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La monarchie constitutionnelle canadienne :
Une anomalie éthique selon la perspective de l’égalité
des chances
Par
Clément Bélanger
Thèse présentée à la Faculté de philosophie de l’Université Saint-Paul
en vue de l’obtention du diplôme de
Maîtrise en éthique publique
© Clément Bélanger, Ottawa, Canada, 2017.
ii
À Karl Anthony, Justin & Mélodie
iii
Table des matières
Résumé ....................................................................................................................... iv
Avant-propos ................................................................................................................ ii
Remerciements ........................................................................................................... iii
Introduction ................................................................................................................... 1
Chapitre 1. L’avènement des monarchies constitutionnelles ....................................... 13 1.1 Les premières monarchies constitutionnelles ........................................................ 13 1.2 Guerres et conflits se succèdent : Le modèle britannique s’impose ....................... 17 1.3 La Guerre de 1812 – un conflit pragmatique ......................................................... 24 Chapitre 2. Le Dominion du Canada : une monarchie constitutionnelle canadienne ... 31 2.1 Le Canada : un compromis typiquement canadien ................................................ 31 2.2 La souveraineté canadienne : un idéal inachevé ................................................... 41 2.3 Le chef d’État du Canada : La Reine d’Angleterre ................................................. 47 Chapitre 3. Perspectives éthiques ............................................................................... 56 3.1 Les philosophes grecs .......................................................................................... 57 3.2 Les philosophes anglais : John Locke et Thomas Paine ....................................... 60 3.3 Le philosophe du Vieux Continent : Jean-Jacques Rousseau ............................... 67 Chapitre 4. L’Esprit de Haïda Gwaii : à contre-courant de la monarchie ...................... 71 Chapitre 5. L’égalité des chances (« equality of opportunity ») .................................... 78 5.1 La monarchie constitutionnelle : une perspective rawlsienne ................................ 79 Chapitre 6. Des symboles de plus en plus canadiens ................................................. 93 Conclusion .................................................................................................................. 99 Bibliographie ............................................................................................................. 105
i
Résumé Le Canada a comme système de gouvernance une monarchie constitutionnelle issue de son héritage britannique. Bien que ce système monarchique soit riche en tradition, stable et semble à nouveau redorer son blason d’antan avec la nouvelle génération d’héritiers (c’est-à-dire William, Kate et leurs jeunes enfants) mondialement adorée, cette thèse tient à démontrer qu’une telle structure de gouvernance n’est plus conforme à la réalité politique, voire éthique, de la société canadienne moderne, telle qu’analysée par le philosophe canadien James Tully. Ce professeur de pensée politique à l’Université de Victoria élabore une philosophie et une pratique post-impériales du constitutionalisme qui serviront de prémisses à cette thèse. L’enjeu éthique en est un de droits fondamentaux, de justice sociale et d’égalité : un citoyen canadien ne peut occuper la plus haute fonction gouvernementale de son propre pays, soit celle de chef d’État du Canada. Il s’agit d’une situation inacceptable car elle prive un citoyen de l’accès à la charge publique la plus importante de sa Nation. Cette situation est d’autant plus insoutenable car cela fait en sorte que l’institution même de chef d’État évoque une inégalité dans sa forme la plus absolue, qui va à l’encontre du projet émancipateur de reconnaissance et d’inclusion de l’être-ensemble canadien. James Tully offre une forme de constitutionnalisme qui consiste à concilier des demandes de reconnaissance grâce à des dialogues guidés par des conventions constitutionnelles communes. Cette approche est intéressante car elle offre la possibilité de résoudre des enjeux ancrés dans l’histoire de notre pays et ainsi trouver un terrain d’entente sous un nouvel éclairage. Pour ce faire, le philosophe canadien utilise entre autres un outil symbolique très puissant : L’Esprit de Haïda Gwaii. Cette extraordinaire œuvre d’art du sculpteur Bill Reid sera au cœur de l’argumentaire contre la monarchie constitutionnelle. Pour appuyer les perspectives offertes par Tully, les théories de l’illustre philosophe américain John Rawls, développées dans ses deux grands ouvrages, Théorie de la Justice (A Theory of Justice), et Libéralisme politique (Political Liberalism), seront aussi mis à profit pour démontrer que la réalité constitutionnelle héritée de l’époque de l’impérialisme européen ne correspond plus à la réalité éthique canadienne du 21e siècle. La vision rawlsienne de l’égalité des chances, qui découle du libéralisme, illustre bien qu’une monarchie héréditaire à la tête de l’État canadien n’est plus compatible avec les valeurs fondamentales de respect de la dignité de chaque individu et des libertés de base auxquelles ont droit tous les citoyens du Canada. Il s’agit ensuite de prendre cette prémisse et de la transposer à une théorie sociologique de l’éthique afin de démontrer que la visée morale dont il est question doit s’accompagner d’une institutionnalisation qui reflète à part entière le projet universaliste d’égalisation et de justice sociale. Il existe présentement un important décalage entre l’élitisme, le népotisme et le colonialisme, que représente la monarchie constitutionnelle face au projet de vivre-ensemble dans lequel la population canadienne pourrait pleinement se réaliser sans discrimination. Il faut se rappeler que c’est au nom du roi (ou de la reine) que les colons français et britanniques sont venus s’établir ici. Ils avaient tous une allégeance et un lien de fidélité au souverain. Bref, si à une époque lointaine l’institution de la monarchie servait à élever le peuple et exhortait une fierté nationale, cette même institution vient maintenant bafouiller les notions modernes de l’inviolabilité de la personne, des droits fondamentaux, ainsi que des valeurs de respect mutuel et de réciprocité dans une société pluraliste comme celle du Canada. Sur la base des théories de Tully et de Rawls, cette institution n’a plus sa place dans le projet identitaire et éthique canadien du 3e millénaire.
ii
Avant-propos
Cette thèse est le résultat d’un intérêt général à l’endroit de la pensée politique
et de la politique canadienne, plus précisément en ce qui a trait à la
Constitution et notre forme de gouvernance. Ce n’est pas pour rien que j’ai
obtenu un baccalauréat en philosophie et que mes résultats en droit
constitutionnel étaient nettement supérieurs à ceux de mes autres cours lors de
mon passage à la faculté de droit de l’université d’Ottawa.
Outre ce grand intérêt pour la politique, tant en théorie qu’en pratique, le choix
du sujet est également issu du fait que la Constitution de 1982 n’est toujours
pas « signée » par le Québec. L’absence d’adhésion du Québec à la
Constitution du Canada fait en sorte que le récit constitutionnel canadien n’est
toujours pas encore complété – le sera-t-il un jour ? À mon sens, lorsque la
classe politique aura le courage de reprendre les discussions sur l’avenir
constitutionnel du Canada, le débat ne pourra faire fi de certaines institutions
désuètes comme le sénat et le système monarchique. Et ce débat pourrait
reprendre plus tôt que plus tard considérant des éléments contextuels, dont le
150e anniversaire de la Confédération; une passation au trône éventuelle étant
donné l’âge avancée de la monarque actuelle; des acteurs politiques, tant à
Ottawa que dans les provinces, plus ouverts à de telles discussions; et une
société canadienne dont l’attachement à la royauté britannique n’a plus la
même intensité que dans le passé.
iii
Enfin, sur une note plus anecdotique, j’avais annoncé à ma mère du haut de
mes douze ans que je voulais un jour faire carrière au sein de la Gendarmerie
royale du Canada (GRC). Étonnée, elle me demanda pourquoi. Je lui ai
expliqué fièrement que je voulais être le garde du corps personnel du Premier
ministre du Canada et pour ce faire, je devais me joindre à la GRC. Et elle, du
tac-au-tac, de répondre comme seule une mère asiatique pouvait le faire :
« Pourquoi être le garde du corps alors que tu peux devenir le Premier
ministre ? » Je n’ai jamais oublié cette conversation. Mais je me suis posé la
question autrement : dans une démocratie libérale, pourquoi ne pas devenir
chef de l’État au lieu de se contenter de chef du gouvernement ? Notre
monarchie constitutionnelle ne le permet tout simplement pas. C’est cette
question que je tente d’élucider d’un point de vue éthique.
Remerciements
Je souhaite avant toute chose remercier vivement les personnes sans qui cette
thèse ne serait pas, en commençant par Sophie Cloutier, ma directrice de
thèse, tant pour sa disponibilité, son aide précieuse et éclairante ainsi que sa
grande patience. Sans elle, je n’aurai probablement pas fait la belle découverte
de James Tully, ce philosophe canadien contemporain, dont les écrits servent
d’assise à cette thèse. Outre les échanges au niveau du contenu, merci d’avoir
gardé le sourire et la bonne humeur tout au long de ce périple académique.
iv
Je tiens également à remercier tous les professeurs et le personnel de soutien
de l’Université Saint-Paul que j’ai eu la chance de côtoyer au cours des
dernières années et qui ont rendu possible ce travail de longue haleine, tant par
leur soutien opérationnel que professionnel.
Je réserve des remerciements particuliers aux membres de ma famille – tant
mes parents que mes trois enfants – qui m’ont inspiré, encouragé et soutenu
sans relâche tout au long de la rédaction de cette thèse. Un énorme « thank
you » à ma douce moitié, Me’shel, pour ton immesurable générosité et sans qui
cette thèse n’aurait jamais été possible.
1
« La justice est la première vertu des institutions sociales
comme la vérité est celle des systèmes de pensée »1 John Rawls, Théorie de la justice.
Introduction
Au cours des dernières années, les nombreux agissements douteux de
certains sénateurs canadiens, notamment Mike Duffy, Patrick Brazeau et
Pamela Wallin, ont fait couler beaucoup d’encre. Politicologues, avocats,
politiciens et commentateurs politiques se sont penchés non seulement sur les
présumées manigances de quelques membres du sénat, mais ils ont aussi
actualisé le débat entourant la remise en question et la pertinence d’une
Chambre haute canadienne basée sur le modèle de la Chambre des Lords en
Angleterre. Une variété de questions d’ordre éthique a alimenté ces
discussions portant sur une réforme en profondeur du sénat afin de moderniser
cette structure législative ou tout simplement l’abolition pure et simple de
l’institution. Mais pendant que l’attention médiatique se concentre sur les
embarras et la validité démocratique de cette Chambre, il semble étrange que
personne ne porte davantage attention à une injustice flagrante : celle
entourant la monarchie constitutionnelle canadienne.
La problématique dont il est question dans cette thèse en est une d’ordre
éthique, plus spécifiquement un enjeu de droits de la personne, de justice
1 John Rawls, Théorie de la justice, I, §1, Paris, Seuil, p. 29.
2
sociale et d’égalité. Le problème peut se poser de la façon suivante : en tant
que Canadien, jamais je ne pourrai espérer devenir le chef d’État de mon
propre pays car cette fonction – la plus haute charge publique de la Nation –
est strictement réservée à une monarchie héréditaire. Cette situation injuste et
discriminatoire devrait être considérée comme étant inacceptable d’un point de
vue moral car elle est complètement incompatible avec les mœurs de la société
canadienne moderne, qui attachent une grande importance aux valeurs de
base de liberté, d’égalité et de reconnaissance de tous les citoyens et
citoyennes.
Qui plus est, dans une autre mesure, le peuple canadien ne réalise-t-il pas que
le chef d’État de notre pays :
n’a pas la nationalité canadienne ;
n’est pas résident du Canada ;
n’est pas élu démocratiquement ;
n’est pas redevable envers la population ;
jouit d’immunités devant la loi et possède de vastes pouvoirs exclusifs ;
sa succession est transmise uniquement de façon héréditaire.
Quelle ironie de voir les médias se prêter à une chasse aux sorcières en
essayant d’exposer au grand jour les allégations de corruptions, de
malversation, d’abus de pouvoir, de conflits d’intérêt et d’autres pratiques
douteuses de la part de la classe politique, et ce pas seulement au sénat, mais
aussi aux niveaux provincial et municipal alors que personne n’ose remettre en
3
question les caractéristiques inégalitaires, impérialistes et anti-démocratiques
de la plus haute fonction gouvernementale du pays. Mais, comme le dit le vieux
dicton, « the Queen can do no wrong ».
Il est largement accepté que le Canada est un pays souverain, indépendant et
démocratique. Cependant, nonobstant le fait que son chef d’État ne soit pas un
citoyen canadien, n’habite pas le pays et n’est ni élu par le peuple qu’il
représente, ni redevable à ce dernier, et malgré sa Constitution et la Charte
canadienne des droits et libertés, qui sont censé mettre tous les Canadiens sur
un même pied d’égalité, encore aujourd’hui en 2016, il demeure impossible
pour qu’un(e) citoyen(e) du Canada puisse oser espérer accéder à la plus
haute fonction étatique de son propre pays. Ce poste est réservé uniquement
aux héritiers du trône d’Angleterre. Il s’agit d’une anomalie qui défie le droit à
l’égalité des chances, à la reconnaissance culturelle, à la justice sociale et aux
principes fondamentaux d’une démocratie pluraliste moderne. Un pays qui se
veut égalitaire et juste ne peut tolérer une telle situation. Après tout, pour
reprendre les paroles récentes du Premier ministre canadien actuel, Justin
Trudeau : « Nous sommes en 2015 ! »2
C’est précisément cette considération arbitraire qui porte sur la dimension
discriminatoire de l’institution, à savoir le fait qu’un citoyen canadien ne soit pas
2 Trudeau, Justin, déclaration lors d’un point de presse le jour de l’assermentation du cabinet
ministérielle. Ottawa, Canada.
4
libre de pouvoir un jour accéder au poste de chef d’État de sa propre Nation,
qui sera étudiée dans une perspective de l’égalité des chances. Cette dernière
constitue l’un des fondements de la théorie de la justice comme équité de John
Rawls, dont les grands traits seront exposés et utilisés pour défendre le fait que
la monarchie canadienne est injuste. Ainsi, l’enjeu d’une charge publique
uniquement réservée à une seule famille sera examiné d’un angle éthique afin
de démontrer que l’institution de la monarchie ne cadre aucunement avec le
projet de vivre-ensemble canadien qui s’oppose à une telle injustice. Une fois
cette démonstration faite, il devient logique de juxtaposer les valeurs de la
société canadienne à l’édification d’un lieu institutionnel et symbolique pour
aboutir à un projet capable d’abriter le principe d’égalisation des chances dans
son entièreté.
Il est intéressant de noter que la monarchie constitutionnelle a fait quelques
manchettes récemment pour des raisons autres que des visites royales ou la
naissance d’un nouveau prince. Par exemple, en 2011, les chefs des États
membres du Commonwealth s’étaient entendus pour que certaines règles
d’accession au trône britannique soient modifiées. C’est le cas d’une règle
voulant qu’une femme, si elle est l’aînée de la famille, puisse devenir Reine
même si elle a un frère cadet. Ce changement viendrait mettre fin à la règle de
primogéniture, qui donne priorité aux hommes comme héritier au trône.3 Une
autre modification suggérée aux règles de succession est celle de l’incapacité
3 The Canadian Press, “Professors challenge Queen’s status” in The Ottawa Citizen, April 10,
2016, p. A6.
5
de régner résultant du mariage avec un catholique. L’aspect intéressant est que
deux professeurs de droit de l’université Laval, Geneviève Motard et Patrick
Taillon, sont présentement devant les tribunaux pour présenter des arguments
qui viennent alimenter cette thèse, mais d’une perspective légale. « They
argued there is no unwritten rule in Canada that makes the British Queen
automatically the Queen of Canada, as the federal government asserted4 ».
Même si jusqu’à présent la cour de première instance a donné raison au
gouvernement fédéral qui défend le statu quo, les deux juristes en appellent de
cette décision car selon eux, cette loi « calls into question Canadian
independence5 ». Ainsi, ces juristes tentent de remettre en question la légitimité
de la monarchie par voie des tribunaux.
D’autres ont manifesté un objectif semblable, mais d’un angle politique. C’est le
cas du Bloc Québécois dont le chef, Gilles Duceppe, durant la dernière
campagne électorale fédérale en 2015 a soulevé à plus d’une reprise lors des
débats télévisés son désir de voir disparaître la monarchie constitutionnelle. Le
site web de cette formation politique indique toujours ceci :
Pour les Québécoises et Québécois, la monarchie britannique
est un archaïsme inutile qui n’a pas sa place dans notre
démocratie. Pourtant, le gouvernement canadien investit des
millions de dollars chaque année pour promouvoir la Reine
d’Angleterre.6
4 Ibid. 5 Ibid. 6 http://www.blocquebecois.org/16006-2/, juin 2016.
6
Il existe donc déjà des acteurs contemporains des sphères du droit et de la
politique qui remettent en cause la pertinence du système monarchique au
Canada. Outre les perspectives légales et politiques, il existe évidemment la
dimension éthique, dont il sera question dans cette thèse.
Pour des raisons historiques, nous avons hérité d’un tel système, avec comme
chef d’État actuel, la Reine Élizabeth II, par la grâce de Dieu, reine du
Royaume-Uni, du Canada et de ses autres royaumes et territoires, chef du
Commonwealth, défenseur de la Foi. Il s’agit d’un régime et d’une constitution
qui puisent leur légitimité d’une loi impériale du Parlement londonien et non du
peuple. Une démocratie, certes, mais dont le fondement idéologique diffère
grandement des valeurs et des idéaux de la société canadienne
contemporaine. Si à une certaine époque ce type de gouvernance était
acceptable ou même souhaitable par l’élite politique, l’indéniable évolution des
mœurs et de la culture politique au pays depuis 1867 laisse présager que notre
système de monarchie constitutionnelle est périmé. Le Canada a changé. La
société impériale des siècles passés s’est tranquillement volatilisée au cours
des cent cinquante dernières années pour laisser place à une nation qui s’édifie
sur des bases pluralistes émanant d’une volonté générale de tous les citoyens
de bâtir une société véritablement égalitaire et juste.
La remise en question de la monarchie constitutionnelle est un sujet très vaste
compte tenu de l’étendue des domaines qu’il effleure, dont le droit
7
constitutionnel, les sciences politiques, l’histoire du Canada, la sociologie et
l’administration publique. Plusieurs de ces matières seront abordées de près ou
de loin, mais c’est la dimension éthique qui demeure au cœur de cette remise
en cause. Dans un premier temps, il sera question de faire un retour historique
sur cet héritage royal que nous a légué l’Angleterre. D’où viennent cette
monarchie et ce système de gouvernance ? Pourquoi les Pères de la
Confédération du Dominion du Canada ont-ils opté pour une monarchie
constitutionnelle lors de la création de ce nouveau pays ? Quelles étaient les
valeurs partagées par la majorité populaire et le modèle de société largement
accepté par la population 150 ans passés ? Les réponses à ces questions
permettront de peindre un portrait de la dynamique socio-politico-culturelle et
de mieux comprendre le contexte hiérarchique dans lequel nos Pères
fondateurs opéraient, et de la portée symbolique que revêt le monarque à
l’époque de la Confédération. Pour reprendre les mots de Simone Weil :
La hiérarchie est un besoin vital de l’âme humaine. Elle est constituée par une certaine vénération, un certain dévouement à l’égard des supérieurs, considérés non pas dans leurs personnes ni dans le pouvoir qu’ils exercent, mais comme symbole. Ce dont ils sont les symboles, c’est ce domaine qui se trouve au-dessus de tout homme et dont l’expression en ce monde est constituée par les obligations de chaque homme envers ses semblables. Une véritable hiérarchie suppose que les supérieurs aient conscience de cette fonction de symbole et sachent qu’elle est l’unique objet légitime du dévouement de leurs subordonnés. La vraie hiérarchie a pour effet d’amener chacun à s’installer moralement dans la place qu’il occupe.7
7 Simone Weil, L’enracinement : Prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain,
Gallimard, 1949, p. 30.
8
Si de tels régimes monarchiques étaient la norme dans les pays du Vieux
continent au Moyen-âge et durant la période des grandes découvertes, les
révolutions américaine et française du XVIIIe siècle ont changé les façons de
concevoir les modes de gouvernance. D’ailleurs, le siècle des Lumières a
apporté son lot d’importantes innovations en matière de pensée politique. Les
écrits de plusieurs philosophes, dont Jean-Jacques Rousseau, Montesquieu,
Thomas Jefferson, Thomas Paine et George Berkeley, ainsi que certains de
leurs précurseurs, comme Thomas Hobbes et John Locke, ont fait couler
beaucoup d’encre et ont alimenté les débats de l’époque portant sur les
systèmes de gouvernance, la démocratie et les droits humains. Il est
intéressant de noter que ces courants philosophiques et éthiques, qui ont
donné naissance au libéralisme et ont nourri les réflexions du siècle des
Lumières, ont par la suite mené à des changements de régimes dans certains
pays.
L’impulsion révolutionnaire se poursuivra d’ailleurs au XIXe siècle,
communément appelé « le siècle des révolutions »8, car il a été le plus fertile en
soulèvements et en insurrections, tantôt triomphants et tantôt écrasés. « Ces
révolutions ont comme points communs d’être presque toutes dirigées contre
l’ordre établi (régime politique, ordre social, domination étrangère parfois),
presque toute livrées pour la liberté, la démocratie politique ou sociale… ».9
Elles ont changé le paradigme sociétal dans lequel baignaient les peuples aux
8 René Rémond, Le XIXe siècle, 1815-1914, Paris, Seuil, p.7. 9 Ibidem.
9
quatre coins du monde. Elles avaient comme objectifs comparables le désir de
fonder des sociétés basées sur l’égalité des citoyens, cassant le lien avec les
hiérarchies médiévales. Le philosophe politique français Alexis de Tocqueville,
dans son fameux ouvrage De la démocratie en Amérique, l’expliquait ainsi :
Le développement graduel de l’égalité des conditions est donc
un fait providentiel, il en a les principaux caractères : il est
universel, il est durable, il échappe chaque jour à la puissance
humaine ; tous les événements, comme tous les hommes,
servent à son développement.10
Le nouveau contrat social qui apparaît en est un de justice sociale et de la
souveraineté du peuple. Cela dit, en dépit de ces grands changements de
régime et du désir de se dissocier du système monarchique dans certains pays,
il est aussi important de souligner que les monarchies perdureront et
demeureront le système de choix dans d’autres pays. En Occident par
exemple, des pays comme l’Espagne, les Pays-Bas, la Belgique et la plupart
des pays scandinaves maintiendront leur régime royal, de même pour les 16
pays qui composent le Commonwealth et qui partagent le même chef d’État. Il
s’agira donc de bien comprendre les circonstances et les raisons idéologiques
qui ont fait en sorte que le Canada se munisse d’un système au lieu d’un autre,
et de l’impact que le régime monarchique a eu sur la société canadienne
depuis la fondation du pays jusqu’à aujourd’hui. Par contre, il ne s’agira pas de
faire une analyse comparative entre le Canada et d’autres nations, qu’elles
soient dotées d’une monarchie constitutionnelle ou pas. Ce travail porte
10 Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique 1, Paris, Gallimard, p.42.
10
uniquement sur la vision et les visées éthiques de la société canadienne face à
son passé et dans une perspective d’avenir. Des enjeux très précis seront aussi
passés au peigne fin, dont la souveraineté, les pouvoirs et immunités de la
Reine ainsi que les symboles identitaires afin de démontrer une « évolution
tranquille » de la société canadienne, qui petit-à-petit cherche de façon
évidente à rompre les liens avec le monarque britannique dans un projet de
vivre-ensemble unique au monde.
Dans un deuxième temps, ce travail mettra en lumière les incohérences
morales de la monarchie constitutionnelle. Pour ce faire, les questions éthiques
seront abordées par l’entremise des théories de la justice et de la bonne
gouvernance, qui ont suscité des débats captivants au cours des dernières
décennies dans l’espace philosophique anglo-saxon. Or, deux grandes théories
serviront d’outil d’analyse. Le premier provient du courant philosophique de la
citoyenneté (« citizenship theory »). Il s’agit du constitutionnalisme élaboré par
le philosophe canadien, James Tully. Cette forme de constitutionnalisme
consiste à concilier les demandes de reconnaissance grâce aux dialogues
façonnés par des conventions constitutionnelles communes. La sculpture
L’Esprit de Haïda Gwaii (voir illustration à la page suivante) servira de symbole
pour illustrer la théorie de Tully.
11
Photo de Clément Bélanger avec la sculpture L’Esprit de Haïda Gwaii (Washington, D.C.) (Crédit photo : Justin Bélanger)
La seconde théorie sur laquelle cette thèse va se baser est celle de l’égalité
des chances. Celle-ci fournira la base éthique afin d’analyser le caractère moral
(ou immoral) de la monarchie constitutionnelle canadienne et de porter une
évaluation critique de la légitimité (ou l’illégitimité) de cette forme moyenâgeuse
de gouvernance. En fait, cette égale considération à laquelle chaque citoyen a
droit se veut un élément clé du reproche à l’endroit du système monarchique.
Les arguments mis de l’avant par le philosophe américain John Rawls, dans sa
théorie de la justice, seront utilisés pour faire valoir notre thèse.
12
La conclusion en sera une d’un Canada inachevé. Le récit canadien, d’un point
de vue constitutionnel et moral, se poursuit. Ce projet de pays peut être
amélioré afin que la portée éthique de la société canadienne soit véritablement
reflétée au niveau institutionnel, et ce, jusqu’à la plus haute fonction de l’État.
Une mise à jour s’impose. À l’aube du 150e anniversaire de la Confédération,
j’ose espérer que cette thèse puisse participer à un réveil collectif et motiver
tant les acteurs politiques que la société civile à se mobiliser et rendre notre
système de gouvernance plus équitable, égalitaire et moderne. Se départir de
la monarchie constitutionnelle, maintenant désuète, serait un bon début, bien
que ces derniers temps, l’attention soit plutôt portée sur le fonctionnement du
Sénat et l’intégrité des sénateurs (un autre débat tout aussi légitime). L’heure
est venue de passer à une prochaine étape, un temps nouveau, qui saura
répondre aux attentes de la collectivité canadienne en matière d’éthique
publique. Cette thèse devrait pouvoir servir à alimenter le débat sur notre mode
de gouvernement, le renouvellement de la constitution et la remise en question
de la royauté à titre de chef d’État du Canada. Qui plus est, les arguments
avancés d’égalité et de justice sociale devraient aussi permettre de s’assurer
qu’une nouvelle mouture de notre Gouvernement soit non seulement plus juste,
mais bien un reflet fidèle des valeurs sociales et identitaires d’un Canada
résolument tourné vers l’avenir.
13
Chapitre 1. L’avènement des monarchies constitutionnelles
La monarchie constitutionnelle et les valeurs sociétales qui s’y rattachent
reposent sur une longue histoire riche en rebondissements et lourde de
conséquences dont nous subissons encore aujourd’hui les effets politiques et
idéologiques. Il faut savoir que les monarchies ne sont pas toutes
nécessairement héréditaires, ni des royautés au sens classique du terme. Mais
c’est le cas au Canada. La maison de Windsor est l’actuelle Maison royale
du Royaume-Uni de Grande-Bretagne ainsi que des royaumes du
Commonwealth, incluant le Canada. Mais alors, pourquoi le Canada a-t-il
comme système de gouvernance une monarchie constitutionnelle ? Comment
se fait-il que les membres de la famille Windsor sont les seuls et uniques
prétendants à la plus haute fonction de l’État canadien ?
Afin de répondre à ces questions, il est nécessaire de bien comprendre les
origines de cette forme de gouvernance. L’objectif de ce chapitre est d’aborder
le système monarchique dans son contexte historique en analysant les
principales étapes de son développement au cours des derniers siècles,
notamment : (a) la naissance des monarchies constitutionnelles; (b)
l’avènement du modèle britannique en Amérique; (c) la monarchie
constitutionnelle au Canada.
14
1.1 Les premières monarchies constitutionnelles
Sans vouloir remonter à la genèse des systèmes monarchiques, il est utile de
souligner en Angleterre l’arrivée de la Grande Charte (Magna Carta) en 1215,
qui fut à toute fin pratique la première étape marquant officiellement le passage
de la monarchie absolue vers une monarchie constitutionnelle, où les pouvoirs
du monarque sont encadrés par une constitution. Cette Grande Charte sert
aussi à garantir le droit à la liberté individuelle, à limiter certains pouvoirs
discrétionnaires qui relèvent du monarque, et à établir un principe fondamental
en droit, l’habeas corpus (même détenue, une personne n’est pas sans droit).
Fait intéressant à noter, bien qu’il y ait eu de la discorde entre le roi Jean sans
Terre et les barons anglais à cause des hausses d’impôt et de taxes, « rebellion
was far from easy to justify ».11 Pour faire un parallèle avec la situation
d’aujourd’hui, alors qu’il n’y a pas de réel problème avec la monarchie actuelle :
This might seem an odd thing to say since there had been rebellions
against William I, William II, Henry I, Stephen, Henry II and Richard
– every king since the Norman Conquest. But in virtually all of these
confrontations the rebels had been able to present themselves as
men fighting not in their own private interests but for a cause. The
English rebelled against William the Conqueror on behalf of the old
royal family. In William II’s and Henry I’s reign rebels took up arms
on behalf of their elder brother Robert Curthose. The barons had
fought for the Empress Matilda against Stephen, for Henry II’s sons
against their father. A few had even been willing to fight for John
against Richard I in 1193-94. But in 1215 there seemed to be neither
an alternative royal dynasty nor a disgruntled member of the
present royal family on whose behalf would-be rebels could claim
to fight.12
11 Danny Danziger, John Gillingham, 1215: The Year of the Magna Carta, New York,
Touchstone, p. 256. 12 Ibid.
15
Cette situation illustre bien qu’il est possible de vouloir changer le statu quo et
modifier les règles de gouvernance même s’il n’y a aucune flagrante injustice,
menace évidente ou abus de pouvoir démesuré de la part d’un monarque
envers la population. Il ne s’agissait pas ici d’une rébellion violente pour
détrôner le roi en place, mais plutôt d’une étape importante dans l’évolution du
système de gouvernance britannique. Dans la masse touffue des textes qui ont
contribué pendant huit siècles à la constitution du régime britannique, la
Grande Charte marque ainsi le début d’une longue évolution qui a mené aux
constitutions, telles qu’on les connaît aujourd’hui dans les pays de tradition
anglo-saxonne.
Un autre moment névralgique de ce long processus historique sera la
Révolution de 1688 (aussi connue comme étant la Glorieuse Révolution), qui
officialise une fois pour toutes le système de la monarchie constitutionnelle et
jette ainsi les bases pour un régime mixte doté d’un parlement où se
conjuguent l’autorité du roi et la liberté des sujets. À partir de ce moment, « le
monarque règne, mais ne gouverne pas » ou pour reprendre la formule exacte
d’Adolphe Thiers : « Le roi n’administre pas, ne gouverne pas, il règne. »13
Quelques mois suivant la révolution, on voit ainsi naître une certaine forme de
démocratie avec l’arrivée de la Déclaration des droits (« English Bill of
Rights »), en février 1689. Cette Déclaration élimine la monarchie absolue et la
13 Adolphe Thiers, « Du gouvernement par les chambres », Le National - 4 février 1830, p. 4.
16
remplace par une monarchie parlementaire en y définissant les grands
principes :
La conséquence juridique essentielle de cette déclaration était de substituer à la monarchie absolue, creuset d’injustices et de violences arbitraires, une monarchie constitutionnelle puisant sa légitimité dans le peuple et garantissant par là même les citoyens contre les abus du pouvoir. La tradition anglaise héritée de la Magna Carta de 1215 était sauve ; de l’ère des libertés s'ouvrait, riche de promesse.14
Cette Déclaration, dont le titre complet est Acte déclarant les droits et les
libertés du sujet et mettant en place la succession de la couronne (An Act
Declaring the Rights and Liberties of the Subject and Settling the Succession of
the Crown), constitue également une partie des lois de quelques autres nations
du Commonwealth, comme c’est le cas pour le Canada. Il est intéressant de
noter à ce moment-ci que les règles de succession au trône britannique sont
issues de la common law et de certaines lois du Royaume-Uni, notamment le
Bill of Rights de 1689 et l’Act of Settlement de 1701, adoptées dans la foulée
de la Glorieuse Révolution et de l’accession au trône de Guillaume III et de
Marie II. Ces règles, conçues pour assurer la succession protestante au trône,
interdisaient au monarque d’être catholique ou d’épouser un catholique et
retirent de l’ordre de succession quiconque épouse un catholique. La
succession au trône était aussi assujettie à la règle de primogéniture de
préférence masculine, qui donne préséance aux héritiers sur les héritières sans
égard à l’âge, et aux aînés sur les cadets. Ce sont justement ces lois que les
14 John Locke, Traité du gouvernement civil, p.25.
17
pays membres du Commonwealth tente de modifier, tel que mentionné dans
l’introduction de cette thèse.
Ainsi, la Magna Carta avait amorcé le processus menant à une démocratie en
Grande-Bretagne, mais ce n’est qu’après la Révolution Glorieuse que ce
processus connaît un dénouement positif avec la Déclaration des droits de
1689. Ce nouveau régime de gouvernance, accompagné des nouvelles libertés
qui en découlent, aide à stimuler l’immigration vers la Grande-Bretagne – c’est
d’ailleurs à ce moment que John Locke, grand philosophe politique anglais
regagne sa mère patrie après un long exil en France et en Hollande et publie
sa Lettre sur la tolérance (1689) qui, pour plusieurs, marquera le début du
libéralisme – et met la table pour la révolution industrielle qui surviendra environ
un demi-siècle plus tard. Il ne faut pas sous-estimer le rôle que joueront la
révolution industrielle et l’arrivée du capitalisme dans l’évolution des mœurs et
des valeurs occidentales dont le résultat présent justifiera en partie l’abandon
de la monarchie constitutionnelle pour un régime républicain pouvant répondre
aux besoins sociaux, éthiques et intellectuels du Canada à l’aube du troisième
millénaire. Nous y reviendrons plus tard. Avec la monarchie constitutionnelle
maintenant bien établie en Angleterre, un nouveau paradigme sociétal qui puise
ses racines dans la nation anglaise frappe la réalité sous la forme de la liberté.
La loi, qui repose désormais sur une assemblée populaire, se place au-dessus
du souverain, niant farouchement par le fait même le droit divin des rois. On ne
mêle plus le Ciel et la Terre. C’est sur cette nouvelle liberté que reposera la
18
doctrine du libéralisme, élément central à la pensée politique issue du XVIIIe
siècle.
1.2 Guerres et conflits se succèdent : le modèle britannique
s’impose
En Amérique du Nord, quatre grandes guerres inter-coloniales ont opposé la
France à l’Angleterre (puis la Grande-Bretagne) entre 1689 et 1763. Ces quatre
conflits se sont déroulés en Amérique comme conséquence de guerres
européennes. Bien que certaines de ces guerres impliquent aussi l’Espagne et
les Pays-Bas, dans chaque guerre il y a d’un côté la France, son empire de la
Nouvelle-France, et ses alliés amérindiens contre l’Angleterre, ses Treize
Colonies, et ses propres alliés amérindiens. Suite à la Révolution Glorieuse, de
nombreuses guerres entre les puissances européennes se suivent, en
commençant avec la guerre de la Ligue d’Augsbourg (la guerre de Neuf Ans),
qui eut lieu de 1688 à 1697 et opposa le roi Louis XIV de France, au sommet
de sa puissance, à la Ligue d’Augsbourg, une imposante coalition européenne
menée par le roi Anglo-Néerlandais Guillaume III. Cette guerre se déroula
principalement en Europe continentale, mais son impact se fait ressentir en
Amérique du nord entre les colonies anglaises et françaises et leurs alliés
amérindiens.
À peine quelques années passent que la mort du roi Charles II d’Espagne et la
question de sa succession allaient mener la France et la Grande Alliance de
nouveau en guerre, connue comme étant la guerre de succession d’Espagne,
19
que les anglais nomment « Queen Anne’s War » et qui durera de 1702 à 1713.
Bien que les principaux combats se font en sol européen, plusieurs batailles ont
cours en Amérique du Nord sur divers fronts, dont en Floride, à Terre-Neuve et
en Acadie. Ce conflit se solda par la voie diplomatique avec la signature du
traité d’Utrecht, qui aura plusieurs conséquences sur le territoire nord-
américain. Entre autres, la guerre de succession d’Espagne a profondément
marqué l’évolution du rapport de forces entre les puissances européennes car
elle permet à la Grande-Bretagne de s’affirmer comme puissance majeure en
Europe. Après plus d’une décennie de guerre, les forces géopolitiques du Vieux
Continent sont profondément modifiées et des échos se font sans cesse
ressentir en Amérique du Nord, notamment avec Terre-Neuve, une partie de
l’Acadie et les territoires de la Baie d’Hudson qui seront cédés à la Grande-
Bretagne. Le prochain conflit, entourant la succession d’Autriche (1740-1748),
conserve toujours le jeu traditionnel des alliances, mais il permet aussi à la
Grande-Bretagne de prospérer davantage pendant que les puissances
continentales s’entre-déchirent. C’est finalement en 1756 que le grand
renversement des alliances a lieu et la Grande-Bretagne sort triomphalement
de la guerre de Sept Ans (guerre de la Conquête) alors que s’effondre l’empire
colonial français.
De tous les conflits européens de l’époque, la guerre de Sept Ans aura comme
particularités d’avoir été initiée en Amérique du Nord et d’avoir eu le plus grand
impact sur ce territoire. Cette guerre changera le cours de l’histoire canadienne.
20
Elle mit fin à 150 ans de conflits entre Français et Britanniques en Amérique du
Nord en 1763 par une victoire anglaise. Le Traité de Paris fut signé le 10 février
1763. La Grande-Bretagne domine dorénavant le territoire de l’ancienne
colonie française : la France renonce à la Nouvelle-Écosse et à l’Acadie, et elle
cède le Canada et le Cap-Breton au Royaume-Uni.15 La Nouvelle-France
devient la Province of Quebec et ce changement d’empire va avoir des
conséquences profondes sur les institutions et la vie de la population de ce
côté de l’Atlantique.16 La Proclamation Royale du 7 octobre 1763, considérée
comme étant la première Constitution depuis la Conquête « abolissait le droit
civil français, octroyait un premier gouvernement civil et créait un système
judiciaire. »17 Mais à peine une décennie plus tard, pour contrer le vent de
révolte qui se manifeste au sud de la frontière du côté des États-Unis, le
premier ministre britannique Lord Frederick North fait adopter l’Acte de Québec
de 1774, qui peut être considéré comme la seconde Constitution du Canada.
Celle-ci rétablit entre autres les lois civiles françaises et la pratique de la
religion catholique et permet en même temps de pouvoir compter sur les appuis
importants de l’Église et de l’élite francophone du temps (les « habitants »
n’étaient pas si enthousiasmés pour autant).18
15 Gérald Beaudoin, Le fédéralisme au Canada, p.5.
16 http://bv.alloprof.qc.ca/histoire/histoire-et-education-a-la-citoyennete-%282e-cycle-du-
secondaire%29/le-changement-d%27empire-%281760-1791%29/la-dualite-dans-les-
institutions-publiques-au-quebec-aujourd%27hui.aspx
17 Beaudoin, Le fédéralisme au Canada, p.6.
18 Bennett, Jaenen, Brune, Skeoch, Canada: A North American Nation, p.205.
21
On peut débattre longtemps des raisons qui ont poussé le Parlement de
Westminster à adopter un tel acte. Il s’agit tout de même d’une avancée
majeure pour la préservation du fait français en Amérique du nord car à partir
de ce moment, l’Acte de Québec redonne à la population canadienne-française
des droits fondamentaux pour l’inciter à ne pas se révolter contre le pouvoir
britannique, comme tentent de le faire les 13 colonies américaines plus au sud.
Le pari de Lord North fonctionne. Les Canadiens-français, tout comme leurs
homologues anglais, demeurent loyaux à l’Angleterre. D’un angle pragmatique,
ils avaient déterminé que leurs intérêts étaient mieux gardés en appuyant les
autorités impériales ou, à tout le moins, en restant neutre. Tant pour les anglais
que les français, il s’agit d’un compromis « gagnant-gagnant ».
À cette même époque, plus particulièrement après la signature du Traité de
Paris de 1783, qui met un terme à la guerre d’Indépendance des États-Unis,
plusieurs loyalistes américains – qui sont contre la révolution américaine –
prennent la route vers le nord pour se réfugier au Canada. Les « Tories » de
l’ère révolutionnaire américaine deviennent les « Loyalistes » du Canada;
l’Amérique du Nord britannique demeure plus « British » qu’Américaine. Ce
mouvement d’immigration loyale à la Couronne britannique démontre que la
Mère patrie anglaise peut encore compter sur de nombreux supporteurs, qu’elle
ne s’empêchera pas d’ailleurs de récompenser. Comme le dit l’historien et
ancien baron de la presse Conrad Black :
The British government did respond with reasonable promptness and generosity to the claims of Loyalists, thus solidifying their
22
resolution as citizens of the Empire, subjects of the British Crown, and fugitives from what soon became the United States.19
Cependant, l’arrivée de ces nombreux loyalistes fait en sorte que l’Acte de
Québec devient de plus en plus difficile à appliquer avec le nombre croissant de
non-francophones. C’est pour cette raison que Londres décide de départager le
Canada en deux provinces, le Haut-Canada (Ontario) et le Bas-Canada
(Québec) en 1791 par l’Acte constitutionnel, la troisième Constitution
canadienne, qui introduit en même temps le système représentatif et
parlementaire.20
Fait à noter, suite à l’entrée en vigueur de l’Acte constitutionnel de 1791, le
Bas-Canada élit une majorité de législateurs Canadiens-français à la première
Assemblée de cette colonie. Un autre fait intéressant à noter, durant les années
1790, quarante-cinq prêtres catholiques arrivent de France à Québec et
s’installeront un peu partout au Canada français afin d’aider à chasser les
mauvaises influences de la Révolution française. Le clergé prêche la fidélité à
la monarchie britannique et fait campagne contre la révolution « et la France,
cette fille indigne de l’Église. »21 Dans cet exercice, que certains qualifieront de
« propagande » pro-British, le clergé peut compter sur l’appui de la classe
dominante canadienne-française, qui se sent elle-même menacée par les idées
19 Conrad Black, Rise to Greatness: The History of Canada from the Vikings to the Present,
p.157.
20 Beaudoin, Le fédéralisme au Canada, p.6.
21 Denis Monière, Le développement des idéologies au Québec : des origines à nos jours,
1977, p.107.
23
de la révolution française. Elle désire maintenir ses privilèges et promeut ainsi
le statu quo en entretenant de bons rapports avec la Grande-Bretagne.
Ce parcours historique est essentiel car il démontre pourquoi une certaine
idéologie issue de la société féodale continue à planer sur le Canada de
l’époque – dont nous subissons encore aujourd’hui les conséquences. En
somme, on constate que suite à la guerre de Sept Ans gagnée par les Anglais,
suivie de l’arrivée massive des loyalistes américains au nord de la frontière (qui
sont contre la Révolution américaine et défendent le régime monarchique
anglais), combinée aux efforts constants des aristocraties cléricale et
canadienne-française (qui sont contre la Révolution française et défendent
aussi le régime monarchique anglais), font en sorte que les colonies
britanniques d’Amérique sont complètement déphasées par rapport aux
nouvelles réalités socio-économiques qui émergent sur le Vieux Continent et
chez l’Oncle Sam. Alors que les États-Unis d’Amérique et la France conjuguent
leur avenir sur des bases philosophiques de liberté et de démocratie, la
situation coloniale du Canada donnera une couleur particulière à la pensée
politique des Canadiens « qui déviera des modèles européen et américain en
réalisant l’amalgame entre l’anticapitalisme et la démocratie politique. »22 Le
Canada gardera donc une forte empreinte impériale. Le libéralisme anglais
ainsi que la démocratie de type britannique sont renforcés au détriment du
capitalisme et du républicanisme américain. Comme le dit si bien Montesquieu,
22 Monière, Le développement des idéologies au Québec : des origines à nos jours, p.111.
24
il faut avoir la capacité d’analyser dans leur contexte la forme de gouvernance
et les lois d’un État qui sont propres au peuple pour lequel elles sont faites :
Elles doivent être relatives au physique du pays ; au climat glacé,
brûlant, ou tempéré ; à la qualité du terrain, à sa situation, à sa
grandeur ; au genre de vie des peuples, laboureurs, chasseurs,
ou pasteurs : elles doivent se rapporter au degré de liberté que
la constitution peut souffrir, à la religion des habitants, à leurs
inclinaisons, à leurs richesses, à leur nombre, à leur commerce,
à leurs mœurs, à leur manières : enfin elles ont des rapports
entre elles ; elles en ont avec leur origine, avec l’objet du
législateur, avec l’ordre des choses sur lesquelles elles sont
établies. C’est dans toutes ces vues qu’il faut les considérer.23
La démarcation idéologique entre les deux visions sociétales est clairement
établie et ni l’une, ni l’autre ne parviendra à imposer son modèle de société. La
guerre de 1812 en est un parfait exemple.
1.3 La Guerre de 1812 – un conflit pragmatique
Lorsque le conflit de 1812 éclate, les colonies britanniques d’Amérique se
regroupent pour former une étonnante coalition tripartite d’Anglais, de
Canadiens-français et d’autochtones. La collaboration entre les parties est
exemplaire et permet de repousser la menace venant du sud de la frontière.
Cette collaboration enclenche également un sentiment d’appartenance à ce
vaste territoire, qui deviendra plus tard le Canada. Le devoir civique en est un
de participation et non pas de patriotisme comme aux États-Unis. Et c’est cette
participation qui consolide le désir commun d’adopter une façon différente
23 Montesquieu, Des Lois, p.128.
25
d’aborder le projet de vivre-ensemble distinct de celui qu’adopte le nouveau
pays de l’autre côté de la frontière. Bref, la guerre de 1812 donne une
expérience commune aux populations des colonies anglaises d’Amérique et
crée des relations positives entre elles, ce qui met la table pour l’avènement de
la Confédération cinquante ans plus tard.24
Mais avant d’en arriver à la création du Dominion of Canada, plusieurs
tractations animent le paysage politique des deux Canadas. Des événements
majeurs viennent mêler les cartes des élites locales et des autorités
britanniques, ce qui a comme conséquence la remise en question du système
de gouvernance en place à cette époque.
Deux principes menacent l’ordre traditionnel : le principe de la souveraineté populaire, qui tendait à remplacer les monarchies de droit divin par des républiques et le principe de la séparation de l’Église et de l’État, qui mettait en cause le pouvoir temporel de l’Église.25
Le premier principe retiendra davantage notre attention pour les fins de ce
papier. Les élus du peuple tant au Québec qu’en Ontario se battent « pour
obtenir un véritable gouvernement responsable : c’est-à-dire un gouvernement
qui, pour se maintenir au pouvoir, devait conserver la confiance des
députés. »26
24 L’usage courant du terme « confédération » porte à confusion car, bien qu’il soit employé, il
demeure que le Canada est une fédération. Le terme se réfère normalement – comme c’est
le cas ici – au processus politique qui unifia les colonies de l’Amérique du Nord britannique.
25 Monière, Le développement des idéologies au Québec : des origines à nos jours, p.142.
26 Beaudoin, Le fédéralisme au Canada, p.6.
26
Un des personnages à s’être illustré durant cette époque fut le Canadien-
français Louis-Joseph Papineau. Bien qu’à ses débuts en politique il avait une
certaine admiration pour les institutions britanniques, ses opinions changent et
« il devient républicain et s’inspire de plus en plus du modèle démocratique
américain ».27 Papineau écrit : « De tous ces gouvernements, ceux dont le
régime a sans comparaison produit les fruits les plus heureux, a été le
républicanisme pur ou très légèrement modifié des États confédérés de la
Nouvelle-Angleterre ».28 Chef du parti des Patriotes, Papineau réoriente
l’idéologie prédominante des Canadiens-français vers un idéal républicain,
élabore un programme fortement inspiré du modèle américain, et revendique
également des réformes majeures pour rendre le système de gouvernance plus
juste, transparent et responsable. Cet épisode de l’histoire du Canada est d’une
grande importance pour cette thèse puisqu’elle témoigne des premiers
balbutiements du républicanisme « canadien » et d’une ouverture au
libéralisme politique au sein du Bas-Canada, il y a de ça 188 ans. On songe
déjà à se départir du système monarchique britannique et à adopter des
réformes sur des bases idéologiques qui découlent directement des théories
politiques issues du siècle des Lumières ou provenant des États-Unis
27 Monière, Le développement des idéologies au Québec : des origines à nos jours, p.134.
28 Fernand Ouellet, Papineau, pp 100-101.
27
d’Amérique, notamment : l’indépendance du judiciaire, l’élection du Conseil
législatif, la responsabilité de l’exécutif, et la disparition du patronage.29
Papineau inspire les francophones du Bas-Canada à prendre en main les
décisions importantes qui les affectent car, dans les faits, l’Assemblée est
réduite à un rôle hautement artificiel. À cette époque, le véritable pouvoir
demeure toujours entre les mains du gouverneur colonial britannique nommé
par Londres, qui est le chef de l’exécutif et détient les cordons de la bourse.
Malheureusement pour les populations locales, le gouverneur défend
davantage les intérêts de la Grande-Bretagne que ceux du peuple du Bas-
Canada et il possède l’autorité de rendre inopérantes les lois votées par
l’Assemblée majoritairement canadienne-française. Cette situation politique
insidieuse va d’ailleurs mener les Canadiens-français du Bas-Canada, à
l’automne 1837, vers la Rébellion des Patriotes, un moment historique
important. Mais les troupes britanniques et leurs auxiliaires civils sont plus
nombreuses, mieux armées et davantage préparées que les Patriotes, qu’elles
défont facilement. De même, une tentative de rébellion du Haut-Canada menée
parallèlement par William Lyon Mackenzie – qui avait aussi des visées
républicaines et qui voulaient se départir de la monarchie – est également
réprimée par les forces de l’ordre. Tant Papineau que Mackenzie empruntaient
des idéaux démocratiques de l’ère « jacksonienne » visant à protéger les
principes de démocratie populaire et de la liberté individuelle. Mais selon
29 Ouellet, Papineau, p.9.
28
certains historiens, cet épisode agité démontre que les mouvements
semblables de réformes dans les deux Canada n’avaient pas nécessairement
un large soutien populaire à cette époque. En effet :
When political reform did come to the Canadas and the Maritimes, it took the form of orderly British colonial evolution. The reform movements of the 1820s, 1830s, and 1840s in British North America were essentially conservative in their spirit. Although leaders like Mackenzie and Papineau did at times express radical republican or liberal democratic slogans and ideals, the vast majority of Canadian Reformers might be described as “conservative revolutionaries.”30
À la suite des échecs des rébellions au Haut-Canada et au Bas-Canada, la
Constitution de 1791 est suspendue. C’est alors que Londres nomme John
George Lambton, mieux connu sous l’appellation de Lord Durham, à titre de
nouveau gouverneur général. Ce dernier est mandaté d’enquêter et de produire
un rapport sur les mécontentements des « colons » et de recommander des
mesures pour améliorer la gouvernance dans les colonies américaines de sa
Majesté la Reine. Le fameux rapport Durham publié en 1839 recommande
entre autres d’unir les deux Canada en une seule province, ce qui se produit
lorsque le Parlement de Westminster édicta l’Acte d’Union en 1840. Cette
quatrième Constitution est encore une fois une œuvre impériale et marquera un
changement de ton face aux « colons ».
L’Acte d’Union est, pour le moins qu’on puisse dire, méprisant. Il étouffe le
principe libéral de la diversité culturelle et écarte l’usage de la langue française
30 Bennett, Paul W., et collab. Canada: A North American Nation, p. 302
29
sur les plans législatif et parlementaire. Malgré ce recul évident pour les
Canadiens-français, il sera fort heureusement de courte durée car l’usage de
leur langue au sein des institutions publiques sera restauré huit ans plus tard
grâce aux fructueux efforts de Louis-Hippolyte LaFontaine. Ce dernier, avec
son homologue ontarien Robert Baldwin, furent les principaux artisans de
l’avènement du gouvernement responsable au Québec et en Ontario en 1847,
la Nouvelle-Écosse ayant déjà adopté cette forme de gouvernance l’année
précédente. Cette époque devient instrumentale au chapitre de la dynamique
qui s’installe suite à l’Acte d’Union et qui aura des répercussions sur la forme
de gouvernance qu’adopteront les Pères de la Confédération. Dans les faits,
les deux provinces centrales, qui n’en forment plus qu’une depuis 1840,
commencent déjà à adopter une forme de fédéralisme. Elles sont
fondamentalement très différentes sur les plans de la culture, du droit, de la
langue et de la religion, mais elles réussissent tout de même à collaborer et à
trouver des compromis acceptables pour chacune des parties. Par conséquent,
certaines lois ne s’appliquèrent qu’à l’une ou à l’autre province.31
Par ailleurs, la fragilité des colonies britanniques au nord de la république
américaine, la guerre civile aux États-Unis et les enjeux politiques et
économiques sont des éléments qui poussent le Canada vers une réflexion
portant sur le besoin de former une fédération en bonne et due forme. Comme
l’historien Paul Bennett l’indique :
31 Beaudoin, Le fédéralisme au Canada, p.7
30
In 1858, Abraham Lincoln uttered his famous dictum that « a House divided against itself cannot stand. » He was saying that the United States could not long endure being half-slave and half-free. His maxim could apply with equal legitimacy to the colonies of British North America: they could not continue to endure the sectional and racial hostility that had paralyzed them into deadlock by the early 1860s. It is no mere coincidence of history that, just as the American union was being fractured by a bloody civil war, the British North American colonies were awakening to the advantages of union.32
Voilà donc un aperçu des circonstances historiques qui font en sorte que
certains interlocuteurs clés des colonies de l’Amérique du Nord britannique
s’accordent pour amorcer les discussions qui mèneront à la formation d’un
nouveau pays, le Canada. Avec ses peuples autochtones, ses habitants
d’origine française et sa forte population anglaise, les décisions entourant le
choix du type de gouvernance du Dominion of Canada requiert de la part des
Pères fondateurs un doigté et une sagesse exemplaires, qui seront
déterminants pour la suite des choses. Fidèles à la réputation qui caractérise
encore aujourd’hui les Canadiens, les Pères du Canada optèrent pour des
compromis – mais comme nous le verrons – à saveur British.
Ce parcours historique importe parce qu’il définit le cadre et le contexte
communs dans lesquels les Canadiens et Canadiennes débattent de leurs
valeurs et de leurs priorités distinctes. Le peuple canadien s’inscrit dans ce
cadre de nature téléologique, qui devient la toile de fond sur laquelle doivent
s’appuyer ses réflexions. C’est à l’intérieur de ce cadre, qui évolue
32 Bennett, Paul W., et collab. Canada: A North American Nation, p.310
31
constamment, que se trouvent les points de référence sur lesquels la société
peut puiser son inspiration afin d’y dégager une identité commune. En 1867, les
Pères de la Confédération s’accordent sur une identité commune très
conservatrice. La réalité est différente en 2016 – nous y reviendrons plus tard.
32
Chapitre 2. Le Dominion du Canada : une monarchie
constitutionnelle canadienne
La monarchie constitutionnelle adoptée par le Canada ne faisait pas l’unanimité
auprès des Pères de la confédération. Pourtant, c’est le système de
gouvernance qui fut favorisé. Ainsi, l’objectif de ce chapitre est de démontrer
les raisons pour lesquelles ce système fut choisi comme forme de
gouvernance; quelles conséquences politiques en découlèrent; et quel rôle le
monarque britannique a joué et continuera de jouer au fil des ans à titre de chef
d’État du Canada.
2.1 Le Canada : un compromis typiquement canadien Né d’une volonté sincère de forger un projet de vivre-ensemble hors du
commun à l’époque, le Canada a officiellement vu le jour le 1er juillet 1867. Ce
projet de fédérer plusieurs colonies de l’Amérique du Nord britannique fut, et
demeure encore aujourd’hui, un tour de force qui donne lieu à des débats
entres historiens et politicologues sur les raisons qui ont poussé les acteurs de
l’époque à créer ce nouveau pays. Compte tenu des circonstances du temps,
certains qualifieront la création du Canada comme étant un coup de maître,
disant même qu’il s’agit de « the greatest birth of a new nation in the world
since the American Revolution… ».33 D’autres, en complet désaccord avec
cette interprétation, diront plutôt que ce fut le résultat d’une « croisade »
soutenue par le gouvernement britannique qui eut comme conséquence de
33 Black, Rise to Greatness: The History of Canada from the Vikings to the Present, p.316.
33
renforcer une « alliance insidieuse » entre les détenteurs du pouvoir séculier
(principalement les anglophones) et ceux du pouvoir ecclésiastique
(majoritairement des clercs francophones).34
Nulle question ici de poursuivre le débat sur les diverses interprétations de la
genèse du Canada, ni de questionner en profondeur les raisons qui ont motivé
les colonies britanniques en Amérique du nord à vouloir forger un pays. Par
contre, il est essentiel pour notre propos de poursuivre cet exercice de
compréhension et d’analyse des éléments contextuels clés qui ont mené à la
naissance du Canada et des choix institutionnels qui ont été faits à l’époque
pour son édification. Alors que les Américains favorisent de leur côté de la
frontière la liberté et les nouvelles valeurs démocratiques issues du siècle des
Lumières tout en s’en prenant au prestige des élites coloniales, le Canada
demeure fidèle à son passé impérial et répond à l’élan révolutionnaire des
États-Unis avec une sorte de contre-révolution, préférant le maintien des
valeurs aristocratiques traditionnelles afin de préserver l’ordre social établi.
Selon l’historien W.L. Morton, le Canada devient donc « une terre de tradition et
de convention ».35
Le politicologue canadien Peter H. Russell, dans son célèbre ouvrage The
Constitutional Odyssey, résume la situation ainsi :
34 Yannick Barrette, L'idéal républicain : réflexion sur le passé et l’avenir du Québec, p.51.
35 W.L. Morton, The Canadian Identity, p.28.
34
There was scarcely a whisper of popular sovereignty in Canada’s Confederation movement. This was because the leading politicians in British North America at the time of Confederation were thoroughly counter-revolutionary in their political orientation. Earlier, the ideologies of the American and French revolutions had found significant followings in Britain's northern colonies. Papineau’s Patriots in Lower Canada and Mackenzie’s rebels in Upper Canada were stirred by more radical conceptions of democracy. But the rebellions of the 1830s were totally crushed. By the 1860s the constitutional theories associated with the rebellions were in total eclipse. The political elites who put Confederation together were happy colonials. Their basic constitutional assumptions were those of Burke and the Whig constitutional settlement of 1689 rather than of Locke and the American Constitution.36
Outre les raisons politiques, il existe évidemment des motifs militaires et
économiques qui poussent les politiciens canadiens à se réunir et conclure une
entente qui aboutira à un pays. D’une part, il y avait une crainte bien réelle des
armées du Nord des États-Unis, qui étaient victorieuses de la guerre de
Sécession américaine. Étant donné que le Royaume-Uni avait appuyé le Sud
lors de ce conflit, des représailles pouvaient légitimement être anticipées au
nord de la frontière.
D’autre part, d’un point de vue économique, la création du Canada est pour
certains la meilleure solution possible de sortir les colonies britanniques de
leurs difficultés économiques et financières. Notons que l’année 1864
« marquait la fin du traité de réciprocité que les Américains ne voulaient pas
renouveler. Il fallait donc trouver de nouveaux marchés pour les produits
36 Peter Russell, Constitutional Odyssey, p.12.
35
canadiens ».37 Les divers tarifs douaniers et les nombreuses réglementations
commerciales entre ces colonies s’avèrent de véritables obstacles
commerciaux qui nuisent à la croissance économique. Selon S. Ryerson, le
facteur déterminant de la formation de la fédération canadienne est l’essor
d’une industrie capitaliste canadienne-anglaise fondée sur le développement
des chemins de fer, qui nécessitait la création d’un État unifié et autonome,
pour favoriser l’expansion des marchés internes.38 Les chemins de fer
deviennent ainsi l’épine dorsale économique de la nation canadienne. Il y a
donc un désir des parties d’en arriver à un arrangement pour renforcer
l’économie des colonies.
De plus, au début des années 1860s, les autorités britanniques démontrent une
grande ouverture à l’idée que des colonies anglaises, comme celles en
Amérique du nord, assument une plus grande part des responsabilités
financières pour leur propre défense, ce qui réduirait par conséquent le fardeau
des payeurs de taxes britanniques. Londres encourage les discussions en ce
sens. Trois conférences constitutionnelles (Charlottetown, Québec et Londres)
se succèdent et produisent des résolutions qui serviront de canevas au British
North America Act, qui donnera officiellement naissance au Canada, tel qu’on le
connaît aujourd’hui. Pour créer le Dominion du Canada, les Pères de la
fédération se sont fortement inspirés du modèle fédératif américain en tenant
37 Monière, Le développement des idéologies au Québec : des origines à nos jours, p.195.
38 Ibidem.
36
compte des particularités du nouveau pays qu’ils voulaient fonder et en
maintenant un lien non négligeable avec l’empire britannique. Le Canada
deviendra donc une fédération, au même titre que les États-Unis d’Amérique.
Mais contrairement à son voisin du sud, dont la constitution repose sur la
volonté populaire tel qu’indiquée dans le préambule avec son « Nous, le peuple
des États-Unis »39, les Pères de la fédération canadienne garderont la Reine au
centre de la construction constitutionnelle.40 Il s’agit d’une distinction majeure
entre les deux pays nord-américains. La suggestion des colonies de l’Amérique
du nord britannique de se fédérer est accueillie favorablement par Londres. Tel
que mentionné ci-haut, les autorités anglaises voient d’un bon œil toutes
tentatives de réduire les appuis financiers et militaires. Cela permettrait à la
Grande-Bretagne de réduire considérablement les dépenses encourues par le
maintien des colonies traditionnelles.
Pour leur part, les Pères de la fédération canadienne n’osent pas aller si loin
que leurs confrères américains. Il ne faut pas s’en étonner. La majorité d’entre
eux, tant du Haut-Canada que du Bas-Canada et des colonies de l’Atlantique,
proviennent de la tradition « Tory » et leur inspiration philosophique découle
davantage des écrits d’Edmund Burke, un Irlandais considéré comme le grand
39 Textes constitutionnels Étrangers, 1991, p.25.
40 N. Cox, The Theory of Sovereignty and the Importance of the Crown in the Realms of The
Queen, 2(2) Oxford University Commonwealth Law Journal (2002) -- cité dans E Law: Black
v Chrétien: Suing a Minister of the Crown for Abuse of Power, Misfeasance in Public Office
and Negligence.
37
défenseur du conservatisme et des valeurs aristocratiques. Mais c’est Alexis de
Tocqueville, qui à mon avis, résume le mieux les valeurs « tories » dans ses
écrits. Commentant la société anglaise, Tocqueville explique :
Placés à une distance immense du peuple, les nobles prenaient cependant au sort du peuple cette espèce d’intérêt bienveillant et tranquille que le pasteur accorde à son troupeau ; et, sans voir dans le pauvre son égal, ils veillaient sur sa destinée, comme sur un dépôt remis par la Providence entre leurs mains.41
Pour les adeptes des téléséries contemporaines, les valeurs véhiculées dans
l’émission Downton Abbey en sont un parfait exemple ! La classe dominante
assumait la responsabilité de s’assurer que les conditions de vie des ‘petites
gens’ étaient acceptables, sans toutefois promouvoir l’émancipation de ces
derniers. Cette vision conservatrice de la société était partagée par la classe
ecclésiastique puisqu’il s’agit d’une idéologie qui « survalorise l’identité
collective et privilégie un type de société fortement axée sur des valeurs
spirituelles ».42
D’un point de vue sociologique, la société conservatrice s’inscrit très bien dans
la perspective de la morale d’Émile Durkheim, tel qu’expliquée par le
sociologue Jacques Beauchemin :
La société est sacrée aux yeux de l’acteur dans la mesure où c’est elle qui le protège et confère un sens à son existence. La soumission à la morale est alors rendue possible par le fait que l’acteur social reconnaît dans cette soumission la possibilité même de l’existence sociale. C’est en absolutisant la société en tant que matrice de sens et référent ultime de sa pratique que
41 Tocqueville, De la démocratie en Amérique, p.44.
42 Victor Teboul, Le Jour : Émergence du libéralisme moderne au Québec, p.32.
38
l’acteur renonce à laisser libre cours à ses appétits individualistes potentiellement destructeurs du lien social.43
La perspective sociologique est d’une importance capitale car elle rend compte
du fait que le vécu éthique de chaque individu est pris en charge dans l’histoire
et appartient toujours à une contingence.44 Rappelons que c’est d’ailleurs
l’objectif de cette thèse de démontrer que les conditions d’une véritable éthique
sociale dépendent non seulement de la relation entre les individus mais
également du lien avec les institutions qui régissent la société; et qu’au moment
de la création du Canada, les valeurs morales étaient bien reflétées dans le
choix de gouvernance du pays, mais que depuis près de 150 ans, l’évolution
des mœurs fait maintenant en sorte que la plus haute fonction de l’État est
déconnectée des valeurs contemporaines canadiennes qui s’apparentent
davantage à celles de nos cousins français et américains. Beauchemin fait
remarquer que :
C’est dans l’institution que s’achève la construction du rapport éthique au monde, dans la mesure où c’est dans le désir d’une universalisation de la réciprocité, celle-là même qu’expérimente le soi dans son rapport dialogique à l’autre par l’intermédiaire duquel il s’érige en sujet moral, que s’institutionnalise un projet collectif, un projet d’égalisation et de justice qui se donne à lui-même dans la pérennité.45
Le projet collectif canadien n’a pas encore réalisé sa pleine égalisation, puisque
la Reine demeure au-dessus du peuple. Cela fait en sorte qu’il y a encore un
43 Jacques Beauchemin, La société des identités : Éthique et politique dans le monde
contemporain, p.104.
44 Beauchemin, c., p.103.
45 Ibid, p.102.
39
débalancement au point de vue de la justice sociale, comme nous le verrons
plus loin.
Ainsi, la société conservatrice s’imposera dans le nouveau Canada. Du côté du
Bas-Canada majoritairement francophone, c’est le conservateur George-
Étienne Cartier qui défendra ardemment les valeurs britanniques. De leur côté,
les représentants du Haut-Canada retrouvent en Sir John A. Macdonald un
porte-parole efficace dans la défense de la monarchie et de ses institutions.
George-Étienne Cartier et John Macdonald étaient convaincus
que le prestige du monarque britannique unirait Canadiens
français et Canadiens de souche britannique, au sein d'un
Dominion appelé à concurrencer la République américaine et qui
laisserait à sa minorité une autonomie assujettie à toutes les
contraintes et les fictions du régime britannique.46
Rejetant conjointement les principes républicains – le premier par peur d’une
assimilation complète, ce qui entraînerait la perversion, voire la perte des
valeurs catholiques, et le deuxième certainement par pur principe – les
dominants anglo-saxons à la faveur de leurs serviteurs ecclésiastiques et
politiques (franco-québécois) mirent en place des structures qui favorisaient le
renforcement du traditionalisme et du conservatisme.47 S’en est suivi une
société conservatrice, organisée selon les hiérarchies et traditions de la
Grande-Bretagne.
46 Marc Chevrier, La république québécoise : Hommages à une idée suspecte, p.62.
47 Barrette, L'idéal républicain : réflexion sur le passé et l’avenir du Québec, p.51.
40
L’option de bâtir une société « libérale » est perçue comme une menace au
statu quo, qu’on cherche à maintenir. L’ouvrage Lament of a Nation de George
Grant décrit merveilleusement bien la situation dans laquelle se retrouve la
société canadienne à ses tout débuts.
We were grounded in the wisdom of Sir John A. Macdonald, who saw plainly more than a hundred years ago that the only threat to nationalism was from the South, not from across the sea. To be a Canadian was to build, along with the French, a more ordered and stable society than the liberal experiment in the United States.48
Sir John A. Macdonald et ses confrères n’avaient guère l’idée de générer des
tensions avec la mère patrie anglaise. Même si leurs intentions allaient à
l’encontre des mouvements révolutionnaires qui faisaient encore couler
beaucoup d’encre et qui se manifestaient un peu partout sur la planète, les
Pères de la fédération canadienne maintiennent un modèle de société basée
sur les valeurs traditionalistes. Ils « étaient des hommes politiques désireux
d’en arriver à un compromis. »49
Les membres de l’élite tiennent à conserver leur style de vie et les valeurs qui
encadrent la société canadienne de l’époque. La monarchie constitutionnelle
comme forme de gouvernance n’est jamais remise en question par les
fondateurs du Canada. La question ne se pose même pas, bien qu’il y ait à la
même période un profond vent de républicanisme dans plusieurs autres États.
48 George Grant, Lament for a Nation: The Defeat of Canadian Nationalism, p.5
49 Beaudoin, Le fédéralisme au Canada, p.21
41
Du côté canadien, on cherche à réagir contre les influences libérales en créant
une société toujours aussi conservatrice, monarchique et ecclésiastique. Ce
projet politique d’un pays aux racines foncièrement anglaises offre une
différentiation politico-identitaire notable face, notamment, aux États-Unis
d’Amérique. Les élites du temps tiennent à ce que l’État protège leurs cultures
minoritaires; les Canadiens-anglais contre les Yankees, et les Canadiens-
français contre les anglophones. Le sociologue américain, Seymour Martin
Lipset, comparant les expériences historiques des États-Unis et du Canada
note que :
Both major Canadian linguistic groups sought to preserve their values and culture by reacting against liberal revolutions. English-speaking Canada exists because she opposed the Declaration of Independence; French-speaking Canada, largely under the leadership of Catholic clerics, also sought to isolate herself from the anti-clerical democratic values of the French Revolution.50
Cependant, les Pères fondateurs ne sont pas toujours d’accord sur certains
enjeux importants. Sir John A. Macdonald, par exemple, aurait préféré un État
unitaire comme l’Angleterre alors que George-Étienne Cartier, entre autres,
insista sur le fait que le Canada devait être une fédération. Certains
contemporains avaient même proposé le système d’une réelle confédération –
où des États souverains choisissent de déléguer des compétences à des
organes communs dans un certain nombre de domaines, sans constituer
cependant un nouvel État superposé aux États membres – comme étant le plus
approprié. Mais c’est le système fédératif qui sera retenu. Macdonald avait
50 Seymour Martin Lipset, Canada and the United States: The Cultural Dimension, pp 110-111.
42
d’ailleurs déjà étonnamment déclaré en 1865 : « Nous avons eu pour nous
guider l’expérience des États-Unis. Je ne suis pas un de ceux qui regardent la
constitution des États-Unis comme un coup manqué. Je crois que c’est une des
plus grandes œuvres que le génie humain ait jamais créée. Mais dire qu’elle
est parfaite, serait se tromper ».51 C’est ainsi que les 33 Pères de la fédération
ont fait bien attention de trouver un compromis utilitariste, qui allait plaire au
plus grand nombre possible, incluant Londres et les groupes minoritaires
linguistiques, qui retrouvent des pouvoirs et des protections enchâssés dans la
constitution.
Pour cette raison, bien que le fédéralisme fût choisi en tant que régime
constitutionnel – comme chez l’Oncle Sam – le préambule de la Loi
constitutionnelle de 1867 indique clairement que la fédération canadienne, lors
de sa création, a désiré « contracter une Union Fédérale pour ne former qu’une
seule et même Puissance (Dominion) sous la couronne du Royaume-Uni de la
Grande-Bretagne et d’Irlande52». Le Canada s’est donc distancé à plusieurs
égards des États-Unis, en héritant au moment de sa création des grands
principes du droit constitutionnel anglais tels qu’ils existaient à cette époque.53
Le Canada naît officiellement en 1867, mais il n’est pas complètement
51 R. Ares, Dossier sur le pacte confédératif de 1867 – Débats sur la Confédération, p. 33.
52 Loi constitutionnelle de 1867, 30 et 31 Victoria, ch. 3 (R.-U.), préambule.
53 Brun, Tremblay, p.10.
43
autonome pour autant. La Couronne anglaise garde une mainmise sur le
Dominion, du moins pour un certain temps.
2.2 La souveraineté canadienne : un idéal inachevé
Pour les fins de cette thèse, il faut comprendre que lors de sa création, le
Canada n’était pas un pays entièrement souverain. Sa souveraineté fut
soumise à une longue évolution qui n’a toujours pas, selon plusieurs dont
l’auteur de cette thèse, abouti à sa finalité qui se veut évidemment l’abolition du
régime monarchique britannique pour le remplacer par un régime républicain.
Ce ne serait qu’avec une telle réforme que le Canada deviendrait enfin
entièrement souverain et ce changement de régime ne laisserait place à
aucune ambiguïté quant à la souveraineté du Canada en tant qu’État, mais
aussi en tant que peuple. Selon moi, une gouvernance républicaine canadienne
serait plus fidèle aux idéaux partagés par la société qu’elle représenterait car,
depuis 1867, il y a eu un rattrapage important au chapitre des mœurs et des
idéaux qui régissent la société canadienne. Mais avant d’aborder l’évolution
des mœurs au pays, prenons un instant pour examiner l’importante dimension
de la souveraineté.
La souveraineté du pays est au cœur du questionnement entourant le projet de
vivre-ensemble canadien et des liens institutionnels et symboliques qui en
découlent. Car faut-il rappeler que la monarchie britannique, encore
aujourd’hui, maintient un droit de regard sur les affaires du pays. Il vaut la peine
44
de bien comprendre d’où viennent les pouvoirs, les prérogatives et les
immunités que conserve encore la Reine. Cette compréhension permettra de
dégager des pistes de solution dans la concrétude de rapports sociaux avec
l’État et le reflet des visées éthiques soutenues par cette thèse dans de
nouvelles institutions modernes.
Mais qu’est-ce que la souveraineté ? Qu’apporte-t-elle à un peuple ? À des
époques plus ou moins reculées, différents États ont connu une notion
exclusivement personnelle de la souveraineté. Le pouvoir de commander
appartenait à une personne ou à quelques personnes conjointement, mais il
était impossible autrefois de concevoir qu’il pouvait appartenir à une collectivité
comme c’est le cas aujourd’hui dans plusieurs sociétés. Ce pouvoir personnel
de commander résultait de l’autorité individuelle ou de la force physique, tenait
à l’ascendance ou encore découlait de l’autorité divine. Progressivement, cette
notion de souveraineté personnelle fait place à la notion d’une souveraineté
collective, celle du peuple, où le pouvoir ultime de commander pouvait relever
de la collectivité et non uniquement d’une personne.
À partir du moment où l’on établit qu’en théorie les compétences de l’État sont
illimitées, il convient de s’interroger sur la source et la nature de ce pouvoir. Et
à la question de la souveraineté de l’État se greffe nécessairement la question
de la souveraineté dans l’État. Il ne s’agit plus alors de s’interroger sur les
compétences de l’État, mais de savoir qui est le souverain de l’État. Il serait
d’ailleurs intéressant de poser la question aux Canadiennes et aux Canadiens,
45
afin de constater à quel point la réponse est difficile à cerner. Il faut localiser
concrètement le pouvoir originaire de commander au sein de l’État. Dans le
contexte canadien, ce n’est pas nécessairement évident pour les non-politisés.
Cette question, de nature politique, soulève également des enjeux éthiques et
juridiques. Mais la souveraineté de l’État est aussi une question historique.
En 1867, le Dominion du Canada est un nouveau pays qui possède désormais
les compétences pour gérer plusieurs politiques internes, mais il demeure
subordonné à la mère patrie sur d’autres plans, dont la politique extérieure, car
le colonialisme et l’impérialisme britannique demeurent bien présents. Ce n’est
que graduellement que le Canada accèdera à une plus grande souveraineté
politique même si en 2016, cette souveraineté n’est toujours pas pleinement
réalisée. Par exemple, suite à la première guerre mondiale, le Canada participe
et signe, en 1919, le Traité de Versailles. Il s’agit d’un premier pas vers une
reconnaissance internationale. L’évolution vers la souveraineté se poursuit
lorsqu’en 1923, un ministre canadien, Ernest Lapointe, négocie et signe un
traité pour le Canada sans la présence des plénipotentiaires britanniques. Par
la suite, en 1926, un ambassadeur canadien est nommé à Washington. Et cette
même année, la Conférence impériale de 1926 reconnaît le statut
d’indépendance et d’égalité du Canada face au Royaume-Uni. La Déclaration
Balfour issue de cette conférence rend officiel un état de fait préexistant :
1) que le Royaume-Uni et les Dominions sont égaux et non subordonnées
et qu'ils sont unis par une commune allégeance à la Couronne et
librement associés comme membres du Commonwealth ;
46
2) que le gouverneur général du Canada représente la Couronne du
Canada, et non plus le gouvernement britannique et qu’il détient par
rapport au Canada la même position que la Reine par rapport au
Royaume-Uni.
Dans le Renvoi sur les droits miniers sous-marins, la Cour suprême déclare
sans équivoque :
There can be no doubt that Canada has become a sovereign state. Its sovereignty was acquired in the period between its separate signature of the Treaty of Versailles in 1919 and the Statute of Westminster, 1931.54
Il faudra donc attendre jusqu’en 1931 (64 ans après la naissance du pays),
avec le Statut de Westminster, pour que le Canada soit reconnu comme étant
un État souverain – tout comme plusieurs autres pays membres de l’Empire
britannique (dominions). Le Statut, qui donne effet aux résolutions adoptées
lors des conférences impériales de 1926 et 1930, permet dorénavant au
Canada d’adopter des lois contraires à la législation britannique. Il retire
également au gouvernement britannique l’autorité unilatérale de légiférer pour
un dominion. Cependant, un bémol important relativise toujours la souveraineté
du Canada; ce dernier ne peut toujours pas modifier sa propre Constitution
sans l’accord du Parlement britannique. Ce ne sera qu’en 1982, avec le
rapatriement de la Constitution, que le Canada pourra finalement y parvenir.
54 Renvoi sur les droits miniers sous-marins, supra, note 5, p. 816.
47
Mais même avec le rapatriement de la constitution, le Canada demeure une
monarchie constitutionnelle pourvue de la Reine comme chef d’État. Le cordon
ombilical n’est pas complètement coupé. La classe politique canadienne de
cette époque, tout comme ses prédécesseurs, n’a pas voulu aller aussi loin que
de se départir entièrement de la Reine d’Angleterre, malgré les pirouettes (du
premier ministre Pierre Elliott Trudeau) faites à son insu ! Les commentateurs
durant cette période parlent d’ailleurs d’un projet inachevé. Suite au
rapatriement, Jean-Louis Roy, directeur du quotidien Le Devoir, écrivait dans
ses pages que :
[la « nouvelle constitution »] ressemble davantage à une rallonge à un bâtiment vétuste qu’à une véritable rénovation, depuis les fondements consolidés jusqu'à la révision et le remplacement des mécanismes assurant les fonctions essentielles. Cependant cette pièce est d’importance. Elle annonce et fonde un changement radical dans les relations et les règles constitutionnelles. Elle pourrait conduire à la rénovation. » 55
Mêmes échos du côté américain où l’éditorial du Chicago Tribune se lisait
comme suit :
The transfer of constitutional power is a considerable political triumph for Prime Minister Trudeau, but it marks not the end of a process but the beginning. Even though it is now a Canadian document, the 1867 act remains British in form and substance, complete with an anachronistic provision retaining Elizabeth as Queen of Canada.56
Le texte paru dans le quotidien de Chicago illustre à quel point cet exercice de
rapatriement de la constitution n’allait pas assez loin. Il n’est qu’une autre étape
dans la perspective téléologique de notre pays, qui mènera à se départir une
55 Jean-Louis Roy, Le Devoir (Québec, Canada), 17 avril 1982, p. 10.
56 Éditorial, Chicago Tribune (Chicago, États-Unis), 5 avril 1982.
48
fois pour toute des institutions périmées de notre gouvernance. Pour l’instant, le
projet de souveraineté canadienne n’est toujours pas pleinement assumé, ni
complété. Le monarque britannique garde une certaine emprise sur le Canada.
Rappelons que c’est la Reine Victoria qui avait choisi Ottawa, Ontario, comme
l’emplacement de la capitale fédérale du Canada. Mais plusieurs sont sûrement
sans savoir qu’encore aujourd’hui, la Reine du Canada peut modifier son choix
à sa guise !57 Comment peut-on alors parler du Canada comme étant un pays
souverain lorsqu’une « étrangère » peut décider de changer sa capitale
fédérale, tel que prévu dans la constitution ? Le mot « royal » apparaît d’ailleurs
toujours dans plusieurs appellations d’institutions publiques : la Gendarmerie
royale du Canada, la Société royale du Canada, etc. Il faut le consentement du
souverain pour l’utiliser. C’est une de ses nombreuses prérogatives.58 Faudrait-
il son consentement pour s’en départir ? Nous y reviendrons.
2.3 Le chef d’État du Canada : la Reine d’Angleterre
Il est important de préciser qu’au Canada, selon l’article 9 de la Loi
constitutionnelle de 1876, la Reine incarne l’Exécutif, sous l’avis de certains
élus :
La plupart des pouvoirs de la Couronne en vertu de la prérogative sont seulement exercés sur l’avis du premier ministre ou du cabinet ce qui signifie que ces derniers l'exercent
57 En vertu de l’article 16 de la Loi constitutionnelle de 1867.
58 Beaudoin, p.67
49
effectivement, ainsi que les innombrables pouvoirs délégués par les lois à la Couronne en conseil.59
À noter que l’article 9 ne peut être lu isolément. La Reine est assistée d’un
Conseil privé qui a la responsabilité de l’aviser. La Reine, comme chef de l’État
du Canada, est aussi commandant en chef des forces armées canadiennes. En
effet, nos soldats se battent encore en théorie pour la Reine d’Angleterre. De
même pour les nouveaux-Canadiens qui doivent encore prêter serment à la
Reine lorsqu’ils acquièrent leur nouvelle nationalité canadienne.
Essentiellement, ces pratiques sont des reliquats du colonialisme anglais et
elles ne devraient plus avoir leur place en 2016, mais tradition oblige. Il faut
souligner que le colonialisme avait pour but de justifier l’extension de la
souveraineté d’un État sur des territoires situés en dehors de ses frontières
nationales, comme ce fut le cas avec les colonies britanniques nord-
américaines. Force est d’admettre que le Canada a été et demeure
grandement influencé par l’impérialisme anglais – à ne pas confondre avec le
colonialisme – d’un point de vue institutionnel, juridique et politique. Par
exemple, la Reine est non seulement chef d’État, mais elle est également à la
tête du pouvoir législatif. Les lois sont donc édictées par elle sur avis et
consentement de la Chambre des communes et du Sénat. L’édit des lois
votées au Parlement canadien se lit d’ailleurs comme suit : « Sa Majesté de
l’avis et du consentement du Sénat et de la Chambre des communes,
59 Renvoi: Résolution pour modifier la Constitution, supra, note 7, p. 878.
50
édicte:... ». Et la Reine est aussi fontaine de la justice au Canada contrairement
à d’autres démocraties modernes. La justice est effectivement rendue en son
nom comparativement aux États-Unis ou en France où la justice est rendue par
le juge au nom du peuple souverain. Il s’agit d’une différence marquante et qui
illustre à quel point le Canada demeure ancré dans des traditions féodales qui
ne s’apparentent aucunement aux valeurs de justice actuelle.
Tous ces exemples démontrent que la Reine est omniprésente dans les affaires
de l’État canadien. Elle est la source des honneurs. La Couronne est en fait
une institution qui existe in se, ce qui veut dire qu’Elle ne meurt pas.60 « Le
Souverain existe toujours, seule la personne est changée. » Dès la mort du
Souverain, l’héritier accède au trône sans hiatus suivant les termes de la Loi
sur la succession au trône61, d’où l’expression « Le Roi est mort. Vive le Roi ! »
La Couronne est donc incarnée par une personne physique, tel que confirmé
par le juge Pigeon dans l’affaire Verreault :
Sa Majesté est évidemment une personne physique, et je cherche en vain le principe d’après lequel les règles générales du mandat, y compris celles du mandat apparent, ne lui seraient pas applicables.62
Cela dit, il est important de réaliser qu’au cours des siècles, le Parlement a
grugé les pouvoirs du Souverain et le résidu de ses pouvoirs royaux constitue
60 Le Roi c. Desrosiers, (1909), 41 R.C.S. 76, p.77.
61 S.C. 1937, ch. 16
62 Verreault c. P.G. du Canada, (1975) 57 D.L.R. (3d) 403, p. 408.
51
ce qu’on appelle la prérogative royale. Dans son ouvrage intitulé Laws of
England, Halsbury définit la prérogative royale comme suit :
The Royal Prerogative may be defined as being that pre-eminence which the Sovereign enjoys over and above all other persons by virtue of the Common Law, out of its ordinary course, in right of her regal dignity and comprehends all the special dignities, liberties, privileges, powers and royalties allowed by the Common Law to the Crown of England.63
La prérogative royale n’est pas simplement symbolique. Elle ne peut être
contrôlée par les tribunaux bien que, depuis 1982, avec l’arrivée de la Charte
canadienne des droits et libertés, cette prérogative est désormais liée par ladite
Charte. Mais seul le monarque n’y a droit, personne d’autre. N’est-ce pas un
autre bel exemple d’une institution inégalitaire ? Avec le temps, le Parlement
s’approprie de plus en plus des pouvoirs du souverain. Certains pouvoirs
passent même du Parlement au Cabinet (ou Conseil des ministres). La Reine
ne conserve en réalité que certains pouvoirs réels et discrétionnaires car la
presque totalité de ses pouvoirs sont exercés sur l’avis de ses ministres et du
premier ministre, ce dernier se voulant le premier de ses conseillers en vertu
d’une convention constitutionnelle maintenant bien établie.
Au fil des ans, la Couronne a peut-être perdu la capacité de légiférer,64 ainsi
que le déclare le juge en chef Laskin dans le Renvoi sur la Loi anti-inflation
mais en plus de ses prérogatives, elle jouit encore de plusieurs immunités. De
plus, dans l’arrêt Radio-Canada, il fut déclaré qu’il répugne au principe de
63 Halsbury, Laws of England, 3rd ed., 1954, t. 7, p. 221.
64 Renvoi sur la Loi anti-inflation, (1976) 2 R.C.S. 373.
52
l’immunité de la Couronne que cette dernière soit assujettie à une disposition
de nature punitive.65 Une loi ne lie jamais la Couronne, à moins qu’elle ne le
prévoie expressément. Le Parlement fédéral canadien a le droit de lier la
Couronne provinciale quand il légifère dans sa sphère législative.66 Tout ceci est
important car l’immunité de la Couronne est une question d’intérêt public, écrit
le juge de la Cour Suprême Antonio Lamer, car cet intérêt ne justifie pas que la
Couronne bénéficie d’une immunité absolue en matière de justice abusive.
L’ancienne lieutenant-gouverneur du Québec, Lise Thibault, l’a découvert à son
insu. Elle n’a pas pu bénéficier de l’immunité dont elle se croyait investie. Elle
n’était après tout qu’une simple représentante de la Reine.
C’est qu’au Canada, le gouverneur général représente le chef d’État étant
donné que la Reine n’habite pas en sol canadien et n’est même pas
canadienne. De leurs côtés, les lieutenant-gouverneurs représentent le
Souverain pour les fins provinciales. Avant d’entrer en fonction, ils prêtent
serment à la Reine devant le gouverneur général. Le premier ministre du
Canada et ses homologues provinciaux, pour leur part, sont le chef de leur
gouvernement respectif. Il y a donc une autorité bicéphale au pays, et ce, tant
au niveau fédéral que provincial. Au cours des dernières décennies, le
gouverneur général a entrepris des voyages à l’étranger, comme chef de l’État
canadien. Notre réel chef d’État, le monarque britannique, est une personne
65 La Reine c. Société Radio-Canada, (1957) 118 C.C.C. 200.
66 A.G. Québec c. Nipissing Central Railway Co., (1926) A.C. 715.
53
désignée héréditairement et ses pouvoirs sont circonscrits par des règles
constitutionnelles. Comme au Royaume-Uni, la monarchie au Canada survit à
un contexte historique complètement révolu.67 Mais au fil du temps, une
véritable substitution s’opère progressivement : la Reine, pas plus d’ailleurs que
ses représentants canadiens, n’exerce plus d’aucune façon les fonctions
législatives ou gouvernementales. Ils jouent un rôle qui relève plus de la
symbolique que de la gouvernance. Il serait donc logique de s’attendre à ce
que disparût l’institution. Mais non, ce n’est pas le cas. Si elle a été conservée
depuis la naissance du pays, c’est fort probablement par simple tradition et
pure fidélité historique. Et comme l’adage anglais le résume si bien : « If it’s not
broken, why fix it? »
Le monarque, et par conséquent ses représentants les gouverneurs, sont
devenus dans le système britannique des officiers publics un peu particuliers,
dont on justifie l’existence de la façon suivante : comme chefs de l’État, ils sont
supposés incarner la pérennité de l’État parce qu’ils transcendent la politique
partisane et demeurent en place même dans les moments de crises politiques
les plus graves. En effet, ils pourraient temporairement assurer sous leur
autorité l’expédition des affaires courantes ou urgentes en l’absence subite de
gouvernants, sans toutefois pouvoir vraiment jouer eux-mêmes le rôle de
gouvernants. Ils peuvent, de plus, procurer un caractère de solennité aux
67 Brun, Droit constitutionnel 3e édition, p.372
54
décisions gouvernementales. Enfin, ils déchargent le chef du gouvernement de
cérémonies officielles et activités de représentation.68
Pour certains analystes, la présence du chef d’État au Canada est
essentiellement symbolique et demeure une question de formalité
institutionnelle sans conséquences concrètes sur les principes fondamentaux
du fonctionnement des systèmes parlementaire et fédératif qui y prévale. Là
n’est pas le problème. L’enjeu ne découle pas des pouvoirs réels ou
superficiels de la fonction. Que ladite fonction soit symbolique ou qu’elle
possède de véritables pouvoirs, l’extraordinaire incongruité réside dans le fait
qu’un citoyen canadien ne pourra jamais accéder à ce poste de chef d’État du
Canada. Nous reviendrons sur l’aspect symbolique plus tard, qui n’est pas à
négliger, surtout d’un point de vue éthique et de son impact réunificateur sur
une société pluraliste comme la nôtre.
Tel que démontré au chapitre 2.1, les Pères de la fédération avaient fait des
choix politiques qui étaient tout à fait respectables et certainement valables
dans les circonstances du temps. Les traditions tories prévalaient au sein de la
société canadienne pratiquement d’un bout à l’autre du pays. Le choix du
monarque britannique comme chef de l’État canadien se voulait prévisible
puisqu’il constituait dans une forme symbolique et institutionnelle les valeurs
conservatrices prédominantes de cette époque. Cependant, tout comme le
68 Ibidem, p.373
55
débat actuel entourant l’avenir du sénat canadien, le temps est maintenant
venu de remettre en question ce choix de chef d’État, son rôle, ses
responsabilités, voire sa légitimité à la lumière du Canada moderne.
Un sondage effectué par la firme Forum Research le 5 juillet dernier auprès de
1 429 Canadien(ne)s à travers le pays note qu’une majorité de 54% ne veulent
pas que le Prince Charles devienne le prochain chef d’État du Canada. Le
résultat augmente à 60% pour celles et ceux âgés entre 55 et 64 ans.69 Ceci
dit, les opinions demeurent partagées lorsque la question d’abolir la monarchie
est clairement posée avec une mince avance de 43% en faveur d’abolir la
monarchie alors que 40% désirent la maintenir et 17% n’avaient pas d’opinion.
Il aurait été intéressant que ce sondage pose la question aux Canadien(ne)s à
savoir s’ils croyaient que c’était juste et équitable d’avoir un chef d’État désigné
de façon héréditaire en 2016 ? À mon avis, la réponse est claire. Tout comme la
Magna Carta fut érigée à une époque où, mis à part les hausses de taxes, il n’y
avait de réelle raison de se révolter contre le monarque en place, l’institution de
monarchie constitutionnelle ne représente aucunement le projet universaliste
d’égalisation et de justice auquel adhère maintenant une grande majorité de
Canadiens et Canadiennes. Ces derniers sont désormais plus étroitement liés
aux valeurs morales qui transcendent les plus grandes démocraties de la
69 Ashley Csanady, “Canadians not keen on idea of King Charles: poll”, Ottawa Citizen, Monday,
July 11, 2016, NP2.
56
planète, comme la France et les États-Unis d’Amérique, où la liberté, l’égalité et
le gouvernement du peuple pour le peuple et par le peuple prend tout son sens.
Les nouvelles générations de Canadiens s’éloignent des traditions tories et, au
cours des dernières décennies, se sont affranchies de ces coutumes en se
donnant des symboles purement canadiens, une identité multiculturelle bien
différente de celle de 1867, et un projet d’avenir pluraliste et égalitaire qui doit
trouver dans les institutions du pays la pleine reconnaissance de tous les
citoyens comme étant égaux. C’est justement cette forme de sociabilité où
prime l’égalité des chances qui sera à l’étude dans le prochain chapitre.
57
Chapitre 3. Perspectives éthiques
Jusqu’à présent, cette thèse a tenté d’étaler les grandes étapes politico-
historiques qui ont mené à la formation du Canada et au choix de la monarchie
constitutionnelle comme système de gouvernance. Par la suite, il fut question
de comprendre les conséquences politiques du choix de la Reine comme chef
d’État du Canada. Il en découle que les députés canadiens sont élus « pour
servir la Couronne, qui est le concept par lequel les Britanniques conçoivent
l’État »70. Au Canada, comme dans la plupart des pays du Commonwealth, « la
Couronne n’est pas la chose du peuple, elle lui échappe a priori »71. Il est donc
temps de laisser l’explication socio-politico-historique du choix de notre chef
d’État afin d’aborder de manière spécifique la dimension éthique. Mais tout
comme les perspectives historiques étaient importantes pour comprendre
l’évolution politique et juridique de la fonction de chef d’État du Canada, un bref
retour contextuel sur le plan philosophique s’impose également.
Il faut tout d’abord distinguer conceptuellement l’éthique du politique. Selon
Lévinas, l’établissement du rapport éthique au monde est le fondement de l’agir
humain en l’absence duquel le politique lui-même est impossible puisqu’alors, il
n’aurait rien à traduire, rien à arracher à l’expérience intime de la sollicitude,
70 Marc Chevrier, La République québécoise, Hommage à une idée suspecte, Montréal, Boréal,
p.60.
71 Ibidem.
58
rien à ajouter à l’appel du « visage » de l’autre72. C’est ce désir d’humanisation
du monde en tant qu’expérience éthique, qui pourra être érigé dans le politique
en volonté d’égalité ou de justice sociale. Le politique « surplombe » l’éthique,
dans la mesure où c’est en lui que « s’accomplit la volonté de maîtrise sociale
de la contingence »73. Cette distinction est importante car elle va permettre de
justifier dans un chapitre ultérieur le décalage que l’on retrouve entre les
valeurs canadiennes et l’institution de la monarchie dans la sphère éthico-
politique.
3.1 Les philosophes grecs
Les pratiques relatives à l’institutionnalisation politique de la société remontent
à des millénaires, mais c’est la Grèce antique qui est reconnue comme étant le
berceau de la civilisation occidentale et de l’avènement de la démocratie. À cet
effet, il est intéressant de débuter ce court survol contextuel sur le plan
philosophique avec les philosophes grecs. Platon s’était intéressé aux diverses
formes de gouvernance. Mais son élève Aristote se penchera davantage sur la
forme de démocratie qui repose sur le gouvernement de chacun par tous et de
tous par chacun. Sur la nature de la démocratie, Aristote disait :
La base d’un état démocratique est la liberté ; on ne peut jouir de celle-ci, selon l'opinion commune des hommes, que dans un tel système : - tel est le but qu’ils affirment être la fin ultime de toutes les démocraties. Un principe de la liberté est que tous doivent être gouvernés et gouverner à leur tour, et certainement
72 Emmanuel Levinas, Éthique et infini, Paris, Fayard, p. 11.
73 Jacques Beauchemin, La société des identités : Éthique et politique dans le monde
contemporain, p.93.
59
la justice démocratique est l’application de l’égalité numérique et non proportionnelle. De ceci il découle que la majorité doit être suprême, que l’approbation de la majorité est le but ultime et juste. L’on dit que chaque citoyen doit avoir l’égalité et, conséquemment, dans une démocratie, le pauvre a plus de pouvoir que le riche, parce qu’ils sont plus nombreux et que les décisions de la majorité sont suprêmes. Donc, ceci est un élément de la liberté que tous les démocrates affirment être le principe de base de leur état. Un autre est que chaque homme doit vivre comme il l’entend. Ceci, disent-ils, est le privilège d’un homme libre, puisque, d’un autre côté, de ne pas vivre comme un homme est la marque de l’esclave. Ceci est la deuxième caractéristique de la démocratie, d’où nous vient la revendication des hommes de n’être gouvernés par personne si possible, et, si cela s’avère impossible, de gouverner et d’être gouvernés par alternance ; ainsi l’égalité contribue-t-elle à la liberté.74
C’est donc dire que la liberté et l’égalité sont à la base même d’un État
démocratique, où chaque citoyen a le droit d’être libre et d’être traité de façon
égalitaire, sans discrimination.
Le concept grec d’égalité réfère plus précisément à l’isonomie, c’est-à-dire
l’égalité devant la loi. Aristote identifie d’ailleurs la citoyenneté avec l’exercice
d’une fonction publique. Tous les citoyens doivent contribuer à leur manière afin
de maintenir un État de justice. Le philosophe québécois Marc Chevrier le
résume ainsi :
Dans la grande tradition philosophique et politique occidentale
depuis Aristote, la République désigne l’État de justice
gouverné en vue du bien public, et non strictement du fait de
volonté d’un monarque ou d’une assemblée.75
74 Traduction par Jacques Tricot. Aristote, La politique, Paris, Vrin, p. 35.
75 Marc Chevrier, La République québécoise, Hommage à une idée suspecte, p. 43.
60
Avec ces concepts de liberté, d’égalité, de non-discrimination et de citoyenneté,
que penserait-il du fait que le chef du Canada n’est même pas citoyen canadien
et qu’aucun(e) Canadien(ne) ne puisse aspirer à devenir un jour le chef d’État
de son propre pays ? Poser la question, c’est y répondre ! C’est sur la base de
ces concepts fondamentaux qu’Aristote propose, dans La Politique, son œuvre
de philosophie politique, un principe de justice distributive afin que les
prestations soient réparties de façon différente aux différents citoyens. Cette
conception de la justice distributive pour le bien commun sera reprise entre
autres par John Rawls dans une perspective contractualiste. Celle-ci sera
largement étudiée plus loin dans ce travail.
Aristote, en bon représentant de la tradition rationaliste en pensée politique,
fonde sa théorie sur des postulats naturalistes (l’homme est un animal social et
doit vivre en communauté) et défend une conception de la citoyenneté dans
laquelle l’engagement civique devient la clé de voûte d’une bonne constitution.
C’est une leçon que retiendra Montesquieu dans De l’Esprit des Lois. Ce sont
d’ailleurs des éléments centraux qui réapparaîtront lors de la Révolution
française, qui a mis fin à la royauté (du moins pour une période de temps), à la
société d’ordres et aux privilèges en France. Les mêmes concepts ont aussi
inspiré la Révolution américaine, alors que les Américains se sont départis de
leur héritage royaliste pour épouser une gouvernance républicaine. À mon avis,
le fruit est maintenant mûr pour que le Canada puisse aussi se prémunir de ces
61
théories philosophiques afin de passer à un type de gouvernance qui reflète
davantage les principes de liberté, d’égalité et de justice distributive.
3.2 Les philosophes anglais : John Locke et Thomas Paine
Puisqu’il s’agit d’une thèse portant sur l’idée de se départir de la monarchie
britannique, il est quelque peu ironique de constater qu’à l’ère moderne, c’est
en Angleterre que les notions de républicanisme se mettent à germer. La
pensée politique anglaise initie les arguments les plus solides contre la
monarchie. L’élan libéral anglais donne une impulsion vers des visées
républicaines – ou à tout de moins, propose une rupture avec la monarchie
absolue.
John Locke est un des instigateurs les plus connus de cette rupture. Il
s’interroge sur les fondements d’une liberté dont il mesurait l’importance pour la
condition humaine. Simone Goyard-Fabre, dans l’introduction du Traité du
gouvernement civil, explique que le souci de Locke :
… est fondamentalement éthique : et c’est pourquoi l’hostilité qu’il nourrit à l’égard de la monarchie absolue, creuset d’arbitraire et d’injustice, est si intense. Toutefois, il n'oppose pas de réticence au régime monarchique, pourvu qu’il soit légitime et procède du choix de la majorité du peuple souverain. Ce qu’il dénonce, ce sont les vices qui, nés des abus de pouvoir du prince et de la confusion qu’il commet entre le public et le privé, détournent le politique de sa finalité.76
76 John Locke, Traité du gouvernement civil, Paris, Flammarion, p.86.
62
Le libéralisme de Locke devient très vite synonyme de constitutionalisme, c’est-
à-dire que la constitution représente le meilleur cautionnement contre les abus
du pouvoir politique. En d’autres mots, la constitution devrait permettre de
protéger le bien public contre les intérêts privés et égoïstes. Locke démontre
également que l’obéissance politique ne peut avoir d’autre fondement que le
consentement du peuple. Pour le philosophe anglais, il est primordial de
s’attaquer à l’absolutisme des monarques et au dogmatisme qui dominait à
cette époque. Comme il l’écrit :
Il est d’autant moins possible d’invoquer la volonté divine pour justifier une obéissance civique aveugle que la magistrature civile, distincte de toute magistrature ecclésiastique, ne peut tolérer quelque empiétement que ce soit sur ces prérogatives. Le gouvernement de l’État est donc essentiellement un gouvernement laïc, étranger à toute confession comme au Ciel.77
Ce désir de combattre l’absolutisme place Locke dans le camp des
« révolutionnaires » orangistes. En 1690, il y a évidemment une résonance
conjoncturelle et l’idée de souveraineté du peuple enveloppe des implications
juridiques qui ne tarderont pas à trouver place dans les nouvelles théories du
droit public.78 Non seulement Locke, tout comme Jean-Jacques Rousseau, a
compris que les êtres humains sont plus libres sous la loi que sans la loi, mais
les deux idées connexes de « consentement et de trust l’amènent à montrer
que les droits du citoyen sont une obligation à la citoyenneté »79 et que
77 Locke, op. cit., p.105.
78 Locke, op. cit., p. 108.
79 Locke, op. cit., p.83.
63
« quiconque n’assume pas ce devoir n’accomplit pas son humanité »80. Ce sont
des notions nouvelles, qui viennent couper les liens avec les anciens dogmes
médiévaux où les gouvernants étaient étroitement liés au pouvoir divin. À partir
de ce moment, il devient concevable que les gouvernements de la terre ne
demandent rien au ciel.81 Cette idée d’une distance entre le peuple et le
gouvernement, qui prit forme dans les débats théologico-politiques entourant la
question de l’obéissance et des devoirs envers le prince, a joué un rôle clé
dans la formation d’une pensée constitutionnelle. Cette distinction est au cœur
des débats concernant la légitimité et le rôle des institutions politiques au sein
du constitutionnalisme. Car le peuple – communauté morale réelle – ne
cherche pas par le contrat à s’instaurer lui-même comme souverain. Il cherche
essentiellement à répondre à des besoins de préservation, notamment par le
biais du respect de la loi et de l’égalité devant la loi.
Pour Locke, l’être humain est libre. Il se possède lui-même et crée un pacte
social. Ce contrat social résulte d’un accord entre des individus qui s’unissent
pour employer leur force collective à faire exécuter des lois, tout en renonçant à
les faire exécuter par eux-mêmes. Selon lui, le contrat social est le seul
fondement légitime du pouvoir politique qui permet d’éviter la guerre et de
sauvegarder la propriété privée. La conception du contrat social de Locke
80 Ibidem.
81 Ibidem.
64
diffère grandement de celle de Jean-Jacques Rousseau, qui sera examinée
sous peu.
Mais avant d’étudier la pensée rousseauiste, il faut souligner un autre des
philosophes de l’époque à s’être farouchement opposé à l’idée de la monarchie
héréditaire, Thomas Paine. Anglais d’origine comme Locke, Paine allait
cependant plus loin que lui dans ses convictions anti-monarchistes. Il défendait
tant avec passion qu’avec la raison un républicanisme qui rejetait les pouvoirs
inhérents et qui niait la légitimité de la Couronne royale britannique. Il était tout
à fait contre les taxes imposées aux citoyens par les monarques. Il était
d’ailleurs opposé à la Chambre des lords ainsi qu’à l’Église établie.
Révolutionnaire dans l’âme, il était un républicain engagé, qui n’hésitait pas à
dénoncer les absurdités du système monarchique.
Auteur de plusieurs textes de philosophie politique, dont Common Sense et
The Rights of Man, Paine est un incontournable pour quiconque cherche à
démontrer que la monarchie héréditaire doit faire place à un système plus
moderne, démocratique et égalitaire. Le politicologue américain Howard Zinn
considère que Common Sense est « la première défense vigoureuse de l’idée
d’indépendance en des termes qui pouvaient être compris par n’importe quel
individu sachant lire ».82 Zinn commente que « Paine se débarrasse de l’idée
de monarchie de droit divin en un résumé historique et surtout caustique de la
82 Howard Zinn, Une histoire populaire des États-Unis. De 1492 à nos jours, 2002, p.85
65
monarchie britannique. »83 Selon Paine, le fait que la constitution anglaise
assure à la Chambre des communes un « contrôle » sur le monarque ne
signifie rien car ce dernier revendique le droit divin de régner et de faire fi de la
volonté des députés, qui représentent le peuple.
Dans ses écrits, Paine fait un brillant plaidoyer en faveur de la rupture des
États-Unis d’Amérique avec la Grande-Bretagne, inspirant du même coup les
Pères fondateurs américains, comme George Washington et John Adams, à
fonder une nouvelle république. « Aucun autre pamphlet de cette époque ne
souleva autant d’enthousiasme parmi les patriotes et d’opposition de la part des
loyalistes ».84 Paine imagine déjà que la Révolution américaine aboutira à la
« naissance d’un monde nouveau »,85 qui permettra aux Américains – à
l’opposé des Canadiens au nord de la frontière – de devenir un peuple
réellement libre et vertueux pouvant s’affranchir du passé.86
Ayant lui-même soulevé les passions en Amériques, Reflections on the
Revolution in France (1790) publié par Edmund Burke, qui défendait les valeurs
monarchistes, provoque chez Paine un désir de riposter. C’est ainsi que ce
dernier achève Rights of Man, une sévère critique à l’endroit de la monarchie
83 Ibidem.
84 John Keane, Tom Paine : A Political Life, Londres, Bloomsbury, 1995, p. 128.
85 Nathalie Caron, « Thomas Paine et l’éloge des révolutions », Transatlantica, 2006:2 – site
web
86 Eric Lane, Michael Oreskes, Le Génie de l’Amérique, Odile Jacob, 2008, p. 40.
66
britannique. Paine désire « libérer » le peuple des institutions archaïques en
inspirant des réformes démocratiques majeures. Ces réformes doivent émaner
de la volonté du peuple. L’auteur Tony Benn fait la remarque suivante :
Every society must determine the moral values it wishes to espouse, and if we continue to accept the philosophy of the jungle we shall make no change in our condition whichever government is in power. Paine understood this and by building his republican vision upon the concept of inherent rights he gave people hope and despair which by paralysing opposition merely entrenches the status quo.87
Paine était conscient que le cours de l’histoire ne peut changer que lorsque les
gens se sentent habilités à exiger des changements, lorsqu’il y a un appui
populaire, de sorte que les autorités en place ne peuvent les ignorer. Ce
sentiment de pouvoir changer les choses découle du concept de « droits
inhérents », qui prend une place importante dans la pensée de Thomas Paine.
Paine croit que les droits ne devraient pas être enchâssés dans une charte
puisque cela suppose qu’ils peuvent être révoqués, ce qui les réduirait à des
privilèges. Pour lui, « without the concept of inherent rights, the democratic
challenge has no intellectual or moral legitimacy ».88 On retrouvera également
ce concept dans d’autres théories politiques découlant du libéralisme, dont
celle de Rawls.
Paine sait pertinemment qu’en droit, les changements qui résulteraient de la
disparition de la monarchie seraient considérables. Ce serait bien sûr le cas si
87 Tony Benn, Forward dans Thomas Paine: Common Sense & The Rights of Man, p. XVI.
88 Thomas Paine, Common Sense, The Rights of Man and Other Essential Writings, p. XVIII.
67
le Canada décidait un jour de faire de même. Mais il faut vivre avec les
conséquences de ses choix, et pour Paine, « no system can survive forever
without the people’s consent ».89 Il y a lieu de se demander quels seraient les
choix politiques des Canadiens si on devait un jour décider du maintien ou non
de la monarchie constitutionnelle. Selon Paine, un tel débat devrait se tenir
car : « Every age and generation must be as free to act for itself in all cases as
the ages and generations which preceded it. »90 Tout comme les Pères de la
fédération avaient décidé de prendre en main l’avenir des colonies britanniques
en Amérique du nord, 150 ans plus tard, une remise en question du système de
gouvernance canadien serait à mon avis la bienvenue.
Les théoriciens anglais du libéralisme, Locke et Paine, liaient la légitimé du
pouvoir au consentement du peuple. Or, la nature de ce consentement revêtait
à leurs yeux une dimension déterminante. Locke est d’avis que les pouvoirs du
roi ou du gouvernement doivent être limités dans leur portée. Lui et ses
prédécesseurs partageaient une même inspiration, soit qu’il existe des
principes de droit indépendants de toute volonté et émanant d’une institution (la
communauté morale) qui limitent l’action gouvernementale. Le gouvernement
doit être représentatif et il doit être doté des séparations de pouvoirs (checks
and balances).
89 Ibidem.
90 Paine, op. cit, p. 65.
68
Pour Locke, c’est le rôle du souverain ou du gouvernement de protéger la vie,
la liberté et la propriété. Si le gouvernement ose imposer son autorité à un
niveau totalitaire, le peuple aurait droit de se révolter et de le renverser. Bien
que John Locke et Jean-Jacques Rousseau croient que chaque individu doit
être libre et que personne ne devrait délaisser ses droits naturels, ni même à
un monarque, les deux philosophes ne sont pas sur la même longueur en ce
qui a trait à la forme de gouvernance. Locke estime qu’un gouvernement
représentatif est adéquat alors que Rousseau croit en la gouvernance directe
par le peuple et qu’aucun souverain ne peut subjuguer la volonté du peuple.
3.3 Le philosophe du Vieux Continent : Jean-Jacques Rousseau
Sur les questions de gouvernance et de l’importance de la légitimité
démocratique émanant du peuple, impossible de passer sous silence le
philosophe Jean-Jacques Rousseau, illustre figure des Lumières françaises. À
sa manière, Rousseau reprend les thèmes abordés par les philosophes
politiques qui l’ont précédé. Mais il juge que ces auteurs sont plus soucieux de
justifier ce qui est, que de chercher ce qui devrait être. Dans ses nombreuses
œuvres, il se penche sur les enjeux de pouvoirs, de gouvernance, d’injustice et
d’inégalité. Il écrit par exemple dans son fameux Discours sur l’origine et les
fondements de l’inégalité parmi les hommes :
Je conçois dans l’Espèce humaine deux sortes d’inégalité ; l’une que j'appelle naturelle ou Phisique, parce qu’elle est établie par la Nature, et qui consiste dans la différence des âges, de la santé, des forces du Corps, et des qualités de l’Esprit, ou de l’Ame ; L’autre qu’on peut appeler inégalité morale, ou politique, parce qu’elle dépend d’une sorte de convention, et qu’elle est
69
établie, ou du moins autorisée par le consentement des Hommes. Celle-ci consiste dans les différents Privileges, dont quelques-uns jouissent, au préjudice des autres, comme d’être plus riches, plus honorés, plus Puissants qu’eux, ou mêmes de s’en faire obéïr.91
Il s’agit d’un passage qui résume d’une manière simple et efficace l’essence
même des inégalités humaines. Ces deux sortes d’inégalités sont universelles
et intemporelles puisqu’elles transcendent les cultures et le temps. Il y a
toujours des gens physiquement plus forts et plus faibles que nous; plus
intelligents ou moins doués que nous; des gens plus riches et plus pauvres que
nous. Ces inégalités existent partout, depuis toujours.
Rousseau fait un constat sur la condition humaine qu’il résume de la façon
suivante : « L’homme est né libre, et partout il est dans les fers ».92 À partir de
là, il cherche à savoir si dans l’ordre civil, il peut y avoir des règles
d’administration légitimes et sûres « en prenant les hommes tels qu’ils sont, et
les lois telles qu’elles peuvent être ».93 L’objectif est de trouver un équilibre
entre « ce que le droit permet » et ce que « l’intérêt prescrit, afin que la justice
et l’utilité ne se trouvent point divisées ».94
91 Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les
hommes, p.61.
92 Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, p. 29.
93 Rousseau, Du contrat social, p. 27.
94 Ibidem.
70
Dans son ouvrage Du Contrat social, Rousseau explique sa vision du « pacte
social ». Un ardent défenseur du contractualisme, il maintient qu’il faille :
Trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s’unissant à tous n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant.95
Selon lui, le contrat social est l’ultime solution à la sociabilité, qui repose à la
base sur un vouloir vivre-ensemble. Les premiers mots de la Déclaration de
l’indépendance des États-Unis, « We the people… », découlent directement de
la pensée de Rousseau, voulant que la sagesse populaire puisse décider des
affaires courantes et des politiques qui les touchent. Ainsi, les citoyens se
soumettent à des lois qu’ils se sont eux-mêmes donnés et conservent de cette
façon leur liberté.
Il est encore question ici de liberté et d’égalité au sein d’une collectivité, des
concepts évidemment fondamentaux en matière d’éthique publique et qui ont
été soulevés à maintes reprises dans cette thèse. Le contrat social de
Rousseau permet à chacun de se réaliser soi-même, ce qui devient une
condition égale pour tous, et dont « nul n’a intérêt de la rendre onéreuse aux
autres ».96 Avec un tel acte d’association, un corps moral et collectif se produit
où chaque citoyen participe à l’autorité souveraine. Le message de Rousseau
est simple. Les citoyens sont responsables de la société qu’ils veulent créer.
95 Rousseau, Du contrat social, p. 39.
96 Ibidem.
71
La perspective contractualiste permet d’envisager des changements au niveau
des institutions de gouvernance d’un pays afin qu’elles reflètent de façon
adéquate les valeurs des citoyens. Le contrat social, tel qu’élaboré par
Rousseau, est un outil qui réussit à faire la promotion du bien public et de
l’intérêt commun, tout en encourageant les libertés individuelles, l’équité et
l’égalité entre les membres d’une même société. Il a pavé la voie aux
révolutions américaines et françaises, qui avaient comme objectif de
s’affranchir de la royauté et d’émanciper le peuple afin que chaque citoyen
puisse bénéficier d’une égalité devant la loi et d’une certaine égalité des
chances. Afin d’approfondir et d’actualiser ce concept de l’égalité des chances,
qui se veut instrumental dans la démonstration de cette thèse, nous allons nous
pencher sur une théorie contemporaine : la théorie de la justice de John Rawls.
Mais avant d’entreprendre un survol de la théorie rawlsienne comme outil
d’analyse pour démontrer les injustices qui découlent de la monarchie tel
qu’instituée au Canada, une autre théorie sera étudiée auparavant. Celle-ci
provient d’un penseur politique canadien, James Tully, qui enseigne
présentement à l’université Victoria en Colombie-Britannique. Ce diplômé de
Cambridge propose une philosophie post-impériale du constitutionalisme, qui
privilégie davantage le dialogue et les accommodements pour se donner des
conventions constitutionnelles communes. Il s’agit d’une politique de
reconnaissance qu’il parvient à expliquer par l’entremise d’une œuvre d’art
72
autochtone : L’Esprit de Haïda Gwaii, qui signifie « l’esprit de l’île natale des
gens. »
73
Chapitre 4. L’Esprit de Haïda Gwaii : à contre-courant de la
monarchie
Dans Une étrange multiplicité: Le constitutionalisme à une époque de diversité,
James Tully aborde le sujet du constitutionalisme à la lumière d’une œuvre
d’art, L’Esprit de Haïda Gwaii, créée par le réputé sculpteur d’ascendance
haïda et écossaise Bill Reid. Pour Tully, ce bronze noir est « un symbole de
l’esprit d’une époque post-impériale de diversité culturelle. »97 Cette sculpture
sert de métaphore pour le type de constitution qui peut réconcilier les
divergences culturelles sur un terrain interculturel commun. Ces divergences
culturelles sont personnifiées par l’impressionnante variété de passagers à
bord du canot. Les 13 occupants de l’embarcation sont des sghaana, c’est-à-
dire des esprits ou créatures mythiques de la mythologie haïda.
À bord du canot, il n’y a ni catégorie de citoyen, ni d’ordre constitutionnel
imposé puisque les identités et les liens entre chacun changent au fil du temps.
Il s’agit là d’une vision qui diffère du libéralisme traditionnel, qui a été abordé
dans les pages précédentes et qui sert de fondement à la théorie de Rawls qui
sera vue plus tard.
Force est d’admettre que les idées avancées par Tully sortent des paramètres
traditionnels des théories politiques, bien qu’elles s’apparentent grandement à
97 James Tully, Une étrange multiplicité: Le constitutionalisme à une époque de diversité,
Québec, PUL, trad. par Jude Des Chênes, 1999, p. 16.
74
la théorie de la citoyenneté (« Citizenship theory ») tel qu’énoncée par des
penseurs comme Thomas H. Marshall et William Galston.
Essentiellement, la théorie de la citoyenneté cherche à s’assurer que tout le
monde soit pleinement reconnu comme membre égale de la société et pour ce
faire, les citoyens reçoivent davantage de droits, tant civiques, politiques que
sociaux.98 Tully abonde dans le même sens. Il désire voir une augmentation de
la participation citoyenne afin de démocratiser davantage les institutions
politiques, incluant la constitution. Selon lui, il est clair que « les gens veulent
se gouverner constitutionnellement par des moyens culturels qui leur sont
propres. »99 Le philosophe canadien n’accepte pas qu’une constitution ait des
règles inaltérables. Il préfère plutôt un système imparfait à l’intérieur duquel des
accommodements des divers membres de la société peuvent être négociés en
tout temps, invitant ainsi les citoyens à participer à la vie politique de leur
société. De plus, aucun sujet ou enjeu ne devraient être ignorés ou remis en
question si certains citoyens sont directement touchés par ce sujet ou enjeu. Il
s’agit d’une politique de reconnaissance où tous les membres d’une société
sont véritablement traités comme des égaux. Un tel scénario devrait en principe
engendrer un « constitutionalisme démocratique » contrairement à la
« démocratie constitutionnelle » que nous connaissons présentement.
98 Will Kymlicka, Contemporary Political Philosophy: An Introduction, Oxford University Press,
2002, p.287.
99 James Tully, Une étrange multiplicité, p.15.
75
Cette notion de « constitutionalisme démocratique » n’est pas négligeable. Elle
place les citoyens égaux au premier plan de la gouvernance démocratique. Si
l’on considère notre système de monarchie constitutionnelle dans une
perspective de constitutionalisme démocratique où les membres d’une société
culturellement diverse, comme celle du Canada, peuvent s’épanouir pleinement
au sein des institutions étatiques, il semble évident que notre système actuel ne
passe malheureusement pas le test. L’institution de la monarchie va à
l’encontre des principes de base de la politique de reconnaissance de Tully. La
Reine est au-dessus des autres membres. La monarchie ne reconnait pas la
dignité civique de chaque individu et c’est d’ailleurs pourquoi Tully suggère de
« remettre en question et modifier un certain nombre d’usages sur lesquels on
ne s’est pas interrogé, qui sont hérités de l’époque impériale et qui continuent
de créer le langage du constitutionnalisme dans lequel les demandes sont
reçues et jugées. » (p.33)
D’ailleurs, pour reprendre sa métaphore originale de L’Esprit de Haïda Gwaii,
ce grand canot représente une société encore plus démocratique, pluraliste et
juste où tous les membres, bien que fort différents les uns les autres,
collaborent et rament en unisson dans la même direction. L’aspect encore plus
intéressant pour cette thèse est que le capitaine du bateau est Kilstlaai, le Chef
ou « le modèle à suivre, dont l’identité, à cause de sa parenté avec le Corbeau,
76
est incertaine. »100 Apparemment que l’artiste Bill Reid lui-même s’est déjà
demandé à propos du Chef : « Qui est-ce ? C’est la grande question. »101 Le
capitaine du canot sera surnommé « Qui est-ce ? » ou « Qui sera-t-il ? » Ce
n’est pas une coïncidence si le Chef de l’embarcation n’a pas d’identité fixe
dans un contexte où tous les membres du bateau sont égaux malgré leurs
différences. Ils sont aussi interchangeables au sens où ils ont la capacité de
collaborer à leur façon dans le rôle qui leur convient au moment opportun et de
changer de rôle à d’autres moments. Or, c’est tout à fait le contraire avec le
système monarchique. Le chef d’État du Canada est facilement identifiable. Il
porte une couronne ! Nous savons d’avance quel individu occupera la fonction
après le règne du monarque en place. Tout est coulé dans le béton – pour ne
pas dire dans la constitution. Il n’y a aucun dialogue avec les autres membres
de la société au sujet de cette fonction, ni aucune reconnaissance de la
capacité des autres membres de la société d’occuper cette fonction. De plus,
avec la section 41a de la constitution, tout changement à la monarchie requiert
l’accord de la Chambre des communes, du Sénat et des dix provinces. Comme
le dit si bien Tully, « la constitution est donc un domaine de la politique moderne
qui n’a pas subi de démocratisation depuis les trois cents dernières
années. »102
100 Tully, p. 17.
101 Ibid.
102 Tully, p. 27.
77
Tully suggère pour remédier à la situation que la souveraineté du peuple, dans
les sociétés pluralistes comme la nôtre, doit exiger que les citoyens arrivent à
un accord sur « une constitution par un dialogue interculturel dans lequel leurs
habitudes culturellement distinctes de parler et d’agir sont reconnues
mutuellement. »103 Il s’agirait possiblement d’une révolution conceptuelle
nécessaire afin de passer de la monarchie constitutionnelle, symbole d’une
autorité impériale dominatrice, à une démocratie moderne post-impériale. Il faut
mettre en valeur la diversité culturelle du pays et s’assurer que nos institutions,
incluant la plus haute fonction du pays, reflètent cette diversité. Car c’est par
l’entremise de nos institutions qu’une identité se forge et permet à la société de
développer une fierté nationale. Nous y reviendrons au chapitre 6.
L’Esprit de Haïda Gwaii illustre aussi « d’une manière saisissante un concept
particulier d’égalité comme équité. »104 Tous les passagers sont reconnus et
acceptés au même titre en dépit de leurs différences culturelles évidentes. Il en
résulte que l’arrangement constitutionnel du canot n’est pas uniforme. La
diversité culturelle qu’on y trouve peut être interprétée comme « un idéal de
justice et de beauté, semblable à la diversité écologique et tout aussi important
pour vivre et pour bien vivre sur notre planète. »105 Bien sûr, plusieurs
institutions canadiennes font la promotion de la diversité culturelle du pays.
103 Ibid.
104 Tully, p.25.
105 Ibid.
78
D’ailleurs, même les dernières nominations des représentants de la Reine tant
aux niveaux fédéral (on peut penser entre autres à Adrienne Clarkson et
Michaëlle Jean) et provincial (comme Lincoln Alexander en Ontario et Mayann
Francis en Nouvelle-Écosse) ont très bien représenté les communautés
minoritaires lorsqu’ils étaient en fonction. Toujours est-il qu’il s’agit d’exemples
de ‘représentants’ de la Reine et non le chef d’État lui-même. Pour être fidèle à
la métaphore de Tully, il faudrait que la reconnaissance mutuelle des membres
de la société passe non seulement par celle des passagers qui rament, mais
également par celle du Chef, qui prête « une oreille attentive à chacun,
désireux de les guider pour qu’ils arrivent »106 à bon port. La soumission du
Chef à la règle de reconnaissance mutuelle est symbolisée dans la sculpture
par les armoiries des nations et des familles de chaque membre de l’équipage
gravées dans le bâton de l’Orateur, qu’il tient dans sa main droite.
L’usage d’une sculpture haïda est une façon originale pour James Tully d’offrir
sa réflexion sur un constitutionnalisme démocratique, qui consiste à concilier
des demandes de reconnaissance, de liberté et d’égalité. L’Esprit de Haïda
Gwaii permet d’imaginer un modèle de démocratie où règne le respect mutuel
des différences, des diverses histoires et des revendications tout en ayant une
vision commune sur le trajet à parcourir. Cette perspective d’un penseur
canadien contemporain, qui dérive du libéralisme traditionnel, fera maintenant
106 Tully, p. 23.
79
place à la théorie de l’égalité des chances, particulièrement tel que présentée
par le célèbre philosophe américain John Rawls.
80
Chapitre 5. L’égalité des chances (« equality of opportunity »)
Parmi les nombreuses raisons qui justifieraient en principe et en pratique le
refus catégorique d’un système hérité du Moyen Âge, l’un des éléments clés
est l’incontournable concept de l’égalité des chances (« equality of
opportunity »). L’idée de l’égalité des chances a une longue tradition
philosophique. Une des plus fortes expressions contemporaines se trouve dans
la théorie rawlsienne de la justice, dont la problématique centrale est justement
la réduction des inégalités et des discriminations. Outre les thèmes d’éthique
publique tels la transparence, l’imputabilité, la représentation et la légitimité
démocratique, c’est la justice sociale – à l’intérieur de laquelle on retrouve le
concept de l’égalité des chances – qui sera l’angle déterminant dans la
démonstration que la monarchie constitutionnelle est un système complètement
déconnecté des valeurs contemporaines canadiennes. L’égalité des chances
est difficile à définir car il s’agit d’un idéal, ce à quoi ressemblerait une société
juste. Elle comporte ainsi plusieurs interprétations. Il serait difficile, dans le
cadre de cette thèse, de toutes les passer en revue, je me limiterai qu’à la
théorie de la justice de John Rawls.
L’égalité des chances est une exigence qui veut que le statut social des
individus d’une génération ne dépende plus des caractéristiques morales,
ethniques, religieuses, financières et sociales des générations précédentes.
C’est d’ailleurs cette vision de l’égalité des chances qui constitue l’un des
fondements de la théorie de la justice comme équité de John Rawls :
81
En supposant qu’il y a une répartition des atouts naturels, ceux qui sont au même niveau de talent et de capacité et qui ont le même désir de les utiliser devraient avoir les mêmes perspectives de succès, ceci sans tenir compte de leur position initiale dans le système social.
La théorie de la justice de Rawls sera analysée plus en profondeur car ce sont
principalement les principes rawlsiens qui sont au cœur de l’argumentation de
cette thèse.
5.1 La monarchie constitutionnelle : une perspective
rawlsienne
Le philosophe américain John Rawls est probablement le plus respecté de tous
les philosophes politiques contemporains dans le monde anglo-saxon. Bien que
Rawls soit maintenant décédé, ses théories peuvent être considérées comme
étant relativement récentes dans le contexte historique de la pensée politique.
Leur relative nouveauté fait d’elles des outils d’analyse parfaits pour étudier les
fondements de la monarchie constitutionnelle canadienne d’un angle nouveau.
Contrairement aux écrits des philosophes des siècles précédents qui ont été
maintes fois utilisés pour ce genre d’analyse, les concepts véhiculés par Rawls
constituent un nouveau dispositif conceptuel pour juger de la pertinence de
notre forme de gouvernement. Les éléments philosophiques que Rawls
introduit dans ses œuvres devraient être en mesure de valider la position
soutenue dans cette thèse. Il a développé des principes théoriques de la justice
comme équité, qui conçoit l’unité de la société comme système de coopération
82
entre des personnes libres et égales. Or, la monarchie constitutionnelle ne
cadre pas dans ces paramètres.
Au cœur de l’argumentation de Rawls, se trouvent deux idées étroitement
reliées : l’idée de respect (ou le respect égal) et l’idée de système équitable de
coopération. À ces deux idées peut aussi se greffer le concept de la dignité
humaine. Contrairement aux théories communautariennes, Rawls considère
que la coopération ou la solidarité sont insuffisantes pour le bon fonctionnement
d’une société, principalement parce qu’elles ne sont pas normatives. Le fait du
pluralisme a aussi érodé la solidarité qui pouvait exister dans des sociétés plus
homogènes. Pour cette raison, Rawls veut établir les principes de base d’une
société qui serait fondée sur la justice comme équité. L’avantage c’est que
cette unité de la société et l’allégeance des citoyens à leurs institutions
communes ne seraient pas fondées sur le fait qu’ils adhèrent tous à la même
conception du bien, mais plutôt sur le fait qu’ils acceptent une conception
théorique de la justice pour régir la structure de base de la société. Le
philosophe américain cherche une solution au fait du pluralisme, c’est-à-dire au
fait que les individus ne partagent pas la même conception du bien. Il va donc
délaisser la question du bien pour celle de la justice. Cette distinction est d’une
pertinence capitale pour les fins de cette thèse puisqu’il imagine donc une
société politique pluraliste – comme c’est le cas au Canada – dans laquelle les
citoyens pourraient être en accord sur les conceptions « de base » de la justice
et de la liberté. Ce sont ces conceptions, qui doivent viser les appels à la
83
refondation éthique pour une institutionnalisation donnant les mêmes droits et
la liberté à tous les citoyens du pays de pouvoir accéder à la fonction de chef
d’État du Canada.
Les arguments de Rawls sont issus de la tradition du contrat social, tout
comme Locke et Rousseau. Mais Rawls s’inscrit aussi dans la tradition
kantienne en soutenant le principe selon lequel chaque personne humaine
possède une valeur et une dignité fondamentales qui commandent un respect
absolu. En ce sens, il s’oppose à l’instrumentalisme qui soutient qu’on pourrait
sacrifier des individus au profit du bonheur du plus grand nombre. En effet,
Michel Métayer, dans un court texte intitulé « La théorie de la justice de Rawls »
suggère que le philosophe américain se sert des théories de Kant afin de
dégager :
… un principe de justice général, à savoir que dans l’organisation de la vie sociale chaque personne a droit à une égale considération, c’est-à-dire à être traitée de manière équitable. En cela, il s’oppose radicalement à l’éthique utilitariste.107
De leur côté, les utilitaristes acceptent que des individus soient sacrifiés dans la
mesure où « cela permet de maximiser le bien-être social ».108 Selon Rawls,
l’idée que chaque individu n’est pas nécessairement considéré comme une
personne séparée, dont les droits sont inviolables, va à l’encontre du principe
kantien. Rawls note que : « Each member of society is thought to have an
107 Michel Métayer, « La théorie de la justice de Rawls », dans Métayer, La philosophie éthique,
Enjeux et débats actuels, Saint-Laurent, Éditions du Renouveau Pédagogique, 2002, p.132
108 Idem.
84
inviolability founded on justice or, as some say, on natural right, which even the
welfare of everyone else cannot override ».109
Pour Rawls, comme c’est le cas pour Kant, la dignité humaine est en
corrélation avec le respect. Parlant de la conception de la dignité chez Rawls,
la philosophe américaine Martha C. Nussbaum dit ceci : « The reason respect
is so central is that people are ends, have dignity, have something about them
that makes it wrong to violate them for the sake of overall well-being or to use
them as mere means. »110 Le respect signifie de reconnaître la dignité de
chacun, c’est-à-dire de reconnaître que tous sont égaux, sont des fins en-soi et
ne peuvent être traités comme des moyens. Cette notion du respect de la
dignité humaine est une puissante justification à l’encontre d’un système
monarchique où l’on retrouve un souverain et ses sujets. La monarchie brime
ce respect. La démarcation entre un souverain et ses sujets démontre qu’il y a
deux classes de citoyens, une supérieure et inaccessible à l’autre. Certains
n’ont tout simplement pas accès à certaines fonctions du fait de la naissance.
L’idée d’égalité est ainsi bafouée. Même si dans les faits, les Canadiennes et
les Canadiens se sentent majoritairement respectés, l’institution politique du
pays ne reflète nullement ce respect de la dignité humaine. Elle incarne tout le
contraire car le poste de chef d’État demeure exclusif à une unique famille.
Pourtant, n’est-ce pas dans l’institution que s’achève la construction du rapport
109 John Rawls, A Theory of Justice, p. 28.
110 Martha C. Nussbaum, Rawls’s Political Liberalism, p. 4.
85
éthique au monde dans un désir d’universalisation de la réciprocité ? Le
philosophe français, Paul Ricœur, notait que c’est dans l’institution
« qu’expérimente le soi dans son rapport dialogique à l’autre », et ce par
l’intermédiaire duquel il s’érige en sujet moral, « que s’institutionnalise un projet
collectif, un projet d’égalisation et de justice ».111 Nous y reviendrons dans le
chapitre sur les symboles.
Rawls a comme objectif de dégager des principes et des conséquences en
matière de justice sociale qui font en sorte que tous les individus tirent des
avantages réciproques de leur coopération au sein de la société, sans trahir le
principe fondamental de liberté individuelle. C’est le contractualisme qui lui
permettra de parvenir à son objectif car pour Rawls, un contrat social doit être
conçu afin d’établir des règles sociétales justes tant et aussi longtemps qu’elles
soient le fruit d’un libre accord entre toutes les parties concernées. Dans son
fameux ouvrage de philosophie politique et morale, Théorie de la justice (A
Theory of Justice), John Rawls propose des principes de justice par la mise en
place délibérée d’une fiction méthodologique qu’il nomme la position originelle.
Cette position hypothétique, qui est essentiellement la pierre angulaire de toute
sa théorie, est destinée à représenter l’équité entre les êtres humains en tant
que personnes morales. La position originelle se veut un dispositif fictif de
négociation d’un contrat social fondateur.112 Elle permet à chaque participant de
111 Paul Ricoeur, Le Juste, Le Seuil, Paris, 1995. p. 14.
112 Métayer, op. cit., p. 133.
86
décider des principes de justice par l’entremise d’un voile d’ignorance consacré
à cacher les faits sur eux-mêmes, tels que leur situation économique et sociale
ainsi que leurs talents, âge, sexe, ethnie, etc. Ce voile d’ignorance, qui
empêche les participants de connaître leur vraie position dans la société,
assure une équité réelle dans l’élaboration du contrat social. En effet, les
individus pourraient choisir les structures de la société sans penser seulement
à leurs intérêts personnels. Dans La justice comme équité, Rawls indique que :
Les citoyens sont représentés uniquement en tant que
personnes libres et égales, c’est-à-dire qui possèdent au degré
minimal suffisant les deux capacités morales et les autres
facultés qui leur permettent d’être des membres coopérants
normaux de la société durant leur vie complète. En situant les
personnes symétriquement, la position originelle respecte le
précepte de base de l’égalité formelle, ou le principe d’équité
(equity) de Sidgwick, qui veut que ceux qui sont similaires dans
toutes les dimensions pertinentes soient traités de manière
similaire. Puisqu’elle satisfait à ce précepte, la position originelle
est équitable (fair).113
Ces outils théoriques, semblables dans leur utilité au concept de l’état de
nature qu’on retrouve chez les philosophes des Lumières, ne servent pas
temps à déterminer les obligations historiques des individus ou des
gouvernements, mais plutôt à façonner la structure de base de la société afin
de minimiser les possibilités d’injustice ou afin que les privilèges bénéficient les
plus démunis. Ce sont des outils extrêmement pertinents dans le cadre de cette
thèse car les allégeances et les traditions ne cadrent pas dans le modèle
113 John Rawls, La justice comme équité, p. 126.
87
théorique proposé par Rawls, alors que celles-ci figurent parmi les principales
justifications en faveur du maintien de la monarchie.
Ainsi, la théorie de la justice de Rawls se base sur une position originelle fictive,
qui fait fi des considérations historiques et contextuelles au moment de
l’édification des principes politiques et éthiques et de la négociation du contrat
social fondateur. Cela fait en sorte qu’une personne délibérément ignorante de
sa position réelle dans la société n’accorderait probablement pas de privilèges
à une quelconque classe d’individus et favoriserait une société où les principes
de justice soient les moins défavorables aux plus désavantagés. Rawls
l’explique en ces termes :
No one knows his place in society, his class position or social status, nor does anyone know his fortune in the distribution of natural assets and abilities, his intelligence, strength, and the like. I shall even assume that the parties do not know their conceptions of the good or their special psychological propensities. The principles of justice are chosen behind a veil of ignorance. This ensures that no one is advantaged or disadvantaged in the choice of principles by the outcome of natural chance or the contingency of social circumstances. Since all are similarly situated and no one is able to design principles to favor his particular condition, the principles of justice are the result of a fair agreement or bargain.114
Comme Rawls le dit lui-même, « my aim is to present a conception of justice
which generalizes and carries to a higher level of abstraction the familiar theory
of the social contract as found, say, in Locke, Rousseau and Kant ».115 Il
114 Rawls, A Theory of Justice, p.12.
115 Ibidem.
88
cherche essentiellement à établir des principes de justice à partir d’une position
d’égalité :
The original position of equality corresponds to the state of nature in the traditional theory of the social contract. The original position is not, of course, thought of as an actual historical state of affairs, much less a primitive condition of culture. It is understood as a purely hypothetical situation characterized so as to lead to a certain conception of justice.116
En tentant d’extirper la subjectivité et toute forme de perspective biaisée tout en
recherchant l’unanimité, Rawls désire trouver une solution acceptable pour tous
dans une perspective égalitaire, « that respects each person’s claim to be
treated as a free and equal being ».117
Rawls a fait face à plusieurs critiques, car, même si l’on accepte l’idée d’un
contrat social comme manœuvre pour incarner une forme d’égalité, il n’est pas
clair quels seront les principes de justice qui découleraient de la position
originelle. Il y a lieu de se poser la question, à savoir comment les principes de
justice seront-ils choisis ? Par exemple, Alan Gewirth croit que le voile
d’ignorance dans la position originelle présuppose d’emblée l’égalitarisme.
Donc, en tant qu’outil égalitaire, la position originale est superflue.118 D’autres
croient que ce ne sont pas tous les êtres rationnels qui favoriseraient les
mêmes choses, comme le suggère pourtant Rawls. Par exemple, il est possible
116 Ibidem.
117 Kymlicka, Contemporary Political Philosophy: An Introduction, p. 64.
118 Gewirth, Alan. "The Epistemology of Human Rights." Social Philosophy and Policy 1, p. 9.
89
que des gens plus aventuriers préféreraient une société où les gains seraient
plus significatifs que dans une société égalitaire.
Rawls se défend avec l’idée qu’à la base, ne sachant pas quelle position nous
occuperons dans la société, ou quels objectifs nous aurons, il y a quand même
certaines choses que nous voudrons ou dont nous aurons besoin afin de mener
une vie bonne, et cela peu importe notre conception particulière de la vie
bonne. Rawls les appelle les « primary goods »119 (biens primaires). Selon lui, il
existe deux types de biens primaires:
1. les biens primaires sociaux : ces biens sont distribués directement par
les institutions sociales, comme par exemple, « droits et libertés,
opportunités et pouvoirs, revenu et richesse. »120
2. les biens primaires naturels : ce sont les biens comme la santé,
l’intelligence, la vigueur, et les talents naturels, qui ne découlent pas des
institutions sociales.121
En choisissant des principes de justice pour une société juste, chacun derrière
son voile d’ignorance cherche à s’assurer qu’il aura le meilleur accès possible
aux biens primaires distribués par les institutions sociales. Puisque personne
ne sait quelle position dans la société il/elle occupera, il faut prendre en
considération toutes les positions/classes sociales et essayer de maximiser leur
119 Rawls, A Theory of Justice, p.92.
120 Ibidem.
121 Ibidem.
90
propre bonheur car il est possible, selon cette fiction, d’appartenir à une classe
défavorisée de la société. Combiné au voile d’ignorance, cet exercice de
pensée permet de considérer toutes les positions possibles avec toutes les
personnes dans une société, nonobstant leur classe sociale, et de prendre
dans une certaine mesure leur bonheur en considération. Rawls crée donc une
procédure théorique juste et équitable, et dont on peut se servir afin de
démontrer que le système de monarchie constitutionnelle s’avère injuste et
inéquitable.
Toujours selon Rawls, le principe d’égalité qu’il conçoit exige que chaque
personne puisse avoir un droit égal au système le plus étendu des libertés de
base. Pour ce faire, il conçoit le principe de différence afin de déterminer une
manière efficace de répartir les inégalités dans la distribution des biens
premiers. D’après le principe de différence, les inégalités économiques et
sociales ne peuvent être justifiées que dans deux cas, c’est-à-dire lorsqu’elles
sont :
a) au bénéfice de tous et surtout des plus désavantagés;
b) attachées à des fonctions et à des positions ouvertes à tous,
conformément au principe de la juste égalité des chances.122
En vertu de ces deux scénarios, il est clair que Rawls serait farouchement
opposé à une situation où la fonction de chef d’État d’un pays est exclusive,
limitée aux membres d’une seule famille (étrangère, de surcroît) et dont cette
122 Rawls, A Theory of Justice, p. 341.
91
inégalité ne bénéficie aucunement les plus désavantagés. Une telle injustice
serait injustifiable. Pourtant, c’est le système de gouvernance en place au
Canada. Il faut préciser que Rawls ne s’oppose pas aux inégalités sociales.
L’important est que tous les citoyens bénéficient d’un accès aux fonctions
privilégiées et mieux rémunérées. Ces postes ne peuvent être réservés qu’à
des individus provenant de classes sociales particulières. Il s’agit ici d’une
question d’équité et d’égalité des chances. Dans le cas qui nous préoccupe, et
sur la base de la théorie de justice de Rawls, le fait que la plus haute fonction
publique de l’État canadien ne soit pas équitable (puisqu’elle n’est réservée
qu’à la famille Windsor) est moralement inacceptable. Elle ne passe pas le
« test » contractualiste élaboré par Rawls, avec sa position originelle et son
principe de différence.
Tel que vu précédemment, il est désirable de se doter d’une société dans
laquelle les individus se respectent et peuvent vivre ensemble sur une base de
collaboration, qui ne soit non seulement juste dans les faits, mais qu’elle soit
également juste aux niveaux institutionnel et de la perception publique. Dans
ces deux principaux ouvrages, tant Théorie de la Justice que Libéralisme
politique, Rawls cherche à démontrer que sa position originelle, ainsi que les
principes politiques utilisés pour arriver à ce moyen de représentation, réalise
cette idée de justice (« fairness »). Le fait que des choix de principes sont fait
en ignorant les attributs du sujet et de son rang dans la société semble
effectivement être une façon efficace de façonner l’idée que la justice requiert
92
l’impartialité. En fait, « terms of cooperation are fair only if they are suitably
impartial, treating all as equals. »123
Mais cette impartialité ne suffit pas pour engendrer le respect d’autrui. Pour
éviter des traitements de faveurs, comme c’est le cas avec le système
monarchique, « the notion of dignity or inviolability is needed to complement the
ideas of fairness and respect. »124
Pour reprendre la méthode rawlsienne, imaginons une situation fictive dans
laquelle, par un malheureux concours de circonstances, tous les membres de
la famille royale meurent dans un tragique accident. Il découle de cet accident
qu’aucun choix naturel et logique ne se manifeste comme prétendant au trône.
Une telle impasse inciterait sûrement le peuple canadien, tout comme d’autres
nations membres du Commonwealth, à se demander dans un tel contexte s’il
faut réviser la façon de choisir son chef d’État et par le fait même, le système
de la monarchie constitutionnelle serait sans doute remis en question.
Devant une telle situation, le dispositif fictif de Rawls serait fort utile car nous
pourrions prendre sa position originelle comme point de départ afin de trouver
une façon juste et équitable de nommer le prochain chef d’État du Canada. La
position originelle permettrait de prendre en considération l’intérêt personnel
123 Nussbaum, Martha, Rawls’s Political Liberalism, p.5
124 Nussbaum, Martha, op. cit., p. 6.
93
tout en considérant aussi l’intérêt général, puisqu’on est obligé de se mettre à
la place des autres en prévoyant toutes les situations réelles dans lesquelles on
pourrait se trouver. Dans un tel scénario, il est fort à parier que les Canadiens
rejetteraient massivement le statu quo car ce dernier ne présente aucunement
les qualités d’impartialité, ce qui est non seulement un élément clé de la théorie
de Rawls, mais également une valeur démocratique chère aux concitoyens
canadiens.
La nouvelle procédure adoptée pour choisir son chef d’État devrait sûrement
être équitable et impartiale afin d’assurer à chacun un traitement égal. C’est un
principe qui se dégage de la tradition du libéralisme politique voulant définir une
conception minimale du bien, qui permet « dans un contexte de pluralisme
moral, une coexistence harmonieuse entre des individus et des groupes ayant
des valeurs et des idéaux différents ».125 Les normes préconisées feraient en
sorte que les privilèges et les inégalités soient accessibles à tous et non
limitées au profit des plus favorisés.
125 Michel Métayer, La théorie de la justice de Rawls, p. 2.
94
Chapitre 6. Des symboles de plus en plus canadiens
Les sociétés contemporaines, particulièrement celle du Canada, sont
aujourd’hui largement dynamisées par le pluralisme126, d’où l’importance de
symboles nationaux forts, qui servent à forger une identité nationale et à rallier
une population autour de repères identitaires qui alimentent un patriotisme sain
et inspirant. Chaque pays dispose de ses propres symboles qui établissent son
caractère distinctif par rapport aux autres nations. Les symboles sont le reflet
de l’histoire d’un pays, de sa population, de son environnement et de ses
traditions. Ils illustrent les valeurs, les objectifs et les aspirations de son peuple.
Depuis sa fondation, le Canada à donner une grande place à sa Majesté, en
tant que symbole « national ». Cependant, tel que mentionné précédemment,
suite au Statut de Westminster, personne ne doutait de la souveraineté du
Canada tant sur la scène internationale qu’au plan national. Même si la royauté
britannique était et demeure toujours bien présente dans les institutions
canadiennes, des symboles identitaires purement canadiens se sont multipliés,
principalement après la Deuxième Guerre mondiale.
Pour remplacer le Union Jack, le Canada s’est doté d’un drapeau le 15 février
1965. D’autres avancées sur le plan symbolique furent la reconnaissance du
castor comme symbole de la souveraineté du Canada (24 mars 1975) et
126 Salvatore Veca, Éthique et politique, p.3.
95
l’adoption officielle de l’hymne nationale, soit le Ô Canada (1er juillet 1980).
Tous distincts des symboles britanniques, il faut réaliser que ce n’est qu’un
centenaire après la naissance du pays que le peuple canadien s’approprie des
symboles bien à lui. Il y a donc une « évolution tranquille » qui amène à se
distancer des institutions et des emblèmes « British » afin de reconquérir en
quelque sorte sa propre identité nationale, basée sur des symboles qui reflètent
davantage les mœurs et valeurs canadiennes que celles qu’on retrouve au
pays des Windsor. Le Canada s’émancipe tranquillement et parvient au fil des
ans à se distancer de la monarchie anglaise.
Tel qu’évoqué précédemment, la consécration se réalise avec la Loi de 1982
sur le Canada lorsque la Reine Elizabeth II, par la sanction royale, permet le
rapatriement de la Constitution du Canada. Ce n’est qu’à partir de ce moment
que le Canada possède les compétences pour modifier lui-même sa
constitution sans l’accord du Royaume-Uni. Il a quand même fallu que la Reine
donne sa sanction. L’évolution doit donc se poursuivre afin d’atteindre l’objectif
d’autodétermination entière, qui n’est toujours pas réalisé. Malgré tous ces
efforts d’un État qui actualise ses facultés, qui gagne en maturité et qui
consolide ses repères en tant que pays indépendant, un lien indéniable à la
royauté britannique demeure toujours présent par l’entremise du système
monarchique.
96
Cette monarchie constitutionnelle accorde non seulement des privilèges au
souverain, mais elle permet aussi d’éliminer le besoin de transparence et de
responsabilité de notre chef d’État. « L’État, c’est moi » est la fameuse phrase
attribuée au roi de France, Louis XIV, qu’il aurait prononcée devant des
parlementaires pour leur rappeler la primauté de l’autorité royale. La déclaration
du Roi Soleil émise au début du 17e siècle semble à des années lumières de
notre réalité quotidienne. Pourtant au Canada, notre chef d’État est un
monarque, souverain, et théoriquement chef du pouvoir exécutif et du pouvoir
législatif. La Reine Élizabeth II bénéficie d’immunités selon la jurisprudence en
droit criminel (« The Queen can do no wrong ») ainsi que la prérogative royale,
qui lui donne des privilèges et des pouvoirs dans le but de la gouvernance de
l’État. Tous les pouvoirs de l’État canadien appartiennent, constitutionnellement,
au souverain. Les institutions du gouvernement du Canada agissent sous
l’autorité du monarque. En somme, la Reine Élizabeth II pourrait reprendre les
paroles de Louis XIV et elle ne serait pas très loin de la réalité, du moins, sur
papier. Car dans sa grande sagesse, la Reine demeure discrète et ne se
prévaut de ses pouvoirs que dans le respect des conventions et des coutumes
constitutionnelles, plus souvent qu’autrement par l’entremise du gouverneur
général, de sorte que le citoyen canadien moyen ne réalise pas l’ampleur des
privilèges et des pouvoirs de notre souverain.
Dans une démocratie libérale comme la nôtre, où priment les droits
fondamentaux ainsi que les principes de justice sociale et d’égalité des
97
chances, une analyse plus poussée des considérations éthiques est de mise.
Quelles sont ces valeurs qui ont tant changé depuis la naissance du Canada ?
De la même manière qu’à une certaine époque dans les pays occidentaux, le
droit de vote « universel » était dans les faits réservé uniquement aux hommes
blancs propriétaires terriens, écartant les femmes et les hommes de groupes
ethniques minoritaires, le fait d’avoir un étranger privilégié, non-élu, non
redevable à la population canadienne et dont la succession est assurée de
manière héréditaire pose un problème éthique d’un point de vue contemporain.
Bref, l’identité narrative du Canada se poursuit. Cela implique qu’il faut faire des
choix, et chaque choix arrive en son temps. On peut penser au choix de fédérer
les colonies britanniques de l’Amérique du nord pour créer le Dominion du
Canada; le choix de se créer des symboles nationaux à notre image (comme le
drapeau, l’hymne national, etc.); le choix de rapatrier la Constitution et d’y
adjoindre une Charte des droits et libertés. Si les valeurs démocratiques issues
des Lumières sont bien ancrées dans la psyché des Canadien(ne)s, il faudrait
être conséquent avec nous-mêmes et faire le choix de se départir d’un système
de gouvernance qui n’est plus approprié dans le contexte actuel puisqu’il
évoque le passé colonial et toutes les injustices que ce passé représente.
Par ailleurs, il est intéressant de noter que le Gouvernement du Canada s’est
doté d’un Code de valeurs et d’éthique du secteur public, qui s’inspire des
valeurs développées au siècle des Lumières. Ce code ne s’applique
98
malheureusement pas directement au chef d’État, le monarque. En fait, il
présente de façon générale les valeurs et les comportements que les
fonctionnaires du Gouvernement canadien doivent adopter dans le cadre de
leurs fonctions professionnelles. Ces valeurs servent de guide aux
fonctionnaires afin de renforcer la culture éthique du secteur public. Ceci
permet ainsi de maintenir la confiance de la population canadienne en l’intégrité
de l’appareil gouvernemental.
Même s’il ne s’applique qu’aux fonctionnaires fédéraux, il est tout de même
important de souligner ce Code de valeurs et d’éthique dans le cadre de cette
thèse car, la première valeur dont il est question dans le code est celle du
« Respect de la démocratie ». Le code présente cette valeur de la façon
suivante :
Le régime canadien de démocratie parlementaire et ses
institutions sont fondamentaux pour servir l'intérêt public. Les
fonctionnaires reconnaissent que les élus sont responsables
devant le Parlement et, par conséquent, devant la population
canadienne, et qu’un secteur public non partisan est essentiel à
notre système démocratique.127
La deuxième valeur qui y est énoncée est celle du « Respect envers les
personnes ». Dans ce cas-ci, le code note que :
Notre relation avec la population canadienne doit être empreinte de respect, de dignité et d’équité, valeurs qui contribuent à un milieu de travail sûr et sain propice à l’engagement, à l’ouverture et à la transparence.128
127 http://www.tbs-sct.gc.ca/pol/doc-fra.aspx?id=25049
128 Ibidem.
99
Il est clair que le Gouvernement du Canada tient à promouvoir l’équité,
l’ouverture et la transparence. Il est tout aussi clair qu’une monarchie
constitutionnelle, dans une perspective de méritocratie et de justice rawlsienne
(« fairness ») va à l’encontre de ces valeurs.
De plus, le code suggère que « notre esprit d’innovation procède de la diversité
de notre population et des idées qui en émanent ».129 Encore une fois, cette
valeur ne se retrouve aucunement dans le système de monarchie
constitutionnelle. Innovation ? N’y a-t-il rien de plus archaïque qu’un système
monarchique issu du Moyen-Âge ? Comment le Code de valeurs et d’éthique
du gouvernement fédéral peut-il parler de démocratie, d’équité et de
diversité alors que la monarchie est aux antipodes de ces valeurs ? Il s’agit
d’un non-sens. Il faut prêcher par l’exemple et, dans ce cas-ci, il y a lieu de
changer la façon dont le chef d’État du Canada est choisi afin qu’il puisse
réellement refléter les valeurs démocratiques du Canada moderne, incluant
l’équité et la diversité.
129 Ibidem.
100
Conclusion : Le Canada, un pays en constante évolution
Pendant des siècles, les États, voire les empires, dépendaient de l’existence
des héritiers au trône pour perpétuer une certaine stabilité sociale. Le monde a
changé au cours des siècles, mais malgré les grands bouleversements et les
révolutions, le Canada maintient une monarchie constitutionnelle avec tout ce
que cela implique. Ici, la Reine Elizabeth n’entre pas dans la chambre du
peuple (la Chambre des communes). Ce simple fait peut paraître anodin, mais
il en dit long sur les modalités de notre démocratie, même en 2016. Elle n’est
pas l’égale d’un autre citoyen. Ceci démontre que le système démocratique
canadien demeure ancré dans un modèle de gouvernance qui divise la
population en deux : les ayants droit et les autres ; l’élite et le peuple ; le
souverain et ses sujets.
Cet héritage british va à l’encontre d’un constitutionalisme démocratique et des
concepts de liberté, d’égalité et d’équité qui ont été abordés dans cette thèse.
Cette situation est également éthiquement inacceptable dans une perspective
d’égalité des chances. La théorie de la justice élaborée par Rawls confirme que
le système monarchique, bien que constitutionnel, est incompatible avec ses
prémices de base. Il est évident que le système de gouvernance canadien n’est
pas conciliable avec les critères de base de la théorie de la justice de John
Rawls, notamment le principe de liberté et le principe de différence.
101
Le journaliste et homme politique québécois André Laurendeau écrivait sur le
legs anglais qu’il s’agit « d’un lien, léger en apparence, mais fort comme
l’acier ».130 Cette thèse a justement tenté de faire la démonstration que ce lien,
presqu’uniquement symbolique (« léger »), est clairement enchâssé dans la
Constitution du pays (« fort »). Plus encore, cette thèse a voulu présenter la
perspective historique qui a fait en sorte que le Canada, à sa naissance, fut
doté d’un système monarchique à l’image de la gouvernance anglaise et que
les impacts se font toujours bien ressentir.
La monarchie constitutionnelle est sans doute un système qui demeure valable
dans certains pays, comme en Angleterre, en Suède ou au Japon, là où les
familles royales sont toujours respectées, pour ne pas dire admirées. Mais
dans un contexte de pluralisme canadien, les liens culturels et économiques
avec le Royaume-Uni ne sont plus ce qu’ils ont déjà été. Qui plus est, les
valeurs normatives de la société canadienne ont aussi évolué. La tradition
« tory » n’a plus la même emprise qu’elle a déjà eue sur la population du
Canada. L’identité canadienne s’est modifiée au fil des ans. Les Canadiennes
et les Canadiens sont beaucoup plus près des idées véhiculées par les
philosophes comme Locke et Rousseau – que les Américains avaient déjà
adoptées – comme le respect de la démocratie, les libertés individuelles et la
justice sociale.
130 André Laurendeau, Indépendance et république, L’Action nationale, vol. XXXII, n.2, Montréal, p. 88.
102
Il faut arracher à la famille Windsor son monopole sur le poste de chef d’État
canadien. Comme le dit l’auteur québécois Marc Chevrier, « il s’agit de
remplacer le monarque – impropre à incarner l’idéal démocratique – par un
président élu par le peuple et d’effacer toute trace d’aristocratie titrée ».131
L’écrivain Fulvio Caccia abonde dans le même sens :
Dans un État de droit, la république est le seul régime qui peut
se substituer à la monarchie constitutionnelle, garante des droits
et libertés des citoyens et de la continuité historique de la culture
politique.132
Plusieurs choix s’offrent à la société canadienne. Mais une option m’apparaît
plus évidente que les autres. Elle ressort du lot car elle poursuit l’évolution
logique du récit canadien. L’éveil collectif qui s’est manifesté avec la révolution
tranquille québécoise, qui aura eu raison de la « grande noirceur » au Québec,
est un bel exemple d’un mouvement libérateur qui a réussi à changer une
société. Elle représente le progrès, l’émancipation d’un peuple. La
transformation fut irréversible. Il faut prendre l’exemple du Québec et le
superposer sur l’ensemble du Canada, car s’il le désire, il peut rompre avec la
monarchie par une modification constitutionnelle, selon la règle de l’unanimité
prévue à l’alinéa 41a) de la Loi constitutionnelle de 1982. En pareil cas, la
législation sur la transmission de la Couronne et la succession du Trône serait
abrogée. Une autre forme de gouvernance pourrait, par amendement, succéder
131 Marc Chevrier, La République québécoise, Hommage à une idée suspecte, p. 28.
132 Fulvio Caccia, La République métis, p. 24.
103
à la forme monarchique. Comme l’Inde, le Canada pourrait toujours demeurer
membre du Commonwealth; l’Inde, qui a son président, reconnaît tout de
même la Reine comme Chef du Commonwealth.
Si les individus ne sont pas plus favorisés ou défavorisés les uns par rapport
aux autres, alors seul rentre en compte l’effort individuel dans la distinction
entre les individus. On peut alors considérer l’égalité des chances comme
favorisant le développement d'inégalités justes, c’est-à-dire celles étant
légitimées par les efforts personnels de l'individu. De plus Rawls subordonne le
second principe de la justice par rapport au premier principe qui scelle la
« priorité de la liberté » selon laquelle « la liberté ne peut être limitée qu’au
nom de la liberté elle-même ».
Il faut faire le saut et passer d’une culture de sujétion à la Couronne à une
culture du citoyen libre et égale, se situant au cœur de la volonté du peuple. Le
peuple canadien ne doit plus tolérer la situation actuelle. Il doit propulser le
Canada vers sa souveraineté entière face à l’Angleterre – se départir une fois
pour toute des liens avec la monarchie britannique – et finaliser le projet de
vivre-ensemble avec une reconnaissance mutuelle des cultures des citoyens,
ce qui engendre l’allégeance et l’unité. Il est nécessaire de se munir d’un
nouveau système de gouvernance adapté aux besoins contemporains et futurs
à l’image des valeurs normatives modernes. La volonté de rupture avec les
104
reliques britanniques devra se manifester un jour si nous voulons un système
qui soit, d’un point de vue éthique, acceptable et accepté à part entière.
Pour fermer la boucle et en guise de conclusion, revenons à l’accord conclu en
octobre 2011 en Australie entre les chefs de gouvernement du Commonwealth,
tel mentionné dans l’introduction de cette thèse. Il est clair que les premiers
ministres des 16 pays du Commonwealth, dont Sa Majesté la Reine,
Elizabeth II, est le chef d’État, étaient tous prêts à apporter des modifications
significatives aux règles de succession en vue de mettre fin à la règle de
primogéniture de préférence masculine et à l’incapacité de régner résultant du
mariage avec un catholique. Tous ces chefs de gouvernement s’étaient
engagés à « travailler chacun au sein de leur gouvernement à l’adoption des
mesures nécessaires pour que tous les royaumes puissent donner effet à ces
modifications en même temps133 ». Cet exercice de modification aux règles de
succession n’est pas anodin. Il démontre sans l’ombre d’un doute que
l’institution de la monarchie était et est toujours fondée sur des principes et des
valeurs qui sont nettement périmés. Les modifications proposées tentent de
rectifier une situation à la lumière des valeurs modernes et libérales, qui
priment désormais dans la majorité des pays membres du Commonwealth. On
cherche à se départir des aspects discriminatoires – en occurrence la
discrimination basée sur le sexe et sur la religion catholique dans le cas
133 Réunion des chefs de gouvernement du Commonwealth de 2011, Agreement in Principle among the
Realms, Perth (Australie), 28 octobre 2011.
105
présent – pour que les règles de succession au trône s’arriment davantage
avec les valeurs contemporaines.
La prémisse de cette thèse va exactement dans le même sens, mais pousse la
démarche à un autre niveau. La société canadienne peut se donner un projet
de constitutionnalisme moderne et le façonner à l’image de ses valeurs
contemporaines. De cette manière, la société devient le fondement du politique
et le politique est « l’instance par laquelle la société exhibe et explicite ce
fondement134. » Pour reprendre L’Esprit de Haïda Gwaii, il est possible de
changer d’une embarcation d’origine britannique avec une toute nouvelle
fabriquée au Canada, par les Canadien(ne)s, pour les Canadien(ne)s et à leur
image. Ce projet nécessite, pour être accompli, que le politique se constitue
dans des formes symboliques et institutionnelles à l’intérieur desquelles liberté
et responsabilité peuvent se rencontrer sous l’égide de la légitimité du peuple.
La nation canadienne qui en ressortirait serait ainsi émancipée, découlant
d’une volonté générale, celle de l’ensemble des citoyens libres, égaux et
solidaires. Ainsi, nos institutions gouvernementales, incluant la fonction de chef
d’État, incarneraient nos valeurs les plus chères et seraient résolument
tournées vers l’avenir.
134 Jean-François Thuot, La fin de la représentation et les formes contemporaines de la
démocratie, Montréal, Éditions Nota Bene, 1998, p. 90.
106
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