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LA N.R.F. 307 (AOUT 1978)

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LA NOUVELLE

REVUE FRANÇAISE

Johnny

A Paris, cet été-là, il faisait beau et Johnny avait euvingt-deux ans. Son vrai prénom était Kurt mais depuisl'adolescence, on l'appelait Johnny parce qu'il ressem-blait à Johnny Weissmuller et qu'il admirait ce sportifet cette vedette de cinéma. Johnny était surtout douépour le ski qu'il avait appris avec les moniteurs deSan-Anton quand sa grand-mère et lui vivaient encoreen Autriche. Il voulait devenir un skieur profession-nel.

Il avait même cru qu'il marchait sur les traces deWeissmuller le jour où on lui proposa un rôle de figu-ration dans un film de montagne. Quelque temps aprèsle tournage, sa grand-mère et lui avaient dû quitterl'Autriche, à cause de l'Anschluss.

Et chaque soir vers huit heures et demie, il des-cendait du métro à « Passy ». On avait l'impres-sion d'arriver dans la petite gare d'une station thermaleou au terminus d'un funiculaire. Par les escaliers,Johnny gagnait l'un des immeubles en contrebas,proches du square de l'Alboni, dans cette zone de Passyqui évoque Monte-Carlo.

Au dernier étage de l'un de ces immeubles, habitaitune femme de quinze ans son aînée, une certaine Arletted'Alwyn dont il avait fait la connaissance à la terrassed'un café de l'avenue Delessert au mois d'avril de cetteannée.

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La Nouvelle Revue Française

Elle lui expliqua qu'elle était mariée à un officier avia-teur dont elle n'avait plus de nouvelles depuis le débutde la guerre. Elle pensait qu'il était en Syrie ou àLondres. Sur la table de nuit il remarqua la photo enca-drée de cuir d'un bel homme brun aux moustaches

fines qui portait une combinaison d'aviateur, mais cettephoto semblait une photo de cinéma. Et pourquoi sonnom seul Arlette d'Alwyn, était-il gravé sur une plaquede cuivre, à la porte de l'appartement?

Il avait fini par ne plus se poser de questions. Elle luiconfia une clé de son appartement, et souvent, le soir,quand il entrait, elle était allongée sur le divan du salon,nue dans un peignoir, à écouter le même disque, unconcerto de Rachmaninov. Et elle laissait le disque tour-ner des heures car le pick-up, de marque américaine,avait un bras automatique.

C'était une blonde aux yeux verts et à la peau trèsdouce et bien qu'elle eût quinze ans de plus que lui,elle paraissait aussi jeune que Johnny, avec quelquechose de rêveur et de vaporeux. Mais elle avait du tem-pérament.

Elle lui donnait toujours rendez-vous chez elle vershuit heures du soir. Elle' n'était pas libre pendant lajournée et il devait quitter l'appartement très tôt lematin. Il tentait de savoir ce qu'elle faisait en sonabsence mais elle éludait ses questions. Un soir, il étaitarrivé quelques instants avant elle et il avait fouilléau hasard le tiroir d'une commode. Il y trouva unreçu du crédit municipal de la rue Pierre-Charronet apprit ainsi qu'elle avait mis en gage une bague,des boucles d'oreilles et un clip. Et pour la premièrefois, il sentit un léger parfum de naufrage dans cetappartement. Était-ce l'odeur opiacée qui flottait tou-jours, ou cela venait-il des meubles, du pick-up, desétagères vides ou de la photo du prétendu aviateur,entourée de cuir?

Pour lui aussi la situation devenait difficile. Il n'avait

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Johnny

pas quitté Paris depuis deux ans, depuis ce mois de maiquarante où il avait accompagné sa grand-mère à Saint-Nazaire. Elle avait pris le dernier bateau à destination desÉtats-Unis en essayant de le persuader de venir avec elle.Les visas étaient bons. Il lui avait dit qu'il préférait res-ter en France et qu'il ne risquait rien. Avant qu'elles'embarquât, ils s'étaient assis tous les deux sur l'un desbancs du petit square, près du quai.

A Paris, il avait rôdé autour des studios de cinéma en

cherchant un emploi de figurant mais il fallait une carteprofessionnelle et on la refusait aux Juifs, à plus forteraison aux Juifs étrangers comme lui. Il était allé voirau Racing-Club si l'on avait besoin d'un professeur detennis ou de natation ou même d'un professeur de gym-nastique. Peine perdue. Alors il avait projeté de passerl'hiver dans une station de ski où il pourrait peut-êtretrouver un poste de moniteur. Mais comment gagner lazone libre?

Grâce à une petite annonce, il avait réussi à se faireembaucher en qualité de mannequin pour les chapeauxMorreton. Il posait dans un studio du boulevard Deles-sert et ce fut à la sortie de ce lieu de travail qu'il ren-contra Arlette d'Alwyn. On le photographiait de face, deprofil, de trois quarts, coiffé chaque fois d'un chapeauMorreton différent de forme ou de couleur. Un tel tra-

vail exige ce que le photographe appelait une « gueule »car le chapeau accentue les défauts du visage. Il fautavoir le nez droit, le menton bien dessiné, et surtout unebelle arcade sourcilière. Cela avait duré un mois et on

l'avait congédié.Alors il vendit un par un les meubles du petit apparte-

ment qu'il avait habité avec sa grand-mère, avenue duGénéral-Balfourier. Il passait par des moments de cafardet d'inquiétude. On ne pouvait rien faire dans cette ville.On y était piégé. Au fond, il aurait dû partir pour l'Amé-rique.

Les premiers temps, pour garder le moral, il avait

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décidé de se plier à une discipline sportive, comme ilavait toujours aimé le faire. Chaque matin, il se ren-dait à la piscine Deligny et nageait sur une distance demille mètres. Mais bientôt, il se sentit si seul parmi cesfemmes et ces hommes indifférents qui prenaient desbains de soleil qu'il renonça à la piscine Deligny. Ilétait prostré dans l'appartement minuscule et videde l'avenue du Général-Balfourier et quand huit heuressonnaient, il allait retrouver Arlette d'Alwyn.

Pourquoi, certains soirs, retardait-il cet instant? Ilserait volontiers demeuré tout seul dans l'appartementaux volets fermés. Il se sentait incapable de parler à quel-qu'un. Une fois, il n'avait pas eu la force de quitterl'avenue du Général-Balfourier. Le lendemain soir, il

s'était présenté chez elle, hirsute, sans s'être rasé, etelle lui avait dit qu'elle avait été inquiète et qu'un jeunehomme beau et distingué comme lui ne devait jamaisse négliger.

Mais d'autres fois, l'air était si chaud et la nuit si

claire qu'ils laissaient les fenêtres ouvertes. Ils dispo-saient les coussins de velours du divan sur la petite ter-rasse et ils y restaient très tard. Au dernier étage d'unimmeuble voisin, il y avait une terrasse comme la leur oùse tenaient quelques personnes dont ils entendaient lesrires.

Ils faisaient des projets. Johnny caressait toujours sonidée de sports d'hiver. Arlette d'Alwyn connaissait trèspeu la montagne. Elle était allée une fois à Sestrières etelle en gardait un bon souvenir. Pourquoi ne pas yretourner ensemble? Johnny, lui, pensait à la Suisse.

Une autre fois, le soir était doux et il décida de ne pasdescendre à la station « Passy » comme il en avait l'habi-tude mais à « Trocadéro ». Il irait à pied par les jardinset le quai de Passy jusque chez Arlette d'Alwyn.

Il arrivait en haut de l'escalier du métro et il vit un

cordon de policiers qui attendaient sur le trottoir. Onlui demanda ses papiers. Il n'en avait pas. On le poussa

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Johnny

dans le panier à salade, un peu plus loin, où se trou-vaient déjà une dizaine d'ombres.

C'était l'une des rafles qui, depuis le printemps, pré-cédaient régulièrement les convois pour Auschwitz.

PATRICK MODIANO

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Poèmes du Trobar Clus

Ni l'orgueil sans personne d'Orphée, ni la fatuitéblessée de Narcisse.

Mortel parmi d'autres, avouant notre nostalgied'être.

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Vert dans la brume acide et printanierLaine de l'automne à la tiède haleine

Verre que vint briser l'ivresse en pleursL'aine appelait la corne d'amour ou de haine.Vers du poème ou du tombeau vers où va l'heure?Les nœuds sont rompus d'âme et non de chairQuand le pauvre faune enfourche une fois dernièreLes beaux reins du génie jeune et fouPuis pauvre folle faitfeu sur l'infidèleLes liant anges déchus aux saisons de l'enfer.

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Des aisles en la dextre, en la gauche une gerbe.Apres les feux puceaux le Tresbuchet reluit,Qui justement balance et ~~OMr, et la nuictD'or sont ses deux bassins, ses six cordons sont d'or

D'or sont ses trois anneaux, d'or est son fleau encor.Le traistre Scorpion secondant la Balance,Couvre de ~M~aM~ venin de sa pance,Et cruel, chasque jour par l'un et l'autre boutSes pestes vomiroit és membres de ce Tout,Si l'archer Phillyride, homme, et cheval ensembleGaloppant per le ciel, qui sous ses ongles tremble,Ne menaçoit tousjours de son trait enflamméLes membres bluetans du Signe envenimé.Or le chenu Centaure est par tous lieux qu'il passe,Tellement attentif à ceste unique chasse,Que le Chevreul celeste esclatant tout de raisTallonne ce veneur sans redouter ses traicts.

Cependant l'Eschanson sur ses clairs talons verseDe son estoillé vase une onde blonde perse,E~ya~ ~M: Cr0!7'<2/~) MCM~ ~<:?7~~aMXEt fait(qui le croira!) naistrede~or~M~ ~~<2M.)c.Pour les suyvans Poissons, un riche torrent d'eaux.Les alterez Nageurs courent vers ceste source,Mais le fleuve à plis d'or s'enfuit devant leur courseAinsi que les Poissons fuient tousjours devantLe celeste Belier, qui les va poursuivant.

Outre ces douze feux, du costé de la Bise,Un Dragon flamboyant les deux Ourses diviseApres vient le Bouvier, la Couronne, le Trait,L'Enfant agenouillé, la Lyre, le PourtraitSoit du docte Esculape, ou soit du fils d'Alcmene,Qui le doré serpent parmi les astres mene,Pegase, le Daufin, l'Aigle, le Cygne blanc,Andromede, qui void assez pres de ~OK~a~C,Cassiope sa mere, et son pere Cephee,Et les membres astrez de son ~aM~~ Persee,Le rn<7~g/f luisant, le front Medusien,Et l'estoillé Charton du char Tyndarien.