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La mobilité des agriculteursAuthor(s): Monique VincienneSource: Études rurales, No. 45 (Jan. - Mar., 1972), pp. 48-61Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/20120207 .
Accessed: 28/06/2014 08:33
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MONIQUE VINCIENNE
La mobilit? des agriculteurs
Le passage des agriculteurs de leur village ? la ville a longtemps ?t? un
des principaux rapports ?tablis entre soci?t?s rurales et soci?t? urbaine. Il
implique de nombreux changements, de r?sidence, d'emploi, de ce culture ?, de soci?t? en d?finitive. Cette forme de rapports a vari? dans le temps non seulement en intensit?, mais dans ses conditions et sa
signification. Exode rural, migration g?ographique, mutation professionnelle, mobilit?, ces quatre termes pourraient d?finir les diff?rents moments de son histoire et les diverses mani?res ? travers lesquels la soci?t? a pris conscience de ce ph?nom?ne capital pour les politiques agricoles et dont a d?pendu
largement jusqu'? pr?sent toute politique ?conomique. Le vocabulaire n'a
pas toujours ?t? d?fini avec une suffisante pr?cision, d'autant qu'il ne
recouvre pas une identique r?alit? sociale. Le terme d'exode rural ?voque g?n?ralement le d?part massif de petits agriculteurs sous l'effet de
contraintes ?conomiques qui rendent leur maintien ? la terre socialement
inutile. La mutation insiste bien davantage sur un
changement de profession ? la suite d'un choix volontaire et individuel. La migration est ou bien une
mutation qui comporte un changement de r?sidence1, ou bien le simple transfert, dans une autre r?gion, d'agriculteurs gardant leur m?tier. La
relative impr?cision du vocabulaire est li?e ? la complexit? du ph?nom?ne, ce
qui explique aussi pourquoi
on a seulement analys? certains de ses
aspects. Il n'est d?s lors peut-?tre pas inutile de tenter de proposer un cadre
th?orique permettant de poser l'ensemble du probl?me concernant ce
processus. Les r?flexions qui suivent sont le r?sultat de recherches effectu?es sur plusieurs groupes d'agriculteurs ?migr?s en ville.
La fragmentation du probl?me dans les ?tudes r?alis?es
On a d'abord ?tudi? les causes et les conditions de la migration. Il est
?tabli que les mutations professionnelles des agriculteurs sont ?troitement
d?pendantes ? la fois de leur revenu2 et des possibilit?s d'emplois non
1. Cf., par exemple, G. Barbichon, ? Mutation et migration des agriculteurs ?, Revue d'Eco nomie politique, 1969, 2, mars-avr., pp. 341-371.
2. L. Goreux, ? Les migrations agricoles en France depuis un si?cle et leurs relations avec
certains facteurs ?conomiques ?, ?tudes et Conjoncture, 1956, 4, avr., pp. 327-376.
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mobilit? des agriculteurs 49
agricoles1, encore que la recherche d'un revenu
sup?rieur et aussi plus
stable, pour ?tre une motivation fondamentale, n'en est pas pour autant
unique. Cette r?gularit? a d'ailleurs une dimension spatiale. Dans chaque r?gion la mobilit? professionnelle agricole est li?e au march? r?gional du
travail ; d'autre part le changement de r?gion ou le d?part pour une grande ville est souvent un moyen de trouver un meilleur emploi. Comparant les
gains et les co?ts de son
changement, l'agriculteur ne
l'accepte que si les
avantages l'emportent assez
largement, et l'on peut parler de ce seuils ?
dans la mobilit? professionnelle et g?ographique2. Cependant ce double
facteur ?conomique ne semble pas pouvoir ?tre consid?r? comme une v?ri
table causalit? ; P. Cl?ment et P. Vieille cherchent cette derni?re dans la
simple mise en communication de deux soci?t?s3.
En second lieu, l'identit? sociale des agriculteurs migrant en ville a ?t?
dans son ensemble bien analys?e. Des r?gularit?s s'affirment ? la fois dans
l'espace et dans le temps. La mutation
professionnelle s'op?re en
g?n?ral avant 30 ans ; elle concerne
davantage les aides familiaux et les salari?s
que les chefs d'exploitation ; les femmes sont plus nombreuses ? y ?tre
impliqu?es que les hommes. La migration est plus intense dans les groupes
qui pr?sentent une faible coh?sion sociale. Elle s'inscrit souvent dans des canevas dessin?s par des mouvements anciens, saisonniers ou non. Les
agriculteurs s'orientent g?n?ralement vers des petites villes
? entre 1959
et 1964, 76 % des migrants sont all?s dans des agglom?rations de moins
de 50 000 habitants ? et les travaux du b?timent demeurent parmi les
plus fr?quent?s4. A la diff?rence des autres ruraux, les agriculteurs se
d?placent moins vers les grandes villes et ils ne les atteignent souvent que
par ?tapes ; une exception toutefois tend ? se d?velopper, celle des jeunes
qui n'h?sitent pas ? s'installer d'embl?e dans les m?tropoles. Les raisons des migrations
et l'identit? sociale des mutants professionnels
et g?ogra
phiques expliquent ais?ment les cons?quences de cette forme de mobilit? sur la soci?t? rurale d'origine. Par exemple, pour l'Italie contemporaine, on a pu parler d'un ce mod?le de l'exode agricole
?. Une ce logique profonde
?
r?duit et m?tamorphose la population active ; elle tend ? la regrouper dans certaines r?gions, ? la vieillir et ? la ce f?miniser ?, le travail de la terre ?tant de plus
en plus d?volu aux femmes. Les trois ph?nom?nes
sont intimement
li?s et ne peuvent ?tre dissoci?s l'un de l'autre. A son tour, la nouvelle strati
fication sociale de l'agriculture se refl?te dans l'allure de la migration avec
la disparition progressive des aides familiaux ou la r?duction des salari?s5.
1. M. Latil, L'?volution du revenu agricole. Les agriculteurs devant les exigences de la croissance
?conomique et des luttes sociales, Paris, A. Colin, 1956, 378 p. ; J. Pautard, Les disparit?s r?gionales dans la croissance de Vagriculture fran?aise, Paris, Gauthier-Villars, 1965, pp. 119-146.
2. G. Jegouzo, ? Probl?mes de mobilit? professionnelle des populations agricoles r?gionales ?, ?conomies et Soci?t?s, Cahiers de VISEA, 1968, II, 1, janv., pp. 103-128.
3. P. Cl?ment et P. Vieille, ? L'exode rural. Historique. Causes et conditions. S?lectivit?.
Perspectives ?, ?tudes de Comptabilit? nationale, 1960, avr., p. 73. 4. M. Prademe et M. Passagez, ? La mobilit? professionnelle en France entre 1959 et 1964 ?,
?tudes et Conjoncture, 1966, 10, oct., pp. 1-163.
5. C. Barberis, ? Le mod?le italien de l'exode agricole ?, ?tudes rurales, 1966, 21, avr.-juin, pp. 81-100.
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50 M. VINCIENNE
Une autre forme de mobilit? partielle, celle des ouvriers-pays ans qui ont
chang? d'emploi sans changer de r?sidence, a d'autres cons?quences sur les
villages et leur transformation1. Les diverses formes de mutations profes
sionnelles engagent ainsi des processus diff?rents de restructuration des
villages.
Enfin, le dernier aspect du passage des agriculteurs en ville, ? savoir
leur adaptation au travail industriel, a d?j? fait l'objet de nombreuses
?tudes, ?tudes largement suscit?es par les besoins de la conjoncture ?cono
mique2. Mais rarement a ?t? pos? le probl?me de leur int?gration ? la soci?t?
urbaine dans son ensemble. On risque ainsi de r?duire la migration en ville au transfert d'un emploi ? un emploi diff?rent. Cette r?duction masque certains aspects importants de la mobilit? qui implique ? peu pr?s toujours un
changement de travail, de mode de vie, de statut social, de culture.
D'autre part, un des traits parfois soulign?s3 est l'irr?versibilit? du passage de l'agriculture ? l'industrie ou en tout cas un d?tachement d?finitif de
celle-l? sinon un attachement inconditionnel ? celle-ci. Sans doute une telle
conduite a-t-elle ?t? g?n?rale jusqu'? une date r?cente, mais les transfor
mations de la soci?t? rurale, sous les effets de l'urbanisation notamment, ne
proposent-elles pas aux agriculteurs immigr?s de nouvelles possibilit?s de quitter la ville ?
Peut-on parler d'un syst?me de mobilit? ?
Causes et conditions des mutations, identit? sociale des agriculteurs
migrants, adaptation au milieu d'arriv?e, la plupart des ?tudes juxtaposent, plus qu'elles
ne combinent v?ritablement, ces trois phases de la mobilit?
agricole, separables seulement pour les besoins de l'analyse. En r?alit?,
il semble que le passage du village ? la ville ne soit qu'un ?l?ment d'un
syst?me de mobilit? plus ou moins contraignant, plus
ou moins extensif
dans son emprise et que les soci?t?s modernes d?veloppent tout au long de leur croissance. Parler d'un syst?me de mobilit?, c'est d'abord formuler
l'hypoth?se que les agriculteurs partant pour la ville ne proc?dent pas n?cessairement ? un choix ce libre ? en tous domaines et notamment dans
les modalit?s de leur int?gration urbaine. C'est supposer qu'ils sont pris dans un processus social qui les d?passe, vis-?-vis duquel toute ma?trise
leur ?chappe ou se r?duit ? quelques aspects mineurs de leur existence.
Il s'agit donc avant tout d'analyser les d?terminations ext?rieures aux
agriculteurs qui agissent sur leur mobilit? et la constituent.
1. Citons ? titre d'exemple : Centre de Recherches et d'?tudes agricoles, ?tudes effectu?es en 1961-1962 dans la zone d'attraction industrielle Belfort-Montb?liard, 3 vol., 193 p., 50 p., 291 p. ;
G. Jegouzo, ? Mobilit? professionnelle et r?duction de la pauvret? agricole : un exemple dans la
r?gion de Rennes ?, ?conomie rurale, 1968, 77, juil.-sept., pp. 33-41. 2. M. Krier, Main-d' uvre rurale et d?veloppement industriel. Rapport g?n?ral de la Conf?rence
de Groningue, Paris, PUF, 1962, 132 p. ; G. Barbichon, Adaptation et formation de la main-d' uvre
des r?gions rurales au travail industriel, Paris, OCDE, 1962, 148 p. 3. Cf. G. Barbichon, ? Mobilit? des travailleurs de l'agriculture pass?s ? l'industrie ?, Bulletin
du CERP, 1965, juil.-sept., pp. 161-177.
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MOBILIT? DES AGRICULTEURS 51
Un syst?me de mobilit? indique aussi qu'il existe toute une s?rie de
ph?nom?nes sociaux interd?pendants en constante interaction et dont le
changement de travail ou de r?sidence ne sont qu'un ?l?ment parmi d'autres. Chaque ?l?ment remplit dans l'ensemble une fonction propre ;
il est constituant du tout et constitu? par lui. Le syst?me de mobilit? a pour but de perp?tuer et de faire ?voluer la soci?t?. Il ne la transforme pas en
profondeur tant que l'?quilibre de ses composantes se maintient ? l'int?rieur
de certaines limites. Par exemple, il y a une mobilit? interne du village qui contribue ? perp?tuer celui-ci dans son ordre. Quand certains ?l?ments se
modifient au-del? de certains seuils, le village se trouve transform?. C'est
le cas de l'abandon du travail agricole pour un emploi urbain qui op?re le
passage d'un syst?me social ? un autre.
La mobilit? comprend trois ?l?ments fondamentaux : une situation de
d?part, un mouvement, une situation d'arriv?e. L'aptitude
au changement,
souvent confondue ? tort avec la mobilit?, n'en est qu'une simple condition
dont le sens diff?re d'ailleurs selon qu'elle concerne l'un ou l'autre des
?l?ments pr?cit?s. Cette capacit? n'est pas seulement psychologique ; elle est d?termin?e par de nombreux facteurs. D?s lors la mobilit? a une signi fication pour les acteurs, pour le groupe d'origine et pour le groupe d'accueil.
Elle se traduit dans un ensemble organis? de repr?sentations collectives, de
valeurs et de conduites et cet ensemble ob?it, dans sa permanence comme
dans son ?volution, ? des r?gles. La mobilit? est ainsi la conduite d'agents
qui ? travers elle portent un jugement sur une soci?t? et cherchent ? y cons
truire leur place et leur r?le. Pour ?tre correctement interpr?t?e, elle doit
?tre analys?e comme un aspect d'un syst?me plus g?n?ral de communi
cations et d'?changes
entre groupes sociaux diff?rents.
Le d?part des agriculteurs pour la ville n'est qu'une des formes de la
mobilit?1. Pour la comprendre, il est n?cessaire de d?crire ses diff?rents
types, de pr?ciser les dimensions qui les caract?risent, d'analyser les condi
tions qui la rendent possible au niveau de chacun de ses ?l?ments consti
tuants et enfin de fixer ses effets sociaux. Quatre types principaux sont
facilement indentifiables : la mobilit? g?ographique qui suppose un chan
gement d'espace2 ; la mobilit? professionnelle qui est un changement
d'emploi ; la mobilit? sociale qui implique l'abandon d'un groupe pour
l'int?gration ? un autre3 ; la mobilit? culturelle qui consiste pour un groupe
1. On peut distinguer deux formes de mobilit? des agriculteurs, la mobilit? intra-agricole et la mobilit? extra-agricole. Dans celle-ci l'agriculteur change de profession, dans celle-l? tout en restant
agriculteur il peut changer de r?gion, de statut (aide familial devenant chef d'exploitation), de
mode de faire-valoir, d'exploitation, etc.
2. La mobilit? g?ographique, d?finitive ou temporaire, donne lieu ? une typologie des d?pla cements selon le d?coupage territorial qui sert ? la mesurer ; cf. A. Beltramone, La mobilit?
g?ographique d'une population, Paris, Gauthier-Villar s, 1966, pp. 21-41.
3. Le terme de mobilit? sociale d?signe tant?t le passage d'une classe sociale ? une autre, tant?t
le changement de position sociale d'un fils par rapport ? son p?re ; cf. D. Bertaux, ? Sur l'analyse des tables de mobilit? sociale ?, Revue fran?aise de Sociologie, 1969, X, 4, pp. 448-490. A la suite
de nombreux auteurs, nous d?signons par ce concept le passage d'une strate ? une autre ou d'un
groupe social ? un autre, groupes ou strates ?tant principalement d?finis par la profession, la r?si
dence, l'auto-identification des sujets, indices qui diff?rencient valablement le village de la ville.
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? acqu?rir la sous-culture d'un autre groupe. Il existe des relations entre
ces types et leurs combinaisons multiples constituent les situations th?o
riques de mobilit?. Elles vont de la plus ?l?mentaire, lorsque le changement est un simple d?placement g?ographique, ? la plus achev?e, quand coexistent
les quatre types ? la fois.
Chacun de ces types et chacune de ces situations th?oriques
ont eux
m?mes des dimensions qui les qualifient. Par exemple le changement est soit
volontaire et sous-tendu par un projet, soit involontaire, selon qu'un
adulte d?cide de lui-m?me d'aller travailler en ville ou qu'un enfant est ce mis ? dans l'enseignement secondaire ou technique. Le d?part pour la
ville peut ?tre individuel ou collectif, c'est-?-dire familial quand un m?nage tout entier se d?place ou si un groupe de villageois effectuent ensemble leur
migration. Il est tant?t provisoire, tant?t d?finitif et ceci parfois pour l'un ou l'autre membre de la famille. La migration peut constituer une
promotion
sociale ou au contraire n'?tre qu'un simple d?placement. La migration
g?ographique ou la mutation professionnelle peuvent ?tre libres ou orga nis?es1. L'?cole est une des institutions les plus singuli?res pour la mobilit?.
La mobilit? est tant?t totale, tant?t partielle et quant ? cette derni?re, elle est typique de la situation des ouvriers-paysans dont la r?sidence est villa
geoise et le travail citadin. Enfin la mobilit? peut modifier ou non le statut
du travailleur, le laisser ind?pendant ou le transformer en salari?. Ainsi un
agriculteur peut choisir un changement professionnel
en devenant
ouvrier d'une entreprise industrielle sans qu'aucun des trois autres ?l?ments,
g?ographique, social et culturel, ne soit chang?. Sa d?cision peut ?tre
volontaire ou plus ou moins impos?e. Le changement de travail peut ne
comporter ni une promotion sociale, ni une v?ritable qualification, ni un
revenu sup?rieur.
Ces dimensions de la mobilit? prennent d'ailleurs un sens diff?rent selon
l'aptitude au changement du groupe de d?part, du groupe d'accueil et des
migrants eux-m?mes, chacun d'eux ?tant en ?troite interaction. Selon
que le changement est souhait? et voulu par le groupe originel ou qu'il est
subi, le migrant est en ?tat de rupture
ou ce port?
? par son milieu jusque
dans sa mobilit? m?me. Celle-ci aura sans doute le m?me but dans l'un et l'autre cas, mais elle n'aura pas une
signification identique. Le milieu
r?cepteur peut attendre et accueillir les migrants ou au contraire seulement
les tol?rer et les subir. Ces conduites modifient la teneur de la mobilit?
La mobilit? sociale concerne tant les individus qui changent de m?tier que la position profession nelle des fils par rapport ? celle de leurs p?res ; cf. V. Capecchi, ? Probl?mes m?thodologiques dans la mesure de la mobilit? sociale ?, Archives europ?ennes de Sociologie, 1967, XIII, 2, pp. 285-318.
1. Par exemple en France l'Association nationale de Migration et d'?tablissements ruraux a organis? et subventionn? des mouvements interd?partementaux d'agriculteurs et l'Association nationale pour les Mutations professionnelles en Agriculture (AMPRA) s'est efforc?e d'aider les
agriculteurs d?sireux de changer de m?tier ; leurs actions sont aujourd'hui r?alis?es par le Centre national pour l'Am?nagement des Structures des Exploitations agricoles (CNASEA) ; cf. AMPRA, ?l?ments pour une politique des mutations professionnelles en agriculture, Paris, ?d. de l'?pi, 1967, 182 p. ; C. Tapia, ? Une exp?rience de co-gestion en milieu agricole ?, Cahiers internationaux de
Sociologie, 1968, XLV, juil.-sept., pp. 163-174.
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MOBILIT? DES AGRICULTEURS 53
et le sens de l'int?gration. C'est pourquoi la mobilit? suscite souvent des
relais de ce stabilit? ? dont la construction tend ? diminuer le co?t psycho
logique et social du passage du village ? la ville.
LA DIFFUSION DE LA MOBILIT? DANS LES CONDUITES SOCIALES
Types et dimensions de la mobilit? selon leur combinaison et leur
complexit? modifient diff?remment l'ensemble des situations concr?tes et
des comportements. Le changement d'emploi par exemple n'est jamais un ph?nom?ne isol? sauf pour les besoins de l'analyse. Produit ou en tout
cas reli? ? des requ?tes ou ? des exigences non professionnelles, il a de
nombreux effets de diffusion dans les attitudes syndicales ou ?lectorales
par exemple, le travailleur influen?ant le citoyen ; il introduit des chan
gements dans les comportements matrimoniaux ; il favorise ou paralyse
la constitution d'associations volontaires. La mobilit? agit sur toutes les
relations sociales pour les transformer et d?s lors op?rer l'int?gration ? de nouveaux groupes. Ces effets de diffusion, qui constituent le dynamisme d'un syst?me social, sont aussi le lieu o? se durcissent les r?sistances
au changement, o? doivent se mesurer les co?ts psychologiques
ou
sociaux de l'int?gration. Il arrive fr?quemment qu'un agriculteur quitte le travail de la terre parce qu'il
ne peut pas se marier au
village ou parce
qu'il ne
peut plus y assurer la scolarisation de ses enfants. Mais quand il
a chang? volontairement d'emploi,
son comportement matrimonial et les
projets relatifs ? ses enfants se trouvent modifi?s par sa nouvelle situation.
Nous sommes l? devant un cas typique des effets de diffusion de la mobilit?
professionnelle. Ces changements font partie int?grante du syst?me de
mobilit? et les effets de diffusion portent tant sur le groupe de d?part que sur celui d'accueil et sur les acteurs de la mobilit? eux-m?mes. Ainsi l'agri culteur qui abandonne le travail de la terre pour ?tre ouvrier d'usine en
ville devient un ?l?ment d'un nouveau r?seau de relations sociales et, comme
tel, il est d?fini par ce syst?me de relations. L'int?gration urbaine est
l'ensemble de ces effets de diffusion ; elle varie en fonction de l'aptitude au
changement des migrants et des citadins ; elle est soumise ? une s?rie
de d?terminations qui, ? leur tour, contribuent ? d?finir le syst?me de
mobilit?.
Dans le syst?me de mobilit? des agriculteurs, l'aptitude au changement manifest?e par le village, par la ville ou par les migrants joue un r?le
fondamental. Celle des migrants doit ?tre mesur?e ? plusieurs niveaux.
Subjectivement les agriculteurs motivent leur d?part pour la ville par des
raisons professionnelles. Les immigr?s ruraux de Paris, par exemple,
justifient leur venue par la situation du march? du travail dans la capitale, les meilleures perspectives d'avenir, des salaires sup?rieurs,
un choix
d'emplois plus vaste. A ces motifs, ils ajoutent la p?nurie du travail en
province, sa faiblesse de r?mun?ration ou ses conditions p?nibles. Le travail tient une
place plus importante encore dans le d?part des agriculteurs.
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54 M. VINCIENNE
Nombre d'?tudes nationales ou locales ont ?tabli ce fait de fa?on indiscu
table, posant ainsi le village comme un facteur de r?pulsion professionnelle et la ville comme un p?le d'attraction. Toutefois il est difficile de mesurer
le poids r?ciproque de l'un et de l'autre dans la d?cision de partir et dans la mani?re dont le changement est v?cu. Il importe aussi de situer cette muta
tion professionnelle par rapport ? la valeur que la soci?t? contemporaine attribue ? la mobilit?.
D'ailleurs, la ce recherche de travail ? est une notion synth?tique qu'il faut scinder en sous-ensembles si l'on veut l'utiliser valablement. Au
village, travail, famille, mode de vie sont pour ainsi dire indivis ; le passage en ville dissocie ces trois ?l?ments. Centre d'int?r?t de la migration au
d?part, le travail l'est-il encore dans le processus d'int?gration ? la soci?t?
urbaine ? L? il appara?t comme le tout de l'existence sociale, ici il n'est
plus qu'un ?l?ment parmi d'autres ; sa place hi?rarchique dans l'ensemble des valeurs et des conduites n'est plus la m?me. De l'une ? l'autre situation
intervient une modification profonde de la notion m?me de travail. La
diversit? professionnelle ? l'oppos? du monolithisme agricole, la diff?ren ciation fonctionnelle des groupes ?conomiques ? l'encontre de la relative
homog?n?it? rurale, l'apprentissage n?cessaire du m?tier rempla?ant l'h?ritage paternel du travail constituent autant de dimensions du travail
qui en modifient sa nature. De m?me, la relation entre travail et mode
de vie, entre profession et famille change de forme et de contenu quand le
travailleur passe du village ? la ville. Et l'on peut assister ? une acceptation du travail urbain accompagn?e d'un refus du mode de vie citadin et vice versa. Les ouvriers-paysans qui additionnent sans les confondre un travail
urbain ? un mode de vie rural, offrent un exemple typique de cette conduite. C'est pourquoi si une des attentes explicites ? l'origine est le travail, la satisfaction urbaine concerne souvent des attentes
plus implicites qui laissent la premi?re au second plan et contribuent ainsi ? donner de nou
velles dimensions ? la mobilit?. De ce fait, l'aspect le plus significatif est peut-?tre la rupture apport?e
dans l'interd?pendance ?troite qui lie au village travail et mode de vie. Dans la soci?t? rurale, l'unit? ?l?mentaire, le groupe de base est la famille
exploitation. Celle-ci a tendance ? s'organiser ?conomiquement, socia
lement, d?mographiquement pour assurer par elle-m?me sa propre perma nence. La famille est le mod?le d'existence qui d?termine toute la vie
sociale. Les unit?s de travail sont chacune autonomes et la soci?t? rurale est une sorte
d'agr?gat de ces autarcies relatives. Chaque responsable d?tient ? lui seul le pouvoir de d?cision ; il choisit sa production en s'adap tant ou non aux conditions ?conomiques et sociales ind?pendantes de son
exploitation. Projection de la famille dans un espace m?ticuleusement d?limit? et ordonn?, l'exploitation agricole est d?finie g?n?ralement par le statut de propri?taire-travailleur de ses membres. C'est ? partir d'elle
que sont fix?s les rapports de parent?, la distinction des r?les masculins et
f?minins, les relations avec les autres groupes. Le passage des agriculteurs en ville op?re des ruptures ? ces diff?rents niveaux, ruptures qui constituent
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MOBILIT? DES AGRICULTEURS 55
autant d'?l?ments objectifs du syst?me de mobilit? dans lequel s'inscrit le travail. Le sch?ma suivant r?sume certains aspects particuli?rement
importants de cette mobilit?.
Le passage du village ? la ville est sous-tendu
par un principe d'individualisation
La soci?t? rurale
est centr?e sur la famille qui est
une famille-exploitation, dont ? le but est d'assurer sa propre
permanence ; ? le travail n'est pas seulement
un moyen, mais le foyer de toutes
les valeurs, confondu avec la
cellule familiale.
La soci?t? urbaine
est centr?e sur V individu qui est
d'abord un travailleur ; son travail
n'est qu'un moyen de production dont les buts sont fix?s par la soci?t?.
La cellule familiale est un groupe
h?t?rog?ne au travail.
Le passage du village ? la ville est sous-tendu
par un principe de division, de pluricentrisme
La soci?t? rurale conna?t une
mobilit? autocentr?e qui op?re le
plus souvent par addition ? accumulation de l'espace
appropri? ?
endogamie et consanguinit?.
Dans la soci?t? urbaine, la mobilit?
est h?t?rocentr?e. Il y a mouvement
et croissance par division et multipli cation ? division du travail ?
exogamie. Elle comporte toujours une volont?
de division du travail et de sp?ciali sation des r?les.
Le passage du village ? la ville inclut un d?placement du statut social au profit du pouvoir professionnel
Dans la soci?t? rurale le statut
familial de propri?taire-travail leur a le primat sur tout et tend
? absorber le pouvoir dont le
travail est le symbole.
Dans la soci?t? urbaine, le pouvoir ? travers la profession devient pre
mier et donne naissance aux diff?
rents statuts sociaux.
Un autre trait souvent affirm? de la mobilit? est la subordination des motivations professionnelles
aux motivations ?conomiques,
ce Les travail
leurs d'origine agricole ont quitt? l'agriculture pour des raisons ?cono
miques ; ni la r?pugnance pour le travail de la terre, ni l'attrait pour le
travail industriel ne constituent les raisons essentielles de leur d?part. Les
motifs de leur d?cision sont extra-professionnels : l'activit? agricole n'offre
plus un revenu suffisant tandis que le travail salari? non agricole comporte une r?mun?ration r?guli?re, des garanties contre la maladie et une retraite
de vieillesse plus avantageuse. ?* Certes les facteurs ?conomiques demeurent
1. G. Barbichon, ? Le passage de la population active de l'agriculture ? l'industrie ?, in
J.-D. Reynaud, ed., Tendances et volont?s de la soci?t? fran?aise, Paris, SEDEIS, 1966, p. 43.
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importants, mais n'existe-t-il pas une professionnalisation de la mobilit?,
c'est-?-dire la volont? ? travers elle d'acc?der ? un v?ritable m?tier ? Cette
professionnalisation est marqu?e par l'accroissement de qualification exig?e par le travail urbain et aussi par les transformations en cours dans le travail
agricole qui, pour beaucoup, doit devenir une profession ?gale ? toute autre, la parit? ?conomique passant par la parit? professionnelle.
Cependant, cette professionnalisation de la migration d?veloppe un
nouvel aspect de la mobilit?. Alors que l'agriculteur est fondamentalement
pr?occup? de maintenir ou d'am?liorer son exploitation, de mieux organiser
le march? de ses produits, le changement de statut qui fait de lui le plus souvent un salari? d?place son centre d'int?r?t du travail ou des instruments de travail vers la satisfaction d'autres aspirations. A ce niveau surgit
un
des principaux probl?mes de l'acculturation urbaine : comment la ville
offre-t-elle des satisfactions ? des attentes implicites alors qu'elle tend
? laisser d??ues les attentes explicites de travail ? On remarque souvent
qu'? un temps de satisfaction ?conomique succ?dent plus ou moins rapi dement des revendications relatives au salaire. Celles-ci s'inscrivent-elles
dans les institutions mises en place pour les faire aboutir ou au contraire
prennent-elles la forme individuelle inspir?e des proc?d?s employ?s pour am?liorer l'exploitation agricole ? Dans ce dernier cas il est possible que les
probl?mes professionnels deviennent seconds par rapport ? d'autres li?s ? la pression de l'ensemble de la culture urbaine. Voil? pourquoi d'ailleurs la mobilit? des agriculteurs doit ?tre ?tudi?e en son point d'arriv?e non pas seulement ? travers leur adaptation
au travail, mais au travers de leur
int?gration sociale ? la ville comme telle, celle-ci influen?ant de multiples mani?res celle-l?.
Ainsi la mobilit? ne peut pas ?tre comprise ni expliqu?e comme le simple
d?placement d'un point ? un autre, ou comme le changement d'un emploi
pour en exercer un autre. Certes ces ph?nom?nes lui sont essentiels, mais
n'est-elle pas aussi fondamentalement travers?e par un projet,
un d?sir
d'ascension sociale plus ou moins explicite
et finalis? ? Dimension ce verti
cale ? et dimension ce horizontale ? de la migration, comment s'articulent
elles l'une sur l'autre? Celle-ci est-elle la simple projection de celle-l? et la
seule possible? Analysant les conditions d'apparition de cette mobilit?, A. Touraine et O. Ragazzi proposent une hypoth?se : ce plus la distance
parcourue est grande et moins l'objet du mouvement est clairement d?fini. Plus on va loin, plus on va seulement ? la ville, le but ?tant avant tout
d'entrer dans l'?conomie et la culture urbaines. Plus l'objectif du mou
vement est g?n?ral, plus aussi ses buts culturels prennent d'importance par
rapport ? ses buts directement ?conomiques ?*. Il semble que cette hypo th?se doive quelque peu perdre de sa valeur avec les interactions qui existent de plus en plus entre soci?t? rurale et soci?t? urbaine, plus encore avec la professionnalisation croissante de la mobilit?. De plus en plus la
recherche d'un authentique m?tier augmente les distances culturelles ? par
1. A. TouRAiNE et O. Ragazzi, Les ouvriers d'origine agricole, Paris, ?d. du Seuil, 1961, p. 9.
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MOBILIT? DES AGRICULTEURS 57
courir et rend au d?part les ph?nom?nes culturels seconds tandis que ceux-ci, contre toute attente
explicite, deviennent premiers ? l'arriv?e1.
Leur projet d'ascension sociale, les agriculteurs le font rarement aboutir en sa totalit? par eux-m?mes et ils tentent souvent de le r?aliser par ?tapes
historiques distinctes en confiant, implicitement du moins, son ach?vement
? leurs enfants, eux-m?mes se contentant de poser les conditions objectives de sa possibilit?. Dans le syst?me de mobilit?, cet ?l?ment est d'une grande
importance. C'est pourquoi il convient d'analyser si les jeunes acqui?rent une position sociale diff?rente de celle de leurs p?res. Il faut aussi ?tudier
la mani?re dont l'institution scolaire est une organisation de la mobilit? et de l'int?gration urbaine. Bien avant la r?alisation effective de la mutation
professionnelle ou de la migration, les jeunes se trouvent sous l'emprise du syst?me de mobilit? et formulent des projets quant ? leur avenir ;
l'analyse de ces derniers introduit ? une explication de leurs comportements ult?rieurs.
Les formes d'int?gration a la ville
L'int?gration des agriculteurs ? la ville ne s'effectue pas de la m?me
fa?on selon que dans leur milieu de d?part ils se trouvent ou non en situation de rupture sociale provoqu?e par la m?diocrit? ?conomique et une position d'inf?riorit? culturelle. Toutefois le ph?nom?ne le plus d?cisif semble ?tre
l'urbanisation acc?l?r?e de la soci?t? rurale qui rend les distances culturelles entre ville et village de moins en moins sensibles et favorise le passage de
l'un ? l'autre2. Ce fait tend ? r?duire la mobilit? ? un simple changement d'emploi, d'autant que pour beaucoup d'agriculteurs le statut id?al, pro fessionnel et ?conomique, est celui du salariat. Mais l'urbanisation incite
t-elle les migrants ? davantage renforcer leur projet proprement profes sionnel? On peut ?tudier cette intention notamment ? travers les m?tiers
qu'ils pr?parent pour leurs enfants et dont la r?alisation est rendue possible par leur passage en ville.
Le syst?me de mobilit? est pour une large part une emprise de la ville ou de l'industrie sur les agriculteurs et r?alise un cas typique d'int?gration de groupes diff?rents ayant leur individualit? propre. Il est une forme
singuli?re d'?changes sociaux et pose le probl?me de l'aptitude de la soci?t? urbaine au changement. Mais comme W. S. Landecker l'indique, il est difficile de donner une d?finition g?n?rale de l'int?gration sociale et
il convient de fragmenter la notion en plusieurs sous-types3. Entre agri culteurs immigr?s et autochtones urbains s'?tablissent d'abord des relations
r?ciproques ? partir d'une r?alit?, nouvelle pour les agriculteurs, celle de
1. Plus les migrants venus ? Paris sont d'origine rurale, plus ils ont tendance ? y occuper un
emploi ? assur? ? l'avance ? ; cf. G. Pourcher, Le peuplement de Paris. Origine r?gionale. Compo sition sociale. Attitudes et motivations, Paris, PUF, 1964, p. 179.
2. Cf. P. Rambaud, Soci?t? rurale et urbanisation, Paris, ?d. du Seuil, 1969, 317 p. 3. W. S. Landecker, ? Les types d'int?gration et leur mesure ?, in R. Boudon et P. Lazarsfeld,
Le vocabulaire des sciences sociales, concepts et indices, Paris?La Haye, Mouton, 1967, pp. 37-48.
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la division du travail qui rend la collectivit? urbaine beaucoup plus diff? renci?e que le village et instaure une compl?mentarit? des fonctions assum?es
par des groupes divers. On appelle parfois ce fonctionnelle ? cette int?gra tion. Celle-ci doit ?tre plac?e au centre de l'analyse de la mobilit?, car un
des traits majeurs de ce passage est constitu? par la rupture avec l'auto
nomie professionnelle de la famille-exploitation et l'insertion dans l'inter
d?pendance des professions urbaines. Il semble en effet que l'int?gration des agriculteurs ? la ville soit grandement d?termin?e par le fait que le
travailleur passe de l'homog?n?it? du travail agraire ? la division sociale
du travail urbain, de l'ind?pendance de l'exploitation agricole ? l'inter
d?pendance des fonctions et des personnes dans la soci?t? urbanis?e. Ici et l?, les dimensions sociales du travail ne sont pas identiques et elles agissent sur l'ensemble du processus d'int?gration.
En second lieu, l'int?gration peut ?tre assur?e ? travers les relations
qu'immigr?s et autochtones entretiennent entre eux, hors du cadre du
travail, au niveau du langage, de l'action entreprise en commun ou des
choix matrimoniaux par exemple. Ici est pos? le probl?me de l'importance des contacts de voisinage
et de l'isolement ou m?me de l'antagonisme entre groupes. La migration
en ville laisse-t-elle subsister des cloisonne
ments, li?s entre autres ? des pr?jug?s sociaux, qui peuvent aller jusqu'? la s?gr?gation spatiale? Il importe aussi de mesurer si l'int?gration fonc
tionnelle par le travail facilite celle-ci ou au contraire la rend plus al?atoire et moins recherch?e. Pour le savoir, il est n?cessaire d'analyser la mani?re
dont les immigr?s acceptent ou refusent les valeurs ou les normes des
groupes citadins. Le passage d'une sous-culture rurale aux sous-cultures
urbaines implique une acculturation et l'ajustement ? un nouveau milieu
social. Il peut se solder par une assimilation totale ou au contraire par le
maintien de valeurs et de normes d'origine rurale. Il peut enfin y avoir
conflit entre les attentes ou les r?alit?s de la situation urbaine et les normes
import?es du village et ceci d'autant plus que ces derni?res sont implicites ou inconscientes. Alors le conflit se traduit par une sorte de d?sorganisation de la vie personnelle
ou par une
organisation particuli?re de la vie en groupe.
Corr?lativement, les groupes urbains acceptent-ils ou non les valeurs et les
normes transmises ?ventuellement par les agriculteurs migrants ?
Est-ce qu'en ville les agriculteurs immigr?s constituent un groupe diff?rent des urbains autochtones par exemple? Op?rent-ils une structu
ration dissemblable des attitudes et des comportements professionnels,
politiques, de loisirs, etc. ? Celle-ci d'ailleurs ne varie-t-elle pas selon le
type de travail et aussi selon le type de ville, petite et industrielle par
exemple, moyenne ou
grande avec une forte dominante tertiaire ?* Une
structuration normale est celle qui organise les conduites de telle mani?re
que les attitudes anciennes n'aient plus de place ni de sens dans les attitudes
nouvelles. Il y a dislocation quand l'unification n'est r?alis?e qu'en appa
1. Cf. L. Karpic, ? Urbanisation et satisfaction au travail ?, Sociologie du Travail, 1966, 2,
pp. 179-204.
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rence et laisse subsister dans les comportements certains syst?mes relative
ment isol?s que les sujets refusent de transformer ou ne savent pas modifier.
A ce niveau, il est alors n?cessaire de rep?rer les facteurs favorables ou
d?favorables ? l'int?gration. La comparaison des attitudes et des compor
tements manifest?s par les divers types de population constituant la ville,
agriculteurs immigr?s, autochtones urbains et citadins immigr?s d'une autre ville, indique les effets de la mobilit? sur la soci?t? d'accueil1. Immi
gr?s, les agriculteurs se font une image de la ville et leur pr?sence contribue
de fa?on singuli?re ? la cr?ation de la cit?. Et la ville v?cue est un des
?l?ments fondamentaux de leur syst?me de mobilit?.
La ville est-elle le terme de la mobilit??
Ayant quitt? leur soci?t? d'origine sous l'effet d'influx ?conomiques et sociaux complexes, les immigr?s sont-ils, une fois install?s en ville, au
terme de leur mobilit? ? Ou bien leur situation urbaine n'est-elle qu'un moment dans un
projet plus vaste d'ascension sociale par exemple?
Ont-ils conscience d'entrer dans une soci?t? ? l'?dification de laquelle ils
participent effectivement et qui de ce fait les satisfait? Ou au contraire
leur critique de la ville et les d?s ajustements qu'ils subissent ou main
tiennent peuvent-ils ?tre consid?r?s comme des indices signifiant qu'ils r?vent d'un autre type de soci?t? ou du moins d'une autre mani?re de vivre en une soci?t? urbanis?e? Pour v?rifier la solidit? d'une telle hypoth?se, il faut interpr?ter les relations que les agriculteurs immigr?s entretiennent avec leur village, soit qu'ils s'efforcent de transplanter en ville certains de ses aspects, soit
qu'ils le valorisent et cherchent ? le transformer. En effet,
dans bien des r?gions rurales d'anciennes fermes deviennent r?sidences
secondaires ; parfois on assiste ? des ce retours ? ? la terre de travailleurs et d?j? ? la prise de responsabilit?, municipale notamment, d'anciens
agriculteurs immigr?s en ville. Peut-on y voir un simple ?chec de leur insertion dans la soci?t? urbaine, ou le signe d'un projet inachev? de
mobilit?, ou bien encore la revendication d'une autre forme d'existence
sociale int?grant les deux types de soci?t? ? Il y a l? en tout cas un aspect
qui m?rite d'?tre ?tudi? pour le situer dans l'ensemble du syst?me de
mobilit?. Sans doute trouvera-t-on peu significative ou m?me banale la
recherche faite par les anciens agriculteurs d'une soci?t? diff?rente de celle
que leur offre la ville et la r?duira-t-on ? un simple souhait de d?passer leur
mode de vie rural. D'autres voudront interpr?ter ces comportements
comme
des relents romantiques, ou au mieux m?liniens, tendant ? corriger certaines
malfa?ons des soci?t?s industrialis?es. Dans la valeur accord?e au travail
de la terre et ? l'existence villageoise, ils verront un reste d'utopie qui
supprimerait les distinctions entre ville et village.
1. G. Germani, ? Les effets de la mobilit? sociale sur la soci?t? ?, Sociologie du Travail, 1965, 4, pp. 383-415.
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60 M. VINCIENNE
Les recherches que nous avons effectu?es nous ont amen?e ? constater
que la ville ne para?t pas ?tre le terme ? ni g?ographique, ni social, ni culturel ? de la mobilit? des agriculteurs. Il y a l? une mise en cause de la ville telle qu'elle existe et non pas la simple affirmation d'espoirs d??us
parce qu'illusoirement fond?s. Mais cette mobilit? inachev?e ne s'explique t-elle pas aussi par une tendance plus g?n?rale
concernant toute la soci?t? ?
Les agriculteurs revendiquent un ce droit ? la ville ? ?
pour emprunter, au
risque de le d?former, un terme ? H. Lefebvre ?, c'est-?-dire ? ses
avantages collectifs ou individuels et c'est le sens profond de leur migration. A leur tour de nombreux urbains expriment aujourd'hui pour ainsi dire un droit au village. Celui-ci signifie que la ville, comme lieu de production ou facilit? de consommation, comme organisation sociale ou possibilit? de
cr?ation culturelle, comme relation ? la nature ou volont? politique, comme
lieu de l'initiative ou chance de ma?triser l'avenir, n'a pas acquis sa forme
d?finitive. Ce droit au village qui semble de plus en plus doubler le droit ? la ville n'a rien de commun avec un
simple ce retour ? la terre ?. D'ailleurs
les immigr?s, en maintenant ou en reconstituant dans la ville certaines
dimensions du village, cr?ent des organisations qui visent d'abord ? leur assurer une s?curit? sous des modes ethniques li?s ? l'origine, s?curit?
d'autant plus recherch?e que la mobilit? se diffuse dans tous les domaines
de leur existence. Celles-ci tendent ensuite ? pr?server l'individualit? de
chacun, l? aussi selon les traditions du pays natal. Quand les citadins
exp?rimentent le village, ils le vivent surtout ? partir des d?ficiences de
la ville et ceci principalement dans un temps de non-travail. Le village souhait? implique d?s lors d'autres rapports avec l'environnement naturel,
plus urbanis?s que ceux des agriculteurs, et une
organisation sociale moins
encombr?e et moins contraignante que celle de la cit?. Il prend facilement
l'aspect d'un refuge de la gratuit?, celle du temps de loisirs qui permet d'assumer des responsabilit?s politiques, culturelles ou religieuses, loin des
rigidit?s sociales impos?es par le travail. Il risque ainsi d'?tre un champ d'action surtout pour les individus les moins int?gr?s ? la soci?t? moderne.
En tout cas, le village devient le lieu o? s'organisent de mani?re nouvelle
diff?rentes couches sociales plus ou moins en liaison avec la ville1. Il est
aussi r?v? par les citadins comme un lieu de stabilit? compensant la mobi
lit? impliqu?e dans le travail urbain et il fournit un cadre social ? leur temps de non-travail, qu'il soit celui des vacances ou de la retraite. Enfin le village est revendiqu? comme ?tant susceptible de favoriser la vie priv?e dont la ce maison ? de vacances est le symbole le plus important. D?s lors la soci?t?
urbaine n'est plus le strict ?quivalent d'une soci?t? des villes ; du moins
la question doit-elle ?tre laiss?e ouverte.
Ainsi le syst?me de mobilit? est une r?alit? objective dont l'emprise sur
les agriculteurs migrants est diverse, avec des effets directs et d'autres
seconds. Ils s'y adaptent, r?agissent ? ses contraintes et par l? contribuent
1. Cf. P. George, ? Anciennes et nouvelles classes sociales dans les campagnes fran?aises ?, Cahiers internationaux de Sociologie, 1964, XXXVII, pp. 3-22.
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MOBILIT? DES AGRICULTEURS 61
? le transformer partiellement. Les diff?rentes cat?gories d'acteurs le vivent
de fa?ons dissemblables et les anciens agriculteurs s'identifient comme
citadins tout en maintenant des divergences avec les autochtones. Si le
choix d'un travail qui puisse ?tre un m?tier joue un r?le important dans
la mobilit? des agriculteurs, c'est qu'il traduit le d?sir de chacun de d?cider
par lui-m?me de la place qu'il veut occuper dans la soci?t?. Cette volont?
suppose dans ce cas un d?placement g?ographique et un changement de
culture. Elle entra?ne de nombreuses mutations dans la vie familiale,
l'insertion dans des r?seaux neufs de relations sociales, un r?le particulier confi? aux enfants quant ? la promotion souhait?e, une pratique de la vie
politique inconnue du village. Cette mobilit? complexe des agriculteurs contribue, l? o? ils sont nombreux et particuli?rement dans les petites cit?s, ? donner une forme singuli?re ? la ville.
Toutefois, ces processus s'expliquent seulement par la place que, pour son fonctionnement, l'ensemble de la soci?t? conf?re ? la mobilit?. Elle pose le transfert des agriculteurs
vers d'autres activit?s comme une des condi
tions de la croissance ?conomique et elle hausse souvent la mobilit? comme
telle au niveau d'un objectif social, au point de sembler parfois en faire un
mythe. Le changement, on l'a soulign?, tend ? devenir presque institu
tionnel, ? former une donn?e permanente de la vie professionnelle et ? placer le destin de chaque individu dans une ind?termination de plus en plus
grande. La mobilit? est une des valeurs et un des moyens, sans que l'on
distingue toujours ces deux fonctions, les plus importants de la soci?t?
contemporaine. Celle-ci donne ? la migration des agriculteurs d'autres sens
que ceux qu'elle avait dans le pass?. Elle fait que les n?cessit?s ?conomiques de ces derniers ne sont plus que des moyens de r?aliser des projets sociaux
plus vastes. C'est pourquoi le passage des agriculteurs du village ? la ville est un ?l?ment d?cisif du syst?me de mobilit? qui semble caract?riser de
plus en plus la soci?t? urbanis?e.
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