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LA POLITIQUE SOCIALE LIBERALE Author(s): Vicente Faleiros Source: Canadian Journal of Social Work Education / Revue canadienne d'éducation en service social, Vol. 4, No. 2/3 (1978), pp. 42-53 Published by: Canadian Association for Social Work Education (CASWE) Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41668918 . Accessed: 14/06/2014 10:44 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Canadian Association for Social Work Education (CASWE) is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Canadian Journal of Social Work Education / Revue canadienne d'éducation en service social. http://www.jstor.org This content downloaded from 195.78.109.121 on Sat, 14 Jun 2014 10:44:16 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

LA POLITIQUE SOCIALE LIBERALE

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LA POLITIQUE SOCIALE LIBERALEAuthor(s): Vicente FaleirosSource: Canadian Journal of Social Work Education / Revue canadienne d'éducation en servicesocial, Vol. 4, No. 2/3 (1978), pp. 42-53Published by: Canadian Association for Social Work Education (CASWE)Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41668918 .

Accessed: 14/06/2014 10:44

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LA POLITIQUE SOCIALE LIBERALE'

Vicente Faleiros Ecole de service sociale Université de Laval

Today's government-administered social policies are the end result of the relationship between, and complex development of the productive and social forces. They are the result of class struggle and, at the same time, they help to perpetuate the existence of social classes.

This contradiction is masked by the humanist, progressive or liberal ideologies that view these measures as tools for achieving social equalization, improved well-being and equal opportunity. Government intervention in this field is explained by the relationship existing between civilian society and the power structure this concrete society (social education) has set up. In the advanced capitalist societies, these social policy measures are a means of reproducing the labour force in the pattern desired bv the hegemonic fraction of the bourgeoisie: the monopolistic bourgeoisie. However, these instruments implemented by government are limited and motivated by this bourgeoisie's dominating force, by the contradictions and demands of the various fractions of the bourgeoisie, and by the force of the movements of the subordinated classes, of their ability to extract concessions and I or to constitute concrete alternatives to the existing power.

The first part of this article presents the liberal image of social policy in terms of its language of protection, trade-offs and sharing. The second part examines government intervention in the context of social struggles.

Les politiques sociales menées aujourd'hui par l'Etat, sont un résultat du rapport et du développement complexe des forces productives et des forces sociales. Elles sont le résultat de la lutte des classes et en même temps contribuent à la reproduction des classes sociales.

Cette contradiction est cachée par les idéologies humanistes, progressistes ou libérales, qui présentent ces mesures comme des instruments d'égalisation sociale, d'amélioration du bien-être, d'égalité des chances. Les interventions de l'Etat dans ce domaine, s'expliquent par la relation existante entre la société civile et l'organe de pouvoir que cette société concrète (formation sociale) s'est donné. Dans les sociétés capitalistes avancées, ces mesures de politique sociale sont des médiations pour reproduire la force de travail selon le projet de la fraction hégémonique de la bourgeoisie: la bourgeoisie monopoliste. Cependant, ces médiations, réalisées par l'Etat, se limitent et se dynamisent par la force de domination de cette bourgeoisie, et par les contradictions et les exigences des différentes fractions de la bourgeoisie et par la force des mouvements des classes subordonnées, de leur capacité d'arracher des concessions et / ou de constituer des alternatives concrètes au pouvoir existant.

Dans la première partie de cet article, nous présentons le visage libéral de la politique sociale, selon son discours de protection, d'arbitrage et de partage. Dans la deuxième partie, nous situons les interventions de l'Etat dans le contexte des lutes sociales.

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LES ELEMENTS DE LA POLITIQUE SOCIALE LIBERALE Selon la vision libérale, l'action spontanée du marché devrait réaliser

un équilibre entre tous les individus, de telle façon que tous pourraient y retirer des avantages, par le biais de la libre concurrence et du libre choix. Cette utopie libérale ne s'est jamais réalisée. En effet, le marché est un mécanisme qui maintient les inégalités de conditions. Pour "corriger" ce mécanisme, l'Etat libéral est intervenu avec des mesures sociales "hors marché". Martin Rein définit la politique sociale comme "intervention en dehors du système de marché".2 Cette intervention, comme le reconnaît Reinvest de plus en plus liée aux intérêts marchands. L'intervention "non marchande" de l'Etat contribue, en effet, à la gestion de la main d'oeuvre, à la création et à l'amélioration des ressources humaines, à la productivité des entreprises, à la stimulation de la demande. Dans ces conditions, l'intervention "non immédiatement marchande"3 favorise l'économie de marché dans son ensemble.

L'Etat intervient dans le marché par le soutien qu'il apporte aux entreprises ou aux individus pour produire ou accéder aux biens et services existants dans le marché. Il arrive même qu'il favorise des "marchés parallèles" pour certains groupes sociaux qui ne sont pas en mesure d'acheter certains biens, aux prix courant.

La construction des H.L.M. peut être un bon example de cette politique. Par le biais de la Société centrale d'Hypothèques et de logements, l'Etat favorise les entreprises et subventionne les individus pour la construction de logements. Le cas de Québec donne une comprobation à cette thèse. Par la rénovation urbaine, le capital immobilier est triplement favorisé: il occupe le centre-ville et obtient la construction de logements pour les délogés, et en même temps, l'Etat subventionne un certain écart entre la capacité de payer de ces derniers, et le prix du marché du logement.4

Dans le domaine des assurances sociales, l'Etat agit en général comme une compagnie privée qui prélève des cotisations et couvre certains risques. La rentabilisation de ces assurances est garantie par l'obligation de s'assurer et de consommer les services de l'Etat, ce qui amplifie la demande.5 L'aide sociale et toute la politique fiscale (dont le revenu garanti) sont des moyens de stimulation de la demande, ou, au moins, de son maintien dans les périodes de crises économiques.

Les politiques sociales permettent aussi une régulation du marché du travail, par des mécanismes de placement et de formation de la main- d'oeuvre et des mécanismes d'aide ou assurance aux chômeurs. Sont-ce des instruments de contrôle de la force de travail et des salaires, dont les modifications suivent les crises économiques et sociales?

Ces politiques néo-keynesiennes se caractérisent ainsi par une double action dans le marché: la stimulation de la demande et la subvention

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aux entreprises. Et c'est justement par cette dynamique que les rapports de production ne sont pas touchés dans l'essentiel: les relations d'exploitation.

"L'Etat-arbitre" Pour justifier cette intervention l'Etat est considéré comme un arbitre

neutre, au-dessus des classes et des groupes sociaux. Par le biais de l'Etat-arbitre, on favoriserait les plus désavantagés dans le marché, en raison des insuffisances personnelles ou individuelles de revenu, d'organisation, de statut. En principe, l'Etat doit rétablir l'équilibre social et économique du marché pour que tous puissent en retirer certains avantages.

L'Oxford English Dictionary définit le Welfare State comme "Une politique organisée de telle façon que chaque membre de la communauté est assuré du maintien qui lui est dû, avec les conditions "les plus avantageuses pour tous".6 Selon cette conception, l'Etat doit assurer un minimum sans affecter les conditions de fonctionnement du marché, où chacun et tous peuvent retirer le plus grand nombre d'avantages possible.

La compensation et la protection des "faibles".7 Mais comme il y a des groupes et des individus qui ne peuvent pas,

pour raisons personnelles ou de faiblesses sociales, retirer ces avantages du marché, l'Etat, sans ou avec "préjugé favorable", intervient pour la "protection" des groupes défavorisés.8

Le Rapport Castonguay9 affirme que "ce que la société par la publicité, propose comme l'ensemble des biens essentiels à tout citoyen devient en fait ce à quoi tout citoyen a droit par son appartenance même, à la société. Celle-ci et en particulier son agent principal, l'Etat, doit rendre accessible à tous ce palier minimum".

L'Etat est ainsi considéré comme l'agent principal qui agit pour la société civile pour rendre accessible ce minimum par la "protection" matérielle des individus.10 Cette conception paternaliste de l'Etat se traduit par une série de mesures pour éliminer les barrières à l'accessibilité à ce minimum: élimination des barrières géographiques par la décentralisation, des barrières financières par les transferts, des barrières techniques par la rationalisation.

L'Etat se présente comme le protecteur des faibles, comme le moyen pour satisfaire les besoins sociaux par des mesures légales qui compensent les faiblesses des individus par l'introduction de droits sociaux. Cette compensation se justifie au nom d'une justice distributive1 1 de l'équalité ou de l'égalité de chances. Dans ses lois, l'Etat libéral "protecteur du citoyen" établit sa norme d'intervention dans les paramètres suivants:

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Garantie d'un minimum12 L'Etat ne dépasse jamais un plafond déterminé, tout en laissant les

mécanismes du marché fonctionner librement au-dessus de ce minimum. Ce sont les cas du salaire minimum, des plafonds minima pour les assurances et pour l'aide sociale. Individualisation

L'Etat considère les individus comme sujets de droits, mais pas les collectivités, les groupes ou les classes. L'aide sociale par exemple est accordée sur une base individuelle. Accessibilité

L'Etat établit des normes pour éliminer des barrières à l'accessibilité à l'éducation (réforme de l'éducation), à la justice (aide juridique), aux revenus (aide sociale), aux logements (SCHL). Universalisation

Ces mesures envisagent de garantir un certain minimum pour tous les individus, qui sont considérés comme égaux devant la loi, mais qui doivent aussi être inégaux par rapport au revenu, au logement, à la justice pour avoir accès à ces droits. L'universalisation protectrice se révèle discriminatoire. Le libre choix

La politique libérale considère qu'elle doit aussi "protéger" l'autonomie des individus en leur offrant la possibilité de choisir leur avocat (aide juridique) ou les produits à acheter (aide sociale), ou le type d'éducation.

La couverture des risques sociaux L'Etat libéral n'envisage pas seulement de "compenser" les groupes

ou les individus faibles dans le marché pour qu'ils retirent des avantages dans le marché, mais aussi de compenser des "risques individuels" provenant du développement industriel et du salariat et du marché. Le plus grand risque dans la vision iibérale est l'interruption ou la perte du revenu.13

Le développement industriel concentre des milliers, des centaines ou des dizaines de travailleurs dans le processus de production avec des risques accrus d'accidents de travail. Le système de responsabilité est lourd et coûteux. Il peut entraîner la faillite de l'entreprise ou l'insatisfaction de l'ouvrier. Le salariat abolit les attaches individuelles et "monétise" la classe des travailleurs, qui doivent subvenir à leur reproduction dans le marché. Ainsi le risque de rester sans argent (vieillesse, chômage, maladie) n'est plus couvert par les mécanismes traditionnels de la solidarité familiale.

Les libéraux, alors, au nom du droit à la vie, utilisent un discours de la solidarité collective pour établir un système d'assurances sociales pour couvrir les risques inhérents à une économie de marché (production et consommation). Le rapport Beveridge dont se sont

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inspirés presque tous les régimes de sécurité sociale de l'après guerre, défend ce droit à la vie. En France on parle de l'établissement d'une solidarité entre ceux qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas, des jeunes avec les vieux, des sains avec les malades. Cette approche libérale de la couverture des risques a été adoptée sur une large échelle après la grande crise du marché en 1930. Les gouvernements libéraux ont dû alors implanter un régime obligatoire (no fault) financé sans égard au prix du marché. Mais ces régimes gardent quand même le principe de l'épargne, de la capitalisation, de la diminution des frais d'une gestion de la main-d'oeuvre à grande échelle. En plus, ils peuvent maintenir les services coûteux des professionnels et technocrates.14

Dans la couverture des risques, l'Etat maintient l'accès individuel, les plafonds maxima, des prestations bien contrôlées pour ne pas affaiblir le marché privé. Enfin, les risques couverts sont des risques de la classe ouvrière qui ne peut pas ramasser des épargnes dans le régime de salariat, pour faire face à l'interruption ou perte de la source de revenu.

L'institutionnalisation des conflicts Face à la montée des conflits sociaux de tout ordre, dérivés de

l'organisation de la combativité de la classe ouvrière, la bourgeoisie libérale, dans le capitalisme, a voulu établir de nouveaux "contrats sociaux" à une échelle institutionnelle. Ces contrats se limitent à l'enjeu en présence, avec des règles bien précises pour que chaque partie puisse présenter ses intérêts immédiats en vue d'une négociation et d'une conciliation. L'Etat force le consensus, force les parties à négocier et le cas échéant il impose une "solution par la force" pour maintenir la forme marchande globale de la société.15

Comme exemple on peut énumérer les législations qui régissent le droit de grève, les différends entre propriétaires et locataires et les différends entre commerçants et consommateurs.

L'Etat se présente encore comme l'Etat-providence, protecteur du citoyen, qui veille sur la paix sociale et la tranquillité publique. Le "citoyen" est la figure type créée par l'Etat-libéral. Le citoyen est le membre constituant de la cité, de la société civile, au-dessus de laquelle se trouve l'arbitre du bien général: l'Etat.

Certains économistes libéraux ont aussi proposé l'établissement de règles formelles pour permettre aux plus faibles de se défendre face aux désavantages du marché.16

Pour les libéraux, le problème des désavantages se pose au niveau de la distribution et non de la production. CFG Masterman dit que "si quelque chose n'est pas correct dans les conditions matérielles, ce n'est pas l'appareil d'accumulation, mais de distribution".17

L'instauration du Welfare State ne répond pas à une vision cohérente et systématique de l'Etat dans l'implantation de la politique sociale. Si on regarde l'histoire de mesures de politiques sociales, on va voir 46

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qu'elles sont apparues dans des conjonctures bien différentes, selon un rapport de force différent. On ne peut pas, par exemple, au Québec, établir un même paramètre pour encadrer l'instauration des secours aux mères nécessiteuses à l'époque de Duplessis et l'aide sociale en 1969 ou l'assurance santé en 1970.

Mais ces réponses différentes dans des rapports de force différents et particuliers nous amènent à poser la question du pourquoi de cette intervention de l'Etat.

LA POLITIQUE SOCIALE LIBÉRALE DANS LE CONTEXTE POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE CAPITALISTE

Les concessions du bloc au pouvoir L'Etat n'est pas un arbitre neutre, ni un juge du bien-être des

citoyens. Il n'est pas non plus un instrument18, un outil dans les mains de classes dominantes pour réaliser leurs intérêts. L'Etat est un rapport social.19 En ce sens l'Etat est un champ de bataille où s'afrontent et se concilient les intérêts des différentes fractions de la bourgeoisie et certains intérêts du bloc au pouvoir avec les intérêts des classes dominées.

Si on ne considère pas l'Etat comme le résultat d'un consensus social pour éviter "la guerre de tous contre tous", il faut alors le situer dans le contexte global de la société. L'Etat est à la fois lieu du pouvoir politique, un appareil de coercition et intégration, une organisation bureaucratique, une instance de médiation pour la praxis sociale capable de soutenir ce qui apparaît dans un territoire donné comme l'intérêt général.

L'instance du pouvoir politique interpénètre et reflète la base économique. L'autonomie relative de l'Etat résulte de cette relation dialectique avec l'économique, selon laquelle il est déterminé, mais aussi déterminant.

En conséquence, l'Etat résume, condense, médiatise les rapports sociaux, selon les corrélations de force de la société civile. L'appareil étatique n'est pas seulement en fonction des intérêts de la classe dominante. Il peut intégrer, dominer, accepter, transformer, stimuler certains intérêts des classes dominées. L'Etat est hégémonie et domination. L'hégémonie représente sa capacité d'orienter l'ensemble de la société, d'arbitrer des conflits inter-classe et des conflits de classes, de développer une certaine cohésion sociale. Par la domination, l'Etat impose la répression, la force, et "manu militari" détruit les oppositions et tranche les conflits.20 Cette nature contradictoire de l'Etat seulement peut être comprise d'une façon historique et concrète, selon sa force ou sa faiblesse face à la force et à la faiblesse des forces de la société civile. L'action de l'Etat se situe alors par rapport à la corrélation des forces

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sociales. Si les classes dominées représentent une menace réelle à la coalition dominante, l'intervention de l'Etat peut être caractérisée par une répression brutale. Si la pression des classes dominées s'exerce dans un contexte de légalité libérale, les interventions de l'Etat se caractérisent par l'établissement de certaines règles du jeu, par la récupération et la régulation des conflits sociaux. C'est dans ce contexte que nous situons l'Etat libéral.21

Il faut néanmoins comprendre que dans les sociétés capitalistes avancées, la régularisation à court terme de certaines revendications populaires, se situe dans une stratégie à long terme de maintien de l'accumulation, sous l'hégémonie de la bourgeoisie monopoliste. Celle- ci cherche à augmenter l'accumulation par le biais de la productivité, de l'expansion multinationale, du contrôle des marchés, de la socialisation des coûts sociaux du maintien de la paix sociale.

Les interventions de l'Etat dépendent alors de sa capacité de disposer, et de gérer des ressources originaires de l'accumulation monopoliste selon les pressions des forces sociales et les exigences de la reproduction de la force de travail et le maintien de la paix sociale. Pour se légitimer auprès des classes dominées, dans un système libéral électif, le bloc au pouvoir doit écarter la menace de perdre le contrôle de l'Etat face à un mouvement ou parti concurrent des classes dominées et en même temps chercher l'allégeance de ces classes pour le soutien populaire de sa politique.

Cette attitude implique une autonomie relative de l'Etat dans la gestion des contradictions inhérentes au processus de production et aux rapports de classe et groupes, même en dehors du processus de production. Pour la gestion de ces contradictions le bloc au pouvoir utilise les appareils d'Etat ou crée des nouveaux appareils soit pour la répression, soit pour la récupération, l'intégration et le contrôle des classes dominées ou du bloc populaire.

Poulantzas admet même que l'Etat capitaliste peut réaliser une politique anti-capitaliste à court terme, tout en maintenant les intérêts du bloc au pouvoir a long terme.22 Mais les concessions faites par l'Etat s'inscrivent dans un contexte de production capitaliste où il doit assurer la garantie de la propriété privée et l'accumulation du capital d'un côte et le climat social nécessaire à cette accumulation de l'autre côté. C'est dans cette perspective que nous allons analyser maintenant les mesures libérales que nous avons présentées ci-haut.

Le discours idéologique Le discours de l'égalité de chances, de l'élimination des

discriminations, de la protection des faibles, de la création de nouveaux droits sociaux est l'expression manifeste de l'idéologie libérale.

Face aux changements sociaux profonds amenés par

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l'industrialisation et par la concentration du capital, l'Etat a joué un nouveau rôle dans la stimulation, coordination et garantie des investissements.

Le nouveau discours de la bourgeoisie permet de masquer les inégalités que provoque ce mode de développement du capital. L'égalité de chances de revenu met l'accent sur les différences de sexe, de race, de religion qui doivent être abolies devant les nombreuses "chartes de droits des citoyens". En même temps ce discours permet la mobilisation de larges secteurs de la population qui se rallient autour de ces thèmes en évacuant complètement les rapports de classe. Le sexe, la race ou la religion apparaissent comme les blocages fondamentaux d'un "nouvel ordre social", d'une "nouvelle grande société".23 Les hommes ainsi devraient s'entendre, devraient arriver à un consensus autour de ces thèmes secondaires qui occultent la contradiction fondamentale de l'exploitation.

La gestion des coûts sociaux de la production L'existence de l'exploitation, de l'accumulation est la condition

fondamentale de l'existence du système capitaliste et de l'Etat. La politique sociale permet une gestion de la force de travail pour qu'elle se reproduise dans les meilleures conditions pour le capital.

L'instauration de la couverture des "risques" sociaux par la sécurité sociale implique la complémentarité d'une série d'objectifs. Par ce moyen on cherche, à la fois, à contribuer à l'accumulation du capital, à maintenir le système de marché et à répondre aux pressions de forces sociales en présence, de façon symbolique ou réelle. L'implantation de ces mesures dépendent parfois des luttes entre les fractions de la bourgeoisie.24 Les assurances sociales contribuent à la productivité, au "capital humain", dans le langage libéral25, à la socialisation des coûts de reproduction de la main d'oeuvre, à la stimulation de la consommation (surtout en période de crise), à la capitalisation.26

Par la capitalisation, l'Etat ramasse l'épargne populaire pour financer les investissements. Au Québec, le régime de rentes, créé en 1967, a financé la caisse de dépôt et placement du gouvernement.

Par l'assurance maladie, la consommation des services de santé s'est améliorée, ainsi que l'accessibilité pour la population à ces services. En même temps, le professionnalisme et la technologie ont contribué de façon significative à l'augmentation du coût de ces services. C'est par le biais de l'obligation de consommer que l'Etat peut "universaliser" le régime et garantir leur financement. Le droit devient une obligation de "consommer", c'est-à-dire à payer les frais du régime de façon directe ou indirecte.

Les conditions de production de la maladie, du chômage, des accidents ne sont pas touchées. L'Etat met l'accent sur "l'effort

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personnel" des individus pour "résoudre les problèmes" des risques sociaux plutôt que sur le changement des conditions sociales. Ainsi, même en socialisant, l'Etat libéral contribue à l'économie de marché et la soutient. L'Etat met l'accent sur la distribution des services. L'aide sociale contribue au maintien d'une main-d'oeuvre de surplus, en dehors du marché du travail. L'Etat "protecteur" des faibles veut protéger d'abord le marché, la consommation et la production.

Les politiques de sécurité, d'aide sociale ou de services ne changent en rien les inégalités sociales. Les professionnels qui y travaillent forment aussi des groupes de pression qui représentent les intérêts de la petite bourgeoisie: salaires élevés, autonomie du travail, monopole professionnel. On connaît les revendications des médecins par rapport à l'assurance maladie. Au Québec ils sont allés jusqu'à la grève.

Les intérêts des travailleurs pour l'assurance chômage, l'assurance vieillesse, pour la santé sont pris en considération dans la stratégie bourgeoise qui, soit les récupère, soit les réduit à des "services" bureaucratiques.

La paix sociale La stratégie de l'Etat dépend non seulement du développement des

forces productives, du marché, du rapport de forces à l'intérieur du bloc au pouvoir, des intérêts immédiats des "professionnels", mais aussi du climat social et du rapport des forces politiques.

Quand Bismark a introduit l'assurance santé en 1883, il devait faire face à un fort mouvement socialiste. Churchill et Lloyd George en 1909 commençaient à pressentir la montée du "Labour". Au Québec, dans les années 60, 27 il y a eu une forte mobilisation sociale soit des syndicats (fronts communs), soit des groupes populaires (par exemple les comités de citoyens, les groupes d'action-chômage). La guerre à la pauvreté aux EEUU fait suite aux émeutes des ghettos noirs28. Même si le bloc populaire n'est organisé dans un parti politique, il peut provoquer l'intervention de l'appareil répressif et/ ou idéologique de l'Etat. L'Etat peut essayer de retarder des réponses aux pressions sociales par le biais des commissions d'enquête29, d'études techniques, de démarches bureaucratiques. Il peut utiliser aussi des tactiques de réponse symbolique pour donner l'impression qu'on s'occupe du problème, c'est ce à quoi servent aussi les commissions d'enquête.

L'Etat peut récupérer ou intégrer les revendications populaires par l'institutionnalisation du conflit, en établissant les règles du jeu du règlement même du conflit. En donnant l'apparence d'un équilibre de force, il essaie de concilier les intérêts en conflit. Mais on sait bien qui a le pouvoir dans un conflit entre locataires et propriétaires, commerçants et consommateurs, professionnels et clients. L'institutionnalisation permet à des éléments du bloc populaire d'être consultés, de représenter leurs intérêts dans les conseils, les comités 50

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ďappels, les mémoires, mais non de prendre des décisions politiques. Les régimes d'assurance sociale, ďaide sociale et de services sociaux

possèdent des représentants désignés par des usagers ou par l'Etat et nommés par l'Etat. En général, ils sont en minorité. L'Etat se donne l'apparence de juge et arbitre en instituant parfois (comme dans l'assurance chômage) des comités tripartites. Cette façon de procéder permet d'articuler une apparence de cohésion d'intérêts et a pour effet la division des travailleurs en catégories (handicapés, vieillards, chômeurs, etc.). La représentation des intérêts de classe doit se faire par le détour des associations constituées.

L'Etat utilise cette politique pour stimuler les conflits parmi les travailleurs en faisant dépendre les politiques d'aide sociale du financement des autres travailleurs par le biais des impôts et des taxes. Pour chaque couche de travailleurs il y a une politique différente. Ces couches sont aujourd'hui appelées les "populations cibles". C'est encore l'Etat qui se présente comme distributeur de services ou d'argent pour ceux qui ne sont pas armés pour le marché, ou pour maintenir l'économie de marché dans son ensemble.

L'Etat agit différemment selon chaque conjoncture spécifique, chaque enjeu spécifique, mais dans le cadre du développement des forces productives et du rapport de forces entre le bloc populaire et le bloc au pouvoir. Il agit toujours pour maintenir la forme marchande de l'économie dans son ensemble, l'accumulation du capital et sa légitimité politique auprès de la population.

REFERENCES

1 II ne s'agit pas de la politique du parti libéral, mais du libéralisme. 2 Rein, Martin, Social Policy, New York, Pardom House, 1970, p. 13. 3 Cette intervention peut être considérée non immédiatement marchande, parce qu'elle

ne suit pas le principe de la rémunération directe des facteurs de production. L'aide sociale est attribuée sans égard à l'effort productif.

4 Pour une analyse de la rentabilisation du centre-ville du Québec, voir Une ville à vendre, Québec, EZOP-Québec, 1972, 4 cahiers.

5 Même l'assurance chômage a servi à la capitalisation pendant plusieurs années. 6 "A policy so organized that every member of the community is assured of his due

maintenance, with the most advantageous conditions possible for all." 7 Certains économistes libéraux parlent de compensation dans la perspective du

"Welfare Economics". Ainsi s'exprime J.P. Ross à ce sujet: "Les états A et B ne sont pas comparables s'il y a au moins une personne qui préfère B à A étant donné que d'autres préfèrent A à B ou sont indifférents. Le principe fondamental de la compensation, donc, c'est simplement que si les individus qui préfèrents (par exemple) A à B peuvent compenser (bribe) à ceux qui préfèrent B à A de telle façon que ceux-ci deviennent au moins indifférents, dans la condition que les individus qui compensent continuent de préférer A à B et un changement de A à B c'est une amélioration où il est socialement préféré". Welfare Theory and Social Policy, Helsinki, Helsiryfors, 1973, page 107.

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p "A mesure que le nombre de problèmes confiés à l'Etat augmente, ce dernier cherche à coordonner les différentes politiques ou les différentes mesures en une sorte de code de la charité publique envers les défavorisés." Rapport Castonguay , Vol. III, Tome I, page 210.

9 Idem, Ibidem. 10 Pour les libéraux, il est important de donner un niveau de vie minimum pour garantir

l'efficience de l'économie. La satisfaction des besoins dits primaires est une précondition de satisfaction des besoins dits supérieurs. "Si Ton dépasse le niveau de la subsistance, le problème des besoins se pose au niveau de l'activité humaine." Rapport Castonguay , Vol. III, Tome I, "Le développement", p. 166.

11 "Le nouveau libéralisme n'était pas un abandon de l'individualisme, mais une réinterprétation de celui-ci. Selon des auteurs récents, l'idée de justice sociale a donné les moyens de réconcilier l'individualisme et le collectivisme (Mowat). La justic sociale impliquait que chaque privilège ou institution n'était pas absolue mais relative au bien- être plus large de la société. Hay, J.R., Origins of the Liberal Welfare Reforms 1906- 1914 , London, The McMillan Press, 1975, p. 36. Les libéraux ont dû changer et modifier sa "Welstanchansing" dans la confrontation avec un mouvement ouvrier et socialiste important. C'est l'affrontement avec le mouvement ouvrier qui fait poser à la bourgeoisie des nouvelles idées et des nouvelles pratiques sociales. Tant qu'elle n'est pas confrontée, elle défend l'individualisme libéral à tout prix.

12 Rapport Beveridge - Social Insurance and Allied Services , New York, McMillan Co., 1942. "Social security must be achieved by co-operation between the state and the individual. The state should offer security for service and contribution. The state in organising security should not stifle incentive, opportunity, responsibility, in establishing a national minimum, it should leave room and encouragement for voluntary action by each individual to provide more than that minimum for himself and his family."

13 Le Rapport Beveridge dit: "Abolition of want requires, first, improvement of State insurance, that is to say, provision against interruption and loss of earning power." Op. cit. page 7. C'est la politique keynésienne de soutien à la demande.

14 Voir par exemple, Rimlinger, Gaston, Welfare Policy and Industrialisation in Europe, America and Russia, New York, John Willey & Sons, 1971, et aussi, Faleiros, Vicente, Les assurances sociales et la reproduction de la force de travail , Miméographié, Ecole de service social, Université Laval, 1978.

15 "Policies which pursue the goal of reorganizing, maintaining and generalizing exchange relationships make use of a specific sequence of instruments. These instruments can be categorized in the following way. First, we find regulations and incentives applied which are designed to control "destructive" competition and to make competitors subject to rules which allow for the economic survival of their respective market partners. Usually these regulations consist in measures and laws which try to protect the "weaker" party in an exchange relationship, or which support this party through various incentives. Second, we find the large category of public infrastructure investment which is designed to help broad categories of commodity owners (again: both labor and capital) to engage in exchange relationships. Typical examples are schools of all kinds, transportation facilities, energy plants, and measures for urban and regional development. Third, we find attempts to introduce compulsory schemes of joint decision making and joint financing which are designed to force market partners to agree upon conditions of mutually acceptable exchange in

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an organized way outside the exchange process itself, so that the outcome is reliable for both sides. Such compulsory schemes of mutual accommodation are to be found not only in the area of wage bargaining, but equally in areas like housing, education and environmental protection. Offe, Klaus, Ronge, Volker, Theses and the Theory of State, New German Critique, No. 6, Automne 1975, page 143.

16 Ces règles compenseraient les désavantages existants. C'est la thèse constitutionnaliste de l'Etat.

17 Masterman, C.F.G., The Condition of England , 1909, page 162, cité par J.R. Hay, op. cit., page 35.

18 La théorie instrumentaliste de l'Etat est proposée par Ralph Miliband. 19 Pour Poulantzas, TEtat n'est pas une "entité" à essence instrumentale intrinsèque,

mais est lui-même un RAPPORT, plus précisément la condensation d'un rapport de classe", "Les classes sociales dans le capitalisme aujourd'hui", Paris, Seuil, 1974, page 24.

20 Norbert Lechner parle d'un moment et d'un moment de domination. Voir Lechner, Norbert, "A Crise do Estado na América Latina", Revista de Cultura contemporânea , Vol. I. No. 1. Juillet, 1978, p. 16.

21 Voir Touraine, Alain, La production de la société , Paris Seuil, 1973, pages 255-274. 22 Voir à ce sujet: Poulantzas, Nicos, Pouvoir politique et classes sociales , Paris,

M aspero, 1971, vol. 2, pages 9 et suivantes. 23 II est très significatif de voir comment la lutte contre la pauvreté aux EEUU a été

transformée en une lutte pour les droits à l'égalité des races. 24 Michel Pelletier et Yves Vaillancourt dans leur texte "Les politiques sociales et les

travailleurs" ont bien dégagé la lutte entre la bourgeoisie canadienne et la bourgeoisie québécoise dans la politique sociale. En parlant de l'entente fédérale-provinciale sur l'assistance chômage de 1959, ils disent: "Elle nous montre que ce sont en définitive les "exigences de l'économie" et la supériorité déjà nettement établie de l'Etat fédéral sur l'Etat québécois qui provoquèrent aussi bien l'affrontement entre les fractions internationalistes et québécoises de la bourgeoisie à propos des politiques sociales que la révision de "sa" politique sociale par la bourgeoisie québécoise" (cahier IV, page 233).

25 Le Rapport Castonguay dit que le "coût de la santé apparaît donc comme un investissement en capital humain. Comme tel le rendement social qu'on peut en escompter est très élevé. Vol. I, L'Assurance maladie, p. 41.

26 Voir l'étude de Vicente Faleiros "Les assurances sociales et la reproduction de la force de travail", Ed. miméographiée, Ecole de service social, Université Laval, Québec, 1977.

27 A cette époque on a introduit au Québec l'assurance maladie, l'aide sociale et les services sociaux contrôlés par l'Etat.

28 Pour Piven et Cloward, la politique sociale est un moyen pour rétablir l'ordre social en temps de crise et d'agitation sociale et un moyen de contraindre au travail en période d'expansion économique, Piven F., et Cloward, Richard, Regulating the Poor , New York, Vintage Books, 1972.

29 Voir l'exemple de la Commission Royale pour étudier les relations entre le capital et le travail en 1886. Elle a commencé à siéger seulement après un an.

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