
douloureuse.
Il me dit immédiatement : « Je peux
rester et parler un peu avec vous, ou peut être serez
vous plus tranquille si je m’en vais, que vous vous
asseyez ici et que vous pleuriez seule ». Je lui dis :
« Restez ».
Il s’assit à distance et commença à
parler : « Si je considérais les vies sacrifiées de ces
militants qui s’en vont, moi qui suis responsable
d’eux, qui les aime d’un grand amour, un si grand
nombre de martyrs et de prisonniers enregistrés dans
mon secteur de responsabilité depuis un mois
m’empêcherait de vivre et de réfléchir à notre
combat ».
267
Le visage décomposé par le souvenir des
martyrs et des militants, il ajouta : » Dans le grand
chaudron de la révolution et du combat, quand on
regarde ces martyrs, ou bien on devient un ennemi de
ce tortionnaire qu’est Khomeiny ou l’on cesse de
verser le sang, de devenir martyr, de se sacrifier et on
se désintéresse de toutes ces choses. Ou alors on
parvient à la grandeur par la victoire. L’histoire nous
a toujours enseigné que la révolution ne se fait qu’au
prix de sacrifices. Dans cette période, nous nous
trouvons face à face avec des mollahs diaboliques et
criminels, auxquels nous sommes contraints de faire
face et de résister en sacrifiant nos meilleurs
combattants et nos plus dévoués militants. »
Il apporta son Coran et en lut quelques
versets et leur exégèse, et il me demanda de ne pas
considérer le départ d’Ali comme la fin de tout.
Mohammad Mehdi insista sur le fait que si je ne
prenais la douleur de perdre Ali et toute sa bonté et
son amour que pour moi-même, elle serait alors
énorme et impossible à supporter. Mais si je replaçais
son sacrifice dans la masse des autres sacrifiés et
prisonniers que les mollahs nous imposaient, et que
268
nous continuions dans la voie que nous avions prise,
alors je verrai qu’elle deviendrait sans aucun doute
plus supportable.
Après une ou deux heures de
conversation avec moi, que mon esprit et mon âme
absorbèrent comme le sol desséché attire les gouttes
de pluie, il put enfin partir tranquille, sachant qu’il
pouvait me laisser seule pour me sortir du tourbillon
effrayant où me plongeait l’imagination des tortures
d’Ali et de sa mise à mort.
Au moment de lui dire au revoir, je lui
demandai de n’avoir aucune inquiétude à me laisser
seule et de ne pas revenir dans cette maison. Car
après l’arrestation d’Ali, il était dangereux pour lui
de s’y trouver et il fut d’accord pour que ma mère,
qui allait sur ses 70 ans, et qui était une
sympathisante Modjahedine convaincue vienne
habiter chez moi pour que je n’y reste pas seule.
En partant, Mohammad Mehdi me
dit : « Vous me donnez votre parole que vous n’allez
plus pleurer ? » Mais je lui répondis : « Non, je ne
peux pas vous mentir. » Il me
demanda : « Pourquoi ? » Je lui dis : « Les femmes
269
pleurent dans les circonstances difficiles, et moi
aussi, et je ne puis donner ma parole que je ne
pleurerai plus. » Il me regarda d’un regard profond,
me sourit avec bienveillance et me dit : « Mais pas la
femme d’un Modjahed ». Ce fut la première fois que
quelqu’un s’adressa à moi en ma qualité de
Modjahed.
Au début, m’entendre appeler ainsi me fit
tourne la tête, et je lui répondis : » Si je veux devenir
Modjahed, j’ai encore un long chemin devant moi.
Pour l’instant je ne le suis pas. Et vous pouvez
seulement m’appeler Madame Maliheh. » Il me
répliqua avec un autre sourire : « Ce n’est déjà plus
vrai à cet instant précis, Sœur Maliheh ». Puis il dit
rapidement au revoir et partit, tandis que je restais
sur place dans le plus grand étonnement de m’être
entendue appeler sœur.
Des informations complémentaires que
nous pûmes recueillir, il ressort qu’Ali fut
personnellement pris le jour même, tombant dans un
coup de filet tendu par l’armée des pasdarans sur
trahison d’un certain Essagh Biranvand et qu’il
opposa une grande résistance en criant des slogans
270
tels que : « Mort à Khomeiny » et : » Vive Radjavi »
avant d’être capturé. Il fut transféré aussitôt, couvert
de chaînes jusqu’au lieu de torture du régime à
Khorram Abad.
L’un des prisonniers qui avait occupé la
même cellule que mon neveu martyr Alireza Nafisi,
se trouvait être présent à la prison de Khorram Abad
lorsqu’ Ali y arriva. Plus tard il réussit à s’échapper
de cette prison, trouva mon adresse en exil cinq
années plus tard, écrivit les souvenirs qu’il avait
conservés de cette période où il avait côtoyé Reza et
Ali à la prison. Il me les fit parvenir. Voici ce qu’il
a écrit au sujet de l’incarcération d’Ali à la prison de
Khorram Abad.
Il était près de midi et Reza (Alireza
Nafisi) faisait les cent pas dans notre cellule. Reza
passa rapidement la tête dans le couloir par la fenêtre,
et se retourna avec un mouvement de colère. Il jeta
violemment ses lunettes sur le livre qui se trouvait
sur le plancher de la pièce, et dit : « Il ne peut avoir
été arrêté », et il me raconta ensuite l’histoire d’Ali.
Il me dit : » Ali est parmi les meilleurs
des Modjahedines de la ville, et n’a pas pu être
271
arrêté. Certainement vont-ils l’exécuter dès ce soi. ».
Ensuite, une heure après qu’Ali eut été introduit dans
la prison, le pasdar de garde entra un moment dans
notre cellule, à la recherche d’une éventuelle faute
de gardiennage.
Dès les premières minutes de son entrée
à la prison, Ali y avait changé l’atmosphère, et au
lieu de rester dans sa cellule, avait pris contact avec
les autres prisonniers, avait aussitôt jeté un œil dans
les autres cellules de la prison, embrassé et demandé
des nouvelles de tous les détenus. Il était très vif et
plein d’ardeur. Il était tellement content et de bonne
humeur que l’on aurait pu croire qu’il était venu en
visite à la prison, et qu’il n’y était pas détenu. Il me
demanda des nouvelles de ma santé et dit : « Fais tu
de la gymnastique, ou pas ? » Reza lui dit : « Oui, il
vient juste de commencer ». Il entra dans notre
cellule en courant, serra fortement Reza dans ses
bras, l’embrassa et lui dit à voix basse quelque chose
dans l’oreille qui les fit rire tous les deux.
Ali savait bien qu’il serait dans tous les
cas de figure condamné à mort, et n’observait
272
aucune règle de sécurité, et disait à voix haute, et
sans se cacher tout ce qu’il avait à dire
Il n’était pas arrivé de quelques minutes
dans sa cellule qu’il vint rapidement chez Reza, lui
demanda ses chaussures et lui dit : Je vais m’enfuir.
Reza lui dit : « Ali, je vais partir avec toi, de façon à
ce que, s’ils s’en aperçoivent, ils s’occupent de moi
pendant que tu t’enfuis ».
Reza prononça ces phrases de toute
bonne foi, et voulait vraiment se lancer avec lui
pour assurer la réussite de l’évasion d’Ali. Il était
entièrement prêt à se sacrifier pour lui, mais Ali ne
fut pas d’accord et lui dit : « Moi je suis un
condamné à mort, et ils exécuteront peut être cette
sentence cette nuit. Il vaut donc mieux pour moi que
je meure dans la ville plutôt que derrière ces murs,
pour que ma mort ait un plus grand impact sur la
population, mais toi, il faut que tu restes et que tu
continues ton chemin. Il ne faut pas que tu te jettes
pour moi dans une affaire périlleuse ».
Il ne perdit pas de temps, s’éloigna très
rapidement de nous et quelques instants plus tard
nous entendîmes le bruit de ses pas qui se
273
rapprochaient de notre cellule. Reza, qui s’était levé
d’avance pour dire une prière, la commença tandis
que l’on entendait la voix d’un enfant qui
disait : « Maman, un homme s’est enfui ». C’était le
garçon du chef de la prison. Un instant plus tard,
nous entendîmes la voix d’Ali qui s’envolait dans la
ruelle.
Environ une demi heure s’écoula dans
le silence. Il était trois heures de l’après midi. Reza
qui venait de terminer une nouvelle prière avait les
genoux qui tremblaient d’agitation. Il se planta
devant moi et me dit : » L’oiseau s’est envolé de sa
cage ».
Nous restâmes inquiets et mal à l’aise, et
une demi heure plus tard nous entendîmes des coups
de fusil .Je dis : « Reza, tu penses qu’il pouvait
s’échapper ? » Il me répondit : « S’il n’est pas arrêté
avant d’arriver à la place Takhti, l’affaire est dans le
sac ». Peu après on vit apparaître la tête d’un
enquêteur criminel appelé Ahmadi, qui nous cria des
injures et des paroles inconvenantes et nous dit qu’il
allait nous tuer tous, car « vous lui avez tous prêté la
main. »
274
Le pasdar assurant la garde était très
affecté et donnait force coups en
disant régulièrement : « Le gredin, comme si je ne
l’avais pas dit que c’était un individu dangereux !
Maintenant il court, et il va donner aux hypocrites
toutes les informations recueillies ici et demain les
Modjahedines nous en feront voir ».
Ahmadi le criminel, tout en s’étranglant
de rage se tourna vers nous et dit : » Si Ali n’est pas
repris, vous allez tous avoir droit au câble électrique,
et je vous réduirai tous en morceaux. » Il hurla des
injures à tout l’univers, retourna tout autour de lui.
Mais une heure plus tard, la prison fut de nouveau en
effervescence, et on ramena le corps à demi mort
d’Ali à l’intérieur de sa cellule et on ferma la porte
du couloir.
Nous regardions par la porte de notre
cellule. Deux enquêteurs, Ahmadi et Foroutan, et
quatre autres pasdarans donnaient des coups de pied
dans la poitrine et le ventre d’Ali, et Ali le héros
criait régulièrement : « Votre crime ne restera pas
sans réponse de la part du peuple, et il vous faudra un
jour en rendre compte. »
275
Finalement ils jetèrent le corps à demi
mort dans la cellule et partirent. A partir de ce jour le
nombre des pasdarans placés en sentinelle fut
multiplié et quatre d’entre eux furent affectés à la
seule surveillance d’Ali, et même beaucoup plus tard
les pasdarans se racontaient cette affaire entre eux
avec étonnement. Cette nuit là Ali eut des
vomissements de sang jusqu’au matin, mais personne
ne vint le trouver. Il resta abandonné dans sa cellule
dans un état sérieux. On vint le chercher dans la
journée pour un interrogatoire et quand il en revint le
corps ensanglanté par l’excès de torture et
entièrement disloqué .Malgré cela il était resté gai et
plein d’enthousiasme. Dans les rares occasions où
nous pûmes le voir en tête à tête, il riait avec
excitation. Il expliqua à Reza : « Je suis allé défendre
l’idéologie de l’Organisation. J’ai écrit la légitimité
de cette Organisation en seulement onze pages, pour
qu’elle reste dans l’histoire. »
Suite à la torture, Ali eut cette nuit là de
violents vomissements de sang jusqu’au matin, de
sorte que les deux hommes partageant sa cellule
protestèrent et dirent qu’ils ne pouvaient pas rester
276
dans cette cellule au milieu d’une mare de sang. Ils
demandèrent qu’Ali soit emmené à l’hôpital. Mais
les pasdarans l’abandonnèrent dans l’état où il était
et installèrent ces deux hommes dans d’autres
cellules.
Le lendemain, Ali frappa violemment à
coups de pied la porte de sa cellule et dit au gardien :
« Ouvre la porte, je vais faire mes ablutions et réciter
ma prière ». Le pasdar criminel prenant le ton d’un
maître spirituel lui dit ironiquement : « Tu es un
hypocrite, depuis quand dis tu ta prière pour moi ? »
.Ali lui répondit en criant à haute voix : « Meurs
étouffé, petit morveux, toi et ton dirigeant Khomeiny
également .Vous êtes des chiens, je ne dirai pas de
prière pour vous. Un modjahed du peuple ne dit sa
prière que pour dieu, et c’est tout ».
Aux cris d’Ali, trois autres pasdarans
arrivèrent rapidement devant sa cellule. Le maître,
frappé de stupeur, n’eut plus le courage de
répliquer, et Ali se remit à donner de violents coups
de pied dans la porte de la cellule, en criant :
« Ouvrez la porte ». Le maître ouvrit cette porte avec
affolement et deux pasdarans se saisirent de la main
277
d’Ali, tandis que deux autres se disposaient l’un
devant lui et l’autre derrière et l’emmenaient jusqu’à
un lavabo .A partir de ce moment, et jusqu’à son
exécution, Ali Ghazi eut une escorte de quatre
hommes pour faire ses ablutions rituelles avant
d’être reconduit à sa cellule, sans même avoir pu
prendre l’air.
Fuite hors du cercle de la mort
Avec l’arrestation d’Ali Ghazi dans la
ville de Hamedan le régime pouvait être assuré que je
me trouvais moi-même dans cette ville. Des équipes
de pasdarans, accompagnées du traître Eshagh, furent
envoyées de Khorram Abad, pour m’arrêter. Ma
photographie fut reproduite et diffusée aux pasdarans
et aux miliciens de Hamedan
Le régime des mollahs avait des plans
bien établis, et en particulier avait envisagé de
fouiller maison par maison pour me capturer dans la
278
ville de Hamedan. Pour ne pas être reconnue, je fus
obligée de transformer mon aspect physique.
C’était le 23 septembre 1981. Je
m’occupais, dans la ville de Hamedan, de rendre
visite aux mères de martyrs ou de prisonniers
politiques. Ce jour là, vers11heures du matin, je
m’apprêtais, sur la place Bou Ali de Hamedan à aller
visiter une mère, dont les trois enfants avaient été
capturés ensemble et le fils aîné condamné à mort.
Cette femme vivait dans une grande souffrance
morale
Je venais d’entrer sur la place BouAli
lorsque mon attention fut attirée par plusieurs
voitures blanches dont les occupants étaient armés,
stationnant dans un coin de la place. J’eus le
sentiment que j’étais prise dans un cercle de mort,
dans le filet de l’armée des pasdarans. Je continuai en
direction de la ruelle Ekbatan, qui se termine par un
grand quartier ancien. Lorsque j’arrivai près de cette
ruelle, brusquement je vis un homme bouger
rapidement de la place où il était. Un moment, son
regard croisa le mien. C’était Eshagh le traître, ce
mercenaire connu pour avoir fait tomber le martyr
279
Ali et beaucoup d’autres jeunes de Khorram Abad
dans le filet des pasdarans.
En raison du changement de mon aspect
physique, cet homme ne m’avait pas reconnue de
loin, et n’avait donc pu avertir à temps les pasdarans
de ma présence. Maintenant que j’étais arrivée près
de lui, il avait surgi avec sauvagerie comme s’il
pensait que je pouvais lui faire des misères.
Il avait un aspect lamentable et
complètement décrépit. Dès que je le reconnus, je
n’hésitai pas un instant et je m’engageai à toute
vitesse dans la ruelle et me mis à courir en entendant
les pasdarans qui me donnaient l’ordre de faire halte.
Je passai d’une ruelle à l’autre sans arrêter de courir
et m’engageai dans une ruelle étroite et entrai dans
une maison dont le portail était ouvert. Je refermai ce
portail derrière moi.
C’était une grande cour pavée, sur le côté
de laquelle une femme âgée était occupée à faire la
lessive dans un bassin. Cette femme, libre et
honorable, dès qu’elle me vit, entra précipitamment
dans sa maison, sourit, et dit : « Tu es
modjahed ? » Je lui répondis affirmativement. Elle
280
me dit, avec l’accent doux de Hamedan : « Les
chiens sont à tes trousses ? » J’acquiesçai. Elle me dit
alors : « Ne crains rien, ils me passeront d’abord sur
le corps avant de pouvoir porter la main sur toi ».
Elle suspendit immédiatement
l’exécution de sa lessive et me fit entrer dans le sous-
sol de sa maison. Elle me donna un vêtement et un
tchador, me dit de me changer rapidement pour ne
pas être me reconnue s’ils venaient à envahir la
maison et elle plaça une machine à coudre devant
moi et me dit de m’occuper à coudre. S’ils venaient,
elle pourrait dire que j’étais sa fille. Puis elle
m’embrassa, me consola, m’assurant qu’il ne
m’arriverait rien de mal. Ensuite elle se remit à son
travail.
Cette mère honorable de Hamedan me
garda près d’elle près de cinq heures dans sa maison,
et jeta à plusieurs reprises un coup d’œil dans la
ruelle, et chaque fois qu’elle revenait elle
disait : « Ces chiens ont complètement :envahi le
quartier. Ils sont aussi sur la place BouAli et même à
l’entrée de l’autre ruelle qui donne sur la rue Abbas
Abad, et ils t’attendent. »
281
Finalement, c’est après six heures de
l’après midi qu’ayant fait une nouvelle inspection de
la ruelle, elle me dit qu’ils avaient quitté les lieux et
qu’elle pouvait m’accompagner jusqu’à l’entrée de la
rue Abbas Abad. Je me mis en route avec elle dans
ces vêtements d’emprunt qu’elle m’avait donnés et
elle m’amena jusqu’à l’entrée de la ruelle.
Elle héla un taxi et me dit : « Monte »,
puis elle s’adressa au conducteur du taxi : « Cette
femme fait partie des Modjahedines, les chiens
étaient à ses trousses depuis le matin et ils avaient
barré toutes les ruelles du côté de la place BouAli et
de la rue Abbas Abad. Je voudrais que tu la fasses
sortir saine et sauve de ce quartier et que tu
l’emmènes là où elle voudra aller. »
Je fus très étonnée de la façon dont cette
femme me présenta au chauffeur de taxi, et je lui
demandai à voix basse si elle connaissait ce
conducteur. Cette femme me dit: « non ». Le
chauffeur, qui avait remarqué mon inquiétude, me
dit : « Ma sœur, ne crains vraiment rien, je te
conduirai comme la prunelle de mes yeux, saine et
282
sauve là où tu voudras .Vive les Modjahedines,
monte que l’on démarre. »
Cette mère magnanime de Hamedan et
moi, sans même que nous ne sachions vraiment nos
noms respectifs, nous séparâmes l’une de l’autre et je
grimpai à l’arrière du taxi, et la voiture se mit en
route. Le conducteur, sans même me demander
d’argent pour la course, me déposa à proximité de ma
maison, et me donna en plus une somme d’argent en
me disant : « C’est toute la recette de ce jour, prends
la et dépense la pour tes amis, ce n’est rien ». Puis il
me recommanda d’être très vigilante et partit, tandis
que je restais sur place, étonnée de tant d’amour et de
bienveillance à l’égard des Modjahedines.
Lorsque j’arrivai à la maison, tout le
monde était très affecté, pensant que j’avais aussi été
arrêtée, et quand ils me virent, et que je leur racontai
mon histoire, ils furent tous rassérénés. Mais il me
fut interdit par mes amis d’aller et venir à l’extérieur
de la maison, de sorte qu’il ne me fut plus possible de
sortir de chez moi à quelque titre que ce soit, de peur
d’être arrêtée.
283
Une rumeur qui fait mal
Le choc de l’arrestation d’Ali, et la perte
d’un mari auquel je m’étais fortement attachée, me
laissèrent un immense sentiment de vide et de
solitude. Je me trouvais en permanence aux prises
avec cette situation et j’essayais de mettre en
pratique ses recommandations, et ce qu’il me disait
toujours : » »Nous nous sommes disposés, dès le
début, à prendre le chemin de l’imam Hossein, et il
nous faut suivre ce chemin jusqu’au bout avec
honneur ».
Mais il ne s’était pas passé plus de deux
ou trois jours amers et lourds à rester à la maison
que l’on me rapporta que le bruit courait dans
Khorram Abad qu’ Ali Ghazi avait trahi et avait
donné au régime tous les renseignements qu’il
possédait. En entendant une telle nouvelle, ce fut
comme si je tombais du haut d’une montagne. J’eus
en réalité le sentiment que j’étais entièrement
disloquée.
284
Avant d’entendre dire cela, je croyais que
les jours les plus noirs de ma vie avaient été ceux qui
avaient suivi l’arrestation d’Ali. Mais maintenant,
cette nouvelle noircissait de façon étrange mes jours
et mes nuits. Jusqu’à présent, je vivais en
permanence dans le vide laissé par la disparition
d’Ali et le cauchemar de son exécution .De me sentir
vivante, me plongeait maintenant dans un état
extraordinaire de détresse et d’inquiétude et je
n’avais plus un instant de calme et de repos. Je ne
cessais de pleurer en me demandant pourquoi Ali
avait fait cela et tourné le dos à tout ce que nous
avions réalisé et souffert pendant deux ans pour y
parvenir.
C’est dans ces jours là que Mohammad
Mehdi apprit que je n’avais pas l’esprit en repos, et à
mon grand étonnement, il vint un soir à la maison. Je
fus choquée de sa visite, intervenant peu de temps
après ces nouvelles épouvantables, et je lui objectai
qu’il n’avait pas à venir dans une maison qui était
dangereuse pour lui, mais il en rit et me dit : « Les
copains m’ont dit : Notre sœur, en entendant la
rumeur de la trahison de son mari est presque
285
devenue folle ». Je suis donc venu te voir pour
savoir ce qu’il en est exactement ».
Je lui fis remarquer que si la rumeur était
fondée, cette maison pourrait être le lieu de son
assassinat. Il n’aurait donc pas du venir. Il me
répliqua : « Ton erreur est de croire que ce que l’on
en dit est vrai. Moi je te donne ma parole que si l’on
considérait l’ensemble des gens qui trahissent, Ali ne
saurait en aucun cas être l’un d’entre eux. »
Je fus très étonnée de cette confiance
totale qu’il avait en Ali, et je lui racontai que dès que
j’avais entendu cette rumeur, en dépit de
l’interdiction d’aller et de venir en dehors de la
maison, je m’étais rendue à l’endroit le plus
dangereux de la ville de Hamedan, c'est-à-dire là où
se trouve le bureau des télécommunications. J’avais
appelé la mère d’Ali au téléphone pour prendre des
nouvelles et faire la part des vérités et des
mensonges. Il commença par se fâcher de ce que
j’étais allée en cet endroit et dit : « Que ce soit la
dernière fois que tu fais ce genre de choses ». Il me
demanda ensuite quel avait été le résultat de mon
contact avec la mère d’Ali .Je lui dis qu’elle m’avait
286
répondu : « Je n’ai pas encore eu d’entretien avec
Ali, et cette nouvelle a elle aussi été répandue dans la
ville par le régime ».
Evidemment, avant le contact que j’ai eu
avec la mère d’Ali, j’avais appelé un de mes amis
pour avoir des nouvelles et il m’avait dit : « La
nouvelle de la trahison d’Ali est une rumeur que le
régime fait courir, mais le peuple de la ville dit que le
cheikh Mehdi a fait parvenir à Ali le message que s’il
livrait tous les renseignements et qu’il parvenait à
convaincre son épouse de se faire connaître, on ne le
ferait pas mourir. Il leur procurerait même un
passeport à tous les deux et les enverrait en
Amérique où ils pourraient vivre tranquillement.
Mais que dans sa réponse, Ali lui avait dit qu’il
emporterait dans sa tombe son désir de le voir trahir
et qu’il ferait mieux de se préoccuper de lui-même et
de son diabolique Imam Khomeiny le bourreau, car
après son renversement par la puissance populaire et
les Modjahedines, ils ne trouveraient plus en Iran un
seul endroit où leur sécurité soit assurée.
Mohammad Mehdi me livra rapidement
ce message et dit : « Il est évident qu’Ali n’a pas
287
donné suite à ce message. Ils auraient continué leurs
sévices sur lui, tu serais aussi tombée entre leurs
griffes et que vous auriez été tous les deux traînés
dans la fange avant d’être tous deux anéantis. »
J’informai Mohammad Mehdi que j’avais demandé à
la mère d’Ali d’avoir par tout moyen possible un
entretien avec Ali , de le voir personnellement, et de
lui transmettre un message de ma part.
Il me demanda : « Quel message as tu
envoyé à Ali ? » Je répondis : « J’ai dit à sa mère, si
vous le voyez, donnez lui ma parole que mon état est
très satisfaisant, que je suis fière de lui, et que, fidèle
aux recommandations qu’il me faisait quand il
s’absentait, je poursuivrai avec force et vigueur, la
voie qu’il avait prise, qu’il aille avec bravoure au
paradis et qu’il me réserve à côté de l’imam
Hossein, une place en attendant que je vienne le
rejoindre ». En entendant mon message, une lueur de
joie brilla dans les yeux bienveillants de Mehdi, qui
se tourna vers ma mère et lui dit : « J’avais deviné
que la femme dont vous êtes la mère ferait face avec
courage à cette situation ». Il continua pour ma
mère en plaisantant : » Ma sœur, si elle pleure bien,
288
elle laisse aussi de beaux messages, vous pouvez être
fière d’avoir une telle fille et un tel gendre ».
Nous nous mîmes à rire tous les trois (Ma
mère, Mehdi et moi), mais au souvenir des larmes
que j’avais versées, j’eus honte devant lui.
Mohammad Mehdi, après qu’il ait été
rassuré sur moi, récita une prière collective avec ma
mère et moi, puis il lut le Coran pendant une heure
et en fit l’exégèse puis il dîna avec nous et partit,
après m’avoir recommandé de lui faire parvenir
rapidement ma réponse à ses messages par
l’intermédiaire d’un correspondant, d’être forte
comme l’est une femme Modjahed, de pleurer peu
et de continuer de penser à la voie prise par Ali et les
autres martyrs.
Deux ou trois jours plus tard j’appelai la
mère d’Ali, qui avait pu le voir. Pendant qu’elle
parlait, elle pleura abondamment et me raconta l’état
physique déplorable dans lequel elle l’avait trouvé,
les tortures qu’il subissait, et ses vomissements de
sang permanents. Elle me parla un peu de moi et
m’informa qu’elle avait transmis mon message à Ali
et qu’il lui avait donné la réponse suivante : « Ma
289
chérie, ton message plein d’espoir m’a fait plaisir .Je
mourrai maintenant en martyr tranquille et
certainement que je retiendrai au paradis une place
comme tu le désires. »
La mère d’Ali me rapporta ses propos : «
Ils vont m’exécuter dans les prochains jours, mais il
faut que tu sois forte et s’ils te demandent de venir
chercher le corps de ton fils, ne leur donne pas ton
accord et dis leur comme les femmes dans
l’Achoura : » Le secret que j’ai confié à Dieu, je ne
le reprends pas. » Après avoir reçu ce message,
Mehdi vint de nouveau à la maison pour nous rendr e
visite, à ma mère et à moi, et en fumes très
heureuses.
290
Le moment de l’exécution.
Le 28 août, Radjaï16, et Bahonar17 furent
exécutés par la population en expiation de leurs
actes honteux. C’est ce jour là que fut diffusée la
nouvelle que la racaille et les voyous de l’armée des
pasdarans et de la milice avaient attaqué une prison à
l’intérieur de laquelle étaient détenus des
Modjahedines et exercé des voies de fait sur les
prisonniers. En particulier sur Ali qui avait été laissé
en piteux état. On l’avait attaché à demi mort à un
arbre de la garnison de Khorram Abad, où il fut
fusillé.
La nouvelle de l’attaque de la prison et
des sévices infligés aux prisonniers avait été
colportée aux oreilles de la population de la ville et
des familles des prisonniers par les voyous de la
Réaction. L’atmosphère dans la ville était très
houleuse, certains s’étaient rassemblés devant le
16 NdT : Président de la République Islamique 17NdT : Premier ministre de la République Islamique
291
centre de l’armée des pasdarans. Les responsables du
régime, pour prévenir une extension de l’agitation,
empêchèrent l’exécution d’Ali par les miliciens
porteurs de gourdins et donnèrent aux agresseurs leur
parole qu’ils se chargeraient eux-mêmes de sa mise
à mort dans la nuit même.
En vertu de cette parole, dans la nuit du
28 août, Ali, qui à force de torture n’avait plus la
force de se tenir debout mais criait encore de toutes
ses forces des slogans de mort contre Khomeiny et de
louanges à Radjavi fut attaché à un arbre, aux yeux
de tous les autres détenus, et fusillé.
On dit qu’une partie des membres du
peloton d’exécution, après que le mollah Ahmadi eut
donné l’ordre de tirer, ne tira pas. Ce mollah Ahmadi,
qui avait vu la scène, fut effrayé de n’être pas obéi. Il
sortit son Colt et tira sauvagement une balle dans la
bouche d’Ali, qui fut en plus achevé ensuite d’une
rafale de mitrailleuse.
C’est à minuit que la famille d’Ali fut
informée de son exécution .Il lui fut demandé de
venir récupérer le corps à la prison, mais
conformément à la recommandation d’Ali il leur fut
292
répondu: « Nous ne voulons pas du corps, dont
l’esprit est désormais auprès de l’imam Hossein. Ce
corps appartient à ses meurtriers ». En fin de compte,
c’est ce même oncle qui deux années plus tôt, avait
organisé une fête pour notre mariage, qui alla
chercher le cadavre du martyr Ali et qui le fit
inhumer dans le mausolée de leur famille.
Pendant quelques jours, des cérémonies
eurent lieu dans sa maison, à la mémoire du martyr
Ali, et la population de toute la ville et des villages
voisins de Khorram Abad, qu’ils soient proches ou
éloignés, y prirent part, pour exprimer leurs
condoléances pour son sacrifice.
Le jour du 28 août 1981, la nouvelle de
l’exécution d’Ali fut annoncée à la radio dans les
informations générales. Ma mère et moi étions seules
à la maison. Pour que ma mère n’en prenne pas
conscience, j’éteignis précipitamment le poste de
radio.
Entendre cette nouvelle en ces jours là,
était certes pour moi très amer et très lourd, et à vrai
dire très dur à supporter, mais j’avais quand même
deux motifs de paix intérieure. Le premier était
293
qu’Ali était libéré des souffrances de la torture, et le
second de penser qu’il n’avait pas cédé, ce qui était
impossible, mais cette idée me travaillait et je
n’aurais pas voulu qu’il cède.
Je cachai la nouvelle de l’exécution d’Ali
à ma mère, et j’essayai en tous cas de ne pas laisser
couler mes larmes en sa présence et de faire en sorte
qu’elle ne remarque pas l’état dans lequel je me
trouvais. Car je savais l’amour et l’attachement
qu’elle avait pour Ali, et que cette nouvelle lui serait
insupportable.
Au début de la soirée, Mahammad Mehdi
vint de nouveau nous rendre visite. Il me demanda
d’abord si je connaissais la nouvelle, et je lui
répondis affirmativement. Il me demanda : « Ta mère
la connaît aussi ? » Je lui fis un signe négatif .Mehdi
lui annonça alors calmement la nouvelle, et lui
présenta ses condoléances, puis il parla d’Ali et de
ses qualités.
En entendant ce qu’il avait été,
j’exprimai mes sentiments à Mehdi et à ma mère en
pleurant abondamment, et il me dit amèrement : »
Vous voyez jusqu’où va la bassesse de Khomeiny, à
294
conduire femme à se réjouir de l’exécution de son
mari. »
Ma mère pleura très fortement, resta
sans ressort, et dit toutes les difficultés rencontrées et
toutes les peines subies pendant les soixante quinze
années de sa vie, et s’éleva contre les douleurs et les
tortures infligées depuis l’arrivée au pouvoir il y a
deux ans de l’inhumain Khomeiny.
C’est alors que Mehdi dit à ma mère de
ne pas s’inquiéter pour ma solitude et il lui donna sa
parole que le lendemain il enverrait quelqu’un près
de moi pour qu’elle puisse se rendre à Khorram Abad
et assister aux cérémonies de deuil à la mémoire
d’Ali. Il me demanda d’enregistrer une cassette dans
laquelle je m’adresserais aux mères et aux épouses de
martyrs pour leur demander d’être fortes, et de la lui
faire parvenir pour la cérémonie.
Je me mis au travail en vitesse, mais quoi
que je fasse, les larmes m’empêchèrent de parler et je
décidai d’écrire.
J’écrivis une biographie d’Ali, et
composai aussi un long poème, destiné à être récité
de ma part au cours de la cérémonie funèbre. Cette
295
nuit là, jusqu’au matin, je couvris plus de dix fois le
papier de larmes et je dus en changer pour pouvoir le
terminer et permettre à ma mère de l’emporter avec
elle à Khorram Abad.
Persistance dans la conviction
merveilleuse
Avec le sacrifice d’Ali, moi qui pensais
jusqu’à ce jour là que je pouvais seulement rester à
son côté dans la voie difficile et pénible des
Modjahedines, je me trouvai devant deux chemins :
que faire seule, et quel itinéraire choisir. Etais je
capable et avais je les qualités pour parcourir seule
cette voie difficile ?
En ce qui concerne ma résolution, je
n’hésitai pas un seul instant, et je décidai de
poursuivre dans la voie engagée, mais il faut
reconnaître que parcourir cette voie parsemée
d’embûches sans les aides lointaines ou rapprochées
que mon héroïque mère, les autres Modjaheds
296
magnanimes, tels que Mohammad Mehdi Babakhani,
Bhedjat Sadoughi, Mahammad Ali Iahiavi, Achraf
Ahmadizadeh, et beaucoup d’autres, m’apportèrent,
cela n’aurait pas été possible.
Mais en choisissant cette voie difficile, il
me parut évident que, même en ayant une expérience
de deux ans et demi lutte politique, il me faudrait
certainement, traverser, en me serrant la ceinture,
un océan de souffrances, de sang et d’efforts pour
parvenir, à un endroit et à une époque que je ne
connaissais pas, et que je ne connais pas encore.
Oui, en ces jours là, je ne pouvais voir
aucun signe marquant le bout du chemin, mais en
même temps quelque chose luisait au fond de moi-
même, me poussait vers l’avant, et c’était cet
horizon lumineux et merveilleux de ma conviction
que cette voie était bien celle restant à explorer et
dans laquelle je devais m’engager. Il fallait, sans
tergiverser, et sans hésiter un instant, la parcourir
sans renoncer jusqu’au bout, quel qu’en soit le prix.
C’est avec cette ferme résolution que je fis les
premiers pas dans une nouvelle étape dans la voie de
la liberté en commençant à écrire pour les martyrs.
297
Ce fut l’époque où, bien que le souvenir
d’Ali ne me quittât pas un instant, mais sous tendait
tous mes efforts, je consacrai toute ma vie et tout
mon être, à lui et aux autres cœurs qui battent pour
l’amour des autres et de la liberté et se dressent
chaque jour au cri de « Vive Radjavi »
C’est dans ce but même que je me suis
efforcée jour et nuit avec beaucoup d’amour, de faire
en sorte que le chemin des martyrs soit édifiant, et
de porter le message de leur sang versé.
Dans chaque ville ou chaque prison où
étaient morts des suppliciés j’ai recueilli leur
testament ou leurs notes manuscrites, certaines
quelquefois tachées de sang ou parfois écrites dans
les étroites marges blanches des journaux, et bien
souvent illisibles et que les familles retrouvaient dans
leurs vêtements sanglants de martyrs et qui me
parvenaient rapidement, transmis par l’intermédiaire
d’amis, pour que j’écrive pour chacun un mémorial
et un poème.
Lorsque le texte écrit à la mémoire de
chaque supplicié, il était chanté, de sa voix agréable
et chaude par la martyre Achraf Amahdizadeh que
298
nous appelions Nasrine, avec beaucoup de difficultés
et en secret, avec beaucoup de difficultés, j’en
faisais un enregistrement musical dans les maisons
cachées où nous vivions. Et lorsque nous arrivions à
la cérémonie funèbre organisée par la famille de ces
martyrs, nous diffusions sur place, le texte polycopié
qui avait été édité avec l’aide de la résistance de
l’endroit où avait eu lieu le supplice de chacun des
martyrs.
Pour pouvoir réaliser notre tâche dans les
maisons qui servaient de cachette, et pour ne pas
faire de bruits qui pourraient les faire repérer, nous
avions installé un « studio »que nous appelions en
plaisantant »le studio du korsi ».18
Ce studio du korsi était une de mes
brillantes créations .Et il était ainsi fait que, sous une
petite table, nous avions placé une lampe, et pendant
l’enregistrement de la cassette du mémorial de
chaque supplicié, toutes les couvertures et toute la
literie disponibles dans la maison étaient placés au
dessus, tandis que Nasrine et moi, dans la chaleur
18 NdT :Le korsi est une table, généralement recouverte d’un
tapis et sous laquelle des braises maintiennent une température
agréable.
299
parfois suffocante nous nous installions dessous pour
réaliser un enregistrement avec deux cassettes
jumelles. Elle pouvait chanter à pleine voix pendant
que je faisais tourner l’accompagnement musical et
opérais le mixage.
C’est dans ces conditions que pendant
deux années, avant que je ne vive complètement
recluse en Iran et jusqu’à mon départ du pays, j’ai
sans exagérer pendant des centaines d’heures, vécu
au milieu des larmes et le cœur déchiré dans une
chambre cachée et sombre à l’intérieur de laquelle je
regardais seule toute la journée un ciel zébré que je
pouvais voir derrière des jalousies fermées, et où
j’écrivais pour les martyrs, afin peut être de délivrer
un petit message pour tout le sang qu’ils ont
injustement versé.
Pendant que j’écrivais ces biographies,
dans une faible lumière et parfois dans l’obscurité
totale, j’oubliais parfois la promenade quotidienne, et
je continuais tellement à travailler que des
hémorragies importantes affectèrent les vaisseaux
capillaires de mes yeux, avec de l’infection, et je ne
fus plus en mesure d’écrire. Par ailleurs, en raison du
300
danger d’être repérée par les mercenaires du régime,
il n’était pas possible que j’aille consulter u médecin
de la ville de Hamedan.
Devant la gravité de l’état de mes yeux,
plusieurs de mes amis, aidés par la famille honorable
qui m’hébergea secrètement pendant une période de
18 mois, tout en ayant deux enfants en bas âge,
m’emmenèrent dans le plus grand secret aux
dernières heures du soir, dans le cabinet médical d’un
ophtalmologue discret, auquel je me présentai
comme étant militante des Modjahedines, et qui
m’apporta son assistance.
Ce médecin honorable de Hamedan
courut un risque énorme en m’accueillant, et ne
refusa pas de me traiter jusqu’à guérison totale de
mes yeux.
Dès que mes yeux furent guéris, je pus
reprendre le cours de mes écrits, que je continuai
jusqu’à ce que je sois contrainte de quitter le
territoire.
Je crois qu’il est ici nécessaire que je
fasse mention de deux martyrs magnanimes, que
301
furent les Modjahedines Achraf Emamizadeh et
Behdjat Sadoughi
Après la mort du martyr Ali Ghazi, c’est
avec ces deux héroïques Modjahedines, Nasrine, qui
avait obtenu une licence de Psychologie, et Bhedjat
qui était étudiante à l’université de Meshed dans le
domaine de la littérature, qui étaient venus vivre
cachés à Hamedan, et avec qui j’ai cohabité.
La sœur âgée de 16 ans de Nasrine, la
Modjahed martyre Sahra Ahmadizadeh tomba aux
mains des pasdarans meurtriers de Khomeiny, à
Téhéran et fut mise à mort le 28 septembre, et son
mari, le martyr héroïque Hossein Imani, qui fut lui
aussi candidat aux élections législatives dans la ville
de Djadjrom dans la province du Khorasan, et fut, lui
aussi, mis à mort par les pasdarans début
septembre1981, presque au même moment que Sahra
dans la région de Abbas Abad Hamedan.
Behdjat Sadoughi, et son mari Madjid
furent arrêtés au mois de septembre de 1981à
Hamedan et emmenés à la prison, et après
l’exécution de la martyre Behdjat, Madjid resta près
302
de deux ans en prison sans aucune condamnation, et
fut mis à mort après avoir subi la torture.
En ces jours, qui étaient très durs, nous
étions trois personnes, avec ma vieille mère à vivre
dans une maison située dans une rue du quartier
Djahannama de Hamedan, où j’écrivais, et ma mère,
s’évertuait à montrer que la maison était occupée par
des gens ordinaires, qui allaient et venaient, et elle se
rendait en ville avec Behdjat et Nasrine dans le froid
et le gel pénibles pour régler les problèmes
domestiques extérieurs de la maison.
C’est réellement beaucoup de gentillesse
et de considération que ces personnes nous
témoignèrent, à ma mère et à moi, en ces temps
difficiles et manifestèrent à mon égard beaucoup de
patience et d’encouragements et j’aurai toujours une
dette de reconnaissance envers elles pour cette
période où nous avons vécu ensemble.
Ces deux femmes héroïques, peu après
que j’eus quitté le territoire au mois de septembre
octobre 1983, furent arrêtées alors qu’ayant, elles
aussi, décidé de partir elles étaient sur le chemin du
départ. Après avoir passé un moment incarcérées à
303
la prison de Hamedan, elles subirent la torture, avant
d’être pendues sur place.
Les pasdarans, peu après leur arrestation,
amenèrent Behdjat à un poste téléphonique pour
qu’elle téléphone à ses amis qui, de l’étranger, lui
apportaient leur aide pour la faire sortir du territoire
afin de connaître leur identité.
Pour les tromper, elle leur avait promis
de collaborer avec eux, et entourée de pasdarans, elle
décida de prendre un contact téléphonique avec ses
amis en Europe, et dès le début de la conversation,
leur révéla qu’elle avait été arrêtée, qu’elle était
soumise à la torture, et qu’elle avait trouvé ce moyen
pour que ses amis soient informés de son arrestation,
sans que le régime puisse en faire une mauvaise
utilisation, et ne parvienne pas à obtenir des
renseignements sur le réseau des personnes qui
apportait son assistance aux personnes voulant sortir
du territoire
Après cette action courageuse de sa part,
une cassette de cette conversation épique qui avait
été enregistrée par un ami, est arrivée entre mes
mains, et j’ai entendu de mes propres oreilles, après
304
que son courageux procédé eût révélé la machination
des pasdarans, le coup que les pasdarans lui ont
asséné sur la tête, et le bruit de ses cris, de ses
rugissements et des injures qu’elle leur lança.
C’est la seule voix qui, sans exagérer,
après vingt ans, résonne encore à mes oreilles
chaque fois que je me la rappelle, et me confirme
dans mon opposition aux réactionnaires sanguinaires.
Que leur mémoire nous soit chère.
Une séparation douloureuse
C’était le 18 mars de l’année1981. Ma
mère, à la suite des pressions résultant de
l’oppression des mollahs, et des évènements
douloureux qui s’étaient produits durant les six
premiers mois de 1981 dans notre famille, devint
gravement malade. Par ailleurs, les difficultés de sa
vie cachée avec moi et mes amis, le poids des
contraintes liées à la vie dans une maison
clandestine reposaient sur ses frêles épaules et
avaient réellement dépassé les limites de ses
possibilités physiques et mentales, encore qu’elle fût
305
encore prête à tous les sacrifices pour la cause des
Modjahedines.
De plus, tous ces chagrins sans fin
concernant les sacrifices d’Ali et de Reza,
l’arrestation de Zohreh et d’autres de ses petits
enfants, les martyres successifs des Modjahedines
qui vivaient avec elle et qu’elle accompagnait de ses
bénédictions, qui sortaient de la maison, étaient
arrêtés quelques heures plus tard, ou étaient mis à
mort et ne revenaient jamais à la maison,
entretenaient chez elle une inquiétude constante et
fatale.
Oui, elle redoutait en permanence que
nous soyons arrêtés et de mourir dans les maisons
secrètes des Modjahedines et elle me disait : « Si je
meurs chez vous, ne faites pas d’annonces pour mon
ensevelissement et mon enterrement, car le régime
vous connaît et procèderait à votre arrestation. ». Elle
disait aussi : « Si je meurs, emmenez en cachette ma
dépouille dans la rue et abandonnez la jusqu’à ce que
la municipalité l’emporte ».
J’avais de la peine pour ma mère affligée,
au cours de la période où elle avait vécu avec nous,
306
elle n’avait jamais voulu, même lorsque sa condition
physique était très mauvaise, venir avec moi chez le
médecin, et disait : Je ne veux pas, pour avoir un
traitement médical, que tu sois reconnue et que vous
soyez arrêtés. Et quand elle fut très sérieusement
atteinte, elle alla à Khorram Abad, consulta un
docteur sur place, et revint chez moi à Hamedan
lorsqu’elle eut recouvré sa santé.
Par ailleurs, le régime féroce de
Khomeiny, devinant que ma mère devait vivre à
proximité de chez moi, chaque fois qu’elle allait à
Khorram Abad rendre visite à ma sœur ou qu’elle
allait consulter son médecin, l’arrêtait pendant un
certain temps, et en dépit de son âge avancé et de sa
maladie, la torturait sévèrement et lui faisait subir des
sévices corporels et mentaux, pour qu’elle dénonce
ma cachette.
Ma mère, chaque fois qu’elle se trouvait
devant eux, disait courageusement : L’endroit où vit
ma fille, je ne le connais pas, mais si je le
connaissais, je ne vous le dirais pas, meurtriers qui la
mutileriez comme vous l’avez fait pour mon martyr
307
Reza (Son petit fils Alireza Nafisi) avant de me la
rendre.
A la suite de cette vie très dure, et des
pressions psychologiques, la maladie de ma mère
s’aggrava peu à peu, et je devins terriblement
inquiète pour sa santé.
Comme je le pensais, c’est pour moi
qu’elle supportait les difficultés de la vie
clandestine, et je décidai de l’envoyer vivre chez ma
sœur à Khorram Abad.
Pour que son imagination ne l’entraîne
pas à penser que ma santé était compromise, je la
rassurai en lui disant qu’il allait falloir que je parte à
l’étranger, et que je désirais que, après mon départ,
elle revienne chez mes sœurs pour y vivre plus
tranquillement. Jamais je ne pourrai oublier le
moment où j’ai été séparée d’elle.
Ce fut en fin d’après midi du 18mars1981
que je dis au revoir pour toujours à mon aimable
mère. Au moment de la séparation, je la serrai très
fortement contre ma poitrine, faisant pour moi une
grande provision de la chaleur reposante de son sein
plein de tendresse, et je fis un effort considérable
308
pour ne pas pleurer devant elle…En réalité, cette
séparation fut très dure pour ma mère et pour moi, et
la douleur fut d’autant plus vive qu’il s’était passé
trente années au cours desquelles nous n’avions
jamais été séparées l’une de l’autre.
Ce jour là, selon un programme précis je
déménageai dans la maison d’une honorable famille
de militants Modjahedines, je m’installai dans mon
nouveau lieu de séjour, et une période de 18 mois
s’écoula, que je passai de manière complètement
clandestine dans cette famille avant que je ne quitte
le territoire.
Contrairement à ce que j’avais pensé, à
savoir que c’était pour moi qu’elle supportait la vie
cachée dans les maisons de Modjahedines, avec
toutes ses difficultés, ma mère, après notre
séparation, et tant que ses forces physiques le lui
permirent, garda le contact avec eux. Elle continua
encore longtemps à les aider et à collaborer avec mes
amis, jusqu’à ce que, à la suite des pressions
mentales résultant de la vie douloureuse que le
régime de Khomeiny créait pour elle et que, bien sûr,
notre séparation ne faisait que doubler, elle ne
309
devienne très malade. Il ne fut plus possible de la
conserver dans des maisons cachées, et il ne devint
indispensable de la faire rentrer à Khorram Abad
pour qu’elle vive auprès de ma sœur.
La mort douteuse de ma sœur
Mansourah, après les massacres de l’année1988, et la
mort de mon frère Mehdi, qui apprenant la nouvelle
de la mort de ma sœur, eut lui-même une crise
cardiaque, dont il mourut en peu de temps, laissèrent
ma mère complètement abattue.
Cette femme courageuse, ayant beaucoup
souffert jusqu’au moment de mourir, a toujours vécu
en attendant de me revoir, au point que, dans les dix
dernières années de sa vie, bien qu’ayant perdu ses
facultés mentales, elle n’avait conservé qu’un
souvenir et un nom dans sa mémoire, et elle
demandait à ses connaissances ou aux étrangers :
« Monsieur, madame, n’avez-vous pas vu ma
Maliheh ? »
310
Le départ du pays
En avril de l’année 1983, il me fallut
pour laisser mon pays derrière moi, avec l’aide de
concitoyens fidèles dévoués et courageux, deux mois
remplis d’aventures, de risques et de dangers, en
passant par les provinces du Kerman, du Sistan, et
du Baloutchistan et, pour me faire sortir du pays ce
fut pour eux une épreuve réelle à supporter, et je
n’ai jamais oublié leur abnégation.
Ainsi donc, j’ai quitté l’Iran en passant
par le Pakistan au cours d’un voyage de deux mois
extrêmement fatigant en passant au travers
d’innombrables dangers, avec l’aide des nombreux
amis que j’avais, qui me firent passer au Pakistan, et
j’allai ensuite du Pakistan en Turquie.
De Turquie, je vins dans un pays
européen dans lequel je fus acceptée en qualité de
réfugiée politique. Depuis ce moment jusqu’à
maintenant, j’ai passé plus de vingt années de ma vie
en exil forcé, un exil qui pendant toutes ces longues
années de ma vie s’est déroulé dans l’éloignement et
311
la solitude avec seulement l’espoir et le désir d’un
retour dans le giron bienveillant du pays natal.
Postface
Vivre pour la liberté
312
Comme je l’ai expliqué au début, bien
que le sujet principal de ce livre se présente comme
la relation des évènements de ma vie politique dans
les deux premières années du gouvernement des
mollahs, c’est au cours de ces deux années là que
dans le même temps j’ai fait la connaissance du
modjahed martyr Ali Akbar Ghazi et que je me suis
mariée avec lui. La trame des évènements est
obligatoirement tissée entièrement avec la chaîne des
souvenirs que j’ai de lui, et la séparation des deux
était pratiquement irréalisable.
Pour la même raison, à titre de postface à
cet ouvrage, j’ai jugé essentiel de signaler le point
suivant, qui sera peut être utile à mes chers lecteurs
et en particulier aux femmes de mon pays.
Mon mariage avec le Modjahed martyr
Ali Akbar Ghazi, a eu lieu après une longue
insistance de sa part, mais c’est moi qui, au
lendemain même de son annonce officielle, me suis
attachée à lui, et mon attachement n’a fait que croître
au fil du temps, au point que, en particulier après les
élections où il fut l’objet du terrorisme des
réactionnaires dans la ville, je n’eus plus un seul
313
instant de tranquillité en pensant qu’il pouvait être
leur victime et martyrisé par eux., et chaque fois
qu’il sortait de la maison, je vivais dans l’anxiété en
me demandant s’il allait rentrer ou non, si j’allais le
revoir, ou si je l’avais vu pour la dernière fois.
Mais j’étais plus ou moins comme toutes
les femmes qui ont été élevées dans le carcan de la
civilisation patriarcale, et qui, sans être absolument
dépendantes du mari, ne vivent pas leur identité
propre. Pendant les deux années de notre vie
commune, j’ai été terriblement attachée à Ali, et c’est
à cause de cet attachement, que, même si le cahier
de notre vie commune est court, en raison même du
martyre d’Ali Akbar Ghazi, il n’est fermé qu’en
apparence, car pendant de longues années, lui et les
souvenirs que j’ai de lui sont demeurés présents à
mes cotés comme mon mari, sans successeur dans
ma vie.
En particulier, tout ce qu’il y avait de bon
et de pur dans son comportement, indépendamment
de son supplice, se trouve maintenant magnifié par
l’auréole de sainteté du martyr qui a suivi la voie de
la liberté. La mémoire de ce mari et le souvenir de
314
son ardeur et de sa sainteté ne se sont pas érodés avec
le temps, mais sont devenus jour après jour plus
vivaces et confèrent de la valeur à mon existence.
Oui, une existence au fil des jours, vécue
seulement dans le souvenir pendant de longues
années.
Evidemment, cultiver la mémoire des
martyrs est une démarche de liberté, et la
reconnaissance de leurs mérites, un acte de louange.
Mais ce que je veux, ce n’est pas tant mettre à
l’honneur la mémoire d’un héros, que montrer ce que
peut être la vie avec un homme qui, dans la
civilisation patriarcale, est le maître incontesté d’une
femme. Une vie digne, qui respecte l’intégrité de
cette dernière.
Ainsi, animée de l’amour de la liberté, et
douée de persévérance, j’ai pu, après le sacrifice
d’Ali, poursuivre sans m’interrompre dans la voie de
« Massoud »ma vie de combat en qualité de simple
militante, mais ma vie naturelle a été interrompue
le 10 du mois de Charivar, le jour de son martyre.
C’est pourquoi, au cours des années qui
ont suivi notre séparation, je n’ai pas accepté comme
315
un sacrifice volontaire la lutte contre un ennemi
inhumain et misogyne, mais comme une imposition,
et de ce point de vue acceptée à contre cœur. Au fond
de moi-même, je n’ai jamais admis cette séparation
amère, et c’est toujours avec tristesse et regrets que je
me suis remémoré cela. Jusqu’à ce qu’enfin, le
courage magnifique d’une femme libre me permette
de rompre cette chaîne d’esclavage qui consistait à
vivre dans le souvenir d’un homme.
Elle était prête à se séparer d’un époux ou
le répudier pour être en mesure de se battre plus et
mieux, et c’est seulement pour pouvoir continuer son
combat qu’elle choisit de se marier sans tenir compte
de considérations ancestrales et que, contrairement à
la tradition plus que millénaire, elle récita elle-même
l’homélie du contrat de mariage, pour bien attirer
mon attention sur cette réalité.
Cette réalité, dont le nom est
extraordinaire (Vivre pour la Liberté) je ne pouvais,
jusqu’à ce moment là, la comprendre. .Je le fais
mieux aujourd’hui.. Mais il me faudra encore du
temps pour en découvrir les aspects merveilleux.
Pendant de longues années, je n’ai regardé la mort du
316
martyr Ali Akbar Ghazi que comme celle d’un mari
martyr, m’appartenant à moi, et non celle d’un
martyr ayant choisi la voie de la liberté, ayant offert
gaiement sa vie dans un magnifique combat.
Ce martyr, qui aimait follement sa femme
plus que tout a traité les affaires de l’organisation
dont il avait la charge avec opiniâtreté, et est mort
courageusement pour dans le futur et pour une
longue période, apporter sa vie et sa gaîté en cadeau
aux autres jeunes époux.
Mais aujourd’hui, quand je pense à lui de
cette nouvelle manière, je sens en moi l’énergie et la
capacité infinies de tout sacrifier pour la réalisation
des idéaux élevés de ce combat, sous la conduite
sincère et dévouée de l’Organisation des
Modjahedines du peuple d’Iran et que le Modjahed
Ali Akbar Ghazi n’est qu’un martyr parmi des
dizaines de milliers qui ont suivi cette voie avec
honneur.
Evidemment, avec cette conception du
combat et du sacrifice, vivre pour la liberté, avec tout
ce que cela représente de difficultés, et en dépit de
l’amertume que suppose le fait d’être privée de l’être
317
aimé mis à mort par les réactionnaires féroces, peut
constituer encore une belle vie, digne d’être aimée, et
selon le vieux courageux « Nimayouchidj » :
« Il faut embrasser chaque jour le
visage de la vie,
Pour y découvrir quelque chose qui
soit digne d’amour ».
318
Chers amis
J’ai commencé le livre « Vivre pour la
Liberté », en mettant en exergue un vers du défunt
poète Sohrab Sépehri, dans lequel, il décrit ce qu’il y
a de plus poignant dans l’amour, mais je me
permettrai d’ajouter pour terminer une autre
319
expression de l’amour, mais cette fois dans la
bouche du maître de Chiraz, Hafez :
« Celui qui vit, mais ne vit pas pour
l’amour
J’ordonne pour lui, encore vivant, la
prière des morts.
Samar AZAD
Email:[email protected]
www.adcali.com
Samar Azad : La lutte des femmes
iraniennes pour la liberté
Paris, Société des Ecrivains, 2005,
traduit de l'Iranien par le Docteur Rosham et J.J
Quel plaisir de lire cet ouvrage et de
découvrir les luttes qu'une femme iranienne (l'auteure
de cet ouvrage) a menées avec un courage inouï, une
détermination exemplaire et une clairvoyance
320
politique remarquable pour la cause de la liberté, une
liberté qu'elle veut conquérir pour tout le peuple
iranien : (citoyen-ne-s, femmes, travailleurs/ses,
pauvres, minorités etc.).
Elle revendique la liberté politique pour
tout un peuple, ce qui l'amène à combattre les
régimes politiques quels qu'ils soient, monarchiques
ou dictature religieuse, qui interdisent toute tentative
de discussion ou de contestation de la pensée unique.
Reposant sur la terreur, ces régimes sanctionnent par
la violence, la prison, la torture ou la mort toute
opposition de paroles ou d'actions protestataires non
violentes.
Elle se bat pour la liberté des femmes de
s'habiller comme elles l'entendent, de porter ou non
le voile, et d'accéder à tous les domaines d'activité
professionnelle. Dans ce but, elle avait initié et mis
au point tout un programme de développement de
crèches et garderies pour enfants afin que les femmes
puissent travailler. Programme que le régime des
mollahs s'empressa de saboter au début de leur
321
arrivée au pouvoir, leur doctrine de départ étant que
les femmes devaient rester à la maison pour
s'occuper des enfants et de la cuisine.
Elle soutient la mobilisation des
travailleurs/ses, des ouvriers, des pauvres et des
exclu-e-s pour défendre leur dignité et sauver les
quelques droits sociaux déjà existants. Elle se
propose d'élever leur qualification en développant
des cours de formation professionnelle dans les
différents métiers ; elle lutte pour que les prostituées
soient considérées comme des êtres humains à part
entière dans une société, qui les méprise.
Profondément laïque, elle s'attire la haine
des ayatollahs en défendant la liberté des Bahaï, un
mouvement religieux très minoritaire aussi détesté
par le régime. Elle s'oppose à leur expulsion et les
soutient en bravant les représailles.
Pour réaliser tous ses objectifs et
surmonter la répression qui s'abat sur elle parce qu'ils
contrecarrent ceux des ayatollahs, Samar mobilise
tout son potentiel humain et sacrifie sa vie
322
personnelle et familiale, son confort, sa sécurité, ses
ressources propres aux causes qu'elle défend. Elle est
infatigable. Bien que les luttes qu'elle relate dans ce
livre ne concernent qu'une brève période de sa vie en
Iran, on est stupéfait par la capacité de Samar de
résister à ce régime de terreur et à gagner la
sympathie d'une population qu'elle a réussi plus d'une
fois à entrainer dans des actions de contestation à
l'arbitraire des ayatollahs. Epuisée, traquée, humiliée,
emprisonnée, condamnée à mort par le régime, elle
continue à militer dans la clandestinité sans de
départir de sa sérénité et de son dynamisme .
Elle évite la mort de justesse en s'exilant
à l'étranger après une vie nomade mouvementée à
travers l'Iran pour échapper à ses persécuteurs…
Nul doute que grâce à ses luttes, en
particulier au sein de l'organisation des
Moudjahidines du peuple iranien, elle a semé des
graines de résistance et d'espérance qui ont germé
dans le peuple iranien, particulièrement dans la
jeunesse. Elle fait partie des grandes figures de la
Résistance à la dictature qui, en Iran et dans le
monde considèrent que l'idéal de la liberté ne doit pas
323
se réduire à un mot inscrit au fronton des monuments
mais doit se conquérir en s'incarnant dans des luttes
quotidiennes. A ce titre, son ouvrage nous interpelle
en tant que citoyen-ne-s et féministes d'Occident qui,
enfermé-e-s dans nos certitudes, hésitons à exprimer
notre solidarité à une Résistance iranienne dont
Samar Azad est une représentante exemplaire.
Andrée Michel, directrice honoraire de
recherche au CNRS, Paris.
324
Table des matières
Préambule ..................................................................................................................... 8
Chapitre Premier ......................................................................................................... 13
L’époque de l’enfance. ............................................................................................ 13
La mort soudaine de mon père ................................................................................ 21
Adolescence et jeunesse .......................................................................................... 22
Première et dernière aventure ................................................................................. 28
Une évolution importante après un fait divers
mineur ..................................................................................................................... 31
Premier face à face avec la police secrète du chah. ................................................ 36
Mes débuts dans l’enseignement ............................................................................ 40
Seulement un nom ................................................................................................... 46
Premières discordes semées par les réactionnaires ................................................. 58
Rencontre avec les Modjahedines ........................................................................... 63
Chapitre 2 .................................................................................................................... 65
La plus grande escroquerie du siècle ...................................................................... 65
La fin du début ou un début sans fin ....................................................................... 65
Les débuts d’un pouvoir voué à la catastrophe, ..................................................... 67
avec un slogan honteux ........................................................................................... 67
Entrée dans le nouveau gouvernement .................................................................. 72
La Société des Femmes de la province ................................................................... 75
Un premier pas vers une autre révolution ............................................................... 81
Qui était le cheikh Mehdi Ghazi ? .......................................................................... 83
Un combat intérieur, une décision difficile ............................................................. 87
Réponse à une question ........................................................................................... 94
Rencontre avec Khomeiny ou l’escroquerie des
femmes .................................................................................................................... 97
La Société des Femmes de la Révolution islamique ............................................. 101
Masoumah la brave ............................................................................................... 107
L’expulsion des Bahaï ........................................................................................... 114
L’engagement le plus fondamental ...................................................................... 116
Les premières bastonnades... ................................................................................ 118
Une popularité inégalable ..................................................................................... 124
325
Une bataille visible sur un champ de bataille
invisible ................................................................................................................. 130
La fête du « Premier Mai » ................................................................................... 134
Un mariage dépareillé ........................................................................................... 139
Le mariage secret .................................................................................................. 153
Chapitre 3 .................................................................................................................. 168
Les élections législatives nationales ..................................................................... 168
Candidate à l’Assemblée ...................................................................................... 172
Une femme nue à l’affiche ................................................................................... 178
Le soulèvement populaire. .................................................................................... 185
Attaques contre le quartier général de campagne. ................................................ 192
Réactions de la ville à la nouvelle de mon mariage .............................................. 209
Accroissement de la pression de la Réaction… .................................................... 213
Suppression de la liste des candidats .................................................................... 226
Les résultats des élections ..................................................................................... 231
Chapitre 4 .................................................................................................................. 233
Deuxième année de combat politique .................................................................. 233
Les combats officiels et cachés ............................................................................. 236
Départ involontaire de la ville et de la région. ...................................................... 240
L’année 1981, l’année rouge de la résistance ....................................................... 246
Le mois de Mai/ Juin sanglant .............................................................................. 251
Nouvelle période de résistance ............................................................................. 256
Le jour le plus amer .............................................................................................. 260
Fuite hors du cercle de la mort ............................................................................. 277
Une rumeur qui fait mal ........................................................................................ 283
Le moment de l’exécution. ................................................................................... 290
Persistance dans la conviction merveilleuse ......................................................... 295
Postface ..................................................................................................................... 311
Vivre pour la liberté .............................................................................................. 311
326