95
1 La place du corps dans la relation : Introduction du cours. Ce cours invite chacun à se pencher sur la relation, à y entrer et à rencontrer l’autre qui nous rencontre. Il y a donc rencontre, c’est une forme de contact que chacun éprouve dans la relation. C’est du contact, du corps à corps dans une rencontre qui nous lie, qui nous attache, l’un à l’autre. Relation : re-lation, re-lié, lié une nouvelle fois. Si il y a « re », c’est qu’il y a eu une première fois, des autres fois avant ; un processus de construction de liens qui nous constituent. Nous venons du « jeux » : le futur « je » est d’abord fusionné et confusionné avec « eux » et se constitue par « eux » en même temps qu’il se constitue lui- même. Il devient « j », « je » en devenir. Ce processus s’il est vécu comme suffisamment bon suffisamment longtemps constitue le sujet. Le travail de la relation, pour l’éducateur spécialisé, se situe, par la relation vécue avec le bénéficiaire, l’autre, au cœur de ce processus de constitution du sujet afin que celui-ci puisse désirer pour lui, s’autonomiser de ce « jeux » d’où il pro-vient et produire sa propre parole. Du corps à la parole. L’éducateur spécialisé va donc, en prenant du recul par rapport à sa propre histoire, accompagner l’autre pour qu’il advienne à lui-même au contact des autres. C’est ce travail d’accompagnement qui est représenté par « », l’apostrophe. L’éducateur va apostropher le futur sujet pour l’accompagner à se construire à partir et dans le lien. Pour l’accompagner, il doit d’abord se rencontrer dans sa propre histoire pour ensuite rejoindre l’autre où il se trouve pour le re-trouver à l’endroit où il se

La place du corps dans la relation : Introduction du cours. · sortir la pression non encore ou difficilement verbalisable. 5 I. INTRODUCTION. 1) Le corps pense. Chaque génération

Embed Size (px)

Citation preview

1

La place du corps dans la relation : Introduction du cours.

Ce cours invite chacun à se pencher sur la relation, à y entrer et à rencontrer

l’autre qui nous rencontre.

Il y a donc rencontre, c’est une forme de contact que chacun éprouve dans la

relation.

C’est du contact, du corps à corps dans une rencontre qui nous lie, qui nous

attache, l’un à l’autre.

Relation : re-lation, re-lié, lié une nouvelle fois. Si il y a « re », c’est qu’il y a eu

une première fois, des autres fois avant ; un processus de construction de liens

qui nous constituent.

Nous venons du « jeux » : le futur « je » est d’abord fusionné et confusionné

avec « eux » et se constitue par « eux » en même temps qu’il se constitue lui-

même. Il devient « j », « je » en devenir.

Ce processus s’il est vécu comme suffisamment bon suffisamment longtemps

constitue le sujet.

Le travail de la relation, pour l’éducateur spécialisé, se situe, par la relation

vécue avec le bénéficiaire, l’autre, au cœur de ce processus de constitution du

sujet afin que celui-ci puisse désirer pour lui, s’autonomiser de ce « jeux » d’où

il pro-vient et produire sa propre parole.

Du corps à la parole.

L’éducateur spécialisé va donc, en prenant du recul par rapport à sa propre

histoire, accompagner l’autre pour qu’il advienne à lui-même au contact des

autres.

C’est ce travail d’accompagnement qui est représenté par « ‘ », l’apostrophe.

L’éducateur va apostropher le futur sujet pour l’accompagner à se construire à

partir et dans le lien.

Pour l’accompagner, il doit d’abord se rencontrer dans sa propre histoire pour

ensuite rejoindre l’autre où il se trouve pour le re-trouver à l’endroit où il se

2

Notes de cours d’ACSC. DEZWAENE Jean-Luc. IPEPS.

« Quand la relation prend corps ou la prise en compte de la place

du corps dans la relation éducative ».

A partir des livres et documents suivant :

- « Le corps de l’enfant est le langage de l’histoire de ses parents », Willy Barral, Petite Bibliothèque Payot 2011.

- « Le complexe d’œdipe », Roger Perron, Michèle Perron-Borelli, Que sais-je, puf, 1994.

- www.psychasoc.com/Textes/La-place-du-corps-dans-la-relation-éducative.- Sébastien Motard.

- « Corps et psychomotricité », Bernard Robinson, L’Harmattan, 2014.

- http://pagespro-orange.fr/jerome.grondin/enaction.htm, « L’énaction : un concept des neurosciences cognitives ».

Informations concernant le « chemin » du cours : Ce cours d’ACSC se veut une exploration de la place

du corps dans la relation éducative. Relation qui est

l’outil principal de l’éducateur spécialisé.

Spécialisé donc en relation. Accompagnant et

accompagné par et dans la relation.

Qu’est-ce qui se passe quand ça se passe dans la

relation ?

Re-lation, re-jeu du premier lien, lié à l’autre, à

son environnement dans lequel il se trouve, se

construisant par et à partir de cette appartenance.

Nous commencerons, dans l’introduction, par tourner

autour de la pensée de Françoise Dolto et aborderons

les concepts suivants : le corps pense, le trauma

originel, l’image inconsciente du corps, les troubles

3

psychosomatiques, la répétition, le

transgénérationnel.

Ensuite, et avec l’accord de celui-ci, nous nous

inspirerons du texte de Sébastien Motard en nous

référant d’abord à Winnicott et au concept

« d’environnement maternant suffisamment bon », puis

à Anzieu et son concept de « Moi-Peau », et pour

conclure, de nouveau avec Dolto qui sera une boucle

de rappel et amènera notre conclusion.

J’essayerai également d’aborder, en cours de route,

certains chapitres du livre de Bernard Robinson pour

nous sensibiliser au travail plus spécifique du

psychomotricien et de la place de cette approche du

corps dans le travail de l’éducateur spécialisé.

J’aborderai également la relation d’objet et ses

origines, le schéma freudien de la satisfaction

hallucinatoire du désir et de sa déception, les

objets transitionnels et aire transitionnelle, le

modèle « absorption-expulsion » et pour terminer, le

concept d’énaction de Francesco Varela.

Les textes en italique, police Apple Chancery 14,

sont des commentaires personnels.

Educateur spécialisé depuis 1973, mon expérience

professionnelle s’est constituée dans différents

secteurs tels que : IMP, foyer de jeunes placés par

le juge, enseignement secondaire spécialisé, centre

créatif, maison de jeunes, AMO avec convention de

collaboration SAJ et TJ, centre thérapeutique pour

adolescents ( santé mentale) ainsi qu’une expérience

de rééducateur en psychomotricité auprès de personnes

ayant un handicap lourd ainsi qu’avec des enfants

placés vivant une souffrance de par leur vécu

d’abandon.

Dans le registre de la formation, je suis intervenu

en tant coopérant expert auprès des accompagnateurs

sociaux à la réinsertion des détenus dans les prisons

du Maroc ainsi qu’au Niger en tant qu’évaluateur

européen d’un projet de coopération belgo-nigérien

axé sur la prise en charge, par des organisations

civiles, d’enfants en difficultés.

4

Au travers de ce parcours de formations et

d’expériences dans différents domaines de l’éducation

spécialisée, j’ai interrogé le rapport entre le corps

et la psyché, entre le corps et la parole, entre

l’enfermement du corps et la sortie par la

parole.L’accès à la parole, au « je » autonome en

lien avec les autres(le social), travail

d’accompagnement vers l’autonomie qui va « du corps à

la parole ».

Les notions abordées dans ce cours se veulent

directement en lien avec le travail de la relation

qui est la spécificité de l’éducateur spécialisé car

il est en permanence dans des relations au sein

desquelles les bénéficiaires, de par leurs

comportements qu’ils donnent à voir, communiquent

leur mal-être en même temps que leurs désirs de

mieux-être.

Comment travailler la relation dans laquelle se

trouvent l’éducateur et l’éduqué, pour que ce dernier

puisse se sentir suffisamment sécurisé et tenter

d’explorer le social sans trop d’angoisses ?

J’ai bien vite constaté que la communication par le

corps était centrale dans la relation entre

l’usager et l’éducateur, que ses formes d’expressions

étaient multiples et observables à la fois chez des

personnes adultes déficientes mentales, des enfants

autistes ou psychotiques ou encore des enfants ou

adolescents à problématiques sociales.

Nous apprenions aux éducateurs spécialisés à

travailler la relation, mais surtout à observer les

« comportements », les « comportements

symptômatiques » qui sont « communication ».

Le symptôme est communication, il donne à voir, par

le corps en mouvement, c’est ce que nous appelons

« comportement ». Il est : « ex-pression », faire

sortir la pression non encore ou difficilement

verbalisable.

5

I. INTRODUCTION.

1) Le corps pense.

Chaque génération conduit sa vie en filtrant le trauma originel et en le transmettant à moindre frais pour la génération suivante. Trauma originel :un accroissement, au-delà du tolérable, de la tension résultant

d’un afflux d’excitations internes qui exigent d’être liquidées. C’est là ce qui

rend compte finalement, selon Freud, du « traumatisme de la naissance »

De tout temps,les parents sont confrontés à des maladies ou troubles

énigmatiques de leurs enfants qu’on appelle troubles psychosomatiques de la

petite enfance.

Parfois, ces troubles viennent perturber tout l’équilibre familial,tant ils sont

insistants et semblent résister à toute approche médicamenteuse.

C’est un « dire du corps » de l’enfant qui n’a pas la parole pour s’exprimer : le

symptôme résiste à l’interprétation.

Les troubles psychosomatiques de la petite enfance : de quoi s’agit-il ?

A partir de faits concernant l’histoire d’un symptôme, il s’agit de remonter aux

émotions correspondantes, à partir des histoires passées, pour reprendre le fil

d’un discours plus ou moins conscient qui restait presque toujours confus ou

oublié. Car il est question, le plus souvent, d’un symptôme familial qui ne

demande qu’à être retrouvé pour en dégager le sens perdu.

Nous allons aborder ce que l’on nomme aujourd’hui : le transgénérationnel, à

partir de la découverte freudienne appelée la compulsion de répétition.

La compulsion à la réparation de génération en génération selon Françoise

Dolto.

Pour tenter de définir ces troubles psychosomatiques de la petite enfance, nous

pouvons les considérer comme « tentative d’expression psychoaffective d’une

relation parents-enfants sur plusieurs générations ».

6

Françoise Dolto déclarait : « L’enfant n’est pas la simple répétition du passé de

ses parents, mais un être disponible au jour le jour pour perpétuer le contact et

les échanges d’une manière aussi créatrice que possible, avec les autres. En

prendre compte, c’est de la prévention ».

Le corps de l’enfant est le langage de l’histoire de ses parents1 ou plus

précisément, le langage des environnements qui ont entourés les personnes des

générations avant lui et dans lesquels ils se sont constitués.

Pour les éducateurs spécialisés, le travail avec l’enfant consiste en autre à

comprendre la place qu’il occupe dans la famille car nous avons toujours affaire,

nous les humains, à cette éducation par un humain père d’un fils,par une mère

d’un fils, ou par un père d’une fille, par une mère d’une fille.

Nous avons affaire à des états, à des richesses pulsionnelles différentes suivant

l’individuation corporelle de nos engendrés. Il s’agit alors de décoder les

cicatrices inscrites dans le « curriculum historique » depuis les arrières-grands-

parents en passant par les grands-parents et les parents de l’enfant.

Toujours selon Françoise Dolto, l’autisme est un terme que notre discours

psychiatrique a inventé pour parler de ces enfants avec lesquels nous sommes

en impossibilité de savoir comment communiquer avec eux.

On ne peut rien comprendre à l’autisme infantile si l’on ne travaille pas sur

trois générations, c’est le transgénérationnel2.

Mais revenons à la question du corps de l’enfant comme langage de l’histoire de

ses parents.

Freud inventa un nouveau regard en disant que : « c’est autour de la question

du nouage du corps que va se construire la clinique du sujet ».

Nous pouvons interroger la pensée comme : « le rapport adaptatif que les

organismes entretiennent avec leur milieu ».

Ce sont donc les corps qui pensent. De quelle manière ?

1. Françoise Dolto, in Ecole et/ou prévention, Colloque pluridisciplinaire, Strasbourg, 7-8 février 1986, Toulouse, Erès, 1987. 2. Anne Ancelin Schützenberger, Aïe, mes aïeux ! , Paris, Desclée de Brouwer, 1993 et Psychogénéalogie. Guérir les blessures familiales et se retrouver soi, Paris, Payot, 2007.

7

Le corps pense à travers l’esprit qui l’informe et l’inspire.

Ainsi, le corps pense,parle et désire.

Françoise Dolto parle du sujet du désir autonome dès sa conception, chez

l’homme, désir qu’elle appelle un « désir de communiquer avec un autre dès sa

conception » et qui est tout axé sur le langage. Il intègre l’esprit avant même le

corps. L’esprit s’incarne dans un corps.

Quelle est la nature de ce que nous nommons « esprit » ?

L’esprit est vibration énergétique.

L’esprit préexiste à la formation du soma : voilà le sens de notre incarnation.

« C’est le sujet du désir, en tant non seulement que témoin, mais aussi qu’acteur

de son histoire, par l’intermédiaire du corps-qui prend chair dans ce corps au

jour de la conception de chacun, et qui reconduit son contrat de vivant,

d’inspiration en inspiration, après que, d’expiration en expiration, il ait risqué,

en confiance, ce contrat de vivant…On peut dire que c’est cela vivre, pour un

être humain3. »

2) Le corps de l’enfant est le langage de l’histoire de ses parents.

Le « dire du corps » qui est « langage-corps » chez les enfants et qui s’adresse à

ses parents, à l’environnement, au monde qui l’entoure et dans lequel il se

trouve et avec qui il communique.

Mais comment un corps peut-il être langage ? Comment peut-il « parler » ?

Françoise Dolto déclare : « Le corps de l’enfant est le langage de l’histoire de

ses parents ».Ce qui se communique des générations avant

lui.

Dans toutes les traditions, la vie nous est donnée comme un chemin allant du

corps vers la parole, ou de façon symbolique, comme un chemin partant du

maternel pour atteindre le paternel !

L’on entend encore trop souvent parler de la dyade mère-enfant comme si, seule,

la mère était concernée par ce dialogue avec son enfant. Mais il y a toujours du

père dans la mère, c’est un espace « mamaïsé » comme aimait le formuler

Françoise Dolto.

3. Françoise Dolto, L’image inconsciente du corps, Paris, Seuil, 1984, p. 370.

8

Je dirais : « environnementalisé », nous le verrons

par la suite avec « l’environnement maternant

suffisamment bon » de Winnicott.

Pour Dolto, contrairement à ce que la biologie nous enseignait jusque-là, nous

ne sommes pas des êtres qui partiraient de leur corps pour construire leur

esprit. C’est l’esprit qui est premier et informe le corps.

En rejoignant Freud, elle confirme que : l’inconscient préexiste au conscient.

C’est ce dynamisme de l’esprit sur le corps qu’elle conceptualise par ce qu’elle a

appelé « l’image inconsciente du corps ».

Chacun de nous a ainsi un rapport narcissisé aux éléments sensoriels en

résonnance aux mots du vocabulaire.

Comment se fait le lien entre le psychisme et le corps ?

Probablement grâce au fait que l’être humain est d’abord sensations et

affectivité.

Mais si le corps est le langage de l’histoire de ses parents, par où passe

l’information ?

C’est à partir de cette question que s’élabore le concept d’image inconsciente du

corps.

C’est la découverte que le bébé « duplique » in utero les activités émotionnelles

et psychiques de ses deux parents et donc de ses deux lignées.

Donc, pendant la vie fœtale nous dupliquons, au sens informatique du terme, le

programme de nos deux lignées. Nous nous incarnons ainsi dans une histoire :

celle de nos géniteurs.

Tous les souvenirs de nos parents, de nos ancêtres sont inclus en nous. Nous

sommes, en notre être, représentants d’une histoire, même si nous ne le savons

pas, et à partir de laquelle nous allons nous développer.

Ex : De très jeunes enfants, dès qu’ils étaient en âge de pouvoir dessiner ou

façonner avec de la pâte à modeler, racontaient des évènements qui se

rattachaient à des vécus personnels in utero, voire des histoires traumatiques

survenues à leurs parents, parfois à leurs grands-parents, dont ils ne pouvaient

évidemment avoir aucune représentation mentale eux-même.

C’est ce qu’on nomme : « l’inconscient transgénérationnel ».

9

Selon Jean-Marie Delassus4, il s’agit de « mémoire cellulaire », il dit : « La

première mémoire prénatale est une mémoire par imprégnation, elle est première

mémoire qui ne sait rien, ne peut rien dire, elle ne garde aucun souvenir, elle est

le souvenir même inscrite dans le corps lui-même, ce corps qui va venir au

monde ne peut être infidèle à sa mémoire, la chair est notre seconde mémoire.

Quant à Kar Fung Wu, qui enseigne la médecine chinoise énergétique, elle nous

enseigne que la mémoire embryonnaire et la mémoire fœtale se complètent dans

un continuum qui sert de fondation à l’être humain.

Elle nous dit : « Une mémoire originelle et universelle s’est inscrite dans le

corps embryonnaire qui se forme pendant les 40 premiers jours de la vie

prénatale.

A ce stade, l’embryon n’est pas encore fixé, il est suspendu entre le ciel et la

terre, dans un état de plénitude sans souffrance, sans imprégnation psychique.

Au 41ème

jour, l’embryon, corps vibratoire, devient corps de matière, et le fœtus

commence sa vie aquatique en assise dans le liquide amniotique5. »

Jean-marie Delassus insiste sur le fait que la grossesse est une expérience

personnelle pour la mère « qui ne fait pas l’enfant mais l’accueille » : « Son

image inconsciente du corps est réactivée par la présence du fœtus en elle qui

s’adresse à son corps, le re-suscite de l’intérieur.

La grossesse est d’abord un état de vécu originel avant d’être un vécu maternel,

vécu originel qui la mobilise à un niveau où elle-même fut jadis, quand elle était

fœtus. Ce retour aux sources s’achève avec la naissance de l’enfant et tout ce qui

était revenu à la femme se reporte sur le bébé qui vient d’elle. La maternité a

lieu par transfert sur l’enfant de cette origine perdue, par transfert du plus

originel de soi sur le nouveau-né6. »

On peut mieux comprendre le désir narcissique de certaines mères que cet enfant

reste une partie d’elle-même, ce qui peut aller jusqu’au désir que l’enfant n’ait

pas été engendré. Ce « délire parthénogénique » d’auto-engendrement guette

toutes les mères, même les « sufisamment bonnes », concept que nous

aborderonspar la suite avec Winnicott, c’est ce que l’on pourrait appeler le

syndrome de la Vierge Marie, qui est la source de la toute-puissance

inconsciente de la mère…

3. De la compulsion à la répétition à la compulsion à la réparation

4. Jean-Marie Delassus, Le Génie du fœtus, op. cit. , p. 40. 5. Kar Fung Wu est également formée à la pensée de Jean-Michel Eyssalet. 6. Jean-Marie Delassus, Le Génie du fœtus, op. cit. , p. 40.

10

Sommes-nous condamnés à répéter les traumatismes originels de génération en

génération : rien ne pourrait donc changer ?

Bien sur que non.

Bien que Freud a effectivement découvert « une compulsion inconsciente à la

répétition », Françoise Dolto a découvert une non moins efficace « compulsion

de réparation ».

Questionnons d’abord l’éventuelle responsabilité parentale.

Que faisons nous des symptômes des enfants qui, dans certains cas, expriment la

souffrance intolérable d’être laissé dans l’ignorance d’un événement traumatique

qui les concerne et dont les parents refusent de leur parler (la mort d’un proche

auquel l’enfant était très attaché, par exemple), donnant ainsi sans le savoir à

leur enfant qu’ils veulent protéger un statut d’animal domestique, invivable pour

lui du fait de ce désordre langagier : cela non plus, ce n’est pas humain.

Dolto intitule l’un des chapitres de La Cause des enfants : « Vacciner l’enfant

contre la maladie de la mère ou du père.7

Que de maux l’on pourrait éviter aux enfants si nous leur parlions vrai, dans les

domaines bien sûr qui peuventles concerner, et seulement dans ceux-là !

L’entrée de l’enfant dans ces bizarreries, qu’on appelle « maladies

psychosomatiques », date d’un jour où, précisément, ce souvenir, par certaines

circonstances, est remonté en mémoire ou en rêve chez l’adulte qui l’a aussitôt

rejeté au fond des oubliettes de ses pensées, mais non sans que l’enfant très

jeune, toujours sensible jusqu’à la télépathie à ceux qui l’entourent, ait ressenti

le malaise fugitif de l’adulte ; certainement aidé en cela par le lien subtil de

vases communicants que le tout jeune enfant établit avec ses familiers.

Dans nos souvenirs d’enfant, nous pouvons tous nous

souvenir combien nous attendions un parler-vrai de

nos propres parents.

Le corps, est , dans ses désordres ou son ordre, bien avant la parole verbale.

Le corps est « dire de vérité », puisque notre corps ne ment jamais.

Dire de vérité dans ses fonctionnements de santé ou de maladie.

Dans notre métier d’éducateur spécialisé, nous allons

rencontrer des « bénéficiaires » fragilisés par leur

histoire et par l’histoire des générations avant eux.

De par leurs « comportements symtômatiques », ils

7. Françoise Dolto, La Cause des enfants, Paris, Robert Laffont, 1985, p. 446.

11

questionneront les « non-dits » des parents ou des

grands-parents. Ils questionneront « ce qui s’est

passé » et qui n’a pas été verbalisé. Par leur corps,

ils interrogeront « en acte » les zones d’ombre de

leur histoire.

Ces inscriptions corporelles demandent à être

verbalisées, et c’est un des rôles de l’éducateur

spécialisé, de proposer « sa parole » à l’autre pour

lui faire accéder à la sienne et sortir du langage

hérité. ( symboliser=faire du sens).

Ce peut être également des difficultés à passer d’un lieu ( corps) à un autre

(parole) ou des manifestations de violence et d’agressivité.

Que se soit une forme de somatisation, des agissements d’auto-agressivité, des

souillures ou des difficultés de mobilité dans un temps et un espace particulier,

ces attitudes rendent la prise en charge difficile tant elles paraissent éloignées du

mode classique de communication qu’est la parole.

L’accompagnement s’organise alors, selon moi, sur deux versants spécifiques :

L’un qui vise plus particulièrement le lieu du corps. Administrer un

médicament, panser une plaie, accompagner un déplacement, contenir/porter le

corps dans une situation difficile ou angoissante pour l’usager, protéger la

personne contre des agissements d’automutilation ou d’agressivité envers les

autres, paraît être une première réponse.

L’autre qui s’attacherait plus singulièrement à la mise en mot et la verbalisation

de ce vécu corporel. Il me paraît, en effet essentiel que cet agir corporel puisse

prendre sens dans une dimension symbolique ( symboliser = faire du

sens ). L’éducateur spécialisé vient alors proposer

sa parole et ses mots à celui qui n’a pas accès à

cette fonction ou qui ne peut pas s’en servir dans

l’instant.

« Parler à l’autre suppose de s’intéresser à ses capacités langagières et à ses

handicaps éventuels dans la réception de l’expression, mais encore à son désir

de communiquer » 8 nous dit Lemay et Capul.

L’éducateur propose à la personne un sens symbolique(

faire du sens, signification en mots) qui puisse

8. Capul/Lemay, De l’éducation spécialisée, Action sociale, Eres, 1996, p. 209.

12

structurer ses ressentis. Il apporte ses mots dans la

relation et les propose à l’autre.

Il s’agit donc de favoriser le plus largement possible l’émergence de la parole

chez l’autre par le biais de la demande (susciter la demande), pour que s’engage

une inscription dans un espace relationnel humanisant et orienté vers la

dimension du désir et de l’autonomie.

« En parlant, c’est à dire en signifiant ses besoins autrement que dans le corps à

corps du mouvement, l’homme établit un relais qui vient s’interposer entre son

corps et le corps de l’autre »9 précise Denis Vasse.

II. LA PLACE DU CORPS DANS LA RELATION EDUCATIVE

Aussi, plutôt que de considérer le corps et l’esprit, le corps et la parole en

des termes antinomiques, ne peut-on pas imaginer ces deux entités comme

complémentaires, dynamiques et déterminantes de l’évolution de l’enfant

puis de l’adulte ?

Le corps et la parole ne constituent-ils pas les lieux d’actualisation de la

relation éducative ?

Le corps chez ces personnes, souvent dépourvues du langage verbal,

constitue la dimension expressive de la souffrance psychique10

.

1. Claire

Je réintègre un samedi à 15 heures ma structure de travail habituelle, après une

longue absence. L’accueil de l’ensemble des résidents est très chaleureux.

Claire, quant à elle, est restée dans sa chambre. Mes collègues qui travaillaient

ce jour là depuis le début de la journée m’annoncent qu’elle est alitée, se

plaignant de douleurs abdominales. Deux médicaments ont déjà été administrés

sans que cela ne change quoi que ce soit.

Claire fait partie du groupe d’adultes sur lequel je travaille, je suis de plus l’un

de ses référents. Je me rends dans sa chambre. Elle est effectivement

emmitouflée dans ses couvertures, les volets sont fermés. Elle me réserve tout

de même un maigre sourire, me dit qu’elle a mal au ventre et qu’il faut

9. Denis Vasse, Le temps du désir, Essai sur le corps et la parole, Ed. Points, p. 150. 10. Philippe Chaveroche, Travailler en MAS, L’éducatif et le thérapeutique au quotidien, Ed. Eres, 2002, p. 107.

13

absolument appeler un médecin. Je lui réponds que l’on va peut être attendre un

peu avant de l’appeler, puis je m’installe à côté du lit et commence à entamer

une discussion d'ordre général, je lui demande de me raconter ce qui s’est passé

pendant mon absence. Progressivement elle devient de plus en plus loquace, me

tient au courant des dernières nouvelles, me parle de son changement d’atelier,

de ses derniers achats vestimentaires. Dans le même temps elle sort de sa

position couchée pour s’asseoir sur son lit. Je vois son visage changer et se

détendre.

Après une vingtaine de minutes, la sentant plus en forme, je lui propose de venir

avec moi pour une sortie en ville. Le symptôme, alors, réapparaît, elle se

renfonce dans son lit et refuse ma proposition. Je m’apprête à quitter la chambre

tout en lui précisant que je pars dans un quart d’heure, qu’il lui est toujours

possible de nous rejoindre si jamais elle change d’avis.

Cinq minutes plus tard, elle me rejoint dans la salle de groupe, habillée pour

sortir. Prétextant qu’elle doit retirer de l’argent, elle m’annonce qu’elle vient

avec moi.

Elle adoptera tout au long de la journée une toute autre attitude. Elle se montre

agréable et détendue. Elle ne nous reparlera pas de ses douleurs abdominales,

n’évoquera aucune autre plainte. Le symptôme semblait avoir momentanément

disparu.

Je souhaitais entamer ce développement théorique par cette situation, dans la

mesure où, même si elle peut paraître anodine, elle est significative, je pense, de

la place que peut prendre le corps dans la relation. Bien souvent c’est par

l’apparition d’un symptôme de forme plus ou moins bénigne, que le corps

manifeste un mal être que le psychisme semble avoir du mal à surmonter. Mais

qu’est ce qu’un symptôme ?

2. Le symptôme

Le symptôme, tout d’abord, est un terme qui peut être défini de deux manières

selon que l’on s’intéresse à son sens commun défini par le Larousse comme un «

phénomène subjectif qui révèle un trouble fonctionnel ou une lésion11

» ou que

l’on s’oriente vers le sens donné par Freud et la psychanalyse en général. On

parle alors d’ « un phénomène subjectif qui, pour la psychanalyse, constitue non

le signe d’une maladie mais l’expression d’un conflit inconscient. En effet pour

Freud, le mot symptôme prend un sens radicalement nouveau à partir du

moment où il peut poser que le symptôme de conversion hystérique,

11. Dictionnaire Le petit Larousse, 1995.

14

généralement tenu pour simulation, est en fait pantomime du désir inconscient,

expression du refoulé12

» .

Ces deux définitions mettent en lumière deux façons d’approcher le symptôme,

soit du côté du médical, qui viendrait répondre à une lésion, soit du côté

psychologique, psychanalytique, qui s’intéresserait non à une « maladie mais à

l’expression d’un conflit inconscient13

» . Aussi, est-il possible d’entrevoir

deux manières d’aborder le symptôme, l’une du côté du soin corporel,

l’autre du côté de la parole .

Est-ce l’un ou l’autre, ou l’un et l’autre.

J’essayerai de vous sensibiliser à une autre façon

d’approcher le symptôme qui est celle qui montrera le

symptôme comme une expression qui se donne à voir par

le corps, qui est une communication non verbalisable

encore et qui se déploie dans la relation éducative

dans le corps à corps de la relation.

Il s’agit bien de ces deux types de prises en charges

auxquels je suis parfois confronté dans le quotidien

de ma pratique. Même si les plaintes à répétitions

laissent parfois penser à une forme de simulation, le

symptôme et la douleur sont pourtant bien présents.

Une réponse d’ordre médical ou para-médical s’impose

sans pour autant mettre de côté l’appel à la relation

qu’implique cette demande de soin. Nous verrons un

peu plus loin que les théories de Winnicott, par

exemple, avec le holding et le handling ont associé

très tôt ces deux approches et ont montré à quel

point elles étaient importantes pour le développement

de l’enfant.

Ce symptôme qui semble traduire « un conflit psychique en affection somatique

(la somatique étant ce qui concerne le corps)14

» , s’inscrit directement dans des

processus de somatisation (lien avec le cours de gestion de conflits).

Claire, dont je parlais un peu plus haut, est une adulte handicapée mentale âgée

de 33 ans. Elle ne sait ni lire, ni écrire mais montre par contre un très bon niveau

d’autonomie dans les gestes de la vie quotidienne. Elle a connu tout au long de

12. Dictionnaire de la psychanalyse, Larousse, 1998. 13. ibid. 14. Le petit Larousse, op. cit.

15

son existence de nombreux placements en familles d’accueils depuis l’age de 2

ans où elle a été retirée de sa famille biologique.

Tous ces placements se sont révélés comme des échecs. Elle présente le profil

type de la personne dite « carencée affective ». La succession de ces placements

a renforcé, de plus, son passé abandonnique fort considérable.

Ses demandes affectives sont très importantes, elle semble rejouer en

permanence des situations provoquant à la fois l’acceptation, la reconnaissance

puis le rejet.

Une résidente, Marie-Christine, qui était jusque là sur un groupe voisin arrive

sur celui de Claire. Avant ce changement, Claire et Marie Christine étaient très

proches, passaient déjà beaucoup de temps ensemble. On peut repérer d’ailleurs,

une certaine similitude dans leurs comportements ayant toutes les deux souffert

de carences affectives. Même si elles s’appréciaient, ce changement n’était pas

anodin pour Claire. Elle était la personne leader de ce groupe et se retrouvait en

quelque sorte en concurrence avec l’une de ses meilleures amies. Claire n’était

pas en mesure d’exprimer ce ressenti avec des mots, elle le fit involontairement

avec des maux.

Pendant une période d’environ 2 à 3 semaines, Claire va se plaindre

régulièrement auprès de l’infirmière et auprès de l’éducateur de maux de gorge.

Elle ne sort plus sans un foulard, parle d’une voix cassée et se réfugie

régulièrement au chaud dans son lit. Dans un premier temps, seul, le symptôme

existait, et il était nécessaire de le prendre en compte. On peut penser que la

souffrance était réelle même si la cause était ailleurs.

Il était certainement difficile pour elle de dire sa jalousie, sa difficulté à partager.

Dans ce cas nous étions conscients des angoisses que pouvait provoquer chez

Claire une telle arrivée.

Nous avons essayé d’être rassurants de par nos attitudes en lui permettant

d’exprimer plus largement son ressenti lors de rencontres régulières. C’est par

l’intermédiaire de ces discussions, par ce qu’elle disait et ce que nous lui

renvoyons, qu’il lui a été possible d’apaiser certaines craintes, comme celle, qui

peut paraître insignifiante, de perdre la responsabilité du café dans la salle de

groupe.

Plus largement il était possible de ressentir au cours de ces entretiens sescraintes

de perdre la relation qui existait avec les membres de l’équipe. De revivre peut

être une forme d’abandon. C’est en essayant d’exprimer par des mots ce

moment douloureux, de l’éprouver également, en se rendant compte que Marie

16

Christine et elle pouvaient exister au sein du groupe, sans se sentir menacée,

qu’elle a pu se passer du symptôme.

Pierre Marty15

dit des maladies psychosomatiques qu’ « elles découlent, dans la

règle, des inadéquations de l’individu aux conditions de vie qu’il rencontre. Ceci

est déjà vrai dans les premiers temps du développement. Comme les conditions

de vie ne se présentent jamais de manière adéquate, l’individu doit s’adapter au

mieux à celles-ci avec les moyens dont il dispose, dans les limites qu’il tolère

selon les âges, selon les lieux, selon les temps. »

Il rejoint sur ce point S. Freud qui disait du symptôme qu’il était « un effet dont

il fallait trouver la cause16

».Je dirais : « les éléments de

communication en interaction dans l’environnement

envahissent le psychisme et produisent une tension

difficilement gérable et verbalisable qui s’actualise

au travers du symptôme pour rééquilibrer l’ensemble

psychosomatique ».

Le symptôme a donc son importance, il ne s’agit pas de vouloir le faire

disparaître puisqu’il vient répondre à une angoisse, une anxiété. En effet, on

peut penser qu’il est plus facile de supporter un symptôme plutôt que

l’angoisse et l’anxiété générée par une situation qui submerge l’individu.

On peut penser que pour Claire, l’arrivée de Marie Christine. constituait une

véritable source d’angoisse, et qu’elle ne disposait pas des moyens psychiques à

l’instant, au moment ou cela s’est produit comme pouvait le dire P. Marty. Le

symptôme devient donc la seule issue pour contrecarrer cette angoisse. Il a donc

toute son utilité, et le bousculer, risquerait de perturber un peu plus l’équilibre

qui s’était constitué.

Dans ma pratique, j’ai pu constater que la somatisation était particulièrement

présente chez les personnalités dites carencées affectives. L .Kreisler, qui

travailla lui aussi sur la psychosomatique disait que : « La qualité des

résistances physiques d’un sujet vis à vis des agressions dépend largement de la

solidité de sa constitution mentale ; la désorganisation des défenses psychiques

entraîne avec elle celles des défenses biologiques. […] Les enfants les plus

touchés révèlent des défauts graves de leur organisation mentale. Ces états

d’inorganisation rejoignent la conjoncture des carences affectives17

»

Par ce constat il est possible de comprendre un peu mieux cette tendance à la

plainte. Elle renvoie, en effet, à une demande de soin, à une demande d’attention

15. La psychosomatique de l’adulte – Que sais-je ? – N° 1850 – p.48. 16. Françoise Labridy, Le groupe familial, N° 141. 17. L. Kreisler, L’enfant du désordre psychosomatique, rencontres cliniques, Ed. Privat, p.9.

17

et peut être plus largement à une demande d’amour. Elle renvoie à la relation

originaire entre le bébé et sa mère, ou plus largement l’entourage maternel, à l’Environnement Maternant Suffisamment Bon.

3. Les prémisses de la relation

3.1. L’importance des premiers soins – L’approche de Winnicott

On peut rapprocher ces plaintes à un stade premier du développement de

l’enfant lorsque la mère subvenait à tous les besoins physiques de l’enfant.

Il s’agit ici de ce que Winnicott a pu appeler la Préoccupation Maternelle

Primaire. En s’appuyant sur le moi de sa mère ou de la personne qui veille

sur lui en permanence, l’enfant va pouvoir commencer la structuration de

son moi . Cette étape fondamentale pour le développement, n'a pas toujours été

expérimentée chez des personnes, abandonnées dès le plus jeune âge ou élevées

dans un environnement maternel rejetant ou déstabilisé. Winnicott a également

mis en avant l’importance du portage et des soins prodigués à l’enfant, en le

déclinant sous la théorie du handling et du holding.

Pour ce dernier le holding « joue essentiellement une fonction de protection

contre toutes les expériences souvent angoissantes qui sont ressenties dés la

naissance, qu ‘elles soient de nature physiologique, sensorielle ou qu’elles

concernent le physique du corps (angoisse de morcellement, absence

d’orientation, etc…) […] Si le holding est assuré de manière suffisante et

régulière, le sentiment continu d’exister est préservé et la maturation du nourrisson est alors possible

18 ».

Pierre est un enfant accueilli en hôpital de jour, lieu de mon stage de découverte

qui laisse apparaître une clinique d’autiste. Il recherche très fréquemment les

portages que pourrait faire l’adulte. Il attend parfois de ces portages des

sensations fortes, données par des balancements, des sauts…etc. A d’autres

moments il va plutôt essayer de trouver dans les bras de l’adulte une position

confortable où il va pouvoir se sentir protégé et rassuré. Il peut alors se lover

dans les bras du soignant, comme un fœtus. Il parvient alors à s’endormir. Les

fonctions de protection du holding, de par la qualité du portage qui lui est offert,

semblent ici essentielles. On peut penser que la sécurité trouvée dans les bras de

l’adulte, comme dans les premiers temps de sa vie de bébé, permet à Pierre

d’apaiser certaines angoisses.

Avec la théorie du handling, on se rapproche encore un peu plus d’un « Moi

corporel ». Le handling spécifie la manière dont l’enfant va être traité, la

18. B. Golse, Le développement affectif et intellectuel de l’enfant, Ed. Masson, 1999, p. 81.

18

manière dont l’environnement va prendre soin de son corps. C’est par

l’ensemble des soins prodigués par la mère qu’il pourra prendre conscience de

son corps, par le biais des sensations ressenties. C’est par l’ensemble de ces

soins maternels que va pouvoir s’établir une première esquisse de son schéma

corporel.

Pour exemple, j’évoquerai ici le cas d’Océane, jeune enfant accueillie elle aussi

en hôpital de jour. Comme Pierre elle peut être décrite comme une enfant

autiste, entretenant peu de relation avec le monde qui l’entoure, et se repliant sur

elle-même dans des attitudes stéréotypées. Des amorces de communication, de

relation, peuvent parfois être ressenties et ceci à des moments particuliers

comme celui de la toilette. De par le soin qu’il est possible de lui apporter à ce

moment là, Océane semble pouvoir prendre conscience de son propre corps par

les sensations qu’elle peut éprouver au niveau de sa peau. De par le toucher qui

est exercé, on peut penser que Océane ressent plus facilement les limites de son

propre corps et parvient peut être à le différencier de celui de la personne qui

prend soin d’elle. Percevoir ses propres limites corporelles est sans doute l’une

des étapes les plus importantes pour l’enfant. En distinguant son corps différent

de l’autre, il pourra prendre conscience de sa propre existence corporelle et

psychique. Il lui sera également possible de se sentir plus largement protégé des

agressions extérieures. Aussi, pour Océane., le soin (le handling comme a pu le

nommer Winnicott), de par le toucher et le contact, peut avoir une incidence sur

l’évolution de ses relations avec le monde extérieur.

Par cette approche très riche de Winnicott, on comprend toute l’importance des

premiers temps de la vie de l’enfant. Le corps est la source des premières

sensations sur lesquelles le Moi va s’appuyer pour se développer.

On peut également envisager chez l’adulte présentant de fortes carences

affectives, une défaillance dans le domaine du handling et du holding.

En effet, les plaintes diverses comme celles exprimées par Claire font appel à

une attention particulière, centrée autour du corps. Elle entretient d’ailleurs une

relation privilégiée avec l’infirmière, qui peut délivrer un médicament mais

surtout qui peut prendre soin. ( dans le sens de thérapeutique )

C’est spécifiquement par la qualité du soin qu’elle peut recevoir, que Claire peut

parfois trouver les ressources pour faire face aux difficultés et angoisses qui se

présentent.

19

B. Golse disait : « La personnalisation est le processus psychosomatique par

lequel le Moi se fonde sur un Moi corporel19

. »

3. 2. Le lien entre le corps et de la psychée – L’approche de D. Anzieux

D. Anzieux et le concept du Moi Peau, dans l’ouvrage du même nom, propose

une approche qui va nous permettre de comprendre un peu mieux la relation qui

peut exister entre le corps et le psychisme, et par la suite donner du sens à la

clinique que j’aborderai. Nous verrons que cet abord théorique se rapproche de

celui de Winnicott et le complète.

Il convient de présenter ce concept de Moi Peau. Toute la psychanalyse s’est

basée sur la sexualité, par les recherches de Freud. Anzieux rappelle à juste titre

que l’image du corps est véritablement le point d’origine du développement de

l’individu. Il s’appuie pour démontrer cette idée sur les travaux de différents

chercheurs.

Ceux de Lorentz tout d’abord, qui montreront que des oisons adoptent ce

chercheur comme leur mère dans la mesure où il a été le premier objet mouvant

à leur éclosion.

Ceux de Spitz également, qui mettent en avant la difficulté que représente

l’absence de la mère dans les premiers temps de la vie de l’enfant, lorsque celui

ci est hospitalisé. Privés de l’entourage bien veillant de leur mère, ces enfants

présentent de graves problèmes de développement.

Dans cette même lignée Bowlby avance l’hypothèse que la pulsion

d’attachement serait plus primitive que celle de l’oralité.

Harlow, enfin, fera un parallèle avec le bébé singe qui attache plus d’importance

à la chaleur d’une fourrure qu’à l’allaitement ou le bercement. L’absence de

fourrure chez l’homme favorise le contact entre la mère et son bébé.

Plus qu’il ne s’agrippe, le bébé se cramponne à sa mère. Bion a d’ailleurs pu

parler de cette angoisse de décramponnement chez le bébé comme d’ «

une terreur sans nom ».

Ces recherches ont orienté les travaux d’Anzieux, qui a pu considérer les

nécessités du contact comme un besoin psychologique incontournable. C’est par

les premiers rapports que l’enfant va entretenir avec sa mère qu’un Moi Peau va

pouvoir se constituer. C’est par ce toucher, ce contact entretenu avec sa mère,

que l’enfant ressent l’existence de sa propre peau. Ce sentiment d’existence de

base lui donne conscience des limites de son corps, et une confiance

19. B. Golse, op.cit. , P 85.

20

suffisamment importante en son intégrité corporelle. ( se sentir un,

entier )

La communication interactive qui va s’engager entre eux va donner naissance à

une enveloppe avec une face externe orientée vers les objets et une face interne,

sensible aux données du Moi. Cette enveloppe est dans un premier temps

commune à la mère et l’enfant, pour s’individualiser par la suite vers la

constitution d’un Moi Peau autonome .

Au contact d’enfants autistes, il est possible d’observer ce besoin de faire corps

à corps, mais également de se cramponner, de s’agripper à l’autre. Cette attitude

est particulièrement présente chez Pierre, enfant accueilli en hôpital de jour. A

des moments difficiles pour lui, certainement source d’angoisse, il va rechercher

le portage, parfois se blottir. Cette attitude peut laisser penser à une tentative de

reprendre corps avec l’objet maternel, retrouver une forme d’enveloppe

commune protectrice. Par le toucher que cela implique, et les sensations que cela

procure une sorte de mieux être est possible. On peut penser également qu’un

Moi Peau autonome pour Pierre n’est pas encore véritablement constitué et qu’il

est encore nécessaire, pour lui, d’établir une enveloppe de contact, formé de sa

peau et de celle de sa mère, ou de l’environnement maternel..

Dans la suite de sa théorisation, Anzieu a pu distinguer trois fonctions du Moi

Peau, pour par la suite en dégager huit. Il est nécessaire de les présenter tant

elles apportent des indications essentielles. Il évoqua en premier lieu la :

- Fonction de sac : « qui retient à l’intérieur le bon et le plein que l’allaitement

et les soins, le bain de paroles y ont accumulés »

- Fonction de limite , laquelle en même temps protège des agressions

potentielles du monde extérieur et différencie le dehors et le dedans.

- Fonction d’interface qui permet et organise les échanges avec autrui

Huit autres fonctions ont été par la suite proposées par Anzieu :

- Fonction de maintenance du psychisme : tout comme la peau soutient le

squelette, cette fonction soutient le psychisme. L’origine de cette fonction est le

holding de Winnicott.

- Fonction contenante : Cette fonction est particulièrement importante. C’est

elle qui permet d’envelopper le noyau des pulsions. Le handling de Winnicott en

est son point originaire. Lorsque cette enveloppe n’existe pas, le sujet va tenter

21

de s’en fabriquer pour contenir « l’angoisse d’une excitation pulsionnelle

diffuse20

», en s’enveloppant de symptôme, de douleurs.

- Fonction pare excitation : qui protège contre les agressions extérieures

- Fonction d’individuation de soi : Sentiment d’être différenciés des autres. On

peut observer dans la schizophrénie une perte du sentiment d’unité de soi.

- Fonction d’intersensorialité : qui donne le sentiment de l’unité acquise dans

les interconnections sensorielles.

- Fonction de soutien de l’excitation sexuelle : qui évoque les plaisirs de peau,

et la répartition à sa surface des zones érogènes. Cette fonction permet une

sexualité adulte.

- Fonction de recharge libidinale : qui permet le maintien de la tension

énergétique interne.

- Fonction d’inscription des traces sensorielles : qui collecte les informations

sur le monde extérieur (chaud, froid, contact…) et qui inscrit le sujet dans une

dimension sociale.

Ces fonctions sont tout à fait opérantes pour la mise en sens de certains

dysfonctionnements corporels. La somatisation peut être entendue comme un

moyen de se fabriquer une enveloppe protectrice contre des pulsions. Ceci

pourrait être un début d’explication de la tendance à la somatisation des sujets

carencés affectifs, que j’ai abordé avec le cas de Claire, ayant souffert d’un

manque de soin maternel à son plus jeune âge. Lorsqu’un sentiment d’abandon

est réactivé par une situation particulière, la nécessité de produire un symptôme

en guise de protection est l’une des solutions. Ceci confirme également l’idée

que cette enveloppe fabriquée par le sujet, le symptôme, est avant tout

protectrice et qu’il faut veiller à ne pas trop la bousculer.

Le cas de Jacques évoque lui aussi une défaillance au niveau de l’enveloppe

psychique :

Jacques, adulte handicapé vivant en foyer hébergement CAT, se déplaçait

difficilement à l’aide d’une canne. Il était cependant très habile et chutait très

rarement. Subitement de gros problèmes conflictuels sont apparus dans le milieu

familial, notamment avec sa mère. Les week-ends en famille étaient très

difficiles pour l’un et l’autre. Jacques en était très affecté. Avec l’apparition de

ces conflits ouverts avec sa mère, ses déplacements sont devenus très difficiles

sans l’aide d’un tiers et les chutes, parfois dangereuses, sont devenues de plus en

20. D. Anzieux, Le Moi-Peau, Ed. Dunod, 1995, p. 125.

22

plus fréquentes. Le Moi Peau ne semblait plus remplir sa fonction de

maintenance.

La relation entre Jacques et sa mère était particulièrement forte dans la mesure

où, avant qu’il marche, elle avait du le porter sur son dos les 6 premières années

de sa vie. Entrer en conflit avec sa mère, signifiait peut être pour Jacques une

forme de perte de l’aide auxiliaire qui lui était nécessaire pour ses déplacements.

Le cas de Chantal laisse également penser à une défaillance de la fonction de

maintenance du Moi Peau.

Chantal est une adulte handicapée, qui présente, elle aussi, d’importants

problèmes moteurs. Ces problèmes sont cependant fluctuants en fonction des

temps de la journée. Elle est généralement très lente et renfermée le matin, et

semble s’épanouir en soirée.

Ses déplacements semblent plus ou moins facilités en fonction de son état

psychique. A un état d’angoisse et de stress s’associe un manque de confiance

total dans ses déplacements. Il peut alors lui arriver de rester bloquée plus d’une

heure au même endroit et mettre un temps infini pour rejoindre sa chambre.

Dans ces moments là, Chantal transpire beaucoup, se montre incapable de

répondre à nos interrogations. L’aide auxiliaire que l’on va pouvoir lui apporter

en posant simplement le pouce sur son épaule suffit à lui donner la confiance

nécessaire pour continuer son déplacement.

Enfin, je reviendrai sur le cas d’Océane, dont j’ai pu parler précédemment, qui

est débordée d’angoisse lorsqu’elle doit sortir de la structure de l’hôpital de jour

pour aller vers l’extérieur. Elle ne peut plus alors continuer à marcher, se

recroqueville sur elle-même, crie, pleure et peut tenter de s’automutiler.

Elle cherche alors au creux du ventre de l’adulte une protection et une

réassurance éventuelle. Ce sont les limites du corps de l’autre qui peuvent

apaiser et permettre à nouveau à Océane de se déplacer seule. La peur panique

que provoque une telle balade dans un espace inconnu, vaste et difficilement

délimitable s’estompe par la contenance que l’on peut proposer. Cette peur peut

réapparaître à tout moment, lors d’un changement de direction ou d’interruption

de la marche. Océane parvient parfois à s’apaiser d’elle-même en se rapprochant

physiquement d’une haie ou d’un mur. Elle semble ainsi se constituer sa propre

limite et trouver une source d’apaisement.

3. 3. L’image inconsciente du corps – L’apport de F. Dolto

Il est nécessaire d’aborder également la théorie de l’image inconsciente du corps

proposée par Françoise Dolto. Cette théorie nous permettra de mieux

23

comprendre l’importance que revêt le corps et sa capacité à capter les stimuli,

dans les processus de personnalisation. Le concept d’image inconsciente du

corps n’est pas toujours facile à saisir, il est pourtant à la base de la construction

de notre identité. Il faut tout d’abord décomposer ce concept, pour mieux le

comprendre.

Il est tout d’abord nécessaire de préciser que l’image utilisée par Dolto est

différente de l’image spéculaire (celle que l’on voit dans le miroir), elle renvoie

plutôt à la dimension d’identité. En cela elle se distingue de la théorie du stade

du miroir de Lacan qui y voyait seulement une image spéculaire. Dolto y voit,

elle, le reflet de l’image inconsciente du corps, qui laisse la place à toute forme

sensible, de l’ordre du vécu. Elle dira notamment que les enfants aveugles, qui

n’ont pu expérimenter le stade du miroir, fournissent des dessins où « reste

intact une riche image inconsciente du corps21

» . Cette image de leur être est

simplement modelée par le toucher qui leur sert d’yeux. Dans l’obscurité,

l’image scopique laisse la place à une image inconsciente du corps.

Il est important également de bien comprendre la différence qu’il peut y avoir

entre le schéma corporel, et l’image inconsciente du corps :

« Il ne faut pas confondre image du corps et schéma corporel (…). Le schéma

corporel spécifie l’individu en tant que représentant de l’espèce (…), il est en

principe le même pour tous les individus. L’image du corps, par contre est

propre à chacun : Elle est liée au sujet et à son histoire. Support du narcissisme,

elle est éminemment inconsciente. C’est l’incarnation symbolique du sujet désirant

22. »

Le concept d’image inconsciente du corps renvoie à la dimension d’identité.

« Oui, c’est l’aspect identité, identification. Une image se lit dans une partie

douloureuse du corps ; c’est là que je suis. L’endroit douloureux de quelqu’un,

voilà où se situe le sujet qui défend l’articulation à son moi. La douleur fait

partie de l’image du corps, comme lieu sensible où le sujet peut tenir son moi,

ou même, son corps. Car pour nous le corps, c’est à la fois une partie

inconsciente du moi et le lieu d’où le sujet peut dire : « moi ». On dit toujours :

« moi, j’ai mal », mais on ne dira jamais – c’est curieux – « ça souffre dans mon

corps ». Lorsqu’il s’agit, d’un sentiment agressif qui nous échappe, on dit : «

21. L’enfant du miroir, Nasio / Dolto, Petite bibliothèque Payot, 1992, P.64. 22. Françoise Dolto, C’est la parole qui fait vivre. Une théorie corporelle du langage, Sous la direction de W. Barral. Extrait de l’image inconsciente du corps de F. Dolto, ed Gallimard 1999, P17 et P22. 23. Françoise Dolto – J.D Nasio, L’enfant du miroir, op. cit., p18, 19.

24

C’est plus fort que moi d’avoir mal » ; au contraire on dit habituellement « j’ai

mal là ». Ce « je »qui a mal à son moi », à cet endroit de son corps. Ceci est très

en rapport avec les images archaïques du corps, situées, comme je le dis, à la base du narcissisme

23» .

Il existe un lien très fort entre le corps et le moi, entre le corps et l’être

psychique. C’est sans doute ce lien qui permet la structuration du sujet. On peut

d’ailleurs se demander si l’inexistence de ce lien ne pourrait pas expliquer la

psychose. F. Dolto parle de la psychose comme d’ « un ensemble de processus

de défense pour essayer de ne pas souffrir du péril grave que signifierait la

perte du lien entre l’I.MA.GE (ici-moi-je) et mon corps24

» ou encore la

dissociation entre l’image et le schéma corporel.

Ce qui m’apparaît essentiel dans la théorie de l’image inconsciente du corps,

proposée par F. Dolto, c’est la possibilité de pouvoir repérer le passage d’une

expression du désir par un langage corporel pour évoluer vers un langage parlé.

Cet extrait tiré d’un ouvrage collectif sur l’œuvre de Dolto va éclairer mon

propos :

« Ce langage graphique par lequel les petits enfants expriment, avant la période

oedipienne, leurs relations à leur corps et à autrui, mute progressivement en

langage verbal lorsque l’enfant le maîtrise à son tour. L’œdipe refoule alors

l’image du corps, qui devient inconsciente, et comme l’expliquait F. Dolto, les

dessins d’enfants ne peuvent plus alors être considérés comme un substrat

relationnel du langage. Ce sont les mots qui prennent relais du dessin pour

relier entre eux les divers lieux d’une pulsion25

. »

On peut comprendre toute l’importance de l’apparition des mots et du langage

parlé. C’est lui qui va permettre à l’enfant de structurer son image corporelle,

devenue inconsciente. Et c’est au stade œdipien avec l’apparition du père dans la

vie de l’enfant, qui va faire tiers dans la relation duelle avec sa mère, qu’il va

pouvoir s’engager dans la voie de la parole. L’avènement de la parole à la

période œdipienne est avant tout le moyen pour l’enfant de s’engager dans le

processus de séparation d’avec ses parents.

24. F. Dolto – J.D. Nasio, L’enfant du miroir, op. cit., p 22 25. Françoise Dolto, c’est la parole qui fait vivre, une théorie corporelle du langage. Op. cit., p141

25

« Lorsque l’on parle d’inconscient, on oublie toujours de le référer à la

construction du conscient comme si la conscience existait de toute éternité et

que l’inconscient était le produit de ce qu’elle n’avait pu digérer alors que c’est

exactement l’inverse. L’inconscient préexiste à la conscience. La conscience

n’entreprend de se construire que vers deux ans, avec l’entrée dans la parole, et

elle le fait dans un but précis, celui de pouvoir quitter les parents, d’être

capable de vivre sans eux. Ce qui fait que l’enfant ne commence à vraiment se

séparer mentalement de ses parents qu’à l’adolescence26

».

Cette parole n’est pas encore advenue chez le petit enfant. Chez les autistes elle

se décline par le biais de cris ou de bruits. Chez les adultes handicapés, ou

déficients mentaux elle est parfois absente, parfois troublée. Les mots ne sont

pas venus mettre du sens sur les différentes relations entretenues dés le début de

la vie. Sans les mots, reste, comme pouvait encore le dire F. Dolto : « une souffrance qui est une souffrance relationnelle

27 ».

Dans le foyer résidence dans lequel je travaille et qui accueille des adultes

handicapés mentaux Nathalie, s’exprime essentiellement sur un mode

écholalique répétant fidèlement la phrase que nous lui adressons.

Margot interpelle plus largement son entourage, mais s’inscrit, elle aussi, très

peu dans le discours. Elle se sert de mots, de bribes de phrases, d’expressions

rituelles. Romain dispose de très peu de vocabulaire. Aussi pour ces trois

personnes, le corps est bien souvent au centre de la relation.

Ne pouvant communiquer par des mots leurs difficultés, Nathalie va

s’immobiliser à côté d’un arbre pendant une demi-heure au cours d’une ballade,

Margot va se souiller à plusieurs reprises au cours de la journée, Romain va se

montrer agressif… sans qu’il soit toujours possible de comprendre les raisons

qui ont pu provoquer de telles attitudes. Sans le langage et les mots, qui viennent

mettre du sens et de la distance sur des situations parfois douloureuses, c’est le

corps qui se positionne au centre de la relation.

Si l’on suit l’idée citée plus haut par Daniel Dumas et d’une manière générale le

concept d’image inconsciente du corps, on peut penser que sans l’avènement de

la parole, ces trois personnes n’ont pas pu véritablement se séparer de

l’environnement maternel, et accéder à une identification propre.

L’éducateur ressent souvent des difficultés devant ce

mode de relation qui s’établit presque uniquement

autour du corps. Même si l’usager ne peut mettre des

26. Didier Dumas, ibid, p.271. 27. Ibid. p.185

26

mots sur ce qu’il ressent, ne peut-on pas penser que

c’est à l’éducateur de lui en proposer et de le

guider sur les voies de la symbolisation ?

III. DU CORPSA LA PAROLE.

Car il ne suffit pas au petit d’homme d’être sorti du ventre de sa mère pour

naître, il faut advenir dans un seconde naissance, au monde de la parole et

du langage.28

A ce stade de ma recherche, il paraît nécessaire de s’intéresser plus

spécifiquement à la parole comme l’élément nécessaire à la mise en sens et la

mise à distance du vécu corporel. ( ou à l’accord entre le corps et la parole)

Nous l’avons vu, la relation d’aide s’établit ; au contact d’une population

lourdement handicapée ou déficitaire, sur un mode presque exclusivement

corporel. Pour autant l’acte éducatif ne se situe-t-il pas au carrefour du corps et

de la parole.

D. Roquefort disait notamment : « Tout ce qui favorise l’entrée dans le langage

et par conséquence l’émergence du désir peut être dit éducatif. En revanche tout

ce qui maintient le sujet dans les rets des émotions pulsionnelles incestueuses lui

tournent le dos29

» .

Cette observation ouvre ma réflexion à une plus large problématique, en

spécifiant la parole, les mots et les signifiants comme les éléments permettant à

l’enfant ou à l’adulte de s’extraire d’un vécu corporel, marqué de la fusion

originelle, et aliénant.

1. Les voies de la symbolisation

Si l’on repense aux différents exemples que j’ai proposé pour illustrer la place

du corps dans la relation éducative, on se rend bien compte que ces attitudes

28. Joseph Rouzel, L’acte éducatif, clinique de l’éducation spécialisée, ed. Eres, 1998, p 47. 29. D. Roquefort, Le rôle de l’éducateur. Education et psychanalyse, Ed. L’harmattan, 1995, p. 81

27

renvoient à un vécu très archaïque, en lien avec les premières expériences du

nourrisson avec son environnement maternel.

L’évolution de l’enfant va en passer par l’accès à la parole, qui va lui permettre

de structurer ses ressentis. Nous avons pu l’aborder grâce à l’apport théorique de

F.Dolto. Dans le cadre de l’éducation spécialisée et plus particulièrement au

contact d’enfants autistes ou psychotiques ou d’adultes carencés affectifs,

trisomiques ou psychotiques déficitaires, la parole est bien souvent troublée ou

encore absente, d’où une difficulté à faire part de ses propres désirs si ce n’est

par le biais du corps, sur le mode de la toute puissance, ou encore de la

jouissance.

Avant toute chose il convient de préciser ce terme de jouissance emprunté à la

psychanalyse. Il est entendu là, par Roquefort et avant lui Lacan comme :

« l’instant de dérèglement mortifère sous lequel sombre le sujet. En effet, la

jouissance loin d’être connotée de plaisir, fait irruption, traumatisme. Tel est

l’état de l’enfant livré, impuissant, à ses réprimandes, comme à ses baisers

dévorants, manipulé selon son bon vouloir. Ici nul rêve de fusion bienheureuse

Au contraire la loi n’étant pas encore venue mettre en ordre ce monde incohérent, le désir de la mère règne en son plus parfait arbitraire

30 ».

La difficulté à faire face à ce monde incohérent peut être ressentie chez Daniel et

Paul, adultes accueillis en section d’accompagnement qui semblent réagir à des

situations sources d’angoisses, par de l’agressivité envers les autres ou eux

mêmes.

A défaut de mots pour mettre à distance ces angoisses, les modalités

d’adaptation ne peuvent en passer que par un agir souvent destructeur.

Aussi, accéder à la parole paraît indispensable. Le passage qui va mener du

corps à la parole pourrait être entendu comme celui qui mène de la jouissance au

désir. En s’intéressant à ce mouvement nous touchons de près, il me semble, aux

fondements même de l’acte éducatif.

30. D. Roquefort, op.cit., p59. 31. D. Roquefort, op. cit., p 81.

28

« l’éducateur doit représenter le mouvement de conversion qui s’y joue, c’est à

dire le passage de la mère qui vise à la jouissance, au nom du Père qui ouvre au désir

31 » nous dit encore Roquefort.

Si l’on tient compte de cette affirmation, on voit bien que l’éducateur se

positionne en lieu et place du père symbolique, celui qui représente la loi et qui

va amener ou tout du moins accompagner l’usager sur le chemin de la parole.

Cet accès aux mots, aux représentations, à la symbolisation paraît indispensable

afin d’entrevoir un prémisse d’individualisation puis d’autonomisation.

Essayons de parcourir ce long chemin qui mène de la jouissance au désir.

2. Le jeu de la bobine et du chapeau

Pour illustration, il me semble que l’exemple qu’a pu donner Freud avec le

FOR-DA va nous permettre d’approcher d’assez près le processus qui mène

l’enfant sur la voie de la symbolisation. Principe de symbolisation qui signe le

passage du corps à la parole.

Freud raconte dans « au delà du principe de plaisir », comment l’enfant par un

jeu symbolique est amené à gérer l’absence de sa mère. Cet enfant s’amusait à

lancer une bobine de fil sous un lit. Lorsqu’elle disparaissait, il exprimait un

« FOR » , « parti » en allemand, d’un air désolé puis la faisait réapparaître en s’exprimant joyeusement « DA », « la voil{ ». Par ce petit jeu, l’enfant pouvait se représenter l’absence ou la présence de sa mère { l’aide d’une bobine qui remplaçait l’objet réel et de deux signifiants. Il entrait ainsi dans un processus de symbolisation.

F. Dolto raconte elle aussi un jeu de chapeau qu’elle a engagé avec un enfant

dans son livre « Au jeu du désir ». Cette expérience rappelle le récit de Freud

tout en amenant un point supplémentaire en montrant que l’enfant peut entrer

dans le monde du langage, sans pour autant être capable de prononcer des mots.

Cet enfant avait 9 mois. Il se trouvait dans sa poussette, en train de se promener

avec sa mère dans un jardin public. F. Dolto qui s’arrêta pour discuter avec cette

maman, entama simultanément un jeu avec l’enfant en utilisant son chapeau.

Elle lui confia, l’enfant s’y intéressa puis à plusieurs reprises il le fit tomber par

terre. Un échange moteur et verbal se créa entre elle et l’enfant par le biais de ce

chapeau. Au lieu de lui confier comme elle l’avait fait jusqu’à maintenant, elle

le dissimula derrière son dos en prononçant : « pas de chapeau », puis le faisait

réapparaître en disant « chapeau ». Ce petit jeu semblait plaire à l’enfant, qui par

sa mimique, son agitation motrice semblait prendre un réel plaisir et exprimait

son désir de revoir l’apparition « chapeau » et la disparition « pas de chapeau ».

F. Dolto voulu faire évoluer ce jeu et faire disparaître le chapeau en disant «

chapeau » et inversement. La réaction de l’enfant fut encore plus forte. Il éclata

29

de rire. Il était en mesure de percevoir la discordance entre les mots utilisés et le

geste accompli. Les mots pour lui venaient prendre tout leur sens et même s’il

n’était pas capable d’échanger sur le mode classique du discours, exprimait par

des gestes et des attitudes sa capacité de petit hommes à échanger avec un autre

humain.

Cette petite histoire nous rappelle également qu’avant de parler, l’enfant est

parlé, un « parlêtre » dira Lacan. C’est par le fait que l’entourage de l’enfant

parle qu’il pourra lui-même devenir un être de parole.

Océane, paul, Pierre, Nathalie et d’autres n’ont pas accès à la parole et leurs

moyens de communication sont réduits. C’est alors à l’éducateur, il me semble

de leur proposer des mots, un bain de parole qui peut avoir des effets rassurants

et structurants. Leur proposer des mots qui viendront peut être apaiser leurs

souffrances et leurs angoisses, leur parler également de leurs désirs et de leurs

déplaisirs, de trouver les mots qui pourraient symboliser leurs actes et en

définitive leur permettre, par la parole d’exister. C’est aussi offrir la possibilité à

ces personnes de s’emparer de mots qui peuvent parfois structurer leurs pensées.

Les agissements qui mettent en avant le corps peuvent être ressentis comme un

appel à la symbolisation.

C’est en effet en prenant le temps de discuter, d’entamer la conversation avec

Claire, et en lui proposant des mots et des signifiants sur la douleur qu’elle

exprime, qu’il est possible pour elle de structurer son ressenti.

La parole de l’éducateur vient alors faire tiers, en proposant à l’usager un espace

de représentation différent. Plus qu’une expression corporelle d’un éprouvé

angoissant, l’usager peut s’emparer des mots qui lui sont proposés par

l’éducateur pour mettre à distance ces émotions qui le submerge, et les

structurer. Le signifiant vient ici proposer un espace de compréhension et

d’apaisement des tensions.

« On voit bien qu’en bout de course le signifiant est l’espace de représentation

de la coupure d’avec la mère. Le signifiant est donc l’opérateur de ce que la

psychanalyse désigne comme castration, processus qu’un éducateur a à mettre

en œuvre de façon permanente et qui recouvre exactement ce que l’on appelle l’

« autonomie »[…] L’opération du langage détache le petit homme de ses

attaches du monde maternel et le propulse dans l’espace social. La parole est ce

qui permet de faire du lien social et de produire une autonomisation du sujet, dans son assujettissement au langage.

32 » avance Rouzel.

32. J. Rouzel, Le travail de l’éducateur spécialisé, Ed. Dunod, 1997,p.88

30

Que recouvrent ces notions de langage, signes, signifiants, signifiés et discours ?

Avant de poursuivre mon développement, il me paraît important de faire un petit

détour par les théories psychanalytiques pour dégager plus clairement les

mécanismes du langage et l’importance de l’apparition de la parole dans la vie

de l’enfant.

3. Les apports de la psychanalyse

3.1. Le langage

Le dictionnaire de la psychologie Larousse le définit comme « une fonction

d’expression et de communication de la pensée par l’utilisation

de signes ayant une valeur identique pour tous les individus d’une même

espèce et dans les limites d’une aire déterminée ».

Rouzel dans « le travail de l’éducateur spécialisé » précise : « Le langage est

une chaîne de sons articulés, mais aussi un réseau de marques écrites

(l’écriture) ou bien un jeu de gestes. Le langage est la seule façon d’être la

pensée, sa mise en forme et son accomplissement. Il permet de produire la

pensée et de la communiquer et, ce faisant, il donne une place à celui qui s’y

soumet.33

» .

De part ces quelques éléments on peut d’ores et déjà remarquer que le langage

constitue le moyen pour chacun d’entre nous d’exister. C’est un moyen de

communication privilégié avec autrui.

3.2. La parole

Elle désigne « l’utilisation du langage articulé dans la communication. Plus

qu’un instrument permettant de transmettre des idées, la parole est l’acte par lequel la personne s’affirme et s’engage dans la relation inter humaine…

Tout trouble de la parole désigne l’altération de la personnalité tout

entière.34

» . De Saussure 35

la définit comme un acte individuel de volonté et

d’intelligence qui utilise le code de la langue.

33. J. Rouzel, Le travail d’éducateur spécialisé, op. cit., p.82. 34. Dictionnaire de la psychologie, Larousse, Norbert Sillamy. 35. Ferdinand De Saussure était un linguiste qui a inspiré par la suite les travaux de J. Lacan.

31

3.3. La langue

Elle se différencie du langage. F De Saussure dira notamment : « ce n’est pas le

langage parlé qui est naturel à l’homme mais la faculté de constituer une

langue, c’est à dire un système de signes distincts correspondant à des idées

distinctes. »36

.

Il écrit également ceci : « si nous pouvions embrasser la somme des images

verbales emmagasinées chez tous les individus, nous toucherions le lien social

qui constitue la langue. C’est un trésor déposé par la pratique de la parole dans

les sujets appartenant à une même communauté, un système grammatical

existant virtuellement dans chaque cerveau, ou plus exactement dans le cerveau

d’un ensemble d’individus, car la langue n’est complète dans aucun, elle

n’existe que parfaitement dans la masse… la langue est pour nous le langage

moins la parole . Elle est l’ensemble des habitudes linguistiques qui permettent

à un sujet de comprendre et de se faire comprendre. »

De par ces définitions, il est possible de différencier clairement ces trois termes.

La parole se différencie du langage et de la langue par le fait qu’elle représente

l’engagement de la personne dans le discours, la volonté d’entrer en relation

avec autrui. Elle met en quelque sorte en jeu la personnalité singulière de chacun

d’entre nous, l’inscrit dans l’humanité.

Comment peut-on comprendre, alors, la formule de De Saussure qui voudrait

que la langue soit égale au langage moins la parole.

On a vu que le langage constituait une fonction qui permettait à l’homme de se

représenter le réel par le son. 36. Extrait du vocabulaire de psychopédagogie et de psychiatrie de l’enfant, Robert Lafon

36. Extrait du vocabulaire de psychopédagogie et de psychiatrie de l’enfant, Robert Lafon 37. Oreste Saint-Drôme, Dictionnaire inespéré de 55 termes visités par Jacques Lacan, Ed. Point virgule, 1994.

32

Par la parole, chacun exploite cette fonction du langage avec sa propre

conception de la réalité, avec ses propres images. Le langage dépourvu de ces

représentations subjectives fait apparaître la langue. Il serait alors possible, avec

la langue, que chaque mot puisse correspondre dans l’esprit de chacun à la

même chose, ou pour reprendre De Saussure qu’un signifiant aurait un même

signifié.

Il paraît important de s’intéresser à ces deux termes de signifiant et signifié mis

en avant par De Saussure et repris par Lacan.

« Le signe est une unité linguistique à deux faces : il unit non une chose et un

nom, mais un concept et une image acoustique, à savoir : la perception

psychique du mot phonétique en dehors de toute réalisation par la parole. Il est une unité mentale double dont les deux termes sont didactiquement liés. »

Le signifiant est la partie sonore du langage ou encore graphique ou gestuelle

(pour la langue des signes par exemple).

Le signifié est plus largement l’imagination que l’on se fait de la chose et non la

chose elle-même. Il doit en passer par le signifiant, en passer par la parole pour

être échangé avec d’autres.

Lacan qui s’est basé sur les travaux de De Saussure, propose une nouvelle

compréhension du signifiant, en lui donnant la primauté sur le signifié. Les deux

définitions extraites d’un petit dictionnaire D’Oreste Saint Drôme, permettent de

manière humoristique de préciser la pensée de Lacan.

« Le signifiant Lacanien renvoie à une observation indubitable. Là où l’on croit

qu’il parle pour dire quelque chose, l’être humain émet un matériel sonore

d’une richesse inconsciente qui l’auto-saisirait d’étonnement ou d’effroi s’il

consentait à s’écouter un tantinet. Non seulement un même mot peut signifier

toute autre chose (le sein de la mer et/ou le sein de la mère discerné par le

psychologue balbutiant ou encore le saint de l’âme erre et le seing de l’amère

perçus par le psychanalysant en fin de rodage). Mais encore, l’arbitraire de la découpe sonore débouche parfois sur des surprises.

Quant au signifié : « Les lecteurs du cours de linguistique générale et les

abonnés du journal de Mickey savent tous de quoi il retourne dans le signifié. Ils

ont présent à l’esprit la célèbre boîte à Saussure séparée en deux dans le sens

de la largeur. Dans la partie supérieure est dessiné un arbre, dans la partie inférieure est écrit Arbor (qui, justement, veut dire arbre en latin).

L’ensemble représente, nous dit Ferdinand, un signe linguistique, en haut c’est le signifié, en bas c’est le signifiant. Le tout fait signe.

33

Lacan ajoute son grain de sel en précisant que dans la nature, on ne rencontre

pas d’arbor, pas même d’arbre, mais des arbousiers, des amandiers, des

caroubiers, des cocotiers, des cognassiers, etc. Arrêtons l’énumération, le

signifié arbor, toujours lui, renvoie donc à une classification significative qui

permet de distinguer l’arbre du légume vert (par exemple)37

.

3.4. Le discours

Au sein du discours vont se mêler langage, parole, langue, signifiant et signifié.

Aussi au-delà de la langue qui permettra d’énoncer un message commun, le

sujet est amené à s’expliquer personnellement dans le discours en se livrant à

l’exercice de la parole. C’est dans le discours que nous pouvons prendre

place au sein du monde par notre propre singularité .

3.5. Le rôle du Père

Si l’on repense à l’expérience de la bobine de Freud , on peut comprendre que le

mot vient représenter l’absence de la mère à l’aide d’un objet. Le signifiant se

positionne là comme l’élément qui amorce la rupture avec l’omniprésence de la

mère. Aussi on peut penser et émettre l’hypothèse que cette coupure n’a pas pu

se faire ou n’a pas eu lieu dans les temps chez certains usagers, compromettant

un peu plus le processus d’autonomisation.

Mais quel élément introduit l’enfant dans un monde de langage et lui donne

accès à la parole. Quel est celui qui interdit à l’enfant de rester coller à son

premier objet d’amour : la mère.

Cet élément : c’est le Père.

C’est lui, en effet, qui va repousser les désirs de l’enfant de faire corps avec sa

mère, de rester dans une forme de fusion avec elle.

A ce stade l’enfant souhaite avant toute chose représenter le désir de sa mère.

Mais il se rend compte assez rapidement qu’il n’est pas son seul objet de désir,

qu’un autre la mobilise. Cet autre, c’est le Père. Ce dernier, en prononçant

l’interdit de l’inceste, fait entrer l’enfant dans un monde de langage et l’inscrit

dans un processus de différenciation et d’autonomisation. En effet, par la

37. Ibid.

34

coupure de la relation fusionnelle qu’impliquent la parole et le langage, le sujet

perd définitivement son seul objet d’amour qu’est la mère.

Plus il va parler, plus il va s’éloigner de cet amour fusionnel et laisser apparaître

un manque de plus en plus important. Ce manque qui s’inscrit définitivement

dans son être, va être l’élément déclenchant de son désir. C’est par ce désir que

le sujet va tenter en vain, de combler ce manque. Et c’est en désirant qu’il

pourra réellement trouver sa place au sein du monde et de l’humanité.

Aussi on voit bien que la jouissance vient s’opposer au langage, par le biais de

la parole qui vient filtrer, qui vient mettre à distance cette jouissance.

J’évoque ici, très succinctement, ce que Lacan a pu nommer la métaphore du

nom du Père. Métaphore, puisque à la place du Père, elle vient nommer plus

largement le désir de la mère.

J. Rouzel, explique très simplement ce principe métaphorique. Cet extrait va

démontrer avec d’autres termes ce que j’ai tenté d’expliquer un peu plus haut :

« - Dans un premier temps, l’enfant se vit comme l’objet qui manque à la mère pour être comblée. Il se vit comme le phallus de la mère.

- En un second temps, la métaphore paternelle commençant à agir, il se rend

bien compte que la mère désire ailleurs. Il se déplace donc vers cet ailleurs, le

père, pour lui ravir ce qu’il imagine qu’il possède, en plus, toujours pour

combler le désir de la mère. Il essaie d’avoir le phallus, après avoir essayé de

l’être.

- Mais évidemment avec le père, il tombe sur un os, celui ci ne le laisse pas

faire. Il lui interdit non seulement d’être le phallus de la mère, mais même de l’avoir. Parce que lui aussi en est castré.

Finalement au bout de l’histoire, le phallus personne ne l’est et personne ne l’a.

Et pourtant il existe, c’est ce qui à partir de la métaphore paternelle, permet d’exprimer le désir, de lui donner une forme, mais jamais de le combler.

38 »

38. J. Rouzel, L’acte éducatif. Clinique de l’éducation spécialisée, Ed. Eres, p192.

35

A partir de cette métaphore paternelle, le sujet se structure de trois façons

différentes. Chacun s’inscrit dans l’une de ces trois structures :

- La Névrose où le sujet nie cette rupture.

- La perversion où le sujet accepte puis refuse.

- La psychose où cette opération n’a pas eu lieu dans les temps.

Pour les sujets psychotiques, Lacan dira qu’elle est « forclose » (terme juridique

qui signifie qu’il n’est plus valable). L’enfant reste assujetti à sa mère et estime

être le seul objet de son désir, celui qui viendrait combler totalement ce qui lui

manque, à savoir le phallus. L’enfant n’a pu s’inscrire dans un monde de

filiation, celui du nom du père.

Cette difficulté à s’inscrire de manière individualisée dans un espace social est

particulièrement présente chez les enfants ou les adultes dont j’ai évoqué

certaines situations dans la première partie de mon travail.

La plupart n’ont pas accès à la parole, c’est le cas de Pierre, celui D’Océane,

mais je pourrais parler de celui de Daniel, Pierre, Marie France. Alors, il

apparaît qu’un mode de relation centrée sur le corps prédomine chez ces

personnes.

Pour d’autres, cette parole est troublée. Pour Guillaume, les paroles qu’il

exprime ne prennent pas sens dans le langage commun. Pour Jean-Pierre,

Joanny, Jacques, adultes handicapés mentaux, leurs défauts d’articulations les

empêchent de bien se faire comprendre. Georges, détient les attributs techniques

du langage, mais ne s’en sert pas pour communiquer. Pour Margot et Nathalie,

la difficulté du rapport avec l’autre ne leur permet pas de s’inscrire de manière

satisfaisante dans le discours. Pour Claire et Marie-Christine, qui sont en mesure

de parler et de communiquer, les difficultés semblent ressurgir à l’occasion de

situations particulières qui réactivent leurs sentiments d’abandon. Là aussi, les

dysfonctionnements et manifestations corporelles sont nombreuses et laissent

apparaître un déficit de symbolisation.

Rouzel mentionne à juste titre que si l’on constate une défaillance de la fonction

symbolique du Père chez certains sujets, elle ne signifie pas pour autant une

absence physique de celui-ci.

« Il s’agit à partir du discours analytique, de repérer comment opère la fonction

paternelle qui est au principe de la fonction symbolique. C’est le symbolique,

c’est à dire la parole et langage, dans tous ses développements, qui fait barrage

à la jouissance. Le langage ça ne sert pas à communiquer, ça sert avant tout à

36

un sujet à donner une forme à son désir, et à l’adresser à un autre, dans la

relation »39

.

4. De l’importance des mots

Aussi compte tenu de l’ensemble de ces précisions théoriques, il apparaît que

le langage par le biais de la parole est l’élément nécessaire à la rupture du

corps à corps qui s’est établi entre l’enfant et sa mère . En d’autres termes, il

s’agit pour l’enfant de se départir d’une demande par le corps (ouvrir la bouche

par exemple) que la mère interprète (comme : « il a faim ») ; pour aller vers une

demande parlée. Sur ce point, il me semble que cet extrait du livre de Denis

Vasse va éclairer mon propos.

« En rendant à son tour signifiante la vibration de l’air entre l’autre et lui,

l’enfant se sépare de l’autre. Plus que la naissance peut être, c’est la parole qui

sépare l’homme de son semblable. Elle instaure dans la rupture du lien des

corps la continuité respective des êtres en même temps que leurs altérité. C’est

pourquoi l’homme ne devient homme qu’en renaissant. A la séparation

matérielle de la naissance succède la séparation par la parole qui lui donne

sens. En accédant au sens des mots, l’enfant découvre qu’il n’est plus le

nécessaire prolongement du corps de l’autre. Il lui faut prendre la parole que

l’autre disait pour lui. Mais en saisissant la parole, il est dessaisi de lui-même.

C’est alors que, dans l’espace commun de la langue, surgit le déferlement des

questions sur les êtres et sur les choses. Dés lors l’enfant « ne colle plus à ses

parents », il les questionne. »40

en ajoutant un peu plus loin : « Par la parole qui

symbolise et sépare, l’homme échappe à l’alternative de n’être qu’une bouche

qui consomme ou qu’un rêve sans prise sur le réel, c’est à dire, suivant une expression courante « une parole en l’air » »

41 .

Toute l’importance de la parole est résumée ici. Elle l’est certainement encore

plus lorsque l’on a pu voir le film « Miracle en alabama », que Denis Vasse

rappelle à notre souvenir. On peut y voir dans ce film, une jeune fille sourde,

muette et aveugle incapable d’établir un rapport avec les autres qu’au travers

d’un corps à corps exclusivement violent et agressif. Sans l’acharnement de sa

39. J. Rouzel, L’acte éducatif. Clinique de l’éducation spécialisée, Ed. Eres, p194. 40.Denis Vasse, Le temps du désir – Essai sur le corps et la parole, Ed. Points, p150. 41. Ibid. p154.

37

préceptrice à faire advenir chez cette jeune fille des symboles, par le seul biais

de la sensation tactile pour nommer les choses, elle en serait restée à un état de

non différenciation entre son corps et les éléments qui les entourent.

Dans l’impossibilité d’établir une distance entre son moi et son non moi. C’est

seulement avec la possibilité qui lui est donnée de nommer, qu’elle peut séparer

son corps de tous les autres objets, se séparer du corps de sa mère.

Ce film est tout à fait évocateur du rôle crucial de la parole dans le

développement de l’être humain en général.

Aussi on peut penser que l’absence ou le trouble de cette fonction contribue à la

prégnance d’une relation à l’autre centrée sur le corporel.

IV. LA SPECIFICITE DE L’ACTION EDUCATIVE.

Le jeune enfant accède à l’autonomie autant par ses progrès perceptifs et

moteurs que par le renoncement à des modes d’être qui lui apportaient bien

être et jouissance. Nourriture passive et protection de la vie fœtale, corps à

corps de l’allaitement maternel, soin corporel doivent tour à tour être

abandonnés pour que l’enfant se promeuve par des comportements

autonomes et socialisés. 42

Ces deux premiers chapitres m’ont permis de repérer la prégnance du corps et de

la parole dans le domaine de l’éducation spécialisée. Dans un souci de clarté,

j’ai préféré les traiter dans deux parties distinctes. Pour autant, comme je

pouvais le dire dans mon introduction ces deux éléments ne sont pas

antinomiques, et entrent de manière permanente en inter-relation dans la

pratique éducative. C’est sur chemin, que l’on peut visualiser sur une ligne

tortueuse et qui prend son origine dans le corps pour aller vers la parole, que

l’enfant ou l’adulte va s’inscrire, et où l’éducateur va être amené à intervenir.

Dans un premier temps je m’appuierai sur une situation rencontrée lors de mon

stage en hôpital de jour pour montrer l’engagement du corps et de la parole dans

la relation éducative.

42. F. Dolto. Le journal des psychologues, juin 90, n°78. Conquête de l’autonomie, la position de Françoise Dolto .

38

Je mettrai ensuite à profit les deux chapitres précédents, pour mettre en lumière

des aspects à mon sens essentiels de l’acte éducatif qui s’appuient sur la

dimension du corps et de la parole :

- le soin dans la démarche éducative,

- l’importance des temps de la quotidienneté et de la médiation

- et enfin le positionnement de l’éducateur.

1. L’inter-relation du corps et de la parole dans la relation éducative

Guillaume est âgé de 6 ans et se rend sur l’hôpital de jour le Lundi et le Mardi. Il

se trouve accueilli au sein d’un groupe de 7 enfants souffrant d’autisme, de

psychose infantile, pour d’autres d’un handicap auditif ou encore présentant un

profil abandonnique. Guillaume est pris en charge depuis Octobre 99.

Le diagnostique fait par le médecin psychiatre, révèle une psychose infantile

autistique.

Guillaume semble investir son entourage proche de différentes manières. Il se

montre indifférent et repoussant avec certains, et plutôt proche et affectueux

envers d’autres. Il entretient, notamment, une relation privilégiée avec

l’infirmier, seul homme de la structure, qui est son référent et avec lequel il

participe à un atelier en groupe d’équitation et de musicothérapie, et de manière

individuelle à une activité terre.

Dés que cette personne est absente, ce qui se produit en l’occurrence tous les

mardi après-midi, Guillaume se rapproche généralement de l’éducatrice. En

dehors de ces deux personnes, il investit peu les autres encadrants.

Dès le début de mon stage une relation particulière s’est créée entre Guillaume

et moi. Elle est née, pour une grande part d’un jeu de ballon, qui monopolise une

grande partie de ses journées à l’hôpital de jour. De manière ritualisée et

stéréotypée, il s’accapare un ballon qu’il fait rebondir violemment au sol ou

qu’il lance de manière répétitive dans l’escalier. Il observe alors la lente

descente immuable du ballon jusqu’en bas de cet escalier où il se positionne

pour le réceptionner. A de rares moments, il ne peut intercepter ce ballon qui

vient terminer sa course jusque dans la salle commune où se trouvent les

soignants et les enfants.

Il s’emploie alors à le récupérer le plus vite possible, ou accepte

exceptionnellement qu’on l’attrape à condition qu’on lui redonne presque

immédiatement. A plusieurs reprises, j’ai pu intercepter cette balle, puis elle

39

m’est parvenue de plus en plus fréquemment pour qu’il puisse, finalement, me

la transmettre directement et qu’un véritable échange se mette en place.

L’espace de jeu s’est alors étendu à l’extérieur du bâtiment, a pris des formes

plus variées, parfois un peu plus élaborées. Ce jeu qui représentait avant tout un

rituel, semblait devenir par instant plus socialisé.

Parallèlement à ces échanges qui s’instauraient par le biais de la balle ou du

ballon, Guillaume se montrait de plus en plus proche de moi, recherchait par

instant un moment de câlin, par d’autres une consolation après une altercation

avec un autre enfant où il lui arrivait d’exprimer des pleurs.

Attablé avec les petits, il me rejoignait sur la table des plus grands où je

mangeais, pour terminer son repas. Un mois et demi après le début de mon

stage, il s’essaya à articuler mon prénom. Il s’investissait de plus en plus dans

cette relation, et ceci encore plus significativement le mardi après-midi lorsque

l’infirmier était absent.

A des moments particuliers Guillaume recherchait le contact physique, montait

sur mon dos, chutait puis remontait et commençait à explorer mon visage et plus

précisément tout ce qui pouvait constituer un orifice : l’œil, la bouche, le nez, les

oreilles ou une excroissance : l’os du nez ou la pomme d’Adam. Guillaume

organisait cette exploration par une sorte de jeu (ou tout du moins que je

percevais de la sorte).

Il ponctuait d’un son le geste qu’il effectuait sur mon visage, au moment de

replier mon oreille, par exemple. En miroir, je reproduisais le même son et le

même geste, sans réellement savoir pourquoi je le faisais.

Je pensais simplement que ce jeu anodin pouvait avoir de l’importance pour

Guillaume dans les processus de représentation de son image corporelle.

Ces jeux qui mettaient en avant le corps n’étaient pas totalement dénués de

parole. Guillaume utilisait un langage parlé, mais qui avait une valeur de

défense. Les termes employés par le psychiatre dans le dossier font état d’ « une

soliloquie avec jargonaphasie impressionnante ». En effet il utilise une multitude

d’onomatopées, de sons et d’expressions qui ne prennent pas sens dans le

langage courant. Il semble inventer une façon de parler qui prend une valeur de

protection, de mise à distance.

Pourtant il est possible par le ton utilisé, la juxtaposition des syllabes de

percevoir une forme de communication, tout du moins saisir une expression de

sentiments. Ainsi lorsqu’il chute, nous pouvons entendre : « attention », il lui

arrive également de dire « non », d’articuler un prénom. Rarement Guillaume va

s’adresser directement à la personne, certains mots vont être lâchés au milieu

40

d’autres incompréhensibles. Il paraît difficile pour lui de montrer une

intentionnalité dans le discours. Alors qu’il avait articulé plusieurs fois « Séba »

lors d’une relation duelle, il se refusait de répéter mon prénom lorsque je lui

demandais. Il finit par me le dire timidement à l’oreille, puis le premier pas fait,

pouvait le répéter distinctement et clairement.

Au travers de cette illustration on peut repérer comment le corps et la fonction

symbolique s’entrecroisent dans la relation éducative. L’intervention de

l’éducateur se traduit alors selon trois schémas : une relation centrée autour du

corps, une autre médiatisée par un objet, et une dernière soutenue par la parole.

1.1. La relation par le biais du corps

Les jeux, les attitudes corporelles de Guillaume peuvent prendre un sens

symbolique, même s’il est nécessaire pour le soignant ou l’éducateur, de

s’éloigner pour un temps de ses propres conceptions de la réalité.

De sortir d’un mode de communication utilisant la parole et les mots, pour

entrer plus largement dans une relation qui met en jeu les sens, les émotions

et le corps dans son ensemble.

« Pour tout aidant, cette entrée dans un monde que je préfère intituler «

dyssymbolique » plutôt que présymbolique est une aventure fascinante car

l’espace, notre personne, les objets habituels prennent un sens tout différent de

celui qui est généralement le nôtre. De la parole aux mathématiques en passant

par la musique, le jeu, les vêtements, les meubles de la pièce, le soi indistinct et

parcellaire de l’enfant psychotique s’infiltre dans le non soi, c’est à dire nous-

mêmes, pour s’intégrer, contrôler et se représenter »43

nous dit Michel Lemay

43. M. Lemay, les psychoses infantiles, T2, Ed. Fleurus, Pédagogie psychosociale, p 258. 44. Ibid., P256. 45. Michel Lemay, les psychoses infantiles– P 256.

41

C’est en cela qu ‘il me paraît intéressant que Guillaume puisse explorer mon

visage et percevoir en retour les contours de son propre corps, qu’il puisse

grimper sur mon dos, se faire glisser, se rattraper pour qu’une esquisse de

différenciation puisse être ressentie entre son corps et le mien. La limite est

mince en ce qui pourrait être pour Guillaume une recherche d’un ressenti de son

propre corps, et le désir de fusionner avec le corps de l’autre afin de recréer cet

espace symbiotique avec l’objet maternel.

1.2. La relation par le biais de l’objet

Cette relation qui pend forme par le biais du corps, est parfois médiatisée par

l’utilisation d’un objet, comme ici le ballon. Cet objet nous dit encore Michel

Lemay, l’enfant psychotique ne parvient pas toujours à le différencier de sa

propre personne.

Il évoque notamment le cas de John qui : « empile de gros coussins les uns sur

les autres, tente de les agripper tous ensemble, les renverse et les réunit puis

touche alternativement sa bouche, son nombril et ses pieds, se recroqueville afin

que les segments soient en contact mutuel, il exprime peut être un sentiment de

manque et, dans un essai primitif de représentation, commence à utiliser un objet comme substitut d’un ressenti. »

44 .

Il est tout à fait possible de ressentir ce type de comportement lorsque

Guillaume lance sa balle dans l’escalier. Il laisse l’impression de suivre le

mouvement de la balle.

En effet, il saute de très haut puis se roule généralement par terre au risque de se

faire mal. Ces expériences laissent penser qu’elles permettent à Guillaume de

ressentir son corps dans son entier, de tester peut-être sa solidité, et ceci au prix

parfois de lourdes chutes qui lui ont déjà valu des hématomes ou des coupures.

Il lui arrive également d’empiler des objets de dînette qu’il lance violemment à

terre et qui s’éparpillent dans la pièce si jamais l’adulte, avec qui il a organisé ce

jeu, ne les réceptionne pas assez tôt.

Ces activités sont « chargées de significations multiples, bien que le symbole ne

puisse pas encore autoriser l’éloignement vis à vis de l’objet qu’il représente.

42

Toutes les activités dites symboliques n’ont plus le sens que nous lui prêtons

habituellement »45

.

1.3. La relation par le biais du symbolique

Mais on se rend bien compte au travers de cette situation que si le mode

privilégié pour entrer en relation avec Guillaume reste le corps, il n’est pas

dénué de la dimension symbolique. Mes mots venaient agrémenter les jeux de

ballons que j’engageais avec Guillaume. « Attention, tu es prêt, je te l’envoie »,

« lance le moi avec les mains, avec les pieds, avec la tête », « Attention, derrière

toi il y a Aurore »….. « Mince, le ballon est chez la voisine… »…. Autant

d’expressions qui viennent mettre en sens le jeu qui est en train de se dérouler,

qui ne le maintiennent pas uniquement dans un ensemble de gestes corporels,

mais qu’il inscrit dans une dimension symbolique. Cela était aussi le cas lorsque

Guillaume explorait mon visage. Je lui précisais que là il touchait mon nez, là

mon oreille, ou que là …il me faisait mal. Là aussi la fonction symbolique

reprend toute sa place. Elle vient nommer des gestes, et signifier la

différenciation du corps de Guillaume et le mien.

Les sons, les onomatopées, les expressions et parfois les mots que Guillaume

exprimait, étaient parfois captés par les membres de l’équipe.

En les reprenant, les décodant ou les interprétant, ils venaient prendre sens dans

la réalité, et ne manquaient pas d’interpeller Guillaume. Pouvoir s’adresser à

l’autre en le nommant a constitué un signe supplémentaire de son évolution.

Cette situation m’a permis de mettre en évidence la prégnance dans la relation

éducative d’une relation établie autour d’un vecteur corporel ou médiatisée à

l’aide d’un objet ou de la fonction symbolique. Ce qui est vrai ici avec un enfant

psychotique, j’ai pu l’observer également dans d’autres situations.

Margot, Romain, Nathalie, adultes accueillis en Service d’accompagnement de

jour et d’hébergement, ont tous les trois un faible accès à la parole.

Il s’expriment sur un mode écholalique et ritualisé. Aussi leurs communications

avec leur entourage s’établit pour une grande part sur le versant corporel.

J’ai pu également remarquer que la violence et l’agir de certains adolescents à

problématiques sociales accueillis en Maison d’Enfants à Caractère Social (lieu

de mon stage de découverte lors de ma formation de Moniteur Educateur),

laissaientt apparaître une difficulté à mettre en sens, en mot; une souffrance.

43

Plus qu’elle est exprimée cette violence est souvent agie. Je me souviens

notamment d’un jeune accueilli dans cette structure qui face à une forte

frustration ne pouvait réagir que par l’agressivité et la provocation. Il venait

alors régulièrement se confronter physiquement à l’adulte. L’éducateur n’avait

pas d’autres alternatives que de centrer dans un premier temps son intervention

sur le lieu du corps. Il était nécessaire de protéger le groupe en l’isolant, puis de

le sécuriser, parfois de le contenir. Ce n’est que dans un deuxième temps, qu’il

est possible de sortir de ce corps à corps pour tenter d’introduire des mots et du

symbolique.

Ce qui transparaît, il me semble, dans l’approche que j’ai proposée, c’est la

nécessité pour l’éducateur d’établir une relation qui prend en compte le

corps pour l’ouvrir à un espace symbolique . C’est dans ce mouvement que la

fonction éducative est amenée, selon moi, à intervenir.

Aussi, il me semble que l’accompagnement qui en découle donne une place

importante à la dimension du soin.

2. Le soin et l’éducatif

Il m’apparaît nécessaire d’apporter quelques éléments de réflexions quant à ces

aspects de l’accompagnement, tant ils peuvent être proches et complémentaires

de la démarche thérapeutique.

La dimension du soin dans le cadre d’un établissement accueillant des adultes

déficients mentaux, des enfants autistes ou psychotiques, s’établit comme un

aspect important de l’acte éducatif.

Philippe Chavaroche propose une distinction entre « « le thérapeutique » qui

signifie « service », dans le sens de se mettre à disposition d’une personne ; et « éduquer » qui signifie « conduire au dehors » et implique une progression. ».

Mais il précise dans le même temps que ces deux approches « restent hautement complémentaires, l’une ne pouvant se concevoir en l’absence de l’autre. »

46

En effet, s’il l’on repense au concept du « moi-peau » que j’évoquais dans la

première partie de mon travail, on voit bien que D. Anzieux avait pu mettre en

évidence l’importance de cette surface de la peau qui représentait le Moi, dans la

mesure où elle faisait à la fois contact avec le monde interne mais aussi avec le 46..Philippe Chavaroche, Travailler en MAS, L’éducatif et le thérapeutique au quotidien, ed.Eres, 2002, p 18,19.

44

monde externe, celui qui l’entoure. C’est sous cette forme d’interface que le moi

s’établit, en une confrontation constante entre des éprouvés internes et des

expériences externes.

Dans « l’élaboration du « moi », le « dedans » s’alimente du « dehors », par les

relations et les stimulations qu’il reçoit, et le dehors dépend de l’organisation et de la structuration du « dedans »

47 avance encore philippe Chavaroche.

Ceci met en évidence une approche double et complémentaire, l’une

orientée vers les données internes de la personne, l’autre centrée sur sa

réalité extérieure.

La démarche éducative doit pouvoir prendre en considération ces deux axes de

travail. Si elle propose une meilleure adaptation de l’usager avec le monde qui

l’entoure, elle doit aussi, à mon sens, être sensible aux difficultés propres de

l’adulte ou de l’enfant.

Le soin et le thérapeutique s’associent alors à l’acte d’éduquer .

« Toutefois, le souci thérapeutique doit primer car la souffrance constitue un

puissant obstacle aux démarches éducatives visant à l’acquisition d’une plus grande autonomie »

48 précise encore Philippe Chavaroche.

Proposer un apprentissage cognitif, favoriser une inscription dans une dimension

sociale, permettre une plus grande autonomie sont des actions afférentes à

l’éducatif mais qui doivent bien souvent en passer préalablement par une prise

en considération de la réalité interne de l’enfant ou de l’adulte, de ses

souffrances psychiques ou psychologiques.

Pour exemple je prendrais celui de Jean-Pierre qui connaissait de plus en plus de

difficultés pour se déplacer. De par les observations, relevées au quotidien,

l’équipe éducative a pu signaler ses souffrances physiques qui lui faisaient

perdre une autonomie de déplacement. L’achat d’un déambulateur a été effectué,

changeant réellement son confort de vie. Il peut maintenant aller d’un groupe à

un autre, il accepte également de descendre en ville pour faire ses courses

(choses qu’il ne faisait plus). De plus, une prise en charge par un

kinésithérapeute a été mise en place.

47.bid. p 21. 48. Philippe Chavaroche, op. cit., p 21. 49. Philippe Chavaroche, op. cit, p79.

45

On voit bien ici que le thérapeutique vient au service de l’éducatif. C’est par un

mieux être retrouvé d’un point de vue physique, un plus grand confort de vie,

qu’il est possible d’envisager avec Jean-Pierre un travail sur l’autonomie (faire

ses courses sans l’aide d’un tiers par exemple).

Dans d’autres situations, c’est par une prise en charge en psychothérapie qu’un

accompagnement éducatif pourra évoluer.

Ce peut être encore des séances d’orthophonie qui permettent à l’enfant de

gagner une plus grande confiance en lui et de s’affirmer plus facilement au sein

du groupe.

La richesse d’une équipe pluridisciplinaire s’établit, selon moi, dans la

complémentarité des approches de soins, thérapeutiques et éducatives. Dans le

travail de collaboration qui va pouvoir s’organiser entre les différents

professionnels, il sera possible d’élaborer une prise en charge cohérente qui

réponde au mieux aux besoins de l’enfant ou de l’adulte, dans le domaine du

corps et de la psyché.

« L’intervention thérapeutique dans la quotidienneté doit donc toujours

conjuguer cette unité somato-psychique et non jouer sur une dualité du corps et

de l’esprit, parfois percutée par des professionnels clivés en spécialistes du corps et spécialistes du psychisme. »

49 précise Philippe Chavaroche

Mais on ne peut totalement sous-estimer les effets thérapeutiques de l’action

éducative elle-même.

Une éducatrice pouvait faire ce constat : « L’éducateur n’est pas un thérapeute

et cependant ses interventions peuvent avoir des effets thérapeutiques. Effets

thérapeutiques qui , à un certain moment vont soulager les tensions et la

souffrance éprouvées par la personne handicapée, de ce fait l’aider à prendre

conscience d’elle-même en tant qu’unité vivante et peut-être l’amener à modifier quelque chose dans son fonctionnement intérieur. »

50 .

Cette réflexion rejoint tout à fait mon point de vue. Préalablement au langage

verbal, il est bien souvent nécessaire de prendre en compte la souffrance

psychique et/ou psychologique qui s’exprime dans le corps. L’écouter,

l’accompagner mais aussi lui permettre de s’exprimer différemment par le biais

49. Philippe Chavaroche, op. cit, p79. 50. Christiane d’Amiens, Etre éducateur auprès d’adultes autistes et psychotiques, Lien social n°91, sept. 90.

46

de médiateurs comme l’eau, le dessin, la terre, la musique ou encore les activités

motrices. Ces ateliers que l’éducateur est amené à proposer dans un cadre

institutionnel sont des moyens privilégiés pour établir une relation. Ils sont

également des préliminaires à la parole tout en lui étant complémentaires .

On a bien vu qu’avant de pouvoir proposer une activité extérieure, en

l’occurrence des courses, à Marie Christine, une attention particulière devait se

porter sur les plaintes et les symptômes qu’elle exprimait.

C’est en proposant un accompagnement rapproché fait à la fois de sécurisation

et de contenance physique que Pierre, enfant autiste, parvient à se confronter au

monde extérieur, à la foule lors d’une sortie au marché de la ville.

C’est aussi dans les temps de toilette, « les techniques du corps » comme les

appelle Philippe Chavaroche, que l’on peut repérer ces deux aspects

complémentaires dans l’accompagnement éducatif. L’un qui vise à l’adaptation

de la personne à son environnement (le dehors comme a pu l’identifier Philippe

Chavaroche), plus particulièrement repéré sur un versant éducatif. Un autre qui

s’attache à son bien être interne, sur le versant du soin et du thérapeutique.

Lorsque j’assiste au temps de bain de Margot, je lui rappelle les gestes

nécessaires à une bonne hygiène corporelle : utiliser le shampooing pour se laver

les cheveux et non le visage, changer de gants après la toilette intime, rincer le

savon qui a été appliqué.

Mais mon action prend aussi effet dans le domaine des représentations internes

de son image corporelle, lorsque je lui demande par exemple de laver une partie

précise de son corps : son menton, ses orteils, etc… Il m’arrive également

d’accompagner mes mots, de mimes pour qu’en miroir elle puisse reproduire

plus facilement le même geste.

Aussi, « Il est bien difficile de dire à quel moment j’éduque et à quel moment je

soigne, tant les actes de soins et d’éducation sont intimement liés . »51

, peut

reconnaître Serge Kurts, Educateur spécialisé en hôpital de jour.

On peut comprendre que cette réflexion se pose avec d’autant plus d’insistance

au sein d’un hôpital de jour, dans la mesure où l’éducateur est amené à

intervenir dans une équipe pluridisciplinaire constituée de thérapeutes :

infirmiers, psychologues, médecin psychiatre, psychomotriciens,

51. Serge Kurts. Article « Soigner et éduquer – Empan N°26 – Juin 97.

47

orthophonistes…et que ces diverses fonctions sont amenées à accomplir une

action qui se complète, et parfois se chevauche.

J’ai pu notamment remarquer que les éducateurs et les infirmiers, qui travaillent

ensemble dans la prise en charge quotidienne des enfants accueillis en hôpital de

jour, s’interrogeaient bien souvent sur leurs rôles et fonctions. Lorsque j’ai eu

l’occasion d’aborder ce questionnement avec les membres de l’équipe, il se

trouve que l’infirmier tenait à mettre particulièrement en avant la dimension du

soin dans son travail, alors que l’éducateur se refusait d’utiliser ce terme pour

privilégier celui de la relation.

Pourtant, je suis tenté de penser que le soin est relationnel, et que la relation

est soignante . Dans le cadre de l’hôpital de jour, il s’agit selon moi d’envisager

le soin dans un sens global. L’intérêt de la présence d’éducateur et d’infirmier

réside sans aucun doute dans la manière dont ces deux professions vont aborder

le soin : avec leur formation spécifique mais aussi leur sensibilité et leur

personnalité.

Dans le cadre d’un foyer hébergement pour adultes handicapés mentaux, le

problème du soin se pose différemment. L’équipe qui intervient dans le

quotidien se constitue là de professionnels Aides Médico Psychologique,

Moniteurs éducateurs et Educateurs Spécialisés.

Dans l’établissement dans lequel je travaille, il est étonnant de constater que la

répartition des professionnels semble s’opérer en fonction du degré d’autonomie

de l’usager. En effet, le personnel le moins bien qualifié est souvent rattaché au

groupe d’adulte ayant le plus lourd handicap, physique et mental. Les plus

qualifiés ayant en charge les plus autonomes.

Cette organisation répond peut être à une demande de soins plus importante des

usagers les moins autonomes que sont à même de dispenser les AMP.

Mais au-delà du risque de clivage que cela implique de par une répartition des

tâches qui peut paraître parfois inégale, il me semble important que les

moniteurs éducateurs et les éducateurs spécialisés interviennent, eux aussi, dans

ces temps qui mettent en scène la dimension corporelle.

C’est dans ces temps de vécu partagés que sont les temps de toilette, de

repas, de lever, de coucher que peut s’entreprendre un travail autour des

notions de corps et de parole.

Michel Lemay considère d’ailleurs que « la profession d’éducateur se

caractérise essentiellement par la possibilité de partager des périodes de vie

avec un enfant, un adolescent , un adulte – ou un groupe d’enfants,

48

d’adolescents, d’adultes – pour leur permettre de mieux se situer vis à vis d’eux

même et de leur environnement »52

.

Gilles Gendreau disait, lui, de l’éducateur qu’il était « un thérapeute dans et par

l’événement quotidien »53

.

Ce vécu partagé est en quelque sorte l’outil de travail de l’éducateur qui

s’agrémente et s’enrichit des temps de médiation. Au sein de ces deux temps

institutionnels, nous allons pouvoir retrouver l’articulation du corps et de la

parole.

3. Le corps et la parole dans les espaces de la quotidienneté

3.1. Un lieu contenant

Le quotidien a la particularité d’offrir une permanence relationnelle qui permet

une continuité dans la prise en charge. Il offre également un espace de sécurité,

de proximité affective et des lieux contenants.

Un ensemble d’éléments qui permet de proposer un équilibre somatique et

psychique et susceptible de favoriser la relation éducative.

Le quotidien s’inscrit de manière plus forte dans le domaine de l’internat.

L’usager vit à plein temps dans l’institution d’où un vécu partagé avec les

éducateurs très important. Pour beaucoup l’aspect répétitif de la vie quotidienne

semble être un facteur de réassurance. Les notions de temps et d’espace chez les

adultes déficients mentaux sont souvent précaires. Une majorité recherche une

stabilité de la vie quotidienne.

Sur la section d’Accompagnement de Jour et d’hébergement, le goûter à 16

heures est un moment très important par exemple. Yannick participe à une

activité extérieure en début de journée que si nous pouvons lui donner

l’assurance que nous serons de retour pour ce moment là.

Françoise attache elle aussi une grande importance aux temps de repas qui

semblent venir mettre un sens au déroulement de sa journée. Elle accepte

52. Lemay et capul, op. cit, p 115. 53. Ibid.

49

difficilement également d’entreprendre une activité tant qu’elle n’a pas vu la

météo de la mi-journée.

Ces notions de temps sont d’autant plus précaires lorsqu’il s’agit d’adultes

présentant des troubles psychotiques. C’est notamment le cas de Georges qui

ressent le besoin d’installer au sein de sa vie quotidienne des espaces-temps

ritualisés et immuables. Il est important qu’il puisse acheter un éclair au café le

Mercredi, le Samedi et le Dimanche. Ce n’est pas tant le plaisir de manger ce

gâteau (qu’il oublie régulièrement dans le réfrigérateur), que la nécessité de

reproduire le même geste au même moment. De la même façon, il se rend sur

l’atelier le Mardi et le Jeudi après-midi. Le moindre changement qui peut

intervenir est source d’angoisse pour lui.

La répétition dans l’espace de vie du quotidien de l’institution « est un facteur

thérapeutique essentiel de par sa continuité. L’absence de rupture dans le soin

(au sens large) compte pour beaucoup dans l’aptitude des plus fragiles à se structurer dans un temps à peu prés stable »

54 précise Philippe Chavaroche

Aussi, le cadre répétitif, contenant et sécurisant est sans aucun doute une

source d’apaisement des souffrances corporelles et psychiques. Il permet une

proximité relationnelle souvent apaisante.

3.2. Un lieu où se déploie la demande

On peut se rendre compte également que l’accompagnement au quotidien va

s’appuyer pour beaucoup sur une dimension corporelle .

Dans le déroulement d’une journée en internat, les temps principaux sont ceux

du lever, de la toilette, des repas et du coucher.

Ils vont répondre à des niveaux différents à des besoins physiologiques, de

réveil physique, d’hygiène, de nourriture, et de repos.

S’il l’acte éducatif s’entreprend par un accompagnement dans le domaine du

corps, il s’agit également pour l’éducateur de s’appuyer sur ces temps pour

favoriser un échange verbal et la relation, mais aussi permettre à l’usager

d’exprimer ses besoins par le biais d’une demande que Roquefort a pu identifier

comme la voie d’accès au désir.

54. Philippe Chavaroche, op. cit, p 58.

50

« Nous pouvons définir la pratique éducative comme la mise en place de tout ce

qui permet à l’enfant d’accéder et de progresser dans les défilés de la

demande »55

. « Le désir n’étant rien d’autre que la demande une fois qu’on y a répondu » , ajoute-t-il un peu plus loin.

56

Le repas pour Margot, adulte handicapée, est un moment important, source de

plaisir. Mais il semble aussi être une source d’angoisse. Elle manipule sa

serviette tout au long du repas, ne cesse de répartir les aliments dans son assiette

et met de fait beaucoup de temps à manger. Une présence corporelle à ses côtés

est nécessaire pour lui permettre de s’alimenter convenablement. Il s’agit

également par la parole de l’inciter à manger, ou à se resservir.

Parallèlement, ce temps est aussi pour elle l’occasion de s’adresser directement à

un interlocuteur pour exprimer ses besoins. Ce temps concret de vie quotidienne

lui permet de sortir d’un discours le plus souvent très stéréotypé pour signifier

clairement un besoin personnel. Elle peut ainsi se montrer capable d’interpeller

le serveur pour lui réclamer du pain, elle peut demander à une personne qui

mange à sa table de lui faire passer un plat. Elle a pu dernièrement formuler

clairement à mon égard une invitation à sa table. Aussi anodin que cela puisse

paraître, Margot se montre capable, dans ce moment, de sortir d’un discours très

ritualisé pour signifier clairement un besoin personnel. Pour cette résidente qui

répète beaucoup le discours de l’autre, qui semble avoir des difficultés à se

différencier de l’autre, formuler une demande est en soi un progrès significatif.

Aussi, s’il est important que le besoin trouve sa satisfaction, il est tout aussi

important que ce besoin trouve à s’exprimer dans une demande.

« Il en résulte que la position de l’éducateur consiste moins à être un vis à vis de

l’enfant, un guide, que celui qui l’accompagne, le soutient, l’encourage dans sa

demande.57

»

55. Roquefort, op.cit., p94. 56.Daniel Roquefort donne d’ailleurs { ce sujet un petit exemple qui permet de mieux comprendre cette idée. Il raconte un jeu de carte qui se déroule entre un Père et son fils. Ce dernier lui demande de lui donner la carte du dessus. Le père s’exécute, puis le fils lui redemande la carte du dessus. « La troisième fois il a compris et tend { l’enfant le reste du paquet. L’enfant lui rétorque alors : « tu vois tu ne me donnes jamais ce que je te demande ». Que demande le fils ? Sans aucun doute ce que le Père ne peut donner : l’acte même du don comme preuve de son amour. Ainsi, la demande comporte-telle en son cœur cette part qui échappe { toute réponse possible. Tel est le désir de n’être rien d’autre que ce qui reste de la demande une fois qu’il y a été répondu », op. cit., p 9 57. Daniel Roquefort, op. Cit, p 97 .

51

Au sein d’un hôpital de jour les temps d’accompagnement hors prise en charge

thérapeutique, sont eux aussi établis sur les temps de goûter et de repas. Ils

représentent aux yeux des enfants un temps essentiel ou peut s’établir une

relation proche avec le soignant.

Certains enfants ont des difficultés à ressentir la notion de faim, mais aussi celle

de satiété, ce qui est consommable de ce qui ne l’est pas. Les plus jeunes

sélectionnent les aliments qu’ils consomment. Pierre mange beaucoup de

produits laitiers, Guillaume ne boit que de l’eau et éprouve des difficultés à

goûter des plats qu’il ne connaît pas.

Il s’agit en sorte de faire découvrir à l’enfant ses propres goûts. Par le plaisir que

peuvent prendre les soignants à manger, les enfants, en miroir, peuvent trouver

le même plaisir à rester à table et à diversifier leur alimentation.

Là aussi le repas vient répondre à un besoin physiologique. Mais il est aussi

l’occasion d’une démarche pédagogique : apprendre à goûter, partager, respecter

l’autre, le cadre.

Par la présence du soignant à ses côtés et de ses interrogations : Est-ce que tu as

faim ?, est-ce que tu en veux d’autre ?, est-ce que tu aimes ?, il faudrait que tu

goûtes….etc ; L’enfant peut aussi se nourrir de paroles qui viennent mettrent du

sens sur leurs ressentis à ce moment là..

Le quotidien est un temps privilégié dans la pratique éducative.

Ce temps permet une proximité relationnelle. Il met également en avant les deux

dimensions du corps et de la parole.

En faisant naître une multitude de besoins, le quotidien facilite la

satisfaction de celui-ci mais aussi sa formulation dans une demande

adressée à l’autre.

Ce temps de la quotidienneté qui s’inscrit dans la répétition peut être la base

pour la création. Elle se produit nous dit Joseph Rouzel « à partir de la routine. Il

faut bien un minimum d’organisation sociale et de stabilité quotidienne pour que

la vie soit possible : il faut respecter des rythmes de vie, des horaires, des

contraintes de sociabilité pour vivre avec les autres, et aussi s’installer dans des

lieux qui ne changent pas tous les jours, s’organiser selon des règles qui ont un

minimum de permanence, mais la vie ne se résume pas à cette routine

quotidienne, ce qui est important se sont les effets de surprise qu’elle autorise,

cette routine. »58

.

58. . Joseph Rouzel, Entre routines et surgissements, les sentiers de la création, article paru sur le site : www.psychasoc.com.

52

Cette nécessaire création, il me semble qu’elle va pouvoir s’inscrire dans les

espaces de médiations. Ces derniers prennent forme au sein de la vie

quotidienne, mais aussi et surtout dans les temps que l’on désigne

habituellement par « l’activité ». Celle-ci va proposer à l’enfant ou l’adulte, de

s’engager dans une relation différente soutenue par un médiateur et en dehors de

l’espace connu et protecteur du quotidien.

4. LES ESPACES DE CREATION

D’une manière générale on peut avancer que l’activité va venir proposer un

matériel permettant la mise en jeux des représentations qui ont bien

souvent du mal à se traduire en parole . Ce sont par ces formes de jeux qu’il

est possible, avec certains d’engager un premier contact qui peut mener parfois à

un échange verbal.

Si l’on repense à la situation de Guillaume, on peut percevoir que c’est par

l’intermédiaire du jeu qui s’est établi par le biais du ballon que la relation a pu se

nouer.

« C’est en jouant et seulement en jouant que l’individu, enfant ou adulte, est

capable d’être créatif et d’utiliser sa personnalité toute entière. C’est seulement

en étant créatif que l’individu découvre le soi » 59

disait Winnicott. Le jeu, disait

encore capul et Lemay, est « la voie royale de l’expression, de la création et de la communication chez l’enfant. »

60

Dans cet espace de jeux entre la spécificité de l’éducateur, qui au travers d’un

médiat permet à l’enfant ou l’adulte de modifier les représentations de son corps

et de progresser dans la dimension du langage et de la parole.

Mais c’est avant tout de par leur inscription dans cette activité, que les adultes

peuvent « construire leurs réalités à chaque instant. Elle est donc facteur de

structuration du sujet et de son rapport aux autres et au monde. »61

, précise

Joseph Rouzel.

59. Winnicott D.W., jeu et réalité, extrait de L’enfant, ses parents et le psychanalyste, Lore schacht, ed Bayard, 2000, p 505. 60. Capul et Lemay, op. cit, p181. 61. Joseph Rouzel, Le travail d’Educateur Spécialisé, p 70. 62. Philippe Chavaroche, Travailler en Mas, le thérapeutique et l’éducatif au quotidien, ed. Eres, p 31.

53

En s’intéressant au dispositif mis en place dans les hôpitaux de jour, on pourra

percevoir cette dimension structurante de l’activité.

Différents ateliers sont proposés tout au long de la journée en fonction des

besoins repérés pour chaque enfant. La plupart d’entre eux se pratique en

groupe, l’attitude de chacun au sein de ce groupe étant l’élément principal de

l’observation.

Il s’agit également de proposer des repères de temps et d’espace, de permettre

l’expression de ressentis par le biais de la parole ou d’autres médiateurs, de

mettre du sens sur ce qui est fait et exprimé.

Ces prises en charges thérapeutiques viennent s’insérer dans le quotidien, et se

positionnent en élément tiers. On peut penser qu’elles viennent reproduirent

symboliquement la séparation.

Ce nouvel extrait de l’ouvrage de Philippe Chavaroche va éclairer mon propos :

« En termes d’espace, l’activité se déroule majoritairement hors des espaces

habituellement réservés à la vie quotidienne. Par rapport à ce « dedans » que

représente le groupe, l’activité est un dehors qui implique de sortir et de

revenir. Le « dedans » entre en relation complémentaire, non confondue et non

clivé avec le « dehors ». Cela peut représenter l’ébauche d’une première

organisation des espaces internes et externes. Le corollaire peut en être une

sécurité moindre. Le résident perd momentanément le « connu » de la vie

quotidienne pour affronter le « moins connu », notamment dans les

déplacements, le transport dans les couloirs… Autant de zones de risques, mais potentiellement riches de « transitionnalité » winnicotienne.

62 »

J’ai pu personnellement m’impliquer dans un atelier musicothérapie et un atelier

conte lors de mon stage en hôpital de jour. Aussi, il est surprenant de remarquer

l’effet révélateur de ce type d’activité, qui s’organise dans un espace et un cadre

différent.

Pour l’enfant, il s’agit de s’inscrire dans un collectif et de pouvoir exister de

manière singulière au sein de ce groupe. Cela est parfois douloureux et permet

d’identifier les difficultés de chacun.

Brice, par exemple se montrait incapable de participer collectivement au groupe

musique. Au début de cet atelier, était systématiquement mis en place un jeu qui

permettait de repérer chaque membre, enfants et éducateurs. « J’appelle Marie

»,… « Marie appelle Alexis »… « Alexis appelle christian », « Christian appelle

54

Brice »…etc. Ce jeu des identifications se poursuivait alors par : « J’appelle la

fille au pull rouge »… « La fille au pull rouge appelle l’homme aux chaussettes

noires »…. Brice se montrait incapable de participer à ce jeu d’introduction. Il

paraissait vouloir bloquer la circulation des nominations.

Il était certainement difficile pour lui d’être nommé ou encore de se nommer. Il

lui paraissait difficile également de s’inscrire dans le collectif.

L’atelier permet également d’évaluer l’évolution de l’enfant dans le temps. Sur

une douzaine de séances, j’ai pu remarquer celle de Jean-Yann. Il montrait au

début beaucoup d’instabilité au moment de l’écoute de l’histoire, et semblait

avoir des difficultés à mettre de la distance vis à vis du récit qu’il entendait. Il se

cachait sous sa couverture, faisait beaucoup de bruit, ne parvenait pas à gérer ses

émotions lorsque le loup faisait son apparition. Dans le temps de mise en scène

de ce conte, il se refusait d’incarner le loup, qui mangeait la petite canne et la

petite oie mais qui se faisait manger à la fin par le petit cochon gris, le héros de

ce récit. Les dessins qu’il pouvait produire en fin de séance n’étaient pas

toujours très structurés, les personnages n’étaient jamais représentés.

Pour cet enfant, qui présentait un important repli autistique, il a été possible

d’observer par le biais de l’activité conte, une nette évolution et ouverture vers

les autres. Il lui est possible maintenant de supporter l’apparition du loup dans

l’histoire. Peut-être parvient-il à mettre davantage de distance entre le récit et ses

ressentis. Dans la mise en situation du conte, il accepte plus facilement de se

faire manger par le petit cochon, il est plus dans « le faire-semblant » et accède

sans doute plus largement à des possibilités de symbolisation. Toute cette

évolution est également perceptible dans ses dessins où l’on peut voir apparaître

des personnages, signe d’une prise de conscience d’un autre différent de lui.

L’activité provoque des réactions chez l’enfant qui ne sont pas toujours

observables dans d’autres conditions. De par le cadre qu’il impose (horaire,

règle du jeu, respect de l’autre…) et la rupture qu’il provoque avec la prise en

charge quotidienne, l’enfant laisse à voir, par le corps et à entendre, par les mots,

des choses différentes. L’évolution des attitudes corporelles, des capacités

d’élaboration symbolique dans le temps vont servir à percevoir les progrès de

l’enfant.

Pour Brice, l’observation de son comportement sur plusieurs séances a permis

de repérer l’élément groupe comme menaçant pour lui. La prise en charge s’est

alors réorganisée vers une visée plus individualisée et régressive autour d’un

médiateur terre. « En termes d’espace, l’activité se déroule majoritairement

hors des espaces habituellement réservés à la vie quotidienne. Par rapport à ce « dedans » que représente le groupe, l’activité est un « dehors ».

55

Pour Jean-Yann, une importante évolution a été constatée permettant

d’envisager un arrêt des prises en charges en hôpital de jour.

On peut tenter d’envisager l’accompagnement au quotidien sur un versant

maternel et dans une prise en charge rapprochée.

Dans le cadre des activités, l’enfant ou l’adulte peut s’éloigner plus facilement

d’une relation duelle pour investir sa propre personne dans cette production

commune.

Dans l’alternance des temps de la quotidienneté et de l’activité est rejouée en

quelque sorte, la phase oedipienne. Les médiations introduisent un tiers. De par

le cadre, les limites et les interdits proposés, l’usager est amené à expérimenter

différemment son rapport aux autres.

Daniel roquefort disait d’ailleurs de l’éducation spéciale qu’elle avait « pour

fonction de reprendre ce qui s’est joué pendant cette période infantile voire

d’aménager ce qui ne s’y est pas joué du tout (dans le cas notamment de la

psychose) » 63

Au sein d’une structure accueillant des adultes déficients, les activités sont, elles

aussi, variées. Elles peuvent s’appuyer sur le quotidien ou s’organiser comme

dans le cas des hôpitaux de jour dans un cadre différencié.

Elles ont des objectifs de socialisation (animation au sein du groupe, sorties

extérieures), de création (terre, dessin, peinture), de symbolisation (théâtre,

conte), ou encore corporelle (activités sportives adaptées). Elles permettent

parallèlement de mettre en jeu la séparation et faciliter ainsi l’investissement

personnel de l’usager.

Pour exemple, je prendrai l’activité Brocante que j’encadre avec l’une de mes

collègues. Cette activité a pour but de collecter dans un premier temps tous les

objets, les vieilleries pourrait-on dire, dont les personnes de l’établissement ou

de l’extérieur veulent se débarrasser. Tout un travail de nettoyage, d’étiquetage,

de stockage s’effectue dans un deuxième temps. Dans un troisième temps, les

personnes inscrites dans cette activité participent à différents vide-greniers

locaux. Dans ce lieu, chaque membre de ce petit groupe est amené à gérer seul

la vente de ces marchandises. Nous sommes présents pour l’accompagnement,

63. Daniel Roquefort, op ; cit, p 81.

56

lors de la journée mais nous essayons de laisser un maximum de place pour les

prises d’initiatives individuelles.

Emile, accueilli sur le groupe de la section d’accompagnement, parvient ainsi à

engager la conversation avec les visiteurs, à renseigner sur les prix, à participer à

la négociation.

Pour cet adulte qui nécessite un accompagnement rapproché dans le quotidien,

cette activité est l’occasion pour lui d’expérimenter des rapports sociaux

différents, de développer ses capacités relationnelles, de prendre confiance en

lui, et d’évoluer dans un cadre où il est plus largement autonome.

Cependant, comment peut-on concevoir les activités pour les personnes qui

demeurent dans une importante dépendance à l’autre et qui montrent peu de

facultés dans le domaine du langage ?

L’activité journal que je propose sur mon lieu de travail va me permettre de

montrer ce qu’il est envisageable dans le domaine de l’écriture et de la parole

avec Georges, adulte psychotique.

Cette activité vise à la création d’une revue institutionnelle bi-annuelle. Elle est

programmée une fois par semaine, sur un temps d’une heure et demi. De par

l’écriture, le dessin, la verbalisation, chacun peut trouver un moyen, pour

s’inscrire personnellement dans une dimension sociale. Ce caractère revêt

d’autant plus d’importance lorsque l’on sait que je m’adresse au sein de cette

activité à des adultes qui connaissent des problèmes d’élocution, de

verbalisation et souvent de symbolisation. Mettre des mots sur un ressenti,

structurer une pensée, se remémorer des souvenirs, clarifier une idée sont autant

d’éléments qui entrent en jeu dans cette activité et qui permettent d’une manière

générale d’en passer par la parole et les signifiants.

Georges participe à cette activité. Il sait lire et écrire et utilise cette capacité pour

faire des dictées ou retranscrire la parole d’un groupe. Par contre il se montre

incapable de créer avec ses mots une histoire, relater un récit qui le concerne. Il

s’appuit en permanence sur les discours de l’autre. Il détient les attributs

techniques de la communication écrite et parlée mais ne semble pas en mesure

de se les approprier, et de les partager.

Aussi, dans quelle mesure cette activité présente-t-elle un intérêt pour lui. Peut-

elle lui permettre de progresser dans le domaine de l’élaboration symbolique ?

Oui, si l'on met l’accent sur le signifiant et non sur le signe comme le dit Rouzel

lorsqu’il évoque l’utilisation de pictogramme pour communiquer avec les

autistes ou psychotiques.

57

« Il conviendra cependant de réfléchir sur les capacités de ce type d’écriture à

conduire ces sujets débranchés de l’univers symbolique, jusqu’au rivage du

langage. Ou bien s’agit-il comme je l’ai vu mettre en œuvre trop souvent, de les

dresser aux signes pour qu’ils obéissent et se « tiennent bien » ? La méthode

relevant ni plus ni moins du conditionnement pavlovien. Autrement dit, il ne

suffit pas de réagir à des signes pour être actif dans le langage. L’accès au

symbolique réclame une capacité d’abstraction et de représentation, qui bien

souvent, est en défaut chez ces sujets. Il y a un fossé entre des signes accessibles

aux animaux et des signifiants représentants du sujet humain. C’est à mon avis

sur la voie du signifiant, y compris dans l’écriture, que celle du signe, qu’il faut accompagner le cheminement de ces sujets en souffrance »

64 .

Georges, en effet, est parvenu par un apprentissage intensif (dans son enfance à

l’aide d’une préceptrice) à apprendre les rudiments techniques du langage et de

l’écriture, sans pour autant les assimiler, les comprendre et les utiliser pour

communiquer. On peut penser que pour lui les mots sont des signes, des

pictogrammes qui ne font pas toujours lien avec une image mentale se rattachant

à l’objet.

C’est plus particulièrement en s’attachant à un vécu concret, ses vacances dans

une ferme ou chez sa sœur (évènements important et chargés d’affects pour lui),

qu’il pourra par instant faire un lien entre les mots qu’il écrit et ceux qu’il

énonce, les signifiants et les représentations de ces signifiants.

Il est possible de se rendre compte au travers de ces différents exemples à quel

point l’activité est un outil indispensable à l’éducateur.

Elle « crée un réseau d’échanges, de participation et d’actions qui autorisent le

sujet à se trouver une place au milieu d’autres partenaires ou à donner un sens

personnel à un effort solitaire » nous rappellent Lemay et Capul.

Elle se présente aussi comme un espace temps différent de la prise en charge

quotidienne favorisant, de par la prise de distance qu’elle impose, l’émergence

de la parole et de l’élaboration symbolique. Elle ouvre ainsi vers de perspectives

d’autonomisation.

5. LA POSITION DE L’EDUCATEUR

64. J. Rouzel. La pratique des écrits professionnels en éducation spécialisée. Ed Dunod. P.12.

58

Si j’ai pu mettre en avant les notions de corps et de la parole chez l’usager dans

la relation éducative, il me semble indispensable d’évoquer l’implication de

l’éducateur dans ces deux domaines. Qu’en est-il exactement ?

Nous l’avons vu, son corps fait parfois l’objet d’expérience, comme dans la

situation de Guillaume. Il permet aussi de contenir porter, protéger, sécuriser ou

encore accompagner dans les gestes de la vie quotidienne pour l’habillage, la

toilette, l’alimentation…etc. L’acte éducatif s’établit là, dans une proximité

relationnelle. Pour autant, si ses gestes et attitudes doivent venir aider la

personne, ils ne doivent pas venir tout anticiper. Une place doit être préservée à

l’autre pour l’initiative et la découverte.

Sa parole vient faciliter l’échange, elle peut aussi soutenir, expliquer ou encore

interdire et rappeler les règles. Là aussi, si sa parole vient rassurer et favoriser

l’engagement de l’autre dans une dimension symbolique, elle ne peut pas venir

répondre à toutes les questions. L’éducateur se doit de laisser paraître son

ignorance pour ainsi « s’étonner, réfléchir, questionner, bref déplacer ensemble l’obstacle qui empêchait la pensée de progresser . »

65 .

Aussi, il s’agit donc pour lui de rester attentif à la position qu’il vient occuper

dans cette relation et veiller notamment à ne pas vouloir subvenir à tous les

besoins de la personne, et occuper de fait toute la place en n’en laissant peu pour

le désir de l’autre.

Tout comme le père qui fait entrer l’enfant dans un monde de désir et rompt les

liens fusionnel entretenus avec la mère, lieu de la jouissance et des pulsions,

l’éducateur se doit de tenir cette position et faire part pour cela de sa propre

castration, de son propre manque.

Il ne s’agit pas de tomber dans de l’amour de possession, le don, les bonnes

intentions mais plutôt garantir l’inscription de l’enfant dans le langage, seule

voie possible pour désirer.

« L’amour, c’est donner ce que l’on a pas » dira Lacan.

On comprend alors que la position de l’éducateur qui viendrait tout combler ne

peut être satisfaisante. Il doit plutôt laisser paraître ses propres lacunes, son

propre manque pour que puisse naître le désir. On rejoint ici, la question relative

65. D. Roquefort, op.cit., p 101.

59

à une réponse en plein ou en creux (évoquée par Fustier) que l’éducateur doit

donner.

Cette question semble essentielle dans le domaine de l’éducation spécialisée et

tout particulièrement lorsque l’on évoque le travail auprès d’handicapés

mentaux adultes.

Bien souvent, en effet, j’ai pu constater que cette population exprimait peu de

demandes, de désir et les éducateurs qui travaillent à leurs côtés ressentent le

besoin de remplir, de combler ce qui paraît comme manquant. Par anticipation,

parfois interprétation, l’éducateur va proposer une activité, décider de

l’orientation d’un projet individuel sans que le sujet ait pu exprimer le moindre

souhait. Par peur du vide sans doute, il remplit. Pourtant, comme nous avons pu

le voir, le manque est existentiel, il est dans la nature humaine. L’homme est

manquant parce qu’il détient la parole, parole qui lui empêche d’accéder

immédiatement à la jouissance. Ce manque doit pouvoir être ressenti afin

d’accéder à son propre désir, seul accès possible vers une prise en charge

autonome.

Le cadre institutionnel doit pouvoir également soutenir cette démarche

éducative.

Au sein de l’institution dans laquelle je travaille le mode de réponse en plein est

bien souvent privilégié. Chaque journée doit être remplie, lever de 8 heures à 10

heures, activités de 10 heures à 12 heures, repas de 12 heures à 14 heures,

activités de 14 heures à 16 heures…etc.

Même si l’on comprend bien qu’il est nécessaire d’installer un cadre rassurant

au sein de chaque institution, on se rend bien compte également que ce planning

vise à limiter les espaces creux, les espaces de vide. Plus de place pour

l’imprévu, très peu de place non plus pour le désir de l’autre, le manque

n’existant plus.

Le cas de Joël auquel j’ai été confronté, va illustrer ces propos. Joël est un adulte

trisomique âgé de 45 ans, placé dans l’institution depuis presque 20 ans. Il n’a

jamais véritablement accepté ce placement.

Ses parents à l’époque lui avaient présenté cet établissement comme une colonie

de vacances. Il a toujours eu des difficultés à s’insérer dans un atelier de

production et a finalement perdu son statut de travailleur et intégré une section

d’accompagnement. Là aussi, son implication est minime. Toutes les activités

que l’on pouvait lui proposer étaient vécues comme des contraintes, et

engendraient de fortes relations conflictuelles. Il souhaitait avant tout ne rien

faire. Cette attitude de Joël interrogeait fortement l’équipe, dans laquelle je

60

travaille, qui ne savait plus vraiment quelle position tenir face à lui. Nous

décidions, finalement, de lui laisser choisir les activités qu’il souhaitait faire.

Pour celles qu’il n’avait pas choisi, nous ne souhaitions pas qu’il soit présent sur

le groupe et lui demandions de rester dans sa chambre. Cette position nous

paraissait intéressante, car nous pensions que les temps passés dans la chambre

(qui étaient assez longs) allaient devenir difficiles, et en quelque sorte que par le

manque, un désir allait pouvoir émerger. Elle semblait d’ailleurs faire ses

preuves. Joël montrait des signes de lassitudes et surtout tentait des incursions

au sein de l’activité. Il était curieux, je crois, de savoir ce qui s’y passait et

semblait réaliser qu’au-delà de l’activité proprement dite, les relations qu’il

entretenait à l’intérieur du groupe lui manquaient. Même les conflits, qu’il

utilisait souvent pour entrer en relation, n’avaient plus lieu puisque nous lui

laissions la liberté de faire ce qu’il souhaitait. Cependant cette oisiveté

dérangeait. La direction ne pouvait concevoir que nous laissions Joël, seul dans

sa chambre à ne rien faire. Même si nous avions pris le soin d’expliquer notre

démarche, la direction considérait qu’on ne remplissait pas nos obligations liées

à la qualité du service. S’en suivit une réunion forte intéressante, où bien loin de

concerner le cas de Joël., il a été possible d’aborder les problèmes de la prise en

charge des adultes lourdement handicapés sur les temps de journée. Une

multitude de questions est apparue : Quel est le sens des activités que nous

mettons en place ? Présentent-elles toujours un intérêt pédagogique ? Ne

sommes nous pas parfois dans des activités de types occupationnelles ? Pour qui

fait-on ces activités ? Laisse-t-on vraiment une place aux désirs des résidents ?

Leur laisse-t-on l’opportunité d’émettre un choix ? Ces activités ne servent-elles

pas à remplir ? Pourquoi est-il si difficile d’accepter qu’un résident ne veuille

rien faire ?……etc. Toutes ces interrogations n’ont pas eu de réponse

immédiate, mais la discussion qui s’est instaurée, la parole qui a pu circuler à

sans aucun doute clarifié la place de chacun dans la prise en charge des

résidents.

Cet exemple nous montre à quel point l’espace de réunion au sein de

l’institution peut être important. Pourtant, force est de constater que les

dispositifs institutionnels ne permettent pas toujours un questionnement des

pratiques éducatives dans le cadre de réunion clinique, et encore moins un

travail ciblé sur l’implication et les représentations personnelles de l’éducateur,

dans un travail de régulation ou de supervision.

« Sans ce travail incessant de remise en cause de la place qu’il occupe pour un

autre, un éducateur glisse facilement dans une position de toute-puissance imaginaire ».

66

66. Joseph Rouzel, Le travail d’éducateur spécialisé, p116.

61

Cette analyse de Joseph Rouzel est certainement d’autant plus vérifiable lorsque

l’on se réfère à l’accompagnement d’adultes déficients mentaux ou d’enfants

autistes ou psychotiques qui remettent peu en cause la parole et le

positionnement de l’éducateur. Sans parfois s’en rendre compte, l’éducateur

peut adopter une attitude qui ne prend plus en compte le désir de l’usager.

Sur mon lieu de travail, il existe en tout et pour tout deux heures de réunions par

quinzaine, au sein de laquelle doivent être abordés des informations générales,

des problèmes matériels, les divers aspects du planning, et où doit être réalisée

une synthèse. Autant dire qu’il reste peu de temps à l’équipe éducative pour

parler des difficultés qu’elle peut rencontrer dans le quotidien de sa pratique.

Je me souviens notamment qu’à la suite d’une violente agression d’un adulte

psychotique sur une éducatrice, la personne concernée et l’équipe dans son

ensemble n’ont jamais été en mesure de reparler de cet événement dans le cadre

d’une réunion. Ce fait n’a pas été sanctionné par l’institution, pensant qu’elle

n’aurait pas de résonance symbolique pour un adulte psychotique, peu conscient

de la loi. Pourtant l’éducatrice victime, ressent encore un fort sentiment de peur

vis à vis de ce résident, voir de la culpabilité dans la mesure où cet acte n’a pas

été suivi d’une attention particulière. Il demeure également une importante

crainte de la violence de ce résident chez de nombreux éducateurs. Cependant,

cette crainte n’est jamais abordée en réunion. Elle est en quelque sorte tabou,

comme si les professionnels ne devaient laisser paraître leurs difficultés. La

parole, ici, ne s’échange plus.

Pourtant un travail d’équipe dans le cadre de réunions spécifiques, qu’elles

soient cliniques, de régulation ou encore de supervision, permettrait d’évoquer

les situations difficiles, de questionner des pratiques éducatives installées depuis

longtemps et d’y réintroduire du sens, permettrait également de questionner la

place que l’éducateur vient occuper dans l’accompagnement de l’usager.

L’hôpital de jour, dans lequel j’ai réalisé mon stage, proposait trois heures de

réunion par semaine consacrées à l’observation clinique. Elles permettent de

repérer au mieux l’évolution de l’enfant mais aussi d’aborder l’implication du

soignant ou de l’éducateur dans la relation. A cela s’ajoutaient des temps de

régulation d’équipe, et de supervision individuelle encadrés par une

psychologue extérieure au service.

L’ensemble de ce dispositif joue un rôle incontestable dans la qualité de

l’accompagnement.

62

« En effet, l’éducateur, s’il est au travail, ne peut rester indifférent, puisque

c’est son engagement même dans la relation que dépend la qualité de son travail »

67 nous dit encore Joseph Rouzel.

Conclusion

Au travers de ce mémoire, j’ai tenté de mettre en évidence les notions de corps

et de parole dans la relation éducative, en me référant pour l’essentiel à

l’accompagnement d’adultes parfois lourdement handicapés et d’enfants autistes

ou psychotiques.

De prime abord, il me semble que c’est en considérant ces deux notions comme

complémentaires et non clivées, qu’il est possible d’envisager un

accompagnement éducatif répondant au plus prés des besoins de l’usager.

Nous l’avons vu, le corps, chez ces personnes qui ont un accès limité au langage

et à la parole demeure un moyen privilégié d’expression de la souffrance, que

l’éducateur se doit de prendre en compte.

Nous avons pu voir que c’est par des attitudes de contenance et de protection

qu’Océane parvient lors des sorties à l’extérieur à se sentir en sécurité. C’est

simplement par une présence à ses côtés, que Chantal peut trouver une confiance

suffisante pour se déplacer. C’est aussi le portage et les soins apportés aux

moments des changes ou des toilettes qui peuvent permettrent un mieux être à

l’adulte ou l’enfant, et faciliter également la perception des limites de leur

propre corps et de leurs propre intégrité.

Pour autant, cet accompagnement qui s’organise autour du corps doit pouvoir

s’inscrire dans une dimension symbolique. Sinon comme le dit Joseph Rouzel :

« Le corps non protégé par le symbolique, non socialisé, est soumis aux ravages, au maelström des forces biologiques à l’état brut. »

68

67. Joseph Rouzel, le travail d’Educateur Spécialisé, op. cit., p115.

68. J. Rouzel, L’acte éducatif – Clinique de l’éducation spécialisée, op. cit., p 47

63

Cette deuxième naissance, celle qui permet d’atteindre la dimension du

symbolique, c’est elle que j’ai tenté de décrire dans la deuxième partie de mon

travail. Dans le domaine de l’éducation spécialisée, l’éducateur y tient un rôle

privilégié.

Ses mots viennent accompagner sa prise en charge. Ils peuvent venir proposer

une mise en sens et une mise à distance des éprouvés corporels.

L’éducateur doit pouvoir veiller également à favoriser l’émergence de la parole

chez l’usager ou tout du moins permettre une progression dans l’élaboration

symbolique par le jeu et la création.

Pour cela il a à sa disposition des espaces privilégiés : ceux du quotidien et de la

médiation.

Le quotidien, tout d’abord, qui permet une prise en charge rapprochée, parfois

maternante, dans une dimension corporelle. Cet espace créé également des

besoins et favorise l’émergence d’une demande parlée.

L’activité, quand à elle, vient s’insérer dans ce temps de la quotidienneté et

propose grâce à la médiation, un tiers permettant à l’usager de s’inscrire dans

une activité mobilisant un rapport aux autres différent.

Aussi l’alternance de ces temps d’activités et de quotidienneté parait tout aussi

importante que celle du soin et de l’éducatif, comme j’ai pu déjà l’énoncer.

Cette alternance permet, à mon sens, une prise en compte des besoins de la

personne à un niveau interne et à un niveau externe.

En effet, elle répond à la fois au bien être psychique et physique mais aussi à son

bien être, vis à vis de son environnement et de ses relations sociales. Dans le

premier cas c’est pour une grande part le corps qui est mobilisé. Dans le

deuxième c’est plus particulièrement la parole qui est concernée en tant

qu’élément permettant de favoriser les relations humaines.

J’ai pu mettre en avant que l’intervention de l’éducateur s’inscrivait dans un

mouvement qui prenait forme dans une proximité relationnelle pour s’ouvrir le

plus largement possible vers l’émergence de la parole chez l’usager. Sur ce

chemin qui va du corps à la parole, des barrières infranchissables vont se dresser

pour certains. Pour d’autres des avancées significatives seront perceptibles.

Ce travail ne va donc pas sans une certaine désillusion. Désillusion pour

l’éducateur d’être celui qui viendrait totalement répondre aux difficultés liées au

handicap.

64

« L’éducateur est un veilleur, témoin que, quoi qu’on fasse au nom du bien, ça

ne marche pas, et jamais ça ne marchera. Sa fonction est moins de colmater les

brèches que de les convertir en une esthétique qui viennent faire lien entre les

hommes, et en particulier ceux qui se retrouvent dans la souffrance. Tel est l’éthique en son fondement inconscient ».

69

Aussi s’interroger sur les conditions d’émergence de la parole chez l’usager et

les possibilités d’expression de son désir ne posent-elles pas les bases d’une

éthique dans le travail de l’éducation spécialisée ?

V. CORPS ET PSYCHOMOTRICITE70

.

1. Introduction.

Dans la préface, Jean-Claude QUENTEL précise que Bernard ROBINSON71

développe une démarche, dans l’après-coup de la relation, de réflexion sur ce

qui s’est joué et se situe dès lors dans un registre explicatif : c’est une démarche

scientifique.

Basé sur le travail du psychomotricien, il stipule que la psychomotricité fait

partie des métiers de la relation. Tout comme l’éducateur spécialisé, il a le

devoir de théoriser. Bien que tout métier s’inscrit bien évidemment dans la

relation, les métiers du para-médical et ceux relevant de l’éducation spécialisée,

ont pour particularité de travailler non seulement dans la relation mais sur la

relation.

Ils font de la relation, sinon leur seul objet, du moins un objet essentiel.

Ils ne peuvent, autrement dit, se dispenser de s’interroger surles processus en jeu

dans la relation, alors que ce n’est pas le cas, de tous les métiers.

Insistons au passage sur le paradoxe surprenant qui consiste aujourd’hui à voir

des politiques et des administratifs prétendre venir expliquer, à partir de modèles

69. D. Roquefort, op. Cit., p 121 70. « Corps et psychomotricité », Bernard Robinson, L’Harmattan, 2014. 71. Docteur en psychologie, psychanalyste, psychodramatiste, ancien chargé de cours { l’Université catholique de Louvain ( histoire des psychothérapies), ancien chargé de cours dans l’anciennement supérieur ( psychologie clinique, psychopathologie, théories en psychomotricité).

71. Robinson, B. ( 2014 ) « Corps et psychomotricité », le corps en question, L’harmattan.

65

issus du management, à des professionnels de ce champ paramédical, mais

également des champs éducatifs et du travail social, ce qu’il doit en être de la

relation et comment l’évaluer. Comme si l’explication pouvait venir d’autres

professions que celles qui ont précisement pourobjet de travailler et théoriser la

relation !

Dans la relation, le psychomotricien et l’éducateur spécialisé se trouvent

toujours impliqués. Par conséquent, l’éducateur spécialisé se doit d’interroger en

même temps sa propre implication. Il s’agit d’un devoir au sens social du terme

( relevant donc de la déontologie), mais également au sens éthique : il se doit à

lui-même, faute de pouvoir continuer à conférer un sens à l’engagement qui est

le sien dans le métier qu’il exerce, autrement dit faute d’être en mesure de

légitimer son action.

Bernard Robinson s’attache à rendre compte théoriquent des processus dont

traite la psychomotricité. Celle-ci a-t-elle un objet et, si la réponse est positive,

quel est-il ? Elle tourne autour du corps, si l’on peut dire.

Pour ce faire, il nous faut s’attaquer à la fameuse dichotomie dont nous héritons

depuis l’époque de Descartes entre le corps et l’esprit.

Le corps « parle » ; il exprime la difficulté du névrosé à faire avec les enjeux

d’une problématique qui est psychologique.

En d’autres termes, si le corps a un soubassement physiologique, il est en même

temps le lieu de processus dont le fonctionnement échappe à la juridiction de la

biologie. Celle-ci se révèle incompétente à en rendre compte. Elle ne s’en trouve

pas pour autant invalidée dans son champ d’étude propre. Et il ne peut non plus

s’agir d’en revenir à la dichotomie du corps et de l’esprit.

Le corps est des deux côtés, si l’on peut dire, mais l’esprit aussi !

Jean Gagnepain soutiendra dès lors que la seule façon de s’en sortir est d’en

appeler à une conception « dialectique » du fonctionnement de l’humain : en

l’occurrence, le corps est nécessairement spirituel en même temps que l’esprit se

révèle corporel.

Impossible, autrement dit, d’obtenir du corps physiologique « pur », pas plus

d’ailleurs que du corps « symbolique » (marqué par des processus

spécifiquement humains) « pur ». Sauf pathologie, précisement : celle-ci défait

le processus et vient réifier, donner un contenu tangible à ce qui n’est autrement

que moments d’une incessante contradiction.

66

Concernant la « déconstruction », la théorie de la médiation va faire éclater le

corps, pour l’expliquer, en quatre registres, quatre « plans », là où la théorie

szondienne saisit quatre « vecteurs ». Dans la suite des ethnologues et des

sociologues, et notamment de Marcel Mauss, elle fait apparaître que le corps de

l’homme est d’emblée social et donc relationnel.

Cette socialisation du corps débute dès la naissance, à travers les formes de

modelage et de calibrage dont se montre par exemple garante, dans nos sociétés,

la puériculture. Ce corps social ou relationnel est en même temps un corps

subjectivé et approprié.

En témoigne par exemple cliniquement la démarche : on ne peut qu’être surpris

de voir, déjà, comment des enfants psychotiques ou autistes n’ont pas à

proprement parler de démarche ; étrangement, ils n’habitent pas leur corps.

Et si le corps est nécessairement éduqué, il est vain de s’imaginer, comme c’est

aujourd’hui le cas pour beaucoup, qu’il est purement individuel. Le

fameux « c’est mon corps ; j’en fais ce que je veux parce qu’il n’appartient qu’à

moi » peut s’entendre d’un certain point de vue, en réaction à des usages passés

trop contraignants, mais il constitue une pure illusion. Il est plein de l’autre, si

l’on peut dire. Ce corps là, travaillé par la problématique de l’altérité, est donc

particulièrement en jeu dans les psychoses.

La théorie de la médiation insiste sur le fait que le corps est façonné par

l’éthique et le registre du désir (qu’elle distingue clairement de la problématique

du social et de l’altérité). Modelé, stucturé par le désir et les lois qui en rendent

compte, ainsi que la clinique de l’hystérie l’a enseigné à Freud, il est un corps

désirant, un corps qui s’exprime, un corps fantasmé. Ce corps-là, en tant qu’il

est porté par le désir72

et travaillé par le refoulement ou ce que lacan appelle le

manque et gagnepain l’abstinence, suppose un jeu complexe et surtoyt

contradictoire d’autorisation et de restriction, d’habilitation et de limitation.

Cette contrainte, cette mesure du désir que l’homme se confère inconsciemment

à lui-même fonde paradoxalement la souffrance que la pathologie va pouvoir à

l’occasion cultiver.

Cette souffrance doit alors être différenciée de la douleur physique ; cest celle

qu’exprime précisément le névrosé à travers ses symptômes, parmi lesquels les

phénomènes de somatisation.

72. Il est marqué « d’une grande valeur affective », dira Freud dans le fameux article, écrit directement en français, intitulé « Quelques considérations pour une étude comparative des paralysies motrices organiques et hystériques », Résultats, idées, problèmes, 1890-1920, Paris, PUF, 1984, p. 45-59 (souligné par Freud, p. 58).

67

Satisfaction et souffrance se révèlent en définitive d’une grande proximité ; elles

participent du même processus dialectique, autrement dit du conflit psychique

qui règle chez l’homme la problématique de la satisfaction.

Le corps est également mis en forme par des moyens techniques qui

l’artificialisent.

Mauss insiste sur la technicisation du corps, c’est-à-dire sur la production dont il

est l’objet à partir de pprocessus qui sont techniques et non sociaux en leur

principe.

Certes, les chaussures, les lunettes, les habits, les bijoux, les dentiers, les boucles

d’oreilles ou le piercing répondent à des usages sociaux, mais ils supposent

d’abord un appareillage du corpsqui transforme le fonctionnement naturel de

l’homme et fonde une efficience techniquement outillée qu’on exploitera dans le

cas de handicaps physiques. Cet appareillage n’est pas affaire de physique ; il

suppose des processus humains qui permettent d’aller bien au-delà du simple

lien immédiat entre un moyen et une fin.

Le corps de l’homme ets sans cesse technicisé, depuis le simple fait de dormir

dans un lit, de s’asseoir sur une chaise ou de manger sur une table, jusqu’à

l’utilisation des moyens de transports ou d’exploration médicale les plus

sophistiqués.

Le corps est également représenté et pensé, à partir d’une image ou avec la

médiation du langage. La psychomotricité a trouvé dans les travaux de Schilder

sur « l’image du corps » un point de fixation théorique fondamental.

Les premiers psychologues de l’enfant, à la fin du XIXesiècle, s’étaient

interrogés sur la réaction de l’enfant face au miroir, il semblait que l’on pouvait

saisir dans cette réaction le témoignage même du vécu de l’enfant concernant sa

propre subjestivité : s’il se reconnaissait, c’est qu’il prenant conscience de lui-

même et donc se vivait dans sa subjestivité.

Cette première forme de subjectivation était donc subordonnée à une

représentation du corps et soulevait la question d’une « forme », d’une gestalt,

d’un schéma qui devenait à un moment donné efficient pour l’enfant. « La

notion de schéma corporel devient centrale. Toutefois Schilder ne s’en tiendra

pas à la seule « image » du corps ; il rappellera que le corps s’éprouve, en

l’occurrence qu’il se meut dans l’action, qu’il se vit par rapport à un

environnement et se teinte aussi d’émotion.

68

Bernard Robinson s’en tient aux trois moments structuraux qu’il avait dégagé

dans la psychologie clinique73

le moment fusionnel, celui de l’incorporation et

celui de la subjectivation. Ces moments sont clairements explicités et travaillés

en lien avec la clinique de l’autisme et de ce qu’on appelle le handicap mental.

Le problème à résoudre est de penser à la fois le développement de l’enfant, la

structure de l’humain et les pathologies qui s’y rapportent. Dans le passé, les

pédagogues ont privilégié les modèles linéaires du développement humain et ont

mesuré les pathologies en termes de retards, à partir des bilans psychomoteurs

par exemple. La pédagogie se faisait alors rééducative.

Renonçant à sanctionner les retards par rapport à une norme, et influencés par

les psychothérapies, ils se sont centrés sur la relation ici et maintenant et ont

transformé la psychomotricité en thérapie corporelle.

Les questions qui se posaient dès lors furent : Comment penser la

psychomotricité non pas seulement en terme de développement mais aussi en

terme de structure ? Comment penser le corps, la sensation et le mouvement

dans leur étroite intrication avec la pensée et la vie de relation ?

Il serait intéressant, selon Bernard Robinson, de se questionner sur la vérité

cachée de la psychomotricité : faire voir que pour l’homme, la globalité, la

synthèse, la totalisation, la conjugaison, l’articulation, l’intégration, la solidarité,

etc., c’est un problème en soi.

C’est déjà un problème pour le corps de faire un, mais c’est aussi un problème

dans les relations (faire un avec l’autre) et dans les institutions (faire tenir

l’institution comme une). La psychomotricité serait alors comme un symptôme

de ce qui fait problème à l’homme : son unité, sa totalisation, la connection de

ses différentes parties, sa connection aux milieux, à l’environnement, aux autres.

Comment expliquer les pathologies ?

Dès le moment où il s’agit essentiellement d’intégrer les aspects sensori-

moteurs, moteurs, psychiques, émotionnels, relationnels de la personnalité,

implicitement les troubles ne peuvent se comprendre que comme un défaut

d’intégration.

Suzanne B. Robert-Ouvray74

envisage les rapports corps-psyché en termes

d’étayage et non plus en termes de transformation, de substitution, de 73. Bernard Robinson, Psychologie clinique- De l’initiation { la recherche, De Boeck, Bruxelles, 2003, 74. Robert-Ouvray, S.B. (2002) « Intégration motrice et développement psychique – Une théorie de la psychomotricité », Desclée De Brouwer.

69

subordination ou d’équivalence. Elle échappe ainsi à l’idéologie courante qui

consiste à chercher une harmonie naturelle que nous aurions perdue. Néanmoins,

elle semble s’en tenir à un défaut, une insuffisance dans la relation mère-enfant.

Elle développe une psychothérapie à médiation corporelle visant une réparation

ou restauration de l’état initial qu’on aurait jamais dû quitter.

Cette conception occulte ce que les développements de Lacan et de gagnepain

ont permis à la suite de Freud : une conception du traumatisme comme structural

et définitoire de l’humain lui-même.

Vers six mois, dit Suzanne Ouvray, le rassemblement tonique des schèmes

moteurs débouche sur une globalité fonctionnelle et tonique sur laquelle s’étaye

la première unité psychique du bébé. « L’accès à l’objet total est un travail de

cohésion et de cohérence psychomotrices à long terme, et si nous pouvons

supposer par observations que l’enfant a atteint une première forme d’unité de

soi et d’autrui, le travail perceptif du Moi, en vue de cette unité, perdure toute la

vie ». Le Moi prend le relais de l’unification visée du point de vue neurologique

et psychomoteur.

Elle pose l’hypothèse suivante : « la somatisation motrice trouve son lit dans ces

épisodes traumatiques du début de la vie, quand la différenciation entre moteur

et psychique est entravée par une rupture du courant émotionnel, et que des

amalgames tonico-affectifs restent en attente d’intégration ».

Mais cette hypothèse d’intégration harmonieuse supposée par le Moi occulte le

fait que l’apparition du langage chez le sujet parlant modifie radicalement son

rapport à sa sensori-motricité de base.

Dans ce sens , Gagnepain va dans le même sens qu’Alain Didier-Weil pour qui

la motricité de l’enfant change du tout au tout dès le moment où elle est prise

dans un rapport langagier inévitable.

Le traumatisme serait dès lors dans la structure, plutôt que dans les évènements

ou des ratages de l’histoire individuelle bien que ceux-ci n’arrangent rien.

Pour Alain Didier-Weil la psychomotricité de l’enfant cesse d’être harmonieuse

dès qu’il est pris dans le langage et le rapport à un autrui langagier et il sera

toujours à la recherche des traces de l’immédiateté soi-disant perdue.

Avec Gagnepain on peut élaborer un schéma semblable : l’incorporation

« animale », comme un temps logique supposé, est constamment,

immédiatement et partiellement contredite par une analyse abstraite que

70

gagnepain appelle « ethnique », signe de l’acculturation spécifique de notre

corps (c’est l’équivalent de ce que Alain Didier-Weil, à la suite de Lacan,

appelle « le langage » et de ce que Dolto ne cessera d’appeler « la parole de la

mère »).

La dialectique de Gagnepain se complète par un réinvestissement concret du

corps, mais cette fois soumis aux impératifs de la logique ethnique qui a

introduit de la non-communication, on pourrait dire du ratage, du traumatisme

irrémédiable.

Contrairement à la dialectique de Suzanne Ouvray, la dialectique de Gagnepain

ne débouche pas sur une intégration ni sur une harmonie, quelles que soient les

conditions heureuses ou malheureuses des avatars familaux, relationnels ou

sociaux du développement de l’enfant, mais sur une tension traumatisante que

chacun devra supporter dans son rapport à autrui et à lui-même.

Le destin humain est nécessairement pathique.

Pour Jean-Marie Gauthier75

, la question est : « Comment l’enfant vit et

symbolise son corps ? Il est évident que l’enfant agit au lieu de parler.

Chez France Tustin c’est l’autisme qui fait office de modèle de toute la

psychopathologie infantile. Il y aurait donc une phase autistique « normale »,

elle insiste sur la sensorialité et le vécu corporel de l’enfant dès le début de la

vie.

Nous retenons que ce qui caractérise principalement les états autistiques, c’est

qu’ils sont marqués par une sensorialité et une affectivité étroitement liées,

l’enfant ne se distingant pas lui-même et ne distinguant pas l’autre comme êtres

séparés du monde sensoriel.

Avec Donald Melzer, le premier mode corporel chez l’enfant, qui est en même

temps son mode psychique, est le mode sensoriel.

Il questionne la question de l’autisme comme repli sur soi et se demande s’il y a

déjà un « soi ».

2. Comment penser le corps ?

« Il y a toujours un jeu entre le fait que mon corps se donne comme un autre,

mais qu’il reste le même. Dans le moindre de mes actes, je ne fais que jouer sur

75. Gauthier, J.-M. (1999) « le corps de l’enfant psychotique – Approche psychosomatique de la psychose infantile », Dunod.

71

les différenciations, en quête d’une unité qui n’en est jamais une. Une unité qui

essaie de croire à elle-même. »76

Toute corporéité est comme une énonciation : c’est une mise en scène dans un

rapport social de l’ambiguïté du corps d’un sujet.

La présence supposée du sujet dans son corps en ex-pression évoque toujours

autre chose qui échappe à l’acteur et au spectateur. C’est le principer même de la

danse comme spectacle.

Il y a « quelque chose qui passe », qui est porté par la musique et qui vaut la

peine pour quelqu’un d’autre, parce que cela agit autrement que par le seul

langage.

On pourrait ainsi fonder le travail de l’éducateur spécialisé dans et sur la

relation, en le modélisant sur la danse, sur l’art, plutôt que sur la pédagogie, la

rééducation, le développement.

L’enfant, seul dans la salle de psychomotricité avec le thérapeute ou dans le

quotidien de la relation avec l’éducateur, ou en groupe avec d’autres enfants,

peut trouver là une voie d’accès à son corps d’avant le langage. Chaque individu

possédant « une formule de gestion corporelle sur laquelle il est seul à avoir

prise…ce n’est qu’indirectement que la forme du discours du pédagogue a une

influence ».77

Selon Michel Bernard : le travail est de l’ordre de l’invention individuelle qui ne

peut être en aucune façon une application ou une dérivation d’un savoir

préexistant.

3. Le tout et les parties.

« L’énigme tient en ceci, dit Merleau-Ponty, que mon corps est à la fois voyant

et vivible ».78

Il en revient au monde vécu en deça du monde objectif, mesuré,

objectivé. Il faut revenir à l’acte même de percevoir comme produisant à la fois

un monde et un sujet.

76. Michel Bernard, in « Esthétique et théâtralité du corps », Corps symboliques, Quels corps ?, 1988. 77. ibidem, p19. 78. « L’œil et l’esprit », Gallimard, 1964, cité dans « Les philosophes et le corps »,1992.

72

Le travail de l’éducateur spécialisé dans et sur la relation, dans un corps à corps,

se doit de prendre en compte la lente progression du sujet qui se donne un

monde et advient à lui-même dans l’acte de sentir et de se mouvoir.

« krp », le radical du mot « corps », en indo-iranien, indique « la forme » : objet

saisissable en même temps qu’unifié. S’il s’agit de choses matérielles ou

abstraites, il désigne une collection d »éléments, le rassemblement de choses

identiques, une réunion de fragments, tout être matériel qui résulte d’une

organisation et qui confère une allure. Le tout ici l’emporte sur les parties.

Le psycho et le moteur ne peuvent qu’aller ensemble, faire partie d’un ensemble.

Ce sera la fonction psychologique de l’image unifiante du corps de concilier les

parties et le tout.

Le seul amoncellement de choses multiples ne fait pas un corps. Il y manque

quelque chose qui fait une substance, qui donne une constance, qui entraîne une

solidité. Nous voyons ici les fonctions du « Moi-Peau ».

Les éducatrices d’enfants autistes chez Bettelheim ont observé ces manèges de

l’enfant avec la matière (des billes, du sable, de l’eau, des collections

d’objets…), rassemblant, séparant, jetant ou cassant, comme si le problème à

résoudre était pour eux justement de s’approprier corporellement ce qui fait

forme, masse, ce qui se divise ou s’assemble et en fonction de quoi cela

s’assemble. Il y a là les prémisses d’un se mouvoir qui passe par un sentir-penser.

Avec le corps vivant, s’ajoute une certaine autonomie, le corps vivant acqiert

une certaine capacité d’auto-production. Il produit sa propre vie. Il explore et

s’affranchit en se redressant, libérant ses mains qui luipermettent de modifier

son milieu.

4. Sentir et se mouvoir, première masse corporelle informe.

Nous pouvons questionner le sentir et le se mouvoir, c’est-à-dire notre manière

spécifique de vivant de nous donner un monde et d’y aller et venir, de produire

notre unité toujours menacée et à refaire, d’agir sur le monde par notre

autonomie motrice en nous rapprochant et en nous éloignant de ce qui nous

intéresse, de nous identifier comme semblables, c’est-à-dire de la même espèce.

73

L’espace, le temps et le mileu sont les références majeures de notre

psychomotricité d’humain.

C’est Erwin Straus79

qui a introduit cette phénoménologie du sentir. Si le bébé

humain est sans doute d’abord végétal, faisant masse avec la terre mère, qui sent

et se meut pour lui, avec lui, il devient vite animal humain, engageant totalement

sa sensorialité et sa motricité. Sentir et se mouvoir ne font qu’un, ils sont une

unité originelle, comme la danse et la musique, même si, à la suite des divisions

possibles, on pourra les appréhender séparément dans la rationalité.

De même, sentir et se mouvoir sont corrélatifs d’un monde qui se constitue et

d’un sujet qui fait partie de ce monde. Il n’y a pas d’abord un monde, un sujet et

puis une sensation et une action, comme dans les schémas cognitivo-

comportementaux, mais d’un seul mouvement se constituent un monde et un

sujet sentant et se mouvant : « il y a d’emblée une communication significative

et signifiante » dans le mouvement spontané de l’être vivant.80

« Présence au monde, dira jacques Schotte, préalable à toute séparation du

registre du propre et de l’extérieur ».81

Dans ce monde où nous baignons, quelque chose donne le ton. « Il s’agit d’une

mise en relation ou, mieux, mise en accord (au sens musical) avec les

phénomènes tels qu’ils apparaissent sur un mode pathique, registre de la

réceptivitéprimordiale qui s’oppose au gnostique ».82

Si sentir et se mouvoir ne font qu’un, « ils sont tout uniment sensation, action

(motricité), individuation et émotion » dit Brackelaire, se référant à la théorie

des médiations de Gagnepain.83

Est-ce que sentir et se mouvoir c’est déjà penser ?

Les « sciences humaines » modernes nous ont appris à voir un corps des

habitudes, celui qui a sédimenté la trace de l’humain en nous, qui a retenu de la

pensée humaine qui n’est plus vraiment de la pensée humaine.

En effet, nos habitudes corporelles ne sont jamais réfléchies, elles sont devenues

automatismes ; mais ces automatismes portent la trace de leur rationalité,

79. Straus, E. (1989) « Du sens des sens – Contribution { l’étude des fondements de la psychologie », Jérôme Million. 80. Cf. Jean-Pierre Van Meerbeeck, « La sensori-motricité et la problématique du Contact », archives Szondi sur le site du Centre d’Etudes pathoanalytiques, http://sites.google.com/site/centredetudespathoanalytiques/ 81. Cours de Schotte 1977-1978 « La nosographie psychiatrique comme patho-analyse de notre condition », sur le site du CEP. 82. Schotte, op.cit. p.106. 83. Brackelaire, J-L. (1995) « La personne et la société – principes et changements de l’identité et de la responsabilité », De Boeck.

74

emportant avec elle tout ce qu’il y a d’implicite dans toute rationalité, le

meilleur et le pire.

Quand nous conduisons une voiture, nous ne « savons » plus exactement ce que

nous faisons, c’est devenu automatique. Notre esprit est ailleurs et notre corps

agit ; dans l’action, il est subordonné au projet qui nous occupe. Inversement

dans la douleur vive, nous ne sommes plus capables d’un projet : pour le corps

existentiel les parties ne comptent plus ; l’entièreté de l’esprit est occupé par le corps souffrant.

Nous sommes donc tout à fait capables de voyager voyager dans une dynamique

du tout et des parties. Les parties du corps ne peuvent exister que si le tout le permet ; c’est ce qui les nie qui leur donne leur sens.

Le corps de l’homme a réussi à se diviser en parties très spécialisées sans mettre

en péril l’indispensable union fédérative. Il peut conjuguer les deux courants : la grande division et la fusion.

Chez l’homme, l’un ne va pas sans l’autre. Si le corps se divise

malencontreusement chez l’enfant maladroit, chez l’hystérique, chez le pervers

ou chez le psychotique c’est sans doute qu’une division est rendue nécessaire

ailleurs, au nom d’un principe plus complexe que celui du corps naturel.

Le handicapé mental n’indique-t-il pas dans son corps perturbé ce qu’il lit dans

notre regard d’identification impossible, inachevée ? Le regard de l’autre n’est-il

pas l’ailleurs du corps ?

Nous sommes déjà proches de Lacan et de Dolto : le regard de la mère est en même temps l’ailleurs et l’ici du corps de l’enfant.

Gisèla Pankow (1969) a montré à partir de sa clinique de la psychose « que

l’homme vit avec une image de son propre corps qui lui donne accès, d’une part

à une forme qu’il reconnaît comme sienne, bien délimitée dans l’espace et

composée de l’unité vivante de ses différentes parties ; d’autre part, à un sens

qui lui permet d’habiter son corps comme un univers familier et cohérent et non comme un chaos de sensations étrangères et hostiles. »

84

Le corps humain est tellement immature à la naissance qu’il s’ouvre aux

influences modélisatrices. « Au lieu de l’êtrequ’il risquait infailliblement de

84. David Le breton,1988,p9

75

devenir, c’est désormais le devenir qui prend possession de son être et le

caractérise ».85

Bien au-delà de l’anatomie et de la physiologie, l’érotisation se saisit du corps et

l’individualise, le personnalise, le fait vivre, lui fait traverser des drames et subir

des traumatismes, inscrit en luison histoire.

Observons cependant que l’érotisation, s’appuyant d’abord sur les orifices où

s’effectue la relation entre l’intérieur et l’extérieur, donc aussi autrui, fait entrer

une intériorité (le plaisir) dans l’extériorité (les orifices). Le corps érotisé

devient la jonction de l’intérieur et de l’extérieur. La dynamique du « tout et des

parties », privilégie d’abord du corps anatomique devient aussi l’enjeu du corps

érotisé, mais peut-être d’abord par morceaux, qu’il est en même temps

immédiatement culturalisé. En lui se conjuguent nature et culture.

On voit se fonder épistémologiquement les pratiques psycho-motrices de

l’image du corps avec des nouveau-nés dont le développement est gravement

perturbé. L’érotisation du corps que permet le psychomotricien vient faire

jonction d’un intérieur et d’un extérieur, pendant que les disciplines technicisées

du corps malade (médecins, chirurgiens, pneumologues, cardiologues, soins

infirliers…) tentent de limiter les dégats dans l’organisme.

5. Schéma corporel et Image du corps : le corps subjectif

Michel Bernard fait remarquer que « notre » corps ne nous apparaît comme un

objet que quand il nous gêne. 86

Quand tout va bien, nous n’y pensons pas. Que

surviennent la douleur, la maladie, l’échec, n’importe quel, problème à résoudre

(par exemple l’apprentissage de gestes nouveaux), alors le corps apparaît

comme gêneur. D’ailleurs ces apprentissages dépendent de la façon, singulière

et subjective dont nous appréhendons notre corps.

Se questionne toujours le problème de l’unité de notre corps, de la

représentation que nous en avons, de l’image que nous formons de nous même

et de notre identité, de notre structuration dans l’espace, le temps et le milieu, de

nos capacités d’utiliser adéquatement notre corps en situation, de l’incidence de

l’autre sur notre image, etc.

6. Du corps objectif au corps subjectif

On observe chez les amputés d’un membre qu’ils continuent, malgré

l’amputation, « à sentir » le membre existant, comme s’il faisait toujours partie

de leur « image du corps ». Le phénomène est suffisamment intriguant pour

85. David Le breton, « Anthropologie du corps et modernité »,p8 86. Cf. « Le corps », 1976

76

venir contester que le schéma corporel soit seulement lié directement aux

sensations cénesthésiques (sentiment que nous avons de notre corps) venant du

membre.

Puisqu’il est absent, il n’y a plus de sensations au sens strict. La première idée

est de penser que les sensations persistent dans la mémoire cérébrale. Une

observation plus fine permet d’aller plus loin ; en effet, certains amputés ne

ressentent pas le membre fantôme, sauf quand une émotion très forte, liée à

l’accident ou à l’amputation, rappelle l’événement traumatique. Il faut donc

admettre que les traces mnésiques sont elles-mêmes en lien avec les centres

émotionnels. Si on observe en plus que certaines personnes amputées ne

connaissent pas cette illusion du membre fantôme, on doit alors considérer que

des facteurs encore plus précis, ceux qui concernent la personnalité du malade,

entrent en ligne de compte. Le phénomène est alors articulé avec le souvenir, la

volonté, la croyance, là ou les déterminants psychiques s’enchevêtrent avec les

déterminants plus proprement « corporels », physiologiques et neurologiques.

Nous essayons ici de rendre compte de deux problèmes : d’une part de notre

capacité de construire un modèle postural de nous-mêmes dans nos actions ;

d’autre part du fait que le corps « mis en image mentale » se construit en même

temps comme représentation de nous-mêmes, avec notre histoire, nos émotions,

nos compétences, nos complexes, nos angoisses.

Donc, deux préoccupations fondamentales qui nous intéressent en tant

qu’éducateur spécialisé tenant compte de la place du corps dans la relation

éducative :

- d’un côté notre capacité tchnique d’analyser notre corps et de l’utiliser

comme outil, c’est-à-dire comme moyen en vue d’atteindre des objectifs

(on pourrait dire utilisation sportive ou performancielle du corps). Cette

analyse technique implique la possibilité de décomposer des segments

tout en les articulant à un tout.

- De l’autre côté le fait que le corps est la matrice même de notre identité,

non seulement comme image de nous-mêmes mais aussi dans nos rapport

à autrui. Cette « globalisation » du corps implique une individuation qui

définit des frontières, des limites, qui me distinguent d’autrui.

Nous pouvons nous poser la question suivante : « En quoi le travail de et dans

la relation à l’autre, dans ce corps à corps de la rencontre, peut-il être lié à la

construction identitaire en privilégiant le portage, le prendre soin et les

fonctions du Moi-Peau en assurant un processus d’individuation qui définit des frontières, des limites, qui me sécurisent et me distinguent d’autrui ? ».

77

Avec Schilder87

sera d’abord considéré l’importance de l’élément visuel dans la

constitution de l’image organisatrice du corps. Il pense que le système nerveux

agit comme un tout par rapport à une situation globale. Tous les sens y

concourent. Ensuite il apportera une avancée importante en affirmant que la perception n’existe pas sans action.

C’est un des acquis de la psychologie de la forme (Gestaltpsychologie) dont

Schilder s’inspire : perception et réponse motrice sont les deux pôles de l’unité du comportement.

Par lasuite, sous l’influence de la psychanalyse, il sera amené à y intégrer

l’émotion, chère à Henri Wallon : perception-action-émotion sont primitivement

liées dans le psychisme infantile. Percevoir et agir c’est la même chose ; agir et être ému c’est pareil (émouvoir veut d’ailleurs dire « être mis en mouvement »).

Nous pouvons dire qu’au début de la vie, qui est nécessairement psychique, perception, action et émotion sont une seule et même chose.

Il faut concevoir que ce fonctionnement archaïque du corps-psychique se

maintient de façon continue et permet de nouvelles epériences, de nouveaux

apprentissages, comme si le psychisme se refondait continuellement jusqu’à son

fonctionnement infantile.

Donc, perception-action-émotion forme d’abord un gestalt, une forme, une

structure, à laquelle il faudra bien sûr ajouter l’élément de situation qui

individualise le comportement en situation.

Le corps est d’abord un corps vécu.

Ce qui est important pour l’éducateur spécialisé dans son travail relationnel au

quotidien, c’est de prendre en compte le fait que motricité et perception sont

liées. En réalité notre action et notre perception sont toujours articulées à une expérience émotionnelle, imposée par une relation à autrui.

Il est important de retenir que le schéma corporel n’est pas seulement un simple

modèle postural à base physiologique mais une structure dynamique

émotionnelle qui ne cesse de changer en rapport avec le milieu physique vital et social et donc en perpétuelle auto-construction et auto-destruction interne.

Nous devons quand même questionner l’ambiguïté du concept de schéma

corporel : l’harmonisation des structures neurologiques (modèles neurologiques)

et désirs sexuels infantiles (modèle freudien) ne se décrète pas.

87. SCHILDER, P. (1968) « L’image du corps », traduction de Gantheret et Truffert, Gallimard

78

Cette juxtaposition de deux principes conduit à deux conceptions de l’image du

corps :

- une qui met l’accent sur les rapports de l’organisme avec son

environnement, le corps étant envisagé ici dans sa fonction de relation

avec le milieu vital et social. C’est la voie qu’a suivie Henri Wallon. Elle

débouchera sur des concepts dont s’est saisie la psychomotricité : fonction

tonique, tonus musculaire, dialogue tonique…C’est sur cette base que

Lacan construira son fameux « stade du miroir », où l’unité du corps

apparaît essentiellement comme une illusion, une image, articulée à la

dépendance à autrui du petit humain prématuré.

- Une qui met l’accent sur l’approche freudienne du corps sexué, corps de

désir, corps inscrit dans le désir de l’autre (dans la relation), corps de

plaisir, de douleur, de manque. La voie est ouverte aux constructions de

françoise Dolto.

Bernard Robinson essaye de montrer que le corps est tout aussi

problématique que l’identité et le rapport à autrui.

Le corps est problématique à différents niveaux de structure, du simple au

complexe, de la sensation à le représentation de soi. Corps sensationné,

corps objectivé, corps normé, corps subjectivé : il entretient avec des

modalités identificatoires différentes (se confondre, se trouver, se perdre,

s’exprimer) des rapports tensionnels.

Ces rapports tensionnels comprennent des menaces imaginaires : être disloqué,

être handicapé, être frustré, être castré. Tout cela appelle un travail de

symbolisation, de sublimation, de culture.

Si le corps est le lieu initial du plaisir, le corps-psychique est soumis au principe

de plaisir et à son au-delà.

Un des deux principes régissant, selon Freud, le fonctionnement mental :

l’ensemble de l’activité psychique a pour but d’éviter le déplaisir et de

procurer le plaisir. En tant que le déplaisir est lié à l’augmentation des

quantités d’excitation et le plaisir à leur réduction, le principe de plaisir

est un principe économique.

Mais le corps est aussi le lieu primordial de notre existence, de notre être, de notre institution.

Si le corps semble triompher de deux difficultés (faire exister une globalité et

délimiter un intérieur et un extérieur), comment, avec lui, la globalité peut-elle

79

subsister alors qu’il se distribue en segments et en territoires spécialisés et que

cette globalité est aussi un leurre ? Et comment peut-il concilier intériorité et

extériorité qu’il ne sépare pas vraiment, ou comment disposer de l’intériorité du

dehors, sans la perdre ?

7. Systématisation szondienne du corps-psychique

Bernard Robinson amplifie la déconstruction que permet le système pulsionnel

de Szondi, à partir du schéma que propose Jean Mélon dans Dialectique des

Pulsions (p 22), en interrogeant les intrications entre le corps, le Je, le rapport

à autrui et le monde environnant.88

Avec Mélon on pose donc quatre champs anthropologiques : champ fusionnel, champ spéculaire, champ transgressif, champ subjectif.

Bernard Robinson suggère dans la foulée, quatre niveaux corporels, quatre modalités du rapport entre le corps, le monde, le Je et l’autre.

Dans la logique du schéma pulsionnel et de la théorie des circuits, ces quatres

niveaux doivent être envisagés comme quatre types de problèmes à résoudre,

successifs et jamais résolus, chaque niveau prenant le relais du précédent, le

dernier accomplissant la boucle annoncée dès le premier.

Les szondiens avaient récapitulé leurs analyses en mettant en série, selon les

vecteurs, les traumatismes (de la séparation, de la perte d’objet, de la différence

des générations, de la différence des sexes), les fantasmes originaires (retour au

sein maternel, séduction, scène primitive, toute-puissance) et les divers types

d’angoisses (perte de plaisir, ne plus être aimé, culpabilité, castration).

Selon Bernard Robinson, ces mises en série éclairent le corps dans tous ses états.

1) Au niveau fusionnel, le corps n’est pas unifié. Il n’est pas encore renfermé

sur lui-même. Le Je est réduit aux sensations du corps. Les sensations

tiennent lieu de corps et de Je. « Il y a du corps ». Le Je de l’enfant et le

corps se confondent dans chaque sensation du moment. Cette confusion

est problématique. Le rythme sera un premier point de repère. Le Je, pas

plus que le corps, ne se saisissent comme totalité. Ils sont englobés dans

l’ensemble de la situation qui est éprouvée comme sensation ou comme

humeur, pas comme affect ni comme sentiment. Je et corps sont ballottés

au rythme des sensations, elles-mêmes rythmées sur les rythmes

biologiques et ceux de l’environnement. L’environnement fait partie de la

88. Voir le tableau récapitulatif en annexe 1

80

situation, de la totalité englobante. Il n’y a donc pas d’autre au sens

habituel du terme.

C’est clair que les psychomotriciens choisissent, sans doute par nécessité

clinique, d’explorer avec leurs patients ces premières modalités du rapport

au monde, de rapports à soi et de rapports à l’autre, par l’intermédiaire des

opposés plaisir-déplaisir, tension-détente, et en recourant aux différentes

modalités sensorielles.

Pour l’enfant, dans ce champ fusionnel, le problème à résoudre est de

contenir les sensations. C’est, comme le nomme Bernard Robinson, le

corps sensationné, dans la mesure où il n’est qu’un lieu de sensations.

Emil Staiger repère dans « Les concepts fondamentaux de la poétique »

(traduction, Lebeer-Hossman, Bruxelles, 1990), que cette dimension

lyrique vise une présence ininterrompue. Ce qui est impossible. Seule la

répétition peut préserver de la dissolution, dit-il, répétition sous la forme de

la cadence. Depuis longtemps, répétition, cadence, rythme sont des

ingrédients techniques privilégiés des pratiques psychomotrices de base,

comme si les patients indiquaient aux thérapeutes que c’est par là qu’il faut

commencer et que c’est à cela qu’il faut toujours revenir.

Etre confondu avec le milieu, se fondre, être fondu dans la masse, semble

être une modalité corporelle première, et qui subsiste toute la vie comme

modalité corporelle d’être au monde et à soi.

Repli,refuge, se recroqueviller, se mettre en boule, s’enfouir, voilà une

série d’expressions qui évoque le fantasme du retour au sein maternel et

l’inévitable traumatisme de la séparation, du sevrage, du changement, de la

naissance, et l’angoisse concomitante de perdre le contact avec le plaisir,

angoisse dépressive du vide.

Pour nous éducateurs spécialisés, nous devons nous référer à notre

pratique relationnelle et visualiser ce qu’elle nous donne à voir du rejeu du

bénéficiaire en rapport avec cette modalité corporelle première.

Pas étonnant que le mouvement rythmé, le ballotement régulier du corps, la

glisse, le portage, le matelas pneumatique sur l’eau, la caresse de la peau, la

chaleur englobante, …soient souhaités, recherchés, et utilisés en

psychomotricité et dans la relation au quotidien pour les éducateurs

spécialisés.

Il faut évidemment y adjoindre, pour éclairer plus scientifiquement la

pratique, la dynamique tensionnelle et dialectique du circuit du contact :

s’accrocher, rester fidèle, chercher une autre source de plaisir, se détacher,

se désarrimer…(m+, d-, d+, m-).

Nous pouvons, ici, réfléchir au cycle de l’ambiance vu au cours en le mettant en lien avec la manière dont s’éprouve de contact dans la relation.

81

2) Au niveau spéculaire, le corps s’unifie, se ferme sur lui-même, se donne

des frontières (Fonctions du Moi-peau), et le Je s’identifie tout entier au

corps unifié. Ici, ce n’est plus « il y a du corps », mais « je suis ce corps

là ». Le Je est confondu avec le corps, il se trouve en s’identifiant au

corps unifié. Jubilation de cette trouvaille qui donne un lieu précis aux

sensations, même si la trouvaille est du ressort de l’imaginaire. L’objet et

le sujet se constituent concomitamment. Le je se réduit au corps

instrumenté, instrumental, capable de performances motrices diverses. Le

problème à résoudre ici est de maintenir cette unité et de coordonner les

segments du corps en objet unifié. Il faut maintenir l’unité, sous peine

d’êtrehandicapé. Le danger, c’est la perte de l’unité, de la totalité. Le

décalage entre l’image totalisatrice et l’évolution du schéma corporel chez

l’enfant ouvre la béance possible du handicap. A cause de cette position

d’objet du corps dans le champ spéculaire, on peut parler de corps

objectivé. Dans la mesure où la fascination érotique fait que le sujet se

trouve dans l’objet, il ne peut pas assumer d’être la source du désir : c’est

l’autre qui séduit, je n’y suis pour rien. Le pouvoir d’attraction (et de

répulsion) est chez l’autre. L’autre se constitue du même coup comme

pôle désirant-désiré. La conséquence c’est que la perte de l’objet est une

catastrophe. Le Moi s’évanouit dans la perte d’amour. Le sujet abandonné

est manifestement handicapé, une partie de lui, l’idéal projeté sur l’autre,

lui manque. Il préfère mourir. Heureusement, si tout va bien, « une de

perdue, dix de retrouvées ! ». Mais il faut faire un travail sur soi pour y

arriver.

Dans la passion désirante le corps devient triomphant, idéal, sans failles.

Je suis ce corps là. Le circuit pulsionnel indique le mouvement dialectique

possible : je suis attiré, j’ai besoin de tendresse (h+), je me laisse faire S-),

je deviens actif (S+), je peux me passer d’amour (h-). L’impasse du

circuit S, étant donné la dynamique d’éros et thanatos (pulsion de mort,

pulsion de vie), c’est de pouvoir connaître l’extase et l’abandon ou le

rejet. S’il n’y avait pas la possibilité de passer en P (tableau annexe 1),

dimension du collectif, du social et de la responsabilité, la dynamique

psychique tournerait en rond dans les extases et les affres de l’amour

d’objet, du corps comme objet. La frustration subie devient le moteur de

l’angoisse.

3) Au niveau transgressif, le corps devient l’enjeu, le lieu même d’une

normalisation. Il est marqué inévitablement par l’accession de l’enfant à

la règle, à la norme sociale. Le corps devient traversé d’interdits et donc

l’objet d’une transgression possible. Les zones du corps sont hiérarchisées

en fonction de ces interdictions : zones nobles, zones honteuses, qui

varient selon la culture. Le corps entre dans la négation possible et

inévitable. Je suis honteux de ce corps-là, donc je ne suis pas ce corps là.

A l’affirmation du champ spéculaire, « je suis ce corps là », répond la

82

négation du champ transgressif, « je ne suis pas ce corps là ». S’ensuivent

honte, gêne, pudeur, quand on le cache, et plaisir quand on l’exibe. Le

corps est devenu le médiateur obligé du Je moralisé. Le Je l’habille, le

montre, le cache, donne à ses performances, ses sensations, ses capacités,

ses odeurs, ses formes, son style, des valeurs partagées culturellement. Si

dans le champ fusionnel le Je se confond, si dans le champ spéculaire il se

trouve, dans le champ transgressif, il se perd et se désolidarise du corps

interdit et désiré par l’autre. Cette perte est tout aussi problématique que

la confusion du premier niveau et la trouvaille du second. Le problème à

résoudre est de maîtriser le plaisir du corps normalisé, de maîtriser

l’interdit, sous peine d’être frustré. Le danger c’est de perdre le plaisir

parce qu’on n’a pas la maîtrise de la loi. On peut toujours faire la loi soi-

même, transgresser l’ordre des générations, mais cela ne résout pas le

problème du rapport à autrui. Bien des psychomotriciens ont confondu ces

choses dans la foulée des thérapies corporelles. Les séances de

psychomotricité sont alors centrées sur cette problématique : « autorise-toi

du plaisir dans ton corps ». Ce n’est peut-être pas le problème du patient

mais bien celui du thérapeute.

Ce qui nous introduit, structuralement, à cette dimension de l’existence et

du corps c’est l’inévitable différence des générations. Traumatisme donc,

parce qu’insurmontable. La loi, la société, la règle me précède ! Il y a une

antériorité à Moi, et une collectivité que je ne peux pas séduire. Le

collectif normé devient une nouvelle dimension de l’être. Le corps en est

particulièrement affecté, et, quelques fois, il ne s’en remettra pas.

4) Au niveau subjectif, le Je s’est accompli dans le langage. Il est devenu le

sujet du discours, celui qui s’identifie à son discours. Le Je s’exprime. La

série « il y a du corps-je suis ce corps là-je ne suis pas ce corps là »

aboutit, au sens de Bernard robinson, à ce qui est logiquement visé dès le

départ : « j’ai un corps ». Le je a son corps. Nous savons qu’il se trompe

en partie, puisque ce corps lui échappe, comme il lui a échappé

auparavant. Reich avait compris que le corps est marqué de l’histoire du

procès de la subjectivité. Le problème à ce niveau est d’assumer cette

soumission, cette sujétion. Le danger propre est d’être castré. Si le Je

s’exprime, avec le corps, il doit accepté d’y être sousmis sous peine d’être

castré.Cette dernière position accomplit le mouvement de l’histoire

amorçé en C. Cette dimension historique semble échapper aux

psychomotriciens, parce que leur échappe la dimension dramatique de

l’existence.

Le narcissisme supporte mal la répartition des sexes : quelque chose

échappe à la toute-puissance imaginaire héritée du narcissisme primaire

du champ spéculaire. Les avatars des changements d’identité sexuelle, y

compris en modifiant le genre et le sexe, et les tentatives, mythologiques

83

(la cuisse de Jupiter) ou chirurgicale de maîtriser le corps et

l’enfantement, sont des indications de ce qui se travaille dans ce champ de

la subjectivité du corps psychique. La filiation est une des dimensions de

ce corps désormais élargi à la dimension de l’histoire et des générations.

L’embaumement, les sarcophages et autres mosolées sont les témoins des

fantasmes d’éternité de la puissance subjective.

Dans la schizophrénie le corps ne compte pour rien et peut endurer les

exigences du travail psychique ; dans la paranoïa les limites du corps sont

perméables : l’autre est partout, je suis partout, les voix traversent le

temps, l’espace et la peau. L’amplification du tableau szondien selon les

indications de Mélon permet de repérer l’impasse idéologique des

pratiques psychomotrices et d’éclairer l’objet caché de la psychomotricité.

Ce corps que la déconstruction szondienne nous fait voir c’est que le

corps est tout aussi problématique que l’identité, le rapport à autrui et le

rapport au monde.Il est quatre fois problématique (sensationné, objectivé,

normé, subjectivé) et entretient avec quatre modalités identificatoires (se

confondre, se trouver, se perdre, s’exprimer) des rapports tensionnels qui

comprennent quatre menaces imaginaires (être disloqué, être handicapé,

être frustré, être castré). On peut par ailleurs articuler ces menaces

imaginaires, ou ces traumatismes à la série des fantasmes originaires,

comme Mélon l’a fait.

En confrontant le discours courant des psychomotriciens à l’analyse

szondienne que Bernard Robinson vient d’esquisser des rapports entre le

corps, le sujet et le lien social, on peut s’apercevoir que, dans leur

discours, les psychomotriciens veulent privilégier la globalité et la

totalité. Si on lit la série comme présentée par Bernard Robinson, dans le

sens C-S-Sch, on pourrait dire qu’ils rejettent (négligent, oublient) la

droite du tableau (le corps normé et le corps subjectivé ou la menace de

frustration et la menace de castration) pour privilégier ce qu’il faut bien

considérer comme des idéaux fantasmatiques qui font partie des

problèmes structuraux de la gauche du tableau : le plaisir sensori-moteur

harmonieux et l’unité du corps en mouvement .

En conclusion, onpourrait dire que les psychomotriciens ont été appelés

par la clinique psychopathologique et psychopédagogique à travailler

avec leurs patients les soubassements de la personnalité et du

comportement. D’abord dans une visée adaptative, et puis dans une visée

d’épanouissement lorsque les idéologies des psychothérapies se sont

répandues. En prenant en compte par la suite, sous l’influence de la

psychanalyse, les problèmes de tranfert et de la parole, la psychomotricité

s’est transformée en psychothérapie à médiation corporelle.

Bernard Robinson se pose la question de « Comment repartir des

perturbations psychomotrices ? » et propose l’analyse qu’il vient de

développer à partir du système pulsionnel de szondi.

84

Pour nous, éducateurs spécialisés, ne serait-il pas intéressant de se poser

les mêmes questions par rapport au travail de la relation ?

VI. L’Enaction

L'énaction: un concept des neurosciences cognitives

Parmi les conceptions les plus novatrices de ces dernières années, l'énaction

apparait comme porteuse d'avenir. De nombreuses théories sur les

apprentissages sont apparues au cours du siècle, certaines ont eu leur heure de

gloire et ont servi de base à la construction de l'étude sur les différentes façons

dont on s'y prend pour accéder à des connaissances ou transformer nos

comportements.

Le concept apparait dans les articles et ouvrages de Francisco Varela,

neurobiologiste et chercheur en sciences cognitives, c'est un concept validé

scientifiquement à partir d'études sur l'homme et l'animal. Dans son livre

"l'inscription corporelle de l'esprit", il cite M. Merleau-Ponty qui avait entrevu

l'idée 50 ans auparavant.

"L'organisme donne forme à son environnement en même temps qu'il est

façonné par lui [..] Le comportement est la cause première de toutes les

stimulations. [..]Les propriétés des objets perçus et les intentions du sujet, non

seulement se mélangent mais constituent un tout nouveau. [..]L'organisme, selon

la nature propre de ses récepteurs, les seuils de ses centres nerveux et les

mouvements de ses organes, choisit dans le monde physique, les stimuli

auxquels il sera sensible."

Apprendre par l'énaction pour un sujet, cela veut dire tout simplement avoir

l'initiative de ses comportements et de ses mouvements dans le temps de

l'apprentissage. La perception et la motricité sont indissociables donc sous le

85

primat de l'action qui les stimule. L'activité motrice est produite pour construire

un jeu de perceptions qui vont guider l'action vers son but, constitutives de la

prise de connaissance efficace au cours d'une expérience vécue.

Une expérience chez les animaux

Deux groupes d'oisillons élevés sans leurs congénères adultes:

le 1er groupe a la possibilité de

déclencher d'un coup de bec

l'enregistrement du chant des

oiseaux de son espèce.

Ce groupe restituera 76% du chant

entendu.

le 2ème groupe est dans une cage

voisine et a juste la possibilité

d'entendre l’enregistrement

déclenchés par le 1er groupe.

Ce groupe restituera 39% du chant

enregistré.

La seule différence en faveur du 1er groupe: l'initiative dont ils disposaient au

cours de l'apprentissage.

L'énaction et la théorie de Piaget

L'énaction complète les idées de logique des actions chère à J.Piaget, présente

chez l'enfant dans les premières semaines de son développement. A cet âge,

l'enfant ne dispose que de sa propre activité sensorimotrice. Et pourtant, par le

jeu de ses expériences et de ses initiatives, l'enfant va édifier parallèlement ses

structures cognitives (son esprit) et le réel. Le constructivisme de Piaget est

souvent vu à tort comme l'addition de "couches" construites sur la base de celles

qui les précèdent alors qu'en réalité dans la théorie, à chaque étape du

développement cognitif, il y a réorganisation de tout l'ensemble en repartant de

l'expérience agie. N'oublions pas qu'une bonne partie de l'oeuvre de Piaget

repose sur des expériences concrètes à l'aide de petits dispositifs proposées à des

enfants qui doivent ainsi résoudre un problème et rendre explicite leur

raisonnement. L'intention et donc l'initiative sont à la fois le prélude à l'action et

à la représentation et donc à la connaissance.

86

Langage et énaction

Le développement du langage reflète l'énaction des connaissances. Ainsi, avant

d'avoir acquis ses premiers mots, on sait que le jeune enfant communique des

intentions à travers ses comportements, puis dans sa voix à travers son babillage.

Si ses intentions sont reconnues et comprises par ses pairs, si l'enfant peut

prendre l'initiative d'agir sur les objets de son environnement, l'enfant peut

accéder aux représentations et aux symboles donc au langage. Il est intéressant

d'ailleurs de constater que le premier langage de l'enfant exprime des actions

concrètes sur les objets et que les mots exprimant ce concret vont servir de base

par projection au langage abstrait ou métaphorique : "je mets de l'argent de

côté", "il se prend pour quelqu'un d'autre", "il n'y arrivera pas", "je dois

repartir à zéro", "les sectes manipulent les gens", "tiens bon!"!, "elle se donne

beaucoup en ce moment, je dois me sortir de cette relation qui me bouffe la vie".

Même chose avec les objets que l'enfant catégorise au départ en fonction des

propriétés qu'il a perçu à travers ses agissements sur les objets, toujours le jeu

perception-action. Premières catégorisations (formes, couleurs, tailles,

textures.etc) qui servent de base aux catégorisations ultérieures par projection

métaphorique: "le cercle des proches du président", "il y a diverses formes de

musique", "il n'utilise pas bien les outils pédagogiques", "les instruments du

pouvoir", " les fruits de son imagination".

Varela parle de cognition incarnée pour rendre compte de ce constat.

Les premiers concepts sont bien issus des premières actions et les difficultés

d'apprentissage, d'abstraction que nous constatons chez certains enfants peuvent

être éclairées sous un jour nouveau.

Quelques Conséquences

Jusqu'à maintenant, on expliquait certaines difficultés d'apprentissage en

invoquant des facteurs socioaffectifs et biologiques: carences sociales, carences

éducatives, carences affectives, fragilité émotionnelle, prématurité. Cependant

des points d'ombre demeurent quand on invoque ces facteurs, notamment le rôle

respectif de chacun dans les échecs des apprentissages. Le concept d'énaction

couplé à la notion de période sensible, c'est à dire de période génétiquement

87

préprogrammée dans le développement pour qu'un apprentissage se réalise (on

pense par exemple au langage) ouvre une porte à la compréhension de ces

échecs. On pourrait dire qu'à partir du moment où des facteurs concourent, à une

période sensible pour un type d'apprentissage, à empêcher ou gêner les actions et

initiatives d'un enfant pour s'approprier ce qu'il apprend, l'apprentissage sera

moins efficace: famille surprotectrice ou pédagogues trop interventionnistes

expliquant beaucoup sans laisser l'enfant agir, cadre éducatif "étouffant" ou

rigide, familles à problèmes multiples, dépression ou maladie mentale chez la

mère, négligences diverses s'ajoutant à une fragilité psychologique et/ou

médicale de l'enfant.

On peut aussi voir certaines difficultés de langage sous cet angle, l'initiative, les

intentions d'action existent aussi dans le domaine de la communication verbale

et non verbale et dans l'appropriation du code : par exemple: actions au niveau

relationnel, actions au niveau métalinguistique quand l'enfant prend l'initiative

d'une locution inventée par lui-même, au niveau pragmatique dans les échanges

verbaux...etc.

Chez l'enfant porteur de handicap ou présentant un trouble des acquisitions, le

concept d'énaction est particulièrement intéressant pour les enfants ayant des

déficiences sensorielles, motrices ou mentales. Ainsi, les enfants hypotoniques,

hypokinétiques ou au contraire hyperactifs-hyperkinétiques ne peuvent du fait

de leur déficience et de certaines négligences éducatives, développer certaines

capacités intellectuelles qui apparaissent de prime abord éloignées de leur

déficience, on pense ainsi au lien entre certaines dyspraxies et certains

apprentissages (lecture, langage élaboré, pensée logique, calcul, accès à

certaines abstractions), lien étudié par Piaget ou par Dugas et Gérard pour les

dyspraxies de développement ou encore par Lacert pour les affections

neuropédiatriques.

88

89

90

DICTIONNAIRES &

Dictionnaire de la psychanalyse , Larousse, sous la direction de Rolland

Chemama et Bernard Vandermersch, 1998

Le petit Larousse grand format, 1995

Dictionnaire de la psychologie , Ed. Larousse, sous la direction de Norbert

Sillamy, 1996

Vocabulaire de psychopédagogie et de psychiatrie de l’enfant , Robert

Lafon, Ed. PUF, nouvelle édition 2001

REVUES �

Le groupe familial n°141 , Françoise Labridy

Le journal des psychologues , Juin 1990, N°78, Conquête de l’autonomie, la

position de Françoise Dolto

Lien Social , n°91, sept. 90, Christiane d’Amiens, Etre éducateur auprès

d’adultes autistes et psychotiques

Empan n°26, Juin 1997, Serge Kurts, Article « Soigner et éduquer ».

91

SITE INTERNET @

WWW. Psychasoc.com, Joseph Rouzel, Entre routines et surgissements, les

sentiers de la création.

OUVRAGES &

Didier Anzieux, Le Moi-Peau , Ed. Dunod, 1995.

C’est la parole qui fait vivre. Une théorie corporelle du langage. Sous la

direction de Willy Barral , Ed. Gallimard, 1999.

Philippe Chavaroche, Travailler en MAS, L’éducatif et le thérapeutique au

quotidien , Ed. Eres, 2002

Françoise Dolto Ŕ J.D. Nasio, L’enfant du miroir , Ed. Petite bibliothèque

Payot, 1992.

Françoise Dolto, Au jeu du désir . Essais cliniques, Ed. du Seuil

L’enfant, ses parents et le psychanalyste, Sous la direction de Claudine

Geissmann et Didier Houzel , Ed. Bayard, 2000.

Bernard Golse, Le développement affectif et intellectuel de l’enfant , Ed.

Masson, 1999.

Léon Kreisler, l’enfant du désordre psychosomatique, rencontres cliniques ,

Ed. Privat.

Michel Lemay, Les psychoses infantiles , Tome 1 et 2, Ed. Fleurus, Pédagogie

psychosociale, 1987.

Capul et Lemay, De l’éducation spécialisée , Ed. Eres, 1997.

Pierre Marty, La psychosomatique de l’adulte , Que sais-je ?, n°1850, 1996.

Daniel Roquefort, Le rôle de l’éducateur Ŕ Education et psychanalyse , Ed.

L’harmattan, 1995.

Joseph Rouzel, L’acte éducatif Ŕ Clinique de l’éducation Spécialisée , Ed.

Eres, 1998.

Joseph Rouzel, La pratique des écrits professionnels en éducation

spécialisée , Ed. Dunod, 2000.

92

Joseph Rouzel, Le travail de l’éducateur spécialisé , Ed. Dunod, 1997.

Marcel Rufo, Œdipe toi même Ŕ Consultation d’un pédopsychiatre , Ed.

Anne Carrière, 2000.

Oreste Saint-Drôme, Dictionnaire inespéré de 55 termes visités par Jacques

Lacan , Ed. Point virgule, 1994

Denis Vasse, Le temps du désir Ŕ Essai sur le corps et la parole , Ed. Points.

BIBLIOGRAPHIE

1. Françoise Dolto, in Ecole et/ou prévention, Colloque pluridisciplinaire,

Strasbourg, 7-8 février 1986, Toulouse, Erès, 1987.

2. Anne Ancelin Schützenberger, Aïe, mes aïeux ! , Paris, Desclée de Brouwer,

1993 et Psychogénéalogie. Guérir les blessures familiales et se retrouver soi,

Paris, Payot, 2007.

3. Françoise Dolto, L’image inconsciente du corps, Paris, Seuil, 1984, p. 370.

4. Jean-Marie Delassus, Le Génie du fœtus, op. cit. , p. 40.

5. Kar Fung Wu est également formée à la pensée de Jean-Michel Eyssalet.

6. Jean-Marie Delassus, Le Génie du fœtus, op. cit. , p. 40.

7. Françoise Dolto, La Cause des enfants, Paris, Robert Laffont, 1985, p. 446.

8. Capul/Lemay, De l’éducation spécialisée, Action sociale, Eres, 1996, p. 209.

9. Denis Vasse, Le temps du désir, Essai sur le corps et la parole, Ed. Points, p.

150.

10. Philippe Chaveroche, Travailler en MAS, L’éducatif et le thérapeutique au

quotidien, Ed. Eres, 2002, p. 107.

11. Dictionnaire Le petit Larousse, 1995.

12. Dictionnaire de la psychanalyse, Larousse, 1998.

13. ibid.

14. Le petit Larousse, op. cit.

93

15. La psychosomatique de l’adulte – Que sais-je ? – N° 1850 – p.48.

16. Françoise Labridy, Le groupe familial, N° 141.

17. L. Kreisler, L’enfant du désordre psychosomatique, rencontres cliniques, Ed.

Privat, p.9.

18. B. Golse, Le développement affectif et intellectuel de l’enfant, Ed. Masson,

1999, p. 81.

19. B. Golse, op.cit. , P 85.

20. D. Anzieux, Le Moi-Peau, Ed. Dunod, 1995, p. 125.

21. L’enfant du miroir, Nasio / Dolto, Petite bibliothèque Payot, 1992, P.64.

22. Françoise Dolto, C’est la parole qui fait vivre. Une théorie corporelle du

langage, Sous la direction de W. Barral. Extrait de l’image inconsciente du corps

de F. Dolto, ed Gallimard 1999, P17 et P22.

23. Françoise Dolto – J.D Nasio, L’enfant du miroir, op. cit., p18, 19.

24. F. Dolto – J.D. Nasio, L’enfant du miroir, op. cit., p 22

25. Françoise Dolto, c’est la parole qui fait vivre, une théorie corporelle du

langage. Op. cit., p141

26. Didier Dumas, ibid, p.271.

27. Ibid. p.185

28. Joseph Rouzel, L’acte éducatif, clinique de l’éducation spécialisée, ed. Eres,

1998, p 47.

29. D. Roquefort, Le rôle de l’éducateur. Education et psychanalyse, Ed.

L’harmattan, 1995, p. 81

30. D. Roquefort, op.cit., p59.

31. D. Roquefort, op. cit., p 81.

32. J. Rouzel, Le travail de l’éducateur spécialisé, Ed. Dunod, 1997,p.88

33. J. Rouzel, Le travail d’éducateur spécialisé, op. cit., p.82.

94

34. Dictionnaire de la psychologie, Larousse, Norbert Sillamy.

35. Ferdinand De Saussure était un linguiste qui a inspiré par la suite les travaux

de J. Lacan.

36. Extrait du vocabulaire de psychopédagogie et de psychiatrie de l’enfant,

Robert Lafon

37. Ibid.

38. J. Rouzel, L’acte éducatif. Clinique de l’éducation spécialisée, Ed. Eres,

p192.

39. J. Rouzel, L’acte éducatif. Clinique de l’éducation spécialisée, Ed. Eres,

p194.

40. Denis Vasse, Le temps du désir – Essai sur le corps et la parole, Ed. Points,

p150.

41. Ibid. p154.

42. F. Dolto. Le journal des psychologues, juin 90, n°78. Conquête de

l’autonomie, la position de Françoise Dolto.

43. M. Lemay, les psychoses infantiles, T2, Ed. Fleurus, Pédagogie

psychosociale, p 258.

44. Ibid., P256.

45. Michel Lemay, les psychoses infantiles– P 256.

95