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Monsieur Philippe Brunel Jean-Luc Schneider La politique publique de financement des entreprises depuis 1980 In: Economie et statistique, N°268-269, 1993. pp. 61-75. Citer ce document / Cite this document : Brunel Philippe, Schneider Jean-Luc. La politique publique de financement des entreprises depuis 1980. In: Economie et statistique, N°268-269, 1993. pp. 61-75. doi : 10.3406/estat.1993.5810 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/estat_0336-1454_1993_num_268_1_5810

La politique publique de financement des entreprises ... · prévisible de ce mode d'intervention des pou voirs publics conduit, compte tenu de l'absence de consensus sur la structure

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Monsieur Philippe BrunelJean-Luc Schneider

La politique publique de financement des entreprises depuis1980In: Economie et statistique, N°268-269, 1993. pp. 61-75.

Citer ce document / Cite this document :

Brunel Philippe, Schneider Jean-Luc. La politique publique de financement des entreprises depuis 1980. In: Economie etstatistique, N°268-269, 1993. pp. 61-75.

doi : 10.3406/estat.1993.5810

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/estat_0336-1454_1993_num_268_1_5810

ResumenLa polîtica publica de financiacion de las empresas desde 1980Con respecta a principios de la década de los ochenta, el Estado interviene mâs ahora sobre el émbitode las empresas y sobre la fiscalidad que mediante subvenciones directas. Sin embargo, cualquieraque sea el instrumenta de intervenciôn, este tiene un impacto sobre la financiacion de las empresas y,por lo tanto, sobre la elecciôn entre deudas y fondos propios.Ya que no hay consenso sobre una estructura de financiacion optima, parece envidiable buscar laneutralidad de la intervenciôn publica. A este respecta, si bien ha mejorado la situaciôn francesa desde1985, la fiscalidad sigue favoreciendo el endeudamiento antes que la autofinanciaciôn y las emisionesde acciones nuevas.La bûsqueda de una mayor neutralidad fiscal puede pasar por unas medidas que atanen tanto alimpuesto sobre sociedades como al impuesto sobre la renta de las personas ffsicas.

AbstractPublic Corporate Financing Policy Since 1980Compared with the early 1980s, the State now intervenes more in the corporate environment andtaxation rather than via direct subsidies. Yet whatever the intervention instrument, the State has animpact on corporate financing and thus on firms' choices between debt and equity capital.In the absence of a consensus on an optimal financing structure, the neutrality of public interventionwould seem to be a fitting aim. However, although the French situation in this regard has improvedsince 1985, the tax system continues to favour indebtedness over self-financing and new share issues.The move to attain greater tax neutrality could involve measures concerning corporation tax andpersonal income tax alike.

ZusammenfassungDie Politik des Staates bei der Unternehmensfinanzierung seit 1980Im Vergleich zu Anfang der achtziger Jahre greift der Staat heute mehr durch das Steuerwesen alsdurch direkte Subventionen in das wirtschaftliche Umfeld der Unternehmen ein. Unabhângig von der Artdes Interventions- mittels hat dieses eine Auswirkung auf die Finanzierung der Unternehmen und somitauf ihre Wahl zwischen Verschuldung und Eigenfinanzierung.In Ermangelung eines Konsens hinsichtlich der optimalen Finanzierungsstruktur scheint die Neutralitâtdes staatlichen Eingriffs ein wùnschenswertes Ziel zu sein.Wenn sich auch die franzôsische Situation seit 1985 in dieser Hinsicht verbessert hat, begùnstigt dasSteuerwesen jedoch auch weiterhin die Verschuldung gegen- ùber der Eigenfinanzierung und derAusgabe neuer Aktien.Die Gewàhrleistung einer grôBeren Steuerneutralitàt kann durch MaBnahmen erreicht werden, die sichsowohl auf die Kôrperschaftsteuer wie auch auf die Einkommen- steuer beziehen.

RésuméLa politique publique de financement des entreprises depuis 1980Par rapport au début des années quatre-vingt, l'État intervient davantage sur l'environnement desentreprises et sur la fiscalité que par des subventions directes. Toutefois, quel que soit l'instrument del'intervention, celui-ci a un impact sur le financement des entreprises et donc leur choix entre dettes etfonds propres.En l'absence de consensus sur une structure de financement optimale, la neutralité de l'interventionpublique pourraît être un objectif souhaitable. À cet égard, si la situation française s'est amélioréedepuis 1 985, la fiscalité continue de favoriser l'endettement par rapport à l'autofinancement et àl'émission d'actions nouvelles.La poursuite d'une plus grande neutralité fiscale peut passer par des mesures relatives aussi bien àl'impôt sur les sociétés qu'à l'impôt sur le revenu des personnes physiques.

ENTREPRISES

La politique publique

de financement des entreprises

depuis 1980

Philippe Par rapport au début des années quatre-vingt, l'État intervient davantage sur Brunei et l'environnement des entreprises et sur la fiscalité que par des subventions directes. Jean-Luc Toutefois, quel que soit l'instrument de l'intervention, celui-ci a un impact sur le Schneider* financement des entreprises et donc leur choix entre dettes et fonds propres. En l'absence de consensus sur une structure de financement optimale, la neutralité de l'intervention publique paraît être un objectif souhaitable. À cet égard, si la situation française s'est améliorée depuis 1985, la fiscalité continue défavoriser l'endettement par rapport à l'autofinancement et à l'émission d'actions nouvelles. La poursuite d'une plus grande neutralité fiscale peut passer par des mesures relatives aussi bien à l'impôt sur les sociétés qu 'à l'impôt sur le revenu des personnes physiques.

*Au moment de la rédaction de cet article, Philippe Brunei, administrateur civil, faisait partie du bureau de l'Industrie de la direction de la Prévision, Jean-Luc Schneider, administrateur Insee, était membre du bureau des Études fiscales de cette même direction.

Depuis 1980, la politique en faveur des entreprises françaises a connu deux orienta

tions : la première tendait à engager des actions sectorielles sous forme d'aides directes et de subventions ; la seconde conduit à une action sur l'environnement des entreprises, principalement sous forme de mesures fiscales.

Cette inflexion traduit un renouvellement de la politique industrielle, allant d'une attitude défensive sous forme de restructurations à une intervention au contenu plus positif, où les entreprises, confortées par une politique macro-économique et structurelle favorable, deviennent plus compétitives. Dans ce cadre, l'allégement et la modernisation de la fiscalité des entreprises ont tenu un rôle essentiel.

Que ce soit sous forme d'aides ou de mesures fiscales en faveur des entreprises, l'intervention de l'État a des conséquences sur leur mode de financement, sur le partage entre la dette et les fonds

propres. L'accent mis désormais sur l'environnement fiscal des entreprises commande que cet impact soit évalué et quantifié ; la poursuite prévisible de ce mode d'intervention des pouvoirs publics conduit, compte tenu de l'absence de consensus sur la structure de financement optimale, à préciser ce que signifie la neutralité fiscale et à décrire les différents moyens de l'approcher, sinon de l'atteindre.

L'évolution de l'intervention de l'État en faveur des entreprises au cours des années quatre- vingt

D'une politique sectorielle...

Dans le prolongement des actions menées depuis les années soixante (cf. par exemple, le plan calcul), celles du début des années quatre- vingt, engagées

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1. Voir les travaux de F. Gagey et E. Asmussen, notamment la thèse de ce dernier : « Démographie industrielle et barrières à la mobilité ».

au nom du « renforcement des structures industrielles », ont pris la forme de plans sectoriels (au profit du meuble, du cuir, du jouet, du textile-habillement et de la machine-outil), de restructurations dans la construction navale, la sidérurgie et la chimie, et ont visé à la constitution d'une filière électronique. Elles illustraient une politique industrielle au profit de secteurs en crise, en voie de reconversion (sidérurgie, construction navale) ou de secteurs porteurs dans lesquels la France était menacée (électronique).

Cette politique s'est accompagnée en 1982 d'une série de nationalisations faisant entrer dans le secteur public cinq groupes industriels (CGE, Saint-Gobain, Péchiney-Ugine-Kuhlman, Rhône- Poulenc et Thomson-Brandt), trente-neuf banques et deux compagnies financières.

Cette période se caractérise également par la permanence d'un dispositif fiscal au profit de l'investissement, sous forme de crédit impôt, institué dès 1982. L'investissement était également puissamment soutenu à travers différents dispositifs de bonification d'intérêt, notamment en faveur de l'équipement en machines-outils, de la robotisation ou des exportations, qui constituaient l'essentiel de la politique publique de financement des entreprises.

Cette politique industrielle a d'abord subi la remise en cause généralisée de l'État du début des années quatre-vingt. Des considérations pratiques ont également alimenté la critique des actions sectorielles de l'État. À cet égard, il convient de constater la perte de signification de la notion même de secteur. Ainsi, les processus de production, en particulier industriels, sont désormais éclatés et le fabricant final du produit peut ne lui apporter qu'une faible part de sa valeur ajoutée. De plus, il est apparu qu'au sein d'un même secteur des entreprises sont foncièrement hétérogènes, tant en ce qui concerne leurs caractéristiques que leurs performances. Les disparités intrasectorielles tendent à dépasser les disparités intersectorielles, et ce jusqu'à un niveau détaillé de nomenclature d'activité (1).

Enfin, la conduite de ces politiques sectorielles a été affaiblie par des critiques de l'OCDE (qui souhaite un désarmement général des subventions et conduit à cette fin un exercice d'évaluation « des aides gouvernementales à l'industrie »), du Gatt (qui assimile les politiques publiques d'intervention en faveur des entreprises à des entraves à la libre concurrence et au commerce international), et surtout de la Commission européenne.

Sur la base des articles 92 et 93 du traité de Rome, qui lui ont confié la vérification de la compatibilité des aides accordées par les États avec le respect des règles de la concurrence, la Commission est intervenue pour contrôler et encadrer les aides nationales à l'industrie. Elle a admis une légitimité très limitée aux politiques sectorielles : elles ne doivent être que des exceptions à un régime de prohibition de toute forme d'aide nationale. D'autre part, l'idée dominante de la doctrine forgée par la Commission en la matière est que les interventions sectorielles doivent être réservées aux cas où la situation de l'industrie concernée les rend nécessaires (elle a ainsi approuvé les régimes d'aides à la construction navale, à l'horlogerie, au textile-habillement), en vue de favoriser l'acceptation sociale des restructurations.

Dans la pratique, cela signifie que sont interdites les interventions dans les secteurs prospères et que la politique sectorielle n'est licite, aux yeux de la Commission, que comme accompagnement d'un secteur en déclin.

Par ailleurs, les principales modalités d'application (bonification d'intérêt et crédit impôt-investissement) de cette politique ont également subi certaines critiques directes.

En premier lieu, on a pu avancer qu'elles ne conduisent qu'à une modification du calendrier de l'investissement des entreprises, sans en augmenter le volume sur plusieurs années. En effet, elles n'affectent pas les déterminants essentiels de l'investissement des entreprises - la demande anticipée et le profit. Dès lors, les entreprises réalisent plus tôt des projets qu'elles avaient programmés, pour bénéficier de l'aide fiscale, mais ne considèrent pas que le volume de leur investissement à moyen terme doive être modifié. S'il en est bien ainsi, la relance de l'investissement par un crédit impôt - ou une bonification d'intérêt - est inefficace, puisque, à moyen terme, ses effets sur la croissance et l'emploi sont faibles, malgré un coût budgétaire important. Ces critiques ont été, par exemple, entendues en France, quand a été fait le bilan des mesures prises en 1975.

De plus, le fait pour l'État de mettre en œuvre ce type de mesures est susceptible d'impliquer une perte d'efficacité au creux du cycle suivant, les entreprises pouvant avoir intérêt à demander et à attendre une nouvelle aide avant d'investir, afin de bénéficier de cette aubaine fiscale.

Enfin, les mesures d'aide à l'investissement ont pu être dénoncées pour les distorsions qu'elles créeraient dans l'allocation du capital. En effet,

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comme elles modifient le prix relatif des facteurs de production, elles accroissent la substitution de capital au travail et, in fine, conduisent à retenir une combinaison productive relativement plus riche en capital, moins riche en travail, ce qui peut se révéler contradictoire avec la lutte contre le chômage, tout en constituant un gaspillage du capital, ressource rare. Cet argument a été de plus en plus entendu au cours des années quatre-vingt, par exemple en Grande-Bretagne.

C'est pourquoi les mesures environnementales, qui présentent l'avantage d'être neutres quant aux secteurs et aux structures industrielles, ont été de plus en plus préférées : elles laissent aux entreprises le soin de prendre la décision la meilleure pour leur développement, sans préjuger de la nature de cette décision (investir ou embaucher, acheter des brevets, améliorer un réseau commercial...).

... à une politique environnementale

Cette évolution est visible dans la décroissance, régulière depuis 1986, des masses budgétaires de l'État allouées aux bonifications des prêts aux entreprises (cf. tableau 1).

Des 117 procédures de bonification de prêts ayant existé, il n'en reste plus aujourd'hui que trois : au profit de l'agriculture, de l'artisanat et des entreprises implantées en Corse. Toutefois, il ne faut pas ignorer le basculement du mécanisme de bonification des dispositifs ainsi chiffrés vers celui du Codevi, où le coût pour l'État n'a plus de trace budgétaire directe, mais indirecte, à travers l'exonération fiscale consentie aux particuliers pour

compenser la moindre rémunération perçue sur leurs dépôts.

L'instauration d'un environnement favorable au développement des entreprises et à la diminution de leurs charges s'est d'abord faite par l'allégement et la modernisation de leur fiscalité.

Au premier rang des mesures d'allégement fiscal figure l'abaissement successif du taux de l'impôt sur les sociétés, passé progressivement de 50 % en 1985 à 33,33 % en 1993, et qui constitue une baisse de ressources pour l'État, aussi variable que les bénéfices des sociétés, de l'ordre de 50 milliards de francs par an. À titre de comparaison, le montant alloué aux interventions du ministère de l'Industrie était de 17,5 milliards de francs en 1993. Cette forte baisse de la fiscalité des sociétés a été sans équivalent chez nos principaux partenaires. En outre, le plafond de la taxe professionnelle a été régulièrement abaissé : en 1985, abaissement du plafond de l'impôt de 6 à 5 % de la valeur ajoutée ; en 1987, réduction de la base de l'impôt ; plafonnement de la taxe à 4,5 % de la VA en 1989 ; à 4 % en 1991 et 3,5 % en 1992.

La modernisation de la fiscalité s'est traduite par la création, en 1983, du crédit impôt-recherche et du crédit impôt-formation en 1988 (cf. tableau 2).

Ensuite, les contours et la gestion du secteur public ont évolué à partir de 1986. Outre les privatisations de 1986-1987, qui concernaient, à l'origine, 65 entreprises et établissements financiers, dont Saint-Gobain, Paribas, le CCF, la Société générale, Suez, la CGE, TF1 et Havas, les mouvements naturels de « respiration » ont

Tableau 1 Évolution des masses budgétaires de l'État allouées aux bonifications des prêts aux entreprises

En milliards de francs constants (francs 1 991 ) 1981 6,8

1982 6,4

1983 6,9

1984 8,3

1985 3,5(1)

1986 5,6

1987 4,2

1988 4,0

1989 3,4

1990 3,5

1991 2,7

1. Cette baisse correspond à une modification des taux de bonification, annulée dès l'année suivante. Source : Loi de finances.

Tableau 2 Dépenses fiscales au titre des crédits impôt-recherche et impôt-formation

En milliards de francs

Crédit impôt-recherche Crédit impôt-formation

1983 0,4

1984 0,5

1985 1,3

1986 1,4

1987 2,3

1988 2,2 0,5

1989 2,3 0,5

1990 2,4 0,4

1991 3,8(1) 0,5

1992 4(1) n.d.

1. Estimations, direction de la Prévision. Source : Loi de finances.

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modifié les contours du secteur public. Ceux-ci correspondent à l'activité de toute entreprise : rachats, créations, fusions, absorptions et ventes. En outre, le décret du 8 avril 1991 autorisait une association élargie des actionnaires privés au capital des entreprises publiques jusqu'à hauteur de 49 % du capital, et a ainsi entériné et étendu les pratiques antérieures, qui s'étaient notamment traduites par un échange de participations entre Volvo et Renault. D'autre part, l'État a pu esquisser l'apparition de structures conglomérales, en mettant en place des participations croisées essentiellement entre entreprises publiques et institutions financières ou bancaires.

Enfin, l'amélioration du financement des entreprises s'est faite grâce au développement des marchés et à la création de nouveaux instruments financiers. Depuis le début des années quatre- vingt, les pouvoirs publics s'étaient efforcés d'accroître l'épargne financière et de l'inciter à s'orienter vers l'investissement productif. Ainsi avaient été créés ou développés des instruments permettant de renforcer les apports en fonds propres aux entreprises : actions à dividende prioritaire sans droit de vote, certificats d'investissement, titres participatifs, fonds communs de placement à risque, compte d'épargne en actions, ouverture d'un second marché boursier, développement des fonds de garantie grâce à la création de la Sofaris. Toutefois, 1985 a marqué une accélération de la mutation de la politique publique de financement des entreprises : la réforme du marché financier était complétée pour améliorer les conditions de financement des entreprises. L'enveloppe budgétaire des prêts bonifiés était divisée par deux, leur distribution était banalisée, seuls les prêts bonifiés aux PME étant maintenus. Les entreprises disposent désormais de nouveaux instruments financiers comme les billets de trésorerie, la création du Matif. Cette réorientation de la politique publique est confirmée en 1986, avec la suppression du Fonds industriel de modernisation et l'affectation des ressources Codevi aux seules PME.

L'apparition d'une action spécifique au profit des PME

Un important volet PME-PMI s'est développé, cette évolution s 'étant renforcée depuis

1992. Ainsi, les mesures spécifiques aux petites et moyennes entreprises ont eu un impact budgétaire de 50 millions de francs en 199 1 , de 4,8 milliards en 1992 et de 11,7 milliards en 1993.

La légitimité de l'action des pouvoirs publics en faveur des PME peut cependant ne pas paraître a priori évidente. En effet, il revient aux entreprises de déterminer leur taille optimale, petite ou grande, et d'arbitrer entre les avantages et les inconvénients liés à une croissance de leur taille, si elle se révèle nécessaire. Un tel accroissement permet de devenir globalement plus efficace grâce, par exemple, à d'éventuelles économies d'échelle. Mais des inconvénients existent également. Une fois qu'elles ont défini leur optimum de taille, il ne serait pas légitime de compenser les inconvénients des choix des entreprises, alors qu'elles en retirent, par ailleurs, tous les bénéfices.

Il est cependant exact que l'acquisition de la taille optimale n'est pas immédiate et qu'il existe donc une place pour une action transitoire de l'État. Toutefois, celle-ci serait de toute évidence délicate. La somme d'informations nécessaire à une telle action est hors de portée des pouvoirs publics.

D'autre part, si les marchés financiers ont bien été libéralisés, le domaine où des imperfections perdurent est plutôt celui des PME, pour lesquelles l'accès aux marchés et, plus simplement, à l'information ne va pas de soi. Ainsi, les PME subissent, plus que les grandes entreprises, un rationnement plus contraignant de la part des apporteurs en fonds propres aussi bien que des banquiers, en raison de problèmes d'asymétrie et de coût de collecte de l'information.

Dans le domaine bancaire, l'État doit se limiter à assurer la concurrence, à inciter les PME à la faire jouer et à suggérer à leurs organismes professionnels de former et d'informer leurs membres en matière de gestion financière. S' agissant du marché des capitaux, l'action publique bute sur une limite : celle liée à la volonté de certains dirigeants, notamment de PME, de ne pas faire évoluer le capital de leur société pour ne pas en perdre le contrôle. En effet, une majorité de chefs d'entreprises juge le niveau de leurs fonds propres insuffisant, mais refusent d'ouvrir leur capital à des tiers (2). La possible confusion chez les enquêtes entre la notion de fonds propres et celle de capital contrôlé les amènerait à limiter l'appel aux fonds propres externes pour ne pas voir entamé leur pouvoir sur l'entreprise. Il ne serait pas, alors, légitime qu'une aide de l'État soit réclamée pour compenser les inconvénients d'un choix individuel, même s'il est collectivement inefficace.

2. Ce résultat, important, figure dans le rapport du Conseil national du crédit, Le financement de la très petite entreprise, novembre 1992.

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D'ailleurs, les demandes traditionnelles des PME en matière de conditions de financement s'articulent autour de deux problèmes structurels qui sont loin d'être avérés :

- l'insuffisance de fonds propres : si la structure de bilan médiane des PME apparaît un peu moins favorable que celle des grandes entreprises, l'écart n'est cependant pas significatif, en raison de la très forte dispersion des ratios dettes/fonds propres à l'intérieur même des tranches de tailles. Les entreprises en difficulté à la suite d'un niveau d'endettement trop élevé ne doivent pas être recherchées systématiquement dans une opposition PME/grandes entreprises. Si le problème du surendettement affecte plus les PME, il ne concerne néanmoins, qu'une fraction d'entre elles ;

- le taux d'intérêt : l'enquête semestrielle de trésorerie dans l'industrie, effectuée par l'Insee, permet de comparer les conditions de financement, bancaires et non bancaires, des PMI et des grandes entreprises. Elle indique que l'écart des taux d'intérêt à moyen/long terme entre PMI et grandes entreprises est très faible ; de ce fait, elles peuvent investir dans des conditions de financement comparables. En revanche, dès lors qu'apparaissent des difficultés de trésorerie, les PMI sont dans une situation relativement plus défavorable que les entreprises de grande taille. Cela s'explique par le fait que les grandes entreprises ont une alternative au financement bancaire à court terme : les marchés financiers, dont l'accès leur est, de fait, réservé.

Au total, la justification de l'engagement important et renouvelé des pouvoirs publics en faveur des PME ne peut être entièrement trouvée dans une compensation des difficultés attachées à leur taille. Dès lors, d'autres arguments doivent être envisagés.

Le premier motif de l'engagement de l'État en faveur des PME semble relever de leur participation à l'aménagement du territoire, due à leur nombre, et de leur forte dispersion sur l'ensemble du territoire national. Ce type d'intervention suppose un bilan coûts/avantages destiné à mettre en regard le coût d'une politique d'aménagement du territoire (en termes de subventions, d'incitations fiscales...) et les coûts de congestion/surcoûts d'infrastructures que celle-ci est destinée à éviter.

Le deuxième argument est celui d'une action en faveur des PME au nom des créations d'emplois. En fait, les aides à la création d'emplois, dont peuvent bénéficier les PME, ne leur sont pas structurellement destinées. En effet, dans la

sure où elles sont les plus nombreuses, où une entreprise nouvellement créée - et, de ce fait, créatrice d'emplois - est rarement d'emblée une entreprise de grande taille, et où les grandes entreprises ont plutôt procédé, au cours des dernières années, à d'importantes restructurations, il n'est pas étonnant que les créations d'emplois aient lieu dans les PME et que les aides afférentes leur profitent essentiellement. Par conséquent, les aides à la création d'emplois touchent les PME pour des raisons de démographie d'entreprises et non en raison S'a priori.

Néanmoins, des actions spécifiques pourraient être envisagées, au profit des PME, en matière d'embauché, dans la mesure où elles rencontrent des difficultés particulières : problèmes d'accès aux marchés du travail et de coût d'information, moindre intérêt des salariés pour un emploi dans une PME qui ne peut, même à salaire égal, offrir la même carrière qu'une grande entreprise...

Les fondements de l'intervention de l'État

La question se pose de savoir quelles sont les justifications qui, aujourd'hui, peu

vent sous-tendre l'action de l'État au profit des entreprises. À cet égard, cinq motifs principaux peuvent être évoqués : la présence d'ex- ternalités, l'existence de secteurs stratégiques, le maintien d'une certaine diversité de la production, la correction des imperfections du marché ou le désir de mener une politique publique stratégique.

Corriger les imperfections du marché

Des externalités liées à des imperfections et défaillances du marché apparaissent lorsque l'action d'une entreprise a un impact positif sur le reste de l'économie et qu'une partie des bénéfices attendus de cette action ne peut être appropriée par l'entreprise qui l'a engagée. Sans intervention de l'État, l'équilibre de marché se fixe alors à un niveau trop faible, les entreprises renonçant à une partie de leurs projets parce qu'elles ne peuvent récupérer l'intégralité des bénéfices de leur investissement. Dans ce cas, l'État est légitimé à compenser l'écart entre le rendement privé et le rendement social de ces projets. Traditionnellement, la recherche-développement et la formation constituent les deux principales sources d' externalités positives. L'État intervient en matière de

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recherche-développement à travers des subventions et le crédit impôt-recherche, créé en 1983, et, en matière de formation, avec le crédit impôt- formation, institué en 1988.

L'existence d'asymétries d'informations entre emprunteurs et prêteurs et le phénomène de « sélection adverse », qui traduit le fait qu'un entrepreneur finance sur fonds propres ses meilleurs projets d'investissement et ne fasse appel au crédit que pour ses plus mauvais risques, conduisent les prêteurs à majorer leurs primes de risque. Dès lors, en raison de ces deux imperfections des marchés financiers, l'État peut être appelé à organiser une socialisation minimale des risques, notamment pour des secteurs innovants où le niveau des risques encourus et l'information incomplète tendent à limiter l'horizon temporel et à réduire le flux de financement socialement souhaitable. Dans ce cas de figure, un des instruments privilégiés d'action de l'État est l'attribution d'aides fiscales aux sociétés de capital-risque.

Protéger les secteurs stratégiques

Un secteur stratégique peut être un secteur où il y a menace de position dominante étrangère. L'existence d'un monopole se traduirait non seulement par l'obtention d'une rente au détriment des consommateurs, mais aussi par un transfert de cette rente des pays consommateurs vers le pays du producteur. Les États n' ayant a priori pas de producteur dans un secteur peuvent, de ce fait, intervenir pour empêcher la constitution au niveau mondial d'un monopole ou d'un cartel dont ils ne font pas partie. Toutefois, les théoriciens du monopole contestable suggèrent que les économies d'échelle et les situations de monopole ne constituent plus, aujourd'hui, une raison suffisante pour justifier l'intervention de l'État. Il suffirait de veiller à ce que les barrières à l'entrée et à la sortie ne soient pas trop élevées pour que se développe une concurrence virtuelle suffisante pour réguler les marges du monopoleur. Notamment, l'exigence d'un coût fixe de départ élevé ne serait pas intrinsèquement une barrière à l'entrée, les progrès des marchés financiers permettant normalement de financer l'entrée sur un marché si elle est profitable, quel que soit le montant requis. Cependant, si les barrières à l'entrée de nature financière ont pu s'estomper, il en demeure d'autres, de nature technique ou institutionnelle, qui viennent diminuer la contestabilité des monopoles et, de ce fait, limiter la portée pratique de cette réflexion théorique. Pour cette raison, la place pour une intervention de l'État ne se réduit pas à néant.

Un secteur stratégique peut aussi être un secteur où existent des externalités positives : pour certains produits (les composants électroniques, par exemple), une coopération entre le vendeur et l'acheteur permet une meilleure utilisation, ou permet de diffuser une technique qu'il incorpore. Le risque est de voir tous les produits être candidats au label « stratégique ». Le fait d'incorporer de la technique de pointe ne suffit pas ; il faut encore que toute l'information liée à cette technique ne soit contenue ni dans le produit ni dans son mode d'emploi. En fait, il ne s'agit pas ici de produits finis mais plutôt de biens situés en amont du processus de production, dont la technique de production est parfois qualifiée de « diffusante », sa disponibilité conditionnant la compétitivité de plusieurs secteurs en aval.

À cet égard, trois solutions sont possibles. Tout d'abord, le marché peut répondre spontanément à ce besoin par l'intégration verticale des entreprises (qui a d'autres inconvénients, notamment en termes de concurrence). S'il ne le fait pas, l'État peut susciter la création de « filières » permettant d'exploiter au mieux les externalités positives amont-aval. À un stade moins avancé, il pourra simplement veiller à ce que le produit en question soit fabriqué nationalement, pour que les acheteurs nationaux aient un accès plus facile à l'information qui l'accompagne. Le secteur qui le fabrique sera qualifié de stratégique, et protégé. À un stade moins avancé encore, s'il n'est pas indispensable que le bien soit produit nationalement, mais plutôt que le pays maîtrise les techniques nécessaires à sa fabrication, le strict minimum consistera à mener une veille technologique, étendue à la fabrication.

Enfin, sont stratégiques des secteurs qui répondent à des préoccupations de défense nationale, notamment ceux qui sont centrés autour de l'arme nucléaire et de ses vecteurs, pour lesquels l'exigence d'une technique nationale et secrète est gage d'efficacité militaire et qui ne peuvent, en raison des risques de dissémination, faire l'objet d'une valorisation par exportation.

Maintenir la diversité de la production

Au niveau d'un pays et en l'absence de prise en compte du risque, l'objectif de la politique industrielle est d'optimiser la richesse produite. S'il y a une incertitude forte sur le résultat final parce que les conditions techniques et les dotations en facteurs du pays se modifient rapidement, on peut préférer un environnement plus stable avec en contrepartie un peu moins de richesse produite.

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3. Helpman E. et Krug- man PR. (1989), Market Structure and Foreign Trade: Increasing Returns, Imperfect Competition and International Competition, MIT Press, Cambridge, Massachussets.

La réduction du risque peut alors passer par une spécialisation nationale sélective. Plusieurs conditions doivent être remplies pour qu'une politique industrielle visant à freiner la spécialisation soit admissible : le pays doit être petit, la tendance naturelle à la spécialisation prononcée et les mécanismes d'assurance imparfaits.

Au niveau d'un marché, la structure d'offre peut se caractériser par d'importantes économies d'échelle et d'apprentissage, susceptibles de favoriser un degré élevé de concentration. Quant à la demande, la faible élasticité au prix, l'absence de substituts proches, une forte différenciation des produits peuvent amener une fragmentation du marché et l'émergence de situations de dépendance. Dans ce cas de figure, l'intervention de l'État, visant à maintenir un niveau minimal de concurrence pour le bien concerné, est susceptible d'avoir un coût élevé. Elle ne se justifie que dans la mesure où le montant des aides accordées demeure inférieur au surcoût que subirait l'ensemble des agents économiques, du fait de la constitution d'un monopole.

Jouer des imperfections de la concurrence internationale

E. Helpman et P.R. Krugman (3) ont montré que des États peuvent conduire des politiques commerciales stratégiques en supportant certains risques et coûts irrécupérables, en établissant des barrières douanières, tarifaires comme non tarifaires..., et destinées à donner un avantage, même temporaire, à leurs producteurs nationaux sur leur marché intérieur, afin qu'ils puissent affronter dans les meilleures conditions la concurrence internationale. Ces travaux traduisent ainsi un renouvellement de la théorie des avantages comparatifs, qui ne reposent pas uniquement sur des dotations naturelles ou exogènes mais résultent aussi de politiques délibérées.

Mais une politique publique stratégique ne comporte pas que des avantages, de sorte que la prise en compte de ses coûts vient réduire son efficacité et sa pertinence. Trois inconvénients majeurs ont été mis en avant : le premier concerne l'information imparfaite à la disposition de l'État, ce qui ne lui donne pas un avantage décisif par rapport aux acteurs privés pour discerner les secteurs stratégiques de ceux qui ne méritent pas ce label. Le deuxième est que les politiques publiques stratégiques encouragent l'activisme des chercheurs de rente, qui essaient de capter le maximum du surplus des consommateurs, ce qui se traduit par

des distorsions dans l'allocation optimale des ressources. Enfin, il existe un risque de réactions des gouvernements étrangers. En pratique, le comportement des États oscille entre la volonté de supprimer les aides afin d'éviter une surenchère et un gaspillage des ressources, et la réticence à leur réduction trop rapide et unilatérale, pour ne pas désavantager leurs entreprises, mais aussi par crainte du comportement de « passager clandestin » que certains États pourraient être tentés d'adopter et qui consisterait à désarmer moins vite que les autres leur dispositif de subventions.

Fiscalité et structure financière des entreprises

L'examen de l'impact de la fiscalité sur les modes de financement de l'entreprise n'ap

paraît que rarement au cours des débats sur les réformes de la fiscalité. Pourtant, au moins historiquement, les premières explications théoriques des choix de financement des entreprises ont mis l'accent sur l'importance de la fiscalité. Si la r

echerche économique a ensuite insisté davantage sur d'autres explications, elle ne semble pas avoir réussi, pour l'instant, à dégager de consensus sur les causes ni sur les conséquences des structures de financement observées. Il existe ainsi à la fois des théories qui justifient le recours à la dette comme façon la plus efficace de partager le risque entre investisseurs et décideurs, et d' autres qui préconisent au contraire le recours systématique au financement par actions (4).

Faute d'une inefficacité avérée à corriger ou d'une distorsion exogène à redresser, la neutralité de la fiscalité sur les modes de financement paraît être l'objectif minimal : la bonne fiscalité est celle qui n'a pas d'influence sur les choix des entreprises.

La baisse du taux d'impôt sur les sociétés (IS) à 33,33 % en 1993 et le maintien de l'avoir fiscal à 50 % ont supprimé la double taxation des bénéfices distribués, l'actionnaire se voyant attribuer un avoir fiscal exactement égal au montant de FIS payé par l'entreprise. En ce sens, un premier objectif de neutralité fiscale a été atteint. Mais les conséquences de la fiscalité sur le financement des entreprises doivent aussi être analysées en examinant les effets simultanés de FIS et de F impôt sur les revenus (IR) sur le rendement d'un investissement, variables selon le mode de finan-

4. Voir l 'article de Bourdieu et Colin-Sédillot dans ce numéro.

ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 268-269, 1993 - 8/9 67

5. OCDE (1991), L'imposition des bénéfices dans une économie globale, mars.

cernent. D'autres impôts ou subventions (taxe professionnelle, droits de mutation, crédits d'impôts recherche, ou même subventions spécifiques...) pèsent évidemment sur les choix d'investissement des entreprises, mais sont indépendants de la façon dont les investissements sont financés et ne jouent donc pas sur la structure de financement, ce qui évite d'avoir à examiner leur impact.

En l'état actuel, malgré des progrès réalisés depuis 1985, de fortes disparités de traitement fiscal demeurent : l'endettement constitue le mode de financement le moins coûteux, alors que l'émission d'actions est fortement désavantagée.

Or cette situation présente plusieurs inconvénients.

Elle influence la structure de bilan des entreprises françaises, comme l'a montré récemment un rapport de l'OCDE (5). L'entreprise ayant toujours intérêt à faire appel à la source de financement la moins coûteuse privilégie l'endettement. Il y a donc un avantage fiscal à détériorer le bilan.

Le résultat est que la situation financière des entreprises devient sensible aux niveaux des taux d'intérêts, surtout en période de ralentissement conjoncturel. Leur situation en termes de risque d' illiquidité se trouve fragilisée, la rémunération de l'actionnaire étant plus facilement modulable que celle du créancier : le versement des dividendes n' a pas à être régulier dans le temps et en montant, alors que les charges financières sont obligatoires à des échéances fixes pour des montants déterminés à l'avance. Dans les périodes de ralentissement conjoncturel, les entreprises peu endettées se trouvent donc avantagées par rapport à celles qui ont privilégié l'emprunt au détriment des fonds propres, qui font face à une contrainte de solvabilité plus forte.

Certains investissements sont rentables pour les actionnaires s'ils sont financés par recours au crédit, mais non pas s'il faut réinvestir des bénéfices ou émettre des actions. S'il existe des imperfections sur le marché des capitaux, par exemple si les banques rationnent le crédit, le niveau d'investissement se trouve limité par des contraintes de financement qui n'ont rien à voir avec la rentabilité de l'investissement considéré. Cela crée des distorsions dans l'allocation du capital, qui dépend ainsi des contraintes de financement spécifiques aux différentes entreprises.

En biaisant à terme la structure de bilan, la fiscalité pèse sur le partage du risque entre les différents investisseurs, ce qui peut distordre à son tour les

choix entre des investissements qui ont des structures de risque différentes. Ainsi, les entreprises très endettées sont davantage soumises à des exigences de prudence de la part de leur banquier (celui-ci n'ayant guère à gagner à des projets à fort rendement, mais beaucoup à perdre s'ils sont très risqués) qui peut rationner ainsi leurs crédits et leurs investissements, ce qui ne serait pas le cas d'entreprises ayant, toutes choses égales par ailleurs, une meilleure structure de bilan.

Toutefois, cette approche fiscale des modes de financement ne prétend pas expliquer les structures de bilans observées, mais seulement montrer dans quel sens la fiscalité les oriente. En effet, on ne devrait voir que des entreprises endettées à 100 %. La réalité est différente, parce que la fiscalité n'est pas le seul élément pris en compte par l'entreprise et qu'elle est bien plus complexe que celle décrite ici. En d'autres termes, l'idée est d'analyser la décision de financement marginale de l'entreprise, prise une année donnée en fonction d'un environnement fiscal donné et supposé stable, et non d'examiner l'ensemble du bilan de l'entreprise qui résulte, lui, de façon bien plus complexe, de la sédimentation de décisions de financement successives prises dans des conditions fiscales variables.

La fiscalité hiérarchise fortement les modes de financement pour l'entreprise

Les effets de la fiscalité sur le mode de financement peuvent être mis en évidence en calculant le taux de rendement qu'une entreprise doit dégager sur un investissement marginal pour être en mesure de fournir à l'investisseur un certain rendement net de tout impôt, fixé de façon exogène (égal au taux des obligations d'État, par exemple). Ils résultent de l'interaction de plusieurs impôts, notamment de l'IS et de l'IR. La méthode dite de King-Fullerton (6) permet d'analyser l'influence spécifique de chaque variable. L'écart entre les différents taux de rendement requis pour les trois modes de financement marginal (endettement, réinvestissement des bénéfices, émission d'actions) donne une mesure des distorsions fiscales.

Les taux de rendement marginaux requis selon les trois modes de financement résultent de formules qui mettent enjeu cinq taux fiscaux :

6. King MA et Fullerton D.(l 984), The taxation of Income and Capital: Comparative Study of the US, UK, Sweden and West Germany, Chicago University Press.

68 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 268-269, 1993 - 8/9

- le taux de prélèvement libératoire sur les revenus de titres (m) ; - le taux de taxation des plus-values sur actions détenues par les ménages (mg) ; - le taux de taxation à TIR des dividendes reçus par les ménages (jnd) ; - le taux de taxation des bénéfices à FIS (t) ; - le taux d'avoir fiscal (af).

Ces taux, fixés chaque année par la loi de finances, permettent de calculer les taux requis selon le mode de financement (cf. encadré) et, de là, construire un indicateur de distorsion année après année. L'indicateur de distorsion retenu ici est défini comme le rapport de l'écart-type sur la moyenne des trois taux de rendement (endettement, réinvestissement ou émission d'actions). La distorsion fiscale est d'autant plus importante que cet indicateur est élevé. La normalisation par la moyenne permet d'éliminer l'effet de niveau sur les taux requis, qui peut résulter à la fois des fiscalités différentes et des écarts de niveau d'inflation et de taux d'intérêt.

En principe, il faudrait calculer le taux de rendement brut requis sur l'investissement avant tout impôt, en particulier avant IS. Ce taux fait intervenir de façon relativement complexe à la fois l'inflation et la façon dont l'investissement est amorti. Dans la mesure où ces paramètres jouent de manière identique quel que soit le mode de financement retenu, la présentation peut être simplifiée en se plaçant ici après IS, ce qui ne modifie pas la hiérarchie des taux requis ni celle de leurs écarts. Cela ne signifie pas que FIS ne soit pas pris en compte, puisqu' intervient le mécanisme d'imputation des charges d'intérêts (cf. encadré).

Ainsi, avec les hypothèses de la loi de finances pour 1993 sont obtenus les résultats présentés dans le tableau 3.

Les chiffrages ont été réalisés à partir de taux marginaux supérieurs applicables à chaque type de revenu (bénéfice des sociétés, dividendes, intérêts, plus-values). Ce choix comporte une double hypothèse : l'investissement marginal est le fait d'entreprises bénéficiaires ; son financement correspond à un supplément d'épargne des ménages les plus riches, c'est-à-dire taxés au taux supérieur du barème de FIR et ayant déjà saturé leurs droits à exonération ou abattements, ménages qui sont aussi ceux qui épargnent le plus (environ les deux tiers des détenteurs directs d'actions sont taxés au taux maximal du barème).

Il est exact que les taux marginaux supérieurs sont bien plus importants que les taux moyens effecti-

Tableau 3 Taux de rendement nominal requis après IS selon le mode de financement *

En% Mode de financement

Endettement (rd) Réinvestissement (rr) Émissions (ré)

Taux requis (1) 5,7 8,1 11,6

* Législation du 1er janvier 1993. 1. Les hypothèses retenues sont : un taux nominal de 8,5 % sur les obligations d'État, soit 6,96 % net après prélèvement libératoire ; une durée moyenne de détention des actions par les ménages de 5 ans.

vement constatés : certaines sociétés sont déficitaires et tous les ménages ne sont pas à la tranche supérieure du barème de FIR, ou bénéficient de certains abattements ou exonérations.

Néanmoins, le fait de se restreindre aux taux marginaux facilite les comparaisons intertemporelles et internationales. De plus, la prise en compte des taux moyens au lieu des taux marginaux ne modifierait que les niveaux des taux requis, mais non leur classement. En d'autres termes, la hiérarchie des sources de financement serait inchangée, même si l'ampleur des distorsions était réduite (7).

Ces chiffres montrent que la neutralité est très éloignée : les taux de rendement requis diffèrent fortement selon le mode de financement, pour un même taux net final perçu par l'investisseur, ici 7 % (8).

Les écarts entre rendement par endettement, réinvestissement des bénéfices ou émission d'actions peuvent être décomposés en deux types de distorsions : d'une part, une distorsion entre les deux modes de financement externe (endettement et

7. À titre d'exemple purement théorique, avec un taux de taxation des revenus d'obligations de 10 % (au lieu de 18,1 % de prélèvement libératoire), des plus-values taxées à 0 % (au lieu de 18,1 % au-dessus du seuil de cession), des taux d'IR de 45 % (au lieu de 58,1 %) et d'ÎS de 22,2 % (au lieu de 33,33 % pour les entreprises bénéficiaires), serait requis un taux de rendement de l'investissement de 6,6 %, en cas de financement par endettement, de 7, 7 %, avec des bénéfices réinvestis, et de 9,3 %, en cas d'émissions d'actions.

8. La baisse de taux d'intérêt intervenue depuis le début de l 'année modifie les niveaux des taux de rendement requis, mais pas leurs différences relatives : pour 4,5 % de taux nominal net requis par l'investisseur, les taux requis sur l'endettement, le réinvestissement et les émissions seraient respectivement de 3,7 %, 5,3 % et 7,5 %.

ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 268-269, 1993 - 8/9 69

Encadré , « "r;: ;:::: CALCUL DU TAUX NOMINAL REQUIS APRÈS IS SELON LES DIFFÉRENTS MODES DE FINANCEMENT

(MÉTHODE DE KING ET FULLERTON) ET CONDITIONS DE NEUTRALITÉ r ; le taux d'Intérêt nominal net d'Impôt exigé par les ménages Ce taux peut se décomposer en la somme d'un taux d'intérêt réel net d'impôt et du taux d'inflation. Pour analyser les différentes fiscalités indépendamment des situations nationales ou conjoncturelles, on a fait tous (es calculs avec r =6,96 % (qui correspondait en 1992 à un taux de rendement brut des obligations de 8,5%). d : la durée moyenne de détention des actions par les ménages Cette durée est supposée exogène, indépendante de la fiscalité, et prise égale à 5 ans dans les calculs. Plus précisément on fait l'hypothèse que chaque année* un ménage donné a une probabilité 1 / d de réaliser son action (et donc de percevoir et d'être taxé sur des plus-values) et une probabilité I - (î / d) delà conserver, m : le taux de taxation à l'IR des revenus d'obligations Les intérêts versés aux ménages détenteurs d'obliga- tions sont taxés soit au taux dit du prélèvement libératoire (soit 18, 1 % en 1993, y compris prélèvements sociaux et CSG), soit après addition aux autres revenus, au taux du barème de l'IR. En pratique, un ménage a donc intérêt à opter pour le prélèvement libératoire dès que son taux marginal au barème dépasse 18, 1 % (en 1993). Comme on fait l'hypothèse que le ménage est taxé au taux marginal supérieur de l'IR (59,9 % en 1993), m sera toujours égal au taux du prélèvement libératoire. mg : le taux de taxation à l'IR des plus-values sur actions II s'agit des plus-values nominales, puisqu'il n'y a aucune indexation de la valeur d'acquisition. md : le taux de taxation à l'IR des dividendes reçus II s'agit du taux marginal supérieur du barème de l'IR qui s'applique au ménage, puisqu'il n'y a aucun abattement sur les revenus d'actions. La base à laquelle s'applique ce taux est calculée comme la somme des dividendes nets perçus par le ménage et d'un avoir fiscal qui leur est attaché, égal à une fraction donnée de ces dividendes nets (50 %). Cet avoir fiscal sert ensuite de moyen de paiement de l'impôt (ou peut être restitué au ménage s'il excède cet impôt). af : le taux d'avoir fiscal C'est la fraction des dividendes nets versés aux ménages qui y est fiscalement attachée et peut être utilisée comme moyen de paiement de l'impôt Ce mécanisme permet notamment de limiter l'intérêt de la fraude, puisque le ménage doit déclarer les dividendes reçus pour bénéficier de l'avoir fiscal. Depuis son instauration, le taux de l'avoir fiscal est de 50 %. Celui-ci a cependant été corrigé dans certains calculs pour tenir compte d'une éventuelle différenciation à l'IS de l'imposition des bénéfices distribués et de celle des bénéfices réinvestis (voir ci-après).

t : le taux d'IS appliqué aux bénéfices réinvestis """ ! Dans le cas où le taux t ' appliquêaux bénéfices dis- ": tribués est différent de tm on tient compte de ceci à * travers un avoir fiscal corrigé af tel que : (1 + af){i - t) * (1 + af)(% -D :; Pour une unité de bénéfice brut de la société affectée à la distribution, af est le taux d'avoir fiscal quf, combiné à une taxation à l'IS au taux t , assurera à l'actionnaire le même rendement net final que la combinaison réelle des tauxaf et t *. rd : le taux de rendement requis après IS pour rémunérer un investissement financé par endettement Le ménage qui détient une obligation voit les intérêts qu'elle rapporte taxés au taux m. Pour qu'il obtienne r net d'impôt, il faut donc que la société fui verse r / ( 1 - m) , Mais comme les Intérêts versés sont déductibles à l'IS, le revenu (marginal) nécessaire après IS pour pouvoir payer r / ( 1 -m) d'intérêts est seulement r. (1 - f ) / ( 1 - m). On a donc : rd = t) 1 - m re : le taux de rendement requis après IS pour rémunérer un Investissement financé par émission d'actions On fait l'hypothèse que les émissions d'actions sont rémunérées par la distribution de dividendes. Si, après paiement de l'IS, la société distribue re, te ménage actionnaire est taxé au taux md * re * { 1 + af) et peut utiliser l'avoir fiscal pour payer son impôt. Il lui reste finalement re - md,re.(t + af) + re. af = re . ( 1 + af) . ( 1 - md) D'où :

r re = ( 1 + af).( 1 - md) . : -

rr : le taux de rendement requis après IS pour rémunérer un investissement financé par réinvestissement des bénéfices On fait l'hypothèse qu'un investissement (marginal) financé par réinvestissement donne lieu à une plus- value immédiate sur la valeur de l'entreprise d'un montant égal à celui de l'investissement Cette plus» value est réalisée par l'actionnaire représentatif avec une probabilité annuelle 1 / d. SI une quantité rr de bénéfice après IS est réinvestie, l'actionnaire a donc une probabilité t / d de réaliser immédiatement sa plus-value rr, une probabilité (1/d).(1 -<1/d>) de la réaliser l'année suivante... Finalement, la valeur actualisée de sa rémunération vaut( 1 - z) , rr où z est le taux effectif de taxation des plus-values, qui est donnée par :

mg. rjn

70 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 268-269, 1993-8/9

Pour r et d donnés* une fiscalité est neutre par rap- port au financement si rd = rr = re, ce que l'on peut aussi écrire: - (1 - t) . f1 + af) . ( t - mcf) = 1 - m (1 ■* a/).{1 - md) = 1 - z Parmiies fiscalités neutres, il en existe de « robuste- meni neutres », c'est-à-dire qui le restent lorsque r et d varient Pour qu'une fiscalité soit robustement neutre,^ if faut ei tt suffi! qu'en plus z «■ 0 ,* c'est-à-dire

que les trois conditions suivantes soient vérifiées si-* ké

(1 + af ) , C 1 r - fnd) » 1 Ceci consiste à défiscaiiser totalement les revenus d'actions à t'IR (dividendes et plus-values), puisque l'avoir fiscal compense alors exactement la taxation des dividendes reçus par les ménages, et à unifier le taux d'IS et le taux du prélèvement libératoire. Ce taux unique peut être fixé à n'importe quel niveau; en particulier, on peut rendre le changement par rapport au système actuel neutre pour le budget de l'État (pour un taux unique de l'ordre de 35 %). Une telle réforme paraît cependant peu compatible avec la fis-* calité de nos partenaires et le reste de la note considère donc la neutralité dans un sens a priori non robuste, * . "" * -

émission d'actions) ; d'autre part, une distorsion entre financement interne et externe. Sans doute la première distorsion est-elle plus grave que la seconde, parce que les écarts de coûts entre financements interne et externe ne sont probablement pas que fiscaux. Il faut, en effet, convaincre rapporteur externe, qu'il s'agisse d'un banquier ou d'un nouvel actionnaire, ce qui implique des coûts, non fiscaux, qui, ajoutés à la distorsion fiscale, peuvent expliquer la hiérarchie finale des modes de financement en général admise, d'abord le financement interne, puis l'endettement et, en dernier lieu, l'augmentation de capital.

Malgré une tendance à la baisse depuis 1985, la distorsion reste plus forte en France que chez nos partenaires

Les effets des réformes successives de la fiscalité depuis 1980 (la fiscalité a changé tous les ans sauf en 1981 et en 1985) montrent que la hiérarchie des sources de financement est restée la même au cours de cette période (cf. tableau 4). L'endettement est toujours fiscalement préféré à l'autofinancement, lui-même plus avantageux que l'émission d'actions. Par ailleurs, un autre indicateur de distorsion construit à partir des seules deux sources de financement externe (endettement et émission d'actions) aurait un profil parallèle à celui de l'indicateur retenu. Ce dernier résume donc bien les écarts à la neutralité.

S'il y a eu une indéniable amélioration de cette neutralité depuis 1980, surtout par rapport à la

situation de 1984-1985, celle-ci n'a été acquise qu'au terme d'une succession de mesures aux effets contradictoires :

- en 1982, la hausse du taux marginal de l'IR accroît considérablement la distorsion, au détriment de la rémunération d'un investissement par des dividendes ;

- la baisse de ce même taux en 1986 réduit cette distorsion. Cette réduction est amplifiée par la baisse simultanée du taux de l'IS, qui amenuise l'avantage tiré de la déductibilité des intérêts ;

- en 1990, en dépit de la poursuite de la baisse du taux d'IS, la distorsion est de nouveau brusquement accrue par l'abaissement du taux de prélèvement libératoire sur les intérêts perçus par les ménages. Cette baisse avait été conçue comme une mesure d'accompagnement de l'ouverture du marché des capitaux ; l'avantage ne concernait que les obligations françaises et devait donc éviter une délocalisation de l'épargne des ménages. Cela a néanmoins beaucoup contribué à détériorer la neutralité. Cet avantage donné à la dette est encore accru par l'écart qui se creuse entre le taux d'IS sur les bénéfices réinvestis et celui sur les bénéfices distribués (mesuré ici par la baisse de l'avoir fiscal « recalculé »). La distorsion retrouve ainsi, en 1991, une valeur proche de celle observée dix ans plus tôt ;

- c'est la suppression du taux majoré d'IS sur les bénéfices distribués qui permet finalement de réduire à nouveau la distorsion, à partir de 1992.

ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 268-269, 1993 - 8/9 71

On peut enfin noter que la hausse de la CSG, introduite dans la loi de finances rectificative pour 1993, qui est passée de 1,1 % à 2,4 %, se traduit par une augmentation de 1,3 point de chacun des taux de prélèvement libératoire, sur plus-values et sur dividendes (puisque la CSG sur les produits financiers n'est pas déductible), et par une légère augmentation de la distorsion qui passe de 35, 1 % à 36,1 %. Cette « non-neutralité » de la CSG sur le financement des entreprises s'explique par le fait qu'une hausse du taux marginal supérieur de FIR accroît plus le taux requis sur l'émission d'actions qu'une hausse équivalente du taux de prélèvement libératoire ne le fait pour le taux requis sur l'endettement, ce qui conduit finalement à creuser encore l'écart.

De la même façon, l'indicateur de distorsion permet de situer la France par rapport à ses partenaires du G7, en 1991, date des derniers chiffres disponibles à l'OCDE (9) (cf. tableau 5).

La France possédait, en 1991, la fiscalité la moins neutre du G7, les améliorations intervenues depuis lors ne lui permettant que de rattraper le Japon. Il semble donc bien y avoir là une raison de préoccupation, si l'on croit que la neutralité

9. La zone de validité de cet indicateur permet de tirer des conclusions robustes quant à l'évolution temporelle de la distorsion fiscale pour un même pays. Les comparaisons entre pays peuvent ne donner qu 'un ordre de grandeur des différences.

Tableau 4 Fiscalité et distorsion depuis 1980

En%

Année

1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993

Prélèvement libératoire

(m) 25,0 25,0 25,0 25,0 26,0 26,0 26,0 27,0 27,0 27,0 17,0 18,1 18,1 18,1

Plus-values sur actions

(mg) 15,0 15,0 15,0 16,0 16,0 16,0 17,0 17,0 17,0 17,0 18,1 18,1 18,1 18,1

IR sur les dividendes

(md) 60,0 60,0 65,0 65,0 66,0 66,0 59,0 58,8 58,8 58,8 58,8 59,9 59,9 59,9

IS (t)

50,0 50,0 50,0 50,0 50,0 50,0 45,0 45,0 42,0 39,0 37,0 34,0 34,0 33,3

Avoir fiscal (1) (af) 50,0 50,0 50,0 50,0 50,0 50,0 50,0 50,0 50,0 42,6 38,1 31,8 50,0 50,0

Distorsion

43,3 43,3 50,6 50,4 51,6 51,6 37,6 36,8 34,7 35,6 40,9 42,9 35,5 35,1

1. Il s'agit d'un avoir fiscal « recalculé » qui permet de rendre compte de la différenciation des taux d'IS sur les bénéfices distribués et réinvestis entre 1989 et 1991 (voir encadré).

Tableau 5 Distorsion sur les modes de financement dans les pays du G7 en 1991

En%

France Allemagne Royaume-Uni Italie États-Unis Canada Japon

Prélèvement libératoire

(m) 18,1 53,0 40,0 30,0 36,0 49,1 20,0

Plus-values sur actions

18,1 0

40,0 25,0 36,0 36,8 20,0

IR sur les dividendes

(md) 59,9 53,0 40,0 50,0 36,0 49,1 35,0

IS (t)

33,3 50,0 34,0 47,0 34,0 35,7 50,0

Avoir fiscal (1) (af) 31,8

100,0 33,3 56,3 0

25,0 0

Distorsion

42,9 3,5

14,4 27,5 20,5 10,9 41,3

1. Avoir fiscal « recalculé » permettant de rendre compte de la différenciation des taux d'IS sur les bénéfices distribués et réinvestis en France et en Allemagne.

72 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 268-269, 1993 - 8/9

fiscale participe au bon fonctionnement des entreprises. Cependant, ces résultats montrent que la « concurrence en neutralité » ne passe pas nécessairement par un abaissement des taux. L'Allemagne par exemple a une fiscalité élevée, mais pratiquement neutre, ou du moins qui le serait si le taux théorique de 53 % sur les revenus d'obligations était effectif. En pratique, le secret bancaire permet sans doute largement aux détenteurs d'obligations d'échapper à l'impôt ; dans ce cas (pour un prélèvement libératoire de 0 %), l'indicateur de distorsion est de 36,1 %, soit un niveau comparable à celui de la France. En tout état de cause, cet exemple montre qu'il n'y a pas de lien univoque entre le rendement budgétaire d'un impôt et son effet sur la neutralité vis-à-vis du financement des entreprises.

Comment se rapprocher de la neutralité fiscale ?

La neutralité exige seulement l'égalité des rendements requis sur des investissements

financés par endettement, par réinvestissement des bénéfices et par émissions d'actions. Plusieurs degrés de liberté sont disponibles pour définir une fiscalité neutre.

Toutefois certaines solutions apparaissent difficilement praticables : par exemple, la neutralité avec maintien des taux de prélèvement libératoire, d'IS et d'avoir fiscal ne peut être obtenue sans un subventionnement des plus-values (cf. exemple 1 du tableau 6), ce qui n'est pas plausible, la défiscalisation étant sans doute l'hypothèse maximale.

D'autre part, certaines fiscalités neutres le demeurent lorsque varient certains paramètres exogènes (taux d'inflation, taux d'intérêt et durée de détention des actions). Ces fiscalités, que l'on peut qualifier de robustement neutres, sont caractérisées par :

- une défiscalisation des plus-values sur actions ; - un avoir fiscal égal à l'impôt sur le revenu ; - un taux de prélèvement libératoire égal au taux d'IS.

Elles sont donc équivalentes à une défiscalisation totale des revenus de capitaux à l'IR et à une taxation des profits à l'IS sans déductibilité des charges d'intérêt (cf. exemples 2 et 3 du tableau 6).

L'exemple 2 correspond à une neutralité robuste, mais il est irréaliste : l'annulation du taux marginal d'IR par l'avoir fiscal amène à lui affecter un taux plus de sept fois supérieur à celui de l'IS prélevé, très loin de la logique actuelle de l'avoir fiscal.

Au contraire, l'exemple 3 présente une solution réconciliant ces deux exigences. Dans la version 3-1, le taux de prélèvement libératoire est augmenté, ce qui permet de conserver les taux d'IS et d'avoir fiscal et donc un avoir fiscal compensant exactement l'IS. Une solution équivalente peut d'ailleurs être obtenue en remplaçant, comme dans l'exemple 3-2, à la fois le taux de taxation à l'IR des dividendes et l'avoir fiscal par 0, du moins pour les dividendes versés aux ménages.

Atteindre la neutralité fiscale est très difficile à court terme en raison des coûts budgétaires (exemples 1 et 2) et des coûts d'ajustement et des risques de délocalisation des placements en obli-

Tableau 6 Trois fiscalités neutres

En%

Prélèvement libératoire (m) Plus-value sur actions (mg) Dividendes à l'IR (md) Avoir fiscal (af) \S(t) Distorsion (1)

Actuelle

18,1 18,1 59,9 50,0 33,3 35,1

Exemple 1

18,1 -28,2

18,1 50,0 33,3 0

Les taux sur lesquels portent les hypothèses sont donnés en gras.

Exemple 2

18,1 0

59,9 149,4 18,1 0

Exemple 3 1

33,3 0

33,3 50,0 33,3 0

2 33,3 0 0 0

33,3 0

1 . Pour définir la situation actuelle, il a été retenu les taux marginaux supérieurs pour chaque type de revenu. Ceci repose notamment sur l'hypothèse qu'un accroissement marginal de l'investissement des entreprises est financé parles ménages taxés à la tranche supérieure de l'IR.

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gâtions (exemple 3) qu'impliqueraient les réformes. Dès lors il paraît plus réaliste de l'approcher par des ajustements progressifs. À cet égard une telle démarche peut suivre deux types de logique : soit en définissant à l'avance la fiscalité neutre à atteindre et en s'en rapprochant par réformes successives, avec le risque d'une incohérence intertemporelle ; soit en définissant a priori une contrainte budgétaire et en retenant la mesure qui réduit le plus les distorsions, sous cette contrainte.

L'évaluation de l'impact des différentes modifications marginales de la fiscalité actuelle permet de reconstituer les effets sur la neutralité d'une dépense d'un milliard de francs selon l'emploi qui en est fait (cf. tableau 7).

Une diminution de la taxation des revenus d'obligations ou des plus-values sur les actions augmenterait la distorsion. En revanche, l'augmentation de ces deux taux de taxation serait à la fois favorable à la neutralité et aux recettes de l'État. De ce point de vue, une hausse du taux de prélèvement libératoire est, en théorie, la mesure la plus efficace.

La baisse du taux marginal supérieur de l'IR est d'une efficacité supérieure à celle d'une diminution supplémentaire du taux d'IS, non seulement en termes de distorsion (du moins pour l'indicateur retenu), mais aussi et surtout parce qu'elle permet de diminuer le coût des fonds propres externes, alors que les effets d'une baisse de l'IS passent par une hausse du taux requis sur l'endettement, susceptible d'avoir un effet d'éviction sur l'investissement.

La mesure qui apparaît la plus efficace est l'augmentation de l'avoir fiscal. Ce serait, en

fait, équivalent à une déductibilité partielle à l'IS des dividendes distribués ou encore à une taxation différenciée à l'IS avec un moindre taux pour les bénéfices distribués. Ceci peut paraître contradictoire avec l'évolution des taux de 1989 à 1991, mais c'est ce type de fiscalité qui est depuis longtemps appliqué en Allemagne. En tout état de cause, le chiffrage donné ici correspondrait à un traitement différencié pour les seuls dividendes distribués aux ménages, ce qui paraît plus facile à mettre en œuvre via l'avoir fiscal qu'au niveau de l'IS.

Chercher de nouveaux outils

Les réformes examinées ici ne concernent que les instruments fiscaux existants. Diverses autres voies sont envisageables, à travers l'IR ou L'IS.

Dans le premier cas, il pourrait s' agir par exemple du remplacement de la taxation à l'IR des dividendes perçus par les ménages par un prélèvement libératoire ou de la création d'un abattement proportionnel sur les dividendes, effectué avant l'application du barème de l'IR. Toutefois, se poserait le problème du traitement fiscal relatif entre revenus du travail et revenus du capital, certains agents pouvant arbitrer entre ces deux types de revenus en cas d'importants écarts de fiscalité, avec un risque de pertes de recettes fiscales pour l'État et d' inéquité, dans la mesure où tous ne peuvent se livrer à de tels arbitrages.

Une action à travers l'IS permettrait d'éviter ce problème, notamment si elle était envisagée, comme ce fut le cas par le Trésor américain, sous forme d'une diminution de la déductibilité des in

térêts, ce qui montre que la recherche de la neutralité ne passe pas nécessairement par une réduction

Tableau 7 Effets d'une dépense budgétaire de 1 milliard de francs sur la neutralité

En%

Taux actuel Taux modifié Effet sur rendement : - avec endettement - avec profit réinvesti - avec émissions actions Variation de la distorsion

Prélèvement libératoire

(m) 18,1 16,1

-0,14 0 0

+ 0,94

Plus-values sur actions

(mg) 18,1 16,5

0 -0,12

0 + 0,25

IR sur dividendes 0)(md)

59,9 58,8

0 0

-0,31 -1,50

Avoir fiscal (2) (af) 50,0 57,1

0 0

-0,52 -2,55

IS (t) 33,3 33,0

+ 0,03 0 0

-0,20 1. La baisse du taux marginal maximal de l'IR (md) s'applique aussi à tous les types de revenus soumis à cet impôt. 2. La hausse de l'avoir fiscal n'est supposée applicable qu'aux dividendes distribués aux ménages.

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10. Avancée notamment par /'Institute of Fiscal Studies de Londres.

des prélèvements. Une autre solution (10) consisterait à déduire les fonds propres de l'IS, afin de défiscaliser la part « normale » de leur rémunération et de ne taxer que la rente. Dans ces deux cas, neutralité fiscale entre dettes et fonds propres et équilibre fiscal entre revenus du capital et revenus du travail seraient deux objectifs compatibles de la politique fiscale.

Néanmoins, la diminution de la déductibilité des intérêts se traduirait immédiatement pour les entreprises par un alourdissement de leur IS, qui serait difficilement acceptée en période de ralentissement conjoncturel. D'autre part, elle pourrait remettre en cause la compétitivité fiscale

tionale de la France, en alourdissant les prélèvements sur les entreprises.

En fait, le problème de la distorsion dettes/fonds propres sera largement atténué si une refonte complète de FIR aboutit à une diminution du taux marginal maximal. C'est alors que la diminution de la déductibilité des intérêts à FIS pourra être engagée, dans une mesure limitée pour ne pas compromettre l'attractivité de l'espace économique français, même si la fiscalité n'est qu'un élément parmi d'autres de l'attractivité et si, en la matière, notre plutôt bonne position de départ nous donne quelques marges de manœuvres supplémentaires. □

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