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La maladie de Léandre Pièce pour enfants en trois actes V. 2.0 Guy Morant http://www.theatredenfants.fr/ Distribué sous une licence Creative Commons

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La maladie de LéandrePièce pour enfants

en trois actesV. 2.0

Guy Morant

http://www.theatredenfants.fr/Distribué sous une licence Creative Commons

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1PersonnagesLa famille de Léandre et son personnelLéandreSa belle-mère : AntoinetteSon père : AlbertSon frère : LouisSa sœur : ÉlisabethLe précepteurLe valet : VictorL'infirmièreLes amisCharles-NéronMarie-SaloméLouis-HérodeSophie-MessalineLes virus et l'enfantPremier virusDeuxième virusEnfant vêtu de blancLe corps médicalLe docteur DeckerLe docteur MasteurLe professeur FurieLa secrétaireL'infirmièreLes thérapeutes et leur personnelL'hygiéniste : Philéas Argophytum

Son assistanteSes deux techniciens

Le réharmonisateur : Tong Tafnap AlgésirasFantômes et personnages merveilleuxPremier fantôme : l'oncle TocDeuxième fantôme : la tante AgaL'Ancien

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2ACTE IScène 1 : Le précepteurLa chambre de Léandre. Assis devant unepetite table, Léandre écrit dans un cahier.Son précepteur, debout près de lui, dicteun texte.LE PRÉCEPTEUR (lisant un vieux livre declasse)  : «  La terre est un mélange dedéchets, de microbes et de bêtes nui-sibles.  » Je répète  : «  La terre… Laterre… est un mé-lan-ge… un mé-lan-ge… de dé-chets virgule… de mi-cro-bes… de mi-cro-bes… et… »LÉANDRE (l'interrompant)  : Pourquoitu me parles toujours de choses que jene peux pas voir ?LE PRÉCEPTEUR : Je ne comprends pasta question.LÉANDRE  : Tes leçons parlent de laterre, de la mer, des animaux, de la fo-rêt profonde et de la montagne obs-cure… Je les apprends par cœur, maisn'ai jamais rien vu de tout ça. Pour-quoi je ne peux pas marcher sur laterre, naviguer sur la mer, caresserles animaux, me promener dans la fo-rêt ou dans la montagne ?LE PRÉCEPTEUR (affolé)  : Tais-toidonc  ! Tu ne connais pas ta chance  !Le monde extérieur est plein de dan-gers. Il y a des bêtes féroces, des catas-trophes naturelles et desépouvantables virus. On risque à toutmoment de recevoir un arbre sur latête ou de tomber dans un trou. Si tesancêtres n'avaient pas fait construirecette maison pour protéger la famille,tu ne serais peut-être déjà plus de cemonde !LÉANDRE : Mais il y a des gens à l'exté-rieur. Ils ne meurent pas tous. Mamère vivait à l'extérieur, avec les

plantes et les animaux.LE PRÉCEPTEUR  : La pauvre femme  !Je ne l'ai jamais connue, mais on m'adit qu'elle était à demi folle au mo-ment de sa mort. Elle ne se lavaitplus, s'éclairait à la bougie et ne cui-sait pas ses aliments !LÉANDRE (en colère)  : Je t'interdis dedire du mal de ma mère !LE PRÉCEPTEUR : Il faut pourtant quetu regardes la vérité en face : elle estmorte, et toi tu es en vie. Tu as unpère et une belle-mère formidables,qui s'occupent de toi mieux que tousles autres parents.Une horloge sonne l'heure. Le précepteurregarde sa montre à gousset.LE PRÉCEPTEUR : Déjà ! Nous ne la fi-nirons donc jamais, cette satanée dic-tée. Je n'aurais pas dû répondre à tesquestions idiotes. Un enfant, ça nediscute pas, ça obéit !Léandre sourit malicieusement. Leprécepteur sort. Léandre balaie d'unemain tout ce qui se trouve sur sa table,saute sur son lit et regarde par la fenêtre.

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3Scène 2 : Les invitésEntre la belle-mère.LA BELLE-MÈRE  : Léandre, ne regar-dez pas trop longtemps l'extérieur,vous risquez de vous faire mal auxyeux. La lumière du soleil est mau-vaise, je vous l'ai déjà dit !LÉANDRE (sans lui obéir)  : Oui, Ma-moune !LA BELLE-MÈRE  : Vos invités sont là.Ils se lavent les mains. Vous êtescontent ?LÉANDRE : Bien sûr, Mamoune !Entrent Charles-Néron, suivi de Marie-Sa-lomé. Au passage, ils montrent à la belle-mère leurs mains fraîchement lavées. Ilséchangent avec Léandre un salut compli-qué.LA BELLE-MÈRE (un peu gênée) : Vous…ne casserez pas trop d'objets, cettefois-ci, n'est-ce pas ? Vous… pourriezvous blesser.Les enfants ne font pas attention à elle.Entrent Louis-Hérode et Sophie-Messa-line, qui saluent Léandre de la même fa-çon.LA BELLE-MÈRE  : Bon, je vous laisse,j'ai plein de choses à faire. N'oubliezpas de… mais je suis bête, vous le sa-vez déjà !Elle sort, visiblement inquiète. Dès qu'ellea disparu, Charles-Néron et Sophie-Messa-line se mettent à sauter sur le lit, pendantque Marie-Salomé et Louis-Hérode jouentà se lancer un vase fragile.LOUIS-HÉRODE  : On fait quoi, aujour-d'hui ?SOPHIE-MESSALINE  : On pourraitjouer au jeu des interdits !LÉANDRE : C'est quoi ?MARIE-SALOMÉ  : Ce ne serait pas unjeu où on n'a pas le droit de faire cer-taines choses, comme parler ou bou-

ger ?CHARLES-NÉRON  : C'est débile, com-me jeu !SOPHIE-MESSALINE  : Mais non, tasd'andouilles, c'est tout le contraire(Elle descend du lit) ! Je vous explique :le premier joueur trouve quelquechose d'interdit, et les autres doiventle faire. On passe au suivant, et ainside suite. Celui qui n'a pas d'idée estéliminé, et les autres doivent faire untruc interdit sur lui.LOUIS-HÉRODE : Sophie-Messaline, tues un génie. Qui commence ?MARIE-SALOMÉ  : Moi  ! Je propose  :manger ses crottes de nez !Aussitôt, tous les enfants fouillent leurnez et dévorent ce qu'ils en retirent.CHARLES-NÉRON  : À moi  ! Je pro-pose : déchirer des cahiers !LÉANDRE  : Bonne idée, Charles-Né-ron. Allez-y, prenez-les. J'aurai aumoins une bonne raison de ne pas fi-nir ma dictée !Les enfants ramassent les cahiers quitraînent par terre et les déchirent, puisjettent les feuilles en l'air en criant.SOPHIE-MESSALINE : C'est mon tour !Vous allez… faire une horrible gri-mace !Les enfants s'efforcent d'inventer des gri-maces effrayantes.LOUIS-HÉRODE  : Ton idée était tropdélicate, Sophie-Messaline. La miennesera bien pire. Écoutez  : nous allonstous… mettre les doigts dans l'encrierde Léandre et nous barbouiller le vi-sage !Les enfants se bousculent pour accéder àl'encrier. Les garçons se maquillent sanshésiter, tandis que les filles se tapotentdélicatement le visage. Après cela, les in-vités regardent tous Léandre, attendant

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4son idée.CHARLES-NÉRON  : Alors, Léandre, tun'as aucune bêtise en tête ?LOUIS-HÉRODE : Tu as peut-être peurde te faire gronder ?MARIE-SALOMÉ (regardant Léandre deprès)  : Mais non, regardez : il est toutpâle, on dirait qu'il est malade !SOPHIE-MESSALINE (s'approchant à sontour) : C'est pourtant vrai qu'il a mau-vaise mine  ! Comme s'il avait attrapéune sorte de virus (elle fait une grimacepour imiter le virus).Léandre recule. Les autres s'écartent delui.CHARLES-NÉRON  :Un virus, quellehorreur ! Il est peut-être contagieux  ! Ilne faut pas respirerle même air que lui,sinon nous allonstous mourir !Les filles crient et sedirigent vers la porteen se bouchant le nez.Les garçons les re-joignent, marchant à reculons etmontrant Léandre du doigt.LOUIS-HÉRODE : Ne t'approche pas denous, c'est compris ?Les invités évacuent la pièce en jouant àse transmettre la maladie de Léandre.

Scène 3 : Malade ?Resté seul dans sa chambre, Léandre seregarde dans un miroir, ouvre la bouche,tire la langue, cherchant des signes demaladie. Sa belle-mère entre.LA BELLE-MÈRE : Vos invités sont sor-tis un peu vite. Ils ont failli renverserun valet. (Elle aperçoit les feuilles de ca-hier disséminées par terre.) Il ne vousont pas fait de mal, j'espère ?LÉANDRE : Pas de mal, non ! Juste unjeu, Mamoune, juste un jeu.Il continue de se regarder, soulève sespaupières, se touche le nez.LA BELLE-MÈRE (inquiète)  : Vous avez

un problème ?LÉANDRE : Je ne saispas. Je ne pense pas.Peut-être. Tu croisque je suis malade,Mamoune ?LA BELLE-MÈRE (a-vec un rire forcé)  :Malaaade  ? Quelleidée  ! (Elle regardeavec lui son imagedans la glace.) Vous

ne pouvez pas être malade, mongrand chéri. Vous mangez lameilleure nourriture du monde, lesdomestiques s'occupent merveilleu-sement de vous et votre chambre estdésinfectée tous les jours. Ce sont vosamis qui vous on mis cette absurditédans la tête ?LÉANDRE (la regardant pour la premièrefois depuis son arrivée)  : Ils m'ont ditque j'avais attrapé une sorte de vi-rus !LA BELLE-MÈRE  : Aaah  ! Je com-prends, maintenant  ! Ils ont dit çaparce qu'ils étaient jaloux. Leurs mai-sons sont plus petites que la nôtre,

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5plus froides et plus humides. Je suissûre qu'ils n'ont même pas la climati-sation ! Finalement, ce n'est pas gravequ'ils soient partis si vite  : l'un d'euxétait peut-être vraiment malade !Léandre paraît rassuré. Il offre un petitsourire à sa belle-mère et ramassequelques feuilles de cahier.LA BELLE-MÈRE : Laissez ça, mon ado-ré, vous allez vous salir les mains.Votre valet s'en occupera demain. Ilfaut vous coucher maintenant.Léandre obéit. Il enlève ses chaus-sures et sa veste et se couche. Sabelle-mère tire sur un cordon et unesonnerie retentit. Le valet Victorentre. Il ramasse les feuilles restantes,essuie le visage de Léandre et borde lelit.LA BELLE-MÈRE  : Dormez bien, montrès cher. Le sommeil, c'est bon pourla croissance.LÉANDRE : Merci, Mamoune.La belle-mère sort. Victor achève son tra-vail.LÉANDRE  : Victor, à ton avis, je suismalade, ou pas ?VICTOR (choqué)  : Bien sûr que non,Lélé. Si toi tu es malade, moi, je suisdéjà mort !Léandre remonte la couverture. Victorquitte la chambre en éteignant la lumière.Rideau.

Scène 4 : Les virusDans l'obscurité de la chambre, deux vi-rus se poursuivent, courent en tous sens.Un enfant vêtu de blanc entre par la fe-nêtre. Les virus se dirigent vers lui, mena-çants. Effrayé, l'enfant s'enfuit, poursuivipar les virus. Tous trois sortent.

Scène 5 : L'attaqueLéandre respire bruyamment. Il s'assoitdans son lit, porte la main à sa gorge. Ilcrie. Entre sa belle-mère, accompagnée deVictor.LA BELLE-MÈRE (affolée)  : Léandre  !Qu'est-ce qui vous arrive ?LÉANDRE : Je… Je ne sais pas. Je ne mesens pas bien. J'ai l'impressiond'étouffer.Entrent le frère et la sœur de Léandre, quile regardent avec curiosité.LA BELLE-MÈRE  : Ce n'est rien, monourson, juste un peu d'angoisse. Vic-tor, servez-lui un grand verre d'eaudistillée !Victor va chercher le verre d'eau. Entre lepère, furieux.LE PÈRE  : Comment oses-tu dire quece n'est rien  ? Je suis réveillé enpleine nuit par les cris de douleur demon fils aîné, et la seule chose que tutrouves à faire est de lui donner unverre d'eau ?LA BELLE-MÈRE (bafouillant) : Je… J'al-lais justement appeler un médecin. Le

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6verre d'eau, c'était juste pour le réhy-drater…LE PÈRE  : On ne soigne aucune mala-die avec de l'eau. As-tu au moins véri-fié son pouls et sa tension  ? Il fautprendre la situation au sérieux. De-main, je veux que trois médecins exa-minent mon fils. D'ici là, quelqu'unrestera près de lui en permanence.Vous m'avez compris  : tant que lesdocteurs ne l'auront pas examiné, ilne doit pas rester seul, même une se-conde.LA BELLE-MÈRE (soumise)  : J'ai com-pris, oui  ! Il ne faut courir aucunrisque. Je m'en occupe immédiate-ment.Le père lui lance un regard sombre etquitte la pièce, suivi du frère et de la sœurde Léandre.LA BELLE-MÈRE (dure) : Vous avez en-tendu, Victor  ? Vous prendrez sonpouls et sa tension toutes les demi-heures. Vous resterez aux côtés denotre cher Léandre jusqu'à l'arrivéedes médecins. Et attention  ! Nedormez pas, ou nous nous passeronsde vos services !Elle sort. Léandre et Victor la suivent desyeux.VICTOR  : Toujours sur moi que çatombe !LÉANDRE (craintif)  :Victor, tu crois quec'est grave ?VICTOR  : J'espère bienque non, je ne veux pasperdre ma place !Rideau.

Scène 6 : Les trois médecinsVOIX DU PÈRE (rideau baissé)  : Vousne devez absolument pas l'inquiéter.La nuit dernière, il a subi une graveattaque et il a failli étouffer. Même sila maladie est sérieuse, je veux quevous ayez des propos rassurants.Le rideau se lève sur la chambre. Léandreest assis sur son lit, un thermomètre à labouche. Victor est assis sur une chaise àcôté de lui, visiblement fatigué. Entrent lepère, les trois médecins et la secrétaire.LE PÈRE : Voici mon fils Léandre, l'aî-né de mes trois enfants. Il a eu un pe-tit… malaise la nuit dernière. Léan-dre, explique aux docteurs ce qui t'estarrivé.LÉANDRE  : J'avais du mal à respirer,je…LE PÈRE (l'interrompant)  : Il avait desnausées, et des difficultés respira-toires.LE DOCTEUR DECKER  : Un problèmede carence en vitamines, sûrement !LE DOCTEUR MASTEUR  : Des bacté-ries transmises par les acariens !LE PROFESSEUR FURIE : Une sensibili-té génétique aux différentiels atmo-sphériques !LE PÈRE  : Vous voilà déjà au travail.Vive la Science ! N'hésitez pas à prati-quer tous les examens nécessaires.

Les trois médecins s'ap-prochent en mêmetemps de Léandre, exa-minant chacun une par-tie du corps différente, àl'aide de divers instru-ments  : loupe, stétho-scope, appareil électro-nique.LE PÈRE : Alors ?Les trois médecins par-

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7lent en même temps :DECKER : Après examen de la langue,du teint et de l'haleine du patient, ilsemble qu'il soit atteint d'une carenceen vitamines des groupes A, B, C, D etmême E, provoquant un syndrome dedévitalisation généralisée.MASTEUR  : Plusieurs virus ou bacté-ries peuvent avoir provoqué la mala-die du jeune patient, probablementdes staphylocoques dorés ou des pseu-domonas æruginosa. Une analyse san-guine et urinaire s'impose.FURIE  : Le patient présente une ano-malie de plusieurs gènes liés à des pa-thologies potentiellement létales encas de facteurs favorisants. Ses onco-gènes pourraient avoir subi plusieursmutations qu'il faudra cartographier.Léandre se bouche les oreilles. La secré-taire essaie de noter, mais n'y arrive pas.LE PÈRE (criant) : Arrêtez !Les médecins se taisent et s'immobilisent.LE PÈRE  : On ne peut pas vous com-prendre si vous parlez en mêmetemps ! En plus, vous utilisez des motsque vous êtes les seuls à connaître. Re-prenez un par un, et dans un langageclair. Docteur Decker, commencez !LE DOCTEUR DECKER (après s'êtreéclairci la gorge) : Votre fils… ne mangepas assez de fruits et de légumes.La secrétaire note.LE PÈRE  : Et vous, Docteur Masteur,qu'en pensez-vous ?LE DOCTEUR MASTEUR : Le petit a dûattraper des bac… des microbes.LE PÈRE : Professeur Furie ?LE PROFESSEUR FURIE  : Les cellulesde son corps fonctionnent mal  ; elleont un défaut.

LE PÈRE  : Très bien, maintenant jevous comprends ! Et le remède ?Les trois médecins parlent en mêmetemps :DECKER  : Une supplémentation vita-minique !MASTEUR : Une antibiothérapie !FURIE : Des lymphocytes manipulés !LE PÈRE  : Vous recommencez  ! Cha-cun à son tour et en français courant,j'ai dit !LE DOCTEUR DECKER  : Des complé-ments alimentaires.LE DOCTEUR MASTEUR  : Des antibio-tiques.LE PROFESSEUR FURIE  : Des cellulesmodifiées.LE PÈRE : Merci  ! Mademoiselle, vousavez tout noté ?LA SECRÉTAIRE  : Oui, Monsieur  ! (Li-sant) Des compléments alimentaires,des antibiotiques et des cellules mo-difiées.LE PÈRE  : Les meilleurs remèdes desmeilleurs médecins du monde  :Léandre, mon grand fils, tu sera viteréparé ! Merci, docteurs ; la Science asauvé le monde, comme d'habitude !Les médecins sortent l'un après l'autre,après avoir reçu un gros chèque de la se-crétaire.LE PÈRE (à Léandre) : Tu prendras tousles médicaments, exactement commeles médecins te les ont prescrits. L'in-firmière s'en occupera. Ta santé esten de bonnes mains.Rideau.

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8ACTE IIScène 1 : L'infirmièreLe rideau s'ouvre sur unechambre encombrée de di-vers appareils médicaux.Léandre est couché dansson lit. L'infirmière lui administre des mé-dicaments.L'INFIRMIÈRE  : Je resterai à côté detoi tant que tu n'auras pas avalé tes ca-chets !LÉANDRE : J'ai pas envie !L'INFIRMIÈRE : Ce n'est pas une ques-tion d'envie : les médecins ont décidéque tu prendrais ces médicaments,alors tu dois leur obéir.LÉANDRE : Je ne les prendrai pas ! Ilsont mauvais goût et ils me font dumal.Il sort de son lit pour échapper à l'in-firmière et se réfugie derrière sa table detravail, obligeant sa poursuivante à tour-ner autour. Soudain, il éprouve un ma-laise et tombe. L'infirmière l'aide à selever et à se recoucher.L'INFIRMIÈRE  : Fais le malin, mainte-nant  ! Léandre, plus savant que lesmédecins, qui sait ce qui est bon oumauvais pour lui ! Heureusement quetu les as, ces remèdes. Je ne sais pasdans quel état tu serais sans eux.Ouvre la bouche !Il lui obéit et elle l'oblige à avaler une poi-gnée de cachets avec un verre d'eau.L'INFIRMIÈRE : Bien ! Retourne-toi !Il hésite, mais finit par se retourner. L'in-firmière sort d'une boîte un suppositoiregéant, qu'elle lui administre d'un gesteexagéré. Léandre crie. Dès qu'elle a termi-né, elle se dirige vers la porte.LÉANDRE (d'une voix faible)  : Infir-mière !

L'INFIRMIÈRE (se retour-nant) : Quoi encore ?LÉANDRE : Je ne devraispas être malade !L'INFIRMIÈRE  : Pour-quoi tu dis ça ?LÉANDRE  : Mes parents

m'ont toujours dit que je devais res-ter dans la maison pour éviter lesmaladies. Je ne suis jamais sorti, doncje ne devrais pas être malade !L'INFIRMIÈRE  : Un de tes amis a puramener des microbes de l'extérieur.LÉANDRE  : Tous mes amis se portentbien.L'INFIRMIÈRE  : Tu es peut-être plusfragile qu'eux. Ta constitution estplus faible.LÉANDRE : Pourquoi ?L'INFIRMIÈRE : Je n'en sais rien, moi,je ne suis pas médecin  ! Arrête de teposer des questions, je suis sûre quece n'est pas bon pour toi !Elle sort.

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9Scène 2 : L'hygiénisteEntrent la belle-mère, l'hygiéniste et sonassistante.LA BELLE-MÈRE  : Voici la pièce.Comme vous le constatez, la fenêtredonne sur la forêt.L'HYGIÉNISTE  : Très mauvais, ça  ! Dupollen, des spores, de l'humidité, unvrai concentré de saletés !LA BELLE-MÈRE : Je savais que vous di-riez ça !LÉANDRE (sèchement) : Encore un doc-teur ?LA BELLE-MÈRE  : Pas du tout, monpauvre chéri, ce monsieur est un hy-giéniste. Il n'essaie pas de guérir lesmaladies, mais d'en éliminer lescauses. Comme…L'HYGIÉNISTE (l'interrompant)  : Com-me retirer du feu la main de celui quise brûle !LA BELLE-MÈRE : C'est ça ! Votre pèrene croit que dans les médecins, mais ily a d'autres façons de chasser le mal.Pendant qu'elle parle, l'hygiéniste se metà regarder partout, examine chaque coinde la pièce. Il met l'index dans sa bouche,puis le lève.L'HYGIÉNISTE : Il y a un courant d'air,par ici ! Assistante !L'assistante se met à la recherche du cou-rant d'air, s'accroupit, saute en l'air et fi-nit par trouver son origine : un petit trouentre deux plinthes.L'HYGIÉNISTE  : L'air, cette grandesource de pathologies  ! Il faudra re-boucher ce trou. Et abattre ces arbres(montrant du doigt la forêt), jusqu'àdeux cent mètres au moins.LA BELLE-MÈRE  : S'il faut le faire, onle fera. La santé de notre cher angepasse avant le reste  ! Quand je pensequ'il a passé toute sa jeune vie près

d'une réserve de pollen, de spores etd'humidité, j'en suis malade – façonde parler !L'HYGIÉNISTE  : Le gens n'ont pasconscience des dangers qui les en-tourent. L'air, l'eau, la poussière, lanourriture  : tout devrait être sur-veillé de près. Vous désinfectez régu-lièrement cette chambre, j'espère ?LA BELLE-MÈRE  : Tous les jours, pro-fesseur Argophytum !L'HYGIÉNISTE : Très bien ! Vous pou-vez passer à deux fois par jour si vousavez un doute, mais une seule désin-fection devrait déjà suffire. Pensez àfaire bouillir les draps, couettes,oreillers, vêtements de corps pendantune demi-heure au moins. Calfeutrezles portes et les fenêtres, brûlez lesdoudous et les jouets en matières na-turelles et passez l'aspirateur matin,midi et soir. Bien sûr, votre petitmalade n'aura pas le droit de sortirde sa chambre.LÉANDRE  : Je devrai rester ici toutema vie ?L'HYGIÉNISTE  : Pas forcément touteta vie, petit. Quand tu iras mieux, tuseras peut-être autorisé à te prome-ner de temps en temps dans le restede la maison.LA BELLE-MÈRE : Et tes amis pourrontvenir te voir !L'HYGIÉNISTE  : À condition d'avoirété d'abord correctement désinfectés.On n'est jamais trop prudent !LÉANDRE  : Je suis vraiment trèsmalade, alors ?L'HYGIÉNISTE  : Ça, je n'en sais rien,mon garçon. Je suis hygiéniste, pasmédecin !Rideau.

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10Scène 3 : Les voiles de plastiqueLe rideau s'ouvre sur une chambre encoreplus vide. Léandre est assis par terre surun tapis de plastique portant le mot « sté-rile  ». Il joue avec un appareil électro-nique. Des techniciens habillés decombinaisons blanches installent desvoiles de plastique autour de lui. Quandils ont terminé, ils sortent. Entrent sonfrère et sa sœur, qui jouent à se pour-suivre. Léandre s'aperçoit de leur pré-sence.LÉANDRE (se levant et leur faisantsigne) : Louis ! Élisabeth !Ils continuent à jouer sans faire atten-tion à lui.LÉANDRE (en colère)  : Je sais bien quevous me voyez, ne faites pas sem-blant ! Je ne suis pas devenu invisible.LE FRÈRE : C'est maman qui nous a ob-ligés à venir.LA SŒUR : Nous, on ne voulait pas.LE FRÈRE : Élisabeth a peur que tu soiscontagieux.LA SŒUR : On ne sait jamais !LE FRÈRE  : Si on te parle trop long-temps, on pourrait attraper tes mi-crobes.Ils sortent. Léandre s'assoit par terre, abat-tu.

Scène 4 : Le prénomEntre la belle-mère.LA BELLE-MÈRE : Alors, mon crouton,vous avez tout ce que vous désirez ?LÉANDRE (sans la regarder)  : Pourquoitu m'appelles « mon crouton » ?LA BELLE-MÈRE : Je ne sais pas ! C'estbon, un crouton !LÉANDRE : Un crouton, c'est du vieuxpain tout sec  ! Je ne veux pas que tum'appelles comme ça !LA BELLE-MÈRE  : Bien sûr, pas deproblème  ! Qu'est-ce que vous pré-férez : mon abricot sucré ?LÉANDRE : Juste Léandre !LA BELLE-MÈRE  : Juste Léandre  ?C'est un peu froid, non ?LÉANDRE  : C'est mon prénom, celuique m'a donné ma mère.LA BELLE-MÈRE  : Un très beau pré-nom, d'ailleurs  ! Va pour Léandre  !J'essaierai de m'en souvenir.Elle sort. Léandre jette son jouet électro-nique loin de lui.

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11Scène 5 : Le réharmonisateurEntre Victor, qui vérifie que personne nel'a vu entrer. Léandre lui tourne le dos.VICTOR (chuchotant)  : Léandre  !Léandre !Il passe de l'autre côté du rideau et touchel'épaule de Léandre.LÉANDRE (se retournant)  : Tu n'as paspeur d'attraper ma maladie ?VICTOR : Ne dis pas de bêtises ! Un va-let ne peut pas attraper une maladiede maître, c'est bien connu  ! Écoute,je n'ai pas beaucoup de temps. Je suiscensé être à la cuisine. Je suis venu tedire quelque chose de très important.Léandre se lève et écoute avec attention.Victor regarde autour de lui avant de par-ler.VICTOR  : Je connais quelqu'un quipeut t'aider.LÉANDRE (désabusé)  : Un autre doc-teur ?VICTOR : Non, pas du tout, mieux queça : un réharmonisateur !LÉANDRE : Un quoi ?VICTOR  : Un ré-har-mo-ni-sa-teur  !Nous autres, valets, nous ne croyonspas dans la médecine. D'ailleurs, nousn'avons pas assez d'argent pour nouspayer des médicaments. Quand noussommes malades, nous appelons un ré-harmonisateur, qui remet en place lescircuits énergétiques de notre corps.LÉANDRE : C'est quoi, un circuit éner-gétique ?VICTOR : Vraiment, il faut tout t'expli-quer ! Un circuit énergétique, c'est unpeu comme un tas de fils électriquesoù l'énergie passe. Parfois, un contactest un peu usé, et l'énergie se bloque.On appelle ça une maladie.Léandre regarde son corps, à la recherchedes fils électriques.

LÉANDRE  : On a réellement des fils àl'intérieur ?VICTOR  : Façon de parler  ! Je neconnais pas trop la théorie, je ne suispas spécialiste. Tout ce que je sais,c'est que ça marche. Tu veux es-sayer ?LÉANDRE : Ça fait mal ?VICTOR : Pas le moins du monde ! Çachatouille un peu, c'est tout ! Tu ver-ras, il ne donne même pas de vraismédicaments. Attends, je le fais venir.Victor ouvre la porte, jette un coup d'œilà l'extérieur, puis sort.LÉANDRE (hésitant)  : Circuit énergé-tique !Victor revient, accompagné du réharmo-nisateur.VICTOR  : Je te présente Tong TafnapAlgésiras, ancien valet de la cour deMoldavie. Tong, voici Léandre, monjeune maître. Bon, je vous laisse, onm'attend aux fourneaux !Il sort. Tong Tafnap Algésiras tourne au-tour de Léandre, l'examinant des pieds àla tête en passant les mains à quelquescentimètres de son corps.TONG TAFNAP ALGESIRAS  : Très in-téressant !Il continue.TONG TAFNAP ALGESIRAS  : Commec'est étrange !Il achève son inspection en remontantvers la tête.TONG TAFNAP ALGESIRAS : Du jamaisvu !LÉANDRE (s'impatientant) : Tu as trou-vé quelque chose ?TONG TAFNAP ALGESIRAS  : Jeunehomme, vous êtes tout chamboulé !LÉANDRE (inquiet) : Tout chamboulé ?TONG TAFNAP ALGESIRAS  : Touttourneboulé, je dirais même. Vous

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12avez les circuits tout encombrés, desdoigts de pieds à la pointe des che-veux !LÉANDRE  : Je ne comprends pas. Mesparents me disent toujours que j'ai lameilleure vie qu'un enfant peut avoir.Je ne devrais pas être aussi tournebou-lé !TONG TAFNAP ALGESIRAS  : Que vou-lez-vous, le corps se dérègle parfoistout seul, comme une horloge. On nesait pas pourquoi.LÉANDRE : Et ça… se répare ?TONG TAFNAP ALGESIRAS  : Bien sûr,sinon je n'aurais pas de clients. Vic-tor, par exemple  : sans moi, il seraitmort avant votre naissance, et plu-sieurs fois depuis. Il me doit beau-coup.LÉANDRE : Lui aussi était déréglé ?TONG TAFNAP ALGESIRAS  : Commeune vieille machine rouillée  ! Quandje l'ai rencontré pour la première fois,on aurait dit un petit vieux ! Mais si jepeux me permettre, il n'était pas moi-tié aussi déréglé que vous !Léandre met la main au cœur, respire dif-ficilement. Tong Tafnap Algésiras sort unoutil bizarre et commence à le faire tour-ner en se déplaçant autour de Léandre.TONG TAFNAP ALGESIRAS : Vous avezbeaucoup de chance que Victor m'aitfait venir.Rideau.

Scène 6 : Énergies négativesLéandre est perché sur un empilement detables et de chaises. Il porte un collier deplantes et un chapeau extravagant.VOIX DE LA BELLE-MÈRE  : Léandre,pour la dernière fois, ouvrez !LÉANDRE : Non !VOIX DE LA BELLE-MÈRE : Vous devezabsolument nous laisser entrer, monpet… Léandre  ! C'est l'heure de vosmédicaments.LÉANDRE  : Je ne veux plus lesprendre !VOIX DE LA BELLE-MÈRE  : Mais vousn'avez pas le droit d'arrêter, lesmédecins sont formels.LÉANDRE  : Je ne veux plus prendrevos poisons. Le réharmonisateur a ditque je devais me purifier.VOIX DE LA BELLE-MÈRE  : Je ne con-nais pas ce réharmonisatruc, mais ildoit être un charlatan pour vous fairecroire des choses pareilles. Seule laScience vous sauvera.LÉANDRE : Depuis que la Science s'oc-cupe de moi, je me sens de moins enmoins bien.VOIX DE LA BELLE-MÈRE  : Sans lesmédicaments que vous prenez, vousiriez encore plus mal à l'heure ac-tuelle.LÉANDRE  : Ou peut-être que j'iraismieux !On frappe quelques gros coups depoings à la porte.VOIX DU PÈRE  : Léandre, ouvre toutde suite, c'est un ordre !LÉANDRE : Non ! Je ne veux pas faireentrer les énergies négatives !VOIX DU PÈRE  : C'est ta dernièrechance  : ouvre, ou on enfonce laporte !Léandre regarde en l'air. Bruits d'une

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13porte qu'on enfonce. La porte cède etlaisse passer Victor, l'infirmière et lesdeux techniciens. On oblige Léandre àdescendre et on lui enfonce les médica-ments dans la gorge à l'aide d'un enton-noir. Rideau.

Scène 7 : La visite des fantômesLa chambre de Léandre est plongée dansla pénombre. Léandre est endormi.Entrent l'oncle Toc et la tante Aga, touthabillés de gris. Ils se placent de part etd'autre du lit.ONCLE TOC : En voilà un qui ne va pastarder à nous rejoindre.TANTE AGA  : Disparaître si jeune  !Quel dommage !Elle se penche sur Léandre, essaie de lefaire réagir.ONCLE TOC  : Une honte pour la fa-mille, tu veux dire  ! Autrefois, nousavions une santé de fer. J'ai quitté cemonde à quatre-vingt-quinze ans ettoi à quatre-vingt-dix-sept. Dix foisplus vieux que lui, tu te rendscompte !TANTE AGA : Il y a eu le petit Achille,trépassé à onze ans.ONCLE TOC  : Ça ne compte pas  : unarbre lui est tombé dessus !TANTE AGA  : Alors, il ne reste plusque la petite Perséphone, décédée dela tuberculose à quinze ans et demi.ONCLE TOC : Et encore, je me suis tou-jours demandé si elle n'avait pas étéempoisonnée par son oncle.TANTE AGA (chatouillant Léandre) : Re-garde comme il est mignon  ! Commesa mère est toujours vivante, je m'oc-cuperai de lui quand il aura passél'arme à gauche.ONCLE TOC  : Je te reconnais bien là  :

même défunte, tu restes une tatapoule  ! Moi, si je devais choisir, jepréférerais qu'il vive encore trenteou quarante ans, pour lui laisser unechance d'apporter quelque chose à lafamille. Il pourrait devenir célèbre,inventer une machine fantastique ousauver des vies humaines. Après tout,il n'a même pas une vraie maladie.TANTE AGA  : Il n'a pourtant pas l'airde faire semblant !ONCLE TOC : Il est parfois plus dange-reux de se croire malade que de l'êtrevraiment et de l'ignorer.Ils sortent. Rideau.

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14ACTE IIIScène 1 : AgonieLe rideau s'ouvre sur une pièce transfor-mée en chambre d'hôpital. Léandre est as-sis dans un fauteuil roulant. Il est pâle etse déplace avec difficulté. Alors qu'il re-garde par la fenêtre, son père et sa belle-mère apparaissent sur le seuil de la porte.LA BELLE-MÈRE (parlant bas)  : Il nequitte presque plus la fenêtre. Il restecomme ça toute la journée, sans bou-ger.LE PÈRE (parlant de la même façon) : Pastrès solide, ce garçon. Le système im-munitaire ne vaut rien. Avec les traite-ments que je lui ai payés, il devraitêtre en pleine forme. De l'argent per-du !LA BELLE-MÈRE  : On a fait tout cequ'on a pu. Il faut savoir reconnaîtrequ'on a échoué.LE PÈRE : Dix ans d'éducation pour enarriver là ! Quel gâchis !LA BELLE-MÈRE : On devrait peut-êtreattendre un peu, au cas où il reparti-rait.LE PÈRE : Même s'il s'en sortait, il res-terait fragile. Il vaudrait mieux qu'il…LA BELLE-MÈRE  : C'est triste à dire,mais je crois que tu as raison. Il vau-drait mieux qu'il…Léandre s'aperçoit de leur présence. Il seretourne lentement et essaie de leur par-ler sans y arriver. Sa belle-mère se préci-pite vers lui, alors que son père reste surle seuil et finit par sortir.LA BELLE-MÈRE  : Ne vous fatiguezpas, mon petit martyr. Vous n'êtespas encore tout à fait guéri. Votrepère vient de me faire remarquer quevous alliez beaucoup mieux, mais cen'est pas une raison pour gambader !

LÉANDRE (d'une voix faible) : J'ai mal !LA BELLE-MÈRE  : D'après les méde-cins, c'est une étape normale de laguérison. Plus qu'une semaine oudeux et… et vous serez comme neuf !Bon, nous on file, on ne veut pas vousfatiguer. Continuez comme ça, monhéros !Elle sort sans laisser à son beau-fils letemps de lui répondre. Léandre repartvers la fenêtre.Entre Victor. Il se met à faire le lit sansregarder Léandre.VICTOR  : Alors, mon petit Lélé, com-ment vont les circuits, ce matin ?LÉANDRE (sans se retourner)  : Pas trèsbien !VICTOR (choqué)  : Comment ça, pastrès bien  ? Je sens l'énergie partout,dans cette chambre, Ça déborde d'é-nergie, petit veinard  ! Ce vieux Tonga vraiment fait du bon boulot !Léandre se retourne. Il a du mal à respi-rer et à se déplacer.LÉANDRE : Je ne me sens pas bien dutout, Victor. De moins en moins bien.VICTOR  : Je suis sûr que ce n'estqu'une étape. Tu as bien fait tout ceque Tafnap t'a recommandé ?LÉANDRE (dans un souffle) : Oui !VICTOR  : Tu as dû oublier un détail,j'en suis sûr  ! Il fallait suivre sesinstructions à la lettre. Algésiras dittoujours  : «  Si ça foire, tu t'es gouréquelque part. »LÉANDRE  : J'ai fait tout ce qu'il avaitconseillé.VICTOR (haussant les épaules)  : Qu'est-ce que tu veux que je te dise  ? Peut-être que la réharmonisation ne mar-che pas avec les maîtres. Pas de chan-ce pour toi !Il sort.

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15Entrent Louis et Élisabeth, qui visitent lachambre comme si Léandre n'était pas là.LOUIS : Tu vois, je te l'avais dit : il y ala place pour mon bureau, là-bas,dans le coin.ÉLISABETH : Et ton coffre à jouets, tule mettrais où ?LOUIS  : Juste à l'entrée, près de macommode.ÉLISABETH  : Moi, je préférerais sousla fenêtre.LOUIS  : Impossible  : il y a le radia-teur !Léandre s'approche d'eux, mais necherche pas à leur parler. Il les re-garde seulement, attentif à leur dia-logue. Élisabeth le remarque et donneun coup de coude à son frère.LOUIS : On voulait juste… comparer tachambre à la mienne.ÉLISABETH  : Louis me demandaitquelques conseils pour changer sesmeubles de place. On voulait justevoir comment tu avais disposé lestiens…LOUIS : Mais on ne va pas te dérangerplus longtemps.ÉLISABETH  : On ne te dérangera plusdu tout.Ils se dépêchent de sortir. Léandre les re-garde partir, puis reste longtemps immo-bile.LÉANDRE (criant) : Je vais mourir !Il s'effondre.Rideau.

Scène 2 : La sourisAssis par terre, Léandredétruit soigneusement chacunde ses jouets, en s'acharnantsur les figurines. Soudain, il

aperçoit une souris, qui sort du trou re-bouché par l'hygiéniste. Elle traverse lachambre à toute vitesse. Léandre tente envain de l'attraper, mais elle disparaîtdans un autre trou. Malgré les interdic-tions des thérapeutes, il ouvre sa fenêtre.Il veut respirer l'air de l'extérieur. Maisl'effort l'a fatigué ; il ferme la fenêtre et secouche.Rideau.Scène 3 : L'AncienLéandre se réveille en pleine nuit. Sachambre, méconnaissable, ressemble dé-sormais à une prison. L'Ancien est assisdans un coin. Il travaille à fabriquerquelque chose sans se préoccuper deLéandre. Ce dernier veut se lever, mais safaiblesse l'en empêche. Il appelle l'Ancien,qui lève enfin la tête.LÉANDRE : T'es qui ?L'ANCIEN  : Je suis un Ancien, mongarçon. Quelqu'un du vieux monde.LÉANDRE  : Qu'est-ce que tu fais dansma chambre ?L'ANCIEN : J'ai toujours été là. Ça faitcent trois ans que je vis ici.LÉANDRE : Je ne vous avais jamais vu.L'ANCIEN  : C'est normal  : on ne peutvoir que ce qu'on connaît déjà. Moi,plus personne ne me connaît. Ils onttous oublié que j'existais. Vieux,malade, mais vivant !LÉANDRE : Moi aussi je suis malade. Jepense que je vais bientôt mourir. J'aiattrapé une affreuse maladie, qu'au-cun docteur ne peut soigner.L'ANCIEN : Ne t'inquiète pas pour ça !

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16(Il se lève et s'approche du lit.) Il y adeux cent cinquante ans, les médecinsm'ont déclaré incurable. J'étais telle-ment furieux que j'ai survécu. Je les aitous enterrés !LÉANDRE : Je ne crois pas que je vivraiaussi longtemps que vous. Je vais plusmal de jour en jour. Mes parents es-saient de me faire croire que je vaisguérir, mais je sais qu'ils mentent. Sij'avais su que j'allais mourir, je ne se-rais pas resté tout le temps dans cettemaison à jouer à des jeux idiots.Le vieillard rit.L'ANCIEN  : Moi aussi, je vais mourir.Je le sais depuis trois cents ans aumoins. Mais crois-moi, fiston, ça nem'a jamais empêché de profiter de lavie !LÉANDRE (s'asseyant sur le bord du lit) :Vous ne comprenez pas. Je ne vais pasmourir dans cent ans, mais peut-êtredemain ou la semaine prochaine.L'ANCIEN : Quelle drôle d'idée ! Un en-fant ne devrait jamais penser ce genrede choses ! À ton âge, je me croyais im-mortel  ! Écoute, Léandre, je vais teconfier un secret  : ce que tu crois asouvent tendance à se réaliser. Si tute crois malade, tu le deviendras. Tudois chasser tes idées noires, sinonelles risquent de devenir vraies  ! Tamère disait  : «  Je ne suis jamaismalade,…LÉANDRE  : …parce que je n'en ai pasle temps  !  » Vous avez connu mamère ?L'ANCIEN  : Évidemment  ! J'ai connutous les habitants de cette maison ! Tamaman aimait discuter avec moi,quand les autres ne la voyaient pas.J'ai été très triste quand ils l'ont chas-sée.

LÉANDRE : Chassée ?L'ANCIEN  : Chassée, oui  ! Elle étaittrop libre, trop sauvage. Elle ne vou-lait pas se soumettre. Ils t'ont faitcroire qu'elle était morte, mais ellevit encore.Léandre monte sur son fauteuil rou-lant et se dirige vers la fenêtre.L'ANCIEN  : Elle t'aimait de toutes sesforces, tu sais. Ils ne l'ont pas laissét'emmener avec elle. Ton père a ditqu'il voulait t'offrir une vie confor-table. Elle a répondu qu'une prisonconfortable restait une prison.LÉANDRE (pleurant)  : Je ne la verraiplus jamais !L'ANCIEN : Pas d'idées noires, je te lerépète. Écoute bien ce que je vais tedire : si tu veux revoir ta mère, oublied'abord ta maladie. Ensuite, ouvre lafenêtre et saute dans le jardin. Au dé-but, ce sera un peu difficile, mais plusl'air libre entrera dans tes poumons,plus tu te sentiras bien. Ta mère vitde l'autre côté de cette forêt que tuvois au loin. Marche sans te retour-ner, droit devant toi, et tu la rejoin-dras.LÉANDRE  : Ça ne peut pas être aussifacile.L'ANCIEN (se recroquevillant dans uncoin) : Si tu refuses d'y croire, ce seraimpossible.Il baisse la tête et semble s'endormir.LÉANDRE (en colère)  : Ce ne sont quedes mensonges, des contes pour en-fants !Rideau.

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17Scène 6 : La fenêtreL'Ancien a disparu et Léandre reste seul.Tandis que la lumière diminue, il regardeune dernière fois ses jouets brisés. Il ouvrela fenêtre et respire profondément. Une lu-mière intense, accompagnée de bruits na-turels, pénètre dans la chambre.LÉANDRE : Maman !VOIX DE FEMME : Léandre ! Léandre !Après avoir hésité une dernière fois,Léandre enjambe la fenêtre et quitte lapièce.