La Nouvelle Interpretation Des Rêves

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Les rêves

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    Ce document est la proprit exclusive de Jean-Baptiste LACROIX ([email protected]) - 03 fvrier 2014 15:45

    TOBIE NATHAN

    LA NOUVELLEINTERPRTATIONDES RVES

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    La NouvelleInterprtation

    des rves

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    TOBIE NATHAN

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    des rves

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    ODILEJACOB, JANVIER201115, RUE SOUFFLOT, 75005 PARIS

    www.odilejacob.fr

    ISBN 978-2-7381- 9 -9 52 2

    Le Code de la proprit intellectuelle nautorisant, aux termes de larticle L.122-5, 2 et 3a,dune part, que les copies ou reproductions strictement rserves lusage priv du copiste etnon destines une utilisation collective et, dautre part, que les analyses et les courtes cita-

    tions dans un but dexemple et dillustration, toute reprsentation ou reproduction intgraleou partielle faite sans le consentement de lauteur ou de ses ayants droit ou ayants cause estillicite (art.L.122-4). Cette reprsentation ou reproduction, par quelque procd que ce soit,constituerait donc une contrefaon sanctionne par les articles L.335-2 et suivants du Code dela proprit intellectuelle.

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    Tous les rves marchent selon la bouche. Talmud Bavli, trait Berakhot

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    Michal

    Je demande mes pres lautorisation de parler enpublic.

    coute Michal, mon fils, toi si beau, si intelligent, tropsensible aussi, sache que le monde nest pas si difficile vivre condition de savoir linterroger. Les rflexions et lesmthodes que je te confie ici, je les ai prouves durant plusde quarante ans. Elles se sont constitues en moi, prcipitde lectures, cristallisation dexpriences, penses de fin denuits blanches jamais consignes. Elles se sont infiltresdans mes fibres jusqu se transformer en chair tel point

    que je ne sais plus gure aujourdhui les distinguer de moi.Aussi, je te les confie comme un hritage parce que je saisque, de mme chair, tu en connatras lusage.

    Silencieux et humble devant le malheur, on se doit departager la gaiet du savoir ; de combattre par toute la forcede la pense la banalit et lennui.

    Jai crit, jai parl, je me suis engag, dans des luttes

    sociales, dans des combats thoriques ; jai t quelquefoistmraire, mavanant sans prcaution en terrain difficile,soutenu par mes seules convictions, mme si, aujourdhui,

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    certaines me paraissent celles dune poque. Jai travaill enrecherchant avant tout clart et simplicit. Jai voulu la

    parole claire, comme les dessinateurs belges de bandes des-sines aspiraient en leur temps la ligne claire . Mais,avant toute chose, je te recommande de rechercher la pen-se, car la banalit est pire encore que le mal.

    Les esprits existent. Ils sont bruissements, ils sont par-fums, ils sont tincelles. Ils constituent la seule force quisoppose la nuit.

    Les penses obliges sont nuit ; les penses automatiquesqui ne tirent leur validit que de la crainte du ridicule sontnuit ; les penses fabriques pour nimporte qui, prtes lemploi, sont nuit. Elles justifient la violence, elles smentdes disparitions.

    Je supplie les esprits de mpargner les bandes, les grou-pes, les socits et les affilis, les hordes, les meutes et leslgions.

    Les esprits sont ides, clats de lumire, la fois insaisis-sables et infiniment reproduits.

    Jtais parti sur le chemin que mavaient trac les ma-tres, cueillant o je les trouvais ces fragments de lumire,imaginant viter par le silence les piges qui le parsemaient.

    Les embches taient chaque embranchement, aux carre-fours, l o les hommes parlent entre eux contre lundentre eux. Les ides sont souvent maudites par les nues.

    Jai souvent voulu crire ce livre, ce guide dinterprta-tion des rves, mais, chaque fois, une force ma tir enarrire. Javais peur, je lavoue, peur des jugements, des ana-thmes, des excommunications

    Mais le temps passe, et, dans le domaine que je vaismaintenant te divulguer, bien des connaissances nouvellessont apparues, qui ont assoupli les crispations de nagure.

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    MICHA L 11

    Michal, mon fils, je tai rapport ici, sous la forme la plusclaire et la plus condense, lensemble des connaissances sur

    le rve sur sa nature, sa fonction, et surtout, ce qui mint-resse davantage, sur ses usages. Plus encore, jai pass cesconnaissances au crible de mon exprience pour en tirer cequi rend le rve utile au quotidien, utile chacun.

    Tu pourras construire ta pense sur ce quest le rve, tupourras comprendre les enjeux de ce phnomne, la foiscommun et quotidien, mais aujourdhui encore si myst-rieux. Tu pourras enfin faire quelque chose dutile de tesrves et guider ceux quil te plaira de conseiller dans lemaniement de son interprtation.

    Sache que le rve peut devenir, qui sait linterroger, lalumire de ses nuits, un guide du quotidien et un gardiencontre les dangers obscurs.

    Arrive maintenant le moment de te confier quelquesvrits et des connaissances pratiques. Je te les livre ici,sachant que tu en feras bon usage.

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    CHA PITR E 1

    Le rve et son interprtation

    Usager des rves, mon frre, ce livre test adress. Il estdestin tout usager des rves non pas seulement aurveur nous le sommes tous ! , mais au rveur qui napas renonc comprendre. Celui qui a dcid dutiliser laforce de lenvers pour enrichir son existence. Cest lui que

    jappelle usager des rves .Le rve est un vnement commun et pour une grande

    part collectif tout le monde sait que tout le monde rve ! Il estaussi un vnement singulier : personne ne peut rver maplace ; un rve est une exprience strictement personnelle. En

    cela, il est comme une prire. Observe une glise, une mos-que, une synagogue, lheure de la prire. Chaque fidle priela divinit pour lui-mme, quelquefois les yeux ferms, larecherche de son intimit, mais tous font la mme chose, aumme moment. Plus mme, ils doivent confusment savoirque leur prire a dautant plus de chances de parvenir sondestinataire quils sont plus nombreux partager lexprience.

    Cest ainsi que, dans un mme village, dans une mme ville,la majorit des habitants prient au mme moment, rvent aumme moment chacun pour lui-mme, mais tous ensemble.

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    Si le rve est produit au cur de notre intimit, durantnotre sommeil le plus profond, il est toujours peru comme

    un objet tranger nous-mmes ; la fois si proche dunoyau et toujours radicalement autre. Une fois transformen souvenir, il devient objet trange, information delailleurs, message dont on ne connat ni lexpditeur ni ledestinataire. Il reste lesprit comme une question quiattend rponse. Difficile saisir, il a tendance svanouiret, pour certains rves dsagrables, il est aussi quelquefoisdifficile de sen dbarrasser.

    Schmatiquement, on peut considrer que deux doctri-nes ont tent de convaincre le rveur de lattitude quil doitadopter envers son rve. Lune, dAristote aux cognitivistesmodernes, lincite ngliger ce quelle considre ntre queles scories de ses nuits ; on la dit rationaliste, mais il nestpas certain quelle soit la plus rationnelle. Lautre lencou-rage lui prter lattention la plus extrme, lui prsentantle rve comme une nigme dont linterprtation se rvleradcisive pour sa destine. Cette seconde doctrine est certai-nement la plus rpandue travers le monde puisquon laretrouve, sous des formes trs diffrentes, dans toutes lestraditions culturelles. Lune et lautre sont tayes sur de

    vritables arguments.Quant moi, je me soucierai avant tout de lusager,nentrant pas plus que ncessaire dans le dtail des doctri-nes, mintressant plutt lapragmatique du rve. Jexami-nerai les propositions concrtes, tentant den tirer une pen-se cohrente. Que propose-t-on lhomme, la femmequi rve ? Que doit-il faire de cet objet, ramass en ses nuits

    et qui parfois lencombre des jours durant ? Que lui pro-pose la tradition en Afrique ? en Australie ? en Asie ? enAmrique du Sud ? Que lui propose-t-on dans nos socits

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    postmodernes ? Et que fera-t-il de toutes ces propositions ?Qui le guidera dans ses choix ?

    Je nen resterai pas l. Je ne me contenterai pas dnu-mrer les traditions et les pratiques. Mon ambition nest pasde proposer un guide gographique touristique durve. Il ne sagira pas seulement dclairer le rveur, delinformer des diffrentes sortes de praticiens quil est sus-ceptible de rencontrer ce qui peut videmment se rvlersalutaire. Je prtends aussi lui fournir une sorte de canevaspour une interprtation possible de son rve. Car ce livre seveut avant tout mthode. Mais si, en suivant les indicationsque je propose, le lecteur pourra pntrer assez loin danslexploration de son rve, annonons-lui demble quil nepourra jamais remplacer linterprte.

    Car, en dernier ressort, aucun rve ne peut tre interprtpar le rveur lui-mme.

    Si le rveur interprte son propre rve, il ne fera queproduire un nouveau rve. Cest une exprience que biendes rveurs ont faite, et parfois au sein mme dun rve o,aprs avoir rv, ils ont vu, toujours rvant, linterprtationde leur rve dont surgissait un nouveau rve.

    Dans un premier temps, je fournirai de manire synth-

    tique quelques propositions claires sur la nature du rve du moins sur ce que nous pouvons en dire aujourdhui.Pour ce faire, je puiserai trois sources : les recherchesmodernes, rcentes, puisquelles ont commenc dans lesannes 1960, sur la psychophysiologie et la neurophysiolo-gie du rve, les donnes anthropologiques sur le traitementtraditionnel du rve dans diffrentes cultures et enfin les

    propositions psychanalytiques qui, rpandues dans la cultureambiante, ont profondment marqu notre poque. Je croi-serai ces donnes provenant de champs diffrents, de

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    lanthropologie, des neurosciences et de la psychanalyse, lesconfrontant, les opposant, parfois, les poussant autant que

    possible jusqu leurs consquences ultimes.Ce livre nest pas un ouvrage thorique ; je lai plutt

    conu comme une sorte de manuel, une entreprise qui enri-chit l usager , lui permettant daffiner son expertise.Lexpression cl des songes utilise autrefois ne mauraitpas dplu si elle navait t aussi ngativement connote cl puisque cet ouvrage prtend fournir au lecteurlopportunit dentrer dans un monde dont il ignorait peut-tre la dignit, celui de la pragmatique du rve.

    Si ce travail puise diffrentes sources dinformation,son me est constitue de ma propre exprience de thra-peute, au cours de laquelle il mest, comme la plupart demes collgues, souvent arriv dinterprter des rves. Le lec-teur trouvera et l tmoignage de cette pratique. Form la psychanalyse, jai toujours t convaincu, ds mesannes dtude, que le rve appelait par nature une inter-prtation. Pour paraphraser Hegel qui crivait, on sen sou-vient, qu tre, cest tre devenu et Sartre qui savait que pleurer, cest dj tre consol , je suis persuad que leseul fait de rver implique une interprtation : rver, cest

    toujours recevoir une interprtation ! Toujours, et partout !Quel que soit le monde du rveur, quels que soient sonpays, sa langue, quelle que soit la personne laquelle ilsadresse. Voil une donne transculturelle au moins une !

    Linterprtation fournie au rveur est plus ou moinsexplicite ; elle est quelquefois formule comme un noncsans ambigut ; mais il arrive bien souvent quelle soit mar-

    que de la mme incertitude que celle du rve. Elle peutainsi tre fournie de manire interrogative avec un mini-mum de propositions. Il arrive galement, surtout dans le

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    cadre de psychanalyses freudiennes, quelle ne soit pas for-mule du tout. Elle reste l, suspendue dans lespace de la

    sance, parole jamais dite, proprit dun sujet imaginairesuppos savoir . Formule, suggre ou tue, linterprta-tion reste, dans tous les cas de figure, le complmentobligatoire du rve, comme lautre face de la mdaille, leverso du rcit du rve. Elle semble plus prsente encore lors-que linterprte se drobe sa divulgation, la constituant dece fait comme une rvlation venir, stricto sensu uneapocalypse.

    Certes, les interprtations susceptibles dtre dlivres aurveur sont multiples, relevant de cadres de rfrence diff-rents selon lidentit, la culture dorigine, la langue et la for-mation de linterprte. Mais ces cadres de rfrence ne sontpas innombrables mme si leurs formes se dclinent linfini. Ils prsupposent tous que le rve nest pas unassemblage alatoire dimages et de mots.

    Je dois dire galement, et jaurai loccasion dy revenirlonguement, que le rve nest pas seulement appel linter-prtation, il est aussi prsentification dun tiers, dun invi-sible avec lequel un dialogue insouponn a t tabli mon insu linsu du moi. Toutes les interprtations du

    rve, y compris psychanalytiques, impliquent que le rve estun dialogue avec un partenaire dune nature radicalement dif-frente de celle du rveur. Elles supposent aussi que cettecommunication particulire comprend des modalits spci-fiques prcisment celles du rve.

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    Deux exemples trs opposs

    Je prendrai pour illustrer lexistence de cette communi-cation particulire deux exemples, lun moderne, issu desrecherches en neurophysiologie, lautre trs ancien, prove-nant de cette vieille tradition atteste ds lAntiquit la plusancienne.

    Les neurophysiologistes ont tabli que le rve survientlorsque le dormeur se retrouve coup de tout accs aumonde : sens et motricit dconnects, il ne peut alors ni lepercevoir ni agir sur lui. Et le rve survient du seul fait du crbral non pas des stimulations externes, et certaine-ment pas de la volont du sujet, consciente ou inconsciente,puisquil est le rsultat dune activit instinctuelle et automa-

    tique. Lorsquil survient, ce crbral tablit des changes(des changes dont la neurophysiologie moderne parvientmme filmer les traces) avec une partie de lui-mme partie dont les neurophysiologistes saccordent gnrale-ment dcrire comme instinctuelle.

    On pourrait dire que le rve contraint le dormeur tablirune relation avec sa nature instinctuelle propre. Voil donc,daprs certains neurophysiologistes, linterlocuteur aveclequel le rve se connecte, en un mot : son noyau biologique.

    Un autre exemple provenant dune tradition trs diff-rente, trs ancienne et qui perdure nanmoins jusqu nos

    jours : ce quon appelle l incubation . Cette tradition,probablement originaire du Moyen-Orient le plus ancien,

    de Msopotamie sans doute, dgypte, certainement, estatteste dans la Grce antique par dinnombrables sources.Elle consiste convoquer dans son rve une divinit dont

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    on attend des bienfaits. La personne qui souhaitait recevoirdes informations en rve devait dormir dans le temple du

    dieu, chez les Grecs, le sanctuaire dAsclpios (Esculape enlatin, dieu-serpent, dieu de la mdecine, avatar dApollon), pidaure, en Argolide. Le dieu rpondait si souvent linvitation, et les rveurs taient si satisfaits de cette ren-contre, que les temples se sont multiplis sans doute plu-sieurs centaines lpoque romaine. Il fallait naturellementse prparer accueillir un tel invit, se purifier, consentir des sacrifices, donner du sang, de la viande, de la farine, desgteaux Avant de laisser la personne plonger dans sonsommeil dans lattente du message divin, les prtres luirecommandaient de scruter le rve quelle ferait ncessaire-ment, pour y dceler les manifestations de la divinit. Cettetradition, comme toutes les pragmatiques, a travers lesespaces gographiques et les cultures. Il en va ainsi des tech-niques divinatoires et des techniques agricoles ; elles ne res-tent jamais la seule proprit dun peuple, tirant de leurefficacit lattraction quelles exercent sur leurs voisins. Caril ne sagit pas de simples penses, mais de penses en actes,de manires de faire. Cest ainsi que lincubation sest trans-mise tout naturellement aux cultures voisines et celles qui

    se sont succd dans ce mme espace mditerranen. Si bienquon la retrouve dans le Maroc actuel o il nest pas rareque le demandeur vienne, parfois de trs loin, dormir dansun marabout, tombeau dun saint devenu sanctuaire, afinde recevoir en rve le message attendu. Dans cette traditionde lincubation, il est manifeste que le rve est lespace pri-vilgi de lchange avec la divinit.

    Si les neurophysiologistes pensent aujourdhui quil per-met un dialogue avec la partie instinctuelle du cerveau, unesorte de code, sans doute, avec lequel il nest possible de se

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    connecter que par des moyens cyberntiques, les praticiensde lincubation, les gardiens du sanctuaire et les usagers pen-

    sent que le rve permet dtablir une connexion, et mme undialogue, avec des saints disparus depuis des sicles.

    Il va de soi que les rves apparaissant dans ces lieuxconsacrs temples de lAntiquit, aujourdhui maraboutsdu Maroc ou dAfrique de lOuest ne sont pas limpides.Ils appellent linterprtation du praticien.

    Les rves ne sont pas seulement messages,ils sont aussi actions

    Aelius Aristide, qui fut un rhteur grec de granderenomme au IIe sicle aprs J.-C., nous a laiss un docu-ment exceptionnel, un journal des rves qui lui sont venusau sanctuaire dEsculape, o il sest rendu durant des annespour soigner les terribles douleurs qui laffligeaient depuislge de 26 ans. la lecture de ce tmoignage, nous com-prenons que la fonction de linterprte nest pas seulementdexplicitation presque pas dexplicitation , elle est sur-

    tout de facilitation. Linterprte fait en sorte que le mouve-ment du rve puisse saccomplir dans le monde rel. Linter-prtation nest pas ici seulement discours, elle est aussiaction. Sa fonction nest pas de traduire un texte opaque,mais de faire advenir laction de la divinit dans le mondedes humains. Voici par exemple un rve o un chien vientrenifler la partie malade du rveur ; voici un autre o un

    serpent vient mordre le rveur la cheville. Linterprte agitpour que le malade tienne compte du fait que le dieu estapparu sous forme de chien, sous forme de serpent, pour

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    lui inoculer sa substance du trfonds du rve, en desendroits endoloris de son corps. Laboutissement du rve

    sera la recommandation de linterprte. Il ordonnera uneoffrande, une prire, un vu, un ex-voto, pour que le dieune se retire pas, pour que lintervention opre en rve, tra-versant le miroir, parvienne jusquaux humains, sincarne,en un mot.

    Par ailleurs, la fonction de linterprte il est de moinsen moins de lieux o il sagit encore dun mtier se can-tonne trs rarement au seul rve. Le psychanalyste ne se fixepas pour but linterprtation des rves que lui rapporte sonpatient, il sassigne la tche de conduire la psychanalyse ; demme, le thrapeute traditionnel, le matre du secret quidlivre une interprtation, est lui aussi guid par sa fonctionde thrapeute. Quant aux interprtes dobdience reli-gieuse, qui ont souvent aussi une fonction thrapeutique, ilva sans dire que leur mission principale est de guider lerveur dans la voie de la divinit. Il nest quasiment jamaisde professionnel de linterprtation du rve qui sintresseau seul rve. Tout interprte instrumentalise le rve cestla raison pour laquelle jaffirme que le problme du rve, cestson interprtation. Il suffirait de cette remarque pour com-

    prendre que le rve est cette part dinsoumission radicale dela nature qui chappe aux fonctions et aux disciplines.On pourrait considrer que les seuls professionnels qui

    sintressent au rve sui generis, pour lui-mme, pour ainsidire, sont les spcialistes des neurosciences eux qui sontpourtant les seuls penser, dans leur grande majorit, quele rve ne vhicule aucun message, ne mrite aucune inter-

    prtation et quil convient seulement de dcrire les modali-ts de sa survenue. Cependant, mme les cognitivistes lesplus extrmes commencent remarquer de singulires

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    cohrences dans les rcits des rves. Et certains parmi euxexplorent les capacits cratrices du rve.

    Je veux ici mintresser au rve, au rve seul ! Et cestpour cette raison que je propose au lecteur un guide dinter-prtation non pas une nouvelle tude du rve, encoremoins une explication. Je ne suis au service daucune disci-pline, ni de la neurophysiologie, ni de la psychanalyse, nide tel dieu, ni de tel autre. Je veux rendre compte de cettecapacit du rve laisser surgir la vie partir des interstices,tmoigner de sa libert irrductible de toujours venir habi-ter les incertitudes.

    De lactualit des vieilles penses

    Usager des rves, mon frre, peut-tre considreras-tuque je mintresse de trs vieilles penses. Peut-trepenses-tu quelles sont trop vieilles ? Il est vrai que, pour cequi concerne cette question trs particulire quest linter-prtation des rves, les textes importants sont anciens, par-fois trs anciens. Il existe un trait dinterprtation des rves

    dans les papyrus gyptiens datant du II millnaire avantJ.-C. ; une cl des songes babylonienne datant du VII sicleavant J.-C. se trouve dans lensemble de tablettes connusous le nom de bibliothque dAssurbanipal ; les plus ancien-nes cls des songes provenant dInde datent du Ve sicleavant J.-C. Et le modle de toutes les cls des songes, saquintessence, pour ainsi dire, toujours pill, souvent mal

    compris, jamais gal, reste lOnirocriticon dArtmidore deDaldis, auteur grec du IIe sicle aprs J.-C. Par la suite, destraits apparatront durant le Moyen ge musulman, puis

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    chrtien et aussi juif. Le plus connu, encore abondammentcit dans les pays arabes, est Le Grand Livre de linterprta-

    tion des rves de Muhammad Ibn Srn (VIIIe sicle), tmoi-gnage dune libert de penser surgissant au cur mme delislam des dbuts. Quant au Pitron Halomot de Chlomo

    Almoli, traduit en franais sous le titre La Clef des rves,mais qui signifie littralement rsolution des rves , sou-lignant par l quun rve non interprt reste toujourscomme un problme, il date du XVIesicle sfarade (dabordlEspagne, puis Istanbul). Lapport de ce trait doit treconsidr comme aussi dcisif que celui dArtmidore,quoique selon une tout autre perspective.

    Comme tu le constateras, ce nest pas daujourdhui quele rve est pris entre linsens, lalatoire et le sacr Il y afort longtemps que le monde est partag entre ceux quitrouvent un sens aux rves et ceux qui sen gardent bien.Cest pourquoi je prends ces auteurs, pourtant trs anciens,au srieux, eux qui ont pris linterprtation des rves ausrieux. Je les lis comme des guides et confronte leurs pro-positions aux observations modernes. Je pense en effet quecertaines penses trs anciennes, qui ont rsist lusure destemps, nont pas encore connu leur dpassement.

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    trange intimit

    Le rve et laltrit

    La plupart des ouvrages classiques traitant de linter-

    prtation des rves commencent par distinguer plusieurscatgories de rves, sans doute du fait que, quelles quesoient son empathie et son habilet, linterprte se heurtencessairement certains rves qui lui rsistent. Il lui fautdonc rendre compte des checs en expliquant par exem-ple, comme Artmidore au dbut de son trait, quil existedeux catgories : enupnion, traduit en franais par rve

    (littralement ce qui se produit dans le sommeil ), etoneiros, traduit par vision de songe . Pour Artmidore,les rves simples , enupnion, qui sont de nature quasi-ment physique, mettent en scne les dsirs du rveur,immdiatement comprhensibles :

    Lamoureux rve ncessairement quil est avec lobjet aim, le

    craintif voit ncessairement ce quil craint, et encore laffamrve quil mange, lassoiff quil boit (Onirocriticon, p. 19).

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    De tels rves, transparents pour ainsi dire, ne retiennentpas lattention de lonirocrite. Les uns sont dus au manque,

    les autres lexcs ; les uns sont dus la crainte, les autres lespoir. Ils ne se dilatent pas vers lavenir ; ils ne font quedcrire les tensions du prsent. Seule la vision de songe ,oneiros, donne par les divinits ou bien au sein de laquellese manifestent des invisibles non humains, est susceptiblede recevoir une interprtation. Et Artmidore nous prvientdemble : cest ce type de rve qui mritera son attention.

    Ibn Srn, onirocrite musulman du VIIIesicle, ajouteraune troisime catgorie, celle des rves donns par le diable(sheytan). Pour lui, il existe donc trois catgories : les rvesdonns par Dieu (qui reprennent la catgorie des visions desonges dArtmidore), ceux dans lesquels le diable introduitses tentations (en arabe ouessouasse, murmures ) et les rvespersonnels, que lon pourrait dsigner comme des rves decommodit. Une fois encore, seuls les premiers mritentlattention de lonirocrite qui, on le voit, exerce surtout sonart identifier lintention du partenaire divin du rveur.

    Le choix est donc pos de longue date. Il y aurait deuxgrandes catgories, que nous pouvons distinguer et ds lorsenglober dans une dfinition plus gnrale. Les premiers,

    sils ne sont que surgissement daffects retenus, nousdevrons les considrer comme le dversement dun trop-plein, un ternuement ou une rgurgitation, une efferves-cence transitoire. Cest pourquoi je les nomme effervescen-ces. Quant aux seconds, donns , adresss, dposs pardes invisibles non humains, semblables aux visions dessonges dArtmidore, je les appellerai vecteurs, puisquils

    vhiculent des informations et des messages. De tels songes,connus de tout lecteur de textes de lAntiquit, du Moyenge ou de tmoignages anthropologiques, laissent entendre

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    TRAN GE INTIMIT 27

    que le rve serait une place publique dun certain type, unespace collectif au cur de la personne, susceptible dtre

    investi par des autres . Et l, je parle de vritables autres non pas des semblables, des autres moi-mme , mais des tres laltrit radicale, des dieux, desesprits, des saints, des messagers ou mme des diables. Cetype de rve serait mme lespace privilgi o un humainpeut croiser les divinits et changer avec elles.

    Je dois noter ici que la distinction propose par cesauteurs de lAntiquit et du haut Moyen ge me sembleacceptable, y compris au regard des donnes des neuros-ciences modernes. Car les rves diffrents voqus par lesauteurs anciens surviennent des moments diffrents dusommeil. Les rves effervescences pourraient tre assimi-ls aux rves dendormissement, ces images qui accompa-

    gnent lentre dans le sommeil que les chercheurs dsignentplutt comme images hypnagogiques . Effervescences ,en effet, ces rves se doublent souvent de dcharges motri-ces, de sursauts du corps, de coups de pied dans le vide, oude sensation dun pied qui glisse sur un pav mouill. Sou-vent les jambes, souvent les pieds, puisque ici la conscienceva perdre pied et le sujet, pour ainsi dire, svanouir .Ils viennent souligner que le rve ne peut en aucunemanire survenir debout puisque tous les muscles, toutes lesfonctions qui permettent la station disparaissent alors.Rver, cest ncessairement tomber. Les images hypnagogi-ques accompagnant lendormissement dcrivent le proces-sus mme du rve, nous renseignant de ce fait sur sa nature.

    Laissons de ct ces rves effervescences qui nous guiderontsur dautres pistes plus tard et revenons vers ceux que lesanciens considraient dignes de leur attention.

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    ce point, nous devons retenir que le rve vritable, celuique les anciens dsignaient comme vision du songe et dont

    les chercheurs modernes situent la survenue durant le som-meil paradoxal, constitue lespace o les humains peuvent fairelexprience de ltranget radicale et cela plusieurs titres.

    Le rve est autre et soi-mme. De nos jours, en tempsde cinma et de tlvision, le rve est souvent peru commeun film auquel assiste le rveur, comme sil nen tait pas leralisateur et si rarement lacteur. chaque souvenir derve, tout humain est soumis ce paradoxe qui, sitt quily prte attention, le plonge dans la perplexit. Il sait avec saraison quil est lorigine du rve (nul autre que lui na vuce rve) ; mais il ne peut faire autrement que de le percevoircomme un objet provenant de lextrieur de lui-mme,dun autre monde. Et le monde interviendra nouveau

    lorsquil sagira de linterprter car le rveur ne parviendra mtaboliser son rve quen passant par un tiers.Les deux catgories que je viens de retenir diffrent de

    (mais rejoignent pour une part) celles que proposaitAristote pour qui les rves taient soit cause, soit signe,soit pure concidence . Mais Aristote, tout en ne niant pasque des rves pouvaient tre donns par les dieux, sen ton-

    nait nanmoins de manire presque humoristique :

    Pour ce qui est de la divination et qui, dit-on, survient partirdes rves, la mpriser nest pas facile ; y croire non plus.

    Une remarque apparemment de bon sens le fait douterplus encore :

    Le fait de ne voir aucune cause fonde en raison qui lexplique-rait rend la chose difficile croire. Car que celui qui envoie les

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    songes soit la divinit, et en plus de tout autre aspect qui heurtela raison que, par-dessus le march, il les envoie non pas aux

    meilleurs ni aux plus senss, mais aux premiers venus, voil uneconjonction absurde.

    Sil accepte que les rves peuvent tre signes, Aristotedoute quils nous soient adresss par des dieux. Dans quelleintention ces derniers adresseraient-ils des rves aux humainset surtout aussi gnreusement, sans aucun discernement ?

    Aristote semble oublier que les dieux, tout comme leshumains, sont mus par des stratgies et sans doute la pre-mire dentre elles, qui est de constituer des groupes dadep-tes de plus en plus nombreux. Les dieux veulent des croyants,de plus en plus de croyants ; ils esprent atteindre lexclusi-vit. Tous les dieux, mme ceux qui circulent dans des pan-thons polythistes, comme celui des Grecs de lAntiquit,aspirent lhgmonie. Pour eux, il nest pas de petits gains.Toute personne, quelle quelle soit, laboureur ou empereur,est un sacrificateur potentiel, un adorateur, un prieur.

    Les dieux grecs adressent des rves aux humains pour lesconvertir leurs rites. Parmi les dieux connus, les Grecs nesont pas les seuls ! Allah a fait de mme, sadressant son

    prophte travers des rves, et le Dieu juif par moments, certains des siens.

    Cauchemar

    Il existe en revanche une catgorie de rves manifeste-ment diffrente des autres : les cauchemars. Les neurophy-siologistes distinguent les cauchemars survenant durant le

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    sommeil paradoxal, qui seraient des rves vrais par cons-quent, de ceux survenant durant le sommeil lent profond,

    caractriss par leur forte charge anxieuse pouvant allerjusquaux terreurs nocturnes (pavor nocturnus). Cest cettedernire catgorie que les anciens pensaient sans doutelorsquils dcrivaient le cauchemar proprement dit.

    De tels cauchemars, terreurs nocturnes donc pour lesmodernes, se distinguent des rves par le fait que leur tona-lit motionnelle est immdiatement comprhensible. Lerveur le sait, rveill par de tels cauchemars, haletant, ensueur, ne parvenant pas raccrocher ses sens la ralit dumonde qui lui parat alors moins vraie en tout cas moinsurgente que celle qui la heurt durant son sommeil. L,le cauchemar agit la manire dun signal archaque prve-nant dun danger vital. Lorsque les mammifres, y compris

    ltre humain, peroivent limminence dun tel danger, lecri, la panique et la fuite constituent les rponses automati-ques, sans doute instinctives. Il faut noter que ce type deraction est la fois dcharge dune tension qui a dpassles limites supportables, mais aussi signal, destin sa cons-cience, mais aussi ses proches. Car, de toutes les motions,la panique est sans doute la plus contagieuse. Lanimal hurle

    de terreur et toute la troupe prend la fuite.

    LA TERREUR DU JEUNE BABOUIN

    Pour comprendre la nature de cette troisime catgoriede rves quest la terreur nocturne , le cauchemar au sens

    des anciens, juserai dune mtaphore, celle de la terreur dubabouin. Les babouins vivent en groupes pouvant allerjusqu deux cents animaux, extrmement socialiss et hi-

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    rarchiss. Ces singes ne craignent gure les prdateurs, sur-tout lorsquils vivent en grands groupes, gnralement diri-

    gs et protgs par trois ou quatre mles adultes, auxcanines impressionnantes et lagressivit froce. Il nestque la panthre, animal puissant, chasseur nocturne, qui necraint pas de grimper aux arbres, pour saventurer lachasse au jeune babouin, elle qui raffole de sa chair. Maisla panthre ne sy hasardera pas en plein jour, sachantquelle naurait aucune chance face au collge de redouta-bles mafieux qui rgne la tte de la troupe. Le problmese pose donc la nuit lorsque chaque animal doit trouver quiune branche, qui un fourr pour dormir. La scne est la sui-vante : le jeune babouin, endormi sur sa branche, peroitdans son sommeil une chance que cela se passe durant sonsommeil lent profond et non pas durant le sommeil para-doxal les griffes de la panthre crissant sur lcorce delarbre. Il ne voit pas, nentend pas vraiment, mais son rve,telle la camra de recul monte sur les automobiles les plusmodernes, reconstitue des bribes dinformations, les assem-ble et transmet ce quil faut bien appeler une vision . Jene saurais dire ce que voit le jeune babouin ; je ne sauraisdcrire sa vision, mais tout se passe comme sil voyait la

    panthre. Il la voit les yeux ferms cest prcisment ceque permet le cauchemar. Il voit la panthre dont il areconstruit la prsence par lassemblage de perceptionsparpilles que la vision du cauchemar a structures.

    Premire remarque : le cauchemar permet de percevoir lesyeux ferms un aspect du monde limportance vitale pour le sujet.

    Que fait alors le jeune babouin ? Il se rveille en sursaut.

    Sans doute fait-il un vritable bond en hurlant. Le sursauteffraie la panthre, saisie lespace dun instant, le temps dedclencher par contagion les comportements de panique

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    dans toute la troupe de babouins. Il y a fort parierqueffraye par le vacarme, surprise par lagitation, la pan-

    thre file sans demander son reste.Do la deuxime remarque : le cauchemar est fonctionnel

    sans doute pas chaque fois, mais son droulement peutconduire au salut du dormeur puisque la panthre a cettefois pris la fuite, pargnant le jeune babouin.

    Lun des mcanismes de la terreur nocturne estlassemblage dlments discrets (limperceptible crissementdes griffes sur le tronc darbre, le silence soudain de la nuitqui retient son souffle, oppresse) jusqu constituer uneimage une vision qui, par la suite, transmettra la pani-que jusqu veiller le dormeur. Caractristique primordialede la terreur nocturne, sa capacit construire une visionpermet de comprendre le fonctionnement habituel desrves, y compris ceux qui ne sont pas des cauchemars.

    Troisime remarque : tout rve procde la transmutationde lunivers du rveur cest une rgle absolue ! Certainesaffections mentales, telle la dpression, sont susceptibles dtrediagnostiques par la tonalit particulire du rve du patientqui est alors une simple copie de la ralit. Il manque cesrves le changement dunivers, marque de fabrique du rve

    fonctionnel. Car un rve change la couleur du monde. Pourmodifier lunivers, le rve agit par fragmentation dabord,rduisant les images stockes dans la mmoire leurs lmentspuis par une nouvelle combinaison des particules dissocies. Ilpartage avec le cauchemar la capacit de fabriquer un nouvelassemblage, de proposer une combinaison nouvelle qui ten-tera au rveil un accrochage avec la ralit du monde du

    rveur. Ainsi, au moins sur ce plan, la terreur nocturne estbien semblable au rve, mme si elle sen distingue par lint-gration de perceptions discrtes provenant de la ralit.

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    Quatrime remarque : rien nest plus proche dune percep-tion relle que la vision de la terreur nocturne. Elle en possde

    la certitude ; elle est frappe du label : Ceci est rel. Jedirai mme que la conviction quprouve le rveur est alorsbien plus puissante que lors dune perception relle. Lesdormeurs venant de faire un cauchemar se rveillent en effetenvahis par le sentiment de panique et il leur faudra un cer-tain temps quelques minutes, parfois quelques heures

    avant de distinguer nouveau monde onirique et monderel. Cest que le dormeur a des motifs dtre certain decette ralit. Pour reprendre la mtaphore du jeunebabouin, sa vision est venue se superposer la vue de lagueule ouverte de la panthre sapprtant bondir. Ainsisera-t-il fort difficile au babouin de ne pas croire la ralitde sa vision. Sil pouvait parler, le jeune babouin dirait que

    son ange protecteur lui a montr dans son rve la panthrequi voulait le dvorer .Dernire remarque, enfin : la terreur nocturne est tourne

    vers lavenir un avenir tout proche, sans doute, dans le casdu babouin, un avenir plus loign dans le cas des humains.Le babouin voit en rve la panthre. Cette vision le rveille,terroris. Et que voit-il immdiatement face lui ? Cettemme panthre quil avait aperue endormi. Le rve est icimanifestement prdiction ; il prfigure lavenir et le pr-sente au dormeur en une atmosphre durgence.

    Cest du fait de ces deux dernires caractristiques, saralit et sa capacit prdictive, que jintgrerai le cauche-mar vritable dans les catgories des rves susceptibles dtre

    interprts en tant que signal .Il nous faut donc distinguer non pas deux, mais troistypes de rves : les effervescences, les vecteurs et les signaux.

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    Les corps du rve

    Les traditions onirocritiques avaient videmment perula singularit du cauchemar. Les Grecs de lAntiquit lassi-milaient un tre, une cavale, qui aurait dcid dinverserlordre du monde en enfourchant son cavalier, comme sicette jument du rve profitait du sommeil de lhumain pour

    inverser la hirarchie du quotidien. Pour les Grecs anciens,le cauchemar vrai venait signifier linversion des alliances.Mon serviteur le plus proche ici, le cheval , celui aveclequel je fais corps, celui dont je ressens la moindre claudi-cation jusque dans mes os, celui qui pose ses sabots lendroit prcis o slance mon regard, deviendra en manuit agresseur de mon intimit. Car le cauchemar est le rve

    de la trahison. Les tableaux ne manquent pas le reprsentanten cheval assis sur la poitrine du rveur. Celui de JohannHeinrich Fssli (1802) est sans doute le plus connu.

    Lorsquil se fait corps, le cauchemar est une sensation intol-rable de poids sur la poitrine. Ltymologie du mot franais entmoignerait puisquelle renverrait tre , ou fantme (mare), pressant sur la poitrine , oppressant (cauche).

    Plus explicite encore, une autre figure du cauchemar, quitrouve elle aussi sa source dans lAntiquit grecque, est cellede la sphinge dont les lgendes tardives, notamment les la-borations dramatiques de Sophocle dans ldipe-Roi, ontprogressivement gomm les caractristiques physiques etcomportementales. La sphinge est chez les Grecs de lAnti-

    quit un tre composite, buste de femme, corps de lionne,ailes de rapace et queue de serpent. Elle descend surlhomme endormi et se pose sur sa poitrine, le maintenant

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    immobile de ses pattes griffues. Do la paralysie du rveur maintenu par les pattes de lhybride. Elle lui brandit ses

    seins prominents jusqu ltouffer. Sur les bas-reliefs delpoque hellnistique on distingue parfaitement lrectiondu paysan endormi, la faux pose auprs de lui. Elle est cau-chemar depuis son nom, substantif du verbe sphyngein, quisignifie trangler (et qui a donn notre mot sphinc-ter ). En grec, le mot sphynx est lquivalent du mot

    angoisse en franais, cest--dire resserrement, constric-tion. La sphinge est cette sensation de gorge serre qui per-dure encore longtemps aprs quon est sorti des images ducauchemar. Elle est ces courbatures au rveil, comme si lonavait subi des violences physiques en rve. Elle est cette rec-tion qui surprend le rveur car, malgr tout, elle est rve.

    Deux manifestations physiques spcifiques accompa-

    gnent en effet le processus du rve : lrection du pnis chezlhomme, du clitoris chez la femme, et le mouvement desyeux. Si les recherches modernes en psychophysiologie durve ont identifi ds les premiers travaux ces mouvementsphysiques du rve, les traditions onirocritiques les avaientintgrs ds lAntiquit dans les mots mmes quelles utili-saient pour dsigner le rve. La tradition arabe possde troismots courants :

    manm, qui dsigne le rve de la manire la plus neu-tre, littralement ce qui survient durant le sommeil (nme = sommeil ), quivalent par consquent du grecenupnion ;

    hulm, mot le plus usit dans la langue courante, qui

    drive dune racine trilitre (H-L-M), qui signifie cro-tre , gonfler (en hbreu, cette mme racine signifie donner de la force ) ;

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    et enfin ruy, plus savant et potique, qui signifiesans ambigut la vision .

    Ainsi, si lon regroupait les trois mots les plus employspour dsigner le rve en arabe, on obtiendrait : le rve est cequi se passe durant le sommeil (manm), produisant turgescencedu membre sexuel (hulm) et mouvement des yeux (ruya) .

    Ce serait la dfinition la plus exacte du rve, la plus neu-tre aussi, sans doute. Elle serait accepte par les auteurs delAntiquit qui reconnatraient les mots quils emploient etpar les chercheurs modernes qui retrouveraient les deuxmanifestations caractristiques du rve : lrection et lesmouvements oculaires rapides.

    Aujourdhui, dans le monde arabe, un tre spcifie lecauchemar la manire de la sphinge ou de la cavale delAntiquit grecque. On lappelle Aboughtass, en arabe, celui de ltouffement . Plus ou moins assimil unesorte de djinn, Aboughtass assaille le dormeur en sa nuit,paralyse ses membres, sassoit sur sa poitrine et ltouffe. Lapersonne se rveille suffoque avec la sensation davoir frlla mort. Dans les pays du Maghreb, la culture populaireattribue lintervention de cette incarnation du cauchemar une faute grave commise par le dormeur. Quant la neu-

    rologie moderne, elle a parfois interprt ce type de symp-tme comme les signes dune apne du sommeil .De cette digression sur les caractristiques des cauche-

    mars et de leurs diffrentes formes, nous devons tirer plu-sieurs conclusions :

    Le cauchemar est dune certaine manire aussi unrve, plus simple, certes, plus facile daccs, aussi, plus ais

    dcoder. la diffrence des anciens, je considre quil estsusceptible dinterprtation, mme si cette interprtationest plus immdiate que celle dun vritable rve.

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    Le cauchemar, tout comme le rve, est aussi uneplace publique, un lieu de rencontre o lhumain peut cer-

    tes croiser certains non-humains, mais, daprs les auteursanciens, il sagit de dmons plutt que de dieux ; qui nontdonc pas de message lui dlivrer, mais le recherchentcomme une proie.

    Le cauchemar est surtout lespace o lhumain estconfront aux stratgies caches des autres humains cesstratgies que la vie sociale, les bonnes manires, les pensesobliges lont empch dapercevoir durant la veille.

    Le cauchemar, condition dtre correctement inter-prt, peut se rvler particulirement utile au rveurpuisquil lui adresse un signallavertissant des dangers quilaura affronter son rveil.

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    C H A P I T R E 3

    Le cauchemar

    Les cauchemarspost-traumatiques

    Le cauchemar a toujours pos problme aux onirocrites.Les anciens, je lai dit, le ngligeaient, considrant quilsagissait plutt dun rve expressif, une sorte d efferves-cence exacerbe. Quant aux psychanalystes, ils ont tentde le prendre bras-le-corps, gns par le fait quil contre-disait la thorie psychanalytique du rve. Si, selon la propo-sition de Freud, le rve tait vritablement lexpression,

    certes masque, dforme, dun dsir refoul, interdit,pourquoi une telle expression, qui devrait selon lui procurerapaisement ou mme plaisir, aboutirait-elle cette quintes-sence de langoisse et de loppression quest le cauchemar ?

    Lun des cauchemars typiques, de plus en plus connu denos jours, a particulirement retenu lattention des psychana-lystes car il ouvrait une comprhension simplifie du rve.

    Il sagit du cauchemar post-traumatique. Lorsquun trehumain subit un traumatisme psychologique violent au cours

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    duquel il est persuad quil est mort, au moins lespace dunmoment non pas quil a craint de mourir, mais quil sest vcu

    mort , il en garde la plupart du temps des squelles psychi-ques parfois durant des annes. Des vnements graves sontsusceptibles de provoquer un tat de stress post-traumatique,tel celui de se trouver dans un caf au moment dun attentat,dtre branl par lexplosion de la bombe et de perdreconnaissance. Ou bien une chute dune dizaine de mtres, unaccident de voiture dont le sujet est le seul sortir indemne.Les victimes denlvement dveloppent souvent ce syndrome,tout comme les survivants de violences politiques ayant subilincarcration et la torture. Ltat de stress post-traumatiqueest bien connu galement des militaires. Cest dailleurs dansce milieu, au moment de la Premire Guerre mondiale, quila t dcrit pour la premire fois sous le nom de nvrose deguerre , puis de nvrose traumatique . Il touchait des sol-dats bombards qui taient rests seuls survivants de leurbataillon ou mme de leur compagnie. Ce qui correspond la caractristique, que je donnais plus haut, davoir vcu sapropre mort. Cet tat se caractrise par une srie de sympt-mes parmi lesquels lhumeur dpressive, lirritabilit, linsom-nie, les frayeurs, le rtrcissement de lespace social et surtout

    les cauchemars. Durant ces cauchemars, la personne revit leplus souvent la scne traumatique, exactement comme ellesest droule en ralit, ou avec des transformations peuimportantes, et finit toujours par se rveiller terrorise. Par lasuite, la personne prouve de plus en plus de difficult entrer dans le sommeil, sans doute de peur dtre confronte ces mmes images.

    Ce type de cauchemar offre un accs la comprhensiondes mcanismes gnraux du rve. On peut identifier sacause avec prcision (le traumatisme vcu par le sujet), dater

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    le moment de sa survenue et enregistrer les progrs accom-plis partir du tmoignage du rveur, en gnral lafft

    des modifications de son cauchemar.Durant la Seconde Guerre mondiale, les psychiatres mili-

    taires amricains avaient produit une thorie de ce type derve. Plutt que de suivre la tendance naturelle du patient qui,au bout de quelques nuits envahies de cauchemars, cherche viter le sommeil, ils ont au contraire favoris la multiplicationde ses rves, ventuellement en administrant des substancespsychotropes multipliant les rves (des barbituriques commelepenthotal). Au bout dun certain temps, ils notaient souventla survenue dun rve rsolutoire quils ont appel rve debonne fin (happy ending dream). Lun des exemples, particu-lirement parlant, tait celui dun pilote de bombardier dontlappareil avait t touch par la DCA. Par chance le piloteavait russi sauter en parachute et chapper aux balles delennemi. Une fois rentr la base, il souffrait dune vritablenvrose traumatique. Il fallait faire disparatre les cauchemarssi lon souhaitait quil puisse nouveau prendre les comman-des dun appareil. la fin de la guerre, les besoins en pilotesdevenaient criants du fait des pertes importantes. Au bout dequelques semaines de traitement, lhomme avait fini par faire

    un rve pas tout fait un cauchemar, bien que ce rve aitrepris les principaux lments de la scne traumatique, maisen les inflchissant. Ainsi lavion ne scrasait-il pas, maisatterrissait en douceur sur un plan deau, les autres membresde lquipage chappaient au danger tout comme lui, il sevoyait les retrouvant dans un bar autour dun verre, etc.

    Cette srie de faits, fort connus par ailleurs, vient

    confirmer : quun rve se livre ncessairement la dconstruc-tion des images provenant de la ralit ;

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    quil rpte sans cesse la mme procdure de dcons-truction jusqu parvenir une nouvelle scne ;

    que, lorsquil y parvient, leffet bnfique du cauche-mar est parfaitement perceptible puisquil augure une radi-cale modification de la situation traumatique.

    Le cauchemar peut se rvler thrapeutique au longcours de lvnement traumatique.

    Reste la question lancinante qui avait interloqu Freud.Pourquoi le cauchemar ? Et pourquoi tend-il perdurer ?Si les cauchemars post-traumatiques nous clairent sur lemcanisme du rve, les autres cauchemars nous indiquentce quil convient de faire en gnral dun rve.

    Le cauchemar est un signal, je lai dit, adress au rveur,mais aussi son entourage immdiat, le prvenant quau rveilil se trouvera plong dans une situation comportant un danger

    grave pour sa survie, sa vie prive, sa carrire, sa famille. Ctaitdj le cas du cauchemar de notre hypothtique babouin ;cest aussi celui de la plupart des cauchemars des humains,mme si leur comprhension nest pas aussi aise.

    Cauchemar politiquePrenons le cas dune personne qui a t victime dun enl-

    vement puis dune incarcration parce quelle participait uneaction politique interdite par le gouvernement. Cette histoire,pas tout fait imaginaire, se passe dans un pays o la police aremplac la loi, o larme occupe de fait lespace social des

    classes moyennes, senrichissant en prlevant un impt illicite partir de positions de prdation. Lhomme a t retenu dansune des prisons militaires durant des jours, battu, humili, ter-

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    LE C AU CHE MAR 43

    roris. On lui a pos quelques questions concernant songroupe politique, les personnalits qui y participaient, la stra-

    tgie quil mettait en uvre, mais sans grande conviction. Envrit, les militaires taient dj informs et les questions neservaient qu justifier la torture leurs yeux, du moins.Cependant, ils ont fait mine de vouloir savoir, linterrogeant,le battant chaque fois quil refusait de rpondre. Puis, aubout dune dizaine de jours, lhomme a t libr.

    Ds le lendemain dbutent les cauchemars cauchemarsterrifiants o il se voit nouveau incarcr, soumis aux humi-liations quil a vcues, subissant les brimades, les insultes etles brutalits quil a connues. la question de savoir ce quelui voulaient ses tortionnaires, il rpond ce quils lui ontsignifi durant les moments de torture : Ils voulaient mefaire parler. Mais, au-del de sa conscience immdiate, cellequi rpond raisonnablement, une partie de lui-mme a djcompris. Ils ne voulaient pas le faire parler ; les militaires nesintressaient pas lui ! Ils cherchaient avant toute chose museler une force politique qui, dans ce cas, reprsentaitaussi une minorit ethnique dans la population. Ils savaient,eux, quune fois sorti il circulerait en ville, raconterait les vio-lences subies. Ainsi, il servirait dexemple. Apprenant la vio-

    lence des militaires, son caractre sauvage, les conditions dedtention, le degr dinfiltration des groupes politiques, biendautres, issus de la mme minorit, qui auraient pu tre ten-ts viteraient dentrer dans la lutte.

    Voil la vritable logique de lagression quil a subie :maquille en interrogatoire, il sagit dune intimidationadresse une frange de la population intimidation dont

    il nest que linstrument. Voil aussi la raison pour laquelleil a t libr aussi vite, alors que dautres, il le sait,croupissent des mois en prison ou disparaissent tout

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    jamais sans laisser de trace. Les tortionnaires prtendaient lefaire parler ; en ralit ils voulaient le faire taire, lui et tout

    le groupe auquel il appartient.Le cauchemar est ici comprhensible, il vient modifier

    la perception immdiate et quelque peu illusoire que vou-drait prserver la victime ; il vient lui rappeler les dangersrels. Tu nes pas tir daffaire, lui signifie-t-il, tu es sur-veill, suivi et certainement pas labri dune nouvelle arres-tation. Le cauchemar vient dire la personne la vritquelle ne veut pas connatre. Sa comprhension est essen-tielle, cette vrit pourrait dynamiser ses capacits de lutte.

    Aussi longtemps que se rpte le cauchemar, on peut tresr que perdure la situation de danger. Le cauchemar nest

    pas une erreur ne de la frayeur, il est perception du fragmentcach de lagression.

    Charlotte Beradt a recueilli entre 1933 et 1939 en Alle-magne, dans les premires annes du rgime nazi, les rvesdhommes et de femmes ordinaires qui subissaient loppres-sion ses dbuts. Elle voulait montrer quel point le nou-veau pouvoir pntrait dans lintimit des personnes, faisantvaciller les piliers habituels de leurs penses, et jusqu violerleurs mes. On stonne la lecture de ces rves de la vri-

    table prescience que manifestaient ces hommes et ces fem-mes pourtant ordinaires. Cest bien que le rve slance dansles hypothses partir de la fragmentation du peru, jusquprdire les atrocits que le rgime na pas encore imagines.

    Une autre fois, je rve quon moblige numrer toutes lespunitions bestiales qui existent. Je les ai inventes en rve. [

    lpoque on ignorait encore largement le dtail de ces bestiali-ts.] Puis, je me venge en criant : Tous les opposants doiventmourir (p. 129).

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    LE C AU CHE MAR 45

    Cet exemple attire lattention sur dautres caractristiquesdu cauchemar que nous navions pas encore explicites :

    Sappuyant sur des perceptions dsagrables auxquel-les le sujet refusait de penser ltat de veille, il est plus vraique la perception consciente quil a du monde.

    Le cauchemar mrite une attention fine de loniro-crite car sil donne lieu une interprtation, celle-ci pourraactiver les ractions instinctives de prudence, rodes parlvnement traumatique.

    Il arrive aussi que le cauchemar survienne en labsencede tout traumatisme. Il faut nanmoins le considrer avec lamme vigilance. Car la situation de danger est tout aussi pr-sente, mme si elle na pas encore dclench lvnementtraumatique. Dans ce cas, le cauchemar est la fois analyti-que et prdictif. Il a en quelque sorte scann une situation il sagit en gnral dune ambiance , en a tir les conclu-sions, finalement mises en images, puis mises en scne.

    On rencontre tout particulirement ce genre de cau-chemars dans les situations professionnelles. L, au bureau,une dcision de se dbarrasser de la personne, une cabale, desrumeurs, lenvironnent son insu. La personne en a perudes signes mais a dtourn son attention cela lui fait trop

    peur. Elle a voulu croire quelle tait seulement victime deson anxit. Le cauchemar, comme celui du babouin, sonnelalarme, lui interdisant de poursuivre son sommeil. Tant quela situation na pas chang, tant que la personne na pas plei-nement pris conscience des dangers quelle court, tant quellena pas invers sa position, devenant active face ce danger,le cauchemar se rptera chaque soir.

    Comme nous le voyons ici, le cauchemar, malgr soncaractre particulirement dsagrable et violent, peut servler salutaire lemploy victime de harclement,

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    condition quil accepte de prter attention aux mises engarde quil contient.

    On comprendra que, pour ce dernier type de cauche-mar, linterprtation se rvlera cruciale.

    Positions du dormeur durant son sommeilet substances corporelles

    Les auteurs anciens, ceux de lAntiquit grecque puislatine, bien sr, mais aussi les mdecins arabes du hautMoyen ge, ensuite les mdecins chrtiens de la Renaissanceet jusqu la reprise de la question du rve au XIXe sicle,tous saccordent reconnatre dans le cauchemar un certainnombre de manifestations somatiques, dj perceptibles autravers des tymologies : le poids, sur la poitrine ou sur lesto-mac, la sensation de constriction, ltouffement. Les noms suc-cessivement donns au cauchemar dans les diffrentes lan-gues accompagnent tout naturellement ces observations.Les Grecs disaient ephialtes pour dsigner le cauchemar(Hippocrate), mot qui signifie se jeter sur . Il est clair

    que, pour eux, ltre du cauchemar rappelons-nous quepour lAntiquit le cauchemar est un tre (cavale, fantme,dmon, tre de la nuit) sest jet sur le dormeur rpandusur sa couche, sinstallant sur le haut de son corps . Lusagedu mot latin incubus ne se gnralise qu la fin du Moyen

    ge incube, donc, qui signifie couch sur . partir duXIII sicle, et de plus en plus au XV et au XVI , sous la pres-

    sion de lInquisition, le monde chrtien devient obsd parlinvasion diabolique. Le diable aurait alors pris lhabitudede se reproduire au travers de ses accouplements avec des

    e e e

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    dormeuses, dans leur sommeil. Cest ainsi que drive le sensdu mot incube , prenant avec la modernit une forte

    coloration sexuelle. Le sens de incubus volue vers dmonmle , envoy ou avatar du dmon, venant surprendre unechrtienne au cur de ses nuits pour capturer son me parle plaisir sexuel. Ravissement , donc, aux deux sens dumot, car la voici ravie, comble, dun certain ct, maisaussi enleve sa foi, ravie aux siens. Cest sans doute lamme poque que simpose le mot arabe kabousse pour dsi-gner le cauchemar, dont ltymologie renvoie galement ces mmes notions de pression et doppression. Kabousse, enarabe, provient dune racine qui signifie presser , maisaussi ptrir . L tre-cauchemar stant empar delhumain le malaxe, le travaille , le traitant en matire,ainsi que la cuisinire le ferait dune pte pain.

    Ces perceptions traditionnelles du cauchemar ontdonn lieu au fil des temps des procdures de protection,donc des manires de faire. Lincube a survcu tel qu sonapparition un peu partout travers le monde, l o lontemport moines et missionnaires. Nous le retrouvons aux

    Antilles franaises, notamment en Martinique, sous le nomde dorliss. Le mot dorliss, dont on dit quil drive du mot

    anglais doorless, sans porte , tmoigne des capacits intru-sives de ltre qui sinfiltre dans les espaces les plus protgs ni porte ni serrure ne peuvent protger la dormeuse. Unetradition populaire prtend en Martinique que, si la femmesendort avec une culotte bicolore, rouge lextrieur etnoire lintrieur, le dorliss ne pourra pntrer ni son rveni son corps. Cette dernire recommandation indique ga-

    lement le comportement quil convient dadopter avec cestres. Ne pouvant les matriser, les humains parviennentquelquefois les tromper, par exemple, ici, en inversant les

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    couleurs quil sattend rencontrer : il aurait d trouver lenoir lextrieur (couleur de la peau) et le rouge lint-

    rieur (couleur du sang).Autre comportement prconis pour se protger des

    incubes, kabousses, aboughtass, qui viennent en gnral pren-dre place sur la poitrine dun rveur endormi sur le dos : ona en gnral conseill aux personnes sujettes des cauche-mars de dormir sur le ct de prfrence sur le ct droit.

    Telle quelle se prsentait dans lAntiquit, la questiondes cauchemars tait avant tout celle des sphinges et de cestres des cauchemars qui taient rputs capturer les jeunesgens en leur sommeil. Arrives par le haut (do leurs repr-sentations ailes), elles sabattaient (ephialtes) sur la poitrinedu malheureux, le saisissaient de leurs pattes de lionne, doleurs griffes, et lui brandissaient les seins devant le visage.Les seins sont sans doute ici lappt permettant de dtour-ner lesprit de la victime du vritable motif de lagression.Car le terme dun tel cauchemar est lmission du spermedu dormeur. Ainsi le sperme mis en rve est-il prlev auxhumains par un tre dune autre nature, qui sera fcond etdonnera naissance de nouveaux tres hybrides. La sphinge,cela va sans dire tant son apparence lvoque immdiate-

    ment, est elle-mme une quintessence dhybride : femme/lionne/oiseau/serpent.Pour lAntiquit grecque, je le rpte, le cauchemar est

    bien un espace o lhumain risque de rencontrer des tresdune autre nature parmi lesquels de vritables prdateurs,recherchant sa substance pour engendrer de nouveaux tresde cauchemar, qui sattaqueront toujours plus dhumains.

    Le cauchemar est pidmie par nature.Lmission de sperme en rve rares sont les jeunes gens qui cela nest pas arriv, faut-il le rappeler ? a tourment

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    lAntiquit, non seulement grecque, mais aussi du Moyen-Orient. La Bible (Gense 6 : 4 ; Nombres 13 : 33) men-

    tionne dans des passages assez mystrieux lapptence destres hybrides pour les humains. Ainsi, dit-elle, les Nephilim,sorte de dmons primordiaux, saccouplaient alors avec lesfilles des hommes . Ce qui dplut Dieu et motiva ledclenchement du dluge afin de laver la terre dune tellesouillure. Cest sans doute la raison pour laquelle No embar-que dans son arche les animaux par couples apparis afindviter la rptition de la souillure des hybrides. Lislam ahrit de cette inquitude, et toutes les cls des songes musul-manes attribuent ljaculation en rve la rencontre avec untre dmoniaque. Elles recommandent au dormeur de sepurifier ds son rveil, non seulement par les ablutions ordi-naires, mais par des protections et des rituels spcifiques. Lemonde chrtien de la Renaissance a transform cette craintedu cauchemar au cours duquel les humains rencontrent lesdmons en vritable obsession. Le trait de chasse aux sorci-res crit par deux moines inquisiteurs en 1486, Henry Insti-toris et Jacques Sprenger, le clbre Marteau des sorcires(Malleus Maleficarum), dveloppe une thorie extrmementsophistique de la capture du sperme par les dmons, ce qui

    dmontre nouveau que cest bien le sperme humain querecherchent les tres des cauchemars. La squence en seraitcelle-ci : 1) le dmon se manifeste dabord sous formefemelle, se glissant dans le rve dun homme pour lui soutirerson sperme ; 2) il se transforme alors en incube, mle, etsintroduit cette fois dans le rve dune femme pour saccou-pler avec elle ; 3) le sperme utilis avec la rveuse qui se

    rveille humide, souill par son passage dans le corps dudmon, fcondera cette femme qui donnera naissance deshybrides, pervers, destins devenir des auxiliaires du

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    dmon ; 4) deux singularits dans cette construction thori-que extravagante qui eut un succs mondial durant prs de

    deux sicles : le dmon est dpourvu de sperme ; celui quilutilise en assaillant ses victimes fminines, sperme humaindvoy, se reconnat au fait quil est glac glac, bien srdavoir rsid hors de la chaleur du vivant, dans le corps dudiable.

    Nous constatons que, partir du dbut du XVIesicle, laconception du cauchemar, hrite des Grecs, ayant transitpar les Romains, puis par lislam, a quelque peu volupuisque la vritable complice du diable est maintenant lafemme qui, du fait de sa faiblesse constitutive, ne sait,pense-t-on alors, rsister aux tentations du dmon.

    Il faut dire que le Moyen ge chrtien a progressive-ment jet lanathme sur le rve, sur tous les rves, devenuslieux privilgis des tentations de Satan creusant ainsi lelit de la psychanalyse venir. Un simple croyant ntait pasautoris recevoir de messages divins en rve messagesexclusivement rservs lglise. Les interprtes de rves, lesonirocrites et les oniromanciens, considrs comme deshrtiques, taient poursuivis par lInquisition. Si bien qulore de la Renaissance, en Europe du Nord, le rve avait

    dj driv vers le cauchemar et le sexe, perdant sa capacit accueillir les messages de laltrit. Cette conception dunrve seulement ngatif stait installe en Europe du Nordet avait perdur longtemps, jusqu lpoque contempo-raine. Au tout dbut des annes 1970, alors que je faisaismes premiers pas de clinicien, il ntait pas rare qu laquestion : Avez-vous rv ? un patient me rponde :

    Mais non ; jai trs bien dormi ! Ces dernires remarques sur certaines conceptionsanciennes du cauchemar nous permettent daffiner notre

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    perception, toujours dans cette mme perspective que nousnous sommes donne de construire une pragmatique du

    rve, autrement dit : de tenter de rpondre la question Que faire du rve ? Car ces conceptions ont toutesdbouch sur des conseils dendormissement destins vi-ter la rptition des cauchemars et sur des mthodes deprise en charge pour traiter leurs effets dans la vie veillede la personne.

    Actualit de linterprtationdes cauchemars

    Les modalits du traitement prconis indiquent que lecauchemar est un carrefour o les humains peuvent croiserdes non-humains qui les ont choisis comme proie. Le cau-chemar est plus gnralement place ouverte, sur un mondedagressivit que lon pourrait comparer celui quaffrontele jeune babouin dans sa nuit. Jy vois une comprhensionpatiente, longuement mrie au long des sicles et appuyesur lexprience, des onirocrites de lAntiquit de la capacit

    que renferme le cauchemar nous rvler les dangers cachsqui nous attendent dans notre vie veille.Se dessine galement un reprage des parties du corps

    vises par le cauchemar (la poitrine et le sexe), des fonctionsentraves par lui (respiration et locomotion), des positionsdu corps viter si lon veut chapper au cauchemar (lesommeil sur le dos) et des oprations entreprendre le

    lendemain pour sen librer. Nous pouvons galement tirerde ces conceptions les thmatiques les plus courantes descauchemars.

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    La paralysie est un thme rcurrent de toutes lesconceptions du cauchemar que nous avons croises

    jusquici. Il nest donc pas tonnant quelle soit le thme leplus frquemment reprsent. Le rveur est poursuivi, maisne parvient pas avancer ses pieds senfonant dans le sol,ou bien ses jambes tant paralyses, ou encore son corpsentier refusant tout mouvement, et aucun son ne parvenant sortir de sa bouche. Les cauchemars o le dormeur peroitle besoin dagir et se sent entrav, ces rves de paralysie,donc, renvoient des situations sociales dagression dont lapersonne na pas rellement pris conscience durant la veille.

    Leffondrement du support, soit que le rveur seretrouve au bord dune falaise sans garde-fou, soit que le murdun appartement se situant un tage trs lev se soit effon-dr, soit quil parvienne son insu lemplacement de la rup-ture dun pont autant de situations o il se retrouve faceau vide. Ces rves de confrontation au nant sont galementdes interprtations de la vie sociale en rfrence un vne-ment antrieur dabandon. Cest comme si le cauchemarsignifiait la personne : Tout comme ta nourrice ta unefois laiss tomber alors quelle aurait d te tenir fermementpour te donner le bain, quelquun vient de te trahir

    La rencontre avec des monstres, souvent aux formeshybrides, ou ayant certaines caractristiques provenantdautres espces animales. De telles rencontres peuvent ru-nir les deux thmes prcdents, le rveur pouvant tre pour-suivi par un tel monstre sans parvenir avancer ou bien treaccul durant cette poursuite un vide. De tels rves ren-voient en rgle gnrale des caractristiques caches de

    personnages de la vie relle du rveur. Telle personne de sonentourage qui se comporte envers lui avec la plus grandecourtoisie est en vrit anime dintentions malveillantes.

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    Telle autre avec laquelle il collabore tous les jours au bureaunourrit une vritable passion amoureuse pour lui quelle ne

    parvient pas lui avouer, etc.Ces quelques exemples, parmi les cauchemars les plus

    courants, illustrent mes yeux le caractre extrmementsocialis de ce type de rves. Le lecteur a peut-tre t tonnde mon insistance sur les conceptions trs anciennes des rveset des cauchemars. Je pense en effet que ces connaissancessont encore indispensables qui veut saventurer dans linter-prtation des rves. Lexemple suivant, issu de ma pratiqueclinique, illustrera lactualit de ces vieilles ides.

    La jeune fille et les paramilitaires

    Je me suis rendu au Kosovo en 2000, peu de temps aprsla fin des hostilits, avec quelques membres de lquipedethnopsychiatrie pour animer une session de formation laprise en charge des tats de stress post-traumatiques conscu-tifs la guerre. cette occasion, dans un hpital de Pristina,les mdecins kosovars mont prsent une jeune femme, alba-

    nophone, dune vingtaine dannes qui souffrait de troublesinquitants. Elle ne dormait quasiment plus depuis dix moiset promenait sur ses interlocuteurs le mme visage hbt,suppliant quon lui administre enfin le mdicament qui luipermettrait de dormir. Elle racontait chaque mdecin,inlassablement, cette mme histoire.

    Trois paramilitaires serbes sont arrivs dans son village.

    On lavait suffisamment prvenue que les Serbes tuaient leshommes valides et violaient les femmes. Lorsquelle les aaperus au loin, prise de terreur, elle a pris la fuite. Ils lont

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    aperue, poursuivie, retrouve, accule dans une grange.Elle se tenait l, face aux trois hommes en treillis militaire,

    arms jusquaux dents, le visage barbouill de noir, impres-sionnants. Le chef lui a fait signe de la main en disant : Toi, approche un peu Elle aurait pu accepter etapprocher ; elle aurait aussi pu refuser, se rvolter, avec tousles risques de reprsailles que lon imagine. Eh bien non !Elle sest vanouie. Que sest-il pass durant son absencedont elle ne peut prciser la dure ? Ont-ils abus delleavant de labandonner sans connaissance ? Elle ne peutlaffirmer, pourtant Avec les mdecins de lhpital, nousnous demandons : est-ce la honte qui lempche de se sou-venir ? A-t-elle perdu toute mmoire ou na-t-elle jamaisvcu les violences quon imagine ? Mais lorsque, apaise parla prsence des mdecins, la patiente rflchit, elle penseplutt que les Serbes lont abandonne l sans la toucher.Elle nen est pas certaine, cependant. Nous nous deman-dons : nest-ce pas prcisment ce quelle aimerait croire ?Nont-ils pas abus delle, malgr tout ? Ne prfre-t-ellepas penser quils lont abandonne l sans lui prter plusdattention ? Quoi quil en soit, depuis cet vnement ter-rible, sitt quelle sendort, aux toutes premires minutes de

    sommeil, elle les voit nouveau sapprocher delle, ces troismmes paramilitaires menaants, et se rveille en sursaut,trempe de sueur. Aprs ces premires minutes de sommeilangoissant, elle ne parvient plus se rendormir. Et suit unelongue nuit dinsomnie. Tous les cliniciens kosovars quilont reue depuis ont pens quelle revivait durant ces ima-ges dentre dans le sommeil la scne dserte par ses sens.

    Cauchemar recueilli au chevet de la patiente, qui plusest en situation. Je dis en situation car Pristina cette po-que respirait encore la guerre. Les chars taient stationns

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    aux portes de la ville et les corbeaux sillonnaient le ciel parvagues. La peur tait partout dans le silence des habitants,

    dans le pas press, les ttes baisses des passants, dans lamultitude des vhicules blinds immaculs frapps aux let-tres des Nations unies

    Mais lorsque nous nous sommes engags avec elle dansla description prcise des sensations quelle prouvaitdurant ce quelle appelait elle-mme son cauchemar, ellesest mise dcrire les images par le dtail. Dabord, lesparamilitaires serbes, puis une violente constriction de lagorge, une sensation dtouffement, de brlures sur lecou Cela ne correspondait pas ce que nous avionspens. Nous imaginions des hommes se jetant sur elle, dessensations doppression, de poids. Nous avons insist pourquelle nous dcrive par le dtail les sensations et toutes lesimages. Ce quelle voqua alors, ce ntaient pas les parami-litaires, qui disparaissaient aussitt pour laisser place unoiseau trange, gigantesque, descendant du ciel et venantsaccrocher son cou. Do les sensations de constriction la gorge, dtouffement, et les brlures, sans doute causespar les serres de loiseau.

    Il a suffi que nous insistions pour quelle nous relate la

    totalit de ses images hypnagogiques. Lhabitude de perce-voir le rve portant des informations sur le seul pass voilaitle regard des cliniciens, les empchant de poser les questionssur ses perceptions relles et actuelles. Le rve de cettefemme contenait en vrit une information cruciale, quelon pourrait rsumer ainsi : la terreur prouve la vue desparamilitaires serbes lavait fracture, avait ouvert une brche

    dans laquelle stait engouffr un tre, un oiseau trange, enalbanais, la traductrice la reconnatra au premier rcit : unestriga (tre en vrit proche de la sphinge grecque de

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    laquelle elle a sans doute hrit bien des traits). Et cet tre,qui avait profit de leffraction des Serbes, revenait chaque

    nuit depuis. Reconnatre avec srieux lexistence de cet tre,voquer sa nature avec la patiente, envisager les moyensconcrets de le combattre et de sen dbarrasser a suffi luipermettre de retrouver le sommeil cette nuit mme. Je mesouviens de la psychiatre kosovare qui soccupait de cettemalade depuis de longs mois se prcipitant le lendemain son chevet pour linterroger Cette sance lavait-ellesoulage ? Avait-elle russi se reposer. Eh bien, elle avaitdormi ! Enfin Elle avait enfin dormi, et toute une nuit,qui plus est ! Si elle ne trouvait pas le repos depuis si long-temps, cest que les cliniciens qui sen taient occups

    jusqualors avaient interrompu leur investigation lappari-tion des Serbes et navaient jamais aperu la strige qui se

    cachait derrire.

    Les traitements

    Les modes de manifestation du cauchemar, ses caract-

    ristiques, les tres qui sont rputs le hanter expliquent lesrecommandations que reoivent les personnes qui en sontvictimes dans les milieux traditionnels.

    Je le rpte, un cauchemar, condition quil survienneune fois, nest pas inquitant ; il peut mme quelquefois servler utile. Cependant, si une personne a dj pass plu-sieurs nuits envahies de cauchemars, si de plus elle fait des

    cauchemars rcurrents, soit identiques, soit trs semblables,la situation ncessite dtre traite. Mais que signifie trai-ter un cauchemar ? Il sagit la fois de soulager la souf-

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    france quil provoque les sentiments dangoisse, linvasionde la vie veille par des images quelquefois terrifiantes ou

    obsdantes et de traiter sa cause, ce qui signifie linterpr-ter comme un rve.

    Pour se dbarrasser dun cauchemar, ou plus gnrale-ment dun rve dsagrable, les Grecs de lAntiquit avaientlhabitude de partir en pleine nature le raconter au soleil,comme sils souhaitaient le scher , dune certaine manirese dbarrasser des miasmes qui continuaient leur coller la peau. Le monde musulman considre que le cauchemarest peu ou prou une rencontre avec un tre satanique. Ilprconise des rituels de purification beaucoup plus comple-xes, incluant toujours lappel Dieu et une recherche derdemption pour les fautes commises. Dans lun et lautrecas, il sagit cependant dune demande dinterposition, dunappel adress un tre suppos plus puissant que celuicrois dans le cauchemar ; un tre bienveillant vis--vis durveur. Si les Grecs avaient tendance scher les cauche-mars, le monde musulman a plutt tendance les dissou-dre. Certains prconisent de raconter son rve devant lacuvette des toilettes avant de tirer la chasse deau. Dautres,de le dissoudre dans de leau ou de lhuile dans laquelle

    auraient t lues une ou plusieurs sourates du Coran, puisde partir dverser le liquide en pleine nature. Mais nouspouvons dire que ce sont l des traitements sympto-matiques, qui ne peuvent que procurer des soulagementsprovisoires. Le deuxime type de traitement est plutt pr-ventif, destin viter la rdition du cauchemar. Si lapersonne a rencontr des tres de cauchemars, cest quelle

    sest aventure dans le sommeil sans protection. Les recom-mandations chercheront alors remdier cette carence.On lui conseillera daccomplir toutes ses prires avant le

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    coucher, de simprgner lesprit de textes religieux, desenduire le corps et notamment la poitrine de prires

    dissoutes. On dissout des prires dans un liquide de deuxfaons : soit en les prononant haute voix devant un rci-pient plein, soit en les crivant avec une encre particuliresur une tablette de bois que lon passe ensuite leau pourrecueillir la dilution de lettres.

    Ce sont l des remdes trs anciens. Mais nos socitspostmodernes nont fait disparatre ni les thories ni les pra-tiques anciennes ; il semble mme quelles en aient poten-tialis limpact sur les populations en facilitant leur diffu-sion. Des centaines de sites Internet proposent destraitements prts lemploi. Certains peuvent adresser,contre rtribution, des feuilles de sourates coraniques djcrites, quil suffira de tremper dans de leau pour obtenirla dilution, ou bien des amulettes dj fabriques, quil suf-fira de saccrocher autour du cou. La frquentation de cessites en croissance exponentielle dmontre limportance dela demande en ce domaine, non seulement celle des popu-lations rcemment immigres, que lon pourrait supposerrestes proches des pratiques traditionnelles, mais aussi lademande de la population gnrale qui souhaite obtenir des

    rponses concrtes et efficaces de tels problmes. Laccep-tation par le public de la standardisation des thrapeutiquesqui vient, depuis une vingtaine dannes seulement, rompreavec des traditions sculaires ne laisse pas dtonnerlorsquon sait combien ces traitements sont dinspirationartisanale. Le spcialiste doit en principe rechercher la sou-rate qui convient, en prsence de la personne, lcrire de sa

    main, la prparer dans son lieu, laccompagner de paroles etde recommandations spcifiques avant de la confier sondestinataire en usant de gestes rituels.

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    Le troisime type de pratique constitue le traitement defond et ne peut en aucune manire se passer du lien si par-

    ticulier qui se noue entre un rveur et un onirocrite. Il sagitdidentifier dune part ltre du cauchemar ayant fait irrup-tion, ses caractristiques et si possible son nom, afin demobiliser les forces susceptibles dentraver son action. Ilfaudra ensuite comprendre la raison pour laquelle il a pusimmiscer dans le sommeil de cette personne. Il conviendra la fin de proposer une vritable interprtation selon lesrgles, mais je parlerai de cela plus loin.

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    Quest-ce quun rve ?

    Je pense quil faut changer la flche du temps. Selonla plupart des thories, le sommeil paradoxal est enrapport avec le pass (mmoire, oubli). Il faudrait lemettre en rapport avec le futur, ce qui permettraitdintroduire le concept de programmation.

    Michel JOUVET, Pourquoi rvons-nous ?Pourquoi dormons-nous ?

    Quelques donnesneurophysiologiques

    la question : quest-ce quun rve ?, la rponse semblevidente. Cest le tmoignage de lactivit mentale durant lesommeil. Ctait dj ce que nous avaient laiss comprendreles dsignations grecques anciennes et arabes du rve.Enupnion (grec) ou mnam (arabe) signifient tous deux

    dans le sommeil , comme si ces langues avaient dcid desouligner que lesprit ne sinterrompait pas durant le som-meil, quil se poursuivait sous cette forme spcifique quest

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    le rve. Ce rappel est dautant plus important que la plupartdes penses traditionnelles de lAntiquit considraient le

    sommeil comme une prfiguration de la mort une demi-mort, pour ainsi dire. Cest sans doute la raison pourlaquelle, son rveil, le croyant juif remercie Dieu dans saprire de lui avoir restitu son me. LAntiquit craignait lesommeil comme si elle pensait que lme pouvait sy gareret ne plus rintgrer le corps de la personne.

    Quest-ce quun rve ? Il va de soi quil convient dtretrs prudent dans nos dfinitions tant entendu que la seulepreuve de lexistence du rve est le rcit du rveur. Aucundispositif exprimental ne permet ( lheure actuelle) de voir le rve dun tiers. Cest pourquoi on ne connat durve que son rcit. Les recherches en neurophysiologie dusommeil qui se dveloppent intensment depuis un demi-sicle sont la fois venues apporter des lments nouveauxdune importance capitale, ont prcis pour une part despenses anciennes, mais nont pas tabli de vrit dfinitivepour ce qui concerne le rve proprement dit, cest--dire telquil se prsente au rveur. Le fait est que ces recherchessintressent surtout au sommeil, sa fonction, ses dsor-dres et aux possibilits dy remdier. Quant au rve, il reste

    aujourdhui encore cet objet limite, entre illusion et scorie,et son contenu son texte intresse peu les chercheursmodernes, notamment dans le domaine des neurosciences.Puisquil est toujours cette part qui chappe aux analyses,qui dserte les disciplines et finit toujours par se retrouverl o les professeurs dtestent se rendre : dans le peuple.

    Cest partir de 1960 que les recherches sur le sommeil

    ont fait un bond dcisif. Lexploration exprimentale amontr que le sommeil se droulait suivant un cycle iden-tique chez tous les tres humains. On a pu tablir lexis-

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    QUEST-CE QUUN RVE ? 63

    tence de cinq stades du sommeil, se succdant selon unordre spcifique pour constituer un cycle dune dure de

    quatre-vingt-dix minutes. Pour ce qui concerne lactivit ducerveau, le sommeil dbute par une phase dendormisse-ment brve. Le dormeur senfonce ensuite dans des phasesde sommeil de plus en plus profond, lactivit crbraledevenant de plus en plus lente. Ces stades, habituellementappels deux , trois et quatre , dbouchent invaria-

    blement sur un cinquime appel sommeil paradoxal qui, du point de vue de la relaxation musculaire et du seuilde perception, est un sommeil trs profond, mais durantlequel llectroencphalogramme rvle une activit cr-brale aussi intense que durant la veille. Ce dernier stade,tonnant dans sa double configuration, est appel som-meil paradoxal . Une nuit de sommeil est constitue de la

    succession de telles priodes de quatre-vingt-dix minutes seterminant invariablement par un stade de sommeil para-doxal dont nous avons dj vu quil tait troitement appa-rent au rve.

    Trois types de sommeil nous intresseront ici, que lonpeut reconnatre de manire objective leur trac lectriqueaprs avoir branch des lectrodes sur le crne du dormeur.

    Lentre dans le sommeil, caractrise par une tem-prature de 27 C, trs prcisment 1 millimtre de la sur-face de la peau, par un ralentissement du rythme cardiaqueet par des ondes lectriques spcifiques. Cest durant cestade que lon peut observer ces images accompagnantlendormissement, dites images hypnagogiques , que nous

    avons appeles effervescences . Nous avons galement vuque certains cauchemars semblent apparatre durant cesmoments dendormissement.

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    64 LA NOUVELLE INTERPRTATION DES RVES

    Le sommeil paradoxal, caractris par une disparitiontotale du tonus musculaire, accompagne dune activit

    crbrale intense, stade durant lequel on voit apparatre demanire cyclique ces deux phnomnes typiques que sontles mouvements oculaires rapides et lrection. Cest ainsique le sommeil paradoxal est galement appel sommeil mouvements oculaires rapides (W. Dement). Si on rveillela personne durant le sommeil paradoxal (ce qui est plusdifficile qu nimporte quel autre moment de la nuit), onobtient trs souvent des rcits de rve. Cest de cette der-nire observation qua t tire lhypothse, gnralementadmise, que cest durant le sommeil paradoxal que sedroule la quasi-totalit de lactivit onirique.

    Il nous faut retenir que nous rvons trs rgulire-ment durant la nuit, toutes les quatre-vingt-dix minutes,quels que soient par ailleurs notre langue, notre culture,notre religion, notre habitat, notre degr dalphabtisation,notre ventuelle adhsion ou non la vertu des rves

    Le sommeil lent profond , enfin, que lon pourraitconsidrer comme le vritable sommeil, galement recon-naissable son trac lectroencphalographique, compor-tant un train dondes lentes et de grande amplitude.

    Ce type dobservation, que jai schmatis lextrme, adfinitivement boulevers le regard que nous portions surle sommeil et sur le rve. Il a dabord tabli :

    que le sommeil tait un phnomne biologiquementprogramm ;

    que sa dure ntait pas alatoire, mais dpendait dela succession de stades galement programms ;

    que, sil est vrai que le rve proprement dit se drouledurant le sommeil paradoxal, nous devons admettre quelactivit onirique est galement un phnomne programm.

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    QUEST-CE QUUN RVE ? 65

    Reste comprendre la fonction du rve. Nous commen-cerons dabord par celle du sommeil paradoxal durant

    lequel se droule le rve. Michel Jouvet a propos monsens lhypothse la plus originale et la plus dynamique. Ilest dabord parti du constat que les propositions faites

    jusqualors taient soit caduques, soit non pertinentes. Lesthories affirmant par exemple limportance vitale du rvepour lindividu ont t contredites. Les personnes prives desommeil paradoxal, soit du fait dune lsion