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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : [email protected] Article « De l'érudition à l'échec : la note du traducteur » Jacqueline Henry Meta : journal des traducteurs / Meta: Translators' Journal, vol. 45, n° 2, 2000, p. 228-240. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/003059ar DOI: 10.7202/003059ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Document téléchargé le 30 July 2015 04:08

La Note Du Traducteur

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essai sur la note de traduction

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  • rudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif compos de l'Universit de Montral, l'Universit Laval et l'Universit du Qubec

    Montral. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. rudit offre des services d'dition numrique de documents

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    De l'rudition l'chec: la note du traducteur Jacqueline HenryMeta: journal des traducteurs/ Meta: Translators' Journal, vol. 45, n 2, 2000, p. 228-240.

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  • 228 Meta, XLV, 2, 2000

    De lrudition lchec : la note du traducteur

    jacqueline henryUniversit de Paris 3 Sorbonne Nouvelle, Paris, France

    RSUM

    Une des solutions employes par certains traducteurs face une difficult de restitutionen langue cible est la note du traducteur (N.d.T.). Cet article traite des caractristiquesde la note en gnral et des types duvres dans lesquelles on rencontre des N.d.T. Ilexamine la situation du traducteur et des moyens dont il dispose pour rsoudre certainsproblmes, en particulier celui de lexplicitation dlments implicites dans loriginal.

    ABSTRACT

    To cope with some difficulties in rendering an element in the source text, translatorssometimes add a footnote. This article deals with the characteristics of the footnote ingeneral and with the kind of texts in which one can find translators footnotes. It raisesthe issue of the translators position between the author and the reader and considersthe means available to him/her in order to solve some problems, especially when some-thing implicit in the original may have to be made more explicit.

    MOTS-CLS/KEYWORDS

    traduction, note du traducteur (N.d.T.), intraduisible, explicitation, lecteur

    Cest alors que je travaillais sur ma thse, consacre la traduction des jeux de mots(Henry 1993) que mon attention a t plus particulirement attire, pour la premirefois, par la question des notes du traducteur. En effet, au cours de mes recherches, jaifait un dtour par la traduction de la Bible et, en consultant la Traduction cumni-que de la Bible (1972), en livre de poche, jai t frappe par le grand nombre de notessignalant la prsence, dans loriginal hbreu, dun jeu de mots non rendu en traduc-tion (neuf dans les onze premiers chapitres).

    Aprs quelques rappels thoriques sur les caractristiques de la note en gnral,je me pencherai plus spcifiquement sur le problme de la note du traducteur(N.d.T.), en mappuyant entre autres sur lexemple de la traduction franaise deSmall World, de David Lodge. Le problme de la posture du traducteur entre lauteuret son lecteur sera dvelopp, ainsi que celui du lecteur auquel le traducteur destineson texte. La question essentielle de lexplicitation et de ses moyens sera galementpose et pour finir, il faudra bien risquer une rponse la question implicite dans letitre de cet article : la note du traducteur est-elle admissible ou bannir, sagit-il dunajout rudit justifiable, ou dun aveu dchec qui jette lopprobre sur le traducteur ?

    I. Considrations gnrales sur la note

    La note, en gnral, peut tre apprhende de diffrents points de vue qui apportentchacun quelques briques ldifice de sa comprhension. Ces lments permettentgalement, me semble-t-il, de mieux cerner les enjeux de la note du traducteur.

    Sur le plan linguistique, Grard Genette dcrit comme suit llment de

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  • paratexte (1982), cest--dire de texte en marge, sur le seuil , que constitue la note :cest un nonc de longueur variable (un mot suffit) relatif un segment plus oumoins dtermin du texte, et toujours dispos soit en regard soit en rfrence cesegment. Le caractre toujours partiel du texte de rfrence, et par consquent lecaractre toujours local de lnonc port en note me semble le trait formel le plusdistinctif de cet lment de paratexte [] (1987). On peut aller plus loin dans ladescription et la dfinition strictement linguistiques de cet nonc. Pour JulieLefbvre, doctorante lUniversit de Paris III-Sorbonne Nouvelle qui a consacr sonmmoire de matrise lApproche syntaxique de la note de bas de page (1998), la notesinscrit dans un ensemble qui rassemble diverses formes de langue lorigine de subversions de la linarit du signifiant . En effet, une des caractristiques de lanote, en langue, est quelle met en cause la linarit des signifiants graphiques,laquelle matrialise la succession des signifiants dans le temps. Il y a, physiquement, dcrochement et loignement de la note par rapport au corps du texte, avec re-cours un appel de note (astrisque, chiffre ou lettre en exposant, etc.) qui signaleune opration dajout ou, pour citer J. Lefbvre, une opration de greffe typogra-phique . La note se trouve ainsi considre comme un greffon , et donc comme unlment tranger.

    Il convient galement de rappeler que spatialement, ou typographiquement, lanote peut occuper diffrentes positions : il est arriv, jusquau Moyen ge, quelle soitplace dans le cadre mme du texte. Elle tait alors le plus souvent signale par descaractres plus petits (corps plus petit) ou diffrents (autre police). Ensuite, auxvie sicle, sont apparues des notes situes en marge du texte, les notes marginales,anctres de la note de bas de page, ou note infrapaginale, que lusage a consacre auxviie sicle. De nos jours, outre les notes marginales et infrapaginales, on trouvegalement des notes regroupes en fin darticle ou de chapitre, en fin de volume,voire formant un volume spcial. Les textes de recherche peuvent mme comporterun systme double niveau, avec des notes de bas de page indiquant un nomdauteur ou une date qui renvoient leur tour un appareil de notes bibliographi-ques plus complet en fin darticle ou de livre. Et lon rencontre aussi, dans la presse,des notes entre parenthses lintrieur du texte des articles.

    Autre interrogation possible concernant la note : par qui a-t-elle t crite ? De cepoint de vue, les deux principales catgories de notes sont la note auctoriale, note delauteur qui vient ajouter une ou des donne(s) dans un espace dcroch, et la noteallographe, cest--dire rdige par un tiers, diteur (au sens anglais du terme, cest--dire de celui qui publie et/ou de celui qui relit et rvise le texte), traducteur, ou encoreglossateur ou critique. propos de la note dauteur, Genette voque en particulier laquestion de lvolution dun livre dans le temps, de sa premire dition celles quipeuvent suivre, volution susceptible de faire apparatre ou disparatre des notes.Dans le cas des uvres littraires, il mentionne aussi les notes quil qualified actoriales , qui sont ajoutes par la personne dont traite un livre (on peut pen-ser, par exemple, au cas de la biographie dun auteur contemporain), ou par un per-sonnage (la note est alors fictive). Enfin, dans un article de journal, on peut trouver,dans le corps du texte, une ou des Note(s) de la rdaction (N.d.l.R.), quivalent pourla presse de la note dditeur pour les livres.

    Il convient ensuite de se demander quoi sert une note, autrement dit, quelle estsa fonction. La note auctoriale peut tre un ajout mtalinguistique, comme une dfi-

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    nition, lexplication dun terme, ou la traduction dune citation produite en languetrangre dans le texte ; il peut sagir de divers types de complments : prcision surun point non dvelopp dans le texte, mention dune motivation de lauteur, apportdinformations biographiques ou encore digression pure et simple. Mais aussi dunvritable commentaire, par exemple en rponse aux critiques des ditions antrieures.En fiction, elle peut clairer le contexte historique ou gographique de lintrigue ;dans ce cas, elle documente, donc, plus quelle ne commente. La note allographe, elle,ressortit le plus souvent au commentaire critique ; de nos jours, les commentairesportant une apprciation morale et esthtique ont le plus souvent disparu au profitde commentaires dclaircissement encyclopdique et linguistique ou dinformationsur la gense du texte, sur les sources de lauteur, sa vie, etc. En ce qui concerne monpropos, la note actoriale prsente peu dintrt ; si elle est signe par le sujet delouvrage, elle se rapproche de la note allographe, dont elle peut reprendre les fonctionsdocumentaires, et si elle est crite par un personnage du livre, elle est fictionnelle etdonc faussement paratextuelle.

    Il sensuit des considrations qui prcdent que les types de textes dans lesquelspeuvent apparatre des notes sont varis : les textes pragmatiques, dune part, queGenette qualifie de discursifs , qui incluent la catgorie des essais biographiques,historiques, littraires, philosophiques ou autres, les textes de recherche, et les textestechniques ; les textes de fiction, dautre part, dans lesquels les notes auctoriales sontassez rares et o peuvent plutt prolifrer des notes allographes, du type note dditeurou note du traducteur. En fait, et il en sera question plus longuement propos de lanote du traducteur, un des lments qui dtermine la prsence de notes, leur abon-dance, leur longueur, et leur plus ou moins grande autonomie par rapport au texte,est souvent davantage le type ddition dune uvre que le type de luvre propre-ment dite : ainsi, ldition nue des pomes de Victor Hugo sera-t-elle dpourvuede notes, tandis que leur dition savante comportera tout un appareil de notescritiques donnant des dtails biographiques, bibliographiques, historiques, sur lesdiffrentes versions successives des textes, etc.

    II. La note du traducteur

    Rsumons, avant danalyser plus avant les spcificits de la note du traducteur, enquoi elle se caractrise : cest un paratexte allographe, cest--dire crit par un tiersqui nest donc ni lauteur ni un sujet/personnage du livre (je passe sur le cas trsparticulier des traductions auctoriales, comme chez Nabokov, Beckett, etc., qui peuventdonner lieu des notes du traducteur qui soient en mme temps des notes dauteur).Elle napparat que dans des textes traduits, cest--dire crits dans une langue autreque celle de loriginal. Et elle est donc le fait de ce tiers dont la tche est de restituerluvre premire dans un contexte linguistique, culturel, gographique, voire tempo-rel, second.

    1. La N.d.T. et son texte

    En traduction aussi, diffrents types de notes du traducteur peuvent surgir en fonc-tion des types de textes concerns. Considrons tout dabord le cas du texte pragma-tique : article de journal, texte technique ou scientifique, document juridique, etc.

  • Dans ces diffrents types dcrits, et en fonction du destinataire plus ou moins claire-ment dfini de la traduction, le traducteur pourra ajouter des notes visant comblerun cart lexiculturel entre le pays dorigine et le pays de traduction, par exemple enindiquant la valeur, en francs, dun montant indiqu en livres ou en dollars, en don-nant lquivalence mtrique dune mesure anglo-saxonne, ou en expliquant brive-ment ce quest un solicitor, un barrister ou lattorney-general. Il sagit donc le plussouvent dinformations ponctuelles ou dexplications en rapport direct avec un pointprcis du texte.

    Il existe, dans le domaine de la littrature traduite, un cas particulier, savoircelui des ditions bilingues. Il sagit douvrages qui prsentent, en vis--vis, loriginalet sa traduction, ce qui permet une circulation entre les deux et leur comparaison.Autrement dit, alors que dans le cas du texte traduit classique, loriginal est totale-ment effac et inaccessible, dans les ditions bilingues, il est dlibrment visible.Ainsi, dans le Trolus et Cressida publi par Aubier-Flammarion (Shakespeare 1969),trouve-t-on lavertissement paratextuel suivant de M. Digeon, professeur honoraire la Sorbonne, auteur de la traduction, de lintroduction et des notes : La traductionse tient aussi prs que possible du texte anglais. Seules quelques plaisanteries, qui meparaissaient intraduisibles, ont t parfois transposes. Mais quiconque veut conna-tre Shakespeare et lapprcier rellement doit faire leffort de le lire en anglais. Cestavant tout pour aider ceux qui veulent faire cet effort que ma traduction a t entre-prise. La qualification mme du professeur Digeon est une premire piste quant aucontenu des notes (regroupes en fin douvrage) : il est ex-enseignant-chercheur,autrement dit, il a une vise pdagogique, celle denseigner la langue et la littrature,et une vise rudite, celle de commenter luvre traduite et dapporter des com-plments dinformation. Cette posture est ambigu, ainsi que le confirme lavant-propos sur la traduction : elle doit tre aussi prs que possible du texte anglais parce que celui-ci est consultable et quun lecteur qui connat mal langlais doitnanmoins pouvoir retrouver rapidement, partir du texte franais, un mot ou unvers de loriginal ; les plaisanteries transposes , cest--dire qui ont ncessit unevritable reformulation, ne sont pas considres comme purement traduites ; et pourfinir, il est dit que loriginal est traduit afin de pouvoir tre lu en anglais, ce qui peutparatre paradoxal ! Le problme de ce type ddition, ainsi que la crit LanceHewson (1985) il y a quelques annes, cest que le lecteur potentiel de ce double textenest pas clair (tudiant en langue anglaise, en littrature compare, amateur de th-tre, spcialiste de Shakespeare), do galement lhtrognit des notes, parmi les-quelles on trouve, par exemple :

    Note 2 Le Prologue est absent des deux in-quarto. Il est possible que Shakespearenen soit pas lauteur. On la parfois attribu George Chapman.Note 9 (qui renvoie lacte I, scne 2 : Pandarus : [] When comes Troilus ? Ill showyou Troilus anon : he if see me, you shall see him nod at me. Cressida : Will he give youthe nod ? Pandarus : You shall see. Cressida : if he do the rich shall have more. ) Calembour entre nod, signe de tte, et noddy, sot ; et lallusion vise la phrase de la BibleTo him that hath shall be given. Notre traduction nest quun -peu-prs.Note 14 Ce passage a t exploit par les Baconiens. Car ce quAristote juge lesjeunes gens incapables de comprendre (dans lthique Nicomaque), cest la politique,et non la morale []Note 22 Cest dans Caxton que Shakespeare a trouv le Sagittaire, dans Les troisdestructions de Troie []

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    Dans cet chantillon, seule la Note 9, sur le calembour et lallusion, est une vri-table note du traducteur, les autres tant des commentaires rudits lintention dechercheurs. Et lon remarquera quoutre quelle explique les sens cachs du texte, ellesert aussi au professeur Digeon sexcuser de sa traduction prtendument maladroite.

    Venons-en maintenant au cas qui semble le plus classique et le plus reprsentatifde la littrature de fiction, celui des romans traduits, pour nous interroger sur laprsence ou non de N.d.T. dans ce type duvres et, dans laffirmative, sur leur na-ture. Jai plus prcisment examin le cas dun roman a priori plutt rcratif, sur-tout pour des universitaires, puisquil sagit de Small World de David Lodge (1985 ;Un tout petit monde dans la traduction franaise de Maurice et Yvonne Couturier,1991). Le travail de relev et danalyse des notes du traducteur a cependant t moinsamusant que la lecture du roman, car elles sont relativement nombreuses et soul-vent des problmes de traduction assez complexes.

    En effet, sur les 415 pages de la traduction franaise, on trouve vingt-trois notesdu traducteur, ce qui, en moyenne, en fait une toutes les dix-huit pages. Ce nest bienentendu pas norme par rapport aux ouvrages prcdemment voqus. Mais rappe-lons, titre de comparaison, quil ny a aucune N.d.T. dans les traductions franaisesde deux gros romans qui ntaient certainement pas dnus dembches, savoir CienAnos de Soledad de Gabriel Garcia Marquez et Il Nome della rosa dUmberto Eco.

    Ces vingt-trois notes peuvent tre subdivises en quatre catgories :a) 1 note de type conventionnelle ;b) 11 notes lies au problme de la langue dun personnage ou dun nonc dans lori-

    ginal ;c) 5 notes lies la citation dun titre duvre ;d) 6 notes relatives un jeu de mots.La seule note du type a), que jai qualifie de conventionnelle , figure en p. 50

    de la traduction (ce qui correspond la p. 29 de loriginal). Elle est libelle commesuit : En franais dans le texte, comme tous les termes en italique suivis dun astris-que . Il sagit donc l dune note quasi ditoriale, cest--dire dans laquelle les tra-ducteurs reprennent leur compte une rgle ddition/typographie qui veut que loncompose en italique les mots ou passages sur lesquels on veut attirer lattention dulecteur.

    Les notes de type b) se rapportent, pour sept dentre elles, des lettres ou destlgrammes que le Japonais Akira Sakazaki envoie lauteur anglais Frobisher, dontil traduit les uvres, afin de lui demander des claircissements smantiques. Dansloriginal, logiquement crit en anglais par lauteur anglais quest David Lodge, letraducteur (fictif) japonais sexprime en anglais et cite, en anglais, les extraits destextes (fictifs) de Frobisher sur lesquels il bute. Autrement dit, dans loriginal, tout esten anglais. En voici un exemple (p. 105 de loriginal) :

    Akira finds the page hes looking for, and lays the book open on the table. Hetouchtypes :p. 107, 3 down. Bugger me, but I feel like some faggots tonight. Does Ernie mean that he feels a sudden desire for homosexual intercourse ? If so, why doeshe mention this to his wife ?

    Traduction (p. 140) : Akira trouve la page quil cherchait et pose le livre ouvert sur la table. Il tape sansregarder :

  • p. 107, 3 lignes du bas. Bugger me, but I feel like some faggots tonight. 1 Ernie veut-ildire par l quil prouve un brusque dsir davoir des rapports homosexuels ? Si cest le cas,pourquoi en parle-t-il sa femme ?

    1. Bougre de bougre, je me taperais bien un pd/une crpinette ce soir. (N.d.T.)

    Dans la version franaise, on a donc une alternance de franais (la narration),danglais (la citation fictive no 1, celle du livre de Frobisher) et nouveau de franais(la citation fictive no 2, celle de la lettre de Sakazaki), avec une note traduisant le textede Frobisher et explicitant lambigut sur laquelle accroche le traducteur japonais.

    Les notes de type c) concernent des titres douvrages fictifs. Ainsi, la p. 59 deloriginal trouve-t-on le dialogue suivant entre lAmricain Morris Zapp et lAnglaisHillary Swallow propos dun roman crit par Dsire, lex-femme de Zapp :

    I read her novel, what was it called ? Difficult Days. Nice title, uh ? Marriage as one long period pain []

    En franais, ce passage devient (p. 85) :

    Jai lu son roman, comment il sappelle, dj ? Difficult Days1. Un bon titre, hein ? Le mariage prsent comme une douleur mens-truelle qui nen finit pas [].

    1. Jours difficiles. (N.d.T.)

    Ici, la note donne la traduction du titre et explicite le rapport entre sa significa-tion et le contexte nonciatif.

    Enfin, les six notes du type d) portent sur des noms de personnes, douvrages oudvnements prsentant une ambigut intentionnelle. Ainsi, la page 233 de lori-ginal, il est question dun spcialiste de la ponctuation qui se trompe de colloque,dans un btiment qui en accueille plusieurs en mme temps, et coute le dbut duneintervention sur les Malfunctions of the Colon avant de se rendre compte quil nese trouve pas dans la bonne salle. Dans la traduction (p. 292), il est crit : [] on avu un bibliographe spcialis dans lhistoire de la ponctuation rester vingt minutes couter une communication mdicale sur les Malfunctions of the Colon1 avant decomprendre son erreur . Et la note suivante figure au bas de la page : 1. Les dys-fonctionnements du clon ; en anglais, colon signifie la fois deux points etclon. (N.d.T.)

    Ou encore, la page 257 de loriginal, alors que lIrlandais Persse cherche dansles librairies et kiosques de Heathrow le recueil de pomes The Faerie Queene, de SirEdmund Spenser, One assistant offered him Enid Blyton, another the latest issue ofGay News. Dans la traduction (p. 320), il cherche La Reine des fes, et lon lit ensuite : Un vendeur lui proposa un roman pour enfant dEnid Blyton, un autre le derniernumro de Gay News1. La note de bas de page indique : 1. Fairy signifie la foisfe et homosexuel en anglais. (N.d.T.)

    Il sagit donc, dans ces deux cas et les quatre autres de la mme catgorie, duclassique problme des jeux de mots ou des jeux sur la motivation (le signifi) denoms propres (comme Kingfisher = martin-pcheur).

    Comme il ressort de ce qui a t dit prcdemment sur les types de textes tra-duits, la posture du traducteur est bien souvent floue, ou plutt, multiple. Ainsi, celuiqui traduit des textes scientifiques ou techniques est-il aussi plus ou moins expert

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    dans les domaines concerns et il faut bien dire que sur le march, cette expertise,acquise de manire empirique ou travers une formation spcifique, est recherche.Mais si elle est utile la comprhension du texte traduire, elle est susceptible decontaminer sa rexpression, voire de la parasiter. Elle peut en particulier inciter lajout de notes dexplication ou de commentaire technique et scientifique que le pur traducteur auraient omises, en recourant ventuellement dautres moyenspour rsoudre les problmes de transposition du texte-source.

    Dans le cas des ditions bilingues, les comptences souvent plurielles du traduc-teur-annotateur lamnent, comme dans lexemple du Prof. Digeon, prsupposernon pas UN lecteur modle, mais un ventail de lecteurs aux savoirs trs variables. Etdans les ditions savantes, du type Pliade , il est aussi frquemment demand autraducteur dtre en mme temps prfacier, commentateur, critique littraire, biogra-phe ou autre, do une multiplication de notes de nature htrogne.

    Un autre cas est galement possible, notamment sagissant de textes non con-temporains : celui du traducteur-rviseur. LOthello publi en franais par le Livre depoche (Shakespeare 1972), par exemple, reprend la traduction de Franois-VictorHugo rvise par Yves Florenne et lisabeth Duret , lesquels indiquent que dansune large mesure, la traduction de F.-V. Hugo est demeure inchange, sauf quelquescontresens, approximations douteuses, formules embarrasses et autres erreurs . Cequi donne lieu des notes du genre (p. 155) : 1. Shakespeare a crit certes , enfranais, et on a essay de donner une quivalence donnant la mme intention : d-paysement, ironie. (Y. Florenne et . Duret ont rendu ce certes franais du texteanglais par vero , alors que F.-V. Hugo avait laiss le terme franais). On pourraitparler, ce propos, de note de mtatraducteur.

    Un autre cas de mtatraduction que lon peut signaler est celui, toujours au sujetdOthello, de ldition de cette pice chez Actes Sud (Shakespeare 1993). En effet, latraduction dArmand Robin est annote par Anne-Franoise Benhamou, ensei-gnante lUniversit de Tours, laquelle ajoute en bas de page de nombreuses notes vise pdagogique. En fait, la plupart dentre elles retraduisent en franais mo-derne des mots et expressions de la traduction premire.

    Jajouterai que les notes conventionnelles, comme en franais dans le texte ou cest nous qui soulignons sont elles aussi des cas-limites, le traducteur adoptant ldes rgles ddition et dimprimerie.

    Les seules pures notes du traducteur paraissent donc tre celles que lontrouve dans les traductions de textes de fiction, et plus particulirement de romans,publis en dition normale , cest--dire sans autre objectif que de proposerluvre des lecteurs en langue seconde. Et lon constate, par exemple dans les notesdUn tout petit monde, que conformment la dfinition donne par Grard Genette,elles portent sur un nonc caractre trs partiel.

    2. Le problme traductionnel de lexplicitation

    Il me semble que la notion traductionnelle au cur de la problmatique de lintra-duisibilit et de la N.d.T. est celle de limplicite et, surtout, de lexplicitation ou non.Dans Lector in fabula, ouvrage quUmberto Eco (1985) a consacr la cooprationinterprtative dans les textes narratifs , il affirme que (je traduis) : Le texte est unemachine paresseuse qui exige du lecteur un gros travail de coopration afin de rem-

  • plir les espaces de non-dit ou de dj-dit demeurs pour ainsi dire en blanc. Ilajoute encore, un peu plus loin, que le texte laisse ses contenus ltat virtuel danslattente de leur actualisation dfinitive par le biais du travail de coopration dulecteur .

    Ces espaces de non-dit ou de dj-dit dsignent des lments du texte qui nesont pas explicites et restent sous la surface des signifiants, mais que le lecteur moyenpostul et mme construit selon Eco, par lauteur de loriginal, peroit et com-prend sans problme, parce quils font partie de sa langue-culture. Marianne Lederer(1984) va dans le mme sens, dans la section Incompltude et expression du sens de son article sur limplicite et lexplicite, lorsquelle affirme que tout discours sap-puie sur le savoir de linterlocuteur, et quen situation normale de communication(cest--dire, entre autres, au sein de la mme langue-culture), les savoirs de lmet-teur et du rcepteur sont toujours plus ou moins partags. Le locuteur ne dit pastout, le destinataire compltant, pour comprendre, grce ce quil sait.

    En ce qui concerne le dj-dit , je citerai une allusion shakespearienne qui sesitue dans les toutes premires lignes de louvrage autobiographique Consider theOyster, de lamricaine M. F. K. Fisher (1941) : An oyster lives a dreadful butexciting life. Indeed, his chance to live at all is slim, and if he should survive thearrows of his own outrageous fortune and in the two weeks of his carefree youth findan clean smooth place to fix on, the years afterwards are full of stress, passion, anddanger. Lauteur suppose sans doute que ses lecteurs anglophones percevront sanstrop de problme le dbut du fameux monologue dHamlet et que cette reconnais-sance, dans le contexte de ce dbut dessai racontant comment nat une hutre, lesfera sourire et les incitera de ce fait poursuivre allgrement leur lecture.

    Les traductrices franaises de ce livre (1995) ont pour leur part recouru, ds lapremire page de leur traduction, une note de bas de page, On aura reconnu letroisime vers du clbre monologue de Hamlet, acte III, scne 1. , renvoyant dans letexte : Quand on y songe, ses chances de vivre sont des plus minces, et si ellechappe aux traits que lui dcoche sa propre outrageuse fortune Cela signifiequelles ont suppos la rfrence Shakespeare connue des lecteurs de loriginal maispas de leur lecteur potentiel elles, dans sa langue-culture. Et elles ont choisi depallier cette lacune de leur lecteur par lajout dune note infrapaginale qui, admet-tons-le, est rhtoriquement adroite.

    ce stade, il me parat bon de rflchir aux moyens dont peut disposer le tra-ducteur face un cueil de type lexiculturel. Je rappellerai au passage la dfinition decette notion quen a donne Fabrice Antoine (1998), lors de la journe dtude quisest tenue Lille, en mai 1997, sur le thme Traduire lhumour : Le lexiculturelest donc ce qui, au-del des mots, des lexies, sactualise spontanment chez le locu-teur natif. Le lexiculturel appartient donc au non-dit, et il constitue [] une sorte devaleur ajoute aux mots . Les choix thoriquement possibles, hormis la note, sont :

    a) le maintien tel quel, en langue dorigine, dans le texte traduit, sans aucun ajout ; on peuten particulier penser des lments lexiculturels brefs, tels que solicitor , Halloween ,etc. ;

    b) le transcodage des mots de loriginal, cest--dire leur transposition en des termes quileur correspondent directement, tels quindiqus par le dictionnaire ;

    c) le maintien du terme ou de lexpression original(e) avec ajout dun transcodage oudune quivalence entre parenthses ;

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    d) le maintien du terme ou de lexpression original(e) avec ajout dun transcodage oudune quivalence en incise, entre virgules, ventuellement prcd(e) dun cest--dire, autrement dit, savoir ;(ces deux dernires possibilits sont techniquement proches de la note, mais elles prsen-tent lavantage de constituer une solution non dcroche , contrairement celle-ci, etdonc de ne pas briser la linarit de lecture)

    e) le remplacement du ou des termes de loriginal par une quivalence. Ainsi, dans lexem-ple susmentionn de lallusion Hamlet dans M. F. K. Fisher, il serait possible dy subs-tituer une allusion emprunte Athalie, de Racine, afin de reproduire leffet voulu dansloriginal. Cela pourrait donner, par exemple : [] Quand on y songe, ses chances devivre sont des plus minces, et si elle parvient subir sans dommage des deux semainesde son insouciante jeunesse lirrparable outrage et trouve un endroit propre [] ;

    f) linsertion ailleurs, dans le texte cible, en amont ou en aval, dlments aidant la com-prhension du point nbuleux. Dans le cas prcit, on pourrait envisager lajout dans letexte dun indice mettant le lecteur francophone sur la piste de Shakespeare, en disantpar exemple : [] et si elle a, tel certain prince dElseneur, la noblesse dendurer lescoups et les revers dune injurieuse fortune [] (daprs la traduction dHamlet parAndr Gide).

    3. Le lecteur du texte traduit

    Tout cela amne rflchir plus prcisment la question du destinataire/lecteur dela traduction. Dans le cas de textes spcialiss, il est parfois trs clairement dfini : untexte informatique destin des techniciens de maintenance pourra et devramme, peut-tre rester trs jargonnant, cest--dire contenir de nombreux termesanglais (hardware, software, bug) ainsi que des abrviations et acronymes (URL,BIOS, etc.), alors que sil sadresse aux utilisateurs de la machine concerne, il faudraque les termes techniques anglais soient explicits dune faon ou dune autre. Demme, il sera vraisemblablement peu utile dexpliciter des termes comme solicitor ou Lord Chancellor lintention dun juriste franais, mme non spcialiste dedroit anglo-saxon, alors que si le texte considr est un article de journal (de la pressequotidienne, par exemple), il faudra peut-tre, en fonction des informations fourniesou non par le co-texte, les clairer. Tous les traducteurs non littraires savent bien etapprennent au cours de leur formation quune des premires questions poser undonneur douvrage est pour qui vais-je traduire ce texte ? .

    En littrature, bien sr, les choses sont moins aises, parce que la figure du lec-teur nest pas clairement dfinie et est poser par lauteur, dans un premier temps,puis par le traducteur, dans un second. Dans la perspective de la pragmatique dutexte, on peut reprsenter comme suit la situation de traduction :

    Langue-culture 1Auteur > Lecteur 1

    Traducteur > Lecteur 2Mtalecteur

    Langue-culture 2

    Lauteur crit pour un lectorat dont il se construit limage enfants, Parisiens,amateurs de mystre, etc. quil situe quasiment toujours, ne serait-ce quincons-

  • ciemment, dans sa langue-culture lui. Autrement dit, il postule un lecteur ayant lamme langue maternelle que lui et partageant avec lui un savoir encyclopdique d-coulant de la frquentation du mme univers. Le traducteur classique, lui, est enpremier lieu un lecteur, mais un lecteur de luvre originale qui nappartient pas lunivers de lauteur. Cest pourquoi il est dcal, sur le schma, par rapport au Lec-teur 1. Il ne peut avoir totalement la mme rception et la mme interprtation dutexte que celui-ci, et dans sa fonction de rcrivain, il est amen se projeter unlecteur qui appartient son univers lui, cest--dire une langue-culture 2 diff-rente de celle de lauteur et de son lectorat initial. Il doit avoir conscience quenproposant, disons, Alice in Wonderland, en version franaise, des lecteurs franco-phones, il soumet ceux-ci lpreuve de ltranger , pour reprendre lexpressiondAntoine Berman. Et comme indiqu sur le schma, le Lecteur 2 est en position de mtalecteur : le destinataire en langue seconde lit le texte dun autre lecteur letraducteur qui la rcrit pour lui. Mais cette transition par ce lecteur particuliermet invitablement en jeu sa subjectivit, et en tant que rcrivain, il produit untexte lintention dun lecteur modle second dont il sait que la capacit de sentir etde comprendre le texte nest pas celle du Lecteur 1. Or cest lui quil incombe derendre possible la rencontre de lAutre, et donc de choisir tantt dexpliciter, pardiffrents moyens, dont la N.d.T., tantt de laisser au texte propos son lecteur unepart dombre et dtrange, tantt de gommer laltrit, en naturalisant ou accli-matant luvre. Cest ainsi que dans le cas dAlice que je viens de mentionner, GuyLeclercq (1990) prconise, pour sa part, de remplacer les comptines et pomes an-glais cits ou voqus dans loriginal par des comptines et pomes appartenant lunivers du [petit] lecteur dAlice afin de reproduire les effets de dj-lu, dj-vu, dj-entendu qui, autrement, sont perdus pour le Lecteur 2, ce qui fausse laperception quil en a.

    Cest donc au traducteur de choisir les moyens de ngocier le dcentrement quisopre entre la langue-culture 1 et la langue-culture 2, en fonction de sa reprsenta-tion de son lecteur, quil peut voir (pour un francophone) comme trs hexagonal, ouau contraire comme ouvert luniversel. Il doit choisir sa stratgie, son parti-pris detraducteur entre deux univers et deux lectorats.

    Revenons plus prcisment aux exemples de notes du traducteur dUn tout petitmonde prsentes plus haut. Celui qui illustre les notes de type b) soulve un doubleproblme, celui de la continuit linguistique du texte et celui de lambigut dunnonc. Comme il a dj t indiqu, on passe dun texte tout en anglais, dans lori-ginal, un texte franais, puis anglais, puis franais dans la traduction. On peut sin-terroger sur la ncessit ou la lgitimit du maintien de la citation fictive 1 ( Buggerme ) en anglais dans le texte franais, dautant plus quil cre une htrognit delangue entre les noncs par rapport au texte de dpart et quil oblige du mme coup ajouter une N.d.T. Ce choix a donc pour consquence de creuser lcart entrelnonc report et son co-texte, cart marqu une deuxime fois par le dtour delecture quinduit la note infrapaginale. En outre, on remarque que les traducteurs duroman font sadresser le Japonais Akira Sakasaki en franais son auteur anglais(quand il demande Ernie veut-il dire par l [] ? . Ils ont donc suppos, sur cepoint, que leur lecteur tait en mesure dadmettre cette invraisemblance. On peutpenser que le maintien en anglais de la citation de luvre fictive de Frobisher tientaussi la prsence de lambigut du terme faggots ; mais puisque lon se trouve

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    dans une imbrication de niveaux de fiction et que la rflexion du personnage Ernieest livre sans grand contexte, la libert de reformulation est grande. Il sagit de luifaire dire quelque chose double sens, dont un de prfrence en-dessous de la cein-ture, qui fasse galement sourire en combinaison avec la remarque propos delpouse dErnie (remarque qui est elle aussi adaptable, dans loptique de la recherchede leffet et non de la correspondance des mots). Pourquoi pas : Merde alors, jaivraiment envie daller la selle, ce soir ! Ernie veut-il dire quil prouve une brusqueenvie daller faire de la bicyclette ? Si cest le cas, pourquoi ninvite-t-il pas sa femme venir avec lui ?

    Sagissant des notes de type c), relatives la citation du titre douvrages fictifs, laussi, des questions se posent. Dans lexemple donn, la reprise du titre Difficultdays dans la traduction franaise cre, comme dans le cas des notes de type b), unesolution de continuit linguistique du mme ordre que celle que peut engendrer lemaintien lidentique dun nom propre dans une uvre traduite. L encore, ce pre-mier cueil de lecture pour le non-anglophone loblige transiter par la note de basde page, sous peine de ne pas comprendre le lien entre ce titre et le contenu dudialogue dans lequel il sinsre. Certes, le roman cit a t crit par un personnageanglophone, mais les lecteurs ne sont pas stupides et peuvent parfaitement compren-dre, mme si un titre est donn en franais, que luvre indique est trangre etdonc en ralit crite dans une langue autre que le franais. Il semble ressortir delanalyse de lensemble de la traduction franaise de Small World que les traducteursont opt pour une stratgie systmatique de citation en franais, sans note, des titresduvres relles (Ex. : The Waste Land de T. S. Eliot, devient La Terre vaine), et denon-traduction des titres duvres fictives. Au point quil est question, la p. 27 de laversion franaise, de la Veille de Finnegan, titre franais ma connaissance non at-test de Finnegans Wake, et que des titres fictifs simplement transcodables commeDifficult days ou Hazlitt and the Amateur Reader sont reproduits tels quels dans lecorps du texte avec, en bas de page, les notes Jours difficiles et Hazlitt et le lecteuramateur .

    Il est comprhensible que les traducteurs aient recherch une solution cohrente,et donc rcurrente, au problme des nombreux titres mentionns dans le roman deDaniel Lodge. Et lon ne peut leur reprocher davoir eu la rigueur dindiquer lexis-tence dune traduction franaise pour certaines des uvres cites. En revanche, il neme parat pas logique que soient nommes en franais dans le texte franais desuvres anglophones relles et en anglais dans le texte franais des uvres fictives. Paressence, du fait mme quelles sont cres de toutes pices, elles auraient pu, selonmoi, tre rebaptises en franais, sans note. On aurait pu faire confiance au lecteurfrancophone et lestimer capable de comprendre, en tant qutre intelligent et, sou-vent, habitu la gymnastique et aux artifices de la lecture de traductions (ou de lavision de films et tlfilms doubls), quun personnage anglophone na videmmentpas crit un roman en franais singularit qui aurait certainement t explicitedans loriginal.

    Pour ce qui est des notes de type d), concernant les jeux de mots, il convient toutdabord de dire que pour nombre de traducteurs et traductologues, elles constituentune solution normale, presque conventionnelle. Et quand on constate que le PetitRobert 1, dans larticle consacr ladjectif traduisible, donne pour unique illustra-tion de lemploi de ce terme lnonc Ce jeu de mots nest gure traduisible , et que

  • dans le Petit Larousse illustr, intraduisible, lexemple fourni est jeu de mots intra-duisible , on se rend compte que la notion de jeu de mots intraduisible, aprs tredevenue un clich, tend maintenant vers le figement. Dans le cas susmentionn des Malfunctions of the Colon , il suffisait de trouver un terme se prtant deux inter-prtations diffrentes dans des domaines loigns, du type science exacte/scienceshumaines, pour recrer une plaisanterie analogue. Ainsi, on pourrait avoir un lin-guiste spcialiste des emprunts du franais langlais qui entendrait par erreur ledbut de lintervention dun stomatologue sur La langue infecte . Et pour ce quiest de Persse cherchant La Reine des fes, de Spenser, il pourrait sentendre rpondre,dans les kiosques de laroport, quils ne vendent pas de livres pour enfants et quilsnont que la Reine des fesses.

    Venons-en laboutissement de cette tude : la note du traducteur est-elle ad-missible ? Comme il a t expos dans la section introductive sur les caractristiquesde la note en gnral, il est manifeste quelle est, concrtement, un ajout. Et le traduc-teur a-t-il le droit dajouter un nonc, aussi limit soit-il, l o lauteur nen a pasmis ? On peut objecter quil le fait aussi lorsquil introduit dans le texte une explica-tion ou une quivalence entre parenthses, entre virgules, etc. La diffrence, cest quela note saute aux yeux , de par sa situation hors texte et de par la boucle de lecturequelle oblige faire (texte note retour au texte).

    La note du traducteur soulve aussi le problme du contrat moral entre letraducteur et lauteur. En faisant fonction de rcrivain, le traducteur ne doit-il pasrespecter les choix faits par lauteur ? Or comme lindique le Lexique des rgles typo-graphiques (1990) : Les notes sont un commentaire explicatif sur un mot ou sur unpassage dun ouvrage, que lauteur na pas jug utile dinclure dans le texte lui-mme[]. Inversement, si lauteur na pas jug utile dajouter quoi que ce soit horstexte, quest-ce qui autorise le tiers traducteur le faire ? En outre, ce faisant, il en-freint une autre rgle couramment admise parmi les traducteurs et les thoriciens dela traduction : celle de sa transparence . Le traducteur est cens tre invisible, tota-lement effac, dans lombre ; or sil introduit une note, il devient visible , il intro-duit sa propre voix sur la page de texte. Ainsi, Albert Bensoussan (1995), traducteurde nombreux romans sud-amricains, a-t-il crit : Rien ne doit faire cran entreluvre originale et la version donne dans la langue darrive. Do le bannissementde la note en bas de page [].

    Chez certains, la note du traducteur est aussi clairement un aveu dchec. criresans ambages, en note, Jeu de mots intraduisible , en expliquant ou non que telmot de loriginal peut avoir deux significations que lon na pu rendre cause duneimpossibilit, en langue, cest sans nul doute dire, en termes voils, que lon a pas sutraduire. Il en est qui le reconnaissent, comme le professeur Digeon concluant la note9 de son Trolus et Cressida bilingue par Notre traduction nest quun -peu-prs . moins quil ne sagisse dune coquetterie, car le signe dintelligence que feraTrolus Pandarus, pour you shall see him nod at me , me parat bien trouv. Enfait, ce type de notes admettant son incapacit rendre un jeu de mots, une allusion,un mot ou une phrase en franais dans loriginal, un dialecte, etc., est peut-tre nonun marqueur de lintraduisibilit de ces noncs, mais du seuil dincomptence dutraducteur. Cest lui qui a atteint sa limite, et non la traduisibilit.

    Certes, comme toujours, et juste raison, hlas, on peut invoquer au secours dupauvre traducteur-annotateur laspect matriel de ses conditions de travail. Lorsquil

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    se voit imposer, en vertu de raisons commerciales, de brefs dlais pour traduire unroman, il na peut-tre pas toujours le temps de chercher, pour chaque point pi-neux, dautres moyens plus subtils et moins tape--lil de les rsoudre que lanote infrapaginale.

    Pour conclure, je reviendrai sur les deux extrmes poss dans le titre de cet arti-cle : lrudition et lchec. Lrudition, il en a t question plus haut, nest en gnralpas le fait du pur traducteur, mais du traducteur casquettes multiples galementcharg de prfacer, de commenter, etc. Pour ce qui est de lchec, et de ses corollairesmoraux, je reprendrai les fameux propos de Dominique Aury dans sa prface desProblmes thoriques de la traduction de Georges Mounin (1963) : [] quand on auratraduit le scone cossais et le muffin anglais par petit pain, on naura rien traduit dutout. Alors que faire ? Mettre une note en bas de page, avec description, recette de fabri-cation et mode demploi ? La note en bas de page est la honte du traducteur [].

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