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La numérisation du patrimoine écrit de la Grande Guerre État des lieux et perspectives Laurent Veyssière Conservateur général du patrimoine Novembre 2016 14 Mission 18 CENTENAIRE

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La numérisation du patrimoine écrit de la Grande Guerre

État des lieux et perspectives

Laurent VeyssièreConservateur général du patrimoine

Novembre 2016

14 Mission 18CENTENAIRE

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Résumé du RappoRt

La numérisation et la mise en ligne du patrimoine écrit participe activement à la démocratisation culturelle. Protégeant les collections les plus fragiles, cette démarche permet à tous d’avoir accès gratuitement et à distance aux documents manuscrits et imprimés. Les mises en ligne massives réalisées en France depuis une quinzaine d’années par les institutions culturelles ont contribué au développement des recherches individuelles, familiales et savantes, ainsi qu’à de nouvelles pratiques participatives des internautes, grâce à ce que l’on a coutume de nommer le web 2.0. Toutes les administrations publiques participent à ce vaste mouvement de fond : les ministères et leurs établissements publics, le Parlement, les collectivités territoriales. La France est aujourd’hui un pays leader en la matière, eu égard au volume de documents numérisés et au nombre de consultations (400 millions de documents d’archives en ligne et 2,5 milliards de pages consultées en 2015). Parmi ces sources numérisées figurent les documents manuscrits et imprimés datant de la Première Guerre mondiale, conservés dans tous les services d’archives et dans de très nombreuses bibliothèques.

Alors que nos compatriotes ont toujours entretenu un lien intense et souvent intime avec la Première Guerre mondiale, ils ont vu arriver son Centenaire juste après la disparition des derniers poilus et donc sans témoin pour continuer à transmettre la mémoire du conflit. Les commémorations du Centenaire avec ses cérémonies fortement médiatisées, ses très nombreux projets issus des territoires, la Grande Collecte – appel à tous les Français à apporter leurs archives familiales dans les institutions de conservation – ont démontré une très forte demande sociale comportant une détermination à découvrir le parcours de ses ancêtres durant cette période terrible. En effet, traditionnellement attirés par les recherches généalogiques, les Français se sont retournés sur leurs histoires familiales et se sont, à cette occasion, emparé des archives de la Grande Guerre.

Pendant la décennie 2000, les Français avaient essentiellement à leur disposition sur Internet les fiches individuelles des 1,325 million de soldats ayant obtenu la mention « Mort pour la France » ainsi que les journaux des unités militaires, véritable boîtes noires qui rendent comptent de l’activité quotidienne de chaque état-major, armée, division, régiment, bâtiment de la marine, etc. Mis en ligne par le ministère de la Défense sur son site Mémoire des hommes, ces documents ont été et restent toujours massivement consultés par les Français. Ce site n’a pas cessé de s’enrichir et de se moderniser au fils des années. L’autre offre résulte d’un partenariat entre la Bibliothèque nationale de France et la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine, étendu ensuite à d’autres services, concernant les journaux de tranchées, des périodiques écrits par les poilus pour les poilus. D’une immense richesse, ces documents ont été beaucoup moins consultés, faute de signalisation suffisante au public.

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À l’approche du Centenaire, tous les établissements de conservation ont souhaité répondre à la forte attente des Français et valoriser leurs fonds et collections en les numérisant et en les mettant en ligne. La Bibliothèque nationale de France a réussi à mettre en place avec ses partenaires un plan de numérisation concertée, indispensable pour éviter les doublons, et rendu possible dans la mesure où elle en finançait tout ou partie. Le vaste projet européen de numérisation de documents de la Première Guerre mondiale intitulé « Europeana Collections 1914-1918 », concernant essentiellement les bibliothèques, a également été un accélérateur de cette politique. L’ organisation de la conservation des archives, identique à l’organisation administrative française, entre l’État et les collectivités territoriales, a rendu bien plus difficile la coordination de ce vaste élan dans le monde des archives. Cependant, le rôle du Service interministériel des Archives de France à la tête du réseau et les appels à projet nationaux ont permis d’harmoniser certaines entreprises de numérisations, à commencer par celle concernant les registres matricules militaires des huit à neuf millions d’hommes mobilisés, devenue par la suite un projet présidentiel. Le résultat demeure qu’aujourd’hui près de 200 sites Internet français proposent des sources numérisées. Il s’agit là d’une offre considérable qui dénote un investissement humain et financier important, mais malheureusement invisible dans sa globalité pour les Français qui n’arrivent pas identifier tous ces sites.

Dès 2011, Bruno Racine, alors président de la Bibliothèque nationale de France, appelait l’ensemble des acteurs du patrimoine écrit à une démarche raisonnée et concertée avant de s’engager dans de vastes programmes de numérisation, afin de donner une visibilité globale et une lisibilité assurée aux nombreuses ressources numériques produites à l’occasion du Centenaire. Force est de constater que cette ambition légitime n’a pas été atteinte. Il est cependant encore temps avant la fin du Centenaire de remédier en grande partie à cette situation. Trois axes de travail sont proposés dans ce rapport afin de pallier à ces difficultés.

Tout d’abord, le ministère de la Culture et de la Communication devrait profiter de son leadership interministériel et de son rôle de tête de réseau professionnel en matière d’archives et de bibliothèques auprès des collectivités territoriales pour définir quels derniers documents doivent être numérisés et mis en ligne. Pour cela, il conviendrait de réunir un groupe de travail comprenant professionnels de la conservation et usagers afin de déterminer un dernier plan de numérisation de documents de la Grande Guerre répondant aux attentes des Français. Ces dernières sont différentes selon qu’elles viennent des universitaires ou des familles : des arbitrages devront être rendus en fonction des priorités qui seront données et des capacités budgétaires. Ce plan devra être assorti de services numériques innovants, en particulier ceux intégrant des pratiques collaboratives.

Par ailleurs, en profitant du lancement du portail francearchives.fr, il est indispensable de rendre lisible le paysage numérique de la Grande Guerre en mettant à disposition de tous un véritable inventaire général des ressources en ligne, organisé sous forme de mode d’emploi didactique le plus simple possible. Les Français doivent pouvoir se repérer et

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naviguer aisément dans l’immense offre numérique afin de renouer avec leurs ancêtres et de donner un sens intime, social, civique et mémoriel au Centenaire.

Enfin, parmi tous les projets nés à l’occasion du Centenaire, un portail se détache en raison de son ambition et de son adéquation avec l’attente des Français. Inauguré le 11 novembre 2014 par le Président de la République, le Grand Mémorial est incontestablement le projet phare du Centenaire. Ce portail a vocation à interroger les bases conçues par la centaine de services d’archives départementales, les Archives nationales d’outre-mer et le ministère des Affaires étrangères et du Développement international (Centre des archives diplomatiques de Nantes) à partir de la numérisation et de l’indexation des registres matricules militaires des classes 1887 à 1921, ainsi que la base des soldats « Morts pour la France » de Mémoire des hommes. Cette fonctionnalité de recherche nationale permet de retrouver son ancêtre en une seule requête. Les résultats ainsi obtenus renvoient directement sur les sites internet des services contributeurs, où s’effectue la consultation des images. Grâce à cette recherche fédérée, le Grand Mémorial doit devenir la base nationale des huit à neuf millions de soldats français ayant participé à la Grande Guerre. Au moment de la rédaction de ce rapport, la numérisation des registres matricules est presque totalement achevée alors que de nombreux départements ne se sont toujours pas engagés dans leur indexation. Par ailleurs, les solutions techniques retenues pour celle-ci ne sont pas systématiquement interopérables avec le portail national. Ce projet présidentiel doit impérativement se poursuivre en étant soutenu techniquement et financièrement par l’État afin d’être achevé pour la fin du cycle commémoratif du Centenaire. Un dispositif de soutien financier aux départements et aux associations participant à l’indexation des registres matricules sera mis en place à la fin de l’année 2016 par le Service interministériel des Archives de France et la Mission du Centenaire. Dans le même temps, la Mission du Centenaire rencontrera les derniers départements ne participant pas au Grand Mémorial afin de les convaincre d’entrer dans ce dispositif. Enfin, une réflexion au sujet de la numérisation et de l’indexation des registres matricules des recrues ne disposant pas du statut de citoyen français devra être engagée avec le ministère de la Défense qui les conserve. Il apparaît en effet difficile pour ne pas dire impossible de disposer d’une base des poilus de la Grande Guerre qui n’inclut pas les soldats coloniaux.

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SOMMAIRE

IntRoductIon

I. La numéRIsatIon du patRImoIne cuLtuReL. RappeL des enjeux

La numérisation du patrimoine écrit La diffusion du patrimoine écrit numérisé Quelle place pour le patrimoine écrit de la Première Guerre mondiale ?

II. une foRte demande socIaLe des fRançaIs conceRnant L’accès en LIgne des documents de La gRande gueRRe

Des publics différents selon la nature des documents en ligne La«fièvregénéalogique»desFrançais La«patrimonialisationdelamémoiredelaPremièreGuerremondiale»

III. Les pRemIèRes gRandes campagnes de numéRIsatIon et de mIse en LIgne du patRImoIne écRIt de La gRande gueRRe

1. Le site Mémoire des hommes, première ressource en ligne sur la Première Guerre mondiale

Lesfichesdes«MortspourlaFrance» Les journaux des unités ayant participé à la Grande Guerre

2. Le plan de numérisation concertée des journaux de tranchées

IV. La dynamIque du centenaIRe de La gRande gueRRe

1. Les programmes concertés de numérisation Leprogrammeeuropéen«EuropeanaCollections1914-1918» LeplandenumérisationconcertéedelaBibliothèquenationaledeFrance LaBibliothèquededocumentationinternationaleetcontemporaine

LA NUMÉRISATION DU PATRIMOINE ÉCRIT DE LA GRANDE GUERREÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES

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LesarchivesetbibliothèquesduParlement Le Sénat L’Assemblée nationale UnnouveauMémoire des hommes

2. Les initiatives dispersées LesArchivesdiplomatiquesduministèredesAffairesétrangèreset

duDéveloppementinternational LeServicedesarchiveséconomiquesetfinancières LesArchivesnationales Lesdirectionsd’Archivesdépartementales Lesservicesd’archivesmunicipales Lesbibliothèques

3. Les commandes du Président de la République LesarchivesrelativesauxfusillésdelaGrandeGuerre Les registres matricules

4. Le Grand Mémorial, projet phare du Centenaire Le lancement du Grand MémorialparlePrésidentdelaRépubliquele11novembre2014 Lanumérisationdesregistresmatriculesestaujourd’huienvoied’achèvement Laquestiondel’indexation Étatdeslieuxàl’automne2016

5. L’apparition des archives privées : Europeana 14-18 et la Grande Collecte Un projet d’origine européenne LaGrandeCollecte2013 LaGrandeCollecte2014 Lamiseenlignesurlessitesdesdirectionsd’Archivesdépartementales

6. Le « web 14-18 » et ses nouveaux usages Web2.0etcrowdsourcing Troisformesd’appropriationdessourcesnumériséesetd’enrichissementdesdonnées Mieuxconnaîtrecesnouveauxusages

V. pRoposItIons pouR enRIchIR et mettRe en VaLeuR Les RessouRces numéRIques de La gRande gueRRe

1. Lancer une dernière campagne nationale de numérisation et de mise en ligne 2. Simplifier l’accès aux ressources numériques3. Achever le Grand Mémorial avant la fin du cycle commémoratif

concLusIon

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IntRoductIon

Le ministère de la Culture et de la Communication et ses opérateurs se sont engagés résolument dans une politique de numérisation du patrimoine culturel dès les années 1990. Ils ont été rejoints rapidement par les autres ministères et les collectivités territoriales participant à la conservation du patrimoine et souhaitant le valoriser en le portant à la connaissance du plus grand nombre. En particulier, depuis une quinzaine d’années, la numérisation du patrimoine écrit a pris un essor considérable dans les bibliothèques et les services d’archives. Elle permet à la fois de protéger les collections et les fonds d’archives tout en assurant leur valorisation par une consultation aisée et à distance. Les politiques de numérisation du patrimoine écrit ont beaucoup évolué au fil de ces dernières années, répondant à des enjeux différents entre bibliothèques et services d’archives, mais aussi à des ambitions diverses. La mise en ligne des documents numérisés contribue incontestablement avec succès à la démocratisation culturelle et au développement de nouvelles pratiques des internautes. « La numérisation est devenue en peu de temps le principal levier d’accessibilité aux documents patrimoniaux. »1 La France est aujourd’hui un pays leader en matière de numérisation, eu égard au volume de documents numérisés et au nombre de consultations (400 millions de documents en ligne et 2,5 milliards de pages consultées en 2015).

Le patrimoine écrit de la Grande Guerre est réparti entre les services de l’État et des collectivités territoriales, principalement des bibliothèques et des services d’archives, ainsi que quelques musées, le secteur privé qui conserve encore des archives grâce à des grandes entreprises (Le Crédit Lyonnais, la Société Générale, la SNCF, le Groupe PSA, etc.) et, bien entendu, les familles. Pour les archives, ont été publiés en 2014 un guide des sources2 conservées au Service historique de la Défense et, sous la direction du SIAF, un guide de recherche3 présentant de très nombreux fonds d’archives de la Première Guerre mondiale conservés dans les services français d’archives. La numérisation de ce patrimoine concerne essentiellement les services de l’État et des collectivités territoriales qui ont également proposé aux Français en 2013 et 2014 de numériser leurs archives familiales lors des opérations « La Grande Collecte ». La gouvernance de la numérisation du patrimoine écrit et de sa mise en ligne demeure complexe du fait de la multiplicité des acteurs et de leurs statuts administratifs. Cependant, concernant le secteur des archives, on assiste depuis peu à un renforcement de la gouvernance interministérielle. En effet, depuis le décret no 2012-479 du 12 avril 2012, l’administration des Archives dispose d’un délégué interministériel aux Archives de France (DIAF), placé auprès du Premier ministre, qui élabore et propose la politique de l’État en matière d’archives – dont la politique de numérisation –, et d’une instance de pilotage, le comité interministériel aux Archives de France (CIAF), dont le secrétariat est assuré par le directeur chargé des archives de France. Le CIAF réunit le directeur chargé des Archives de France (ministère de la Culture et de la communication), le directeur des archives

1 . Schéma numérique, Bibliothèque nationale de France, mars 2016, p. 48 (en ligne sur : http://www.bnf.fr/documents/bnf_schema_numerique.pdf).

2 . Agnès Chablat-Beylot et Amable Sablon du Corail (sous la dir.), Archives de la Grande Guerre. Guide des sources conservées par le Service historique de la Défense relatives à la Première Guerre mondiale, Service historique de la Défense, Vincennes, 2014, 624 p.

3 . Philippe Nivet, Coraline Coutant-Daydé et Mathieu Stoll (sous la dir.), Archives de la Grande Guerre. Des sources pour l’histoire, Presses universitaires de Rennes/Archives de France, Rennes, 2014, 570 p.

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diplomatiques (ministère des Affaires étrangères), le directeur de la mémoire, du patrimoine et des archives (ministère de la Défense), ainsi que le chef du service de l’environnement professionnel aux ministères économiques et financiers, les responsables de la modernisation des politiques publiques (Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique) et des relations avec les collectivités territoriales (direction générale des collectivités locales).

Il n’existe pas l’équivalent pour les bibliothèques. Cependant, la Bibliothèque nationale de France, grand opérateur national a assuré un puissant leadership sur le réseau des bibliothèques, aux côtés des administrations centrales de la Culture et de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

Les institutions culturelles ont deviné avant beaucoup que les commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale seraient un moment important pour la communauté nationale. Portée par une mémoire sociale d’une grande vitalité, la commémoration du Centenaire est avant tout l’œuvre des Français eux-mêmes. La richesse du programme témoigne de l’exceptionnelle mobilisation de la société française autour de l’enjeu commémoratif. Le Centenaire s’est également métamorphosé en phénomène mondial associant plus de soixante-dix pays, tous confrontés à la nécessité de donner un sens à leur effort commémoratif. Le Centenaire est enfin porteur d’un important changement de paradigme pour la mémoire combattante. En l’absence des témoins, tous disparus, ce sont désormais les musées, les services d’archives, les bibliothèques et les « chemins de mémoire » aménagés sur le champ de bataille qui sont les dépositaires et les passeurs de la mémoire de la Grande Guerre. Cette triple dimension sociale, mondiale et patrimoniale caractérise fortement le Centenaire.

Dans un contexte d’effacement des derniers témoins de la Première Guerre mondiale, le Centenaire est un moment privilégié de transmission de l’histoire et des mémoires de la Grande Guerre aux jeunes générations, à travers une multitude d’actions pédagogiques mises en œuvre par une communauté éducative mobilisée autour de l’enjeu commémoratif. Le Centenaire permet également de valoriser les nombreux travaux de recherche que le premier conflit mondial continue de susciter au sein de la communauté universitaire, en particulier à l’occasion de colloques scientifiques.

La physionomie du programme commémoratif du Centenaire marque finalement une rupture avec les commémorations du passé. Pour la première fois, la mémoire de la Grande Guerre suscite une dynamique qui emprunte les traits d’une véritable saison culturelle. Le Centenaire est porté par des expositions d’archives, de livres, d’objets civils et militaires, de peintures et de photographies, des créations audiovisuelles, musicales et théâtrales, des publications. Pour la première fois, la Première Guerre mondiale fait son entrée dans de prestigieux festivals et dans la programmation de grands établissements culturels.

Cet élan incroyable concerne également la numérisation du patrimoine culturel, et en particulier du patrimoine écrit. Presque tous les services ont consacré tout ou partie de leurs plans de

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numérisation à des documents relatifs à la Grande Guerre. Les Français ont profité de ces mises en ligne pour découvrir les archives publiques et redécouvrir leurs archives familiales. Le patrimoine écrit est devenu pour nombre de nos compatriotes un lien privilégié et intime avec les poilus mais aussi avec leurs familles contemporaines de ce terrible conflit.

Ce rapport évoque les numérisations et mises en ligne concernant le patrimoine écrit de la Première Guerre mondiale, réalisées par les administrations et établissements relevant de la sphère publique. Il n’évoque pas les initiatives d’associations ou d’entreprises privées qui, pour certaines d’entre-elles, connaissent un succès certain (on consultera avec profit les sites de MémorialGenWeb4, Généanet5, genealogie.com6, etc.). Il ne concerne pas non plus le patrimoine photographique et audiovisuel qui, même s’il procède des mêmes principes, connait des logiques juridiques différentes.

4 . http://www.memorialgenweb.org/ 5 . http://www.geneanet.org/ 6 . http://www.genealogie.com/

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I. La numéRIsatIon du patRImoIne cuLtuReL. RappeL des enjeux

Il ne s’agit pas dans ce rapport d’évoquer l’ensemble des aspects des politiques générales ni les moyens budgétaires qui ont été consacrés au patrimoine culturel et en particulier au patrimoine écrit. On se reportera à ce sujet au rapport Évaluation de la politique publique de numérisation des ressources culturelles produit en 2014-2015 dans le cadre de l’évaluation des politiques publiques confiée à une mission composée de membres du Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies (CGEIET) et du ministère de la Culture et de la Communication, sous la direction de Jean-François Collin, alors Secrétaire général du ministère de la Culture. Le rapport d’évaluation final dresse un bilan consolidé des actions de numérisation menées depuis dix ans par les opérateurs du ministère et ses partenaires publics dans le domaine culturel. Sur cette base, il dégage plusieurs pistes de modernisation visant à : placer la politique de numérisation du ministère de la Culture et de la Communication au cœur de sa mission patrimoniale, tout en l’infléchissant pour mieux intégrer les usages et les services ; clarifier les conditions de mise à disposition et la réutilisation des contenus culturels dans le respect du droit d’auteur ; articuler cette politique numérique avec un écosystème d’entrepreneurs et de créateurs innovants dans une logique de valorisation des données et contenus numériques.

Les auteurs de la phase de diagnostic de ce rapport (phase I qui ne prend pas en compte le domaine des archives) soulignent par ailleurs que, malgré la très forte ambition du ministère de la Culture et de la Communication, celui-ci n’a pas élaboré de « stratégie ministérielle globale, explicitant les objectifs poursuivis et priorisant les efforts à fournir »7. Lors de ces dix dernières années, le rythme auquel se sont élaborées les politiques publiques n’a jamais coïncidé avec celui des avancées technologiques et des usages publics. Ce phénomène explique également pourquoi les opérateurs culturels ont pris des initiatives isolées afin de s’adapter à leur environnement et aux évolutions technologiques. Les mêmes auteurs affirment que désormais « si ce constat vaut pour le passé, il ne saurait perdurer. La prise en compte du numérique par les différents secteurs mériterait aujourd’hui d’être consolidée dans un plan stratégique en matière de numérisation et de services innovants valable pour les services du ministère et ses opérateurs et au-delà pour l’ensemble des acteurs concernés »8.

La numérisation du patrimoine écrit

Concernant les Archives, le recteur Maurice Quénet plaidait déjà vigoureusement en mars 2011 dans son rapport Quel avenir pour les Archives de France ? pour un renforcement du pilotage interministériel de la politique des Archives, en particulier en matière numérique : « La coordination des politiques de numérisation d’archives doit également être revue.

7 . Évaluation de la politique publique de numérisation des ressources culturelles, phase I : diagnostic, p. 2 (en ligne sur  : http://www.modernisation.gouv.fr/laction-publique-se-transforme/en-evaluant-ses-politiques-publiques/espace-dedie/rapport-evaluation-de-la-politique-de-numerisation-des-donnees-culturelles). Les auteurs poursuivent en nuançant ce propos grâce au benchmark réalisé dans le cadre de ce rapport : « Une comparaison internationale montre que la situation est comparable à l’étranger ».

8 . Ibid., p. 8.

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Si la numérisation est aujourd’hui devenue une étape incontournable de la valorisation des archives, des opérations mieux coordonnées permettraient sans aucun doute de réaliser facilement d’importantes économies d’échelle et d’avoir de véritables politiques publiques répondant aux attentes de publics nombreux. Pour ne prendre qu’un seul exemple, les archives de la Première Guerre mondiale sont partagées entre différents partenaires publics. »9

La phase II de l’Évaluation de la politique publique de numérisation des ressources culturelles a associé le Service interministériel des Archives de France (SIAF), ce qui a permis de constater la place importante et spécifique du domaine des archives aussi bien sur le partage des modes de financement entre État et collectivités territoriales que sur le taux de consultation particulièrement élevé de documents numérisés (400 millions de documents en ligne et 2,5 milliards de pages consultées en 201510). Parmi les propositions figurent la définition d’un schéma stratégique ministériel de numérisation régulièrement mis à jour, tenant « davantage compte des usages réels constatés et des attentes des internautes. »11 La prise en compte des attentes des internautes, en particulier « du grand public »12, apparait à plusieurs reprises dans le rapport, « la numérisation ne pouvant être conçue comme une fin en soi, mais devant être reliée à des objectifs de politique publique »13. Une deuxième proposition concerne la mise en place d’une « gouvernance de la numérisation » devant s’appuyer sur un « pilotage clarifié ».

Concernant le patrimoine écrit, plusieurs éléments permettent de nuancer quelque peu ce constat sévère. Depuis 1996, le ministère de la Culture et de la Communication a élaboré plusieurs plans déclinés en appels à projet annuels de numérisation et de services numériques culturels innovants, visant « à mettre l’accent sur les publics et le développement d’usages numériques innovants favorisés en particulier par l’extension rapide de l’accès aux réseaux à haut débit en France. Il répond prioritairement aux besoins d’un grand public pour des usages variés de découverte et de connaissance du patrimoine culturel et de la création contemporaine ou des usages de loisirs et de pratiques amateurs ou encore pour encourager des usages de loisirs et de pratiques amateurs ou encore pour encourager des usages spécifiques pour l’accessibilité, le tourisme, l’éducation artistique et culturelle ou l’édition. »14 Grâce à ce dispositif, l’État a mis en place une politique de coordination nationale accompagnée d’une politique d’incitation financière.

Concernant les archives, ces appels à projets annuels ont été conçus et fortement relayés par l’administration centrale des Archives de France. Ces appels concernaient essentiellement des fonds d’archives individuelles, à commencer par l’état civil et les registres matricules militaires (en particulier ceux concernant la Première Guerre mondiale), qui sont les plus demandés par le public, ainsi que d’autres fonds très consultés comme le cadastre, les recensements de population, les sources hypothécaires ou notariales, certains fonds iconographiques

9 . Maurice Quénet, Quel avenir pour les Archives de France ?, mars 2011, p. 32 (en ligne sur : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/114000194.pdf).

10 . Discours d’Audrey Azoulay, ministre de la Culture et de la Communication, devant le Conseil supérieur des archives, 3 mai 2016 (en ligne sur : http://www.archivesdefrance.culture.gouv.fr/static/9106).

11 . Évaluation de la politique publique de numérisation des ressources culturelles, phase II : rapport définitif, p. 9.12 . Ibid., p. 2.13 . Ibid., p. 51.14 . Appel à projets « services numériques culturels innovants », 2010.

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(cartes et plans, affiches, cartes postales). Ces choix judicieux de documents « best-sellers » des services d’archives donnent aujourd’hui une homogénéité globale de l’offre numérique. Enfin, le Cadre stratégique commun de modernisation des archives et de gestion de la performance diffusé en octobre 2015 par le Premier ministre prévoit un objectif no 6 intitulé « Définir les nouvelles stratégies de numérisation des ressources archivistiques » qui insiste sur les archives relatives aux deux conflits mondiaux15 :

Après les grandes opérations de numérisation et de mise en ligne des fonds d’archives intéressant notamment la généalogie et la commémoration de la Première Guerre mondiale, il convient de prolonger ces opérations, tout en définissant de nouvelles stratégies de numérisation visant notamment à diversifier les publics. Les volumes d’archives à numériser sont encore importants. Or, il est impossible de systématiser la numérisation de l’ensemble des fonds patrimoniaux conservés dans les services d’archives en raison d’obstacles financiers, juridiques (protection des données à caractère personnel pour la mise en ligne), archivistiques (nécessité avérée de classement des fonds et de restaurations préalables). C’est pourquoi il convient de définir des priorités pour répondre aux demandes sociétales et scientifiques en mettant l’accent sur :

• les compléments aux grandes sources intéressant l’histoire des individus et des territoires : registres de délibérations, de l’Enregistrement et des Hypothèques, minutes notariales, archives judiciaires anciennes, registres de contrôle des troupes et inscriptions maritimes ;

• les commémorations nationales, notamment la première et la seconde guerres mondiales ;

• des archives à fort potentiel de valorisation : fonds iconographiques et photographiques, archives sonores et audiovisuelles ;

• des archives ayant une forte valeur informationnelle, pour lesquels des partenariats doivent être recherchés afin d’en enrichir la présentation par une indexation appropriée ;

• les archives nécessitant, du fait de leur fragilité ou de l’obsolescence de leurs supports (fonds audiovisuels analogiques), un support de substitution.

Actions à court et moyen termes (2015-2019)

• Poursuivre la numérisation de grandes sources archivistiques intéressant l’histoire des individus et des territoires, en lien avec les grandes commémorations nationales

• Diversifier les sources numérisées pour répondre à un public élargi• Développer les partenariats avec les universitaires et le monde associatif ainsi que les

projets de recherche

L’organisation du réseau d’archives français, entre Archives nationales dépendant de l’État et Archives départementales et communales relevant des collectivités territoriales, a eu pour conséquence un développement inégal des outils de diffusion numérique entre ces institutions. Cette hétérogénéité a pu contribuer à freiner l’avancement de certains projets, par exemple liés à l’indexation collaborative, en raison du retard pris par certains prestataires dans le développement de nouvelles fonctionnalités pour leurs applications numériques.

15 . Délégation interministérielle aux Archives de France, Cadre stratégique commun de modernisation des archives et de gestion de la performance, septembre 2015, p.  23 (en ligne sur  : http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/contenu/piece-jointe/2015/10/cadre_strategique_commun_de_modernisation_des_archives.pdf).

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Concernant les bibliothèques, le constat est différent d’une part en raison de l’existence d’un grand opérateur national de référence, la Bibliothèque nationale de France (BnF), et d’autre part de l’impérieuse nécessité de se coordonner pour éviter les numérisations multiples d’un même imprimé (contrairement aux archives pour lesquelles chaque document est unique). Depuis 2009, la BnF assure une stratégie de coopération numérique avec bon nombre de bibliothèques partenaires. Afin de créer de manière collaborative des ensembles de ressources patrimoniales numérisées les plus vastes et les plus pertinents, au meilleur coût et quels que soient la localisation des collections et le statut des contributeurs, la BnF s’est en effet attachée à favoriser la numérisation du patrimoine écrit des bibliothèques françaises16 par le biais d’un dispositif de soutien financier incitatif (numérisation subventionnée). À partir de 2011, elle a accru son effort avec des moyens amplifiés, grâce à l’ouverture de ses marchés de numérisation des imprimés aux collections des bibliothèques françaises pour 30% de la volumétrie globale. Les contenus numériques produits par ces deux canaux enrichissent quantitativement et qualitativement sa bibliothèque numérique Gallica17 et les bibliothèques numériques et portails des partenaires, qui proposent ainsi une offre de plus en plus étoffée, à même de satisfaire les usages et les attentes de leurs publics. En 2015, le réseau des partenaires de Gallica regroupait 305 établissements. Cependant plusieurs rapports18, en particulier le Schéma numérique des bibliothèques piloté par Bruno Racine, ont mis en évidence en 2009-2010 un manque de cohérence des politiques nationales de numérisation, la nécessité impérieuse de mettre en place des coopérations entre les acteurs de la numérisation, et l’opportunité d’intégrer des outils collaboratifs dans les sites culturels publics. Pour répondre à ces différentes problématiques, la BnF a mis en chantier dans le cadre de son contrat de performance 2014-2016 une charte documentaire générale de la numérisation. Enfin, constatant la centralité de la question numérique, le récent Schéma numérique de la BnF19 prévoit six axes stratégiques prioritaires destinés à répondre à ces différentes problématiques.

La diffusion du patrimoine écrit numérisé

Un autre aspect, plus important encore, n’a pas été abordé par l’Évaluation de la politique publique de numérisation des ressources culturelles : les modalités d’accès aux données numérisées. Concernant les Archives, plusieurs portails et bases de données existaient au début des années 2010. Parfois thématiques, comme Archives Canada-France sur l’histoire de la Nouvelle-France, ou typologiques comme la base BORA qui signalait l’existence des fonds d’archives privées et des fonds photographiques, ces outils ne rencontrent pas autant

16 . Évaluation de la politique publique de numérisation des ressources culturelles, phase II  : rapport définitif, p.  15  : «  La BnF est aujourd’hui sollicitée pour la numérisation et/ou la diffusion par des acteurs de l’enseignement supérieur (BNU de Strasbourg, PRES Sorbonne,...), par le ministère de la Défense, par le Parlement,… et dispose avec Gallica d’un « outil de diffusion massive ». Cet outil offre des possibilités adaptées à des besoins diversifiés  : les partenaires peuvent mettre leurs contenus dans Gallica et les diffuser via ce canal et/ou sous leur nom en marque blanche, ou n’y mettre que leurs références et garder la diffusion en propre des documents. »

17 . http://gallica.bnf.fr/18 . Bruno Racine, Schéma numérique des bibliothèques, Conseil du livre, décembre 2009 (en ligne sur  : http://

www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/104000143.pdf)  ; Marc Tessier, Rapport sur la numérisation du patrimoine écrit, 12  janvier 2010 (en ligne sur  : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/104000016.pdf)  ; Partager notre patrimoine notre patrimoine culturel  : propositions pour une charte de la diffusion et de la réutilisation des données publiques culturelles numériques, 2009 (en ligne sur : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/104000652.pdf).

19 . Schéma numérique, Bibliothèque nationale de France, mars 2016.

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d’engouement que le moteur Généalogie20 administré par le SIAF. Interrogeant les bases des services d’archives ou associations coopérant au projet, ce moteur collecte les cinq informations nécessaires pour retrouver le document original qui a donné lieu à l’indexation nominative par un service d’archives ou une association de généalogistes. Ces données sont les suivantes : le type d’acte ou de document, la date, le lieu précis, le nom et le prénom de la personne concernée et le lien vers la notice originale ou l’image numérisée et en ligne le cas échéant. Dix bases de données alimentent Généalogie : Léonore (les dossiers de Légion d’honneur), ECEA (état civil des européens d’Algérie), Mémoire des hommes (« Morts pour la France » de la Première Guerre mondiale), Bigenet (intermédiaire technique pour fournir les données de trois bases d’associations ayant accepté de mettre gratuitement en ligne les éléments nécessaires pour retrouver un acte : la Société généalogique du Lyonnais et du Beaujolais, le Cercle généalogique de la Drôme provençale et l’Association généalogique des Hautes-Alpes), les archives départementales de l’Ain, de la Mayenne et de la Vendée, la ville de Vendôme. Le ministère de la Culture a progressivement rationnalisé les bases existantes afin de conserver deux moteurs principaux, Généalogie et Collections21. Par ailleurs, les normes internationales de description archivistique étant mal prises en compte par les grands moteurs de recherche généralistes (Google, Bing, etc.), les inventaires et les fonds numérisés des services d’archives n’apparaissent pas parmi les premiers résultats de la recherche, alors même que ces moteurs sont aujourd’hui devenus le point d’entrée principal des internautes sur le web.

C’est à la suite de la remise au Premier ministre en mars 2011 du rapport Quel avenir pour les Archives de France ? que plusieurs décisions concernant la diffusion sur Internet des archives numérisées sont prises. Dans son rapport, le recteur Maurice Quénet propose la judicieuse idée de « regrouper virtuellement les fonds au sein d’un portail interministériel unifié d’accès aux instruments de recherche et aux fonds d’archives numérisés » afin de donner une « visibilité immense à la politique de mise à disposition des documents d’archives publiques culturelles menée depuis des décennies par les collectivités locales et l’État. »22 Cette solution virtuelle ne remet pas ainsi en cause les régimes indépendants des ministères de la Défense et des Affaires étrangères, pas plus qu’elle ne porte atteinte à l’autonomie des collectivités territoriales.

Son principe général serait de regrouper, afin d’en permettre la lecture en ligne ou le téléchargement, les catalogues et inventaires existants et de donner accès, à partir de ces derniers, aux documents numérisés eux-mêmes. Afin de respecter l’identité et les spécificités de chacun des contributeurs, le portail ne centraliserait que les données descriptives des archives et renverrait l’internaute vers les ressources accessibles en ligne sur les différents sites d’origine, à l’image de ce qui a été fait pour le moteur de recherche Généalogie, excellent exemple de collaboration entre le ministère de la Culture, celui de la Défense et des collectivités territoriales dans le domaine des bases nominatives.23

20 . http://www.culture.fr/Genealogie21 . http://www.culture.fr/Ressources/Moteur-Collections Collections donne accès au patrimoine national réparti sur l’ensemble

du territoire. Par une interrogation unique, ce moteur de recherche sémantique interroge simultanément les différentes sources documentaires du ministère et de ses établissements publics ainsi que des collectivités territoriales partenaires. Plus de six millions de documents et plus de 4,6  millions d’images donnent un accès direct à 70  bases de données, 564  expositions virtuelles et 177  sites Internet. Tous les domaines artistiques et culturels sont couverts  : architecture, monuments historiques, archives, archéologie, préhistoire, objets mobiliers, peinture, sculpture, gravure, dessin, enluminures, arts du spectacle, ethnologie, plans, cartes, cartes postales, sceaux, photographie, théâtre, musique, danse, etc.

22 . M. Quénet, Quel avenir pour les Archives de France ?, mars 2011, p. 34.23 . Ibid., p. 35.

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Cette proposition a été retenue par le Premier ministre et figure dans l’objectif no 5 « Développer une offre en ligne adaptée aux attentes des internautes » du Cadre stratégique commun de modernisation des archives et de gestion de la performance : « conformément à la priorité fixée lors du séminaire gouvernemental sur le numérique du 28 février 2013, le SIAF, le ministère des Affaires étrangères et du Développement international et le ministère de la Défense sont chargés de créer un portail national interministériel des Archives de France, pour lequel un marché d’AMOA a été lancé en 2013. Le développement de ce portail devra être compatible avec le portail européen des archives (programmes APEnet/APEx) »24. À la suite d’une convention-cadre signée par les trois ministères le 15 avril 2015 et d’un appel d’offre, le ministère de la Culture et de la Communication a notifié le marché de réalisation du portail le 22 décembre 2015. L’objectif est de mettre en ligne une première version du portail francearchives.fr au début de l’année 2017. Lors du Conseil supérieur des archives du 3 mai 2016, Audrey Azoulay, ministre de la Culture et de la Communication, a rappelé les enjeux de la création du portail : « La création du portail francearchives.fr […] permettra de retrouver toutes les données historiques et les sources de notre histoire individuelle et collective en utilisant les moteurs de recherche les plus courants. La diffusion en ligne des documents tels que l’état civil, les délibérations des communes, les recensements de la population, le cadastre, les hypothèques, les photographies et les cartes et plans offre une opportunité sans précédent pour satisfaire la soif de connaissance de nos concitoyens, leur besoin d’histoire, ou leur goût pour la généalogie. Il convient d’amplifier ce mouvement. »25

Conçu pour répondre aux prérequis des grands moteurs de recherche généralistes, le portail francearchives.fr aura vocation à agréger l’ensemble des contenus archivistiques nationaux, quelles que soient leurs institutions de conservation : les données de l’actuel web du SIAF ; les données du réseau des Archives (Archives nationales et Archives départementales, mais également Archives municipales et Archives régionales) ; les données du ministère de la Défense et du ministère des Affaires étrangères ; les données des autres ministères, en particulier l’Enseignement supérieur et la Recherche avec par exemple le Catalogue en ligne des archives et des manuscrits de l’enseignement supérieur Calames ; les archives privées (familles, entreprises, religieuses, etc.) Il n’hébergera pas les données mises en ligne, mais y donnera accès par le biais d’une recherche fédérée en renvoyant, pour la consultation, vers les sites qui les hébergent afin de les valoriser. C’est également du portail que remonteront vers le portail européen Archives Portal Europe les contenus français ayant vocation à y figurer. En outre, la structuration technique du portail francearchives.fr et l’utilisation des outils du web sémantique permettront que les fonds d’archives soient indexés et référencés par les grands moteurs de recherche généralistes et apparaissent désormais en bonne place dans les listes de réponses. L’existence même de ces fonds sera ainsi diffusée pour la première fois au niveau national et international auprès du plus grand nombre. Il favorisera également la réutilisation des données publiques en s’appuyant sur des licences ouvertes de l’État (« licence Etalab »). Le portail francearchives.fr comprendra également des services innovants comme des frises chronologiques dynamiques, des cartes interactives, des expositions virtuelles, etc.

24 . Délégation interministérielle aux Archives de France, Cadre stratégique commun de modernisation des archives et de gestion de la performance, septembre 2015, p. 21-22.

25 . Discours d’Audrey Azoulay, ministre de la Culture et de la Communication, devant le Conseil supérieur des archives, 3 mai 2016.

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Dans les bibliothèques, la question de l’accès se pose différemment : il se fait grâce aux bibliothèques numériques, accessibles en ligne, constituées par chaque établissement. Celles-ci proposent de véritables collections numériques, selon une politique documentaire déterminée. Elles sont alimentées soit par des opérations de numérisation, soit par des documents nativement numériques. Les contenus sont habituellement organisés pour en faciliter la consultation. La qualité des bibliothèques numériques françaises existantes, qui présentent une offre variée, conséquente et en constante augmentation, est à souligner. La première d’entre-elles, Gallica, offre l’accès gratuit à tous types de documents conservés par la BnF et ses partenaires26. En septembre 2016, quatre millions de livres, numéros de presse et revues, images, partitions, manuscrits, cartes, objets, etc. sont disponibles sur Gallica. En 2015, on dénombre 15,8 millions de visites sur Gallica, correspondant à 330 millions de pages vues27. La question du référencement des ouvrages numérisés par les bibliothèques françaises ainsi que des collections nativement numériques demeure un enjeu essentiel des bibliothèques numériques, comme l’ont souligné tous les rapports évoqués précédemment. En particulier, Marc Tessier soulignait avec vigueur en 2010 la mauvaise visibilité des collections numérisées présentes sur Gallica (« Rien ne sert d’être disponible si l’on n’est pas visible »28) tout en invitant les équipes de la BnF à inventer « de nouvelles fonctionnalités, davantage orientées vers les aspects participatifs et communautaires »29. Comme pour la numérisation, la BnF a inscrit cet axe dans son contrat de performance 2014-2016 ainsi que dans son Schéma numérique. En particulier, trois grandes actions y concourent : le développement d’outils de partage permettant à l’usager de s’approprier les contenus et de les disséminer facilement ; l’introduction de dispositifs améliorant le référencement des ressources de Gallica dans les moteurs de recherche ; la mise en œuvre d’initiatives visant à l’établissement d’une présence de Gallica sur des sites tiers (partenaires et extérieurs)30. La BnF place également parmi ses axes de travail prioritaires l’accroissement de la dimension grand public de sa bibliothèque numérique. Son objectif est d’aller à la rencontre d’usagers dépassant les cercles des étudiants, chercheurs, amateurs et passionnés qui constituent le public traditionnel de Gallica. « Le développement des usages de loisir et de découverte est le levier qui permettra de faire apparaître Gallica dans le paysage quotidien des internautes. »31 Un des outils de cette ouverture consiste à accompagner la navigation des internautes par une plus grande médiation. C’est l’objet de l’éditorialisation mise en place surtout depuis 2015 avec le bouton « Collections » sur Gallica. « Par leur intermédiaire, les voies d’accès sont démultipliées : un accès thématique et un accès géographique complètent l’accès par type de document, qui est lui-même enrichi

26 . Le dispositif Gallica marque blanche offert par la BnF est à mentionner. Chaque partenaire de l’offre Gallica marque blanche dispose de sa propre bibliothèque numérique, tandis que la BnF améliore le service rendu sur Gallica en proposant un fonds documentaire enrichi, également accessible dans Gallica intra muros. Tout document présent dans une bibliothèque Gallica marque blanche dispose d’une notice dans les catalogues de la BnF. Hormis la page d’accueil, spécifique à chaque site, le processus de recherche et de consultation des documents est identique et s’appuie sur les mêmes outils et les mêmes technologies. Les pages sont personnalisées aux couleurs du partenaire, qui appose son logo et garde la possibilité de paramétrer l’activation ou la désactivation des différentes fonctionnalités proposées. Par ailleurs, la BnF assure la maintenance et l’hébergement de chaque site en marque blanche, même si celui-ci dispose de sa propre URL, indépendante du domaine bnf.fr. (…) Ce dispositif constitue pour la BnF une formidable opportunité de développement de la collection numérique, tout en permettant à d’autres acteurs publics de partager le bénéfice de plusieurs années d’investissements informatiques et d’expertise technologique. (Schéma numérique, Bibliothèque nationale de France, mars 2016, p. 79).

27 . Schéma numérique, Bibliothèque nationale de France, mars 2016, p. 44.28 . M. Tessier, Rapport sur la numérisation du patrimoine écrit, 12 janvier 2010, p. 27.29 . Ibid., p. 28.30 . Schéma numérique, Bibliothèque nationale de France, mars 2016, p. 60.31 . Ibid., p. 61.

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par les catégories « objets » et « vidéos ». À partir de 2016, un enrichissement des gabarits existants sera entrepris en fonction des demandes des contributeurs – frise chronologique, carte interactive, etc. Une réflexion sera parallèlement engagée avec les partenaires de la BnF participant à Gallica afin de définir les modalités de leur contribution aux pages de médiation. »32 C’est également dans cet objectif que la BnF développe depuis 2011 le site data.bnf.fr qui permet d’accéder à ses ressources directement depuis une page Web, sans connaître préalablement ses services. Le site rassemble autour de ses pages auteur, œuvre et thème, des ressources de la BnF ainsi que des ressources extérieures. Ces pages articulent les différents contenus, liens et services que la BnF fournit sur Internet.

Au niveau européen, deux grandes entreprises ont été lancées ces dernières années afin de parvenir à un portail dédié majoritairement aux collections des bibliothèques et un autre aux archives.

Initié en 2005 par six chefs d’État et de gouvernement européens (dont le français), Europeana33 se veut être le « portail numérique du patrimoine européen ». La pré-version d’Europeana est mise en ligne le 22 mars 2007, à l’occasion du Salon du livre de Paris, rassemblant environ 12 000 documents libres de droits (dont 7 000 de la BnF). Le 29 mai 2008, la commissaire européenne Viviane Reding annonce la fermeture du premier prototype et le lancement de la Bibliothèque numérique européenne, qui reprend le nom d’Europeana, le 20 novembre 2008, jour de son lancement officiel par le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso. Europeana donne accès en septembre 2016 à près de 53,5 millions « d’objets numériques » (livres, manuscrits, archives, photographies, tableaux, émissions de télévision, films, sculptures, objets, partitions, enregistrements sonores, etc.) issus de plus de 3 000 institutions européennes (bibliothèques, services d’archives, musées et fonds audiovisuels). En particulier, ce portail est une mise en commun des ressources numériques des bibliothèques nationales des 27 États membres, ce qui fait souvent dire qu’Europeana est une bibliothèque numérique. Europeana n’archive pas les œuvres, mais sert uniquement de catalogue de recherche présentant des liens vers les sites les ayant numérisées, par exemple Gallica pour la BnF. La France se situe parmi les principaux fournisseurs d’Europeana avec environ cinq millions d’objets. La BnF est l’agrégateur vers Europeana des bibliothèques françaises partenaires de Gallica, favorisant ainsi la dissémination au niveau européen des données produites sur l’ensemble du territoire français.Même si l’offre est considérable, Europeana est régulièrement critiquée par ses utilisateurs pour l’absence d’éditorialisation et donc les difficultés de repérage pour le public non spécialiste34. En réponse, des efforts sont régulièrement réalisés par les administrateurs d’Europeana pour constituer des dossiers de collections thématiques.

Les programmes APEnet/APEx sont des projets soutenus par la Commission européenne au sein du programme eContentplus. L’objectif est de construire un portail pour les archives en Europe, portail dans lequel de nombreux services d’archives européens, en étroite collaboration avec le portail Europeana, créeront un accès commun aux descriptions archivistiques et

32 . Ibid., p. 51.33 . http://www.europeana.eu/portal/fr34 . Voir, par exemple, l’article de Guillaume de Morant sur le site de la Revue française de généalogie, « Nouvelle interface pour

Europeana, la bibliothèque numérique européenne », 27 janvier 2016 (en ligne sur : http://www.rfgenealogie.com/s-infor-mer/infos/medias-web/nouvelle-interface-pour-europeana-la-bibliotheque-numerique-europeenne).

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aux collections numérisées. Cette démarche a été approuvée par le Conseil européen dans sa recommandation 2005/535/EC du 14 novembre 2005. En avril 2011, quatorze pays de l’Union européenne ouvrent une version prototype du portail Archives Portal Europe s’articulant autour de quatre fonctions principales : ouvrir un accès unifié aux archives européennes (le portail européen des archives entend rassembler des documents d’archives issus de nombreux fonds et sources, créés tout au long des évolutions historiques et politiques des pays) ; proposer un moteur de recherche sur trois modes (recherche simple en plein texte, recherche avancée sur certains critères, recherche par navigation à travers les pays, les collections et les inventaires) ; consulter les instruments de recherche et, le cas échéant, les liens vers les documents numérisés et mis en ligne ; accéder à un annuaire des services d’archives. En février 2013, une nouvelle version est mise en ligne avec comme participants, pour la France, les Archives nationales et les Archives départementales de la Manche. Environ 120 000 inventaires de 89 services d’archives répartis dans 16 pays figurent sur le portail. Aurélie Filipetti, ministre de la Culture et de la Communication, fixe les objectifs du portail : « L’objectif de ce portail européen est d’alimenter et de soutenir la recherche dans le domaine des sciences humaines, par la mise en commun des inventaires de l’ensemble des services d’archives en Europe. Il permettra ainsi aux chercheurs de dépasser les frontières et d’élargir le champ de leur réflexion. L’histoire de l’Europe est riche et complexe et les archives en sont le reflet fidèle. Leur réunion virtuelle apportera une visibilité inédite aux institutions qui les conservent et une aide précieuse aux chercheurs comme aux archivistes. Cette mise en commun des inventaires dans un format homogène ouvre en effet de façon extraordinaire le champ des recherches et offre l’opportunité d’accéder à des archives conservées à l’autre bout de l’Europe ou dont on ne soupçonnait parfois pas l’existence. »35 En septembre 2016, Archives Portal Europe36 offre 250 millions d’unités de description d’archives. Grâce à un partenariat d’interopérabilité encore à concrétiser d’un point de vue technique par Europeana, les services d’archives qui le souhaitent pourront à terme transmettre leurs données à Europeana via le portail européen des archives.

Quelle place pour le patrimoine écrit de la Première Guerre mondiale ?

La numérisation et la mise en ligne du patrimoine écrit de la Première Guerre mondiale s’insère complètement dans le contexte décrit précédemment37. Très en amont du Centenaire de la Grande Guerre, plusieurs institutions ont veillé à numériser des fonds d’archives et des collections liés au conflit. Le ministère de la Défense a développé sa politique de numérisation à partir de 2003 avec comme fil rouge les archives de la Première Guerre mondiale, conscient de la demande sociale attachée au souvenir et à la mémoire des poilus.

35 . Communiqué de presse du ministère de la Culture et de la communication du 22 février 2013 (en ligne sur : http://www.culturecommunication.gouv.fr/Presse/Communiques-de-presse/Mise-en-ligne-de-la-nouvelle-version-du-portail-eu-ropeen-des-archives-www.archivesportaleurope.net).

36 . https://www.archivesportaleurope.net/37 . Les aspects juridiques ne sont pas ici présentés puisqu’ils ont été réglés par des autorisations de la CNIL  : délibération

no 2013-281 du 10 octobre 2013 relative à la numérisation, indexation et mise en ligne des registres matricules des soldats ayant participé à la Première Guerre mondiale ; délibération no 2014-301 du 10 juillet 2014 autorisant le ministère de la Défense à mettre en œuvre des traitements automatisés ayant pour objets de collecter, de numériser, d’indexer, de conserver et de diffuser sur Internet des données à caractère personnel issues des archives dont il a la charge aux fins de préserva-tion de la mémoire des conflits contemporains et de mise à disposition d’informations à des fins historiques ; délibération no 2015-074 du 26 février 2015 autorisant le ministère des affaires étrangères à mettre en œuvre des traitements automa-tisés de données à caractère personnel ayant pour finalités de numériser, indexer, conserver et de diffuser sur Internet les « registres matricules » des soldats ayant participé à la Première Guerre mondiale.

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De son côté, le ministère de la Culture et de la Communication ainsi que plusieurs de ses opérateurs n’ont pas non plus attendu 2014 pour retenir dans leurs politiques de numérisation et de mise en ligne les archives et collections se rapportant au premier conflit mondial. Ainsi, la Bibliothèque nationale de France a retenu dès 2009 le thème « Guerre de 1914-1918 » dans ses programmes de numérisation. À partir de 2011, le ministère de la Culture et de la Communication a inséré chaque année la Première Guerre mondiale dans son Programme national de numérisation. Comme on l’a vu, les Archives de France ont très tôt inscrit les registres matricules des soldats ayant participé à la Grande Guerre dans les appels à projets annuels de numérisation. Aujourd’hui encore, la Première Guerre mondiale reste une priorité de toutes les programmations de numérisation et de mise en ligne (dans le Cadre stratégique commun de modernisation des archives et de gestion de la performance, le contrat de performance de la BnF, etc.)

Cependant, jusqu’au début des années 2010, seules deux grandes offres numériques consacrées à la Première Guerre mondiale existent en France. La première est l’œuvre du ministère de la Défense qui lance à la fin de l’année 2003 son site Mémoire des hommes38 qui propose une offre cohérente et complémentaire d’archives numérisées relatives aux soldats « Morts pour la France » et à la vie quotidienne de toutes les unités militaires engagées dans le conflit. La seconde, initiée également en 2003 par la BnF et la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC), consiste en un programme de numérisation concertée des journaux de tranchées français et allemands. Bien que prévus indépendamment, ces deux offres s’articulent parfaitement en donnant au public le moyen d’obtenir des informations précieuses sur la vie quotidienne des poilus, vue par le commandement et par eux-mêmes, ainsi que sur les conditions de décès des 1,325 millions de soldats tués durant le conflit. Si le succès est grand auprès de nos concitoyens, c’est parce que ces offres coïncident parfaitement avec une demande sociale forte émanant des Français : partir à la rencontre de ses ancêtres qui ont vécu la Première Guerre mondiale.

L’année 2011 marque le lancement du programme « Europeana Collections 1914-1918 », un vaste projet européen de numérisation de documents de la Première Guerre mondiale, visant à répondre au défi de la concertation et de la mutualisation des moyens de numérisation. Bruno Racine invite alors en décembre 2011 le réseau des bibliothèques françaises à prendre exemple sur ce programme européen pour préparer au mieux les commémorations du centenaire :

Ne devons-nous pas d’emblée, dans une démarche raisonnée a priori, engager des chantiers en pleine concertation plutôt que de nous retrouver devant une tâche impossible a posteriori, celle de donner une visibilité globale et une lisibilité assurée aux ressources numériques nombreuses qui seront produites d’ici 2014. Par ailleurs, à l’heure où les deniers publics se font chers, l’indispensable numérisation de notre patrimoine doit obéir à des règles simples et claires : recueil préalable de l’information la plus détaillée possible sur les fonds existants, répartition précise de l’effort, dépistage des doublons, mise en accessibilité la plus large, du grand public aux chercheurs. Si nous engageons des actions concertées de numérisation de notre patrimoine documentaire sur la Grande guerre, notre entreprise collective occupera une place de choix dans le dispositif qui se

38 . http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/

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dessine pour la commémoration [...] Nous donnerons en effet accès à des contenus numériques quantitativement et qualitativement exceptionnels, à des matériaux du plus grand intérêt historique pour les chercheurs, mais aussi à des documents contextualisant l’histoire des familles.39

Plusieurs mois auparavant, la BnF a proposé à l’École nationale supérieure des sciences de l’information des bibliothèques (ENSSIB) un sujet de réflexion sur cet enjeu pour le mémoire d’étude d’un conservateur stagiaire des bibliothèques. C’est Jérôme Schweitzer qui accomplit cette mission en menant une étude sur les stratégies à mettre en place à l’aube des commémorations du centenaire40. Réalisé sous la direction d’Aline Girard, directrice du département de la Coopération à la BnF, ce travail s’appuie sur une enquête menée auprès de nombreuses institutions conservant des écrits de la Première Guerre mondiale. Ce mémoire a été ensuite largement diffusé et très bien reçu par les professionnels de la conservation41.

Le souhait de Bruno Racine n’a pourtant pas été suivi de l’effet escompté. Comme pour le reste du patrimoine écrit, aucune grande concertation interdisciplinaire n’a été menée au niveau national, aucun plan de numérisation n’a été mis sur pied, pas plus qu’une stratégie de diffusion sur Internet. Ceci pour plusieurs raisons : autorités de tutelle différentes, contraintes budgétaires, rigidité des marchés publics déjà engagés, enjeux locaux, etc. La numérisation de ce patrimoine s’est pourtant poursuivie, de manière soutenue d’ailleurs. Tout d’abord, la BnF a maintenu son objectif de numérisation concertée avec ses partenaires et pôles associés. Comme on va le voir, Gallica propose aujourd’hui au public une offre numérique riche et variée. Par ailleurs, les directions d’archives départementales ont privilégié, pour les raisons déjà évoquées, une approche typologique en numérisant massivement les registres matricules militaires. Enfin, les autres institutions ont choisi quels documents numériser en fonction de divers critères : intérêt du public, commande des autorités de tutelle, moyens budgétaires et humains disponibles, etc., selon un calendrier très fluctuant et parfois sans réelle communication. Les chapitres suivants en donnent un rapide aperçu.

Est-ce qu’en cet automne 2016, la prédiction funeste de Bruno Racine (« une tâche impossible a posteriori, celle de donner une visibilité globale et une lisibilité assurée aux ressources numériques nombreuses qui seront produites d’ici 2014 ») s’est réalisée ? Malheureusement, oui en grande partie, il faut bien le constater. Malgré une offre très riche, il n’existe pas de recensement fiable des fonds et collections numérisés au niveau national (archives, bibliothèques, musées, entreprises, associations, etc.), pas plus qu’un site présentant l’offre numérique liée

39 . Bruno Racine, Discours inaugural de la journée d’information et d’échange Numériser le patrimoine pour le centenaire de la Grande Guerre, Bibliothèque nationale de France, 16 décembre 2011 (en ligne sur : http://www.bnf.fr/fr/professionnels/anx_journees_pro_2011/a.journee_numerisation_guerre_1418.html).

40 . Jérôme Schweitzer, Numériser le patrimoine écrit et iconographique pour commémorer la Grande Guerre : enjeux scientifiques et culturels, stratégie documentaire et partenariale, sous la dir. d’Aline Girard, diplôme de conservateur des bibliothèques, mémoire d’étude, ENSSIB, janvier 2011.

41 . Ibid., p. 31 : « Les entretiens et les recherches menés dans le cadre de ce mémoire révèlent une réelle prise en compte de l’at-tente évoquée plus haut. Mais il reste difficile de déterminer l’émergence d’une véritable articulation nationale d’un réseau. Les enjeux locaux semblent l’emporter, de fait les réflexions concernent les publics qui fréquentent déjà les établissements mentionnés. En décembre 2010, personne ne doute de la légitimité qu’aurait un programme national, mais nul ne semble envisager son articulation. Or le temps presse. Les décisions devront être prises rapidement dans un contexte budgétaire difficile. »

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à la Première Guerre mondiale de manière méthodique et pédagogique. Cette absence est particulièrement regrettable.

Le catalogue des collections numérisées Patrimoine numérique et le moteur Collections du ministère de la Culture mentionnent plusieurs fonds ou collections de la Première Guerre mondiale, numérisés ou en cours de numérisation (pas obligatoirement en ligne), ainsi que des établissements conservant de tels documents (par exemple la BDIC est présentée dans Patrimoine numérique mais pas ses collections numérisées). Il n’y a pas d’exhaustivité car Collections moissonnent les données des sites qui sont en mesure techniquement d’être interrogés et Patrimoine numérique indique les fonds et collections des services qui ont bien voulu les signaler. On ne peut donc pas parler de recensement ou de guide de recherche. D’autant que si Patrimoine numérique a bien réuni au sein d’un dossier « Première Guerre mondiale » les fonds, collections et institutions répertoriés, aucune éditorialisation n’accompagne ce dossier. Seul le SIAF a conçu une page42 sur son site présentant une sélection de l’offre du réseau français des archives en matière numérique (archives en ligne, expositions, conférences, colloques, lectures d’archives, publications, ateliers, jeux concours) de manière institutionnelle (archives départementales puis municipales). Il demeure donc très difficile pour un chercheur universitaire aguerri et plus encore pour un chercheur novice de prendre connaissance de l’existence des ressources en ligne sur son sujet de recherche. La seule solution pour un internaute de recenser les sources numérisées qui l’intéressent est de consulter les sites un à un (et donc, de déjà les connaître !), et parfois d’en consulter des dizaines avant de trouver l’information recherchée.

Le patrimoine écrit numérisé de la Première Guerre mondiale illustre ainsi parfaitement le constat de la phase II de l’Évaluation de la politique publique de numérisation des ressources culturelles : il s’agit bien d’« une offre en ligne riche, et même foisonnante, souvent trop peu lisible »43, en particulier pour le public non initié aux subtilités de la recherche sur les sites des services d’archives et des bibliothèques et qui reste majoritaire. C’est d’autant plus regrettable que le centenaire de la Grande Guerre a soulevé chez les Français une importante soif de connaissances.

42 . http://www.archivesdefrance.culture.gouv.fr/action-culturelle/centenaire-grande-guerre/43 . Évaluation de la politique publique de numérisation des ressources culturelles, phase II : rapport définitif, p. 55.

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II. une foRte demande socIaLe des fRançaIs conceRnant L’accès en LIgne des documents de La gRande gueRRe

Des publics différents selon la nature des documents en ligne

De nombreuses et régulières études de publics sont réalisées aussi bien dans le monde des archives que dans celui des bibliothèques. Elles ont évidemment intégré le public en ligne depuis une petite dizaine d’années. Si le SIAF a réalisé une étude44 en 2013-2014 au sein de son réseau, il n’existe pas d’étude nationale pour les bibliothèques, mais deux études45 concernant Gallica réalisées en 2011 et 2014. Comme chaque étude le souligne, il est toujours difficile de catégoriser les publics et plus encore les internautes. Par ailleurs, c’est une évidence qu’il convient de rappeler, les internautes consultant les bibliothèques numériques ne sont pas forcément ceux qui consultent les sites des archives et en particulier, ceux des Archives départementales. Ces écarts importants de profils résident dans la nature des documents mis en ligne et des informations qu’ils contiennent46. Les internautes de Gallica apparaissent avant tout comme des personnes très diplômés cherchant des documents en relation avec leurs études ou leurs activités professionnelles, ou bien réalisant un travail personnel. L’étude concernant les archives montrent des profils beaucoup plus variés, en relation avec l’extrême diversité de l’offre numérique en ligne (qui concerne massivement des documents issus de l’activité de l’Administration, contrairement aux bibliothèques). Elle montre aussi que les Français se sont massivement approprié les sites Internet des services d’archives. Ainsi, en 2013, les sites Internet des Archives nationales, départementales et municipales comptaient 11 millions de visiteurs uniques, pour 82 millions de connexions et 2,3 milliards de pages vues !

Concernant la seule Première Guerre mondiale, il n’existe qu’une étude de public47 réalisée au troisième trimestre 2015 par le ministère de la Défense concernant l’indexation collaborative sur Mémoire des hommes. Elle montre que l’âge des internautes est assez équilibré entre les catégories et donc un intérêt partagé entre générations pour la Grande Guerre : 29% de 21-40 ans, 23% de 41-50 ans, 27% de 51-60 ans et 20,3% pour les plus de 60 ans. Le public en ligne est également plus féminin que dans les autres études avec un chiffre de 40% de femmes. Ces internautes se déclarent à 55% comme des généalogistes amateurs, à 18% comme des passionnés d’histoire militaire, et loin derrière 5,5% comme des historiens, 5% comme des enseignants. La motivation des indexeurs est également intéressante à examiner : 38,2% participent à cette opération collaborative pour participer à la construction de la connaissance historique, 29,4% pour participer à un hommage national et 27,9% pour mettre en valeur la mémoire de ses ancêtres.

44 . Qui sont les publics des archives ? Enquêtes sur les lecteurs, les internautes et le public des activités culturelles dans les services publics d’archives (2013-2014), Service interministériel des Archives de France, Paris, 2015 (en ligne sur : http://www.archivesdefrance.culture.gouv.fr/static/8431).

45 . Évaluation de l’usage et de la satisfaction de la bibliothèque numérique Gallica et perspectives d’évolution, Bibliothèque nationale de France/GMV Conseil, 2012 (en ligne sur : http://www.bnf.fr/documents/enquete_gallica_2011_rapport.pdf) ; Observer et évaluer les usages de Gallica, Réflexion épistémologique et stratégique, Bibliothèque nationale de France/Télécom ParisTech, septembre 2014 (en ligne sur : http://www.bnf.fr/documents/oberver_evaluer_usages_gallica.pdf).

46 . On se reportera à l’enregistrement audiovisuel de la journée d’études intitulée « Consommateurs ou acteurs ? Les publics en ligne des archives et des bibliothèques patrimoniales ».

47 . Présentation au Forum des archivistes qui s’est tenu les 30, 31 mars et 1er avril 2016 à Troyes.

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La « fièvre généalogique » des Français

La place primordiale prise par la généalogie dans les archives ne se dément pas sur Internet, bien au contraire. On connait toujours plus précisément la « fièvre généalogique »48 qui s’est emparée des Français ces dernières décennies, grâce à plusieurs enquêtes nationales réalisées récemment. La dernière49, en date de février-mars 2015, montre que neuf Français sur dix s’intéressent à la généalogie et qu’un sur deux a déjà fait des recherches sur sa famille (dont un sur trois sur Internet). Les trois motivations principales sont « mieux connaître ses ancêtres », « comprendre ses origines », « transmettre l’histoire familiale aux générations futures », c’est-à-dire une quête de sens et le devoir de se souvenir. La numérisation des documents comportant des données individuelles par les directions d’Archives départementales est une réponse à cette forte demande sociale. Il n’est donc pas étonnant de constater dans l’enquête menée par les Archives de France qu’en 2013, 95% des internautes déclarent venir sur les sites des directions d’Archives départementales dans un cadre généalogique et 92% veulent avoir accès à un document directement, sans passer par un instrument de recherche.

La « patrimonialisation de la mémoire de la Première Guerre mondiale »

Jusqu’à la fin des années 1990, la connaissance des poilus était encore physique et la généalogie familiale débutait à la génération précédente. La disparition des poilus (le dernier, Lazarre Ponticelli, est décédé le 12 mars 2008) a transformé ce phénomène. Plus aucune personne vivante ne pouvait transmettre son expérience de la Grande Guerre. C’est à cette occasion que Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État aux Anciens combattants, a évoqué un « passage de la mémoire à l’histoire » ou, selon les termes de Joseph Zimet dans son rapport Commémorer la Grande Guerre (2014-2020) : propositions pour une centenaire international, une « patrimonialisation de la mémoire de la Première Guerre mondiale ». À l’approche du Centenaire, les Français se sont retournés sur ce passé à la fois omniprésent et si lointain. La présence de la Grande Guerre dans le paysage français reste puissante ainsi que ses rituels et ses manifestations locales, ne serait-ce qu’avec les monuments aux morts qui demeurent bien souvent le point de départ de toute recherche personnelle dans les archives. À juste titre, les historiens Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker peuvent écrire : « La société française entretient une relation particulière avec la Grande Guerre, en raison, sans doute, et de son investissement immense sur le conflit entre 1914 et 1918, et des sacrifices consentis, immenses eux aussi. »50 Cette relation se traduit par le fort lien généalogique qui unit chaque famille aux poilus, répondant ainsi à la question de Danièle Sallenave, Présidente du Haut comité aux Commémorations nationales : « le lien entre histoire collective et mémoire singulière ne va pas de soi. Comment l’histoire vient-elle s’inscrire dans l’identité de chacun ? »51 La figure du poilu a été à la fois héroïsée et victimisée : il s’est battu dans des conditions extrêmes, a vu ses compagnons périr et a fini par l’emporter.

48 . Patrick Cabanel, « La «fièvre généalogique» : depuis quand ? Comment ? Pourquoi ? », Revue française de généalogie, no 95, décembre 1994-janvier 1995, p. 18-21.

49 . Sondage OpinionWay-Genealogie.com, mars 2015 (en ligne sur  : http://www.genealogie.com/v2/presse/communiques/BJ11261-Opinionway_pour_Genealogie%20com_PRESSE.pdf).

50 . Annette Becker et Stéphane Audoin-Rouzeau, 14-18, Retrouver la Guerre, Paris, Gallimard, 2000, p. 22.51 . Danièle Sallenave, Présidente du Haut comité aux Commémorations nationales, « Commémoration : mémoire collective,

mémoire individuelle », La Gazette des archives, no 236, 2014-4, p. 12.

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C’est ce que les Français veulent comprendre à travers les recherches généalogiques qui se transforment bien souvent, si ce n’est toujours, en recherches historiques sur le régiment, les combats, les champs de bataille. Comme le montre l’enquête de publics de Mémoire des hommes, chaque famille française redécouvre son (ou ses) poilu(s), contribuant à une très forte individualisation de l’histoire collective. « 14-18, loin d’être simplement un sujet savant, est devenu, en France, depuis une trentaine d’années, une véritable «pratique sociale et culturelle d’envergure» »52, écrit l’historien Nicolas Offenstadt. Cela s’est aussi traduit pour les Français par une redécouverte des archives individuelles et collectives des poilus, qu’elles soient publiques (dans les services d’archives) ou privées (ce qui va expliquer le succès de la Grande Collecte). Il n’est donc pas étonnant de constater que c’est au cours des années 2000 que la demande mémorielle et sociale d’accès aux archives de la Première Guerre mondiale est apparue. Les commémorations du Centenaire avec ses cérémonies télévisées, ses innombrables projets locaux, les appels des médias à participer à la Grande Collecte ont accéléré le processus. Il s’agit d’accéder aux documents pour découvrir et comprendre le parcours, parfois tragique, de son aïeul, tout en lui rendant hommage. Les archives prennent ici une dimension civique de première importance.

52 . Nicolas Offenstadt, 14-18 aujourd’hui, la Grande Guerre dans la France contemporaine, Paris, Odile Jacob, 2010, p. 8.

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III. Les pRemIèRes gRandes campagnes de numéRIsatIon et de mIse en LIgne du patRImoIne écRIt de La gRande gueRRe

1. Le site Mémoire des hommes, première ressource en ligne sur la Première Guerre mondiale

Les fiches des « Morts pour la France »

Le ministère de la Défense a été le premier à mettre à disposition des internautes des ressources numérisées sur la Première Guerre mondiale, et non des moindres. Le 11 novembre 2003 est lancé le site Internet Mémoire des hommes avec la mise en ligne de la numérisation de 1 325 000 fiches individuelles des militaires ayant obtenu au titre de la Première Guerre mondiale la mention « Mort pour la France » accordée en vertu des articles L. 488 à L. 492bis du Code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre.

La création de ce site résulte du souhait exprimé à la fin de l’année 1999 par Jean-Pierre Masseret, secrétaire d’État aux Anciens combattants, de disposer enfin d’une base informatique répertoriant les morts de la Grande Guerre. Il s’agit alors de réaliser un monument aux morts national et virtuel. Certes, il s’agit d’utiliser les nouvelles technologies mais le but ultime reste le même qu’un monument de pierre : rendre un hommage individuel à chaque soldat disparu. Dès la réception de la commande, la toute récente direction de la Mémoire, du Patrimoine et des Archives du ministère de la Défense décide de constituer cette base en numérisant et indexant le fichier des « Morts pour la France » de la Première Guerre mondiale, ainsi que sa mise en ligne.

Le fichier des « Morts pour la France » de la Première Guerre mondiale53 fait partie d’un plus vaste ensemble qui est le fichier général des militaires de l’armée française décédés au cours de la Première Guerre mondiale. Constitué par le ministère des Pensions, Primes et Allocations de guerre à partir de 1921, ce fichier général a été établi dans le but d’informer sur la régularisation du décès des militaires tués au combat, disparus ou décédés pendant la durée de la guerre, mais également dans le but d’informer sur l’attribution de la mention « Mort pour la France ». Il comprend un fichier des officiers ainsi qu’un fichier des soldats pour lesquels la mention n’a pas été attribuée ou traitée. Le traitement informatique permet progressivement d’éliminer les doublons et de prendre immédiatement en compte les ajouts réalisés régulièrement par l’Office national des anciens combattants. La base informatique comprend aujourd’hui 1 325 000 fiches de « Morts pour la France » et 92 500 fiches de soldats pour laquelle la mention n’a pas été attribuée ou traitée. Le fichier général est conservé par le Service historique de la Défense à Caen.Ces fiches sont précieuses pour nos concitoyens car elles indiquent des informations essentielles permettant de poursuivre des recherches dans les autres archives civiles et militaires. Elles indiquent les nom, prénoms, date et département/pays de naissance, date et lieu de décès du soldat, les références du recrutement militaire, le grade et l’unité d’appartenance au moment de la mort et le lieu de transcription de l’acte de décès. Ces fiches sont ainsi quasiment toujours le point de départ d’une recherche généalogique pour les internautes ayant un aïeul « Mort pour la France » durant la Grande Guerre.

53 . Voir Sandrine Aufray, « Le fichier des Morts pour la France », dans Ph. Nivet, C. Coutant-Daydé et M. Stoll (sous la dir.), Archives de la Grande Guerre, op. cit., p. 473-474. Le nombre de fiches a été actualisé depuis la parution de l’ouvrage.

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Les fiches sont partiellement indexées sur Mémoire des hommes avec cinq champs : nom, prénom, date et département/pays de naissance. La recherche d’un nom est simple et s’affranchit des considérations liées à la géographie ; nul besoin en effet de connaître le lieu de recrutement, l’unité d’appartenance ou encore le lieu de décès du soldat pour le retrouver. Mémoire des hommes connait un succès immédiat : en cinq ans, de novembre 2003 à novembre 2008, les chiffres font apparaître 4,5 millions de connexions représentant plus de 58,7 millions de fiches consultées.

Les journaux des unités ayant participé à la Grande Guerre

Après avoir mis en ligne, la base des personnels de l’aéronautique militaire de la Première Guerre mondiale en décembre 2004 (73 955 fiches individuelles numérisées et indexées) et fort de ce succès, le ministère de la Défense s’engage en 2007 dans un chantier encore plus vaste consistant à numériser les 3,3 millions de pages des journaux des marches et opérations (et équivalents pour la Marine et l’aéronautique militaire) de toutes les unités militaires françaises ayant participé à la Première Guerre mondiale. Ces archives sont mises en ligne le 11 novembre 2008 à l’occasion du 90e anniversaire de l’Armistice du 11 novembre 1918. Le succès est immédiat : après avoir obtenu les strictes données individuelles en ligne grâce aux fiches des « Morts pour la France » ou grâce aux registres matricules militaires conservés dans les Archives départementales, les Français, mais aussi les descendants des soldats originaires des anciennes colonies, peuvent suivre leur ancêtre au jour le jour durant les terribles combats de la Première Guerre mondiale.

Ces archives sont aujourd’hui conservées par le Service historique de la Défense à Vincennes. Pour l’armée de terre, il existe un peu plus de 18 000 journaux des marches et opérations54, sous forme de registres, émanant des unités de l’armée de terre, ainsi que de certaines unités de la gendarmerie (environ 1 800 000 pages). Pour l’aéronautique militaire qui dépendait à l’époque de l’armée de terre, sont conservés des carnets de comptabilité en campagne, des rapports techniques d’ascension, des carnets de mission et registres de vol ainsi que des comptes rendus d’opérations (environ 300 000 pages). Enfin, la Marine conserve les journaux de bord et de navigation et quelques documents assimilés comme les registres d’inscription des signaux et les carnets de correspondance, des bâtiments de la Flotte principale (environ 1 200 000 pages).Dépourvus de tout commentaire ou appréciation personnelle, ces documents devaient servir à la rédaction d’un historique d’ensemble, destiné à maintenir la valeur morale de l’armée. Ils n’en restent pas moins, malgré leur rigueur administrative, une source irremplaçable sur le quotidien des poilus. Répondant à une démarche d’authentification des faits et notamment des actions d’éclat, ces documents constituent, en un sobre condensé des événements, un récit aussi objectif et précis que possible des événements. Chaque jour sont notifiés les faits, combats, manœuvres, travaux ou reconnaissances, accompagnés des objectifs visés et des résultats obtenus. Sont aussi indiqués de manière systématique la composition du corps (effectifs, encadrement et mutations), les itinéraires suivis, les emplacements des camps ou des cantonnements, ainsi que les décorations et citations individuelles. L’enregistrement journalier de la succession des événements est enrichi dans de nombreux journaux de documents justificatifs : ordres, cartes et schémas, états des pertes numériques ou nominatifs. Ces documents récapitulatifs, dont l’établissement était obligatoire, sont bien souvent incomplets en raison des difficultés du moment et du chiffre élevé des pertes. Les mentions nominatives restent ainsi, dans bien des cas, réduites aux seuls officiers. Ces documents constituent une source unique sur le contexte dans lequel évoluaient les combattants.

54 . Pour l’armée de terre, voir Sandrine Aufray, Benoît Lagarde et Michel Roucaud« Les journaux des marches et opération de l’armée de terre », dans Ph. Nivet, C. Coutant-Daydé et M. Stoll (sous la dir.), Archives de la Grande Guerre, op. cit., p. 153-154.

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Cette banque d’images est interrogeable selon deux modes : une recherche dans l’arborescence de l’inventaire ou une recherche rapide à travers un formulaire multicritères. L’indexation des tranches chronologiques de rédaction des journaux permet ensuite une navigation à l’intérieur de chaque journal, notamment l’accès rapide au mois recherché. Dans tous les cas, la connaissance de l’unité dans laquelle a combattu l’individu auquel s’intéresse l’internaute est indispensable. À moins que sa curiosité ne l’entraîne au hasard de ces milliers de pages qui sont autant de traces de l’activité des états-majors comme de la vie quotidienne des Poilus dans les tranchées. Trois catégories de public sont visées : les généalogistes afin d’enrichir la connaissance du parcours de leurs aïeux ; les chercheurs, amateurs et universitaires, qui ont besoin d’avoir accès aux sources pour réaliser leurs études sur la Première Guerre mondiale ; les passionnés du premier conflit mondial, regroupés en associations ou non.

En avril 2010, le ministère de la Défense s’associe au ministère de la Culture et de la Communication dans le cadre du moteur Généalogie rendant la base des « Morts pour la France » de la Première Guerre mondiale interrogeable par ce moteur de recherche.

Plus de dix ans après sa création, la fréquentation de ces deux fonds numérisés, indexés et mis en ligne continue de progresser et représente aujourd’hui la première destination des internautes à la recherche de leurs ancêtres qui ont combattu durant la Grande Guerre (7,5 millions de fiches de soldats « Morts pour la France » et 6 millions de doubles-pages de journaux des unités vues en 2015 ; 3,8 millions de fiches de soldats « Morts pour la France » et 3,3 millions de doubles-pages de journaux des unités vues pour le premier semestre 2016).

Parallèlement, en juin 2004, le ministère de la Défense a lancé le site Sépultures de guerre, une base de données des lieux d’inhumation des personnes décédées au cours des conflits contemporains, également celles de la guerre de 1870-71, reposant dans les nécropoles nationales et les carrés militaires communaux entretenus par le ministère de la Défense55. La base est régulièrement enrichie par le dépouillement des fichiers des sépultures de guerre, qui ont été constitués au moment de la création des nécropoles nationales à la fin de la Première Guerre mondiale. Ils comportent environ 700 000 fiches cartonnées rédigées à la main, dont la saisie informatique a débuté en 1997 et se poursuit encore à l’heure actuelle.

2. Le plan de numérisation concertée des journaux de tranchéesC’est en 2003 qu’a été initié par la BnF et la BDIC le projet de numérisation et de mise en ligne des journaux de tranchées. Le projet a ensuite été ouvert en 2008 à la Bibliothèque nationale et universitaire (BNU) de Strasbourg puis à la Bibliothèque municipale de Lyon et enfin aux autres bibliothèques publiques et services d’archives.

55 . Le Code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre prévoit que certaines catégories de ressortissants de ce code peuvent être inhumées dans une sépulture entretenue à perpétuité par l’État. Il s’agit essentiellement des militaires français et alliés « Morts pour la France » en activité de service au cours d’opérations de guerre (art. L.498) ; des civils décédés durant la Seconde Guerre mondiale, lorsque la mention « Mort pour la France » a été délivrée et que la mort est la consé-quence directe d’un acte accompli volontairement pour lutter contre l’ennemi (art. L.513).

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Les journaux de tranchées56 apparaissent à la fin de l’année 1914, lorsque la guerre de position succède à la guerre de mouvement. Sur le front stabilisé, ils sont rédigés par des soldats, caporaux, brigadiers, sous-officiers et officiers subalternes, à destination de tous les poilus. Leur nombre croît rapidement à partir de 1915. On évalue à environ cinq cents le nombre de titres sortis durant le conflit au sein de l’armée française (Rigolboche, L’Argonnaute, L’Écho des tranchées, La Roulante, L’Écho des gourbis, Le Poilu déchaîné, etc.) Certains ont une durée de vie très courte et ne comptent que quelques numéros. D’autres paraissent tout au long de la guerre comme Cingoli-Gazette de 1915 à 1919, Le petit bleu de 1915 à 1918 avec une cinquantaine de numéros et Rigolboche de 1915 à 1918 avec une centaine de numéros ; d’autres survécurent à la guerre, à l’exemple du Crapouillot (disparait en 1996). Ils sont calligraphiés ou dactylographiés, puis décorés et illustrés avant d’être dupliqués à la gélatine, ronéotés ou imprimés avec des moyens de fortune. Les auteurs de ces journaux cherchent à lutter contre l’ennui et la démoralisation. Ils témoignent par ce biais de leur expérience de guerre, luttant ainsi contre les représentations fausses qui circulent dans la presse à l’arrière. Parmi les thématiques abordées on trouve les objets quotidiens ainsi que les scènes du front, les états d’âme, la nostalgie, la femme, le rêve du retour à l’arrière, les poux et les Allemands. Sur la forme, ces journaux contiennent des articles, des jeux de mots, des parodies, des pastiches et calembours, des récits fantaisistes, des poèmes et des chansons. La poésie est un outil recherché et l’imitation de style connu est toujours présente. Malgré une apparente liberté de ton, ils ne remettent pas ouvertement en cause la situation de guerre. Ils traduisent, cependant, la volonté d’échapper à l’enfer des combats par l’écriture et le rire. Le cynisme rigolard, la verve gouailleuse et l’humour noir de leurs propos révèlent un certain « état d’esprit poilu » et renforcent la cohésion de groupe.

Durant le conflit, les journaux de tranchées sont collectés par des particuliers, comme le couple d’industriels parisiens Louise et Henri Leblanc (collection donnée à l’État en 1917 qui donnera naissance à la BDIC), ou la volonté d’un homme politique, Édouard Herriot, maire de Lyon (collection aujourd’hui à la Bibliothèque municipale de Lyon). À la BnF, c’est sous l’impulsion de Charles de La Roncière que sont collectés ces journaux. Cette collecte se fait par un travail de démarchage auprès des rédacteurs et par un appel lancé dès juin 1915 dans Le Petit journal : « Poilus, envoyez vos journaux à la Bibliothèque nationale ».

À l’instar de nombreuses bibliothèques allemandes, la Kaiserliche Universitäts- und Landesbibliothek zu Strassburg (qui devient la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg en 1918) constitue dès le début du conflit des collections de guerre (Kriegssammlungen). « Le retour de l’Alsace à la France en 1918 a sonné le glas de cette entreprise et les fonds collectés, s’ils ne furent pas détruits, retombèrent dans l’oubli – accompagnant en cela le destin général des collections de guerre allemandes, créées pour glorifier la victoire espérée et que la réalité de la défaite rendait dès lors difficiles à valoriser. »57 Redécouverte en 2003 à l’occasion de la préparation d’une exposition, cette collection est aujourd’hui estimée à 11 000 documents.

Le programme de numérisation de la BNU commence à l’occasion de l’exposition Orages de papier 14-18 – Les collections de guerre des bibliothèques organisée conjointement en 2008 par la BNU, la BnF, la BDIC et la Bibliothèque du Land de Bade-Wurtemberg.

56 . Voir Stéphane Audoin-Rouzeau, 14-18, les combattants des tranchées : à travers leurs journaux, Paris, Armand Colin, 1986 ; Jean-Pierre Turbergue, Les journaux de tranchées, 1914-1918, Paris, Éditions Italiques, 1999 ; Orages de papier 1914-1918, les collections de guerre des bibliothèques, Paris/Strasbourg, Somogy/Bibliothèque nationale et universitaire, 2008.

57 . Christophe Didier, « Un dépôt médiatique pour la postérité : les bibliothèques et les «orages de papier» de la guerre », Culture et Recherche, no 131, printemps-été 2015, p. 38-39.

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Avec le soutien de la BnF, la BNU a d’abord numérisé un corpus de onze journaux d’unités ayant stationné à un moment de leur histoire dans la région des Vosges (régions Alsace et Lorraine). Rédigés et réalisés dans de petites unités à proximité immédiate du front, ces journaux de tranchées (Schützengrabenzeitungen) se distinguent des journaux du front de plus grandes unités (journaux de divisions, de Korps et d’armées) qui étaient parfois fabriqués dans des villes à l’arrière du front, voire en Allemagne. Par leur contenu, leur forme et leurs qualités esthétiques, ces Feldzeitungen vosgiens présentent un certain air de famille, notamment dû au rôle central que joua l’imprimeur colmarien Albert Jess dans la réalisation de plusieurs d’entre eux. C’est cette similarité qui fait que l’on a pu évoquer un style vosgien. Par la suite, la numérisation s’est poursuivie dans le cadre des coopérations menées au titre des Pôles associés de la BnF. En plusieurs phases successives, le spectre des journaux numérisés a pu être élargi à la presque totalité des Feldzeitungen conservés à la BNU : journaux du front des grandes unités (plus directement dépendants des autorités militaires et aux moyens et tirages plus importants), mais aussi journaux des autres fronts (ensemble des fronts de l’ouest et fronts de l’est). Aujourd’hui, la collection de la BNU est avec celle de la Bibliothèque universitaire d’Heidelberg la plus importante collection numérique de journaux du front allemands de la Grande Guerre.

Près de 300 titres en français et 45 en allemand sont désormais disponibles de manière centralisée sur Gallica et sur les sites de chaque institution (pour ce qui les concerne). L’interrogation se fait par le nom du journal qu’il faut donc connaître.

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IV. La dynamIque du centenaIRe de La gRande gueRRe

L’approche du cycle commémoratif du centenaire de la Première Guerre mondiale a accéléré la dynamique de numérisation et de mise en ligne des collections et fonds d’archives.

En septembre 2011, dans son rapport remis au Président de la République et intitulé Commémorer la Grande Guerre (2014-2020) : propositions pour une centenaire international, Joseph Zimet fait de la numérisation du patrimoine écrit de la Première Guerre mondiale et de sa diffusion en ligne un des points forts du « feu d’artifice culturel et scientifique que le Centenaire ne manquera pas de susciter »58. Conscient de l’enjeu et des attentes des Français, il écrit : « les grandes institutions patrimoniales se mobiliseront pour mettre un maximum de ressources documentaires à la disposition des Français, à travers notamment la publication de documents ou la mise en ligne d’archives liées à la Première Guerre mondiale. »59

L’élan donné par le Centenaire se concrétise aussi bien dans des grands programmes concertés que dans des initiatives individuelles des établissements ou des commandes du Président de la République.

1. Les programmes concertés de numérisation Le programme européen « Europeana Collections 1914-1918 »

Dans la perspective du centenaire de la Première Guerre mondiale, le portail européen Europeana initie, en octobre 2010, un vaste programme de numérisation de documents. L’objectif recherché est alors de « mettre en lumière la portée de la Première Guerre mondiale dans l’élaboration d’une identité européenne commune. »60 Soutenu financièrement par la Commission européenne, le programme « Europeana Collections 1914-1918 » vise à numériser 400 000 documents entre mai 2011 et avril 2014, venant enrichir l’offre en ligne d’Europeana. Le projet réunit douze institutions de huit pays. En plus de la Staatsbibliothek zu Berlin - Preussischer Kulturbesitz (Berlin) assurant la coordination du projet, participent au programme la Biblioteca Nazionale Centrale (Rome), la Biblioteca Nazionale Centrale (Florence), la Bibliothèque nationale de France (Paris), la Bibliothèque nationale et universitaire (Strasbourg), la Bibliothèque royale de Belgique (Bruxelles), la British Library (Londres), la Kongelige Bibliotek (Copenhague), la Narodna Biblioteka Srbije (Belgrade), l’Österreichische Nationalbibliothek (Vienne), et deux partenaires techniques que sont l’Istituto Centrale per il Catalogo Unico delle biblioteche italiane (Rome) et la Humboldt Universitätsbibliothek (Berlin). Dix-sept thématiques très larges sont retenues afin que chaque établissement puisse identifier aisément des documents dans ses collections (par exemple, la littérature de guerre, les publications humoristiques et satiriques, la littérature pour enfants, les chants et partitions, les pamphlets, les documents manuscrits, etc.)

58 . Joseph Zimet, Commémorer la Grande Guerre (2014-2020) : propositions pour une centenaire international, septembre 2011, p. 14 (http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/134000686.pdf).

59 . Ibid., p. 18.60 . Communiqué de presse de la Bibliothèque nationale de France et de la Bibliothèque nationale et universitaire, s.d.

[2e semestre 2011] (en ligne sur : http://www.bnf.fr/documents/cp_europeana.pdf).

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Par ailleurs, une enquête publique multilingue lancée en juin 2011 dans tous les pays qui participent au projet et menée sur Internet par Clio-online et le Département d’Histoire de la Humboldt Universitätsbibliothek, permet d’identifier un public cible du projet et ses attentes en termes de services et de sélections. Familiarisé à l’usage d’Internet, composé en majorité d’universitaires (chercheurs, académiques et enseignants) et de professionnels du monde de la culture et du patrimoine, ce public se déclare intéressé par la Première Guerre mondiale voire connaisseur de cette période de l’histoire. Il souhaite avoir accès tant à une sélection de documents uniques (journaux de tranchées, manuscrits, correspondance, photographies, etc.) qu’à une riche bibliographie. Le résultat de cette étude va aider les bibliothèques partenaires à orienter leurs sélections de documents au plus près des intérêts des utilisateurs potentiels.

Ce programme européen rejoint les programmations de numérisation de la BnF et de la BNU qui intègrent déjà la période de la Grande Guerre. Très rapidement, la BnF propose à trois de ses pôles associés, la BDIC, dont l’histoire est intimement liée à la Première Guerre mondiale, la direction de la Mémoire, du Patrimoine et des Archives (DMPA) du ministère de la Défense, et la Ville de Paris, d’intégrer le programme « Europeana Collections 1914-1918 ». À l’issue du recensement réalisé par la BnF et ses partenaires en 2011, 40 750 documents sont identifiés et envoyés à la numérisation61. Ils forment par ailleurs la première vague de la programmation de la BnF concernant la Première Guerre mondiale. Finalement, ce sont près de 48 000 documents qui ont été numérisés dans le cadre de ce programme62, représentant 636 500 pages, dont 158 600 pages pour la BDIC, 337 700 pages pour le ministère de la Défense et 140 200 pages pour la Ville de Paris63.

Les trois institutions partenaires de la BnF ont apporté des corpus spécifiques :

- le ministère de la Défense (Service historique de la Défense, École Polytechnique, Centre de documentation de l’École militaire, Écoles militaires de Draguignan principalement) propose une sélection portant sur la vie au front et l’histoire des mobilisés (à commencer par les historiques régimentaires), la vie des appelés et leurs contacts avec l’arrière, mais aussi sur les bulletins officiels des ministères de la Guerre et de la Marine durant le conflit, des bulletins de liaison et des revues de documentation internes à l’armée concernant l’artillerie, le génie et les usines de guerre, et enfin sur les cours des écoles militaires (génie, génie maritime, école de guerre, école navale, école polytechnique, écoles d’infanterie et d’artillerie) ainsi que les mémoires et thèses réalisés par des officiers.

- la BDIC a privilégié l’information des populations à l’arrière et de nombreuses revues illustrées de vulgarisation autour des conditions techniques du conflit. Par exemple : La guerre aérienne illustrée ; Pages de gloire ; L’image de la guerre ; La guerre mondiale illustrée ; la Revue hebdomadaire et son supplément illustré de guerre L’instantané ; Le Miroir ; Pages de guerre ; La vie au grand air ; etc.

- les bibliothèques spécialisées de la Ville de Paris (Bibliothèque historique, Bibliothèque de l’Hôtel de Ville, Bibliothèques Forney et Marguerite Durand) proposent une sélection montrant comment Paris s’est organisé mais également informé durant le conflit, mais aussi quelles ont

61 . Rapport d’activité de la Bibliothèque nationale de France, 2011, Rapport annexé 3 : La recherche, p. 18-19 (en ligne sur : http://webapp.bnf.fr/rapport/pdf/rapport_2011.pdf).

62 . Rapport d’activité de la Bibliothèque nationale de France, 2014, p. 45 (en ligne sur : http://webapp.bnf.fr/rapport/pdf/rap-port_2014.pdf).

63 . La numérisation concertée de corpus d’imprimés. État des lieux des programmes et des partenaires. Décembre 2014, Biblio-thèque nationale de France, p. 32 (en ligne sur : http://www.bnf.fr/documents/num_concertee_imprimes.pdf).

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été les activités à la fois caritatives et artistiques. La Ville de Paris a apporté les publications officielles des administrations et institutions actives dans la capitale (Préfecture de police, Mairie de Paris, Assistance publique, Crédit municipal, Conseil général). Plus de 140 titres de périodiques, parus ou fondés pendant la guerre, ont été numérisés. Ce sont des sources précieuses sur la vie quotidienne, économique et sociale des Parisiens pendant le conflit ainsi que sur les questions de l’après-guerre (reconstruction, anciens combattants, etc.) Plusieurs titres comme L’Art français moderne, Les Élégances parisiennes ou Les Tréteaux révèlent le processus de regroupement corporatif pour la défense d’intérêts professionnels communs en période de conflit. Des revues provenant de la bibliothèque Guillaume Apollinaire, conservée à la Bibliothèque historique, reflètent la vitalité de la création littéraire et artistique à Paris pendant la guerre autour de la figure centrale du poète : SIC. Sons, idées, couleurs, formes, Cahiers idéalistes français ou Les Arts à Paris, revue fondée par le marchand d’art Paul Guillaume. Des documents nous renseignent également sur la situation du mouvement féministe et plus largement sur la place des femmes pendant le conflit : comptes rendus d’assemblée générale de L’Entraide féminine et L’Action féminine, bulletin du Conseil national des femmes françaises. Enfin plusieurs titres illustrés, comme la revue à succès La Baïonnette, véhiculent un esprit patriotique et satirique.

De son côté, la BNU de Strasbourg a constitué des corpus numériques originaux du fait de l’histoire de ses collections (voir plus haut). Celles-ci complètent celles de la Staatsbibliothek de Berlin, qui ont souffert lors des bombardements de 1945. La volumétrie de documents numérisés est d’environ 160 000 pages64.

La numérisation de la BNU de Strasbourg concerne des périodiques et monographies concernant l’Alsace-Moselle, des affiches, des romans et poésies, des sermons de guerre, des recueils de prières (en langue allemande pour la plupart, destinés soit aux soldats, soit à la population civile), des cartes géographiques, des partitions, des tracts, avis et placards, du matériel iconographique imprimé, mais aussi des monnaies et médailles, des photographies, etc. Nombre de ces romans, poésies et chants sont en langue allemande et ont souvent été publiés à compte d’auteur. Ils témoignent de l’engouement de la population au début de la guerre65. Le tout permet de donner une image assez fidèle de l’Alsace-Lorraine en guerre, vue du côté allemand essentiellement.

Même si ce rapport ne concerne pas le patrimoine photographique, il est à noter qu’en parallèle du programme européen, grâce à un partenariat spécifique entre la BDIC et la BNU, ce sont également 25 000 photographies du Fonds Valois de la BDIC qui ont été numérisées par la BNU. La BnF, la BNU, la BDIC et la DMPA du ministère de la Défense ont ainsi démontré durant les années 2011-2014 qu’un réseau institutionnel pouvait être créé permettant une programmation concertée, des opérations de numérisation croisées et des financements mis en commun.

Le plan de numérisation concertée de la Bibliothèque nationale de France

Parallèlement au programme « Europeana Collections 14-18 », la BnF a poursuivi son programme de numérisation de ses collections mais aussi le programme concerté avec ses partenaires et pôles associés dans le cadre de projets bilatéraux ou régionaux. Elle a joué à ce titre un rôle moteur au plan national.

64 . Rapport d’activité de la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, 2013, p. 16 (en ligne sur : http://www.bnu.fr/sites/default/files/RA2013.pdf).

65 . Rapport d’activité de la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, 2011, p. 37 (en ligne sur : http://www.bnu.fr/sites/default/files/RA2011Web.pdf).

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Chaque département thématique de la BnF a contribué à enrichir l’offre numérique autour de la Première Guerre mondiale selon ses spécialités. Plusieurs collections significatives ont été mises en ligne comme les Armées françaises dans la Grande Guerre, des cartes66, un échantillon de bulletins paroissiaux de toute la France publiés durant le conflit, des partitions de chansons67, plusieurs collections de romans populaires édités pendant et autour des combats, etc.

Par ailleurs, profitant de la mise en ligne d’une nouvelle version de Gallica, la BnF a veillé à ce que ses corpus documentaires en ligne soient structurés et accompagnés d’une éditorialisation adaptée avec des accès multiples. « C’est par exemple le cas pour les corpus autour de la Première Guerre mondiale, qui sont regroupés dans l’accès Histoire, mais sont aussi présents dans les accès par types de documents (journaux de tranchées, chansons, enregistrements de discours etc.) »68 Si cet effort est réel et appréciable, l’accès au corpus relatif à la Première Guerre mondiale (par le bouton « Collections ») ne permet pas d’être informé de la totalité de l’offre. Sept entrées sont proposées : Chansons et musiques (vers des enregistrements sonores), Discours d’hommes politiques (vers des enregistrements sonores, la retranscription des discours au Journal officiel, des photographies prises lors des discours), Journaux de tranchées (navigation par ordre alphabétique des titres ou par arme), La guerre en images (vers des photographies dont celles des agences Rol et Meurisse, des affiches, des estampes), Les Armées françaises dans la Grande Guerre (sauf les cartes), Les bulletins de presse étrangère, Revues illustrées (titres nationaux et régionaux). On n’y trouve donc pas de nombreux documents concernant la Première Guerre mondiale pourtant présents sur Gallica, comme la presse quotidienne, les partitions, les cartes, des débats parlementaires, etc., ainsi que tous les documents issus des ministères de la Guerre, de la Marine et des Colonies qui sont présentés dans le corpus « Histoire militaire et militaria ». Dans ce dernier, on accède aux bulletins officiels (éditions chronologique et méthodique) de ces trois ministères, de nouveau aux Armées françaises dans la Grande Guerre, aux cours des écoles militaires (par école), aux historiques régimentaires, aux règlements d’instructions (par arme), aux revues d’arme (par arme), aux revues militaires.

En matière de numérisation concertée, de nombreux établissements ont proposé des collections à numériser : le ministère de la Défense a fourni un corpus de référence en histoire militaire et militaria ; la BNU de Strasbourg et la bibliothèque municipale de Lyon ont achevé la numérisation des journaux de tranchées ; les bibliothèques du Sénat et de l’Assemblée nationale ont proposé une documentation importante sur l’activité des deux chambres (voir plus loin) ; la Bibliothèque du ministère des Affaires étrangères a sélectionné les bulletins quotidiens et périodiques de la presse étrangère (traductions en français et synthèse des grands articles de la presse étrangère sur les événements internationaux) qui permettront d’avoir une approche au jour et jour des grands événements de la guerre et de leur traitement par la presse. Par ailleurs, d’autres programmes de numérisation concertée alimentent également la thématique de la Première Guerre mondiale, en particulier celui en sciences juridiques

66 . Voir Guillaume Lebailly, « Cartes et cartographie de guerre », Culture et Recherche, no 131, printemps-été 2015, p. 33-34.67 . Voir Agnès Sandras et Catherine Vallet-Collot, «  Chansons de la Grande Guerre  », Culture et Recherche, no  131, prin-

temps-été 2015, p. 35-36.68 . Rapport d’activité de la Bibliothèque nationale de France, 2015, p. 37 : « Les statistiques de consultation font apparaître un

grand intérêt des internautes pour la majorité des ensembles documentaires ainsi valorisés. » (en ligne sur : http://webapp.bnf.fr/rapport/pdf/rapport_2015.pdf).

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(Bibliothèque de l’Hôtel de Ville de Paris, bibliothèque interuniversitaire Cujas, etc.) ou encore celui en littérature pour la jeunesse. Dans le cadre des pôles associés régionaux, des programmes de numérisation « Guerre de 1914-1918 » sont conduits, notamment en Champagne-Ardenne, en Picardie et en Franche-Comté.

La Bibliothèque de documentation internationale et contemporaine

La BDIC mérite une présentation particulière du fait de l’histoire de ses collections qui débutent durant la Grande Guerre et de la numérisation précoce de celles-ci. Entreprise dès 2003, elle se poursuit jusqu’à aujourd’hui dans le cadre de marchés publics propres à la BDIC, de subventions de la BnF et de programmes de recherche comme ceux portés par le labex Les passés dans le présent, ou de la programmation concertée avec la BnF. En 2014, la BDIC a procédé au renouvellement de sa bibliothèque numérique intitulée L’Argonnaute69 (du nom d’un journal de tranchées jouant sur les mots Argonne et argonautes) avec une interface alliant de nouvelles fonctionnalités d’accès et de visualisation des documents (frise chronologique, accès cartographique, etc.), de dissémination et de médiatisation des collections via un blog. Elle a également proposé une formation en ligne (MOOC) intitulée La Première Guerre mondiale expliquée à travers ses archives (qui a rassemblé près de 10 000 internautes entre janvier et avril 2014) ainsi qu’un cartable numérique70.

Il est possible d’avoir un aperçu de la richesse de l’offre numérique de la BDIC grâce à une page éditorialisée présentant le corpus71 et des articles sur le blog des collections72. Sont donc accessibles les journaux des tranchées, une collection importante d’affiches (plus de 2 000), les historiques régimentaires, les archives de la Ligue des droits de l’Homme concernant les fusillés de 1917 (fonds relatifs à l’affaire Chapelant, l’affaire Gillet, l’affaire des « fusillés du 327e » aussi appelée affaire Waterlot ; le fonds dit des « fusillés de Souain », combat dans lequel s’est illustré Blanche Maupas ; enfin, l’affaire du Bonnet Rouge, du nom du périodique accusé de défaitisme et d’entente avec l’ennemi), le fonds de l’académie de Lille (questionnaire à l’ensemble des écoles de l’académie de Lille pour que maîtres et élèves rendent compte de la vie quotidienne de leur établissement pendant la Grande Guerre ; finalement l’enquête a débordé largement du cadre de l’Éducation nationale avec des réponses des familles voire des communes, mais aussi de nombreuses correspondances, cahiers de souvenirs, documents administratifs les plus disparates, photographies, etc.), une collection de tracts souvent extrêmement rares couvrant l’ensemble des pays belligérants (tracts de propagande destinés aux soldats dans le cadre des opérations militaires, tracts destinés aux populations de l’arrière, etc.), les archives de l’œuvre de bienfaisance La Famille du Soldat (œuvre qui avait pour but de mettre en contact les soldats avec des correspondants potentiels, marraines ou parrains), le fonds des conférences de la paix (procès-verbaux et résolutions des réunions et conférences pour la paix tenues entre 1919 et 1920) et le fonds Paul Mantoux (historien et interprète d’Albert Thomas, sous-secrétaire d’État à l’Armement, lors des conférences interalliées, puis interprète lors des pourparlers de paix), 21 titres de gazettes d’ateliers de peinture, de sculpture, de gravure, d’architecture, etc. où se formaient les élèves des écoles en beaux-arts et architecture (véritables bulletins de liaison entre le Front et l’arrière contribuant à conserver et entretenir une sociabilité professionnelle pendant la guerre),

69 . http://argonnaute.u-paris10.fr/70 . Voir Frédérique Joannic-Seta, « Pédagogie et numérique. L’offre de la BDIC sur la Grande Guerre », Culture et Recherche,

no 131, printemps-été 2015, p. 61.71 . http://argonnaute.u-paris10.fr/En-savoir-plus/p15/Les-collections-numerisees-sur-la-Grande-Guerre-de-la-BDIC72 . http://argonnaute.u-paris10.fr/Blog-des-collections/t8

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des correspondances et mémoires de soldats, mais aussi une série regroupant 59 documents de propagande bolchévique édités par des organismes ou administrations bolchéviques (affiches textuelles, tracts, décrets, bulletins isolés vendus au numéro). À ces documents s’ajoutent de très nombreux documents iconographiques comme les tableaux des peintres envoyés en mission officielle au front (Maurice Denis, Vuillard, Vallotton), les dessins de peintres professionnels comme amateurs (Krier, Camus, Lotze, Bellan, Boisfleury, Barrère, etc.), la collection dite des albums Valois constituée par la Section photographique des armées à partir de 1915, des albums de photographies privées émanant de soldats français et allemands.

Les archives et bibliothèques du Parlement

Afin de mettre en valeur le rôle spécifique du Parlement pendant la Grande Guerre73, les services de la bibliothèque et des archives du Sénat et de l’Assemblée nationale entreprennent dès 2010 de mettre en ligne des comptes rendus de séance, procès-verbaux des commissions parlementaires ainsi que certaines pièces d’archives jusqu’alors connus de quelques rares spécialistes. Ces documents numérisés viennent utilement compléter les débats et rapports déjà numérisés dans le cadre de leurs partenariats respectifs avec la BnF.

Le Sénat Dans le cadre de la convention de partenariat, signée en décembre 2010 et renouvelée en 2012, avec la BnF, la Bibliothèque du Sénat a confié à celle-ci ses volumes de feuilletons, de débats et d’impressions datant de la IIIe République74 en vue de leur numérisation. Dans l’optique de la commémoration du centenaire de la Grande Guerre, la Bibliothèque du Sénat a fait procéder, en priorité, à la numérisation des documents des années 1914 à 1920. On trouve ainsi le compte rendu in extenso des débats parlementaires de janvier 1914 à décembre 1920, comprenant les questions écrites, les documents parlementaires (rapports et textes déposés) annexés aux procès-verbaux des séances de la même période, les tables des travaux parlementaires (documents parlementaires, questions, tables nominatives et thématiques), les comptes rendus des quatre comités secrets75 de la Première Guerre mondiale réunis entre juillet 1916 et juillet 1917 (ils ont été reproduits en annexe des séances de septembre 1968, date à laquelle leur reproduction a été autorisée par le Bureau du Sénat).

Au printemps 2013, le Sénat a achevé la numérisation des procès-verbaux et rapports des commissions (commissions de l’armée, des affaires étrangères, des finances, de l’administration générale, de l’Alsace-Lorraine, des départements libérés, des récompenses nationales, commissions ad hoc, ainsi que le groupe des départements envahis puis des régions dévastées) pendant la Grande Guerre ou se rapportant au conflit qu’il a mises en ligne sur son site, mettant à la disposition des internautes « ces sources documentaires largement inédites et particulièrement riches, qui montrent l’intense activité du Sénat durant cette période et jusqu’à la signature des traités. »76 Les documents sont accessibles par commissions et par dates.

73 . Voir François Lagrange et Roseline Salmon, « Le Parlement francais dans la Grande Guerre : de l’effacement à la redécouverte », dans Ph. Nivet, C. Coutant-Daydé et M. Stoll (sous la dir.), Archives de la Grande Guerre, op. cit., p. 215-222, en particulier les p. 219-222 sur les archives.

74 . http://www.senat.fr/histoire/les_travaux_du_senat_de_la_troisieme_republique.html75 . Au Sénat se tiennent quatre comités secrets : du 4 au 9 juillet 1916 sur la bataille de Verdun et les affaires balkaniques ; du 19

au 23 décembre 1916 sur la politique militaire, diplomatique et économique du gouvernement ainsi que sur la situation des armements, de l’artillerie et de l’aviation ; le 6 juin 1917 sur le congrès socialiste de Stockholm ; du 19 au 21 juillet 1917 sur l’offensive alliée du 16 avril et sur le fonctionnement du service de santé.

76 . http://www.senat.fr/histoire/1914_1918/index.html

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« Pour comprendre l’intérêt de ce fonds, le mieux est de commencer par consulter l’état des procès-verbaux des commissions, téléchargeable en fichier PDF. Cet inventaire retrace l’importance de l’activité des commissions composées de registres manuscrits ou dactylographiés et de comptes rendus d’auditions parfois sur feuilles volantes et correspondances. On y apprend le fonctionnement du Sénat à cette période avec l’importance prise par les commissions permanente ou annuelles : armée, affaires étrangères, départements envahis et régions dévastées, départements libérés, Alsace-Lorraine, administration générale, récompenses nationales et commissions ad hoc. Ces dernières, comme leur nom l’indique, sont formées pour répondre à une problématique définie, par exemple la commission chargée d’examiner la proposition de loi concernant les allocations aux familles des mobilisés (président de commission : Milliès-Lacroix) ou celle chargée de «la confiscation des biens des Français qui, pour se soustraire à leurs obligations militaires pendant la présente guerre, se sont enfuis à l’étranger ou y ont volontairement séjourné»... (président de la commission : Paul Doumer). Pour comprendre le contexte de la Grande Guerre et comment elle a été vécue par les hommes politiques, pour savoir si les sénateurs envoyaient de gaité de cœur des millions d’hommes au combat et pour comprendre les mentalités de l’époque, on ne saurait trop se pencher sur les auditions de la commission de l’armée, riche en détails et en dialogues avec les ministres du gouvernement, les responsables administratifs et militaires d’un pays au bord du chaos. »77 Guillaume de Morant, journaliste à la Revue française de généalogie

L’Assemblée nationaleEn ce qui concerne les travaux de la Chambre des députés, une opération analogue a été conduite par la Bibliothèque de l’Assemblée nationale, également pôle associé de la BnF. Les deux bibliothèques parlementaires ont défini les collections à confier à la BnF en parfaite concertation. Leur objectif est d’assurer au chercheur un ensemble cohérent de documents sur une période donnée. En 2009, l’Assemblée et la BnF ont ainsi entrepris, dans le cadre d’un programme national de numérisation concertée en sciences juridiques, la numérisation de tous les débats parlementaires depuis la Révolution, des feuilletons et des impressions. Encore en cours, ce programme offre déjà l’ensemble de ces documents pour la période de la Grande Guerre. Les neuf comités secrets qui se sont tenus à l’Assemblée nationale de juin 1916 à octobre 1917 ont également été numérisés et mis en ligne78.

Par ailleurs, dès 2010, l’Assemblée nationale s’est engagée dans la numérisation d’une sélection de documents « probants »79, tels que des procès-verbaux, rapports et notes, de commissions considérées comme « en lien direct » avec le conflit. Cette opération s’est déroulée en coopération avec les Archives nationales, à qui sont réglementairement versées les archives législatives. Le projet s’est progressivement réduit80 et sont aujourd’hui en ligne sur le site de l’Assemblée81 les procès-verbaux des réunions des commissions de l’armée (1914-1919), de la marine de guerre (1914-1919), du ravitaillement et des réquisitions (1918-1919), ainsi que ceux de la commission chargée de l’examen du projet de loi autorisant le gouvernement jusqu’à la cessation des hostilités à prendre toutes les mesures commandées par les nécessités de la défense nationale (1916-1917).

77 .  Guillaume de Morant, « Le Sénat met en ligne ses archives de la Grande Guerre », site de la Revue française de généalogie, 27 juin 2013 (en ligne sur : http://www.rfgenealogie.com/s-informer/infos/1914-18/le-senat-met-en-ligne-ses-archives-de-la-grande-guerre).

78 . http://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/1914-1918/comites-secrets#node_496879 . Cécilia Cardon et Hélène Saudrais, « Les projets des Archives de l’Assemblée nationale pour le centenaire de la Grande Guerre »,

27 novembre 2012 (en ligne sur : http://www.archivistes.org/Les-projets-des-Archives-de-l).80 . En 1915, on compte 19 commissions : administration générale, départementale et communale ; affaires extérieures, protec-

torats et colonies ; agriculture ; armée ; assurance et prévoyance sociales ; budget ; commerce et industrie ; comptes définitifs et économies ; douanes ; enseignement et beaux-arts ; hygiène publique ; législation civile et criminelle ; législation fiscale ; marine de guerre ; marine marchande ; mines ; postes et télégraphes ; travail ; travaux publics, chemins de fer et voies de communication.

81 . http://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/1914-1918#node_2166

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Un nouveau Mémoire des hommes

À la suite d’une réflexion globale concernant les besoins en administration du site, les nécessités de simplification administrative, les évolutions technologiques, la simplification du paysage numérique, le développement de la politique interministérielle en matière d’archives, ainsi que les nouveaux services pouvant être offerts au public, le ministère de la Défense profite de la cérémonie organisée à l’Élysée le 7 novembre 2013 à l’occasion du lancement du cycle commémoratif de la Grande Guerre pour présenter une refonte graphique, technique et fonctionnelle complète82 de son site Mémoire des hommes.

L’innovation majeure de cette refonte, destinée à répondre aux nouveaux usages du web, est la mise en place d’un module d’indexation collaborative. Déjà proposé sur plusieurs autres sites de services d’archives, ce dispositif permet aux internautes d’annoter les documents numérisés en indexant des informations contenus dans ces derniers. Dans un contexte budgétaire difficile, l’indexation collaborative permet de réaliser un travail particulièrement coûteux tout en transformant les internautes de consommateurs en acteurs83. Le ministère de la Défense a retenu la base des soldats « Morts pour la France » de la Première Guerre mondiale pour ce dispositif. Les informations pouvant être indexées dans le module d’indexation collaborative sont celles qui ne l’avaient pas été en 2003, c’est-à-dire les neuf champs suivants : lieu de naissance, grade, unité, bureau, classe et matricule de recrutement, lieu et date de décès, lieu de transcription du décès. « Le module a été conçu dans un esprit de simplicité et de standardisation des données. L’internaute, identifié par son compte, indexe la fiche qu’il souhaite, sans obligation quant aux champs proposés, majoritairement à l’aide de listes d’autorités. Sa contribution est immédiatement exploitable par les internautes en recherche. Au fil de l’eau, le webmestre valide les indexations, les complète au besoin et clôture alors la fiche correspondante »84.

Le défi « 1 jour-1 poilu » lancé par Jean-Michel Gilot 85

À la fin de l’année 2013, alors que le module d’indexation collaborative vient d’être mis en place sur Mémoire des hommes, Jean-Michel Gilot lance le défi national « 1 jour-1 poilu » qui consiste à indexer toutes les fiches des « Morts pour la France » pour le 11 novembre 2018. Il part du principe que si 880 internautes annotent quotidiennement la fiche d’un poilu, la base des « Morts pour la France » de la Première Guerre mondiale sera indexée en totalité pour le 11 novembre 2018. Il invite également tous les internautes participants à signaler ses indexations sur les réseaux sociaux, en particulier Twitter, avec le mot-dièse #1J1P, afin de populariser le défi mais aussi de rendre un hommage particulier à chaque poilu. « Transcrire la fiche d’un soldat, ce n’est pas seulement transcrire mais aussi lui rendre hommage, explique Jean-Michel Gilot. C’est comme aller se recueillir sur une tombe. »86 Plusieurs médias locaux et nationaux ont rendu compte de cette opération qui a également reçu le label de la Mission du Centenaire.

82 . Voir Sandrine Aufray, « Le site Mémoire des hommes et ses évolutions : entre mémoire et histoire », La Gazette des archives, no 236, 2014-4, p. 71-83.

83 . Voir à ce propos l’enregistrement audiovisuel de la journée d’études intitulée « Consommateurs ou acteurs ? Les publics en ligne des archives et des bibliothèques patrimoniales » organisé conjointement par les Archives nationales et la Bibliothèque nationale de France à Pierrefitte-sur-Seine le 2 octobre 2015 (en ligne sur  : http://www.archivesdefrance.culture.gouv.fr/archives-publiques/chiffres-clefs-rapports-et-etudes/etudes-publiees/etudes-sur-les-publics/). L’objectif de cette journée, durant laquelle sont intervenus des archivistes, des bibliothécaires, des chercheurs, visait à mettre à jour les nouvelles pratiques des publics de ces institutions, pratiques qui ont considérablement évoluées avec l’émergence de la numérisation et d’internet.

84 . Voir S. Aufray, « Le site Mémoire des hommes et ses évolutions : entre mémoire et histoire », art. cit., p. 71-83.85 . https://www.1jour1poilu.com/86 . « 1 jour-1 poilu, un défi numérique au service de la mémoire », La Croix du 19 août 2016 (en ligne sur : http://www.la-croix.

com/France/1-jour-1-poilu-un-defi-numerique-au-service-de-la-memoire-2016-08-19-1200783267)

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Des défis ponctuels ont été organisés et relayés par les médias et la Mission, comme transcrire les fiches des morts des communes traversées par le Tour de France, « 303 poilus-303 jours de Verdun » durant la saison commémorative de la bataille ou y consacrer « 11 jours pour le 11 novembre ». Grâce aux réseaux sociaux, une véritable communauté virtuelle s’est rassemblée autour de Jean-Michel Gilot avec un noyau dur d’environ 250 internautes. Force est de constater que ce défi a démultiplié le nombre d’annotations.

Au 31 août 2016, 657 618 fiches ont été indexées, avec une croissance incroyable de la participation des internautes (57 545 fiches en 2013 – dont 47 700 antérieurement réalisées par le webmestre –, 62 043 en 2014, 248 659 en 2015 et 289 371 au 31 août 2016). À ce rythme, l’objectif du ministère de la Défense sera atteint et la base entièrement indexée avant le 11 novembre 2018.

L’enrichissement de l’indexation des fiches des soldats « Morts pour la France » répond aux demandes de plusieurs types d’internautes : les généalogistes bien entendu ; les chercheurs universitaires qui peuvent ainsi constituer des corpus selon les critères de leurs recherches ; les associations et les collectivités territoriales qui développent à l’occasion des commémorations de la Grande Guerre des entreprises mémorielles autours des soldats tués ou domiciliés dans une commune ou un département, morts sur tel champ de bataille, appartenant à telle unité. Cette indexation constituera un apport déterminant à de nombreuses recherches encore impossibles à mener, faute de chiffres fiables.

Enfin, le site Sépultures de guerre est intégré à Mémoire des hommes afin de permettre des recherches globales portant sur un nom de soldat en affichant comme résultats sa fiche « Mort pour la France » et le cas échéant son lieu d’inhumation. Cette base comprend aujourd’hui 660 000 noms et permet de connaître le lieu d’inhumation des personnes décédées au cours des conflits allant de la guerre de 1870-71 à nos jours, reposant dans les nécropoles nationales et les carrés militaires communaux entretenus par le ministère de la Défense.

Cette nouvelle version du site est l’occasion d’intégrer de nouveaux fonds, à commencer par les historiques régimentaires des unités engagées dans la Grande Guerre. Ces documents sont conservés par la BDIC, qui a commencé à les numériser dans les années 2000, la BnF, et par le Service historique de la Défense, qui en détient la collection la plus importante. Profitant du programme « Europeana Collections 1914-1918 », le ministère de la Défense et la BnF ont accéléré leur numérisation. Dans le cadre du partenariat entre ces institutions évoqué précédemment, il a été décidé d’une reconstitution virtuelle de la collection complète sur Mémoire des hommes (1 260 titres). Mais, si l’inventaire des historiques régimentaires se consulte sur Mémoire des hommes, au plus près des journaux des marches et opérations que ces publications complètent parfaitement, l’accès se fait sur Gallica ou L’Argonnaute (par le biais de liens hypertextes transparents pour l’internaute).

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Les historiques régimentaires sont des courtes monographies publiées après guerre, qui récapitulent le détail des opérations effectuées par chaque régiment. Sous l’impulsion des chefs de corps, des officiers en retraites, des officiers de réserve, des amicales d’anciens combattants, ces petits fascicules imprimés d’une vingtaine de pages en moyenne, ont pour but de commémorer les sacrifices consentis, de cultiver le sentiment patriotique des anciens et des recrues et de montrer la part prise par le régiment dans la guerre. En pièces jointes, on peut trouver l’ordre de bataille du régiment, les citations collectives ainsi que des citations individuelles exemplaires et la liste nominative des morts et disparus. Ces documents sont une bonne entrée en matière pour le chercheur débutant avant de consulter les journaux des marches et opérations.

En septembre 2015, grâce à un partenariat entre le ministère de la Défense et l’Institut français du Proche-Orient, les archives de la présence militaire française au Levant de 1916 à 1946 conservées au Service historique de la Défense ont été mises en ligne. En particulier au sein de ce fonds, les archives du détachement français de Palestine et de Syrie (1917-janvier 1919) et troupes françaises au Levant (janvier-novembre 1919) intéressent directement la Grande Guerre. Il s’agit d’un fonds organique reflétant l’activité de l’administration militaire. Deux modes de recherche sont proposés : une recherche dans l’arborescence de l’inventaire ou une recherche rapide à travers un formulaire multicritères.

Les archives de la présence militaire française au Levant

Conformément aux accords Sykes-Picot signés le 16 mai 1916 entre la France et la Grande-Bretagne, les troupes françaises se sont installées au Levant à partir de 1917. Ces accords, anticipant la fin de la guerre, déterminaient le partage et la répartition entre les deux puissances alliées des zones d’influence au Proche-Orient. Ils ont été entérinés par la conférence de San Remo et le traité de Sèvres en 1920 qui délivrent des mandats à la France en Syrie et au Liban. La typologie du fonds est riche et variée : correspondances, bulletins de renseignements, cartes et photographies, plans de défense, ordres de bataille, comptes rendus. Ces archives donnent un aperçu global de la situation géopolitique au Proche-Orient, qu’il s’agisse des relations franco-britanniques, des confrontations françaises avec les Turcs ou bien des rapports avec les troupes arabes pendant la Grande Guerre, mais aussi des révoltes auxquelles les troupes françaises ont fait face.

Enfin, le 11 novembre 2015, le ministère de la Défense ajoute à son corpus numérisé sur la Première Guerre mondiale l’œuvre monumentale Les Armées françaises dans la Grande Guerre in extenso, connu des passionnés de la Grande Guerre sous l’acronyme AFGG. Jusqu’à présent, la BnF offrait sur Gallica le texte des AFGG sans la totalité des précis et annexes, et sans les cartes. Dans le cadre de leur convention de partenariat, l’ensemble des volumes à l’exception de ceux des cartes, a fait l’objet d’une nouvelle numérisation par la BnF et les 948 cartes ont été numérisées par le ministère de la Défense. La totalité de la collection est présentée sous une forme structurée, avec un renvoi sur Gallica pour les précis et les annexes, et une consultation directe sur le site Mémoire des hommes pour les cartes et la table des matières générale particulièrement détaillée.

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Voulues par le gouvernement et l’état-major afin de rappeler les sacrifices et asseoir la place de la France dans le conflit, l’œuvre Les Armées françaises dans la Grande Guerre est traditionnellement présentée comme « l’histoire définitive de la Grande Guerre, établie d’après les journaux des marches et opérations des unités et la documentation la plus complète ». Elle est l’œuvre du Service historique de l’armée, créé spécialement en 1919 pour sa rédaction. Publiée de 1922 à 1939, cette collection monumentale se présente en 107 volumes, organisés en 11 tomes. Ces tomes sont eux-mêmes répartis en Précis, annexes et cartes. Les volumes d’annexes se composent de directives, instructions ou ordres aux divers échelons, correspondances échangées entre les commandements français et alliés ou entre les gouvernement et commandement français, comptes rendus d’exécution des ordres par les unités subordonnées, etc.

2. Les initiatives dispersées Les Archives diplomatiques du ministère des Affaires étrangères

et du Développement international

La direction des Archives diplomatiques se dote actuellement d’un portail de recherche et de valorisation des Archives diplomatiques dénommé ADEL (Archives diplomatiques en ligne) et n’a donc pas d’offre numérique, à l’exception de la base des traités et accords de la France87 qui ont été partiellement numérisés. Concernant la Grande Guerre, il est ainsi possible d’accéder aux traités de Versailles du 28 juin 1919 entre l’Allemagne et les alliés, de Saint-Germain en Laye du 10 septembre 1919 entre l’Autriche et les alliés, de Trianon du 4 juin 1920 entre la Hongrie et les alliés, de Sèvres le 10 août 1920entre l’ancien Empire ottoman et les alliés, de Lausanne le 24 juillet 1923 entre la Turquie et les alliés (révise celui de Sèvres).

Le Service des archives économiques et financières

En octobre 2015, le Service des archives économiques et financières du ministère de l’Économie et des Finances a mis en ligne une sélection de marchés de guerre88 (avec les entreprises Peugeot, Michelin, Meunier, Daisey).

Un marché de guerre, au sens de l’article 138 de la loi du 31 mai 1933, est un marché passé par l’État, les départements, les communes et les établissements publics entre le 1er août 1914 et le 25 octobre 1919, ainsi que ceux concernant la liquidation des stocks, la reconstruction des régions libérées et les opérations liquidatrices des séquestres d’Alsace et de Lorraine réalisées après la guerre. Ces fonds d’archives sont issus des dossiers examinés par le jury national des marchés de guerre. Ils apportent des éclairages inédits sur l’activité économique pendant la Première Guerre mondiale, tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle départementale. Sont concernés tous les marchés passés par les fournisseurs dont le montant global des commandes reçues dépasse les 500 000 francs.

87 . http://basedoc.diplomatie.gouv.fr/Traites/Accords_Traites.php88 . http://www.economie.gouv.fr/caef-marches-publics-14-18

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Les Archives nationales

Les Archives nationales conservent des fonds importants et particulièrement précieux sur la Première Guerre mondiale. L’ensemble des ressources disponibles (exposition, documents numérisés, fiches d’aide à la recherche et inventaires dématérialisés) est présentée sur une page éditorialisée89. Les archives numérisées et mises en ligne comprennent tout d’abord les livres d’or des « Morts pour la France ». Mis en ligne à l’été 2014, ces documents sont particulièrement appréciés des généalogistes qui peuvent comparer ces listes avec la base de données des « Morts pour la France » de Mémoire des hommes et les registres matricules militaires, mais aussi avec la base de données des monuments aux morts90 lancée sur un mode collaboratif par l’Institut de recherches historiques du Septentrion (IRHiS) de l’Université de Lille 3. Par ailleurs, bon nombre d’internautes participant au défi 1 jour-1 poilu partent du livre d’or de leur commune pour indexer les fiches des poilus « Morts pour la France ». Depuis septembre 2016, ces documents sont également accessibles par le biais d’une carte interactive.

Les livres d’or ont été réalisés à la suite de la loi du 25 octobre 1919 relative à la commémoration et à la glorification des « Morts pour la France » au cours de la Grande guerre, qui prévoyait 120 volumes imprimés en plusieurs exemplaires, dont un devait être déposé au Panthéon. Il s’agit de listes officielles des soldats tués durant le conflit, dressées par chaque commune de France. Leur originalité est qu’ils comportent la liste des soldats classés par ordre alphabétique des départements puis des localités. Ensuite, pour chaque commune, le Livre d’or donne le nom et le prénom de chaque personne, ainsi que la date et le lieu de son décès. Le lieu de sépulture n’est en revanche pas indiqué, pas plus que l’unité à laquelle le soldat est rattaché. En principe, les personnes mentionnées sont celles qui sont nées ou résidaient dans la commune au moment de la mobilisation, mais un flou a longtemps subsisté sur cette question ; c’est ce qui explique pour une part les divergences entre les listes communales des « Morts pour la France » et les noms portés sur les monuments aux morts. Ces listes communales ont été établies pour la quasi-totalité des communes de la France métropolitaine, de l’Algérie, du Maroc et du Sénégal, des consulats de La Paz et de Bahia, Porto Alegre et Rio de Janeiro, ainsi que pour les soldats décédés en Bulgarie. Alsace et Moselle, territoires allemands en 1914-1918, n’y figurent pas, ni les marins « Morts pour la France ».

Ont également été mis en ligne en mai 2016 les rapports des préfets91 et des commissaires spéciaux au ministère de l’Intérieur pendant la Première Guerre mondiale (juillet 1914-mars 1919). Même si cet ensemble disparate n’est probablement qu’un reliquat de la production parvenue à la direction de la Sûreté générale, cette collection s’avère précieuse pour appréhender la vie quotidienne des Français pendant le conflit.

Il s’agit de rapports divers émanant principalement des préfets ou des commissaires spéciaux rédigés à partir de la mobilisation générale, le 2 août 1914. Ces rapports décrivent l’application de l’ordre de mobilisation dans les départements, l’organisation de l’administration civile en temps de guerre ainsi qu’un certain nombre de mesures d’ordre public (restrictions de la circulation routière, interdiction de vente de l’absinthe, etc.). Le contenu des rapports est évidemment très variable selon qu’ils émanent de départements près de front ou situés à l’arrière, mais, de façon générale, ils témoignent de l’évolution de l’état d’esprit de la population, de la circulation des rumeurs ou de la crainte des autorités autour de l’espionnage.

89 . http://www.archives-nationales.culture.gouv.fr/guerre-de-1914-1918-ressources-choisies90 . http://monumentsmorts.univ-lille3.fr/91 . Voir Grégory Zeigin, « Les rapports des préfets », dans Ph. Nivet, C. Coutant-Daydé et M. Stoll (sous la dir.), Archives de la

Grande Guerre, op. cit., p. 265.

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Enfin, le fonds Félix Trépont est disponible en ligne. Félix Trépont (1863-1949), préfet du Nord, est pris en otage avec l’évêque, le maire et le recteur, dès l’entrée des Allemands à Lille, le 13 octobre 1914. Incarcéré le 18 février 1915 à la Citadelle, pour reproduction et diffusion d’articles de journaux français, il est déporté en Allemagne avec d’autres otages lillois. Rapatrié en janvier 1916, il retrouve ses fonctions en résidence à Dunkerque. Affecté par l’accusation portée contre lui de s’être montré hostile à la défense de Lille en 1914, il rédige ses Mémoires, avec pièces justificatives à l’appui.

Par ailleurs, il convient de ne pas oublier des typologies de documents déjà numérisés qui apportent des informations essentielles, à commencer par la base Léonore92, qui donne accès aux dossiers nominatifs des personnes nommées ou promues dans l’Ordre de la Légion d’honneur depuis 1802 et décédées avant 1977.

Les directions d’Archives départementales

L’offre des services d’Archives départementales est d’une grande diversité et d’une extrême richesse. L’opération principale, qui concerne quasiment tous les départements, est la numérisation des registres matricules militaires. Débutée au début des années 2010 pour les projets les plus précoces, la numérisation est devenue une commande du Président de la République depuis le 7 novembre 2013. Elle est abordée plus loin dans le chapitre consacré aux commandes présidentielles.

En plus des registres matricules militaires et des fonds iconographiques, les directions d’Archives départementales se sont engagées dans la numérisation de fonds divers qui touchent tous les aspects de la vie départementale durant la Grande Guerre. Bien souvent, elles ont créé des pages éditorialisées sur leur site qui permet de prendre connaissance de la totalité des ressources numériques disponibles. La liste exhaustive des réalisations est impossible à dresser. Le SIAF propose sur son site une page présentant une sélection de départements acteurs du Centenaire avec un lien vers les pages éditorialisées. Quelques exemples de documents originaux sont présentés ici.

L’Ardèche a numérisé les cartes de combattants des soldats (qui comportent des photographies) rentrés dans leurs foyers et qui avaient effectué au moins un renouvellement entre 1926 et leur décès, ainsi que des cartes fournies par les familles (l’indexation a été réalisée par la Société des amateurs de généalogie de l’Ardèche) ; des correspondances de poilus ainsi que des témoignages de poilus sur la bataille de Verdun accompagnés du lien direct avec la fiche matricule. La Creuse a numérisé des écrits des élèves du lycée de Guéret en 1917 et 1918. L’Eure-et-Loir propose en ligne une collection de cartes postales patriotiques et la presse locale. La Haute-Marne a mis en ligne les rapports des instituteurs et institutrices de la Mobilisation à la fin de la guerre, rédigés en exécution de la circulaire du ministre de l’Instruction publique en date du 18 septembre 1914. Ces notices, qui concernent 250 communes, relatent la vie quotidienne à l’arrière, le passage de réfugiés, la proximité des combats dans le nord du département, la solidarité des

92 . http://www.culture.gouv.fr/documentation/leonore/pres.htm

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populations, ou encore la présence de l’armée américaine. La Meurthe-et-Moselle conserve une collection de témoignages d’écoliers lorrains réfugiés dans les Alpes-Maritimes dont elle a mis deux récits en ligne. Le Pas-de-Calais a numérisé plusieurs titres de presse locale paraissant en zone occupée et soumis à la censure, dont Ons Vaderland, un journal flamand destiné aux soldats et aux réfugiés belges, paraissant en France. La Vendée propose des plans et croquis des monuments aux morts du département, ainsi que les bulletins paroissiaux.

Les Archives départementales des Alpes-Maritimes ont entrepris la numérisation et l’indexation des registres des hôpitaux de l’intérieur et des hôpitaux temporaires de leur département, conservés par le Service des archives médicales hospitalières des armées (SAMHA) de Limoges. Ces registres concernent les mouvements (entrées et sorties des hôpitaux) de la population hospitalière. La mise en ligne ne pourra se faire qu’après un accord de la CNIL en raison de la sensibilité des informations contenues dans ces documents.

Plusieurs directions d’Archives départementales ont également conçu des contenus éditoriaux en ligne comportant des florilèges plus ou moins importants de documents numérisés comme le Pas-de-Calais avec Chroniques de la Grande Guerre, le Val-d’Oise avec Vivre entre le Front et Paris : la Grande Guerre dans l’actuel Val-d’Oise ou le Puy-de-Dôme qui présente également des expositions virtuelles de documents. L’Eure-et-Loir propose pour sa part de suivre le conflit mois après mois avec une sélection de quatre à dix documents pour chaque mois. Les Yvelines proposent un jeu sérieux en ligne intitulé Gueule d’Ange93 destiné à s’initier à la recherche historique en ligne et à l’analyse de ressources historiques numériques.

Quelques Archives départementales ont mis en ligne des sites dédiés à la Première Guerre mondiale présentant de nombreux contenus éditoriaux agrémentés de documents numérisés, ainsi qu’un formulaire de recherche dans les fonds numérisés. C’est le cas du Loiret avec Loiret 14-1894, du Maine-et-Loire avec La Grande Guerre en Anjou95 ou des Vosges avec Vosges 14-1896.

Certains départements ont aussi développé de véritables applications consacrées à la Grande Guerre. Par exemple l’Hérault présente une application de géo-référencement des lieux de mémoire du département intitulée Hérault de guerre97 comportant informations historiques et documents numérisés, ainsi que des dossiers thématiques.

Pour finir, il convient de ne pas oublier des séries documentaires qui concernent les Français qui ont vécu la Grande Guerre comme les listes électorales de 1905 et 1910 ou les listes nominatives de recensement de population (elles donnent des informations sur la famille : nom, date de naissance, profession et l’organisation du foyer) de 1906 et 1911.93 . http://gueuledange.yvelines.fr/ Autour d’un scénario aux personnages fictifs, le jeu reproduit des situations de recherche,

des problématiques et des documents semblables à la réalité. Alternant phases scénaristiques et phases de jeu, Gueule d’Ange permet au joueur de s’immerger au cœur de cette période et d’en découvrir les sources historiques locales. Les facs-similés de documents ont été réalisés à partir de documents conservés par les Archives départementales des Yvelines et le ministère de la Défense et à partir de documents d’archives privées, rassemblés et numérisés lors des opérations nationales de Grande Collecte 2013 et 2014.

94 . http://www.loiret14-18.fr/95 . http://www.grande-guerre-anjou.fr/96 . http://www.vosges1914-1918.fr/97 . http://grandeguerre.herault.fr/#/accueil

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Les services d’archives municipales

La mise en ligne sur les sites des services d’archives municipales est bien moins importante. Cependant, il convient de remarquer le site conçu par la ville d’Ivry intitulé Mémorial d’Ivry qui recense la liste des Ivryens morts au front98. La rubrique Parcours d’Ivryens contient des documents issus des archives municipales d’Ivry-sur-Seine. Les archives municipales de Lyon proposent en ligne une offre importante : registres des convois funéraires, délibérations municipales, les bilans annuels de la ville, des carnets de guerre, des affiches, le plus ancien journal syndical du personnel de la Ville de Lyon L’Écho des travailleurs municipaux, fondé par la CGT. Par ailleurs, les actes de décès des soldats lyonnais « Morts pour la France » ont été indexés dans les registres d’état civil concernés (décès de 1914 à 1926) par la Société généalogique du Lyonnais et du Beaujolais. Le résultat s’affiche ainsi directement à l’acte concerné. À partir d’une interface soignée, le site des archives municipales d’Orléans propose les procès-verbaux du conseil municipal, les rapports de police au maire, des fonds d’archives privées très intéressantes pour la vie quotidienne à Orléans. Les archives municipales de Reims ont numérisé les registres de délibérations municipales, les registres des arrêtés municipaux, des correspondances de poilus, Le Monument à la gloire des infirmières françaises et alliées victimes de leur dévouement 1914-1918 (livre d’or comprenant notamment des listes d’infirmières par nationalité). À Saint-Denis, les archives municipales ont mis en ligne les tableaux de recensement communal par classe (qui précède le recrutement militaire) jusqu’en 1910, les fiches individuelles de renseignements de militaire décédé en activité de service des 4 121 Dionisyens, les registres de délibérations municipales, près de 10 000 lettres échangées entre le maire de Saint-Denis et ses administrés durant toute la durée de la guerre, une collection d’affiches, une collection de cartes postales envoyées par des poilus, et les carnets de notes de Claude Pupier, capitaine de réserve, officier interprète affecté à différents états-majors durant la guerre. Le site s’accompagne d’un blog intitulé Saint-Denis et la guerre de 1499 qui présente de nombreux documents accompagnés de commentaires historiques. Les archives municipales de Strasbourg ont mis en ligne les registres de recensement militaire (par l’armée allemande), une collection d’affiches allemandes datant de la période allemande et une collection d’affiches françaises datant essentiellement des années 1918-1920. Les archives municipales de Pantin ont mis en ligne les fiches individuelles de renseignements de militaire décédé en activité de service des Pantinois ainsi qu’une sélection de documents afin d’illustrer l’édition en ligne du journal d’Eugénie Lutz, une Pantinoise de 17 ans.

Les bibliothèques

De nombreuses bibliothèques ou médiathèques ont numérisé des collections relatives à la Grande Guerre et il est impossible d’en faire un inventaire complet. Il s’agit souvent de collections iconographiques : cartes postales et photographies. Mais il arrive également qu’il s’agisse de documents écrits. Ainsi la bibliothèque municipale d’Abbeville propose en ligne deux recueils d’éphémérides réalisés par Paul Tillette de Mautort qui retracent pour le premier la vie à Abbeville lors de la présence des troupes britanniques dans la cité, pour le second les événements survenus le même jour à différentes époques (jusqu’en 1929, avec de nombreux

98 . www.memorial.ivry94.fr99 . http://archives1418.ville-saint-denis.fr/

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passages consacrés à la Grande Guerre) ; la médiathèque d’Épernay offre une collection d’affiches ; la bibliothèque municipale de Lille a numérisé de nombreux titres de presse locaux alors que la région était occupée par les Allemands : Bulletin des réfugiés du Département du Nord (1914-1919), Le Cri du Nord et des régions libérées (1919), La Croix du Nord (1914-1918), La Dépêche (1914-1918), L’Écho de Maubeuge (1914-1916), L’Écho du camps de Rennbahn (1917-1918), L’Écho du Nord (1914-1918), La Gazette des Ardennes illustrée (1915-1918), Liller Kriegszeitung mit der illustrierten Beilage: Kriegs-Flugblaetter (1914-1918), Nos prisonniers (1915), Le Nouvelliste (1914), Le Petit Avesnois (1918), Le Progrès du Nord (1914-1918), Le Réveil du Nord (1914-1918), Le Télégramme du Nord (1919) ; la bibliothèque de Roubaix propose en ligne 972 affiches, des correspondances et des mémoires ; la bibliothèque municipale de Dijon a mis en ligne 18 carnets de prisonniers allemands (fonds Jules Legras), le journal du lieutenant-colonel Guillaume Cullard (1914-1919), une sélection de menus datant de la Grande Guerre ; la bibliothèque municipale de Lyon a numérisé des documents de sa superbe collection de la Première Guerre mondiale ; la bibliothèque-discothèque de Verdun a mis en ligne une collection de plus de 351 affiches ainsi que les fonds Paul-Eugène Martin (chef d’une compagnie de pompiers à Verdun) et Rudolf Ingber (photographe allemand) ; la bibliothèque universitaire (droits et lettres) de Grenoble propose des notices nécrologiques de soldats grenoblois et des ouvrages relatant des inaugurations de monuments commémoratifs ; la bibliothèque de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image a numérisé et mis en ligne des titres de presse (L’Épatant, La Baïonnette, Les Trois couleurs) et des albums tels que Linette et son poilu ou La Guerre en images, L’histoire de la guerre, Récits de combats et épisodes héroïques ; etc.

Il existe par ailleurs de nombreuses collections qui ont été numérisées sans être mises en ligne. Ainsi, à la bibliothèque municipale de Reims, le célèbre fonds Henri Deneux (1874-1969), architecte en chef des Monuments historiques, qui fut chargé de la restauration de la cathédrale de Reims, après la Première Guerre mondiale, et qui a rassemblé une importante documentation iconographique sur le bâtiment ; à la médiathèque d’Épernay, des journaux de presse locale comme Le Vigneron champenois ; etc.

3. Les commandes du Président de la République Les archives relatives aux fusillés de la Grande Guerre

La cérémonie de lancement des commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale, le 7 novembre 2013, est l’occasion pour le Président de la République François Hollande d’évoquer la délicate question des fusillés de la Première Guerre mondiale. S’appuyant sur un rapport100 consacré à la mémoire des fusillés rédigé sous la présidence d’Antoine Prost, le Président de la République annonce :

100 . Quelle mémoire pour les fusillés de 1914-1918 ? Un point de vue historien, Rapport présenté à Monsieur le ministre délégué auprès du ministre de la Défense, chargé des Anciens combattants, par un groupe de travail animé par M. Antoine Prost, président du conseil scientifique de la Mission du Centenaire, 1er octobre 2013 (en ligne sur : http://www.centenaire.org/sites/default/files/references-files/rapport_8-11-2013.pdf).

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Aujourd’hui, à mon tour, je souhaite, au nom de la République, qu’aucun des Français qui participèrent à cette mêlée furieuse ne soit oublié. C’est pourquoi je demande au ministre de la Défense qu’une place soit accordée à l’histoire des fusillés au musée de l’Armée aux Invalides, dans ce lieu qui porte le récit de la guerre. De même, je souhaite que les dossiers

des conseils de guerre soient numérisés et disponibles.

Site de mise en ligne des fonds d’archives numérisées du ministère de la Défense, Mémoire des hommes est la réponse naturelle à cette commande de numérisation et de mise en ligne101 des archives de la justice militaire conservées au Service historique de la Défense. Cette opération, qui devait être achevée pour les cérémonies du 11 novembre 2014, a nécessité un travail d’envergure jamais réalisé auparavant, consistant au dépouillement exhaustif des fonds de la justice militaire pour la période concernée.

La base de données nominative constituée lors de cette opération permet de consulter intégralement les dossiers de procédure et les minutes de jugement, pour chaque individu – militaire ou civil, français ou étranger – fusillé par la justice militaire française au cours du conflit, pour quel que motif que ce soit, aussi bien au front qu’à l’arrière. Les 1 009 fusillés et exécutés sommaires recensés, relèvent donc aussi bien de cas de désobéissance militaire que d’affaires d’espionnage ou de droit commun. Du fait des lacunes causées par les aléas de l’histoire, qui ont pu être en partie compensées par le fichier des militaires morts de la Première Guerre mondiale, tous les fusillés connus ne sont pas documentés. Pour cette raison, le corpus est susceptible de s’enrichir.

À l’occasion de cette mise en ligne, le ministère de la Défense ajoute à la base des soldats « Morts pour la France » les 95 000 fiches des soldats n’ayant pas obtenu la mention, soit parce la demande n’a pas été instruite, soit parce qu’elle a été refusée par l’administration des Anciens combattants (dont les fusillés non réhabilités).

Les registres matricules militaires

Dans la vaste enquête menée par Joseph Zimet sur les initiatives émergeant dès 2010 en vue du cycle commémoratif du centenaire de la Grande Guerre, une opération lancée et menée conjointement par le ministère de la Culture et de la Communication (Archives de France) et les directions d’archives départementales retient particulièrement son attention, à tel point qu’il en fait une des trois « grandes initiatives » qui pourraient être portées par l’État dans le contexte de la préfiguration du centenaire de la Première Guerre mondiale : « La numérisation et la mise en ligne des registres matricules des huit millions de soldats mobilisés durant la Première Guerre mondiale. »102

Un nouveau grand chantier de numérisation d’archives de la Grande Guerre pourrait être conduit dans le contexte du Centenaire, afin de compléter et d’achever le travail de mise en ligne des archives de la Première Guerre mondiale. On recense aujourd’hui environ dix millions de fiches matriculaires conservées au sein de différents services d’archives, en particulier les archives départementales,

101 . Le ministère de la Défense a dû obtenir l’autorisation de la CNIL. Voir S. Aufray, « Le site Mémoire des hommes et ses évolutions : entre mémoire et histoire », art. cit., p. 71-83.

102 . J. Zimet, Commémorer la Grande Guerre (2014-2020), op. cit., p. 78.

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le Service historique de la défense et les Archives nationales d’Outre-mer. Les fiches matriculaires conservées au sein de ces dépôts d’archives sont celles des soldats de l’armée d’active, des mobilisés des classes 1886 à 1900, des engagés volontaires français et étrangers et enfin des populations de l’ex-Empire (Algérie, Maroc, Tunisie, Afrique subsaharienne).L’intérêt de ce chantier de numérisation repose sur le fait de proposer pour la première fois au grand public et aux familles la consultation des dossiers individuels de tous les combattants, y compris les vivants, et non pas seulement la fiche individuelle des seuls Morts pour la France.Avec la numérisation de l’intégralité des journaux de marche et d’opération en 2008, il achèverait, à l’orée du Centenaire, le grand chantier de numérisation des archives individuelles et collectives de la Grande Guerre.Un certain nombre de conseils généraux ont d’ores et déjà entrepris la numérisation et la mise en ligne sur Internet des registres matricules versés au sein de leurs services d’archives départementaux. S’il convient naturellement de s’en féliciter, il faut toutefois également évoquer le risque d’un paysage à deux vitesses pour ce qui concerne la numérisation de ces archives, et par ailleurs l’inconvénient de ne pas parvenir, dans l’hypothèse où chaque département engagerait ce travail de façon isolée, à un système global interopérable avec un portail unique comme voie d’entrée. Ce chantier, pour être mené à bien, a besoin par conséquent de l’appui résolu du Service interministériel des archives de France (SIAF) de la Direction générale des patrimoines du ministère de la Culture et de la Communication. Il doit être effectué en partenariat étroit avec les Conseils généraux et sans doute avec l’appui de l’Association des départements de France (ADF).

Les registres matricules militaires103 sont produits par l’administration militaire à l’occasion du recensement de tous les jeunes hommes l’année de leurs vingt ans. Ne sont enregistrés que les jeunes gens effectivement recrutés (déclarés aptes au service par le conseil de révision) ; les sous-officiers et officiers, dont la carrière militaire est gérée de façon distincte, ne figurent pas non plus aux registres. Les recrutés entrent alors dans une « classe » (soit l’année où ils ont atteint 20 ans : un garçon né en 1894 est de la classe 1914) et se voient attribuer un numéro de matricule. Ces registres apparaissent en 1859 mais sont conservés en séries continues à partir de 1867 au sein de la sous-série 1R des Archives départementales. Les registres sont tenus à jour par l’administration militaire jusqu’à la date de libération des obligations militaires de chaque personne. Chaque feuillet contient, outre le numéro matricule, l’état civil (nom, prénoms, voire surnoms ; date, lieu et département de naissance ; lieu de résidence au moment de l’enregistrement pour le service militaire ; domiciles successifs ; noms et lieu de résidence des parents) ; la description physique ; le degré d’instruction ; la profession (au moment de la conscription, puis lors des différentes actualisations de la fiche matricule) ; les antécédents judiciaires ; les affectations ; le résumé des services ; le détail des campagnes ; et, le cas échéant, la liste des blessures et citations ; la mairie où a été enregistré le décès. On estime entre 8 et 9 millions le nombre de soldats ayant combattu dans l’armée française.

Lorsque Joseph Zimet écrit son rapport, dix-sept départements, suivant l’incitation de l’appel à projets du ministère de la Culture, ont entrepris la numérisation des registres matricules, bénéficiant ainsi des aides financières de l’État. Se fondant sur les constats et les propositions du rapport du recteur MauriceQuénet, il évoque judicieusement les risques de ne pas parvenir à un système global interopérable et l’intérêt d’un portail unique comme voie d’entrée. Le sujet épineux mais impératif de l’indexation des noms des soldats n’est par contre pas évoqué.

103 . Voir Jean-François Moufflet, « Les registres de matricules militaires », dans Ph. Nivet, C. Coutant-Daydé et M. Stoll (sous la dir.), Archives de la Grande Guerre, op. cit., p. 55-56.

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Deux années plus tard, dans son grand discours inaugural du 7 novembre 2013, le Président de la République François Hollande retient cette proposition :

J’ai demandé au gouvernement de prolonger ce travail par la mise en ligne de l’ensemble des registres matriculaires des huit millions de soldats français de la Première Guerre mondiale. Un pont sera ainsi construit entre ces histoires personnelles et l’histoire nationale.104

Durant cette période de deux ans, plusieurs directions d’archives départementales ont inscrit en priorité les registres matricules dans leur programme de numérisation. Les Archives nationales d’outre-mer, qui conservent pour l’ancien empire colonial français les registres matricules des personnes disposant du statut de citoyen français au moment de leur recrutement ou celles ayant obtenu ultérieurement la citoyenneté française, en ont fait de même. À la date du discours du Président Hollande, vingt services proposent de consulter en ligne les registres matricules de la période de la Grande Guerre (seulement certains ont indexé plusieurs champs, permettant une recherche a minima nominative) et vingt-six autres les seules tables alphabétiques qui permettent uniquement de savoir si le soldat recherché figure ou non dans les registres matricules du bureau de recensement (dans ce cas, la suite de la recherche se déroule dans la salle de lecture des archives du département concerné). Fortes de la commande présidentielle, les Archives de France accélèrent à partir de cette date le mouvement de numérisation et se lancent dans la création d’un portail permettant d’interroger l’ensemble des bases départementales et nationales : le Grand Mémorial.

4. Le Grand Mémorial, projet phare du Centenaire Le lancement du Grand Mémorial par le Président de la République

le 11 novembre 2014

Si l’idée de disposer d’une base des soldats ayant participé à la Première Guerre mondiale, à l’instar de la base des soldats morts, est ancienne, il faut attendre le début du cycle commémoratif pour voir le projet se concrétiser. De l’avis unanime, ce projet demeure incontestablement une des initiatives les plus symboliques, si ce n’est la plus importante et la plus attendue de nos concitoyens. C’est donc le Président de la République François Hollande qui lance le Grand Mémorial à l’occasion des cérémonies du 11 novembre 2014 lors de trois prises de parole. Tout d’abord, lors d’une cérémonie à l’Élysée :

D’ici à peu près deux ans, toutes les familles françaises pourront retrouver la trace de leurs ancêtres mobilisés et découvrir comment ils ont traversé la guerre, quelles ont été les étapes, quels ont été les répits, quelles ont été les blessures, quels ont été les compliments qui leur ont été adressés, parfois les blâmes qui leur ont été aussi livrés, et puis cette reconnaissance à la

fin du travail accompli, du sacrifice effectué, mais aussi toutes les traces de douleur […] »105

104 . http://www.elysee.fr/declarations/article/allocution-pour-le-lancement-des-commemorations-du-centenaire-de-la-premiere-guerre-mondiale-4/

105 . http://www.elysee.fr/videos/discours-lors-de-la-remise-du-prix-national-quot-petits-artistes-de-la-memoire-quot-11nov/

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Puis dans un entretien accordé à La Voix du Nord :

J’ai voulu que soit mis sur internet le parcours de tous les soldats français de la Première guerre. Chaque famille pourra enrichir ces informations de ses souvenirs personnels. C’est la première fois que chacun aura ainsi la possibilité de retrouver des traces, parfois connues,

parfois inconnues, de leurs aînés.106

Enfin, il revient sur le Grand Mémorial dans son discours de fin d’après-midi à Notre-Dame de Lorette :

Les archives départementales ont été ouvertes. Huit millions de poilus figureront maintenant dans le Grand Mémorial que j’ai ouvert ce matin : la nouvelle technologie au service de la mémoire, Internet au service du meilleur. Il permettra de savoir qui étaient nos aïeux, ce

qu’ils ont fait dans la guerre.107

Le Grand Mémorial108, que l’on trouve sur le site du ministère de la Culture et de la Communication, est un moteur qui a vocation à interroger les bases conçues par la centaine de services d’archives départementales, les Archives nationales d’outre-mer et par le ministère des Affaires étrangères et du Développement international (Centre des archives diplomatiques de Nantes), à partir de la numérisation et de l’indexation des registres matricules militaires des classes 1887 à 1921, ainsi que la base des soldats « Morts pour la France » de Mémoire des hommes (le ministère de la Défense s’étant associé au projet dès son origine). Cette fonctionnalité de recherche nationale permet à tous ceux qui ne savent pas où résidaient leurs aïeux au moment de l’incorporation de les retrouver en une seule recherche. Les résultats ainsi obtenus renvoient directement sur les sites internet des services d’archives départementales et des Archives nationales d’outre-mer et sur Mémoire des hommes, où s’effectue la consultation des images. Grâce à cette recherche fédérée, le Grand Mémorial doit devenir à terme la base nationale des huit à neuf millions de soldats français ayant participé à la Grande Guerre.

Lors du lancement du Grand Mémorial, seize bases départementales déjà numérisées et indexées sont interrogeables (Ain, Alpes-de-Haute-Provence, Côtes-d’Armor, Haute-Marne, Pyrénées-Atlantiques, Hautes-Pyrénées, Mayenne, Saône-et-Loire, Sarthe, Seine-Maritime, Yvelines, Somme, Tarn, Var, Vaucluse, Vendée). Ont été retenus treize champs d’indexation : nom du soldat ; prénoms ; année de naissance ; commune de naissance ; département de naissance ; pays ou territoire de naissance (si autre que la métropole) ; profession ; degré d’instruction générale ; commune de résidence au moment de l’enregistrement ; département de résidence au moment de l’enregistrement ; bureau de recrutement ; classe ; cote du registre. Il est également possible d’interroger par base de données (département, Archives nationales d’outre-mer, Mémoire des hommes) et type de document (mort pour la France 14-18, mort 14-18, registres matricules), et pour la base de Mémoire des hommes par la commune, le département et le pays de décès, ainsi que la date du décès.

106 . http://www.elysee.fr/interviews/article/interview-du-president-de-la-republique-a-la-voix-du-nord-le-11-novembre-201/107 . http://www.elysee.fr/declarations/article/discours-a-l-occasion-de-l-inauguration-de-l-anneau-de-la-memoire/108 . http://www.culture.fr/Genealogie/Grand-Memorial

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La numérisation des registres matricules est aujourd’hui en voie d’achèvement

Le rythme de numérisation est naturellement disparate selon les directions d’archives départementales (beaucoup de services avaient d’abord fait le choix de la mise en ligne de l’état civil). La demande de numérisation des registres matricules arrive alors que les programmes de numérisation ont déjà débuté sur des marchés publics, que le personnel des directions d’archives départementales (peu nombreux la plupart du temps) est déjà engagé sur ces programmes, que celle-ci a un coût plus ou moins important selon les départements (alors que les budgets des collectivités territoriales dédiées aux archives sont souvent en baisse). Comme on l’a vu précédemment, le SIAF, s’appuyant sur l’appel à projet national et annuel, a mis en place un système incitatif financier pour aider les départements qui s’engagent dans le choix de la numérisation des registres matricules. L’effort et l’investissement engagés par les départements ces quatre dernières années méritent d’être particulièrement soulignés. À la date de remise de ce rapport, seuls les départements du Jura, du Lot-et-Garonne (les registres ont été numérisés et sont consultables en salle de lecture) et de Paris (la Ville a lancé un appel d’offres pour la numérisation et l’indexation de 900 000 matricules des années 1887 à 1921 en août 2016) n’ont pas encore mis en ligne leurs registres matricules109.

La question de l’indexation

Par ailleurs, les directions d’archives départementales n’ont pas toutes fait le choix de l’indexation (opération beaucoup plus coûteuse que la numérisation), loin de là, et les solutions techniques retenues pour celle-ci ne sont pas systématiquement interopérables. L’indexation peut se faire de trois manières différentes, parfois utilisées de manière complémentaire : en interne du service en mobilisant plusieurs agents sur un temps assez long ; par un prestataire dans le cadre d’un marché public ; de manière collaborative en sollicitant les bonnes volontés des internautes. Plusieurs départements reculent devant un recours à des prestations extérieures, d’autant que si le choix du SIAF de retenir treize champs à indexer est judicieux pour les internautes (ces champs permettent de répondre aux demandes actuelles émanant aussi bien des particuliers que des chercheurs universitaires), il est onéreux pour les départements conservant un nombre élevé de registres matricules. Il a donc été choisi au début de l’année 2016 de communiquer en direction des départements autour d’une indexation ramenée à cinq champs indispensables pour figurer dans le Grand Mémorial (nom, prénoms, date et lieu de naissance, URI).

Sur le modèle déjà développé par plusieurs directions d’Archives départementales pour l’état civil et par Mémoire des hommes pour sa base des « Morts pour la France », l’indexation collaborative apparait comme une solution avantageuse. Elle permet dans le contexte budgétaire contraint actuel de poursuivre l’indexation et donc l’accès à l’information, d’attirer des internautes vers les services d’archives et de leur donner un rôle dans la commémoration

109 . Les départements de Moselle, du Haut-Rhin et du Bas-Rhin ne disposent pas de tels documents. Les départements de la pe-tite et de la grande couronne parisienne (Essonne, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne, Val-d’Oise) qui n’ont été créés qu’en 1964 n’ont pas de registres matricules. Il faut chercher les informations dans les départements de Paris, de la Seine-et-Marne et des Yvelines, qui conservent les registres des anciens départements de la Seine et de la Seine-et-Oise. Les matricules des départements de la Réunion, de Mayotte et de la Guyane sont conservés par les Archives nationales d’outre-mer.

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du Centenaire. Cette indexation collaborative peut être le fruit du travail d’associations ou d’internautes isolés (se regroupant parfois en communautés virtuelles comme on l’a vu avec le défi 1 jour-1 poilu). La critique principale portée à ce dispositif est la fiabilité des informations saisies. Certaines associations s’organisent d’ailleurs entre transcripteurs et contrôleurs. L’usage montre cependant que ces craintes ne sont pas fondées. D’autant que le pouvoir d’autocorrection du collaboratif fonctionne également. Les départements ayant ouvert ce dispositif sont les Ardennes, la Charente, le Cher, l’Eure-et-Loir, la Haute-Loire, la Marne, le Puy-de-Dôme,la Seine-Maritime, la Vendée, les Yvelines et l’Yonne. Cette liste sera rapidement obsolète puisque plusieurs départements vont bientôt offrir cette possibilité aux internautes. L’indexation collaborative se fait soit directement sur les treize champs, soit en complément des quatre champs nécessaires déjà réalisés par les Archives départementales.

Aux Archives départementales de la Marne, la numérisation des registres matricules est réalisée en interne par tranche chronologique de cinq classes. Régulièrement, une nouvelle tranche est mise en ligne et ouverte à l’indexation collaborative. En août 2016, les classes 1902 à 1906 ont ainsi été offertes sur Internet. La participation à l’indexation collaborative se fait de manière bénévole et anonyme, sans création de compte préalable. Une fois les informations saisies et la fiche enregistrée, les données deviennent publiques (elles deviennent également la propriété du Conseil départemental de la Marne qui jouit à titre gracieux de tous les droits de publication, de diffusion et de reproduction). Les informations indexées sont visibles et consultables dès le lendemain. Les internautes sont invités à annoter librement les fiches qu’ils souhaitent en fonction de leurs centres d’intérêt et s’engagent pour ce faire à respecter les règles de saisie établies par les Archives départementales (qu’ils peuvent trouver sur le site). Les annotations saisies ne sont pas vérifiées systématiquement par un archiviste, « dans un esprit de confiance envers les annotateurs qui s’engagent à faire preuve de précision, d’intégrité et de respect de la vie privée ». Les internautes sont donc invités à signaler en ligne les erreurs qu’ils pourraient rencontrer. Au 12 août 2016, 34 000 fiches ont été indexées, dont toutes celles des classes 1887 à 1889.

Les Archives départementales de la Vendée« L’expérience des Noms de Vendée [base d’indexation nominative donnée en 2009 aux Archives de la Vendée comprenant 400 000 données « fournies par quelques dizaines de personnes, en dehors de tout cadre associatif et avec la ferme volonté d’éviter toute diffusion payante »] nous a permis d’oser entreprendre en 2015 l’indexation collaborative des registres matricules militaires de la guerre de 1914, une opération dont le coût peut être estimé, pour un département comme le nôtre, à au moins 100 000 €110, d’après les exemples donnés par le marché. Nous bénéficiions d’un atout : une base d’indexation des actes de naissance des classes d’âge concernées, offerte pour cette opération exclusivement par Généalogie.com, l’entreprise jouissant déjà d’une licence de réutilisation commerciale des images de l’état civil de la Vendée. Il fallait néanmoins l’augmenter de quelques informations propres aux 313 registres matricules concernés, qui portent sur une population de plus d’une centaine de milliers d’individus. Pour ce faire, neuf cents contributeurs occasionnels des Noms de Vendée ont été sollicités peu avant Pâques, chacun étant invité à prendre en charge au moins un registre et à rendre son travail dans les deux mois. Cent vingt d’entre eux ont répondu présents en l’espace de quatre jours, et tout a été exécuté dans le terme prévu. Désormais, une équipe plus restreinte achève de vérifier les discordances entre état civil et matricules, et de compléter les données relatives aux militaires absents de l’état civil. Outre la facilité et la rapidité de la mobilisation

110 .  Ce montant apparait surévalué par le SIAF qui estime que l’indexation de 100 000 matricules revient, en fonction des prestataires, entre 20 000 et 40 000 euros.

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de collaborateurs pour cette opération, c’est la motivation exprimée par un certain nombre qui donne à penser : beaucoup évoquent tout simplement de la reconnaissance pour le travail déjà accompli aux Archives et pour l’usage qu’ils font de leur site internet depuis une douzaine d’années. Motivation fondée sur de la reconnaissance, mais sans doute aussi sur la dynamique d’un élan collectif. »111 Thierry Heckmann, directeur des Archives départementales de la Vendée

État des lieux à l’automne 2016

Les étapes sont donc nombreuses, complexes et coûteuses financièrement et humainement pour les directions d’Archives départementales avant que les bases de leurs registres matricules soient accessibles sur le Grand Mémorial. Cette situation donne lieu à une multitude de cas d’espèces que le SIAF traite en lien avec les départements. Au début de l’année 2016, le ministère de la Culture et de la Communication a souhaité que la Mission du centenaire de la Première Guerre mondiale l’accompagne et le soutienne dans cette démarche. Un budget spécifique de soutien aux opérations d’indexation a été mis en place à la Mission. Une fois encore, le remarquable investissement de la quasi-totalité des départements dans le projet national du Grand Mémorial est à souligner. Celui des bénévoles, réunis en associations ou non, participant aux opérations d’indexation l’est tout autant. À la date de rédaction de ce texte, les registres matricules des classes 1887 à 1921 de 38 départements ont été indexés totalement ou en partie et sont accessibles sur le Grand Mémorial.

Le Grand Mémorial s’enrichit donc régulièrement depuis son inauguration en novembre 2014 avec la participation de nouveaux départements mais aussi l’ajout de lots de fiches matriculaires indexées par les départements participant déjà au programme. En novembre 2015, 560 000 fiches ont été ajoutées avec les bases des directions d’archives départementales de l’Ardèche, de l’Ariège, de la Dordogne et de la Haute-Saône, ainsi que des compléments des Pyrénées-Atlantiques, du Var et des Yvelines. Les Archives nationales d’outre-mer offrent à la consultation des données concernant 206 617 soldats de statut français issus de l’ancien Empire colonial. Les ajouts se sont poursuivis depuis : 217 000 fiches de Dordogne, Saône-et-Loire et Vendée, 300 000 fiches du Cantal, de la Corse-du-Sud, l’Oise, la Somme, le Tarn et l’Yonne, 387 700 fiches des Bouches-du-Rhône, du Cher, de la Seine-Maritime et du Tarn-et-Garonne. Avec ces nouvelles entrées, le Grand Mémorial fournit en septembre 2016 un accès à plus de 2,9 millions de fiches individuelles (sans oublier les 1,4 million de fiches des « Morts pour la France »).

111 .  Thierry Heckmann, «  Des contributions collaboratives de toute nature  : une source d’ouverture et de dynamisme aux Archives ? La pratique de la Vendée », Journée d’études du 2 octobre 2015 organisée par les Archives de France et la Biblio-thèque nationale de France intitulée « Consommateurs ou acteurs ? Les publics en ligne des archives et des bibliothèques patrimoniales » (en ligne sur : http://www.archivesdefrance.culture.gouv.fr/static/8890).

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Les registres matricules conservés aux Archives nationales d’outre-merCes registres concernent uniquement les personnes de l’ancien empire colonial français disposant du statut de citoyen français au moment de leur recrutement ou celles ayant obtenu ultérieurement la citoyenneté française. Les Archives départementales de la Réunion conservent également des registres de recrutement aux Comores et à Madagascar. Les registres concernant les recrues ne disposant pas du statut de citoyen français sont conservés par le Service historique de la Défense.

Les registres de recrutement des citoyens français au Maroc et en Tunisie sont conservés par le Centre des archives diplomatiques de Nantes. Les registres de recrutement des citoyens français en Indochine après 1909 sont conservés par les Archives de Paris.

On estime à 300 000 le nombre de fiches matricules. Sont en ligne :- Algérie (1866-1921)- Afrique occidentale française (1893-1917)- Madagascar (1889-1918). Certains registres postérieurs sont conservés aux Archives de Paris- Comores (1903-1918)- Inde et Indochine (1897-1909)- Nouvelle-Calédonie (1907-1918)- Polynésie (1894-1919) - La Réunion (1884-1917)- Saint-Pierre-et-Miquelon (1901-1921). Les registres postérieurs sont conservés aux Archives de Paris- Guyane (1890-1914)

Les registres de recrutement des citoyens français au Maroc et en Tunisie conservés par le ministère des Affaires étrangères et du Développement international (Centre des archives diplomatiques de Nantes) ont été numérisés puis indexés par des vacataires. Ils sont actuellement en cours d’intégration sur le Grand Mémorial.

Les Archives de France estiment qu’à la fin de l’année 2016, 45 départements auront indexé totalement ou en partie les classes 1887 à 1921 ; qu’à la fin de l’année 2017, 78 départements auront indexé totalement ou en partie ces classes ; et qu’à la fin de l’année 2018, 89 départements auront indexé totalement ou en partie ces classes. Moins d’une dizaine de départements ne se sont pas engagés dans l’indexation, pour des raisons diverses mais souvent budgétaires. Malgré les efforts consentis par les départements dans ce projet et l’énergie déployée par le SIAF, il est fort probable que le travail d’indexation ne sera pas achevé d’ici la fin du cycle commémoratif du centenaire de la Grande Guerre.

Entretien avec Laurent Valdiguié, rédacteur en chef du Journal du Dimanche, auteur avec Caroline Fontaine de « Mon grand-père était un poilu ». Dix politiques livrent leurs secrets de famille, Paris, Tallandier, 2016.

« Le site Mémoire des hommes est une immense réussite parce qu’il permet d’avoir accès immédiatement au document, avec un minimum d’informations. La plupart des gens n’ont en effet pas d’autres éléments que le nom et le prénom du poilu qu’ils recherchent, comme nous avons pu le constater avec Caroline Fontaine pour les personnalités politiques que nous avons interrogées. La découverte de la fiche de « Mort pour la France » est toujours une immense émotion, même si elle ne contient finalement que peu d’informations. L’autre force de ce site est qu’avec cette fiche, il devient possible d’avoir ensuite accès au journal des marches et opérations et donc de découvrir les moments vécus par son ancêtre. Cette lecture de la fiche et du journal crée un rapport direct et intime avec la guerre.

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Il est absolument indispensable de mettre en ligne le même dispositif avec les vivants. C’est LE grand projet du Centenaire. Celui qui doit créer un lien direct entre les Français et la guerre et l’Histoire. Il faut impérativement terminer le Grand Mémorial et le faire connaître aux Français.

Il est vraiment regrettable qu’autant de documents aient été numérisés et que les Français ne le sachent pas, qu’ils n’y aient pas un accès simplifié. Il ne faut pas croire que les gens savent tout ce qui existe, les différents sites, les complexités de la recherche en ligne ou en salle de lecture. Encore une fois, c’est ce qui explique le succès de Mémoire des hommes : il suffit juste de taper un nom. »

5. L’apparition des archives privées : Europeana 1914-1918 et la Grande Collecte

Un projet d’origine européenne

En 2008, l’université d’Oxford a initié le projet « The Great War Archive »112 qui consistait à demander aux familles britanniques de rassembler les lettres, photos et souvenirs de famille liés à la Grande Guerre afin de les numériser. Cette initiative a remporté un franc succès, amenant Europeana à lancer en 2011 un programme européen de collecte et de numérisation auprès du public. Tout d’abord, un site dédié a été créé : Europeana 1914-1918113 (à ne pas confondre avec le programme « Europeana Collections 1914-1918 »). Les contributions pouvaient prendre deux formes : chacun pouvait fournir une photographie d’objet ou de document via le site Europeana 1914-1918 (les administrateurs du site procédant ensuite à la validation) ; à l’occasion de journées de collecte, le « Collection Day », organisées dans des bibliothèques, des musées ou des services d’archives, chacun pouvait apporter des objets ou documents, numérisés sur place pour être mis ensuite en ligne. Ces événements ont été régulièrement organisés dans toute l’Europe. Ainsi, lettres, journaux, mémoires, cartes postales, photographies, objets divers provenant d’Allemagne, du Luxembourg, d’Irlande, de Slovénie, du Royaume-Uni, etc., ont été rapidement mises à disposition sur Europeana 1914-1918. Sur un plan juridique, Europeana souhaite rendre les contenus et toutes les métadonnées associées disponibles à la réutilisation avec un minimum de restrictions. Les contributeurs sont invités à signer une licence Creative Commons Attribution ShareAlike, par laquelle ils accordent irrévocablement à des tiers le droit d’utiliser librement ces contenus (la seule obligation étant d’attribuer le document ou l’objet à l’auteur).

112 . http://www.oucs.ox.ac.uk/ww1lit/gwa/113 . http://www.europeana1914-1918.fr/fr

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La Grande Collecte 2013

Dès la fin de l’année 2011, la BnF envisage d’organiser une collecte en France en 2012 ou 2013. Plusieurs villes se lancent seules dans l’opération dès le début de l’année 2013, comme Saint-Malo, Pontoise, Brignoles, Béthune, etc.114 C’est finalement à l’initiative de la BnF et du SIAF, avec l’appui de la Mission du centenaire de la Première Guerre mondiale, que se tient non pas une ou deux journées de collecte sur un seul site comme c’était l’habitude jusque-là, mais durant une semaine du 9 au 16 novembre 2013 sur plus d’une centaine de sites (bibliothèques, services archives départementales et communales, quelques musées, mais aussi des salles municipales, salles de classe, locaux d’associations, etc.) Dans son discours inaugural du cycle commémoratif de la Première Guerre mondiale le 7 novembre 2013, le Président de la République François Hollande invite tous les Français à participer à cet événement qui doit leur faire prendre conscience de la richesse des documents familiaux qu’ils conservent et les faire participer à la sauvegarde du patrimoine commun, tout en les faisant entrer dans les commémoration du Centenaire :

Nous devons aussi tout faire pour conserver les traces des récits individuels dont nous disposons à travers des lettres, des photographies, des messages qui ont pu être laissés. Les bibliothèques et archives de France lanceront dans deux jours une vaste collecte des documents privés. J’invite tous les Français à y contribuer, en versant au patrimoine commun les témoignages dont ils disposent. C’est notre histoire, c’est notre mémoire, c’est notre

richesse et nous devons la connaître.

La « Grande Collecte », faisant écho à « La Grande Guerre », bénéficie d’une couverture médiatique de très grande ampleur contribuant à son indéniable succès (France Télévisions réalisant même un clip d’annonce sur les chaînes du groupe). Le bilan national diffusé par le SIAF indique que 15 000 personnes se sont rendues dans un des 120 points de collecte et ont procédé à 720 dons. À cette occasion, 250 000 pages ont été numérisées (à ce chiffre, il convient d’ajouter les documents collectés qui n’ont pas vocation à être numérisés mais communiqués sous forme d’originaux dans les salles de lecture des services d’archives). Malgré des temps d’attente assez longs dans les plus grands établissements (parfois jusqu’à 5 heures) qui ont provoqué des horaires d’ouverture très étendus (la BnF a fermé ses portes à plus de 23h), aucune plainte n’a été relevée115. Selon le point de collecte, les pratiques n’étaient pas les mêmes : échantillonnage des documents, numérisation immédiate ou différée, dons ou dépôts des documents (dans les services d’archives essentiellement) ou restitution des documents après numérisation, indexation plus ou moins fine des documents, etc.116 A posteriori, un écart technique s’est également révélé entre les normes de description et d’indexation appliquées par les archivistes et celles d’Europeana 1914-1918. De nombreux services d’archives n’ont donc pas transféré les données collectées à Europeana et les ont mises en ligne sur leurs sites.

114 .  Voir l’article de Guillaume de Morant sur le site de la Revue française de généalogie, « 1914-1918 : les archives appellent à participer dans toute la France » (en ligne sur : http://www.rfgenealogie.com/s-informer/infos/1914-18/1914-1918-les-archives-appellent-a-participer).

115 .  Voir à ce sujet, l’intéressant témoignage de Véronique Tison, « Grande Collecte, grande attente », sur le site de la Revue fran-çaise de généalogie (en ligne sur : http://www.rfgenealogie.com/s-informer/infos/1914-18/grande-collecte-grande-attente).

116 .  Les questions de l’échantillonnage et de l’indexation sont soulevées lors de la séance du 12 mai 2014 du Conseil scientifique de la Mission du centenaire de la Première Guerre mondiale.

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Par ailleurs, le lieu de conservation des documents n’est pas toujours indiqué sur Europeana 1914-1918, ce qui ne facilite en aucun cas les recherches. Cependant, « 4 000 «histoires» françaises ont été enregistrées sur Europeana et 13 000 pièces environ, chaque histoire étant illustrée par un nombre variable d’images, de quelques-unes à plusieurs dizaines. »117

La Grande Collecte à la BDIC118

La BDIC a ouvert ses portes une seule journée afin d’accueillir les personnes souhaitant participer à la Grande Collecte. 57 personnes sont venues seules ou avec des proches pour faire numériser leurs archives familiales. Elles ont été accueillies par neuf bibliothécaires qui ont profité de ce moment privilégié pour faire découvrir la BDIC aux familles. Chaque contributeur a ensuite été convié à un entretien individuel destiné à décrire les documents dans leur contexte. Puis les contributeurs étaient invités à assister à la numérisation de leurs documents dans l’atelier de reproduction de la BDIC. Un CD-ROM contenant les images leur a été remis à la fin du parcours. Quelques documents volumineux ont été confiés temporairement à la BDIC pour être numérisés les jours suivants. Certains contributeurs ont fait don des documents à la BDIC, d’autres les ont gardés. Enfin, dernière étape, les fichiers numériques, soit 4 539 vues, ont été indexés et intégrés au site de la BDIC. Les documents collectés consistent en des correspondances, des carnets de route, des dessins, des cartes postales, des photographies, quelques documents administratifs comme les citations, etc.

La Grande Collecte aux Archives départementales du Val-de-Marne119

Plus de 90 personnes ont été accueillies par les Archives départementales du Val-de-Marne afin de déposer ou donner leurs souvenirs familiaux sur la Grande Guerre. Accueillis par des archivistes, qui ont profité de cet événement pour faire découvrir leur métier, leurs missions et les bâtiments, les contributeurs ont été reçus individuellement afin de recueillir l’histoire de leur aïeul. Une sélection était ensuite réalisée parmi les documents apportés, en fonction de leur intérêt historique, esthétique, patrimonial. Les documents et objets retenus ont été numérisés puis décrits. « Le traitement des documents numérisés dans le cadre de la Grande Collecte a conduit les archivistes à initier une réflexion sur la place à donner à ces sources : des archives privées prêtées et numérisées peuvent-elles être considérées comme un fonds d’archives au même titre que des documents donnés ou acquis ? La copie numérique peut-elle remplacer l’original demeurant dans des collections particulières et être étudiée de la même manière ? »

La Grande Collecte 2014

La réussite de l’opération, qui a été un grand succès populaire, et l’intérêt suscité par la Grande Guerre tel qu’il est apparu en 2014, avec notamment plus de 2 000 projets ayant reçu le label Centenaire sur l’ensemble du territoire français et à l’étranger, ont amené le SIAF, la BnF et la Mission du Centenaire à réitérer l’événement en 2014. La Grande Collecte 2014 s’est déroulée les 14 et 15 novembre 2014 avec un nombre de points significativement plus élevé (avec la participation de très nombreux services d’archives municipales) : 153. L’esprit de l’opération est également modifié : « il s’agit désormais avant tout d’expliquer aux particuliers comment

117 .  Entretien avec Emmanuel Pénicaut (Archives de France) dans la Revue française de généalogie, 9 avril 2015, « Premier bilan de la Grande Collecte » (en ligne sur : http://www.rfgenealogie.com/s-informer/infos/1914-18/premier-bilan-de-la-grande-collecte-de-la-grande-guerre).

118 .  Voir Aline Théret, « Un bilan de la Grande Collecte Europeana à la BDIC », Journal de la BDIC, janvier 2014, no 35, p. 3-4. Une page de la bibliothèque numérique de la BDIC revient sur l’opération (en ligne sur : http://argonnaute.u-paris10.fr/En-savoir-plus/p8/La-Grande-Collecte-a-la-BDIC).

119 .  Voir Estelle Guéville, « Les souvenirs des Val-de-Marnais collectés par les archives départementales », Culture et Recherche, no 131, printemps-été 2015, p. 42.

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préserver leurs documents »120. En effet, les archivistes et bibliothécaires qui ont accueilli les familles les ont renseignées sur la valeur historique des documents et leur ont conseillé de bonnes pratiques en matière de conservation. Seuls les documents les plus intéressants ont été numérisés. Une partie a cependant été collectée sous forme de don ou de dépôts. L’accueil a souvent été organisé différemment. De nombreux services d’archives ont accueilli les lecteurs les 14 et 15 novembre, ont examiné les archives et ont ensuite fixé des rendez-vous aux contributeurs. La charge de travail pour ces services a ainsi été étalée dans le temps. Cette deuxième opération a également été un succès avec près de 972 dons et 77 000 pages numérisées, même si le chiffre de contributeurs est moindre (environ 2 100)121. Conscients des limites122, en particulièr scientifiques, d’Europeana 1914-1918, la BnF a développé en collaboration avec le SIAF, un nouveau site dédié (sous technologie Gallica marque blanche) et intitulé simplement La Grande Collecte123, pour accueillir un florilège des documents numérisés à l’occasion de l’événement.

La mise en ligne sur les sites des directions d’Archives départementales

Nombreuses sont les directions d’Archives départementales à avoir mis en ligne les documents collectés à l’occasion non seulement des opérations ponctuelles de 2013 et 2014 mais aussi des actions récurrentes auprès de la population locale. Deux exemples originaux sont à remarquer. Le premier est le site Mémoires de guerres du Var124 conçu à l’occasion des commémorations du centenaire par les Archives départementales du Var en partenariat avec le musée des Arts et Traditions Populaires de Draguignan dans le but de mettre en ligne à la fois des archives publiques numérisées mais aussi l’ensemble des documents d’origine privée conservés, acquis ou numérisés par les Archives du Var dans le cadre de la Grande Collecte. On trouve également des objets du musée des Arts et Traditions populaires. Le second vient des Pyrénées-Atlantiques qui ont publié en ligne en 2014 sept portraits de poilus du département125. Chaque portrait consiste en une biographie écrite par les Archives départementales à partir des informations fournies par les familles et de toutes les archives disponibles, la numérisation de documents, et le témoignage oral d’un membre de la famille.

À signaler enfin l’initiative des directions d’Archives départementales de l’Indre-et-Loire, du Pas-de-Calais et de la Saône-et-Loire qui se sont associées sur Wikisource autour d’un projet de transcription collaborative de carnets de soldats126 numérisés à l’occasion de la Grande Collecte. Les internautes sont invités à transcrire ces carnets directement en ligne.

120 .  Bruno Galland, directeur des Archives départementales du Rhône, dans Le Monde du 14 novembre 2014 (en ligne sur : http://www.lemonde.fr/centenaire-14-18/article/2014/11/14/une-nouvelle-grande-collecte-des-archives-de-la-premiere-guerre-mondiale_4523994_3448834.html).

121 .  Entretien avec E. Pénicaut dans la Revue française de généalogie, 9 avril 2015, « Premier bilan de la Grande Collecte », art. cit.

122 .  Emmanuel Pénicaut (Archives de France), dans Le Monde du 14 novembre 2014 : « Ce site offre un bouquet de mémoires familiales européen très touchant, mais qui finalement n’est pas très utile aux historiens. Tout contributeur peut y mettre ce qu’il veut en y téléchargeant ses documents. Mais, du coup, la majeure partie d’entre eux ne sont pas indexés. Il n’y a ni date ni lieu. »

123 . http://www.lagrandecollecte.fr/124 . http://memoires-de-guerres.var.fr/125 . Voir Coline Winkler, « Pourquoi commémorer la Première Guerre mondiale ? : regard des Archives départementales des

Pyrénées-Atlantiques », La Gazette des archives, no 236, 2014-4, p. 227-238.126 . https://fr.wikisource.org/wiki/Wikisource:Carnets_de_guerre#Fichiers

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6. Le « web 14-18 » et ses nouveaux usagesÀ l’approche du centenaire de la Grande Guerre, les établissements patrimoniaux ont tous estimé nécessaire de mettre au point des programmes de numérisation et de mise en ligne de leurs collections. Ces fonds et collections spécifiques, désormais accessibles par le plus grand nombre, sont aujourd’hui au cœur de pratiques culturelles nouvelles et de tendances émergentes révélées par plusieurs études et colloques, dont les Rencontres du web 14-18127 organisées par la Mission du Centenaire les 10 et 11 avril 2015.

Web 2.0 et crowdsourcing

De manière générale, on assiste en effet ces dernières années à un profond bouleversement des modalités de consultation des archives et des livres. Ainsi, l’étude des publics menée par le SIAF montre que « Dans les archives départementales, on compte aujourd’hui 1 lecteur inscrit en salle pour 7 participants aux activités culturelles (scolaires compris) et 100 internautes (visiteurs uniques) ». Parmi les internautes consultant les sites Internet des services d’archives nationales, départementales et municipales, un quart déclare participer à l’enrichissement des contenus et 20% demandent le développement des services web, en particulier les possibilités de participation collaborative et de partage. Pour répondre à ce souhait, de nombreux sites d’archives ont développé ces dernières années des outils permettant aux internautes d’annoter ou de transcrire les documents numérisés. Ce phénomène est une des caractéristiques de ce que l’on nomme le « web 2.0 » ou « web collaboratif ». Reposant sur l’intelligence collective, le web est censé bénéficier d’une valeur ajoutée grâce aux internautes. C’est aussi ce que l’on appelle le crowdsourcing, traduit en français par « production participative ». Cela va d’une cogestion d’un blog ou d’une encyclopédie en ligne (Wikipédia) par les internautes à leur participation à un projet initié par un service public, comme c’est le cas pour le monde culturel.

La variété des lauréats des appels annuels à projet « Services numériques culturels innovants » du ministère de la Culture et de la Communication montre que tous les secteurs culturels sont désormais concernés par les entreprises participatives. Ces dispositifs permettent tout à la fois aux internautes d’être des créateurs de données numériques et des acteurs de l’enrichissement du patrimoine, et, le cas échéant, à l’administration de trouver une solution vertueuse aux contraintes budgétaires (c’est le cas pour les services d’archives qui souhaiteraient externaliser de vastes campagnes d’indexation fort coûteuses). Par exemple, on l’a vu précédemment, Mémoire des hommes verra sa base des 1,325 millions de soldats « Morts pour la France » intégralement indexée en moins de cinq ans par les internautes.

D’autres expériences intéressantes montrent que nos concitoyens sont curieux et friands de nouveaux modes d’utilisation et d’enrichissement des sources numérisées. Trois exemples peuvent utilement être présentés ici.

127 . Les enregistrements audiovisuels sont en ligne sur : http://centenaire.org/fr/autour-de-la-grande-guerre/web/les-rencontres-du-web-14-18-bilan.

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Trois formes d’appropriation des sources numérisées et d’enrichissement des données

À l’origine du projet Testaments de poilus se trouve la volonté en 2015 du Centre Jean-Mabillon de l’École nationale des chartes et des Archives nationales de s’associer pour réaliser une édition scientifique numérique de testaments de poilus repérés dans les séries de minutes produites par les notaires de Paris et conservées aux Archives nationales. L’édition est alors jugée nécessaire, à la fois comme outil scientifique (afin d’étudier les testaments, en tant qu’écrits du for privé, pour analyser le degré d’adhésion des soldats à la guerre et leur attitude face à une mort probable), et comme outil mémoriel pour tous les publics. Une première étape a été validée sur un échantillon de 134 testaments. Le projet a été rejoint en 2016 par les Archives départementales des Yvelines, deux laboratoires de l’Université de Cergy-Pontoise (AGORA et ETIS) et le master Archives de l’Université Paris 8. Il s’agit dans un premier temps de mettre en place une équipe de bénévoles chargés d’identifier environ 500 testaments128 (98 ont été identifiés aux Archives départementales des Yvelines par une équipe de volontaires à l’été 2016), de les numériser et de les mettre en ligne sur une plateforme collaborative de transcription. Un appel ouvert à contributions sera ensuite réalisée auprès des internautes pour la transcription. Le travail réalisé sera vérifié et validé avant sa mise en ligne. Ce projet sera donc l’aboutissement d’un travail associant des spécialistes et des membres bénévoles du grand public, en salle de lecture et en ligne. Les expériences de transcription collaborative réalisées à l’étranger montrent que les deux dimensions sont complémentaires. L’articulation d’opérations dans le monde réel et dans le monde virtuel permet de créer des communautés actives et aux personnes qui le souhaitent d’entrer directement en contact entre elles et avec l’équipe du projet.

Le site Générations 14. Mémoires intimes de la Grande Guerre129 est une coproduction Cinétévé et France 3 Nord-Est, avec la participation du Figaro, qui a été mis en ligne en juin 2014. Véritable plateforme documentaire participative, il propose de bâtir une mémoire collective à partir de mémoires intimes. Autour de dix thèmes illustrés par dix films qui suivent un personnage (par exemple, la guerre aérienne avec le pilote Pierre Hadengue, les soins aux blessés avec l’infirmière Gertrude Clark, ou encore la vie des prisonniers de guerre avec Hyppolite Rochereau), les internautes peuvent créer le profil de leurs ancêtres ayant vécu cette période (soldat ou non) et l’enrichir avec des documents publics que l’on peut « appeler » par un moteur de recherche (à commencer par Mémoire des hommes qui a passé un partenariat avec Générations 14) et d’archives personnelles qu’il est possible de télécharger en les contextualisant. L’ensemble est partageable sur les réseaux sociaux afin de prolonger l’hommage rendu à son ancêtre. Chaque participant contribue à la construction d’une mémoire collective en proposant ses archives familiales.

La Plateforme 14-18. Une famille dans la Grande Guerre130 a été réalisée avec le soutien du ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et du ministère de la Défense. Il s’agit d’un corpus privé constitué de 3 500 lettres et d’une centaine de photographies venant de la famille Résal (les grands-parents, les parents, les quatre fils,

128 . On estime à 5 000 le nombre de testaments de poilus conservés aux Archives nationales. 129 .  http://generations-14.fr Réalisé par Andrés Jarach et Kévin Accart, produit par Fabienne Servan-Schreiber et David Bi-

giaoui.130 . http://www.plateforme1418.com/

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les deux filles, les oncles et tantes) durant la Première Guerre mondiale. Ce corpus est complété par des ressources fournies par l’ECPAD (23 films), la BnF (150 images), la BDIC (100 images) et le Service historique de la Défense. Ce projet se veut résolument pédagogique et donc en direction des enseignants d’histoire-géographie du secondaire, mais également des élèves et étudiants131. La famille Résal traverse la guerre de manière extrêmement variée et illustre de nombreux destins : un fils tué à la fin de l’été 1914, une fille dans les services de santé, un oncle sur le front d’Orient, le père qui organise la vie à l’arrière, la mère devient marraine de guerre, etc. De nombreux textes de cadrage, enrichis régulièrement, permettent d’établir des liens entre histoire familiale et histoire nationale sous des aspects militaires, politiques, sociaux ou culturels. La navigation se fait par lieu, personnage, thématiques (en lien avec les programmes de l’enseignement). On constate une appropriation certaine de cette plateforme par les enseignants avec le développement de nombreux projets pédagogiques.

Mieux connaître ces nouveaux usages

Ces exemples illustrent la liberté dont disposent aujourd’hui les internautes pour utiliser les sources numérisées dans des contextes différents. C’est pourquoi l’un des nouveaux défis des services d’archives et des bibliothèques est de pouvoir évaluer les usages de leurs fonds numérisés en dehors de leurs interfaces de consultation. Dans le cadre du laboratoire d’excellence Les passés dans le présent132, la BnF, la BDIC et Télécom ParisTech ont initié un programme de recherche innovant intitulé « Le devenir en ligne du patrimoine numérisé, l’exemple de la Grande Guerre » (2013-2016). À travers l’exemple du premier conflit mondial, la recherche menée se consacre à la compréhension de la manière dont les sources documentaires numérisées circulent, sont enrichies, voire transformées par les internautes, à travers un réseau complexe de sites, blogs, forums, tant institutionnels qu’individuels. L’originalité de la démarche consiste à croiser l’analyse des « archives du web », collectées par la BnF dans le cadre du dépôt légal, et l’observation du web actuel. L’objectif de ce travail, dont les résultats ont déjà fait l’objet de plusieurs présentations133, est de fournir aux établissements patrimoniaux des orientations pratiques pour leurs politiques de numérisation et des méthodes d’évaluation de celles-ci.

131 .  Le projet est réalisé sous la responsabilité de Tristan Lecoq, Inspecteur général de l’Éducation nationale (groupe his-toire-géographie), Marie-Christine Bonneau-Darmagnac, professeure d’histoire et de géographie, et Pierrick Hervé, pro-fesseur de chaire supérieure d’Histoire en CPGE littéraires.

132 . http://passes-prsent.eu/133 .  Philippe Chevallier et Muriel Amar, Les usages des corpus numérisées de Gallica sur la Grande Guerre, 2014 (en ligne sur :

https://hal-bnf.archives-ouvertes.fr/hal-01056704). Lionel Maurel et Zeynep Pehlivan ont présenté les premiers résultats du projet lors de la journée d’étude « Consommateurs ou acteurs ? Les publics en ligne des archives et des bibliothèques pa-trimoniales » (en ligne sur : http://www.dailymotion.com/video/x3m038w_le-devenir-du-patrimoine-en-ligne-l-exemple-de-la-grande-guerre-par-lionel-maurel-bibliotheque-de-d_school).

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L’accès en ligne aux sources de la Grande Guerre a répondu à une très forte demande sociale, mémorielle et civique des Français, et est donc incontestablement un des succès du Centenaire. Il convient dans les deux années du cycle commémoratif restantes de parfaire cette offre déjà si riche et variée. Les propositions formulées dans ce rapport ont ainsi pour objectif de développer encore le paysage numérique de la Première Guerre mondiale en menant à terme le projet du Grand Mémorial, en achevant les campagnes de numérisation des documents les plus attendus par les Français, en amplifiant la dimension collaborative de l’offre numérique et en simplifiant l’accès aux ressources numérisées.

1. Lancer une dernière campagne nationale de numérisation et de mise en ligne

Les sources les plus importantes de la Première Guerre mondiale ont-elles toutes été numérisées ? Existe-t-il des sources que les Français souhaitent-voir mises en ligne ? Ce sont les questions auxquelles le ministère de la Culture et de la Communication devra répondre en lien avec les autres ministères et collectivités territoriales concernés, avant la fin du cycle commémoratif et dans les limites très restrictives imposées aujourd’hui par la CNIL.

La demande des Français dans leur ensemble se porte avant tout sur des sources individuelles ou sur des sources collectives qui éclairent les parcours individuels. Doit-on s’engager dans la numérisation des registres matricules des soldats coloniaux ne disposant pas du statut de citoyen français, des fichiers des décorations et citations décernées aux unités ou aux combattants français et étrangers de l’armée et de la gendarmerie au cours de la Première Guerre mondiale, les dossiers de pension, les dossiers des veuves et orphelins, etc ? Si les positions de la CNIL évoluent, ce sont les archives hospitalières militaires134 qui pourraient apporter aux Français les informations les plus importantes avec le fichier général des 1,3 million de blessés des formations sanitaires de l’avant, les contrôles nominatifs trimestriels par corps des malades traités dans les formations sanitaires, les registres d’entrées et de sorties des hôpitaux permanents et temporaires de l’avant et de l’intérieur, les registres d’observations médicales, des consultations, des opérations chirurgicales de ces mêmes hôpitaux, les archives des Commissions spéciales de convalescence et des Commissions spéciales de réforme, etc.

Entretien avec Guillaume de Morant, journaliste à la Revue française de généalogie

« Le sentiment que l’on peut avoir, en regardant l’offre numérique relative à la Première Guerre mondiale, c’est un nombre important d’initiatives qui s’entrechoquent. On voit bien qu’il n’y a pas eu de coordination nationale. Il est vrai que les services qui ont procédé à ces numérations et mises en ligne sont très différents : les Archives départementales, le ministère de la Défense avec Mémoire des hommes, la BnF, la BDIC, etc. Cela provoque une grande confusion pour l’internaute. Le Centenaire et la création de la Mission ont suscité beaucoup d’attentes et même d’espoirs chez les Français, qui s’attendaient plutôt à une entrée unique pourtoute cette offre en ligne. Le Grand Mémorial répond en partie, pour les registres matricules, à cette attente.

134 .  Voir Baptiste Bessière et Jean Merlet, « Les archives médicales de la Grande Guerre. Le fonds 1914-1918 au SAMHA » (en ligne sur : https://www.crid1418.org/espace_scientifique/guidesources/bessiere.pdf).

V. pRoposItIons pouR enRIchIR et mettRe en VaLeuR Les RessouRces numéRIques de La gRande gueRRe

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Les généalogistes, qui ne constituent pas le seul public de cette offre numérique, sont toujours friands d’archives individuelles. Ils partent toujours d’un soldat et souhaitent dans un premier temps tout connaître de lui. Puis, à partir de ces informations, ils cherchent à établir sa présence au sein du conflit en suivant son parcours : ses affectations, ses participations aux différents combats, ses blessures, etc. Ils le rattachent ainsi à un contexte plus général. Les documents qu’ils attendent de consulter en ligne sont ceux qui vont pouvoir leur permettre de relier les parcours individuels au parcours collectif.

Tous les publics sont également intéressés par la mise en ligne de nouveaux instruments de recherches, d’index très fins et précis, de guides, de pages éditorialisées (en particulier dans les bibliothèques), bref d’outils toujours plus détaillés, qui vont leur permettre de s’y retrouver dans cette offre qui manque tant d’organisation. »

Enfin, de manière générale et en particulier pour la Grande Guerre, il faut inventer des entrées géographiques avec des cartes interactives par région, par bataille, par armée, par unité, etc. Cela permettrait de suivre « son ou ses soldat(s) » plus aisément et de mieux comprendre comment il vit ce conflit.

La communauté scientifique préfère quant à elle des corpus cohérents permettant de mener des recherches d’ampleur (comme le fonds de l’armée française au Levant). Plusieurs universitaires s’étaient manifestés en 2011 pour la mise en ligne des archives des missions militaires à l’étranger, des décideurs civils et militaires, ou au contraire de corpus liés aux soldats135. On peut aussi penser aux archives diplomatiques des mois de juin à août 1914 précédant la déclaration de guerre et celles précédant le traité de Versailles, le plan français de mobilisation, concentration et engagement des troupes (plan XVII), les canevas de tir, les commissions parlementaires encore non numérisées, les statistiques de l’INSEE, les rapports des instituteurs et institutrices rédigés en exécution de la circulaire du ministre de l’Instruction publique en date du 18 septembre 1914, les dossiers de dommages de guerre, etc.

Entretien avec Antoine Prost, professeur émérite d’histoire contemporaine à l’Université de Paris I, Président du Conseil scientifique de la Mission du centenaire de la Première Guerre mondiale

« D’ici la fin du Centenaire, l’effort de numérisation doit concerner les archives de la Défense.

Les documents qui pourraient satisfaire les familles sont les archives médicales hospitalières avec, en particulier, les registres d’entrées et de sorties des hôpitaux permanents et temporaires de l’avant et de l’intérieur. Ensuite vient le fichier central des pensionnés (militaires et civils) qui est particulièrement intéressant car chaque fiche indique obligatoirement le nom, le prénom, la date de naissance, le numéro de dossier et, le cas échéant, le taux de la pension. Enfin, les registres de l’inscription maritime sont intéressants car ils concernent les matricules des gens de mer.

Les universitaires seront plus intéressés par la mise en ligne de nouveaux inventaires. En particulier, il faut faire un effort au sujet des archives des établissements publics et privés ayant fabriqué des armements, ainsi que celles des ouvriers mobilisables qui ont été maintenus à leur poste au sein des usines ou dirigés vers des usines en manque de main-d’œuvre. Ce sont les « travailleurs militaires », les « affectés spéciaux » ou les « détachés », qui restaient soumis à l’autorité militaire et pouvaient être rappelés.

Enfin, il faudrait absolument numériser les archives concernant les relations entre les différents états-majors et les autorités civiles, en particulier les préfets. »

135 . J. Schweitzer, Numériser le patrimoine écrit et iconographique pour commémorer la Grande Guerre, op. cit., p. 24.

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Si de nouvelles numérisations sont envisagées avant la fin du Centenaire, elles devront répondre à ces impératifs. Pour cela, il serait judicieux de constituer un groupe de travail interdisciplinaire réunissant d’une part archivistes et bibliothécaires et, d’autre part, des usagers issus des différentes communautés utilisant les ressources en ligne, afin de déterminer les attentes précises de chacun.

Les établissements de conservation pourraient ensuite être interrogés sur l’existence de fonds et collections répondant aux critères précis définis par le groupe de travail. Le plan de numérisation pourrait ensuite être élaboré en fonction des priorités établies et des budgets disponibles.

Enfin, il apparait désormais indispensable d’assortir ce plan de numérisation de services numériques innovants, en particulier ceux intégrant des pratiques collaboratives, afin de répondre aux nouvelles attentes des internautes.

2. Simplifier l’accès aux ressources numériques

Pour pallier à la dispersion de l’offre, il est indispensable que les acteurs publics rendent compréhensible le paysage numérique pour nos compatriotes. Comme le montre le retour d’expérience des Archives départementales de la Vendée qui se sont fixées comme objectif « de faire profiter le public de tout ce qui permet de pénétrer les archives », un portail Internet permet de regrouper en un seul grand inventaire tous les travaux visant à l’accès aux documents (guides, inventaires, bases de données, publications, travaux du public), sans le troubler dans sa consultation. « Pour le public, tout est bon à prendre du moment que cela le mène vers les documents qui le concernent »136.

En l’espèce, plutôt que de créer un site ou un portail de plus et donc d’ajouter un peu plus de désordre, il serait souhaitable de profiter de la création en cours du portail national francearchives.fr pour proposer une entrée structurée, éditorialisée et surtout pédagogique au patrimoine écrit de la Grande Guerre. Les questions posées à tous les services d’archives, bibliothèques et à la Mission du Centenaire montrent que c’est un véritable mode d’emploi en ligne, assorties de fiches pratiques comportant les liens précis avec une mise à jour constante des ressources, dont ont besoin les Français. Ce plan d’orientation devra intégrer toutes les possibilités du web sémantique.

Le groupe de travail évoqué au point 1 réunissant des professionnels de la conservation et des usagers pourrait être également sollicité pour préciser les attentes des Français en matière d’orientation dans l’offre numérique.

136.  Thierry Heckmann, Intervention au Conseil supérieur des Archives, 3 mai 2016, sur le thème « 4 000 km d’archives en un clic : diffuser et partager la mémoire des Français » (en ligne sur : archives.vendee.fr/content/download/8653/68752/file/2016-05-03_CSA.pdf).

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3. Achever le Grand Mémorial avant la fin du cycle commémoratif

Afin d’achever le projet du Grand Mémorial avant la fin du cycle commémoratif du Centenaire, plusieurs actions peuvent être envisagées.

Tout d’abord, le SIAF et la Mission du Centenaire doivent mettre en place un dispositif de soutien financier aux départements pour l’indexation des registres matricules et l’étendre aux associations, en particulier de généalogistes, qui concourent à cette indexation.

La Mission du Centenaire rencontrera la dizaine de départements qui n’ont pas du tout lancé une indexation des registres matricules et n’ayant toujours pas manifesté le souhait de participer au Grand Mémorial, afin de tenter de les convaincre de l’intérêt national de ce projet et de les aider à mettre en place cette indexation.

Il conviendrait que le SIAF et la Mission du Centenaire accompagnent les départements ayant retenu la solution de la collaboration collaborative avec des opérations médiatiques expliquant ces nouveaux usages du web et visant à les faire découvrir au plus grand nombre et à susciter de nouvelles contributions.

Enfin, le ministère de la Culture et de la Communication et le ministère de la Défense devront mener une réflexion au sujet des conditions nécessaires à la numérisation des registres matricules des recrues ne disposant pas du statut de citoyen français conservés par le Service historique de la Défense.

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Récapitulatif des propositions

1. Afin de définir les numérisations et mises en ligne qui pourraient être réalisées à l’occasion des dernières années du cycle commémoratif du Centenaire :

Constituer un groupe de travail interdisciplinaire réunissant archivistes, bibliothécaires et usagers afin de déterminer les attentes de ces derniers (ministère de la Culture et de la Communication et Mission du Centenaire)

Questionner l’ensemble des établissements de conservation sur l’existence de fonds et collections répondant aux critères précis définis par le groupe de travail (ministère de la Culture et de la Communication)

Envisager un dernier plan national de numérisation des documents retenus à l’issue des deux étapes précédentes (ministère de la Culture et de la Communication avec toutes les administrations concernées)

Assortir ce plan de numérisation de services numériques innovants, en particulier ceux intégrant des pratiques collaboratives, afin de répondre aux nouvelles attentes des internautes

2. Afin de faciliter l’accès au patrimoine écrit numérisé de la Grande Guerre :

Utiliser le groupe de travail interdisciplinaire évoqué au point 2 réunissant des usagers pour préciser les attentes en matière d’orientation (ministère de la Culture et de la Communication et Mission du Centenaire)

Construire sur le portail francearchives.fr un plan d’orientation global de l’ensemble des ressources numérisées sur la Grande Guerre par type de recherche (et non classiquement par institution ou producteur), intégrant les liens précis vers les sites cibles, assorti de fiches pratiques par sujet (ministères de la Culture et de la Communication, de la Défense, des Affaires étrangères et du Développement international)

3. Afin d’achever le projet du Grand Mémorial avant la fin du cycle commémoratif du Centenaire :

Mettre en place le dispositif de soutien financier aux départements pour l’indexation des registres matricules (SIAF et Mission du Centenaire)

Étendre ce dispositif aux associations, en particulier de généalogistes, qui concourent à l’indexation des registres matricules (SIAF et Mission du Centenaire)

Rencontrer les départements ne s’étant pas manifestés pour participer au Grand Mémorial (SIAF et Mission du Centenaire)

Entreprendre des opérations médiatiques concernant les pratiques d’indexation collaborative visant à les faire découvrir au plus grand nombre et à susciter de nouvelles contributions (SIAF, Mission du Centenaire, départements concernés)

Réfléchir aux conditions nécessaires à la numérisation des registres matricules des recrues ne disposant pas du statut de citoyen français conservés par le Service historique de la Défense (ministère de la Culture et de la Communication et ministère de la Défense)

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concLusIon

Malgré l’absence de plan de numérisation national concernant les sources de la Première Guerre mondiale, force est de constater que l’offre numérique en ligne est particulièrement riche. Les rôles joués par la Bnf pour le réseau des bibliothèques et par le SIAF pour le réseau des services d’archives ont en grande partie compensé cette absence de concertation générale. La liberté dont ont disposé les établissements patrimoniaux pour numériser et diffuser sur leurs sites les sources de la Grande Guerre a cependant aujourd’hui pour conséquence une très importante dispersion de l’offre. Près de 200 sites Internet français proposent des sources numérisées. Quelques tentatives d’agrégation de ces sources ont été lancées par le site Mémoire des hommes du ministère de la Défense, la bibliothèque numérique de la BnF Gallica ou encore le Grand Mémorial administré par le SIAF.

Parallèlement, la demande d’accès des Français aux archives de la Première Guerre mondiale a explosé, dans un cadre généalogique, mémoriel et citoyen. C’est assurément un des constats des commémorations du Centenaire : les Français se sont fortement approprié cette histoire, et de manière très intime. Le succès de la Grande Collecte et les innombrables mises en ligne de journaux et correspondances de poilus sont de ce point de vue un marqueur fort.

La première réponse à cette demande apparait en 2003 avec la création du site Mémoire des hommes et la mise en ligne des fiches individuelles des soldats ayant reçu la mention « Mort pour la France ». Elle correspond parfaitement à ce que veulent les Français : avoir accès à l’information contenue dans le document numérisé en un clic, c’est-à-dire un formulaire de recherche le plus simple possible (par le nom du poilu). Avec 7,5 millions de fiches individuelles consultées en ligne en 2015, on constate année après année un succès qui ne se dément pas. Le Grand Mémorial s’inscrit dans cette logique d’accès rapide à une information généalogique. Les mises en ligne des journaux de tranchées, des journées des marches et opérations, des historiques régimentaires et des Armées françaises dans la Grande Guerre sont un point de rencontre entre le récit collectif et individuel.

De nombreuses ressources ont été numérisées à l’orée du Centenaire et le phénomène s’est accéléré à partir du début du cycle commémoratif. Certaines ont été très utilisées par les Français, d’autres les ont moins touchés, hormis la communauté scientifique, faute de signalement suffisant ou de connaissance des sites par le grand public. Pour ne prendre qu’un exemple, il est regrettable que les internautes ayant consulté les documents de Mémoire des hommes ne complètent pas leur recherche avec les journaux de tranchées. Enfin, même si ce n’est pas l’objet de ce rapport, l’autre grande réussite de ces numérisations massives concerne les archives photographiques qui ont été plébiscitées par nos concitoyens. Le résultat demeure qu’aujourd’hui près de 200 sites Internet français proposent des sources numérisées. Il s’agit là d’une offre considérable qui dénote un investissement humain et financier important.

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Que reste-t-il à faire avant la fin du Centenaire ?

Tout d’abord, le ministère de la Culture et de la Communication devrait profiter de son leadership interministériel et de son rôle de tête de réseau professionnel en matière d’archives et de bibliothèques auprès des collectivités territoriales pour définir quels derniers documents doivent être numérisés et mis en ligne. Pour être certain de répondre aux attentes des Français, ce plan de numérisation devra être conçu en s’appuyant sur une large concertation avec des représentants des usagers.

Par ailleurs, il est indispensable de rendre lisible le paysage numérique de la Grande Guerre en mettant à disposition de tous un véritable inventaire général des ressources en ligne, organisé sous forme de mode d’emploi didactique le plus simple possible. En profitant du lancement du portail francearchives.fr, les acteurs publics peuvent proposer aux internautes cet accès simplifié.

Enfin, le projet présidentiel du Grand Mémorial doit être achevé avant la fin du cycle commémoratif. La France et les Français pourront ainsi disposer d’une base nationale des huit à neuf millions de soldats français ayant participé à la Grande Guerre. Il apparait également opportun d’y intégrer les soldats coloniaux dont les registres matricules sont conservés par le ministère de la Défense.

Comme cela a été souligné à plusieurs reprises dans ce rapport, les Français se sont appropriés ces ressources numériques et se sont pour beaucoup d’entre eux engagé activement dans les projets participatifs proposés par les établissements de conservation. Les universitaires Philippe Bouquillion et Jacob T. Matthews notaient dès 2010 que le salut des industries de la culture « ne peut reposer que sur un modèle participatif où l’usager, de simple consommateur, se mue en véritable générateur de contenus »137 Plusieurs établissements de conservation se sont résolument engagés sur cette voie en proposant aux internautes des pratiques participatives ou collaboratives. Ces nouvelles méthodes de travail donnent lieu à une révolution des relations entre archivistes/bibliothécaires et public internaute. Ces nouveaux usages créent dès aujourd’hui des réseaux virtuels d’internautes qui démultiplient le travail des archivistes/bibliothécaires dans des domaines qu’ils ne sont pas toujours en mesure d’aborder seuls. La mise en place de telles pratiques doit être encouragée et soutenue, mais aussi relayée médiatiquement afin de concourir à leur réussite. De la même manière, le rôle des réseaux sociaux est désormais prédominant dans ces nouveaux usages. C’est un défi que les professionnels de la conservation et le public sont en voie de remporter ensemble.

137 .  Philippe Bouquillion et Jacob T. Matthews, Le Web collaboratif. Mutations des industries de la culture et de la communica-tion, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, coll. Communication en plus, 2010, p. 5.

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Remerciements

Je tiens à remercier très chaleureusement tous mes collègues qui ont bien voulu répondre à mes questions et qui ont contribué à la rédaction de ce rapport, en particulier : Sandrine Aufray, Arnaud Dhermy, Marlène Faivre, Thierry Heckmann, Isabelle Homer, Bruno Ricard, Frédérique Séta-Johannic, Mathieu Stoll, et Marion Veyssière. Je suis également très reconnaissant à Guillaume de Morant, Antoine Prost et Laurent Valdiguié pour nos entretiens d’une grande richesse. Enfin, je remercie Joseph Zimet et Hervé Lemoine de m’avoir accordé leur confiance.

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