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MISSOFFE Prune Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne UFR 10 : Philosophie (Master 1) Parcours Philosophie et Société La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition de la figure du terroriste Jean-François KERVEGAN Mai 2015 L’Université n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans le mémoire ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.

La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

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Page 1: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

MISSOFFE Prune

Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne

UFR 10 : Philosophie (Master 1)

Parcours Philosophie et Société

La pertinence du critère d'irrégularité

dans la définition de la figure du terroriste

Jean-François KERVEGAN

Mai 2015

L’Université n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions

émises dans le mémoire ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leur

auteur.

Page 2: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

SOMMAIRE

Sommaire ………………………………………………………………………… p. 2

Remerciements …………………………………………………………………… p. 3

Propos préliminaires ……………………………………………………………... p. 5

Introduction ………..…………………………………………………………...… p. 9

Première partie : L'irrégularité, un critère central dans la définition de la figure du

terroriste ………………………………………………………………………….. p.21

Deuxième partie : L'irrégularité, un critère intimement lié à l'évolution des intérêts

géopolitiques des instances régulières …………………………………………… p.35

Troisième partie : L'irrégularité, un critère qui occulte l'expression d'un jugement de

valeur …………………………………………………………………….………. p.50

Conclusion ………...………………………………………………………….….. p.66

Bibliographie ……………………………………………………………….……. p.68

2

Page 3: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

REMERCIEMENTS

Les premières lignes de ce mémoire sont dédiées à toutes les personnes qui m'ont

accompagnée dans ce travail.

Mes premiers remerciements vont à Monsieur le Professeur Jean-François Kervegan

qui accepta spontanément de suivre l'évolution de mes réflexions et me guida dans

mes premières lectures vers ce qui fut à la fois mon point de départ –la lecture de Carl

Schmitt– et l'aboutissement de ces réflexions –les interrogations exposées dans son

article « Une autre guerre, ou d'autres dieux ? ».

Je souhaiterais également remercier ici Laurent Lavaud et Stephen Pethick,

professeurs de philosophie, qui ne liront probablement jamais ce travail mais qui ont

fait naître en moi une véritable envie de m'adonner plus avant à des réflexions

philosophiques. Ils n'ont eu de cesse d'encourager leurs étudiants à adopter une

approche éminemment personnelle et une vision mettant en perspective, par une

application concrète au monde qui nous entoure, les idées développées.

Je remercie chaleureusement mes ami-e-s qui ont accepté, voire même parfois

souhaité, relire ces quelques réflexions. Je pense tout particulièrement à Tom

Deschamps, Anaïs Galy, Anaïs Lambert, Alice Lepeuple et Sophie Malliarakis. Je

n'oublie pas mes compagnons de travail qui ont su rendre ces journées agréables. Je

pense ici en particulier à Amna Aounallah, Emma Danède, Agathe Foucault, Musa

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Page 4: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

Gueye et Ségolène Reynal.

Je ne remercierai jamais assez mes parents. Au-delà de leur enthousiasme constant à

relire mes travaux, c'est surtout leurs encouragements incessants et leur foi en moi

que je souhaiterais ici saluer.

Un dernier et tout particulier merci à mon frère, Quentin Missoffe, qui initia cette

réflexion en m'offrant le livre de Noam Chomsky, 11/9 : Autopsie des terrorismes,

dont la lecture a nourri de nombreuses interrogations ici posées.

4

Page 5: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

PROPOS PRELIMINAIRES

A titre préliminaire, je souhaiterais consacrer ici quelques lignes à l'explicitation du

cheminement réalisé et de la méthodologie adoptée au cours de ce travail.

Étudiante en droits de l'homme en parallèle de mes études de philosophie, il me

semblait tout d'abord évident de consacrer ce travail à un sujet de philosophie du

droit, aux teintes de philosophie politique. Comment, philosophiquement, peut-on

appréhender l’organisation sociale qui est la nôtre, et dans quelle mesure le juridique

est-il pertinent et acceptable comme encadrement d’une telle organisation de la

société ? Tel était mon questionnement initial. Plus précisément, il s'agissait d'aborder

la notion de terrorisme sous l'angle des interrogations suivantes : quelle éthique pour

l’approche juridique du terrorisme, notion pourtant difficilement définissable en elle-

même (i.e. sans implication du fait social, notamment par la détermination de l’entité

au pouvoir) ? Quelles implications d’un tel « concept » juridique sur le corps social ?

Une approche uniquement juridique n'aurait pu permettre à elle seule la mise en

perspective de la palette d'intérêts du sujet.

Plongée dans mes lectures aux approches volontairement diversifiées (philosophique,

juridique, sociologique, sciences politiques), j'ai rapidement pu constater l'étendue

des questionnements qui en découlaient. Il m'a dès lors semblé très important de

circonscrire précisément le sujet, pour éviter de tomber dans l'écueil d'un résumé des

ouvrages étudiés. Débutant mes lectures par Carl Schmitt, et gardant en tête mon sujet

5

Page 6: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

initial qui avait fortement stimulé ma poursuite d'études en philosophie, c'est assez

naturellement que j'en suis arrivée à m'interroger sur un critère de définition en

particulier : celui de l'irrégularité. Une telle délimitation du sujet, dont je redoutais

alors presque la précision, s'est pourtant encore révélée extrêmement vaste. J'ai ainsi

fait le choix, tout en tentant de conserver un esprit critique sur la circonscription du

sujet au cours des développements, de lui consacrer toute la réflexion que j'estimais

nécessaire afin de rendre compte de son intérêt. Notamment, il m'a semblé essentiel,

en dépit de la place qu'elles prenaient, de conserver l'ensemble des références

utilisées dans les notes de bas de page. De même, une large place a été

volontairement accordée à l'introduction qui joue le difficile rôle d'explicitation du

sujet et de la problématique qui l'accompagne, tout en se gardant d'exposer une

définition du terrorisme, au vu de la difficulté d'une telle tâche et de l'effet sclérosant

que l'adoption d'une définition dès l'introduction aurait pu avoir sur l'ensemble des

développements. J'espère néanmoins que la longueur de ces propos n'auront ni

ennuyé mon lecteur, ni retiré au sujet l'intérêt de la précision de son intitulé ou aux

propos leur pertinence.

Bien entendu, un travail scientifique comme celui de l'écriture d'un mémoire impose à

son auteur une recherche d'objectivité, dans le sens où le constat doit primer sur le

jugement. La finalité même de ce travail m'a ainsi semblé être l'explicitation sous la

forme d'un raisonnement construit, et le plus objectif possible, d'une idée pressentie

qui apparaissait extraite du champ de vision de la société. Cependant, je me

permettrai de reprendre ici les propos de Magali Uhl qui termineront ces quelques

lignes pour indiquer mon sentiment relatif à l'existence nécessaire d'une part de

subjectivité dans le travail abordé et qui aura, je l'espère, été honnêtement assumée :

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Page 7: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

« « La société est subjective, écrit Theodor W. Adorno, parce qu'elle renvoie aux

hommes qui la forment – et parce que ses principes d'organisation renvoient à la

conscience subjective ». Il en découle que les sciences humaines doivent considérer

cette subjectivité-là non pas comme un obstacle à neutraliser, éliminer, refouler – au

nom de la fameuse distanciation objectivante et de la neutralité scientifique –, mais

comme la substance, la vie, la force et la finalité mêmes de la recherche ».1

1 M. Uhl, Subjectivité et sciences humaines : essai de métasociologie, Beauchesne, 2005, p.22,citant Theodor W. Adorno, « Introduction », in De Vienne à Francfort, La querelle allemandedes sciences sociales (collectif d'auteurs), op. cit., pp.32-33

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Page 8: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

« Saint Augustin raconte l'histoire de ce pirate

capturé par Alexandre le Grand, qui lui demanda

comment il osait « molester la mer ». L'autre

répondit : « Et toi, comment oses-tu molester le

monde entier ? Comme je n'ai qu'un petit navire, on

m'appelle voleur ; et toi, qui possèdes une vaste

flotte, on t'appelle empereur »

Noam Chomsky, Pirates et Empereurs : Le

terrorisme international dans le monde

contemporain2

2 N. Chomsky, Pirates et empereurs : Le terrorisme international dans le monde contemporain,traduit par J. Maas, Fayard, 2003, « Introduction à la première édition (1986) », p.39

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Page 9: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

INTRODUCTION

Le 16 mai 2014, Alexandr Koltchenko, étudiant et militant syndical criméen connu

pour ses engagements en faveur des droits humains et du droit de chaque peuple à

décider de son avenir, a été enlevé par la police russe et accusé de faire partie d'un

groupe terroriste suite à l'organisation de manifestations pacifiques de protestation

contre l'occupation militaire.3 Ces faits dont nous commémorons le premier

anniversaire illustrent le seul consensus qui semble aujourd'hui entourer la notion de

« terrorisme » : l'absence de définition sociologique consensuelle dans la sphère

académique.4 Les propositions de définitions, particulièrement larges, insistent

alternativement ou concomitamment sur la fin poursuivie –forcer l'avènement de

visées politiques, à la différence d'organisations criminelles–, les moyens utilisés –

tout acte violent ou menaçant dirigé contre des non-combattants et visant à

l'intimidation– et les effets psychologiques –qui forment un grand écart avec les effets

réels, le terrorisme agissant comme un « multiplicateur de rendement »5 notamment

par la mobilisation médiatique qui l'entoure. Face à une telle abondance, nombreux

sont les constats d'une définition impossible.6

3 Voir notamment le tract réalisé par la Ligue des Droits de l'Homme : http://www.ldh-france.org/liberte-alexandr-koltchenko-antifasciste-crimee-kidnappe-emprisonne-letat-russe-3/

4 Voir C. Marchetti, Les discours de l'antiterrorisme : Stratégies de pouvoir et culture politiqueen France et en Grande-Bretagne, Thèse pour le doctorat en Science Politique de l'UniversitéPanthéon-Sorbonne (Paris I), sous la direction de P. Braud, présentée et soutenuepubliquement le 6 janvier 2003, p.3 : « Divisés, les spécialistes ne semblent d'accord quepour souligner le caractère fort peu satisfaisant d'un concept sans cesse mouvant etprotéiforme »

5 J-F. Gayraud et D. Sénat, Le terrorisme, Que sais-je?, PUF, 1982, p.236 Voir K. Zulaika et W.A. Douglass, Terror and Taboo : The Follies, Fables and Faces of

Terrorism, New York, Routledge, 1996, p.92 : « The quest for quintessential distillation bywhich 'terror' could be encapsulated, diagnosed under laboratory conditions, defined in

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Page 10: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

Juridiquement, la volonté d'incrimination –autant symbolique que stratégique– rend

nécessaire le passage définitionnel. Le défi7 est dès lors de déterminer l'essence de

cette notion, de saisir sa singularité en dépit de la pluralité des visages qu'elle donne à

voir.8 Un défi que la Société des Nations a tenté de relever dans sa Convention pour la

prévention et la répression du terrorisme, en définissant les « actes de terrorisme »

comme « des faits criminels dirigés contre un État et dont le but ou la nature est de

provoquer la terreur chez des personnalités déterminées, des groupes de personnes

ou dans le public ».9 Cependant, la Convention n'est jamais entrée en vigueur,

notamment en raison semble-t-il des insatisfactions relatives à une telle définition qui

« ne permet pas de se représenter précisément les comportements constitutifs du

terrorisme ».10 Les rédacteurs avaient pourtant pris soin d'ajouter un deuxième article

« énumérant des actes susceptibles d'une qualification terroriste lorsqu'ils

remplissent les conditions de l'article 1er ».11 Dans le même sens, les années 1970 ont

vu le Comité spécial sur le terrorisme international de l'Organisation des Nations

Unies dresser le constat de l'impossibilité à définir une telle notion, et la carence sur

precise terms, and finally be conquered and extinguished for the benefit of manking, is anacademic illusion ». Voir également J.-F. Gayraud, « Définir le terrorisme, est-ce possible,est-ce souhaitable ? », RICPT, 1988, n°2, p.188

7 Voir L. Hennebel et G. Lewkowicz, « Le problème de la définition du terrorisme », in Jugerle terrorisme dans l’État de droit, L. Hennebel et D. Vandermeersch (dir.), Bruylant,Bruxelles, 2009, pp.17-59, p.18 : « certains n'ont pas hésité à comparer la recherche d'une[…] définition [universelle légale du terrorisme] à la quête du Saint Graal », se référant à G.Levitt, « Is Terrorism Worth Defining ? », Ohio Northern University Law Review, vol. 13,1986, p.97

8 Voir M. Delmas-Marty et G. Timsit, « Préface », Modèles et mouvements de politiquecriminelle, Paris, Economica, 1983, p.7

9 Convention pour la prévention et la répression du terrorisme, Genève, 16 novembre 1937,Société des Nations, Article 1, alinéa 2 : http://dl.wdl.org/11579/service/11579.pdf

10 J. Alix, Terrorisme et droit pénal, Etude critique des incriminations terroristes, Thèse pour ledoctorat en droit de l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris I), sous la direction de G.Giudicelli-Delage, présentée et soutenue publiquement le 9 décembre 2008, Nouvellebibliothèque de thèses, Dalloz, 2010, p.29

11 Ibid, p.2910

Page 11: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

ce point en droit international semble dès lors avoir été admise12 face, notamment,

aux reconnaissances controversées du droit à l'autodétermination13 et du terrorisme

d’État.14

L'absence de consensus sur une définition légale unique n'abolit pas tout régime et

toute définition juridiques du terrorisme, mais favorise l'adoption d'une méthode de

liste descriptive.15 Les actes terroristes désignés renvoient à des comportements déjà

prohibés par le droit commun,16 tout en formant une catégorie sui generis. Ainsi, en

droit français, ils sont définis comme les faits commis « intentionnellement en

relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler

gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur ».17 Cette pluralité d'actes

matériels constitutifs est alternative, créant dès lors, « sous couvert d'unicité, une

pluralité d'incriminations terroristes, et tradui[sant] le caractère artificiel d'une

incrimination unique ».18 Sont ainsi combinées les méthodes déductive et inductive.

La première renvoie à une définition générale incluant l'ensemble des actes

12 Voir J. Sorel, « Existe-t-il une définition universelle du terrorisme ? », in C. Bannelier, T.Christakis, O. Corten et al, Le droit international face au terrorisme, Editions A. Pedone,Paris, 2002, p.44 : résume « l'attitude concrète de la communauté internationale » au fait de« punir sans réellement définir »

13 Voir notamment la Convention de l'Organisation de l'Unité Africaine sur la prévention et lalutte contre le terrorisme du 14 juillet 1999 et la Convention de lutte contre le terrorismeadoptée par la Ligue Arabe le 22 avril 1998, qui excluent expressément de la définition duterrorisme la lutte pour l'autodétermination

14 Voir I. Sommier, Le terrorisme, Paris, Flammarion, 2000, p.6415 Ce fut notamment celle de la Convention européenne pour la répression du terrorisme adoptée

le 27 janvier 1977 à Strasbourg par le Conseil de l'Europe16 Par exemple : assassinat, meurtre, enlèvement, prise d'otage, vol, dégradation, etc.17 Articles 421-1 et 421-2 du code pénal, issus de l'article 1, alinéas 1 et 2 de la loi du 22 juillet

1996, modifiés par l'article 18 de la loi du 14 mars 2011. Voir Y. Mayaud, Le terrorisme,Paris, Dalloz, 1997, p.37 sur le régime juridique de l'infraction

18 J. Alix, supranote 10, pp.37-38, précisant cependant en note de bas de page n°123 que « Sansêtre identiques, les techniques d'incrimination retenues en matière de crimes contrel'humanité et de terrorisme s'éloignent de la technique d'incrimination classique et, à lavérité, créent moins des incriminations que des catégories d'infractions »

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Page 12: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

considérés terroristes. La seconde consiste en la criminalisation d'actes en particulier,

communément considérés terroristes, sans élaboration d'une définition générale, voire

sans utilisation du terme lui-même.19 Là où la première favorise l'intention –et donc la

distinction entre infraction de droit commun et infraction terroriste au seul prisme de

l'existence d'un dol spécial–, la seconde privilégie l'élément matériel, et par

conséquent l'inflation normative et l'adoption de conventions internationales

sectorielles excluant l'exigence de dol spécial20.

L'ensemble de ces éléments n'est pas sans heurter les principes de l’État de droit,21 et

plus particulièrement le principe de légalité des délits et des peines qui exige une

définition précise des incriminations.22 C'est notamment le cas de la Convention de

l'Organisation de la Conférence islamique pour combattre le terrorisme, adoptée à

Ouagadougou le 1er juillet 1999, laquelle incrimine un nombre particulièrement

important de comportements sur le seul fondement de l'élément intentionnel, dont des

activités légales et légitimes dans des sociétés démocratiques : « actions sociales,

19 Voir L. Hennebel et G. Lewkowicz, supranote 7, pp.31-32. Voir également pp.36-37 :l'approche mixte est ainsi celle adoptée par la décision-cadre du Conseil de l'UnionEuropéenne relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre Étatsmembres, adoptée le 13 juin 2002 en application du titre VI du Traité sur l'Union européenne,et la plupart des approches nationales ; elle est « caractérisée par deux éléments : la gravitéde la mise en danger et l'intention spécifique (dol spécial) »

20 Ibid, pp.29-36. Sur l'absence de dol spécial, voir p.35 : « Entrent donc dans le champd'application de ces conventions, des actes non terroristes, tels que le détournement d'avionpar « confusion mentale », « l'assassinat d'un diplomate par un mari jaloux » ou d'autres cas,manifestement exclus par le sens commun de la notion de terrorisme »

21 Ibid, p.4322 Voir J. Alix, supranote 10, p.36 : souligne « la difficulté d'interpréter strictement une

incrimination qui considère comme terroriste tout acte de violence dirigé contre l’État, lespersonnes ou les biens, et visant à faire régner la terreur parmi tout ou partie de lapopulation ». Voir également A. Petropoulou, Liberté et sécurité : Les mesures antiterroristeset la Convention européenne des droits de l'homme, Thèse pour le doctorat en droit del'Université Panthéon-Sorbonne (Paris I), sous la direction de E. Jouannet et A. LinosSicilianos, présentée et soutenue publiquement le 28 janvier 2013, p.32 : « la Cour […]n'hésite pas à censurer les dispositifs antiterroristes sur le terrain de l'article 10, dont laviolation n'est en réalité que le produit de l'application d'une incrimination vague de formesd'expression, qui constituent le plus souvent des formes de discours politiques légitimes »

12

Page 13: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

grèves, désobéissance civile ».23 Qui plus est, si de nombreuses distinctions sont

proposées, notamment entre le terrorisme et l'organisation criminelle –la finalité du

premier étant politique, et donc altruiste et intrinsèquement dirigée contre l’État, là où

celle de la seconde serait économique, et donc égoïste–,24 elles apparaissent

finalement poreuses. En effet, la terreur et l'organisation font également figure de

moyens d'action dans le grand banditisme et les mafias, et la finalité politique est

partagée par les auteurs d'infractions contre la sûreté de l’État.25 Plus encore, la fin de

la guerre froide a cédé la place à la criminalisation d'acteurs dits politiques et à la

politisation des organisations criminelles.26

Cette complexité à définir le terrorisme s'impose comme la conséquence immédiate

du constat de l'hétérogénéité de la notion. Les différents enjeux semblent en effet

mener à un nécessaire pluriel : idéologique, révolutionnaire, nationaliste,

anticolonialiste, indépendantiste, résistant, religieux, transnational sont autant

d'adjectifs accolés au terme. Une telle diversité rend difficilement pertinente leur

regroupement sous une étiquette commune qui « condui[rait] inévitablement à une

23 L. Hennebel et G. Lewkowicz, supranote 7, p.44, précisant cependant que « le plus souvent,les instruments et législations faisant appel à la méthode déductive ou à une méthode mixteprévoient spécifiquement de larges exceptions afin d'exclure ces cas de leur champd'application [...] afin de garantir les principes de l’État de droit »

24 Voir B. Hoffman, La mécanique terroriste, traduit par B. Dietz, Calmann-Lévy, 1999, pp.52-53. Voir L. Shelley et J. Picarelli, « Methods not Motives : Implications of the Convergence ofInternational Organized Crime and Terrorism », Police Practice and Research, 3 (4), 2002,305-318. Voir également S. Leman-Langlois, « Terrorisme et crime organisé, contrastes etsimilitudes », in Repenser le terrorisme : concept, acteurs et réponses, C.-P. David et B.Gagnon (dir.), Les Presses de l'Université Laval, 2007, pp. 91-109, pp.98-101

25 Voir J. Alix, supranote 10, p.3326 J-F. Gayraud et D. Sénat, supranote 5, pp.6-7, agrémentant cet argument d'exemples :

« Forces armées révolutionnaires de Colombie, Front Libération nationale de la Corse,Liberation Tigers of Tamil Eelam, Parti des travailleurs du Kurdistan » pour ce qui concernela « criminalisation » ; « Cosa Nostra, cartels de la drogues en Amérique latine, Triades »pour ce qui est de la « politisation ». Voir également p.18 : évoquant des « puissancescriminelles symbiotiques et hybrides »

13

Page 14: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

ostracisation de l'hétérogénéité propre au phénomène ».27 La multiplicité est

également celle des victimes28 et des moyens. Plus encore se dessine l'impossibilité

d'une définition intemporelle : « cette diversité, loin d'être figée, est mouvante et

évolutive ».29 Certains, et notamment le Centre de prévention de la criminalité

internationale des Nations Unies, définissent dès lors le terrorisme comme

« l'équivalent en temps de paix des crimes de guerre ».30 Une telle pluralité ne devrait

toutefois pas faire figure d'obstacle à l'élaboration d'une définition unique affirment

d'autres,31 puisque le travail définitionnel « tend, par essence, à réduire la diversité

d'un phénomène à la singularité d'un concept ».32

Longtemps poursuivie,33 la recherche d'une définition consensuelle semble avoir cédé

la place à l'étude d'éléments définitionnels. C'est ainsi qu'une étude a été réalisée pour

établir la fréquence de ces différents éléments parmi cent-neuf définitions du

« terrorisme » : à la « violence, force » (83,5%) succèdent la « politique » (65%), la

« terreur, peur, crainte » (51%), suivies de la « menace » (47%) et des « effets

27 V. Martin Vanasse et M-O. Benoît, « La définition du terrorisme : un état des lieux », inRepenser le terrorisme : concept, acteurs et réponses, C.-P. David et B. Gagnon (dir.), LesPresses de l'Université Laval, 2007, pp. 25-47, p.32

28 Voir J. Alix, supranote 10, p.32 : « est terroriste l'acte qui vise une victime symbolique, élue àraison de ses fonctions – un chef d’État, par exemple – mais également celui qui a pour cibledes victimes indiscriminées. Le nombre et la qualité des victimes ne sont [...] pas à eux seulsdes spécificités du terrorisme »

29 Ibid, p.3130 Cité par F. Andreu-Guzman (ed), « Terrorisme et droits de l'homme », International

Commission of Jurists, 2002-2003, pp.21-2231 J. Alix, supranote 10, p.3132 D. Duez, « De la définition à la labellisation : le terrorisme comme construction sociale », in

K. Bannelier, T. Christakis, O. Corten, B. Delcourt (dir), Le droit international face auterrorisme, Paris, Pedone, Cahiers internationaux, 2002, pp.105-118, p.106

33 Voir M. Wieviorka, « Terrorism in the Context of Academic Context », in M. Crenshaw (ed.),Terrorism in Context, University Park (PA), Pennsylvania State Univ. Press, 1995, p.598 :« au lieu de constituer le point de départ des analyses, la définition devrait se présentercomme leur résultat : la conclusion plutôt que le postulat »,

14

Page 15: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

(psychologiques) et réactions (anticipées) » (41,5%).34 L'ensemble de ces

tâtonnements définitionnels mène à un emploi apparemment abusif du terme, faisant

du terrorisme et de la violence politique des synonymes,35 le terrorisme désignant

alors la violence exercée par un groupe non étatique contre un État, par un État contre

des civils, ou encore entre instances étatiques.36 Difficile en effet de distinguer le

terrorisme, parfois qualifié de mode de combat37 ou de lutte,38 d'autres formes de

conflits.

Guérilla et terrorisme, tout d'abord, sont source d'une importante confusion.39

Souvent présentés comme équivalents,40 notamment du fait d'une asymétrie

commune,41 et de tactiques et buts semblables,42 ces termes étaient dès lors réunis au

sein d'une même catégorie : celle de groupe irrégulier.43 Alors que la guérilla est

souvent présentée comme l'ancêtre du terrorisme, d'importantes différences existent :

34 Voir A. P. Schmid and A. Jongman, Political Terrorism : A New Guide to Actors, Concepts,Data Bases, Theories and Literature, (2nd ed) Amsterdam, Transaction Books, 1988

35 W. Laqueur, Le terrorisme, traduit par P. Verdun, Presses Universitaires de France, 1979,p.243. Voir I. Sommier, supranote 14, pp.73-82

36 Voir A. Merari, « Du terrorisme comme stratégie d'insurrection », traduit par J. Minces, in Lesstratégies du terrorisme, G. Chaliand (dir.), Desclée de Brouwer, 1999, nouvelle éd. 2002,pp.73-111, p.73

37 J. Krieber, « Insurrection et Terrorisme, La nouvelle configuration du champ de bataille », inTerrorisme et Insurrection, Evolution des dynamiques conflictuelles et réponses des États, A.Campana et G. Hervouet (dir.), Presses de l'Université du Québec, 2013, pp.19-35, p.19

38 A. Merari, supranote 36, p.7339 Ibid, p.104 : cela s'explique d'autant plus que, « dans de nombreux cas, les groupes insurgés

mélangent systématiquement les deux stratégies », par exemple, « au Pérou, le Sentierlumineux a utilisé une stratégie de guérilla classique dans la région montagneused'Ayacucho, où il a occupé des villes, attaqué des postes de police et des convois militaires etcontrôlé de vastes zones. En même temps, cependant, il a mené une campagne typiquementterroriste dans les villes, où il a commis des assassinats, des attentats à la bombe et a enlevédes personnes »

40 B. Hoffman, supranote 24, p.5141 Voir S. Moulain, « Stratégies révolutionnaires : lutte armée, guérilla et terrorismes », in

Révolution, Lutte armée et Terrorisme, Dissidences (dir.), L'Harmattan, 2005, Volume 1,pp.41-68, p.58

42 Voir B. Hoffman, supranote 24, p.5143 Ibid, p.51

15

Page 16: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

au-delà d'une catégorie souvent considérée plus objective, la première mène des

actions au mode d'opération similaire à celui d'une armée régulière.44 Ainsi, ce terme

renvoie généralement à un groupe au nombre important d'individus, utilisant des

armes de type militaire et contrôlant physiquement un territoire, même partiellement,

comme étape vers la constitution d'une armée régulière,45 là où le groupe terroriste

serait par essence un acteur clandestin.

Guerre conventionnelle et terrorisme, ensuite, n'en sont pas moins difficiles à

distinguer. Traditionnellement, la première désigne un affrontement institutionnalisé

entre des entités politiques reconnues comme telles et clairement identifiées, avec une

nette distinction entre combattants et non-combattants, et une fin définitive

raisonnablement poursuivie.46 Pourtant, « répandre la terreur au sein d'une

population civile est une manière de faire la guerre relativement répandue depuis

toujours », comme le montre l'exemple le plus incontestable de la seconde guerre

mondiale :47 les bombardements d'Hiroshima et Nagasaki ne répondent-ils pas aux

éléments définitionnels du terrorisme proposés plus haut ?48 Plus encore, et cela fera

l'objet de développements ultérieurs, la guerre interétatique présente de moins en

moins les caractéristiques qui lui valaient le qualificatif de conventionnelle.

La fragilité de la distinction entre terrorisme et guerre conventionnelle se dessine tout

44 Voir A. Merari, supranote 36, pp.79-8145 Voir B. Hoffman, supranote 24, p.51. Voir également A. Merari, supranote 35, pp.80-81,

notamment : « en termes de taille des unités opérationnelles, les limites supérieures desterroristes sont les limites inférieures de la guérilla »

46 P. Dumouchel, « Le terrorisme entre guerre et crime ou de l'empire », in Enjeuxphilosophiques de la guerre, de la paix et du terrorisme, S. Courtois (dir.), Les Presses del'Université Laval, 2003, pp.25-39, p.25

47 S. Moulain, supranote 41, p.5848 Voir A. Merari, supranote 36, pp.76-77

16

Page 17: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

particulièrement avec l'affirmation héritée de Carl von Clausewitz, à savoir « la

guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens »,49 autrement dit

« toute guerre est pour partie politique ».50 De même le terrorisme ne peut-il pas être

appréhendé de manière décontextualisée.51 C'est en ce sens que le terrorisme a pu être

qualifié de « guerre post-clausewitzienne par excellence ».52 La qualification courante

de « guerre contre le terrorisme », sur laquelle nous reviendrons dans les

développements qui suivent, ne vient que confirmer une telle fragilité. De la

constatation de cette dernière émerge « la question fondamentale concernant la

légitimité d'user de la violence à des fins politiques ».53

Le terrorisme est aujourd'hui régulièrement et communément circonscrit à ce qu'une

instance étatique –et donc supposée légitime à user de la violence– désigne comme

tel, à savoir une violence exercée par un individu ou un groupe d'individus au

caractère irrégulier et dont la portée politique est édulcorée, sinon niée. Le terme

renvoie dès lors à une violence insurrectionnelle, « révolutionnaire ou

antigouvernementale, dont les acteurs sont des entités non étatiques ou d'instances

d'un niveau inférieur à l’État »,54 alors même que l'origine du terme « terrorisme »

s'inscrit dans la violence étatique et la politique répressive du régime de la Terreur

dans les années 1793 et 1794.55 Le terrorisme est ainsi attribué à un groupe marginal,

49 C. Clausewitz, De la guerre (édition abrégée), Paris, Perrin, 1999, p.4650 P. Dumouchel, supranote 46, p.26, reprenant l'interprétation proposée par R. Aron, Penser la

guerre, Clausewitz, I : L'âge européen, Paris, Gallimard, 197651 Ibid, p.2752 J-F. Gayraud et D. Sénat, supranote 5, p.853 V. Martin Vanasse et M-O., Benoît, supranote 27, p.2754 B. Hoffman, supranote 24, p.18. Voir I. Sommier, supranote 14, p.97 : le département d’État

américain « class[e] sous le vocable « terrorisme » toutes les initiatives violentes dirigéescontre les États »

55 Voir S. Moulain, supranote 41, p.56. Voir A. Rey (dir.), « Terreur », Dictionnaire historiquede la langue française, Paris, Le Robert, 1998

17

Page 18: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

clandestin, non étatique en somme, luttant contre un État dans une relation duelle aux

moyens disproportionnés.56 Cette vision semble si bien établie que le « terrorisme »

est communément désigné comme « l'arme par excellence du faible contre le fort » :

c'est un conflit dit asymétrique,57 qui a pour particularité de donner lieu à une

« guerre totale » « transform[ant] la société tout entière en champ de bataille ».58

Comme le suggère la tendance dégagée par les définitions et distinctions proposées,

subsiste aujourd'hui un mouvement majoritaire qui consiste à exclure l’État des

auteurs éventuels d'actes terroristes.59 Pourtant, le terrorisme peut émerger tant de

l'instance étatique, le terrorisme serait alors dit répressif, que du simple citoyen, le

terrorisme étant alors dit insurrectionnel. Le premier « est exercé par l’État contre sa

population afin de maintenir certains groupes ou individus au pouvoir »,

contrairement au second qui « est exercé par des groupes exclus ou à la marge du

pouvoir politique qui désirent soit exercer une influence, soit remplacer les actuels

dirigeants ».60 Les purges réalisées sous Joseph Staline, les « escadrons de la mort »,

et de nombreuses dictatures, sont autant de formes de terrorisme d’État.61 Plus encore,

56 Voir D. Bigo et D. Hermant, « Un terrorisme ou des terrorismes ? », Esprit, Paris, n° 94-95,1986, pp.70-72, in X. Crettiez, « Le terrorisme, Violence et politique », Problèmes politiqueset sociaux, Paris, La Documentation française, n°859, 29 juin 2001, pp.19-20

57 Voir B. Courmont et D. Ribnikar, Les guerres asymétriques, Conflits d'hier et d'aujourd'hui,terrorisme et nouvelles menaces, 2e ed, Iris, Dalloz, 2009, p.35 : « La symétrie caractérise la« juste proportion » […]. L'asymétrie est l'absence volontaire de symétrie, et la dissymétrieest un défaut de symétrie (généralement par erreur […]). Ainsi, l'asymétrie semble pluscatégorique que la dissymétrie, car la « juste proportion » y est absente et ne peut êtrecorrigée »

58 J. Krieber, supranote 37, p.2459 Voir L. Hennebel et G. Lewkowicz, supranote 7, p.52. A la différence de ce qu'a pu affirmer

Benito Mussolini, dont les propos sont rapportés par B. Hoffman, supranote 24, p.29 :« « Terreur ? Jamais », précisait Mussolini, qualifiant avec une fausse pudeur des actesd'intimidation de « simple … hygiène sociale, dont le but est de mettre ces individus horsd'état de nuire, comme un médecin lutterait contre un bacille » »

60 J. Krieber, supranote 37, p.2161 Voir B. Hoffman, supranote 24, pp.30-31. Voir, à titre d'exemple L. Hennebel et G.

Lewkowicz, supranote 7, p.53 : « en utilisant de manière détournée le pouvoir de l’État et en18

Page 19: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

certains vont jusqu'à affirmer que le fait pour l'auteur de l'acte terroriste d'être étatique

n'est qu'une circonstance et ne peut toucher à l'essence de la définition de la notion.

Qui plus est, « rares sont les États, mêmes démocratiques, qui peuvent, à un moment

ou à un autre de leur histoire, échapper à cette accusation ».62 Également, rares

semblent avoir été les mouvements terroristes qui n'ont pas, à un moment de leur

histoire, été soutenus par des instances étatiques, le lien entre groupe irrégulier et

instance régulière ne tenant dès lors qu'à un fil.

C'est en ce sens que Carl Schmitt affirme que la figure du partisan est une entité en

cours de formation dans le cadre de laquelle la reconnaissance d'instances régulières

existantes lui est nécessaire. À partir de la distinction ami / ennemi élaborée dans la

Notion du politique, et qui guide l'ensemble de ses développements, cet auteur met en

exergue la place du partisan –défini comme le combattant irrégulier contre des

gouvernements ou armées régulières. Cette irrégularité signifie pour Carl Schmitt la

confirmation de la permanence de la politique, nécessaire à la conceptualisation de

l’État. En ce qu'elle participe pleinement de la perméabilité grandissante de notions

jusque là opposées –guerre et paix, civil et militaire, combattant et non-combattant–,

la figure du partisan semble proposer une nouvelle manière de considérer l'intensité

d'un conflit politique mondial que donne à voir le phénomène terroriste.

L'interrogation qui guidera ces développements est ainsi celle de la pertinence qu'il

convient de reconnaître au critère d'irrégularité dans la définition de la figure du

organisant à un niveau interétatique les disparitions forcées et tortures, le Paraguay s'estrendu coupable de « terrorisme d'État » […] pour lequel il doit voir engagée saresponsabilité internationale aggravée [Cour interam. dr. h., 22 septembre 2006, Goiburu etautres c/ Paraguay, §66] »

62 J-F. Gayraud et D. Sénat, supranote 5, p.4319

Page 20: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

terroriste. Les réflexions dépasseront le cadre posé par Carl Schmitt, mais le critère

précité constituera le cœur de la démonstration proposée.

Le critère d'irrégularité est central dans la définition de la figure du terroriste, celle-ci

étant opposée à l'instance étatique, structure régulière par excellence. Mais il est

également intimement lié à l'évolution des intérêts géopolitiques de ces mêmes

instances régulières. Dès lors, l'irrégularité est un critère qui apparaît comme étant

l'expression d'un jugement de valeur, élément subjectif que l'auteur de la qualification

stigmatisante de terroriste cherche précisément à occulter pour lui donner l'apparence

d'un visage neutre autorisant la juridicisation de la notion.

20

Page 21: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

PREMIERE PARTIE : L'IRREGULARITE, UN CRITERE

CENTRAL DANS LA DEFINITION DE LA FIGURE DU TERRORISTE

« Il faut prendre garde de ne pas laisser croire, au

nom d'un consensus momentané face à une violence

aveugle, que la seule violence admissible serait celle

des États, quels qu'ils soient. Le terrorisme [...] n'a

pas de signification politique hors du temps et de

l'espace »63

La figure du terrorisme est définie par opposition à ce qui est régulier,

institutionnalisé, étatique. Le partisan schmittien a en effet ceci de singulier qu'il

combat en irrégulier et se confronte dès lors au monopole de la violence légitime

détenu par l’État, cocontractant du pacte social. Niant un tel monopole, la figure de

l'irrégulier se voit dénié le statut légal reconnu aux protagonistes du droit

international de la guerre. C'est précisément ce qui permet à l'entité régulière de

justifier de l'usage –auto-déclaré légitime– de la violence.

* * *

Puisque « la différence entre combat régulier et combat irrégulier est fonction de la

63 E. Plénel, « Police et terrorisme », in Esprit, novembre 1986, n°6, p.1921

Page 22: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

nette définition de ce qui est régulier »,64 il convient de revenir sur ce qui caractérise

l'instance régulière : le monopole de la violence légitime, résultante du contrat social

tel que présenté par Thomas Hobbes.

Le pouvoir étatique trouve sa légalité et sa légitimité dans la crainte mutuelle des

hommes, ce qui a valu une large renommée à la formule hobbesienne selon laquelle

« l'homme est un loup pour l'homme ».65 Se trouve ainsi à la fondation de toute

formation étatique une volonté de protection de soi : le pouvoir étatique apparaît

propre à canaliser les comportements guerriers des hommes dans l'état de nature par

la crainte que son existence inspire. Le contrat social, de nature synallagmatique,

impose alors à l’État une fonction de conservation de la vie des citoyens, en échange

de l'abandon par l'individu-citoyen de sa liberté politique. C'est le sens de

l'affirmation de Bertrand Badie selon laquelle, « culturellement et rationnellement,

l'obéissance civile trouve sa contrepartie dans les prestations qu'offre l’État en

matière de sécurité physique, économique et sociale ».66 Ainsi, armé pour accomplir

sa fonction de défense des individus-citoyens, l’État désarme ces derniers.67 Partant,

les conditions de la paix sont assurées par l'instance étatique, écartant la menace d'une

mort violente.68 Pour que l’État puisse accomplir son obligation contractuelle, il est

nécessaire qu'il détienne le monopole de la violence légitime. Une telle prérogative

64 C. Schmitt, La notion de politique. Théorie du partisan, traduit par M.-L. Steinhauser,Champs classiques, Flammarion, 1992, p.207

65 Voir T. Hobbes, Le Citoyen ou les fondements de la politique, Paris, Gallimard, 1982, p.9366 B. Badie, « Terrorisme et État », Etudes polémologiques, Paris, Institut français de

polémologie, n°1/1989, pp.7-12 (extraits), in X. Crettiez, « Le terrorisme, violence etpolitique », Problèmes politiques et sociaux, Paris, La Documentation française, n°859, 29juin 2001, pp.48-50, p.49

67 G. Haarscher, Les démocraties survivront-elles au terrorisme?, Collection Quartier Libre,Editions Labor, 2002, p.10

68 D. Rosenfield, « Terreur et Barbarie », in J.-F. Mattéi et D. Rosenfield (dir.), Civilisation etbarbarie, Réflexions sur le terrorisme contemporain, Presses Universitaires de France, 2002,pp. 27-49, p.38

22

Page 23: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

lui est légalement reconnue et l’État renvoie dès lors à la « forme institutionnalisée

du pouvoir ».69 Comme l'indique la définition weberienne de l’État, si « la violence

n'est évidemment pas l'unique moyen normal de l’État, [...] elle est son moyen

spécifique ».70

Le monopole étatique de la violence légitime s'exprime encore dans le monopole

étatique de la détermination du « droit » à la violence : l’État est seul décisionnaire

dans le droit d'entités non étatiques d'user de la violence.71 L'appellation est dès lors

le fait d'une instance régulière : sont « terroristes » ceux qui sont nommés comme tels

par les autorités étatiques. Ainsi, s'il existe un droit de résistance comme le suggère la

Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés

fondamentales de 1950, la reconnaissance de son exercice est « quasi fictive ».72 En

d'autres termes, ce n'est que dans la mesure où ceux qui revendiqueraient un droit à

l'autodétermination renonceraient à la violence qu'une telle autodétermination

pourrait éventuellement être reconnue.73 La question de l'exclusion des « combattants

de la liberté » des groupements désignés comme terroristes, notamment dans le cadre

de conventions internationales, a ainsi été particulièrement débattue. Certains, comme

Antonio Cassese, estiment qu'un tel débat est « davantage idéologique ou

psychologique que véritablement juridique »,74 ce qui renforce l'hypothèse d'une

69 Y. Michaud, Violence et politique, Paris, Gallimard, 1978, pp.171-176 (extraits), in X.Crettiez, « Le terrorisme, Violence et politique », Problèmes politiques et sociaux, Paris, LaDocumentation française, n°859, 29 juin 2001, pp.51-53, p.51

70 M. Weber, Le savant et le politique, traduit par J. Freund, Paris, Plon, 1959, pp.112-11371 Ibid, pp.112-113. Voir J. Krieber, supranote 37, p.3272 A. Petropoulou, supranote 22, p.3773 Ibid, p.3874 L. Hennebel et G. Lewkowicz, supranote 7, p.54. En effet, « le droit international

humanitaire ne protèg[e] pas davantage les acteurs terroristes que ne le ferait le droit pénalinternational applicable en temps de paix ». A. Cassese « prône la combinaison du droitinternational humanitaire – dans le cas où les actes réputés terroristes sont commis contredes combattants au cours d'un conflit armé – et des règles internationales relatives au

23

Page 24: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

labellisation. Ce processus de labellisation prend sa source dans la détermination de la

figure schmittienne de l'ennemi à l'intérieur de l'unité politique qu'est censé assurer

l’État. Selon Carl Schmitt, l’État de l'époque moderne est en effet l'instance qui

désigne l'ennemi. La politique est le lieu de discrimination de l'ami et de l'ennemi, et

cette distinction dessine la frontière entre les différentes communautés politiques.75

Le terrorisme consiste précisément en « une tentative de faire passer la distinction

ami/ennemi à l'intérieur de l'entité politique ».76 Pour le terroriste, une telle division

est déjà présente au sein de cette entité politique.

Contrairement à la figure du criminel à laquelle il est souvent renvoyé, et « qui

recourt à la violence par effraction à l'intérieur de l'ordre politique existant, le

terroriste [...] remet en cause cet ordre même ».77 La finalité du terrorisme est

« méta-politique » : il s'agit de « changer les règles mêmes qui définissent le jeu

politique ».78 Ainsi, la figure du terroriste s'inscrit dans une dynamique de négation de

l’État en place dont il rejette le monopole de la violence légitime :79 le recours à une

violence privée vient en ce sens interroger un tel monopole.80 Parce qu'il refuse ce

dernier, le terroriste cherche à s'extraire des règles sociales qui le justifient, souhaitant

terrorisme – lorsque ces actes touchent les civils, au cours d'un conflit armé. Cette positionest celle adoptée par la Convention sur le financement du terrorisme, la législationcanadienne, certaines Cours italiennes et le Ministre israélien des Affaires Etrangères TzipiLivni » (pp.56-57). Voir A. Cassese, « The Multifaced Criminal Notion of Terrorism inInternational Law », Journal of International Criminal Justice 4 (2006), 933-958, OxfordUniversity Press, 2006, http://ejournal.narotama.ac.id/files/The%20Multifaceted%20Criminal%20Notion%20of%20Terrorism%20in%20International%20Law.pdf[consulté le 12 mai 2015]

75 C. Schmitt, supranote 6476 P. Dumouchel, supranote 46, p.2877 Ibid, p.2978 Ibid, p.3379 Voir B. Badie, supranote 66, pp.48-4980 A. Petropoulou, supranote 22, p.30

24

Page 25: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

ainsi « échapp[er] à la logique étatique ».81 Ses actes se veulent donc diamétralement

opposés à ceux qui respecteraient la structure sociale telle qu'elle émane du contrat

hobbesien : ils « contredisent la raison même qui pousse les hommes à entrer dans

une relation étatique ».82 Guy Haarscher affirme ainsi que la figure contemporaine du

terrorisme semble aller jusqu'à rechercher l'anéantissement du contrat social,83

comme Carl Schmitt écrivait en son temps que le partisan trouvait dans la destruction

de l'ordre social à la fois la raison d'être et le but de sa lutte.84 En effet, une

conception pleinement pacifiste de l'acte révolutionnaire semble difficilement

tenable : « qui envisage de renverser le pouvoir établi prend le risque de s'affronter

avec lui ».85 Pour le terroriste, la paix n'est en réalité qu'une apparence qu'il se doit de

dissiper, fut-ce par la violence.86

* * *

Cette négation du monopole étatique de la violence légitime n'est pas sans

conséquence : le statut légal en droit international est dénié à la figure du terroriste,

qui voit ses actions qualifiées de « forme illégale de guerre ».87

En temps de guerre, des droits sont accordés à l'ennemi : « la guerre ne signifie pas

l'absence d'un statut légal, mais uniquement un statut légal différent de celui existant

81 D. Rosenfield, supranote 68, p.3882 Ibid, p.3883 G. Haarscher, supranote 67, p.1084 C. Schmitt, supranote 64, p.28085 S. Moulain, supranote 41, p.4586 G. Andréani, « Le concept de geurre contre le terrorisme fait-il le jeu des terroristes ? », in

Justifier la guerre ? De l'humanitaire au contre-terrorisme, G. Andréani et P. Hassner (dir.), 2e

édition, Sciences Po les Presses, 2013, pp.197-219, p.19987 A. Merari, supranote 36, p.86

25

Page 26: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

en temps de paix ».88 Traditionnellement associé à l'exercice de la violence légitime,89

le droit de la guerre ne s'applique en effet qu'aux puissances souveraines.90 C'est ainsi

que Jean-Jacques Rousseau affirme que la guerre est une affaire entre personnes

publiques.91 Dès lors, le droit de la guerre ne s'applique qu'aux armées régulières et

« ne laisse pas de place au partisan au sens moderne, [...] criminel particulièrement

méprisable et […] tout simplement [...] hors la loi ».92 Le droit international a

néanmoins évolué depuis la Seconde Guerre mondiale en étendant ces droits aux

combattants d'armées irrégulières,93 cependant conditionnés « au respect par les

intéressés des lois de la guerre ».94 Mais le partisan semble précisément remettre en

cause cet encadrement qui consiste à « ni[er] l'hostilité absolue ».95 Ainsi Carl

Schmitt affirmait-il que « la clandestinité et l'ombre sont ses armes les plus fortes,

auxquelles il ne saurait honnêtement renoncer sans quitter le domaine de

l'irrégularité, c'est-à-dire sans cesser d'être un partisan ».96 Selon le droit de la

88 F. Hacker, Terreur et terrorisme, traduit par G. Cornilleau, Flammarion, 1976, p.20689 Voir J. Krieber, supranote 37, p.2690 Voir E. de Vattel, Le droit des gens, ou Principes de la loi naturelle (1773), Neuchatel, Société

typographique, Livre III, chapitre I, paragraphe 491 Voir J-J. Rousseau, L'État de guerre (1756-1758), Les Philosophiques (Arles), Actes Sud,

200092 C. Schmitt, supranote 64, pp.212-21393 Ibid, p.226 : « L'évolution qui a abouti aux Conventions de Genève de 1949 a ceci de

caractéristique qu'elle admet des assouplissements de plus en plus larges du droit des genseuropéen, exclusivement étatique jusqu'alors. Des catégories de plus en plus nombreuses departicipants aux hostilités ont dès lors statut de combattants réguliers ». Voir également S.Moulain, supranote 41, p.61

94 Ibid, p.227 : les Conventions de Genève imposent en effet « quatre conditions [...] pour uneassimilation des partisans aux forces armées régulières (« avoir à leur tête une personneresponsable pour ses subordonnés ; avoir un signe distinctif fixe et reconnaissable àdistance ; porter ouvertement les armes ; se conformer dans leurs opérations aux lois etcoutumes de la guerre ») ». Voir également S. Moulain, supranote 41, p.61

95 C. Schmitt, supranote 64, p.300. Voir J. Krieber, supranote 37, pp.22-23 : il convient ici depréciser que de telles règles légales répondent à « un code particulier à l'histoire del'Occident qui, petit à petit, suivant la généralisation du modèle de souveraineté étatique,s'est répandu partout sur la planète. […] Dans les faits, la menace, la ruse, la surprise, laterreur et l'assassinat sont des tactiques très fréquentes dans l'histoire des conflits entregroupes humains. En dehors de la civilisation occidentale, c'est une façon normale de faire laguerre »

96 C. Schmitt, supranote 64, p.24426

Page 27: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

guerre, aujourd'hui droit international humanitaire, les actes de guerre doivent être

nécessaires, proportionnels à l'objectif recherché –notamment dans le type d'armes

utilisées–, et discriminer les combattants et les non-combattants.97 L'obligation de

distinction comprend celle de porter ouvertement les armes, notamment par le port

d'un signe distinctif –généralement un uniforme, « démonstration d'une certaine

domination de la vie publique ».98 Doivent également être respectées, entre autres, les

règles relatives à la souveraineté des pays neutres, à l'intégrité des organisations ou

structures arborant des emblèmes protecteurs, et au traitement des prisonniers.99 Sur

ce dernier point, le soldat peut en effet « être détenu jusqu'à la cessation des

hostilités, mesure non punitive mais de précaution, destinée à éviter qu'il ne retourne

prendre part au combat ».100

Un simple examen factuel semble montrer une violation générale de ces règles par les

terroristes.101 Bruce Hoffman va ainsi jusqu'à affirmer que le refus d'être lié par les

règles du droit de la guerre serait « l'une des raisons d'être essentielles du terrorisme

transétatique ».102 Deux explications à cela sont avancées. Souvent présentées

comme opposées, elles semblent en réalité complémentaires. Selon la première, c'est

par principe et pour « rester « libre » » que la figure du terroriste « ne peut et ne veut

accepter aucune règle, ne connaît et ne reconnaît aucun accord qu'il devrait

97 Voir J. Krieber, supranote 37, p.27. Voir également C. Schmitt, supranote 64, p.212 : « le droitclassique de la guerre […] comporte des distinctions nettes, principalement entre guerre etpaix, entre combattants et non-combattants, entre un ennemi et un criminel. La guerre y estconduite d’État à État en tant que guerre des armées étatiques régulières entre sujetssouverains d'un jus belli, qui se respectent jusque dans la guerre en tant qu'ennemis sans sediscriminer mutuellement comme des criminels, de sorte que la conclusion d'une paix estpossible et même demeure l'issue normale et toute naturelle de la guerre »

98 C. Schmitt, supranote 64, p.217. Voir G. Andréani, supranote 86, p.20299 Voir F. Hacker, supranote 88, p.206100 G. Andréani, supranote 86, pp.202-203101 Voir B. Hoffman, supranote 24, p.43102 Ibid, p.44

27

Page 28: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

respecter ».103 La deuxième puise dans l'infériorité du groupe terroriste, en termes de

nombre, d'armement et de ressources, pour affirmer qu'il n'a pas d'autre moyen que

d'opérer ainsi, à savoir clandestinement.104 Les défenseurs de cette dernière

explication poursuivent parfois en expliquant que la figure du terroriste voudrait

pourtant « avant tout être considér[ée] et reconnu[e] comme des groupes souverains

menant une guerre légitime ».105 Le terroriste, tout en rejetant tout cadre légal,

revendiquerait d'être en guerre et de pouvoir se voir attribuer le statut de combattant

qui en est le corollaire. Estimant être des combattants (de la liberté), ils revendiquent

le droit de bénéficier du statut de prisonnier de guerre, et notamment de ne « pas être

poursuivis, comme des criminels de droit commun ».106 Alors que « la guerre est une

affaire sérieuse », le traitement juridique du terrorisme comme une forme de

criminalité participe du processus de labellisation.107

Comme évoquée précédemment, cette distinction est pourtant fragile. En particulier,

il est difficile de persister dans la volonté de singularisation du terrorisme lorsque

103 F. Hacker, supranote 88, p.207. Voir B. Courmont et D. Ribnikar, supranote 57 p.41104 B. Hoffman, supranote 24, p.42. Voir A. Merari, supranote 35, p.86 : « Les règles de conduite

de chacune des deux parties dérivent des capacités et des nécessités et subissent deschangements pour des raisons qui sont essentiellement pragmatiques ». Voir également S.Moulain, supranote 41, p.61 : « tenir son arme en évidence équivaut pour lui à renoncer àson principal avantage tactique »

105 F. Hacker, supranote 88, p.207106 B. Hoffman, supranote 24, p.42. Voir G. Andréani, supranote 86, p.199 : « C'est vrai, d'abord,

des mouvements de libération nationale ou des nationalismes minoritaires, qui estiment êtreen guerre avec une puissance extérieure, le colonisateur, ou le pouvoir étatique dont ilsveulent s'affranchir. Leur objectif est de faire reconnaître qu'il existe avec eux un état deguerre, prélude logique à leur but ultime : la reconnaissance internationale de leur existenceen tant que nation indépendante. C'est vrai aussi du terrorisme interne […] : leur violence estune action en légitime défense en réponse à la violence sociale »

107 G. Andréani, supranote 86, p.200, illustrant : « Face à ces déclarations de guerre, l'autoritéétatique répond invariablement que les terroristes sont des criminels et non des guerriers :[…] la France qualifiait la guerre d'Algérie d' « opérations de maintien de l'ordre en Afriquedu Nord » »

28

Page 29: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

celui-ci vise des non-combattants.108 Les États ne sont en effet pas toujours

respectueux des principes issus des conventions de droit international humanitaire

auxquelles ils sont pourtant parties :109 dans l'histoire moderne, les violations les plus

importantes du droit de la guerre, et des droits de l'homme plus généralement,

semblent ainsi avoir été commises par des entités étatiques. Tout particulièrement, les

non-combattants paraissent avoir été intentionnellement pris pour cible par ces

mêmes entités.110 Dès lors, le caractère artificiel propre au processus de labellisation

est mis en exergue par une politique de distinction bancale entre légalité et illégalité.

En effet, il semble difficile de concevoir que soient déclarées illégales « les méthodes

de combat utilisées par des mouvements de libération nationale » mais légale « la

politique de terrorisme infligée à certains peuples [par les forces armées d'États

établis] ».111 S'il est parfois reconnu que certaines instances étatiques ont pratiqué du

« terrorisme d’État », une telle formule ne semble être retenue qu'à l'encontre de

régimes totalitaires et dictatoriaux, « à la condition qu'ils soient lointains ou

passés ».112 Certains répondent à cela que, lorsque les instances étatiques violent ces

règles, leurs actes sont qualifiés de crime de guerre ou de crime contre l'humanité, et

qu'en dépit des imperfections dans les réponses juridiques apportées à ces crimes, leur

responsabilité est reconnue...113

* * *

108 Voir A. Merari, supranote 36, p.86109 Voir B. Hoffman, supranote 24, p.41, citant notamment « le principe d' « équilibre de la

terreur », présidant à la politique nucléaire stratégique mise en œuvre après guerre par lesdeux superpuissances, dont les objectifs visaient délibérément la population civile ennemie »

110 A. Merari, supranote 36, p.86111 B. Hoffman, supranote 24, p.42, citant les propos tenus par le représentant de Cuba lors de

débats à l'Organisations des Nations Unies112 C. Marchetti, supranote 4, p.520113 B. Hoffman, supranote 24, p.44

29

Page 30: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

L'exclusion du phénomène terroriste du droit international humanitaire et la négation

du statut de combattant légal de ses acteurs mènent à l'élaboration de politiques

étatiques anti-terroristes. Comme cela a été évoqué plus avant, pour conserver

l'intégrité de son entité politique, l’État use de son monopole dans la détermination du

« droit » à la violence.

En effet, l’État procède à une labellisation, dans laquelle l'apparente scientificité du

concept dissimule une idéologie pourtant prégnante. La désignation de terroriste

permet tout à la fois la stigmatisation comme « ennemi officiel de l'État » avec lequel

« on ne saurait pactiser ni même dialoguer », et le discrédit cautionné par la plus

large partie de l'opinion publique.114 Finalement, l'appellation terroriste semble être la

manifestation « de l'état des rapports de force sociaux et politiques ».115 Le pouvoir

de labellisation constitue en cela « le plus grand privilège des pouvoirs », et ce

d'autant plus qu'il « parvient à occulter ses propres mécanismes d'étiquetage ».116 En

réalité, l'importance de l'auteur de l'acte terroriste supplante la nature de l'acte : c'est

la lutte politique qui est labellisée.117 En d'autres termes, l'enjeu des phénomènes

terroriste et anti-terroriste est la légitimation pour l'acteur irrégulier, la

disqualification de son ennemi pour l'instance régulière.118 Une telle disqualification

permet de justifier l'emploi de tous les moyens, aux premiers rangs duquel figure le

114 C. Marchetti, supranote 4, p.4115 Ibid, p.4116 Ibid, p.4. Par exemple, « Bien des recherches partent [...] de ce présupposé selon lequel

l'Irish Republican Army (IRA) est un mouvement terroriste. Plus rares en revanche, sontcelles qui interrogent la raison pour laquelle l'IRA est présentée comme terroriste »

117 Voir C. Marchetti, supranote 4, p.519118 Voir S. Moulain, supranote 41, p.62

30

Page 31: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

recours à la violence, afin de combattre cet ennemi.119 En effet, l’État de droit n'aurait

d'autre solution, pour honorer son contrat, –c'est-à-dire « rétablir le principe de

l'ordre public et [...] protéger ses citoyens en les mettant à l'abri d'une mort

violente »–, que « d'exercer son autorité par l'utilisation de la force ».120

Dès lors, « quel meilleur moyen [...] que d'utiliser le biais du droit pénal, symbole de

la souveraineté étatique, et instrument de la violence légitime dont l’État est l'unique

détenteur ? ».121 Ainsi, face à une violence insurrectionnelle, l’État édicte des lois

d'exceptions voire un état d'urgence offrant aux forces étatiques la possibilité d'user

de la violence et de la coercition d'une manière et dans une mesure « qui serai[ent]

en temps normal considérée comme immorale ».122 La société civile accueille

majoritairement un tel régime dérogatoire au droit commun avec bienveillance, y

voyant l'expression de la légitime défense,123 quand bien même ce régime est porteur

de nombreuses violations des droits humains.124 Pourtant, en répondant de la sorte au

phénomène terroriste, l’État sonne le glas de sa victoire. En effet, « l'entreprise

terroriste tend à vider de sa substance le pacte social sur lequel reposent la

construction de l’État et l'obéissance civile »,125 et c'est précisément cette substance

qui est atteinte par un tel régime dérogatoire. Ainsi, la violation de droits

fondamentaux par l'entité étatique semble témoigner du succès de l'entreprise

terroriste : dans leur réponse au terrorisme, les États procèdent eux-mêmes à

119 Voir C. Marchetti, supranote 4, p.181120 D. Rosenfield, supranote 68, p.39121 J. Alix, supranote 10, p.27122 A. Merari, supranote 36, p.87123 Voir C. Marchetti, supranote 4, pp.532-533124 Voir A. Petropoulou, supranote 22, p.35. Voir également l'actualité relative au projet de loi

relatif au renseignement, n°2669, enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 19mars 2015, et présenté comme une réponse aux attentats terroristes de janvier 2015

125 B. Badie, supranote 66, p.4931

Page 32: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

l'anéantissement du contrat social que le terrorisme visait. C'est précisément un tel

succès de l'action terroriste que le Premier ministre norvégien Jens Stoltenberg refuse

en déclarant, après les attentats tristement connus comme la tuerie d'Utoya du 22

juillet 2011, qu'il faut « répondre à la terreur par plus de démocratie, plus

d’ouverture et de tolérance ». Par ailleurs, en concédant, même partiellement, son

impuissance à contrer le phénomène terroriste, et donc son incapacité à exécuter ses

obligations contractuelles issues du pacte social –à savoir garantir la sécurité des

individus-citoyens, l’État délégitime son action et, partant, le fondement de

l'obéissance civile.126 Bertrand Badie suggère dès lors que « tous ces effets de

délégitimation, voire de destruction de la logique étatique, sont conscients, c'est-à-

dire perçus par les acteurs des mouvements terroristes et utilisés explicitement dans

leur stratégie ».127

Qui plus est, le caractère dérogatoire du régime adopté au titre d'une légitime défense

offerte à la population civile dénote avec l'appellation de guerre. Dans un premier

temps rejetée,128 elle est aujourd'hui communément utilisée pour désigner le conflit

qui opposent les États aux violences terroristes. La qualification du conflit comme

guerre semble répondre à une raison politique : une rhétorique valorisante pour

l'équipe politique en place qui souligne notamment la dimension planétaire du

conflit.129 Pourtant, ce « vocabulaire de guerre […] grandi[t] inutilement l'ennemi et

valoris[e] de façon démesurée, et presque ridicule, sa créativité idéologique et ses

126 Ibid, pp.49-50127 Ibid, p.50128 Voir B. Stora, La gangrène et l'oubli – La mémoire de la guerre d'Algérie, Paris, La

Découverte, 1998, p.15, citant F. Mitterrand, alors ministre de l'Intérieur : « Nous éviteronstout ce qui pourrait apparaître comme une sorte d'état de guerre » (1954)

129 G. Andréani, supranote 86, p.20132

Page 33: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

capacités stratégiques ».130 Un tel vocabulaire n'apparaît pas non plus davantage

propre à sauvegarder les droits humains. Ainsi, ceux qui emploient cette terminologie

revendiquent « toutes les facilités de la guerre dans le traitement de leurs

adversaires, tout en leur en refusant le bénéfice. Ils se veulent en guerre, tout en

déniant à leurs ennemis le droit de l'être eux-mêmes avec eux ».131 Notamment, il

semble difficile de ne pas évoquer ici le sort réservé par les autorités américaines à

ceux qu'ils qualifient de terroristes, alors même que subsiste souvent une incertitude

que la présomption d'innocence devrait couvrir. De nombreux suspects nationaux et

étrangers ont ainsi été détenus sans jugement et sans limite de temps jusqu'à la paix –

à ceci près que la lutte antiterroriste n'entrevoit pas une telle limite.132 En effet, si la

paix définit l'horizon de libération « les prisonniers [seront] condamnés à la prison à

vie, quelle que soit la gravité de leur délit », en violation directe du principe de

proportionnalité des peines.133

* * *

Ainsi le critère d'irrégularité est-il central dans la définition de la figure du terroriste :

opposée à l'entité étatique, régulière, cette figure du terroriste se voit logiquement

130 Ibid, p.202131 Ibid, p.204132 Ibid, pp.203-204. A noter cependant que la Cour suprême des États-Unis a censuré la

politique américaine en reconnaissant en 2004 le bénéfice de l'habeas corpus aux personnesdétenues à Guantanamo, et en 2006 la protection des Conventions de Genève aux présumésterroristes (p.205)

133 M. J. Glennon, « Un combat sui generis » (trad. par Nathalie Savary), in Justifier la guerre ?De l'humanitaire au contre-terrorisme, G. Andréani et P. Hassner (dir.), 2e édition, SciencesPo les Presses, 2013, pp.239-252, p.242, précisant : si l'acte de terrorisme était considérécomme un crime de droit commun, l'auteur « devrait être libéré à la fin de sa peine. Selon lesprincipes de base de la justice criminelle, personne ne doit être incarcéré simplement parcequ'il est « mauvais », mais uniquement pour un délit caractérisé et pour une duréedéterminée à l'avance »

33

Page 34: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

écartée de l'usage d'une violence légitime dont l’État a le monopole du fait du pacte

social, alors même que c'est précisément cette répartition binaire du légitime et de

l'illégitime usage de la violence qu'elle remet en cause. Plus encore, une telle

répartition binaire apparaît intimement liée à l'évolution des intérêts géopolitiques des

instances étatiques.

34

Page 35: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

DEUXIEME PARTIE : L'IRREGULARITE, UN CRITERE

INTIMEMENT LIE A L'EVOLUTION DES INTERETS

GEOPOLITIQUES DES INSTANCES REGULIERES

« Pour se libérer de l'état de nature, les hommes

devaient choisir l’État. Ici ils ont les deux à la fois :

la terreur et la règle »134

Le critère d'irrégularité est intimement lié à l'évolution des intérêts géopolitiques des

instances régulières. En effet, ce critère a ceci de particulier qu'il participe d'une

singularisation temporelle de la figure du terrorisme. Cette temporalité apparaît

étroitement liée aux intérêts géopolitiques des entités étatiques. Cela laisse suggérer

que le phénomène terroriste constituerait en réalité la nouvelle forme de guerre menée

de manière officieuse entre celles-ci.

* * *

Le critère d'irrégularité, central dans l'attribution de la qualification de terroriste,

laisse place à la possibilité d'une évolution dans une telle attribution. Dès lors, la

figure du terroriste, loin d'être immuable, suit les variations que connaît le critère de

régularité.

134 Y. Michaud, supranote 69, p.5335

Page 36: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

L'évolution du caractère régulier ou irrégulier d'un mouvement exerçant un

phénomène de violence a un impact extrêmement important sur la qualification de

terrorisme. Une telle temporalité de la qualification, qui rend poreuse la limite de la

définition du phénomène terroriste, pose la question de la clarté –voire de la

pertinence– de la distinction entre acte terroriste d'une part, et acte de violence

considéré légitime d'autre part. En effet, la seconde formulation semble incarner une

« institutionnalisation » a posteriori d'actes qualifiés dans un premier temps de

terroristes. Cette « institutionnalisation » par des instances régulières accompagne la

« régularisation » de groupements à l'origine irréguliers. Selon la formule consacrée,

« les terroristes d'hier deviennent parfois les résistants de demain, pour peu que la

suite des événements leur donne raison, ce qui arrive parfois ».135 C'est ainsi, par

exemple, que Yasser Arafat, dirigeant du Fatah puis président de l'Organisation de

libération de la Palestine, a été qualifié de terroriste avant d'être considéré comme

partenaire légitime et officiel de négociations dans le processus de paix israélo-

palestinien, de devenir président de la nouvelle Autorité palestinienne, et enfin de se

voir décerner le prix Nobel de la Paix en 1994. Il suffit d'évoquer également le cas de

Nelson Mandela pour souligner l'absence du caractère exceptionnel d'une telle

évolution dans le statut.136 Ainsi Isabelle Sommier parle-t-elle de « guerre

psychologique » :137 « loin d'être un concept, le terrorisme est une

« construction » ».138 Le statut de Georges Ibrahim Abdallah autour duquel a eu lieu

135 S. Moulain, supranote 41, p.58136 J-F. Gayraud et D. Sénat, supranote 5, p.33 « La remarque vaut pour la plupart des Premiers

ministres israéliens du fait de leur participation aux combats fondateurs de l’État d'Israël :Ben Gourion (Haganah), Yitzhak Shamir (Lehi ou groupe Stern), Menahem Begin (Irgoun),Ehud Barak, Ariel Sharon (Forces spéciales), etc »

137 I. Sommier, supranote 14, p.90138 S. Moulain, supranote 41, p.58

36

Page 37: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

le 1er mai 2015 un énième rassemblement de soutien illustre, de manière plus

contemporaine encore, la difficulté de qualifier une figure irrégulière de terroriste.

Militant communiste libanais condamné en France à la réclusion à perpétuité pour des

actes terroristes en tant que chef de la Fraction armée révolutionnaire libanaise,

Georges Ibrahim Abdallah a acquis le triste statut de plus ancien prisonnier politique

d'Europe. La condamnation de Johan Teterisa, leader du mouvement indépendantiste

local République des Moluques du Sud, à une peine de prison à vie en 2008 pour

avoir agité un drapeau du mouvement séparatiste lors de la visite du président de la

République unitaire d’Indonésie – fait qualifié de haute trahison– mérite également

d'être ici mentionnée. Au vu des développements précédents, ces deux derniers

exemples mettent en exergue la fragilité de la qualification de terroriste et une future

légitimation politique ne peut être exclue –si tant est qu'elle ne soit pas déjà

souhaitable.

Sur la scène internationale, la délimitation entre acte terroriste d'une part, et acte de

violence considéré légitime d'autre part, est tout particulièrement floue lorsque sont

considérés les mouvements de lutte pour le droit à l'autodétermination. En effet,

l'objectif de la lutte n'atténue nullement –s'il n'y participe pas pleinement– le fait qu'il

s'agisse d'« autant d'actes de violence commis à des fins de désorganisation

institutionnelle ou sociale ».139 L'exemple topique est celui des peuples qui se sont

soulevés face à la puissance coloniale, comme le fit le peuple algérien. Qualifiés de

terroristes alors qu'ils étaient encore sous la coupe du colonisateur, les mêmes

groupements devenaient des « combattants de la liberté » une fois l'indépendance

139 J. Alix, supranote 10, p.3637

Page 38: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

acquise. Le terroriste serait donc l'éventuelle future figure du régulier. En ce sens, la

règle qui a prévalu dans le cadre des luttes de libération nationale est « la

réintégration de l'ennemi dans le domaine de la loi. [...] Le terroriste d'hier est alors

devenu le partenaire d'aujourd'hui ».140 Cette « terminologie « politiquement

correcte » » de combattant de la liberté offre à ceux qu'elle désigne « la marque de la

légitimité politique [...] accordée par la communauté internationale ».141 C'est ainsi

que devant l'assemblée générale des Nations Unies en 1974, Yasser Arafat identifie

« « la différence entre le révolutionnaire et le terroriste [...] dans les motifs pour

lesquels chacun se bat. Car il est impossible d'appeler terroriste celui qui soutient

une cause juste, qui se bat pour la liberté, pour la libération de sa terre des

envahisseurs, des colons et des colonialistes » ».142 La porosité d'une telle distinction

a contribué à l'avortement des tentatives d'élaboration d'un outil international de lutte

contre le terrorisme, en dépit de l'ajout de clauses excluant de la qualification de

terroriste les actes voués à défendre l'autodétermination des peuples.143

Tout aussi topique est l'illustration française des actes de résistance lors de la Seconde

Guerre mondiale. Les mouvements de résistance face à l'occupation allemande en

France sont fréquemment présentés comme des exceptions axiomatiques aux

140 H. Laurens, « Conclusions – Du terrorisme à une histoire de la peur », in Terrorismes,Histoire et droit, H. Laurens et M. Delmas-Marty (dir.), Bibli, 2010, pp.329-333, p.333

141 B. Hoffman, supranote 24, p.31142 Y. Arafat, Discours prononcé devant l'assemblée générale des Nations Unies le 13 novembre

1974143 Voir notamment la résolution 3166 (XXVIII) du 14 décembre 1973 par laquelle l'assemblée

générale des Nations Unies adopte la Convention sur la prévention et la répression desinfractions contre les personnes jouissant d'une protection internationale, §4 : « lesdispositions de la Convention […] ne pourront en aucun cas porter préjudice à l'exercice dudroit légitime à l'autodétermination et à l'indépendance, conformément aux buts et principesde la Charte des Nations Unies et de la Déclaration relative aux principes du droitinternational touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément àla Charte des Nations Unies, par les peuples luttant contre le colonialisme, la dominationétrangère, l'occupation étrangère, la discrimination raciale et l'apartheid »

38

Page 39: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

qualifications de terroristes. Pourtant, comme le souligne Ariel Merari, une telle

réserve n'est pas si manifeste pour un observateur aguerri : si les actes de résistance

n'étaient perpétrés que contre « l'appareil militaire et officiel de l'ennemi », c'est en

raison de l'absence de « civils de même nationalité que l'ennemi sur le théâtre des

opérations ».144 En outre, ces mouvements se soulevaient contre des civils partageant

leur nationalité, « collaborateurs réels ou supposés », et la communauté résistante,

qui opérait sans signe distinctif et en qualité de non-combattant, s'est vue affublée de

la qualification de terroriste par les autorités officielles, qu'elles relèvent de la

puissance ennemie occupante ou du régime collaborationniste de Vichy. La

perméabilité des notions entre terrorisme et résistance s'observe notamment au travers

des débats ayant eu lieu à l'occasion de la loi n°86-1020 du 9 septembre 1986 relative

à la lutte contre le terrorisme.145 De manière plus contemporaine, la prégnance d'une

telle porosité favorise l'inquiétude face à l'adoption le 5 mai 2015 par l'Assemblée

Nationale en première lecture du projet de loi sur le renseignement. En effet, le projet

d'article L.811-3 du code de la sécurité intérieure ainsi formulé « Les services

spécialisés de renseignement peuvent, dans l'exercice de leurs missions, être

autorisés à recourir aux techniques prévues au titre V du présent livre pour le recueil

des renseignements relatifs aux intérêts publics suivants : […] 4° La prévention du

terrorisme […] 6° La prévention des violences collectives de nature à porter

gravement atteinte à la paix publique »146 n'est pas sans rappeler les débats relatifs à

la loi précitée de 1986, lesquels avaient déjà mis en évidence la possible et risquée

144 A. Merari, supranote 36, p.105145 Journal officiel de la République française, 26 juin 1986, « Débats parlementaires –

Assemblée nationale », intervention de J.-F. Deniau lors de la première séance du 25 juin1986, p.2466

146 http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/projets/pl2669.pdf, p.16 [consulté le 8 mai 2015]39

Page 40: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

confusion entre terrorisme d'une part, et mouvement syndical ou social d'autre part.147

* * *

Le caractère évolutif de l'appellation de terroriste en fonction du critère d'irrégularité,

lequel participe de la porosité entre les notions d'acte terroriste d'une part, et acte de

violence considéré légitime d'autre part, apparaît intimement lié aux intérêts

géopolitiques des instances régulières. Irrégularité et régularité semblent dès lors

intrinsèquement dépendantes.

« Pour le partisan combattant les armes à la main, la coordination avec une

organisation régulière demeure indispensable ».148 Ainsi Carl Schmitt affirmait-il

sans hésitation aucune la constance du soutien d'instances régulières aux groupes

terroristes. Il semble alors que le terrorisme, qualification classiquement attribuée à

celui ou ceux qui n'ont pas le statut d'instance régulière qui offre le monopole de la

violence légitime, ne puisse pas exister sans « terrorisme d’État ». L'expression

« terrorisme d’État » s'entend ici, non pas d'actes qui seraient directement effectués

par des autorités étatiques, mais au sens de collaboration –plus ou moins directe– des

États à la survivance d'organisations terroristes. Nombreux sont les exemples

historiques qui témoignent d'un soutien accordé par des puissances étatiques à l'action

terroriste.149 Walter Laqueur fixe aux années 1920 le début de « l'implication massive

147 Journal officiel de la République française, 25 juin 1986, « Débats parlementaires –Assemblée nationale », intervention de G. Ducoloné lors de la deuxième séance du 24 juin1986, pp.2429-2430

148 C. Schmitt, supranote 64, p.220149 J. Krieber, supranote 37, p.29

40

Page 41: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

et systématique des gouvernements dans les mouvements terroristes à l'étranger »,150

et au début des années 1970 le « zénith » du « terrorisme multinational » qui

« entraîn[e] une étroite coopération entre des groupuscules terroristes un peu

partout dans le monde ».151 Le soutien d'instances étatiques, qui se retrouve dans les

deux illustrations précédemment proposées aux niveaux national –la résistance– et

international –la lutte pour l'autodétermination–, peut être idéologique, financier,

militaire, opérationnel, voire consister en une initiative des attaques terroristes. Une

telle initiative est parfois qualifiée de « sponsoring », comme l'illustre notamment la

« liste [américaine] des États à l'initiative desquels sont perpétrés [des] actes

terroristes ».152 Du simple soutien diplomatique à la « collaboration active »,153 en

passant par l'assistance en qualité de terre de refuge ou d'asile, ou encore le refus

d'accorder l'extradition,154 le panel des différentes formes de soutien offre ainsi des

couleurs extrêmement variées. Entre simple encouragement politique et fourniture de

moyens matériels, un tel panel propose une gradation dont il est difficile de distinguer

les éléments : complaisance, aide, soutien, initiative… autant de propositions qui

soulignent de nouveau la difficulté à définir le phénomène terroriste.

Le concours d'autorités étatiques est tout particulièrement saisissant dans la

participation financière à la perpétration d'actes terroristes. Alors que le 19e siècle

150 W. Laqueur, supranote 35, p.125151 Ibid, p.127152 L. Richardson, « Terrorist as transnational Actors », Terrorism and political violence,

Londres, Frank Cass & Co. Ltd., vol. 11, n°4, hiver 1999, pp.210-214 (extraits), in X.Crettiez, « Le terrorisme, Violence et politique », Problèmes politiques et sociaux, Paris, LaDocumentation française, n°859, 29 juin 2001, pp.44-47, p.44

153 W. Laqueur, supranote 35, p.124154 Ibid, p.125, illustrant : « L'un des conspirateurs de Sarajevo, Mehmedbasic, passa au

Monténégro; lorsque l'Autriche demanda son extradition, le gouvernement fit ouvertemententreprendre une minutieuse enquête, mais en sous-main lui permit de fuir »

41

Page 42: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

témoignait davantage de groupes terroristes aux financements modestes, les groupes

contemporains bénéficient largement d'apports financiers conséquents par les

instances régulières. Ce phénomène de financement se répandit après la Première

Guerre mondiale avant de se généraliser après la Seconde Guerre mondiale. C'est

ainsi que l'Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) participa

allègrement au financement de divers groupements terroristes, « soit directement, soit

par l'entremise de ses satellites de l'Europe de l'Est », en leur fournissant par ailleurs

« des armes [et] une assistance technique ». De même, « la Libye, l'Algérie et

d'autres pays arabes ont, dans l'ensemble, distribué de l'argent à pleines mains –

parfois, comme en Ulster, en soutenant dans un conflit les deux partis. L'IRA n'a

jamais cessé de recevoir de l'argent des États-Unis et les groupes terroristes

palestiniens touchent des centaines de millions de dollars des pays producteurs de

pétrole ».155 Des sources israéliennes estiment entre 150 et 200 millions de dollars les

revenus du Fatah en 1975 provenant de dons de pays arabes producteurs de pétrole.156

Cela pose la question de la responsabilité des instances étatiques dans la perpétration

des actes terroristes : tracer l'origine du financement révèlerait les ramifications

internationales de responsabilité de tels actes. C'est pourquoi les origines des

financements sont souvent dissimulées afin « de permettre de repousser avec

indignation les accusations de complicité » ou présentées comme le fruit d'un « acte

humanitaire motivé par le désir de sauver des vies humaines ».157 La responsabilité

est encore indirecte mais entière lorsque des instances régulières collaborent à

155 Ibid, p.98. Il est également possible de citer, au rang des financeurs de groupementsterroristes, l'Inde, l'Iran, le Pakistan, la Syrie et la Turquie

156 Ibid, p.100, précisant que : « les chiffres donnés par la presse du « Front du Refus » et lesporte-parole[s] syriens (240 millions de dollars) sont plus élevés. Si on inclut les dépensespour la propagande politique et les dons en nature plutôt qu'en espèces (armes, équipement,camp d'entraînement, etc.) les chiffres supérieurs peuvent bien être proches de la vérité »

157 Ibid, p.12742

Page 43: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

l'expansion du phénomène terroriste par compromission. C'est le cas notamment du

paiement de rançons ou d'échanges de libérations, qui sont autant de « concessions

condui[sant] à de nouvelles actions et à de nouvelles victimes de la terreur ».158

Ainsi le soutien étatique apparaît indispensable au développement de mouvements

terroristes. Ce soutien participe pleinement du changement de dénomination du

mouvement, en ce qu'il favorise son passage de groupement irrégulier à structure

régulière. Un tel passage d'une qualification de « terroriste » à celle de « combattant

de la liberté » est dès lors intimement corrélé aux intérêts géopolitiques des États : il

accompagne l'évolution d'une structure irrégulière vers la régularité, et donc l'exercice

légal et légitime de la violence. Cette évolution est directement dépendante du soutien

d'instances étatiques, lui-même intimement lié à la découverte d'intérêts géopolitiques

communs par ces dernières. Inversement, la qualification de « terroriste » par les

États correspond à l'absence d'intérêt géopolitique ou succède à la perte de tels

intérêts pour ceux-ci à soutenir des groupements, ou à la perte de mainmise sur ces

derniers. Dès lors, l'absence d'intérêt géopolitique de puissances étatiques condamne

certains mouvements à la pauvreté, comme c'est le cas du mouvement Sud-

Moluquois : « parce que leurs aspirations ne coïncident pas avec les intérêts d'une

grande puissance […], [i]ls sont le prolétariat du monde terroriste ».159 Partant, la

gradation du soutien par des instances étatiques au phénomène terroriste a mené à une

« différenciation de classes » au sein des groupes terroristes, entre « aristocratie

terroriste avec de riches et puissants protecteurs, et […] prolétariat terroriste ».160 La

158 Ibid, pp.240-241159 Ibid, p.239160 Ibid, p.98

43

Page 44: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

variation temporelle dans la manière de désigner la violence est particulièrement

prégnante dans le cas d'Oussama Ben Laden : de « combattant de la liberté » dans le

cadre de la guerre contre les Soviétiques en Afghanistan, et bénéficiant alors d'un

soutien, notamment financier, par les services secrets américains, il est devenu

l'emblème du phénomène terroriste international. C'est ainsi une figure terroriste dont

la formation et l'efficacité ont directement été servies par la puissance américaine,

veillant alors à ses intérêts à court terme. Enfin, l'importance de l'influence des

instances étatiques sur le jeu de légitimation de la violence est fonction de l'ampleur

du contrôle que celles-ci opèrent sur les groupes qualifiés de terroristes. Se dessinent

ainsi différents niveaux d'influence décrits par Louise Richardson, dont le cinquième

et dernier niveau est « celui où un État-sponsor décide que les actions d'un

mouvement terroriste vont servir ses propres intérêts », et la tentative par ces groupes

de bénéficier cumulativement de plusieurs États « sponsors » afin de conserver leur

indépendance.161

* * *

Ce lien étroit qu'entretiennent instances régulières d'une part, et soutien et

légitimation de groupements terroristes d'autre part, a valu au phénomène terroriste la

qualification de « guerre par agents interposés ».162 L'hypothèse est celle du

terrorisme comme nouvelle forme de guerre, à savoir une guerre officieuse entre

instances régulières.

161 L. Richardson, supranote 152, pp.46-47162 C. Artero, Le terrorisme contre les droits de l'homme, Mémoire soutenu à l'Université

Panthéon-Assas Paris II sous la direction de F. Haut pour le DEA de droit pénal et sciencespénales, 2001/2002, p.17

44

Page 45: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

La guerre au sens traditionnel du terme, i.e. la guerre conventionnelle, n'est plus

considérée admissible par la communauté internationale. La Seconde Guerre

mondiale et, dans une moindre mesure, l'émergence de l'Union européenne, ont

favorisé cette intolérance à la guerre conventionnelle. Dès lors, les instances étatiques

n'assument plus d'y participer, ce qui a mené entre autres à l'utilisation grandissante

de la menace nucléaire. En ce sens, Henry Laurens parle de « malaise dans la

guerre ».163 Parmi les buts des Nations Unies, exposés dans la Charte des Nations

Unies signée le 26 juin 1945 et entrée en vigueur le 24 octobre 1945,164 se trouve au

premier rang celui de « maintenir la paix et la sécurité internationales et à cette fin :

prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d'écarter les menaces

à la paix et de réprimer tout acte d'agression ou autre rupture de la paix, et réaliser,

par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit

international, l'ajustement ou le règlement de différends ou de situations, de

caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix » (article 1,

alinéa 1). La Charte continue en indiquant que « les Membres de l'Organisation

règlent leurs différends internationaux par des moyens pacifiques, de telle manière

que la paix et la sécurité internationales ainsi que la justice ne soient pas mises en

danger » (article 2, alinéa 3). Ainsi, le recours à la force au niveau international est

fondamentalement prohibé : les instances étatiques se doivent de recourir à des

processus diplomatiques et de garantir la paix.

Si des États soutiennent les groupes terroristes dont les causes rejoignent leurs

163 H. Laurens, supranote 140, p.332164 http://www.un.org/fr/documents/charter/pdf/charter.pdf [consulté le 9 mai 2015]

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Page 46: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

intérêts géopolitiques, tant matériellement qu'en leur reconnaissant –quoique plus

rarement– le statut de groupe politique, c'est souvent dans le but « d'éviter des

guerres conventionnelles déclarées, soit par crainte des nouvelles technologies, et

par conséquent de l'ampleur que pourrait avoir une telle guerre, soit par manque de

moyens ».165 En effet, la menace de l'emploi de l'arme nucléaire a mené à une impasse

dans la confrontation entre puissances étatiques. Le manque de moyens est également

un argument pertinent dès lors que, aujourd'hui, aucun État ne semble pouvoir

« prétendre rivaliser de manière conventionnelle avec la puissance militaire d'un

pays comme les États-Unis ».166 Utiliser le terrorisme comme instrument de politique

étrangère est au contraire grandement avantageux :« les coûts sont faibles, et si le

groupe atteint son objectif, les profits sont gigantesques. Si à l'inverse ils échouent,

l’État peut facilement, et en toute vraisemblance, les désavouer ».167 Les

superpuissances qui s'affrontaient dans le cadre de la guerre froide auraient ainsi

« cherché à utiliser des moyens détournés », au rang desquels les « guerres par

procuration » ou le « « sponsoring » terroriste ».168 L'expression de « guerre contre le

terrorisme » communément adoptée depuis les événements du 11 septembre 2011,

renforce l'idée de politiques terroristes et anti-terroristes se présentant comme les

165 C. Artero, supranote 162, p.16. Voir C. Schmitt, supranote 63, pp.282-283 : « le progrèsininterrompu des moyens techniques du combat fait que le partisan ne saurait se passer del'aide constante d'un allié dont la capacité technique et industrielle l'approvisionne etl'équipe en armes et en machines des plus modernes »

166 S. Moulain, supranote 41, p.60167 L. Richardson, supranote 152, p.45168 Ibid, p.45, illustrant : « Le gouvernement américain avait de bonnes raisons de vouloir

destabiliser les régimes de Santiago, de Managua et de la Havane, et il disposait de lacapacité militaire pour y parvenir. En agissant ouvertement, il aurait sans doute provoquéune tempête de protestations, à la fois nationale et internationale. Il a donc choisi de venir enaide aux groupes locaux animés des mêmes intentions que lui. Les gouvernements du bloc del'Est ont avancé le même raisonnement, ce qui explique sans doute le dialogue de sourds quis'est instauré à cette époque entre la droite, qui voyait une conspiration terroriste communistedirigée par les Soviétiques, et la gauche, qui voyait quant à elle une conspiration terroristeanti-socialiste dirigée par les Américains »

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Page 47: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

deux adversaires d'une nouvelle forme de guerre qui viendrait remplacer la guerre

conventionnelle traditionnelle. Plus encore, la guerre contre le terrorisme apparaîtrait

comme un prétexte à certaines puissances étatiques afin de mener des guerres

autrefois qualifiées de conventionnelles sans avoir à affronter l'opprobre de la

communauté internationale. La guerre en Irak menée par les forces américaines a

ainsi pu être fortement critiquée par certains, qualifiée de prétexte permettant aux

américains de satisfaire leurs intérêts politiques et économiques. De manière plus

contemporaine, l'hypothèse mérite d'être transposée aux événements qui ont été

qualifiés d'invasion, annexion ou coup d’État, par la puissance russe en mars 2014,

alors que cette dernière désignait comme terroristes ceux qui refusaient le

rattachement à la Russie et qui étaient, pour d'autres, des résistants criméens.169

Walter Laqueur parle ainsi du « nouveau terrorisme multinational » comme d'« une

guerre subrogatoire entre gouvernements », « un labyrinthe presque impénétrable de

liaisons, d'intrigues, d'intérêts communs et conflictuels, de collaboration publique et

clandestine avec des gouvernements étrangers qui préféraient rester dans

l'ombre ».170 Carl Schmitt évoque quant à lui la vision du groupe irrégulier comme

« simple matériel sacrifié des batailles, [...] dépossédé de tout ce pour quoi il a

engagé le combat, de ce en quoi s'enracinait son caractère tellurique, légitimité de

son irrégularité de partisan ».171 En d'autres termes, cette guerre par agents

interposés que semble être le terrorisme et l'anti-terrorisme participerait pleinement

d'une nouvelle manière pour les États de mener leur politique étrangère. Une telle

169 La Crimée avait acquis, en 1991 après la chute de l'URSS, le statut de République autonomeau sein de l'Ukraine indépendante

170 W. Laqueur, supranote 35, p.127171 C. Schmitt, supranote 64, p.282

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Page 48: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

politique est pourtant menée en dépit des obligations étatiques découlant de la

Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations

amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations

Unies, à savoir notamment « de s'abstenir d'organiser, d'aider, de fomenter, de

financer, d'encourager ou de tolérer des activités armées subversives ou terroristes

destinées à changer, par la violence, le régime d'un autre État ainsi que d'intervenir

dans les luttes intestines d'un autre État ».172 La confusion entre instances régulières

et groupes irréguliers serait dès lors complète. Si certains groupes irréguliers tentent

de conserver leur indépendance, notamment en acceptant ou sollicitant le soutien de

diverses instances étatiques,173 d'autres « serv[ent] presque exclusivement des intérêts

extérieurs ».174 L'idée d'une manipulation, consciente ou non, des groupes terroristes

par les puissances étatiques a ainsi pu être suggérée,175 tout particulièrement lors de la

guerre froide où s'était répandue la vision des « attentats terroristes isolés, accomplis

par des groupes différents disséminés à la surface du globe » comme les « éléments

d'un gigantesque complot clandestin, dirigé par le Kremlin et élaboré par les pays

membres du Pacte de Varsovie, visant la destruction du monde libre ».176

* * *

172 https://textesdipannotes.files.wordpress.com/2013/02/a_res_2625_xvx-1.pdf [consulté le 9mai 2015] : Annexe, p.9. Voir également p.6 : « Chaque État a le devoir de s'abstenird'organiser ou d'encourager l'organisation de forces irrégulières ou de bandes armées,notamment de bandes de mercenaires, en vue d'incursions sur le territoire d'un autre État »ainsi que « d'organiser et d'encourager des actes de guerre civile ou des actes de terrorismesur le territoire d'un autre État, d'y aider ou d'y participer, ou de tolérer sur son territoire desactivités organisées en vue de perpétrer de tels actes, lorsque les actes mentionnés dans leprésent paragraphe impliquent une menace ou l'emploi de la force »

173 Voir C. Schmitt, supranote 64, p.283 : « Quand plusieurs tiers intéressés sont en concurrence,le partisan dispose d'une marge de manœuvre pour sa politique à lui »

174 W. Laqueur, supranote 35, p.127175 Ibid, p.238176 C. Starling, The Terror Network : The Secret War of International Terrorism, New York, Holt,

Rinehart et Winston, 198148

Page 49: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

Central dans la définition de la figure du terroriste, le critère d'irrégularité est ainsi

intimement lié à l'évolution des intérêts géopolitiques des entités étatiques et participe

de la porosité d'une apparente bicatégorisation, suggérant dès lors une conception du

phénomène terroriste comme nouvelle forme de guerre dans le cadre de laquelle

s'affronteraient les puissances régulières par agents interposés. Un tel constat appelle

la mise en exergue du caractère subjectif inhérent à ce critère dont la neutralité est

pourtant largement revendiquée.

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Page 50: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

TROISIEME PARTIE : L'IRREGULARITE, UN CRITERE

QUI OCCULTE L'EXPRESSION D'UN JUGEMENT DE VALEUR

« On prétend que le mot terrorisme est « un terme

politiquement chargé » qui devrait être abandonné

[...]. C'est tout à fait exact »177

La centralité qu'occupe le critère d'irrégularité dans la qualification d'une entité de

terroriste occulte enfin l'expression d'un jugement de valeur. En effet, l'instance

régulière, étatique, est celle-là même qui est maître d'une telle qualification. C'est

précisément la légitimité de cette instance à décider de cette qualification par

l'exercice de son monopole de la violence légitime que le groupe irrégulier remet en

cause, rendant le processus de qualification dès lors pleinement subjectif. Le risque

de généralisation de la violence à des fins politiques pose cependant de nouvelles

questions tant en termes d'acceptation d'un statu quo que de la pertinence d'une prise

en compte juridique, puisque c'est la légitimité même de la violence exercée par l’État

qui semble pouvoir être interrogée.

* * *

Est qualifié de terroriste le groupe qui se définit par sa lutte contre l'instance étatique.

177 W. Laqueur, supranote 35, p.23550

Page 51: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

Celle-ci, qui revêt le critère fondamental de régularité, se targue d'une entière

légitimité à user de son monopole de violence contre ce groupe. Selon elle en effet,

celui qui conteste violemment la structure étatique est automatiquement terroriste du

fait même de son irrégularité. Cette objectivité revendiquée imprègne les codes

pénaux, et la qualification de « terroriste » est dès lors extraite de la sphère politique

pour venir envahir le domaine juridique. Si l’État se présente comme œuvrant à une

répartition des rôles pleinement objective en application du contrat social et de la

légitimité politique qui en découle, le groupe irrégulier remet précisément en question

une telle légitimité. C'est ainsi la qualification de terroriste, présentée comme en

découlant naturellement, qu'il convient ici de questionner.

Au vu de l'ensemble des développements précédents, la répartition des rôles ainsi

effectuée apparaît comme le résultat de l'exercice d'une subjectivité. Les évolutions

historiques dans l'assignation du critère de régularité à celui qui a pu antérieurement

être qualifié de terroriste doivent ici être tout particulièrement soulignées. C'est ainsi

que « la signification et l'usage du mot ont changé selon les périodes, pour faire

correspondre le discours politique et le vocabulaire de chaque époque ».178 Une telle

subjectivité semble inhérente au concept même de terrorisme –si tant est que le terme

de concept soit jugé satisfaisant à caractériser le terrorisme– puisque la qualification

de terroriste, « éminemment polémique et passionnelle »,179 porte en elle une charge

émotionnelle négative.180 Toute définition du terrorisme est en effet politisée181 et

répond aux intérêts politiques de celui qui impose sa labellisation.182 Plus encore, elle

178 B. Hoffman, supranote 24, p.35179 I. Sommier, supranote 14, p.71180 Voir A. Merari, supranote 36, p.73181 Voir V. Martin Vanasse et M-O. Benoît, supranote 27, p.31182 Voir F. Légaré, Terrorisme : peurs et réalités, coll. « Sécurité », Outremont : Athéna éditions,

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Page 52: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

est, de fait, « occidentalo-centrée ».183 L'emploi du mot, qui se veut scientifique alors

même que « la perception du terrorisme est directement influencée par le contexte

politique dans lequel il s'insère »,184 n'est en réalité que le produit d'un parti pris.

Ainsi, est terroriste ce que la puissance étatique, forte de son monopole de la violence

légitime, définit comme tel, définition à laquelle elle parvient à conférer une

apparence objective. En ce sens, il est communément question d'« attaques »

palestiniennes et de « représailles » israéliennes, sans que l'emploi de ces termes ne

soit véritablement questionné. Le caractère offensif du premier terme accolé au

peuple qui se revendique opprimé contraste pourtant grandement avec le caractère

défensif du second, associé au peuple représenté par la puissance étatique. À la fois

juge et partie, les instances étatiques et les analyses dominantes qu'elles font

prospérer « ont pour priorité non pas de rendre compte de la réalité sociale, mais de

prendre position dans le conflit en faveur des intérêts gouvernementaux ».185 C'est en

ce sens que Michel Wieviorka a pu affirmer qu'« on est terroriste [...] presque

toujours sous le regard de l'autre »,186 conduisant Clotilde Marchetti à suggérer que

« dénoncer des attentats comme étant de nature terroriste témoigne avant tout d'un

processus de construction sociale des représentations ».187 Enfin, la partialité

inhérente à la qualification de terrorisme est soulignée par le refus d'une telle

qualification par le groupe irrégulier. Ainsi, si la dénomination n'a pas toujours été

rejetée par les groupes remettant en cause l’État, elle l'est aujourd'hui largement :

celui qui est qualifié de terroriste se livre à un jeu de miroirs sans fin dans lequel il

2002, p.20. Voir également S. Best et A. J. Nocella, « Defining Terrorism », AnimalLiberation Philosophy and Policy Journal, vol. 2, n°1, 2004, p.4

183 V. Martin Vanasse et M-O. Benoît, supranote 27, p.44184 F. Légaré, supranote 182, p.24185 C. Marchetti, supranote 4, p.532186 M. Wieviorka, Sociétés et terrorisme, Paris, Fayard, 1988, p.15187 C. Marchetti, supranote 4, p.516

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Page 53: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

renverra cette qualification à l'instance étatique contre laquelle il se soulève.188 Une

telle qualification est dès lors pleinement relative, en ce sens qu'elle dépend

directement de celui qui procède à son attribution.

Le groupe irrégulier tangue en réalité entre deux craintes : celle de se voir qualifier de

terroriste –terme porteur d'une connotation émotionnelle fortement négative– et celle

d'être relégué au rang de criminel –et donc de voir sa dimension politique niée. Le

choix est intrinsèquement politique et, dans les deux cas, il s'agit pour la puissance

étatique qui en use de discréditer les actions du groupement ainsi qualifié. L'absence

de définition précise et unanime du terrorisme favorise ce que certains vont jusqu'à

présenter comme une propagande.189 Dans le même temps, cette absence de définition

se nourrit d'une telle subjectivité, puisque le terme est précisément employé au

service d'une délégitimation.190 « Catégorie artificielle, médiatique, [...] arme

polémique », le terrorisme serait ainsi avant tout un instrument étatique aux fins de

disqualification de toute action anti-étatique, certains appelant dès lors de leurs vœux

l'exclusion du terme de tout travail qui se revendiquerait scientifique.191 En effet,

véritable vecteur idéologique, le terrorisme se voit offrir une définition servant

davantage « la dénonciation que la compréhension ».192 Denis Duez dit ainsi de la

notion qu'elle « dénonce, [...] discrédite et [...] accuse, mais en aucun cas [...]

n'explique ».193 C'est ce processus de stigmatisation que l'expression de « guerre

contre le terrorisme » vient menacer, comme cela a été suggéré dans les

188 B. Hoffman, supranote 24, pp.36-38. Voir M. Begin, The Revolt, Londres, 1951, p.9189 Voir notamment A. Merari, supranote 36, p.75190 S. Moulain, supranote 41, p.57191 D. Bigo et D. Hermant, supranote 56, p.19192 X. Crettiez, « Le terrorisme, Violence et politique », Problèmes politiques et sociaux, Paris,

La Documentation française, n°859, 29 juin 2001, p.5193 D. Duez, supranote 32, p.118

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Page 54: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

développements antérieurs : le risque est d'accorder aux dits terroristes une dignité et

une légitimité traditionnellement propre aux soldats au service de la puissance

étatique.194 Combinant les différentes voies de délégitimation à sa portée, la puissance

étatique accompagne généralement la qualification de terrorisme de sa

criminalisation. C'est en ce sens que Jacques Chirac, alors Premier ministre, avait

évoqué « la création dans le Code pénal d'un crime de terrorisme ».195 Loin d'être

érigé en infraction politique, afin d'exclure tout privilège dans le régime applicable,196

le terrorisme se voit au contraire « considéré comme un élément dénotant l'infamie

particulière »197 et attribuer un régime dérogatoire extrêmement sévère et répressif.198

Cette volonté paradoxale « de banalisation par rapport aux infractions politiques et

de spécification par rapport aux infractions de droit commun »199 souligne

l'instrumentalisation politique de la qualification de terrorisme. Le discours politique,

loin de revêtir la neutralité qu'il revendique, est « constitutif » de la réalité en ce sens

qu'il impacte la définition des réalités sociales et politiques dans lesquelles

s'inscrivent les protagonistes du conflit.200 Dès lors, le groupe irrégulier ne tangue

plus entre les deux craintes précédemment évoquées : il y est simultanément exposé.

194 Voir J.-P. Derriennic « Violence instrumentale et violence mimétique : l'estimation des effetspolitiques des actes terroristes », in Enjeux philosophiques de la guerre, de la paix et duterrorisme, Stéphane Courtois (dir.), Les Presses de l'Université Laval, 2003, pp.40-57

195 Journal Officiel de la République Française du 21 mars 1986, Discours de politique généraledu 9 avril 1986, p.4863

196 Voir Convention européenne d'extradition signée le 13 décembre 1957 à Paris, article 3. Voirégalement Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale signée le 20 avril1959 à Strasbourg, article 2a. Voir enfin Conseil d’État, Assemblée, Koné, 3 juillet 1996,n°169219, Rec. Lebon, p.255 : reconnaît à l'interdiction de l'extradition dans un but politiquele statut de principe fondamental reconnu par les lois de la République, ayant dès lors unevaleur constitutionnelle

197 A. Petropoulou, supranote 22, p.34198 Voir M. Moucheron, « Délit politique et terrorisme en Belgique : du noble au vil », Cultures

et Conflits, 2006, pp.77-100199 J. Alix, supranote 10, p.43200 R. Jackson, « Security, Democracy and the Rhetoric of Counter-Terrorism », Democracy and

Security, vol.1, 2005, Philadelphie : Taylor & Francis, Inc., p.14854

Page 55: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

Parvenir à faire reconnaître la labellisation de terroriste à la population civile et à la

communauté internationale, c'est en réalité les « persuader [...] d'adopter son point

de vue moral »,201 afin de répandre l'idée d'une lutte antiterroriste nécessaire et,

partant, légitime.202 La labellisation, résultante d'un jugement moral qu'elle vise à

généraliser, s'avère alors bien plus aisée que d'essayer d'« expliciter son choix sans

recourir [à un tel] jugement ».203 Cette difficulté d'explicitation est dissimulée par un

discours émotionnel –auquel participent pleinement les médias– qui favorise un

« univers bicolore et sans compromis », aux « couleurs contrastées pour dépeindre

les extrêmes ».204 Pourtant, la distinction manichéenne entre bien et mal est loin d'être

absolue : « ces catégories restent ouvertes : chacun peut déterminer, jusqu'à un

certain point, ce qui entre ou non dans telle ou telle nomenclature ».205 La notion de

terrorisme elle-même semble dès lors être un prétexte à une présentation binaire des

relations géopolitiques, en décrivant par exemple « d'un côté le monde civilisé, de

l'autre la barbarie ».206 Cette apparente dichotomie trouve dans les listes américaines

des États et groupes terroristes une illustration saillante : c'est en sa qualité de

puissance mondiale que les États-Unis s'arrogent la liberté d'opérer une répartition

morale et de constituer la liste des entités relevant de l'« axe du mal ». Cette

« réduction sémantique » des États ou groupes terroristes à « une caractéristique

ponctuelle et discutable » vise à « une mise au ban de la communauté

201 B. M. Jenkins, The Study of terrorism : definitional problem, Santa Monica : RandCorporation, décembre 1980, p.10

202 Voir C. Marchetti, supranote 4, p.6203 I. Sommier, supranote 14, p.7204 C. Marchetti, supranote 4, p.174205 Ibid, p.8206 S. Moulain, supranote 41, p.41

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Page 56: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

internationale ».207 Sans être assumé dans sa subjectivité, le jugement moral

imprègne la gestion politique des affaires internationales : qualifier une action de

terroriste, c'est faire entrer dans le domaine du politique le jugement moral assignant

à l'action son illégitimité. Cette « confusion, toujours dangereuse, entre

l'interprétation morale d'une action politique et l'action elle-même » semble

volontairement invisibilisée.208 C'est précisément ce camouflage qu'il convient ici de

mettre en exergue : la neutralité de la définition est fictionnelle.

* * *

L'élaboration d'un tel jugement moral mène à la distinction –tout particulièrement

subjective– entre « combattant de la liberté » et « terroriste ». Pourtant, la finalité

recherchée par l'auteur d'actes violents remettant en cause l'intégrité étatique semble

être la même. La recherche d'un idéal sociopolitique visant à réformer, remplacer ou

détruire un système accusé de violer certains principes s'impose en effet comme

constante dans la définition du terrorisme.

La finalité de l'acte terroriste relève pour son auteur d'un idéal. Face au pouvoir en

place et au système juridique qu'il instaure, la figure du terroriste semble alors

opposer des principes juridiques et moraux supérieurs. Se dessine la distinction entre

positivisme et jus naturalisme. Tandis que le partisan du premier estime qu'il existe

une obligation absolue d'obéissance au droit positif, le jus naturaliste défend

207 J-F. Gayraud et D. Sénat, supranote 5, p.37208 G. Chaliand et A. Blin (dir.), Histoire du terrorisme. De l'Antiquité à Al-Quaida, Paris :

Bayard, 2006, p.1856

Page 57: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

l'existence de principes relevant d'un idéal de justice auxquels le droit doit se

conformer. Ainsi le second admet-il l'émission d'un jugement de valeur sur le droit

positif. La souveraineté reconnue à la loi par la République française qui transformait,

selon Carl Schmitt, « l'irrégularité du partisan en une illégalité mortelle »,209 semble

aujourd'hui offrir plus de place à une position jus naturaliste. La philosophie et la

défense des droits de l'homme conduisent à la mise en lumière de revendications

impliquant un écart toujours moindre entre droit positif et justice. Lorsque de telles

revendications ne peuvent être entendues face à une majorité qui soutient le pouvoir

étatique en place, ceux qui soutiennent une telle philosophie, par exemple au travers

du droit à l'autodétermination ou du droit de résistance à l'oppression, en viennent

parfois à user de la violence. Charlotte Corday, guillotinée en 1793 pour avoir

assassiné le jacobin Jean-Paul Marat, semble ainsi correspondre à une figure moderne

du terrorisme : dès lors que le caractère scientifique serait rendu à la notion de

terrorisme, et tout jugement moral et politique exclu de sa définition, une telle action

serait terroriste au même titre que les actes perpétrés par les groupes djihadistes

contemporains. Au même titre qu'un tyrannicide, l'acte terroriste cherche à permettre

l'épanouissement de revendications pleinement légitimes aux yeux de leurs auteurs.

La figure du terroriste est « intimement convainc[ue] que le légal est illégal et que

l'illégal est légal et justifié ».210 Dans le même sens, le jus naturaliste revendique, au

nom de valeurs et principes supérieurs, une inversion des catégories « légal » et

« illégal » en vertu de ce qui est « légitime » et « illégitime » moralement.

L'opposition entre « combattant de la liberté » et « terroriste » s'inscrit directement

209 C. Schmitt, supranote 64, p.292210 F. Hacker, supranote 88, p.207, citant G. Frank, The Deed, New York, 1963

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Page 58: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

dans la continuité de cette distinction entre jus naturalisme et positivisme qui rend

particulièrement difficile une présentation manichéenne de l'exercice de la violence

politique. Le jugement moral porté sur la finalité de l'action violente colore

indéniablement celui porté sur cette action, faisant du même coup varier son

appellation. Si le but consiste en la défense de celui qui est opprimé par la puissance

étatique, le principe supérieur de justice appellerait donc au soutien de l'auteur de

l'action violente. C'est ainsi que Friedrich Hacker parle de l'action terroriste

individuelle avant tout comme d'« un acte de foi qui exprime l'espoir en une

renaissance de soi-même et en la création de quelque chose de nouveau ».211 C'est en

ce sens également qu'une jeune personne juive appartenant au groupe « Stern » a pu

déclarer, avant d'être condamnée à mort par pendaison : « Notre action découle de

nos motifs, nos motifs sont inspirés par nos idéaux. Si nous arrivons à prouver que

nos idéaux sont justes et équitables, alors ce que nous faisons est également juste et

équitable ».212 Se profile ici la distinction opérée par John Langshaw Austin entre

excuse et justification : ce n'est pas la reconnaissance d'une excuse, mais celle d'une

justification, que la jeune personne en question revendique. Alors que l'excuse joue

individuellement et allège la responsabilité, déportée sur une agentivité extérieure, la

justification est généralisable –i.e. indépendant des qualités individuelles– et constitue

un passage de la désapprobation à l'approbation de l'acte commis, ou du moins à

l'indulgence à l'égard de ce dernier. L'acte excusé conserve son caractère illégal mais

l'agent se trouve désengagé de la trame causale directe, là où l'acte justifié, nullement

211 Ibid, p.214212 Ibid, pp.93-94 : « Les deux jeunes terroristes juifs, âgés de dix-sept et de vingt et un ans,

appartenaient au groupe extrémiste « Stern » […] qui était décidé à mettre fin à la cruellelimitation que la terreur employée par la police britannique imposait à l'immigration juive enPalestine. Les deux jeunes hommes avaient assisté à l'explosion du bateau de réfugiés« Patria » et vu les corps déchiquetés de leurs compatriotes, auxquels les autoritésbritanniques avaient refusé le droit d'asile, que l'on repêchait dans les eaux du port »

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Page 59: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

nié par son auteur, devient légal.213 Dans le même sens, la résistance ainsi opposée à

un régime ignorant les revendications de justice portées par des minorités opprimées

semble pouvoir revêtir la qualification de légitime défense, fait justificatif en droit.

L'article 122-5 du code pénal prévoit en effet l'irresponsabilité pénale de la personne

qui, « devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le

même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d'elle-même

ou d'autrui, sauf s'il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la

gravité de l'atteinte » (alinéa 1) ou qui, « pour interrompre l'exécution d'un crime ou

d'un délit contre un bien, accomplit un acte de défense, autre qu'un homicide

volontaire, lorsque cet acte est strictement nécessaire au but poursuivi dès lors que

les moyens employés sont proportionnés à la gravité de l'infraction » (alinéa 2).

La « juste mesure » qui pourrait être trouvée dans l'exercice de la violence semble

également permettre de pénétrer le jugement moral. C'est ainsi que Max Weber

distingue éthique de conviction et éthique de responsabilité.214 La première se veut

catégorique, indifférente à une éventuelle contextualisation : celui qui adhère à une

éthique de conviction applique les principes, sans que les circonstances ne puissent

être invoquées pour justifier une éventuelle dérogation. La seconde trouve au

contraire dans la contextualisation un potentiel important de justification. Un acte

comme l'acte violent à visée politique peut alors être estimé illégitime du point de vue

de la première tout en étant légitime du point de vue de la seconde.215 Face à ces deux

éthiques considérées par leur concepteur comme deux extrêmes, il conviendrait

213 Voir J. L. Austin, « A plea for excuses », in Proceedings of the Aristotelian Society, NewSeries, Vol. 57 (1956-1957), pp.1-30, http://www.ditext.com/austin/plea.html [consulté le 12mai 2015]

214 M. Weber, supranote 70215 Voir G. Haarscher, supranote 67, p.74

59

Page 60: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

d'opérer une combinaison mesurée, afin de ne pas cautionner un ordre injuste par son

inactivité, sans abandonner pour autant ses valeurs supérieures qui fondent l'acte

violent.216 C'est précisément la position que semble adopter le Juste camusien :

« même dans la destruction, il y a un ordre, il y a des limites ».217 En effet, ce dernier

accepte la violence comme instrument de l'action politique en dernier recours, et avec

la volonté de réduire l'emploi de cet instrument à ce qu'il estime être la juste

proportion aux fins de parvenir à la réalisation de son action politique.218 En ce sens,

celui qui accepterait d'assassiner le détenteur du pouvoir étatique mais refuserait

l'assassinat d'enfants, figure ultime de l'innocence, aurait conservé « un sens de la

dignité humaine ».219 Plus encore, l'acte violent à des fins politiques devrait rester

exceptionnel et en soi inadmissible puisqu'il viole à la fois le droit à un procès

équitable et le principe de séparation des pouvoirs, fondamentaux à toute société

démocratique.220 Ce dernier principe est en effet « essentiellement (et non par

accident) bafoué par l'acte de terreur » dès lors que l'auteur de l'action violente

s'impose simultanément en législateur, juge et bourreau.221 Face à cette philosophie

de la « juste mesure », est présenté à l'extrémité opposée l'acte de terreur djihadiste

contemporain qui vise délibérément des non-combattants, statut qui confère

automatiquement aux victimes le caractère innocent, et s'inscrirait dans une volonté

de banalisation de la violence au service de fins politiques.222

216 Ibid, p.75217 A. Camus, Les Justes, coll. Folio, Gallimard, Paris, 1950, p.62218 G. Haarscher, supranote 67, p.76219 Ibid, p.13220 G. Haarscher, « Le terrorisme et les valeurs de la démocratie libérale », in Juger le terrorisme

dans l’État de droit, L. Hennebel et D. Vandermeersch (dir.), Bruylant, Bruxelles, 2009,pp.477-513, p.487

221 Ibid, p.487222 Ibid, pp.488-489

60

Page 61: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

* * *

Le danger d'une telle automaticité et généralisation dans le recours à la violence

interroge la possibilité pour un usage mesuré de la violence de ne pas se faire le

complice du statu quo maintenu par les puissances étatiques. La difficulté à parvenir

à une position équilibrée, qui se voudrait scientifique et dépourvue d'une coloration

moralisatrice, semble ainsi imposer l'abandon de l'utilisation de la notion de

terrorisme dans la sphère juridique. Précisément, la présentation manichéenne de

l'usage de la violence à des fins politiques ne satisfait pas à l'analyse de cet usage par

des régimes pourtant démocratiques.

L'abandon de tout jugement moral est souvent redouté à la vue du passage « d'un

moindre mal (la violence en ultime instance, pour des idéaux humanistes) au pire des

maux (la violence banalisée) ».223 La « juste mesure » ainsi proposée afin de justifier

moralement les actes de violence entrepris n'est cependant pas évidente. Il est

effectivement possible de s'interroger sur la possibilité pour une telle mesure de

permettre la remise en cause du statu quo contre lequel se dresse l'entité irrégulière. Il

est intéressant d'étudier en ce sens la critique qui a pu être faite du Juste camusien :

un acte à la violence démesurée aurait potentiellement permis, en dépit de l'assassinat

de victimes non-combattantes, de sauver un nombre bien plus conséquent de victimes

indirectes de l'oppression de l'instance régulière. Ainsi, en évitant la mort de deux

enfants, symboles de l'innocence, l'auteur d'une violence mesurée a laissé subsister

l'oppression de millions d'individus. Sous couvert de conserver une certaine pureté

223 Ibid, p.484. Sur la banalisation du mal dans une perspective plus large, voir H. Arendt,Eichmann à Jérusalem, Paris, Gallimard, 1966

61

Page 62: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

dans la violence employée, il se fait finalement complice du statu quo.224 La

banalisation de la violence semble également être produite par le recours à des

justifications dans l'analyse des actes terroristes tels qu'ils se donnent à voir

aujourd'hui. Ce serait ainsi le cas de l'explication des actes terroristes djihadistes –et

notamment ceux du 11 septembre 2001– par la condamnation du système néo-libéral

et capitaliste américain, ou de la relativisation des différences culturelles. Le danger

serait dès lors de renoncer à tout jugement moral dans l'exercice du politique alors

même que la société démocratique s'est caractérisée par l'émergence de principes

universels, notamment via l'épanouissement des doctrines relatives aux droits

humains.225 Il ne s'agit cependant pas ici d'abdiquer tout jugement moral qui serait

porté sur les actes de violence politique, mais d'assumer le caractère normatif de la

qualification de « terroriste ».

Face à une appellation présentée comme découlant naturellement du caractère

irrégulier de la structure recourant à la violence à des fins politiques, il conviendrait

de reconnaître qu'elle relève d'un jugement subjectif, moral et éthique, et de refuser

ainsi la fiction selon laquelle il s'agirait d'une notion objective qui pourrait recouvrer

une certaine scientificité et être dès lors utilisée à des fins notamment juridiques.

L'idée n'est donc pas de justifier une violence politique au mépris d'autres, mais de

remettre en cause la distinction communément admise comme évidente entre la figure

du résistant et celle du terroriste. En d'autres termes, est ici suggérée l'absence d'une

différence autre que celle d'un jugement exclusivement moral. L'emploi du terme

224 Ibid, p.485225 Voir D. Rosenfield, « Terreur et Barbarie », in D. Rosenfield, Civilisation et barbarie,

Réflexions sur le terrorisme contemporain, Presses Universitaires de France, pp. 27-4962

Page 63: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

« terroriste » à usage « scientifique » paraît donc dénué de sens. La conséquence

directe d'une telle constatation semble être l'abandon de la qualification juridique de

terrorisme. Cette proposition apparaît d'autant plus rationnelle que, comme cela fut

indiqué dès l'introduction, l'incrimination du terrorisme consiste en réalité en la

reprise de faits déjà incriminés. C'est en ce sens que Mireille Delmas-Marty a déclaré

que le « concept » de terrorisme « est juridiquement inadapté à remplir la fonction

d'incrimination pénale qui implique, au sens étymologique du terme, de séparer […]

le bien du mal, les coupables des innocents, de manière précieuse et univoque ».226

Préférer l'incrimination des différents comportements repris dans la description

juridique du terrorisme revient à privilégier la condamnation de la nature de l'acte

plutôt que « l'identité de ses auteurs ou la nature de leur cause ».227 Afficher une telle

préférence et lui donner une réalité juridique revient à consacrer l'absurdité de

conférer de facto, mais aussi de jure, la légitimité au détenteur du pouvoir. Au moins

conviendrait-il de donner corps à l'incrimination des mêmes faits de violence

lorsqu'ils sont réalisés par une entité étatique. Il semble opportun de rappeler ici les

propos tenus par Victor Hugo lors de son discours du 15 septembre 1848 devant

l'Assemblée constituante : « Que voulez-vous enseigner avec votre exemple ? Qu'il ne

faut pas tuer. Et comment enseignez-vous qu'il ne faut pas tuer ? En tuant ». En

faisant à son tour usage d'une violence qui ne saurait être acceptée « en temps

normal », non seulement l'instance régulière satisfait les fins de la figure irrégulière,

mais elle participe également dangereusement à sa délégitimation contre le détenteur

du monopole de la violence.

226 M. Delmas-Marty, « Conclusions – Le terrorisme comme concept juridique de transition », inTerrorismes, Histoire et droit, H. Laurens et M. Delmas-Marty (dir.), Bibli, pp.323-329, p.323

227 B. M. Jenkins, supranote 201, p.263

Page 64: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

Certains défendent l'idée selon laquelle le fondement de la différence entre résistance

et terrorisme se trouverait dans la nature du régime dont ils contestent la légitimité.

Ainsi, disent-ils, la résistance renverrait à la violence exercée contre un régime

dictatorial, tyrannique, ou plus généralement autoritaire ou oppressif, alors que le

terrorisme s'exercerait contre un régime démocratique. Néanmoins, il convient de

souligner que cette position est proposée par des auteurs qui s'inscrivent précisément

dans des sociétés dites démocratiques. Dès lors, semble être de nouveau reproduite

une distinction empreinte d'un jugement moral qui découle directement des positions

respectives des protagonistes du conflit : ce sont les partisans du régime démocratique

qui décrivent leurs opposants comme des terroristes. Qui plus est, réduire tout

mouvement de résistance contre l'oppression dans un tel régime à un acte terroriste

apparaît difficilement tenable. En effet, quel gouvernement n'a jamais usé de la

violence dans une mesure qui dépasse, pour un regard averti, le seuil de légitimité

acceptable ? Il semble qu'il ne soit nul besoin de recourir à des exemples historiques

anciens : la mort des personnes migrantes du fait du naufrage de leur bateau de

fortune dans la mer Méditerranée résulte indirectement de la politique relative à

l'immigration menée par l'Union européenne. La responsabilité des démocraties

européennes est entière et les personnes dont le droit à la vie est ainsi bafoué pourrait

–légitimement semble-t-il– opposer à celles-ci un droit de résistance à une telle

oppression. A cela est encore opposée l'idée d'une immoralité inhérente à ceux qu'on

appelle terroristes, et dont l'exemple topique est celui des groupes djihadistes : le

terroriste est celui qui tue « n'importe qui », peu importe la responsabilité que ce

dernier porte. Mais tout individu-citoyen n'est-il pas responsable des politiques

d'oppression et de non-respect des droits humains des gouvernements démocratiques

64

Page 65: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

dès lors qu'il est à l'origine du pacte social et participe pleinement au processus

politique, notamment par l'élection de ses représentants ? Loin de chercher à légitimer

la violence, il s'agit ici de questionner la pertinence de la distinction entre violence

exercée à l'encontre d'un corps étatique, à savoir l'armée, et celle commise contre la

population civile. Subsiste en effet une ultime question, celle posée par Albert Camus

dans son essai L'Homme révolté : « Nous ne saurons rien tant que nous ne saurons

pas si nous avons le droit de tuer cet autre devant nous ou de consentir qu'il soit

tué ».228

228 A. Camus, L'homme révolté, Paris, Gallimard, 1951, p.1465

Page 66: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

CONCLUSION

Les développements proposés se sont ainsi vus attribuer le rôle délicat d'interroger la

pertinence de la prise en compte du critère d'irrégularité dans la définition de la figure

du terrorisme et dans l'usage qui est fait de sa qualification comme telle. Partant du

critère tel qu'il a été présenté par Carl Schmitt –personnage qui inspire peu de

considération par ailleurs–, le raisonnement s'est ainsi consacré à mettre en exergue

ce que la centralité du critère semblait occulter, à savoir l'exercice d'un jugement

éthique inhérent à une telle qualification dès lors qu'il se dévoile comme étant le

produit d'un lien intime entretenu avec les intérêts géopolitiques des instances

régulières qui l'exercent.

Ces développements n'ont nullement vocation à encourager l'abdication devant tout

jugement moral qui pourrait porté sur l'usage de la violence à des fins politiques. Il

s'agit bien plutôt d'insister sur la nécessité d'assumer le caractère éminemment

subjectif, et dans le même temps normatif, que revêt l'appellation de « terroriste ». Un

tel constat mène à interroger sérieusement la pertinence de lui donner une réalité

juridique, laquelle consiste en réalité à conférer, tant de facto que de jure, une

légitimité absolue à l'entité détentrice du pouvoir.

Au-delà d'une présentation manichéenne de l'exercice de la violence politique dont

nous avons ici cherché à démontrer l'inconvenance, semble pouvoir être questionnée

la possibilité de négliger l'idée d'une violence inhérente à l'émergence de l'ordre

66

Page 67: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

politique.229 Si la thèse schmittienne est communément exposée comme réduisant la

politique à son inscription dans l’horizon de la guerre, une telle présentation semble

ici pouvoir être remise en cause. C'est ce que propose Jean-François Kervegan en

interrogeant la possibilité pour la politique d'être définie sans que soit présupposée la

forme étatique qu'elle a revêtue dans l'Europe moderne, et donc « sans admettre que

la politique s’inscrit nécessairement dans l’horizon des rapports de subordination

supposés légitimes ».230 Il s'agit alors de souligner la nécessité de s'extirper de la

conception de la politique telle qu'elle s'est communément donnée à voir, à savoir

comme monopole de l’Etat souverain, « la politique n’a[yant] pas de contenu

spécifique » et « tout [étant] potentiellement politique ».231 Dès lors, l'application de

la bicatégorisation légitime / illégitime à l’État souverain –structure régulière– et au

partisan –par essence irrégulier– semble hautement questionnable, tout

particulièrement à l'aune de ce que Carl Schmitt nomme lui-même une guerre civile

mondiale, totale.

229 Voir F. Fukuyama, The Origin of Political Order : From Prehuman Times to the FrenchRevolution, New York, Farrar, Straus and Giroux, 2011

230 J.-F. Kervegan, « Une autre guerre, ou d'autres dieux ? », Le Nouvel Observateur, numérospécial « La guerre des Dieux », janvier 2002

231 Ibid67

Page 68: La pertinence du critère d'irrégularité dans la définition

BIBLIOGRAPHIE

Les documents sont classés par ordre alphabétique dans chaque catégorie, excepté

les documents juridiques et politiques qui sont classés par ordre chronologique.

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