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LA PAROLA DEL PASSATO RI VIST A DI STUDI ANTICHI FASCICOLO CCXCV-VII [ESTRATTO] NAPOLI GAETANO MACCHIAROLI EDITORE 1997

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LA PAROLA DEL PASSATORI VIST A DI STUDI ANTICHI

FASCICOLO CCXCV-VII[ESTRATTO]

NAPOLI

GAETANO MACCHIAROLI EDITORE

1997

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SUR LES FRATRAI DE CAMARINA

La publication des tablettes de Camarina a été donnée parF. Cordano dans un volume paru en 1992.1 Dans des étudesplus récentes, F. Cordano a examiné différents aspects de l'or-ganisation politique en fratrai que suggère l'analyse des tablettes.Dans l'une d'entre elles, l'auteur a voulu reprendre la questionde la dénomination des fratrai connues à Camarina, fratrai dontdeux, la première et la dernière, portent respectivement le nomde la première et de la septième et dernière corde de la lyre.2

A cette occasion, F. Cordano rappelle que le poète sicilienStésichore, peut-être fils d'un des fondateurs d'Himère, a unfrère nomothetas et un autre geometras, et que c'est lui-même, lelyrikos, qui a donné son nom à une porte de Catania, celle-làmême près de laquelle se trouvait son fameux tombeau octogo-nal.3 F. Cordano conclut justement: 'Questo terzetto rappre-senta, mi pare, molto bene, le diffuse teorie sulla antica norma-tiva che doveva presiedere alla fondazione di una città ed in-

1 F. CORDANO, Le tessera pubbliche dal tempio di Atena a Camarina (Studipubblicati dall' Istituto italiano per la storia antica, Rome, 1992). Au coursd'un bref séjour à Milan pour une conférence sur mon livre L'État thessalien,Aleuas le Roux, les tétrades et les tagoi, à l'invitation du Prof. D. Foraboschi,Directeur de Γ Istituto di Storia Antica de l'Università degli Studi de Milan,M.me Federica Cordano a eu la gentillesse de me confier l'étude de ce dossieret m'a remis les documents essentiels qui m'ont permis de l'entreprendre.Qu'elle trouve ici l'expression de mes très sincères remerciements.

2 F. CORDANO, La città di Camarina e le corde délia lira, «La Parola delPassato», XLIX, 1994, pp. 418-426 (cf. L. DUBOIS, Bull, épigr., 1996, 571).

3 Souda, s.v. Στησίχορος et Πάντα οκτώ, Et. Byz., s.v. Μάταυρος.

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sieme alla conservazione délia musica arcaica e degli strumenti acorda non modificati di innovazione'.

En fait tous les trois ont en commun d'être mathémati-ciens...

LES FRATRAI ET LES CORDES DE LA LYRE:

UN PROBLÈME D'INTERVALLES

Dans les tablettes de plomb trouvées à Camarina, les fratraisont désignées par des nombres ordinaux, sauf la première et ladernière. Celles-ci sont nommées respectivement comme υπάτηet νήτη. Ces deux noms sont, comme l'a bien compris F. Cor-dano, ceux des deux cordes extrêmes de la lyre.4 Pour tenterd'expliquer cette référence aux cordes de la lyre, F. Cordano aprésenté, dans sa publication des tablettes de Camarina (p. 89 et90), deux tableaux concurrents du nombre et de la répartitiondes fratrai de Camarina: l'un sur l'hypothèse 'quinze', l'autre surl'hypothèse ' dix-huit '.

Pourquoi hésiter? pourquoi quinze? F. Cordano, p. 83, enétudiant le document n° 45, pense que, 'perché (dans ce docu-ment) la «quattordicesima» sia «la quarta dall'ultima», preci-sando che la preposizione άπό esclude l'ultima dal calcolo, il nu-méro totale délie fratre dovrebbe esse diciotto.Il condizionale èd'obbligo perché potrebbe trattarsi di un caso, seppur l'unicotestimoniato, nel quale la tessera è stata riutilizzata all'internodi una fratra diversa dalla précédente. Se fosse cosi non rimar-rebbe che tornare alla prima ipotesi, formulata nella presenta-zione all'Accademia dei Lincei («Rend.», XLIV, 1989, pp. 135-150), che l'«ultima» fratra sia semplicemente da aggiungere alnuméro più alto testimoniato, e che quindi le fratre di Camarinafossero in tutto quindici'.

Deux arguments vont contre cette hypothèse:

4 O.c. (n. 2), p. 420. Mais l'interprétation qu'elle donne, d'après F. LAS-SERRE, IN La Musica in Grecia, a cura di B. GENTILI - R. PRETAGOSTINI (Roma-

Bari, 1988), p. 72-94, de la position physique des cordes doit être corrigée,comme on le dira plus loin.

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dans le tableau à 15 fratrai, le document n° 45 est comptédeux fois: une fois dans la colonne de la 11e fratra (la quatrièmeavant la dernière), une autre dans la 14e. La possibilité de remploide cette tessère dans une autre fratra que la première fois existe,certes, et c'est ce qui a fait hésiter F. Cordano, mais compterdeux fois cette tablette, et elle seule, fait problème, alors qu'il estsi simple de considérer que la quatorzième est aussi la quatrièmeen partant de la dernière, celle-ci étant alors la 18e;

mais surtout, dans l'hypothèse d'une référence à la lyre à 7cordes, le chiffre 15 est tout à fait sans signification: car deuxfois 7 = 14, et le chiffre 15 n'a apparemment pas sa place, étanthors de la série mathématique considérée: sur une base 15, onpeut avoir seulement 5 intervalles de 3 unités et six «cordes»,pas une de plus (voir les tableaux donnés par F. Cordano, p. 89et 102).5

II en va tout autrement si le nombre des fratrai est de dix-huit:

d'une part l'ambiguïté que l'on peut attribuer au texte du n°45 est levée: la quatorzième est bien aussi la quatrième avant ladernière et le remploi se justifie à l'intérieur de la même fratrie;

d'autre part et surtout, on peut utiliser un nombre quicontient un plus grand nombre de diviseurs que ne le permet lenombre 15 (soit 3 x 5 , deux nombres premiers), et par exempleintroduire une base deux ou une base six dans la représentation.Ces bases conviennent mieux, en réalité, aux opérations requi-ses pour l'organisation de la population, car elles offrent despossibilités de dimidiation et de multiplication que ne permetpas l'utilisation directe de nombres premiers tels que 3, 5 et 7.Tel est en effet l'esprit des logisticiens grecs de l'époque archaï-que et classique.6

5 La question, cependant, n'est pas gratuite: voir sur ce point, à proposde la reconstruction du système musical parfait conçu par Aristoxène, l'hési-tation marquée par A. BÉLIS, Aristoxène de Tarente et Aristote: Le traité d'har-monique (Paris, 1986), p. 165, n. 60, pour déterminer si ce système comportait15 ou 18 notes: 'il devait en tout cas couvrir une double octave, tessituremaximale d'une voix humaine et des instruments qui servent de référence auxraisonnements d'Aristoxène; ce système comprend 5 tétracordes disjoints'.

6 Voir M. CAVEING, La figure et le nombre, Recherches sur les premières

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En se référant à ces bases, on peut alors donner une justi-fication de la référence aux cordes de la lyre. Car l'organisationen 18 fratrai donne les moyens de constituer des μέρη, des sub-divisions, de plusieurs ordres et une distribution en quantièmeségaux: en regroupant les fratrai par groupes de trois, on crée six'paquets' qui se juxtaposent sur 7 lignes parallèles, selon la fi-gure suivante:

III

1 2 3 4 5 6 7 8 9

IV V

10 11 12 13 14 15

VI VII

16 17 18

F. Cordano a présenté dans son tableau de la p. 102, unepremière représentation de l'hypothèse '18 ' en trois paquets desix sur trois lignes, mais la représentation la plus convenable,dans l'abstrait, est celle du tableau de la p. 90, à partir de la-quelle on regroupe les 18 fratrai en six paquets de trois sur uneseule ligne, les fratrai devant être considérées comme toutes éga-les. Restera à voir si cette distribution a une correspondancematérielle sur le terrain dans la disposition des lots ou kléroi at-tribués aux citoyens répartis dans ces fratrai.

On trouve en tout cas bien, par cette représentation, la jus-tification des appellations ύπατα et νήτα, ces deux termes, parune extension tout à fait justifiable, servant à désigner non les«axes» eux-mêmes, les cordes premières et dernières, mais les'intervalles' extrêmes qu'ils délimitent.

mathématiques des Grecs, «Septentrion», 1997, pp. 211-244, et mes études surl'organisation des cités thessaliennes ou ioniennes d'Achàïe (dans «Topoi»,7,1997, p. 207-262).

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LE 'SENS DE LECTURE' ET L'INTÉRÊT DE LA LYRE POUR FIGURER

DES CONSTRUCTIONS GEOMETRIQUES DANS L'ESPACE (NOTION DE

DAMIER)

Les noms des deux cordes υπάτη et νήτη ne portent pas, lesmusicologues l'ont vu depuis longtemps, l'idée de la hauteur destons, haut et bas ou aigu et grave, mais plus simplement l'idéed'un positionnement dans l'espace par rapport au corps mêmedu lyrikos. Car νήτη ne veut pas dire 'la dernière', mais en réa-lité 'la plus profonde', celle qui est comme enfouie 'au fond dusillon'.7 En fait, l'utilisation de ces deux noms pour les cordesextrêmes est déterminée par un rapport à l'espace, qui est ex-primé de deux façons:

d'une part dans le vocabulaire, par le fait que, pour unGrec, on monte vers le grave et on descend vers l'aigu: pournous modernes, c'est l'inverse, on descend vers le grave, onmonte vers l'aigu;8

d'autre part et surtout par la manière dont on tient l'ins-trument.

A propos de l'appellation des notes ches les Grecs, A. Bélisa montré dans son étude sur Aristoxène de Tarente que ' ces dé-nominations sont intimement liées à une pratique instrumentaleet concernent précisément des cordes: corde nète, corde hy-pate'.9 Cependant la conclusion qu'elle tire de cette observa-

7 Cf. CHANTRAINE, Dict. étymologique·, s.v. νέιος: le terme désigne 'uneterre de plaine fertile, lourde et grasse', et le sillon profond qu'on y trace.

8 Cf. le texte célèbre et maintes fois commenté intitulé 'Όσα περίάρμονίαν, Pseudo-Aristote, Problèmes, XIX, 4 (917b): dans ce passage, 'montervers l'hypate' se dit το άνω βάλλειν, cf. la note de l'éditeur, P. Louis, à ce pas-sage (p. 251, n. 11), même si, dans d'autres problèmes du même mémoire, ontrouve des notations contraires: car beaucoup de ces textes semblent bien êtrecomposés de pièces et de morceaux renvoyant à des états successifs ou à desconceptions différentes de la musicologie des Anciens (cf. P. Louis, o.c, p.96-99).

9 Aristoxène de Tarente et Aristote: Le traité d'harmonique (Paris, 1986),pp. 136-137, où l'auteur utilise une comparaison 'd'ethnomusicologie' avec lesdénominations employées par un joueur de 'saz' en Turquie, les cordes étant

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tion, à savoir qu' 'il ne s'agit pas d'une représentation spatiale àproprement parler, mais d'une commodité de langage, liée à uninstrument à cordes, tenu horizontalement et dont chaque sonest produit par une corde', me paraît trop restrictive. Elle n'estvalide, à mon avis, qu'en ce qui concerne les appellations desnotes elles-mêmes, quand celles-ci sont devenues les éléments dela notation musicale en général, appliquée à l'ensemble des ins-truments de musique.10

Il me semble au contraire qu'à date ancienne, c'est bien àune perception de leur instrument dans l'espace que les lyrikoise référaient, et qu'ils le faisaient en fonction d'une perceptionde l'espace qui était le lot commun11 et dans laquelle s'exprimaitun rapport du proche au lointain différent du nôtre: c'est ce quiest proche qui est premier.12 De cette perception, nous avonsd'autres indices: par exemple le sens de lecture des cartes géo-graphiques, des textes épigraphiques ou des légendes monétai-res, dont j'ai parlé ailleurs:13 cette lecture se fait du proche aulointain, ce qui revient à dire que, dans certaines positions, lestextes sont lus de bas en haut et non de haut en bas. Il apparaîtégalement qu'à partir de l'époque classique, ce mode de percep-

désignées en conformité avec leur position sur son luth; cf. S. BAUD-BOVY, Ledorien était-il un mode pentatonique, «Revue de Musicologie», LXIV, 1978,n° 2, p. 164.

10 A. BÉLIS, ibid.: 'dès qu'il s'agit de structurer les notes en systèmes inabstracto, sans plus se référer à la lyre heptacorde, les noms se vident de leursens'.

11 Selon A. BELIS, O.C, p. 163, fin de la n. 8, R. Tanner a cru trouver la'clé du système grec' dans le fait que le mode de perception des Grecs étaitinverse du nôtre, hypothèse exposée dans La Musique Antique Grecque, «Re-vue Musicale», 248, 1961, p. 41 sqq.

12 Nous avons pris l'habitude de 'faire un tour d'horizon' pour nous si-tuer dans l'espace; d'un Grec de l'Antiquité, on pourrait dire qu'il regardaitd'abord ses pieds avant de lever la tête vers les lointains.

13 Pour les monnaies, cf. Les émissions monétaires de la Confédérationthessalienne, in Rythmes de la production monétaire de l'antiquité à nos jours,Actes du colloque international Paris 10-12 janvier 1986 (Louvain la Neuve,1987), p. 51; pour les inscriptions (à propos de l'épigramme de Théotimosd'Atrax publiée par K. GALLIS, «Politeia», 6, 1982, pp. 51-64), cf. mes re-marques Bull épigr. 1988, 748, après celles de J. BOUSQUET, ibid., 1988, 45.

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tion a été altéré et que dans bien des cas, par la suite, il s'est enquelque sorte 'normalisé', en se développant selon des critèresqui sont aujourd'hui les nôtres. C'est ce qui explique, à monavis, que certaines de ses manifestations dans le vocabulaire oucertaines manières de disposer des éléments dans l'espace expri-mées par les auteurs de l'époque archaïque n'ont plus été com-prises au fil du temps. On voit de même que les musicologuesgrecs dont nous avons les écrits et qui sont tous postérieurs auVe siècle av. J.-C, ont cherché, comme le rappelle A. Bélis, àexpliquer de diverses manières ces dénominations d'hypate et denète: c'est parce qu'en fait ils n'en saisissaient plus d'emblée laraison d'être et n'en comprenaient plus l'origine.14

A l'origine de ces dénominations se trouvaient certaine-ment l'observation directe et le calcul des intervalles qui ontpermis aux 'philosophes d'Italie', comme dit Aristote,15 d'éta-blir le premier 'système' musical. L'observation directe aconduit d'abord, peut-on penser, à établir la prééminence dugrave sur l'aigu, parce qu'il est plus 'relâché' et, d'une certainefaçon, plus naturel: il se trouve ainsi posé comme 'premier'.16

Le calcul des intervalles intervient là-dessus: par la division ducanon, les Pythagoriciens ont ainsi découvert que chaque inter-valle était identifiable par un rapport de deux nombres. Lestrois rapports qui définissent les trois principales consonancessont de 2/1 pour l'octave, 3/2 pour la quinte, 4/3 pour la quarte.De ce point de vue, une fois encore, l'hypate est 'première',puisqu'elle vaut un, et la nète en est le double.17

Il y a plus: comme A. Bélis l'a montré, l'expérience qui aconduit les Pythagoriciens à établir ces rapports, expérience sou-vent décrite et dont Ptolémée a donné le schéma, suppose que

14 Voir les tentatives d'explications, en analogie avec la position des pla-nètes, données par Aristide Quintilien, De Musica, I, Meib., p. 10 et 11, avecles commentaires d'A. BELIS, ibid.

15 Métaphysique A 985 b 31: ces philosophes d'Italie sont évidemment lesPythagoriciens et Pythagore lui-même, cf. les commentaire d'A. BÉLIS, O.C,pp. 65-68 et plus récemment de M. CAVEING, O.C. (n. 6), p. 272.

16 Sur la prééminence du grave, cf. Aristote, Problèmes, XIX,7 (917b) et37 (920b).

17 Cf. Aristote, Problèmes XIX, 35 (920a), et A. Bélis, ibid.

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Ton tende 'sur une planchette une corde soutenue à ses extré-mités par deux chevalets; la table est divisée en douze sectionségales; un curseur intercepte la corde au point désiré par l'expé-rimentateur, en un des points gradués. Grâce au numérotage dessections, on lit directement le chiffre auquel correspond tel son,puis le chiffre auquel correspond tel autre; l'intervalle produitpar les deux sons sera exprimé par le rapport des deux chiffresque l'on aura lu. Le canon harmonique donne donc une lecturevisuelle de phénomènes auditifs'.

Nous tenons là, me semble-t-il, les éléments de perceptionet de calcul qui expliquent la position de Yhypate: première, elleest aussi la plus proche. La nété, au contraire, à l'autre extrémitéde l'octave, a la caractéristique de ce qui est le plus éloigné, ex-trême. Si nous revenons, à partir de ces observations, à la ma-nière de tenir la lyre, on constate, en examinant avec A. Bélisles représentations figurées où un instrumentiste est en train dejouer,18 qu'il y en a deux. Je cite:

' Dans un premier cas l'instrument est tenu presque à l'ho-rizontale; maintenu par le baudrier tendu autour du poignetgauche, il est plaqué contre le flanc gauche du musicien, le basde la caisse au niveau du coude. Les montants ne touchent pas lebuste, et la face intérieure de la lyre (c'est-à-dire celle où sonttendues les cordes) n'est pas au contact du corps, comme il estnaturel si l'on veut que l'instrument résonne bien...'.

'Dans l'autre cas, plus rarement représenté il est vrai, lalyre est tenue presque à la verticale. Le montant gauche est aucontact de la poitrine du musicien, et la caisse se trouve dans lepli de l'aine'.

Ainsi donc, quelle que soit la position de l'instrument, lacorde qui se trouve 'en haut' sur l'instrument, dans la situationla plus élevée, υπάτη, se trouve aussi au plus près du visage, del'oreille du lyrikos.19 Le vocabulaire des musiciens de l'époque

18 A. BÉLIS, A propos de la construction de la lyre, «BCH», 109, 1985, p.212; cf. aussi du même auteur, A propos de la coupe CA 482 du Louvre,«BCH», 116, 1992, p. 53-59, et La cithare du relief des théores, essai de da-tation, «BCH», 119, 1995, pp. 369-374.

19 On ne peut dire, comme F. CORDANO, que '«l'ultima» corda (se. la

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archaïque l'exprime clairement et cela est confirmé par les re-présentations figurées. Dans ces manières de parler et de voirl'instrument, on trouve évidemment un rapport à l'espace, unemanière de le concevoir et de le construire.

Dans cette perception de l'espace, la lyre sert aussi de 'mo-dèle géométrique et arithmétique', elle fonctionne comme unabacos. Cela ressort, à mon avis, de l'expérience réalisée par Py-thagore sur le monocorde, dont j'ai déjà parlé, avec la divisionen intervalles et l'installation, en divers points, du curseur ser-vant à marquer sur la corde les intervalles. Car, sur la lyre à septcordes, les mêmes intervalles peuvent être reportés sur chaquecorde, et l'on peut ainsi dire, je crois, que les sept droites paral-lèles peuvent en effet être recoupées par des transversales pla-cées à intervalles réguliers, un peu comme on peut 'barrer' lescordes d'une guitare, et l'on obtient facilement l'image d'un da-mier. C'est ce rapport à l'espace qui se trouve exprimé, dansl'organisation de la cité de Camarina, par les dénominations,empruntées au vocubulaire musical, de la première et de la der-nière fratra.

Il semble bien aussi que le même rapport soit exprimé parle nombre total des fratrai. Car si, comme nous l'avons dit, ilexistait six intervalles, chacun de ces intervalles est égalementdivisé en trois. C'est ce que faisaient déjà les musiciens de l'é-poque archaïque, comme l'a montré A. Bélis: car entre deux cor-des, correspondant chacune à une note fixe, il existe deux notesmobiles, produites lorsque le musicien veut élever une cordepour une durée limitée. Cette possibilité permet de créer deuxdegrés intermédiaires, susceptibles de se mouvoir d'un quart jus-qu'à un demi ton. L'intervalle est donc bien de trois: note fixe+ quart de ton + demi ton.20 L'organisation des fratrai de Ca-marina, et celle du plan urbain dessiné pour la cité paraissentbien se conformer à ce principe. On peut comprendre aussi

νήτη) délia lira si chiama cosi perché è la più vicina al λυριπός, in altre parole èla «più bassa» solo in senso fisico, mentre in senso musicale corrisponde allanota più alta, proprio corne la υπάτη è la «prima» ο la «più ait a» perché è lapiù lontana dal suonatore délia lira, ma émette la nota la più bassa' (p. 420).

20 A. BÉLIS, «REG», 95, 1982, p. 54-73 et «BCH», 109, 1985, p. 216.

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pourquoi le même terme qui désigne les tons, tonoi, a pu serviraussi pour nommer certaines subdivisions de l'espace civique.21

Ce rapport à l'espace se trouve formalisé d'une manière en-core différente dans l'organisation d'une autre cité au moins,mais toujours par référence à une forme géométrique et à unmouvement mélodique. Dans son étude, F. Cordano a bien notéque la référence aux deux cordes extrêmes de la lyre a pu êtreutilisée pour dénommer deux portes de Thèbes de Béotie: l'uneportait le nom de Νήϊσται πύλαι, l'autre de Ύψισται = υπάτη, etelles étaient voisines l'une de Vautre.22 On se trouvait donc làavec une représentation circulaire, au moins en théorie, celle del'enceinte de Thèbes. Dans cette représentation, comme ilconvient, les deux extrémités de la circonférence se touchent.Cette idée de circularité s'appuie, je crois, sur le constat que 'lanété, quand elle atteint son terme et qu'elle s'éteint, devient hy-paté', comme le dit l'auteur d'un mémoire antique sur l'Harmo-nie.23

Il n'y a pas de raison de douter que cette représentation del'enceinte de Thèbes n'ait pas été matérialisée sur le terrain, aumoins approximativement, à partir de calculs mathématiques.24

C'est d'abord ce qui ressort de la présentation qu'en a donnée

21 F. CORDANO, op.cit. (n. 2), p. 422, rappelle justement qu'à Ténos lesquartiers de la cité sont appelés τόνοι, d'après IG XII 5 (2), 872, cf. R.ETIENNE, Ténos, vol. II (1990), p. 22, avec renvoi à R. MARTIN, L'urbanismedans la Grèce antique (1974), p. 205.

22 Pausanias, IX, 8, 4-7, cf. F. CORDANO, ibid., p. 423-426, qui rappelleque Thèbes fut fondée, selon la tradition, par le lynkos Amphion et qui donneles autres références aux auteurs anciens.

23 Aristote, Problèmes XIX, 42 (921b). Cette notion de circularité dans'l'espace sonore' se retrouve chez Aristoxène, interprétée différemment: laprogression mélodique est dite περιφερής lorsqu'elle composée de deux mouve-ments, une progression de l'aigu au grave et du grave à l'aigu, cf. A. BELIS,o.c, p. 160.

24 On ne peut pas ne pas remarquer que le principe de la représentationen question s'apparente à celle d'un polygone inscrit dans un cercle, avec septsommets (un fragment de Callimaque attribue à Thaïes le mérite d'avoir le pre-mier tracé un 'cercle de sept longueurs'), tel qu'il a été obtenu pour le calculde l'aire circulaire et l'approximation du nombre π dans les recherches attri-buées à Thaïes de Milet, cf. M. CAVEING, O.C. (n. 6), p. 57-60.

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Pausanias: partant des associations que le Périégète fait de telleporte avec tel autre monument ou élément remarquable de la to-pographie thébaine,25 les modernes ont noté que son énuméra-tion des portes se fait dans le sens contraire à celui des aiguillesd'une montre. Mais Pausanias n'a pas connu quel était le pointde départ fixé ni le sens adopté à l'origine pour dénommer lasérie des portes; il a abordé Thèbes par la porte Élektrai.26 Parréférence aux cordes de la lyre, il faut au contraire supposer quela première porte était YHypsistai. Selon les spécialistes de la to-pographie thébaine, celle-ci était située, pense-t-on, près dusanctuaire de Zeus Hypsistos, au Sud de la ville.27 Il n'est pasquestion pour moi de reprendre ici tous les problèmes que po-sent l'identification et la localisation des portes de Thèbes; quel-ques observations s'imposent cependant.

D'une part, rien ne nous assure que le point de départ to-pographique de la séquence ait été au Sud. La seule indicationd'orientation est donnée par la mention d'une porte appelée Bor-rhaia, 'la porte du Nord'; mais nous ignorons sa place dans lasérie et nous ne pouvons en conclure qu'elle devrait se trouver àl'opposé de l'Hypsistai, si celle-ci n'était pas au Sud. En fait,comme je l'ai montré ailleurs, le seul repère d'orientation dontdisposaient les Anciens était le soleil levant. Ils situaient donc àl'Est le point de visée, qui changeait selon les saisons, avec lelever héliaque d'été et celui d'hiver.28

D'autre part le 'sens de lecture' paraît difficile à détermi-ner, mais il a dû avoir une grande importance. On devrait, au

25 Sur les différentes mentions des portes qu'on trouve chez les auteursanciens et les propositions de localisations avancées par les modernes, cf. S.SYMEONOGLOU, The Topography of Thèbes from the Bronze Age to modem ti-ntez (Princeton, 1985), pp. 32-38.

26 Cf. S. SYMEONOGLOU, O.C, p. 35: 'Pausanias was quite orderly in re-ferring first to the gâtes he actually used during his visit to Thèbes'.

27 Cf. S. SYMEONOGLOU, O.C, p. 36: 'The Hypsistai must be at the highpoint near the southern tip of the Kadmeia, where was a sanctuary of ZeusHypsistos'. Mais la localisation de celui-ci n'est pas assurée, sinon par l'inter-prétation de Hypsistos comme le 'point haut' de la cité, cf. S. SYMEONOGLOU,o.c, p. 125.

28 Cf. L'État thessalien..., p p . 1 7 6 - 1 7 8 .

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moins à titre d'hypothèse, se référer au sens de lecture que nouspouvons attribuer aux anciens Grecs, à partir de quelques indiceset en particulier la disposition des légendes monétaires: le pointde départ est en bas, donc au plus proche, et suit le sens desaiguilles d'une montre; dans cette perception de l'espace, le pointle plus éloigné de celui qui 'lit' est évidemment en haut, comme lemontre la figure suivante, qui reste purement théorique, mais quel'on peut orienter soit vers le Nord, soit vers n'importe quel autrepoint, et en particulier, selon moi, vers l'Est:

Borrhaia

Hypsistai^-< Ar Néistai

C'est évidemment une représentation plus immédiate quiest à la base de la dénomination des fratrai de Camarine, Mais laréférence à l'espace demeure. Les éléments de la cadastration ur-baine qui ont été retrouvés à Camarina, d'après les plans reprisdans la publication de F. Cordano, sont suggestifs. On voitainsi, sur l'axe Est-Ouest, sept alignements, dont seuls quatreont été considérés par les archéologues comme des plateiai et ontde ce fait reçu une identification par des lettres (ABCD). Maisen réalité, la numérotation se fait à partir de l'axe deuxième:celui qui est au bord du rempart n'est pas compté. De même nesont pas comptés les deux derniers, au Nord. On aurait bienpourtant là 7 lignes, correspondant aux sept cordes de la lyre(cf. ci-dessus).

C'est le lieu de revenir ici sur une étude tout à fait remar-quable de G. Vallet, Avenues, quartiers et tribus à Thounoi, ou

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comment compter les cases d'un damier?> dont le titre mêmemontre qu'il apporte la solution la plus convenable à notre pro-blème. Par Diodore, on apprend en effet que la cité de Thourioiest divisée selon 4 plateiai dans un sens et 3 dans l'autre. MaisG. Vallet a bien montré, en confortant l'interprétation que vonGerkan a présentée de ce texte, qu'il fallait compter aussi lescases du damier qui sont 'à l'extérieur' de la grille formée parces plateiai: 'Les rues étaient bordées de maisons des deux côtéset, le long de la muraille, on avait non une rue, mais uneπάροδος; cela détermine vingt quartiers, dont il faudra soustraireun certain nombre pour le marché, les temples et les édifices pu-blics, ce qui nous donnera une quinzaine de quartiers pour lesmaisons'.30 Il est clair que, à Camarina comme à Thourioi, lesparodoi qui longent la muraille doivent être pris eux aussi encompte dans le compte total des axes qui 'délimitent' les inter-valles, les bandeaux, dans lesquels on va ensuite insérer la tramedes sténopoi et des maisons.

On comprend mieux alors la représentation par intervallessur laquelle repose le système de distribution des fratrai et parconséquent les principes de leur numérotation. L'utilisation decette représentation n'entraîne cependant pas automatiquementque les fratrai ont été réparties spatialement dans la grille ainsidessinée, pas plus qu'à Thourioi on ne peut garantir que les dixtribus étaient distribuées régulièrement dans les cases du damierconstituant la trame urbaine.31 G. Vallet concluait en effet: 'iln'y a donc aucun rapport numérique à établir entre le nombredes plateiai et la répartition des tribus dans la ville'. Cela estsans doute vrai si on se réfère à la représentation donnée parDiodore, mais cela ne l'est pas nécessairement par rapport à uneou à d'autres distributions numériques, qui permettaient norma-

29 G. VALLET, dans L'Italie préromaine et la Rome républicaine, Mélangesofferts à Jacques Heurgon, republié dans Le monde grec colonial d'Italie du Sudet de Sicile (1996), pp. 526-538, avec le commentaire explicatif de la descrip-tion que fait Diodore, XII 10, 7, de l'organisation première de la cité de Thou-rioi, την δέ πόλιν διελόμενοι πατά μεν μήπος εις τέτταρας πλατείας etc.

30 V. GERKAN, Griechische Stàdteanlagen, Untersuchungen zur Entwicklungdes Stàdtebaues im Altertum (1924), p. 57, traduit par G. VALLET, O.C, p. 534.

31 Sur ce point cf. G. VALLET, ibid.

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lement d'établir une relation entre l'organisation de la popula-tion et sa distribution spatiale.32 C'est ce que nous devons re-chercher maintenant en examinant les subdivisions des fratraique sont les triakades et ikades attestées à Camarina par les mê-mes tablettes de plomb publiées par F. Cordano.

BASE TROIS ET BASE SIX

Arithmétiquement, le nombre 18 est un commun multiplede 2 et 3, avec des quantièmes multiples, 6 et 9, c'est à dire 2 χ3 et 3 χ 3. Mais il est plus intéressant, comme je l'ai montrédans des études précédentes, de considérer ce nombre commeun sustenta monadon, engendré selon des règles précises. De cepoint de vue, on peut considérer comme une évidence que cettebase 18 repose sur la combinaison d'une base trois et d'une basedeux. On part d'une première duplication 3 + 3 = 6 (ou 3 χ2), puis, après une seconde duplication, on obtient 6 + 6 (ou 6χ 2) = 12. On n'opère pas de troisième duplication, mais onincrémente le total précédent d'un quantième (méros) de l'opé-ration précédente:

dix-huit = douze + la moitié de douze (12 + 6).Je viens de décrire une manière possible de 'générer' la

base 18 dans un système qui est spontanément additif, pour re-prendre une expression de mathématicien. Mais il peut en exis-ter d'autres, et je montrerai plus loin que la genèse de cette base18 semble plutôt avoir été, dans le contexte de l'histoire proprede Camarina, le résultat d'une opération soustractive.

Quoi qu'il en soit, les propriétés de cette base 18 ne se li-mitent pas à celles qui viennent d'être décrites (quantièmes surbases 6 et 12). On trouve d'autres avantages à cette base 18, carelle se divise aisément en plusieurs autres quantièmes d'ordresdifférents:

32 Cela est bien montré a contrario par le fait que, pour surmonter cettedistribution quasi-automatique des unités sociales dans les unités spatiales, cer-taines communautés exigent qu'on ait recours à un tirage au sort des lots deterre.

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- en deux moitiés égales: 18 : 2 = 9 (ou en opération ad-ditive 9 + 9 = 18)

- en trois parties: 18: 3 = 6 (opération additive 3 + 3 +3 + 3 + 3 + 3)

- ou encore en 6 parties 18 : 6 = 3.On peut tirer dès maintenant du choix de cette base l'idée

qu'elle a servi dans un certain nombre de domaines d'applicationpropres à la vie civique, par exemple dans l'organisation desrythmes de la vie politique selon un calendrier précis.

RAPPORT AVEC LE CALENDRIER

Le calendrier est évidemment affaire du législateur.33 Lesrapports entre calendrier et organisation civique ou militairesont bien connus et, pour les cités siciliennes, F. Cordano les arappelés brièvement dans Note sut gruppi civici sicelioti (Miscel-lanea Greca e Romana, XVII, Rome 1992, p. 138). Cette réfé-rence est d'autant plus justifiée, semble-t-il, que les tablettes deCamarina attestent l'existence de deux subdvisions de la fratra,et celles-ci sont désignées par les termes eikas et triakas. Cesdeux termes sont bien connus en grec comme désignations desjours particuliers du mois qui sont le 20 et le 30 du mois.34 Enfait, même si l'on peut, à l'extrême rigueur, traduire ces motspar 20e ou 30e jour, il s'agit en réalité, comme l'exprime claire-ment la formation en -ας, de la vingtaine et de la trentaine.35

On a également utilisé ces dénominations pour des groupes

33 Cf. Platon, Lois, etc.34 Cf. F. CORDANO, O.C. (n. 1), p. 75-76, qui renvoie à SCHWYZER, Griech.

Grammatik, I (1939), p. 730, pour le suffixe -κας, et aux observations de L.DUBOIS, Bull, épigr., 89, 856, à propos d'une inscription sur vase (ca. 460 av.)de Morgantina.

35 Sur ce point, cf. les observations présentées par M. CAVEING à proposde tétras, dans «Topoi», 7, 1997, p. 168-170 et déjà L. ROBERT, Un décretdorien trouvé à Délos, «Hellenica», V, 1948, p. 12: 'De même (que dans l'or-ganisation sociale, cf. ci-dessous) dans le calendrier, la τριαπάς est l'aboutisse-ment d'un groupe de trente jours, et non la trentième partie d'un mois, commeΓείκάς est l'aboutissement d'un groupe de vingt jours, et non le vingtième d'unmois'. De même J. et L. ROBERT, Bull. 67, 398.

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civiques dans différentes cités du monde grec, 'exclusivementen contexte dorien'.36 Cependant, ces termes, eikas et triakas,ont fait l'objet d'interprétations inacceptables de la part de nom-breux érudits modernes. C'est ce que L. Robert avait déjà rap-pelé dans son étude Un décret dorien trouvé à Délos, HellenicaV, pp. 5-15; O n a entendu ordinairement ces τριαπάδες commedes groupes de trente personnes ou de 30 gène. C'est le sensqu'atteste Pollux, VIII 115: εκάστου δε έθνους γένη τριάκοντα εξανδρών τοσούτων, ά έπαλεϊτο τριακάδες. Selon R. Herzog, il s'agi-rait à Kos d'un groupement qui serait «la trentième partie» dela tribu.37 C'est pour les besoins d'une construction théoriquequ'il adopte ce sens.38 Mais je ne vois pas comment on peut jus-

36 F. CORDANO, o.c, p. 92-93, qui, pour cet emploi de triakas, cite à justeraison (dans sa n. 6) la référence fondamentale, BUSOLT SWOBODA, Gr. Staats-kunde, I, p. 258, et un certain nombre de travaux plus récents, dont L. RO-BERT. Celui-ci précisait, o.c, p. 10, n. 6: 'on trouvera dans Busolt Swoboda,Gnechische Staatskunde (1926), 258, n. 6, avec l'addendum de Wilhelm, p.630 h, tous les textes connus à cette date; Wilhelm a même signalé notre dé-cret inédit'. L'emploi dans le même sens du terme eikas ou hikas est, lui, beau-coup plus rare: on le trouve à Morgantina (cf. n. ci-dessus). Il me paraît qu'ila dû exister aussi en Crète, où les anthroponymes Ίκαδίων, Ίκάδιος, Είκάδιοςsemblent particulièrement bien attestés (cf. FRAZER, Lexikon of the Greek Na~mes, vol. I, p. 233, voir aussi Εΐκάς à Cos, ibid. p. 146); on trouve des attes-tations de ces noms beaucoup plus rarement à Athènes et à Délos (FRAZER,o.c, vol. II, p. 132). Il faut ainsi restituer le nom Είπάδιος sur l'une des plusconnues des stèles peintes de Démétrias qui porte l'épitaphe d'un Cretois, Χαι-[ρω]νίδης Είκ[αδί]ου Κρής Λύττιος, pour laquelle A.S. ARVANITOPOULOS, Thessa-lika Mnemeia, n° 8 restituait un fantasmatique Χα[λκοκ]ηδης.

37 Note de L. Robert: 'Heilige Gesetze von Kos «Abhandl. Berlin»,1928, VI, 42-43, sans discussion sur le sens, comme une chose qui va de soi.Suivi par M. GUARDUCCI, Uistituzione délia fratria, ..., II, 98-100'.

38 Note de L. ROBERT: 'II (Herzog) reconstruit «mit mathematischer Si-cherheit» (sic), par comparaison avec Samos, où l'on connaît la série δήμος, φυ-λή, χιλιαστύς, έκατοστύς, γένος, une série de subdivisions, d'origine militaire:δαμος (de 9.000 hommes), φυλά (3.000), χιλιαστύς (ou ένατα du δάμος; 1.000 h.),τριακάς (un trentième de la tribu; 100 h.; correspondrait à Γ έκατοστύς),πεντηκοστύς (50 h.). Selon lui, «durch unsere Klarstellung der Koischen Glie-derung erledigen sich die Ausfiihrungen von Platon (Inscr. Cos, XXXV);Szanto, Oie gr. Phylen, 24; Francotte, La Polis grecque, 126, Busolt, Gr.Staatskunde, I, 258; Nilsson, Griech. Veste, 18; Blinkenberg, Oie lind. Tempel-chr. (1915), 17». Les auteurs ont ordinairement admis qu'il fallait distinguer,

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tifier linguistiquement ce sens du mot; normalement, la τριαπάςdoit être un groupe de trente, comme la δεπάς est un groupe dedix;39 la 'dixième partie', la dîme, sera la δεπάτη... La τριαπάςdoit être un groupement de trente, comme la πεντηποστύς est ungroupement de cinquante, et non la cinquantième partie d'untout'.

C'est le contre-sens sur la signification de ces termes en -αςqui, me semble-t-il, a condamné l'hypothèse déjà formulée parR. Herzog, comme le rappelait L. Robert, sur l'existence, dansl'organisation civique, de constructions théoriques fondées surles mathématiques.40 Pourtant, l'utilisation des mêmes termesdans le comput calendaire et dans la distribution des groupes so-ciaux montre clairement que les triakades et les eikades sontd'abord des éléments entrant dans des calculs arithmétiques pré-cis: ce sont, comme le dit nettement la phrase de Pollux citéeci-dessus, les μέρη d'un ensemble organisé. Ainsi, à Camarina,avec la base dix-huit, on tombe automatiquement sur un calen-drier de 360 jours (18 χ 20 jours), que l'on peut évidemmentfacilement diviser en 12 mois lunaires de 30 jours, deux semes-tres de 180 jours, quatre trimestres de 90 jours (30 χ 3), troisquadrimestres de 120 jours (30 χ 4). On comprend alors beau-coup mieux l'emploi des noms eikas et triakas pour désigner desquantièmes (μέρη) dont les limites extrêmes sont le 20e ou le 30e

parmi les subdivisions de la cité de Kos, deux systèmes, d'époque ou d'usagedifférents. G. KLAFFENBACH, Gnomon, 6 (1930), 215, maintient, contre Her-zog: «Mir scheint die bisherige Erklârung, dass wir in Kos zwei verschiedene,wohl auch zeitlich getrennte Gliederungen zu unterscheiden haben, noch im-mer die grossie Wahrscheinlichkeit, ja Sicherheit zu besitzen». Pour un autrepoint de la théorie d'Herzog sur l'organisation politique de Kos, voir la contra-diction de M. SEGRE, Athenaeum, 1936, 96'. V. maintenant N.F. JONES, PublicOrganization in Ancient Greece (Philadelphia, 1987), pp. 236-242.

39 Note de L. ROBERT: ' Cf. par exemple, Études épigraphiques et philolo-giques, 124. Cf. Pollux, I 127: μέρη δ' αύτοϋ [de l'armée] χιλιοστύς, πεντηκοστύς,λόχος, δεπάς, πεμπάς'.

40 J'ai montré, dans L'État thessalien..., qu'un contre-sens identique avaitété fait par E. Meyer sur tétras, tétrade, et que ce contre-sens, accepté par leshistoriens à sa suite, avait conduit à une reconstruction inacceptable de l'or-ganisation politique des Thessaliens.

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jour, et qui sont donc constitués de 20 ou 30 unités (jours, hom-mes, etc.).

Le rapport au comput est intéressant parce qu'il suppose oupermet également l'introduction dans les calculs d'une nouvellebase, la base quatre. En effet:

360 = 3 χ 120 ou 90 χ 4 ou 6 χ 60et de même 120 = 40 χ 3 ou 30 χ 4 ou 20 χ 6.On peut enfin introduire dans tous ces ensembles une base

cinq, et contrôler avec précision les rapports entre base deux,base trois et base cinq en utilisant les quantièmes 20, 30, 120,etc.; on joue aussi avec les multiplicandes 10 (2x5) et 15 (3x5),qui vont peser sur presque tous les éléments utilisés dans le cal-cul. L'on voit ainsi apparaître encore un nouvel élément impor-tant: la base 20 (celle-ci étant le produit de 4 et de 5). C'est enfait celle-ci qui doit permettre de constituer les unités militaires,on va le voir.

LES TRIAKADES, LEUR NATURE, LEUR NOMBRE TOTAL, LEUR

DISTRIBUTION DANS LES FRATRAI

On a donc 18 fratrai. Ces fratrai sont subdivisées elles-mê-mes en triakades, groupes civiques plus petits. Il est intéressantde noter que dans le système dorien le plus 'traditionnel', à Cos,la triakas paraît être elle-même dans une position intermédiaireentre la phylé et la pentékostys.41 On peut retirer de cette der-nière mention, une fois de plus, l'impression (justifiée) qu'unebase cinq est nécessaire de quelque façon dans ces calculs, soitsous la forme 5 χ 10 = 50, soit la forme 5 x 4 = 20. Par rap-port à la triakas, la vingtaine, eikas, devrait se situer comme unensemble plus petit composé des mêmes unités, ou, ce qui estégalement possible, comme un groupe d'unités plus petites, in-clus conjointement aux triakades comme une autre unité de basedans des ensembles plus grands. C'est en fonction de ces deuxpossibilités qu'il faut se demander quelle est la nature exacte destriakades.

41 Sur ces groupes, cf. F. CORDANO, O.C, p. 92-93.

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Dans chaque fratra, les triakades sont des μέρη, des ensem-bles d'unités dont nous ignorons pour l'instant la position dansle système. Mais les adjectifs numéraux attestés dans les tablet-tes, qui sont ceux de la première, n° 27, et de la troisième tria-kas, les n° 2 et 69 (cf. F. Cordano, p. 83), montrent qu'il y enavait nécessairement plus d'une et au moins trois. Cependant ons'aperçoit que ces mentions sont rares, et apparemment non ré-gulières (utilisées peut-être, comme le suggère F. Cordano, pourlever l'ambiguïté de certaines homonymies).

Ce que nous devons déterminer, c'est quelles sont en faitces unités qui sont des trentaines. On pourrait supposer parexemple qu'il s'agit d'ensembles successifs regroupant chaquefois un nombre fini (30 puis 20) d'unités plus petites, comme onpeut avoir dix décades de décades ou ensembles de dix unités( 1 0 x 1 0 x 1 0 = 1000). On pourrait ainsi voir dans les triakadesdes ensembles de 30 vingtaines (deuxième ordre par rapport auxfratrai), les vingtaines, ikades, étant elles-mêmes des unités pluspetites (troisième ordre) constituées comme des groupes de 20individus (citoyens), selon le schéma suivant:

premier ordre: fratraideuxième ordre: triakades

troisième ordre: ikades

Mais il semble qu'il ne soit pas possible de travailler surcette division en trois ordres successifs, car le nombre total desindividus (unités) dépasserait alors largement les effectifs de ci-toyens que l'on peut admettre pour une cité antique. Qu'on enjuge:

si 1 triakas est un ensemble de 30 ikades de 20 hommes, letotal des hommes est de 600 au total par triakas;

si on a 1 triakas dans chacune des 18 fratrai, le total deshommes est alors, pour les 18 fratrai, de 5.400 hommes

mais on sait qu'il existe au moins trois triakades par fratraet le total des citoyens est alors au moins de

18 fratrai χ 3 triakades de 30 ikades chacune (au total 90ikades par fratra, 1.800 hommes) soit 32.400 hommes.

Ce nombre théorique très élevé de citoyens me paraît ex-cessif, même si, à titre de référence, on peut citer les évaluations

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proposées par KJ. Beloch pour la population de Camarina.42

Mais en fait ce nombre ne peut même pas être pris en considé-ration, si on essaie de constituer à partir de lui des unités mili-taires correspondant à des effectifs réellement attestés dans lesarmées grecques, suivant des principes d'organisation que noustrouvons exprimés par un Tacticien tel qu'Asclépiodote.43 Parexemple, si on doit distribuer cette population de citoyens en 32régiments hoplitiques + 2 régiments de soldats hors rang,44 onn'obtient pas un résultat en nombre entier (32.400 : 34 =952,941....). Si on cherche une distribution sur la base de régi-ments de 320 hommes (comme le sont les régiments thessaliens,etc.), le total obtenu n'est pas non plus un entier (32.400 : 320= 1012, 5). Inversement, si on fait les calculs sur la base trois(par ex. 300 hommes par régiment, on obtient un nombre derégiments (32.400 : 300 hommes = 108 régiments) qui n'entrepas dans les tableaux d'organisation de la phalange. Ces calculsde vérification conduisent à penser qu'il vaut mieux renoncer àconsidérer les triakades comme des ensembles de 30 ikades. Onexclura également, et pour les mêmes raisons, toute hypothèsefondée sur la même hiérarchie en trois ordres avec la dispositioninverse de celle que je viens de présenter, soit des ikades(deuxième ordre) de trente unités (troisième ordre).

L'autre hypothèse de travail qui se présente repose sur lefait que les triakades et les ikades sont les unes et les autres desensembles d'individus qui constituent des séries juxtaposées etnon pas subordonnées, qu'elles sont donc toutes des subdivi-sions de la fratra de même ordre, mais qu'elles correspondent à

42 Ces évaluations sont rappelées par F. CORDANO, O.C, p. 91, n. 3: Be-loch pensait fixer le chiffre de la population de Camarina à 15/20.000 habi-tants pour la cité, à 30.000 au total, en comptant aussi les occupants disperséssur le territoire, pour la seconde moitié du 5e siècle. Ces chiffres sont le résul-tat d'un calcul qui part du nombre probable des citoyens 'chefs de famille'multiplié par 3 ou 4: on peut donc, sur ces bases, situer entre 5 et 7.000 lenombre des citoyens. Sur les évaluations de Beloch, qui sont à mon avis tou-jours un peu trop hautes, cf. mes remarques dans L'État thessalien, p. 280-281.

43 Asclépiodote, Traité de tactique (Paris, Belles Lettres, 1992).44 Sur ce décompte, cf. L'État thessalien, p. 202.

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des bases différentes, pour des fonctions différentes. Dans cettehypothèse, combien pourrait-il exister de triakades dans chaquefratra?

Pour en évaluer convenablement le nombre, il faut avoir uneidée de la population totale, ou en fait plutôt de celle des mobili-sables ou de celle des citoyens susceptibles de recevoir un kléros(ce qui revient au même). C'est en effet du chiffre total de la po-pulation que partent tous les raisonnements des logistai et des lé-gislateurs, comme le rappelle bien aussi Asclépiodote. Tel étaitaussi le sens de la recherche faite à partir de la première hypo-thèse exposée ci-dessus: faire apercevoir sur quel ordre de gran-deur on peut 'caler' l'évaluation de la population totale de la cité.

Le nombre en question doit répondre à plusieurs condi-tions. Premièrement, il me semble qu'il ne dépasse guère la di-zaine de milliers; deuxièmement il doit pouvoir contenir unmaximum des diviseurs que nous avons déjà rencontrés dans lescalculs précédents. En particulier il doit avoir été évalué, oumieux engendré, en considération de sa capacité d'une part àêtre subdivisé en unités sur base 3 ou 30 (3 χ 10), et d'autrepart à 'contenir' un nombre d'unités de mobilisables correspon-dant à une base 2 (nombre d'escouades, de sous-sections ou sec-tions, etc.) selon les principes exprimés par Asclépiodote (cf.L'État thessalien, p. 194-195).

On part alors du constat qu'il existe au moins une triakaspar fratra, ce qui donne le résultat suivant:

18 fratrai χ 30 hommes (1 triakas) = 540 hommes

Pour le nombre total des triakades, on peut proposer, selonles critères dont nous connaissons qu'ils ont été employés le plussouvent, une multiplication par dix,45 ce qui donne le calcul sui-vant:

18 fratrai χ 30 hommes (1 triakas) χ 10 (dix triakades) =5.400 hommes

45 Sur la nécessité de la base 10, cf. ci-dessus; pour la triakas, on peuts'appuyer sur Hésychius, s.v. μέρεια" φυλής μέρος έ% δέκα τρι(α%)άδων συνεστός.

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Le nombre 5.400 étant lui-même divisible par 20 ( = 270),on obtient du même coup un nombre de vingtaines qui corres-pond lui aussi à une base trois, puisque 3 χ 90 (trois triakades enfait) donne le même résultat. On pourrait ainsi proposer

l'existence de 270 ikades (vingtaines)correspondant à 180 triakades,nombre généré comme il convient en faisant l'addition de

180 plus la moitié de 180, qui est 90 (180 + 90 = 270),au total 5.400 hommes.On notera enfin d'une part que le nombre de 5.400 est

aussi divisible par 50 (division en pentékostys) = on obtient 108unités de 50 hommes, d'autre part que les 270 ikades peuventêtre réparties dans les 18 fratries par ensembles de 15 (car 270 :18 = 15). On vérifie par là que la base 5 intervient elle aussi demanière très concrète dans les calculs.

LES VINGTAINES, IKADES, ET LA DIVISION EN LOTS RURAUX ET URBAINS

Le total de 5.400 citoyens devrait correspondre à un mêmenombre de lots soit ruraux, soit urbains. Il semble bien que cesoit le cas. Il faut de toute manière vérifier ce chiffre de 5.400 à lafois dans sa globalité (le territoire urbain permet-il de construireraisonnablement une cadastration de 5.400 lots?) et dans sa dis-tribution (l'organisation des lots en 'paquets' se fait-elle sur lesmêmes bases de calcul que les fratrai et leurs subdivisions?).

Je ne connais pas dans le détail les éléments de la cadastra-tion urbaine qui ont été retrouvés à Camarina. Cependant,comme je l'ai déjà dit, les plans repris dans la publication de F.Cordano sont suggestifs. Il ne fait pas de doute, à mes yeux, quel'on doit compter, sur l'axe Est-Ouest, sept alignements (pla-teiai), dont quatre seulement ont été numérotés par les archéo-logues avec des lettres (ABCD), mais à partir de l'axe deuxième:le parodos qui est au bord du rempart au Sud n'est pas compté,de même que celui du Nord, et une plateia qui devrait porter lalettre E. On aurait bien ainsi 7 axes, correspondant aux septcordes de la lyre (cf. ci-dessus), inscrites dans le plan et délimi-tant 6 bandeaux (faute de mieux, je les désigne de ce nom pour

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éviter d'utiliser le terme 'bande', qu'on peut réserver aux sub-divisions spatiales plus petites), bandeaux intercalés entre lesaxes en question.

Les relevés des bandes constituant chacun de ces bandeauxsont évidemment incomplets. Mais pour le second bandeau, cons-titué de séquences discontinues, les archéologues ont cependantinscrit des numéros de série qui vont de 1 (au moins théorique-ment, puisque le premier chiffre inscrit est 7) à 50. Or, à premièrevue, il serait intéressant de savoir si on peut aller au delà de 50 etplus précisément à 54 (d'après le plan, on peut bien restituer quatrebandes de plus), car 54 est le double de 27, lui-même multiple de 3et de 9, qui sont les bases du calcul du nombre des fratrai. C'est eneffet un total de 5.400 citoyens et mobilisables que l'on obtient parle calcul et, selon toute probabilité, il faut donc aussi trouver 5.400lots individuels dans la cadastration de la ville et autant dans celledu territoire. Naturellement les lots urbains doivent être plus petitsque les lots ruraux, mais dans une proportion déterminée (parexemple ceux-ci sont dix fois plus grands que ceux-là).

Cela suppose en tout cas de trouver une base 10 ou 100dans la cadastration en question. Or, on se rappellera aussi quele nombre des ikades que l'on peut calculer est de 270 soit 10fois 27. Ce rapprochement paraît intéressant et même haute-ment significatif, car on doit en conclure que la cadastration nes'est pas faite sur la base des triakades, unités politiques (et pro-bablement nouvelles), mais sur celle des ikades, chaque sectiondéfinissant la partition du sol en autant de kléroi, ce qui corres-pond à la manière de faire ancienne (cf. L'État thessalien, p. 294-300). Ce raisonnement sur la base de 54 reste encore théorique,mais on peut affiner l'analyse, on va le voir.

Une information donnée par F. Cordano attire encore unefois l'attention sur la valeur 270: rappelant la fouille de deuxétablissements retrouvés sur le territoire, elle note, avec l'ar-chéologue, que la distance entre ces deux établissements est de270 m, sur la longueur 'de deux lots consécutifs'; d'après les pu-blications des archélogues, je comprends que 'le grand côté'd'un kléros fait 270 m et que le petit côté fait 210 m.46 Cette

46 Cf. G. Di STEFANO, Scavi e ricerche a Camarina e nel Raguseo (1988-

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valeur de 270 m est elle aussi significative: non pas que les Ca-marinéens aient utilisé le mètre (encore que 3 pieds de 0,33 mfont pratiquement 1 m), mais parce que les valeurs traditionnel-les en cette matière sont le plus souvent des carrés de 210 m (6fois 100 pieds de 0, 297 m, les chemins étant comptés en plus)ou 240 m (8 fois 100 pieds avec les chemins compris).47 On serappellera en fait qu'un stade peut être divisé en 600 pieds de0,30 m, soit 180 m, et que 270 m se distribuent en 180 m. plusla moitié de 180, soit 90 m ou encore en deux fois 135 m (voirplus loin), et enfin que 270 χ 2 = 540 m, qui correspondentexactement à 3 stades de 180 m.

Dans la ville, la même division a été opérée, mais sur labase de lots plus petits, eux aussi répartis en bandes séparées pardes chemins {sténopoi). On sait que ces bandes sont segmentées(cf. le plan partiel du secteur du temple d'Athéna dans F. Cor-dano, o.c, page 119 et le Guida al museo e alla città antica pu-blié par G. Di Stefano, p. 33). On voit là une segmentation surbase deux, qui est bien celle qu'on attend à la lumière de ce quivient d'être dit. Chaque bande fait en réalité 135 m de long sur34 m 50 de large, chacune des bandes étant divisée en deux ban-des parallèles de 10 maisons, celles-ci occupant chacune un ter-rain de 17 χ 12 m, réparti comme suit:

en largeur sur la bande: 1 7 m + 1 7 m = 34m, plus unebande de séparation de 0,5 m.

en longueur: 10 fois 12m = 120m plus 15 m pour leschemins (9 fois) soit 1, 66 m pour chacun des chemins, qui de-vaient sans doute représenter 5 pieds, avec une valeur de la lon-gueur du pied à 0, 332 m ou 5,5 pieds à 0,30 m ( = 1,65 m).

Cette partition en 2 xlO est une base de calcul très simplepour le géomètre sur le terrain et permet sans difficulté d'opérerpar multiples de 10. Elle correspond exactement aussi au calcul

1992), «Kokalos», XXXIX-XL, 1993-1994, p. 1379-1380 et fig. 6, où la re-présentation des kléroi se fait sur la base de 265 m à laquelle il faut certaine-ment ajouter la largeur des chemins (sur ces problèmes, cf. L'État thessalien,pp. 296-297).^

47 Cf L'État thessalien, ibià.

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SUR LES FRATRAI DE CAMARINA 389

par ikades. On aurait ainsi des bandes théoriquement calculéessur la base de

54 fois 10 χ 10 = 5.400ou 27 fois 20 χ 10ou encore 5.400 lots répatis en 270 ikades dans 6 bandeaux

de 45 bandes de 20 maisons par bande.Mais il faut aussi tenir compte des espaces réservés pour

l'agora et les monuments publics, temples, etc. Ces espaces sonteux aussi calculés à proportion des autres,48 sur le module debase, la bande de 135 χ 34,5. On a vu ci-dessus, à propos deThourioi, que von Gerkan, et après lui G. Vallet, attribuaient parhypothèse cinq des vingt quartiers de la ville aux espaces publics.A Camarina, on peut prendre un rapport analogue,49 sur base dix,et supposer que les bandes réservées étaient au nombre de 100lots (soit 5 bandes de 2 χ 10) par bandeau. Sur cette base, on peuten effet respecter la partition en 6 bandeaux intercalés entre les 7cordes: car 5400: 6 = 900 lots privés par bandeau, plus (comptethéorique) 600 lots, soit 6.000 lots au total.

Ce nombre total de 6.000 lots n'est pas, à mon avis, le ré-sultat d'une déduction arbitraire. Il est au contraire plausible, jecrois, parce qu'il est le résultat d'une translation de fractions dé-cimales régulières du nombre 5.400 lui-même, cumulées à celui-ci. Si Ton additionne

5.400 + 540 + 54 + 5 + 1on obtient en effet un total de 6.000 lots, en se donnant ainsi lapossibilité de cadastrer aussi bien les propriétés privées que lesespaces publics sans modifier aucunement l'organisation mathé-matique de l'ensemble du système.

Sur ces bases, on peut répartir le total des bandes entre les

48 L'extension de ces espaces peut se calculer à proportion des autres surle plan de la cité, comme me le fait remarquer F. Cordano.

49 Pour Thourioi, les auteurs cités (voir n. 29) ont retenu une proportionde un sur quatre, mais il s'agit du nombre des quartiers, je le rappelle, et nondu nombre total des lots, que nous ignorons; pour Camarina, où il faut opérerà partir du décompte des lots, la base dix me semble la plus vraisemblable pourretrouver le nombre des lots réservés aux monuments et espaces publics, pourles raisons que je vais dire.

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plateiai de manière égale dans les 6 bandeaux, selon le calcul sui-vant:

6 bandeaux de 50 bandes χ 20 (deux fois 10 lots par ban-des) = 6.000 lots.

Mais on peut aussi les répartir de manière inégale. Carpour la distribution des bandes dans les 6 bandeaux, c'est le ter-rain qui commande, du moins en apparence. Le plan de Cama-rina montre en effet que les bandeaux situés le plus au Norddoivent être plus courts que les autres. Il ne faut voir sans doutelà rien d'anormal et la répartition peut se faire, par exemple,comme suit:

un, deux ou trois bandeaux comportent au moins 60 ban-des de 20 maisons, soit au total 3 χ 60 χ 20 lots = 3.600 lots

reste à répartir 2.400 lots sur trois bandeaux, soit, toujoursà titre d'exemple, 40 bandes de 20 maisons χ 3 = 2.400.

Mais on peut aussi répartir ces 6000 lots regroupés en 300ikades (dont 270 ikades de lots privés) de manière proportion-nelle dans les 6 bandeaux, introduire un 'rythme' dans cette ré-partition. Le calcul peut se faire de la manière suivante: la va-leur moyenne, soit 1000 lots ou 50 bandes, n'est pas attribuable,puisque les 6 bandeaux se répartissent en deux groupes de troisde part et d'autre de cette moyenne. On doit donc choisir un'intervalle' de progression: par exemple la valeur 6, qui est labase même de l'organisation en 6 bandeaux, pourrait convenir,et l'on obtient alors le tableau suivant, avec une première co-lonne calée sur le total de 270 ikades, une seconde sur celui de300 bandes publiques et privées:

le premier bandeau 60 bandes 65 bandesle 2e 54 59le 3e 48 53le 4e 42 47le 5e 36 41le 6e 30 35soit au total 270 bandes 300 bandes de 20 lots.

On doit comparer cette suite proportionnelle à la progres-sion des intervalles qui séparent chacun des tonoi donnés par lessept cordes de la lyre. On sait que les rapports d'intervalles sont

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exprimés par des fractions dites épimores, c'est-à-dire que leplus grand de ses termes excède le plus petit d'une unité.50 Sicette unité est de 6, on trouve bien des rapports conformes àcette règle, soit:

36 sur 30, 42 sur 36, 48 sur 42, 54 sur 48, 60 sur 54,

ou, si l'on veut, 6 x 6 sur 6 x 5 , etc.

De plus, on constate que le rapport du dernier terme, soit 60,est bien le double du premier, qui vaut 30, tout comme la nèteest le double de l'hypate. Ce rapport nous donnerait en outreune idée de la position dans l'espace urbain de l'une et del'autre, s'il est vrai que la bande qui contient seulement 30 ban-deaux (qui serait donc l'hypate) se trouve être située au norddans le plan de la ville.

Il s'agit, bien sûr, d'une distribution théorique, et lesconditions du terrain ont pu conduire à des aménagements. Surle plan général de Camarina, si le bandeau 2 (entre les plateiai Aet B) peut bien contenir 54 bandes, voire 59, les troisième etquatrième respectivement 48 (53) et 42 (47), il n'est pas du toutcertain que le premier, le cinquième et le sixième aient compté60 (65), 36 (41) et 30 (35) bandes.51

Quoi qu'il en soit, il semble bien que le rapport entre lenombre total des citoyens et celui des lots territoriaux s'est fait,non sur la base de la distribution en 18 fratrai ou 180 triakades,mais sur celle des 270 ikades. Il revient à l'archéologue de pré-ciser le décompte et la distribution exactes dans le plan de lacité des 'vingtaines territoriales', ces bandes de 20 lots accoléesen six grands bandeaux séparés par les 5 plateiai + 2 parodoi,

50 C M . CAVEING, O.C. (n. 6), p. 184, qui précise que, dans le calcul del'échelle des intervalles musicaux, les Grecs, 'au lieu de diviser l'unité en sixparties, multiplient tous les termes par 6'.

51 Cf. le plan publié dans P. PELAGATTI, F. CESCHI, E. TONCA, Sulparco ar-

cheologico ai Camarina «Bollettino d'Arte», 1-2, janv. 1976, p. 133, fig. 26. Iln'est pas exclu que la disposition topographique et le relief aient conduit à unepermutation des bandes, la plus longue, avec le nombre maximum de bandeaux,prenant la position centrale, le long de la plateia B, qui semble avoir été, selonles auteurs ci-dessus, Tasse vertébrale del piano' (o.c, p. 125), comme l'avaitdéjà souligné R. MARTIN, «Kokalos», XVIII-XIX, 1972-73, p. 352.

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comparées aux 7 cordes de la lyre. Je dirai quelques mots enconclusion sur le problème archéologique et historique que cettedistribution me semble poser.

LES VINGTAINES, IKADES, ET L'ORGANISATION MILITAIRE

Le chiffre de 270 vingtaines est intéressant car il peut, lui,à la différence de la triakas52 s'insérer dans l'organisation de laphalange, construite kata tetrada, comme le disait le tacticienAsclépiodote. Dans la phalange en effet, on doit avoir 1024 es-couades, 512 sous-sections, 256 sections du rang. Le chiffre de270 vingtaines en est proche; il en est proche par excès, maisnous savons bien pourquoi: il faut toujours compter avec les sol-dats hors rangs, qui ne figurent pas dans le tableau des unitéshoplitiques opérationnelles (cf. sur ce point L'État thessalien, p.198-199), mais sont eux aussi des citoyens mobilisables. Or, surla base d'escouades de 5 hommes, la tétrarchia qu'est la section(sur ce nom cf. Asclépiodote, Technè Taktikè, II, 2) est consti-tuée de 20 hommes. La vingtaine, ikas, pourrait donc bien être,comme le suggère nécessairement l'utilisation d'une dénomina-tion particulière, l'unité de base des formations militaires (cf. F.Cordano, p. 92: 'il più piccolo manipolo militare'). Dans ce dé-compte on trouve bien un nombre de sections conforme à la rè-gle de constitution des régiments: 256 sections de 20 hommesdonnent un total de 5.120 hoplites, divisés en 32 régiments de160 hommes.

Ce total n'est cependant pas celui de la population mobili-sable dans son entier: il faut y compter aussi, si l'on suit les rè-gles de la construction traditionnelle de la phalange, les soldats

52 Cf. les observations de D. MUSTI, «Riv. di Filologia», 122, 1994, p.21-23 (L. DUBOIS, «Bull, épigr.», 1996, 573), qui a certainement raison desouligner le caractère militaire de la division en ikades, mais n'a pas vu soncaractère de division territoriale et n'a pas compris que les triakades étaientinutilisables dans ce domaine. Il lui a échappé qu'en tout état de cause les uneset les autres sont bien concrètement des subdivisions du corps civique: ce sontles règles de distribution qui changent, mais elles visent toutes à une structu-ration de la communauté.

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hors rang et les officiers supérieurs d'état-major, comme le mon-tre le tableau suivant, celui de la phalange hoplitique, dont l'é-lément de base est de 8 hommes par escouade:53

A - Hoplites

1 phalange2 télé

4 demi ailes8 divisions16 brigades

32 régimentssoit

64 bataillons128 compagnies

256 sections512 sous-sections1024 escouades

Β - Soldats et officiershors rangs

1 commandant en chef2 officiers4 officiers8 officiers16 officiers

effectifs égaux à2 régiments

soit 4 bataillons8 compagnies

16 sections32 sous-sections

64 escouades

Total A + Β

= 4 escouades

34 régimentssoit68136272544

1088 escouades(plus 4)

= 1092 escouades

Le total théorique de la phalange ainsi constituée se com-pose de 5.460 hommes répartis en 1092 escouades de 5 hom-mes, soit, si l'on fait la division par 20, un total de 273 ikades.On peut dans un premier temps vérifier la pertinence de ce ta-bleau par rapport au nombre de mobilisables identifiés dans lapopulation de Camarina: ce sont les citoyens titulaires des klé-roi, soit 5.400 hommes. Si la plus petite unité de mobilisationest l'escouade de 5 hommes (comme il a déjà été dit, la base 5est un des éléments du calcul), on aboutit à un total de:

5.400 : 5 = 1080 escouades,un chiffre qui, bien qu'il ne s'accorde pas exactement avec lesnombres d'escouades figurant dans le tableau ci-dessus (soit1088, soit 1092), permet en effet de composer les 1024 escoua-des d'hoplites que doit comporter la phalange. Restent 56 es-couades 'surnuméraires', un nombre qui ne correspond pas à ce-

53 Base de calcul attestée pour l'infanterie hoplitique dans l'armée thes-salienne à l'époque d'Aleuas, cf. L'État thessalien, pp. 194-195.

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lui des escouades hors rang (soldats hors rang et officiers supé-rieurs) du schéma théorique ci-dessus.

Si d'autre part, nous devons compter les effectifs sur labase d'une répartition en 'vingtaines' d'hommes, donc par sec-tions, comme on vient de le voir, le total des hommes du rangdevrait être en fin de compte:

256 sections χ 4 = 1024 escouades de 5 hommes = 5120.On peut alors restituer le tableau des effectifs de la manière sui-vante:

peltastes

phalange

corpsdivision

(double brigade)

(brigade)

(régiment)

(bataillon)

compagnie

section

sous section

escouade

nombre d'unités

1

2

48

1632

64

128

256

512

1024

effectifs

5120

2560

1280

640

320

160

80

40

20

10

5

dénominations

έπίταγμα

στίφος

έπιξεναγία

[ξεναγία ή και

σύστρεμμα]

[πενταποσιαρχία]

[ψιλαγία]

[σύνταγμα]

έπατονταρχία

πενταπονταρχία

σύστασις

λόχος

Ces chiffres permettent de définir en fin de compte, pourainsi dire, ce qu'on doit appeler une 'phalange légère', consti-tuée sur la base d'escouades de 5 hommes, d'une manière ana-logue à celle que l'on a appliquée aussi pour les unités de l'in-fanterie légère auxiliaire {epitagma) de la phalange dans la défi-nition d'Asclépiodote.

Nous devons donc d'une part justifier la différence entreun nombre théorique de 273 ikades et le nombre des ikades réel-lement constituées à Camarina, qui est de 270, d'autre part dé-terminer l'affectation des 270 - 256 = 14 sections surnumérai-res, hors rangs, de 20 hommes chacune, soit 280 hommes, dansl'organisation militaire de Camarina.

On a vu ci-dessus en détail quelles étaient les raisons qui

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ont conduit le législateur de Camarina à fixer à 270 le nombredes ikades. A mon avis, aucun raisonnement ni aucune hypo-thèse supplémentaire ne permettraient d'expliquer qu'on aitaugmenté ce nombre de 3 unités (3 fois 20 = 60 hommes, quipourraient aussi constituer deux triakades). Car le calcul en base18 et 27 devient alors impossible, et par conséquent aussi unerépartition régulière des ikades et triakades en 18 fratrai.

Ce constat une fois fait, il reste à rendre compte de l'af-fectation des 14 sections surnuméraires, hors rangs. On peut lefaire par le calcul suivant:

un certain nombre de soldats hors rang doivent être af-fectés comme estafettes, signaleurs, trompettes54 à chaque régi-ment hoplitique, qui sont en tout 32. Ces soldats hors rang sontnormalement au nombre de 4 ou de 5 par taxis, c'est-à-dire parcompagnie. Ces compagnies sont normalement de 4 sections,soit 80 hommes ou 320 hommes par régiment. Dans le cas deCamarina, on l'a vu, ces effectifs sont réduits de moitié, équi-valant à ceux d'une phalange légère, ce qui donnerait en fin decompte, pour les régiments camarinéens de 160 hommes, quatrecompagnies de 40 hommes ou deux bataillons de 80 hommes.On affecterait ainsi 8 hommes hors rang par régiment, soit 4 parbataillon:

32 χ 8 donne deux fois 4 hommes par régiment = 256hommes, ou encore

4 hommes par bataillon pour 64 (bataillons) χ 4 = 256.Restent 24 hommes dont l'affectation devrait correspondre

théoriquement à l'état-major.Le tableau suivant donne un schéma théorique de l'organi-

sation militaire des Camarinéens, sur la base d'escouades de 5hommes.

On notera:1) que la distribution des officiers au niveau des 8 divisions

et des 16 brigades peut être constituée comme dans la phalangelégère: il y a 16 chefs de brigades, dont 8 sont aussi chefs de

Cf. L'État thessalien, pp. 196-197.

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A - Hoplites

1 phalange

2 télé4 demi ailes8 divisions16 brigades

32 régimentssoit

64 bataillons128 compagnies

256 sections512 sous-sections1024 escouadesde 5 hommesde 5 hommes5120 hommes

Β - Soldats et officiershors rangs

1 ou 2 commandants enchef

2 officiers

4 officiers

8 officiers

8 officiers256 hommes hors rangsoit 8 par régiment ou

4 par bataillon

280 hommes

Total A + Β

= 24 officiers

1080 escouadesde 5 hommes

5.400 hommes

division, selon une distribution qu'atteste le Tacticien Asclépio-dote dans sa description de la phalange légère 'classique'.55

2) que l'effectif de 256 hommes correspond à celui d'un ré-giment (une psilagia) d'infanterie légère dans la phalange surbase 8 (cf. mon étude sur le tableau d'effectifs des peltastes).

VÉRIFICATION SUR LA BASE D'UNITES CORRESPONDANT À LA

PHALANGE 'LOURDE'

II convient maintenant de vérifier, par des opérations surd'autres bases, la validité des calculs proposés ci-dessus. J'aimontré plus haut qu'il n'était pas vraisemblable que les ikadessoient des subdivisions des triakades et qu'on ne pouvait passupposer une organisation fondée sur trois ordres successifs, se-lon le schéma:

55 Voir mon étude sur l'organisation de ce type d'unité, Sur un passage dela τέχνη τακτική d'Asclépiodote: le tableau d'effectifs de l'infanterie légère, «Re-vue de Philologie», LXX 1, 1996, pp. 49-69.

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premier ordre: fratraideuxième ordre: triakades

troisième ordre: ikades

Mais admettons, à titre d'hypothèse, une telle possibilité,sous une forme un peu différente que précédemment. Par exem-ple on peut faire un calcul en posant qu'une fratra compte unnombre d'hommes résultant de l'addition d'unités de 30 hom-mes (1 triakas) avec des unités de 20 hommes {ikades). Dans cecas les mêmes diviseurs et les mêmes correspondances que dansles tableaux ci-dessus fonctionnent. Qu'on en juge:

si chaque fratra était la réunion de 600 citoyens répartis en10 triakades (300 hommes) plus 15 ikades de 20 hommes (égale-ment 300 hommes), le total des mobilisables serait, pour les 18fratrai

de 18 fois 10 triakades (300 χ 18 = 5.400 hommes) plus270 ikades (5.400 hommes) = 10.800 hommes.

Mais ce nombre est lui-même le produit soit d'une multi-plication en triakades (10.800 : 30 = 360), soit d'une multipli-cation en ikades (au total 540) ce qui revient à dire, une fois deplus, que ces deux subdivisions sont bien sur le même plan, jux-taposées, non pas subordonnées.

On doit d'autre part se demander si l'effectif de 10.800 hom-mes est acceptable. De fait, on aurait alors une phalange hopliti-que complète. Avec ce nombre de mobilisables ont peut en effetconstituer, pour la phalange, 512 sous-sections de 20 hommesconstitués de deux escouades de 10 hommes, plus, pour les soldatshors rang, 28 sous-sections de 20 hommes ou 56 escouades de 10,ou encore, sur base 5, 112 unités de 5, en tout 560 hommes.

Dans la hiérarchie des unités, ces calculs respectent la dis-tribution des unités conformément aux tableaux donnés par As-clépiodote:

les escouades sont bien de 10 hommes,mais l'unité de base est passé à l'échelon au-dessus, la sous-

section, constituée de 20 hommes.56

56 Sur ces translations, cf. L'État thessalien, pp. 245-246.

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la section est constituée de deux sous-sections, soit 40hommes: il y en a 256 au total,

la compagnie est constituée de deux sections, soit 80 hom-mes, et il y en a 128.

Doit-on éliminer ce 'reste' de 560 hommes en supposantdes calculs fondés sur un nombre non plus de 10, mais de 9 ou18 triakades par fratra?

Ce n'est pas souhaitable, car il faut bien compter, d'unemanière ou d'une autre, les hommes hors rangs et les officierssupérieurs dans le total des mobilisables;

ce n'est en fait pas non plus possible mathématiquement,car le nombre de sections ainsi obtenu ne correspondrait plus aunombre requis de sections, qui est nécessairement, sur la basedeux, de 256.

En vérité, aucun calcul effectué sur la base d'une 'phalangelourde' ne convient, pour deux raisons:

premièrement, la dénomination de la vingtaine, ikas, s'ap-pliquerait dans ce cas à une unité qui n'est pas réellement fonc-tionnelle, la sous-section;

deuxièmement, la répartition des soldats hors rang poseraitproblème. Comment, dans un tel cas, peut-on tenter de retrou-ver les unités hoplitiques auxquels auraient été affectés, pourpartie, les 560 mobilisables hors rang? Les bases du calcul sontles suivantes: ces 560 soldats doivent être répartis sur la base de5 par unité hoplitique = 1 1 2 unités au total, ou de 10, soit 56unités.

Sur ce total, la répartition des soldats hors rangs dans lescompagnies n'est pas possible: en partant du nombre des com-pagnies, qui est de 128, on ne peut pas affecter à ces 128 com-pagnies les soldats hors rangs des ikades surnuméraires, à raisonde 5 par compagnie. Il faudrait en effet pour cela disposer de128 fois 5 hommes, soit 640 hommes. Or les vingtaines surnu-méraires ne rassemblent que 560 hommes. Si on affecte ceshommes à l'unité située un rang au-dessus, soit les bataillons,qui sont au nombre de 64, on tombe sur deux éléments égale-ment inacceptables:

d'une part le fait que 5 hommes serviraient en réalité pour

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deux compagnies (160 hommes) est exclu par définition car,comme le dit Asclépiodote,57 on doit affecter les estafettes, hé-rauts, trompettes et signaleurs à des unités qui ont des effectifstels que tous les soldats puissent les voir ou les entendre, et cesont, dans la pratique, les compagnies et non des unités de plusfort effectif,

d'autre part et en tout état de cause, si l'on affectait ces 5hommes hors rang au bataillon, on n'utiliserait que 64 fois 5hommes, soit 320 en tout.

Le nombre d'unités hoplitiques en rapport avec ce totalpourrait-il être non pas celui des compagnies (128), ou des ba-taillons (64), mais celui des nouvelles unités constituées sur labase de deux fois cinquante hommes {pentékostys),38 les hékaton-tarchiai, qui prennent dans l'évolution de la phalange au coursde l'époque classique, la place et la fonction des compagnies (cf.Asclépiodote, II, 8)? A partir de cette réforme de la phalange, ilexiste 5 hékatontarchiai par régiment, soit en tout 160, plus lesunités des hommes hors rang.59 Les mobilisables hors rang af-fectés aux unités combattantes doivent donc être 5 χ 160hommes, soit au total 800 hommes, mais ce nombre excède debeaucoup celui des hommes hors rang disponibles dans l'orga-nisation civique de Camarina. Ce résultat montre qu'à la datedes tablettes, à Camarina au moins, l'augmentation des effec-tifs des compagnies (ou bataillons) à 100 hommes {hékatontar-chiai), signalée par Asclépiodote, n'a pas encore eu lieu, et quela division sur base 5 ou sur base 10 n'a été effective que dansle cadre de l'organisation en groupes sociaux, non pas enunités militaires.

Revenons au total hypothétique des mobilisables déjà uti-lisé ci-dessus, soit 10.800 hommes. On a vu que ce nombre esttrop grand par rapport au nombre des effectifs des unités com-

57 Techne taktiké, II, 9.58 On a vu ci-dessus que les bases 5 ou 10 sont utilisées comme diviseurs

du nombre total des citoyens, soit 5.400: on devrait avoir ainsi 108 pentékos-teis, 54 hékatontarchiai.

59 Cf. L'État thessalien..., pp. 254-255.

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battantes du rang et que nous avons un reste, soit 28 ikades, autotal 560 hommes. De ce nombre, il faut décompter, si Ton suitle tableau des effectifs théoriques de la phalange, 32 officiers su-périeurs (voir le tableau ci-dessus); il reste alors 528 hommescensés être utilisés comme soldats hors rang. Mais ce nombren'est divisible en quantièmes, sans restes, ni par 64 (bataillons),ni par 128 (compagnies), ni par 256, ni enfin par 160 {hékaton-tarchiaï): ce qui revient à constater qu'il est impossible de lesdistribuer également, que ce soit par groupe de 4 ou de 5, danstoutes les unités auxquelles ils pourraient de quelque manièreêtre affectés.60 Il paraît donc impossible d'utiliser un autre ef-fectif de mobilisables que celui de 5.400 hommes, et il faut ainsiretenir que l'organisation civique et militaire de Camarina esteffectivement fondée sur une division en 18 fratrai diviséesd'une part en 270 ikades, d'autre part en 180 triakades, et queles nombres choisis l'ont été pour assurer une stricte relation en-tre ces deux subdivisions du corps civique.

CORRESPONDANCES ENTRE TRIAKAS ET IRAS

Dans une tablette (n° 27) on trouve mention conjointe-ment de l'appartenance à une triakas et à une ikas. Le but n'estpas ici de pallier l'ambiguïté d'éventuelles homonymies (F. Cor-dano, p. 83). En fait, je crois à la coexistence de systèmes dif-férents, l'un sur base trois, pour l'organisation politique, lesdeux autres sur base deux, pour l'organisation territoriale etpour l'organisation militaire. Cette organisation en base deuxest la seule en effet qui permet de respecter les conditions deconstitution des unités hoplitiques (cf. Asclépiodote). C'est laseule également qui vaut pour l'organisation territoriale.

60 Même impossibilité si l'on effectue la division de 560 par 4 (le résultatest de 140 'tétrades' ou groupes de 4 hommes): dans ce cas, et après le dé-compte des 32 officiers d'état-major, soit 8 'tétrades', il reste 132, c'est-à-direun nombre qui ne correspond pas à celui des 128 compagnies requises par laphalange. Quand à une division par 5 (560 : 5 = 112) elle donne un quotientqui n'atteint même pas le nombre des compagnies.

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On a vu ci-dessus que seule la distribution en vingtaines,ikades, semble correspondre à l'organisation matérielle des lotsconstitués dans l'espace urbain: les 6 bandeaux séparés par lesplateiai comprennent un nombre déterminé de bandes, et cesbandes sont elles-mêmes constituées de 2 fois 10 lots de 17 χ12 m. Il apparaît également clair que la distribution des fratraien 6 'paquets' de 3 fratrai ne recoupe pas exactement l'orga-nisation des lots effectuée sur le terrain: il faudrait pour celaque les 6 bandeaux dessinés par les avenues soient constituésd'un nombre égal de bandes, ce qui ne semble pas le cas. Fra-trai et triakades ont donc plutôt une fonction de distributiondu corps social, tandis que les ikades semblent plutôt servir àorganiser géométriquement l'espace urbain et rural ou encore àdistribuer la population des citoyens mobilisables dans lesunités militaires.

Il faut faire une observation complémentaire qui a son im-portance, sur la relation entre triakades et ikades. En divisant lesfratrai de deux manières différentes, une fois sur base trois, unefois sur base deux, en utilisant donc deux et même trois ta-bleaux de chiffres différents,61 on évite un total déterminismede la position attribuée à chaque citoyen dans l'organisation mi-litaire. Car pour les hoplites, ce déterminisme serait absurde etruineux: dans cette organisation, ce n'est pas le rang qui prime,mais la valeur militaire, par laquelle se détermine le rang. Onn'est pas le Premier de la Première sous-section (ikas) parcequ'on est le premier inscrit dans la première triakas de la pre-mière fratra, mais parce qu'on est sélectionné comme le meilleurde la meilleure section. Ainsi je comprendrais la tablette n° 27comme décrivant deux situations différentes:62

le personnage en question est inscrit dans la première tria-kas de la onzième fratra,

et il appartient à la 7e ikas, ce qui peut avoir deux signifi-

61 Sur la notion de tableaux de nombres, diagrammata, cf. M. CAVEING,o.c. (n. 6), p. 238.

62 F. Cordano me précise que la seconde, exprimée par la mention deY ikas, paraît, sur les tablettes, servir seulement comme une indication 'com-plémentaire' dans l'identité du citoyen.

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cations: ou bien préciser 'l'adresse' du lot habité par notre ci-toyen, ou bien plutôt, du moins je le crois, la position de mobi-lisation du personnage en question, c'est-à-dire qu'il appartien-drait au premier régiment (composé des sections 1 à 8).

On trouve là quelque chose d'équivalent à ce qui serait,pour nous, la description d'un positionnement selon lequel jevote dans le premier bureau de la première circonscription, et jesuis en même temps mobilisable dans la 3e section de la lère com-pagnie du 15e bataillon.

ÉVALUATION DE LA POPULATION

On a vu plus haut quelles étaient les estimations de KJ.Beloch sur la population des villes de Sicile: le savant historienallemand proposait d'évaluer la population de Camarina à15/20.000 habitants pour la cité, à 30.000 au total en comptantaussi les occupants dispersés sur le territoire, pour la secondemoitié du 5 e siècle. Avec les chiffres trouvés dans les calculs queje viens de présenter, nous sommes en fait loin de ce compte.Comme il a été dit ci-dessus, il faut plutôt calculer sur la base de

18 fratrai χ 30 hommes (1 triakas) χ 10 (dix triakades) =5.400 citoyens et mobilisables.

C'est là un fait qui n'a rien de surprenant. J'ai déjà eu àfaire remarquer ailleurs que très probablement aucune cité grec-que, Sparte mise à part, n'a jamais pu constituer à elle seule unephalange complète de 8.000 hommes et plus. Il n'y a aucune rai-son que les colonies d'Occident aient pu y parvenir. On peutcroire au contraire que certaines des guerres et assimilations for-cées entreprises par certaines cités au détriment de leurs voisi-nes s'expliquent bien par la volonté d'augmenter la populationde mobilisables qui leur était indispensable. Ainsi compren-drai-je volontiers l'intégration des habitants de Camarina dans lacité des Syracusains: ou bien, si ceux-ci disposaient déjà d'un ef-fectif suffisant pour faire une phalange lourde, ils se donnaienten plus les effectifs nécessaires pour constituer l'épitagma d'in-fanterie légère requis par les tacticiens, ou bien, s'ils ne consti-tuaient eux-mêmes qu'une phalange légère, ils pouvaient enfin,

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avec deux phalanges légères, faire une phalange lourde, canoni-que.

INNOVATIONS MATHÉMATIQUES ET RÉFORMES POLITIQUES

La division en fratrai (qu'on sait maintenant être au nom-bre de 18) est attestée à Camarina, par le témoignage des tablet-tes de plomb étudiées par F. Cordano, peu après 467 av., date àlaquelle on a, semble-t-il, instauré un nouveau 'régime' pour lacité. Mais rien n'exclut qu'elles aient existé déjà auparavant, etcela me paraît même très probable, dans la mesure où ces grou-pements sont constitutifs de la communauté civique dans la plu-part des cités grecques. En considérant les calculs ci-dessus etles différents résultats auxquels ils conduisent, on doit alors sedemander quelle a été la raison d'être de cette division du corpscivique sur deux bases différentes, l'une en 18 fratrai et 180 tria-kades, l'autre en 18 fratrai et 270 ikades. Car une telle organisa-tion n'est rien moins que simple. Si l'on n'a pas voulu en fairel'économie, ne peut-on pas penser que l'une de ces distributionsa pu représenter un renouvellement de l'organisation politiquepar rapport à une organisation antérieure? F. Cordano souligneen tout cas l'idée que ' sia a Corcira che nelle città délia Sicilia lacontinuità délie definizioni è certamente solo tecnica et formale,perché non è pensabile un'immobilità délia costituzione e déliacomposizione del corpo dei cittadini che vada dall'età arcaica aquelle ellenistica' (Note sui i gruppi civici sicelioti, MiscellaneaGreca e Romana, XVII, Rome 1992, p. 144). On peut pensercependant que ce qui n'est en apparence que jeux mathémati-ques techniques et formels sur les bases deux, trois et leurs mul-tiples, a eu en réalité une signification plus essentielle. Avec unemeilleure connaissance de 'l'identité' et de 'la qualité' des nom-bres et quantièmes utilisés, on peut s'en faire une idée à monavis plus juste.

Partons de ce que l'on peut considérer comme le paradigmele plus ancien, la constitution dorienne de Sparte: on y trouve 3tribus, 21 fratrai dans un rapport déterminé sur base 9 (3 χ 9 =

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27). A Sparte encore, on trouve conjointement la division enbase deux, celle des ikades: ce sont des divisions militaires etterritoriales sur la base 27 (270 ikades, etc.) qui sont donc di-rectement rattachées à une organisation sociale en 27 unités.Cette base 27 semble donc bien être caractéristique d'une dis-tribution ancienne. Elle doit l'être aussi à Camarina: il me sem-ble même qu'elle doit être originelle dans cette ville nouvellefondée sur le modèle dorien. Il est probable qu'à Camarina cettedistribution en ikades a préexisté à la réforme constitutionnellequi a introduit la division en 18 fratrai et 180 triakades. Ellepréexistait en particulier dans la cadastration du territoire et ilétait évidemment très difficile d'en changer. Elle doit aussi serapporter à une période ancienne de l'histoire de la cité, mar-quée par un régime aristocratique ou tyrannnique que d'ailleursnous ne connaissons pas dans le détail.

Venons-en maintenant à la période où les tablettes fontconnaître un système sur deux bases. On voit bien que l'on avoulu assurer dans ce système une correspondance entre la divi-sion en base deux, celle des ikades et la division en base trois.D'un point de vue purement mathématique, il conviendrait, àmon avis, de considérer que la constitution des triakades est lerésultat d'une réduction d'une base 27 à une base 18. Tout sepasse alors comme si cette nouvelle base était venue se superpo-ser à la distribution précédente de la population, distributionqui devait être maintenue pour l'organisation militaire et l'orga-nisation territoriale, et que cette superposition a été faite exac-tement au niveau qui autorise les correspondances nécessairesavec cette distribution. D'un point de vue politique, cette divi-sion pouvait introduire un changement considérable. Car cen'est pas rien, me semble-t-il, que de diminuer ce nombre de 27unités d'un quantième ( 2 7 - 9 = 18). Il faut alors 'brasser' ànouveau toute la population civique pour la faire entrer dans lesnouvelles subdivisions de la cité: on casse nécessairement la ré-partition ancienne (originelle?) en gêné, patrai, etc.

On se rappellera en effet qu'en fin de compte tous ces cal-culs, changements de bases, etc., ont une finalité essentielle: as-surer la cohérence de la communauté civique par les méthodesde 'l'amalgame' (sur cette notion, cf. L'État thessalien, p. 358-

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359). On peut se faire une idée précise de l'importance que ceschangements ont pu avoir sur le fonctionnement réel des com-munautés civiques, par l'exemple de la réforme introduite parClisthène à Athènes. P. Lévêque et P. Vidal-Naquet ont su enmontrer toutes les modalités et implications. Ces changements,considérés selon les critères que nous appliquons aux opérationsmathématiques que nous faisons aujourd'hui, ne nous paraissentparfois que comme des jeux 'pickwickiens'. Ne doutons pas ce-pendant que les législateurs, dans les différentes cités, toutcomme les philosophes (Platon pour ne citer que lui), étaienttrès conscients des effets produits par les changements de basequ'ils introduisaient sur le fonctionnement des organisations ci-viques et en définitive sur la vie politique même des commu-nautés de citoyens ainsi 'renouvelées'.

La détermination du nombre des fratrai et de la distribu-tion des subdvisions qu'étaient les triakades et les ikades posed'autre part des problèmes d'ordre archéologique. Il semble eneffet que la seconde constitution, si l'on peut dire, des habitantsde Camarina, ait été mise en place autour de 460 av. J.-C. Lesarchéologues ont retrouvé d'autre part les vestiges de l'implan-tation des unités spatiales correspondant à cette période, im-plantation centrée, selon eux, sur la seconde plateia désignée parla lettre Β sur les plans de la cité (en fait, par référence aux cor-des de la lyre, il s'agit de la troisième). Cette distribution del'espace urbain est donc attribuée à la seconde phase de la vie dela cité, une phase qui se termine par l'abandon de la ville, l'in-cendie et la destruction des édifices publics et privés par les Car-thaginois en 405 av. Mais il semble aussi que, durant cette pé-riode, tout l'espace urbain n'ait pas en fait été aménagé complè-tement.63

C'est à la période suivante de l'histoire de Camarina que

63 II est possible par exemple qu'une partie de la population ait résidé surle territoire, les habitations étant établies dans les lots ruraux; dans ce cas iln'était peut-être pas nécessaire de matérialiser sur le terrain la partition de latotalité des lots urbains, et celle-ci n'aurait été que théorique; mais nous de-vons pas douter que le calcul, lui, était bien réel.

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les archéologues et les historiens attribuent l'aménagement desgrandes plateiai A et C et l'extension des ilôts d'habitation dansdes parties de la cité restées jusque-là inoccupées, les pentes sud-est, la colline dite d'Héraclès, celle de Cas Lauretta (cf. Guida alMuseo e alla città di Camarina, p. 33-34). C'est de cette époqueque l'on date l'organisation des bandes de 2 fois 10 lots de 17 χ12 m. Pourtant, on l'a vu ci-dessus, cette distribution corres-pond bien plutôt à celle qui ressort des éléments fournis par lestablettes de plomb qui ont été étudiées par F. Cordano, et quel'éditrice rapporte, sur la base de l'écriture et des données defouilles, à la période précédente, entre 460 et 405 av.

On devrait pouvoir en conclure qu'en réalité, dans la pé-riode du gouvernement de Timoléon, les Camarinéens n'ont rienmodifié de l'organisation spatiale prévue, préparée et en partiemise en place par les autorités de la ville dès l'époque précé-dente. Ils semblent s'être bornés à étendre et sans doute à pa-rachever la mise en place de cette organisation spatiale. Il fauten tout cas avancer l'idée qu'il y a continuité de la distributionen ikades d'une période sur l'autre. Les Camarinéens ont-ils res-pecté la même continuité aussi pour la distribution de la com-munauté en fratrai et triakades? Je ne saurais le dire.64

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64 Je n'ai pas davantage de compétence pour réexaminer, à la lumière dece qui vient d'être dit, les éléments de l'organisation en phylai, fratrai, etc., deCamarina à l'époque hellénistique. On trouvera les textes dans F. CORDANO,Camarina VII: alcuni documenti iscritti important! per la storia délia città, «Bol-lettino d'Arte», 26, 1984, p. 35 et G. MANGANARO, Case e terra a Kamarina eMorgantina nelIII-II sec. a.C, «Parola del Passato», XLIV, 1989, p. 189-216,avec discussions. Je note cependant que, pour G. Manganaro (p. 194-195), lessubdivisions dont l'une porte le nom de νήτη sont considérées par lui commedes μέρεια: il renvoie à Hésychius, s.ν. μέρεια' φυλής μέρος έπ δέπα τρι(απ)άδωνσυνεστός; il me semble bien qu'il s'agit d'un autre nom de ces subdivisions quis'appellent fratrai dans les tablettes du début du 5e s. Il appartient aux spécia-listes de l'histoire des cités grecques de Sicile de dire si leur désignation achangé, si leur nombre est resté le même d'une époque à l'autre et enfin si ceschangements sont la conséquence de changements 'constitutionnels' fonda-mentaux.