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La Poesie Latine

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Volumul lui A.G.C.cartault, publicat in 1921, circumscrie fenomenul poetic in cultura latina.

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    in 2011 with funding from

    University of Toronto

    http://www.archive.org/details/lapoesielatineOOcart

  • COLLECTION PAYOT

    A? CARTAULTPROFESSEUR HONORAIRE DE POESIE LATINE

    A L'UNIVERSIT DE PARIS

    LA POESIELATINE

    484055

    PAYOT & CE,PARIS

    106, BOULEVARD SAINT-GERMAIN

    1922Tous droits rservs

  • TABLE DES MATIRES

    LA PRIODE PRIMITIVE NATIONALE(Des origines au milieu du IIIe sicle av. J.-C). 3

    LA PRIODE HELLNISANTE(Du milieu du IIIe sicle av. J.-C. au premier tiers du IIe sicle ap. J.-C). 9

    I. Les potes prclassiques. 91 Les Initiateurs : Litvs Andronicu%, Naeuius, Plaute, Ennius

    (2e moiti du III e sicle-l er tiers du IIe sicle) o2 Successeurs Immdiats : Pacuuim, Caecilius, Pcelae minores,

    Trence (l re moiti du II e sicle) 233 Les Derniers Potes Prclassiques : Accius, Luciliw, Alla

    et Afranius (la togata), Pomponius et Nouius (l re atellans),Poetae minores (2e moiti du IIe sicle-premires annesdu Ier sicle) 32

    IL Les potes classiques. 461 Les Premiers Classiques : Varron, Cicron, Lucrce, Csar,

    Labrius, Publilius Syrus, Catulle, Caluus, Cinnr, etc. FuriusBibaculus, Varron du bourg d'Attax Maecius tarpa (2 premierstiers du Ier sicle) 46

    2 Le Sicle d'Auguste : Conditions gntaie* de la Posie. Les Diri-geants : Auguste, Mcne, Pollion, Messalla, Varius, Macer,Virgile, ses amis et ses ennemis, Callus, Horace, ses amis et sesennemis. Domitius Marsus, Tibube, Properce, Ovide et ses amis,Grattius (3e tiers du Ier sicle av. J.-C.-14 apr. J.-C.) 68

    III. La posie de l'poque impriale. 1241 La Dynastie Jui tenne (14-68). A. Tibre (14-37). Germanicus,

    Manilius, Phdre, Pomponius Secundus, 124. B. Caligula(37-41), Claude (41-54), Nron (54-68), Gaetulicus, Snque,Ptrone, Columelle, Perse, Lucain, Caesius Bassus, Calpumius,le pome de VAetna 129

    2 La Dynastie Flavienne (69-%). A. Vespasien (69-79), Titus(79-91), Valerius Flaccus. Curiatus Maternus, Saleius Bassus,Stace le pre, 145. B. Domitien (81-96), Silius Italicus, Stace,Martial. Poetae minores 1 45

    3 Nerua (Sept. 96-Janv. 98). Trajan (98-117), Juvenal. Pline leJEUNE 1 52

    CONCLUSION 157

    Tous droits de traduction.de reproduction et d'adaptation rservs pour tous pays.copyright 1922. by Payt & Cw .

  • LA POSIE LATINE

    LA PERIODE PRIMITIVE NATIONALE

    DES ORIGINES AU MILIEU DU IIIe SIECLE AV. J.-C.

    1. Comme tous les peuples primitifs, les Italiotesont t sensibles la vertu du rythme, qui donne la parolehumaine incertaine et fugitive un caractre solennel etsacr. Le plus ancien vers italiote que nous connaissionsest le vers saturnien uersus saturnius , nom qui apparatpour la premire fois chez Varron et est synonyme de trsantique ; ainsi Virgile (Georg., 2, 1 73) nomme l'ItalieSaturnia tellus, parce que le roi lgendaire de l'poque laplus recule tait Saturne. Le saturnien a exist chez lesOsques, les Pligniens, les Ombriens ; nous n'avons envisager que le saturnien latin 2 . Il parat dmontr quele principe sur lequel il reposait est la quantit et nonl'accent tonique. Il se compose de deux hmistiches offrantchacun trois temps forts et jouit de liberts, qui lui permet-tent de prendre des formes diffrentes. Caesius Bassus

    1. Ouvrages consulter : Geschichte der Romischen Litteratur ... von M. Schanz,3e dit., 1907 et suiv. W. S. TeeufTels Geschichte der Romischen Litteratur, e dit

    ,

    1910etsuiv. Geschichte de- Romischen Dichtung von Otto Ribbeck, 2e dit., 1894. La Posie latine (De Liuiu Andronicus Rutilius Namatianus), par F. Plessis, 1909.

    2. L.-Havet, De Saturnio Latinorum uersu, Paris, 1880.

  • 4 LA POESIE LATINE

    (Gramm. Lat.> d. Keil, 6, 265) cite comme le plus parfaitcelui par lequel les Metelli rpondirent aux attaques deNaeuius :

    X > 1 > \ -

    Malm dabnt Mtlli | Neuw potae.

    2. A l'origine les Romains appelaient carmen toutce qui tait rdig en formules fixes ou en vers ; ils met-taient le mot en rapport avec les Camenae, desses dessources, adores dans un bois sacr hors de la Porta Capena,et avec Carmentis ou Carmenta ; on attribuait ces divinitsle don de prophtie. Plus tard les Camnes furent identifiesavec les Muses grecques ; la posie primitive est de leurdomaine, comme celle de l'poque hellnisante appartientaux Muses. Le carmen embrasse les lois lex horrendicarminis (T. Live, 1 , 24, 26) , les formules, qui rendaientvalables les actes officiels et religieux, vux, ddicaces,dvotion, etc., que le Pontife dictait aux magistrats pourtre rptes littralement avant l'accomplissement del'acte sollemnia pontificalis carminis uerba (Snque,Consol. ad Marciam, 13, 1).Les prdictions antiques qu'on faisait remonter aux

    Fauni taient en vers saturniens ; on en conservait qu'onattribuait Marius ou deux frres de ce nom. On a vuun rudiment de posie lyrique dans le chant accompagnde danses des Salii, prtres des dieux de la guerre, chargsde les rendre favorables, dans celui des fratres aruales,qui se runissaient au printemps dans un bois situ au5e mille de la uia Campana, pour attirer les bndictionsde Bona Dea sur les semences. La nenia, complainte quechantaient au son de la flte les pleureuses dans les enterre-ments et que Nonius (I, p. 210, d. L. Muller) appelle

  • LA PERIODE PRIMITIVE NATIONALE D

    ineptum et inconditum carmen, se rattache jusqu' un certainpoint au lyrisme. On a vu un embryon d'pope dans leselogia, qui mentionnaient sur les tombeaux les exploitsdes grands hommes, par exemple ceux des Scipions, dansles chants en l'honneur des anctres, dont parlent Cicronet Varron et qu'on excutait dans les festins avec accom-pagnement de la flte. De tout temps il a exist une posiepopulaire ; on rythmait en les prononant les formulesmagiques ; les paysans, les artisans chantaient en faisantleur ouvrage, les nourrices en endormant les enfants, lessoldats en suivant le char du gnral triomphant, qu'ilsraillaient ou qu'ils louaient. Appius Claudius Caecus,censeur en 312 av. J.-C, inaugura la posie didactiqueen rdigeant en saturniens des prceptes moraux peut-tre imits des XpuG S7C7) de Pythagore. Il y avait danstout cela des germes d'une posie, qui pendant cinq cents ansest reste embryonnaire. C'est l'poque o suivant Caton(A. Gelle, 11, 2, 5) l'art potique n'tait pas en honneur.On nous parle d'essais dramatiques, qui auraient prcd

    la constitution d'un thtre rgulier et y auraient abouti.La farce comique a des racines dans le temprament desItaliotes, qui ont toujours eu du got pour les mascaradeset le dialogue improvis soutenu par une mimique expres-sive. Les crivains du sicle d'Auguste, partant des usagesrpandus autour d'eux, leur ont attribu une haute anti-quit, avec l'intention visible de retrouver dans l'ancienLatium quelque chose d'analogue aux origines du thtregrec, et ont fait de l'histoire rtrospective, sans que noussachions quelle part elle contient de ralit. Virgile (Georg.,2, 385) montre les paysans Ausoniens se divertissant chanter des vers grossiers, c'est--dire des saturniens, ets'appliquant des masques d'orce. Tibulle (2, 1, 55) les

  • 6 LA POESIE LATINE

    reprsente barbouills de rouge, dansant en chur et songevidemment aux lgendes attiques. Horace (Epist., 2, 1,139) localise la chose Fescennium, ville falisque du sudde l'Etrurie. L aux ftes de la moisson, o l'on offraitun porc Tellus, du lait Siluanus, des fleurs et du vinau Gnie, les laboureurs de jadis auraient chang des versmordants ; la fescennina licentia a subsist l'poque his-torique et continu s'exercer l'occasion des mariages.

    3. Ces dbuts sont obscurs et problmatiques. Surla naissance du thtre Rome mme nous avons deTite Live (7, 2) un passage capital mais peu clair. Unepeste violente ayant clat Rome, on tenta sur l'avis desdecemuiri sacris faciundis, mais sans succs, de la conjurerpar un lectisternium ; les dcemvirs conseillrent alors desludi scenici ; c'tait l'introduction Rome d'un usage grec.En 364 on construisit dans le cirque une scne et l'on fitvenir d'Etrurie des histrions, qui y dansrent au son de laflte, mais sans dbiter de vers. Pour ce qui suit, voici cequi parat rsulter du rcit de Tite Live : les jeunes Romainsimaginrent d'emprunter cette musique en la donnantcomme soutien leurs improvisations fescennines, mais enaccordant la mimique aux paroles et non la musique.On eut ainsi quelque chose d'analogue ces parades defoire, o des baladins gambadent et s'interpellent, tandisqu' ct d'eux un petit orchestre joue des airs sans s'oc-cuper d'eux et sans qu'ils s'occupent de lui. Plus tard uneinnovation vint perfectionner le spectacle : elle consista

    accorder les deux lments jusque-l simplement juxta-poss, gestes et paroles d'une part, musique de l'autre ;on excuta dsormais ce que Tite-Live appelle impletasmodis saturas, c'est--dire des pots-pourris, dans lesquelsle dialogue et la mimique taient conjugus avec les sons

  • LA PERIODE PRIMITIVE NATIONALE /

    de la flte, en somme, quelque chose de semblable nosrcitatifs. Le thtre rgulier sortit d'une dernire nouveautqu'on attribue Liuius Andronicus : le dialogue, au lieude porter librement sur des matires diverses, fut assujetti un sujet de pice unique.Sans le contact de l'hellnisme le gnie latin aurait-il

    russi crer une posie littraire ? Nous l'ignorons.L'instrument, c'est--dire le saturnien, tait rude et fruste ;les premiers reprsentants des tendances nouvelles essay-rent de le conserver et durent l'abandonner ; il ne survcutque dans la bouche du peuple et les auteurs du sicle d'Au-guste, qui le trouvaient grossier, ne l'ont pas regrett.

  • LA PRIODE HELLNISANTEDU MILIEU DU IIIe SICLE AV. J.-C.

    AU PREMIER TIERS DU IIe SIECLE APR. J.-C.

    I. LES POTES PRCLASSIQUES

    1 LES INITIATEURS

    Liuius Andronicus, Naeuius, Plaute, Ennius (2e moitidu IIIe sicle-

    1

    er tiers du IIe).

    4. Les Romains furent de bonne heure en relationsavec les Grecs, dont les colonies couvraient l'Italie duSud. L'introduction Rome des livres sibyllins, qui ta-blirent dans la religion un ritus graecus ct du ritusromanus, remonte l'poque lgendaire des rois. Ce n'estpas ici le lieu d'tudier ces relations. La Campanie tantlimitrophe du Latium, elles devinrent naturellement plustroites aprs la prise de Capoue en 343 et la soumissiondu pays qui suivit. Les riches Romains y eurent de vastesproprits. Appel par les Tarentins menacs par les armesromaines, Pyrrhus fut vaincu et Tarente prise par PapiriusCursor en 272. La premire guerre Punique (264-241)amena les Romains dans la Sicile compltement hellnise.

  • 10 LA POSIE LATINE

    Sduits par une culture plus avance que la leur, ils furentports se l'approprier : les grands seigneurs surtout seprirent de passion pour elle ; l'introduction de cette culture Rome et la naissance d'une littrature nouvelle ont uncaractre aristocratique. Horace (Epist., 2, 1, 156) a dit : La Grce conquise a conquis son farouche vainqueur etintroduit les arts dans le Latium sauvage. Cela est exact :les Romains ont subjugu matriellement la Grce ; intel-lectuellement ils ont t subjugus par elle. Les Grecs sesont toujours sentis suprieurs eux, et ont t flatts deleur imposer leurs arts ; en revanche les Romains les onttoujours personnellement mpriss. Habitus ravir auxpeuples soumis ce qui rpondait leurs convenances et leurs besoins, ils ont regard la littrature grecque commeune proie, dont ils s'emparaient pour enrichir l'espritnational. Leurs crivains s'approprient les genres nouveaux

    comme des dpouilles prises aux vaincus ; ils ne les trans-portent pas tels quels, mais les adaptent au gnie de leurrace. C'est pourquoi la posie latine, tout en tant d'imi-tation, est originale ; elle est l'acclimatation d'lmentsexotiques dans un milieu diffrent qui se les assimile.L'opration s'accomplit Rome devenue le centre et lacapitale du Latium, puis de l'Italie, enfin de l'univers.L sont les lecteurs, les encouragements, le foyer. Pourtantles artisans de l'uvre ne sont pas des Romains, mais destrangers venus d'abord de divers points de l'Italie, puisde plus loin, mesure que l'empire romain s'tendait.

    5. Le fondateur de la posie latine est un Grec,Andronicos, qui fut amen trs jeune Rome commeprisonnier aprs la prise de Tarente en 272 et qui vivaitencore en 207. Esclave d'un Liuius, il est le premier decette longue srie de Grecs, qui s'imposrent leurs matres

  • LES POTES PRCLASSIQUES 11

    par la finesse de leur esprit et la supriorit de leur culture ;Liuius lui confia l'ducation de ses enfants et l'affranchit ;il se nomma ds lors L. Liuius Andronicus. D'aprs Su-tone (Gramm., 1) il fut un de ces anciens matres d'colequi expliquaient les auteurs grecs leurs lves et leurlisaient ce qu'ils composaient en latin ; il fit pour son ensei-gnement une traduction de YOdysse, qui tait encore dansl'enfance d'Horace un livre de classe. Au premier vers ilinvoque la Camne, et il s'est servi de l'antique saturnienqu'il n'a pas os dpossder ; le contact de Rome avaitfait de ce Grec un semi-graecus, comme dit Sutone. Ortvoit que c'est la plus ancienne posie grecque qu'il pr-tendit initier le gnie romain. En 240 il donna pour la pre-mire fois Rome une tragdie et une comdie adaptesdu grec ; la chose eut lieu aux ludi romani. On sait que lesreprsentations dramatiques firent ds lors Rome partiedes jeux officiels. Avec une subvention trs insuffisante del'Etat, un magistrat en faisait les frais et achetait une picesoit l'auteur soit un chef de troupe, dominus gregis,qui l'avait acquise. Celui-ci jouait en gnral le premierrle. Primitivement les acteurs portaient de simples per-ruques ; l'usage du masque tait encore rcent en 91.On levait pour la circonstance des thtres en bois qu'ondmolissait ensuite. Le premier thtre en pierre fut celuide Pompe en 55. On a conserv d'Andronicus les titreset des fragments de huit tragdies. Elles se rattachent engrande partie la lgende troyenne. Plus hardi ici que pourYOdysse, il emploie les mtres grecs usuels, le snaireambique et le septnaire trochaque. Il jouait lui-mmeses pices avec une troupe qu'il avait forme. Les exi-gences matrielles l'obligrent modifier sur quelques pointsses modles ; n'ayant pas sa disposition l'orchestre,

  • 12 LA POSIE LATINE

    occup Rome par les spectateurs, il remplaa les churspar des cantica, monodies chantes sur la scne au son dela flte. Il parat avoir t un adaptateur intelligent, etimprima la tragdie latine la forme qui lui est reste.C'est surtout sur la haute posie qu'il exera son influence ;nous n'avons conserv les titres que de trois comdies 1

    .

    Ses innovations lui assurrent une situation dont lesmaigres fragments de ses uvres ne donnent point l'ide

    ;

    on le considra comme un pote officiel et l'interprte dupeuple romain auprs des dieux ; en 207 (T. Live, 27,37, 7), sur un dcret des pontifes et pour expier des prodiges,il composa en l'honneur de Juno regina sur l'Aventin uncarmen que chantrent en procession vingt-sept jeunesfilles. A la suite de quoi on permit aux scribes et aux his-trions le mot scriba dsignait les potes, celui de poetan'existant pas encore de tenir leurs assembles dans letemple de Minerve sur l'Aventin et de former un de cescollges si importants dans l'Etat romain. A l'poque clas-sique, l'uvre d'Andronicus parut vieillie et barbare.Cicron (Brut., 71) compare son Odysse aux statues deDdale raides et sans expression. Horace (Epist., 2, 1, 69)traite ses pomes de haut. Tite-Live (l. c.) dit de son hymneen l'honneur de Junon que des esprits incultes ont pule louer, mais qu'actuellement il rpugne par sa gros-siret.

    6. Le mouvement qu'il a cr s'amplifie autour delui et se continue aprs lui. Cn. Naeuius, n vers 269ou 264, est un Campanien, peut-tre d'une ville latine.11 combattit dans les armes romaines pendant la premireguerre punique et vint Rome o en 235, cinq ans seule-

    1. Les fragments des tragiques et des comioues latins ont t runis par O. Ribbeck,Tragicorum Romanorum fragmenta, 3e dit., 1897; Comicorum RomanoTwn fragmenta,3e dit., 1898. Cf. Ernout, Recueil de texte* latins archaques. 1916.

  • LES POTES PRCLASSIQUES 13

    ment aprs les dbuts de son prdcesseur, il mit lui aussi la scne l'adaptation d'une pice grecque ; on a conservles titres de six de ses tragdies ; deux d'entre eux au moinslui sont communs avec Liuius Andronicus. Son originalita t d'inaugurer la fabula praetexta, apparente par l'l-vation du ton la tragdie grecque, mais sujet et per-sonnages romains, innovation qui souligne la tendanceconstante des Latins nationaliser jusqu' un certain pointla littrature hellnique. Dans l'une, Clastidium, il clbraitprobablement la victoire de M. Claudius Marcellus surl'Insubre Virdumarus ; dans l'autre, Alimonium Romuliet Rmi, il mettait en scne la lgende du fondateur deRome. Son gnie le portait surtout vers la comdie ; ona de lui au moins trente-trois titres : ce chiffre tmoigned'une production considrable, dont l'abondance s'expliquepar le fait qu'il s'agissait uniquement d'adapter au gotromain des uvres grecques. Il ne parat pas avoir procdd'une manire sensiblement diffrente de celle de ses suc-cesseurs et ses personnages se retrouvent chez ces derniers.Ce qui lui est propre, c'est qu'il se sert du thtre pourattaquer les puissants du jour, en particulier les Metelli.N'tant pas comme Liuius Andronicus un simple affranchi,il semble avoir pris pour devise la fire dclaration d'unde ses personnages : Nous parlerons librement aux ludiLibrales (Paulus ex Festo, p. 116, d. O. Mller). Cespersonnalits ne lui russirent pas : il fut jet en prison.Selon Aulu-Gelle (3, 3, 1 5), il aurait fait amende honorabledans deux pices crites en captivit ; remis en libertpar les tribuns du peuple, il aurait rcidiv. A un saturnienblessant les Metelli ne se contentrent pas de rpondre parun autre menaant ; ils le firent bannir vers 204 et il mourut Utique en 201. Sur le tard il avait chant le Bellum Poe-

  • 14 LA POSIE LATINE

    nicum, auquel il avait pris part. Il inaugurait ainsi l'popenationale et ouvrait la voie dans laquelle il fut suivi parEnnius. Il resta fidle au saturnien. Son pome n'tait quede l'histoire versifie ; mais il a pu l'animer par le feu d'unancien combattant. Il le commenait la chute de Troie,c'est--dire qu'il dbutait par la lgende d'ne reprisedepuis par Virgile ; il faisait intervenir les dieux de l'Olympehomrique. Il a t plus original que Liuius Andronicuset marque un progrs. Cicron (Brut., 75) dit que sonBellum Poenicum fait le mme plaisir qu'une statue deMyron, c'est--dire une uvre un peu sche, mais lgantedans sa sobrit. Horace (Epist., 2, 1, 58) convient qu'ilest encore dans toutes les mains et toutes les mmoires.Aulu-Gelle (1, 24, 2) a conserv son pitaphe, qui n'estpeut-tre pas de lui et qu'il trouve remplie d'un orgueilcampanien. Ce qui est remarquable, c'est qu'on lui faitdire qu'aprs sa mort on n'a plus su parler le latin Rome.Cela n'est pas vrai, mais il est curieux de voir des trangersse piquer de parler purement la langue latine et la rendrecapable de porter une grande littrature. Cicron (DeOrat., 3, 12, 45) rapproche dans un loge commun salatinit et celle de Plaute.

    7. T. Maccius Plautus naquit au plus tard en 251dans la petite ville de Sarsina situe aux confins de l'Ombrieet qui en 266 n'tait pas encore soumise par les Romains.On ignore ce qui l'attira Rome. D'aprs Aulu - Gelle(3, 3, 14), il y gagna de l'argent en travaillant pour desentrepreneurs de spectacles, le perdit dans le commerced'outre-mer, revint Rome ruin, tourna la meule pourvivre chez un boulanger, crivit entre temps trois comdiesqui sont perdues et se consacra ensuite l'art dramatique.Il mourut en 184. Ce n'est pas un crivain de cabinet,

  • LES POTES PRCLASSIQUES 15

    mais un homme actif, aventureux ; il produisit vite, abon-damment ; le travail tait facile, puisqu'il ne s'agissaitque d'adapter des originaux grecs. Il approchait de lacinquantaine ou l'avait atteinte, quand moururent LiuiusAndronicus et Naeuius. Il a vu ses prdcesseurs latche, sans que nous puissions, leur uvre tant perdue,savoir ce qu'il leur doit ; il leur fut srement trs suprieur.Contrairement eux, il s'est spcialis dans un genre unique,la comdie. A leur dfaut il est pour nous le premier repr-sentant de la fabula palliata> la pice manteau grec imitede la comdie nouvelle attique. A l'poque d'Aulu-Gelle -(3, 3, 13), une masse considrable de comdies, cent trenteenviron, couraient sous son nom, surtout parce que, cenom assurant le succs, les directeurs de troupes lui avaientattribu ce qui n'tait pas de lui. Varron en distinguavingt et une, que tout le monde reconnaissait pour authen-tiques ; ce sont vraisemblablement celles que nous avonsconserves, l'exception de la Vidularia, dont on a dchiffrdes fragments dans le palimpseste de l'Ambroisienne. Ilen ajouta quelques-unes, qui, bien qu'attribues d'autres,lui parurent tmoigner du genre d'esprit et du style dePlaute ; Il rejeta le reste (voir Aulu-Gelle, 3, 3, 1). Surles dates de la composition nous sommes mal renseigns.La plus ancienne pice est le Miles, qui est vraisemblable-ment de 204 ; la Cistellaria parat tre d'un peu avant201 ; le Stichus a t srement jou en 200, le Pseudolusen 191 . Pour les autres on n'arrive que par des combinaisons tablir une date approximative ; quelques-unes ne peuventtre dates ; le Truculentus est une des dernires, peut-tre de 189. Ce qui est certain, c'est que la priode la plusfconde de Plaute se place aprs la deuxime guerre punique(218-201), sans doute cause de la tranquillit ramene

  • 16 LA POESIE LATINE

    par la paix, peut-tre aussi parce qu'il n'a song que tard crire pour le thtre. Son uvre dramatique est unfruit de l'ge mr et de la vieillesse.

    Sauf peut-tre pour XAmphitruo, il s'est inspir de lacomdie attique nouvelle : la Casina et le Rudens, proba-blement aussi la Vidularia sont d'aprs Diphilos, la Mos-tellaria, le Mercator, le Trinnmmus d'aprs Philmon, laCistellaria, les Bacchides, le Poenulus, le Stichus, XAulu-laria probablement d'aprs Mnandre, YAsinaria d'aprsDmophilos inconnu d'ailleurs ; on attribue les Menaechmi Poseidippos. Plaute, en homme de thtre, puise libre-ment dans le rpertoire, y cherchant le motif succs.Nous avons perdu la tragdie romaine et conserv unepartie de la tragdie grecque, conserv une partie de lacomdie romaine et perdu, sauf fragments, la comdieattique ; d'o l'impossibilit de comparer exactement lesimitations et les modles. Plaute parat avoir trait libre-ment ses originaux ; il a pratiqu le systme de la conta-mination procd contre lequel ont protest plus tard lesdlicats, c'est--dire qu'il corsait le modle principal avecdes scnes prises ailleurs. Il est vident qu'il a marquson uvre du caractre de son gnie propre, puisqu'il esttrs diffrent de Trence, qui a puis aux mmes sources.Il s'est peu souci de la rgularit de la composition, sen-sible aux connaisseurs, indiffrente au grand public ;c'est un brasseur de pices, comme il a t un brasseurd'affaires. Mais il a l'instinct du comique ; c'est par lessituations, la vivacit du dialogue, les plaisanteries, qu'ilattache le spectateur ; il rpand pleines mains ce qu'Ho-race appelle Yitalum... acetum, et dploie la verdeur d'esprit

    du montagnard ombrien. Il est toujours son aise. Pourne pas trop dpayser son public et tout en laissant appa-

  • LES POTES PRCLASSIQUES 17

    ratre et l des mots grecs familiers au langage courantde la plbe, il introduit des noms de magistrats, de lieux,de monnaies, qui sont purement romains. Le fonds de lapalliata est monotone ; c'est la reprsentation de la viegalante d'Athnes au IIIe sicle avant J.-C. ; presque tou-jours une intrigue amoureuse : un jeune homme essaiede satisfaire sa passion pour une jeune fille au pouvoird'un marchand d'esclaves, qui ne la cdera qu' prixd'argent ; le difficile est de se procurer l'argent ; souventla jeune fille est reconnue de naissance libre, et la pice se.termine par un mariage. L'intrigue peut se prsenter sousmaints aspects divers ; les personnages sont toujours lesmmes : jeunes gens court d'argent, la merci d'esclavesplus ou moins rous, plus ou moins inventifs pour les tirerd'embarras, pres de famille avares, navrs des dborde-ments de leurs fils, quelquefois aussi vicieux, et qu'ils'agit de duper, matrones parfois acaritres, furieuses destours que leur jouent des poux volages, courtisanes rare-ment prises sincrement, le plus souvent sches de cur,usant de tous les artifices, de toutes les caresses pour attirerla victime dans leurs filets, parasites soucieux de bonnechre, aidant grce leur exprience les jeunes gens fairela fte aux dpens de leurs papas. Ce n'est pas seulement l'intrigue que Plaute s'attache ; il a aussi dessin descaractres, l'avare, le matamore. On se demande commentun thtre si tranger aux murs romaines a pu russir Rome. Les esclaves du vieux Caton n'ont rien de communavec ceux de la comdie, et ses contemporains n'taient pasde ces vieux barbons qu'on berne loisir. Mais on peutjustement prendre plaisir la reprsentation de murstrs diffrentes des murs nationales et qui paraissentridicules ; ensuite il est possible que les murs grecques

    2. CARTAULT.

  • 18 LA POSIE LATINE

    eussent dj fait Rome plus de progrs que nous ne lesupposons. Naeuius (voir Aulu-Gelle, 7, 8, 5) parle d'unpersonnage fameux par ses exploits, que son pre aurait

    t chercher chez son amie et ramen avec un manteaugrec pour tout vtement ; la malignit reconnaissait l

    Scipion le premier Africain. Et puis tout tait emportpar le mouvement endiabl et la verve de Plaute.

    Plaute a latinis avec un art consomm les mtres dra-matiques grecs. Plus tard les lettrs les comparant avec les

    modles les ont trouvs grossiers. Cicron (Orator, 55, 184)dit des snaires des comiques, qu'ils sont souvent si ngligs

    que parfois on n'y distingue pas mme la mesure. Horace(De Arte Poetica, 270) s'tonne de la patience, voire de lasottise des admirateurs des vers de Plaute. Les mtriciens

    modernes y ont vu une adaptation trs heureuse au dia-

    logue comique qui doit reproduire la conversation fami-

    lire. La pallita avait du reste un aspect trs diffrent de

    celui des comdies modernes : c'tait un mlange de musique

    et de parties parles ; le mtre usuel de celles-ci tait le

    snaire ambique ; quand l'motion devenait plus vive,on passait au septnaire trochaque, qui soutenu par la

    flte formait un rcitatif ; enfin les cantica taient de vri-

    tables morceaux lyriques, o les fltes donnaient une sortede concert. Les Romains sont considr la langue de Plautecomme tant d'une excellente latinit. Varron (Parmeno,

    399, d. F. Biicheler) le proclame le premier des comiques

    pour le style. Quintilien (10, 1, 99), tout en jugeant quec'est surtout dans la comdie que les Romains sont faibles,rappelle ce mot d'Aelius Stilo que, si les Muses avaient

    voulu parler latin, elles auraient parl comme Plaute.

    Pline le jeune (Epist., 1, 16, 6) dit d'une jeune femme doctaet polita qu'en la lisant on croirait lire Plaute ou Trence.

  • LES POTES PRCLASSIQUES 19

    Quant aux plaisanteries de Plaute, qu'Horace a condamnessans piti, Cicron (De Officiis, 1, 29, 104) les trouve l-gantes, pleines d'urbanit, d'esprit, d'agrment. Ses picesont tenu la scne longtemps aprs sa mort 1 .

    8. On connat les beaux vers de Porcius Licinuscits par Aulu-Gelle (1 7, 21 , 45) : C'est pendant la secondeguerre punique que de son allure aile la Muse est venuechez la farouche nation belliqueuse de Romulus. Ilsparaissent faits pour caractriser Ennius, qui a dfinitive-"ment relgu dans l'oubli la Camne latine, pour la rem-placer par la Muse grecque. N en 239, l'anne qui suivitla reprsentation de la premire pice de Liuius Andro-nicus, Rudiae en Calabre, o on parlait le grec, l'osqueet le latin (Aulu-Gelle, 17, 17, 1), Q. Ennius se vantaitd'avoir trois intelligences tria corda ; ce fut un gnieuniversel. Il servit dans l'arme romaine en Sardaigne,d'o il fut en 204 amen Rome par Caton pendant saquesture. Il se fixa sur l'Aventin, o il vcut pauvre desleons qu'il donnait et des pices qu'il faisait jouer. Adoptpar l'aristocratie, initiatrice de la culture grecque Rome,il ouvre la ligne des crivains qui furent protgs par lesgrands seigneurs. Il fut cher au Premier Africain, familieravec Scipion Nasica ; on prtendit que l'une des troisstatues qui ornaient les tombeaux des Scipions le repr-sentait. M. Fuluius Nobilior, consul en 189, l'emmenaen Etolie, sa province, pour lui faire chanter ses exploits ;c'tait la ranon usuelle des faveurs de la noblesse. En 184,le fils de ce personnage, charg d'tablir deux colonies, Potentia et Pisaurum, lui fit obtenir un lot de terre dansl'une d'elles avec le droit de cit. Nous voil Romains,

    1.Le texte de Plaute repose sur le palimpseste de Milan (Ambrosianus) et les Palatini,

    surtout le Vtus. dit. des lves de Ritschl, Gtz, Loewe, Schll, 1871-1 894. dit. Lo,1895-18%.

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    nous qui jadis tions de Rudies , crivit Ennius, dans unvers qui montre quel prestige exerait Rome sur les tran-gers qui venaient y crer une littrature. Il mourut en 169,de la goutte, dit-on ; on a prtendu qu'il aimait le vin.

    Il semble avoir commenc par crire des tragdies etTanne mme de sa mort il fit reprsenter un Thyeste.On a conserv une vingtaine de titres avec des fragments ;il s'est surtout inspir d'Euripide et a particulirementtrait des lgendes troyennes, qui ont toujours t prfresdes Romains, cause de leur prtendue origine troyenneavec laquelle Naeuius avait familiaris le public. Cicron(De Finibus, 1 , 2, 4) dclare que ses pices taient commecelles de ses confrres traduites littralement ; mais lesanciens entendaient le mot autrement que nous. Leur dis-parition empche une comparaison totale ; les fragmentsconservs par les grammairiens le sont en gnral pour uneparticularit de langue ; ils sont donc trs courts. Pourtantil est certain qu'il s'agit d'adaptations libres. Aulu-Gelle

    (11, 4, 1) a rapproch d'un passage de YHecuba les verscorrespondants d'Euripide, 293 et suiv. Nous avons quel-ques fragments assez longs, qui sont nergiques, pathtiques,par exemple les angoisses d'Alcmaeon tourment par lesfuries maternelles, le songe et la prophtie de Cassandradans YAlexander (c'est--dire Paris), etc. Ennius avait ledon de la haute posie, grandiose, impressionnante. Ils'est adonn la praetexta comme Naeuius ; les Sabinaeracontaient l'vnement tragique du rapt des Sabmes etse rapportaient l'poque illustre par Naeuius ; YAmbraciaclbrait la prise de cette ville par Fuluius Nobilior ettait un hommage dans le genre du Clastidium de Naeuiuspour Marcellus. En revanche Ennius s'attaqua peu lacomdie ; nous n'avons que deux titres. Son gnie ne le

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    portait pas au comique, et peut-tre n'a-t-il pas voulurivaliser avec le matre de la scne qu'tait Plaute.Dans tout ceci il n'a fait que suivre des voies dj frayes.

    Son uvre capitale est une pope en dix-huit livres qu'ilintitula Annales ; avant lui Naeuius avait compos un pomepique. Mais il y avait conserv le saturnien grossier,dont son successeur parle avec ddain : D'autres ont critla chose dans des vers que chantaient jadis les Fauneset les devins. L'originalit d'Ennius a t de lui substituerle mtre du rcit pique chez les Grecs, l'hexamtre dac-tylique, en l'adaptant la nature du latin, en le rendantplus solennel, plus majestueux par l'abondance des spon-des et par la prdominance de la csure masculine, lapenthmimre. Il a cr le merveilleux hexamtre latin,qui tait un instrument digne du peuple-roi. Les Annalessont un long pome qu'il crivit peu peu ; on ignore quandil les commena. D'aprs Aulu-Gelle (17, 21, 43) il rdigeason 12e livre en 172 soixante-sept ans et il en ajoutasix autres pendant les trois annes qui prcdrent samort. On a conserv environ six cents vers ou fragmentsde vers. Comme l'indique le titre, il avait pris pour modleles Annales o les pontifes consignaient les vnementsau fur et mesure qu'ils se produisaient. A la suite deNaeuius, il dbutait au dpart d'Ene de la Troade aprsla prise de Troie, racontait les lgendes de la fondationde Rome et allait jusqu' la priode contemporaine, sansque nous sachions exactement quelle anne il s'est arrt.Il devait y avoir une diffrence entre les livres par suite dela dissemblance de la matire, fabuleuse d*abord, relleensuite. Le plan adopt, qui tait celui de la successionchronologique, excluait toute composition artistique. Pour-tant Ennius ne s'tait pas propos de faire strictement

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    uvre d'historien. Il voulait doter sa patrie adoptive d'unepope, qui ft pour elle ce qu'tait pour la Grce l'poped'Homre, et prtendait que l'me de celui-ci tait passeen lui. Le peu que nous avons conserv de son uvre rendimpossible de porter un jugement sur l'ensemble. On endevine pourtant les grandes qualits et les dfauts. Elle offrebeaucoup de lourdeur et de prosasme mais aussi des mor-ceaux d'une posie nergique et brillante. L'intrt pour nousest de voir, luttant avec une langue rebelle et un instrumentencore imparfait, un pote vraiment dou, qui ne russit pastoujours triompher, mais qui s'y exerce avec une ardeurloyale. Virgile lui a pris des vers d'une vigueur d'expressionqui dpassait la sienne propre ; il l'a srement imit plus quenous ne pouvons le constater ; ses tableaux de bataille sont unreflet de ceux d'Ennius ; c'est par eux qu'il a connu la guerre.La fcondit d'Ennius est atteste par le fait qu'ind-

    pendamment du genre dramatique et du genre pique ilen a abord d'autres ; il composa quatre livres de Saturae,c'est--dire de Mlanges dans des mtres diffrents. Nousne saurions nous faire une ide exacte de ce que c'tait ;mais nous avons conserv les titres d'ouvrages, qui, touspeut-tre ou tout au moins quelques-uns, en faisaient par-tie : Scipio (septnaires trochaques) en l'honneur duPremier Africain, compos peut-tre en 201 , anne de sontriomphe, Epicharmus (ttramtres trochaques), qui popu-larisait les doctrines de philosophie naturelle reues ensonge par Epicharme de son matre Pythagore, Euhemerus,adaptation de Plep avaypaTJ d'ivjr^po (peut-treen prose) ,qui expliquait que les dieux de l'Olympe populaire n'taient que des hommes diviniss, Praecepta ouProtrepticus, sans doute exhortation l'tude de la philo-sophie Ennius tait un penseur libre , Sota, c'est--

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    dire Sotads, recueil familier d'histoires de toutes sortesdans le rythme ionique, Heduphagetica (hexamtres dac-tyliques), pome gastronomique.

    Ainsi Ennius a t le fondateur de l'pope nationaledactylique, celui du genre didactique cher aux Romainspris des ralits, prcurseur du genre satirique. En outreil s'est proccup de la langue et de la graphie, a introduitle redoublement des consonnes, combattu le chute alorsmenaante des syllabes terminales. Comme la plupart descrivains romains crateurs, il a eu la conscience et l'or-gueil de son mrite ; dans l'pitaphe qu'on lui attribue,il dfend qu'on le pleure, parce qu'il vole vivant sur leslvres des hommes . La postrit a reconnu son mrite.Cicron, tout en faisant des rserves, le traite de potehors ligne (TtiscuL, 3, 19, 45), de pote pique souverain(De opt. gen. orat., 2). Lucrce (1, 121) rend hommage ses vers ternels. Virgile a enchss dans son uvrequelques-uns de ses plus beaux vers. Horace, malgr samauvaise humeur, en cite un (Sat., 1, 4, 60) qui est d'unvrai pote. Ovide (Trist., 2, 424) l'a caractris avec safinesse habituelle : Trs grand par le gnie, d'un artencore grossier. Quintilien (10, 1, 88) dit qu'on le rvrecomme les bois sacrs antiques et Martial (5, 10, 7) constateque ses contemporains le lisaient encore ct de Virgile .

    2. SUCCESSEURS IMMDIATS

    Pacuuius, Caecilius, Poetae minores, Trence(l re moiti du 2e sicle).

    9. M. Pacuuius, fils d'une sur d'Ennius, n Brindes vers 220, mourut Tarente vers 130. Son oncle

    I. J. Vahlen, Q. EirnH reliquiae, 9e dit., 1903,

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    l'appela Rome. Il tait peintre et excuta dans le templed'Hercule au Forum Boarium une dcoration, qui restaclbre. C'est srement l'exemple d'Ennius et ses conseilsqui dcidrent sa vocation dramatique, sans qu'il aban-donnt la peinture. Il fut son lve direct, comme nousl'apprend l'pigramme d'un de ses disciples (Varron,Sat. Menipp., 356) : On me dit lve de Pacuuius ; celui-ci le fut d'Ennius, Ennius des Muses : je m'appelle Pom-pilius. Il russit souhait dans la carrire dramatique,puisque Cicron (De opt. gen. or., 1), tout en considrantEnnius comme le plus grand des potes piques, regardePacuuius comme le plus grand des tragiques. La dernirepice qu'il fit reprsenter est de 140 ; il resta donc Romeencore 29 ans aprs la mort de son oncle. Il retourna Tarente, parce que (d'aprs Aulu-Gelle, 13, 2, 2) il sesentait vieux s'il est n en 220 il avait alors 60 ans

    et qu'il tait depuis longtemps malade. Sa production n'apas t trs abondante ; on ne connat les titres que de douzeou treize pices. Quelques fragments sont assez longs pourdonner une ide favorable de son talent. Nous avons con-serv un beau passage philosophique du Chryses, dcrivantl'ther qui engendre et ramne lui tout ce qui vit et quiest le pre de toute chose, des vers pathtiques du Teucer,o Telamo reproche violemment celui-ci d'avoir aban-donn son frre Ajax et son fils en bas ge, une descriptionpittoresque de la tempte qui a assailli les Achens auretour de Troie. Il y a l de l'lvation, une grande posie,des situations mouvantes. Pacuuius a imit Sophocle etEuripide ; mais de Dulorestes, d'Iliona, de Periboea, deMedus et dVl talanta on ne connat pas les originaux ; c'estsans doute ce qui justifie l'pithte de doctus, que lui don-nent Horace (Epist., 2, 1, 55) et Quintilien (10, I, 97)

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    et qui sera si frquemment applique aux potes de l'poquede Catulle curieux de sources peu connues. La conditionmme du dveloppement de l'art dramatique Romeconduisait fatalement dans cette voie. Comme on se bornait traduire des pices grecques, les sujets s'puisaient etil fallait chercher en dehors du rpertoire courant. Quant son style, Varron (d'aprs Aulu-Gelle, 6 [7], 14, 6) lecaractrise par le mot ubertas, qui d'aprs le contextene peut s'entendre que de l'abondance. En revancheCicron (Brut., 258) lui reproche de mal parler le latin,ce qui vise sans doute les longs mots composs et prten-tieux qu'il a prodigus. Son rpertoire est demeur popu-laire ; on jouait encore ses pices du temps de Cicron,elles taient dans toutes les mmoires, et le peuple auxobsques de Csar frmit sous l'allusion, quand il entenditce vers : Faut-il que j'aie sauv des gens qui devaientm'assassiner ! Perse (Sat. t 1, 77) met en scne un par-tisan fanatique des modernes qui espre que leurs uvresdgoteront de YAntiopa du vieux pote ses admirateurs,ce qui prouve qu'il en existait encore. Martial (10, 90, 6)l'a trait irrespectueusement.Comme Plaute s'tait spcialis dans la comdie, Pacuuius

    s'est confin dans le genre tragique ; une praetexta intitulePaulus (il s'agit probablement de Paul-Emile vainqueur Pydna) s'y rattachait. Il a crit aussi des Saturae, proba-blement dans le got de celles d'Ennius.

    10. La mort de Plaute avait fait disparatre un auteurgnial. Le got de la palliata tait si vif Rome, les repr-sentations qu'en offraient au peuple les magistrats tellementpasses dans les habitudes que le thtre ne chma point.Un Gaulois de la peuplade des Insubres, que les Romainssubjugurent dfinitivement en 194, fut amen Rome

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    prisonnier entre 200 et 194. On le fait natre appsoxima-tivement vers 220. Il s'appelait Statius comme esclaved'un certain Caecilius ; affranchi par son matre, il prit lenom de Caecilius Statius (Aulu-Gelle, 4, 20, 13). Rienne semblait prparer cet Insubre devenir un auteur latincomique clbre Rome. D'aprs saint Jrme (ad annum179) il partagea le domicile d'Ennius et aprs sa mort futenterr prs du Janicule. Si l'on tient compte de l'anecdotequi sera cite plus loin, il vivait encore en 166. Est-ceEnnius qui tourna vers la carrire littraire ce futur succes-seur de Plaute ? Cela n'est pas impossible, quoiqu'Ennius etpeu de got pour la comdie.Saint Jrme place l'poque bril-lante de sa carrire en 1 79, cinq ans aprs la mort de Plaute.S'il a dbut du vivant de Plaute, il ne russit pas, crassans doute par son illustre rival. Aux vers 6 et suiv. du2e prologue de YHecyra, le vieil acteur L. Ambiuius nousapprend que les premires pices de Caecilius, qu'il taitcharg de jouer, tombrent, mais qu'il les reprit et les imposaau public ; c'est donc grce cet acteur que le pote rebutpar la cabale ne s'est pas dcourag. Il acquit une granderputation ; on lui soumettait les pices avant de les accep-ter. Sutone (Vita Terentii) raconte que Trence dut luilire sa premire pice, YAndria et que, bien qu'il se pr-sentt assez pauvrement, Caecilius accueillit l'uvre avec

    faveur ce qui est l'honneur de son got et peut-tredonne une indication sur la nature de son talent. Nousavons de lui plus de quarante titres de comdies il futdonc un auteur fcond ; seize sont imites de Mnandre.Aulu-Gelle (2, 23, 6) a rapproch quelques passages duPlocium de Mnandre de l'imitation de Caecilius, enmettant l'crivain grec trs au-dessus de son adaptateur,quoique celui-ci ne part pas sans mrite, quand on n'avait

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    point le modle sous les yeux. L'inspection des deux textesnous permet de nous faire partiellement une ide de cequ'tait l'adaptation d'une comdie grecque par un auteurlatin. L'original est transpos d'une faon parfois heureuseet comique, mais pour des oreilles moins attiques, et perdde sa finesse. Volcacius Sedigitus, dans son clbre canondes dix comiques latins, met Caecilius au premier rang,jugement qui nous tonne, mais que nous ne pouvons con-trler. Varron (Sat. menip., d. F. Bicheler, 399) dit qu'ill'emporte in argumentis, c'est--dire sans doute dans letraitement du sujet. Trence ne le citant point parmi lespotes qui ont contamin, il s'tait donc abstenu de ceprocd, qui n'allait pas sans inconvnients. Plaute taitpeu soucieux de la rgularit de la composition ; il se peutque Caecilius ait t cet gard plus scrupuleux. Varron(Charis. Grammat. Lai., d. Keil, 1, p. 241) le range parmiles auteurs qui ont russi dans le pathtique, et Horace(Epist., 2, 1, 59) dit qu'il est suprieur grauitatey c'est--dire qu'il avait du poids ; sans doute n'tait-il pas unamuseur comme Plaute. En revanche il n'crivait pas lelatin aussi purement que lui. Cicron cet gard le metdans le mme sac que Pacuuius {Brut., 258) et dclare qu'ilest pour la latinit une mauvaise autorit (Ad Ait., 7,3, 10).

    11. La vogue de la palliata est atteste par le nombredes potes contemporains qui l'ont cultive. De Trabea,qui a excell dans le pathtique (Varron, /. c), Cicron aconserv un passage charmant sur l'accueil agrable quel'argent mnage un amant. P. Licinius mbrex a critune Neaera (Aulu-Gelle, 13, 23, 16). Aquilius passait pourl'auteur d'une Boeotia, que Varron a revendique pourPlaute, cause de son esprit plautinien : Aulu-Gelle (3,

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    3, 4) en cite une protestation spirituelle d'un parasitecontre l'invention des cadrans solaires, qui font attendrel'heure du dner, tandis qu'auparavant c'tait l'estomacseul qui la fixait. Nous ne connaissons Luscius Lanuuinusque par ses polmiques avec Trence : celui-ci lui reprocheson mauvais style, un comique bas, celui de l'esclavepress qui bouscule les passants dans la rue, des chosesridicules, l'hallucination d'un jeune homme qui voit unebiche poursuivie par des chiens fuir et l'implorer de venir son secours. Il faut dplorer la perte de tout ce rpertoiredans lequel, ct de dfauts, nous trouverions peut-trebeaucoup de bien.

    12. P. Terentius Afer mourut en 159. Sutone,son biographe, nous apprend qu'il tait dans sa vingt-cinquime anne quand, aprs avoir donn ses pices,c'est--dire en 160, il partit pour la Grce. Il tait doncn en 185. L'objection que dans ce cas il aurait crit YAndria 1 9 ans est sans valeur ; il a pu tre trs prcoce, et du resteil ne s'agissait que d'une adaptation. Pourtant Fenestellaet Santra le disent plus g que Scipion Emilien n en 1 85et que Laelius, l'an de Scipion. Quoi qu'il en soit, il n'apas connu Plaute mort en 184, et n'a commenc produirequ'aprs la disparition d'Ennius mort en 169. Amen Rome tout jeune, il fut l'esclave du snateur M. TerentiusLucanus, qui l'affranchit et, suivant l'usage, lui donnason nom ; le surnom d'Afer, le Libyen, est sans doute lesobriquet qu'il portait comme esclave, les esclaves dans lamaison romaine tant souvent dsigns d'aprs leur paysd'origine. On ne sait ce qui le dcida s'adonner au thtre,probablement son got. Il n'a cultiv que la paUiata, dontil a laiss dix spcimens. Il semble au premier abord avoirt moins fcond que Plaute, ce qui serait naturel, son cri-

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    ture tant plus soigne et moins improvise : mais ses sixpices se rpartissent sur un espace de six annes et nousignorons ce qui serait advenu, s'il et vcu plus longtemps.Son intelligence et sa prcocit furent sans doute ce quiFintroduisit dans la socit aristocratique, chez ScipionEmilien et chez Laelius, avec lesquels il vcut trs famili-rement. Il fut donc patronn par des protecteurs puissants,qui favorisrent sa carrire littraire. Sa premire pice,YAndria, fut donne en 166 aux jeux Mgalsiens, YHecyraen 165 sans succs, reprise en 160 deux fois et accepteseulement la seconde, YHeautontimorumenos en 163 auxjeux Mgalsiens il se peut que l'insuccs de YHecyraait momentanment dcourag le pote , YEunuchusen 161 aux jeux Mgalsiens, le Phormio la mme anneaux jeux romains, les Adelphoe en 160 aux jeux funbresde Paul-Emile. Trence ne connut qu'un insuccs, celuide YHecyra, qui s'explique par la nature spciale de lapice ; il eut un succs clatant, celui de YEunuchus, quilui rapporta la forte somme, huit mille sesterces. Mais ilfut violemment contest. Un parti, qui avait sa tteLuscius Lanuuinus, prit tche de le faire chouer. Cen'tait sans doute pas une pure cabale, mais une protes-tation contre les nouveauts de son systme dramatique ;on lui reprochait l'emploi de la contaminatio, qui taitirrespectueuse pour le modle et pouvait nuire l'unitde l'intrigue ; on trouvait son style tnu scriptura leui

    ,

    ce qui faisait contraste avec la grauitas de Caecilius et avecl'abondance, le pittoresque, la verdeur de Plaute. Enfin peut-tre surtout pour faire de la peine aux cerclesaristocratiques on insinuait que ses comdies taientcrites en collaboration avec Scipion et Laelius, affirmationsouvent reproduite dans l'antiquit et s'exagrant jusqu'

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    le dpouiller de toute paternit. Contre ce soupon il nepouvait gure se dfendre ; aussi s'est-il born rpondrequ'il le trouvait trs honorable pour lui ; la vrit est sansdoute que ses amis s'intressaient ses travaux et se lesfaisaient lire en lui suggrant parfois des ides de dtailet des corrections. Aprs la reprsentation de YAndria,en 1 60, il quitta Rome, non pas, comme on l'a imagin,pour montrer que cette collaboration ne lui tait pas nces-saire, mais pour faire connaissance plus directe avec cesGrecs qu'il traduisait, chercher une documentation, desmatriaux pour des travaux postrieurs ; ce fut un voyagelittraire, analogue celui qu'entreprit Virgile la fin desa vie. Sur sa mort il y avait plusieurs versions : il auraitpri en mer son retour avec cent huit pices traduitesde Mnandre, ou bien ses bagages seuls auraient pri,et il serait mort lui-mme Stymphale en Arcadie du cha-grin de les avoir perdus et de maladie. Le chiffre de centhuit traductions tonne au premier abord, tant donnqu'il ne resta qu'un an au plus en voyage ; il a peut-tret exagr. Cependant on peut admettre que Trencetait trs travailleur et qu'il voulait se mnager une carrirethtrale bien remplie. Sur sa situation de fortune les ren-seignements diffrent ; le fait que sa fille pousa un chevalierromain montre que ses protecteurs lui avaient assurquelque aisance.Deux de ses pices YHecyra et le Phormio sont des imi-

    tations d'Apollodoros de Karyst, les quatre autres deMnandre. Il eut donc pour Mnandre une prdilection.Son thtre a une couleur trs particulire, et fait contrasteavec celui de Plaute. Trence compose avec soin et critavec puret. Il n'a ni le got ni le sens du gros comique ;il est fin, distingu ; ses personnages sont honntes ; il est

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    toujours de bonne compagnie ; il a le respect des originauxgrecs, dont il tente plus que Plaute de reproduire la phy-sionomie ; il n'insre pas dans ses comdies des traitsromains, qui font disparate; si nous ne devons pas y recon-natre la main de Scipion Emilien et de Laelius, elles nousattestent au moins leur got et leurs prfrences littraires.Il est le pote des lettrs, plus que du peuple. Pour la m-trique, il est moins vari que Plaute : peu de cantica ; lesrythmes iambiques et trochaques lui suffisent ; sa comdieest moins musicale et plus strictement rduite aux moyensd'expression de la posie. Sans lui attribuer toutes les qua-lits, les crivains postrieurs l'ont soigneusement distingude ses prdcesseurs. Afranius disait dans ses Compitalia : Peut-on comparer quelqu'un Trence ? Cicron(Ad Att., 7, 3, 10) vante l'lgance et (dans le Limon)l'agrment de son style ainsi que la douceur de son expres-sion. Csar, dans des vers clbres, l'appelle un demi-Mnandre o dimidiate Menander , reconnat la puretde sa langue et regrette qu'il n'ait pas eu la force comique.Horace (Epist., 2, 1, 59) lui accorde l'art. Quintilien (10,1 , 99) aurait voulu qu'il s'en tnt aux trimtres, qui conve-naient son talent calme et modr. Aulu-Gelle (6, 14, 6)le donne comme le modle du style moyen exemplum...mediocritatis

    .

    Une innovation intressante est la transformation qu'ila fait subir au prologue ; le prologue primitif expliquaitd'avance au spectateur ce qu'il devait savoir pour com-prendre la pice ; Trence a fait tenir ces renseignementsdans la conversation des personnages qui ornent la pice,c'est--dire dans l'exposition, procd d'un art plus raffin,mais qui se heurte parfois des invraisemblances et admetl'usage de personnages protatiques (Andria, Hecyra,

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    Phormio), qui ne reparaissent pas dans la suite. Par cettemodification, il trouvait le moyen de se mnager une tribunepour dvelopper ses principes d'art, rfuter les attaques deses adversaires et prendre contre eux l'offensive. Si l'onsonge que ces prologues n'taient point des prfaces crites,mais taient dbits avant la reprsentation, il faut admettreque les spectateurs taient moins grossiers qu'on ne l'adit ; ils ne s'intressaient pas seulement l'attrait scniqued'une pice, mais des questions de thorie ; il ne leur taitpas indiffrent que dans l'imitation de YAndria de M-nandre, Trence et introduit des traits provenant de laPerinthia du mme crivain ; c'taient des connaisseurs \

    3. LES DERNIERS POETES PRCLASSIQUES.

    Accius, Lucilius, Atta et Afranius (la togata), Pomponiuset Nouius (/atellane), Poetae minores (2e moiti du2e sicle-premires annes du Ier).

    13. L. Accius tait le fils d'un affranchi de la familledes Accii tablis Pisaurum en Ombrie ; c'est l qu'il naquiten 170, un an avant la mort d'Ennius. On ne sait ce quil'amena Rome et le dcida crire des tragdies. D'aprsCicron (Brutus, 229), il en fit jouer une trente ans en140, alors que Pacuuius, g de quatre-vingts ans, en don-nait une autre. Aprs lui il resta le matre de la scne etporta la tragdie romaine son apoge. D'aprs une anec-dote conserve par Aulu-Gelle (13, 2, 2) il eut avec sonillustre prdcesseur d'excellentes relations, alla le visiter

    1 . Le texte de Trence est conserv dans deux recensions, le Bembinus auj. Vaticanta3226, tVe-Vr s., et les mss. Calliopiens, parmi eux les mss. figures. Collations dans l'dit.F. Umpfenbach. Berlin. 1870.

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    au dbut d'un voyage en Asie dans sa retraite Tarenteet lui soumit son Atreus, dans lequel celui-ci trouva deschoses sonores et grandiloquentes, mais d'autres quiavaient besoin d'tre mries ; il rpondit qu'il espraitfaire mieux plus tard. Son ami D. Brutus fit graver de luides pigrammes en saturniens au vestibule de monumentsqu'il avait construits. Il tait peu patient il attaquaun mime qui l'avait nomm sur la scne (Ad Herennium,1 , 24 et 2, 1 9) et le fit condamner ; vaniteux il sefit riger une statue de grande taille, alors qu'il tait fortpetit (Pline, Nat. Hist. t 34, 19) ; entich de son mrite au collge des potes il refusa toujours de se leverdevant Julius Caesar Strabo, auteur comme lui de trag-dies. Il parat avoir t mal avec Lucilius, qui le critiqua.Il vcut au moins jusqu'en 86, puisque Cicron (Brutus,107) put encore causer avec lui.

    C'est le plus fcond des tragiques romains ; on connatde lui environ quarante-cinq pices, dont il reste peuprs sept cents vers. Il a puis dans tous les cycles des l-gendes grecques, de prfrence dans le cycle troyen etimit Sophocle, puis Euripide, enfin Eschyle ; des titresqui se rapportent des auteurs postrieurs, peu connusou mme inconnus, montrent qu'il tait un esprit vaste,dsireux de prsenter ses concitoyens une vue d'ensembledu rpertoire grec. Il avait un vritable temprament tra-gique. Cicron (Pro SesL, 56, 120) le traite de pote depremier ordre ; Horace (Epist., 2, 1 , 56) le juge lev ;Ovide (Am.y 1 , 15, 19) vante son souffle ardent. A l'poquede Cicron ses pices taient encore joues avec succs.En 57, Aesopus en jouant son Eurysaces souleva une dmons-tration en faveur de Cicron exil ; en 44, aprs la mortde Csar, on reprsenta son Atreus. Velleius (1. 17, 1) dit

    3. CARTAULT.

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    que lui et son entourage incarnent la tragdie romaine. Ilse maintint dans la faveur des lettrs jusqu' Snque. Ilavait crit deux praetextae, Decius ou Aeneadae racontantprobablement le sacrifice de P. Decius Mus, Brutus les v-nements de la chute des Tarquins.

    Il s'adonna non seulement la pratique mais la thoriede la posie et l'tude de la langue : dans ses Didascalicail traitait de l'histoire de la posie, principalement drama-tique, dans ses Pragmatica du drame en gnral. Il criviten outre des Annales, des Parerga en rapport avec les "Epyad'Hsiode. Comme grammairien il recommandait de dis-tinguer dans l'criture l'a, l'e et Vu longs en les redoublant,d'crire ci pour i long, gg et gc comme les Grecs, au lieude ng et ne (c'est--dire aggulus, agcora\ Hectora et nonHectorem, forme latinise, de ne pas employer les lettresgrecques y et z.

    14. C. Lucilius est une des figures les plus originalesde la littrature latine. Imbu de culture grecque, il a untemprament nettement italien ; ni avant ni aprs lui onne trouve son pareil. N en 180 Suessa Aurunea, en paysosque, il n'tait pas caris romanus, mais socius latini nominis.Il fit comme chevalier en 134-133 la campagne de Numanceen Espagne et fut camarade de tente de Scipion Emilien,patron des socii. Il tait de grande famille. Son frre, citoyenromain et d'ordre snatorial, eut une fille qui pousa vers108 Cn. Pompeius Strabo et fut mre du grand Pompe.Il possda de grandes proprits. Une maison construitepour le fils d'Antiochus amen Rome comme otage luiappartint (Asconius, Ad Cic. Pison., p. 12, 9, d. Kiessling-Schll). Familier de Scipion Emilien et de Laelius, il vcutavec eux dans une libre amiti (Horace, Sat. 2, 1, 71 etschoi). Pour sa formation intellectuelle il dut beaucoup

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    ces hommes distingus, instruits, orateurs, amis des phi-losophes et de la philosophie. Ce n'est point du dehorsqu'il connut les murs de l'aristocratie. Comme Acciusil fut attaqu sur la scne et poursuivit son adversaireiniuriarurriy mais celui-ci fut absous (Ad Herennium, 2,13, 19).Son temprament caustique le porta vers la satire,

    laquelle il donna un caractre tout diffrent de celui dessatires d'Ennius, recueil de morceaux isols sur diffrentssujets. Il en fit une arme de polmique. Il a laiss trentelivres de satires qui se divisent en trois groupes. Les livres26-30 ont t crits les premiers, probablement du vivantde Scipion et de Laelius ; les livres 26 et 27 sont en sept-naires trochaques ; on trouve ensuite, outre le septnairetrochaque, des snaires ambiques et des hexamtres dac-tyliques ; le livre 30 est en hexamtres, ainsi que les livres1-20 et probablement le livre 21 dont on n'a aucun frag-ment ; les livres 22-25 autant qu'on en peut juger sont endistiques. Lucilius a commenc crire aprs la guerrede Numance, c'est--dire aprs 133, et publi ses livressuccessivement ; les livres 26-30 paraissent avoir t com-poss entre 131 et 129, les livres 1-21 entre 126 et 106 ;Cicron (Brut., 160) nous apprend que Lucilius crivaitencore cette date ; les livres 22-25 paraissent porter surdes sujets trs diffrents de ceux des autres groupes et necontiennent rien qui permette de les dater. En 1 03 Luciliusse retira Naples, pour y trouver un climat plus favorable sa sant, dont il avait se plaindre. Il y mourut en 102ou 101, et on lui fit des funrailles publiques (saint Jrme,ad ann. 102-101), peut-tre Rome o son corps auraitt rapport.Le double mrite de Lucilius a t de donner la satire

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    latine le caractre qu'elle a conserv jusqu' la fin, celuid'une critique mordante contre les vices et les travers dela socit, critique tempre par des considrations moraleset imprgne de philosophie, et, pour la forme, aprs avoiressay le septnaire trochaque, de lui avoir appliqul'hexamtre dactylique, qui est rest son mtre propre.Autant qu'on en peut juger par l'tat fragmentaire, le con-tenu de son uvre tait extrmement vari. Horace ditqu'il s'y peignait comme dans un tableau. Elle abonde eneffet en traits personnels. Il y fait des confidences sur saposie, son public, son besoin d'crire, son aversion pourles genres autres que le genre satirique ; il y parle de latable et de l'amour, de sa matresse Collyra, de son voyageen Campanie, prototype du voyage Brindes d'Horace.Mais surtout il s'attaque aux vices et aux travers de sontemps, aux progrs du luxe et de la superstition. Il atteintune virulence, que ses successeurs ont signale, sans oserla reproduire. Champion des bonnes murs, il flagelleles mauvaises sans reculer devant l'expression crue, sou-vent obscne et les noms propres. Il a donn une dfinitionclbre de la vertu, conserve par Lactance (Instit., 7, 5,2). Admirateur de Scipion, son protecteur, il fltrit lafaction aristocratique qui lui est oppose et poursuit deses railleries et de ses injures les personnages les plushaut placs. On a conserv les noms de ses principalesvictimes, Q, Caecilius Metellus, consul en 143, censeuren 131 et son fils C. Caprarius, prteur en 116, L. CornliusLupus, consul en 156, prince du snat, Q. Mucius Scaeuola,augure, prteur en 121 ou 120, L. Opimius, etc. Il n'a paspargn du reste les gens de condition moyenne et mmele bas peuple. Il s'en prend tous et tout. Indpendam-ment de la satire morale et de la satire politique, il a fait

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    de la satire littraire. Ennemi de l'emphase tragique, il afait le procs de Pacuuius et d'Accius, en exprimant desrserves sur les rformes orthographiques proposes parcelui-ci. Il tait rempli d'orgueil et a proclam le succsde ses posies. Il a dfini trs nettement ses prtentionset sa manire. Repoussant l'enflure pique ou tragique,il se rservait le style moyen. Il rclamait pour lecteursdes gens qui ne fussent ni des ignorants absolus ni dessavants excessifs (Cic, De Or., 2, 6, 25). Exagrant sapense, il dclarait qu'il crivait pour les gens de Tarente,de Cosenza et de Sicile (Cic, De Fin., 1, 3, 7).A l'poque de Cicron il avait conserv une grande rpu-

    tation. Cicron (Ad Paetum, 9, 15, 2) apprcie beaucouple sel de ses plaisanteries ; il le qualifie (De Or., 2, 6, 25)d'homo dodus et perurbanus en entendant par urbanitla perfection de l'esprit romain, beaucoup plus libre quele ntre et bien que dans un autre passage (De Fin., 1 , 3,7) il ne lui accorde que des connaissances peu approfondies doctrina mediocris . Au sicle d'Auguste, Horace,qu'il gnait comme un prdcesseur trop illustre sous lequelon l'crasait, lui reproche l'improvisation lche et lemlange du bon et du mauvais ; mais il a t oblig de reve-nir sur la svrit de son jugement, pour ne pas choquerses admirateurs persistants et convaincus ; il reconnatque les dons naturels du vieux pote sont suprieurs auxsiens propres et lui accorde la finesse, l'esprit, l'urbanit.Au Ier sicle, tout en lui prfrant Horace, Quintilien (10,1, 93) lui attribue une rudition merveilleuse, le franc-parler, le mordant et le sel abondant de la plaisanterie.Tacite (Dial., 23) convient que les tenants du got archaquele mettaient au-dessus d'Horace ; Pline (Nat. Hist., praef.,7) voit en lui le fondateur du style de la posie moqueuse,

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    Aulu-Gelle (6, 14, 6) et Fronton (p. 1 13, d. S. A. Naber)le modle de ce qu'ils appellent gracilitas, c'est--dire lestyle tnu 1 .

    15. Aprs Trence, la palliata tombe en dcadence,soit cause de l'puisement du rpertoire grec, qui n'offraitplus de nouveauts, soit parce qu'il ne se produit plusde potes de talent. On reprend les pices de Trence etde Plaute, que la gnration nouvelle n'avait pas vu jouer.Pourtant quelques noms d'auteurs apparaissent encore.De la biographie de Sext. Turpilius on ne sait qu'une chose,c'est qu'il est mort trs g en 1 03 Sinnessa ; on a de luitreize titres de pices, tous grecs, et un peu plus de deuxcents vers ou fragments de vers. Attilius avait suivant Var-ron (Charis. Gramm. lat., d. Keil, 1, p. 241) ainsi queCaccilius le don du pathtique. Cicron (De Fin., 1, 2,5) rappelle que Licinus l'avait trait d' crivain dur commele fer , mais que c'est pourtant un crivain. Il avait composun M'.Ty-jvo (Cic, Tusc., 4, 11, 25).A ct de la tragdie adapte du grec, Naeuius, Ennius,

    Pacuuius, Accius avaient successivement pratiqu uneespce de tragdie romaine, qui mettait en scne de grandspersonnages romains et des vnements historiques. Maisils n'avaient cultiv la praetexta que comme appoint et enn'en donnant chacun que quelques spcimens ; il fautcroire que le genre n'tait pas viable. Au contraire, ctde la palliata, et surtout aprs elle, se constitua une espcede comdie nationale, la togata ; ce qui la caractrisa, c'estqu'elle mettait en scne des petites gens porteurs de latoge, que la famille romaine y tait reprsente telle qu'elletait, que les rles de femmes y taient plus importantset qu'on n'y voyait plus d'esclaves russ trompant leurs

    1. Fr. Marx, C. Lucilii Carminum reliquiae, Lipsiae, 1904-1905.

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    matres. L'action se passait gnralement dans les petitesvilles italiennes et les personnages taient du peuple.Nous avons environ quatre cent cinquante courts frag-ments et soixante-dix titres se rpartissant entre trois

    potes qui furent trs rapprochs dans le temps. Titinius,de famille plbienne, parat avoir t contemporain deTrence, mais lui avoir survcu et n'avoir crit qu'aprslui. Ses pices taient des tabernariae, c'est--dire qu'ellesfaisaient figurer des boutiquiers. Nous avons quinze titres,noms de mtier Fullonia, de parent Priuigna, gographiquesSetina, Insubra, etc. T. Quinctius Atta mourut Rome en77 (saint Jrme ad hune ann.) et fut enterr au 2e millede la uia Praenestina. Varron (Charis. Gramm. lat., d.Keil, 1, p. 261) observe qu'il est avec Trence etTitiniusl'crivain qui a le mieux rendu le caractre convenant lasituation des personnages ; Fronton (p. 62, d. S. A. Naber)dit qu'il a excell reproduire le langage propre aux femmes.On a de lui une douzaine de titres, Nurus la belle fille,Socrus la belle-mre, Tiro proficiscens, la recrue son dpart.Dans les Aquae Caldae les courtisanes se plaignaient quedans une ville d'eaux les femmes honntes marchassentsur leurs brises : Elles se promnent dans les rueshabilles comme nous et faisant notre mtier. Horace(Epist., 2, 1, 79) constate avec humeur que les pices decet auteur sont encore joues de son temps et qu'il nepeut les critiquer sans soulever l'indignation des gensde la gnration prcdente, qui les ont entendues de labouche d'Aesopus et de Roscius. L'auteur le plus fcondde la togata, le matre du genre fut L. Afranius, nvers 154-144. On a de lui environ quatre cent trente-deux fragments de vers et plus de quarante titres :professions Augur, caractres Prodigus, parent Sorores,

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    Materterae, vnements Diuortium, objets Epistula, ftesCompitalia, etc. On reconstitue hypothtiquement quel-ques intrigues, par exemple celle du Simulans, o ils'agit de corriger un mauvais mari et de le faire rentrerdans le devoir. Velleius (2, 9, 3) le tient pour l'gal dansson genre de Pacuuius et d'Accius dans le leur. Il taitl'admirateur dclar de Mnandre, qui selon lui n'avaitpas son pareil. 11 convient dans ses Compitalia qu'il lui abeaucoup emprunt. Le fait a paru si caractristique queCicron (De Fin., 1 , 3, 7) et Horace (Epist., 2, 1 , 57) l'ontrelev ; il parat donc avoir voulu faire de la togata un genremixte. Il mettait en scne des compatriotes de moyenneou de petite condition engags dans une intrigue de cellesque comportait la vie romaine, mais en s'inspirant le pluspossible de la comdie grecque ; il empruntait donc uneforme d'art trangre et y glissait un contenu national ;il prenait, comme les Grecs, des personnages de la viecourante, mais ces personnages taient les concitoyens desspectateurs et non des personnages exotiques. Quintilien(10, 1, 100), en reconnaissant qu'il a excell dans le genre,lui reproche de l'avoir souill par la peinture de vicescontre nature ; il oublie que ces vices taient alors usuels Rome et le furent dans la suite. Aprs la mort d'Afranius,ses pices restrent la scne. Cicron (Pro Sest., 55, 1 18)nous apprend qu' une reprsentation du Simulans le publicmanifesta en faveur de son rappel en appliquant les parolesd'un canticum Clodius, qui tait parmi les assistants.Sous Nron (Suet., A^ero, 11) on donna YIncendium et onpermit aux acteurs de piller leur profit la maison, quibrlait sur la scne.

    16. Tandis que des novateurs essayaient de donner Rome un thtre national en substituant la togata la

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    palliata, d'autres imprimaient l'atellane un caractrelittraire. Les Osques de Campanie, dous par la natured'un temprament bouffon, avaient une farce d'un carac-tre spcial, qu'ils jouaient dans leur dialecte en l'impro-visant en grande partie et qu'on appelait l'atellane, soitparce qu'elle tait originaire de la petite ville d'Atella,soit parce qu'Atella tait gnralement le lieu de la scne.Ils l'apportrent Rome. Deux crivains de l'poque deSulla, Pomponius et Nouius, eurent l'ide, tout en lui con-servant sa saveur primitive, de lui donner plus de tenueet composrent sous ce nom de petites pices, qu'on jouaitlestement aprs la tragdie pour mettre, avant son dpart,le spectateur en gat. Sur la personne de Pomponius etde Nouius nous ne savons presque rien. Il est probablequ'ils taient contemporains. Saint Jrme (ad annum89) dit que Pomponius flonssait cette date et, commeVelleius (2, 9, 5) lui attribue l'invention du genre, il futsans doute le premier des deux ; en tout cas, ce fut le plusproductif. On a de lui les titres de soixante-dix pices, deNouius les titres de quarante-quatre. Ils mettaient en scneles personnages typiques de l'atellane munis de masquescaractristiques, Maccus le lourdaud glouton, Bucco lesot grand parleur, Pappus le vieillard naf, Dossennus lebossu rus, le savant de la troupe. Le comique consistait prsenter ces types dans les situations ordinaires de lavie, o ils se conduisaient suivant leur originalit propre ;les titres nous apprennent dans quelles aventures on lesfaisait figurer. Pomponius avait un Bucco auctoratus,engag comme gladiateur, un Bucco adoptatus, adoptdans une famille, un Maccus miles> soldat, un Maccussequester, charg d'un dpt, un Maccus uirgo, jeune fille,un Pappus agricola, cultivateur, un Pappus praeteritus,

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    candidat blackboul, une Sponsa Pappi, fianc, etc. ;Nouius avait duo Dossenni, les deux bossus savants, unMaccus copo, aubergiste, un Maccus exul, exil, etc. Natu-rellement, ces bouffons types, on les mettait toute sauce :des titres comme Hercules coactor, Agamemno suppositusne pouvaient introduire que des parodies mythologiques,des titres comme Adelphi, Synephebi des parodies de pal-'liatae, peut-tre de palliatae connues ; d'autres sont em-prunts des conditions sociales, des mtiers ; il y ena qui sont de simples noms d'animaux, Asina, l'nesse,Vacca, la vache, Verres aegrotus, le cochon malade, Verressaluos, le cochon guri. Tout cela devait tre amusant,mais grotesque, populacier. L'atellane fut joue Romejusque sous l'Empire ; elle se prtait des allusions poli-tiques, et Quintihen (6, 3, 47) constate que l'ordure taitson domaine usuel.

    17. La priode qui nous occupe est une priodeen partie d'innovations, en partie de continuation faiblis-sante. Aprs Accius, la tragdie tombe en dcadence. DeC. Titius, orateur et pote tragique, nous ne connaissonsqu'un titre, Protesilaus. Cicron (Brut., 167) dit qu'il atransport dans ses tragdies des traits d'un esprit subtil,mais qui ne convenait gure au genre. Accius se plut faire sentir sa supriorit C. Julius L. f. Caesar Strabo ;celui-ci, n vers 120, tu en 87 par les partisans de Marius,eut une carrire politique et fut grand pontife. Cicron(Brut., 177) dit que comme orateur il manquait de vh-mence, mais qu'il brillait par l'urbanit, l'esprit, la grce,une douceur dpourvue de nerfs qui caractrise son styletragique aussi bien que son style oratoire et (De Oral.,3, 8, 3) qu'il a trait les choses tragiques d'une faon presquecomique, celles qui taient tristes avec agrment, celles

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    qui taient srieuses gament. Il lui manqua donc les qua-lits essentielles du genre ; nous nous acheminons vers latragdie de cabinet.

    L'pope languit. Hostius a compos un Bellum His~tricum : il s'agit sans doute de la guerre de 129, la suite delaquelle C. Sempronius Tuditanus triompha. C'tait unpome de clientle. Les quelques restes tmoignent del'imitation d'Homre et mettent en uvre l'apparat mytho-logique. A. Furius Antias est un auteur d'Annales enonze livres au moins ; il tait connu en 102, puisqueQ. Lutatius Catulus, consul en cette anne, vainqueur desCimbres Vercellae, lui adressa comme un familier l'ou-vrage qu'il avait consacr son consulat.

    Depuis Liuius Andronicus, les Romains ne se lassrentpas de traduire les pomes homriques, sans doute parcequ'il restait toujours faire pour les rendre exactementet que chaque essayiste esprait surpasser ses prdcesseurs.Ninnius Crassus, dont on ignore l'poque, traduisit YIliade.Cn. Matius en fit autant. Ce qui est plus intressant c'estqu'il a latinis un genre secondaire, qui ne l'avait pas encoret, les mimiambes. Depuis la dcouverte en 1890 desmimiambes d'Hrodas, nous savons que c'taient de petitesscnes amusantes de la vie commune ; peut-tre est-ce lesuccs des peintures de la vie familire dans la togata etl'atellane qui l'a engag aller chercher chez les Grecsquelque chose d'analogue. Terentius Maurus (Gramm.lat., d. Keil, 6, 397, v. 2416) prtend qu'il gala Hipponaxson modle et par l'agrment et par l'habilet de la versi-fication.

    L'pigramme littraire imite des Alexandrins, quirsume sous une forme courte et saisissante une pense,un sentiment, a t de bonne heure trs cultive des Romains,

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    puisqu'on en cite des exemples d'Ennius. La vogue dontelle jouit avant Catulle prpare la riche floraison qui s'pa-nouit grce lui et ses amis. Aulu-Gelle (19, 9, 11) ditqu'on ne saurait trouver ni en grec ni en latin rien deplus lgant, de plus agrable, de plus soign que cellesde Valerius Aedituus, Porcius Licinus, Q. Catulus. En fait,on a conserv quelques pigrammes amoureuses qui sonttout fait jolies.Le genre lger avait t cultiv par les Alexandrins sous

    le nom de icaiyv'.a. Laeuius, qui parat avoir vcu au dbutdu Ier sicle ou la fin du prcdent, a crit des Erotopai-gnion libri, divertissements erotiques. Il traitait sur le modeplaisant les sujets de la mythologie grecque. On ne saitsi les Polymetri qu'on cite de lui sont le mme ouvrageou un ouvrage diffrent. Ses fragments prsentent unegrande diversit de mtres, dimtres iambiques, troches,scazons, ttramtres dactyliques, vers phalciens, ioniques

    a maiore et a minore, etc., et des tours de force de versifi-cateur. Porphyrion (Ad Hor. C, 3, 1,2) le donne commele prdcesseur d'Horace dans l'acclimatation Rome desmtres lyriques ; mais c'est plutt Catulle qu'il fait pres-sentir.

    Sueius est un pote assez mystrieux. Macrobe (Sat.,18, 11), qui seul donne exactement son nom, le traited'homme trs savant et cite de lui huit hexamtres d'unton doctoral appartenant une idylle intitule Moretumo l'on voyait un paysan prparer ce mets rustique ; onsait qu'il existe dans YAppendix Vergiliana un pome dumme nom. Ce n'est que par des conjectures trs incer-taines qu'on a essay d'accrotre le bagage littraire dutrs obscur Sueius.Pendant cette priode, les problmes d'histoire et de

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    technique littraires continuent proccuper les potes.Q. Valerius, de Sora sur le Liris, avec qui Varron et Cicronentretiennent des rapports amicaux, s'occupa en vers d'his-toire littraire et de grammaire. Aulu-Gelle (17, 21, 45)cite de Porcius Licinus deux septnaires trochaques d'unebelle allure sur la prise de possession par la Muse grecquedu domaine romain ; Sutone (Vita Terent.) onze sept-naires trochaques qui mentionnent les rapports pluttfcheux de Trence avec ses protecteurs et le peu de profitqu'il en retira. Volcacius Sedigitus, qui parat avoir vcuvers la fin du IIe sicle, crivit un Liber de poetis, dans lequelil faisait de la critique esthtique et jugeait du mrite desauteurs comiques. Ses apprciations, exprimes de la faonla plus cassante, taient fortement subjectives, puisquedans le canon des dix principaux potes de la palliata ilne donne que la seconde place Plaute et la sixime Trence. Si les ouvrages de Porcius Licinus nous taientparvenus, ils nous apprendraient bien des choses, maispeut-tre, au cas o nous pourrions les contrler, y dcou-vririons-nous des erreurs.

  • II. LES POTES CLASSIQUES

    1. LES PREMIERS CLASSIQUES.

    Varron, Cicron, Lucrce, Csar, D. Laberius, PubliliusSyrus, Catulle, Caluus, Cinna, etc., Furius Bibaculus,Varron du Bourg d'Atax, Maecius Tarpa (deux pre-miers tiers du Ier sicle).

    18. Au Ier sicle l'ducation reue chez le gram-mairien universalisa les prtentions la capacit potique.Tous les gens instruits savent faire des vers. Les grandsseigneurs cultivent comme distraction la posie d'amateurs,et les crivains de mtier, dont le domaine propre est laprose, se hasardent dans celui de la posie.M. Terentius Varro, n en 116 Reate dans la Sabine,

    mort en 27, est un esprit encyclopdique, qui s'est incor-por tout ce qu'on savait de son temps. Valre Maxime(8, 7, 3) dit que la quantit de ses crits est aussi remar-quable que le nombre de ses annes. Il a laiss environsix cent vingt livres appartenant soixante-quatorzeouvrages. Il disait dans le 1 er livre de ses Hebdomades qu'ilavait dpass soixante-dix-sept ans et crit jusqu'alorsquatre cent quatre-vingt-dix livres (Aulu-Gelle, 3, 10, 17).L'instrument principal de son activit fut la proi.e ; il apourtant abord aussi la posie. Il a emprunt le cadre deses Saturae Menippeae en 1 50 livres au philosophe cynique

  • LES POTES CLASSIQUES 47

    Menippos de Gadara en Syrie, qui vivait vers 250 et avaitappliqu son esprit sceptique critiquer les philosophes,dans un ouvrage ml de prose et de vers et dont le tontait le ffitouSoyXoiov, c'est--dire qu'il traitait plaisam-ment les choses srieuses. Varron l'avait imit, non traduit(Cic, Acad. post, 1, 2, 8) ; il avait (Aulu-Gelle, 2, 18, 7)rivalis avec lui, c'est--dire que, comme lui, il avait m-lang les vers et la prose, adopt le ton humoristique,mais qu'il exprimait ses ides personnelles sur tout ce quiintressait ses contemporains. On ignore quel rapportil y avait entre la Satire Mnippe de Varron et l'anciennesatura d'Ennius ; mais Quintilien (10, 1, 95), aprs avoirparl de la satire de Lucilius et d'Horace, en distingueun autre genre dont le fondateur est Varron. Celui-ci adonc introduit Rome un genre cultiv par les Grecs,mais qui n'tait pas encore reprsent dans la littraturelatine. En 45 il appelle ses Mnippes uetera nostra (Cic,/. c), ce qui veut dire qu'il les avait commences de bonneheure ; mais il y en avait cette poque qui n'taient pastrs anciennes ; on y trouve une allusion la bataille deThapsus, qui est de 46. Il en subsiste environ six centsfragments et des titres grce auxquels par des conjecturessouvent hasardes on a essay de reconstituer le contenu.En tout cas la varit devait tre trs grande ; c'tait uneimage de l'ensemble de la vie et le rsum de ce qu'enpensait Varron, qui tait un observateur caustique, un pro-vincial trs fidle aux anciennes traditions romaines. Lalangue avait la verdeur populaire, l'esprit tait raliste.L'auteur passait suivant le sujet et suivant sa fantaisie dela prose la posie, et il rsultait de l un mlange savoureux.Parmi ses vers il y en a de trs bien venus et de pittoresques ;c'est un mtricien consomm, qui aime la polymtrie ;

  • 48 LA POSIE LATINE

    le snaire iambique domine, mais on trouve aussi des tro-ches, des scazons, des hexamtres, des distiques, desanapestes, des sotadens, des galiiambes, des hendcasyl-labes, des glyconiques, des crtiques, des bacchiaques.Varron a publi de nombreux ouvrages sur la littrature,un Liber de poetis ; il s'est occup surtout du drame, desreprsentations, de questions techniques comme les masques,de l'authenticit des comdies de Plaute. Ses ImaginumlibriXV ou Hebdomades, composs vers 39, taient un recueilde biographies d'hommes illustres romains et grecs, parmieux des crivains, groups sept par sept de l le titreHebdomades ; il y avait cent hebdomades ; l'autre titre pro-vient de ce que le texte en prose tait illustr par septcents portraits, accompagns chacun d'un elogium en vers.Nous ne savons rien des autres ouvrages potiques deVarron :Pseudotragoediarum /. VI, Poematum l. X, Satirarum l. IV.

    19. M. Tullius Cicero, n en 106, proscrit par lesecond triumvirat et mis mort en 43, fut port vers laposie par l'attrait qu'elle exerce sur les jeunes espritset par la facilit dont il tait dou. Du temps de Plutarque(Cic, 2) subsistait un Glaukos Pontios qu'il avait crit toutenfant. Toute sa vie il a fait des vers ; d'autres motifs ontfortifi son got naturel, la thorie que les exercices po-tiques concouraient la formation du style oratoire, l'am-bition commune tous les Romains d'enrichir le patrimoinenational de tout ce qu'on pouvait imiter ou traduire dugrec. Tout jeune adolescent (De Nat. deor., 2, 204) il adonn des $aiv6[Jieva d'Aratos une traduction dont on aconserv une partie ; plus tard, peut-tre seulement en60, il a traduit les 7cpoyvtoaTlx du mme auteur. Il a insrdans ses ouvrages philosophiques des traductions d'Ho-mre (De Diuin., 2, 63 ; De Fin., 5, 49), d'Eschyle (Tusc.,

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    2, 23), de Sophocle (ibid., 2, 20), etc. Nombreux furent sespomes originaux. Dans le Leimon (== Pratum), titre em-prunt aux Grecs, il traitait de questions littraires ; lesquatre hexamtres conservs vantent la distinction et l'agr-ment de limitation de Mnandre par Trence. Dans leDe Legibus (1, 1, 1) commenc en 52, il est question d'unMarius, dont on ignore la date exacte, pome compos la gloire du grand chef dmocratique, peut-tre pour fairesa cour Csar. 11 s'est servi de sa facilit potique pour seclbrer lui-mme ; d'autres avant lui s'taient adresssdans ce but des potes qu'ils protgeaient ; il a pensqu'on ne pouvait tre mieux servi que par soi-mme ;de l les popes De Consulatu suo en 60, De Temporibusmets, toutes deux en trois livres, dont la dernire taiten 54 soumise au jugement de Csar. En 54 il crivit unpome en l'honneur de Csar vainqueur de la Bretagne.On s'est moqu sous l'Empire avec persistance de la posiecicronienne. Quintilien (11, 1, 24) regrette qu'il ait critdes pomes que la malignit n'a cess de railler. Snque(Controv., 3 ; praef., 8) dclare que l son loquence l'aabandonn, Tacite (DiaL, 21) que Csar et Brutus ont tplus heureux que lui, car s'ils ont crit d'aussi mauvaisvers on les ignore. Juvnal (Sat., 10, 122) a tourn en ridi-cule l'allittration dmode : fortunatam natam... Martial(2, 89, 3) flicite ironiquement un mauvais crivain defaire des vers en dpit des Muses et d'Apollon : Tu ascela de commun avec Cicron , lui dit-il. Ces critiquesparaissent surtout provoques par la manie fcheuse qu'aeue Cicron de composer des vers sa louange. Ceux quenous avons conservs sont de la facture de l'cole qui aprcd celle de Catulle ; ils tmoignent de beaucoup defacilit, et il y en a qui sont bons.

    4. CARTAULT

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    Son frre plus jeune Quintus fut galement un dilettante ;ce que nous savons de lui montre qu'il improvisait et rendsceptique sur la qualit de sa production. Etant en Bre-tagne en 54 il exprime l'intention de composer un pomepique sur l'expdition de Csar ; son frre (Ad Quint, fr.,3, 6, 7) le flicite d'avoir crit quatre tragdies en seize

    iours et lui demande de les lui envoyer. 20. On sait par un passage de Cicron (Ad Quint, /r.,

    2, 9, 3) qu'en 54 Titus Lucretius Carus tait mort. 11mourut donc vraisemblablement en 55 et saint Jrme(ad annum 51) se trompe en le faisant mourir en 51 ;s'il ne s'est pas tromp galement sur son ge, 44 ans,il serait n en 95. On ignore le lieu de sa naissance, ce quin'est pas une raison suffisante pour le faire natre Rome.Suivant saint Jrme, il serait devenu fou la suite del'absorption d'un philtre amoureux, aurait compos quel-ques livres aliquot libros dans les intervalles o ilretrouvait la raison et se serait suicid. On a contestl'exactitude de ces renseignements : la pit a toujoursentour de sombres lgendes les derniers moments deslibres penseurs ; il est difficile d'admettre qu'un pomeaussi vigoureusement raisonn que celui de Lucrce ait tcrit entre des accs de folie ; aliquot libros est une expressiond'un vague ddaigneux bien tonnante pour dsigner unpome qui subsistait du temps de saint Jrme et dontle chiffre des livres tait connu. Quoi qu'il en soit, Lucrcea laiss un pome en six Hvres, De natura rerum, qui estun expos de la doctrine d'Epicure. On a t surpris du choixdu sujet ; mais Cicron (Tusc., 4, 6) nous apprend queC. Amafinius et beaucoup d'autres aprs lui avaient popu-laris cette doctrine, qui avait t accepte dans toutel'Italie; en 45 (Ad fam. y 15, 16, 1) il mentionne la mort

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    de T. Catius, qui l'avait galement propage ; elle taitdonc d'actualit. C'est une preuve de vigueur d'espritque de s'tre attaqu son fondement mme, la physique.Cette physique, qui constituait l'univers par le simple jeudes atomes, dont il tait la rsultante ncessaire, tait trssuprieure aux fantaisies cosmologiques de la mythologieet plus satisfaisante pour la raison que la physique sto-cienne, qui tait de pure imagination. 11 y avait une diffi-cult considrable exprimer les principes de ce systmeen latin, puisqu'il s'agissait de crer une langue philoso-phique qui n'existait pas ; cette difficult a pu attirerLucrce, qui s'est plu la faire ressortir et qui en a triom-ph, puisqu'il n'a conserv que trs peu de mots grecs.Ce qui est admirable, c'est la rigueur scientifique, digned'un moderne, dont il ne s'est jamais dparti, faisanttoujours effort pour ne rien admettre qui ne soit prouv;si l'on rflchit combien ce dvouement la vrit estisol parmi toutes les productions potiques antrieureset contemporaines Rome, on est saisi de respect pourcette nouveaut. Quand Lucrce se trompe et il se trompesouvent il le fait toujours avec logique ; ses erreursproviennent de ce que les mthodes d'observation taientencore dans l'enfance et l'exprimentation ignore. D'autrepart, ce qu'il ne faut pas oublier, c'est que l'expos de laphysique picurienne n'est pour lui qu'un point de dpart ;si cette thorie parat froide, il en tire les consquencesavec une passion qui montre combien il avait l'espritardent et le cur gnreux. Il ressent pour l'humanitune piti autrement profonde et tourmente que celle deVirgile ; il est pouvant des maux sous lesquels elle estaccable ; il se donne tout entier la tche de l'en soulager,et c'est avec un enthousiasme d'aptre qu'il lui rvle le

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    sauveur, qui est Epicure. Ces maux proviennent de lasuperstition et des terreurs de la mort. Les dvots ont tscandaliss de ses attaques contre la religion ; mais ils'agit de la religion romaine avec ses sacrifices dgotantsd'animaux, sa croyance aux prsages, ses pratiques forma-listes bizarres, inintelligibles, les liens dans lesquels elleenserrait l'homme rabaiss ; les dieux qu'il expulse du cieltaient des tres jaloux toujours menaants pour l'hommequi ne se prservait d'eux que par des sacrifices perptuelset par le marchandage indcent de vux qu'il n'accom-plissait qu'une fois reue la faveur demande. Ces rapportsde l'homme avec la divinit taient absurdes et bas et,en montrant la vanit de la religion, Lucrce a accompliune grande uvre de libration. Quant aux affres de lamort il a prtendu les dissiper en dmontrant que la morttait un anantissement total ; ce n'est pas l une perspec-tive rconfortante, et on s'tonne qu'il y ait vu une conso-lation. Mais ici encore il faut se rappeler de quel appareilde tourments et d'horreurs le vulgaire de ses contempo-rains entourait la survie et quelles misres les mortstaient soumis dans les enfers, misres qui n'taient par-gnes qu' un nombre infime d'lus ; c'est en face dunesurvie si effroyable que la destruction complte pouvaitparatre un adoucissement. Le but de Lucrce a t d'arra-cher l'humanit aux supplices d'outre-tombe. En attendantil lui a prch une existence conforme la sagesse picu-rienne : simplicit, innocence, paix du cur non troublepar les passions, rduction des besoins au strict ncessaire,renoncement aux plaisirs factices, satisfaction des exigences

    de la nature, qui sont peu de chose, si on ne les compliquepas. Pour la forme potique style et versification

    Lucrce se rattache l'cole antrieure et ignore les raffi-

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    nements de l'cole de Catulle ; son modle est Ennius.Il a le charme des primitifs qui, ne disposant que d'un ins-trument imparfait, font effort pour lui faire rendre ce qu'ilssentent vivement, ont souvent des trouvailles heureuseset frappent plus fortement que leurs successeurs, servispar une langue plus maniable et une versification pluscorrecte. Quant la nature, Lucrce voit grand ; elle luiapparat dans son ampleur et sa magnificence, et son pitto-resque est souvent plus saissisant que celui de Virgile.Ses hardiesses ont effray ses successeurs, dont beaucoup

    l'imitent sans le nommer. Cicron, qui a t son diteur,et un diteur trs fidle, crit son frre Quintus (2, 9, 3) :Le pome de Lucrce est, comme tu me l'cris, plein d'clairsde gnie c'est l le jugement de Quintus mais iltmoigne aussi pourtant de beaucoup d'art ceci est uneaddition de Cicron lui-mme. Horace, qui l'imite, sur-tout dans ses satires, ne parle pas de lui. Ovide (/4m., 1,15, 27) l'a apprci d'une faon grandiose : Les vers dusublime Lucrce ne priront qu'au jour qui dtruira lemonde. Virgile lui a rendu un bel hommage en le flicitantd'avoir connu les causes des choses et mis sous ses piedsles terreurs de la mort (Georg., II, 489). Stace (Silv., 2,7, 76) a trouv pour le caractriser une expression justeet originale : l'enthousiasme ardu du docte Lucrce. Sous l'Empire il y avait des gens qui le prfraient Virgile(Tac, Dial., 23).

    Il a ddi son pome C. Memmius, ennemi de Csar,puis rconcili avec lui, gouverneur en 58 de Bithynieo il emmena Catulle et Cinna. Il protgeait donc lespotes sans se soucier de leurs tendances littraires. Cicron(Brut., 247) dit qu'il connaissait fond les lettres grecques,mais ddaignait les lettres latines ; il se refusait au travail

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    non seulement de l'expression, mais de la pense. Il n'avaitpas de tendresse pour l'picurisme ; car, possdant unterrain o se trouvaient les ruines de la maison d'Epicure,il refusa de le cder celui qui tait alors le chef de l'cole(Cic, Adfam., 13, 1 ; Af Ait, 5, 11, 6).

    21. C. Julius Caesar, n en 100, mort en 44, grandgnral, grand homme d'Etat, grand orateur, grand crivain,n'accorda naturellement la posie qu'une attention trssecondaire. Pourtant, sacrifiant la mode du jour, il crivitdans sa premire adolescence un loge d'Hercule et unetragdie intitule Oedipe (Sut., JuL> 56). A 44 ans, en 46,il composa un pome intitul Iter, dans lequel il dcrivaitle voyage qu'il fit en vingt-quatre jours de Rome en Espagneultrieure. Pline {Epist., 5, 3, 5) le compte parmi les poteserotiques. Auguste (Sut., /. c.) supprima des essais quipassaient pour trs faibles (Tac, DiaL, 21). Pourtant Su-tone {Vit. Terent.) nous a conserv d'un ouvrage critico-littraire sur la comdie six hexamtre