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1 LA MATERNITÉ, HIER ET AUJOURDHUI Sacha Lesage Fédération des Associations de Parents de l’Enseignement Officiel – ASBL Avenue du Onze Novembre, 57 1040 Bruxelles Tel. : 02/527.25.75 Fax : 02/527.25.70 E-mail : [email protected] Avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles

LA MATERNITÉ HIER ET AUJOURD HUI

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Page 1: LA MATERNITÉ HIER ET AUJOURD HUI

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LA MATERNITÉ,

HIER ET AUJOURD’HUI

Sacha Lesage

Fédération des Associations de Parents de l’Enseignement Officiel – ASBL Avenue du Onze Novembre, 57

1040 Bruxelles

Tel. : 02/527.25.75 Fax : 02/527.25.70

E-mail : [email protected]

Avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles

Page 2: LA MATERNITÉ HIER ET AUJOURD HUI

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L’ANALYSE EN UN COUP D’ŒIL

MOTS-CLEFS Mère, maternité, instinct maternel, parentalité, féminisme, genre, éducation, devoirs.

Entretenir une belle cuisine, une belle maison, un beau jardin, de bonnes relations avec sa

communauté, être souriante, intelligente, sexy (mais pas trop !), avoir un mari, un travail, un

statut social… Une maman se doit d’être parfaite. En plus, elle se doit de subvenir aux

besoins physiques, psychologiques et pédagogiques de son enfant – entendez par là qu’elle

doit l’aider pour les devoirs et parfaire son éducation, de manière à ce que celui-ci soit

couronné de succès dans ses études et sa vie professionnelle. Et surtout, tout ça doit se faire

de manière naturelle et avec amour s’il vous plait !1 C’est ce qu’on appelle « l’instinct

maternel »…

Mais est-ce qu’il existe vraiment, cet « instinct » maternel ? Comment, dans la société

actuelle, est-il possible de concilier toutes ces choses, sans se culpabiliser ou se sentir

déficiente ? Et puis surtout est-ce cela le rôle d’une mère ?

1 A lire sur le sujet de la soi-disant « démission parentale », une analyse de la FAPEO : Lacroix J., « Ne cherchez plus, c’est la

faute des parents », Fapeo, Analyse 2011. http://www.fapeo.be/wp-content/analyses/analyses_2011/Faute_parents.pdf

Page 3: LA MATERNITÉ HIER ET AUJOURD HUI

3

TABLE DES MATIERES

L’analyse en un coup d’œil ...................................................................................................................... 2

L’ «instinct» maternel : biologie ou mythe social ? ................................................................................. 4

l’évolution de la condition de la mère en Occident ................................................................................ 5

La mère dans les mythes grecs… ......................................................................................................... 5

…dans la Bible… ................................................................................................................................... 5

…et dans le droit romain ..................................................................................................................... 6

Du Moyen-âge aux temps modernes ...................................................................................................... 6

Toujours davantage de diktats dans la famille… ................................................................................. 7

…et davantage de place pour la femme dans la société ..................................................................... 7

Le prix de la maternité aujourd’hui ......................................................................................................... 9

La maternité en tant que rétribution ? ............................................................................................... 9

Normes et ambivalence .................................................................................................................... 10

Et pour celles qui ne rentrent pas dans la norme ? .......................................................................... 12

Conclusions ............................................................................................................................................ 13

Bibliographie.......................................................................................................................................... 14

Page 4: LA MATERNITÉ HIER ET AUJOURD HUI

4

L’ «INSTINCT» MATERNEL : BIOLOGIE OU MYTHE SOCIAL ?

Selon Darwin, chez les humains, comme chez tous les mammifères, l’affection maternelle fait

partie des instincts biologiques les plus puissants, poussant les mères à nourrir, laver,

consoler et défendre leurs petits. Chez les humains, il existerait des motifs biologiques forts

pour encourager la mère à s’occuper de son enfant. Chez la femme, l’apparition de l’instinct

maternel dépendrait d’une régulation précise des concentrations d’hormones, œstrogènes et

progestérones durant la grossesse et après la naissance2.

Néanmoins, pour beaucoup d’auteurs, on ne peut chez la femme parler d’ « instinct »

maternel car il ne s’agit pas de pulsion aussi implacable que le besoin de manger ou de

dormir. « Pour passer de la prédisposition à l’amour maternel effectif, il y a une cascade de

logiques qui s’enchaînent »3 ; l’instinct maternel opèrerait « par une série continue de

détonateurs, qui peuvent ou non s’amorcer, selon les circonstances ou les réactions à

l’environnement »4.

Ainsi, beaucoup considèrent que le concept de maternité ne serait pas « naturel ». Il se serait

construit socialement, politiquement, idéologiquement et économiquement, au long de

l’histoire de la culture occidentale. Il s’agirait d’un « mythe social » qui servirait à justifier le

fonctionnement des sociétés, à organiser une manière de voir le monde et de pousser les

individus à se comporter de telle ou telle manière.

Ainsi, certain(e)s féministes estiment que si le rôle de mère a été valorisé, c’est pour que les

femmes restent cantonnées à la maison, sans possibilité de s’épanouir socialement.

Dans cette analyse, nous dresserons un bref aperçu de l’évolution de l’image de la mère en

Occident, des mythologies grecques à aujourd’hui, en passant par la Bible et le Moyen-âge.

Cet aperçu n’est pas exhaustif et vise à rendre compte de manière synthétique et transversale

de quelques évolutions significatives du rôle de la femme et de la maternité jusqu’à

aujourd’hui. Enfin, nous évaluerons l’existence, à l’heure actuelle, d’un fossé entre ce que la

société attend de la mère d’un côté, et de la femme de l’autre.

« La culture est partie d’une impulsion, sexuelle et biologique, l’a transformée en

une impulsion maternelle et lui a donné un objectif déterminé et unique.

Par anticipation, elle a créé un nouveau lien et un nouveau mythe ; la croyance que toute mère

n’est pas seulement une mère potentielle mais également par désir et par nécessité »5.

2 Kinsley, C., Lambert, K., « L’instinct maternel niché dans le cerveau », Pour la science, n°340, février 2006, pp. 83-88. 3 Dortier, J., « Y-a-t-il un instinct maternel ? », Sciences humaines, n°134, janvier 2003, pp. 48-49. 4 Idem. 5 Marín Murillo, F., « Adolescentes y maternidad en el cine : « Juno », « Precious » y « The Greatest », Comunicar – Revista

científica de educomunicación, n°36, 2011, p118.

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L’EVOLUTION DE LA CONDITION DE LA MERE EN OCCIDENT

La mère dans les mythes grecs…

On retrouve fréquemment le rôle de la mère dans les mythes grecs, considérés comme les

projections des angoisses, désirs symboliques et sentiments cachés du peuple grec. Ces récits

ont joué un rôle déterminant dans l’élaboration de la pensée occidentale…

Dans la mythologie grecque, la déesse de la maternité est Déméter (déesse de la terre

cultivée, nourricière originelle). Celle-ci initie les humains à l’agriculture et à la vie

prévoyante et organisée6 et est très liée à sa fille, Coré (on les nommait « les deux déesses »),

symbole du printemps et du renouveau. Lorsque celle-ci fut enlevée par Hadès, le Dieu des

Enfers, Déméter fut endeuillée et les humains subirent une année de famine, les graines

n’ayant pu germer. Zeus intervint, et conclut que Coré reviendrait chaque année au

printemps pour passer la belle saison avec sa mère.

Bien que toutes les déesses ne se laissent pas enfermer dans les fonctions maternelles

(certaines ont choisi de rester vierges – Athéna, Artémis, Hestia…), les mythes révèlent

souvent des sentiments maternels démesurés et tissés d’inquiétude et d’orgueil.

…dans la Bible…

L’arrivée du christianisme marque la fin des mythes polythéistes ; il n’y a plus de déesses

mais un Dieu, « la paternité seule est divine »7. La Vierge Marie compense la disparition des

diverses déesses car elle est à la fois femme, fille, épouse et mère de Dieu8. A l’origine, la

Vierge Marie n’est que brièvement citée par certains évangélistes ; c’est seulement par la

suite, face à ceux qui voyaient Jésus comme un pur esprit, que la double nature de ce dernier

est affirmée (vrai Dieu et vrai homme puisqu’il a été porté, mis au monde et allaité par une

femme), néanmoins, « le fils de Marie échappe à toutes les souillures du corps féminin, il

n’est pas le fruit d’un désir charnel, et ce n’est pas sa mère qui le conçoit »9.

Citons également Eve, créée d’une côte d’Adam (comme « enfantée » par lui) qui, après avoir

succombé au fruit interdit, doit enfanter dans la douleur et être dominée par l’homme…

Enfin, on oublie souvent Lilith, première femme d’Adam, faite de terre et d’argile comme lui

et voulant être son égale ; cela lui étant refusé, elle s’enfuit sous la mer. Dieu lui ordonna de

revenir, sans quoi elle verrait chaque jour périr 100 de ses enfants. C’est en refusant de

revenir que Lilith devint une démone et une tueuse de nouveau-nés ; « symboliquement,

celle qui veut être libre, celle qui refuse la domination de l’homme, renonce à la maternité.

Pire, elle sème la mort »10.

6 Knibiehler, Y., Histoire des mères et de la maternité en Occident, Paris, Puf, 2012, p. 8. 7 Idem, p. 27. 8 Idem, p. 35. 9 Idem, p. 31. 10 Marinopoulos, S., « Idyllique maternité », Muze, n°66, janvier 2012, p. 131

Page 6: LA MATERNITÉ HIER ET AUJOURD HUI

6

…et dans le droit romain

Les romains ont rédigé une doctrine juridique patriarcale11, instituant le pouvoir du pater

familias sur ses enfants en tant que responsabilité d’élever de bons citoyens romains en

devenir. Ainsi, le père peut rejeter un nouveau-né infirme ou une fille en surnombre sans

consulter la mère. La fécondité de la femme est tout de même mise à l’honneur, mais la mère

ne peut allaiter : le père doit privilégier sa lignée à une époque où tout le monde croit que le

lait, comme le sang, transmet les caractères héréditaires.

DU MOYEN-AGE AUX TEMPS MODERNES

Au Moyen-âge, à l’exception de la Vierge Marie, la mère ne semble pas faire l’objet de

valorisation. Les femmes des classes populaires mettent au monde beaucoup d’enfants pour

compenser d’avance une mort infantile élevée (plus de la moitié mouraient avant l’âge de 10

ans – pour certains historiens, la mort d’un enfant est peut être ressentie avec fatalité voire

indifférence) et les mères gèrent à leur façon l’enfantement et l’éducation.

Dans les couches supérieures de la société, la relation mère-enfant semble calquer la relation

père-enfant, minimisant la dimension charnelle et affective. Petit à petit, les femmes

deviennent des « Dames » et élaborent une féminité fondée sur la séduction, le raffinement

des manières et des sentiments, totalement détachée de l’enfantement.

Avec la philosophie des Lumières, les traditions sont remises en question pour penser une

société nouvelle. On en vient à penser que la richesse d’une nation se construit grâce au

nombre et à la qualité de ses habitants, et que la mortalité infantile est tout à fait scandaleuse.

La mère est poussée à se mettre au service de l’enfant et est valorisée en tant que telle. La

femme est cette fois-ci encouragée à allaiter, afin de favoriser le lien affectif avec l’enfant.

11 Patriarcal : Qui relève de l'organisation sociale où le père a une autorité prépondérante - Relatif au Patriarcat : Forme d'organisation sociale dans laquelle l'homme exerce le pouvoir dans le domaine politique, économique, religieux, ou détient le rôle dominant au sein de la famille, par rapport à la femme (source : Larousse).

Fin du 18ème, un manuel de médecine consacré à la femme

révèle combien celle-ci est « faible » (petits os spongieux, cage

thoracique plus étroite, bassin trop large qui gêne la

marche…), et en conclut que la femme est prédestinée par

nature à la passivité et la procréation ; le corps mou se

déforme selon les nécessités de la reproduction, le bassin peut

contenir le fœtus… « Tous ces faits prouvent que la destination

de la femme est d’avoir des enfants et de les nourrir », lit-on

dans l’Encyclopédie. De la même manière, elle est « trop

sensible » pour être capable de concentration et de réflexion, il

ne faut pas trop l’instruire… Par contre, elle est qualifiée pour

soigner et consoler ceux qui souffrent avec tendresse,

compassion, bienfaisance…

Page 7: LA MATERNITÉ HIER ET AUJOURD HUI

7

Toujours davantage de diktats dans la famille…

Après la Première Guerre mondiale pendant laquelle les femmes durent remplacer les

hommes sur le marché du travail, l’Etat s’inquiète de la dépopulation et met en place des

politiques de natalité (alors qu’auparavant l’avortement était chose courante, il devient

sévèrement sanctionné). Ainsi, l’Etat commence à franchir les frontières de la vie privée ; la

famille ne dépend plus seulement du père, mais commence à faire l’objet de décisions

politiques. On voit apparaître des encouragements symboliques tels que la fête des mères et

la médaille de la famille française ; on pousse les femmes à revenir au foyer.

Au-delà de l’Etat, c’est également la médecine qui prend de plus en plus de place dans la vie

privée. Il devient plus sûr d’accoucher à l’hôpital que chez soi et ainsi, rapidement, la

majorité des naissances sont sous contrôle et les soins maternels médicalisés, même quand la

mère et l’enfant se portent bien. Ainsi, cette médicalisation triomphante se fait sans prise en

compte des particularités psychologiques liées au passage de la « femme » à la « mère » ; leur

bien-être, leurs émotions, ce qu’elles peuvent ressentir à cette étape devient un aspect

secondaire.

…et davantage de place pour la femme dans la société

En déstabilisant l’ordre ancien et en instituant le mariage civil (et le divorce), la Révolution

française aide les femmes à prendre conscience de leur fonction sociale, dont dépend l’avenir

de la Nation. Mary Wollstonecraft, une féministe anglaise de la fin du 18ème siècle, écrit un

livre mettant en valeur la contribution éminente des femmes à la société en exaltant leur

dévouement civique dans l’éducation des enfants, dévouement qui ne leur est pas imposé

par la nature mais qui se fait en pleine conscience de leur responsabilité12. Une responsabilité

qui devrait, selon l’auteur, donner aux mères un droit de regard et de participation dans les

affaires de l’Etat.

C’est fin 19ème que l’enseignement secondaire puis universitaire commence à accepter les

femmes, ce qui est dans un premier temps mal vu ; Hélène Deutsch, psychanalyste qui se

spécialisera dans la psychologie féminine, écrit que les femmes intellectuelles font des

« mères masculines », qui doivent lire des livres de puériculture pour compenser « la

pauvreté de leurs émotions »13.

Certes, le travail des femmes en dehors du foyer a toujours existé, mais celui-ci était surtout

une extension de leur vie domestique et familiale et ne leur apportait ni statut social, ni

autonomie financière, et encore moins un épanouissement (elle s’épanouit uniquement dans

son rôle de mère).

12

Knibiehler, Y., op.cit. 13 Knibiehler, Y., op.cit., p. 76.

Page 8: LA MATERNITÉ HIER ET AUJOURD HUI

8

Dans le cadre de l’industrialisation croissante et des première et deuxième guerres

mondiales, certaines femmes commencent à s’insérer dans le monde du travail salarié (en ne

bénéficiant que de la moitié du salaire masculin). Le travail, « organisé par des hommes pour

des hommes », devient ainsi une double journée pour beaucoup de femmes, qui continuent

parallèlement de gérer les tâches domestiques. C’est là que commencent à apparaître les

concepts de congé de maternité, d’assurance maternité, d’allocations familiales…

« La femme est définie à partir de sa fonction de mère et d’épouse, (…) elle se retrouve

privée de sa contribution active à la génération humaine, mais elle acquiert une

reconnaissance sociale tant qu’elle rentre dans l’imaginaire qu’on lui assigne ; celle qui

soigne ses enfants, son mari et les autres dans le besoin »14

.

Notons également que beaucoup de métiers sont nés des développements des fonctions

ménagères ou maternelles des femmes, dont elles se sont servies comme d’un tremplin. Les

premières femmes admises dans les écoles de médecine le sont afin de se vouer au soin des

femmes et des enfants. Les femmes philanthropes qui venaient en aide aux démunis

deviennent des travailleuses sociales, et les gardiennes d’enfants des puéricultrices,

institutrices, directrices…

14 Knibiehler, Y., op.cit., p. 121.

Page 9: LA MATERNITÉ HIER ET AUJOURD HUI

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LE PRIX DE LA MATERNITE AUJOURD’HUI

La maternité en tant que rétribution ?

« Les demandes entre les sphères privées et professionnelles sont contradictoires

et la femme doit faire le grand écart entre les demandes diverses du rôle de mère

et celles du capitalisme économique »15.

On le voit, au cours du 20ème siècle, les rôles qu’endosse la femme se diversifient, et

continuent de s’ajouter à leur rôle traditionnel « nourricier et affectif ». Dans une société

industrielle qui organise, rationalise et mécanise le travail, les tâches maternelles ne sont pas

considérées comme un réel travail puisqu’elles ne sont ni organisables, ni rationalisables, ni

mécanisables16. Pourtant, pour beaucoup d’auteurs féministes, la femme en tant que mère

produit une richesse économique et sociale, et son rôle devrait être vu comme un travail

productif. Dans des interviews, des chercheurs ont demandé à des mères ce qu’elles

estimeraient devoir être payées pour leur travail de mère ; dans tous les cas, celles-ci furent

outrées parce que ce serait contre nature et qu’elles se sentiraient coupables. Au final, elles en

arrivent bien souvent à la conclusion que la maternité en soi est une forme de rétribution

pour la femme17.

15 Smythe, S., The Good Motherhood : a critical discourse analysis of literacy advice to mothers in the 20th century, University of British Columbia, mai 2006, p. 60. 16 Knibiehler, Y., op.cit., p. 121. 17 Alvarado Calderon, K., Concepciones acerca de la maternidad en la educacion formal y no formal, Universidad de Costa Rica, juin

2005, p. 17.

Depuis la révolution contraceptive, on est passé d’une

maternité subie

à une maternité volontaire et contrôlée.

Avec l’idée que la maternité est aujourd’hui un

choix, les femmes ont réinventé la « joie » de la

maternité, et aujourd’hui, lorsqu’une femme

« tombe » enceinte, on dit qu’elle attend un

« heureux évènement ». Plus encore, les femmes

sont désormais supposées désirer leur enfant à un

moment précis de leur vie, et le planifier.

« Auparavant les femmes n’avaient pas le droit de

refuser une naissance ; à présent elles n’ont plus le

droit de laisser naître un enfant non désiré »1 ; « Il

n’y a plus de place pour les caprices de la nature,

le discours tend même à devenir managérial,

puisqu’on fait un « projet d’enfant »1.

Page 10: LA MATERNITÉ HIER ET AUJOURD HUI

10

Les femmes lancent leur carrière et veulent être économiquement indépendantes avant

d’avoir un enfant (la moyenne d’âge aujourd’hui est d’environ 29 ans)18. L’enfant est le

« fruit de l’amour », mais aussi le fruit d’une réflexion que l’on voudrait raisonnée et

raisonnable.

Parallèlement, alors qu’on observe une désinstitutionalisation de la famille et où diverses

formes de structures familiales apparaissent (familles recomposées, monoparentales,

homoparentales…), l’enfant prend une place de plus en plus importante. Il la constitue, il la

créée, la solidifie, la structure. Là où d’autres normes se libéralisent peu à peu (sexualité́,

conjugalité́), « l’enfant est érigé en socle de la famille » et devient « le cœur de plus en plus de

normes »19.

Normes et ambivalence

« Il est indispensable pour la santé mentale de l’enfant que celui-ci fasse

l’expérience d’une relation chaleureuse, intime et continue avec sa mère, dans laquelle

les deux trouvent satisfaction et plaisir. Dans le cas où la mère refuse cela à son enfant,

elle est coupable de « privation maternelle »20.21

18 The social issues research centre, The changing face of motherhood, 2011, p. 5. 19 Siebert, M., Processus de publicisation du déni de grossesse, Université de Strasbourg (mémoire), juin 2011. 20 Bowlby, J., Organisation Mondiale de la Santé, 1951, in The social issues research centre, The changing face of motherhood, op.cit.,

p. 17. 21 Herrera Sanchez, S., « Los puentes de Madison : una mirada de género », Revista científica de cine y fotografía, juillet 2012.

Désormais, parce que la femme a, la plupart du temps, le

choix, les attentes que la société a envers elle sont

surdimensionnées, mais également naturalisées. Grâce à

son « instinct maternel », elle se doit de vivre une

maternité radieuse, d’être particulièrement attentive à

donner de l’amour à ses enfants, et de veiller à ce qu’ils

aient une personnalité épanouie. Le discours sous-entend

non seulement que la mère est biologiquement capable de

répondre aux besoins de ses enfants, mais en plus « que

les besoins de l’enfant doivent passer avant ceux de la

mère, qui doit y répondre 24 heures sur 24 avec tout son

temps, son argent et son énergie… »21.

Par conséquent, les relations mère-enfant sont

constamment évaluées, particulièrement par les

principaux intéressés ; de plus en plus de femmes et

d’enfants se culpabilisent de ne pas toujours rentrer dans

ces standards.

Page 11: LA MATERNITÉ HIER ET AUJOURD HUI

11

Avec la professionnalisation de tâches qui étaient auparavant du ressort de la famille, il

semble que les mères, dépossédées des fonctions qui étaient traditionnellement de leur

domaine, perdent parfois confiance en leurs propres aptitudes22, « comprenant qu’il ne suffit

pas d’aimer un enfant pour savoir l’élever »23.

Par ailleurs, de plus en plus souvent, les mères se retrouvent isolées à la suite de leur

accouchement ; la professionnalisation et les technologies prennent le pas sur les réseaux

d’entraide, ce qui, selon certains, entraînerait un manque de transmission transgénérationelle

des gestes de la maternité24. Or, pour certains auteurs, « on ne devient pas mère toute seule

mais dans une lignée familiale »25 et la manière dont la femme va élever ses enfants serait

fortement influencée par son expérience avec sa propre mère quand elle était enfant.

Aucune place n’est laissée à l’ambivalence. La norme, c’est le désir d’enfant et la maternité

est « le destin naturel d’une femme saine physiquement et mentalement »26.

Pourtant, pour beaucoup de femmes, la maternité se vit comme une chose ambiguë. D’un

côté, elles respectent et valorisent l’image de la mère. Mais d’un autre, elles constatent la

difficulté d’en être une : il y a contradiction entre l’idéalisation de la maternité et sa

pratique27.

En effet, le lien entre la mère et son enfant n’est pas uniquement biologique et donc pas

forcément immédiat. Pour la mère, reconnaître l’enfant comme « son » enfant prend un

temps variable. Avec une telle idéalisation de la maternité, de nombreuses mères ressentent

de la déception voire de la honte de ne pas nager dans le bonheur promis28.

Ainsi, pour certaines féministes, « la société est construite de telle manière

à ce que la femme ne se respecte pas sans culpabilité »29

.

Pour Elisabeth Badinter, philosophe et féministe française, « notre société occidentale est

hyper individualiste et hédoniste30. Chaque individu recherche en priorité son

épanouissement personnel. La femme a appris à penser « moi d’abord ». Mais quand elle

décide d’avoir un enfant (…) elle doit inverser la donne, c’est « lui d’abord ». Or, depuis

trente ans, les devoirs maternels qui n’ont pas cessé de s’alourdir, rendent la situation des

mères qui travaillent de plus en plus insoutenable. (…) C’est une réassignation de la place

des mères à la maison, considérée comme leur place naturelle »31.

22 Aujourd’hui, davantage de tâches sont prises en charge par des intervenants « extérieurs » à la famille : de l’accouchement en passant par le gardiennage ou la préparation des repas pour bébés. 23 Knibiehler, Y., Histoire des mères et de la maternité en Occident, op.cit., p. 122. 24 Adou, I. et al., « Maternité et troubles psychiques », Soins psychiatrie, n°259, 2008, p. 22, 25 Marinopoulos, S., « Idyllique maternité », Muze, op.cit., p. 118. 26 Marín Murillo, F., « Adolescentes y maternidad en el cine : « Juno », « Precious » y « The Greatest », op.cit., p. 120. 27 Alvarado Calderon, K., “Concepciones acerca de la maternidad en la educación formal y no formal”, op.cit., p. 16. 28 « Idyllique maternité », Muze, op.cit., p. 144. 29 Herrera Sanchez, S., « Los puentes de Madison : una mirada de género », Revista científica de cine y fotografía, 2012, p. 203. 30 Hédonisme : Système philosophique qui fait du plaisir le but de la vie (source : Larousse). 31 Lanez, E., « Elisabeth Badinter contre les tyrans de la maternité », Le Point, n°1951, 2010, pp. 48-49.

Page 12: LA MATERNITÉ HIER ET AUJOURD HUI

12

Et pour celles qui ne rentrent pas dans la norme ?

« Que l’enfant soit la fin suprême de la femme,

c’est là une affirmation qui a tout juste la valeur d’un slogan publicitaire »32

A l’heure actuelle beaucoup considèrent la mère comme « la meilleure forme de femme » et

qu’il n’est pas « normal » de faire obstacle à cette vie féminine « idéale ». La définition de la

maternité comme un idéal pour la femme exclut la possibilité qu’une femme se considère

accomplie sans devenir mère.

Si, pendant longtemps, les femmes ont eu des enfants sans s’interroger sur leur propre désir,

aujourd’hui, certaines femmes refusent d’avoir des enfants, affirmant qu’il ne s’agit là ni

d’une obligation ni d’une fatalité. Les motivations qui poussent les femmes à ne pas vouloir

d’enfant sont aussi nombreuses qu’il y a de femmes ; certaines ont envie d’autre

reconnaissance sociale que celle liée au fait d’être mère, d’autres considèrent qu’il y a une

contradiction entre les femmes qu’elles sont (libres, insouciantes…) et la maternité.

Ces femmes peuvent vite être discréditées pour leur choix de favoriser leur féminité, leur

indépendance, leur réalisation professionnelle, leur carriérisme… Notons que, selon certains

auteurs, la cause principale du refus d’enfant serait le poids cumulé des responsabilités et

des diktats qui rendraient la maternité si oppressante33. Ainsi, selon une étude italienne, si

l’Italie connaît le taux le plus bas de natalité en Europe et le plus fort taux d’abandon de

l’emploi chez les jeunes mères, c’est parce que la maternité est mise sur un piédestal ; « Dans

les pays où la maternité est moins idéalisée, elle est plus facile. » 34

« La pression qui pèse sur les mères d’aujourd’hui est surdimensionnée. C’est pour cette

raison que les femmes se révoltent. On leur demande de tout assumer et de ne pas en

faire état comme si c’était le lot à payer pour la liberté acquise. On doit continuer à être

mère à partir d’images qu’on nous impose et la plainte n’a pas droit de cité (…). La pression est

d’autant plus grande que la société est intolérante à la défaillance maternelle. »35

De la même façon, les familles ou les groupes socio-économiques et culturels qui ne rentrent

pas dans l’image occidentale de la mère sont très vite considérés comme représentant un

danger pour l’ordre social, et sujets à davantage de régulation et d’intervention.

Pourtant, ces normes sociales et culturelles ne vont pas de soi, et sont plutôt influencées par

différents contextes culturels et socio-économiques. Il n’est donc pas possible de généraliser

la norme de la « bonne mère ». Dans un contexte de multiculturalité, de globalisation et de

migrations, ne faudrait-il pas éviter d’aborder des situations en fonction de critères

occidentaux, considérant ceux-ci comme « naturels » et donc « universels » ?

32 De Beauvoir, S., Le Deuxième Sexe, Gallimard, 1986. 33 Marinopoulos, S., « Idyllique maternité », Muze, op.cit. 34 Idem, p. 119. 35 Idem, p. 125

Page 13: LA MATERNITÉ HIER ET AUJOURD HUI

13

CONCLUSIONS

L’idée d’ « instinct » suppose que l’on est malgré soi poussé à un certain type de

comportements. Mais parce que l’humain a une conscience, un libre-arbitre, il est plein de

contradictions et d’ambivalence. En présentant la maternité comme quelque chose de

naturel, on induit des diktats qui disent aux mères que si elles n’ont pas d’enfant ou ne

l’aiment pas passionnément dès la première seconde, elles ne sont pas « normales ».

D’autre part, à l’heure actuelle, « femme » rime toujours avec « maman », le désir d’enfant,

c’est la norme, le « destin naturel d’une femme saine physiquement et mentalement »36. Mais

cette image de la maternité comme une chose naturelle et instinctive, qui complète la vie

d’une femme, fructifie l’amour du couple… se heurte à une complexification croissante de

l’articulation des temps professionnels et familiaux !

En Belgique en moyenne, 60% des femmes (âgées de 15 à 64 ans) travaillent. Une récente

étude a prouvé que le fait d’avoir des enfants aurait un impact négatif sur la position des

femmes sur le marché du travail, et un impact positif sur celle des hommes37… Et l’écart

salarial entre les deux sexes s’élève à 10%, tous secteurs confondus38. Par ailleurs, une mère

s’occuperait de ses enfants en moyenne deux fois plus que le père – trois fois plus en ce qui

concerne la prise en charge des besoins « physiques » de l’enfant39. On est bien loin d’une

égalité homme-femme…

Il semblerait que deux grandes entreprises américaines comptent prochainement inclure la

congélation des ovocytes (post-posant la fécondation) dans la couverture médicale de leurs

employées, afin d’offrir la possibilité aux femmes de « ne plus choisir entre la carrière et les

enfants ». De notre point de vue, au-delà du fait que cela contribue à entretenir l’image de la

femme enceinte « fardeau » pour l’entreprise, et qu’il s’agit d’une façon de faire comprendre

à celle-ci que carrière et maternité sont incompatibles (et qu’il faut privilégier une des deux :

subvenir à ses besoins ou céder à ses « instincts »), on se demande en quoi cela favorise

l’égalité hommes-femmes, étant donné que le « problème » de la maternité est uniquement

postposé ? Par ailleurs, la question relèverait donc désormais non plus du domaine privé ou

médical, mais bien de la gestion des ressources humaines ?

Face à ces constats, ne faudrait-il pas, d’une part, arrêter les frais avec ces idéaux familiaux

présentés comme naturels et face auxquels la femme ne peut que se sentir déficiente ou se

culpabiliser ? D’autre part, ne serait-il pas temps d’aborder plus sérieusement la question de

la reconnaissance des travaux domestiques dans l’économie ? Et de reconnaître la richesse

sociale de la maternité au lieu d’aligner les femmes sur un modèle masculin ?

36 Marín Murillo, F., « Adolescentes y maternidad en el cine : « Juno », « Precious » y « The Greatest », op.cit., p. 120. 37 Duvivier, C., Narcy, M., L'impact salarial de la maternité : une comparaison public-privé, Centre d’études de l’emploi, 2014. 38 Van Hove, H., L’écart salarial entre les femmes et les hommes en Belgique, Institut pour l’égalité des femmes et des hommes,

Rapport 2013, p. 7. 39 The social issues research centre, « The changing face of motherhood », 2011, p. 8.

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