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Jean-François Jacob qui a disputé les plus grands rallyes internationaux, a publié chez Robert Laffont LE COEQUIPIER comment préparer et gagner un rallye COUPE DES ALPES MONTE-CARLO 60 ans de rallye

La panafricaine. Le plus grand raid automobile jamais

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Page 1: La panafricaine. Le plus grand raid automobile jamais

Jean-François Jacob

qui a disputé les plus grands rallyes internationaux,

a publié chez Robert Laffont

LE COEQUIPIER comment préparer et gagner un rallye

COUPE DES ALPES

MONTE-CARLO 60 ans de rallye

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LA PANAFRICAINE

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DU MÊME AUTEUR

chez le m ê m e édi teur :

LE COÉQUIPIER

COUPE DES ALPES

MONTE CARLO, 60 ANS DE RALLYE

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JEAN-FRANÇOIS JACOB

LA PANAFRICAINE

récit

ÉDITIONS ROBERT LAFFONT PARIS

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Si vous désirez être t e n u a u c o u r a n t des pub l i ca t ions de l ' éd i t eu r de cet ouvrage , il vous suffit d ' adresse r vo t re ca r te de visite a u x Éd i t ions R o b e r t LAFFONT, Service « Bullet in », 6, place Saint-Sulpice , 75279 Par is Cedex 06. Vous recevrez régu- l iè rement , et sans a u c u n engagemen t de vo t re p a r t , leur bu l le t in i l lustré , où, chaque mois , se t r o u v e n t présentées t ou t e s les n o u v e a u t é s — r o m a n s f rançais e t é t rangers , d o c u m e n t s et réci ts d 'h i s to i re , récits de voyage , b iographies , essais — que vous t rouve rez chez vo t re l ibraire.

© É d i t i o n s R o b e r t L a f f o n t , S . A . , 1 9 7 5

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Quand vous avez éliminé l'impossible, ce qui reste, même improbable, doit être la vérité.

SIR ARTHUR CONAN DOYLE

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CHAPITRE PREMIER

En ce premier dimanche de décembre, Tunis offre encore au visiteur européen un contraste suf- fisamment marqué pour le plonger dans une atmosphère de vacances. Le rythme lent de la vie, le paisible cheminement d'une foule que rien ne semble devoir presser, une douce brise marine qui, par-delà même les odeurs de lagune, invite au far- niente, tout concourt à faire de ce jour, un jour comme les autres. Et pourtant...

Entre l'extrémité de l'avenue Habib-Bourguiba et le rivage, dans cette vaste zone encore som- mairement aménagée, règne une activité intense ; une animation de kermesse, une foule cosmopolite et bigarrée tranchent nettement sur le reste de la ville. Derrière de nombreux curieux contenus à

grand-peine par quelques frêles barrières et un squelettique peloton de gardes, on peut découvrir un spectacle inattendu. Trois cents voitures de toutes marques, de toutes formes et de toutes cou- leurs sont l'objet de soins attentifs. Une observa- tion soutenue permet de remarquer les mouve-

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ments de véhicules, les allées et venues d'hommes et de femmes affairés. Tous ces gens, un millier de personnes au moins, se livrent aux vérifications techniques habituelles préalables au départ d'une course routière.

Et quelle course ! Un pari encore jamais tenté. Tous les observateurs se demandent avec une

angoisse mêlée de délectation si aucun des partici- pants ne réussira jamais à le gagner. Il ne s'agit rien moins que de se lancer à travers le désert, la brousse africaine, puis le désert encore, dans une randonnée d'environ vingt-cinq mille kilomètres au rythme d'une épreuve spéciale. A priori, pas de repos, les seuls arrêts obligatoires prévus par le règlement servant à cacheter le carnet de bord de chaque équipage en des endroits où la tentation pourrait inciter certains pilotes peu scrupuleux à emprunter des raccourcis susceptibles de leur faire économiser quelques centaines de kilomètres. Tou- tefois, ces contrôles sont limités au nombre de neuf.

Le vainqueur, si jamais quelqu'un franchit tous les obstacles, sera le premier arrivé au terme du parcours, à Marrakech, après une équipée qui l'aura conduit jusqu'en dessous de l'équateur. Les optimistes sont certains de la réussite et avancent des pronostics sur la durée du raid. De quinze à dix-huit jours. Mais ils sont peu nombreux. Les pes- simistes l'emportent. Car l'affaire n'est pas mince et comporte de nombreux dangers. Le seul pro- blème de ravitaillement de cette armada dans le

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Sahara nécessite une organisation rigoureuse. Beaucoup de concurrents bénéficient du soutien d'une marque qui assurera les distributions d'essence, d'huile, d'eau et de nourriture. Il en reste cependant un grand nombre que seul le piment de l'aventure a tentés et qui partent sans aucun sou- tien. En accord avec une firme pétrolière, grâce à l'appui logistique de l'armée française et après avoir obtenu les autorisations administratives des

pays traversés, les organisateurs ont installé des postes tous les trois cents kilomètres environ, où chacun pourra s'arrêter. Un système de bons et de carnets à souches permettra de limiter la perte de temps au strict nécessaire.

Toutefois, ceci ne garantit pas contre les pannes et ennuis de tous ordres. Les usines, en plus des points d'assistance essaimés tout au long du par- cours et dotés d'un matériel surabondant à la dis-

position des meilleurs mécaniciens, ont prévu de survoler leurs équipages par hélicoptères et avions légers capables d'atterrir pratiquement n'importe où en cas de nécessité. Les indépendants non assis- tés devront compter sur leur astuce et leur débrouillardise pour réparer avec le peu de maté- riel embarqué.

Tout est colossal dans cette affaire qui, pour l'instant, ravit le commerce tunisien. Six cents pilotes et coéquipiers, autant de journalistes, tous les chefs d'écuries, de nombreux mécaniciens, beau- coup d'épouses ou d'âmes sœurs, bref une armée

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de près de deux mille personnes dépense avec allé- gresse et facilité. On y voit des Français, des Alle- mands, des Anglais, des Suédois, des Finlandais, des Danois, des Américains, des Algériens, des Bel- ges, des Suisses, des Espagnols, des Italiens, des Roumains, des Marocains, des Tchécoslovaques, et bien d'autres encore, une trentaine de nationalités pour le moins, qui se côtoient dans cette immense tour de Babel. Beaucoup, présents quelques jours plus tôt, sont déjà partis par convois de camions lourdement chargés rejoindre des points perdus dans le désert ou voisins de villages en brousse. On peut dire sans exagération, que toute l'Afrique francophone se sent concernée par cette manifesta- tion. Les radios ont abondamment parlé des prépa- ratifs, les autochtones sont alertés, le téléphone de brousse et le tam-tam ont fonctionné et fonctionne-

ront encore longtemps après le passage de la voi- ture-balai.

Les aérodromes ont tous été avisés. Certains, qui ne reçoivent pas plus d'un appareil par semaine, resteront nuit et jour en alerte. Les antennes médi- cales et chirurgicales seront sur le pied de guerre. Les compagnies d'assurances ont consenti, après bien des tractations, à couvrir les coureurs et tous ceux qui gravitent autour. Des accords spéciaux ont été passés avec les compagnies aériennes régu- lières pour bénéficier de priorité de rapatriement au cas où les circonstances l'exigeraient. Mille autres précautions ont été prises. Deux années de

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préparation, d'efforts intensifs et de volonté farou- che ont conduit à l 'aube de cette aventure audacieuse

et risquée. De Tunis, les concurrents se rendront en convoi

jusqu'à Foum-Tatahouine où les choses sérieuses commenceront réellement. Sur ce point, les autori- tés tunisiennes sont restées inflexibles : il n'était pas

question de couvrir la distance sur une route natio- nale Tunis, Sousse, Gabès, qui draine toute l'écono- mie du pays, au rythme fou d'une étape spéciale. Trop de risques d'accidents et impossible de neu- traliser le trafic au profit de la course. Aussi, demain, tous descendront à la queue leu leu, solide- ment encadrés et escortés, jusqu'aux portes du désert. Une journée supplémentaire sera nécessaire pour déterminer l 'ordre de départ des voitures et, ensuite, ce sera le grand lâcher.

La manière d'attribuer les numéros de course ne

manque pas de piquant. Elle ne rallie d'ailleurs pas tous les suffrages. Loin de là. Elle obligera tout le monde à tenter un effort exceptionnel pour se pla- cer en tête tout de suite. Le pire ennemi sera la poussière. Tout le monde en pâtira, sauf l'ouvreur. Comme il ne pouvait être question de recourir à une sélection arbitraire parmi une liste de notorié- tés, ni à un tirage au sort, solutions qui n'auraient pas recueilli l 'unanimité, il faudra disputer une course de vitesse sur un circuit d'une longueur de quarante kilomètres, à l'ouest de la ville. Le classe- ment de cette épreuve particulière déterminera

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l'ordre des départs. Solution équitable, ce choix est néanmoins vivement contesté par beaucoup. D'abord par les prévoyants qui, ayant misé plutôt sur la robustesse de leur véhicule que sur sa vélo- cité, s'estiment désavantagés. Ensuite par les sages qui redoutent de dépasser les normes d'une élémen- taire prudence et de fatiguer ainsi inutilement la mécanique. Enfin par chacun des participants. Un accident, une irrémédiable sortie de route, anéanti- raient d'entrée des mois d'efforts. Mais personne ne parle de ralentir. Personne ne semble envisager que dans une course de si longue haleine on ne peut prévoir les nombreux incidents qui boulever- seront le classement du départ. Les positions d'ori- gine vont varier sans cesse à la faveur des pannes, des ravitaillements, des repos et des abandons. Pour l'instant, les concurrents l'oublient. Leurs inquiétudes et leurs espoirs se cristallisaient exclu- sivement sur la notion du meilleur temps à accom- plir demain sur le circuit.

Tous les équipages se sentent concernés car un alinéa retient également l'attention. Quelles que soient la position et l'heure réelle de départ de chacun au cours du raid, tout le monde sera consi- déré parti en même temps que le premier. D'autre part, comme il n'était pas raisonnable de libérer les concurrents de minute en minute car le dernier

aurait été par trop pénalisé, les organisateurs ont tourné la difficulté d'une manière originale. Toutes les minutes partira un paquet de dix voitures ali-

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gnées, espacées de dix mètres chacune au moment du baisser du drapeau. Et que le meilleur gagne. Que le meilleur mette à profit la trentaine de kilomètres de route asphaltée qui précède la piste en terre pour se dégager, prendre la tête du peloton et conquérir un calme relatif à l'abri de sa pous- sière. A moins qu'il ne tombe dans celle du dernier de la série qui le précède. Ce qui ne manquera pas d'arriver.

Ce raid qui exige plus la solidité, l'endurance et la cohésion de l'équipage que la rapidité débutera ainsi par une infernale course contre la montre. Par la malignité du règlement personne ne pourra tempérer son ardeur avant que les réalités du désert ne ramènent chacun à un peu plus de luci- dité. Les seuls qui se frottent les mains de satisfac- tion sont les photographes escomptant bien réussir le cliché sensationnel d'une sortie de route particu- lièrement spectaculaire. Les plus prévoyants sont allés reconnaître le circuit et ont soigneusement repéré les endroits les plus propices. Après-demain, et le jour du grand départ, ils se retrouveront pour ne pas rater les explosions de poussière déclenchées par les bolides déchaînés.

Pour l'instant, chacun présente sa monture à l'œil débonnaire des commissaires et au pinceau du préposé pour l'empreinte à la peinture radio- active. Tout est pratiquement autorisé. Tous les remplacements sont tolérés sauf ceux du châssis, du carter inférieur et de la carrosserie. Par contre,

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obligation a été faite aux engagés d'installer à bord un émetteur de détresse, alimenté par la batterie et connecté également sur un jeu de piles de secours, d'une puissance suffisante pour porter à cent kilomètres. Tous les véhicules d'assistance, tous les

avions et hélicoptères des usines et ceux affrétés par l'organisation et le service de presse sont équi- pés de récepteurs calés sur la fréquence retenue. On espère ainsi qu'un équipage égaré pour une raison quelconque pourra être rapidement localisé et secouru. En plus de cette radio, les voitures de course regorgent de trip-masters, twin-masters, bous- soles, compas. Dans certaines on remarque égale- ment des altimètres et des thermomètres de grande précision. A ce niveau pourtant, rien ne différencie les autos d'usine de celles des particuliers.

Mais avant même d'examiner en détail l'équipe- ment, les pièces de rechange et les outils on peut, sans se tromper, déterminer les voitures des indé- pendants. Elles sont plus basses sur leurs ressorts, aplaties, comme écrasées par les charges qu'elles transportent. Pour ceux que personne, ou presque, n'aide, il faut bien sûr tout embarquer afin de pou- voir se dépanner en toute circonstance. Et, quand on y regarde bien, quand on suppute la fiabilité de tous les éléments mécaniques, on conclut rapide- ment que la sagesse consisterait à atteler une remorque et à emporter pratiquement une voiture de rechange ! Il faut pourtant faire un choix et ne se charger que des pièces rigoureusement indispen-

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sables, impossibles à réparer même avec les moyens de fortune les plus efficaces dans le désert et la brousse, soit le marteau, le tournevis, la pince et le fil de fer ! Chacun craint de manquer de pièces de rechange et regrette, en même temps, de devoir véhiculer tout ce poids superflu. Car les mystères de la mécanique ne manqueront pas d'accabler cer- tains et d'épargner d'autres, partis dans les mêmes conditions, avec des voitures semblables et aussi minutieusement préparées. L'importation du maté- riel en Tunisie a déjà posé quelques problèmes. Des douaniers vétilleux ont négligé les accords consen- tis par les autorités compétentes et appliqué le règlement normal à la lettre. Tout pilote qui com- mettait l'imprudence de parler de matériel de secours mettait le doigt dans un engrenage inex- tricable. Car dans ce pays l'introduction de telles pièces est interdite dès lors que les usines et coopé- ratives en fabriquent en principe d'identiques ; il a fallu déployer des trésors de diplomatie pour cir- convenir les méfiants gabelous. Une complicité s'instaura entre tous les pilotes. On vit, par exemple, un Tchécoslovaque s'adresser en alle- mand à un Allemand qui parlait anglais et pouvait ainsi transmettre ses désirs à un Anglais familiarisé avec le français mais qui, pour plus de sûreté, char- geait un Français d'être le médiateur final auprès des Tunisiens. Et ce moyen, plus que les consignes des responsables locaux, permit enfin de rassem- bler tout le monde en ce grand jour. Ces sombres

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tractations la veille du départ n'ont guère laissé de temps pour l'indispensable détente qui doit précé- der une telle aventure. Par contre, elles ont déjà créé des liens entre des équipages qui s'entraide- ront au cours de l'épreuve. Certaines de ces ren- contres seront sans lendemain. Quand les voitures seront égrenées le long de la piste, les écarts se creuseront, et les derniers partis, pour peu qu'ils abandonnent rapidement, ne verront personne. On sait qu'à moins d'un miracle le vainqueur surgira du lot des vingt ou trente premiers numéros. Aux autres il restera le piquant et la démesure d'une épopée prodigieuse.

Tandis que les équipages regagnent leurs hôtels, les irréductibles enfants terribles du sport automo- bile s'égaillent dans la ville à la recherche d'exo- tisme et de sensations fortes. Anciens pilotes des années folles d'après-guerre, ils sont encore nom- breux ceux que le souvenir de leurs exploits réunit en bandes bruyantes et égrillardes dès qu'un rallye leur fournit l'occasion de se rencontrer. Errant de

bar en tripot, de taverne en music-hall, ils pour- suivent des chimères toujours plus lointaines. Ici, plus qu'ailleurs, leur bonne humeur et leur opti- misme foncier ne peuvent rien contre l'engourdisse- ment d'une cité qui s'éteint aux étrangers dès neuf heures du soir. Boîtes et bistrots ferment un à un et

seuls les bars de leurs hôtels offrent encore l'hospi- talité. Les bouteilles s'amoncellent mais il faut bien

finir par se coucher e t bientôt, l'armée des nou-

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veaux conquérants dort et rêve à l'avenir. Pour la première fois dans une épreuve automobile, tout le monde est au lit avant minuit sonné. Le fracas de la gloire et l 'exaltation de la course sont pour de- main.

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CHAPITRE II

Tôt le matin, la caravane s'ébranle. Précédée par des motards de la police tunisienne, suivie par la voiture du directeur de course, elle regroupe les trois cents équipages autorisés dont pas un ne manque le départ de la plus grande épopée auto- mobile de tous les temps. Le convoi s'étire sur près de cinq kilomètres et les premiers ont déjà large- ment dépassé les faubourgs de la ville quand les derniers s'élancent à leur tour. Du camp du lac, où était installé le parc fermé, il ne reste bientôt plus que quelques déchets épars et seule l'odeur eni- vrante de l'huile de ricin rappelle, quelques instants encore, ce que fut cet endroit.

Dans toutes les agglomérations, une double haie de spectateurs au visage énigmatique regarde passer les bolides qui, pour le moment, roulent sagement en file indienne. Les motos impriment une cadence lente et contraignante pour les pilotes assoiffés de grandes vitesses et avides de chevau- chées fabuleuses. Pour presque tous, ce début de course neutralisé constitue une solution douteuse.

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Ils devront rouler ainsi presque jusqu'à la nuit avant d'arriver à Foum-Tatahouine en traversant

le pays du nord au sud. Grâce à la protection de la police, aux ordres intimés à la population, à l'obli- gation pour tous les concurrents de se ravitailler en essence au même endroit, aucun incident ne vient troubler le déroulement prévu.

A l'étape, la réalité africaine apparaît enfin. Rendus à la tombée de la nuit, aussi fatigués d'ennui qu'ils le seraient physiquement au terme d'un rallye traditionnel de deux mille kilomètres, les équipages sont hébergés à la marhala locale. Hôtel de tourisme gouvernemental installé dans une ancienne ghorfa, sa disposition et ses dimen- sions étonnent le plus grand nombre. Chacun se répartit selon ses affinités dans les cellules spar- tiates non dépourvues d'allure et s'installe comme il peut. Spectacle insolite sur les flancs de cette montagne dénudée. Un chapelet de trois cents voi- tures parmi les plus sophistiquées souligne une simple et austère construction millénaire, refuge habituel de méharées rudimentaires. Epilogue du premier acte. Bientôt, tout s'endort.

Le circuit est magnifique, en principe peu dange- reux pour les hommes, mais éprouvant pour les mécaniques. Il serpente dans un décor typique aux portes du désert, contourne d'étranges plateaux isolés aux sommets dénudés, se faufile le long des

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contreforts rocheux, inspecte quelques maigres points d'eau, évite les deux villages troglodytes de Chenini et de Douirett et se termine par une longue descente extrêmement rapide. Presque par- tout une terre caillouteuse, dure, assez roulante, sauf en quelques endroits où la piste ouverte à coups de mine et sommairement aplanie mettra les pneumatiques et les suspensions à rude épreuve. Pour éviter les erreurs de parcours, car la signalisa- tion habituelle est inexistante, les organisateurs ont mis en place un réseau de balises à chaque change- ment de direction. Ils ont déployé des forces d'inter- vention munies de puissants moyens mécaniques afin de dégager, dans les endroits les plus étroits, une voiture capotée ou immobilisée en travers. 'La couverture aérienne permettra de porter rapi- dement secours à d'éventuels accidentés. Chacun

espère secrètement qu'il n'en aura pas besoin, mais tous savent qu'ils ne seront pas un luxe inutile. Ce matin, la kermesse et le folklore ont disparu. C'est un jour de course, d'une course dure et impitoyable, où il va falloir s'employer à fond pour arracher la petite seconde qui permettra de partir le premier de tous, ou le premier d'un paquet de dix. Parmi les meilleurs, malgré l'habi- tude des aléas et des renversements de situation

généreusement dispensés par le sport automobile, on n'échappe pas à cette fièvre de néophytes. Cette dernière petite seconde, pas un ne la comptabilise autrement que sous forme de minutes et de risques

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gagnés sur ceux qui devront rouler en aveugles der- rière les autres et se hasarder audacieusement pour reprendre la tête.

Les nombreux journalistes de la presse interna- tionale partagent la fébrilité des pilotes. Pour l'impact de l'information, il ne faut pas rater cet exercice de haute voltige, comme il ne faudra pas, bien plus tard, manquer l'arrivée. Aussi, chaque palmier abrite des photographes, chaque piton accueille des journalistes. Il n'est pas jusqu'aux reporters des quotidiens les plus fortunés qui n'aient loué des hélicoptères, obtenus grâce à ces miracles dont la presse est coutumière, afin de mieux embrasser la situation.

Quarante kilomètres pour creuser l'écart, pour s'attribuer le titre symbolique de premier leader et asseoir, le temps du moment, une célébrité quasi mondiale. Et les paris ouverts sur l'issue de la course le sont aussi pour l'issue de cette épreuve très spéciale.

Aux premiers rayons du soleil, la fantasia com- mence. Afin d'offrir à chaque pilote de bonnes conditions de visibilité, les voitures s'élancent toutes les deux minutes, et dix heures sépareront le premier du dernier. Avant l'arrivée de celui-ci, les péripéties ne vont pas manquer. C'est une journée folle, tantôt cocasse, tantôt dramatique.

L'honneur du premier accident reviendra à un équipage renommé, un de ceux qui nourrissaient quelques espoirs de victoire. Dans la partie la plus

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étroite du parcours, la voiture décolle sur une petite bosse très sèche et difficile à appréhender, car l'ombre gomme le relief. Déséquilibrée, l'auto vole en sortie de piste et s'écrase, dans un jaillisse- ment de pierrailles et de métal, à cheval sur un muret qui surplombe un point d'eau, quelques mètres en contrebas. A moitié assommés par la violence du choc, les deux hommes réagissent avec peine. Mais, quand on est pilote professionnel, on n'abandonne pas dans une telle course avant d'avoir tout tenté pour rejoindre une assistance capable de remettre la mécanique en état. L'un après l'autre, ils s'extirpent par la portière gauche. Tandis que l'un surveille les arrivées des suivants, l'autre transporte les pierres les plus plates afin de construire une plate-forme le long du muret. Son intention, une fois ce podium improvisé terminé, est de riper l'auto dessus à l'aide du cric, de redon- ner adhérence et pouvoir directionnel aux roues et de repartir. Travail périlleux, interrompu à chaque passage d'un de leurs adversaires. Tout le monde saute plus ou moins sur le même obstacle mais, prévenus, les autres pilotes négocient le tremplin assez correctement. Après une heure de travail acharné, l'espoir renaît. Et c'est le drame. Une voi- ture ne tient pas compte des conseils de prudence, s'envole à son tour, percute la première, rebondit, accomplit un tonneau complet, retombe par miracle sur ses quatre roues, zigzague et poursuit sa route, abandonnant les débris du pare-brise, la

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lunette arrière, une roue de secours et une galerie qui encombrent le chemin. Pour elle, les dégâts sont mineurs. Pour la première, tout est consommé. Poussée, elle a basculé dans le vide et gît mainte- nant, posée sur le toit, le train arrière presque complètement arraché. Il y a pire. Le pilote, happé au passage, projeté également dans le vide, reste étendu, inanimé, une jambe fracturée. Son compa- gnon et quelques journalistes se précipitent pour lui porter secours. Peu après, un hélicoptère se pose, évacue les deux hommes. Pour eux, la course est déjà terminée.

Dans le clan des équipages inconnus, des coupes sombres s'opèrent. Comme rien ne pouvait les sélectionner a priori, le départ leur est donné par ordre alphabétique. Cette méthode se révèle aussi mauvaise qu'une autre. Les plus lents gênent les plus rapides. Deux minutes ne suffisent pas. Ainsi, après une douzaine de kilomètres seulement, alors que la route escalade la montée sur Chenini, une voiture entre dans le nuage de poussière de celle qui la précède. Il faut passer. Pas question de res- ter une demi-heure derrière ce lambin. Le poursui- vant remonte hardiment, sans visibilité, pied au plancher pour rester le moins longtemps possible dans cette situation périlleuse. La visibilité n'excède pas trois mètres. Suffisant pour apercevoir, au dernier moment, la plaque arrière du poursuivi. Tous phares allumés, avertisseur bloqué, le second entreprend de doubler. A ce moment, brusque

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virage à gauche, que seule la première voiture négocie. Choc violent. Tôle froissée. Deux phares arrachés, une voiture en toupie, l'autre en tête-à- queue au milieu d'un tourbillon de terre, de sable, de caillasses mélangés. Silence. Un coup de démar- reur. Une prudente mise en marche. Le second émerge de la purée de pois et file en trombe vers l'arrivée. Le premier, choqué, hébété, réagit au bruit, repart à son tour. En sens inverse. Il par- court ainsi cinq cents mètres, se rend compte de sa méprise, entreprend un demi-tour désespéré au frein à main, le rate et s'aplatit en travers au pied d'un dos-d'âne. Une troisième voiture surgit à toute vitesse, freine désespérément, s'encastre dans les portières de l'autre. Les deux véhicules ter- minent, en flammes, leur course folle dans un amas rocheux. Les quatre hommes réussissent à sortir du brasier. Deux sont simplement contusionnés, un troisième souffre atrocement d'une vilaine fracture

du bras droit et de côtes cassées, le quatrième sérieu- sement brûlé au visage et aux mains, perd connais- sance. Les secours s'organisent avec promptitude.

A mi-parcours, la piste disparaît parfois à la vue, tracé interrompu par de vastes tables rocheuses, dures et lisses, qu'il faut traverser l'œil aux aguets pour découvrir la direction prise ensuite par le che- min. Si les plus prudents hésitent et ralentissent quelque peu, les plus téméraires foncent comme des fous. Beaucoup sont surpris par une fourche à droite, balisée certes, mais invisible à moins de