La Magie Chez Les Noirs (1949)

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la magie chez les noirs

Les Exotiques, nouvelles (puis). ditions Jean-Renard. Ltrange aventure riffaine, rcit (puis). ditions Jean-Renard. La Mort mystrieuse du gouverneur gnral Renard, rcit (puis). ditions Jean-Renard. Le Mensonge du docteur Ganiot, nouvelles. ditions Jean-Renard. El Bir, roman saharien. ditions Ariane. Dans lombre de jean charcot, rcit. ditions Arthaud. Moya, roman tahitien. ditions Self. Les Vents de sable, roman du Sud. ditions Self. Saint Ptrole, roman syrien. ditions Self.

OUVRAGES DU MME AUTEUR

france, arme-toi (en collaboration) (puis). ditions dHarthoy. Visions impriales. ditions Arthaud. La Magie chez les noirs. ditions Dervy.

DIVERS ESSAIS A PARAITRE

olo, roman congolais. ditions du Dauphin. Ltoile noire, roman ngre. La course au ptrole. Partir pour les colonies.

Pierre FonTaine

la magie chez les noirsPrface de Fernand DiVoire

DerVY18, rue du Vieux-colombierParis

Tous droits rservs pour tous pays, y compris lU. R. S. S. ditions Dervy, juin 1949. Scan, oRc, mise en page - Mars 2008 L E N C U LU S Pour la Librairie Excommunie Numrique des CUrieux de Lire les USuels

A Mesdames, G. Ris et Tellier.

TABLE DES MATiRESPrface, par fernand Divoire .. ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... 11 Avant-propos ... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... 13 Le soleil et la lune ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... 14 i. Pourquoi je crois a la magie . ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... 17 Bousselem et Sidi Djellil .. ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... 17 La ceinture damour de kissbi . ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... 18 ii. Les diffrents aspects de la magie .. ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... 21 la recherche de linvisibilit . ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... 22 hasard ? concidence ? .... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... 23 iii. La magie au service des fticheurs-gurisseurs .... ...... ...... ...... Les esprits malfaisants vaincus ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... Les fticheurs ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... quelques gurisons inexplicables . ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... iV. Le fticheur-magicien et ses origines ... ...... ...... ...... ...... ...... ...... initiation des candidats fticheurs ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... Prdestination et apprentissage .... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... Lglise magique universelle ? .. ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... croire ou ne pas croire au fticheur-magicien ? ...... ...... ...... ...... ...... La dpersonnalisation naturelle et artificielle? . ...... ...... ...... ...... ...... Le ftichisme est une religion . ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... 25 28 30 32 37 37 41 42 44 46 49

V. Ddoublements. Alliances avec des animaux ... ...... ...... ...... ...... 53 Lubiquit magique ..... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... 57 Vi. Le feu dompt par la magie ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... 61 Vii. Le miroir magique .... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... 67

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Viii. Petite magie des noirs . ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... Les baguettes divinatoires ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... notes dun tmoin ..... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... Laraigne divinatoire . ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... Les tuis phalliques ... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... Les devins ..... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... Philtres ... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... Danses magiques ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... Lextase noire . ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... iX. Grande magie des noirs ..... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... une explication de la magie noire . ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... Les envotements ..... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... Mort a distance .. ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... Le contre-fticheur .... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... Magie, cannibalisme et sacrifices humains . ...... ...... ...... ...... ...... ...... La rsurrection des morts ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ......

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X. Aspects magiques de la mort ... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... 103 Xi. Les abus de la magie chez les noirs .... ...... ...... ...... ...... ...... ...... 109 Les ordalies ... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... 112 conclusion ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... 115 Bibliographie .. ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... ...... 121

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PrFaceUn souvenir, dabord. Jai t lami de lauteur de lle magique, William Seabrook. Je lai vu travailler dune trange manire. Il avait fait un voyage, la manire des reporters. Alors il se faisait en partie dicter son livre par une femme quil avait mise en tat second. Je me rappellerai toujours votre visage, assez horrifi, Marjorie, alors que debout contre le mur vous disiez les phrases qui vous apparaissaient. Willie cette fois, en Afrique. Il voulait rapporter de Tombouctou les mmoires du Pre Yacouba, ce bon missionnaire qui vivait avec une ngresse. Mais lcrivain tait all plus loin. A son retour, il me dit, en jetant sur la table un gros anneau dargent cuivr Ceci est toi. Cest la bague dun grand prtre noir. Willie tait presque persuad quil avait fait ce voyage pour la mission de me rapporter ma bague. Le lourd anneau portait des signes, qui sont universels. Notamment deux spirales, en sens diffrents et qui figurent linvolution et lvolution. Les mmes signes ont t dcouverts plus tard, dans des grottes (je crois quon dit : protohistoriques) de Malte par un jeune archologue lunettes qui ma confi son embarras. Si jai parl de la bague du Noir que mon ami Willie nommait grand prtre, cest que le livre de Pierre Fontaine my fait songer et il me semble me lexplique. La principale dcouverte de Fontaine, mes yeux, cest cette hypothse laquelle il revient toujours : lexistence, autrefois, dune glise (cest son mot) magique (cest encore son mot) universelle. Fontaine nous affirme que les fticheurs africains emploient pour leurs incantations des mots qui, entre rgions sans aucun contact entre elles, sont les mmes. Lorsquil suppose que ces mots appartiennent une langue sacre aujourdhui perdue, pourquoi ne serions-nous pas prts admettre cette hypothse de travail , comme disent les savants, qui ont besoin de deviner une vrit avant de tenter de la dmontrer ? Cette hypothse de travail une certitude pour lui domine le livre de Pierre Fontaine. Pour le reste, reconnaissons quil a apport toute sa bonne foi tablir une sorte de somme de la Magie chez les Noirs. Il donne son tmoignage et il nignore aucun des tmoins qui lont prcd. Du moins, je le crois. Ainsi il a agi la fois en explorateur et en bon journaliste. Limpartialit de Pierre Fontaine est vidente. Il offre mme cet excs dimpartialit que lon 11

remarque chez les esprits qui nosent pas paratre convaincus de certaines choses. Avec quel soin et comme il a raison ! il distingue les vrais fticheurs, qui sont vraiment des prtres, des faux fticheurs et des sorciers malfaisants, dont la cupidit et la lutine se manifestent dans toute lAfrique noire ! Le caractre srieux des vrais prtres noirs, jen ci eu un jour le spectacle. Ctait Boulogne, prs de Paris, au bord de la Seine, dans cette proprit o se trouvaient un jardin japonais, un jardin vosgien... On projetait un film pris par le Pre Aupiais, missionnaire de lordre du Saint-Esprit, de Lyon. Le R. P. Aupiais avait fort longtemps habit le Dahomey. Son comportement lui avait valu la confiance des Noirs. Il avait pu tourner les crmonies dinitiation des prtresses dahomennes. Le jene, les danses par cercles, ce sont l des choses que connaissent toutes les religions du monde. Je ne les avais jamais vues et sues dune manire aussi frappante, aussi mouvante. Et javais bien le droit, puisquun missionnaire catholique employait devant moi ce mot, de ressentir, devant les crmonies quon nous montrait, du respect. Jaurais voulu que Pierre Fontaine et assist ces ftes dinitiation des druidesses du Dahomey. Dans son livre, le public cherchera du noir . Il le trouvera, dose forte. Et cela namne une autre remarque, celle-ci : les Blancs, la race qui, au dire des Noirs, sent le cadavre, gotent dans les prestiges des fticheurs le macabre, le malfaisant, le noir . Ils voient dans ces hommes des sorciers qui ont des pouvoirs . Et ils envient ces pouvoirs, pour le mal. Pierre Fontaine nous fait voir un broussard de noire race qui nhsite pas faire tuer par manires de magie un de ses concurrents. La crmonie est dun tragique grandiose. Mais si quelque chose en nous, envie les pouvoirs des sorciers ngres, si nous nous complaisons aux rcits de leurs envotements de mort ou damour et le lecteur de Pierre Fontaine sera bien servi si nous lisons volontiers quils arrachent le cur un homme vivant ou quils prouvent les pucelles au fer rouge, alors de quel droit nous permettrions-nous de juger les sorciers de la fort africaine, les hritiers puissants et peut-tre dgnrs de l glise magique universelle ? fernand DiVoiRE.

aVanT-ProPos

nous avons mdit longuement avant dentreprendre la rdaction du prsent ouvrage. Et cest parce que nous pensons que le prsent livre apporte un sens gnral, une orientation particulire et pour tout dire une originalit, que nous lavons entrepris et publi. il existe de trs nombreux ouvrages consacrs aux divers aspects de ce que nous nommons la magie chez les peuplades noires, nous pourrions en tablir une vaste bibliographie. Pourtant, rares sont ceux qui contiennent une vritable synthse ou qui ramnent lensemble de leurs constatations une seule et vrifiable origine. cette synthse, comme cette rduction une origine, nous pensons lapporter. LAfrique compte cent cinquante millions dhabitants noirs et on y trouve des tribus, des royaumes, des agglomrations les plus diverses aux caractres les plus varis. ces immenses populations, spares quelles sont par lespace, les degrs dvolution, les influences subies, conservent entre elles des points communs et, nous osons laffirmer, une source mystique unique lorigine certaine, des traditions vrifiables, une pense, qui se manifestent surtout dans un tat desprit, un ensemble de pratiques que, prcisment, nous avons cru devoir grouper, par quelques exemples, sur ce titre : la Magie chez les Noirs. on retrouve dans tous les coins de limmense Afrique des preuves certaines et des crmonies toujours vivantes qui prouvent lexistence du culte des anctres. Le docteur Stephenchauvet a publi des pages remarquables sur LArt funraire au Gabon (1). on retrouve galement partout ce quon peut nommer les signes du ciel et les symboles cosmiques . Le soleil, la lune, les toiles sont les tmoins de la manifestation des hommes, quelle que soit leur couleur. Aussi retrouve-t-on chez les noirs une faon originaire de traduire la prsence et laction des astres mobiles ou fixes qui rglent lvolution du temps. Symboles cosmiques, symboles terrestres, symboles des quatre lments : vents, pluies, chaud, froid, orage, foudre, nuages, raz de mare.(1). Dans le Bulletin des Surs bleues de castres (janvier 1933).

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De tout cela la posie ne pouvait tre absente et voici de Ngaoundr une traduction dun conte indigne que nous trouvons dans les Tablettes (2) :le soleil et la lune

Le Soleil dit la Lune : commre, nous avons chacun beaucoup denfants qui nous causent bien du tourment ; mangeons-les. Je suis de votre avis, rpondit la Lune, mais ce serait trop horrible de manger ses propres enfants ; envoyez-moi chaque jour un des vtres et je vous ferai servir, en retour, un des miens. Le Soleil accepta et la Lune reut le lendemain un des fils de son ami. Elle ny toucha pas, mais, larrosant dune autre sauce, le renvoya au Soleil qui le mangea. Ainsi firent-ils tous les jours. Et le Soleil perdit tous ses enfants ; la Lune conserva tous les siens. Aussi voit-on, le jour, le Soleil tout seul au firmament et, de nuit, la Lune entoure de sa nombreuse progniture dtoiles. Le Soleil comprit la duplicit de son amie ; furieux, il slana aprs elle, et la poursuite continue sans trve autour de la Terre... Parfois le Soleil rattrape la vieille coquine de Lune et commence la dvorer. Alors, les noirs, dans les villages, crient en frappant sur des calebasses : Tatti,Tatti ! lche-la! (lche-la!) quels maux assailliraient les hommes si le Soleil, ayant mang la Lune, sen allait porter ailleurs sa lumire et sa chaleur ! cest ainsi que sexpliquent les phnomnes qui semblent surnaturels aux yeux des noirs et qui suscitent toujours limagination confirme souvent par de mystrieuses mais relles traditions. ce que nous voulons, cest signaler ce que nous avons retrouv, cest--dire des points communs entre les religions, les magies et les sorcelleries les plus diverses de lAfrique noire. nous estimons quau-dessus des grossires pratiques et du ftichisme le plus idoltre demeurent des preuves que les initis noirs ont gard une sorte de connaissance dun Dieu unique et quils sont relis entre eux par des traditions sotriques incontestables. Partout dans lunivers on retrouve des preuves soit de la prfiguration de la Religion rvle, soit des traces de cette rvlation primitive. Dj, en 1900, loccultiste Tidianeuq avait publi dans la revue lInitiation de janvier : quelques restes de lantique initiation de la race noire. Tidianeuq se basait sur des analogies trs caractristiques des religions et pratiques magiques des noirs, et avec assez de bonheur, il y retrouve des preuves de lorigine commune des initiations noires et de celles dgypte. En tout cas, cet auteur nous montre que les idoles grossires ne sont que des symboles dune ralit suprieure qui chappe, en gnral, la foule noire, mais que les initis ngres ont, au fond, la connaissance dun Dieu unique et des traditions sotriques dune valeur certaine. Du reste, la mthode des missionnaires du congo belge, par exemple, qui consiste reconstituer une vritable culture folklorique, donne chaque jour des rsultats magnifiques et les dcouvertes sotriques sont pleines de promesses.(2). Saint-Raphal, 1er janvier 1933.

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Moyen-Congo : Brazaville. Fticheur Bacongo.

M. Daniel Marquis-Sebie crivait dans le Petit Parisien du 9 avril 1933, en conclusion une tude sur le Dahomey, pays aux ftiches Laissons ce domaine intime, chez les ftichistes, pour ne prter un peu dattention quau souci de dcoration qui se rvle sur les faades et les piliers de leurs cases. Sur ces fonds jouent des motifs disposs suivant une certaine recherche esthtique, tels que par exemple, losanges, festons, grecques, pointes de javelots, rameaux, fleurettes, ainsi que des personnages htivement traites, dun tour plaisant, dun enfantillage qui force sourire. L, figurent des animaux vautours, busards, aigrettes, grands ducs aux prunelles effrayantes, camlons, serpents, panthres, lopards tachets avec minutie, dautres btes encore, mais de la plus curieuse conception, apo15

calyptiques, fabuleuses. Parfois aussi on sera tout tonn de trouver interprtes des scnes de chasse, de pche, des parades royales. comment figurent-ils leurs personnages ? ils leur impriment toutes les poses, et non point seulement le chef de profil et le corps de face, selon la technique gyptienne. on verra, par exemple, non sans sourire, un spectacle chorgraphique o les danseuses ont le corps et les jambes incurvs de si drle faon quelles font penser des libellules leur envol. Toutes ces dcorations sont excutes au moyen de procds rudimentaires. Trois ou quatre couleurs rarement combines. Reste la magie du pinceau, mais encore quel pinceau ! imaginez un morceau de bambou dfibr. Surtout, gardons-nous bien de chercher des explications objectives en ces motifs dont llment qui prdomine est limagination, le plaisir denjoliver, la pure fantaisie, sans que lon doive songer une pense allgorique ou quelque mystre cach l-dessous. contentonsnous, dfaut de la dlectation qui est le but suprme de lart , davoir t, un moment, amus par de simples, naves, puriles, cocasses improvisations. Tel nest pas notre but qui, prcisment dans le prsent ouvrage, consiste au contraire signaler les objectivits et les subjectivits que lart, la magie et les crmonies ftichistes nous rvlent dans une harmonie et une valeur qui taient tout dabord insouponnables aux mthodes par trop matrialistes du xixe sicle. Aujourdhui, on ne peut plus demeurer la surface des choses et cest pourquoi nous avons, bien modestement, ent daller plus au fond dans le diversit extriorise pour dcouvrir lunit sous-jacente dune glise magique universelle intrieure toute glise et dont les traditions se retrouvent sous des formes parfois inattendues dans toutes les glises. nous pensons que le prsent ouvrage pourra contribuer unir plutt qu diviser. Telle est au moins notre intention.

iPOURQUOI JE CROIS A LA MAGIE

bousselem et sidi djellil

En 1924, je me trouvais au Maroc oriental, oudjda, petite ville relie la partie occidentale du pays par un tortillard voie troite. Javais mon service un Arabe, excellent garon, sympathique et serviable, Bousselem ben Larbi, g denviron quarante ans. Brusquement, un matin dt, le bras gauche de Bousselem refusa tout service. ce fut ensuite le tour de son bras droit. Puis il prouva de la peine tourner la tte. Ses jambes devinrent lourdes et malhabiles. Bousselem tait militaire : on lhospitalisa. un mois se passa ; lankylose gagna presque tout le corps. Les mdecins militaires donnaient des avis diffrents, et leurs traitements demeuraient inefficaces. Je payai la consultation dun mdecin civil, qui naboutit pas un meilleur rsultat. Ladministration militaire parla de rformer Bousselem. ce dernier tait dsol, car aprs douze annes de service, il navait que trois ans attendre pour bnficier dune pension. Bousselem tait alit depuis quatre mois, lorsque son pre, commerant pouilleux mais non dpourvu de pcune, vint le voir et hocha longuement la tte en le regardant. Seul, Sidi Djellil te gurira, dit-il. non sans mal, Bousselem ben Larbi obtint un bon de sortie ; et deux de ses coreligionnaires le hissrent dans une araba. Le commerant monta ct de lui, prit les rnes du cheval tique et la voiture sengagea sur la route de louest sous mon regard attendri et sceptique. une quinzaine de jours plus tard, quelquun pntra dans ma cagna sans frapper. hilare, poussant de grands cris de joie et gesticulant de tous ses membres, Bousselem ben Larbi se prsentait moi, heureux de vivre et de sextrioriser. Je nen croyais pas mes yeux en contemplant ce garon, certes amaigri, mais alerte. cest Sidi Djellil ! sexclama-t-il. Et il me montra un petit fil de mtal ressemblant du cuivre qui lui entourait le bord 17

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de loreille gauche sur un demi-centimtre environ. Sidi Djellil avait perc le bord du repli de loreille mi-distance du sommet et du lobe pour passer son fil de mtal. Je ne pus obtenir aucune autre explication. Le marabout Sidi Djellil avait command de rciter des versets du coran. Le pre de Bousselem avait vers vingt douros et le gurisseur avait serti son fil en marmonnant des mots incomprhensibles. Les mdecins examinrent minutieusement Bousselem ben Larbi ; ils ne crurent pas la miraculeuse intervention de Sidi Djellil et renvoyrent notre homme dans sa compagnie. Surtout, je ne dois pas enlever a, me dit Bousselem en touchant le fil de son oreille. La maladie me reprendrait. Je le quittai huit mois plus tard. il tait toujours en excellente sant... Ds cette poque, je commenai mintresser la magie.la

ceinture damour

de kissbi

Plus tard, dans le Bas-Soudan, jeus loccasion de rendre visite un ami denfance, technicien charg dune importante fonction officielle. En labsence de son pouse lgitime reste dans la mtropole avec ses enfants, A. h... avait achet une femme dune couleur de peau peu banale : imaginez une crature splendide, svelte, au masque un peu plat mais aux lvres gourmandes, dont la peau tait dun rouge cuivr trs fonc se rapprochant du noir-bleu. A. h... massura quil sagissait dune Sonra mtisse. kissbi, cette jeune mousso denviron vingt ans en tait son troisime poux. Entendez par l que, deux fois dj, elle avait rembours sa dot ses maris pour se librer. ctait, du moins, ce quelle prtendait ; mais, par la suite, nous apprmes que kissbi avait t revendue spontanment par deux de ses poux impatients de se sparer delle, car elle tait, disaient-ils, possde par le dmon de lamour. Lorsque je vis A. h..., kissbi partageait sa solitude depuis deux mois. Elle ne manquait pas de charme ; si elle avait consenti ne pas difier sa chevelure avec de la cendre de bois pile mle au beurre de karit qui rancit vite sous les tropiques et dgage une odeur nausabonde elle et t une poupe fort agrable, aux yeux luisants, aux seins hauts et pomms. Mon ami, par contre, tait ple et nerveux ; je le sentais obsd par une ide quil refusait de me confier. Pour se donner de lassurance, il buvait trop de boissons alcoolises et forait sa dose de quinine ; mais sa fbrilit ne le quittait pas. Je mis cet tat morbide sur le compte du climat... un jour, pendant la sieste quotidienne, un bruit de dispute nie rveilla brusquement. Jentendis non seulement des injures grossires profres par A. h..., mais aussi des coups sourds mls aux ricanements de kissbi. Jaccourus pour voir la splendide nudit de la Sonra se prter aux coups et mme les provoquer. A. h... sarrta ma vue et me suivit dans ma chambre. il sassit sur le bord de mon lit et me dit simplement : Mon vieux Pierre, je suis fichu ! fichu cause de cette ngresse lubrique !... cette femme, me confia-t-il alors, lpuisait physiquement au del de toute expression. Mais il ne pouvait se passer delle. Lorsquil lavait achete un marchand noir, il avait remarqu que la peau de son ventre 18

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sornait de tatouages en relief considrs plutt comme des aphrodisiaques lgers que comme une parure indigne. Mais il navait pas attach grande importance ce dtail. Pourtant, il sexpliquait mal pourquoi, ayant, par la suite, mis trois fois cette fille la porte, il avait chaque fois demand son boy daller la rechercher. Elle, cyniquement amoureuse, lui disait simplement, au retour : Tu vois bien : tu as besoin de moi ! Et les folies recommenaient, jusquau jour o ce garon intelligent, voyant vers quel abme elle lentranait, tentait de lloigner par des coups... Je venais dassister lune de ces scnes. A. h... tait atteint la fois dans sa chair et dans son esprit, mais heureusement pas dans son cur. Le dmon de la sensualit le dvorait dune faon continuelle et progressive. Le cas tait presque banal. il me revint alors en mmoire certains sortilges employs par les femmes noires pour conserver lamour des Blancs, dont elles se montrent si fires, et quelles talent avec ostentation devant leurs compagnes moins favorises, traites par leurs maris de couleur comme des btes de somme. quelques jours plus tard, je me rendis dans une contre voisine pour voir des orpailleurs luvre. Au retour, je marrtai dans un village o lon me fit bon accueil et mentretins longuement avec le fticheur. Je ne sais quelle association dides me fit parler de kissbi et de sa frnsie... Mon interlocuteur sourit avec complaisance et mexpliqua que la Sonra devait tre en possession de la ceinture damour, celle qui lie les sens et non le cur , prcisa-t-il. De la conversation qui suivit, je conclus que kissbi utilisait un procd magique pour sattacher mon ami : il suffisait que dans sa chambre coucher je trouve une ceinture, faite en bois spcial ayant macr de longues annes dans une dcoction de plantes rares, pour avoir la cl de lnigme. Sur lessence de bois et sur les plantes rares je ne pus obtenir aucun renseignement ; le fticheur massura simplement que cette ceinture damour ne pouvait tre prpare que par un de ses confrres ou par des femmes-sorcires particulirement expertes dans lart de composer les philtres magiques. Si je pouvais dcouvrir cette fameuse ceinture, je devais la brler immdiatement pour rompre le charme. il parat que kissbi lavait certainement porte un an mme la peau : ainsi le sort ntait profitable qu elle. Par ailleurs, la ceinture devait rester la porte de mon ami, pour quil ft imprgn des pernicieux effluves... Je neus aucune peine trouver lobjet indiqu, qui ntait pas cach, mais simplement rang dans le tiroir dune table de chevet en bambou. cette ceinture tait curieusement faite. De petites plaquettes de bois, larges comme des boites dallumettes sudoises de poche, taient relies les unes aux autres par un fil de chanvre extrmement rsistant. une sculpture , primaire dans son excution et primitive dans son inspiration, marquait chaque plaquette. La ceinture mesurait environ soixante-cinq soixantedix centimtres. une odeur indfinissable se dgageait de ce bois noir lgrement vein de brun, une odeur qui montait la tte. Javoue quen cet instant la pense me traversa de subtiliser lobjet pour le joindre ma collection de ftiches. Mais je redoutai dtre victime des effluves malfiques et pria le parti de le dtruire. Je fis allumer le petit brasero qui servait la cuisson des aliments et jetai la ceinture dans les flammes. Je ne dis rien et jattendis. Mon ami A. h... manifesta des signes de dtente nerveuse quarante-huit heures aprs cette disparition et kissbi parut lgrement inquite. Les scnes violentes ne se rptrent plus. un jour, A. h... me confia que la prsence de sa mousso lui pesait et quil songeait la rupture.

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Je crus le moment opportun de lui rvler lhistoire de la ceinture magique. Maintenant, je comprends mieux ! dit simplement mon ami. Le soir mme, kissbi, de fort mchante humeur ce qui prouvait que sa vanit et son amour-propre taient seulement atteints quittait la demeure de A. h... munie dun solide viatique. Lorsque jabandonnai le Soudan, quelques semaines plus tard, mon ami tait redevenu un homme normal. Depuis ce jour-l, je crois la magie africaine. ces deux anecdotes vcues concernent, lune un cas musulman, la seconde tant plus directement en rapport avec le monde noir. Dans les deux cas, il y a intervention de ftiches ou grigris. une instinctive dfiance nous empche de considrer le ftiche comme lment unique de magie. cest, en ralit, un condensateur de forces psychiques et, avouons-le, trs mystrieux ; il na defficacit que pour autant son aurisation (3) . ce qui montre bien quaucun grigri srieux ne peut tre ralis en srie . Mais le contact des Blancs, lesprit commercial de ceux-ci a pntr les peuplades noires ; on trouve maintenant des grigris de toutes sortes et pas seulement lusage des indignes. cela rejoint le commerce des mains de fatma pour lArabie. il y en a de vrais (nous voulons dire porteurs de sort), mais gnralement ce ne sont heureusement que des souvenirs .

(3). formation rituelle dune aura, dun rayonnement magique.

iiLES DIFFRENTS ASPECTS DE LA MAGIELes gens croient volontiers que le mot magie ne suppose que des effets malfiques. quils se dtrompent ! La magie, chez les noirs comme ailleurs, sexerce pour les pires ou pour les meilleures choses. A ct de la magie malveillante existent la magie bnfique (gurisons, etc.) et la magie neutre (sorte de miracle inexplicable, comme leau qui bout sans fin). Pour en avoir la preuve, reportons-nous aux constatations de voyageurs dignes de foi. un homme particulirement sincre et document sur certains phnomnes magiques chez les noirs est le R. P. Trilles, missionnaire du Saint-Esprit, qui a pass la majeure partie de son existence en pleine brousse de lAfrique quatoriale. Le R. P. Trilles a publi un fort volume, qui fait aujourdhui autorit, sur la vie des peuplades du centre-Afrique (4). cet important ouvrage a lincontestable mrite de ne relater que des scnes vcues. Avant de donner limprimatur ce livre, on a exig des prcisions, des documents, des preuves ; chaque dtail a t discut, pes, par des suprieurs verss, eux aussi, dans les recherches concernant les problmes noirs. Ainsi, nous navons plus devant nous un simple rcit. Mais un vritable monument sur des coutumes et des murs dcrites et expliques. Le R. P. Trilles na pas hsit aborder ltude de toutes les superstitions en cours chez les Pygmes au milieu desquels il vivait. La magie, en Afrique, revt diffrents degrs. Pour le commun des ngres, le ftiche est un objet magique, effets bnfiques ou malfiques, suivant les circonstances. cest souvent, dailleurs, un objet trs quelconque auquel est attribue une vertu merveilleuse. chez les ngrilles, nous apprend le R. P. Trilles, dans une petite corne dantilope vide les noirs renferment un fragment de leur animal totmique : os, poil ou dbris calcin provenant du sacrifice offert au totem. ces ftiches sont ports soit au cou, soit la ceinture ; ils doivent prserver leur dtenteur des malheurs. chaque ftiche possde une vertu particulire. Les noirs croient aux mnes malveillants. Mgr Le Roy dcrit des ftiches composs de(4). Les Pygmes de la Fort quatoriale (ditions Bloud et Gay, Paris, 1932).

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trois petits morceaux de bois (dont lun taill en pointe) qui, attachs au poignet ou au cou, cartent ces esprits mauvais. fruits vids, dents de fauves, poils danimaux sauvages, parfois articles de bazar blanc, sont autant de ftiches dous dun pouvoir magique prservant leurs dtenteurs des accidents, des maladies, des colres de leurs dieux. Dautres ftiches assurent une bonne chasse lment vital de lexistence transhumante de maintes tribus africaines ou bien garantissent la fcondit dune femme. Tous ces ftiches sont bienveillants. Le R. P. Trilles note aussi des ftiches nocifs. ce sont, la plupart du temps, des objets qua ports lindividu sur lequel le sorcier veut agir, ou mme des parties de son corps, comme des cheveux, des ongles ou du sang. Jamais un ngrille ne laissera traner les cheveux quil a coups , crit le missionnaire, qui spcifie que les Pygmes attachent une grande puissance ftichiste aux cheveux. Voil qui nest pas pour nous surprendre, puisque maints gurisseurs blancs utilisent les cheveux des malades pour soigner par magntisme ou radiesthsie distance. Dans lantiquit grecque ou latine comme au moyen ge, certains procs de sorcellerie des xvie et xviie sicles, comme, du reste, certaines pratiques occidentales contemporaines, nous apprennent que des influences nfastes, des sorts redoutables, voire mortels, peuvent tre jets par des sorciers grce ce quon nomme aujourdhui des tmoins organiques comme cheveux, rognures dongles, sang fig, etc. il est curieux de constater que toutes les civilisations comme ceux que lon prtend non civiliss reconnaissent aux cheveux un pouvoir spcial de conductibilit magique ou tlpsychique, selon quon adopte le langage de la superstition ou de la science. ce qui en loccurrence nest quune question de mots diffrents pour dsigner un mme phnomne encore mystrieux.a l a r e ch e r ch e d e l i nv i s i b i l i t

il suffit dvoquer lanneau de Gygs pour lantiquit grco-latine et le livre de Wells, lHomme invisible, pour se rendre compte que cette question de linvisibilit provoque nest nullement exclusive aux noirs. il semble pourtant que certains de ceux-ci ont t plus loin dans la pratique alors quen Europe cette invisibilit provoque ne relve que des travaux littraires ou potiques. Pourtant ltude du mimtisme de certains insectes et de certains batraciens, comme du camouflage des choses et des gens comme tactique guerrire, nest pas pour le rejet priori du problme. ce problme est aussi une proccupation des fticheurs noirs. Mgr A. Le Roy prtend, dans une de ses relations de sa vie de missionnaire, que les ngrilles ont le privilge de se rendre invisibles en composant une poudre dont ils se frottent le front. cette poudre serait forme dun mlange de salsepareille africaine, de fourmi-lion, de graine de palme , auquel on ajoute une chauve-souris, un serpent deau, une autre feuille dont laspect est celui du chanvre, un petit poisson et lcorce de larbre sacr noduma . ces diffrents lments, mlangs dans certaines proportions et rduits en cendres, donneraient linvisibilit. Le R. P. Trilles donne, de son ct, une autre recette plus simple et, somme toute, fort plausible. Le ngrille part en fort et saigne un arbre nomm nku dont il prend lcorce et les feuilles sans tre vu par un homme dun autre clan ou un tranger. Revenu au village, il sche sa rcolte quil enferme dans un sachet de feuilles damome. or, se rendre invisible signifie surtout passer inaperu. Avec les produits schs du nku, le Pygme se rend dans un village et jette adroitement son sachet dans le feu gard par les veilleurs du pays. une fume odorante et lgre 22

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se dgage et plonge les veilleurs dans un profond sommeil. Alors, le ngrille peut se livrer ses chapardages de poules, de cabris, etc. il sest rendu invisible en endormant les autres et, parfois mme, les btes quil veut voler. Le missionnaire raconte galement que, chez les Mpongw, fang, etc..., noirs moins pacifiques que les ngrilles, on nhsite pas tuer un parent proche pour obtenir le ftiche qui doit apporter la richesse. Les Bk ne sattaquent pas un homme de leur race, mais un ennemi, pour se constituer un ftiche puissant qui leur donnera un peu de la force suprieure dont on est dou dans lautre vie, et en particulier linvisibilit . Le R. P. Trilles narre ainsi la pratique des Bk : ... Lorsque, dans la tombe, le cadavre commence se dcomposer, on prend sa tte quon dtache du tronc ; on enlve la cervelle, le cur, les yeux, les poils du corps, cheveux, cils, sourcils, etc... ; on mle le tout suivant une formule secrte, avec des incantations spciales (archaques), et quand cet trange compos est sec, on sen frotte. Voil pour les ftiches d invisibilit .hasard

?

concidence

?

il est sage, notre avis, de faire des rserves sur les pouvoirs rels des fticheurs. Mais il est tout de mme certains faits, probants, rigoureusement contrls, devant lesquels le plus sceptique est oblig de sincliner. Empruntons au R. P. Trilles lexemple suivant : ... un ngrille interroge, un jour devant moi, son ftiche de chasse. il la entre les mains, je le vois comme lui. Soudain, le ftiche tombe terre ; il se penche pour le ramasser, l, entre ses pieds, et... il a disparu. impossible, malgr nos recherches, de le retrouver sur le sol battu, uni, sans fente. Je suis mort, scrie-t-il ; le fticheur me la annonc : Gare toi quand tu ne verras plus ton ftiche... il part cependant la chasse. Le soir mme, il tait broy par un lphant. hasard ? que sais-je ! oui, peut-tre. un ngrille me met un jour son ftiche entre les mains, une petite corne dantilope : Prends, me dit-il, et serre. Je mexcute. Maintenant, je vais sortir de la case. Tant que je serai sorti, tu ne pourras ni sortir, ni lcher le ftiche. il sort, et malgr tous mes efforts, impossible de sortir, impossible douvrir les mains. Simple suggestion, dira-t-on. Eh ! oui, je le veux bien ! faisons simplement remarquer que le missionnaire tait alors parfaitement veill et lucide, et quil ne nous semble pas tre un sujet particulirement apte aux expriences dhypnotisme, dont il ntait au reste pas question. un spectateur occasionnel peut, sans doute, se laisser abuser, mais pas un vieux broussard sur ses gardes et mfiant par instinct. hasard ! scrie le R. P. Trilles avec quelques exclamations qui plongent lesprit dans la perplexit. un catholique, en effet, se doit de repousser la magie en tant que pratique. Et ctait aller loin pour un missionnaire que de se prter une exprience de ce genre. oui, hasard, opinion dun seul homme, pensera le lecteur sceptique... Alors donnons immdiatement une autre scne vcue par Jean Perrigault (5) en plein pays bobo, koutiala. Dans cette rgion, il existe des forgerons-sorciers qui jouissent dun certain respect... ml(5). LEnfer des Noirs.

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de terreur, car ils peuvent donner, volont, la gurison ou la mort... En dcembre 1931, M. Jean Perrigault est prsent un fticheur par linterprte de son escorte : Voil, dis-je lhomme lenclume, en lui remettant les objets du sacrifice (du piment, une noix de kola rouge et un coq rouge) (6) : jai des ennemis et je voudrais quils me laissent en paix. Peux-tu ?... il mit rougir son marteau, appela son aide et une vieille femme qui, lui ayant ceint la taille dun linge blanc, entama une petite chanson. cest dix francs ! me fit traduire le forgeron. il les reut. Merci, et maintenant que tu as donn manger au ftiche, il te sera trs favorable... Laide maintint sur lenclume la tte du coq qui se dfendait et, dun coup de son marteau rougi, le forgeron lcrasa. Si dans un mois, mannona-t-il, tous tes ennemis ne sont pas morts, et si tu nas pas la paix complte ; tu nauras qu revenir, mais je naurai pas recommencer, parce que tu nauras pas revenir !... Et Jean Perrigault commente en ces termes cette sance de magie pour dix francs : quel ne fut pas mon effroi quand, au moment de mon retour en france, jappris deux morts : celles des deux hommes auxquels javais pens devant la forge aux sortilges, morts si imprvues, si singulires, que certains furent tents de rechercher des explications tout autres que celles quimposait leur processus apparent... concidences, nest-ce pas ! Pardi ! Et cest ce que je me rpte avec force, non pour me soustraire aux remords illusoires dun geste barbare auquel je naurais nullement consenti et lefficacit duquel je ne veux pas croire, mais parce que tout ce quil y a en moi de gnrosit inne et acquise sinsurge contre la seule conception dun tel ordre de reprsailles. hasard ! concidences ! Le R. P. Trilles et Jean Perrigault tentent de rejeter leffet do la magie pour calmer leur conscience. Mais les faits consigns nen demeurent pas moins. ne pouvant expliquer le pouvoir occulte, lhomme civilis prfre le nier. Plus sceptique encore que saint Thomas, il veut douter de ce que ses yeux ont vu. nous ne suivrons pas cette mthode. on explique dj pas mal de choses de la magie et de la sorcellerie par la science positive. nous pensons quun jour viendra o la magie et les sciences positives feront meilleur mnage encore. Peut-tre en respectant leur domaine respectif. cest possible.

(6). Le coq rouge chez les noirs correspond la poule noire chez les Blancs de nos campagnes.

iiiLA MAGIE AU SERVICE DES FTICHEURS-GURISSEURSquelle est la cause des maladies chez les noirs ?... daprs eux, bien entendu. cest, explique le R. P. Trilles, soit un esprit ou un mne malfaisant qui exerce son action nocive, soit les forces mystrieuses des choses (7). chasser ces esprits au moyen desprits plus puissants, combattre ces forces par dautres forces, carter les influences nocives, voil tout le rle du mdecin, donc rle magique dabord, naturel ensuite . un autre missionnaire de confession diffrente, henri nicod, exprime un avis identique quant la croyance de lorigine des maladies.des ennemis redoutables

:

les mes des morts et des vivants

La magie africaine est base en majeure partie sur le rle de ces mnes malfaisants. Tous les voyageurs attentifs, les observateurs consciencieux sont daccord sur ce point, quelles que soient les tribus africaines dcrites. Lesprit des morts, la facult de ddoublement de lme mme chez les tres vivants dominent les croyances des noirs. (En passant, notons que lon peut faire un curieux rapprochement entre deux races signorent peu prs totalement les Jaunes et les noirs. on sait que, dans la religion bouddhique, le culte des anctres est lhonneur et quon doit toujours se garder dirriter les mes des parents dcds. il y aurait, dailleurs, bien dautres points de comparaison tablir entre le ftichisme africain et toutes les religions anciennes ou contemporaines de tom les points du globe. cest l une des preuves de lorigine commune des religions en une religion primitive.) Donc, les mnes malfaisants qui rdent autour des noirs vivants sont pourvoyeurs de(7). chez nous cest le plus souvent un microbe ou un bacille scientifiquement dcouvert qui doit tre combattu par dautres cellules vivantes plus fortes que lui.

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maladies et de calamits. Jean Perrigault appelle cette force mystrieuse le niama et donne quelques dfinitions curieuses puises chez des hommes qui ont consacr de longues annes de leur existence ltude des primitifs. Le R. P. henry dfinit ainsi le niama chez les Bambaras une nergie, un fluide que possde tout homme, tout animal, tout tre vivant et qui ne disparat jamais, car mme aprs la mort il continue dexister.

Moyen-Congo : Brazaville. Fticheur Bacongo.

cest lEsprit du dsincarn selon les spirites daujourdhui. Le Pre henry prcise : cette nergie, ce fluide, cest lenvoy, le messager, lmissaire de la haine, de la vengeance, de la justice, et il va l o le pousse une volont, sa directrice et sa matresse, porter tort ou raison la malchance, la maladie, la mort. cette dfinition est importante, car elle confirme lavis prcdemment donn par le R. P. Trilles ; or les deux hommes noprrent pas dans le mme coin de lAfrique, mais des milliers de kilomtres de distance. cela permet daffirmer que, malgr les coutumes locales ftichistes et les interprtations particulires des sorciers, il existe une base commune aux croyances 26

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africaines. Peut-tre, cette base commune pourrait-elle servir de point de dpart une tude qui tendrait prouver quune seule et unique religion existait en Afrique aux temps reculs et presque lgendaires de lEmpire du Dragon, et quelle tait elle-mme une branche de la religion primitive de lhomme quelle que soit sa couleur. chez les cafres du Sud, dans le kenya, le Tanganyka de lEst, cette crainte de lme errante est aussi vive que dans louest de lAfrique. Le ftichisme noir, pratiqu avec des rites peine diffrents par des peuplades qui ne possdent plus actuellement de points communs ni de liaisons permanentes, nest, sans doute, que la fragmentation plus ou moins dforme par des innovations individuelles dune ancienne religion noire qui couvrait jadis le continent africain. cette religion adapte aux peuplades dites primitives dont il fallait frapper lesprit pour leur inspirer le sens du bien et la crainte du mal, avait ses armes surnaturelles grce loccultisme, autrement dit la magie. Les prtres, cest--dire les grands initis noirs tenant leurs pouvoirs mystrieux du crateur, ont eu des descendants qui, soit par atavisme, soit par initiation, ont perptu des rites et des dons que nous considrons comme htrodoxes, mais dont lorigine est indiscutablement religieuse. A lheure actuelle, on peut donc considrer certains sorciers-fticheurs-gurisseurs noirs comme les dtenteurs dune parcelle des pouvoirs occultes extraordinaires dtenus par les grands prtres de la religion primitive universelle. intentionnellement, nous avons cit dans les chapitres prcdents des tmoignages montrant que nous ne considrons pas tous les fticheurs comme dous de dons supra-normaux ; deux sur dix , dit un interprte... ce nest dj pas mal. Deux hommes sur dix capables de capter des forces inconnues, cela vaut la peine que lon se penche avec attention sur des phnomnes qui, certainement, recevront tt ou tard une conscration scientifique. nest-ce pas, peu de chose prs, la mme proportion de ralit qui existe dans ceux qui se prtendent extra-lucides dans nos pays ? cites par Jean Perrigault, voici quelques autres dfinitions de ce niama qui tient une si grande place dans la magie africaine et qui la justifie en partie. Daprs M. Monta, le niama de lanctre veille particulirement au respect des dcisions que cet anctre a prises et il frappe impitoyablement tous ceux qui les transgressent . Lucien Lvy-Brhl note, par ailleurs : Si bon quait t un mort de son vivant, les intentions de son me, aussitt aprs sa mort, sont toujours tournes vers le mal. Regrettant la socit des siens, ne va-t-il pas essayer de les attirer lui ? Enfin, pour complter ces aspects du niama, M. Labouret donne un antidote : Le niama est susceptible dtre cart par des sacrifices expiatoires, une purification et un traitement matriel appropri. ces quelques citations indiquent dj quelle place importante lme, dans ses manifestations occultes, tient dans la philosophie religieuse des noirs. il est bon de prciser quun autre auteur, M. henri nicod (8), parle aussi de Nyama, dans son tude sur le Bas-cameroun, niais non dans le sens propos par Jean Perrigault. nyama est prsent comme le crateur qui habite en haut, par opposition nyinyi , autre crateur qui habite en bas ; nyama, le ciel et le pouvoir de faire tomber la pluie. Le crateur, que les noirs appellent de vingt noms diffrents, tant nyama, les noirs lont peut-tre assimil cette force occulte quils attachent lme. De l lui donner le mme nom, il ny avait quun pas que les Bobos ont allgrement franchi. Le seul indice, important pour nous, est de constater lalliance des ides entre le nyama camerounien dhenri nicod, dtenteur de la puissance suprme occulte, et le niama bas-guinen de Perrigault qui situe le ddoublement de lme du vivant ou(8). La Vie mystrieuse de lAfrique noire (Payot, Paris)

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du mort. Le nom identique, signifioation lgrement dforme, chez des peuplades spares par plus de mille cinq cents kilomtres de brousse, milite encore en faveur de notre thse dune religion noire jadis unique. Le noir est hant par la croyance que les niamas lentourent. Ainsi sexplique leur pratique intensive de la magie : ils ne peuvent sattaquer la force invisible du niama que par des moyens surnaturels pour le moins aussi mystrieux que le niama lui-mme. Plus loin, titre documentaire, nous expliquerons labus des moyens soi-disant magiques alors quils ne sont que sorcelleries dans les coutumes des noirs, procds qui provoquent de fcheuses consquences sapparentant par certains cts la justice de Dieu de notre re mdivale. Maintenant que nous savons le rle important que le niama, ou esprit, va jouer dans la vie des noirs, examinons quelques aspects de la magie pratique par le fticheur-mdecin.les esprits malfaisants vaincus

Dans des notes historiques qui ne laissent place aucune fantaisie et sympathiques dans leur scheresse, ladministrateur des colonies Albert Veistroffer a donn des prcisions mouvantes sur laction personnelle de Savorgnan de Brazza en Afrique quatoriale franaise. ce pionnier du congo, en narrant son action personnelle, et combien efficace, dans lombre de celui qui a offert la france limmense empire noir de lAfrique centrale, noffre au lecteur que des faits ; il constate sans chercher approfondir, et sa sincrit nen parat que plus vidente. En 1885, il parcourt la brousse congolaise avec la mission de mettre fin aux sacrifices humains qui dciment les tribus noires autant que la maladie. Dans le Mayumbe, il trouve le cadavre dune ngresse qui a t brle vive par les chefs des MBuku. Accompagn de deux soldats de son escorte, il se rend au village et prtend emmener le responsable de ce meurtre Loango. La palabre tourne en bagarre et Albert Veistroffer reoit dans le genou une balle tire par un vieux fusil silex ; le chef noir est abattu et, alors, commence une retraite pleine dembches dans la brousse. une partie de lescorte est massacre ; notre compatriote se trane avec peine. Les rescaps atteignent le village ami de Makola o ils attendent la colonne de renfort. Albert Veistroffer souffre de sa blessure qui senvenime ; un fticheur noir demande voir le genou, affirme (trs certainement par un don de voyance) quil y a deux projectiles dans le genou et soffre les extraire... sans moyen chirurgical bien entendu. Laissons ladministrateur des colonies raconter lopration : ... Parmi des objets plus ou moins htroclites runis dans un sac, il (le fticheur) choisit trois ou quatre calebasses de tailles diffrentes et troues leurs deux extrmits ; il mexplique quen appliquant une de ces ouvertures sur la blessure et en aspirant lair par lautre, les corps trangers seraient extraits. Laspect du fticheur, sa stature, la blancheur et la puret de ses dents, tout en lui rvlait lindividu sain ; je me soumis donc ses pratiques qui..., ma grande surprise, firent plus que de me soulager... Je lui fis seulement laver dabord ses instruments leau chaude ; javais grande hte de le voir commencer, car je souffrais... Mais javais compt sans les dmonstrations pralables indispensables pour se rendre favorables les ftiches... il commena par assembler une vingtaine de jeunes femmes et denfants qui consacrrent une bonne heure se barbouiller la figure et tout le corps en rouge et se tracer mutuellement des raies noires et blanches sur le visage ; tout ce monde saccroupit dans un coin, ces importants prparatifs termins. quant au fticheur, aprs avoir touch des idoles de bois et des amulettes

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et leur avoir parl, il se mit en devoir de m oprer ... Ayant dispos prs de moi deux calebasses chirurgicales , il alla se placer au milieu de ses assistants , o il se mit mcher une noix de kola, tandis quils entonnaient mi-voix une sorte de mlope quils accompagnaient en cadence du claquement de leurs mains. Puis, aprs avoir consciencieusement mch sa noix, il en souffla les dbris autour de lui ; il voulait mme en envoyer sur mes plaies, afin, disait-il, den chasser les esprits ; je parvins, non sans peine, len dissuader... Trois fois il renouvela ses incantations ; enfin, sortant du milieu enchant, il vint moi, prit lune des calebasses et, la plaant sur une blessure, il commena daspirer fortement ; il fit de mme sur lautre. Aprs une heure de patients efforts, je vis avec une surprise mle de joie relle que, chaque fois quil soulevait le fruit vide, schappaient des caillots de sang, des dbris dtoffe et, finalement, deux morceaux de plomb qui, rapprochs, reconstituaient une balle coupe en deux. cette extraction ne mavait caus aucune souffrance (9). nous avons lu cette relation un docteur en mdecine. il a hauss les paules..., non pas en signe dincrdulit, mais pour signifier quil ne fallait pas tenter dexpliquer linexplicable. il nous dit simplement cet Esculape a vcu longtemps aux colonies : Jai dj vu lesprit russir l o la matire avait chou. Le R. P. Trilles, en examinant le rle du fticheur-mdecin, abonde dans le mme sens, mais il indique un processus fort curieux. Pour le gurisseur noir, il sagit avant tout de faire appel aux esprits forts pour chasser le mauvais esprit qui a occasionn la maladie ou la blessure. Si la maladie rsiste aux influences mystrieuses, cest quun autre sorcier sest manifest pour provoquer le mal sur lintervention dune tierce personne. Le fticheur srieux a alors recours au miroir magique, tout comme catherine de Mdicis ou cagliostro, pour dcouvrir le coupable qui doit venir se justifier devant le clan de la tribu ou du village. La culpabilit ou linnocence du prvenu sera reconnue par les ordalies ou le poison dpreuve. Linfluence malfaisante, dcele ou annihile, le mdecin-fticheur peut soigner le malade par des remdes naturels avec de plus grandes chances de succs. or, certaines plantes de la fort tropicale possdent des vertus mdicinales puissantes encore ignores des savants blancs. ce processus du mdecin-fticheur srieux est intressant et confirm par de nombreux autres voyageurs ; il dmontre premptoirement que le noir considre la maladie, non comme un accident naturel, mais comme un sort jet par une personne malveillante ou par une me errante anime de sentiments hostiles. cette croyance sest affirme (ce qui explique lintervention de la magie pour combattre ces influences supra-normales en sattaquant dabord la cause et non au mal proprement dit) puisquon trouve encore dans nos campagnes dEurope cet tat desprit. comment peut-on, en effet, sopposer des influences impalpables, mystrieuses, autrement que par des moyens aussi impalpables et mystrieux, donc magiques ? Les sceptiques rpondront quen niant la croyance on limine la magie et quil est vain de vouloir matrialiser lune et lautre. nous rtorquerons que tous les peuples essaient de matrialiser des croyances, ne serait-ce que par la politique, qui tout autant, sinon plus que la magie spcule sur des illusions. Alors ne refusons pas aux uns ce que les autres cultivent avec tant de fureur (10).(9). Albert Veistroffer, Vingt ans de brousse africaine (Valentin Bresle, diteur, Lille). (10). il y aurait, dailleurs, un curieux parallle tablir entre les manifestations de la magie africaine et la politique chez les civiliss ; on aboutirait la mme conclusion de psychose des foules, les unes animes par les mes de leurs congnres vivants ou dfunts, les autres par les niamas didologues ou dautres grandes idoles politiques... Le ftichisme est de tous les sicles et de tous les peuples.

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Albert Veistroffer cite, sur cette question, dautres avis concordants. Mgr Le Roy, par exemple, crit dans sa Religion des primitifs : Toujours dans cette partie de lAfrique (Loango) suivons maintenant la conscration dun ftiche-vengeur . celui-l est directement influenc par une me vivante, arrache de force un homme dsign et connu. En cette matire nous navons vraiment plus affaire de vaines et risibles superstitions. Dennett, dans At the Bach of the Black Mans mind, est tout aussi affirmatif : quand on entre dans un bois avec le sorcier attach au service dun ftiche (11) de la vengeance..., le kulo (lme) de lhomme dont la vie a t sacrifie se charge de tuer ceux qui ont fait telle ou telle chose que lon dnonce. Lvque protestant nassau, dans Fetishism, se montre aussi convaincu. Les fticheurs noirs, pour que les esprits se manifestent, ont dailleurs besoin dun dcorum appropri qui cre lambiance propice... Malgr la souffrance de ses blessures au genou, Albert Veistroffer a d attendre lorganisation de la mise en scne du fticheur-mdecin de Makola, qui naurait pas tent son opration sans cette captation des effluves bienveillants son profit. Le tout est de savoir si lextraction des balles aurait russi sans la vingtaine de noirs peints de rouge, de blanc et de noir, sans le mchage de la noix de kola et sans les incantations ! Beaucoup rpondront par laffirmative. ceux qui ont vcu en brousse secoueront la tte ngativement ; ils spcifieront que si cette mise en scne ne sert qu donner lassurance formelle de russir, cest-dire la foi dans lopration entreprise, cest dj beaucoup. or, chacun sait que le manque de confiance en soi-mme est souvent cause de lchec (12)...l e s f t i ch e u r s

Ainsi se justifient les costumes, les ftiches, et parfois les spectacles que les fticheurs jugent ncessaires pour laccomplissement de leurs rites magiques. il sagit, rptons-le, deffrayer les esprits malveillants, de contraindre les niamas senfuir sous leffet dune force mystrieuse plus puissante queux ou de leur faire peur pour les obliger abandonner la partie. Le costume de fticheur est donc, en gnral, une sorte dpouvantail assez hideux. Mannequins surlevs se fixant sur les paules des officiants pour leur donner lapparence de gants ; masques effrayants, zbrs de blanc ou de rouge, et reprsentant des ttes danimaux monstrueux, imaginaires ; plumes doiseaux ; queues dlphants (dont on fait des grands moulinets pour chasser les niantas, parce que llphant est le plus puissant de tous les animaux) ; peaux et griffes de panthres (la panthre tant le plus froce et le plus redoutable fauve de la fort) ; crnes humains (censs conserver une me bienveillante pour lutter contre une me malveillante) ; enfin dinnombrables amulettes et ftiches divers auxquels le sorcier attribue des pouvoirs spciaux, constituent lessentiel des instruments opratoires du fticheur (13). il ne faut pas oublier le barbouillage en blanc, car le blanc, pour les noirs, reflte la mort qui effraie les vivants et les niamas. Des danses tranges, des incantations marmonnes dans une langue archaque que personne ne comprend (14), des sacrifices danimaux, parfois(11). ftiche est ici synonyme d envotement . (12). Toutes ces crmonies font partie du rituel de projection et dattirance bnfique. (13). on sait que dans les pays nordiques (Germanie, Scandinavie) le hanap de guerre tait form dune calotte crnienne dans laquelle devaient boire les guerriers. (14). Les incantations magiques sont gnralement prononces dans une langue que les Europens et les noirs ne comprennent pas malgr une connaissance approfondie des dialectes en usage dans la rgion. un administrateur, linguiste distingu, a retenu quelques mots prononcs par un fticheur congo-

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dhumains des bchers, une assistance souvent peinte darabesques qui sont des signes mystrieux, un tam-tam lancinant, des contorsions rituelles, tels sont les accessoires essentiels de la plupart des fticheurs, sorciers ou magistes.

DahoMey. Fticheuses Quidah.

un de nos amis, administrateur de brousse, assure que moins un fticheur possde de qualits supra-normales, plus il sentoure de ftiches et de mise en scne. Dans ce cas, le sorcier croirait moins en lui quen la vertu magique des grigris quil accumule. ne rejetons pas, priori,lais sans pouvoir en traduire le sens. quelques annes plus tard, il fut surpris dentendre les mmes mots dans la bouche dun fticheur de la cte divoire. or, les deux peuplades noires, sans parent, utilisant des dialectes diffrents, navaient aucun contact. Doit-on admettre une mme origine ce langage sotrique ? ne serait-ce pas une preuve de lunit de la religion noire son origine ?

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cette version. nous avons sous les yeux la photographie du mdecin-fticheur de Veistroffer. cest un noir barbu, de moyenne taille, assez dodu. il est presque nu. une sorte de coiffe blanche troite est pose sur sa chevelure longue et indiscipline. une ceinture troite lui entoure les reins et une peau de bte sauvage cache son sexe. cest tout pour la vture. Des bracelets, des bagues, deux colliers qui retiennent de multiples ftiches compltent son rudimentaire accoutrement. Entours didoles en boit sculpt, ses assistants font tam-tam pendant qu distance respectueuse dautres noirs admirent lhomme aux pouvoirs mystrieux. En somme, peu de dcorum ; ce doit tre un grand fticheur ; cen est certainement un pour avoir russi lopration dcrite plus haut. Lorsquon parle de laccoutrement des fticheurs, il convient donc de ne pas gnraliser. Pour notre compte personnel, nous navons jamais vu de spcimen comme celui dont Albert Veistroffer nous offre limage. Au contraire, souvent le sorcier est lhomme de la tribu qui possde la garde-robe la mieux fournie du village. Si tous ses dguisements ont une valeur symbolique, ils sont destins galement nen doutons pas frapper lesprit de ses coreligionnaires. Le fticheur, soucieux de sa publicit, recherche volontiers se distinguer de le foule de ses semblables. Plus une tradition initiatique sloigne de sa source, plus elle fait appel au dcorum rituel et ainsi elle glisse vers le thtre. Toutes les religions ont donn naissance au thtre et au spectacle. Ainsi certains rythmes de tam-tam qui ont ritualis des sacrifices humains rythment aujourdhui les volutions chorgraphiques de nos contemporains dans les boites de nuit. quelles seront les consquences de ces agitations rythmiques ? Retour aux origines sauvages... ? Lavenir nous le dira. ce sont donc ces hommes, presque nus ou au contraire surchargs doripeaux rituels, qui vont prendre en charge le malade pour essayer de le gurir et qui vont commencer le traitement par un vaste dploiement de moyens magiques destins lutter contre les esprits malfaisants causes de la maladie.quelques gurisons inexplicables

Lorsque les scnes rituelles sont termines et que les mauvaises influences sont censes tre cartes du malade, une autre scne se droule, plus hallucinante, plus prodigieuse. il sagit de faire passer la maladie dun tre humain dans le corps dun animal. Le R. P. Trilles la dcrit succinctement : Pour gurir les maladies, le mdecin primitif a chant dabord son incantation, puis il la rcite et, enfin..., il a dans jusqu ce que le danseur toit compltement puis. Parfois, ce moment, a lieu le transfert de la fivre du malade dans un animal ou un arbre (15). crmonie des plus tranges, o lon voit, sous linfluence des passes magiques, le malade se calmer peu peu, puis, aprs une sueur abondante, sendormir doucement, tandis que lanimal tremble, gmit, puis se couche terre et meurt souvent, agit par des frissons convulsifs dabord, puis raidi soudain et tombant comme une masse. cest, dans ce cas, ordinairement un cabri, souvent aussi le chien prfr du malade. Le missionnaire du Saint-Esprit relate un cas prcis de transfert de la maladie dun tre humain dans un vgtal : ... Ainsi avons-nous vu oprer un fticheur fang. un de nos catchistes, Paul nsoh, tait atteint dune fivre algide, dite des bois, trs grave. quinine impuissante. Le fticheur le fit(15). Mthode classique du transfert qui se pratique de nos jours en Europe.

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transporter sous un arbre (mpala) larges feuilles, puis excuta les passes rituelles sur le malade dabord, puis sur larbre. Bientt les feuilles de celui-ci commencrent sagiter, puis noircir et tomber. Sudation abondante du malade. Le lendemain il tait guri. nous voici en face de ralisations trs prcises de la magie africaine : le passage dune maladie grave dun corps humain chargs doripeaux rituels, qui vont prendre en charge le malade pour essayer de le gurir et qui vont commencer le traitement par un vaste dploiement de moyens magiques destins lutter contre les esprits malfaisants causes de la maladie dans un vgtal ou un animal, et la gurison dfinitive du malade. Si cette opration ftichiste ne russit pas chaque fois, elle donne un rsultat positif dans la plupart des cas. Voici un autre exemple parmi les plus incomprhensibles, constat de visu et rapport par des broussards dignes de foi, expriments dans lart de diffrencier le fticheur aux pouvoirs surnaturels du fticheur-farceur. cette fois lexprience met aux prises deux tres humains. nous remontions la valle de logou, au Gabon, lorsque au cours dune halte dans un village pahouin dans la rgion de Massanga, le guide-interprte nous demanda si nous voulions assister un grand palabre avec les esprits . Bien entendu nous acceptmes et fmes agrs moyennant un cadeau assez modeste. En revenant de la chasse, au cours dune chute malencontreuse, le fils du chef du village stait cass la jambe droite. un mauvais rebouteux noir avait guri le membre, mais de telle faon que la soudure mal faite maintenait la jambe dans une rigidit absolue. ce garon de dixhuit-vingt ans se montrait fort affect de cette infirmit qui lempchait daller la chasse et provoquait les quolibets des autres habitants (les noirs sont froces pour les infirmes). Son pre, riche, possesseur de plusieurs femmes, avait dcid dappeler un fticheur clbre pour vaincre le mauvais esprit qui empchait son fils darticuler la jambe. ce mdecin-fticheur tait venu de trs loin deux cents kilomtres, assura-t-on et son dplacement tait pay presque au poids de lor. Aprs avoir longuement observ, palp, promen sur la jambe malade un ftiche en bois ressemblant une idole accroupie, le fticheur dclara quil pouvait gurir le fils du chef et lui rendre une jambe normale, mais il ne pouvait fticher qu la condition de prendre la jambe dun homme sain et jeune de mme taille que linfirme . cest surtout partir de ce moment que lhistoire commena nous passionner. ouvrons une courte parenthse : Bien que lesclavage soit aboli depuis longtemps dans les colonies africaines, que les occupants soient franais, anglais, portugais, espagnols et mme libriens ou thiopiens, les roitelets noirs ont conserv, un degr moindre mais conserv quand mme, lesclavage de leurs semblables. comme il arrive souvent dans les pays primitifs, les ides gnreuses des Blancs sont parfois mal accueillies des principaux intresss. Aussi, la coutume demeure-t-elle vivace. Lorsquun ngre a commis un dlit et savre trop pauvre pour payer lamende inflige par laropage du clan, il devient lesclave de celui qui il doit de largent et, cela, jusquau moment o il pourra se librer. or, esclave, il ne travaille pas pour lui, donc ne peut runir la somme ncessaire sa libration ; il reste donc esclave peu prs toute sa vie, sauf dans le cas o un membre de sa famille paie pour lui. Le cas est assez rare quun crditeur dune vie humaine affranchisse spontanment son dbiteur ; il faut que lesclave ait accompli un exploit extraordinaire ou sauv la vie de son matre ou celle dun membre de sa famille. cet esclave ne senfuit pas ; il subit sa condition infrieure avec rsignation... La justice est la justice... Son matre a droit de vie ou de mort sur lui, il peut le vendre et, parfois, loffrir en sacrifice humain ou en appt pour les grandes chasses aux fauves... Mais continuons : Lorsque le fticheur, un Peul de lossyba, eut nonc les conditions de la russite de 33

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lopration, le chef du village se gratta la tte. il navait pas desclave lui et les primes quil offrit aux habitants du clan furent repousses avec des moqueries. un chasseur raconta quun village voisin possdait, parmi les esclaves, un noir qui navait pas pay la dot de sa femme dcde brusquement pendant sa nuit de noces . Le soir mme le march tait conclu. Le pre de lestropi avait pay la dot, plus une commission au propritaire, et lesclave tait lui. Le fticheur se dclara satisfait du sujet et prpara les accessoires de la grande sance qui devait se drouler le lendemain aprs-midi. on commena par lier troitement, lun sur lautre, linfirme et lesclave. Les deux jambes droites furent littralement saucissonnes aprs que deux longues entailles, allant du haut de la cuisse la cheville, eussent t faites par le sorcier de faon que les deux sangs se mlangent . Les patients demeurrent presque dix-huit heures dans cette position, sans boire ni manger. Le lendemain, vers quinze heures, aid du sorcier local, le fticheur peul transporta les corps sur la place, saupoudra les deux jambes dune substance noirtre assez paisse prpare magiquement et enveloppa les deux membres dans dimmenses feuilles darbre de couleur vert clair. Tous les habitants du village faisaient cercle et regardaient attentivement. Le fticheur sabsenta, revint masqu, empanach, emplum, et alors commena la longue sance des incantations, des gestes mystrieux, des passes magiques sur les jambes des patients, des lentes promenades scandes autour des deux corps immobiles qui semblrent se dtendre peu peu pour devenir compltement inertes, comme vanouis. Les heures parurent longues. A dix-sept heures trente la crmonie se poursuivait encore. De temps en temps, le fticheur sapprochait des patients pour promener, sur le paquet de jambes, un grigri assez volumineux pendant sa ceinture. Puis il reprenait sa danse saccade sous les regards exorbits de deux trois cents paires dyeux qui ne perdaient pas un dtail de ses gestes. Trs visiblement, le fticheur se fatiguait ; on entendait sa respiration haleter sous son masque. nous commencions dsesprer, lexprience nous ayant appris quen certains cas le succs ne venait pas rcompenser les efforts du magicien ds le premier essai. A dix-huit heures vingt, nous vmes le fticheur agit de tremblements convulsifs ; il entrait en transe... la puissance des esprits daigne venir lhabiter , souffla un de nos compagnons. comme pouss par une force invisible, le Peul marcha avec des petits pas dautomate vers les corps tendus ; il sagenouilla, fit de longues passes avec son ftiche sur les jambes ; les feuilles vertes qui entouraient les deux membres ficels se mirent scher et prirent la teinte brune des feuilles mortes. Alors il enleva prcipitamment son espce de mantille dont il cacha les membres. une suite de mots schappa de ses lvres (mots incomprhensibles et intraduisibles, nous dit-on par la suite). Puis il simmobilisa et tomba raide terre dans une sorte de catalepsie. Le silence tait impressionnant. nous nosions pas respirer. cela dura une bonne demi-heure. Tout coup, la mme seconde prcise, le fticheur et les deux patients remurent. Lhomme de lossyba se mit genoux, marmonna encore des incantations, puis, brusquement, dcouvrit les jambes. Les feuilles taient entirement recroquevilles, et sches casser. Les deux patients baignaient dans la sueur et rclamaient boire. fbrilement, le fticheur saisit une lame qui pendait sa ceinture et trancha les liens qui retenaient les deux jambes. Engourdis, les noirs essayrent de remuer, sans y parvenir. Alors, le Peul prit dans ses mains la jambe du fils du chef et la plia. celle de lesclave tait devenue raide. Lesprit malfique tait vaincu et le niama malveillant mis en droute... tout au moins pour le fils du chef. Retrouvant un peu de force, le fticheur entama un petit pas dallgresse et senfuit dans sa case. Les tam-tam commencrent un chant joyeux. Les assistants vinrent tter les membres ; pas derreur possible, la magie opratoire, sous nos yeux, venait de raliser son miracle.

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nous attendmes deux jours dans le village pour surveiller une ventuelle rechute de lancien boiteux. Le fils du chef avait retrouv son agilit et sa souplesse. Lesclave boitait de sa jambe raide. Sur notre intervention, le chef se dcida affranchir lesclave dsormais infirme et le fticheur peul reprit la route de son village lointain, nanti, pour prix de ses bons offices, de cinq bufs, dix cabris, deux mille francs dargent et une jeune ngresse de quatorze ans. Les spcialistes se paient cher, mme en brousse... nous avons fait prcder cette narration dun fait relat par un missionnaire, non seulement pour montrer quil existe des tmoins de ces scnes magiques, mais aussi pour indiquer certaines concordances dans les pratiques de fticheurs qui signorent et qui sont spars par de grandes distances de brousse. A la rigueur, le sceptique peut admettre lexprience conte par le R. P. Trilles puisquil ne sagit que de faire passer un tat fivreux dun corps humain dans un animal ou dans un vgtal ; mais comment expliquer le remplacement de lossature dun membre malade par lossature dun membre sain ? comment, sinon par la magie ou la sorcellerie ? Le tout est de savoir quelles forces clestes ou telluriques il est ainsi fait appel. Des expriences de fticheurs dans le genre de celles que nous venons dexposer peuvent se rpter, si lon en croit les bavardages des noirs. il est probable que si dans le cas cit le fticheur avait chou, la sance et t reprise le lendemain. Le miroir magique serait intervenu pour dcouvrir le coupable accus davoir jet un mauvais sort pour empcher la russite. ce coupable aurait comparu devant le sorcier pour se justifier et se soumettre lpreuve du poison ; et lorsque son esprit malveillant vrai ou faux aurait t vaincu, on aurait recommenc lexprience... Mais le miroir magique et lpreuve du poison servent aussi dautres fins que la gurison des maladies (nous en parlerons plus loin). Aprs ces preuves retentissantes, les autres gurisons des mdecins-fticheurs paraissent bien ples ! Le R. P. Trilles dcrit une autre exprience de gurison par le sacrifice, en ces termes : ... une fois les chants termins, le magicien ngrille se fait apporter une poule, saccroupit auprs du malade, prend la bte par les pattes et la regarde fixement. La bte sagite, crie, puis sendort trs vite, par sommeil provoqu. il la pose terre, ltend sur le dos, puis dun seul coup de son coutelas la fend en deux, applique lune des moitis sur le front du malade et, avec lautre, se barbouille de sang, lui-mme dabord, le malade ensuite. il se relve, danse autour du patient, comme il la fait au commencement de la crmonie, crache aux quatre coins cardinaux, puis vers le soleil, et sloigne enfin ... En principe, le malade doit tre guri. De fait (commotion nerveuse, passes magntiques, insufflation, sommeil hypnotique), il lest souvent. Mais il peut trs bien arriver aussi quil ne le soit pus... ; quand un remde na pas russi, on passe un autre... jusqu ce que gurison ou mort sensuive... Aprs ces exemples de passage de la maladie dans des corps vgtaux, animaux et humains, nous avons vu an moins de lextrieur les principaux aspects de la magie des mdecinsfticheurs. il resterait exposer la coutume des sacrifices humains destins vaincre les mauvais esprits qui menacent la vie de telle ou telle personnalit noire. Mais nous ne classerons pas cette opration dans les pratiques mdicales des fticheurs, bien quen certains cas, cette transfusion... spirituelle de la vie ait obtenu des rsultats positifs. nous y reviendrons, par la suite, en exposant les sances de magie noire pratiques par les fticheurs.

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iVLE FTICHEUR-MAGICIEN ET SES ORIGINESPuisque nous commenons avoir quelques aperus sur les pouvoirs surnaturels des fticheurs-sorciers-magiciens-gurisseurs (16) de lAfrique, il parat opportun dessayer dexpliquer la formation de cette caste redoutable. La dnomination homme du culte , employe par le R. P. Trilles, va se justifier, quoi quen pensent les incrdules. Au dbut de cet ouvrage, nous avons tabli une distinction entre le vritable fticheurmagicien et le fticheur-charlatan . ce dernier est souvent un rebouteux malin qui se pare de qualits dont il a entendu parler ou quil a vu pratiquer ; il rgne par la terreur superstitieuse et ses pouvoirs rels sont souvent rduits la connaissance des vertus thrapeutiques de quelques plantes quatoriales. cette catgorie de faux fticheurs ne nous intresse pas, bien quelle soit plus nombreuse que la catgorie des vrais initis.i n i t i a t i o n d e s c a n d i d a t s f t i ch e u r s

A vrai dire, on connat trs peu de chose sur les initiations des fticheurs-magiciens. La raison en est facile comprendre ; les initis, sous peine de mort, ne doivent pas rvler les secrets de leur apprentissage. nanmoins, soit au cours de procs, soit par des bavardages sous leffet du vin de palme, soit par confidences, quelques renseignements ont pu tre glans, recoups, confronts. Voici, par exemple, un article paru dans le magazine Togo-Cameroun davriljuillet 1935, qui donne dintressantes prcisions sur les initiations de sorciers chez les Bafia et Yambassa du cameroun mridional. Aprs avoir expliqu sommairement lorigine semi-bantoue des Bafia et Yambassa, le narrateur anonyme note ... Leurs voisins les considrent volontiers comme des sorciers et les accusent de possder(16). nous conservons cette quadruple dsignation ; en ralit il y a quatre fonctions, quatre grades bien diffrents.

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de redoutables secrets qui se transmettent, dans le plus grand mystre, au sein de confrries fermes dont la principale serait celle de Liroum (ou Eloum). Liroum est, en ralit, une association de magiciens, gurisseurs et sorciers, qui se recrutent parmi les familles influentes et riches de la rgion. Ses rites rappellent ceux en usage dans la plupart des socits dites secrtes ; ils se droulent surtout pendant la saison sche qui est aussi lpoque choisie pour initier les nouveaux membres. Aux yeux des gens de liroum, les hommes peuvent se classer en trois catgories les trangers la confrrie, les futurs initis et les initis.

DahoMey. Fticheurs.

Les novices sont agrs entre dix et quinze ans. ils entrent dans Liroum avec lautorisation de leur pre qui donne au chef de la confrrie un chien et fournit ladolescent la chvre et les six poulets reprsentant sa premire cotisation. Les candidats linitiation, ou Nding, sont conduits dans un abri couvert en feuilles de palmier, Klak iroum, comprenant une vranda et une chambre intrieure. Dans celle-ci se trouvent les remdes, poisons, mdicaments et poudres magiques dont lemploi va tre enseign aux novices et aux initis ; on y voit aussi des mirlitons taills dans des os dantilope, de panthre ou dtre humain... Kpd aroum, accessoires diroum ; des cornes formes dune calebasse, Kpoud, de rhombes en bois, dj aroum, mre diroum ; des btons, taills ou non, supportant de chaque ct de petits sacs en sparterie contenant des petits cailloux, bgon iroum, fille diroum ; des effigies humaines de tailles diverses (quinze seize centimtres), Kintchou ; une figure en bois travaill reprsentant de faon assez grossire un chien, buiz iroum ; enfin des statues anthropomorphes daspect singulier, recouvertes dcorce battue, pointilles en noir et rouge, ayant une tte pointue termine par une touffe de poils de chvre et portant la barbe. ces diffrents objets sont successivement montrs aux initis qui en apprennent lusage. 38

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Le prtre charg de leur ducation sacrifie au pralable un coq pour chacun deux. La tte de la volaille est tranche ; avec les deux parties du cou, il frotte les yeux du novice afin quil voie dsormais les secrets, iroum. cependant, comme il faut sassurer une discrtion indispensable de sa part, on le menace de mort sil rvle aux trangers ce quil apprendra. Le nding jure quil restera muet et mord fortement une pierre sacre qui lui est prsente, gok roum. Linstruction des initis dure plusieurs annes, car les proprits des divers lments utiliss ne leur sont indiques que progressivement ; il existe, parmi eux, diffrentes classes dont le dtail nest pas encore connu. Le narrateur note que lactivit des membres de liroum a t limite par lintervention frquente des tribunaux blancs qui ont eu, diverses reprises, juger des crimes commis par ses adhrents..., preuve que la discipline et les serments des initis ne sont pas de vaines expressions. Restons au cameroun, mais changeons de tribu ; allons chez les Bombos. Le vieux fticheur vnr vient de mourir. quel sera son successeur ? La comptition est pre, car la place est bonne, par les cadeaux, par les ventes de ftiches, par la part de la chasse qui revient au sorcier pour avoir invoqu les esprits bienveillants ; la place est surtout bonne par linfluence personnelle dont bnficie le fticheur. cette influence est souvent suprieure celle du chef, puisque aucun projet important nest entrepris par le village ou la tribu sans lavis du sorcier qui consulte les esprits cet effet ; et un chef noir na jamais os dcider quelque chose sans lavis du devin. Enfin, un fticheur nest pas tenu dtre clibataire, sauf dans certaines tribus trs rares. La socit secrte du village ou du clan bombo se runit et dcide de choisir, parmi ses initis, celui qui parat runir les plus grandes capacits pour remplacer le fticheur dfunt. Lorsque les membres ont discut longuement des capacits de chacun, ils passent au vote secret. celui qui a le plus de voix nest pas encore sorcier, mais seulement candidat fticheur. Ses frres se saisissent de sa personne quils enferment dans une case obscure sans fentre. Laspirant fticheur reste ainsi prisonnier pendant cinq mois, sans recevoir de visites, sans sortir, sans voir la pleine lumire. La nuit, les anciens de la socit secrte, en lui apportant une frugale nourriture, lentretiennent de sages conseils, de conversations philosophiques ; ils lui parlent beaucoup des esprits, de lau-del. Parfois, ils leffraient par des moyens divers. il faut que le futur fticheur soit un sage et un homme fort. ce nest pas tout. La famille du fticheur dcd est rentre dans le rang ; elle en prouve de la dception et du ressentiment si lon na pas choisi le successeur parmi les proches parents du dfunt. Les lecteurs du futur sorcier vont donc chercher dans cette famille une jeune noire, vierge, mal dispose lgard du prisonnier, et lobligent cohabiter durant cinq mois avec le candidat magicien qui doit se garder de tout contact sexuel sous peine dtre vinc du tournoi. il rsistera aux provocations, aux agaceries, pendant cinq mois, jour et nuit. Les Bombos veulent un fticheur qui sache ne pas succomber aux vaines tentations charnelles. Le laps de temps coul, si la jeune fille est reconnue encore vierge, le candidat devient fticheur (17). Avouons quil la bien mrit. on pourra constater que cela correspond lpreuve dite de la nubienne dans linitiation aux mystres gyptiens.(17). Dans cet ouvrage, nous nous efforons de ne pas gnraliser, car, en Afrique, comme en Europe, le meilleur voisine avec le pire. noua naffirmerons donc pas que tous les fticheurs noirs se recrutent suivant les mthodes camerouniennes, persuads quau cameroun mme il existe des rgions o le recrutement est moins rigoureux et plus sujet il caution. nous devons donc envisager diverses formations de magiciens noirs dans dautres pays africains.

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Les exemples de liroum et des Bombos indiquent le souci de la slection des fticheurs qui jouent un si grand rle dans lexistence mme des peuplades noires. Dans le premier cas, les initis sont choisis parmi les familles notables riches et influentes. Dans le second exemple, aprs linitiation la secte secrte qui possde dj une discipline assez stricte, les preuves de la solitude et de la chastet permettent une slection peu ordinaire... Si nous ajoutons que les fticheurs ne sont pas seulement des sorciers, des magiciens, des gurisseurs, mais aussi des conseilleurs, parfois des conteurs charmants du folklore clanique, des herboriseurs de premire force, souvent des juges de bon sens, nous constatons que les vritables fticheurs rvlent souvent des hommes trs suprieurs leurs congnres. Au Gabon et au congo, on ma prsent des fticheurs, sorciers de pre en fils depuis la nuit des temps . Je ne sais pas si le fait dtre le fils de son pre implique des dons inns de magicien labri de tout soupon. En tout cas, cest de cette faon hrditaire que se transmet dans nos campagnes le pouvoir du rebouteux... Dans certains clans krous du Libria, le fticheur choisit, ou achte, un jeune garon qui lui parat intelligent, pour en faire son assistant ; il linitie peu peu aux mystres de son art afin quil lui succde lorsquil mourra. Bien souvent des parents paient une grosse somme au fticheur pour que leur fils devienne assistant-initi ; certains sorciers peu scrupuleux rpudient rgulirement le nophyte pour en prendre un autre et toucher une autre somme..., car il ne rend pas les cadeaux en mme temps que le fils, le tribut tant considr comme le paiement de lapprentissage. Sur les initiations des fticheurs, henri nicod nest pas prolixe, mais mile cailliet donne des dtails rsums dune relation du R. P. Trilles : comme dernire preuve, un cadavre humain, femme, captif ou enfant vol, est li lapprenti sorcier poitrine contre poitrine, tte contre tte, bouche contre bouche (18), et les deux corps sont descendus avec prcaution au fond dune fosse recouverte ensuite de branchages. Pendant trois jours entiers le nophyte reste dans cette position ; il arrive quil devienne fou avant lexpiration du dlai. Puis se succdent, pour lui, trois journes dpreuves au cours desquelles, dans sa case, mais toujours li au cadavre qui maintenant se putrfie, il ne peut manger et boire quen se servant de la main droite du mort. Lpreuve ayant pris fin au bout de six jours... (Aprs lexcution dune danse sacre)... on lui apporte le mort. Avec le couteau des initiations, il dtache le poignet et, prenant la main du cadavre, excute une nouvelle danse. cette main est mise ensuite scher ; et il sen servira dsormais pour certaines oprations magiques. ce sera un puissant ftiche. Jean Perrigault rapporte que, chez les Snoufos, un lieutenant de marsouins est rentr aveugle dun bois sacr o se droulait une initiation..., ce qui explique la raison pour laquelle nous avons si peu de renseignements exacts sur les initiations des fticheurs. Les Blancs, malgr leur scepticisme et leur incrdulit, ne tiennent pas ... tenter le diable. notons que certains auteurs font allusion assez souvent des femmes sorcires (nettement malfaisantes) et, parfois, des femmes-fticheuses ou prtresses . nous savons quil existe de rares sectes secrtes de femmes noires, excessivement fermes. nous ne possdons aucun renseignement svrement contrl sur ces mystrieuses associations, ce qui montre que lAfrique est encore une grande inconnue. A notre point de vue, les sorcires que nous avons vues en A. o. f. et en A. E. f. ne sont que des espces de viragos, la plupart du temps cannibales, sapparentant nos jeteuses de sort campagnardes ; et encore, nous nen sommes pas srs ! nous pensons plutt quil sagit de femmes particulirement mchantes, ou avides de chair humaine, qui spculent sur la superstition des noirs pour se tailler une place privilgie bon march, en perptrant des(18). on reconnat l les crmonies occidentales de rsurrection avec lesquelles il y a de curieuses analogies qui dpassent la simple concidence.

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actes qui sment la terreur, surtout dans les villages dpourvus de vrais fticheurs. Jean Perrigault parat tre de cet avis en parlant des sorcires bobos nan et Gota, fcheux produits de la fausse magie ou plutt de la superstition que lon veut confondre avec la magie. notons que toutes les femmes noires sorcires, vues ou signales, sont vieilles, laides et, sans exception, malveillantes et cruelles. Pourquoi, avons-nous demand au fticheur Dz, cette mauvaise rputation reste-t-elle attache aux femmes sorcires ? Parce que, nous a rpondu lhomme noir, seuls les mauvais esprits habitent ces femmes , et, hochant la tte doucement, il a ajout : il ne peut en tre autrement puisque ce sont des femmes ! nous ne commenterons (19) pas cette apprciation dun grand fticheur, dont nous avons esquiss la curieuse figure dans un roman de brousse (20) : revenons la formation des magiciens noirs.prdestination et apprentissage

mile cailliet, professeur adjoint luniversit de Pensylvanie, a fait de curieux rapprochements sur la formation gnrale des sorciers (21). il tablit une troublante analogie entre la formation des magiciens ngres et celle des magiciens de lantiquit et de toutes les peuplades primitives du monde. Bien que, chez les Bafia, Yambassa et Bombos, nous assistions un long apprentissage, une initiation pousse chez des personnes de choix, E. cailliet semble plutt nadmettre la culture du mystrieux que chez des individus prdisposs. il note : ... Les Pythies de loracle de Delphes se recrutent, selon Plutarque, parmi les femmes ignorantes de lendroit, filles de pauvres laboureurs, sans art ni exprience ; il semble que, chez elles, linstruction serait prjudiciable aux manifestations de clairvoyance, qui marqueront leur extase. De trs nombreux auteurs, comme c. de Vesme, E. Durkheim, L. Lvy-Brhl, Raoul Allier, etc., se sont penchs sur ces problmes pour tenter dexpliquer ce qui parat tre encore, pour certains, du domaine du fantastique et de la divagation mentale. Daprs les crivains cits par cailliet, la plupart des hommes aux pouvoirs supra-normaux se distinguent ds leur naissance par des dons spciaux. E. Bozzano remarque que chez les Zoulous (noirs de lAfrique du Sud), les Esquimaux, les Samoydes, les sorciers, mdecins, sont choisis dans la classe qui, en Europe, fournit les meilleurs sujets hypnotiques, cest--dire les jeunes gens psychopathiques, ou nerveux, ou hystriques, ou mme pileptiques . Et Durkheim semble abonder dans le mme sens, avec une lgre variante, spcifiant que le futur magicien peut avoir t dsign davance par sa naissance et par les participations quelle implique, puisque dans ces socits un homme est vritablement la mme chose que ses anctres et quil est mme parfois tel ou tel anctre rincarn . cette thse justifie donc ce que nous crivions plus haut, savoir que certains fticheurs choisissent eux-mmes leur successeur parmi leurs proches parents. Aussi, fort justement, mile cailliet en dduit-il : Les magiciens peuvent alors constituer une race comme ces sorciers lobaskas ou dcouvreurs de criminels en Abyssinie (Afrique orientale) qui jouissent dun don merveilleux semblant appartenir en propre une certaine tribu,(19). Anecdote dj conte par lauteur dans son ouvrage Visions impriales (B. Arthaud, diteur). (20). Olo, du mme auteur (ditions du Dauphin). (21). Prohibition de lOcculte (Presses universitaires de france).

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ou mieux une race spciale, dont les membres se rpandent dans tout le pays . Grce ces prcisions importantes, noua comprenons plus aisment lemprise vraiment extraordinaire des fticheurs-magiciens sur