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Université Lumière Lyon 2 Institut d’Etudes Politiques de Lyon Parcours Affaires publiques La participation des habitants d’un quartier au débat public : un outil de démocratie participative ? L’exemple de la Duchère et du Groupe de Travail Inter quartier Mémoire de 4 e année présenté par Sandrine Forzy Directeur de séminaire : M. Lamizet Soutenu le 2 septembre 2008 Autre membre du jury : Mme. Le Naour

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Université Lumière Lyon 2Institut d’Etudes Politiques de Lyon

Parcours Affaires publiques

La participation des habitants d’un quartierau débat public : un outil de démocratieparticipative ?L’exemple de la Duchère et du Groupe de TravailInter quartier

Mémoire de 4e annéeprésenté par Sandrine ForzyDirecteur de séminaire : M. Lamizet

Soutenu le 2 septembre 2008

Autre membre du jury : Mme. Le Naour

Table des matièresRemerciements . . 5Introduction . . 6Partie 1 : Le gti face à l’institutionnalisation du débat public : entre projets participatif etdélibératif . . 10

Chapitre 1 : Le GTI Porteur d'un projet de citoyenneté active . . 10A/ Le quartier de la Duchère : entre expérimentation sociale et crise d’un grandensemble . . 10B/ Le GTI comme terrain d’expression des préoccupations : Un groupe fondé sur lacompétence des habitants . . 11C/ Le fonctionnement en réseau : capacité d’enquête et lien social . . 13D/ Bilan : un projet de participation émancipatrice ? . . 14

Chapitre 2 : Action publique et encadrement du débat : vers une société sans crise . . 14A/ Les débuts de la conception de l’action publique comme œuvre collective . . 15B/ La naissance de la politique de la ville, fondatrice de la participation citoyenne,ou comment les pouvoirs publics se saisissent de la participation . . 16C/ Des outils opérationnels pour organiser la participation : la consultation commemaître mot . . 17

Chapitre 3 : L’Exemple du grand projet de la duchère : la mise en place de dispositif delégitimation de l'action publique non concertée . . 19

A/ Le Grand Projet de Ville Lyon La Duchère : le choix d’une action globale nonconcertée . . 19B/ L’emploi de dispositifs de « participation » pour légitimer l’action . . 20

Chapitre 4 : Le GTI sous influences . . 25A/ Un groupe aux contours flous, dans l’impossibilité de trouver une posturepolitique . . 25B/ Le GTI et l’idéal du forum hybride : Un espace de construction d’une raisoncollective? . . 26C/ Des rapports ambigus avec les pouvoirs publics . . 28D/ Et son affirmation comme groupe de réflexion . . 29

Partie 2 : conflits de représentation et enjeux de participation . . 33Qu’est ce que la représentation ? . . 33Chapitre 1 : Le GTI face au défi de la participation . . 33

A/ Le GTI organe de représentation . . 34B/ Un espace de reproduction des inégalités ? . . 36C/ Un risque de privatisation de l'espace public? . . 38

Chapitre 2 : Conflits de représentation entre les militants : un groupe toujours vivant ! . . 39A/ Les conflits sur le thème de la proximité . . 40B/ Les conflits sur le thème de la contestation . . 42

Chapitre 3 : Les conflits de représentation du quartier : des conceptions qui s'affrontent . . 43A/ Le sensible contre les statistiques : la nécessité pour les habitants de revaloriserle quartier face au GPV . . 44B/ Bref aperçu de la représentation médiatique du quartier . . 47

Chapitre 4 : Réintégrer au défi de la participation « l’impératif d’inclusion » . . 49A/ Des représentants tous confrontés à la difficulté de faire participer . . 49

B/ Quelques exemples de procédure pour reconstruire un espace participatif . . 51C/ Revaloriser la conflictualité . . 51D/ Donner un but à la participation pour la mettre au service d’une société plusjuste . . 52

Conclusion . . 54Bibliographie . . 56

Ouvrages . . 56Articles publiés dans des ouvrages collectifs . . 56Articles publiés dans des revues spécialisées . . 57Articles de presse . . 57Sources internet . . 57Autres sources . . 58

Annexes . . 59Entretien avec Mme Jocelyne Michel, novembre 2007 . . 59Entretien avec Mme Jocelyne Michel, juin 2008 . . 59Entretien avec M. Lassagne et Mme Bonnard . . 59Résumé du deuxième entretien avec M. Lassagne et Mme Bonnard, juin 2008 . . 59Entretien avec M. Bochard, juin 2008 . . 62Compte rendu de la réunion du GTI du 9 juin 2008 . . 62Ordre du jour de la réunion du GTI du 3 juillet 2008 . . 62

Remerciements

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RemerciementsJe tiens à remercier l’ensemble des animateurs du Groupe de Travail Inter quartier que j’aiinterrogées, et qui m’ont accueillie au sein de leurs espaces de discussion, parfois à leur domicile,avec une grande ouverture. Je remercie en particulier Mme Michel, M. Lassagne et Mme Bonnard,qui m’ont accordé du temps pour répondre à mes questions. J’ai beaucoup appris au travers deleurs propos, et je n’aurais pas pu mener ce travail sans leur précieuse collaboration.

Je remercie également M. Lamizet et Mme Le Naour, qui m’ont aidée à organiser mesrecherches.

La participation des habitants d’un quartier au débat public : un outil de démocratie participative ?

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Introduction

Les institutions politiques traditionnelles que sont le vote, les syndicats , les partis, censésétablir le lien entre le peuple et ses représentants politiques, connaissent aujourd’hui unecrise de légitimité. Face à la montée des exclusions et des inégalités, alors que notre sociétés’enrichit, il est de plus en plus reproché aux instances traditionnelles de représentation,essentiellement aux partis, de ne pas assurer l’intégration et la socialisation des plusdémunis. Ces derniers ont déserté depuis longtemps les espaces de participation politiquetraditionnels, et ne se reconnaissent plus dans leurs représentants politiques, ce qui poseune crise de légitimité du système représentatif. Parallèlement, les équipements sociauxcensés assurer la socialisation des habitants pour parer à la crise du politique souffrent aussid’un manque de fréquentation. Comme, le note Olivier Masclet dans Le silence politique

des quartiers 1 , on n’entend toujours pas les habitants des quartiers populaires surla scène publique. Outre leur très faible représentation dans les partis politiques, ils sontégalement quasi absents des centres sociaux, MJC, et associations de quartier qui leurssont directement destinés.

Pourtant, la notion de participation triomphe dans les discours publics des élus,journalistes et citoyens. Partout où des acteurs se soucient des avancées démocratiquesde notre société, le thème de la participation est brandi. De quelle participation parlentils, alors que les statistiques montrent une baisse constante de fréquentation des espacetraditionnels de participation ? Quels sont les sens de la « participation » dans le langage desdifférents acteurs qui l’emploient ? Participation de qui ? A quoi ? Quels sont les blocagesqui se cachent derrière l’emploi à outrance de cette notion ?

Il faut expliquer l’expression « démocratie participative », qui est souvent employée parces nombreux défenseurs de la participation, et que l’on a notamment retrouvé à maintesreprises dans les discours de Ségolène Royale lors de la campagne présidentielle de2007. Du point de vue étymologique, elle est redondante. En effet, la démocratie désigneun régime où la souveraineté, c'est-à-dire le pouvoir suprême, est exercé par le peuple.Pourquoi alors repréciser le caractère participatif de nos régimes politiques, et même enfaire un terrain de défense comme si il fallait l’acquérir, alors que le système démocratiqueest en soi fondé sur le pouvoir du peuple, et donc sa participation aux affaires publiques ?C’est bien en réponse à la crise du système représentatif, où les représentants ses sont tropéloignés du peuple, que cet impératif de participation revient, sans pour autant remettre encause le système représentatif, d’où l’ambiguïté du terme de participation. L’enjeu sembleêtre celui de « démocratiser » notre démocratie, sans cependant transférer de nouveauxpouvoirs au peuple.

Il y a en fait deux conceptions théoriques bien différentes de la démocratie participative.Historiquement, la participation est une revendication de la société civile, et répond

donc à une logique ascendante. Elle passe par la valorisation des compétences deshabitants, et leur reconnaissance en tant que citoyens actifs capables d’apporter leurs voixet leurs critiques à l’action publique. Les premiers théoriciens de la démocratie participative,tels que Macpherson ou Barber, dans les année 1970 et 1980, vont au bout de cette

1 dans Economie et humanisme, no 376, mars 2006

Introduction

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définition. Pour eux, elle se fonde sur un contournement de la représentation. Ils pensentla participation comme un moyen pour l’individu de s’émanciper face au système politiqueen place, et de trouver lui-même des solutions à ses problèmes2. Il ne s’agit pas de trouverdes consensus, mais au contraire d’encourager la formation de citoyens actifs capablesde s’organiser en contre pouvoirs, et de prendre des décisions pour la collectivité, encomplément ou en opposition au pouvoir représentatif.

Pour d’autres, la démocratie participative définit un régime où l’Etat préserve un pouvoirincontestable en tant qu’autorité élue et donc représentant la majorité, tout en prônantdans le même temps la participation de la société civile3. Cette participation trouve saconcrétisation dans un nouvel espace d’échanges entre élus et citoyens. Il s’agit en fait defavoriser l’interaction entre les flux émanant de la société civile (bottom up) et ceux émanantdes pouvoirs élus (top down), interaction qui amènerait à l’élaboration de consensus où lesdifférents intérêts des parties auraient été pris en compte. Cette conception a été théoriséepar les penseurs de la démocratie délibérative, dont le plus connu est Jürgen Habermas..Face à un pouvoir représentatif en crise, la participation doit prendre la forme de débatsargumentés et rationnels entre société civile, experts, et élus, qui visent à la constructionde décisions collectives où tous les points de vue ont été pris en compte. Il ne s’agit pasici de chercher l’émancipation des citoyens, mais bien au contraire de renforcer la légitimitédes décisions publiques en intégrant les arguments des citoyens dans un échange d’idéesconstruit et organisé.

Entre ces deux conceptions ascendante et descendante de la participation, comment seplacent les groupes d’habitants qui revendiquent la participation ? Est-il encore possible depoursuivre l’objectif de construction d’un contre pouvoir, dans une société où la participationest encouragée mais aussi encadrée par les pouvoirs publics?

L’implication des citoyens aux affaires publiques peut prendre de multiples formes.Selon que la participation influe dans la discussion des affaires publiques, ou sur la décisionpublique elle-même, les modèles ne sont pas les mêmes. Ainsi, le modèle du budgetparticipatif, par exemple, vise à transférer aux citoyens un véritable pouvoir de décision surles affaires collectives. Nous nous intéresserons ici au modèle du débat public, qui est en soiune notion imprécise, puisque ses objectifs sont rarement déterminés, et les raisons pourlesquelles ils sont mis en place pas toujours affichées, qu’ils soient initiés par les pouvoirspublics ou les citoyens. Il s’agit d’une part de préciser les contours de ces espaces de débatpublic, lorsqu’ils sont mis en place par les pouvoirs publics : à quoi servent-ils ? D’autrepart, il faut se demander si les espaces de débat public ouverts par les groupes d’habitantsparticipent à faire progresser la conscience citoyenne chez les habitants, ou si ils sontdes espaces de formation de consensus avec les pouvoirs publics ? C’est à travers monobservation d’un collectif d’habitants de la Duchère, le Groupe de Travail Inter quartiers,que je tenterai de répondre à ces questions.

La Duchère est un quartier lyonnais d’habitat social construit dans les années 1960,qui a été marqué dés le départ une préoccupation affichée des pouvoirs publics à vouloir yfavoriser une forte dynamique sociale. Au cours d’un travail d’enquête sur le Grand Projetde Ville pour un dossier de politiques publiques, j’y ai découvert l’existence du Groupe deTravail Inter quartiers (GTI) , qui m’a été présenté comme un groupe d’habitants mobilisés

2 Blondiaux, (2008) Le nouvel esprit de la démocratie, Paris, Seuil, coll. La république des idées, 2008, p.393 Elizabeth et Jean-Philippe GARDERE, (2008) Démocratie participative et communication territoriale, l’Haramattan, coll.

Questions contemporaines, p. 234

La participation des habitants d’un quartier au débat public : un outil de démocratie participative ?

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pour défendre la participation de la population à la vie de son quartier. Avant d’entrer dansla problématique, une brève description du GTI nous permettra de bien cerner le sujet.

Le GTI a été fondé il y a 22 ans par deux habitantes du quartier, Anne Bousquet etJocelyne Michel, entourées de quelques autres habitants, tous motivés par la volonté defaire entendre leur voix, et celle des habitants en général, dans les projets de réhabilitationdu quartier. Il se réunit une fois par mois, alternativement au centre social de la Sauvegardeet à celui du Plateau, sous la forme de réunions publiques ouvertes à tous ceux qui lesouhaitent. Les problèmes discutés sont documentés, débattus, puis, si nécessaire,communiqués aux institutions par le biais d’un élu qui est systématiquement présent,ou par des lettres, voire des pétitions . Il fonctionne grâce à la mobilisation d’un« noyau animateur » formé de 4 ou 5 personnes volontaires qui réfléchissentensemble à la définition de l’ordre du jour et aux pratiques du GTI en général. Autourde ce noyau, il gravite un petite trentaine de participants présents à chaque réuniondu GTI, et d’autres habitants qui participent ponctuellement selon l’ordre du jour. LeGTI n’est pas représentatif des habitants de la Duchère ; il est composé de personnesappartenant à la classe moyenne (une minorité à la Duchère), et disposant d’unbon niveau d’instruction. Il ne compte pas à l’heure actuelle de personnes issuesde l’immigration ni de jeunes, ce qui montre bien son caractère non représentatif.Pourtant, il m’a tout de suite été présenté en tant que groupe reconnu et légitime sur lequartier.

Ma méthodologie a été la suivante. Je me suis appuyée sur le dossier de politiquespublique que j’avais réalisé en décembre avec d’autres étudiantes, comme point de départ.Nous avions traité un sujet relatif au Grand Projet de Ville de la Duchère et à la priseen compte des habitants dans le dispositif de concertation à travers me processus derelogement. Nous avions ainsi réalisé deux entretiens avec des membres du noyau duGTI (Mme Michel et M. Bosc), et un avec le directeur adjoint de la mission le Duchère,entretiens que j’ai utilisés pour mon mémoire. J’ai rencontré une nouvelle fois Mme Michelpour un entretien. J’ai assisté à une réunions publique du GTI en juin 2008, ainsi qu’à deuxréunions du noyau du GTI. De plus, j’ai rencontré au cours de mon observation M. Lassagne,président d’une association de locataires (le « 24/31 ») et membre du noyau du GTI, et Mme.Bonnard, vice-présidente, et membre active du GTI. Je les ai rencontrés deux fois pourleur poser des questions, et j’ai assisté au conseil d’administration de l’association. Enfin,

j’ai également interrogé M. Bochard, élu du 9e responsable de la concertation et déléguéauprès des habitants, qui est présent à toutes les réunions du GTI.

Je me suis retrouvée avec des témoignages divers sur la fonction du GTI et de laparticipation en général, ce qui n’a rien d’étonnant, étant donnée la diversité qui caractérisele groupe. Ces différents points de vue m’ont servi de point de départ pour mon analyse.Je suis bien consciente qu’il m’aurait fallu infiniment bien plus de temps et d’entretiens pourpouvoir espérer cerner le GTI. Aussi, j’ai vite abandonné cette ambition, pour m’intéresserà la manière dont le GTI était au cœur des problématiques posées par les théories dela démocratie participative. Avant d’entrer dans le vif du sujet, je tiens à prendre ici desprécautions importantes au sujet de mon terrain d’enquête. Il faut rappeler dés maintenantque le GTI est un groupe pluriel, sans unité, et qu’il est donc impossible de recueillir unpoint de vue global d’un participant qui pourrait parler au nom du groupe. Chacune despersonnes que j’ai rencontrées a parlé en son nom, et c’est bien là une caractéristiquemajeure du GTI, comme je l’expliquerai dans mon travail. Faute de temps je n’ai interrogéque des membres de son noyau, et lorsque j’emploierai dans mon travail des phrases tellesque « le GTI dit que… », ce sera en référence aux propos que j’ai recueillis de la part

Introduction

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d’individus, et non dans l’idée de faire des généralités. Le groupe est complexe, il existedepuis 22 ans, et il a mille visages, aussi je ne prétends pas par ce mémoire en élaborerune étude sociologique, ce qui m’aurait demandé bien plus de temps. En n’ayant observéle groupe et ses participants qu’au long de quelques semaines, le travail que je présente icicomporte le risque d’établir des remarques et interprétations que certains trouverons peutêtre fausses ou hâtives. Aussi, je le répète, le GTI a été pour moi un terrain d’enquête pourentrer dans le sujet de la participation à l’échelle d’un quartier populaire, et non pas unobjet de recherche en soi. J’ai tenté à travers lui de comprendre comment s’organisait laparticipation des habitants à la Duchère, et quelles étaient les raisons des difficultés pourla faire évoluer.

Pour mener son activité, le GTI joue sur une double légitimité. Il ne peut se passer d’unereconnaissance par les institutions, pour faire entendre sa voix dans les décisions publiques.D’un autre côté, il doit revendiquer sa légitimité auprès de la population, puisqu’il s’exprimeen son nom, alors qu’il n’est pas élu, et que, contrairement à une association, il ne rassemblepas des « adhérents », mais des participants dont les caractéristiques sociologiques ne sontpas représentatives du quartier, alors même que le groupe se dit représentant des habitantsdu quartier. Il y a une tension entre ces deux quêtes de légitimité, et j’ai cherché à traversce travail à comprendre comment elles s’articulent, dans le contexte actuel de la Duchèrequi connaît, à travers un vaste programme de restructuration -le Grand Projet de Ville- unfort volontarisme de la part des pouvoirs publics pour y organiser la participation.

Je me suis demandée de quelle manière le GTI se positionne sur le terrain de laparticipation citoyenne dans le quartier, en analysant mes observations sur le terrain etles témoignages que j’ai recueillis, à travers les apports théoriques sur le thème de ladémocratie participative. Dans quelle mesure parvient-il à poursuivre son objectif dedépart qui est la participation des habitants ?

Comment se situe le groupe entre le projet de citoyenneté active qu’il est censéporter, puisqu’il est né d’une initiative populaire, et celui de démocratie délibérative portépar les pouvoirs publics à travers l’institutionnalisation de la participation à la Duchère ?Comment s’est il érigé en représentant, alors que les habitants du quartier semblent ne pass’y reconnaître, étant donnée le déclin du nombre de participants au groupe, et sa faiblereprésentativité sociologique? Au fur et à mesure qu’il a été reconnu par les institutions,ne s’est il pas dans le même temps éloigné du peuple ? Enfin, quels sont les conflits dereprésentation entre le GTI et les autres instances de représentation du quartier ?

Nous étudierons dans une première partie le processus d’institutionnalisation du débatpublic dans le quartier, quels en sont ses origines et ses buts, notamment à travers l’exempledu Grand Projet de Ville. Nous tenterons de situer le GTI dans cet espace de participation,en nous intéressant aux raisons pour lesquelles il semble avoir glissé aujourd’hui vers unrôle de groupe d’expertise au détriment d’un groupe de participation. Cela nous amèneraà étudier le GTI non plus en tant que participant, mais dans son rôle de représentant,et à comprendre quels sont les conflits de représentation qui sont à l’œuvre entre lesdifférentes instances qui représentent le quartier. Au-delà de ces conflits pour représenter,ces différentes instances sont paradoxalement toutes confrontées au défi de la participation,étant donné que les différents espaces de participation qu’elles défendent restent dansl’ensemble désertés par les habitants auxquels elles s’adressent.

La participation des habitants d’un quartier au débat public : un outil de démocratie participative ?

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Partie 1 : Le gti face àl’institutionnalisation du débat public :entre projets participatif et délibératif

Quelles sont les raisons qui ont amené les pouvoirs publics à se saisir du thème de laparticipation, en particulier dans le domaine de la politique de la ville ; et comment cesraisons permettent elles de comprendre la manière dont les pouvoirs publics conçoivent laparticipation des citoyens aux affaires publiques ? Cette participation s’apparente en réalitéà la consultation. L’exemple de l’ambivalence du GTI, pris entre un projet de citoyennetécollective, et la nécessité de s’inscrire dans cette participation institutionnalisée, montreque la saisie par les pouvoirs publics du projet de participation comporte le risque d’uneinstrumentalisation des initiatives citoyennes de participation.

Chapitre 1 : Le GTI Porteur d'un projet de citoyennetéactive

Quel est le contexte de naissance du GTI, et en quoi ce contexte favorise-t-il l’élaborationd’un projet de citoyenneté active par les fondateurs du collectif ?

A/ Le quartier de la Duchère : entre expérimentation sociale et crised’un grand ensemble

La Duchère est située sur l’une des trois collines de Lyon à l’Ouest de la ville. Elle fait partie

du 9ème arrondissement. Sa position géographique est stratégique du fait de sa proximitéavec des quartiers aisés tels que Champagne en Monts d’Or, mais aussi parce qu’elle estdirectement reliée à l’autoroute A6, au périphérique nord et au métro Gare de Vaise.

Le quartier a été construit entre 1958 et 1963 sur décision du maire de Lyon Louis Pradelafin de répondre à une crise aiguë du logement. L’urbanisation a été massive, puisque 5500logements ont été créés en cinq ans sous la forme de grands ensembles. Dans un premiertemps, le quartier était destiné à résorber l’habitat insalubre des quartiers ouvriers de Vaise.Il permit par la suite d’accueillir les rapatriés d’Algérie.

Parallèlement à la nécessité immédiate de répondre à la crise du logement, la Duchèreest conçue lors de sa construction comme devant être un site d’expérimentation en matièrede mixité sociale. En effet, différents types de logements sont construits (logements pourfonctionnaires, logements HLM et co-propriétés) pour attirer une diversité de peuplement.Dans le même temps, le projet urbanistique prévoit de mettre en place des équipementssociaux dans ce quartier nouveau où le lien social est à construire. Un centre social, uneMJC et un foyer protestant sont ouverts dés le début des années 1960. Une illustration

Partie 1 : Le gti face à l’institutionnalisation du débat public : entre projets participatif etdélibératif

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de la forte socialisation à l’œuvre à la Duchère dans les années 1960 est l’existenced’associations de locataires dans presque tous les immeubles. De manière plus générale,les quartiers neufs construits dans les années 1950 et 1960 sont porteurs d’ « une logiquecommunautaire construite autour d’une culture populaire, une logique de conscience declasse et, enfin, une logique de participation sociale »4. Cette forte intégration sociale estrendue possible par le maintien d’une classe ouvrière unie à l’intérieur de laquelle les lienshumains sont forts, et dont l’encrage local est important.

Parallèlement, l’arrivée massive de populations qu’il faut loger dans l’urgence rendimpossible une réelle diversification de la composition sociale du quartier. La Duchèrese constitue en quartier ouvrier et populaire, qui concentrait en 2002 80% de logementssociaux, alors que la moyenne sur le reste de la ville de Lyon est inférieure à 20%.

Après l’illusion d’une ville nouvelle rêvée dans les années 196O, les conditions de viedans le quartier se détériorent nettement dans les années 1980. Le type d’architecturechoisi dans les années 1960 pour accueillir un nombre massif d’habitants a mal vieilli, etles ensembles se sont dégradés5. A cela s’ajoutent des difficultés d’ordre économique etsocial. La crise des métiers de l’industrie conduit à la désagrégation de la classe ouvrière età une montée rapide du taux de chômage parmi les habitants du quartier. Aussi, au débutdes années 2000, 21% de la population active est au chômage contre 12% sur le reste de laville. La fuite de la population témoigne du malaise : le nombre d’habitants à la Duchère estpassé de 20 000 en 1968 à 12 500 habitants en 2003. Une partie de la population a quitté lequartier et peu de nouvelles personnes se sont installées, laissant de nombreux logementsvacants. Le quartier moderne où tout semblait possible s’est transformé en « espace derelégation » au vu des statistiques.

C’est dans ce contexte que naît le Groupe de Travail Inter quartier.

B/ Le GTI comme terrain d’expression des préoccupations : Ungroupe fondé sur la compétence des habitants

Le Groupe de Travail Inter quartiers est créé en 1986 par quelques habitants de la Duchèrequi souhaitent faire entendre leur voix dans les projets de réhabilitation menés dans le cadredu Développement Social des Quartiers6. Il se fonde ainsi sur la mobilisation spontanée defigures pionnières du quartier, habitant la Duchère depuis sa naissance dans les années1960. Ces personnes sont motivées par la volonté d’organiser une vie collective dansun quartier récent où il semble possible d’imaginer de nouvelles formes d’implication deshabitants à la vie de leur cité7. Face aux nombreuses difficultés et désillusions des habitantsdes grands ensembles, les fondateurs du GTI réagissent pour ne pas être évincés desdécisions concernant leur quartier. Ils souhaitent continuer à « s’occuper de la Duchère8 ».En effet, les membres fondateurs du GTI sont caractérisés par une forte implication dansla vie sociale de leur quartier qu’ils ont vu naître. Ces habitants pionniers ont été des

4 François Dubet et Didier Lapeyronnie (1992), Les quartiers d’exil, Paris, Seuil, p.505 Dossier réalisé dans le cadre de la CDM Action publique et territoires de Mme Le Naour

6 Le DSQ est un programme de la politique de la ville dans les années 1980, nous y reviendrons dans le chapitre suivant7 Laetitia OVERNEY (2006), « La vigilance collective des habitants d’un grand ensemble : inquiétude éveillée et maintenance d’unsite d’expérimentation », dans Jacques ROUX, Etre vigilent, l’opérativité discrète de la société du risque , PUSE, p. 176-1878 OVERNEY (2006)

La participation des habitants d’un quartier au débat public : un outil de démocratie participative ?

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acteurs de la formation du lien social à la Duchère, de par leur implication dans différentesstructures vouées à au développement de la cohésion sociale dans le quartier, telles que lescentres sociaux, la MJC… C’est cette implication autour du lien social qui leur a permis deconcevoir leur participation aux débats publics comme légitime, et donc de concevoir le GTI.L’existence du GTI est donc intimement liée à l’histoire de son quartier et de ses habitants.Nous verrons que les évolutions de ses pratiques depuis sa création jusqu’à aujourd’hui ontété très liées aux évolutions qu’a connues le quartier lui-même.

Très rapidement, de nombreux thèmes relatifs à la vie quotidienne du quartier ont étéabordés en réunion (propreté, fonctionnement des écoles, vie des associations locales,etc..). Les sujets traités évoluent sans cesse au fil des problèmes repérés. La notion depréoccupation est au cœur de la démarche du GTI : celui-ci fonde son existence sur laréaction aux problèmes ressentis par ses participants. Il se pense comme une tribunepour les habitants qui souhaitent s’exprimer, quel que soit le sujet qui les préoccupe. Lesproblèmes dont nous parlons ici ne doivent pas être compris en termes de conflits, maisen termes de préoccupations. Aussi, les réunions du GTI ont pu traiter de thèmes aussidivers que les charges d’immeubles, l’insécurité, la fête des voisins, les espaces verts, oul’habitat coopératif…

« Etre vigilant, c’est avoir une présence éveillée -en continu- au monde »9. Il s’agit icide défendre la posture des participants au GTI comme des individus qui utilisent leur qualitéd’habitants pour en faire une véritable compétence. Comme nous l’avons dit, le GTI est néen même temps que les premiers projets de réhabilitation qui ont touché le quartier. Aussi,le il développe depuis sa naissance une posture de vigilance collective des habitants parrapport aux problèmes du quartier, en revendiquant la compétence des habitants à être lespremiers capables d’identifier ces problèmes.

« Notre cheval de bataille c’est la participation des habitants. On estime que onest des citoyens, donc on habite le quartier et que on a … on a à faire entendrenotre voix10 »

L’une des premières actions du GTI dans les années 1980 a été de réclamer la mise en placed’ « ateliers de réhabilitation » pour que les habitants puissent discuter avec les architecteset exprimer leurs attentes quant à la réhabilitation de leurs logements.

« on avait mis en place des ateliers de réhabilitation parce que il y avait desproblèmes quand les bâtiments ont été réhabilités donc déjà vieux, il y avaitvraiment des soucis, ça se passait pas bien. Donc du coup on avait mis en placedes ateliers de réhabilitation où les habitants étaient avec les architectes, avecles chefs de chantier. Il y avait une réunion toutes les semaines pour voir un peucomment ça allait et comment on pouvait améliorer les choses.11 »

Le GTI fait donc naître des lieux et des moments où les habitants peuvent rencontrer lesdécideurs et les techniciens pour leur exprimer leur vécu. Cette notion de vécu est unecompétence fondamentale mise en avant par le GTI pour légitimer la participation deshabitants à la conception des projets d’aménagement.

« Voilà c’était pas adapté, il y avait des marches, enfin les fils étaient pas aubon endroit, il y avait des choses qui n’étaient pas au bon endroit, et c’est vrai

9 OVERNEY (2006)10 Entretien avec Mme. Michel, réalisé en novembre 200711 idem

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que bon l’architecte, ceux que…la conception, il a une certaine conception maisc’est pas lui qui le vit au quotidien, et donc l’habitant au quotidien il voit bien(rires) il voit bien ce qui ne va pas donc… voilà donc on est intervenu sur plein dechoses12 »

D’autres exemples témoignent de cette fonction de dénonciation des problèmes qui a étépendant longtemps une des fonctions principales du GTI. Aussi, le GTI est par exempleparvenu à faire déplacer un jeu pour enfants qui avait été installé trop près d’un immeuble,en dénonçant son caractère dangereux, ce que la mairie n’avait pas repéré.

C/ Le fonctionnement en réseau : capacité d’enquête et lien socialIl est important d’insister sur les ressources humaines du GTI comme élémentsfondamentaux de son existence et de sa pérennité. En effet, le GTI est un réseau où viennentdiscuter des personnes qui sont souvent elles mêmes impliquées au sein d’autres structuresdu quartier, ce qui donne à chacun des connaissances et des préoccupations diverses quisont échangées au cours des réunions du GTI. Les participants au GTI sont libres de venir etde s’exprimer chaque fois qu’elles le souhaitent, ce qui doit permettre une forte dynamiqueà l’intérieur du groupe. Le GTI est ainsi comme une nébuleuse sans unité où viennent serencontrer une grande variété de personnes qui font circuler entre elles les informationsrelatives au quartier. C’est une source d’informations extrêmement riche.

Le GTI permet à ses participants de recueillir des informations relatives au sort desautres habitants du quartier, par exemple pour vérifier si il y a une cohérence de gestion. Leslocataires d’immeubles appartenant à différents bailleurs ont pu par exemple comparer leurscharges locatives et réclamer une harmonisation à l’échelle du quartier. Le GTI est doncun lieu où des préoccupations individuelles peuvent participer à la définition de demandescollectives.

A travers le dynamisme de ce réseau, le GTI est également voué à développer le liensocial dans le quartier. La Duchère est composée de quatre quartiers (le Plateau, Balmont,le Château, et la Sauvegarde) qui ont été conçus au moment de leur construction commedevant fonctionner de manière indépendante les uns des autres.

« le quartier est composé de 4 secteurs qui portent des noms distincts et unecertaine organisation, non pas autosuffisante, mais qui ont une unité de vie.Donc il y a maintenant 16 ou 18 ans il y a eu la volonté de faire un regroupementqui ne concerne pas simplement la défense de son immeuble mais qui soitvéritablement au service de l’ensemble de ce Plateau de la Duchère. Il vapermettre d’avoir une vision globale et une solidarité à l’intérieur de ce quartierpour l’ensemble des habitant-e-s13 ».

Le terme « inter quartiers » correspond donc à cette volonté de tisser un réseau d’échangeset de réflexions entre les habitants à l’échelle de l’ensemble du quartier. La création del’association « Solidarité Duchère » illustre cette fonction du GTI. Elle est née de l’alertedonnée par des assistantes sociales qui travaillaient sur le quartier et étaient venues à unGTI exprimer leur inquiétude quant aux grosses difficultés que rencontraient certains jeunesisolés qui avaient à peine de quoi se nourrir. A partir de ces alertes, une réflexion a été

12 idem13 Interview M. Bosc, paru dans Rebellyon en mai 2008

La participation des habitants d’un quartier au débat public : un outil de démocratie participative ?

14 FORZY Sandrine_2008

menée par des volontaires du GTI, qui ont abouti à la création d’une banque alimentairefaisant office de « restos du cœur » avant que ceux-ci ne viennent régulièrement sur leplateau. Cette banque alimentaire est donc née d’un mouvement de solidarité qui a puprendre forme grâce à l’espace de discussion offert par le GTI.

D/ Bilan : un projet de participation émancipatrice ?Nous avons décrit ici une approche sociale de la participation telle qu’elle est définie parMarie-Hélène Bacqué et Yves Sintomer14. Dans un contexte d’affaiblissement du lien socialet des relations de voisinage, dû essentiellement au chômage massif et au déclin des formestraditionnelles d’encadrement telles que la famille, l’usine ou les syndicats, les espacespublics de discussion tels que le GTI doivent favoriser la cohésion sociale dans le quartier.

Le GTI défend donc le développement d’une citoyenneté active. L’espace de débatqu’il met en œuvre semble correspondre au projet d’épanouissement des citoyens défendupar les théoriciens de la démocratie participative, tels que John Dewey, qui préconise « laformation d’un « public actif », capable de déployer une capacité d’ « enquête » et derechercher lui-même une solution adaptée à ses problèmes15 ». Le débat public tel qu’il estmis en œuvre par le GTI doit amener ses participants à développer une posture critiquevis-à-vis des représentants politiques, et ainsi à s’affirmer en tant qu’individus dans dessociétés de masse où règnerait l’apathie politique. Dans les quartiers populaires, l’enjeu dudéveloppement d’une telle participation est d’autant plus fort que les publics sont fragiles,et ont généralement peu d’espaces pour s’épanouir dans la sphère publique.

Face à cette conception idéaliste de la participation, la réalité du terrain révèle unensemble de pratiques qui remettent en cause ces idées. Si le développement des espacesde participation est bien réel, il poursuit en France les logiques d’une conception délibérativequi comporte le risque d’une canalisation du débat par les pouvoirs publics au détriment dudéveloppement de la posture critique des citoyens. Les pratiques du GTI sont à analyser enrapport avec le mouvement d’institutionnalisation du débat public. Quelles sont les raisons,les objectifs, et les outils de cette institutionnalisation du débat public ? Dans quelle mesurele GTI a-t-il été influencé par ces évolutions, et comment s’inscrit il dans cette affirmationdu projet délibératif mis en œuvre par les pouvoirs publics ?

Chapitre 2 : Action publique et encadrement dudébat : vers une société sans crise

L’idée d’impliquer les citoyens dans une définition collective de l’intérêt général est au cœurde nos systèmes démocratiques, fondés sur la notion du peuple souverain. L’application dece principe a été pensée dés son origine dans le cadre d’un système représentatif où lecitoyen délègue au représentant le pouvoir de définir cet intérêt général.

14 BACQUE et SINTOMER, “L’espace public dans les quartiers populaires d’habitat social », dans Catherine NEVEU, Espace Publicet engagement politique, L’Harmattan, 1999, p. 125

15 Blondiaux (2008), p.40

Partie 1 : Le gti face à l’institutionnalisation du débat public : entre projets participatif etdélibératif

FORZY Sandrine_2008 15

Mais depuis les années 1960, les remises en cause du pouvoir du représentant commeseul porteur de l’intérêt général sont de plus en plus nombreuses. Les transformationsmultiples qu’a connu notre société depuis la sortie de la guerre se sont accompagnéesd’une nouvelle conception de la manière dont doivent être définis des projets de politiquespubliques menés pour la collectivité. Aussi, le thème de la participation des habitants estdevenu récurrent dans le langage public, avant de se voir attribuer les outils opérationnelsde sa mise en œuvre. A quoi servent ces nouvelles formes d’implication des citoyens ? N’ya-t-il pas une incompatibilité entre la recherche d’élargissement de la citoyenneté active, telqu’il est défendu par les défenseurs de l’idéal participatif, et la recherche d’organisation dudébat menée par les pouvoirs publics ? Quelle est la fonction de la participation telle qu’elleest organisée par les pouvoirs publics ?

A/ Les débuts de la conception de l’action publique comme œuvrecollective

Le modèle substantialiste de l’action de l’Etat prévaut dans la période de l’après guerre desannées 1950 et 1960. A cette époque, l’action publique est menée par un Etat centraliséchargé de reconstruire le pays. Il est alors admis que la notion d’intérêt générale est définiepar la force publique dont l’action est majoritairement imposée, ce qu’acceptent les citoyensqui après la guerre sont globalement très attachés aux valeurs gaullistes, dans un climatgénéral de reconstruction.

Cependant, a partir des années 1960 se multiplient dans la société civile des initiativesqui conçoivent la participation comme un outil de contestation de l’ordre politique en place.Ces expériences sont généralement portées par des mobilisations associatives, ce sontdonc des mouvements ascendants16, qui visent à donner un nouvelle place à la sociétécivile sur la scène publique.

Les pouvoirs publics ne tardent pas à réagir, et commencent dés lors à envisagerde mieux intégrer les citoyens à l’élaboration des politiques publiques. En 1966, EdgarPisani, ministre de l’équipement, énonce clairement la volonté de l’Etat de faire de l’actionpublique « une œuvre collective dont les citoyens et les pouvoirs publics sont solidairementresponsables »17. L’implication des citoyens doit non seulement servir à leur redonnerconfiance dans l’esprit démocratique, mais aussi à rendre les décisions politiques plusrationnelles, en reconnaissant leurs compétences d’usagers.

Dans les années 1970, les avancées en matière de participation des citoyens se fontdans un contexte de redéfinition de la notion d’intérêt général qui admet désormais descritères d’efficacité économique, sociale et écologique, lesquels peuvent être calculés enfonction d’intérêts particuliers. Ainsi, l’utilité publique s’envisage comme le solde d’un bilancoût avantage qui se calcule en lien direct avec le territoire destiné à recevoir l’infrastructureou l’équipement public18. Pour reprendre les mots de Sandrine Rui : « Dans ce contexte, ildevient admis et reconnu légalement que la défense d’intérêts privés peut être l’expressionde la défense de l’intérêt général »19. Plusieurs arrêts du Conseil d’Etat, portant sur des

16 BLONDIAUX, (2008) p.1517 Sandrine RUI (2004), La démocratie en débat, Paris, Armand Colin, p.3518 RUI, (2004), p. 3719 RUI, (2004), p.38

La participation des habitants d’un quartier au débat public : un outil de démocratie participative ?

16 FORZY Sandrine_2008

contentieux entre société civile et projets d’aménagements, consacrent ce principe au coursdes années 1970.

Les années 1960 et 1970 marquent donc l’acceptation nouvelle par les pouvoirs publicsde voir les citoyens prendre part à la définition de projets collectifs. Il y a déjà à travers ceprocessus une volonté politique d’organiser les canaux de la participation citoyenne pour lamettre au service d’un renforcement de la légitimité des pouvoirs élus.

Dans la réalité l’Etat est encore centralisé, et le modèle de régulation croisée, quirepose sur des arrangements entre fonctionnaires et élus, chacun se servant de l’autre pourdéfendre ses propres intérêts, s’impose au détriment du développement de la participationdes citoyens. Il faudra attendre les années 1990 pour que des outils opérationnels departicipation soient mis en place par les pouvoirs publics.

B/ La naissance de la politique de la ville, fondatrice de laparticipation citoyenne, ou comment les pouvoirs publics sesaisissent de la participation

Les quartiers récents d’habitat social, tels que la Duchère, sont un terrain d’analyseparticulièrement riche pour étudier l’institutionnalisation du débat public. En effet, ilsconnaissent plus que tous les autres un enchevêtrement de projets d’aménagementqui posent à chaque fois la problématique de leur acceptation par la population. Lacomplexification des mesures issues de la politique de la ville depuis une trentaine d’annéestémoigne de la très grande exposition de ces quartiers à l’action publique sans cesserenouvelée.

Les opérations Habitat et Vie Social nées dans les années 1970 sont à l’origine dela politique de la ville. Il s’agit pour la première fois de mener des politiques hybrides quiportent à la fois sur le social et l’urbain20. A cette période, de nombreux efforts doivent êtrefaits pour reloger les habitants des bidonvilles et réhabiliter les grands ensembles dégradés.Naît alors l’idée qu’il faut intégrer à ces mesures urbaines une action socio éducative pouraméliorer l’adaptation des populations à leur habitat et ainsi prévenir d’autres dégradations.En 1975, les opérations HVS lancent trois programmes dont les objectifs sont l’améliorationdu confort des logements, la mise en place d’équipements collectifs et le développementde la participation des habitants à la gestion de leur cadre de vie. Mais ces opérations nebénéficient pas d’une ligne budgétaire fixe et supposent la mise en place de procédurestransversales que les administrations sectorielles ont bien du mal à mettre en œuvre. Aussi,ces actions d’ordre social deviennent rapidement minoritaires face à l’accent mis sur laréhabilitation des immeubles à partir de 197721.

En 1981, les émeutes qui se déroulent aux Minguettes sonnent l’alerte sur lamarginalisation d’une part des habitants des quartiers qui se sentent de plus en exclus dureste de la société. Dans ce contexte, le premier ministre Pierre Mauroy confie à HubertDudebout, maire de Grenoble et fervent défenseur de la démocratie participative, la missiond’inventer un dispositif pour répondre à ces problèmes d’intégration des quartiers et deleur population22. Le rapport proposé par M. Dudebout en 1983, « Ensemble, refaire la

20 Gérard CHEVALIER (2006), Sociologie critique de la politique de la ville, Paris, L’Harmattan, p.8721 CHEVALIER, (2006), p. 12722 CHEVALIER (2006), p. 124

Partie 1 : Le gti face à l’institutionnalisation du débat public : entre projets participatif etdélibératif

FORZY Sandrine_2008 17

ville », fonde le Développement Social Urbain, qui vise à repenser la démocratie locale pourpermettre un développement local dont les habitants seraient les acteurs. La participationdes habitants est donc conçue comme devant être un axe majeur de la politique de la villedés ses débuts avec le DSU. Mais il faudra encore attendre quelques années avant queces concepts ne se transforment en pratiques.

Parallèlement aux problèmes propres aux banlieues, la multiplication d’instruments demise en œuvre du débat public dans les années 1990 peut aussi être expliquée comme uneréponse aux multiples crises que connaissent les pouvoirs publics à cette période, face àune société civile qui se renforce. Dans de nombreux domaines, l’action publique est remiseen cause par des contestations de la part des citoyens qui ne se sentent pas pris en compte.L’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 et le virage libéral que connaît le Parti Socialistequelques années plus tard n’est sans doute pas étranger à la remise en cause par une partde la population de la définition de l’intérêt général portée par les autorités publiques. Enoutre, la médiatisation de l’espace public donne un nouveau pouvoir à l’opinion publiquequi peut remettre en cause les décisions de ses dirigeants avec un retentissement toujourscroissant. Les difficultés économiques des années 1980 touchent de plein fouet les grandsensembles d’habitat social. Les premières émeutes de Vénissieux en 1981 sont l’expressionde l’incapacité des forces publiques à être à l’écoute de ces quartiers, en même temps queleur médiatisation est le témoin de l’émergence d’une démocratie médiatisée qui célèbreun nouveau pouvoir donné à la société civile.

Dans ce contexte, les pouvoirs publics sont amenés à devoir légitimer leur action et àfaire participer la société civile aux processus de décision concernant leur environnement,dans le but d’éviter les conflits et blocages qui en découlent.

C’est au début des années 1990 que la participation des habitants « de la base », c'est-à-dire de ceux présents sur le terrain, est admise comme un gage de réussite de la politiquede la ville. La Loi d’Orientation pour la Ville du 19 juillet 1991 met en avant la nécessitéde restaurer la cohésion sociale, et de s’appuyer sur le milieu associatif en tant que relaisvers les populations. Les pouvoirs publics deviennent à partir de cette période les moteursde la participation citoyenne, qu’ils souhaitent structurer et développer. Contrairement auxannées 1970, les années 1990 sont caractérisées par une conception descendante, outop down, de la participation. Ce sont les initiatives des décideurs qui viennent structurerl’espace de participation de la société civile.

C/ Des outils opérationnels pour organiser la participation : laconsultation comme maître mot

Entre 1992 et 2002, plusieurs lois vont dans le sens d’un élargissement de la consultationdes habitants qui devient un passage obligé de l’action publique locale. L’ensemble de ceslois célèbrent la prise en compte des habitants dans un registre purement consultatif, etla portée de ces consultations sur les décisions reste très floue. Aussi, la prolifération duvocabulaire de la participation dans les discours publics ne s’accompagne pas dans la réalitéd’une nouvelle contrainte qui pèserait sur les décideurs : ceux-ci restent libres d’appliquerles principes dictés par la loi comme bon leur semble23.

La loi Solidarité et Renouvellement Urbain du 13 décembre 2000 généralise etréaffirme les procédures existantes de concertation. Elle vise à améliorer les systèmesde consultation des associations locales lors de l’élaboration des documents d’urbanisme.

23 BLONDIAUX, (2008). p. 17

La participation des habitants d’un quartier au débat public : un outil de démocratie participative ?

18 FORZY Sandrine_2008

D’autre part, elle élargit les domaines de l’enquête publique et de la concertation obligatoireà un grand nombre de types d’aménagements publics. L’enquête publique est uneprocédure de consultation du public qui vise à l’informer sur les modalités d’un projetpour ensuite recueillir ses appréciations ou propositions. Pour que la consultation dépassela simple information, il faut que celle-ci soit mise en œuvre suffisamment en amontdes projets. Ainsi, la consultation vise à éviter que les désaccords entre administrés etresponsables politiques ne se transforment en crise.

En 2002, la loi Vaillant, relative à la démocratie de proximité, instaure l’obligation deconstituer des conseils de quartier pour toutes les communes de plus de 80000 habitants.

Selon le site web de la mairie du 9e, les conseils de quartier sont « les espaces d’échangeprivilégié au sein desquels tous les habitants peuvent s’impliquer, proposer et débattrede questions diverses ». Ils sont définis comme des « instances de concertation et deconsultation » garantes d’une « démocratie locale moderne et évolutive »24. Les conseilsde quartier sont donc des outils majeurs pour favoriser la participation citoyenne. Maisnombreux sont ceux qui dénoncent le risque d’un verrouillage du débat public par lesinstitutions, derrière cette avancée apparente vers plus de débat.

La loi Vaillant ne fixe pas dans un cadre strict les règles de fonctionnement et decomposition des conseils de quartier. Pour laisser à ces instances une large marge pours’adapter au contexte local et ne pas s’imposer de manière autoritaire, c’est en fait le conseilmunicipal qui se trouve chargé de sa mise en place. La loi indique que « la liste des membresest arrêtée par le conseil municipal sur proposition du maire, (que) le conseil est présidépar l’adjoint chargé du quartier, (que) les séances sont publiques, sauf disposition contraireprévue par le règlement intérieur »25. Aussi, les pouvoirs municipaux sont très impliquésdans les conseils de quartier, tant au niveau de leur composition que de leur fonctionnement,ce qui témoigne de l’absence d’indépendance de ces structures vis-à-vis des pouvoirspolitiques. En fait, ces instances de débat restent sous le contrôle des élus, qui, commel’a rappelé l’Association des Maires de France sont « seuls qualifiés pour apprécier l’intérêtgénéral et prendre les mesures nécessaires pour le faire prévaloir »26 .

En ce qui concerne leurs fonctions, les conseils de quartier sont des organesconsultatifs auxquels le maire peut demander leur avis si il le souhaite : « Le conseil dequartier peut être consulté par le maire sur toute question concernant le quartier ou laville », et « il peut être associé à l’élaboration, à la mise en œuvre et à l’évaluation desactions intéressant le quartier ». La loi Vaillant sur la démocratie de proximité témoignedonc d’une avancée en termes de procédures de consultation, qui doivent permettre aumaire de mieux connaître les réalités et les attentes du terrain. Cependant, puisqu’il n’existeaucune obligation pour le maire de suivre les avis du conseil de quartier, rien ne garantitl’amélioration de la concertation.

Deux débats majeurs se dégagent donc de cette loi sur la démocratie de proximité :le premier soulève des questionnements quant aux dérives de cette loi en termes deverrouillage du débat public par les élus locaux. Légiférer sur l’obligation de créer un modèleunique d’instances de concertation à l’échelle locale comporterait le danger de décrédibiliseret de brider la grande diversité des expériences existantes27. Le deuxième débat pose des

24 Site officiel de la Ville de Lyon25 In François Hannoyer, Les tenants d’un débat citoyen, octobre 2001, Territoires26 In Communes no 404, juin 200127 Georges Gontcharoff, Valse - Hésitation, octobre 2001, Territoires

Partie 1 : Le gti face à l’institutionnalisation du débat public : entre projets participatif etdélibératif

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interrogations quant à la véritable avancée en termes de concertation apportée par cetteloi, sachant qu’elle pose en fait les conditions d’une consultation améliorée.

La Commission Nationale du Débat Public créée en 1995, et qui se voit attribueren 2002 le statut d’autorité administrative indépendante, va à nouveau dans le sensd’un renforcement des outils de consultation de la population. Cette commission estchargée de « veiller au respect de la participation du public au processus d’élaborationdes projets d’aménagements et d’équipements de l’Etat, des collectivités territoriales, desétablissements publics et des personnes privées 28». L’idée sous jacente à la CNDP est cellede l’ « exercice d’une intelligence collective29 » que doit permettre le débat. La procéduredu débat est conçue comme une phase d’échange d’informations essentielle entre lesparticipants, pour que la décision soit la meilleure possible, et la plus argumentée. La CNDPpermet donc d’améliorer la décision publique, en la rendant plus rationnelle.

Aussi, ces lois restent dans l’ensemble très imprécises sur leur portée en matièrede décision. La participation des habitants semble devenir un droit majeur, mais il n’estpas précisé à quoi doit servir exactement cette participation. On comprend que le flou quicaractérise ces textes doit laisser une grande marge de manœuvre aux élus, qui restentmaîtres de la décision, et utilisent les procédures de consultation pour élaborer des mesuresplus rationnelles. La participation telle qu’elle est conçue ici n’est pas un nouveau pouvoirdonné au peuple, mais un nouvel outil au service de l’action publique.

Nous sommes bien dans l’affirmation d’une démocratie délibérative, où il importe enpremier lieu de donner une nouvelle légitimité à l’action publique. Les consensus obtenusà l’issue des débats doivent non seulement permettre l’élaboration de décisions plusrationnelles, mais aussi donner aux élus un moyen de rendre leurs décisions plus légitimesaux yeux de la population.

Chapitre 3 : L’Exemple du grand projet de la duchère :la mise en place de dispositif de légitimation del'action publique non concertée

Le GPV de la Duchère est l’un des plus ambitieux du pays, en termes de projet urbain. Ils’accompagne dans le même temps d’un discours public très favorable à la « participation »des habitants, à leur implication autour du projet.

Comment est-il possible d’intégrer à des mesures d’aménagement d’une telle ampleurdes espaces de participation des citoyens ? Comment les pouvoirs publics ont-ils créé desespaces pour donner la parole aux habitants, dans un contexte où ils ont fait seuls le choixde transformer radicalement le visage du quartier ?

A/ Le Grand Projet de Ville Lyon La Duchère : le choix d’une actionglobale non concertée

28 RUI (2004) , p.26129 BLONDIAUX, (2008). p. 56

La participation des habitants d’un quartier au débat public : un outil de démocratie participative ?

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« Donc le fond du projet urbain n’a pas été concerté, n’était pas concertable, les1600 logements démolis, les 1600 logements reconstruits sur la ville de Lyon, les1600 logements en partie privés, ça n’a pas été soumis à la concertation puisqu’àun moment donné il faut bien que les élus, parce que nous, nous mettons enœuvre les décisions des élus et les orientations de l’Etat, ont fait des choix et leschoix étaient de ce projet là, donc cela ne peut pas être soumis à la démocratieparticipative, il y a une démocratie représentative qui amène à ce que les élusprennent une décision et doivent l’assumer 30»

B/ L’emploi de dispositifs de « participation » pour légitimer l’action

Informer en amont pour mieux faire accepter les décisionsPour informer les habitants du quartier des travaux à l’œuvre dans le quartier, unecommunication institutionnelle a été mise en place, à travers le site web du GPV (www.gpvladuchere.com ), ainsi que le journal Ville en vue, qui proposent une informationrégulière aux habitants sur les avancées du projet31. En outre, un pôle communication duGPV a été installé en plein centre du quartier du Plateau, pour accueillir toutes les personnesqui le souhaitent et qui ont des questions à poser. Y sont exposées des maquettes ainsiqu’un ensemble de documents expliquant les données du projet. Il est difficile de savoirdans quelle mesure ce lieu est fréquenté. Si il vise à être un lieu de dialogue, c’est avant toutun moyen pour le GPV de relayer son action au plus près des habitants. C’est un espaced’information au sens strict, dans lequel les habitants peuvent venir chercher des réponses àleurs questions, mais certainement pas émettre des suggestions ou remarques sur le GPV.

Parallèlement à cette information institutionnelle, qui ne rapproche en rien de laparticipation, d’autres outils d’information ont l’ambition de déboucher sur des débatsconstructifs où les acteurs se retrouveront dans un langage commun.

Le constat de départ ici est que les habitants et les décideurs qui se rencontrent dansdes espaces de discussion, tels que les conseils de quartier ou le GTI par exemple, ontsouvent des langages différents pour parler des mêmes sujets32, ce qui rend difficile la miseen place de débats constructifs, et débouche parfois sur des tensions liées à des formesd’incompréhension.

« On a du mal à se comprendre avec les habitants, on a du mal à se comprendreaussi parce que, le rythme des habitants et le rythme d’une collectivité, c’est pasdu tout le même … donc on s’est dit à un moment… et puis sur certains projets,on parlait pas des mêmes choses aussi »33.

Aussi, si l’on veut faire participer les habitants, il faut faire en sorte de créer du langagecommun entre les acteurs du débat, qui doit permettre d’apaiser les tensions en expliquantles enjeux des projets d’aménagement aux habitants. Cette forme de concertations’apparente en réalité à de la consultation. Pour que l’on puisse parler de concertation, il

30 Entretien réalisé en novembre 2007 par Elise Viricel31 Voir dans le deuxième chapitre la partie consacrée au travail de représentation du quartier par les médias.

32 Voir en deuxième partie le chapitre consacré aux conflits de représentation du quartier33 Entretien avec M. Bochard, élu du 9e , réalisé en juin 2008

Partie 1 : Le gti face à l’institutionnalisation du débat public : entre projets participatif etdélibératif

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faut que cette phase d’information donne lieu à un débat au terme duquel sera prise unedécision commune entre habitants et élus.

Ainsi, l’usage du terme de « concertation » par l’élu interrogé est ici abusif. L’exemple

donné par M. Bochard, élu du 9e responsable de la mise en place de la concertation surle quartier, est celui d’une discussion avec des habitants autour d’un projet qui n’était pasnégociable, puisque rendu obligatoire par la loi.

« un exemple qui montre un peu pas les limites de la concertation mais… une loien France, dit que chaque commune doit avoir un terrain, une aire d’accueil pourles gens du voyage. A partir de là, nous sommes sollicités, et nous décidonsde construire une aire d’accueil à Vaise. On décide de son implantation, de làoù elle doit être. C’est évident que les gens autour nous disent non ; à traversde multiples représentations. La concertation est un peu difficile de ce coté là.Ceci étant, ceci étant, on l’a faite, on a dit aux gens, nous on veut bien concerter,mais la… on a posé l’aire d’accueil des gens du voyage sur tel lieu, et ça on nenégocie pas. Et c’est vrai que les habitants ont du mal… alors, il faut, on a essayéde passer par une phase…comment dire, pour rassurer les habitants. Moi je mesouviens on avait organisé une réunion publique, où j’avais demandé que desassociations qui connaissent les gens du voyage puissent venir dire un peu quiétaient ces personnes. On a eu les techniciens de la communauté urbaine quinous ont dit voilà, techniquement, l’accès, etc… alors les gens commençaientà hurler ; et quand on a donné la parole aux gens de l’ARTAG34, j’ai trouvé çaintéressant, je sais pas si vous connaissez, ils suivent les gens du voyage, ils ontdit que un, chaque famille n’avait plus 8 ou 10 enfants, c’était plutôt 3 ou 4, quequand on disait 16 caravanes ça faisait que 8 familles, parce qu’il y en a une pourle jour une pour la nuit ; que les gens étaient comme les autres personnes denotre société, y en a qui touchent le RMI, y en a qui travaillent dans le bâtiment,etc.. voilà, ça a contribué à apaiser je crois quand même… 35»

L’information en amont sert dans ce cas à « rendre gouvernable » les projetsd’aménagement36, face à la montée en puissance de l’opinion publique sur la scènepublique. Elle permet d’apaiser les tensions et d’éviter leur transformation en crise. Dansle cadre du GPV, il semble qu’il y ait eu quelques lacunes dans la mise en œuvre de cettephase d’information préalable qui semble pourtant essentielle dans l’application des projetsd’une telle envergure. En effet, lors de la première phase du projet, les habitants auraientdécouvert la démolition programmée de leurs immeubles par le biais des maquettes duGPV, sans y avoir été préparés au préalable. La manière dont ils ont appris ces décisions aété extrêmement brutale, ce qui a mené à une mobilisation des habitants, notamment dansle cadre du GTI, qui a organisé une veillée au flambeau d’une barre à laquelle de nombreuxhabitants du quartier étaient très attachés. Cette veillée a attiré la presse, ce qui a conduitles pouvoirs publics à admettre qu’ «ils s’y étaient mal pris ».

C’est suite à ces conflits liés non seulement au fond du projet, mais aussi audéficit d’information qui l’a accompagné, que se sont mises en place des procédures

34 Association Rhodanienne des Tsiganes et de leur Amis Gadjé35 Entretien avec M. Bochard36 RUI (2004) p.47

La participation des habitants d’un quartier au débat public : un outil de démocratie participative ?

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de « concertation ». C’est donc bien dans un contexte de crise que ces initiativesd’encouragement de la participation trouvent leur origine. Elles visent ainsi plus à pallier lacrise qu’à valoriser l’habitant et sa prise de parole.

Consulter plutôt que concerterAu-delà de la consultation, la concertation correspond à l’exercice d’une « démocratie àdouble sens37 ». Les moments de concertation doivent permettre aux responsables et auxadministrés d’exposer leur point de vue pour élaborer ensemble des projets où seront prisen compte à la fois les ambitions à l’échelle du quartier des décideurs, et les attentes deshabitants en terme d’usage des aménagements. La concertation peut revêtir de multiplessens. Selon le moment où elle est mise en place, et le sujet du projet concerté, elle va plusou moins intégrer les habitants dans le processus de décision, et elle servira dans tous lescas à légitimer le caractère démocratique des décisions.

A la Duchère, diverses expériences relevant de cette définition de la concertation onteu lieu. Selon le moment où elles ont pris place, elles s’approchent plus ou moins d’uneconstruction collective de décisions publiques.

Les 60 engagements des élus sont l’une des grandes fiertés des responsablespolitiques et administratifs du GPV en termes de concertation. Nous allons voir qu’une foisencore il s’agit d’une utilisation abusive du terme de concertation. Comme son nom l’indique,ce document consiste en une liste de 60 engagements que les élus concernés par le GPVont pris suite à une large consultation populaire, (que l’on peut aussi qualifier d’enquêtepublique), qui visait à recueillir les souhaits des habitants concernant la rénovation de leurquartier. Cette consultation a été organisée par une société de conseil en communicationpar l’audiovisuel mandatée par la mission GPV. Elle a pris la forme de cinq grandesréunions publiques qui ont chacune rassemblé entre 150 et 300 personnes. A la suite deces réunions, des ateliers ont été organisés avec les participants pour qu’ils émettent leurspropositions et leurs attentes concernant l’aménagement du quartier. Ces propositions ontété « retraduites » en 60 engagements qu’ont pris les élus et qui devaient servir de cadreau projet. Pour s’assurer du respect de ces engagements, un comité de suivi participatif aété mis en place. Il est présidé par M. Bochard et rassemble élus, techniciens et habitants.Le comité doit veiller au respect des 60 engagements, et il sert aussi à décider des sujetsqui vont être mis en concertation par la suite.

Si la démarche semble exemplaire en termes de participation, puisqu’elle a cherché àintégrer les attentes des habitants dans le cadre général du projet, et donc en amont desdécisions, elle fait pourtant l’objet nombreuses critiques de la part des habitants interrogés.En effet, la procédure a eu lieu en 2002, c'est-à-dire bien après la présentation du schémaurbain à la population. En fait, cette large consultation s’est faite dans un contexte de crise,après le lancement de la première phase du GPV, et donc en réaction aux vives expressionsde désaccord des habitants de la Duchère quant à ce projet. Il y a eu dans la premièrephase du GPV un grave déficit d’information, et a fortiori de concertation avec les habitants,comme nous l’avons déjà souligné. Personne parmi les responsables ne renie d’ailleursla brutalité du projet, non seulement dans sa nature même, mais aussi dans la manièredont il a été présenté aux habitants. La concertation a été mise en place une fois que lefond du projet a été accepté par les habitants. Ce fond, c'est-à-dire la destruction de 1600logements, n’a été en aucun cas concerté. On peut d’ailleurs se demander si le changementde directeur du GPV en 2002 ne s’est pas fait dans cette volonté de reconstruire l’image

37 GARDERE (2008) , p. 24

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du projet pour y intégrer la notion de concertation et regagner la confiance des habitants,après les traumatismes du départ. On peut d’autre part s’interroger sur la portée réelle des60 engagements, si ce n’est celle de redorer l’image du projet, puisque la participation descitoyens n’a pas été jugée nécessaire pour élaborer les bases du projet.

De véritables expériences de concertation sur des projets mineursLe terme de concertation renvoie, rappelons le une fois de plus, à des procédures au coursdesquelles les habitants sont associés à l’élaboration de la décision, grâce à un échanged’information poussé au cours duquel a pu se former un langage commun, et à une écoutedes attentes et des craintes des habitants

« On a souvent pour habitude, quand on fait un aménagement public jusqu’àprésent, on fait travailler l’architecte à partir d’un cahier des charges fait par élus,et l’architecte il vient présenter son projet aux habitants. Et là on se retrouvedans des situations très difficiles, parce que les habitants critiquent le projet,et l’architecte le ressent mal parce qu’il se dit qu’ils démolissent son travail, etc’est tout à fait compréhensible. Donc qu’est ce qu’on a décidé, on a décidé quela concertation se fasse en amont du projet, et que les habitants participent aucahier des charges.38 »

Les procédures de concertation servent donc non seulement à réduire les décalages entreles différents points de vue et langages des acteurs présents, mais aussi à transformer cettevision commune en consensus qui sera le point de départ d’une décision.

De véritables processus de concertation ont été mis en place par le GPV sur desprojets d’aménagement mineurs, tels que l’aménagement du parc du Vallon, celui de laplace centrale, ou bien pour la dénomination des nouvelles rues du quartier. On peut parlerde « véritable concertation », dans le sens où les habitants volontaires ont pu s’exprimersur leurs attentes au moment de la phase d’élaboration de ces projets. Il est intéressant dedécrire la manière dont a pris forme la concertation sur le parc du Vallon, qui est l’exemplele plus souvent cité par les responsables politiques et administratifs du quartier lorsqu’ilssont interrogés sur les procédures de concertation qui existent à la Duchère.

En janvier 2006 une réunion publique de lancement a été organisée, durant laquelle unequarantaine d’habitants de La Duchère se sont inscrits pour former un groupe de travail. Lesélus ont exposé aux habitants le cadre général du projet, c'est-à-dire le budget disponible,et la nécessité de respecter une démarche de développement durable dans la structureglobale du parc39. Trois équipes ont présenté au groupe de travail les ébauches de leursprojets, et les habitants ont alors pu exprimer leurs attentes et leurs critiques à partir deces propositions d’aménagement. Il s’agissait de prendre en compte l’usage que feraientles habitants du parc dans la conception globale de l’aménagement. Les équipes ont doncchacune travaillé à élaborer des plans d’aménagement qui prenaient en compte l’ensemblede ce ces remarques. Ce sont finalement les élus qui ont désigné l’équipe lauréate, cequi n’a pas posé de problèmes aux habitants, puisque ceux-ci s’étaient sentis écoutésdepuis le départ. Le travail de concertation continue désormais entre l’équipe chargée del’aménagement et les habitants, autour de thèmes plus précis. Une concertation similaire aété réalisée pour l’aménagement du square Averroès et de la place centrale du Plateau.

38 Entretien avec Bernard Bochard, réalisé en juin 200839 Les élus s’étaient accordés pour exploiter les pentes du parc en construisant des digues qui retiendraient l’eau de pluie,

pour éviter notamment l’innondation du quartier de Vaise en cas de fortes pluies

La participation des habitants d’un quartier au débat public : un outil de démocratie participative ?

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Cette concertation est exemplaire aux yeux de M. Bochard, qui insiste sur l’échange etla compatibilité des points de vue qui a pu y être mise en œuvre entre les différentes parties.

« Et moi j’ai trouvé ça intéressant, parce que quand on a travaillé avec le projet,avec l’équipe lauréate, elle a expliqué son projet, et puis les habitants en mêmetemps et ben ils expliquaient comment ils allaient vivre dans le Vallon, et l’un etl’autre se complétaient très bien. »

Bilan : Une concertation illusoire ?Ces illustrations de la concertation à l’œuvre à la Duchère se rapprochent de la visioncynique de Fassin40 selon laquelle la concertation qui ne concerne pas la mise en débat dufond des projets intervient comme une contrepartie à l’absence de démocratie, justementpour légitimer le projet. Un des animateurs du GTI a une position très éclairante sur l’objectifpoursuivi par les élus qui ont pris ces 60 engagements. Pour lui, il s’est agit d’une vasteentreprise communicationnelle clairement destinée à redonner une bonne image au projet.

« Un des éléments qui montre que la concertation, ou ce qui était censé être dela concertation, n’en était pas vraiment, c’était simplement de la communication,c’est que la mairie a du intervenir de manière puissante. Elle a fait venir uneentreprise de communication pour faire un grand show basé sur des ateliers quise sont suivis avec des enregistrements vidéo, avec des engagements pris à lasuite de ça par la municipalité, ce qui concerne donc les 60 engagements de lamunicipalité. Et donc qui a amusé la galerie pendant six mois avec ses moyens,ses shows, ses techniques qui sont très opérationnelles, on peut étudier cela demanière toute à fait intéressante, à voir ce qu‘on peut faire avec. Je crois que, entout cas pour un certain nombre du GTI, on voyait bien là que l’analyse était toutesimple, c’est que la mayonnaise ne prend pas, il s’agit de reprendre les rênes etde redonner le sentiment que les gens vont exprimer ce qu’ils veulent et qu’on vas’engager dans ce qu’ils ont demandé et cela c’est donc les 60 engagements qu’apris la mairie »41

Les 60 engagements des élus peuvent ainsi être qualifiées de « concertation marketing »,car ils ont été élaborés dans une optique communicationnelle, et non dans un véritablesoucis d’écouter ce que les habitants avaient à dire. Un autre habitant estime d’ailleurs quela phase de retraduction des demandes des habitants en engagements a été menée demanière discrétionnaire par les élus, qui ont pu ignorer toutes les demandes qui entraienten contradiction avec les impératifs du GPV déjà fixés. Ces nombreuses critiques portéesaux 60 engagements font apparaître un paradoxe de ces concertations « illusoires ». Alorsqu’elles sont menées pour valoriser l’image des projets auprès du public et retrouver leurconfiance, elles semblent en fait mener à une certaine défiance de la part des habitantsqui se sont mobilisés dans ces débats. Ces habitants ont cru à un moment donné qu’ilspourraient véritablement être écoutés, et ils sont d’autant plus frustrés lorsqu’ils découvrentque les efforts qu’ils ont fait pour exprimer leurs points de vue n’ont mené à aucune avancéeconcrète dans les décisions des élus. De même, l’appel à la participation aux ateliers deconcertation qui ne concernent que des projets mineurs, contribuent chez certains habitants

40 D. FASSIN (1996), L’essentiel, c’est de participer. Démocratie locale et santé communautaire dans les villes du tiers-monde, dansLes Annales de la Recherche Urbaine n°73.41 Entretien avec M. Bosc, réalisé en novembre 2007 par Julie Laurent

Partie 1 : Le gti face à l’institutionnalisation du débat public : entre projets participatif etdélibératif

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à entretenir une position de défiance et le sentiment de n’être pas assez pris au sérieuxpar les décideurs.

L’institutionnalisation du débat public mise en œuvre par la mission du GPV serait doncdestinée à mieux faire accepter le projet, pour éviter les conflits avec la population. Lesoutils mis en œuvre se rapprochent plus souvent de la consultation et que de la concertationvéritable. Le terme de « concertation » est bien souvent utilisé de manière abusive par desresponsables de projets en quête de légitimité. En retour, il apparaît que l’institutionnalisationdu débat, lorsqu’elle ne permet qu’une participation très minime des habitants au processusde décision, mène au contraire à la désertion de ces débats par des habitants déçus etdéfiants à l’égard des moments de participation trop formels.

Dans ce contexte, quelle est la place qu’occupe le GTI ? A quoi sert il ? Parvient il àtrouver un espace de participation qui dépasse l’organisation de la consultation à discrétiondes élus ? Espace de débat non formel, il entretient des rapports très proches avec les élus.Parvient-il à peser véritablement sur des décisions publiques, ou joue t-il seulement le rôled’un organe consultatif qui vient renforcer la légitimité des élus ? Comment se démarque-t-il par rapport aux autres organes de participation mis en place depuis le début des années2000, non seulement par les lois nationales, mais aussi par le GPV ?

Le GTI n’a pas été marginalisé au fil de l’institutionnalisation du débat sur le quartier.Bien au contraire, il a vu sa reconnaissance par les pouvoirs publics renforcée au fil desannées, tout en restant un groupe non formel qui continue de revendiquer une participationfondée sur une citoyenneté active. Comment le collectif parvient il à lier ces deux positionsapparemment contradictoires ?

Nous verrons que malgré son projet fondé sur la participation, le GTI semble, depuisl’arrivée du GPV, mettre en œuvre ses compétences dans le cadre du projet délibératif, où lamobilisation des habitants vient renforcer la rationalité des décisions publiques en exerçantsur elles un pouvoir d’influence, mais sans jamais les contester.

Chapitre 4 : Le GTI sous influences

A/ Un groupe aux contours flous, dans l’impossibilité de trouver uneposture politique

La manière dont M. Bochard définit le GTI, alors qu’il est présent à toutes les réunions depuisdéjà quelques années, est représentative du flou qui le caractérise :

« S : qu’est ce que c’est le GTI selon vous ? B : euh, ben qu’est ce que c’est,c’est un collectif, c’est une association, c’est un regroupement d’habitants de laDuchère, on appelle ça groupe inter quartier, je crois que c’est le premier intérêt,inter quartier42 »

Le GTI n’est pas un groupe uni autour d’un projet commun. Le thème de la « défensedes habitants » prôné par sa cofondatrice est très imprécis, ce qui empêche une véritable

42 Entretien avec M. Bochard, réalisé en juin 2008

La participation des habitants d’un quartier au débat public : un outil de démocratie participative ?

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identification du groupe. Le GTI se trouve donc privé d’une identité collective pourtantnécessaire à l’existence d’un véritable lieu de défense de valeurs collectives.

La « liberté de mouvements » prônée par la co-fondatrice du GTI s’applique à chacundes participants au GTI, ainsi qu’au groupe en lui-même qui affiche une totale indépendancedans le choix de ses actions. Cette indépendance peut se traduire par un manque decohérence dans le positionnement du GTI dont les actions n’ont pas toujours de lien lesunes avec les autres.

« On n’a quand même pas une position idéologique qui soit très cohérente dansle groupe, représentant un courant politique ou un type d’intervention (…). En faitc’est chacun qui peut avoir son analyse et sa compréhension mais en soi il n’y apas d’analyse commune qui permette de se positionner »43

Si cette absence de positionnement déterminé est une caractéristique constitutive du GTI,elle pose par là même les limites de son action. En lisant les propos de M. Bosc dans l’articlepublié par Rebellyon en mars 2007, on repère une tension entre sa volonté d’apporter uneréflexion politique autour des programmes de rénovation urbaine, notamment à propos desrisques de relégation des habitants contraints à quitter la Duchère dans le cadre du GPV, etla limite posée par la ligne d’action du GTI qui, si il parvient à réintroduire la prise en comptedu vécu des habitants dans le programme du GPV, joue dans le même temps le jeu desélus. La mise en lumière du vécu des individus ne permet pas de créer un projet collectifcapable de contrecarrer le GPV.

« On essaie d’arrondir les angles, mais fondamentalement le problème n’est pasabordé. On arrondit les angles, ce qui n’est pas nul me semble-t-il, reste que leproblème de fond est quelque peu esquivé. J’ai conscience de ce raccourci dansnotre positionnement au GTI. » « je veux dire que le groupe en soit ne cherchepas à faire des rapports de force obligatoirement, ne cherche pas à dénoncer les principes même de ce qui est mis en place.44 »

Aussi, les compétences apportées par le GTI par rapport aux projets élaborés par lespouvoirs publics se fondent sur une posture apolitique, et visent à valoriser le sensibleet le vécu individuel. C’est cette compétence qui est reconnue au GTI, ce qui l’empêchede trouver une position critique plus globale, alors que les habitants que j’ai interrogésétaient globalement très réticents au GPV. La participation mise en oeuvre par le GTI vientinfluencer les pouvoirs publics, et non favoriser la construction d’un contre pouvoir émanantde la société civile.

B/ Le GTI et l’idéal du forum hybride : Un espace de constructiond’une raison collective?

Bien qu’il lui soit impossible d’adopter une posture politique, le GTI cherche toutefois àmener les différentes remarques des participants vers une réflexion plus globale qui elleseule peut permettre la recherche collective de solutions aux problèmes énoncés. Au-delàde cette fonction de tribune, le GTI est donc un lieu où l’on tente de donner un sens auxproblèmes, aussi divers soient ils. En effet, le GTI ne remplit pas le rôle d’une association delocataires par exemple, qui dispose d’un interlocuteur privilégié clairement défini (le bailleur),

43 Entretien M. Bosc, réalisé en novembe 2007 par Julie Laurent44 Interview de M. Bosc publiée par Rebellyon en mars 2008

Partie 1 : Le gti face à l’institutionnalisation du débat public : entre projets participatif etdélibératif

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et s’attelle à défendre une meilleure gestion de l’habitat. Collectif d’habitants sans statutjuridique officiel, il va au-delà du traitement des problèmes immédiats. N’importe qui peutvenir s’y exprimer, sans contrainte d’adhésion. Le seul fait de s’intéresser au quartier suffitpour participer. Le GTI rassemble des personnes aux profils variés : copropriétaires et deslocataires, tendances politiques diverses, …

« Au GTI il y a de tout, attention, au niveau du GTI il y a de tout, des gens dedroite des gens de gauche, c’est vrai que bon, on va pas demander sa carte departi aux gens qui sont là quoi. »45 « Le GTI étant un collectif, on collecte desensembles, ce n’est pas une association où tout le monde se retrouve dansun même projet. Dans un collectif, on rassemble des personnes qui travaillentensemble, avec des points de vue et des organisations différentes. »46

Cette variété de profils qui se rencontrent au sein du GTI permet de mettre en oeuvreune réflexion collective issue des sensibilités des uns et des autres. Ainsi, des réflexionsà long terme sur des sujets tels que la place des personnes âgées dans le quartier, ouencore la sécurité, sont également menées au GTI. Ces réflexions mènent parfois à laconstitution de commissions spéciales lorsque le sujet est complexe et nécessite d’êtreparticulièrement bien documenté pour pouvoir en parler sérieusement. Ces commissionspeuvent déboucher sur l’élaboration de propositions adressées aux pouvoirs publics.Dans ce sens, les habitants mobilisés participent véritablement à donner du sens à lanotion d’intérêt général. Actuellement, une commission personnes âgées est en marche,parallèlement au GTI, pour vérifier que les immeubles qui seront bientôt construits dansle cadre du GPV pour accueillir les personnes âgées seront adaptés aux besoins de cesderniers. Une animatrice de cette commission travaille elle-même dans le secteur de lagériatrie, ce qui lui donne une sensibilité et des connaissances particulières pour alimentercette réflexion. Le GTI est un lieu d’expression à partir duquel sont mis en place des travauxde réflexion à long terme qui sont menés hors du cadre stricte des réunions publiques duGTI.

« Le GTI rassemble les gens, et doit les renvoyer vers l’extérieur, vers les bonsinterlocuteurs, l’action doit se faire en dehors47 »

On se rapproche ici de la notion d’espace public selon Habermas. C’est un lieu où serencontrent une diversité de personnes privées qui échangent des points de vue. Ceséchanges et confrontations doivent permettre au public de former des choix collectifscorrespondant à une co-définition de l’intérêt général. Dans cet espace, il n’y a pas dedéfinition préexistante et dominante de ce que doit être l’intérêt général. Ainsi, la raisoncritique de chaque individu peut s’exprimer, évoluer, se confronter aux autres, pour participerà la définition commune de choix collectifs. C’est la mise en relation de la raison critique dechaque individu qui permet la formation d’un choix collectif rationnel et démocratique.

En allant plus loin dans la définition d’un espace public de discussion, Callom,Lascoumes et Barthes48 ont défini le terme de « forums hybrides » pour qualifier des lieuxouverts où les groupes peuvent se mobiliser et prendre des décisions qui touchent lacollectivité. Ces acteurs sont des experts, des hommes politiques, des techniciens et despersonnes non techniciennes, qui vont prendre ensemble des décisions concertées qui

45 Entretien avec Mme Michel, réalisé en novembre 200746 Entretien avec M. Bosc, réalisé par Julie Laurent en novembre 200747 Entretien avec M Lassagne et Mme Bonnard, réalisé en juin 2008

48 Callom, Lascoumes, Barthes (2001), Agir dans un monde incertain, essai sur la démocratie technique, Ed. Seuil

La participation des habitants d’un quartier au débat public : un outil de démocratie participative ?

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sont l’aboutissement des controverses qui ont pu les opposer. Aussi, ces forums doiventpermettre aux acteurs de représenter leurs intérêts particuliers tout en réfléchissant à desnotions d’intérêt général, et doivent parallèlement faire entrer dans le débat des acteurs quien étaient exclus jusque là.

Les caractéristiques du GTI correspondent aux critères de définition du forum hybride,par la nature des acteurs qu’il réunit, et la confrontation des points de vue qu’il permet.Cependant nous allons voir que cette conception des instances de débat public estrelativement idéaliste en ce qui concerne d’une part l’idéal d’une coproduction de l’actionpublique, et d’autre part le caractère participatif de ces assemblées. En effet, le terrain dedébat ouvert par le GTI n’est pas voué à produire des décisions publiques, sinon à influencerces dernières. Le fait de rechercher à influencer les décideurs induit des rapports ambigusavec les pouvoirs publics. En outre, la participation à l’œuvre au sein du GTI invalide l’idéed’un débat véritablement ouvert avec une participation d’habitants mobilisés par ailleurs.Nous étudierons ce défi de la participation en deuxième partie. Mais il faut d’abord préciserle glissement des pratiques du GTI vers un travail d’expertise, dans le cadre des relationsétroites qu’il entretient avec les pouvoirs publics.

C/ Des rapports ambigus avec les pouvoirs publics

Le soutien indispensable des élus. Le GTI vise à faire remonter la parole des habitants auprès des institutions, et ne peutdonc se passer de tisser des liens étroits avec les décideurs pour obtenir des solutionsdurables aux problèmes qu’il dénonce. Si des initiatives qui dépendaient uniquement de lamobilisation des habitants sont nées du GTI, telles que « Solidarité Duchère », le collectifa dés le départ cherché à avoir de l’influence sur les décisions politiques concernant lequartier, comme en témoigne le contexte de sa création que nous avons exposé plus haut.

Depuis ses débuts, un élu est systématiquement présent à chacune des réunions duGTI. Le groupe ne s’est donc pas construit en opposition aux pouvoirs politiques, bien aucontraire. La présence d’un élu à chaque réunion doit servir en premier lieu à expliquer auxhabitants les projets de politique publique menés sur le quartier. Il n’est pas rare que leGTI convoque des intervenants extérieurs, techniciens ou élus, pour que ceux-ci viennentrépondre aux questions des habitants. Ainsi, le GTI fait office de tribune pour les pouvoirspublics qui y sont invités à expliquer et justifier leurs choix politiques.

Une reconnaissance mutuelleIl n’y a pas de conflits de représentation à proprement parler entre le GTI et les élus, puisqueles deux parties entretiennent des relations cordiales, que le GTI se sent reconnu dansl’intérêt de ses travaux, et qu’il ne vise pas à défendre un projet politique. Tout fonctionnecomme si les décideurs et les habitants agissaient en partenaires dans le cadre du GTI.

Le GTI est écouté chaque fois qu’il demande la parole, reçoit systématiquement desréponses à ses lettres, et ne se prive jamais d’aller voir des représentants politiques, dontles responsabilités peuvent largement dépasser le quartier, lorsqu’il l’estime nécessaire. LeGTI ne conteste en aucun cas la légitimité des pouvoirs élus, et Mme Michel ajoute quel’expression de la contestation doit avant tout se faire au moment du vote, ce qui montrebien son attachement au système représentatif :

Partie 1 : Le gti face à l’institutionnalisation du débat public : entre projets participatif etdélibératif

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« bon après on règle les problèmes dans les urnes ! mais c’est quand même plusintéressant pour travailler, et puis de reconnaître que l’habitant et ben il a unecertaine expérience, et qu’il peut être expert sur certaines choses. »

Des militants animateurs tentés par des fonctions politiquesLa nature des relations qu’entretiennent le GTI et les élus locaux vont au-delà d’une simplereconnaissance mutuelle. En effet, si le GTI est un collectif apolitique, qui se refuse à êtrerepris par un parti, l’engagement politique des deux cofondatrices n’est pas sans incidencesur les pratiques du GTI. L’impossibilité évoquée plus haut de pouvoir mener des véritablesréflexions politiques au sein du GTI n’est sans doute pas étrangère au fait que certainsmembres du noyau aient été tentés à un moment donné de passer « de l’autre coté de labarrière» en se faisant élire.

C’est justement le cas des deux cofondatrices du GTI, qui ont chacune leur carte au

Parti Socialiste, et ont été élues au Conseil Municipal du 9e arrondissement, ce qui indiqueincontestablement non seulement la relation privilégiée qui existe entre le GTI et les élusde gauche depuis la naissance du groupe, mais aussi la tentation politique de certainsanimateurs du GTI. C’est ce soutien de la part des élus qui a permis au GTI d’obtenirdes victoires, telles que la mise en place des ateliers de réhabilitation dans les années1980, ou la Charte du relogement49 aujourd’hui. Mais c’est aussi ce soutien qui a dérivévers une connivence de plus en plus forte entre les deux parties, ce qui semble expliqueraujourd’hui que le GTI ait du mal à se placer sur le terrain de la revendication. Mme Michelest actuellement élue au Conseil du Quartier et se doit donc de défendre la politique de lamairie, alors qu’elle a dénoncé avec virulence les projets de démolition du GPV lorsqu’ilsont été annoncés au départ.

« donc la politique menée par la mairie, je suis tenue d’appliquer la mêmepolitique sur le quartier. C’est vrai que je peux le faire maintenant, parce quetoutes les étapes de tension avec les démolitions sont arrêtées. Là maintenant onest dans une phase de concertation, donc voilà. »

Elle estime qu’il n’y a plus de tensions sur les lignes de fond du projet, qui de toute façonont du être acceptées par les habitants qui n’en ont pas eu le choix. Elle veut s’impliquerà la Mairie dans un contexte apaisée qui rend possible la recherche d’expériences deconcertation sur des sujets moins importants. Dans ce sens, son activité au GTI s’en trouveforcément modifiée. Il est désormais impossible pour elle de s’engager ouvertement surdes terrains de contestation. Etant donné que l’activité du GTI dépend de la mobilisation dechacun de ses participants, on comprend les évolutions dans les pratiques du GTI, qui sontintimement liées à la proximité de ses animateurs avec les pouvoirs politiques.

D/ Et son affirmation comme groupe de réflexion

Le GTI innovateur social ?Le GTI a su inventer des modes de participation des habitants à la vie de leur quartier bienavant que celle-ci ne soit organisée par les pouvoirs publics. Il n’a pas choisi une manière

49 La charte du relogement est un document signé entre les bailleurs sociaux, la mairie, le Grand Lyon, et la préfecture, quiengage les parties à veiller à la mise en place d’une procédure d’accompagnement très poussé des familles dans le processus derelogement.

La participation des habitants d’un quartier au débat public : un outil de démocratie participative ?

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de participer bien définie, avec des objectifs et une posture militante déterminés. Depuis sesdébuts, il a tenté d’être présent partout où on l’a laissé venir. Aussi, la participation que legroupement a su mettre en œuvre a pu concerner autant des enjeux très concrets, tels quele réaménagement des appartements pendant les premiers projets de réhabilitation à la findes années 1980- il s’agissait alors de contester par exemple des projets d’architectes quiprévoyaient de mettre des marches dans les cuisines- ; que des enjeux plus sociaux –le GTIa par exemple servi de médiateur entre la police et les habitants lors des échauffements quiont eu lieu en 1998 suite au décès d’un jeune du quartier dans un commissariat de police- ;ou encore des travaux de réflexion dans lesquels ses participants défendent une certaineconception de ce à quoi doit ressembler leur quartier.

Sur ce point on peut attribuer au GTI un rôle d’innovateur social, non seulement caril a su inventer sa propre démarche participative, mais aussi car il a inspiré aux pouvoirspublics des initiatives nouvelles en termes d’aménagement ou de politiques sociales. Aussi,les ateliers langages50, aujourd’hui gérés par la Ville de Lyon, ont été proposés à l’originepar les deux cofondatrices du GTI qui en ont eu l’idée en s’inspirant d’autres expériences quileur avaient été exposées. Le GTI veut maintenir cette capacité à proposer, alimentée par ledynamisme et l’état d’alerte constant dans lequel se trouvent ses plus fervents défenseurs.

« Donc voilà on est…toujours à l’affût, dés qu’il y a quelque chose qui noussemble intéressant…(…)! C’est nos parcours divers, nos horizons divers… etpuis aussi notre militantisme, parce que c’est vrai que si on s’en fichait on feraitpas ce genre de choses 51»

Le GTI n’a pas voulu choisir entre différents terrains d’implication, et c’est sans doute ce quia fait sa force depuis ses débuts. Il a su trouver une posture à mi chemin entre un système deconsultation trop formel tel que ceux qui ont été mis en place par les pouvoirs publics, et quiconnaissent peu de succès auprès des habitants ; et un rôle de contre pouvoir contestatairequi tenterait de bouleverser l’ordre en place et serait ainsi propice à la marginalisation. Il sesitue entre les deux extrêmes des modèles participatif et délibératif, et c’est sûrement cequi l’a fait tenir si longtemps.

D’autre part, il joue un rôle important dans la formation citoyenne des habitantsqui viennent aux réunions, en les informant sur les avancées du GPV. Les membresanimateurs vont à la recherche d’informations pour vérifier la conformité des annoncesfaites par les décideurs avec la réalité qu’ils observent sur le terrain. Forts de cette doublecasquette d’ « habitants- experts », ils tentent de faire contre poids au système d’informationinstitutionnelle géré par le GPV, d’autant plus qu’ils ne peuvent pas compter sur le GPV pourrecevoir les nouveaux documents publiés, étant donné que celui-ci ne leur envoie rien. Ilsse chargent de maintenir une vigilance quant au déroulement du projet et à la tenue desengagements des responsables. Le registre de la preuve est donc un outil utilisé par le GTIqui réclame des informations aux puissances publiques. En étant vigilant à ce qui se dit, leGTI est en mesure de réclamer des comptes aux décideurs, et donc d’exercer un certaincontrôle du pouvoir. En ce cens, les membres qui l’animent continuent de mettre en œuvreune citoyenneté active.

Le GTI au service du système représentatif ?

50 Les ateliers langage sont des moments prévus en dehors de l’école pour permettre aux enfants qui ont des difficultés às’exprimer en classe, à le faire dans de bonnes conditions et ainsi à prendre confiance51 Entretien avec Mme Michel, juin 2008

Partie 1 : Le gti face à l’institutionnalisation du débat public : entre projets participatif etdélibératif

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Dans le contexte actuel du GPV, le GTI semble s’orienter vers des efforts toujours plusimportants en termes de réflexion sur l’avenir du quartier, au détriment des actions visantla participation ou l’expression immédiate des habitants. Il ne s’agit plus pour le GTI decontester certaines décisions publiques par l’action directe -comme cela a été le cas lors dela veillée au flambeau de la barre 210 en 2005-, car le collectif a intégré l’idée que le fond duGPV resterait inchangé quoiqu’il arrive. Au contraire, le GTI poursuit une réflexion éclairéesur la vie et l’avenir du quartier, réflexion qui est d’autant plus nécessaire étant donnéel’inquiétude grandissante des habitants vis-à-vis des bouleversements que va connaître lequartier.

Face à l’ampleur du projet, le GTI n’a donc plus de véritable espace pour contester,et sa cofondatrice m’affirme être satisfaite des espaces de concertation qui ont été mis enplace, même si ils ne concernent que des enjeux secondaires :

« Donc maintenant c’est vrai qu’on n’est plus dans cette confrontation ; parceque en fait on a appris ensemble à faire de la concertation, maintenant c’est vrai,mais bon ça a moins d’enjeux parce que on concerte sur les espaces publics,mais bon c’est bien, c’est fait correctement, on prend en compte nos remarqueset tout, on est très satisfaits ! »

Le soutien que reçoit le GTI de la part des élus est la preuve que le groupement asu maintenir sa place malgré la menace que représentaient les nouvelles structures departicipation telles que les conseils de quartier, mais qu’il est dans le même temps sujet àune certaine instrumentalisation.

Les fonctions du GTI et du Conseil de quartier sont relativement proches, puisqu’ilsvisent tous deux à faire remonter la parole des habitants auprès des élus, à l’échelle duquartier de la Duchère. En outre, les Conseils de quartier bénéficient d’une légitimité de fait,puisqu’ils ont été créés par la loi, contrairement au GTI qui est né d’une initiative spontanée.

Si les élus du 9e ont majoritairement soutenu le maintient du GTI lorsque celui-ci était aubord de l’effondrement au moment de la création des conseils de quartier, c’est bien parcequ’ils y voyaient un espace de participation tout à fait implanté dans le quartier, espace quileur est très utile pour relayer leur propre action.

« En fait moi je me souviens quand les conseils de quartier ont été mis en placemoi c’est une époque où je me suis retrouvée quasiment toute seule au GTI.Anne finissait son mandat elle était encore élue, et j’avais écrit un courrier à toutle monde en disant que si personne ne venait me donner un coup de main, jene pourrais plus continuer, et (rires) tous les élus de gauche de la mairie m’onttéléphoné dans la journée en disant « non pas question, il n’est pas questiond’arrêter le GTI, c’est pas parce que le conseil de quartier se met en route… »donc, il y a quand même une reconnaissance, les élus y trouvent aussi leurcompte parce qu’on a une bonne caisse de résonance 52»

Nous pouvons reprendre ici les termes de Marie-Hélène Bacqué et Yves Sintomer53 pourpréciser l’intérêt que trouvent les élus dans l’espace de participation ouvert par le GTI :

« dans le discours des dirigeants politiques locaux, celle-ci (la démocratieparticipative) est censée s’inscrire en complément des mécanismes classiques

52 Entretien avec Mme Michel, novembre 200753 BACQUE et SINTOMER (1999), p. 126

La participation des habitants d’un quartier au débat public : un outil de démocratie participative ?

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de la démocratie représentative (…), elle n’est jamais considérée comme uncontre- pouvoir »

Selon cette conception de la participation, les élus locaux ont intérêt à se rapprocher dece type de structures, pour réduire le décalage entre les décideurs et les habitants. Cesstructures sont uniquement consultatives, ce qui ne remet pas en cause le pouvoir dudécideur, tout en permettant d’augmenter la légitimité des décisions qui sont élaborées pardes élus connaisseurs du terrain.

Ces rapports qui se rapprochent de la connivence, du moins entre des membresanimateurs et les élus locaux, ne sont pas sans effets sur les sujets traités au cours desréunions, et donc sur l’intérêt que trouvent les habitants à participer au GTI.

Aussi, l’affirmation du GTI comme groupe de réflexion est liée à deux phénomènes :d’une part, la connivence entre certains animateurs et les élus locaux, et d’autre part lamise en place du GPV, qui par son ampleur a contribué à fortement réduire dans l’espritdes habitants leur espoir de participation, et s’est accompagné dans le même temps de lamise en place de multiples structures de participation justement pour donner l’impressiond’un climat apaisé de concertation. La situation est relativement complexe, et pas évidenteà résumer. Mais une chose est certaine, c’est que toutes ces tentatives de participation sontconfrontées au défi de « faire participer ».

Nous avons tenté d’exposer la nature des pratiques menées par le GTI, en montrant leurlien avec la progressive institutionnalisation du débat public. Il faut maintenant s’intéresseraux questions de représentation qui sont inhérentes à l’ensemble des instances de débatpublic. Si le GTI se fonde sur une revendication spontanée de participation de la part dequelques habitants, il n’en est pas moins le théâtre d’un système de représentations. Legroupe, pour mener ses travaux, doit jouer sur deux tableaux qui ne semblent pas forcémentcompatibles : il veut « faire participer les habitants » tout en restant lui-même « grouped’habitants, un point c’est tout ». Or, son action de plus en plus tournée vers la réflexion poselogiquement la question de savoir si il peut toujours s’ériger en instance de participation,alors que dans la pratique il fait de moins en moins office de tribune pour les habitants.

Autrement dit, si le GTI a su s’intégrer dans une forme de débat public qui favorise uneattitude raisonnable des parties dans le but de créer des échanges réfléchis et constructifs,nous allons montrer qu’il est parallèlement déficient au niveau de sa capacité à mobiliserles habitants. Il s’est affirmé comme acteur majeur du système de démocratie délibérativemise en œuvre à la Duchère, et semble s’être éloigné dans le même temps de son projetde faire participer les habitants.

Partie 2 : conflits de représentation et enjeux de participation

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Partie 2 : conflits de représentation etenjeux de participation

Qu’est ce que la représentation ?La représentation vise à donner de la présence à ce qui n’est pas là. Dans le domainepolitique, le représentant tient le rôle et la place de celui qui ne peut être présent, et sert àmanifester par procuration ce qui ne saurait se manifester54. Ainsi, la nature du représentantse trouve au carrefour de deux principes contradictoires : un principe d’indentification etun principe de distinction55. L’élection de représentants est avant tout perçue, au momentde la Révolution, selon son sens propre, c'est-à-dire comme le choix par le peuple despersonnes « les plus capables et les plus dignes de participer à l’expression de lavolonté nationale »56. Elire consiste donc à distinguer. Le risque majeur posé par cettedistinction est la constitution d’un fossé entre représentants et représentés, menant à laperte d’identification. Le représentant qui s’exprime à la place du représenté peut vite êtreamené à trahir la volonté véritable de ceux qu’il représente. Dans ce sens, on comprend lesquestionnements récurrents liés à la pertinence de la notion de démocratie représentativefondée autour du moment de l’élection. Alors que la « démocratie » définit un régimeoù la souveraineté est exercée par le peuple, la notion de représentation renvoie à ladélégation du pouvoir des citoyens vers des représentants qui agissent dans des espacestemps spécifiques détachés de la société réelle. Rousseau voit d’ailleurs dans l’expression« démocratie participative » un véritable oxymore57.

« Le souverain, qui n'est qu'un être collectif, ne peut être représenté que par lui-même. [...] Si donc le peuple promet simplement d'obéir, il se dissout par cet acte,il perd sa qualité de peuple. »

Le risque est bien celui d’une perte de souveraineté du peuple dés lors qu’il confie le pouvoirde décision des affaires publiques à des représentants.

Les contradictions du modèle représentatif semblent avoir pris aujourd’hui la formed’une double crise de la représentation et de la représentativité. L’abstentionnisme, laforte baisse des engagements au sein des syndicats et des partis, témoignent depuisune vingtaine d’années d’une dérive de la démocratie représentative qui n’arrive plus àmobiliser les citoyens autour des moments traditionnels de participation à la vie politique.Comme nous l’avons montré, les réponses proposées par les pouvoirs publics vont vers lamultiplication des formes de débat public, qui sont ainsi de plus en plus institutionnalisés,ce qui peut sembler mettre en danger les modes d’expression contradictoires et spontanésdes citoyens. Les structures chargées de favoriser l’expression de la diversité des points devue, telles que les conseils de quartier, les associations, ou encore les collectifs d’habitants,

54 LAUPIES (2001), Leçon philosophique sur la représentation, Paris, PUF, coll. “Major“, p.655 ROSANVALLON (1998), p 4356 idem57 Loic BLONDIAUX, définition de la représentation politique, Encyclopédie Universalis

La participation des habitants d’un quartier au débat public : un outil de démocratie participative ?

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si elles visent à développer la participation des individus au débat public, mettent en œuvrepar là même des formes de représentation. En effet, le fait de se regrouper entre personnesprivées pour discuter de problèmes publics induit la représentation, puisque ces personnesvont parler au nom des autres pour définir des directions collectives quant au traitementdes problèmes du quartier.

Pour autant, les instances de débat public observées à la Duchère ne sontgénéralement que peu ou pas représentatives du quartier, étant donnée la très faibleparticipation des populations les plus en difficulté. Cette tendance caractérise le GTI qui,si il s’est saisi du thème de la participation comme objectif premier de son action, comptedans ses rangs à l’heure actuelle une écrasante majorité de personnes de plus de 55 ans,tous d’origine française, ce qui n’est évidemment pas représentatif des caractéristiquessociologiques de la population du quartier.

Aussi, il faut se demander quel type de représentation est mis en oeuvre par leGTI, et comment celui-ci se situe par rapport à d’autres instances de représentation.Autrement dit, comment le GTI parvient il à maintenir un discours de combat pour laparticipation des habitants, alors qu’il semble ne pas parvenir lui-même à la faire progresserau sein du groupe ? Et comment le GTI partage-t-il le terrain de la représentation avecles autres structures qui défendent elles aussi la participation ? Quels sont les conflits dereprésentation autour du GTI ?

Nous dresserons un bref tableau du type de représentation mise en œuvre par leGTI, et nous montrerons qu’il pose le risque d’une privatisation de l’espace public dont ilse réclame. Nous étudierons ensuite quels sont les conflits de représentation qui existententre les militants impliqués au GTI qui défendent parfois des conceptions opposéesde la participation. Il est aussi intéressant d’étudier les conflits de représentation entreles différentes instances du représentation du quartier, au travers des images qu’ellesvéhiculent de la Duchère. Enfin, nous dresserons comme bilan la nécessité de réaffirmer leprincipe d’inclusion comme objectif premier des espaces de participation, pour y réintégrerles éternels absents que sont les habitants les plus fragiles.

Chapitre 1 : Le GTI face au défi de la participation

A/ Le GTI organe de représentation Les participants interrogés mettent en valeur la diversité des opinions qui circulent au seindu GTI pour faire valoir la légitimité du groupe. Le fait qu’il n’y ait pas un mais plutôt uneinfinité de « GTI », dont le nombre et la nature des participants varient au fil des réunions,doit fonder la garantie que le GTI est porteur d’une véritable diversité d’opinions. Il meten œuvre une représentation qualitative58 de cette diversité, en permettant à ces multiplespoints de vue d’être confrontés voire conciliés.

L’indépendance du groupe, qui n’a jamais voulu se constituer en association ni engroupe de pression, est aussi revendiquée comme un aspect de sa légitimité à s’exprimerau nom des habitants. Les participants au GTI, comme nous l’avons déjà souligné, assistentaux réunions de manière volontaire, au gré des problèmes traités. Il n’y a aucune adhésionformelle, ce qui implique que les habitants choisissent chaque mois de venir ou pas aux

58 Roger SUE (2003), La societe civile face au pouvoir, Presses de Sciences Po, p.102

Partie 2 : conflits de représentation et enjeux de participation

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réunions, selon l’intérêt qu’ils portent à l’ordre du jour. En somme, le fait que le GTI nereprésente aucun intérêt en particulier lui permet d’être légitime pour représenter la variétéde ces intérêts.

« je crois que la légitimité aujourd’hui, elle est dans le fait que l’on n’est pas ungroupe de pression, structuré etc. 59»

Cette absence de structure lui permet de se différencier du Conseil de quartier qui sembleêtre aux yeux du GTI une instance de débat trop cadrée et qui ne fait que venir doublersa propre action. Le GTI revendique son indépendance et sa longévité sur le quartierpour affirmer sa légitimité face à cette nouvelle instance de représentation. Alors que leConseil de quartier est un espace public officiel, le GTI se situe entre la sphère privée et lasphère publique, en mêlant les registres de l’affectif et de la réflexion. C’est cette postureintermédiaire qui lui permet de se distinguer en tant qu’espace de représentation uniquesur le quartier.

Et si le GTI continue de fonctionner et d’occuper le terrain du Conseil de quartier, c’estbien la preuve qu’il met en œuvre une représentation légitime sans pour autant être nireprésentatif de la composition sociale des habitants du quartier, ni élu par ces derniers.

« parce que le conseil de quartier on est tenu machin… (…) et puis moi j’estimeque le conseil de quartier c’est bien, mais dans les quartiers où il y avait rien.Mais dans les quartiers où il y avait déjà des choses qui se font, pff. La preuvec’est qu’ils n’arrivent pas à décoller quoi, il n’y a aucune proposition de faite… 60»

Par représentation légitime, je fais référence à la reconnaissance dont il bénéficie de la partdes élus locaux et des associations de quartier qui de manière générale suivent de près cequi se dit au GTI. Le GTI a donc su gagner le statut de représentant sans passer par les voixtraditionnelles : ni élu, ni représentant d’un groupe de population déterminé, et sans axe dedéfense particulier, il se considère légitime pour représenter le point de vue des habitants,au cœur des débats publics qui animent le quartier, et en relation avec l’ensemble desdiverses structures locales (associations, centres sociaux, collectifs de locataires, conseilde quartier, mairie, …).

L’ouverture des membres du GTI est aussi un gage de représentativité qualitative. Eneffet, les personnes présentes aux réunions peuvent être considérés comme des « électronslibres » qui ont tous une véritable assise dans le quartier, ce qui leur permet d’être au courantde ce qui se passe sur le terrain. Les participants réguliers au GTI sont généralement depar leur expérience professionnelle en contact étroit avec les habitants du quartier. Qu’ilssoient (ou aient été) professeur, travailleur social, écrivain public, etc… ils entretiennentdes rapports quotidiens avec les habitants du quartier, qui dépassent largement de simplesrelations de voisinage.

« Je pense qu’en fait on a des gens suffisamment ouverts, qui sont suffisammentproches dans leurs relations, leurs contacts avec les gens des immeubles etcpour engranger les informations et les faire remonter, pour leur donner un senset construire un discours qui soit audible61 »

Le GTI ne cherche donc pas tant à faire participer qu’à représenter, comme l’illustre lacitation précédente. L’objectif n’est pas tant de donner la parole à ceux qui ne l’ont pas,

59 Entretien avec Bertrand Bosc, réalisé en novembre 2007 par Julie Laurent.60 Entretien avec Jocelyne Michel, réalisé en novembre 200761 Entretien avec B. Bosc

La participation des habitants d’un quartier au débat public : un outil de démocratie participative ?

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que de leur donner une visibilité. Alors que le GTI semblait chercher dans son projet initialà être un terrain d’expression avant d’être un espace de représentation, les témoignagesindiquent que le groupe s’attelle de plus en plus à privilégier la qualité du débat, et à parlerau nom des habitants, au détriment de l’élargissement de la participation.

La question qui se pose est donc de savoir si le GTI parvient à représenter les habitantsen restant proche de leurs préoccupations, malgré le fait qu’il ne soit pas représentatif deces habitants

Nous exposons ici une tension inhérente au thème de la participation dans l’espacepublic. Pour reprendre les termes de Bourdieu : « il y a une sorte d’antinomie inhérenteau politique. Il faut toujours risquer l’aliénation politique pour échapper à l’aliénationpolitique62 ». Autrement dit, la représentation d’un groupe est nécessaire à son existencepublique, d’autant plus qu’il est dénué de ressources. Mais l’existence de portes- paroleentraîne inéluctablement la domination des représentés par les représentants.

B/ Un espace de reproduction des inégalités ?

Des participants non représentatifsLe milieu social des participants au GTI n’est globalement pas représentatif de celui deshabitants du quartier. Comme nous l’avons vu, ce sont essentiellement des personnesd’origine française et d’un certain âge qui participent aux réunions, ce que ne cachent pasles interrogés.

« Parmi la trentaine ou quarantaine de gens qui viennent, on a peu demaghrébins, peu de personnes issues de l’immigration en général, peu dejeunes, cela ne correspond absolument pas à la société, donc on n’est pasreprésentatif en tant que tel et on ne cherche pas à l’être, on ne prétend pas àcette représentation 63»

En outre, les réunions réunissent essentiellement des personnes qui sont déjà impliquéesdans d’autres structures, souvent dans des associations, ce qui infirme l’idéal d’un GTI où« ce serait seulement l’habitant qui est là », idéal que certains défendent pourtant.

« parce que aujourd’hui, il y a très peu d’habitants non impliqués dans desassociations de quartier qui sont au GTI, il y a eu un tournant, ce ne sont pas deshabitants lambdas, mais des personnes déjà engagées64 »

Un cens social dans les débatsLes participants aux réunions du GTI ne s’expriment pas tous de manière égale sur lascène publique qui leur est offerte. Il y a différentes manières de s’impliquer au sein du GTI,et si la participation aux réunions est totalement libre, il n’y a pas d’égalité dans le débatentre les différents participants. Il y a différentes échelles de participation sur la trentainede personnes présentes.

62 In La représentation politique, 1981.63 Entretien avec M. Bosc64 Entretien réalisé avec M. Lassagne en juin 2008

Partie 2 : conflits de représentation et enjeux de participation

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Une quinzaine de participants au GTI ont une présence régulière aux réunions depuisle fondement du groupe il y a 22 ans. Ces personnes restent motivées par un attachementfort au quartier et l’ambition commune de créer du vivre ensemble et du lien social à traversle GTI. La quinzaine d’autres membres participent au GTI depuis moins longtemps, etont souvent intégré le quartier après les membres de la première catégorie. Parmi cesparticipants de moins longue durée, certains viennent aux réunions de manière irrégulière,selon qu’ils se sentent concernés ou non par l’ordre du jour. Ces participants viennent doncchercher au GTI un espace d’expression sur des sujets qui les concernent directementet pour lesquels ils attendent des réponses claires. A l’inverse, d’autres personnes sontimpliquées depuis peu au GTI mais y assistent de manière suivie, parfois même en tantque membres du « noyau ». Ces dernières viennent y chercher non seulement un espaced’expression, mais aussi de réflexion. Ces différents profils de participants jouent sur larépartition de la parole pendant les débats.

Le GTI fonctionne grâce à l’animation d’un « noyau » composé de volontaires qui seréunissent en dehors des réunions publiques pour préparer les compte rendus, définir l’ordredu jour des prochaines réunions, inviter des intervenants si besoin, etc…

Ce n’est pas un hasard si les cinq ou six personnes que l’on entend le plus au coursdes réunions sont pour la plupart membres du noyau animateur, et/ou impliquées auprèsdu GTI depuis de longues années. Ces personnes qui participent véritablement au débat,puisqu’elles y échangent des arguments, ont des ressources supplémentaires, un capitalculturel et relationnel, que les habitants « profanes » n’ont pas. De par leur engagementdans d’autres structures associatives, leur profession, et parfois même leur engagementpolitique, elles se reconnaissent de fait la compétence nécessaire pour exprimer leur pointde vue.

Au-delà du simple vécu prôné par les animateurs du GTI comme compétenceessentielle pour prendre la parole et participer à la réflexion collective, la réalité des débatsmontre que le GTI est le terrain de conflits de compétences entre les habitants « profanes »et les habitants « éclairés ». Ainsi, les membres du noyau sont ceux qu’on entend le plus,ils animent la réunion dans son ensemble, et se sont informés au préalable sur les sujets.Parmi les habitants « profanes », certains s’expriment en réaction aux sujets de discussion,en évoquant leur vécu, et peuvent éprouver des difficultés à rentrer dans une discussionargumentée. Le reste, soit une grosse majorité, ne dit rien.

A coté de la participation des habitants, l’élu est invité à s’exprimer très souvent ; demême que les intervenants extérieurs, qui, lorsqu’il y en a (et cela semble de plus en plusfréquent), ont un temps de parole très long, au cours duquel il est parfois difficile pour leshabitants de réagir, pour autant que le sujet qui leur est présenté soit complètement nouveauet ne fasse pas référence à leur vécu.

Nous atteignons ici une limite de l’espace public tel qu’il est défendu par Habermas,alors que le GTI possédait en théorie les caractéristiques de cet espace idéal.

L’espace public est pour Habermas un lieu où se rencontrent une diversité de personnesprivées qui échangent des points de vue et élaborent des choix collectifs. Pour que le choixobtenu soit véritablement légitime, il faut que la discussion respecte des critères précis entermes de communication et d’égalité dans la prise de parole. Les différents participantsdoivent être dotés de capacités d’expression égales pour que la décision prise en communait une véritable légitimité démocratique. Cela pose dans les faits des difficultés. En effet,tout espace de discussion, à fortiori si il rassemble des personnes aux statuts sociaux divers,est caractérisé par des rapports de domination. Tous les individus présents aux réunions ne

La participation des habitants d’un quartier au débat public : un outil de démocratie participative ?

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sont pas dotés des mêmes atouts pour participer à la discussion. Ces écarts sont liés aumilieu social de chacun, à son parcours personnel, à l’idée qu’il se fait de la valeur de sapropre parole, aux informations dont il dispose sur tel ou tel sujet.

Ainsi il y a un cens social à l’œuvre au GTI, dû au fait que les acteurs ne disposentpas des mêmes atouts rhétoriques et sociaux pour pouvoir participer de manière égale audébat. Rien n’est mis en œuvre pour tenter d’équilibrer les moments de parole qui, si elle estdéfinie comme totalement libre –chacun est libre d’interrompre l’autre quand il le souhaite-,reste pour la majorité des participants difficile à prendre. On note au cours des réunions unegrande qualité d’écoute entre les participants, qui ont on le voit une longue expérience dudébat, ce qui rend dans le même temps d’autant plus difficile l’expression de propos moinsconstruits et plus inscrits dans la réaction.

C/ Un risque de privatisation de l'espace public?

Une communication fermée au public extérieurLes manières dont le GTI communique avec les habitants du quartier est une illustration dufossé qui se creuse entre GTI et habitants, et que le GTI ne semble pas déterminé à réduire.Les réunions sont annoncées par voix postale aux membres du « réseau ». Environ 140personnes reçoivent les compte rendus et ordres du jour des prochaines réunions chaquemois. Ces personnes ont toutes participé au moins une fois à une réunion du GTI dansles six mois précédents. Il n’y a par ailleurs aucune communication par voie d’affichage quiannonce la tenue des réunions, même à l’intérieur des centres sociaux qui hébergent cesréunions. Autrement dit, le GTI compte uniquement sur le bouche à oreille pour attirer denouveaux participants. Il faut connaître de près ou de loin quelqu’un qui fréquente le GTIpour pouvoir être amené à y aller soi même. Cette absence de communication directe avecles habitants peu prendre plusieurs explications. Mme Michel évoque le manque de temps.

« C’est pas la priorité parce qu’on n’a pas le temps, parce que je veux dire aller àla rencontre des jeunes c’est pas donné à tout le monde… »

C’est peut être la volonté de travailler en réseau qui explique cette démarche menée par lesanimateurs du GTI, à l’heure où celui-ci se tourne vers une posture de réflexion. On peutimaginer qu’il semble important pour les membres du noyau de garder une certaine maîtrisede ce réseau, non pas dans la nature des opinions qui s’y expriment, mais dans le fait qu’ilfaut faire preuve d’un intérêt particulier ou d’une inquiétude par rapport au quartier pour veniraux réunions. Ce critère de sélection, si il semble intrinsèque au fait même de permettreune participation volontaire et volatile selon les sujets, se transforme en fait au fil du tempsen critère d’exclusion pour les habitants « lambdas » qui n’ont « que » leur vécu à fairevaloir pour apparaître sur la scène du débat. Ces habitants animés par des préoccupationsquotidiennes ont ainsi de moins en moins de chance de participer aux réunions du GTI,au fur et à mesure que celui-ci consolide un réseau « d’habitants experts » qui souhaitentréfléchir sur le quartier et ont déjà résolu leurs problèmes primaires.

La définition et le déroulement de l’ordre du jour L’ordre du jour des réunions du GTI est systématiquement défini par le noyau animateur,dont les membres se réunissent en dehors des réunions publiques pour discuter ensembledes sujets qui leurs semblent intéressant de mettre en débat. Le filtrage des thèmes desréunions par les animateurs pose des risques quant au maintien d’une adéquation entre les

Partie 2 : conflits de représentation et enjeux de participation

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sujets dont veulent débattre les animateurs et ceux qui intéressent les habitants, cependanton voit mal comment on pourrait éviter cette procédure. En effet, il faut bien qu’il y ait uneorganisation préalable des thèmes de discussion pour que les débats aient une certainequalité ou tout simplement du sens.

Mais les réunions, pour mettre en œuvre la participation, devraient inclure un momentd’expression libre où les habitants pourraient évoquer leurs problèmes, quels qu’ils soient,et faire part des sujets qu’ils aimeraient voir traiter aux prochaines réunions. L’aménagementde ce moment de libre parole semble tout à fait essentiel pour pouvoir parler d’un espacepublic de participation. Or il est très étonnant d’apprendre que ces moments sont souventabsents des réunions, bien qu’ils soient en général prévus à l’ordre du jour. Les personnesprésentes aux réunions peuvent bien évidemment intervenir tout au long des réunions,mais elles n’ont que rarement l’opportunité de s’exprimer sur des sujets qui n’ont pas étédéterminés à l’avance par le noyau. Le manque de temps est invoqué comme la cause decette lacune. Et plus les sujets débattus sont techniques, plus ils demandent du temps pourêtre exposés, et moins il reste de temps pour la réaction et pour l’expression libre. Avecdeux heures de réunion publique par mois, le GTI ne parvient pas à remplir les multiplesrôles de lieu de réflexion, d’information, et d’expression qu’il veut jouer. Et le déroulementdes réunions montre une fois encore que le GTI a fait le choix de la réflexion au détrimentde la participation.

Un travail de réflexion qui ne se fait pas au cours des réunionsSi les réunions du GTI peuvent d’une certaine manière participer à la coproduction dedécisions d’intérêt général, ce qui répond à la conception de Habermas, on se rend compteque le travail véritable de réflexion qui mène à l’élaboration de propositions aux pouvoirspublics se fait en dehors des réunions publiques du GTI. Aussi, l’ « action » du GTI en tantque force de proposition prend la forme de commissions spécialisées auxquelles participentdes habitants volontaires et déjà sensibilisés au sujet en question. Ces habitants sont doncprédisposés à participer au travail de réflexion, de par leur capital social. Même si le travaild’information que poursuit le GTI peut faire naître des préoccupations nouvelles chez deshabitants qui ne s’y seraient pas intéressés si ils n’avaient pas été sensibilisés au coursdes réunions, ces commissions sont propices à l’implication des personnes déjà investiesautour du problème

.Cela permet de souligner une fois de plus les limites du modèle d’espace public

selon Habermas, qui dans la réalité ne permet pas de se rapprocher de l’idéal d’uneimplication égale de l’ensemble des citoyens sur les projets qui les concernent. L’émergenced’ « habitants professionnels » qui mènent les débats, et parlent au nom des habitants sansêtre sociologiquement représentatifs de ces derniers, comporte le risque d’une privatisationde l’espace public65 , puisque le groupe se ferme peu à peu à la participation des habitantsqui n’appartiennent pas à son réseau.

Chapitre 2 : Conflits de représentation entre lesmilitants : un groupe toujours vivant !

65 BLONDIAUX, (2008), p. 73

La participation des habitants d’un quartier au débat public : un outil de démocratie participative ?

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Le GTI est un espace de parole appartenant à l’espace public, dans ce sens il est un terrainde confrontation entre la culture et le politique. Des acteurs aux statuts divers, habitants,élus, techniciens, y sont mis en relation, chacun avec ses désirs, ses objectifs. La présencedes élus aux réunions établit la rencontre entre les membres du GTI et les institutions.Chaque participant au GTI étant porteur d’une part d’une identité propre et singulière, etd’autre part de projets collectifs, en tant que membres de partis politiques, de conseilsd’administration de centres sociaux, ou d’associations diverses, le GTI se trouve porteur deconflits liés à cette multiplicité.

Aussi, de par la diversité des attentes et sensibilités de ses participants, qui mobilisentchacun des ressources particulières liées à leur propre expérience, le GTI doit permettre ledéroulement de vives discussions entre les individualités présentes. Comme nous l’avonsdéjà souligné, c’est cette conflictualité qui est censée rendre possible la formation d’unconsensus prenant en compte l’ensemble des points de vue qui se sont exprimés.

Cependant, il faut bien sur que les sujets traités soient porteurs de polémiques, etpuissent aboutir à une prise de position déterminée, pour que puissent s’exprimer despoints de vue. En effet, tous les sujets traités au cours de ces réunions ne visent pasà la construction d’un consensus. Les thèmes discutés peuvent aussi bien concernerdes notions assez vastes qui recouvrent plus des interrogations d’intellectuels que desproblèmes concrets. Au cours d’une des discussions que j’ai eues avec des membres dunoyau, l’une d’entre elles a d’ailleurs exposé sans détours sa préférence pour la réflexionpolitique, réflexion qu’elle est heureuse de pouvoir mener dans le cadre du GTI :

« moi les histoires d’ampoules ça m’intéresse pas, je suis pas faite pour ça, jepréfère l’abstrait, la réflexion politique66 »

C’est justement sur ce thème de la conflictualité que l’on observe des conflits entre lesmembres du noyau. Si ces conflits ne sont pas exprimés au cours des réunions, ils sont biennés de la confrontation de points de vue divers au cours des réunions. Ainsi, le GTI a permisla formation d’autres collectifs d’habitants qui se sont rencontrés au cours des réunions etont souhaité poursuivre leur activité militante dans un autre cadre, tout en restant présentsau GTI.

C’est le cas de l’association 24/31, qui a été créée par deux membres actifs du GTIdésireux de revenir sur le terrain de la conflictualité, pour défendre les intérêts des locatairesdes immeubles où ils habitent.

Le regard que porte M. Lassagne67 sur le GTI est très éclairant car il permet decomprendre comment se situe le GTI par rapport à une association locale et quels sont lesterrains de conflits entre ces structures qui visent toutes deux à représenter les intérêts deshabitants. Il est essentiellement reproché au GTI de ne pas être assez accessible pour leshabitants non engagés par ailleurs dans une vie associative d’une part, et d’avoir abandonnéle terrain de la conflictualité d’autre part.

A/ Les conflits sur le thème de la proximitéL’association 24/31 est un collectif de locataires des barres 240 et 310, situées dans lequartier du Château et gérées par la SACVL. Il a été créé en 2005 par des animateurs duGTI qui souhaitent « défendre leurs immeubles » face au GPV, et en particulier constituer un

66 Propos récueillis au cours d’une réunion du noyau du GTI, en juin 200867 M. Lassagne est président de l’association 24/31, et membre du noyau du GTI

Partie 2 : conflits de représentation et enjeux de participation

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groupe de locataires vigilants quant à la maintenance de leurs logements, dans un contexteoù certains immeubles ont été laissés à l’abandon pendant de longs mois avant d’êtredétruits, alors qu’ils étaient encore habités. D’une manière plus général, l’association 24/31vise à « défendre les intérêts particuliers et communs des locataires, renforcer les lienssociaux entre les locataires dont les origines sont très variées, et proposer des animationsculturelles68 »

Si on le situe par rapport au GTI, le 24/31 pointe en premier lieu l’importance des’adresser directement aux habitants, pour connaître leurs problèmes et agir en leur faveur.

« Il y a des gens qui ont des problèmes fondamentaux qui doivent être résoluspour pouvoir passer à autre chose. Comme les problèmes de charges, ou dequ’est ce qu’on va manger ce midi. Au GTI on trouve des gens « fixés » qui ontdéjà résolu ces problèmes ».

Le discours du 24/31 montre une volonté de remettre les locataires au centre des débats,alors que le GTI est composé pour moitié de copropriétaires. C’est bien le problème dumanque de proximité du GTI avec les habitants qui est en premier lieu dénoncé par le 24/31.Il est reproché au GTI de parler de « participation » alors que ses pratiques rendent difficilela participation des habitants qui sont véritablement dans le besoin. Aussi, le 24/31 tente detrouver une réponse au problème récurrent de l’absence des populations dominées dansles débats publics. Pour eux, il est problématique de revendiquer la participation si l’on necherche pas justement à faire participer ceux qui ne participent pas.

Les manières dont le 24/31 s’adresse aux habitants sont ainsi opposées à celles du GTI.Le fait d’être structuré en association est fondamental dans cette démarche. Les habitantsqui rejoignent le 24/31 le font par le biais d’une adhésion, ce qui implique que l’associationdoit travailler à convaincre les habitants de les rejoindre. Pour ce faire, ils ont une ligned’action qui ressemble à première vue à celle du GTI, puisqu’il s’agit toujours de défendrela prise en compte des habitants dans les projets concernant leur quartier. Mais au lieude chercher à collecter des points de vue, le 24/31 veut d’abord s’intéresser au vécu despersonnes et à leurs problèmes quotidiens. C’est pour eux une manière de répondre à lapassivité de la majorité des habitants qui viennent assister au GTI et ne participent pasaux débats, justement parce que ces débats sont trop éloignés de leurs préoccupationspersonnelles. Les animateurs du 24/31 s’attachent donc à un travail de proximité trèsminutieux, puisqu’ils font du porte à porte pour aller rencontrer les habitants chez eux etles convaincre d’adhérer à leur association, ce qui leur permet d’identifier leurs problèmesde manière très concrète. De même, ils utilisent l’affichage pour informer les habitants desprojets qui ont lieu sur le quartier, des réunions auxquelles ils peuvent assister, etc… Leurobjectif est ainsi de « toucher les gens au plus près », mais sans que ce soit une fin en soi.

Toucher les gens est en effet la seule manière de les amener à intégrer un réseau, unespace de dialogue. L’adhésion à l’association est vue comme devant être le premier pasd’une démarche d’intégration qui vise développer la capacité des habitants à s’exprimeret ainsi à devenir actifs sur leur quartier. L’association 24/31 tente donc de reprendre leproblème de la participation à sa source. Ses liens avec le GTI restent très forts puisque lesanimateurs de l’association sont également des militants du GTI. Aussi, ils reconnaissentau GTI sa mission politique, alors que la démarche du 24 / 31 ne peut que rester sur unchamp bien plus réduit.

En effet, en tant qu’association de locataires, leur interlocuteur privilégié est le bailleurde l’immeuble, qui n’est pas une entité politique. Ainsi, les revendications qu’ils portent

68 Entretien avec M. Lassagne et Mme. Bonnard, réalisé en juin 2008

La participation des habitants d’un quartier au débat public : un outil de démocratie participative ?

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ne peuvent concerner que des sujets relativement mineurs, tels que le coût des chargeslocatives, l’état des ascenseurs, etc...

En fait les deux actions menées par le GTI et l’association 24/31 semblent pouvoir êtrecomplémentaires, grâce à l’implication des responsables de l’association au sein du GTI.

Les animateurs du 24/31, forts de leur travail de proximité, sont en mesure de détecterles problèmes vécus par les habitants du quartier, et parviennent à rassembler aux réunionsqu’ils organisent, ainsi qu’au sein même de leur conseil d’administration, un échantillonde la population relativement représentatif du quartier, même si on reste très loin d’unereprésentativité statistique. Sur le terrain de la représentation, les membres du 24/31s’estiment représentants des habitants, alors qu’ils voient le GTI comme représentant desassociations et collectifs divers.

« AMB : c’est (le GTI) plus représentant des .. organismes, des collectifs, descentres sociaux ML : c’est presque représentant d’une élite du quartier… desintellectuels…ce sont tous des gens qui ont une expérience, un passé militant,des choses comme ça, … 69»

Les animateurs du 24/31 font un travail de repérage des réalités du terrain, puis témoignentde ce qu’ils ont observé lors des réunions du GTI, où doivent être débattus des thèmesplus vastes qui correspondent à des choix politiques. Aussi, le 24/31 reconnaît au GTI cettemission politique, étant donnée la reconnaissance du collectif par les élus, et la capacité dugroupe à émettre des propositions intéressantes, telles que la Charte du relogement70 quiserait née d’après les témoignages de propositions du GTI.

Mais c’est sur ce point de la mission politique du GTI que se fonde le deuxième conflit.Comme nous l’avons expliqué plus haut, le GTI ne défend pas une posture politique. Etmoins il permet l’expression libre des problèmes vécus par les habitants, plus il risque des’installer dans des relations cordiales avec les élus, et donc de s’éloigner du terrain de laconflictualité pourtant nécessaire à l’échange constructif de points de vue contradictoires,et donc à la vitalité d’un espace de débat.

B/ Les conflits sur le thème de la contestationCette mise en place de relations cordiales avec les élus est dénoncée par l’association24/31, pour qui il y a au cours des réunions du GTI une place trop importante donnée à l’éluet aux réponses qu’il peut apporter, ce qui ne correspond plus aux conditions favorablesdu débat. Il s’agirait d’un « jeu de questions réponses », où l’élu vient expliquer des pointstechniques qui justifient les projets qu’il défend. M. Bochard répond aux questions, mais pourle 24/31 il ne fait pas suffisamment remonter ce qu’il entend au GTI auprès des décideurspolitiques, alors que c’est cette fonction qui est attendue de lui.

Alors que Mme Michel estime qu’il n’y a plus de véritable contestation possible dansle cadre du GPV, ce qui lui permet d’être à la fois élue et de maintenir son activité auGTI, le 24/31 considère qu’il faut continuer de se mobiliser sur de nombreux autres sujetsqui doivent être contestés, et regrettent que le GTI ne soit plus en mesure de pouvoir sepositionner sur ce terrain de la contestation. La deuxième phase du GPV n’est en effet pasencore totalement fixée, loin de là. Si la démolition d’immeubles est bien prévue, il reste

69 Entretien réalisé avec JM.Lassagne et AM.Bonnard, en juin 200870 La charte du relogement est un document signé entre les bailleurs sociaux, la mairie, le Grand Lyon, et la préfecture, qui engageles parties à veiller à la mise en place d’une procédure d’accompagnement très poussé des familles dans le processus de relogement.

Partie 2 : conflits de représentation et enjeux de participation

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des terrains de débat possible sur une multitude de sujets qui touchent au réaménagementdu quartier. L’intervention de M. Lassagne au GTI du 9 juin témoigne de sa volonté deremettre le traitement de problèmes précis au cœur des débats. Il y a dénoncé de nombreuxproblèmes sur lesquels les habitants doivent rester vigilants, tels que la hausse des prixdans les commerces de proximité, ou la réhabilitation des immeubles qui ne seront pasdétruits et qu’il ne faut pas laisser de coté. Ces sujets sont à débattre dans le cadre duGPV, qui est en charge de l’ensemble de l’aménagement du quartier. Aussi, M. Lassagneveut redonner aux habitants l’envie de s’exprimer, et les sortir de ce fatalisme dans lequelils semblent s’être plongés face à l’ampleur du GPV. A l’évidence il s’oppose au lâché prisedes habitants que semble véhiculer à ses yeux le GTI, en s’étant installé dans des rapportstrop proches avec les élus.

Il est ici intéressant de noter des différences de discours employés par Mme Michel etM. Lassagne pour définir le quartier. Mme Michel représente la figure de l’habitant pionnier,très attachée affectivement à son quartier. Elle porte ainsi un discours très valorisant de laDuchère. M. Lassagne, qui n’est arrivé dans le quartier qu’au début des années 2000, pointedes problèmes qu’il a repéré à la Duchère, et n’est pas dans un discours de valorisation duquartier. Cela ne l’empêche pas d’avoir des craintes à propos du GPV qui sont similaires àcelles exprimées par les habitants de longue date, bien au contraire. Son arrivée récenteainsi que sa posture associative le rendent plus disposé à dénoncer les problèmes duquartier, et à émettre des critiques.

Ces divergences entre les membres du noyau viennent confirmer que la pluralité desopinions est maintenue au sein du GTI, et que cette pluralité repose sur un renouvellementconstant des effectifs, essentiel pour préserver la valeur de ses travaux. Si le GTI a en effetdes difficulté à opposer des points de vue aux élus sur des projets de grande ampleur, ilest en soi un terrain de débat où se rencontrent des individualités diverses, ce qui prouvequ’il a su préserver l’une de ses caractéristiques fondamentales d’indépendance malgré sesrapports très proches avec les élus.

L’analyse des systèmes de représentation mis en oeuvre par le GTI, et des conceptionsdiverses des formes que doit prendre l’action du GTI, peuvent aussi être pensés au traversde la manière qu’ont les différentes instances de représentation de parler et de concevoirle quartier. Outre les divergences à l’intérieur même du GTI que nous avons exposées plushaut (il en existe sans doutes bien d’autres, et je n’ai pu me référer qu’à ce que j’ai eu letemps d’observer…), on repère des différences de langage pour parler du quartier à denombreuses échelles : les participants au GTI (j’exposerai ici le point de vue des participantsau GTI en tant qu’habitants mobilisés, à nouveau tel que j’ai pu l’observer), les élus, lesresponsables du GPV, et enfin les médias, on chacun des manières propres de « dire »le quartier.

Chapitre 3 : Les conflits de représentation duquartier : des conceptions qui s'affrontent

Les différents acteurs de la représentation à la Duchère emploient de multiples langagespour dire le quartier, notamment dans le contexte marquant du Grand Projet de Ville. Lesprofonds changements que va apporter le GPV au quartier provoquent chez les acteurs

La participation des habitants d’un quartier au débat public : un outil de démocratie participative ?

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impliqués dans les débats un besoin de se positionner dans leur discours sur la manièredont ils perçoivent la Duchère.

Face aux représentations véhiculées par les moyens de communication institutionnelle,mais aussi par le fond du projet, les animateurs du GTI élaborent des réflexions critiquesquant aux motivations politiques du GPV. De leur côté, les médias véhiculent aux aussi unecertaine représentation du quartier bien spécifique.

Chacune de ces représentations est porteuse d’une conception que se font ces acteursdu quartier. Il est intéressant de les évoquer brièvement, car elles permettent de mettre enlumière le fait qu’aucune de ces instances de représentation ne détient la vérité. Cela permetici de réaffirmer le bien fondé de la participation, en tant que célébration de la dimensionplurielle de l’intérêt général.

A/ Le sensible contre les statistiques : la nécessité pour les habitantsde revaloriser le quartier face au GPV

Les propos des membres du GTI autour du GPV sont globalement teintés d’un sentimentd’accablement. Ils sont unanimes pour admettre que le projet les dépasse et qu’ilsn’espèrent rien contester sur le fond du projet. Le GPV est globalement vécu comme« traumatisant », étant donnée l’ampleur des changements qu’il va apporter au quartier, quece soit sur le plan urbain, ou au niveau de la composition sociologique de sa population.

Autour d’un projet de réhabilitation d’une telle ampleur, deux parties s’affrontent, qui nedébattent en fait pas du même sujet. Les animateurs du GTI ressentent le GPV comme unecertaine agression, un projet brutal, face auquel ils expriment la nécessité de réaffirmer leurattachement identitaire au quartier.

L’ampleur des démolitions, qui donnent l’impression aux habitants qu’on veut fairetable rase de leur quartier, les départs forcés de familles que ces démolitions provoquent,ainsi que le vieillissement et la disparition progressive d’habitants pionniers du quartier,constituent des angoisses profondes. En réponse à cela, la constitution d’une mémoirecollective est nécessaire. En 1993, le GTI a décidé de l’écriture d’un livre d’histoire locale71 :« 30 ans de vie à la Duchère », qui recueille des propos volontairement valorisants sur lavie dans le quartier, et insistent sur l’attachement des habitants à la Duchère.

A l’heure actuelle, le discours de valorisation est sans doute d’autant plus ressenticomme nécessaire que le GPV est ambitieux, ou traumatisant, selon les points de vue. Cediscours est essentiellement défendu par les membres anciens du GTI, et notamment parMme Michel. Aussi, il est important pour elle de rappeler que les Duchérois sont globalementcontents de vivre là, contrairement à ce que les discours politiques insinuent.

« nous on avait prévenu les élus en leur disant vous imaginez que tout le mondeveut partir de La Duchère mais c’est pas vrai, et ça on s’en est bien vite renducompte que finalement les gens avaient envie de rester sur le quartier ils avaientpas envie d’en partir 72»

De manière plus précise, on peut distinguer deux axes principaux qui illustrent les conflitsentre les représentation véhiculées par les acteurs : l’un touche au volet urbain du GPV, etl’autre au volet social.

71 OVERNEY, 2006, op.cit.72 Entretien avec Mme Michel, novembre 2007

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Des réflexions critiques sur le projet urbain Le Grand Projet de Ville est de la Duchère est un projet de restructuration du quartier quiveut aller bien plus loin que les programmes antérieurs de réhabilitations. C’est un projet depolitique publique motivé par le relatif échec des mesures précédentes qui n’auraient pas étésuffisamment ambitieuses. Aussi, la mission GPV affirme vouloir changer radicalement levisage de la Duchère, pour que le quartier parvienne à se fondre dans le paysage lyonnais,en ayant une structure urbaine qui « ressemble à la ville ».

« il a été décidé dans les années 2003- 2004 de franchir un cap et d’allervers du renouvellement urbain de manière plus intensive qui se traduirait pard’importantes opérations de démolition reconstruction mais avec des opérationsqui visent à refaire la ville73 »

Cela traduit pour les habitants une vision péjorative de la manière dont s’organise le quartier,dont l’une des spécificités majeures est en effet le plan des rues et des immeubles. Commele dit M. Bosc, il s’agit bien de « relooker » la banlieue pour la faire ressembler à la ville, cequi menace dans le même temps l’identité urbaine du quartier.

« Penser que ce qui changerait les choses, c’était si les rues desservaient desimmeubles aux pieds desquels on avait des magasins pour faire comme en ville.On est en train de relooker la banlieue pour qu’elle ressemble à la ville et doncpour cela comment faire, hé bien il faut reconstruire, reconstruire comme il faut. »

Sur le site internet du GPV, on trouve parmi les objectifs principaux du projet urbain celuide « diversifier les fonctions urbaines et créer un cœur de quartier ». Il s’agit dont bien derecréer un schéma de ville à l’intérieur de la Duchère, avec la dynamisation d’un « centreville » au cœur de la Duchère.

Les habitants interrogés répondent par un attachement aux barres et à l’originalité dela structure du quartier. Ils valorisent le fait d’habiter dans des immeubles très haut, ce quileur permet d’avoir de belles vues (d’autant plus à la Duchère étant donné sa situationgéographique), sans vis-à-vis. En outre, la structure urbaine du quartier, où l’on est obligéde se croiser en bas des immeubles, y renforce le lien social.

« moi j’ai de la chance j’ouvre mes fenêtres , j’ai les monts du Lyonnais d’uncôté la chaîne des Alpes de l’autre ! c’est quand même plus intéressant que devoir le voisin sur son balcon ! S : Donc l’architecture des nouveaux bâtimentsça ne vous… J : Parce que, oui, ce qu’on crée sur La Duchère, la ville c’estavec des rues, alors que ce que je trouve c’est que ce qui était bien ici c’étaitl’espace S : Vous aimez que ce soit un peu déstructuré… J : Complètement,complètement…. Moi la hauteur des immeubles me gène pas, parce qu’il y a unevie à l’intérieur de ces immeubles, les gens se rencontrent dans l’ascenseur, ilsse disent bonjour 74»

Plusieurs habitants ont aussi annoncé leur crainte de voir le schéma « centre ville /périphérie » se reproduire à l’intérieur de leur quartier. Ils ne veulent pas de différenciationente les différents quartiers de la Duchère, différenciation qui naît dés que l’on crée un« centre ville ». Les habitants du quartier sont particulièrement bien placés pour connaître leseffets d’une différenciation marquée entre les différents quartiers d’une ville, et ils craignent

73 Entretien avec M. Mérigot, direceur adjoint de la Mission Lyon Duchère, réalisé par Elise Viricel en novembre 200774 Entretien avec J. Michel

La participation des habitants d’un quartier au débat public : un outil de démocratie participative ?

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que ce schéma se reproduise chez eux. En effet, les travaux prévus par le GPV sontessentiellement concentrés sur le quartier du Plateau, ce qui comporte le risque d’unedifférenciation et d’un écart de développement économique entre ce quartier et les troisautres. Ajoutons que si l’ensemble des nouveaux arrivants du quartier se concentrent surle Plateau, les écarts sociologiques vont se creuser entre les quartiers, ce qui met en périlla dimension d’intégration des nouveaux arrivants, nécessaires à la réussite du GPV.

Aussi, les représentations que donnent les habitants interrogés de la Duchère sontcelles d’un quartier uni, et dont l’architecture spécifique permet une qualité de vie que seshabitants ne pourraient retrouver ailleurs. Ils véhiculent une certaine fierté d’être duchérois,en mettant en valeur les spécificités du quartier, qui sont à l’inverse conçues à travers leGPV comme des défauts à corriger.

Des réflexions critiques sur le concept de « mixité sociale »Le GPV émane d’un choix de politique publique qui s’appuie sur des chiffres, desstatistiques, des problèmes quantifiables et globaux qui concernent de nombreusesbanlieues de France (chômage, échec scolaire, délinquance…). Il faut à tout prix luttercontre la « ghettoïsation » et rompre avec la logique de construction massive de logementssociaux entreprise dans les années 60. La concentration des problèmes sociaux dans cesquartiers doit être combattue par la diversification de la population. Les pouvoirs publicsparlent de ces quartiers en termes de lieux de concentration de problèmes, et la « mixitésociale » est aujourd’hui le maître mot des politiques d’aménagement.

A l’inverse, les habitants interrogés qui habitent le quartier depuis plusieurs dizainesd’années se refusent à parler du quartier uniquement en termes de « problèmes », etpréfèrent valoriser la caractéristique populaire du quartier, dans laquelle le lien social a puse développer mieux que dans un quartier « normal ». Ainsi, alors que les pouvoirs publicsconsidèrent que la mixité sociale ne pourra être que bénéfique au quartier, Mme Michel estinquiète de voir les « bobos » débarquer chez elle, qui vont venir perturber l’équilibre socialdans lequel s’est installée la Duchère.

La volonté publique de favoriser la mixité sociale dans les quartiers n’est pas nouvelle,puisque le terme est employé dés les premiers programmes de réhabilitation des quartierdans les années 1970. Mais alors que les projets antérieurs visaient à créer les conditionsfavorables à la formation d’un vivre ensemble pour inciter la mixité sociale, la loi Borloo et lesprogrammes de démolition qui lui sont liés visent de manière bien plus drastique à modifier« de force » le peuplement de ces quartiers pour en faire des quartiers « normaux ». Celaqui comporte les risques, pressentis par les habitants interrogés, d’un nouveau creusementdes écarts à l’intérieur des quartiers, comme l’explique Marie-Christine Jaillet-Roman75 :

« Mais il est à craindre que cette diversification sociale n’aboutisse à unprocessus de requalification qui se doublera “mécaniquement” ou presque, s’iladvient, d’ une aggravation des polarisations sociales à l’intérieur des cités entrenouveaux habitants et locataires HLM »

Pour M. Bosc, faire à tous prix de la mixité sociale est un cache misère, car cela implique lanécessité d’exclure une partie des personnes les plus pauvres du quartier, pour que puissents’y installer des personnes plus aisées. Le problème réside dans l’incertitude qui règneautour de la construction des nouveaux logements sociaux censés venir compenser lesdestructions. Malgré l’affirmation par les pouvoirs publics du principe d’un logement social

75 Marie-Christine JAILLET-ROMAN, La mixité sociale, une chimère ?, Caisse nationale des allocations familiales, informationssociales, no 123, 2005

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reconstruit pour un logement détruit, il n’y a aucune garantie de l’application de ce principe.Pour être appliqué, ce principe nécessite en effet une volonté politique forte à l’échellelocale pour permettre aux bailleurs sociaux d’acheter des terrains à des prix modérés,et ainsi de pouvoir construire des logements sociaux dans d’autres quartiers76. Aussi, leprobable non respect de ce principe de reconstruction, étant donné un contexte politiqueet économique qui est loin d’y être favorable, va irrémédiablement conduire à la relégationde certains ménages qui après avoir été délogés par les programmes de restructurationtouchant leur quartier, n’auront pas trouvé de logement au loyer équivalent dans la ville, etseront contraints à s’installer dans des périphéries éloignées.

« si je dis que c’est un cache-misère, on voit bien qu’à travers ce thèmequi semble assez consensuel cache une politique qui fait main basse sur lefoncier. C’est-à-dire que le logement social a beaucoup de mal à trouver desterrains pour se construire. Or qu’est-ce qui se passe aujourd’hui ? On bradele terrain sur lequel il y avait du logement social pour en faire des créations derésidences de promoteurs privés en vue de faire de la copropriété pour des gensde revenus somme toute moyen, mais « moyen-plus » plutôt. Ce qui veut direqu’on homogénéise sans doute la population par rapport à l’environnement,mais ce faisant on éjecte de ce quartier un certain nombre de locataires qui neretrouveront véritablement d’autres logements que dans des périphéries un peuplus éloignées 77»

Aussi, si les habitants reconnaissent en fait l’idée qu’il fallait faire quelque chose à laDuchère, ils regrettent la concentration de l’action publique sur des projets de grandeenvergure qui découlent d’une forte mise en avant des seuls problèmes du quartier. Ilsauraient voulu une action plus mesurée qui se serait appuyée sur les atouts du quartieren termes de lien social, ce qui aurait permis notamment de travailler la problématiquede l’intégration des nouveaux arrivants de manière plus sensible. Les participants au GTIpeuvent avoir dans ce contexte le sentiment que les pouvoirs publics ignorent les qualitésdu quartier, alors qu’eux mêmes se sont toujours attelés à les valoriser, en construisant leuraction en tant que membres d’un collectif pluriel, agissant en faveur du lien social. Ces deuxpoints de vue qui s’affrontent, l’un mettant en valeur les atouts du quartier pour exprimersont inquiétude vis-à-vis du GPV, et l’autre s’attachant à mettre en avant les difficultés duquartier pour justifier l’action publique, se retrouvent dans la presse.

B/ Bref aperçu de la représentation médiatique du quartier

La communication institutionnelle : mettre en valeur l’habitant, sans outilsvéritables pour sa participation

Des articles critiques trop rares…Il est parallèlement difficile de trouver des articles critiques à l’égard du projet. Au niveau dela presse nationale, le GPV de la Duchère n’a aucune visibilité. Les articles qui s’intéressentau quartier de la Duchère existent cependant.

76 Voir l’interview de M. Bosc par Rebellyon77 Interview de M.Bosc par Rebellyon

La participation des habitants d’un quartier au débat public : un outil de démocratie participative ?

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Le Monde a publié au cours de l’année passée six articles contenant le mot « Duchère »,dont seulement un traite précisément du quartier, autour d’un sujet consacré à l’action del’Association pour le Droit à l’Initiative Economique, « porteur d’espoirs dans les quartiersen difficulté ».

Le Figaro a publié une dizaine d’articles relatifs à la Duchère depuis un an. raite aussile quartier de la Duchère en termes de problèmes, puisqu’il le qualifie systématiquement dequartier sensible et relate, outre les informations sportives relatives à l’équipe de football dela Duchère, l’expulsion d’un jeune ivoirien scolarisé au lycée de la Martinière (lycée de laDuchère), ou encore les violences qui se sont déroulées dans le quartier suite à l’électionde Nicolas Sarkozy.

Libération a publié environ cinq articles au cours de la même période, et propose àl’inverse un discours valorisant du quartier, en évoquant un air d’exotisme qui planerait surle quartier (le dernier article sur le quartier, datant du 22 juillet, titrait : « La Duchère, commeun petit air de Sétif »), en mettant en valeur « un lycée mobilisé pour éviter une expulsion » ,ou en évoquant le thème de la mémoire collective dans les cités.

Au niveau de la presse locale, le Progrès publie régulièrement des articles sur le GPVpour en expliquer les contours, mais dans aucun d’eux il n’est question du GTI.

Lyon Capitale évoque le quartier essentiellement soit sous l’aspect de l’animationculturelle78 , soit autour de faits divers violents.

Enfin, le seul media local qui propose des articles critiques à l’égard du GPV, ens’intéressant au point de vue des habitants, est Rebellyon, « site d’infos alternativeslyonnaises ». Le site a notamment interrogé M. Bosc sur sa perception du projet, et exposeainsi un point de vue critique sur le concept de mixité sociale que nous avons relaté plushaut.

Aussi, les représentations de la Duchère véhiculées par les médias font globalementécho à la conception politique dominante. Elles définissent le quartier en termes deproblèmes. Seuls les médias qui se revendiquent ouvertement à gauche et donc à contre-courant de la majorité au pouvoir s’intéressent à une analyse plus locale des initiativeset points de vue des habitants du quartier. Rebellyon est le seul média a avoir évoquél’existence du GTI dans le contexte actuel du GPV.

Les rares fois où les points de vue des habitants sont exposés dans des médiasdestinés au grand public, il portent l’étiquette d’ « alternatives mineures ». Pourtant, nousavons pu constater l’intérêt que comporte l’expression des points de vue contradictoires et lanécessité de leur donner une légitimité dans les débats publics. Si la « participation » est à lamode dans les discours politiques, elle manque d’une analyse éclairée de la part des médiasqui, en véhiculant les représentations qui caractérisent les discours politiques dominants,reproduisent dans le même temps des stigmates qui rendent difficile la progression desmentalités sur le fond du problème de la participation.

De manière générale, les conflits de représentation, qui sont particulièrement vifs à laDuchère, ne sont pas traités par les médias. Il y a une uniformisation du discours qui ne traiteles conflits que de manière ponctuelle, lorsque ceux-ci peuvent être représentés à traversdes stigmates, et qu’ils sont facilement intelligibles par tous. Le traitement des banlieuespar les medias n’est pas notre sujet, cependant, il faut l’évoquer car il est intimement lié,dans sa dimension stigmatisante, à un discours public ambiant qui veut se saisir du thème

78 Une compagnie d’art contemporain, La Hors De, a été missionnée par le GPV pour développer à la Duchère une animationculturelle originale qui travaille au sein des immeubles à la réalisation de performances artistiques

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de la participation sans chercher à véhiculer des représentations plurielles de ce que sontles quartiers d’habitat populaires tels que la Duchère.

Chapitre 4 : Réintégrer au défi de la participation« l’impératif d’inclusion »

A/ Des représentants tous confrontés à la difficulté de faire participerNous avons abordé de multiples formes de représentations véhiculées par les acteursde la Duchère. Loin de prétendre que certains acteurs auraient raison et d’autres tort, ilfaut au contraire reconnaître la légitimité de l’ensemble de ces discours, pour pouvoir lesintroduire de manière équitable sur la scène publique. Le débat public délibératif met ainsi enœuvre une circulation des représentations, qui elle-même permet aux divers acteurs de lareprésentation d’avoir de l’influence sur les décideurs79. Ces multiples acteurs, qui trouventun terrain de débat privilégié au sein du GTI, sont chacun porteurs d’une vision partielle dece qui est bon ou mauvais pour le quartier et ses habitants. C’est la mise en confrontationde ces visions qui peut permettre une coproduction de l’intérêt général.

« si, comme espace critique, le débat rappelle à chacun que sa légitimité estlimitée, il implique que chacun a besoin de l’autre pour produire une définitionpartagée de l’intérêt général 80»

Si ils s’opposent ainsi sur des conceptions contradictoires, les manières qu’ils ont dedéfendre la participation sont également divergentes. Cependant, tous se retrouvent sur unpoint, qui est en fait celui de l’échec de la participation des habitants. Les acteurs de lareprésentation sur le quartier sont les mêmes quelles que soient les structures. On retrouveun même groupe de militants qui forment comme une toile sur l’ensemble du quartier, avecau centre de la toile le GTI, où ne se retrouvent que ces mêmes militants. La multiplicationdes instances de débat public ne parvient pas à multiplier le nombre de participants, etentretient au contraire des conflits de représentation entre une minorité d’acteurs qui sonttrès occupés à faire reconnaître leur discours et prennent peu de temps pour véritablementtravailler dans le sens d’une plus grande participation des ceux qu’on n’entend jamais.

« sur la Duchère, c’est un peu compliqué quand même toutes ces structures.Parce qu’ on a un territoire qui est bien repéré. Sur ce territoire il y a un GPV.A l’intérieur de ce GPV, il y a une équipe qui travaille, il y a le comité de suiviparticipatif, il y a des concertations qui se font etc… et puis ben sur ce territoirelà vous avez le GTI, et il y a encore un conseil de quartier. Donc ça fait beaucoupde monde, mais finalement, on retrouve un peu les mêmes personnes. Etc’est dommage. Moi j’ai envie de dire, les sujets sont tellement nombreux, leshabitants qu’on n’arrive pas à mobiliser sont tellement nombreux, qu’il y ade la place pour tout le monde. Mais on tourne sur les mêmes personnes, etc’est un peu dommage. En plus ces personnes se retrouvent dans les conseilsd’administration de la maison de l’enfance, des centres sociaux, etc… y a quand79 Jean COHEN, Pour une démocratie en mouvement. Lecture critique de la société civile, in Raisons Politique, no 3, août 2003, p.15080 RUI (2004), p.166

La participation des habitants d’un quartier au débat public : un outil de démocratie participative ?

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même un réseau de militants, voilà. Bon il faut mieux qu’ils soient là, au moins onpeut dialoguer, et puis c’est quand même des relais sur le territoire, de ce qu’ilsfont ils en parlent autour d’eux. Mais la concertation manque… elle se fait surquelque chose qui est limité81 »

Au cours des rencontres que j’ai eues avec ces acteurs, tous se sont montrés très à l’aisepour parler de la concertation, que ce soit pour la critiquer ou au contraire la valoriser. Parcontre, lorsque le terme de participation est lâché, au sens de participation effective deshabitants aux débats, tous butent sur la même difficulté. Il y a bien sur des degrés différentsdans les difficultés rencontrées pour faire participer : ainsi, on peut penser à l’associationde locataires 24/31, qui réunit tout de même dans ses rangs environ un tiers des habitantsdes deux barres, alors qu’elle n’existe que depuis deux ans. Cependant, les « adhérents »sont loin d’être tous des « participants » :

« Parmi les adhérents, certains participent, et donnent des coups de main…D’autres sont consommateurs, le prennent comme une assurance82 »

Ces organes , tous autant qu’ils sont, sont en fait pris au jeu de la représentation. Ilapparaît impossible d’atteindre une véritable qualité participative si l’on met en œuvre desmécanismes de représentation.

« ben c’est vrai que on a une expérience qui fait que… malheureusementon reprend le pouvoir quoi, quand on a la parole on a le pouvoir ! etautomatiquement ces gens là… il faut leur donner la parole, mais c’est trèstrès difficile, parce que ils la prennent pas d’office, ou alors ils la prennent demanière détournée, qui sont … pas de la violence mais parfois, de la violenceverbale… donc il faut arriver à leur donner la confiance pour leur dire, vous avezla parole83 »

Il semble que la contradiction entre distinction et identification portée par la représentationmène pour tous les acteurs évoqués à un déséquilibre en faveur de la distinction. Lesacteurs, dés lors qu’il endossent un statut de représentants, « prennent le pouvoir » enparlant au nom des autres. Ils s’éloignent de ceux qu’ils représentent pour obtenir lareconnaissance, et donc la distinction dont ils ont besoin pour se faire entendre sur la scènepublique. Le GTI a su pendant de longues années maintenir un certain équilibre entre cesdeux tendances contradictoires de la représentation ; puisqu’il a obtenu très rapidement unereconnaissance et un pouvoir d’influence sur les décisions publiques (distinction), tout enétant un lieu d’expression accessible pour une grande variété d’habitants (identification),qui se sentaient en confiance au GTI pour venir y prendre la parole.

Mais cet équilibre est aujourd’hui en danger A l’heure où ses effectifs sont vieillissants,où plusieurs participants très actifs ont quitté le quartier, et surtout où il n’attire plusd’habitants qui viendraient simplement « prendre la parole » et « parler de leurs problèmes »,la question du renouvellement du GTI apparaît préoccupante. Pour lui donner un nouveausouffle, il faudrait sans doute que ses rangs s’élargissent et qu’il s’attelle à rassembler unéchantillon de la population du quartier plus représentatif, comme cela a été le cas dansle passé. Plusieurs moyens pour élargir la participation au GTI sont envisageables, mais

81 Entretien avec M. Bosc, juin 200882 Entretien avec M. Lassagne et Mme. Bonnard, juin 200883 idem

Partie 2 : conflits de représentation et enjeux de participation

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il faudrait avant tout qu’il y ait un consensus entre les animateurs du collectif pour que cecombat soit une priorité, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

B/ Quelques exemples de procédure pour reconstruire un espaceparticipatif

De manière générale, il faudrait ouvrir le réseau du collectif aux habitants, par tous lesmoyens possibles. Une large diffusion des ordres du jour et compte rendus des réunionssur l’ensemble du quartier donnerait au groupe une nouvelle visibilité. Il serait possibled’afficher ces documents en bas des immeubles, ou encore dans les centres sociaux, ettous les lieux publics, pour recruter de nouveaux participants qui n’appartiennent pas déjàau réseau du GTI. De même il serait peut être utile d’inscrire sur ces documents un numérode téléphone où l’on puisse joindre le GTI. Pour l’instant, seule l’adresse du centre socialfigure sur les documents, ce qui rend le groupe difficile à joindre hors du temps des réunions.De telles mesures impliqueraient que le collectif choisisse de faire de l’élargissement de laparticipation une priorité, en revenant au projet de citoyenneté active dont il se réclame. Ilfaudrait que s’opère un basculement inverse à celui qui a eu lieu, en redonnant la prioritéau projet participatif, tout en maintenant une qualité de débat et de réflexion égale.

Pour poursuivre cet objectif au sein des réunions, redonner systématiquement un tempsde parole libre aux habitants serait un premier pas vers la reconstruction d’un espace departicipation.

Les procédures de discussion utilisées par le GTI lors de ses réunions, et dansla manière dont il communique à l’extérieur, participent, on l’a vu, à la reproductionde systèmes de participation politique inégalitaire. Pour éviter ces asymétries de paroleau sein du GTI, et contrer le déficit de participation des individus les moins armésen techniques communicationnelles traditionnelles, autrement dit en vocabulaire et encapacité argumentative, il faudrait rendre possibles d’autres formes d’expression qui feraientd’avantage appel aux capacités des acteurs à exprimer le sensible. Le théâtre forum84 estpar exemple une voie possible pour tenter de redynamiser les débats entre différents acteurspar des modes d’expression alternatifs, et permettre aux plus démunis de contournerles canaux traditionnels de l’expression sur la scène publique. Comme le souligne LoïcBlondiaux, il s’agit donc de multiplier les canaux d’intervention des habitants non expertsdans ces débats:

« Les solutions à privilégier tiennent en particulier à la possibilité d’ouvrirces espaces de débat à d’autres formats d’intervention, à d’autres répertoirescognitifs, à d’autres types d’argumentation, plus narratifs, plus expressifs, moinsdésincarnés que ceux que privilégient les espaces publics traditionnels85»

C/ Revaloriser la conflictualitéComme le rappelle John Dewey, pour qui « le public naît de l’existence d’un problème »,il faut nécessairement un terrain conflictuel pour que les individus se mobilisent. Loïc

84 Le théàtre forum est une technique théatrale participative, inventée dans les années 1960 au Brésil pour améliorer lasensibilisation et l’information des populations opprimées des bidonvilles.85 Loïc BLONDIAUX, Démocratie locale : Repenser les objectifs politiques avant de définir les modalités, Cahiers du DSU,

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La participation des habitants d’un quartier au débat public : un outil de démocratie participative ?

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Blondiaux estime qu’il y a deux conditions indispensables à la mobilisation citoyenne : ilfaut que le dispositif de participation paraisse crédible et puisse véritablement peser surla décision, et qu’il y ait un véritable enjeu à la discussion, avec un objet de controverseidentifié86.

L’expérience du GTI confirme tout à fait cette analyse. En effet, l’une des réunions quia mobilisé un grand nombre d’habitants variés a eu pour thème la contestation contre lafermeture d’une école. Les habitants étaient directement concernés par un enjeu clairementidentifié. Aujourd’hui, les actions qui ont fait la notoriété du GTI auprès du public semblentne plus pouvoir se renouveler dans un contexte d’apaisement général des relations avecles pouvoirs publics que nous avons évoqué plus haut.

Si le GTI apparaît comme une instance de participation crédible, puisque son pouvoird’influence est tout à fait reconnu, c’est bien le déclin de la teneur conflictuelle des réunionsqui est la cause de la baisse de la participation.

Pour renouveler ses effectifs, le GTI doit revenir sur des sujets conflictuels, seconvaincre qu’il y a encore de nombreuses luttes à porter pur défendre les habitants, etrésister ainsi au GPV qui semble avoir annihilé toute possibilité de contestation sur lequartier. Il s’agit en fait, pour faire participer, de donner un but à la participation.

D/ Donner un but à la participation pour la mettre au service d’unesociété plus juste

Les moyens évoqués plus haut pour redynamiser la participation au sein du GTI, si ilspourraient aider à son renouvellement, ne permettent pas de résoudre la question dela capacité de ces espaces de participation à se constituer en instances de contrôle dupouvoir politique. Cette capacité de contrôle est pourtant nécessaire au renouvellement dela démocratie. Il faut, dans un contexte d’accroissement des inégalités, et de désertion desclasses populaires de la scène publique, défendre un renforcement de la démocratie, qui« ne peut être vivante sans conflits 87 ». Pour reprendre les mots de Bacqué et Sintomer88 :« sans les conflits, les mécanismes qui génèrent l’inégalité sociale jouent sans contre poidset tendent à exclure de l’espace public, ou du moins à y minorer qualitativement, les groupesles plus dominés ».

Les mécanismes de participation doivent venir au service de ce renforcementdémocratique, et c’est ici que la notion de démocratie participative peut prendre tout sonsens. Il s’agit de réaffirmer la dimension émancipatrice de la participation, telle qu’elle aété conçue par les premiers théoriciens de la démocratie participative. Comme le souligneLoïc Blondiaux, « la démocratie participative n’a de sens que si elle contribue à enrayerles logiques d’exclusion sociale qui caractérisent aujourd’hui le fonctionnement ordinaire denos sociétés 89»

La conception latino-américaine de la participation renvoie ainsi essentiellement à unmoyen de renforcer le pouvoir des populations les plus fragiles, dans un contexte d’Etatfaible. Il s’agit d’un mode d’intervention beaucoup plus autonome à l’égard des structures

86 BLONDIAUX (2008) , p. 3887 ROSANVALLON (2006), La contre-démocratie, Seuil, coll “Les livres du nouvau monde“88 BACQUE et SINTOMER (1999), p. 147

89 BLONDIAUX (2008), p. 109

Partie 2 : conflits de représentation et enjeux de participation

FORZY Sandrine_2008 53

institutionnelles, dans un processus d’ « empowerment » de la société civile. L’illustrationmajeure de cette conception est le modèle du budget participatif, qui est né en 1988 àPorto Alegre (Brésil). Il marque une rupture radicale avec les démarches exclusivementconsultatives qui ont été exposées jusqu’ici. En effet il poursuit l’objectif d’un meilleur partagedes pouvoirs, par la délégation à des groupes d’habitants d’un pouvoir décisionnel sur desenveloppes financières significative des budgets d’investissement de la ville. Le modèle dubudget participatif vise non seulement à favoriser « l’émergence d’une citoyenneté plusconsciente, plus critique et plus exigeante », mais aussi à aller vers le projet d’une meilleurejustice sociale90.

Le modèle s’est développé dans le reste du monde, et il existe en France quelquesexpériences de ce type. Cependant, elles restent minoritaires, et ne portent bien souventque sur des enveloppes budgétaires dérisoires qui empêchent de donner un véritable sensà ces expériences. Elles ne sont généralement pas motivées par une ambition égalitaireet redistributive, ce qui annule leur intérêt en termes d’avancée vers une participation auservice de la justice sociale.

Ce sont pourtant des expériences de ce type qui semblent pouvoir aller dans lesens d’une résolution des blocages de la démocratie participative « délibérative » telsqu’ils ont été exposés plus haut. En transférant une part du pouvoir aux citoyens, ellesse dotent ainsi d’un enjeu clairement identifiable, ce qui est une donnée fondamentalepour inciter les citoyens à s’y impliquer. D’autre part, elles n’encourent pas les risquesde leur instrumentalisation par les pouvoirs publics, étant donné qu’elles ont une portéedécisionnelle indépendante du pouvoir des élus. Enfin, elles ne sont pas non plus enclinesà la constitution de contre pouvoirs contestataires et marginalisés, puisque la possibilitéde leur mise en marche dépend de la volonté de la municipalité, qui octroie le budget etencadre la démarche. Elle dépend donc volonté politique forte, et ce n’est pas pour rien quele modèle a été conçu au moment de l’arrivée à l’exécutif municipal du Parti des Travailleurs,qui s’était assigné la mission de lutter contre le clientélisme et la corruption de l’anciennemunicipalité de Porto Alegre.

Le modèle du budget participatif demanderait une étude bien plus approfondie pourpouvoir en comprendre les mécanismes véritables. Il serait intéressant de comprendre deplus près quels sont les mécanismes de représentation qu’il met en œuvre, puisqu’il estcertain qu’il ne peut faire participer tous les citoyens. Comme tout projet participatif, il nepeut s’adresser qu’à une part de la population, et c’est bien la faculté de ce modèle à « faireparticiper » les habitants en tentant de bouleverser les schémas traditionnels de dominationpolitique qui constitue tout son intérêt.

90 BLONDIAUX (2008), p. 52

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Conclusion

La participation est une notion floue qui revêt des sens multiples. Selon l’acteur qui s’ensaisit, et le contexte de sa mise en œuvre, elle a des formes et des objectifs bien différents,parfois même contradictoires.

Le débat public s’est imposé en France comme modèle principal de participation, grâceà un fort volontarisme des pouvoirs publics. Il a été pensé comme une réponse possibleà la crise du système représentatif. Cependant, si il permet des avancées en termes derationalisation de la décision publique, il ne résout pas le problème de l’exclusion de lascène publique des populations les plus démunies. Pire encore, il semble reproduire lesmécanismes traditionnels de domination.

Les dirigeants politiques trouvent dans le débat public un moyen pour renforcer lalégitimité de leurs décisions auprès de la population, et pour les aider à faire des choixplus rationnels qui prennent en compte le vécu des citoyens. C’est la fonction consultativede la participation qui est ici consacrée. Le débat public, inspiré du modèle de démocratiedélibérative d’Habermas, contribue à réduire les écarts entre décisions politiques et pointsde vue des citoyens, par des processus d’interaction où se rencontrent les aspirations desdifférents acteurs. Cependant, ces espaces de participation délibérative restent prisonniersdes schémas traditionnels de domination politique, et échouent sur l’une de leurs missionsfondamentales qui est la participation des classes les plus fragiles. Les règles de discussionet les sujets traités au cours des débats ne permettent pas aux habitants « profanes »des quartiers populaires de s’y impliquer, lesquels désertent ces nouveaux espaces departicipation.

L’exemple du GTI illustre cette limite du débat public. Le GTI est un espace dediscussion né d’une initiative populaire il y a 22 ans, bien avant l’institutionnalisation du débatpublic sur le quartier. Il a su pendant longtemps jouir d’une double légitimité auprès des éluset de la population, en inventant un espace de participation intermédiaire entre les idéauxdélibératif et participatif. Avec le bénéfice du soutien des élus, et grâce à la pertinence deses travaux, il a su exercer un pouvoir d’influence sur des décisions politiques en venant lesrationaliser. Dans le même temps, il a s’est érigé en un espace d’expression et de critique dupouvoir politique par les habitants. En abordant des sujets parfois conflictuels, où il s’agissaitde contester une décision publique, le GTI a su attirer une certaine variété d’habitants àses réunions. Cette réussite semble exceptionnelle, et elle est aujourd’hui remise en causedans le contexte actuel de restructuration du quartier.

La mise en œuvre du Grand Projet de Ville depuis le début des années 2000 s’estaccompagnée d’une multiplication des expériences de « participation consultative » surle quartier, qui correspondent en fait à de vastes opérations communicationnelles par lesdirigeants politiques pour le légitimer. La radicalité du projet ne laisse pas de place à lacritique populaire, ce qui semble avoir amené quelques animateurs du GTI à une certainedésillusion sur la possibilité de le contester. Aussi, le GTI a peu à peu abandonné le terrainde la conflictualité, et semble perdre dans le même temps la confiance des habitants.L’apaisement des tensions est l’un objectifs principaux recherchés par les pouvoirs publicsdans le processus d’institutionnalisation du débat public. C’est parallèlement le déclin de

Conclusion

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la conflictualité qui explique le manque d’intérêt de la population pour ces structures departicipation, comme l’illustre l’expérience du GTI.

Ainsi, le GTI connaît les difficultés de la plupart des espaces de participation quiappliquent des méthodes délibératives. Ces instances de débat ne permettent pas unélargissement de la participation, et contribuent à une certaine reproduction des inégalitéspolitiques. Ce ne sont pas tant des lieux de participation que des espaces de représentation,desquels sont absents les habitants non impliqués dans d’autres structures associatives oupolitiques.

Alors que ces instances de participation délibérative échouent sur leur missiond’élargissement de la participation, il devient impératif de réaffirmer l’objet même dela participation. La participation n’a pas de sens si elle ne sert pas à vitaliser notresystème démocratique, en tentant de bousculer les rapports de domination et d’exclusionactuellement à l’œuvre dans notre société. Elle s’inscrit donc dans une dynamique deconflits. En se recentrant sur l’objectif profondément démocratique de la participation,on revient aux conceptions des premiers théoriciens de la démocratie participative, quiy voient une mission émancipatrice de la population. La participation doit servir à laconstruction d’une société plus juste, et c’est seulement par la réaffirmation de cet idéal quepeuvent progresser les modèles de participation dans notre société, qui restent aujourd’huirelativement impuissants face au défi de la participation des classes populaires.

Pour cela, il semble qu’il faille s’éloigner du domaine du débat public, tant que celui-ci nemettra pas en discussion des décisions suffisamment importantes pour inciter la populationà y participer. Des modèles de participation plus « radicaux » existent, qui transfèrentun pouvoir de décision à la population, et dépassent largement la portée consultativedes expériences de participation que nous avons étudiées. Il s’agit essentiellement dumodèle du budget participatif, qui, tel qu’il a été conçu au Brésil, correspond à la vocationémancipatrice de la participation. Sans vouloir tomber dans une vision simpliste, cesexpériences me semblent particulièrement intéressantes, car elles ont le mérite de prouverque la participation dans sa dimension démocratisante n’est pas qu’un idéal. Sa possibilitédépend d’un volontarisme politique fort, et c’est en cela qu’il est permis d’espérer.

La participation des habitants d’un quartier au débat public : un outil de démocratie participative ?

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Bibliographie

Ouvrages

Christian BACHMANN et Nicole LEGUENNEC (1995), Violences Urbaines, AlbinMichel, 557p

Loïc BLONDIAUX (2008), Le nouvel esprit de la démocratie, Paris, Seuil, coll. Larépublique des idées, 2008, 109p

Elizabeth et Jean-Philippe GARDERE (2008), Démocratie participative etcommunication territoriale, Paris, l’Haramattan, coll. Questions contemporaines, 254p

François DUBET et Didier LAPEYRONNIE (1992), Les quartiers d’exil, Paris, Seuil

Gérard CHEVALIER (2006), Sociologie critique de la politique de la ville, Paris,L’Harmattan, coll.“Questions contemporaines“, 254p.

Pierre ROSANVALLON (2006), La contre-démocratie, Paris, Seuil, coll. “Les livres dunouveau monde“, 245p.

Roger SUE (2003), La société civile face au pouvoir, Paris, Presses de Sciences Po,coll. « La bibliothèque du citoyen », 131p.

CALLOM, LASCOUMES, BARTHES (2001), Agir dans un monde incertain, essai sur ladémocratie technique, Paris, Seuil

Marc CREPON, Bernard STIEGLER (2007), De la démocratie participative, fondementset limites, Paris, Mille et une nuits, 115p

Articles publiés dans des ouvrages collectifs

Laetitia OVERNEY (2006), « La vigilance collective des habitants d’un grandensemble : inquiétude éveillée et maintenance d’un site d’expérimentation », dansJacques ROUX, Etre vigilent, l’opérativité discrète de la société du risque , PUSE, p.176-187

BACQUE et SINTOMER (1999), “L’espace public dans les quartiers populaires d’habitatsocial », dans Catherine NEVEU, Espace Public et engagement politique, Paris,L’Harmattan, p. 115-148

Jean COHEN (2003), « Pour une démocratie en mouvement. Lecture critique de lasociété civile », dans la revue Raisons Politiques, no 3, août 2003, p.139-160

Bibliographie

FORZY Sandrine_2008 57

Articles publiés dans des revues spécialisées

François HANNOYER, Les tenants d’un débat citoyen, revue Territoires, octobre 2001

Olivier MASCLET, Le silence politique des quartiers, revue Economie et humanisme, no376, mars 2006

Georges GONTCHAROFF, Valse - Hésitation, revue Territoires octobre 2001

D. FASSIN (1996), L’essentiel, c’est de participer. Démocratie locale et santécommunautaire dans les villes du tiers-monde, dans Les Annales de la RechercheUrbaine n°73.

Philippe ZITTOUN, Conflits autour de la démolition, la politique du logement enquestion, revue Mouvements no 35, septembre-octobre 2004

Marie-Christine JAILLET, La politique de la ville, une politique incertaine, revue Regardsur l’actualité, La documentation française, no 260, avril 2000

Marie-Christine JAILLET-ROMAN, La mixité sociale, une chimère ?, publication de laCaisse nationale des allocations familiales, informations sociales, no 123, 2005

Loïc BLONDIAUX, Démocratie locale : Repenser les objectifs politiques avant de définirles modalités, revue Cahiers du DSU, septembre 2002

Martine CHANAL et Marc UHRY, Contre la mixité sociale , revue Territoires, septembre2004

Philippe MEJEAN, Le virage libérale de la politique de la ville, revue Territoires,septembre 2004

Céline BRAILLON et Dominique TADDEI, Vers une démocratie participative, revueMouvementsno 23, septembre - octobre 2002

Articles de presse

Gentrification à la Duchère, interview de M. Bosc par Rebellyon, publiée le 22 mars2008

Sources internet

Site officiel de la Ville de Lyon : www.lyon.fr

Site officiel du Grand Projet de Ville de la Duchère : www.gpvlyonduchère.org

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58 FORZY Sandrine_2008

Site de la Délégation Interministérielle de la Ville : www.ville.gouv.fr

Autres sources

Dossier réalisé en décembre 2008 dans le cadre de la CDM Action publique etterritoires de Mme Le Naour, par Elise Viricel, Marie-Astrid Morin, Julie Laurent etSandrine Forzy : « Le GPV de la Duchère : Comment les habitants sont-ils pris encompte dans le dispositif de concertation, à travers le processus du relogement ? »

Entretien de M. Bosc réalisé par Julie Laurent en novembre 2007

Entretien de M. Mérigot réalisé par Elise Viricel en novembre 2007

Réunion du GTI du 9 juin 2008

Réunions du noyau du GTI des 12 et 16 juin 2008

Conseil d’administration de l’association 24/31

Annexes

FORZY Sandrine_2008 59

Annexes

Entretien avec Mme Jocelyne Michel, novembre 2007A consulter sur place au Centre de Documentation Contemporaine de l'Institutd'Etudes Politiques de Lyon

Entretien avec Mme Jocelyne Michel, juin 2008A consulter sur place au Centre de Documentation Contemporaine de l'Institutd'Etudes Politiques de Lyon

Entretien avec M. Lassagne et Mme BonnardA consulter sur place au Centre de Documentation Contemporaine de l'Institutd'Etudes Politiques de Lyon

Résumé du deuxième entretien avec M. Lassagne etMme Bonnard, juin 2008

Naissance 24/31 car bâtiments en très mauvais état, pour surveiller maintenance desbâtiments qui vont être détruits : s’appuie sur charte du relogement

Naissance asso :décision collective car réticence des bailleurs croissante vis-à-vis descollectifs ; de plus permet de faire demandes de subventions à la politique de la ville (pouranimations, formations en gestion…)

Objectif : défendre intérêts particuliers et communs des locatairesRenforcer liens sociaux entre les locataires dont origines très variéesProposer des animations culturellesMais il faut que chacun réfléchisse à çaInterpeller les bailleurs et élus quand il y a besoin

La participation des habitants d’un quartier au débat public : un outil de démocratie participative ?

60 FORZY Sandrine_2008

Inciter les gens à s’intéresser à leur quartier, à rentrer dans des structures, à sortir deleurs propres intérêts particuliers, pour faire une sorte « d’éducation des gens »

Quels moyens vis-à-vis des pouvoirs publics ?Lettres, pétitions, rencontrer un max de gens, utiliser les réseaux pour se faire entendreAvec les gens : faire du porte à porte, travail de fourmi, il faut qu’ils nous connaissentAffichage, panneaux qui informent sur « tout ce qui se passe », si il y a un gros pb,

informe aussi sur évènements extérieurs à immeuble, comme réunions du GTIDernier exemple : « victoire sur l’eau » (ont refusé changement de compteurs)Publie critiques construites sur le bailleurAuj : 200 membres , soit environ un tiers des appartementSatisfaits de la progression du nombre de membresJuridiquement, si atteint les 40% peut se passer des confédérations d’associations de

locataires (si jamais gros pb, pourra agir seul)Servent aussi à voir comment les gens vivent vraiment« c’est pour ça qu’on s’estime quand même plus proches de locataires que le GTI »,

eux ils représentent les habitants par notre intermédiaire, mais c’est aussi à nous de faitremonter ces paroles

Beaucoup de participation avec d’autres comitésGTI, conseil de quartier, comité de suivi participatif, commissions de concertation,

centres sociaux (bénévolat ou CA), Eglise, engagements associatifs de chacunParmi adhérentsCertains participent, donnent des coups de mainD’autres sont consommateurs, le prennent comme une assuranceUne certaine implication, même si d’un certain âgeProblème de la participation des jeunes, bcp qui ne travaillent pas, ne font rienUn objectif principal : Il nous faut une base, un lieu permanent où on puisse s’organiser,

recevoir les gensRq : majorité des gens impliqués sont ici depuis le départ,A la Duchère très peu de français de souche jeunes avec enfants, bcp d’immigrés bcp

plus difficiles à impliquer car d’autres pbLien avec élus ? pour l’instant pas invités, mais ça va venir… pas de relation

permanente, mais interpellations sur sujets précis, quand y a besoinEnvisagez vous d’être élu ? non, on pourrait pas avoir ces deux positions en même tpsAssociations doivent rester apolitiquesCe qu’est le GTI ? à quoi il sert ?Existe depuis 22 ansCréé pour avoir une défense de l’ensemble de la pop du quartier, au moment où on

commence les réhabilitationsS’est très bien développé, force de réflexion, de propositions (charte du relogement)

Annexes

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Apogée : au moment ou destruction barre 260 où là il est rentré complètement dansl’action

Mais avant tout réflexion, proposition, et information des habitantsIl devait représenter les habitants, mais ne représente plus diversité des habitants, peut

être car plus de réflexion et pas assez d’actionAvent était plus représentatif : oui des familles maghrébines venaient, on parlait de

l’école de choses comme ça, problèmes des enfants… alors que maintenant c’est plus àun autre niveau

C’est le GPV qui a provoqué ça ?GTI a réussi à interpeller public sur destruction 260, a invité presse, et tout ça , marche

au flambeau.. a permis d’améliorer les choses sur démolition 210 par exPlus : changement directeur : Badon très directif, Couturier plus abordable, avec qui on

discute mieux, et donc on s’et retrouvé avec relations plus molles et diluéesPourtant y a toujours autant de raisons de contesterMais comme ils sont là tout le tps, on arrive pas à être dans la contestationElu présent à chaque GTI empêche cette contestation ?Présence systématique fait qu’on est plus sur un débat mais sur des questions réponsesOn n’a plus de réflexions profondesNoyau animateur de plus en plus centré sur questions pratiques, pas de débat, mise

sous pli et compte rendu un point c tt, noyau animateur ne débat plus assezEx réunion sur colloque Paris : pas de discussion véritableCa fait environ 2 ans que c’est comme çaML se plaint du détournement ordre du jour : cf question relogement transformée en

bilan GPV à mi parcoursJe pense que maintenant le GPV et élus sont parfois plus au courant de ce qui se passe

que le GTIOrdre du jour décidé par noyau ? fonction des évènements, rencontres, Anne reçoit le

courrier, et en fonction ça lui arrive de changer l’ordre du jour… ça pose problème !Comment le GTi pourrait devenir plus représentatif ?Se rapprocher des sujets propres aux habitants : PA, insécurité, sentiment d’abandon…

il faut sans cesse faire remonter parole des habitants… au noyau il n’y a que des mb actifsd autres associations, une majorité de co-propriétaires

Billets de train pour colloque paris achetés entre membres « durs » du GTI, alors queAMB voulait y aller… se sentent un peu floués

Est-ce que le fait que Bochard soit là tout le temps permet de faire remonter tout ça ?Il écoute, il répond, mais ne fait pas remonterLe GTI n’est pas un lieu de concertation, mais plus un lieu d’échangeGTI rassemble les gens, et doit les renvoyer vers l’extérieur, vers les bons interlocuteursL’action doit se faire en dehorsCe que je reproche au GTI : on se disperse, on va pas au fond des choses

La participation des habitants d’un quartier au débat public : un outil de démocratie participative ?

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On va pas remettre en cause le GPV car trop gros, on perd du tps sur des sujets quine sont pas notre problème

Pour moi concertation terme un peu dépassé, fourre tout, c’est plus de l’info en réalité,ou seulement sur sujets annexes

Moi je voudrai que le GTI se tourne plus vers la participation, en particulier sur 2e phasequi n’est pas du tout montée, il y a par ex HCD qui arrive a faire admettre aux élus que y apossibilité de monter eco quartier : ça c’est de la participation ; et ne vient pas du GTI mêmesi veut se le réapproprier, les gens de HCD ne viennent pas ou plus au GTI

ML et AMB veulent contester des choses pas encore construites, comme route quitraverse de part en part le quartier, parking relais en plain centre du quartier, parking payantqui va être préjudiciable aux moins aisés, plus éloignés du centre qui doivent venir en voiture

Comités de suivi participatif ? pas réguliers,60 engagements suite à concertation fin 2004 : il y avait bcp de monde, bcp de débats,

puis on a dit aux gens de poser leurs questions de manière individuellePdt que les hab travaillaient à trier les questions , les élus ont tout préparé de leur

coté : il n y a eu aucune concertation, toutes les questions importantes –urbanisme- ont étéévitées (comme réticences à construction bd, …),

Entretien avec M. Bochard, juin 2008A consulter sur place au Centre de Documentation Contemporaine de l'Institutd'Etudes Politiques de Lyon

Compte rendu de la réunion du GTI du 9 juin 2008A consulter sur place au Centre de Documentation Contemporaine de l'Institutd'Etudes Politiques de Lyon

Ordre du jour de la réunion du GTI du 3 juillet 2008A consulter sur place au Centre de Documentation Contemporaine de l'Institutd'Etudes Politiques de Lyon