La Philosophie Tout Simplement

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  • 7/23/2019 La Philosophie Tout Simplement

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    La

    philosophie

    Claude-Henry du Bord

    C U L T U R E

    G N R A L E

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    La philosophie

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    Chez le mme diteur

    Comprendre lhindouisme, Alexandre Astier

    Communiquer en arabe maghrbin, Yasmina Bassane et Dimitri Kijek

    QCM de culture gnrale, Pierre Bilande

    Le christianisme, Claude-Henry du Bord

    Marx et le marxisme, Jean-Yves Calvez

    Lhistoire de France, Michelle Fayet

    QCM Histoire de France, Nathan Grigorieff

    Citations latines expliques, Nathan Grigorieff

    Philo de base, Vladimir Grigorieff

    Religions du monde entier, Vladimir Grigorieff

    Les philosophies orientales, Vladimir Grigorieff

    Les mythologies, Sabine Jourdain

    Dcouvrir la psychanalyse, Edith Lecourt

    Comprendre lislam, Quentin Ludwig

    Comprendre le judasme, Quentin Ludwig

    Comprendre la kabbale, Quentin Ludwig

    Le bouddhisme, Quentin LudwigLes religions, Quentin Ludwig

    Les racines grecques du franais, Quentin Ludwig

    Dictionnaire des symboles, Miguel Mennig

    Histoire du Moyen Age, Madeleine Michaux

    Histoire de la Renaissance, Marie-Anne Michaux

    LEurope, Tania Rgin

    Histoire duXXesicle, Dominique Sarciaux

    QCM Histoire de lart, David Thomisse

    Comprendre le protestantisme, Geoffroy de Turckheim

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    Claude-Henry du Bord

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    ditions Eyrolles61, Bld Saint-Germain75240 Paris Cedex 05

    www.editions-eyrolles.com

    Avec la collaboration de Patrice Beray

    Maquette intrieure : Nord CompoMise en pages : Facompo

    Le code de la proprit intellectuelle du 1erjuillet 1992 interdit eneffet expressment la photocopie usage collectif sans autorisa-tion des ayants droit. Or, cette pratique sest gnralise notam-ment dans lenseignement, provoquant une baisse brutale desachats de livres, au point que la possibilit mme pour les auteurs

    de crer des uvres nouvelles et de les faire diter correctementest aujourdhui menace.

    En application de la loi du 11 mars 1957 il est interdit de reproduire intgralement oupartiellement le prsent ouvrage, sur quelque support que ce soit, sans autorisationde lditeur ou du Centre Franais dExploitation du Droit de Copie, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris.

    Groupe Eyrolles, 2007ISBN : 978-2-7081-3718-9

    http://www.editions-eyrolles.com/http://www.editions-eyrolles.com/
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    Le noyau ne fait pas le fruit, mais il en contient la promesse.

    Ce livre est comme un tas de noyaux qui attend de germer.

    On mesure la pauvret de ce quon dit en songeant ce que

    lon a tu.

    Pascale Saint-Andr du Bord, qui sait.

    Uxori optimae

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    R e m e r c i e m e n t s

    Je tiens remercier chaleureusement :Margaret et Raymond Plan pour leur soutien constant et leur affection ;je leur dois davoir pu conduire ce livre jusqu son terme ;Emmanuelle de Boysson pour sa fidle et gnreuse amiti ;mes Matres, Jean Guitton, Emmanuel Lvinas, pour ne citer queux ; je leurdois le peu que je sais.

    Ex imo corde

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    S o m m a i r e

    Partie ILe miracle grecChapitre 1 : Les penseurs grecs avant Socrate ................................. 3Chapitre 2 : Socrate (~469-399 av. J.-C.) ....................................... 33Chapitre 3 : Platon (427-347 av. J.-C.) .......................................... 39Chapitre 4 : Aristote (384-322 av. J.-C.) ........................................ 53Chapitre 5 : Philosophies hellnistiques, romaines et chrtiennes ...... 67Chapitre 6 : Le christianisme et la philosophie : les pres grecs et latins ............................................. 97

    Partie IIDu Moyen ge la Renaissance

    Chapitre 1 : Mtamorphoses de la pense chrtienne ....................... 113Chapitre 2 : Philosophies arabes et juives ...................................... 149Chapitre 3 : Lhumanisme, les sciences et la politique ...................... 161Chapitre 4 : Les rformateurs ....................................................... 205

    Partie IIILes Temps modernes

    Chapitre 1 : La raison et les sciences ............................................. 221Chapitre 2 : Philosophies de lhistoire et des lois ............................ 291Chapitre 3 : Thorie et philosophie de lesprit ................................. 301

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    Partie IVLe XVIIIesicle, lEncyclopdie, les Lumires

    Chapitre 1 : Les matrialistes franais ........................................... 313Chapitre 2 : LEncyclopdie : vive le progrs ! ................................. 319Chapitre 3 : Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) ............................ 325Chapitre 4 : Kant (1724-1804) ..................................................... 341

    Partie VLe XIXesicle, les temps nouveaux

    Chapitre 1 : Lidalisme allemand .................................................. 363

    Chapitre 2 : Schopenhauer (1788-1860) ........................................ 389Chapitre 3 : Le positivisme : prfrer le comment au pourquoi .......... 395Chapitre 4 : Marx (1818-1883) ..................................................... 401Chapitre 5 : Deux cas part ......................................................... 407

    Partie VILe XXesicle : la philosophie contemporaine

    Chapitre 1 : Husserl (1859-1938) .................................................. 423

    Chapitre 2 : Freud (1856-1939) .................................................... 429Chapitre 3 : Bergson (1859-1941) ................................................ 439Chapitre 4 : Heidegger (1889-1976) .............................................. 447Chapitre 5 : Sartre (1905-1980) ................................................... 455Chapitre 6 : Du structuralisme Ricur ......................................... 463

    Annexes ................................................................................... 471

    Bibliographie ............................................................................ 479Table des matires ..................................................................... 481Index des notions ...................................................................... 491Index des noms ......................................................................... 501

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    Le miracle grec

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    C h a p i t r e 1

    Les penseurs grecs

    avant SocrateEntre croyance et savoir

    Lintrt que nous portons aux prsocratiques est assez rcent ;il date de la fin du XIXe sicle et des reproches adresss par

    Nietzsche Socrate, pre des hallucins de larrire-monde .Lide germe que ce qui prcde Socrate est plus pur , plusauthentique Pourtant, des uvres, il ne reste presque rien ; deshommes, nous ignorons presque tout. La lgende lemporte surla vrit, la bribe parle pour le recueil.

    Philosophie et mythologie

    La rflexion morale du peuple grec saffine en mme temps quese dveloppent tant sa civilisation que son rapport avec les autrespeuples, non sans exacerbations et luttes politiques. La pensegrecque cherche alors de plus en plus expliquer et formulerlnigme de lunivers. Elle passe lentement dune conceptionmythique o la religion des mystres joue un rle considrable une conception du monde visible ; la plupart des penseurs cher-chent comprendre le monde et la manire dont il a t cr.Ils sappuient dabord sur des cosmogonies qui se sparent de

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    P a r t i e I Le miracle grec

    la religion traditionnelle en mme temps quelles sunifient ; partir de ces gnalogies slabore la premire rflexion scien-tifique fonde sur lobservation de phnomnes lmentaires.

    Vous avez dit cosmogonie ?La cosmogonie est la thorie qui vise expliquer la formation de lUnivers.

    La pense philosophique se confond alors avec la pense scien-tifique ; elle se concentre en premier lieu sur le monde avantmme de sintresser lhomme.

    En effet, avant dtre ce que nous nommons des philosophes ,ces penseurs sont des physiologues , des physiciens . Leur

    tude de la nature leur permet de dgager une vrit sur les treset les choses.

    Une pense dualiste

    La Grce aime se dfinir par opposition ; ainsi, en combattant la Perse, elle opposelhomme libre lesclave ; en luttant contre lgypte, elle oppose lancien au nouveau.Les doctrines se construisent aussi les unes contre les autres ; toutes procdent parantagonisme, raison pour laquelle les penseurs cultivent les couples opposs : choseproche/chose lointaine, tre/non-tre, termin/non termin, lumineux/obscur

    Une soif de connaissances

    Les prsocratiques travaillent en coutant la Nature et, en suivantses lois, admirent et tudient le Ciel, lart, la beaut, le secretdes nombres, de lalphabet, de la grammaire En ce sens, il estpossible de dire que Thals et Pythagore sont mathmaticiens ,Hraclite grammairien , Anaximandre gographe .

    Certains crent des coles (qui regroupent des tendancescommunes) attaches une ville (Crotone, le), dautres sontdes personnalits de premier plan qui brisent les cadres tablis,rejettent leurs contemporains dans lombre .

    Le pouvoir du langage

    Le dclin de la philosophie de la nature, juge trop dogmatique,donnera ensuite naissance aux sophistes, prdcesseurs immdiats

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    Les penseurs grecs avant Socrate Chapitre 1

    de Socrate. La pense prend ici une nouvelle voie : lhomme devient la mesure de toute chose ; mais est-il capable de connatre rel-lement la ralit, darriver une certitude sans sombrer dans une

    logique devenue art de la parole ? Telles sont les questions auxquellesSocrate sattachera rpondre en fondant la dialectique qui tudienon les choses, mais les opinions des hommes sur les choses.

    Lcole ionienne : bauche dune science

    La premire cole de philosophes scientifiques , logique etrationnelle, naquit dans la ville de Milet, sur la cte ionienne (lapatrie dHomre), carrefour du commerce et de lindustrie. Lespenseurs ioniens sont les premiers poser la question fonda-mentale : De quoi toutes choses sont-elles faites ?

    Thals de Milet (~625-547 av. J.-C.)

    La tradition grecque le compte parmi les Sept Sages, mais tout

    ce que lon sait de lui est sujet caution.

    Leau, principe primordialImprgn par la cosmologie traditionnelle, Thals affirme que tout est fait deau , formulant ainsi le tout premier essaidune philosophie de la nature . Leau, principe primordialet primitif, engendre la terre la suite dun processus physiquersiduel ; lair et le feu tant des exhalaisons deau. Les astres

    flottent comme des bateaux dans les eaux den haut.

    Un prcurseur

    Selon Hrodote, Thals aurait prdit lclipse totale de soleil de 585 ; nombrede ses dcouvertes sont mettre au crdit des astronomes babyloniens et gyp-tiens. Si lon en croit Atius, il pensait que tout est la fois anim et pleinde dmons , et que laimant tait dot dune me puisquil attire le fer. DansThthte (174, a), Platon la imagin ce point occup dastronomie quil seraitmort, absorb par ses penses stellaires, en tombant dans un puits.

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    P a r t i e I Le miracle grec

    Anaximandre (~610-546 av. J.-C.)

    Une pense des contrairesChef dune colonie milsienne sur la cte de la mer Noire,Anaximandre serait le premier avoir dress une carte gogra-phique (sur une planche) ; il serait galement lauteur dun traitSur la nature, crit soixante-quatre ans.

    Les lments en lutteCritiquant Thals, Anaximandre considre que llment primitifest dans lInfini ou lIllimit, un fond de matire qui stend dans

    toutes les directions. Il serait le premier avoir employer le termede principe , substance primitive quAristote nomme causematrielle . Dduisant que, si une matire tait plus importante,elle laurait emport sur les autres, il conoit que les diffrentesformes de matire sont en lutte continuelle. ternelle, englobanttoutes choses, la nature procde par tension et dissociation descontraires quil dsigne sous le nom de contrarits : chaud/froid ; sec/humide. Toute chose est ne dun mlange et le chan-gement rsulte de la lutte des contraires.1

    Un Darwin de l Antiquit

    Ayant observ quil faut ltre humain dans son jeune ge une longue priodede soins et de protection, il en conclut que si lhomme avait toujours t commeil lui apparaissait prsent, il net pu survivre. Il fallait donc quil et tautrefois diffrent, cest--dire quil avait d voluer partir dun animal qui,plus rapidement que lhomme, fait son chemin tout seul .1Cette conceptionvolutionniste avant la lettre lamena penser que lhomme descend du poissonde mer et que, pour cette raison, il est prfrable de sabstenir den manger.

    La naissance de la cosmologieAnaximandre est par ailleurs le prcurseur de la cosmo-logie vritable, un systme cohrent du monde. Les premiersPythagoriciens, puis Platon et Aristote, perfectionneront sesabstractions qui donneront naissance la cosmologie grecque

    1. B. Russel,LAventure de la pense occidentale, 1961, p. 18.

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    Les penseurs grecs avant Socrate Chapitre 1

    admise jusqu Copernic : la terre est un disque plat dont lahauteur est le tiers du diamtre ; elle na pas besoin de support,demeure en place pour tre gale distance de tout ; les astres

    (forms de feu et dair) sont entrans autour delle par rotation,accrochs une roue qui tourne Notre monde (notre galaxie)est entour dune infinit dautres.

    Anaximne (~550-480 av J.-C.)

    Lair, principe primordialNous ne savons strictement rien de la vie du dernier reprsen-tant de lcole ionienne ; il serait lauteur dun livre rdig dansune langue simple et accessible qui a t perdu.

    Comme Anaximandre, il croit en une substance primordiale, maispense quil sagit de lair, quil qualifie dindtermin, de nonillimit . Les diffrentes sortes de matires qui nous entourentproviennent soit de la rarfaction soit de la condensation delair. Lair est dieu, notre me est faite de cette puissance vivantequi maintient le monde en vie (conception que partageront les

    Pythagoriciens). En se solidifiant, lair donne naissance un corpsde nature cristalline ; un perptuel change de matire a lieu entrele ciel et la terre, de sorte quau sein de ce mouvement perptuel,la compression et la dilatation produisent diffrents corps.

    Un grand architecte de l Univers

    La conception astronomique dAnaximne va durablement influencer lOccident :en se comprimant aux limites du monde, lair constitue une vote qui se desscheet se solidifie sous linfluence du feu ; en se rarfiant, lair produit des toiles.La terre, comme les autres astres, est une espce de table peu paisse, de forme

    concave, suspendue dans lair.

    Le choix de lair est le fruit dune spculation scientifique : nonseulement il est llment pour lequel la Terre et les astres demeu-rent en suspens, mais encore il est me et pense . Selon Pline,Anaximne aurait invent le calcul des ombres et montr lepremier cadran solaire.

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    P a r t i e I Le miracle grec

    Hraclite dphse (~576-480 av. J.-C.)

    La route qui monte et qui descend est la mme.

    (Fragment 60).

    Une pense du devenirSelon toute vraisemblance, Hraclite serait n au commence-ment du Vesicle ; membre dune famille aristocratique et sacer-dotale implante phse, il est instruit dans la connaissance desmystres ; sans doute est-ce une des raisons de son got pour lesexpressions sibyllines qui lui valut le nom dobscur. En un mot,Hraclite a dabord le sens de la formule. Contrairement ses

    prdcesseurs, il est plus proccup par la thologie et la moraleque par la cosmologie ou ltude de la nature.

    Le feu, principe primordialPour Hraclite, le Feu est la matire la fois la plus subtile et lamoins corporelle.Vritable psych (me en grec), il se voit attri-buer une vitalit foncire ainsi que la capacit de faire natre. Lmeen feu est, en quelque sorte, la manire divine de son mode dtre.

    Lharmonie par-del les contrairesLes choses et leur aspect voluent selon la loi des contraires ouplus exactement de remplacement des contraires : lombre devientlumire, le froid se transforme en chaud, etc. Cette opposition, quiest aussi un principe, est la condition du devenir, tout scoule ,sans cesse soumis une perptuelle mtamorphose qui volue selonun cycle o saccomplit la concidence des contraires : lharmonie.

    Le devenir perptuelLunit de toute chose, au sein des contradictions, induit lide de devenir. Leclbre fragment 49 a doit ainsi tre lu dans son unit, et surtout sans oublierla seconde phrase : 1) Nous sommes et ne sommes pas , cest--dire : malgrles apparences, notre existence est une et cette unit est le fruit dun perptuelchangement. 2) Nous descendons et ne descendons pas dans le mme fleuve ,cest--dire : je peux traverser le Rhne un lundi, recommencer un mardi, maisleau ne sera pas la mme puisque le propre du fleuve est de couler. Platon formu-lera autrement ce concept en disant que notre tre est un perptuel devenir .

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    Le mot harmonie appartient au vocabulaire grec des charpen-tiers : il signifie originellement bien faire jointer deux poutres do lide dajustement dans lquilibre. Hraclite donne un

    nouveau sens une notion tablie par Pythagore : le monde relest un bel ajustement de tendances, de forces qui sopposent.Reconnatre lexistence de ce conflit sans fin permet donc dedcouvrir aussi que le monde est une harmonie cache o vibreun accord profond : Ils ne savent pas comment le discordant (cequi lutte)saccorde avec soi-mme : accord de tensions inverses,

    comme pour larc et la lyre. (fragment 51). Cest ce conflit quimaintient le monde et la vie qui est en lui. Le Bien et le Mal

    sont un (frag. 58), parce quadmettre la notion de Bien conduit

    admettre celle de Mal.

    Le logos et lordre de luniversTout comme la Nature parle et uvre en mme temps, Hracliteuvre en transmettant un discours ; les mots de cette parole, illes nomme Logos : Ce mot, les hommes ne le comprennent

    jamais. (frag. 1). Pour comprendre, le sage cherche saisirles lois secrtes qui gouvernent la nature, apprhender sonprocessus qui obit des mesures spcifiques, il y parvient parcequil est spar de toutes choses (frag. 107). Comprendre cetordre fondamental et le respecter sont une seule et mme chose ;le Logos est lui-mme cet ordre universel.

    Vous avez dit logos ?Le logos renvoie des concepts centraux de la philosophie grecque. Ce mot grec signifie parole , raison .

    La conception dHraclite du Logos aurait t influence parles croyances religieuses gyptiennes, introduisant un aspectspiritualiste dans la physiologie des Ioniens.

    Hraclite, qui mprisait la religion de son temps ( on ne senettoie pas de la boue avec de la boue ! ), prfre une directionlitiste, conscient que savoir beaucoup de choses napprend pas

    possder lintelligence (frag. 40).

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    P a r t i e I Le miracle grec

    Une doctri ne prometteuse

    La doctrine hraclitenne influencera considrablement la pense de Platon qui

    la critiquera vivement, choqu par cette thorie sur linstabilit des substanceset lincessant coulement. Mais Hegel clbrera la premire formulation de lapense dialectique , Nietzsche puis Heidegger ladmireront sans mlange.

    Anaxagore (~520-428 av. J.-C.)

    Une pense de la totalitN Clazomne en Ionie, Anaxagore est le premier philosophe

    simplanter Athnes ou, durant une trentaine dannes, il auraitexerc son enseignement. Digne hritier de lcole ionienne, ildevint le matre et lami de Pricls ; certains prtendent quEuri-pide fut son lve. Passionn par les questions scientifiques etcosmologiques, il se dsintressait des affaires publiques aupoint de prtendre que le ciel tait sa patrie, et les toiles samission. La disgrce de Pricls fut aussi la sienne ; accus tortde mpriser les dieux, le philosophe anticonformiste se rfugia Lampsaque o il mourut. Socrate affirma ses juges que ses

    ides taient celles dAnagaxore.

    Des substances premires linfiniLe nombre des choses est infini et aucune dentre elles nestsemblable une autre. Chaque partie qui compose une chosecontient une minuscule portion de matire dans des propor-tions varies.Un peu de tout est en tout : la neige contient dunoir, mme si le blanc prdomine. Anaxagore dmontre le bien-fond de sa thorie par linfinie divisibilit de la matire (il est le

    premier avancer cet argument dvelopp ensuite par les atomi-stes). Dune certaine manire, il donne une premire formula-tion de la thorie de Lavoisier, selon laquelle, rien ne se perd,rien ne se cre, tout se transforme , en dveloppant lide ducontinu rel : les modifications apparentes dun tre rel sins-crivent dans une permanence. Ainsi, pour Aristote, Anaxagoreet Dmocrite affirment lexistence de linfini dont ils font uncontinu par contact (Physique, 203, a).

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    La cration du monde : le Nos

    Pour Anaxagore, le monde a t cr par une force qui a tout organis. Il nommeNoscet tre pensant ou intelligence qui est, selon lui, infini, autonome, et nese mlange rien. Sous limpulsion de cette substance rare et subtile, la matiresest mise tourner, tourbillonner au point de gagner tout ltre existant :ainsi, le monde est soumis un ensemble de forces mcaniques : ce sont leslments les plus lourds qui se sparent. Cette intelligence nest en aucun casdoue dune personnalit : il ne faut pas lassimiler un dieu crateur ou laprovidence.

    Lintelligence, principe du mouvementAnaxagore fut certainement le premier tudier les clipses de

    soleil et penser quelles rsultent dun passage de la lune entrela terre et le soleil. Selon lui, tous les tres qui ont une me sontms par lintelligence , en proportions diffrentes : les plantessont dotes dune intelligence minime , les plantes possdent

    vie et sensibilit et sont produites, comme les animaux, partirdun mlange de toutes les substances. La sensation est produitepar le contraire et non par le semblable : le froid est senti parcontraste avec le chaud Mais, en osant soutenir que les astrespossdent une nature identique celle des corps terrestres,

    Anaxagore nen faisait plus des dieux, il contrariait les clbra-tions rituelles officielles et donc le gouvernement en place. Ledieu du philosophe se confond avec cette intelligence qui metles choses en mouvement.

    Pythagore (~580-500 av. J.-C.)

    Une pense du nombre

    Vraisemblablement n sur lle de Samos, Pythagore auraitvoyag en Perse avant de sinstaller Crotone o de nombreuxdisciples vinrent suivre son enseignement ; il se serait retir Mtaponte et y serait mort. Tout le reste est lgende. Vritablethaumaturge, le matre na rien crit, pas mme les Vers dorsquon lui attribue tort.

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    P a r t i e I Le miracle grec

    Les pythagoriciens

    Depuis Aristote, les disciples de Pythagore sont dsigns dune manire gnralepar le terme de pythagoriciens : nous leur devons des spculations sur larithm-tique, la gomtrie, la physique et la cosmologie, conjugues avec un ensemblede conseils moraux.

    Lhumanit divisePythagore est lorigine dune tradition sur la division tripartitede la vie (reprise par Platon dans la Rpublique) : les hommessont catgoriss selon trois manires de vivre :

    ceux qui viennent acheter et vendre ;

    ceux qui prennent part la comptition ;ceux qui assistent pour voir.

    Ces derniers sont dits thoriciens : il sagit des philosophesqui, par la contemplation, se librent du cycle de la vie.

    Vous avez dit mtempsycose ?La mtempsycose est la conception selon laquelle lme ne cesse de transmigrer en allantdun corps lautre et tente dchapper aux lments fortuits de lexistence.

    Le thorme de PythagoreEn gomtrie, le nom de Pythagore est videmment attach unclbre thorme : le carr de lhypotnuse est gal la sommedes carrs des deux autres cts (C2= (a - b)2+ 4 a b =a2 + b2). Ce problme va provoquer un norme scandale avantdtre rsolu par dautres pythagoriciens qui dvelopperont lathorie des nombres irrationnels.

    Les mystres de la musiqueSelon les pythagoriciens, la vie doit tre asctique et contempla-tive, place sous le signe de la science, et plus prcisment desmathmatiques. On trouve chez ces penseurs une fascinationpour la musique conue comme un lment purificateur quil estpossible de comprendre par les mathmatiques.

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    Les penseurs grecs avant Socrate Chapitre 1

    Pythagore musicien

    Pythagore dcouvrit les rapports numriques simples des intervalles musicaux. Une

    enclume frappe avec des marteaux de poids diffrents produit des sons dont leshauteurs sont proportionnelles aux poids des marteaux. Une corde donne loctave sisa longueur est diminue de moiti ; rduite trois quarts, elle donne la tierce, et deux tiers la quinte. Une quarte et une tierce font une octave : 4/3 3/2 = 2/1.

    Le secret des nombresLide germe que toutes les choses sont des nombres et quilsuffit de comprendre ces nombres pour comprendre le monde.Lensemble des lois de la nature est rductible des quations.Plus encore, on simagine pouvoir matriser le monde une foisquon aurait dchiffr ses structures numriques. Les nombressont des ralits concrtes identifies lespace ; une valeurmorale leur est attribue : le 4 et le 9 reprsentent la justice pourla simple raison quils sont des carrs (22; 32), et donc le signedun quilibre parfait.

    Les nombres sinscrivent dans une dmarche majeure fonde surdeux irrductibles : les notions de Limite et dIllimit. Cette table

    pythagoricienne est ensuite tendue la division des entitsarithmtiques selon le Pair et lImpair, la Multitude et lUnit.Ces couples prennent symboliquement nom et forme :

    Le Pair (indfiniment divisable) comme Mle, Droit, Repos,Lumire ;

    LImpair (unit indivisible) comme Femme, Courbe,Mouvement avec rotation.

    Le grand serment

    Pour la premire fois, les recherches sur le calcul sont purement intellectuelles.Plusieurs sortes de nombres appels bornes sont crs comme les nombres triangu-laires ou ttraktis (= sur quatre rangs) : 1 + 2 + 3 + 4 = 10, la dcade tant repr-sente sous la forme dun triangle ; les nombres carrs sont la somme de nombresimpairs successifs : le grand quaternaire est 36, il est form par la somme desquatre premiers nombres impairs auxquels sont ajouts les quatre premiers nombrespairs. Il reprsente la cl de linterprtation du monde ou grand serment .

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    P a r t i e I Le miracle grec

    Lcole late : entre science et onirisme

    Xnophane (~570-480 av. J.-C.)Un original et un poteN Colophon, au nord de Milet, Xnophane est parfois intgr lcole late bien que sa personnalit hors normes, en fasse unpenseur isol. Considr comme un ade errant, il se rendit enGrande Grce o il composa la majeure partie de ses uvres.

    Un persifleur monothisteXnophane se moque de Pythagore autant que du mysticismedes Mystres orphiques ; lide que lhomme ait cr des dieux son image le rend sarcastique. Il est cependant persuad quilne peut y avoir quun dieu : une puissance ternelle qui gouvernetoute chose et ne ressemble aux mortels ni par le corps, ni parla pense (fragment 6). Cette divinit est invisible aux yeux deshommes, dote dune forme parfaite. Ses formules souvent poti-ques refltent une mutation de mentalit o une nouvelle formede thologie se teinte dironie : Si Dieu navait pas cr le mielbrun, les hommes trouveraient les figues plus douces.

    Un monde sans limitesSes ides sur la nature sinspirent de celles dAnaximandre :

    la terre est plate et sans limites ; elle stend linfini ;

    lair est infini ;

    les astres sont des nues incandescentes ; leur trajectoiredcrit une droite indfinie. Ce ne sont jamais les mmes quelon voit, et ils steignent dans la mer ou le dsert ;une infinit de soleils claire une infinit de terres habites

    Parmnide (~544-450 av. J.-C.)

    Une machine penser Ce philosophe sur qui nous savons si peu naquit le, au sud delactuelle Naples, et y fonda une cole qui porte le nom de sa ville :

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    late. Daprs Aristote (Mtaphysique, A, V, 169 b 22), Parmnideaurait t llve de Xnophane. Si lon en croit Platon, il auraitrencontr Socrate Athnes vers 450, en compagnie de son

    disciple, Znon.

    La vrit contre lopinion la manire de Xnophane, et plus tard dEmpdocle, la doctrinede Parmnide est contenue dans un pome en hexamtres piques,intitulDe la natureet divis en deux parties : Le chemin de la

    vrit , qui renferme sa thorie logique, et Le chemin de lopi-nion , qui expose sa thorie cosmologique, fortement inspire par

    le pythagorisme. Cette seconde partie est, en somme, un cataloguedes erreurs dont il sest libr, le philosophe nous mettant ainsi engarde contre lopinion du plus grand nombre.

    Ltre et le NantSelon Parmnide, ses prdcesseurs manquent de logique : avancerque tout est constitu dune seule matire fondamentale exclut eneffet quil y ait de lespace vide. Pour le philosophe, ce qui est,

    est , point. Ce qui nest pas ne peut tre pens. Ltre est : indivi-

    sible, immuable, et par consquent pensable. Le monde est plein dematire dune mme densit ; incr, ternel, homogne, il stend linfini, dans toutes les directions. Il ny a rien en dehors de lui,semblable une sphre solide, il est sans mouvement, sans temps,sans changement. Lexprience de nos sens tant illusoire, penserquil puisse en tre autrement est sans aucun fondement logique.

    Un savoir potiqueLouvrageDe la nature commence par proposer deux chemins :

    celui de la vrit ou certitude, quil faut connatre, et celui de lacoutume et de lexprience confuse des sens. Parmnide se fixecomme but de parvenir cette Vrit, le lieu sacr o elle sedcouvre grce une seule voie simple de discours (Frag. I).Il avance sans fin hors de soi-mme vers cette pense dun

    seul tenant , ce mest tout un par o je commence, car l mme nouveau je viendrai en retour (Frag. V).

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    La perfection de ltre est comme enferme dans la perfectiondu langage potique : Le mme, lui, est la fois penser et tre. (Frag. III). Les autres, les mortels , tous sans exception, le sentier

    quils suivent est labyrinthe (Frag. VI). Penser ltre ouvre le bonchemin, celui de la stabilit, de cette clairire o les hommes sontchez eux. Lavance du discours est image de cette permanence.

    Vous avez dit Doxa ou opinion ?Promis un bel avenir, cette notion dsigne lopinion en tant quelle est appele varier,mlange mal dos de mmoire et doubli.

    Pour le penseur de la doxa ou opinion, la voie de ltre resteproche pour peu quon sen aperoive, ncssitant cependanttoujours un surcrot de mmoire. Avec le savoir de ltre, le sageconnat un durable tat de repos et une pleine assurance alorsque lhomme du commun se laisse sduire et entraner dans ladanse dAphrodite, dans la ronde des plaisirs faciles et ordinaires,des illusions ; il en oublie ltre et oublie dtre. Selon Heidegger,Parmnide a dtermin, en donnant mesure de base, lessence dela pense occidentale.2

    Znon dle (~490-485)

    Une pense du paradoxeVraisemblablement n vers le commencement du Vesicle, Znon asans doute t un proche ami, voire le fils adoptif, de Parmnide.

    Znon, un personnage part

    Plusieurs sources rapportent sa rvolte contre le tyran Narque ( moins quece ne soit Diomdon) : arrt, tortur, il prtexte de livrer des rvlations pourmordre mortellement le tyran loreille. Selon Antisthne, il se serait lui-mmetranch la langue avec les dents et laurait crache au visage du tyran ; lescitoyens dle scandaliss lapidrent Narque

    Znon ne fut pas quun dissident, mais un authentique hommepolitique 3;il est dabord considr comme un expert en logique

    2.In Quappelle-t-on penser ?, p. 609 de ldition allemande.3. Platon, Scolie LAlcibiade majeur, 119 a.

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    et en spculation mathmatique, dans la ligne de lenseignementsotrique des pythagoriciens quil sapplique dtruire. Aristotelui attribue linvention de la dialectique4.

    Vous avez dit dialectique ?Dans son sens premier, la dialectique signifie art de linterrogation dans les limites dudialogue , et aux fins de confondre son adversaire.

    Selon Simplicius, il serait lauteur du plus ancien dialogue philo-sophique, o il se serait oppos Protagoras.

    Lart de la rfutation

    En pratiquant lart subtil de la dduction, Znon invente le premierexemple de fonctionnement dialectique fond sur le couple question/rponse. Il part dun postulat dun de ses adversaires et lui prouve, enen tirant deux conclusions contradictoires : primo, que lensembledes conclusions nest donc pas seulement faux mais encore impos-sible ; secundo, que le postulat est lui-mme impossible.

    Vous avez dit postulat ?Proposition premire que lon demande dadmettre parce quelle nest ni vidente ni dmon-trable.

    Suivant cette logique, il sattaque trois ides :

    Lide dunit chez les pythagoriciens : les nombres sontfaits dunits reprsentes par des points possdant desdimensions spatiales. Nimporte quelle chose doit avoir unegrandeur pour exister, cela est galement vraie pour chaquepartie de cette chose. Aucune partie nest la plus petite puis-quelle est divible linfinie et si les choses sont muiltiples,il faut quelles soient petites et grandes en mme temps. En

    fait, elles doivent tre petites au point de navoir pas de gran-deur car diviser linfini montre que le nombre des partiesest infini et cela demande des units sans grandeur ; Znonconclut que toute somme de ces units na pas de grandeur.En mme temps, lunit doit avoir une grandeur et donc leschoses sont infiniment grandes

    4. Dans deux uvres perdues, Sur les potes et Le Sophiste, compiles parDiogne Larce.

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    Lide despace infini: si lespace existe, il doit tre contenudans quelque chose de ncessairement plus grand, et ainside suite, indfiniment. Znon conclut quil ny a pas despace

    et quil est impossible de distinguer un corps de lespace danslequel il se trouve.

    Lide de mouvement quil ruine en dveloppant quatreparadoxes.

    La ralit du mouvementDans le livre VI de la Physique, Aristote commente et critique lesquatre clbres paradoxes avancs par Znon.

    Achille et la tortue : Achille et une tortue font unecourse avec handicap. Supposons que la tortue parte duncertain point en avant de la piste ; pendant quAchillecourt jusqu ce point, la tortue avance un peu. PendantquAchille court vers cette nouvelle position, la tortuegagne un nouveau point, lgrement plus en avant. Ainsi,chaque fois quAchille arrive prs de lendroit o se trou-

    vait la gentille bte, celle-ci sen est loigne. Achilletalonne la tortue, mais ne la rattrape jamais. Le pote

    Paul Valry illustre merveille ce paradoxe dans un versfameux du Cimetire marin : Achille immobile grandspas ! Ainsi, la conception de lunit de Znon exclut lemouvement.

    Largument du coureur : considrons un coureur qui partdun point donn dun stade. Pour aller dun bout lautrede ce stade, il doit franchir un nombre infini de points enun temps limit ou, plus prcisment, avant datteindrequelque point que ce soit, il doit atteindre le point mi-

    chemin, et ainsi de suite, indfiniment. Le coureur ne peutdonc commencer bouger puisque, une fois parti, il nepourrait plus sarrter. Cela dmontre quune ligne nest pasfaite dune infinit dunits.

    Les trois segments parallles : prenons trois segmentslinaires, parallles et gaux, composs du mme nombrelimit dunits. Lun est mobile, les deux autres se dplacenten sens oppos, vitesse gale, de manire quils se trouventles uns ct des autres quand les lignes en mouvement

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    passent le long de la ligne immobile. La vitesse de chacunedes lignes en mouvement par rapport lautre est deux foisaussi grande que la vitesse de chacune par rapport la ligne

    stationnaire. Ajoutons comme postulat supplmentaire quily a des units de temps aussi bien que des units despace.La vitesse est alors mesure par le nombre de points passantdevant un point donn en un nombre donn de moments.Dans le temps quune des lignes en mouvement passe le longde la moiti de la ligne stationnaire, elle passe le long dela longueur totale de lautre ligne en mouvement. Do londduit que ce dernier temps est le double du premier. Maisles deux lignes en mouvements prennent le mme temps

    pour atteindre leur position parallle et donc il semble queles lignes qui bougent se meuvent deux fois aussi vite quenralit. Il est par ailleurs dmontr que nous pensons moinsen moments quen distance

    Le paradoxe de la flche : la flche qui vole occupe chaque moment du temps un espace gal elle-mme etdonc, dduit Znon, elle est au repos. Il sensuit quelle esttoujours en repos. Le mouvement, ici, ne peut mme pascommencer, alors que dans le paradoxe prcdent il tait

    toujours plus rapide quil nest.Ainsi Znon jette-t-il les bases dune thorie de la continuit quisinscrit exactement dans la thorie de la sphre continue de sonmatre Parmnide.

    Mlissos de Samos (~vesicle av. J.-C.)

    Une pense de lUnitLe dernier des grands lates, sans doute contemporain deZnon, commandait la flotte samienne en tant quamiral etinfligea une rude dfaite Pricls en 422. Si Platon fait grandcas de ce philosophe original, Aristote le malmne, pour desraisons strictement doctrinales.

    Mlissos choisit lUn immobile pour principe unique et dve-loppe ses thses dans un ouvrage :De la nature ou de ltre dont ilne reste que dix fragments.

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    Ltre est un et immuable Si ltre est, il faut quil soit un ; tant un, il faut quil nait pas

    de corps ; car sil avait de lpaisseur, il aurait des parties et neserait pas un. (Fragment 9).

    Llate nomme signe majeur , cet Un qui, daprs lui,seul existe, puisque rien ne peut provenir du nant. Parce quilest immobile, ce principe na ni commencement ni fin, raisonspour lesquelles il est illimit. La raison (ou logos) saisit ce que lessens pourraient croire : le devenir des multiples. Mais la raisonlemporte sur les cinq sens : ltre est dcouvert par lesprit etlemporte sur le devenir et lapparence. Par consquent, aucun

    phnomne nest vrai. En ce sens, Mlissos comme Parmnidecritique lopinion et finit par aboutir lexigence que nul tantnest corporel ce quAristote juge absurde et saugrenu5.

    Ltre est dou dimmuabilit, dternit, duniformit ; il estplein, immobile et sans corps .Ltre est pensant et possdeautant sinon plus de dignit que ltre divin. Lunivers matrielest infini, dans toutes les directions, parce que le vide est illimit : Sil est infini, il est un ; car sil y avait deux tres, ils ne pourraient

    tre infinis, mais se limiteraient rciproquement. (Frag. 6).

    Empdocle dAgrigente (~484-424 av. J.-C.)

    Une pense du mytheLa vie dEmpdocle est entoure de lgendes. Son uvre est unedes moins mutiles par le temps ; nous devons J. Bollack larestitution de 400 vers du pome Sur la nature des choses o sa

    conception du monde recourt la mythologie de LIliade et deLOdysse. Aristote reconnat en lui un philosophe de la nature 6qui traite son sujet dune manire homrique .

    5. Mtaphysique, A, v, 986 a 6. Voir galementRfutations sophistiques, v, 167 b,13.6. Potique, I, 1447 b 17. Il ny a rien de commun entre Homre et Empdocle,hormis la versification

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    La lgende d Empdocle

    Pote excentrique, esprit encyclopdique, il a inspir Hlderlin qui projetait de

    lui consacrer une tragdie dont il reste trois versions (1798-1800) ; en 1870,Nietzsche voulut crire un drame sur ce penseur la fois mdecin, ingnieur etprophte. Partisan de la dmocratie, Empdocle se rfugia dans le Ploponnse la suite de son bannissement ; se jeta-t-il dans lEtna ? Rien ne le prouve.Prfra-t-il se pendre ? Nul ne le sait. Il dclare avoir t honor lgal dundieu pour avoir entre autres loign la peste de Slinonte, non loin de sa ville,sur la cte sud de la Sicile.

    La Haine et lAmour, un drame cosmique

    Ltre, qui est Amour, a la forme dun dieu sphrique composdun mlange homogne dlments immortels et immuables,qui tend se disperser. Une partie de cette conception est hritede Parmnide.

    La doctrine physique est intimement lie une religion issuedes cosmogonies. Physique et dimension mythique se correspon-dent dans le pome par analogie : les mots pour qualifier luneglissent vers lautre, se combinent au sein des effets potiques. Ceprocd fit dEmpdocle le fondateur de la rhtorique , daprsAristote.

    Vous avez dit rhtorique ? la fois art de bien parler et technique de la mise en uvre des moyens dexpression par la composition comme par lemploi de figures, souvent dans le but de persuader.

    Pour Empdocle, la physique de ltre est gouverne par sixprincipes :

    Deux Grands principes dtre suprieurs (ou dyade,

    force motrice de Rassemblement ou de Dispersion) :1. lAmour (reprsent par Aphrodite ou Harmonie) ;2. la Haine (reprsente par Neikos ou Cydeimos).

    Nous sommes ici en prsence dun dualisme religieux au curde la cosmogonie.

    Quatre lments ternels dots dune qualit dtre inf-rieure , lis selon la paire actif/passif : le mle/le fminin, etc.Empdocle distingue deux extrmes : le Feu (Zeus) / la Terre(Hra) ; deux moyens : lAir (Ads) / lEau (Nestis).

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    Ces lments matriels forment une quadruple racine . Sion les ajoute au deux Grands principes, nous obtenons (4 + 6),le ttraktis. Le chiffre 10 est le symbole du Tout et de lUn (la

    matire) chez les Pythagoriciens, cause du mouvement et de lagnration des tres ; cette fonction motrice est galement dotedune fonction multiplicatrice.

    Ce second principe qui reprsente lUn est figur soit par lesquatre lments, soit par la forme arrondie de la Sphre.

    Un devenir cycliqueIl ne faut pas concevoir les cycles dEmpdocle comme une simple

    alternance entre deux phases distinctes, mais comme les moments,les composantes, dune mme ralit7ainsi constitue :

    dans la sphre du monde, la lutte se situe lextrieur, etlamour lintrieur ;

    la lutte chasse lamour jusqu ce que les autres lmentsdu monde, considrs dabord dans leur ensemble, soientdissocis ; lamour est projet lextrieur ;

    puis linverse se produit, jusqu ce quun nouveau cycle ait lieu.

    Lors de la dernire tape du cycle, quand lamour envahit latotalit de la sphre, des lments danimaux sont forms spa-rment. Quand la lutte se situe lextrieur de la sphre, descombinaisons au hasard sont soumises la loi du plus fort, poursurvivre. Quand elle est lintrieur, commence un processusde diffrenciation. Cette conception mcaniste est une causa-lit matrielle : les effets sont produits par la matire dont lesobjets (ou les tres) sont faits. Cette thorie selon laquelle seraientdabord apparus des membres pars, puis des monstres, puis lescratures que nous connaissons, tait professe par Parmnide.La conception dun devenir cyclique sera reprise et modifie parPlaton dans le Politique (269, c).

    7. Selon J. Bollak.

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    Les cycles dEmpdocle : une succession dges

    - un ge gologique et astronomiqueo lAmour succombe la Haine pour serintroduire dans le devenir ; lordre mis en place est dabord strile puis disposeles quatre lments primordiaux en cercles concentriques ;- un ge biologique et physiologique o lAmour mlange les lments : laterre simmerge dans leau, le feu monte dans lair ; la vie nat de cet changefaonn ; les tres vivants issus de la terre font lapprentissage de la procration,ils mettent au monde des cratures issues de la terre et qui succdent aux anciensmonstres ;- lge de la connaissanceo chaque corps jouissant de perception et obissant lattraction sexuelle russit surpasser la Haine jusqu voir rapparatre laspectparfait du dieu.

    Une uvre bigareLuvre dEmpdocle est fascinante plus dun titre : non seule-ment il labore une thorie sous forme de pome o la puis-sance des images se mle un message souvent hermtique,mais encore il tente de restituer ltat dun savoir aussi bien enpsychologie, en anatomie quen climatologie. Ses Catharmes ouPurifications retiennent linfluence du pythagorisme. Empdocley voque la transmigration des mes, la Caverne (que Platon

    reprendra), le thme de la purification philosophique, maisaussi des sujets comme la mdecine et la physiologie, la sensa-tion, la vision (il savait quil faut du temps la lumire pour

    voyager).8

    Un vgtarisme mystique

    Empdocle condamnait les sacrifices danimaux et lingestion de chairs parce queles mes fraternelles vivent et souffrent en elles. Dans cette logique, il pensaitque tous les vivants taient parents ; il prconisait de remplacer les sacrifices

    par des pratiques susceptibles de faciliter lajustement des membres : droitdasile, hospitalit, pratiques8 rotiques (tel lamour entre matre et disciple,lamiti au sein des communauts)

    8. Il les nomme uvres damour .

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    Lcole atomique ou le matrialismede Dmocrite

    Dmocrite dAbdre (~460370)

    Un matrialisme tranquilleOriginaire de la ville dAbdre en Thrace, Dmocrite est lecontemporain de Socrate. Thophraste9a class les tmoignagesrelatifs la philosophie de Dmocrite dans lordre suivant : 1.Les principes ; 2. Dieu ; 3. Lordonnance du cosmos et les phno-

    mnes clestes ; 4. La psychologie (contenant le fragment sur lessensations) ; 5. La physiologie. Il ajoute son plan cinq tmoi-gnages relatifs lthique.

    Les thories de Dmocrite constituent un moyen terme entreHraclite et Parmnide : contrairement lcole late, il main-tient, par exemple, le mouvement, admet la parfaite plnitude deltre prsent par latome, unit infinitsimal de ltre.

    La vie tumultueuse de Dmocrite

    Daprs Hyppolite, il aurait beaucoup voyag, se serait entretenu avec denombreux gymnosophistes aux Indes, avec les prtres en gypte, ainsi quavecles astrologues et les mages Babylone. On lui prte une vie extrmementlongue puisquil aurait t plus que centenaire. Revenu pauvre et indigent, ilaurait vcu des aumnes de son frre. Auteur dune uvre considrable dontil ne reste presque rien, cet esprit encyclopdique riait de tout, selon DiogneLarce. Nietzsche voit en lui le premier penseur rationaliste : Il voulait sesentir dans le monde comme dans une chambre claire , prcise-t-il en voquantla thorie des atomes, exemple de rigueur logique et dogmatique.

    Latomisme de Dmocrite et dAnaxagoreEn grec, atome signifie particule inscable de matire .Dmocrite pense tout le contraire dAnaxagore, si bien quil estpossible de faire un tableau comparatif des systmes des deuxphysiciens :

    9. Philosophe grec pripatticien (~372-287 av. J.-C.), disciple de Platon puisdAristote, il dirigea le Lyce et se consacra surtout la philosophie botanique.

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    Anaxagore Dmocrite

    Au sein du plein infini, toute chose estmlange

    Au sein du vide infini et ternel il y a desatomes spars ; la nature est compose de

    quelque chose : les atomes et le videCes choses sont des germes vivants, desspermes dont le nombre est infini. Leurconstitution est infiniment diverse etchacun possde une infinit de portions detous les autres

    Les atomes sont de petits lments solidesimpossible sparer. Homognes dansleur constitution, leur nombre est infini,ils ne varient que par la forme, la taille,lajustement

    Sous limpulsion dun principe intelligent, lamasse sanime dans un mouvement tournantde plus en plus important

    Dabord anims par un mouvement confus,les atomes sont entrans par hasard dansun tourbillon (il ny a pas de principeintelligent lorigine)

    Le tourbillon provoque lorganisation deschoses par sparation partir dun mlange Les atomes tombent les uns sur les autrespar accident ; le mouvement qui les unit estmcanique ; ils sorganisent en se runissanten une seule masse partir de la sparation

    Pour ce spirituel , les dieux sont absentsde la physique

    Pour ce matrialiste , lopinion populairesur les dieux est maintenue mme sils nesont plus aussi considrs

    Ils saccordent nanmoins sur quelques points : les lmentssont petits, pluriels, infinis, indestructibles, aptes composerune infinit de mondes.

    Lme, un condens datomesLme, comme tout le reste, est constitue datomes plus fins queceux qui forment le corps. Ses atomes sont trs mobiles, lisses etronds. La respiration remplace les atomes disparus. picure et sesdisciples en dduiront que limmortalit nexiste pas puisque lmese dsintgre.

    Dmocrite ne nie pas lexistence des dieux, mais prtend quilssont devenus totalement indiffrents au sort de lhomme. Ledivin, il le conoit comme une me chaude et psychiquerpandue travers le monde, et confondue avec le divin, bienquil ne soit nullement dot dune essence personnelle.

    La thorie des simulacresLe tmoignage des sens nest pas fiable, il demande rflexion.Selon lui, les choses ne sont pas directement visibles, elles le

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    deviennent grce lexistence de simulacres, cest--dire dimagesou dapparences de la ralit. Sa thorie volue selon deuxtapes ; dune part, ces images impriment sur lorgane des sens

    limage de lobjet extrieur ; dautre part, deux flux de lumire(lun provenant de lobjet, lautre de lil) engendrent une subs-tance arienne : un phnomne se produit dans un espace inter-mdiaire (les airs) et constitue lobjet de la perception10.

    La thorie des simulacres et le matrialisme de cette conceptionpoussent Dmocrite chercher le Souverain Bien dans le plaisir,non dans la dbauche ou dans le culte de lagrable (qui variedun individu lautre), mais dans le plaisir de lme, cest--dire

    dans la vraie joie, source de paix et de bonheur.Le bonheur et la modration lpreuve des femmes

    Dmocrite ne porte gure les femmes en estime pour la simple raison que, danslamour, les hommes perdent toute espce de contrle. Il pense par ailleurs quilest prfrable dadopter des enfants plutt que den procrer.

    Les sophistes ou lart du discours

    La fin justifie les moyens

    Nous devons Platon de prendre les sophistes pour des charla-tans, amis des apparences et peu respectueux de la vrit. Ilfaut pourtant reconnatre ces hommes de mtier davoir excelldans lart de manier le langage : ils crent ltymologie, lagrammaire, dressent une liste des types darguments, analysentla nature des preuves avances11

    Une postrit dans lhistoire de la philosophie

    Daprs Hegel, les sophistes ont t les matres de la Grce. Cest par eux que laphilosophie est venue lexistence 11.

    10. Cette seconde tape de la thorie se retrouve dans le Ththtede Platon etchez Protagoras.

    11.Leons dhistoire de la philosophie, tome II, p. 244.

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    Ces professeurs dlivrent une pense efficace, pragmatique,destine autrui et la satisfaction de ses intrts. Peu importece que sont les choses en soi, mais ce quelles sont pour les

    hommes. Pour eux, lart de trouver une solution aux problmesposs repose dabord sur des exigences sociales. Loutil pour lessatisfaire est le langage, au sens de la rhtorique qui tient lieu descience de ltre (lontologie), au service de la science suprme :la logique. Autrement dit, le discours vrai est celui que lautrecomprend ou finit par comprendre parce quil est persuad.

    Lart de la persuasionAu Vesicle, la situation difficile de la Sicile conduit les orateurs rflchir sur les principes de leur art. Corax et Tisias (~450av. J.-C.) sont les principaux reprsentants de cette loquence

    judiciaire qui dveloppe la rhtorique. Lristique devient unemthode de rfutation propre aux sophistes.

    Vous avez dit ristique ? Art de la controverse , lristique consiste mener une discussion suivie sur une opinionou une question.

    Daprs Aristote, Euthydme (spcialiste dans lart de bienconstruire un plaidoyer) en serait le crateur.

    La mthode de la rhtorique

    Cerner le problme (dun homme prcis, dans un milieu social donn).Faire comprendre les solutions possibles, les hirarchiser.Trouver la meilleure en la circonstance , au moment opportun, selon loccasion.Etre efficace pour conduire telle ou telle action.

    Pour persuader, rien ne sert de dire vrai, il suffit de faire croire quetel ou tel but atteindre est plus avantageux quun autre. La rhto-rique est donc la science des techniques par excellence puisquellepermet dtre cru, accept, compris Ce refus de la vrit fait dela sophistique une philosophie sceptique et pessismiste.

    Une histoire de reconnaissanceLtre nayant pas dunit, la science ne peut tre un systmecohrent. Il est donc possible de rpondre nimporte quoi

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    P a r t i e I Le miracle grec

    ou presque une question, en sattribuant une comptenceuniverselle, puisque lessentiel nest pas de connatre la vrit,mais dtre admir par le plus grand nombre. Une valeur est

    bonne non quand elle est vraie, mais reconnue pour vraie.

    Un apport majeur dans lvolution des ides

    Les techniques employes par les sophistes ont contribu affiner certains probl-mes : leur analyse sur la nature de la vertu, par exemple, les conduit tudierles conditions o elle sexerce ; de mme, llaboration dun discours juridique,jusque-l mdiocre, est soutenue par leurs techniques danalyse et dcriture quiont jet les bases dune rflexion sur le droit ; enfin, leur rflexion sur les condi-tions dexercice du discours est capitale dans lhistoire des ides

    Protagoras dAbdre (~480-408)

    Le premier sophisteContemporain de Dmocrite et dEmpdocle, Protagoras, discipledHraclite, est certainement le premier des sophistes. Dabordpauvre homme de peine, il acquiert de linstruction et, pass latrentaine, il commence voyager (Sicile, grande Grce, Athnes).

    Apprci par Pricls autant que par Euripide, Platon donne sonnom un de ses plus clbres dialogues et le met en scne dansThtte, Mnon, lApologie Il est lauteur douvrages sur les math-matiques, lart de la lutte, lristique, dun trait surLa Vrit.

    Protagoras perscut

    Son Trait des dieux lui valut dtre perscut sous le gouvernement des QuatreCents. Le livre fut brl par raison dtat, et Protagoras banni dAthnes ; il seserait noy lors dun naufrage alors quil se rendait en Sicile.

    Une parole pour convaincrePlaton reproche Protagoras davoir monnay ses leons : centmines pour un cours (soit, la mme somme que demandaitZnon12). Mais le profit ntait pas le mobile premier, lefficacitpratique lemportait. Protagoras professe un scepticisme qui va

    12. Voir Platon :Alcibiade majeur, 119, a.

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    Les penseurs grecs avant Socrate Chapitre 1

    vite se rpandre : seules existent les apparences subjectives de lavrit. La consquence directe en est que chacun est autonome,se croit autoris rejeter toute autorit (de ltat comme de sa

    conscience) et vivre, au nom de son intrt, pour son plaisir.

    Vous avez dit scepticisme (antique) ?Doctrine selon laquelle lesprit ne peut atteindre la vrit. Ne pouvant donc rien connatre aveccertitude, les sceptiques doutent de la validit des connaissances relatives au monde extrieur.

    Lart oratoire de Protagoras sest dabord appliqu la sciencepolitique, et principalement au gouvernement de la cit. Pour cefaire, il exploite les ressources de la grammaire, du vocabulaire,en introduisant une quantit de corrections, visant une plusgrande efficacit.

    Sa doctrine sorganise autour de trois grands ples :

    librer la rflexion philosophique du ralisme des physi-ciens en introduisant un relativisme (la connaissance nesaisit que des relations et non la ralit mme) ;

    librer la philosophie de sa dpendance la morale de lareligion traditionnelle ;

    penser lhomme dans lcart qui le spare de la nature et dela socit.

    Lhomme oubli par la natureLhomme, qui est la mesure de toute chose 13, est considrcomme un oubli au sein de la nature : il est donc contraint duserdartifices pour se faire comprendre. Tout est conventionnel : lesmots (dfinis par leur usage) ; le bien distingu du mal ; les dieuxqui nexistent pas ou plutt dont nous ne pouvons rien savoirsinon quils sont faits de terre et mortels. Leur utilit nest avreque par ce quon attend deux

    Voil pourquoi, selon Platon : La vrit de Protagoras ne seraitvraie pour personne : ni pour un autre que lui, ni pour lui. (Thtte, 171, c). Pour Protagoras, lhomme nest rien et na rien attendre de la nature. Cest pour cette raison que la tromperie,la ruse et lartifice sont autoriss. La survie de lhomme est contre

    13. Frag. I tir deLa VritouDiscours destructifs.

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    nature. Sil y parvient malgr tout, cest grce une technique, des outils, lexistence dune socit, dune ducation Ensomme, par la culture.

    Prodicos de Cos (~465- ? av. J.-C.)

    Un grand orateurN dans lle de Cos, Prodicos fit de nombreux sjours Athneset divulgua ses cours dans de nombreuses villes. Ne nous reste deses uvres que des fragments. Ni savant, ni philosophe, Prodicosest dabord professeur de vertu, cest--dire dexcellence ; il a peudgaux dans lart de parler savamment de presque tout.14

    Un orateur divin

    Bien quil et une voix grave qui rendait son coute pnible, ses discours luiattirent une grande renomme : il demande cinquante drachmes (une sommenorme) pour un cours complet sur lart dutiliser les proprit des mots, et unedrachme pour une leon donne un public populaire. Socrate se dclare sonlve pour la proprit des termes et dit de lui : Je voyais un homme universel,vritablement divin.14

    Quand la vertu se fait scienceSelon Prodicos, il est difficile dacqurir vraiment la vertu quicontribue au bonheur. Les sophistes croyaient en la valeur deleffort et du travail. Hracls (Hercule) est le hros symbole decette vertu. Nous sommes ainsi confronts un choix permanentqui incite distinguer le bonheur rel du bonheur apparent ;cest l opposer le vice la vertu, lun attach au monde extrieur,

    lautre au monde intrieur. Dans cette logique, le mensonge estcondamn, et toute sduction rejete. En revanche, Prodicosinvite entretenir une rigoureuse ducation logique et grammai-rienne quil nomme synonymique . Elle suppose une prci-sion dans lemploi du vocabulaire et deux manires de jouer surles mots quil rsume par deux verbes :

    confondre: ramener deux mots une mme signification ;

    14. Platon, Protagoras, 315 c-d.

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    Les penseurs grecs avant Socrate Chapitre 1

    distinguer: faire clater un mot en plusieurs significations ;sparer clairement les synonymes.

    Les dieux ont accord des ressources aux hommes, mais ils nepeuvent en bnficier que par leur labeur. Le travail est donc unevertu. Si le langage est un outil pour parvenir au bonheur, il est renduefficace par lart des distinctions qui vite erreurs et tromperies. Enun mot, le discours tend sans cesse vers la vrit ; il est gouvernpar une disposition de lme, par une volont. Le choix des termes

    justes demande des professeurs eux-mmes vertueux et sur ce pointProdicos, dfenseurs des vieilles murs, est la hauteur

    Gorgias de Lontion (~487380 av. J.-C.)

    Penser et parler -proposN au dbut du Vesicle Lontion, non loin de lactuelleSyracuse en Sicile, Gorgias tait la fois philosophe, rhteur etambassadeur Athnes. Il frquente Empdocle qui linstruit desbeauts de la prose potique. En 427, son loquence merveilleles Athniens : il donne des cours de dialectique et de rhtorique,

    accorde des sances dans des maisons prives. Ses principesde rhtoriques sont contenus dans un Art dont il ne reste rien.Daprs la lgende, Gorgias aurait vcu cent huit ans Il est leseul avoir eu sa statue en or massif Delphes.

    Philosophie et rhtoriqueLart du discours de Gorgias (hrit dEmpdocle) est dabord unephilosophie plus quun ensemble de techniques. Tout repose surl-propos, le moment opportuncomme fondement de la morale.

    En effet, appliquer les bonnes techniques permet de faire triom-pher le juste contre linjuste en fonction des circonstances Plusencore, les propositions contenues au dbut du trait Sur le Non-

    tre offrent un premier exemple de nihilisme : pour Gorgias,il ny a rien, ni tre ni non-tre, aucun discours sur ltre nestpossible ; mme si ltre existait, il ne pourrait tre pens : ltreet la pense sont spars ; et mme si ltre pouvait tre pens, lelangage ne pourrait lexprimer, aucune connaissance ne pourraitcommuniquer cette pense.

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    La science du discours est ainsi libre de la science des choses ;seul le langage est susceptible dtre efficace : le discours quipersuade nest pas vrai mais beau. Et cette beaut consacre la

    naissance de la rhtorique.15

    Les procds15du discours selon Gorgias

    Les tropes : ils produisent leur effet par altration du sens dun mot ou dunephrase ; le jeu porte sur le sens littral . Par exemple, par lallgorie, on parledune chose en voulant en signifier une autre ; par la mtaphore, on dsigne unechose par un mot qui en dsigne une autre.Les figures : elles utilisent un mot ou une ide en lui donnant une formulation ouun sens qui scarte de lusage habituel. Par exemple, par antithse, on compare

    des personnes ou des choses qui sopposent.

    15. Dfinis et systmatiss par Quintilien (~30-100) dans lInstitution oratoire(douze livres sur la formation de lorateur).

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    Socrate

    (~469-399 av. J.-C.)

    Puisque Dieu est cach et que le monde est son secret, il nest

    possible que de se connatre soi-mme, cest--dire de vouloir

    connatre ce qui est vritablement moi, ce qui me constitue.

    La droite raison luvre

    La vie de Socrate

    Que savons-nous de Socrate ? Rien de trs fiable en dehors dutmoignage de Xnophon dans les Mmorables (~370 av. J.-C.) ; lereste est sujet caution, y compris le gnial portrait bross par leplus clbre de ses lves, Platon, dans nombre de ses dialogues.

    Fils dun artisan sculpteur et dune sage-femme, Socrate naquitvers 464, Alopce, prs dAthnes ; nous ne savons rien de sesannes dapprentissage ; peut-tre se maria-t-il deux fois : avecla lgendaire Xanthippe puis avec Myrtho (trois enfants seraientns de ces unions).

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    Le damon de Socrate

    Socrate affirme que cest son dmon (cest--dire sa voix intrieure) qui lui ordonne

    daller pieds nus, dans le plus parfait dnuement, la rencontre de ses contemporainspour converser, sans prendre en considration leur rang ou leur fortune.

    Ce sdentaire qui aime la gymnastique, la gomtrie, lamusique (surtout la lyre), ne quitte Athnes que pour allercombattre les Perses Dlion, participer la campagne dePotide (il a trente-sept ans) et consulter, avec quelques amis,loracle de Delphes : celui-ci le dsigne comme le plus sage

    des mortels , affirmation qui bouleverse sa vie, dcide de

    sa conversion autant que de sa vocation. Platon prcise : Apollon lui avait assign pour tche de vivre en philosophant,

    en se scrutant lui-mme et les autres. (Platon,Apologie, 21 a,28 e).

    Socrate frquente les philosophes sophistes (Protagoras,Hippias, Polos), rencontre Aristophane (qui le ridiculise) etEuripide (quil conseille). Il vit chichement sous la tyranniedes Trente et, environ cinq ans aprs leur fuite (vers - 404), ilest condamn boire la cigu pour avoir perverti la jeunesse,fait preuve dimpit, et avoir introduit de nouveaux dieuxdans la Cit. Avant davaler le poison paralysant, Socratertorque Appolodore qui pleure sur la mort de son ami : Trs cher, prfrerais-tu donc me voir mourir justement plutt

    quinjustement ? et il se met rire.

    La sagesse comme art de vivre

    Socrate na rien crit. Sa philosophie nest pas une doctrine, maisune sagesse mise en pratique. Dans la Grce du Vesicle avant J.-C.,lart de vivre est li la connaissance et la connaissance est unart de vivre, ne visant pas forcment la srnit de lesprit, maisrequrant un tat de veille permanent.

    Vous avez dit philosophie (des Anciens) ?Radical du mot philosophie, sophosignifie tout la fois science et sagesse en grecancien.

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    Socrate (~469-399 av. J.-C.) Chapitre 2

    Le sage aime vivre en socit, en tablissant un rapport fcondavec lautre. Il soigne sa sant, mprise largent, cultive son esprit,

    veille rester modeste, pieux, grce un constant examen de

    conscience ; il obit aux lois de la Cit, cest un devoir, mme siles lois ne sont pas justes.

    Une pense humaniste

    Socrate est un sophiste (au sens premier du terme, un sage )et, comme tel, il est spcialiste des affaires humaines, nondes choses clestes . Lhomme est au centre de sa philosophie,

    au sens de la clbre sentence grave sur le fronton du templedApollon Delphes : Connais-toi toi-mme. Dans la cit,il appartient au sage dentretenir avec les autres une relationprivilgie, dabord par le dialogue. Bien quil ft conservateuren politique comme dans les murs (il approuve lesclavage,fait preuve de misogynie), Socrate est dabord un hommelibre. Il ne craint jamais de dire ce quil pense et shonore demontrer du doigt lignorance de ceux quil veut changer.

    Le dialogue

    Socrate aborde sans distinction tout citoyen, cordonnier, gnral, politicien,prtre, les interpelle dans leur vie quotidienne : Toi qui allais ton chemin,arrte-toi, causons ; entretiens-moi de ce que tu tais sur le point de faire. Pour-quoi crois-tu que cela soit juste, beau ou bon ? Explique-moi donc ce quest lajustice, la beaut, la bont, si tu y parviens. Dialoguer devient philosopher, enmaniant la contradiction partir des arguments donns par linterlocuteur.

    La maeutique ou lart de faire accoucher les esprits

    Une vie sans examen ne mrite pas dtre vcue.

    (Platon, Apologie, 38 a).

    Pour parvenir efficacement faire natre lautre lui-mme,Socrate recourt lironie. Selon Platon, dansApologie(30 e), sesquestions stimulent comme un taon stimule un cheval , ellestournoient autour de la tte avant de piquer pour rveiller. Cettemanire de questionner na dautre but que de prouver sonauditeur quil ne se connat pas ou mal.

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    P a r t i e I Le miracle grec

    Socrate est un empcheur de tourner en rond, un trouble-fte ;il prfre passer les thses au crible plutt que les soutenir. Cettemthode qui consiste se regarder soi-mme, non sans rticence,

    dconcerte son interlocuteur, le trouble et le transforme.

    La maeutique

    Socrate cherche ltre et non le paratre : il sonde linvisible et aspire faireaccoucher les esprits afin que chacun devienne son propre juge, conscient de sesresponsabilits, matre de sa raison : Voici lart de la maeutique ; jexerce lemme mtier que ma mre : accoucher les esprits est ma tche, et non pas den-fanter, qui est laffaire du dieu. (Platon, Thtte, 150, cd).

    Sil cherche ainsi dfinir les vertus de courage (Platon,Lachs),de temprance (Charmide) et de pit (Eutryphron), cest moinspour ce quelles sont que pour inciter les hommes se dfinirpar rapport elles et donc se rendre compte par eux-mmesde ce quils sont vraiment. Selon Socrate, cette mise au point estncessaire parce que nul nest mchant volontairement et quele mal vient de lignorance de soi. Se connatre, cest chercher lebien auquel lme aspire et qui ne relve que delle.

    Sentences socratiques Cher Critias, tu me traites comme si je prtendais savoir les choses

    sur lesquelles je tinterroge (). Il nen est rien. Je cherche. Ensemble,

    nous examinons chaque problme qui se prsente. Et si je cherche,

    cest que moi-mme je ne sais pas. (Platon, Charmide).

    Lhomme Socrate na rien apprendre, parce que la seule science quil revendique, cestde savoir quil ne sait rien. (Platon,Apologie, 21 b et 23 b). Il ny a pas denseignementet donc pas de disciple.La volont est le dsir du bien ; lhomme est naturellement port vers le bien puisquela volont est le dsir essentiel de la nature humaine.La vertu est un savoir qui consiste matriser les mouvements dune nature aveugle(impulsions) et adopter une conduite conforme la science du bien, prouver par desactes que ce qui est dit est vrai : bien penser ne suffit pas, il faut galement bien agir.Vertu, raison et bonheur sont un, dune mme essence .

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    Socrate (~469-399 av. J.-C.) Chapitre 2

    La raison est capable de certitude, elle porte en elle des concepts vrais ; utile dirigernotre conduite, elle ne soppose pas lintuition, mais aux certitudes toutes faites.Le langage est le moyen par lequel lhomme acquiert une conscience claire de lui-

    mme : en quelque sorte, il recouvre la raison. Discours et raison sont lis : cestle logos.La recherche na pas de fin, la conscience nest jamais un terme, plutt une faim querien napaise, une inquitude que rien ne soulage : la pense est continuellementen route.

    InfluencesLa jeunesse athnienne aimait et suivait cet homme qui lui faisaitcomprendre le bien-fond dune remise en question de lduca-

    tion familiale. En ce sens, Socrate corrompait les jeunes gensen cherchant les manciper de tout modle. Aristophane, dansLes Nues,va jusqu crire : Ce hbleur dtourne la jeunesse denotre enseignement ! Tant mieux ! aurait rpondu Socrate.

    Au sens strict, le socratisme nexiste pas, Socrate nest lini-tiateur daucun systme, mais bien plutt dune manire dtre etde penser qui, dune faon ou dune autre, a influenc la quasi-totalit des philosophies.

    SOCRATE Protagoras, Hippias, Polos, Prodicos de Cos (sophistes)

    Platon Xnophon

    Aristote coles Mgariques : Diodore, Cronos, Philon Cyniques : Antisthne Diogne, Mnippe, Stilpon, Timon

    Cyrnaques : Aristippe, Anniceris, Hperias

    + Philosophes de lAcadmie : Xenocrate, Speusippe, Polmon,Crats le Platonicien, Hraclite du Pont(toutes ces coles sopposent dans une guerre dides)+ Phdon dlis (moraliste)

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    Platon

    (427-347 av. J.-C.)

    Dcouvrir lauteur et le pre de cet univers, cest un grand exploit,

    et quand on la dcouvert, il est impossible de le divulguer tous.

    La vie de PlatonLa rencontre de Socrate

    Platon est issu dune famille noble athnienne. Aprs avoir vrai-semblablement suivi les cours de lhracliten Cratyle, il fait larencontre de sa vie en 407 : Socrate le subjugue ; il suivra sescours pendant huit ans. Lors de la condamnation de son matreen 399, il nassiste pas aux derniers moments du philosophe

    et se rfugie Mgare, par peur dtre inquit. Il ne cesserapourtant de vouloir rpondre la question pose par Socrateavant de mourir : Pourquoi le juste est-il condamn mort ? Pourquoi la cit va si mal et court sa ruine ? Il entreprend alorsune suite de longs voyages en gypte, en Cyrnaque (o il faitla connaissance dAristippe et du mathmaticien Thodore), enItalie mridionale (o il frquente les pythagoriciens).

    En 388, il part pour la Sicile, dans lespoir dy convertir ses idesle tyran Denys Ier lAncien : rforme politique, tablissement dun

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    P a r t i e I Le miracle grec

    gouvernement juste. Lexprience tourne court et Platon est exil. Surle chemin du retour, il est captur gine et vendu comme esclave.Le cyrnaque Annicesis, son ami, lachte et lui rend sa libert.

    La fondation de lAcadmie

    De retour Athnes, Platon fonde lAcadmie (du nom dAca-dmus, hros lgendaire dont le nom tait associ au lieu). En 367, Denys II le Jeune accde au pouvoir ; Dion avec qui Platonstait li damiti lappelle la cour. Eudoxe dirige lAcadmiedurant son absence. Platon et Denys se brouille rapidement ; Dion

    et le philosophe retournent Athnes En 361, Denys II invite nouveau Platon qui se laisse convaincre. Nouvelle brouille. Platonest assign rsidence puis relch, grce lintervention dAr-chytas, souverain de Tarente, mathmaticien et stratge en quiPlaton voyait le modle du roi-philosophe. Il rdige ses derniresuvres Athnes et steint, lge de quatre-vingts ans.

    LAcadmie

    Au fronton de lcole de Platon on pouvait lire : Nul nentre ici sil nest gomtre.

    Inspire des coles pythagoriciennes, cest la premire vritable cole de lAntiquit.LAcadmie est organise de faon mthodique (avec salles de cours et bibliothque).Le rayonnement de cette universit avant la lettre sera durable et considrable.Elle vise dtourner les tudiants du devenir pour les tourner vers ltre , cest--dire les loigner du concret pour mieux apprhender labstrait : arith-mtique, gomtrie (plane et dans lespace), astronomie, harmonie (ou tude dessons), toutes ces disciplines tant subordonnes la dialectique et ltude de sesrgles. Lun des premiers tudiants en fut Aristote, qui y tudia prs de vingt ans,jusqu la mort de Platon. Les activits de lAcadmie ne seront suspendues quen529 sur ordre de lempereur chrtien Justinien.

    Une uvre majestueuse

    Luvre de Platon est une des rares de lAntiquit nous treparvenue presque complte ; elle stale sur une cinquan-taine dannes et porte la trace dune volution de la pense etde lexpression littraire. Elle comporte trente-cinq dialogues(classs artificiellement par les Anciens), vingt-huit attests de la

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    Platon (427-347 av. J.-C.) Chapitre 3

    main de Platon, un recueil de lettres, des dfinitions, et six petitstraits apocryphes. Le dialogue nest pas un expos systmatiqueet technique de sujets philosophiques, il na pas la prtention de

    tout rsoudre. Ce genre littraire est aussi une uvre dramatique,qui suppose une discussion entre deux interlocuteurs supposantun lecteur ou un spectateur.

    Lart du dialogue

    Lieu de la dialectique, mthode philosophique o le dbat et la discussion permet-tent linterlocuteur de dcouvrir sa vrit travers un cheminement communet une mthode philosophique dirige ; Socrate tient le rle daccoucheur de lapense, Platon lui donne une forme littraire quil juge adapte linvestigation

    philosophique puisque la pense est un dialogue de lme avec elle-mme . Undialogue qui napporte pas de rponse au problme pos est dit aportique .

    Il est possible de donner un tableau des uvres capitales dePlaton en suivant leur priode suppose de rdaction :

    Priode dejeunesse399-390

    Priode detransition390-385

    Priode dematurit385-370

    Priode devieillesse370-348

    Ion

    ProtagorasEuthyphron

    Gorgias

    MnonApologie de SocrateCritonCratyle

    Phdon

    Le BanquetLa Rpublique(10 livres)*Phdre

    Thtte

    ParmnideSophiste(li Thtte)Politique ( suite duSophiste)TimeCritias (inachev)PhilbeLois (12 livres)

    * La composition de La Rpubliquecomporte quatre priodes (le premier livre datant probablement de la priode dejeunesse) : II-IV ; V-VII ; VIII-IX ; X.

    Platon est un pdagogue. Lexprience philosophique quil proposeexige une conversion de lexistence.

    La mtaphysique

    Rejetant tout uniment les conceptions dHraclite et des sophistes,le monde sensible quoiquen perptuel changement est, selonPlaton, subordonn un monde stable, idal, constitu dEssenceset dIdes, modles de toutes choses.

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    P a r t i e I Le miracle grec

    Sa mtaphysique de ltre distingue deux mondes :

    Le monde sensible, monde de la multiplicit o se succdentgnrations et corruptions. Source dillusions, dombres ,sa ralit est constitue demprunts, de copies imparfaites.Les choses qui nexistent que par imitation et participationdoivent leur existence lopration dun dmiurge, qui leur adonn une forme partir de la matire (ternelle, incre) ;

    Le monde intelligible, soit le principe mme de lexis-tence du monde sensible. Cest le monde des Ides ter-nelles, simples, absolues, et des archtypes, compos didesmathmatiques (cercle, triangle) et dides anhypothti-

    ques (Prudence, Justice, Beaut). Lensemble de ces idesconstitue un ordre harmonieux, un univers hirarchiquergul par un principe unificateur, une Ide suprme : lIdedu Bien, source de ltre et de lessence des autres ides .

    LIde platonicienne

    Drive du grec signifiant image ou modle , lide dsigne la forme, lemodle de toutes choses, la ralit plus relle que les tres sensibles bienquelle ne soit pas perue. LIde fonde le phnomne et lui donne sens. Ainsi, lecercle concret que nous pouvons dessiner et nous figurer est la reproduction impar-

    faite de lIde de cercle (idal) ; il existe donc une ide

    en soi

    du cercle.Il est possible de retrouver le monde intelligible en recourant ladialectique, science suprme, effort soutenu, dmarche intellec-tuelle pour slever lentement, progressivement vers le principede tout, lEssence, puis jusquau Bien.

    Vous avez dit bien ?Confondu avec le divin, cest le principe suprme, suprieur lexistence et lessence,ralit ignorant tout devenir et restant identique elle-mme.

    La dialectique

    Dabord mouvement ascendant par lequel lme slveprogressivement, par degrs, en suivant une division logique apparences sensibles des Ides, concret, opinion , elle finit paratteindre lide du Bien. Dans un second temps, la dialectique

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    Platon (427-347 av. J.-C.) Chapitre 3

    descendante revient de la contemplation du Bien vers le quoti-dien pour instruire les hommes.

    Une philosophie du mythe

    Le mythe est, dans la recherche platonicienne du monde desides, un rcit fictif, narratif, une histoire avec personnagequi se donne comme un autre moyen de comprendre quandle raisonnement pur ne suffit plus. Il suggre un probable quimrite quon lui accorde foi puisquil recle un sens cach, unmessage qui demande tre dpass. Son intention est gale-ment pdagogique : il aide la rflexion et la comprhension,incite rendre meilleur sinon plus courageux.

    On distingue par exemple lallgorie de la caverne (LaRpublique VII, 514 a-519 d) du mythe de lattelage ail (Phdre, 246 a-249 b).Nombre des ides matresses de Platonsont exposes par ces genres que G. Droz dans son ouvrageLesMythes platoniciensa trs clairement classs :

    Mythes sur la condition humaine

    Thmes Mythes etallgories DialoguesPersonnages(exposants) Sujets abords

    Conditionhumaine

    - Promthe

    - landrogyne dAristophane

    - la naissancedros

    - lattelage ail

    Protagoras320 d-322 d

    Banquet189 d- 204 a

    Banquet203 a-204 a

    Phdre246 a-249 a

    Protagoras

    Aristophane

    Socrate +Diodime

    Socrate

    rpartition destalents lamour

    lamour

    lamour

    lmeavant son

    incarnation

    Librationetascensionspirituelles

    - larminiscence

    - la caverne

    - le mystre delamour

    Mmon81 a-e+ Phdre249 c-250 c

    RpubliqueVII 514d-517 a

    Banquet113 d-114 c

    Socrate

    Socrate

    Socrate +Diodime

    le savoircommeressouvenir

    lascensionvers la vrit

    lascensionvers le Beau

    /

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    P a r t i e I Le miracle grec

    Thmes Mythes etallgories DialoguesPersonnages(exposants) Sujets abords

    Destinesdes mes

    - la sentencefinale

    - la distributiondes sanctions

    - Er-le-Pamphilien

    Gorgias523 a-524 a

    Phdon113 d-114 c

    RpubliqueX, 617d-621 b

    Socrate

    Socrate

    Socrate

    jugementdes mes

    rcompenseset chtiments

    choix dunedestine

    Devenir dumonde

    - louvrier-dmiurge

    - les cycles de

    lunivers

    + LAtlantide

    Time29 c-30 c

    Politique268 d-

    273 e

    Time24 c- 25 dCritias 108 e-121 c

    Time

    Ltranger

    Critias

    Critias

    gense dumonde

    univers

    dirig/universabandonn

    anantissementdun empire

    Lallgorie de la CaverneAu dbut du chapitre VII de La Rpublique, un dbat capitalest lordre du jour : qui doit tre confi le gouvernement de

    ltat ? La rponse abstraite devra ensuite tre reprsente dunemanire concrte en recourant lallgorie de la Caverne.

    La thse abstraitePour mieux cerner lessence de la Justice, on imagine unecit idale idalement juste.

    Cette cit est compose de trois classes limage des troisparties de lme ; pour tre parfaitement harmonieuse, cettecit devra rpondre une triple exigence : de travail (confi des producteurs), de dvouement au bien public (confi des gardiens), de gestion rationnelle et sage (confie desphilosophes magistrats).

    Les futurs gouvernants en charge des affaires de ltatne pourront accder leur responsabilits et leur tchequaprs un long apprentissage et une ducation morale etintellectuelle rigoureuse.

    Laccs la connaissance se fait par degrs : du plus illusoireau plus rel, du plus obscur au plus lumineux.

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    Platon (427-347 av. J.-C.) Chapitre 3

    Il existe une correspondance entre lme et la cit (Rpublique IV),toutes deux divises en trois parties :

    me corps

    Parties delme

    Localisationdans lecorps

    Disposition Classes Vertudominante

    Risque deperversion

    Nos ou meraisonnante,partie divinede lhomme

    tte raison philosophes gouvernementsage

    amourdu pouvoir

    Thumosou mevolontaire,gnreuse

    cur courage gardiens dvouement cultede la force

    pitumiaou medsirante ,sensualitqui portelme aubien du

    corps

    ventre sensualit producteurs travail manuel aviditmatrielle

    Cette harmonie du tout par agencement de parties subordonneset solidaires, Platon la nomme Justice. Le mal vient du dsordredans les parties.

    La thse concrteDans une seconde tape, le rcit du lallgorie de la Caverne sedivise en quatre temps :

    Une description de la caverne et de notre enchanement :

    un espace ferm sur trois cts, des prisonniers enchans ( notre image ) depuis leur enfance, corps et tte immobiliss.Ils regardent dfiler des ombres sur la paroi et peroivent des

    voix indistinctes. Nous ne percevons que des apparences, lillu-sion est totale. Les enchans le sont doublement : parce quilssont victimes et parce quils ignorent quils sont des victimes.

    Larrachement hors de cette caverne : conversion (periagog)et premires preuves : on invite le captif la dlivrance ;la sortie de la caverne de lopinion est un arrachement qui

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    P a r t i e I Le miracle grec

    suppose un renoncement tout ce qui jusque-l tait connu.La lumire extrieure blouissante entrane rsistance et rbel-lion dans la nostalgie de la passivit perdue. En passant de la

    rumeur, des on-dit au je pense , le captif libr fait lexp-rience douloureuse de la libert.

    Lascension vers la lumire (anabasis) : lancien captifemprunte un troit sentier escarp qui semble monter versle soleil. Partir la conqute de la Vrit suppose dap-prendre sans cesse, particulirement les sciences abstaitesdites veilleuses (gomtrie, arithmtique, astronomie)qui prparent lesprit labstraction suprme (les Ides).

    La ncessaire redescentevers les hommes encore enchans :Platon pose dabord que seuls les dieux possdent la sagesse, queseuls quelques mes (non encore incarnes) ont eu la possibi-lit de connatre la vrit. Au terme de lascension, pas de repospuisquen bas les autres continuent de vivre dans lignorance ;acqurir la vrit nest pas pour soi, mais pour la partager. Leretour est maladroit, les sarcasmes se mlent aux menaces,autre prix payer pour tre dlivr du mensonge. Les autresont besoin dtre duqus, l aussi commence la politique.

    La dialectique ascendante se compose de deux aspects compl-mentaires, deux voix mdiatrices :

    la Caverne et la qute de la Vrit par la connaissance ;

    les rvlations de Diotime dans le Banquet o lascensionconduit la contemplation du Beau, par lamour.

    Lascension vers le BeauLe Banquet expose galement le mythe dAristophane qui, sur unmode burlesque, raconte lhistoire de landrogyne : lorigine,

    notre nature primitive tait une totalit unique ; nous avons tensuite spars en deux moitis ; enfin lamour est retrouvailles o chaque moiti aspire lunit perdue. Platon explique lirrsis-tible attirance des sexes ; lamour est dabord le dsir de comblerun manque, dassouvir une nostalgie et seul le dsir est mme depouvoir le faire.

    Les propos de Diotime contiennent la conception platoniciennede lamour : deux demies font un entier, plus encore la fusionmet au monde un tiers, une pense et une uvre : lamour est

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    Platon (427-347 av. J.-C.) Chapitre 3

    un enfantement dans la beaut, selon le corps . Il est en ce senscratif et crateur. La rvlation suprme appara