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UNIVERSIT DE
STRASBOURG
COLE DOCTORALE
Centre de droit priv fondamental
THSE prsente par :
Mamounata Agns ZOUNGRANA
soutenue le 26 juin 2012
pour obtenir le grade de : Docteur de lUniversit de Strasbourg
Discipline / Spcialit : Droit pnal et Sciences criminelles
LA PLACE DE LA VICTIME DANS LE PROCS PNAL, TUDE DE DROIT COMPAR : DROIT BURKINAB SOUS
LCLAIRAGE DU DROIT INTERNATIONAL
THSE dirige par : Monsieur STRICKLER Yves Professeur, Universit de Nice
RAPPORTEURS : Monsieur PRADEL Jean Professeur, Universit de Poitiers Monsieur FOURMENT Franois Professeur, Universit de Nantes
AUTRES MEMBRES DU JURY : Madame NORD-WAGNER Magalie Matre de confrences, Universit de Strasbourg Monsieur SAWADOGO Filiga Michel Professeur, Universit de Ouagadougou Monsieur STRICKLER Yves Professeur, Universit de Nice
I
DDICACE
mes parents,
pour tous les efforts fournis pour la scolarisation de vos enfants.
mon poux Sitafa COULIBALY,
pour son soutien et ses encouragements.
Et ma fille Shrine Maeva.
II
REMERCIEMENTS
Je tiens dabord adresser mes remerciements mon directeur de thse, Monsieur le
Professeur Yves STRICKLER pour les conseils quil ma prodigus tout au long de la rdaction
de la thse, ainsi que pour sa patience et sa disponibilit.
Je souhaite ensuite exprimer ma profonde gratitude Monsieur Filiga Michel
SAWADOGO, Professeur lUniversit de Ouaga II pour sa disponibilit et les conseils prcieux
quil ma prodigus dans le cadre de la ralisation de la prsente thse.
Je tiens galement dire merci Monsieur le Professeur Salif YONABA, Monsieur le
Professeur Alioune Badara FALL, Monsieur Gildas BERNIER, Monsieur Luc IBRIGA et
Monsieur douard OUDRAOGO pour leurs soutiens et leurs conseils.
Je remercie galement les avocats, les magistrats ainsi que les personnes uvrant dans le
domaine de laccs au droit qui ont accept de rpondre mes questions.
Je remercie de tout cur, ma famille et tous mes amis qui mont soutenu pendant la
ralisation de cette thse et, en particulier Monsieur Dominique YANOGO pour son soutien et ses
encouragements, ainsi que Monsieur et Madame RENGADE pour mavoir accueilli les premires
semaines de mon sjour en France.
Je souhaite enfin exprimer ma profonde gratitude lAgence Universitaire de la Francophonie.
III
SOMMAIRE
INTRODUCTION ...................................................................................................................................... 1
CHAPITRE PRLIMINAIRE : VOLUTION HISTORIQUE DU ROLE DE LA
VICTIME DANS LA RPRESSION DES INFRACTIONS ........................................................ 21
PREMIERE PARTIE : LA PLACE DE LA VICTIME DANS LE PROCS PNAL AU
REGARD DES DIFFERENTS SYSTEMES JURIDIQUES ........................................................ 56
Titre 1 : La place de la victime sur la scne pnale internationale ........................................................................... 58
Chapitre 1 : La place de la victime dans le systme onusien et devant les juridictions pnales internationales ..... 60
Chapitre 2 : La place de la victime dans les mcanismes rgionaux de protection des droits de l'homme: exemples
des droits europen, amricain et africain ............................................................................................................... 116
Titre 2: La place de la victime dans le procs pnal dans les systmes juridiques compars ............................. 143
Chapitre 1 : La place de la victime dans le droit anglo-saxon ................................................................................. 147
Chapitre 2 : La place de la victime dans le systme romano-germanique ............................................................... 159
DEUXIEME PARTIE : LA PLACE ACTUELLE DE LA VICTIME DANS LE PROCS
PNAL EN FRANCE ET AU BURKINA FASO .......................................................................... 173
Titre 1 : La place de la victime dans le droulement du procs pnal en France et au Burkina ........................ 175
Chapitre 1 : La place de la victime dans la phase prliminaire du procs pnal ..................................................... 178
Chapitre 2 : La place de la victime dans le dnouement du procs pnal ............................................................... 253
Titre 2 : La rparation pcuniaire et la prise en charge extrajudiciaire des victimes dinfractions pnales ..... 330
Chapitre 1 : La rparation pcuniaire du prjudice subi par la victime dinfraction ............................................... 334
Chapitre 2 : La prise en charge des victimes dinfractions pnales......................................................................... 369
CONCLUSION GENERALE ............................................................................................................ 392
IV
Rsum
Le droit international reconnat deux droits fondamentaux aux victimes : le recours devant un
tribunal et la rparation de leurs prjudices. Le recours devant un tribunal se dcline en plusieurs
droits : le droit daccder un tribunal, le droit linformation, le droit lavocat, le droit tre
entendu dans la procdure. Le droit international recommande en outre, aux tats de prendre des
mesures pour assurer la protection des victimes et leur prise en charge. Au plan international, la
cration de la Cour pnale internationale et des juridictions communautaires participent,
considrablement la mise en uvre des droits reconnus aux victimes. Au niveau national, il
existe une divergence de point de vue des lgislations des tats, concernant le statut de la victime
dans le procs pnal. Les pays de la Common Law reconnaissent gnralement la victime comme
tmoin au procs pnal. Tandis que les pays de droit continental lui reconnaissent la qualit de
partie civile. Cependant, la mise en uvre des droits des victimes reste une proccupation
importante dans tous les cas. Cette tude comparative laisse apparatre clairement que la place de
la victime en droit burkinab ne correspond pas la dynamique de lvolution entame au plan
international sur ce sujet. En effet, le Burkina Faso sest dot, au lendemain de son indpendance,
dun Code de procdure pnale largement inspir du droit franais. Cependant, labsence dune
vritable politique pnale prenant en compte les intrts des victimes dinfraction limite la
participation de ces dernires au procs pnal. La rparation des prjudices subis par les victimes
nest pas effective car lauteur na pas souvent les moyens de payer et il nexiste pas de systme
dindemnisation publique. Labsence dalternatives au procs pnal classique est un autre point de
faiblesse de la justice burkinab. On retient galement, une insuffisance des mesures visant
protger les victimes. Quant laide aux victimes, elle nest pas assure du fait de labsence dun
programme tatique visant la prise en charge de leurs besoins. Du ct du milieu associatif, des
initiatives existent, mais natteignent pas vraiment la grande majorit des victimes. Face cette
situation, nous avons jug essentiel de proposer diverses pistes de solutions, parmi lesquelles les
suivantes : le renforcement des droits des victimes dans les procdures classiques, lamlioration
du droit la rparation des victimes, le recours des programmes de justice restauratrice et la
mise en place de mesures daide aux victimes.
Mots cls : Burkina Faso, victime, action civile, procs pnal, droit compar, droit international,
droit coutumier.
V
THE ROLE OF THE VICTIM IN THE CRIMINAL TRIAL, A STUDY OF COMPARATIVE LAW: BURKINA FASO LAW SEEN IN THE LIGHT OF INTERNATIONAL LAW
Synopsis
International law recognizes two fundamental rights for victims: the right to a court and the right
to compensation of any loss. The right to a court includes the right of access to a court, the right to
information, the right to legal representation and the right to a hearing. International law also
recommends that States take measures to ensure the protection and support of victims. At the
international level, the establishment of the International Criminal Court and other international
bodies made a considerable contribution to the implementation of victims rights. At the national
level, there is a divergence of views between the laws of the States concerning the status of the
victim in the criminal trial. Common-law countries generally recognize the victim as a witness at
the criminal trial, whereas continental law countries accord the victim civil-party status. However,
implementation of the rights of victims remains a major concern in all cases. This comparative
study clearly shows that the role of the victim in Burkina Faso law does not correspond to the
dynamics of the evolution begun at the international level on this subject. Although, following
independence, Burkina Faso adopted a code of criminal procedure largely inspired by French law,
the lack of any real criminal policy taking into account the interests of victims of offences means
they have only limited rights of participation at the criminal trial. Reparation of damage suffered
by victims is not effective because offenders often do not have the means to pay and there is no
system of public compensation. The absence of alternatives to the classical criminal trial is another
weakness of the criminal-justice system in Burkina Faso, as is the lack of measures to protect
victims. Likewise, assistance for victims is not assured because of the absence of a State program
to support their needs. While initiatives are taken by community organizations, they do not really
reach the vast majority of the victims. In this situation, we have found it essential to propose
various possible solutions, including: strengthening the rights of victims in the standard
procedures, improving the right to reparation for victims, using restorative justice programs and
implementing measures of assistance for victims.
Keywords: Burkina Faso, victim, civil action, criminal trial, comparative law, international law,
customary law.
VI
ABREVIATIONS
AAV : Association daide aux victimes
ADP : Assemble des dputs du peuple
AFEDI : Association des femmes divorces et des femmes et enfants en difficults
AFJ/BF : Association des Femmes Juristes du Burkina Faso
Aff. : Affaire
Al. : Alina
AN : Assemble nationale
Artch. Pol. Crim. Archive de politique criminelle
Art. : Article
BEX : Bureaux d'excution des peines
Bull. civ. : Bulletin des arrts des Chambres civiles de la Cour de cassation
Bull. crim. : Bulletin des arrts de la Chambre criminelle de la Cour de cassation
CA : Cour dappel
CADHP : Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples
Cass. crim. : Chambre criminelle de la cour de cassation
CDR : Comits de Dfense de la Rvolution
C.E.D.H. : Cour europenne des droits de lhomme
Ch.: Chambre
Chr. : Chronique
Cf. : Confer
CJC : Comit de justice communautaire
Coll. : Collection
Concl. : Conclusion
C. proc. pn. : Code de procdure pnale
CPI : Cour pnale internationale
C.R.P.C. : Comparution sur reconnaissance pralable de culpabilit
VII
CSPS : Centre de sant et de promotion sociale
CVR : Commission de vrit et rconciliation
D. : Dalloz
Dc.: Dcembre
Dir. : Ouvrage publi sous la direction de
Ed. : Editions
Fev. : Fvrier
FGTI : Fonds de garantie des victimes dactes de terrorisme et dautres infractions
Gaz. Pal : Gazette du Palais
Ibid. : Ibidem, mme rfrence
INAVEM : Institut national daide aux victimes et de mdiation
Infra : Ci-dessous
I.P.P. : Incapacit permanente partielle
I.R. : Informations rapides
I.T.T. : Incapacit temporaire totale ou Incapacit totale de travail
J.A.P. : Juge de lapplication des peines
Janv. : Janvier
J .C. P. : Jurisclasseur priodique
JUDEVI : Juge dlgu aux victimes dinfraction
J.O. : Journal Officiel
Juil. : Juillet
L .G.D. J. : Librairie Gnrale de Droit et de Jurisprudence
MACO : Maison darrt et de correction de Ouagadougou
N. : Numro
Nov. : Novembre
Obs. : Observations
OEA : Organisation des Etats Amricains
Op.cit. : Opere citato, ouvrage, article dj cit
Oct. : Octobre
VIII
ONG : Organisation non gouvernementale
ONU : Organisation des Nations unies
P., pp : Page (s)
Par. : Paragraphe
: Paragraphe
PIDCP : Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques
P.U.F. : Presse universitaire de France
Rapp. : Rapport
R.P.P. : Rglement de procdure et de preuve
R.S.C. : Revue de Science Criminelle et de droit pnal compar
S. : Suivants
SAV : Services daide aux victimes
SAVU : Services daide aux victimes durgence
Sept. : Septembre
Supra : Ci-dessus
T. : Tome
T.G.I. : Tribunal de grande instance
T.I.G. : Travail dintrt gnral
Trib. Corr. : Tribunal correctionnel
TPI : Tribunal pnal international
TPIR : Tribunal pnal international pour le Rwanda
TPC : Tribunal populaire communal
TPD : Tribunal populaire dpartemental
TPA : Tribunal populaire dappel
TPIY : Tribunal pnal international pour lex-Yougoslavie
TPR : Tribunaux Populaires de la Rvolution
V. : voir
Vol. : Volume
Voy. : Voyez
INTRODUCTION
Les victimes, longtemps considres comme des oublis de lhistoire1 sont de plus en plus pris
en compte dans les rcentes politiques pnales aussi bien en droit compar quau plan
international. A telle enseigne quA. T. LEMASSON2 se demande si lintrt croissant que la
procdure pnale accorde aux victimes, tant dans les systmes juridiques nationaux que dans
lordre international, est un effet de mode destin rester sans lendemain ou correspond-il de la
mme manire un changement durable de perspective ?
Pour tenter de comprendre les motifs de lengouement soudain pour les victimes et la place
quelles occupent dans le procs pnal, il convient dabord de saccorder sur la notion de victime.
I : Dfinition de la victime
Le lgislateur burkinab, comme, la plupart de ses pairs ne donne aucune dfinition de la
victime. Le Code de procdure pnale naborde la notion de victime quen tant que partie au
procs (art. 84 du C. de proc. pn.). Le terme a pourtant volu.
Le mot victime est dorigine latine. Victima signifiait crature offerte en sacrifice aux dieux3.
La victime est, dans un sens large, ltre qui souffre dune manire injuste. Dans ce sens, le
terme victime renferme dnormes nuances. Comme le faisaient remarquer A. GAPARON et D.
SALAS lorsqu'ils furent entendus par le groupe de travail l'origine du rapport Lienemann4, le
champ de la victimisation revt une extrme diversit, avec d'un ct les grandes catastrophes
collective set de l'autre la dlinquance quotidienne, allant des atteintes physiques graves aux
incivilits. On peut tre victime d'un scandale sanitaire, d'un crime crapuleux, d'une
discrimination, d'un abus de pouvoir, d'un crime contre l'humanit, d'un accident de la route...
Cette diversit du champ de la victimisation rend difficile toute tentative de dfinition unitaire. Et
1E. HERY, B. GARNOT (dir.), Les victimes, des oublies de lhistoire ? , Annales de Bretagne et des
Pays de lOuest [En ligne], 108-3 | 2001, mis en ligne le 20 septembre 2003, URL : http://abpo.revues.org/1724, consult le 17 septembre 2011. 2A. T. LEMASSON,La victime devant la justice pnale internationale. Pour une action civile
internationale, Publication de la facult de Droit et des Sciences conomiques de lUniversit de Limoge, 2012, p. 15 3 J. AUDET, J. F. KATZ, Prcis de victimologie gnrale, Dunod, 2
me d., 2006, p. 6.
4Rapport Lienemann Pour une nouvelle politique publique d'aide aux victimes remis au 1
er Ministre le
26 mars 1999.
http://abpo.revues.org/1724
2
cest juste titre que N. LANGUIN5 affirme que : Le concept-mme de victime ne se laisse pas
aisment dfinir tant sont lies dans ce concept des approches sociologiques, juridiques et bio-
psychologiques. Lapproche sociologique sattache aux reprsentations et peut concevoir quune
personne qui se prtend victime est de fait victime. Alors que lapproche juridique cre des
catgories abstraites (auteur, tmoin, victime, etc.). Il y a aussi une approche bio-psychologique
plus lie laspect de souffrance et de traumatisme que subit la victime .
Toutefois, quelque soit lorigine de leur victimisation, la justice apparat de plus en plus
souvent comme la seule rponse possible la situation des victimes ; la judiciarisation de la
socit contemporaine se traduisant par un recours de plus en plus frquent l'institution judiciaire
pour assurer la rsolution des conflits. Or, linstitution judiciaire ne peut pas prendre en charge
toutes les personnes se prtendant victimes de quelque chose. Do la ncessit, ces dernires
dcennies, de prciser la notion de la victime au sens juridique.
Selon R. HELLBRUNN, Dun point de vue strictement juridique, est victime toute personne
pouvant demander rparation la suite dune infraction (contravention, dlit ou crime) tel que
dfinie par ledit code... 6. Pour F. FOURMENT, il convient plutt de parler de partie lse
car il ne sagit pas forcment de la victime (de chair et de sang) .7
Cependant, pour ce qui concerne le but de son action, la Cour de cassation franaise a admis la
possibilit de se constituer partie civile uniquement dans le but de corroborer l'action publique8.
Sur le plan international, cest dabord, lOrganisation des Nations Unies qui propose une
dfinition de la victime : On entend par 'victime' [de la criminalit]des personnes qui,
individuellement ou collectivement, ont subi un prjudice, notamment une atteinte leur intgrit
physique ou mentale, une souffrance morale, une perte matrielle ou une atteinte grave leurs
droits fondamentaux, en raison dactes ou domission qui enfreignent les lois pnales en vigueur
dans un Etat membre [],
ne constituent pas encore une violation de la lgislation pnale nationale, mais qui
reprsentent les violations des normes des droits internationalement reconnus en matire de droit
de lhomme 9.
5N. LANGUIN, Lmergence de la victime quelques repres et sociologiques , expos fait Strasbourg
lors de la journe dtude du16 dcembre 2005 sur la place de la victime dans le procs pnal, disponible
en ligne : http://www-cdpf.u-strasbg.fr, consult le 15 mars 2008. 6 R. HELLBRUNN, Peut-on aider les victimes ?, Toulouse, Ers, 1985, p. 24.
7 F. FOURMENT, Manuel de Procdure pnale, 12
me d., Paradigme, 2011-2012, p. 152.
8 Cass. crim., 8 juin 1971, D. 1971, jur. p. 594, note J. MAURY.
9 Rsolution de l'Assemble gnrale des Nations Unies portant Dclaration des principes fondamentaux
de justice relatifs aux victimes de la criminalit, 11 dcembre 1985.
http://www-cdpf.u-strasbg.fr/
3
La Cour Pnale Internationale (CPI), dans son statut et rglement, prcise, galement, la notion
de victime :
Aux fins du Statut et du Rglement :
a) Le terme victime sentend de toute personne physique qui a subi un prjudice du fait de la
commission dun crime relevant de la comptence de la Cour ;
b) Le terme victime peut aussi sentendre de toute organisation ou institution dont un bien
consacr la religion, lenseignement, aux arts, aux sciences ou la charit, un monument
historique, un hpital ou quelque autre lieu ou objet utilis des fins humanitaires a subi un
dommage direct 10
.
Au niveau europen, cest la Dcision-cadre du Conseil de lUnion europenne du 15 mars
2001 qui dfinit la victime comme : la personne physique qui a subi un prjudice, y compris une
atteinte son intgrit physique ou mentale, une souffrance morale ou une perte matrielle,
directement caus par des actes ou des omissions qui enfreignent la lgislation pnale dun Etat
membre .11
Si la dfinition juridique du terme victime exclue certaines approches du concept, llment
psychologique est largement reconnu. Selon R. CARIO, doit tre considre comme victime toute
personne en souffrance, ds lors que cette souffrance est personnelle, relle, socialement
reconnues comme inacceptables et de nature justifier une prise en charge des personnes
concernes12
.
Le Code de procdure pnale burkinab, qui naborde la question de la victime quen
lapprochant comme une partie au procs pnal, parle de personne ayant personnellement
souffert du dommage caus par l'infraction 13
.
Lquivalent juridique du concept de victime est, par consquent, la partie civile, c'est--dire,
toute personne qui se prtend victime dune infraction pnale, lorsquelle entend ce titre, tre
prsente au procs. En dautres termes, est partie civile, celui qui a personnellement souffert dun
dommage directement caus par une infraction, et qui, ce titre exerce contre les auteurs, laction
civile en rparation du prjudice caus. La qualit et lappellation de partie civile sont donc
rserves aux victimes figurant devant les juridictions pnales. La victime dune infraction qui
exerce laction civile devant une autre juridiction que la juridiction rpressive est uniquement
appele partie , mme si elle reste partie demandant la rparation au civil. Il en est de mme,
10
Rgle 85 du Rglement de procdure et de preuve de la CPI. 11
Art. 1er (a) de la Dcision-cadre du Conseil de lUnion europenne du 15 mars 2001, Journal officiel des
Communauts europennes du 22 mars 2001. 12
R. CARIO, Victimologie, Paris, L'harmattan, 2006, p. 33. 13
Art. 2 C. proc. pn.
4
pour les victimes qui exercent un recours devant la commission dindemnisation des victimes
dinfraction14
, cette commission ayant le caractre dune juridiction civile.
Toutefois, malgr les prcisions donnes sur la notion de victime, lutilisation de ce terme dans
le procs pnal demeure problmatique. Dans une socit o on assiste de plus en plus une
fascination pour la situation de victime, o tout le monde peut se prtendre victime de quelque
chose, o le degr de manipulation des prtendues victimes semble ne plus avoir de limite, les
acteurs de la justice ont plus que jamais besoin de prendre du recul par rapport aux faits qui leur
sont rapports afin de rendre une justice sereine. Il devient, de plus en plus, difficile de croire
demble les personnes qui se prtendent victimes. Cest pourquoi certains juristes dnoncent
lutilisation de lexpression victime puisque la personne ne bnficie pas encore de la
reconnaissance judiciaire de cette qualit. Dans la doctrine franaise, notamment, linsertion des
intrts de la victime larticle 304 du Code de procdure pnale franais na pas fait lunanimit.
Certains auteurs prfrent lexpression la partie plaignante car ce nest qu lissue du procs
que lon dterminera en ralit la victime et le coupable. Dautres parlent de prsume victime .
Pour A. BLANC15
, laccus demeurant, aux termes mmes de la loi prsum innocent
jusquau verdict, la partie civile ne saurait tre considre comme victime qu la suite de la
dclaration de culpabilit de laccus, une fois le procs termin. Cependant, comme le fait
remarquer Y. STRICKLER16
, si le Ministre public a pris seul linitiative des poursuites, il
nexiste pas dautre expression pour la dnommer, les termes plaignants et parties civiles ntant
pas adapts. En plus, il serait contre productif pour laccusation dutiliser lexpression prtendue
victime car cela ne ferait quamoindrir la porte de ses affirmations. Le sentiment de mfiance
lgard des victimes prtendues ne doit pas nuire leur image devant la justice. Lexpression
partie plaignante au lieu de victime ne doit pas entraner de frustrations chez le justiciable.
Dailleurs, cette distinction na pas le mme sens dans tous les pays. Par exemple, G.
PIQUEREZ, qui fait une distinction entre la partie plaignante, la partie civile et le plaignant, selon
la procdure pnale suisse, dfinit la partie plaignante comme : la personne lse de faon
immdiate dans son bien juridique par un acte punissable et qui requiert la condamnation pnale
de son auteur et participe activement la procdure en y exerant ses droits 17
. Pour lui, la partie
14
V. infra, p. 358 et s. 15
A. BLANC, La question des victimes vue par un prsident dassises, Dossier : Quelle place pour la victime ? , AJ pnal, dcembre 2004, p. 432. 16
Y. STRICKLER, Rapport de synthse de la journe dtude sur la place de la victime dans le procs pnal, Universit de Strasbourg, 16 dcembre 2005, disponible en ligne :
http://cdpf.unistra.fr/travaux/procedures/contentieux-penal/la-place-de-la-victime-dans-le-proces-penal/rapport-de-synthese/, consult le 30 avril 2008.
17 G. PIQUREZ., Manuel de procdure pnale suisse, Schulthess, Zurich, 2001, p. 194.
http://cdpf.unistra.fr/travaux/procedures/contentieux-penal/la-place-de-la-victime-dans-le-proces-penal/rapport-de-synthese/http://cdpf.unistra.fr/travaux/procedures/contentieux-penal/la-place-de-la-victime-dans-le-proces-penal/rapport-de-synthese/
5
plaignante doit tre nettement distingue de la partie civile, qui nintervient au procs que pour
rclamer rparation de son prjudice, ainsi que du plaignant selon larticle 28 Code pnal suisse,
qui dnonce, sans intervenir activement en procdure, linfraction dont il est victime. Donc, la
distinction en droit suisse se fonde sur la nature de la requte formule par le justiciable devant la
justice et non sur un sentiment de mfiance vis--vis de sa parole.
De ce qui prcde, nous retenons que la victime dans le procs pnal est une personne qui a
subi un prjudice rsultant dune infraction pnale et qui attend, ce titre, participer au procs
pnal pour demander une rparation ou simplement corroborer laction publique.
Aprs avoir dfini la victime, il nous parat, galement, important dexposer les grandes
difficults auxquelles elle peut tre confronte.
II : Les difficults lies la situation de victime
Linfraction pnale peut avoir des consquences graves sur la situation des victimes
dinfraction ordinaire ou de violations graves du droit international des droits de lhomme et du
droit international humanitaire.
Pour M. BARIL, lexamen de lexprience des victimes a montr la spcificit de la
victimisation dorigine pnale18
. Si elle peut avoir des consquences identiques celles produites
par dautres types de victimisations comme les accidents collectifs ou les catastrophes naturelles,
elle prsente, nanmoins, des traits caractristiques propres qui ont une incidence sur la nature et
sur les modalits de la rparation apporter la victime. Ces particularismes tiennent, dabord,
la dimension morale de lacte. Volontairement ou imprudemment, un tiers a nuit la victime, ce
qui provoque chez elle une perte de repres et tiole sa confiance en la vie en socit. Selon R.
HELLBRUNN19
, Etre victime, cest avoir fait une mauvaise rencontre avec un autre. Cest
pouvoir comprendre aprs un long cheminement, que lhomme est parfois violent avec son
semblable et que les structures de la socit narrivent pas totalement nous en protger . Il
poursuit son raisonnement avec lexemple du cambriolage qui, comme toutes autres infractions,
brise la vie de la victime : un cambrioleur aura introduit par effraction une angoissante
extriorit dans un univers intime et scurisant. Il prend des objets et montre par l que rien
ntait dfinitif dans ce quon croyait acquis pour lternit []. Sil na fait que son 'travail', il a
18
V. sur cette spcificit, M. BARIL, Lenvers du crime, 1re
publication, C.I.C.C., Montral, 1984, d. LHarmattan, Coll. Trait de Sciences criminelles, vol. 6, 2002, pp. 186-196 ; I. AERTSEN, S. CHRISTIAENSEN, L. HOUGARDY, D. MARTIN, Assistance policire aux victimes, Academia Press, 2
e d., 2002, pp. 11-17.
19 R. HELLBRUNN, op. cit., p. 24.
6
rompu lordre des choses en fuyant ; il a bris le cercle magique de lharmonie protectrice des
objets familiers. Et fondamentalement, monstrueusement et par dessus tout : il existe ! .
De plus, parmi les diffrentes victimisations possibles, seule celle qui trouve sa source dans une
infraction pnale gnre une perte destime de soi. La victime se sent dvalorise, la fois ses
propres yeux et aux yeux dautrui20
. M. BARIL a expliqu ce phnomne en assimilant
linfraction un acte de domination momentane21
. A linstant o elle se commet, la victime est
subordonne la volont dautrui et prend conscience de son impuissance22
. Incapable de ragir,
elle vit cette perte de pouvoir comme un chec, voire comme une humiliation ou une perte de
dignit. Et, souvent, elle ne se reconnat pas dans la faon dont elle a ragi. Elle se croyait forte,
linfraction lui renvoie limage dun faible. En outre, lacte confronte brusquement la victime sa
vulnrabilit et sa mortalit, produisant sur elle un effet dvastateur. Le sentiment de peur induit
par linfraction joue galement un rle prpondrant.
Une telle analyse des consquences de linfraction sur la victime nous montre quel point
celle-ci peut tre tourmente par lvnement malheureux qui a troubl la quitude dans laquelle
elle vivait jusqualors. Elle vit, dsormais, avec le traumatisme, langoisse et la crainte dune
ventuelle rcidive.
Si cette situation est frquente chez les victimes dinfraction ordinaire, on relve une autre
dimension de la victimisation chez celles qui ont subi des crimes contre lhumanit et des
violations graves des droits de lHomme. En effet, deux diffrences majeures sparent les victimes
de crimes ordinaires et les victimes de plus graves violations des droits fondamentaux : lhorreur
du crime et la qualit de lauteur. La souffrance semble donc plus intense que celle des victimes
dinfraction ordinaire. La victime dun massacre systmatique ou gnralis souffre de
traumatismes pluriels. La souffrance ne sarrte videmment pas lorsque le bourreau cesse de svir
physiquement. Elle change simplement de nature. Pour ceux qui chappent la mort, commence
une survie quotidienne dlicate marque par la prsence de nombreux Post-Traumatic Stress
Disorder (PTSD) : stress, anxit, problmes sexuels, difficult de concentration, sentiment
20
N. PIGNOUX, La rparation des victimes dinfractions pnales, Thse prsente et soutenue
publiquement pour lobtention du grade de Docteur en Droit le 12 novembre 2007, Universit de Pau et
des Pays de lAdour Facult de Droit, dEconomie et de Gestion, p. 43. 21
M. BARIL, op. cit., p. 128 et pp. 176-177 ; M. BARIL, Ils nont plus la libert : raction la
victimisation et ses consquences, Criminologie, 1980, pp. 94-103. 22
V. sur le sentiment dimpuissance, M. MARZANO, Quest-ce quune victime ? De la rification au
pardon, A. P. C., n 28, pp. 11-14.
7
dabandon, cauchemars et flashbacks rcurrents ou phobies sont parmi les symptmes les plus
couramment observs23
.
Quelque soit lintensit de leurs souffrances, les victimes dinfraction ordinaire ou celles de
violation grave du droit international ont, gnralement, les mmes attentes.
III : Les attentes des victimes
Les aspirations des victimes sont essentiellement dordres matriels et motionnels. La victime
dune infraction subit gnralement un prjudice24
. Et, elle a besoin dobtenir la rparation de son
prjudice. La rparation peut tre symbolique. Mais elle revt une importance fondamentale pour
la victime. A ce propos, R. HELLBRUNN affirme que : Ils sont venus parler du prjudice quils
subissent, simplement avec lespoir de faire cesser la situation qui les prouve et de rentrer dans
le cas chant dans leur argent. Ce que veulent ces victimes : cest obtenir rparation et retrouver
la paix 25
.
Au-del de la simple rparation de leurs prjudices, certaines victimes souhaitent participer au
droulement du procs pnal. Elles ont besoin de comprendre, elles demandent des explications
dans un langage accessible sur le fonctionnement de la police et de la justice, sur le droulement et
le temps de la procdure, sur ltat de leur dossier, sur les dmarches administratives et judiciaires
entreprendre, sur les lieux o se rendre, sur les conditions de libration de lauteur. Elles ont
besoin dtre accueillies, aides, soutenues, assistes, accompagnes, orientes : elles demandent
un accueil de qualit, une aide psychosociale, une assistance judiciaire, un renvoi vers des
personnes et services spcialiss. Elles attendent de pouvoir faire leur deuil et surtout ne pas vivre
ou revivre de nouvelles souffrances ou devoir faire face des tracasseries administratives ou
judiciaires. Elles ont, galement, besoin de pouvoir faire face au cot de la justice et tous les frais
engendrs par leur affaire.
En somme, les victimes ont besoin dtre entendues, mieux, elles demandent tre coutes et
elles souhaitent parler, raconter les faits, exprimer leur colre et leur souffrance.
Et pour certains victimologues les attentes des victimes doivent tre prises en compte dans le
cadre de la procdure pnale. Ne rien faire pour elle, aboutit renforcer le sentiment ambiant
dinscurit. Ne pas les entendre sans mme parler de les satisfaire expose deux sortes de
23
J. FERNANDEZ, Variations sur la victime et la justice pnale internationale, Revue de Civilisation Contemporaine de lUniversit de Bretagne Occidentale Europe/Amrique, disponible en ligne : http ://www.univ-brest.fr/amnis/, consult le 2 fvrier 2008. 24
V. infra, p. 330 et s. 25
R. HELLBRUNN, op. cit. p. 139.
8
risques : le premier est de susciter ou dexacerber un sentiment de vengeance ou de justice prive
qui dbouche sur des rflexes individuels ou collectifs dautodfenses, le second est de prcipiter
la victime dans un cycle dpressif26
.
Ces affirmations sont pourtant relativiser car certains auteurs, au contraire, pensent que le
procs pnal n'est pas satisfaisant dans la mesure o il ne garantit pas toujours un bien-tre de la
victime. La justice nest pas une thrapie rappelle R. BADINTER27
. Celui qui est au centre du
procs pnal, cest celui qui est jug.
Cest, sans doute, pour cette raison que certains Etats nacceptent la victime quen tant que
tmoin au procs pnal. Dautres, par contre, trouvent ces attentes lgitimes et permettent une
participation plus importante de la victime au procs pnal.
Mais, quest ce que le procs pnal ?
IV : Dfinition et caractres du procs pnal
Avant mme de donner le sens du procs pnal, il convient de prciser que la distinction entre
procs pnal et procs civil na pas toujours exist.
L'ancien droit ne connaissait pas proprement parler de droit pnal28
. La victime dune
infraction saisissait les juridictions ordinaires, selon la procdure accusatoire. Aucune diffrence
nexistait entre le procs civil et le procs pnal. Cest sous la double influence de l'cole du droit
naturel et des principes dvelopps par C. BECCARIA29
, que le droit issu de la Rvolution opre
une nette distinction entre droit pnal et droit civil, d'une part, et la procdure pnale et civile,
dautre part.
Aprs la division du droit entre ses deux branches, droit civil et droit pnal, le sort de la victime
va sapprcier diffremment, selon quelle se plaint dun dommage rsultant dune faute civile ou
dun dommage rsultant dune faute pnale. Dans le premier cas, la victime reste seule titulaire du
droit dester en justice et dans le second cas, on retrouve une sparation totale entre laction
publique ayant pour but le prononc dune peine, et laction civile dont lobjet principal est de
dcider sur le ddommagement la victime. Ainsi, le droit civil s'intresse la rparation des
26
Ibid., p. 24. 27
R. BADINTER, Ne pas confondre justice et thrapie , LeMonde, 8 septembre 2007, disponible en ligne : http://www.lemonde.fr/societe/article/2007/09/08/robert-badinter-ne-pas-confondre-justice-et-therapie_952825_3224.html, consult le 10 juillet 2011. 28
E. DE CHAMPS, La dontologie politique ou pense constitutionnelle de Jrmy. BENTHAM, Travaux des sciences sociales n213, dirigs par G. BUSINO, p. 144, disponible en ligne : http://www.droz.org, consult le 6 janvier 2012. 29
C. BECCARIA, Trait des dlits et des peines, [1764], Paris, Garnier-Flammarion, 1991, traduit par M. CHEVALIER, introduction par Franco Venturi, Genve, Droz, 1965, XLVI, 80 et (2) p. (Les Classiques de la pense politique, numro 1) ; v. galement, nouvelle traduction franaise avec introduction de M. ANCEL et G. STEFANI, Paris, d. Cujas, 1966, XVII et 148 p.
http://www.lemonde.fr/societe/article/2007/09/08/robert-badinter-ne-pas-confondre-justice-et-therapie_952825_3224.htmlhttp://www.lemonde.fr/societe/article/2007/09/08/robert-badinter-ne-pas-confondre-justice-et-therapie_952825_3224.htmlhttp://www.droz.org/
9
dommages ; il peut procder une rparation en nature (lorsqu'il est possible de remdier au
dommage) ou par quivalent montaire, lorsqu'une telle rparation est impossible. Le droit pnal
vise la punition et l'amendement du dlinquant.
En France, la sparation entre les deux actions fut dabord effectue par le Code du 3 brumaire,
an IV30
. Le Code dinstruction criminelle de 1808 et le Code de procdure pnale de 1958
consacreront cette dissociation. Malgr cette distinction, la procdure pnale franaise offre un
droit doption la victime qui peut demander la rparation de ses prjudices devant les juridictions
rpressives ou devant les juridictions civiles. Toutefois, et malgr le choix laiss la partie lse,
seules les rgles de la procdure civile seront appliques aux procs en responsabilit intents par
la victime soit devant les juridictions criminelles soit devant les juridictions civiles. Dautres
lgislations31
vont accentuer davantage cette sparation en donnant aux juridictions civiles
comptence exclusive en cette matire. La victime qui souhaite obtenir lindemnisation des
dommages causs par le dlit sera alors oblige dentamer un nouveau procs devant les
juridictions civiles.
Concernant la dfinition, au sens strict, du procs pnal, il correspond laction publique
pour lapplication des peines selon larticle 6 du Code de procdure pnale franais. Il
commence donc avec le dclenchement des poursuites, cest--dire la mise en mouvement de
laction publique par les autorits comptentes. Il perdure jusquau prononc du jugement, aprs
lventuel puisement des voies de recours. Certains auteurs proposent, cependant, une dfinition
encore plus largie du procs pnal, qui commencerait avec lenqute de police, mais sachverait
aprs lexcution de la peine prononce, notamment en raison de lvolution rcente de cette phase
post sentenciam32
. Cest cette dernire dfinition qui servira de ligne conductrice notre tude.
Le procs pnal, dans la pratique, met face face deux protagonistes savoir l'tat et un
suspect prsum innocent de telle sorte quil doit faire lquilibre entre le droit la sret et le
droit la scurit, entre la protection des liberts individuelles (notamment les droits de la
dfense) et l'efficacit de la rpression destine protger la socit.
30Code des dlits et des peines du 3 brumaire, an 4 (25 octobre 1795) contenant les lois relatives l'instruction des affaires criminelles. 31V. infra, systme anglo-saxon, p.147 et s. 32
M. ANCEL, La dfense sociale nouvelle, Cujas, 2me
d., 1966, p. 255 ; A. DHAUTEVILLE, Un nouvel lan est donn la politique daide aux victimes, Rev. sc. crim. 1999, p. 647 et s. V. galement du mme auteur Les droits des victimes , Rev. sc. crim. 2001, p. 107 et s. ; C. LAZERGES, De la judiciarisation la juridictionnalisation de lexcution des peines par la loi du 15 juin 2000, renforant la protection de la prsomption dinnocence et les droits des victimes, inLa sanction du droit, Mlanges offerts Pierre Couvrat, PUF, coll. Publ. De la facult de droit et de sciences sociales de Poitiers, 2001, p. 489 et s., spc. p. 499 ; D. THOMAS, Le concept de procs pnal , in La sanction du droit, Mlanges offerts P. COUVRAT, P.U.F., 2001, p. 401 et s., spc. p. 403 et s.
10
Au regard de sa position dans le procs, l'tat dispose dun droit doption dans la poursuite des
infractions. Il peut dcider de poursuivre toute infraction porte sa connaissance, mais il peut
aussi choisir de poursuivre lauteur dune infraction ou de ne pas poursuivre, alors mme que
linfraction est tablie. On parle, alors, de la lgalit des poursuites ou de lopportunit des
poursuites. Mais, mme dans les pays qui ont choisi le systme de la lgalit des poursuites, on
remarque que toutes les infractions ne sont pas systmatiquement poursuivies. En Allemagne, par
exemple, si la lgalit des poursuites demeure un principe fondamental, le Code de procdure
pnale prvoit la possibilit du classement sans suite, en pure opportunit, pour les affaires les
moins importantes, ainsi que le classement sous conditions pour tous les dlits, lorsque la faute de
l'accus est mineure et que le classement n'est pas contraire l'intrt public33
. De mme, en Italie
o le principe de la lgalit des poursuites est en vigueur, pour certaines infractions mineures il est
possible d'abandonner la poursuite34
.
La France, dont la procdure pnale influence largement le droit burkinab, a opt pour le
systme de lopportunit des poursuites qui autorise le Ministre public classer une affaire sans
suites dans certaines circonstances. Selon l'article 40-1 du Code de procdure pnale
franais : Lorsqu'il estime que les faits qui ont t ports sa connaissance en application des
dispositions de l'article 40 constituent une infraction commise par une personne dont l'identit et
le domicile sont connus et pour laquelle aucune disposition lgale ne fait obstacle la mise en
mouvement de l'action publique, le procureur de la Rpublique territorialement comptent dcide
s'il est opportun :
1 Soit d'engager des poursuites ;
2 Soit de mettre en uvre une procdure alternative aux poursuites en application des
dispositions des articles 41-1 ou 41-2 ;
3 Soit de classer sans suite la procdure ds lors que les circonstances particulires lies la
commission des faits le justifient .
Au Burkina Faso, l'article 39 du Code de procdure pnale dispose que Le procureur [du
Faso] reoit les plaintes et les dnonciations et dcide de la suite leur donner . Le Code de
procdure pnale burkinab ne vise que les plaintes et les dnonciations, mais il est communment
admis que le pouvoir d'apprciation du procureur du Faso s'tend tout acte par lequel il est
inform de la commission d'une infraction (ex : procs verbal).
33
C. LAZERGES, Les figures du parquet, disponible en ligne :
www.droit.univ-nantes.fr/m2dp/uplod/.../Figures_du_Parquet.doc, consult le 5 fvrier 2012. 34
Ibid.
http://www.droit.univ-nantes.fr/m2dp/uplod/.../Figures_du_Parquet.doc
11
Gnralement, les motifs de classement sans suite35
sont objectifs. Les motifs expliquant cette
dcision peuvent tre regroups sous les rubriques suivantes :
- inexistence de laction publique : la plainte ne peut qutre classe lorsque les faits invoqus
son appui constituent en ralit un litige dordre civil, ou lorsque laction publique est teinte,
notamment par la prescription ou le dcs de lauteur de linfraction. Sont galement
ncessairement classes les plaintes fondes sur des faits qui, sils peuvent constituer une faute
civile, ne runissent pas pour autant les caractres lgaux dune infraction pnale.
- irrecevabilit de laction publique : tel est le cas en particulier lorsque la mise en
mouvement de laction publique est subordonne au dpt dune plainte pralable qui fait dfaut,
le parquet ne peut alors que prendre une dcision de classement.
- insuffisance des renseignements recueillis : les investigations faites nont pas permis
didentifier le ou les auteurs de linfraction : les faits dnoncs nont pas t tablis avec
suffisamment de prcision. En pratique, le plus grand nombre des classements sans suite est
motiv par le fait que lauteur est rest inconnu.
- inopportunit des poursuites : peut tre encore classe laffaire de faible importance, sans
consquence dommageable ou dont lauteur rpare aussitt les effets. Le reprsentant du parquet
estime prfrable, bien que linfraction soit tablie, de ne pas prendre lui-mme linitiative des
poursuites, par exemple, lorsque les faits nont occasionn quun prjudice trs lger la victime
et que le trouble apport lordre public est quasiment inexistant, ou encore lorsque lauteur de
linfraction, aux consquences bnignes, est un dlinquant sans antcdents judiciaires et faisant
lobjet de trs bon renseignements.
Enfin, comme le souligne P. TRUCHE36
, et telle est lhypothse la plus dlicate, tous les
lments dune infraction peuvent tre constitus, son auteur identifi et, pour autant, le procureur
de la Rpublique peut estimer que la poursuite est inopportune. Cest, en quelque sorte,
lapplication de ladage selon lequel le juridisme ou lexcs de droit engendre les plus grandes
injustices (Summum jus, summa injuria) : alors que la justice doit tendre au rtablissement de la
paix publique, il serait inopportun que la poursuite, exerce au nom des principes juridiques,
provoque un trouble plus grand que celui dont linfraction est la cause. Cest sous cet angle que le
classement sans suite pose les plus grandes difficults. Sa lgitimit suppose, en effet, que les
35http://www.senat.fr/rap/l99-011/l99-0114.html, consult le 10 mars 2012. 36
Rapport de la commission de rflexion sur la Justice, Commission prside par Pierre TRUCHE, premier prsident de la Cour de cassation, juillet, 1997, http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics//974072100/0000.pdf, consult le 9 janvier 2011.
http://www.senat.fr/rap/l99-011/l99-0114.htmlhttp://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/974072100/0000.pdf
12
considrations qui le justifient suscitent un rel consensus, faute de quoi il risque dapparatre
comme une atteinte au principe dgalit des citoyens devant la loi.
Profitant de cette brche ouverte par le lgislateur, le procureur de la Rpublique peut dfrer
aux instructions de ses suprieurs hirarchiques ou y mler ses amitis ou inimitis personnelles
pour dcider de classer une affaire qui, normalement, aurait d faire l'objet de poursuites. Une telle
situation prsente des inconvnients pour la victime qui cette autorit n'a pas de compte rendre,
relativement la solution adopte37
. Ces magistrats du parquet bnficient, par ailleurs, des
principes de lirrcusabilit et de lirresponsabilit dans lexercice de laction publique.
Le classement sans suite n'est pas une dcision juridictionnelle, mais plutt une simple dcision
administrative. Par consquent, la dcision de classement sans suite ne peut faire l'objet d'aucun
recours judiciaire. Seul un recours hirarchique est possible auprs du procureur gnral ou du
garde des sceaux qui pourront enjoindre au procureur du Faso (procureur de la Rpublique en
France) de poursuivre en vertu de leur pouvoir hirarchique.
Une autre consquence de la nature administrative de la dcision de classement est que le
parquet peut toujours revenir sur sa dcision et dclencher les poursuites tant que la prescription
de l'action publique n'est pas acquise. Cependant, ds lors quil a engag des poursuites et a saisi
une juridiction, le magistrat du parquet ne peut plus mettre fin laction publique. Comme la jug
la Cour de cassation franaise38
, le Ministre public na pas la disposition de laction
publique . Si les dbats tablissent linnocence du prvenu, le Ministre public doit requrir la
relaxe et sen remettre au tribunal pour mettre fin laction publique.
Les consquences du principe de lopportunit des poursuites sont doubles : le fait que lon ne
puisse obliger le Ministre public agir39
peut faire redouter une certaine inertie du parquet ; de
mme, le fait que lon ne puisse empcher le Ministre public dexercer laction publique peut
dboucher sur des poursuites inopportunes. Dans lune et lautre hypothse, il existe un risque
srieux dentrave une bonne administration de la justice. Cest pourquoi il existe des limites la
libre initiative du parquet en matire de mise en mouvement de laction publique.
Les restrictions sont de deux sortes : d'une part, le parquet qui voudrait mettre en mouvement
l'action publique se heurte dans certains cas des obstacles (a). D'autre part, au contraire, dsireux
de classer une affaire, il peut se trouver dans l'obligation de poursuivre (b).
37
Il sagit ici de la situation du droit burkinab, car nous le verrons, la situation a connu une volution en droit compar. 38
Cass. crim. 28 septembre 1994, Gaz. Pal. 1994 II Chr.714. 39
Sous rserve de la constitution de partie civile que nous voquerons, ultrieurement, p. 179 et s.
13
a) Les obstacles l'action du Ministre public
Il existe des circonstances qui font obstacle l'action du ministre public. Il en est ainsi des cas
suivants :
- L'action publique subordonne une plainte ou requte pralable
Dans certains cas, le parquet ne peut poursuivre que lorsqu'il a reu une plainte ou une requte
pralable. Mais il faut noter que mme dans ces cas le Ministre public conserve sa libert
d'action. Si la plainte est ncessaire, elle ne contraint nullement le Ministre public engager les
poursuites. L'opportunit des poursuites est alors apprcie concurremment par le Ministre public
et la personne ayant qualit pour dposer la plainte. Leurs volonts doivent converger pour que la
poursuite ait lieu. Dans certains cas, l'exigence de la plainte ou de la requte se justifie par des
raisons de pur intrt priv. En effet, lorsque l'infraction porte atteinte un intrt priv, on estime
que la victime est le meilleur juge de savoir si la poursuite est ou non opportune. Il en est ainsi en
cas de diffamation ou d'injure (art. 365 du CP burkinab), d'atteinte l'intimit de la vie prive
(art. 373 al. 2 du CP), d'abandon de famille (art. 408 al. 2 du CP), d'adultre (art. 419 du CP).
Dans d'autres cas, l'exigence de la plainte ou requte pralable se justifie par des intrts d'ordre
fiscal et montaire. Il en est ainsi par exemple de certaines fraudes fiscales en matire d'impt
direct et d'enregistrement qui ne peut tre exerce qu' la requte de l'administration concerne
(art. 419 422 du Code des impts).
- L'action publique subordonne une autorisation pralable
Les membres de l'Assemble nationale bnficient d'un privilge appel inviolabilit
parlementaire qui doit tre distingue de l'immunit parlementaire . Tandis que l'immunit
parlementaire fait chapper toute poursuite pnale les dputs pour les discours prononcs et
votes mis au sein du parlement ainsi que les comptes rendus des dbats parlementaires (art. 95 de
la constitution burkinab du 2 juin 1991 ; art. 26, par. 2 de la Constitution franaise de 1958),
l'inviolabilit implique qu'un parlementaire ne peut tre poursuivi ou dtenu pour crime ou dlit
qu'avec l'autorisation de l'Assemble nationale sauf cas de flagrance (art. 96 de la Constitution
burkinab ; art. 26, par. 2 de la Constitution franaise de 1958). Le parquet doit solliciter de
l'assemble nationale la main leve de l'inviolabilit et aucune poursuite n'est possible tant que
cette main leve n'a pas t accorde par un vote.
- La ncessite d'un avertissement ou d'une mise en demeure pralable
Il existe des cas o l'action publique ne peut tre mise en mouvement qu'aprs un avertissement
ou une mise en demeure pralable adresse l'auteur de l'infraction. Par exemple, l'article 408,
alina 3 du Code pnal burkinab prvoit qu'en cas de refus de verser une pension alimentaire au
14
mpris d'une dcision de justice, les poursuites sont prcdes d'une mise en demeure du dbiteur
de la pension d'avoir s'excuter dans un dlai de 15 jours.
- La ncessit de la solution pralable de questions prjudicielles
La mise en mouvement des poursuites est parfois suspendue jusqu' ce qu'une autre juridiction
ait rendu sa dcision sur un point concernant les faits dlictueux.
Les questions prjudicielles, qui font obstacle la poursuite elle-mme puisquil sagit de
questions faire rsoudre, avant la poursuite, par la juridiction comptente, ne doivent pas tre
confondues avec les exceptions prjudicielles, qui ne font que retarder le jugement jusqu
solution de la question pose par la juridiction comptente (exemple : droit de proprit et droits
rels immobiliers). Au nombre des questions prjudicielles conditionnant lexistence mme de
linfraction, et dont la connaissance relve de la comptence exclusive des juridictions civiles,
figurent principalement :
- en matire de suppression dtat, la question de filiation, lgitime ou naturelle, qui doit tre
juge avant toute poursuite ;
- dans le cas denlvement de mineure suivi de mariage, les poursuites sont subordonnes
lannulation du mariage.
b) L'obligation d'agir du ministre public
Pour vaincre linertie du parquet, il sest avr ncessaire de trouver un moyen pour briser le
monopole quil dtient dans le dclenchement des poursuites. Ce moyen est la constitution de
partie civile qui a conduit la victime faire irruption sur la scne pnale franaise. Admise par la
jurisprudence depuis un arrt de la Chambre criminelle du 8 dcembre 190640
, la victime est
devenue aujourdhui la troisime partie du procs pnal41
. Le droit burkinab reconnait galement
la qualit de partie civile la victime qui souhaite participer au procs pnal42
.
Mais cette intervention de la victime dans la procdure nest pas sans consquence et sa place y
est encore problmatique.
40
V. infra, p. 178 et s. 41
S. CORIOLAND, La place de la victime dans le procs pnal, intervention au cours de la journe dtude sur la place de la victime dans le procs pnal, Universit de Strasbourg, 16 dcembre 2005, disponible en ligne : http://cdpf.unistra.fr, consult le 6 mars 2007. 42
V. infra, p. 196 et s.
http://cdpf.unistra.fr/
15
V : La problmatique et lintrt du sujet
La participation de la victime au procs pnal soulve trois problmes majeurs :
- un problme dquilibre entre partie poursuivante et partie dfenderesse ;
- un problme de rapport entre victime et Ministre public ;
- un problme li lmotion quelle introduit dans le procs pnal.
Depuis la reconnaissance dune place pour la victime dans le procs pnal, la relation entre
cette dernire et les autres parties la procdure doit tre mise en lumire et passe sous le crible
de la critique. Il est dsormais indispensable de rechercher, non seulement lquilibre entre le
respect d la victime et le respect de la prsomption dinnocence ; mais aussi, de dfinir le droit
daction de la victime face au rle prpondrant du ministre public. La prsence de la victime au
procs pnal peut, particulirement, susciter une vive motion et perturber le droulement des
dbats. Mais, de lavis dY. STRICKLER43
, lentre de lmotion au procs pnal nest pas
gnante, sauf si elle venait rompre de manire brutale lquilibre souhait entre laccusation, la
partie civile et la dfense. En tout tat de cause, R. DJILA44
considre que dans un drame o les
personnes ont dsormais plus d'importance que les actes, il faut assurer une meilleure galit et
garantir chacun son rle. Pour S. CORIOLAND, il convient donc de situer la victime sa juste
place et dencadrer son intervention dans le procs pnal45
.
Notre tude qui vise tablir la place de la victime dans le procs pnal burkinab par rapport
au droit international est dun intrt certain. Les victimes font lobjet dimportantes tudes dans
le monde. Hans Von HENTIG, criminologue nord-amricain dorigine allemande, crit en 1934 :
Aucune constatation thorique nest plus importante pour la lutte contre le crime, que la
connaissance exacte de la victime 46
. Une science leur est mme consacre, savoir la
victimologie , dfinie par R. CARIO, comme la discipline scientifique multidisciplinaire ayant
pour objet lanalyse globale des victimisations, sous leur double dimension individuelle et sociale,
dans leur mergence, leur processus et leurs consquences, afin de favoriser leur prvention et, le
43
Y. STRICKLER, Rapport prcit ; V. galement, du mme auteur, Post-face, in La place de la victime dans le procs pnal, op. cit., p. 266. 44
R. DJILA, Procs pnal et droits de l'homme dans le droit positif camerouanais, thse de doctorat d'tat: Droit priv, Universit Cheikh Anta Diop, Facult des sciences juridiques et politiques, Dakar, 2001. 45
S. CORIOLAND, La place de la victime dans le procs pnal, intervention au cours de la journe dtude sur la place de la victime dans le procs pnal, prcit. 46
H. V. HENTIG, The Criminal and his Victim, cit part J. AUDET J., J. F.KATZ, Prcis de victimologie gnrale, Dunod, 2
me d., 2006, p. 12.
16
cas chant, la rparation corporelle, psychologique et sociale de la victime 47
. Selon E. A.
FATTAH, la victimologie est la branche de la criminologie qui soccupe de la victime directe du
crime et qui dsigne lensemble des connaissances biologiques, psychologiques, sociologiques et
criminologiques concernant la victime 48
. Sa naissance au milieu du XXe sicle, notamment,
avec les crits de B. MENDELSOHN49
, puis son essor, partir des annes 1975-198050
, en tant
que discipline tudiant lenvers du crime sous un angle pluridisciplinaire51
, ont permis de cerner
les victimisations dorigine pnale. Cest ainsi quun certain nombre davances significatives ont
pu tre ralises en matire de droit des victimes52
.
Nanmoins, malgr le dveloppement de la victimologie dans bon nombres dEtat, aucune
tude na encore t faite sur la situation des victimes au Burkina Faso.
Le Burkina Faso ou Burkina53
, (ancienne Haute volta), littralement appel Pays des hommes
intgres 54
, est un pays dAfrique de lOuest qui a une superficie de 274 000 km et une
population estime 16 241 811 habitants (en 2010)55
.
Ce pays, qui a pour devise nationale Unit-Progrs-Justice, veut tre une terre de Justice. Le
droit daccs la Justice est consacr par larticle 4, alina 2 de la Constitution du 2 juin 1991.
47
R. CARIO, Victimologie, De leffraction du lien intersubjectif la restauration sociale, Ed.
L'Harmattan, Coll. Trait de Sciences criminelles, vol. 2-1, 3me
d., 2006, pp. 37-38. 48
E. A. FATTAH, La victimologie : Quest-elle, et quel est son avenir ?, R.I.C.P.T.S., 1967, pp. 113-124,
sp. p. 113. V. pour dautres dfinitions, J.A. REYES CALDERON, La victimologie, Revue
Internationale de PoliceCriminelle, 1990, n 423, pp. 13-16. 49
MENDELSOHN (B.), Une nouvelle branche de la science bio-psycho-sociale. La victimologie,
R.I.C.P.T.S., 1956, n 2, pp. 95-109, La victimologie. Science actuelle, R.D.P.C., 1959, pp. 619-627. La
victimologie et les besoins de la socit actuelle, R.I.C.P.T.S., 1973, pp. 267-276. 50
V. infra, p. 143. 51
Cette science des victimes a mobilis de nombreux professionnels, mdecins, juristes, psychiatres,
sociologues, dans le but de comprendre le passage lacte du point de vue de la victime, et non plus
partir de celui de l'infracteur. La victime est alors considre, non pour elle-mme, mais en tant que
personnage du drame qu'elle a subi. 52
V. infra, p. 143 et s. 53
En forme longue : Rpublique du Burkina. 54
Le nom actuel du pays (Burkina Faso) date du 4 aot 1984, sous la prsidence du rvolutionnaire
Thomas SANKARA. Combinaison dans deux langues principales du pays, il signifie la patrie des
hommes intgres -burkina se traduisant par intgrit, honneur en moor, et faso, terme emprunt la
langue dioula, signifiant territoire ou terre ou patrie . Selon la constitution nationale, les habitants sont
appels les Burkinab (mot invariable), o le suffixe b dsignant lhabitant (homme ou femme) est en
foulfoud, langue parle par les Peuls, peuple dleveurs nomades galement prsents dans de nombreux
pays dAfrique de lOuest. Le choix de ce mlange de langues (fond sur les trois langues ayant le statut
de langues nationales avec le franais) dans la dnomination du pays et de ses habitants traduit la volont
d'unification d'une socit multi-ethnique (plus de 60 ethnies). En franais, on utilise galement les mots
Burkinais ou Burkinabs pour dsigner les habitants.
On utilise Burkina , Faso ou Burkina Faso dans les usages courants, et Burkina Faso ou
Rpublique du Burkina dans les usages officiels. Le terme Faso remplace le terme Rpublique . 55
Sources : Banque de donnes juridiques du Burkina Faso, http://www.legiburkina.bf, consult le 10 novembre 2011.
http://www.legiburkina.bf/
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Cependant, il faut reconnatre que des problmes multiples empchent linstitution judiciaire de
remplir pleinement son rle, handicapant ainsi limpact et surtout la ralisation de l'tat de droit.
Des lynchages publics ont encore cours dans ce pays, la justice est encore au cur des discussions
au sujet de son indpendance, sa crdibilit, sa politisation, son accs, ses mthodes, ses
problmes internes etc. Cette situation rend, pour le moins et dans certaines proportions, l'tat de
droit encore thorique au Burkina Faso. Dans ce contexte, on peut sinterroger sur la place
rserve aux justiciables en gnral et particulirement la victime dans notre justice. En ce qui
concerne, spcialement la situation de la victime, nous chercherons savoir quel peut tre son rle
dans le procs pnal quand on sait quil y a dune part, le ministre public qui agit au nom de la
socit et dautre part, le dlinquant qui se dfend ? Quels sont les droits qui lui sont reconnus
ainsi que leur mise en uvre effective ? Est-ce que le procs pnal contribue restaurer son
identit blesse ?
Au-del de ces questions essentiellement juridiques, il sagira de voir, galement, les
perspectives d'aide la victime dinfraction pnale.
La situation des victimes au Burkina Faso n'est pas un cas isol. Do la dmarche comparative
ici entreprise.
VI : Le choix de la mthode comparative
Le Burkina Faso n'est pas un tat isol et les problmes auxquels il est confront ne lui sont pas
spcifiques. L'une des fonctions du droit compar est la meilleure connaissance et l'amlioration
du droit national. Le droit compar pourrait tre, selon les termes de M. CONSTANTINESCO56
,
un rservoir de solutions potentielles pour le lgislateur et les juristes burkinab. Et cette
affirmation est confirme par dautres auteurs. LAcadmie internationale de droit compar, dans
ses statuts, voit dans le droit compar le rapprochement systmatique (des institutions juridiques
des divers pays) et la conciliation des lois 57
. Dans la mme optique, le grand comparatiste M.
ANCEL a crit que : le droit compar consiste fondamentalement dans la constatation des
points communs et des divergences qui existent entre deux ou plusieurs droits nationaux 58
. Pour
R. DAVID et C. JAUFFRET-SPINOSI, Le droit compar est utile pour mieux connatre notre
droit national et pour l'amliorer. Le lgislateur, de tout temps, a utilis lui-mme le droit
56
V. CONSTANTINESCO, Introduction au droit compar, cours donn la Facult internationale de droit compar, Session de printemps 2009.
57Mmoires de lAcadmie internationale de droit compar, vol. II, publi par les soins de E. BALOGH, Paris, Sirey, 1934, p. 21. 58
M. ANCEL, Utilit et mthodes du droit compar, Ides et Calendes, Neuchtel 1971, p. 31.
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compar pour accomplir et perfectionner son uvre 59
. S'ils reconnaissent, galement, qu'il
n'existe, aujourd'hui, aucun pays qui n'ai emprunt ou imit certaines institutions ou certaines
rgles dun autre systme de droit, ils n'oublient pas de souligner qu'il ne s'agit pas simplement de
transposer le modle tranger, mais, de l'adapter aux ralits de l'environnement dans lequel on
souhaite l'introduire. La rforme qui a t ralise dans un pays et qui y a fait ses preuves est
introduite dans d'autres pays, avec telle ou telle modification qui tient compte de circonstances
spciales ou qui vise l'amliorer ou l'intgrer plus parfaitement dans le droit de ce nouveau
pays 60
.
Le Burkina Faso est une ancienne colonie franaise. Avant larrive du colon, la justice tait
lapanage des chefs (chef de famille ou de village). A lpoque coloniale, la coexistence de deux
communauts aux ralits socio-culturelles distinctes a conduit le lgislateur colonial adopter,
comme dans ses autres possessions dAfrique et dailleurs, un systme judiciaire fond sur une
dualit de juridictions : les juridictions indignes ou de droit local et les juridictions de droit
franais ou de droit commun. Les justiciables de statut personnel coutumier sadressaient aux
juridictions de droit local, les franais et assimils aux juridictions de droit franais. Un dcret en
date du 30 avril 1946 tait intervenu pour mettre un terme au dualisme juridictionnel pour
consacrer le systme de lunicit de juridiction en matire rpressive en octroyant une comptence
exclusive aux juridictions de droit commun pour connatre des affaires pnales. Les juridictions de
droit local restaient comptentes en matire civile. Aprs lindpendance, le Burkina na pas fait
table rase du pass colonial. Il a ainsi conserv les principes fondamentaux de la procdure pnale
franaise. Mais, le droit franais a volu depuis 1960, anne daccession lindpendance du
Burkina. Il serait, de ce fait, important de voir comment le lgislateur et les juges burkinabs se
comportent face lvolution du droit de lancienne puissance coloniale.
Sous un autre angle, celui du droit international, la ratification par la plupart des pays des
Conventions internationales de sauvegarde des droits de l'Homme et des liberts fondamentales a
entran une uniformisation des mthodes dapproche, tous les pays reconnaissant les mmes
valeurs.
Le droit la justice est un droit de l'Homme. Il a t proclam, aussi bien, par des textes
internationaux que rgionaux.
Au plan universel, l'article 8 de la Dclaration Universelle des Droits de l'Homme du 10
dcembre 1948 dispose que toute personne a droit un recours effectif devant les juridictions
59
R. DAVID et C. JAUFFRET-SPINOSI, Les grands systmes de droit contemporains, Dalloz, 11me
d., 2002, p. 3. 60
Ibid, p. 5.
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nationales comptentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par
la constitution ou par la loi. Le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques (PIDCP)
dispose dans son article 2, alina b que les Etats parties cet acte s'engagent garantir que
l'autorit comptente, judiciaire (...) statuera sur les droits de la personne qui forme le recours et
dveloppe les recours juridictionnels .
Au plan rgional, notamment, en Afrique, tous les pays africains parmi lesquels le Burkina
Faso, ont ratifi la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples (CADHP) du 27 au 28
juin 1981 dont l'article 7, alina a, reconnat toute personne le droit de saisir les juridictions
nationales comptentes de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et
garantis par les conventions, les lois, rglements et coutumes en vigueur .
Tous ces instruments reconnaissent le droit d'accs la justice. Ce droit est aussi reconnu par
des textes nationaux.
Par consquent, nous verrons comment le Burkina met en uvre les droits reconnus aux
victimes dinfraction.
Cette comparaison donnera notre tude un intrt la fois scientifique et pratique, car l'aide
des exemples tirs dautres lgislations, nous en dgagerons les divergences et les similitudes et
nous serons plus clairs pour trouver la voie qui rpond au mieux aux besoins des victimes dans
notre pays.
Ainsi, pour aborder toutes les proccupations qui nous interpellent, notre tude sarticulera
autour de deux ples :
- Le premier consistera examiner les lments dclairage du droit des victimes dans le
monde. Pour des raisons pratiques, nous donnerons, dabord, un aperu gnral de la situation de
la victime au plan international, avant de voir le rle qui lui est attribu actuellement dans les
diffrents systmes juridiques compars. Cependant, consciente des exigences d'une vritable
comparaison qui ncessite une matrise des langues trangres et une utilisation des sources
originaires des droits trangers, nous nous contenterons, travers quelques exemples qui nous
paraissent tre illustratifs, d'voquer les grandes lignes des droits trangers sur des aspects
particuliers de notre sujet.
- Le second nous conduira voquer la place de la victime dans les droits franais et burkinab.
Nous analyserons les fondements de son droit daction et les modalits dintervention de la
victime dans le procs pnal. Au-del de la comparaison de ces deux dispositifs lgislatifs trs
proches, il nous sera donn de voir la pratique par les diffrents acteurs de la justice en vue de
relever, surtout les dfaillances existant dans notre systme. Nous essayerons de dceler les
lments qui rendent difficile la mise en uvre des droits des victimes au Burkina Faso. Nous
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tirerons des leons des diffrents systmes juridiques compars et du droit traditionnel africain
pour proposer des solutions en vue de lamlioration des droits des victimes tout en tenant compte
des ralits socio-conomiques du Burkina Faso.
Mais, avant daborder les deux parties de notre tude, il convient, dabord, danalyser, dans un
chapitre prliminaire lvolution historique du rle de la victime dans la rpression des infractions.
Chapitre prliminaire : volution historique du rle de la victime dans la
rpression des infractions
Partie I : La place de la victime dans le procs pnal au regard des diffrents
systmes juridiques
Partie II : La place actuelle de la victime dans le procs pnal en France et au
Burkina Faso
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CHAPITRE PRLIMINAIRE :
VOLUTION HISTORIQUE DU ROLE
DE LA VICTIME DANS LA
RPRESSION DES INFRACTIONS
La raction sociale linfraction, dans les poques recules, se caractrisait un peu partout par
la vengeance prive. Cependant, lorganisation des socits qui se sont structures, dans le temps,
autour dun pouvoir central va peu peu conduire une dlgation de certaines prrogatives
lEtat. Celui-ci va se charger dassurer lui-mme la rpression des infractions. La consquence de
cette intervention fut leffacement progressif de la victime au profit de lEtat. La victime, qui a
accept cette situation durant de longues annes va finir par revendiquer son droit de participer au
rglement de laffaire qui la concerne. Cette volution concerne la plupart des Etats occidentaux.
Ainsi, nous tenterons, dans une premire section, de retracer lvolution historique du rle de la
victime dans la poursuite de linfraction dans les Etats occidentaux.
Cependant, dans la plupart des Etats africains, lvolution sest passe autrement. En effet, dans
ces Etats, la raction sociale linfraction est, comme partout ailleurs, passe de la vengeance
prive un systme de procs beaucoup plus encadr. Mais, les procs tels que organiss dans
lancien droit africain vont tre supplants par la procdure judiciaire occidentale qui sest
impose par le biais de la colonisation. Lapplication de ces nouvelles mthodes, trangres pour
les populations ne va pas se faire sans difficult. Non seulement, les populations qui ignorent les
rgles de droit de la procdure pnale moderne vont souvent essayer de les contourner ; mais, on
note galement quau lendemain des indpendances, une partie de llite rfractaire toute ide
doccidentalisation totale du peuple voltaque va profiter de la fragilit des institutions pour
improviser des juridictions dexception. Cette improvisation ne sera, toutefois, quune parenthse
dans lhistoire de la justice burkinab car lEtat de droit va reprendre le dessus. Toutes ces tapes
constituent des repres nous permettant de mieux apprhender lvolution historique de la justice
pnale burkinab. Il convient donc de consacrer notre seconde section lvocation de ces points
de repre de lvolution historique de la justice pnale au Burkina Faso.
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Section 1 : Evolution historique du rle de la victime dans la poursuite de linfraction pnale
dans les Etats occidentaux
La prsente section relative lvolution historique du rle de la victime dans la rpression des
infractions va comporter son sein trois paragraphes parmi lesquels nous avons la priode de la
vengeance et de la guerre prives (paragraphe 1), la priode de la justice prive (paragraphe 2), la
priode de la justice publique (paragraphe 3).
Paragraphe 1 : La priode de la vengeance et de la guerre prives
La responsabilit pnale, aux origines, a t collective61
.La forme essentielle de la vie sociale
des premiers hommes tant le clan ou tribu familiale, lindividu ntant rien par lui-mme, un
crime commis par un membre de la tribu engageait tous les composants du clan, de mme que
linfraction commise contre un individu ltait contre la tribu tout entire. La raction, qui prenait
la forme de vengeance prive, tait brutale, illimite, collective et hrditaire, son but unique tant
lextermination du coupable, de sa famille et de sa tribu. Ainsi, un fils pouvait recevoir un
chtiment corporel la place de son pre qui avait commis linfraction. Lessentiel tait que la
famille de loffens ait limpression davoir essuy laffront. Il tait, dailleurs, impossible au clan,
la communaut lse de se soustraire cet usage. Son intrt direct, son instinct de conservation,
ses croyances ly contraignent62
: le vol et le pillage non rpars le rduirait la famine; loutrage
non veng de manire clatante encouragerait de nouvelles agressions ; ses morts ne retrouveraient
pas le repos tant que le meurtrier et les siens nauraient pas t sacrifis aux mnes de la victime.
Non seulement on ne tient aucun compte de la responsabilit individuelle, mais on ne se fonde
que sur le dommage subi, sans se proccuper d'une culpabilit tablie. Peu importe par exemple
que l'homicide ait t volontaire, involontaire ou mme casuel. Pire, la mort la plus naturelle peut
tre attribue un malfice du clan voisin. La vengeance prive sera tenace et inexpiable pour les
atteintes l'intgrit corporelle ; mais son domaine primitif embrasse tous les actes dommageables,
le vol de troupeaux par exemple, a fortiori, l'attentat aux murs ou le sacrilge.
61
G. STEFANI et G. LEVASSEUR, Droit pnal gnral et procdure pnale, T. I, 2me
d., Dalloz, 1966, p. 55. 62
DArbois de JUBAINVILLE, Etudes de droit celtique T.I, p.66 et 9 : Selon lancienne loi irlandaise,
tuer le meurtrier dun parent jusquau degr de cousin germain inclusivement est un meurtre ncessaire.
Dans les relations entre particuliers, la vengeance prive quexerce la famille offense tait chez les Celtes
le seul moyen de faire triompher la justice et de rprimer liniquit. V. galement, GLOTZ, La solidarit
de la famille de Grce, p. 271 : La vengeance appelle la vengeance. Une fois quil y a du sang entre deux
familles, chaque homicide ouvre une srie nouvelle dhomicides. Dans la Grce hroque, lhistoire des
familles les plus fameuses nest, durant lespace de plusieurs gnrations, quun cycle de meurtres
enchans.
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La vengeance tait donc considre comme une vritable forme de justice car elle constitue une
garantie sommaire du maintien de l'ordre social dans les relations entre clans. Parce que l'on sait
que le meurtre sera veng, on s'abstient de le commettre. La crainte de la vengeance et de ses
consquences pour le clan garantit un certain respect de l'tranger que n'imposent ni la religion, ni
la morale, ni le droit.
Cependant, le trait vindicatif peut aboutir un dommage disproportionn par rapport celui
quon a soi-mme subi. Cest pourquoi un adoucissement de la raction sociale linfraction fut
recherch.
Paragraphe 2 : La priode de la justice prive
On peut parler de justice, ds que l'on sort de l'arbitraire et de l'exercice illimit de la force
brutale. JHERING disait que La vengeance ne connat d'autres limites que le degr de
surexcitation purement accidentel ou arbitraire de l'individu ls. Au lieu de briser la force de
linjustice, elle ne fait que la doubler, en ajoutant linjustice existante, une injustice
nouvelle 63
; dans la justice prive au contraire, il y a des limites, il y a des rgles, il y a un
embryon d'organisme juridictionnel. Mais cette justice reste prive en ce sens que la partie prive
(victime et sa famille) reste l'instigatrice de la rpression, souvent l'excutrice de celle-ci, et
toujours le bnficiaire principal de son accomplissement. Les pouvoirs publics jouent bien un
certain rle mais celui-ci n'est qu'accessoire. Cette place trs modeste sera ensuite progressivement
largie. Mais pour l'instant l'Etat borne ses efforts imposer des rgles de procdure plutt que des
rgles de fond. Il met en place les rouages essentiels de la rpression mais laisse la victime le
soin de les faire fonctionner ; il ne heurte pas de front le droit de vengeance prive mais il ne le
reconnat officiellement que dans le but de lui apporter des limites progressivement.
Il convient de voir les causes du passage de la guerre prive la justice prive (A) ainsi que les
progrs raliss par la justice prive (B).
A : Les causes du passage de la guerre prive la justice prive
Les sociologues pensent qu'un peu partout c'est le caractre puisant des luttes interminablesqui
a entran la lassitude des familles, et les a incites renoncer au droit de vengeance contre un
ddommagement sous une autre forme.
Mais la guerre prive est surtout incompatible avec une organisation politique qui runit sous
une autorit commune les tribus rivales. La formation de la cit devait, videmment, inciter les
63
JHERING, Lesprit du droit romain, T.I 12.
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dirigeants de celle-ci rduire des luttes intestines qui affaiblissaient le nouvel organisme. Au
surplus, les clans perdent ce moment un peu de leur cohsion car l'largissement du groupe
social se fait dans un ordre relatif, la protection naturelle des proches devient alors moins
ncessaire, la communaut de vie s'attnue, les familles chappent un peu l'autorit du chef de
clan pour relever directement de celle de la cit. L'autorit du chef de famille elle-mme
s'estompe, le cercle de son autorit se rtrcit ; le pouvoir central va commencer contrler
l'exercice de ses pouvoirs juridiques. La cit affermit facilement son autorit quand s'tablit un
lien territorial et que l'installation stable succde la vie nomade.
L'importance du facteur religieux est, galement, indniable. Son intervention est cependant
antrieure cette poque (il explique en particulier les pouvoirs justiciers du chef de clan), mais
souvent la religion a t le lien qui a permis le groupement des clans en une cit. Et si la religion a
servi de lien entre les clans et forme la base de leur union, il est naturel que la cit, pour se faire
obir et faire rgner l'ordre, s'abrite derrire les institutions religieuses, les prceptes religieux, et
donne au besoin son intervention des prtextes religieux. Bras sculier de la divinit, le pouvoir
central doit ragir contre les criminels dont la souillure dshonore la cit et attire sur elle la colre
divine (dans la Rome primitive, la sacratio capitis sera la sanction suprme inflige au criminel.
C'est mme cet appel la religion qui va permettre la cit de s'immiscer dans la justice
familiale : la souillure est d'autant plus grande que le crime a t commis contre un proche parent.
L'unit de juridiction pourra ainsi progressivement s'tablir.
Ainsi, par l'action combine de ces diverses causes, une autorit suprieure s'esquisse puis
s'affirme, elle va limiter l'aveugle guerre prive et faire raliser de srieux progrs l'organisation
de la rpression.
B : Les progrs raliss par la justice prive
Avec lavnement de la justice prive, la vengeance prive conserve un trs large domaine,
mais elle n'est plus sans contrle et sans mesure, elle est dirige , canalise et limite. Ainsi, on
note, dabord, que le point capital qui caractrise cette priode, c'est le contrle exerc par le
pouvoir central sur le droulement de la rpression laisse aux moins de la partie prive. La
vengeance n'est permise que si les autorits sont prvenues et si la victime elle-mme n'a pas t
l'objet d'une juste vengeance ; rompre la chane des vendettas est le premier objectif de la cit,
mais il ne sera atteint que lentement. Ensuite l'Etat s'efforcera de vrifier les droits du vengeur et
de contrler la faon dont il les exerce.
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Par ailleurs, certaines restrictions sont apportes au principe mme de la vengeance prive dont
la lgitimit reste, cependant, encore admise. L'Etat s'efforce de limiter les sujets actifs et passifs
du droit de vengeance. Il ne reconnat le droit d'agir qu' certains proches, et prohibe
progressivement la vengeance exerce sur d'autres que le coupable, notamment lorsque son groupe
s'est dsolidaris d'avec lui en l'expulsant ou, mieux encore, en le livrant. Un certain subjectivisme
commence s'introduire, qui permettra de soumettre les infractions involontaires un rgime
moins rigoureux que la vengeance prive. Il est certain que, si le prjudice de la famille de la
victime est aussi grand et son ressentiment presque aussi vif quand le meurtre a t involontaire, la
souillure est cependant moins grave. Le pouvoir central s'ingnie trouver des procds qui
paralysent pratiquement la vengeance du sang en pareil cas. L'un des procds consiste imposer
l'acceptation d'une composition. D'une faon gnrale, les pouvoirs publics encouragent de leur
mieux le recours la composition volontaire, mais ils ne peuvent l'imposer au lieu et place de la
vengeance, qu'en commenant par certaines infractions mineures, en mnageant les convenances
et les susceptibilits familiales.
En outre, des limitations sont, galement, apportes au degr de vengeance lgalement autoris.
C'est ce but que tendent diverses institutions propres la priode de la justice prive ; l'abandon
noxal, la loi du talion, la composition volontaire.
- L'abandon noxal ou expulsion de la communaut, premire bauche de responsabilit
individuelle, consistait bannir ou livrer le criminel la discrtion du clan ls, lequel pouvait le
sacrifi ou lincorporer son patrimoine, en faisant de lui son esclave et en lobligent travailler
son profit ou au profit de sa tribu.
- La loi du talion. Lintroduction de la loi du talion, il pour il, dent pour dent a permis
dimposer une raction proportionne linfraction. L'objet de la vengeance devient la possibilit
pour la victime ou sa famille de faire subir l'auteur du dlit un dommage en retour ou dinfliger
nimporte quel membre de la tribu de lauteur dun dommage absolument quivalent celui subi
par la victime. Dune manire gnrale, l'apparition du talion marque un progrs sensible sur
l'poque antrieure, divers points de vue : le degr de vengeance se trouve limit ; la rpression
se trouve individualise ; en limitant le talion au cas d'infraction volontaire on introduit un lment
subjectif utile ; enfin en se montrant draconien sur les limites du talion, le pouvoir central amne
indirectement la partie lse se contenter d'une composition pcuniaire.
- Les compositions volontaires. Lintroduction du mcanisme du Wehrgel permet une
tarification des prjudices, ce qui implique pour la premire fois, lide dune
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compensationfi