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La Poupée Éliane Liraud

La Poupée - Fnac

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La Poupée

Éliane Liraud

12.64 593815

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (134x204)] NB Pages : 164 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,07 mm) = 13.48 ----------------------------------------------------------------------------

La Poupée

Éliane Liraud

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Prologue

Cette histoire se veut être un hommage à tous ceux et celles qui ont vécu cette tragédie, à ceux et celles qui ont perdu la vie, ou qui ont perdu un être cher. Elle n’a pas pour prétention d’être un fait historique rigoureux, mais j’ai tenté de m’approcher au plus près de la vérité en ce qui concerne le tremblement de terre en lui-même ! Pour tout le reste ce n’est qu’un roman.

Je me souviens que j’avais treize ans à cette époque et que mes parents ont participé à la collecte. J’ai donné ma poupée Arlette que j’avais depuis l’âge de six ans. Même si j’avais passé l’âge de jouer avec, je la gardais dans ma chambre, elle a fait place à un grand vide.

Noélie n’est pas moi ! Elle est un personnage imaginaire, comme le sont les autres personnages de mon histoire.

Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé ne serait que pure coïncidence,

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excepté pour les prénoms et les noms de trois de mes anciennes élèves qui m’ont donné leur autorisation. Cependant je me suis inspirée également des messages postés par des personnes ayant vécu cette tragédie, sur un site consacré à Agadir. Je les remercie pour leurs témoignages émouvants et j’espère qu’elles ne me tiendront pas rigueur de les avoir utilisés.

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Chapitre 1 À Lyon

Premier mars 1960 Noélie a sept ans. C’est une petite fille espiègle, vive et généreuse.

Ce jour-là, elle se rend à l’école où elle est en cours élémentaire. Son école n’est pas encore mixte mais constituée exclusivement de petites filles.

Elle a bien remarqué que Madame Constant, son institutrice, a ce matin un air grave qu’elle n’a pas d’habitude. Comme ses petites camarades, elle s’installe en silence, accroche son cartable au crochet de son bureau et attend assise que la maîtresse prenne la parole.

– Bonjour les enfants ! – Bonjour madame, répondent les fillettes. – Je ne sais pas si vos parents vous ont parlé de ce

qu’il s’est passé hier dans un pays qui s’appelle le Maroc. Une chose très grave est arrivée !

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Noélie lève la main.

– Oui Noélie je t’écoute. – Maman m’a expliqué que la terre a tremblé et

que toutes les maisons se sont écroulées et qu’il y a encore beaucoup de gens qui sont dessous, des gens morts, des gens blessés.

– Oui Noélie c’est tout à fait exact. Hier, vingt-neuf février la terre a tremblé très fort à Agadir.

Ce tremblement de terre ne dura pas plus de quinze secondes. Cela ne vous dira rien, mais il fut évalué à cinq virgule sept sur l’échelle ouverte de Richter, ce qui est très fort. Un phénomène sismique identique avait eu lieu en Haïti le douze janvier de cette même année. Il avait une magnitude de sept ce qui veut dire qu’il était plus fort, et pourtant à Agadir les dégâts furent bien plus importants. Les quartiers de Founti, Talborjt, Yachech et la Kasbah sont détruits à près de quatre vingt quinze pour cent et la ville nouvelle à cinquante pour cent. Beaucoup d’enfants ont perdu leurs parents, de même que des parents cherchent encore leurs enfants sous les décombres. On estime entre douze et quinze mille les personnes qui ont péri dans cette catastrophe. Celles qui ont survécu n’ont plus rien, elles ont tout perdu, plus de vêtements, plus d’eau, plus rien à manger. C’est pourquoi l’école va organiser une collecte.

– C’est quoi Madame une « collette » ? – Une collecte Noélie pas une collette ! C’est une

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façon d’aider les personnes dont je viens de vous parler. Chacune d’entre vous va demander à ses parents de lui donner quelque chose. Ça peut être un kilo de sucre, une boîte de conserve, une bouteille d’huile etc. De quoi manger mais aussi de quoi se laver, du savon, du shampoing. Bref chacune d’entre vous apportera ce qu’elle pourra, pour sa contribution, à l’école pour un chargement qui par l’entremise de la Croix Rouge sera acheminé jusqu’au Maroc et plus précisément jusqu’à Agadir.

– Madame, si les enfants n’ont plus rien, ils n’ont plus de jouets non plus, ils doivent être tristes, on peut aussi donner un jouet à nous ?

– Excellente idée Noélie. Je pense que tout cela apportera un peu de joie à des petites filles de votre âge.

La classe se poursuivit et à la récréation toutes les fillettes devisaient afin de savoir ce que chacune allait apporter. L’une proposait un ours en peluche, l’autre une dînette voir même des puzzles ou une corde à sauter, d’autres préféraient donner une de leurs jolies robes etc.

De retour chez elle, Noélie s’enferma dans sa chambre, pensive. Qu’allait-elle bien pouvoir donner ?

– Mon nounours ? Oh non, il lui manque un œil. Ma poupée Barbie ? Oh non c’est mamie qui me l’a offerte et elle ne serait peut-être pas contente, elle coûte cher. Mon poupon Noël ? Non il a perdu ses

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belles couleurs roses sur ses joues, il n’est plus très beau, mais moi je l’aime bien quand même ! Et si je donnais ma poupée Arlette ? Je serai bien triste de la quitter, c’est ma préférée, mais je crois que c’est la seule qui soit assez jolie pour être offerte à une petite fille de mon âge qui a eu beaucoup de malheurs.

– Maman, qu’est-ce que tu donnes toi pour le tremblement de terre ? Il faut qu’on apporte quelque chose à l’école.

– Pour l’école, tu porteras des pâtes et des conserves de légumes, mais nous allons faire aussi un colis que nous irons remettre à la Croix-Rouge dès qu’il sera rempli. Nous y mettrons des vêtements qui ne vont plus à papa et à moi également ainsi qu’à toi, car tout le monde en aura besoin. Je vais commencer à trier dans mes armoires et dans la tienne pour choisir ce qui ne te va plus mais qui ira à une fillette un peu plus menue que toi, d’accord ? Tu as beaucoup grandit cette année et c’est là une bonne occasion pour sortir tout ce linge qui encombre et pourrait profiter à quelqu’un là-bas au Maroc.

– Oui maman, je suis d’accord pour donner des robes mais je voudrais aussi offrir une poupée, la maîtresse à dit que ça serait bien si on donnait un jouet et je pensais à ma poupée Arlette.

– C’est toi qui vois ce que tu veux envoyer, mais tu sais que c’est définitif ? Tu ne reverras plus ta poupée elle ne t’appartiendra plus. Je sais que tu l’aimes bien, mais si tu acceptes de la joindre au colis,

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alors c’est un beau cadeau. Un présent de ce genre n’est beau que s’il coûte vraiment à la personne qui le donne et qui fait le sacrifice de s’en séparer, non pas pour s’en débarrasser, mais vraiment pour apporter un peu de réconfort à une autre petite fille.

Donc si tu décides de donner Arlette je suis d’accord mais surtout réfléchis bien avant !

– Oui maman tu as raison, je sais que je vais avoir beaucoup de chagrin de la donner mais moins que la petite fille qui va s’en occuper et qui a tout perdu. Peut-être même qu’elle n’a plus de maman, alors son chagrin est encore plus grand. Mais maman je voudrais écrire un petit mot que je vais épingler dans sa robe pour qu’elle en prenne bien soin, tu veux bien dis ? Tu m’aideras ?

– D’accord ma chérie nous rédigerons ce petit mot ensemble.

Deux jours plus tard un gros carton trônait au milieu de la chambre de Noélie, rempli de vêtements d’enfants, les siens, mais aussi de ceux des parents. Il était prêt à partir à la Croix-Rouge. Avant d’y placer sa poupée et de le refermer, la petite fille la serra très fort contre son cœur. En pleurant elle lui parla doucement.

– Ma poupée jolie, si tu t’en vas si loin ce n’est pas parce que je ne t’aime plus tu sais, au contraire, je t’aime encore plus fort et je suis triste, mais tu vas sûrement sécher les larmes d’une gentille petite fille

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qui sera ta nouvelle maman. Elle va prendre bien soin de toi j’en suis certaine. J’ai épinglé dans ta robe un petit mot pour elle, pour lui dire ce que tu aimes, comme par exemple te bercer le soir pour dormir et te faire plein de bisous et ce qu’il ne faut pas te faire, comme te laver les cheveux parce que ça déferait tes jolies boucles. Sois bien gentille avec elle comme elle le sera avec toi j’espère. Si tu es triste tu sais que je penserai toujours à toi car je t’aime très fort et que je ne t’oublierai jamais. Tu as toujours été ma préférée et tu le resteras dans mon cœur.

Sur ces derniers mots et avec de gros sanglots, la petite Noélie plaça la poupée dans le carton, bien protégée dans une petite couverture, afin que sa jolie frimousse ne soit pas endommagée.

– Tu es bien certaine de ce que tu fais Noélie ? Certaine de ne pas regretter ? Après il sera trop tard !

– Oui maman je suis certaine de vouloir la donner à une petite fille !

Arlette porte une jolie petite robe en broderie anglaise blanche avec un petit bonnet assorti. Elle a un joli sourire qui laisse apparaître des petites quenottes bien blanches, et des yeux « riboulants » qui nous suivent du regard partout où on se trouve. Elle est vraiment belle et ce fut un crève-cœur pour la petite fille de s’en séparer, mais avant cela Noélie avait pris soin de rédiger un message qu’elle épingla dans la robe de la poupée, juste sous le corsage. Il disait :

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– Ma poupée qui est la tienne à présent s’appelle Arlette, s’il te plait garde lui son prénom c’est celui d’une petite sœur que je n’ai pas connue. Elle est très gentille et elle dit maman quand tu la couches ou quand tu la redresses. Il ne faut pas défaire ses cheveux ni les laver, ils ne seraient pas jolis après, et puis elle n’aimerait pas ça. Elle aime dormir avec moi donc elle aimera que tu la prennes dans tes bras pour t’endormir avec elle, en la gardant tout contre toi. Arlette adore aussi les câlins. Quand je vais à l’école elle reste sur mon lit. Elle aime aussi que sa robe et son bonnet soient propres. Tu peux les laver à la main et lui mettre pendant ce temps sa robe rose que je te donne avec. Je l’aime très fort et c’est très difficile pour moi de la quitter, mais je sais que tu l’aimeras autant que moi, alors j’espère qu’elle te fera un peu oublier ton chagrin.

Quand tu la berceras dis lui que sa petite maman Noélie l’aime toujours et qu’elle pensera toujours à vous deux même si je ne te connais pas. Je t’embrasse. Noélie.

La maman de Noélie plia soigneusement ce petit mot qu’elle plaça dans une pochette en tissus qu’elle épingla sous la robe juste à la place du cœur. Cela formait une petite bosse que la petite fille qui recevrait cette poupée ne pourrait pas ne pas voir. En plaçant ce message sous la robe plutôt que dessus elle était plus sûre qu’il ne serait pas arraché et ne se perdrait pas.

Le père de Noélie termina de fermer le carton et le

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chargea dans sa voiture, une quatre chevaux verte dont il était fier, car c’était sa première automobile.

Les parents de Noélie n’étaient pas très riches, cependant ils vivaient bien. La mère était vendeuse dans une boutique de prêt à porter et le père, un professeur de menuiserie métallique, enseignait dans un centre de formation professionnelle pour adultes.

La première voiture, tout comme la première télévision d’ailleurs, avaient été un événement familial ! À cette époque là il n’y avait qu’une seule chaine de télévision, et toutes les voitures roulaient à l’essence ordinaire. Seuls les poids lourds utilisaient un carburant différent, le Gas oil.

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Chapitre 2 À Agadir

Je m’appelle Hind Baaziz, je me souviens de ce huit février mille neuf cent soixante. Trois semaines avant le séisme il fait un drôle de temps. Le ciel est bizarrement gris, et le Sirocco souffle. La température est très haute. Un sentiment de malaise indescriptible, c’est un peu comme les prémices d’une catastrophe qui règnent sur la ville.

Ma famille et moi habitons le quartier Talborjt. Le vingt-neuf février, on entendit un bruit bizarre du côté de la mer. La terre avait « grogné ». Les gens d’ici disent que la terre est portée par une bête à cornes, et qu’elle la fait passer de temps en temps d’une corne à l’autre. Ils disent que c’est ce qui explique les tremblements.

Quelques jours auparavant, le huit février et les jours suivants, quelques secousses s’étaient produites mais de faible intensité. Seuls les gens qui habitaient

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en hauteur, ce qui était notre cas, les avaient ressenties, si bien que certaines personnes ne nous avaient pas crus.

Dans la matinée du vingt neuf février eut lieu une autre secousse, beaucoup plus intense cette fois-ci, laissant pas mal de traces de son passage. Je me souviens par exemple du plafond du préau de mon école qui s’était lézardé, d’un sucrier sur la table de notre salle à manger qui avait glissé de quelques centimètres.

Sur le chemin du retour de l’école, avec mon amie Arkiya, nous parlons de ce que nous avons entendu cet après-midi.

– La bête a joué avec la terre. Mon voisin, tu sais le vieux Youssef qui a un four à pain, l’a dit à ma mère ce matin et il a dit qu’il faut prier pour qu’elle arrête de jouer sinon ça va recommencer et ça pourrait être grave.

– Tu sais Hind, répondit la petite Arkiya, si la bête veut jouer je ne sais pas si elle entendra nos prières. Je crois qu’elle n’en fait qu’à sa tête ! Bon en tout cas moi je suis arrivée, je fais mes devoirs et après on sort jouer ? Tu me retrouves devant le four du vieux Youssef ?

– D’accord à tout à l’heure alors !

Nous sommes rentrées chez nous pour goûter. C’est le troisième jour du Ramadan, mais nous les enfants ne jeûnons pas. Les filles ne participent au

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Ramadan qu’à partir du moment où elles ont eu leurs premières règles. Nous n’avons que neuf ans donc nous avons encore le temps. Comme la famille va rompre le jeûne à dix-huit heures dix-sept exactement, je ne ferai donc pas un gros goûter car il est déjà dix-sept heures.

Dans la cuisine ma mère s’affaire à préparer les baghir, qui sont des petites crêpes à petits trous et la harira, la soupe traditionnelle, qui seront servies pour la rupture du jeûne, puis le tajine, les gâteaux, les dattes etc. pour le repas nocturne.

Je chipe une crêpe toute chaude au passage et me sauve en riant pendant que ma mère me court après avec un torchon, pour m’en assener un coup sur les fesses :

– Tu ne peux pas demander au lieu de chiper comme une petite voleuse ? Est-ce que je t’ai déjà refusé quelque chose ? Ma parole qui m’a donné une fille comme toi ? Allah m’est témoin, je ne t’ai pas élevée comme ça ! Attends que ton père arrive ! Tu vas voir !

Je me ferme dans ma chambre en riant de mon forfait. Je sais qu’au fond ma mère ne m’en veut pas. Elle m’a souvent raconté comment elle aussi, quand elle avait mon âge, était incapable de résister à la bonne odeur des crêpes chaudes.

Mes devoirs terminés je rejoins Arkiya devant le four pour jouer à la marelle. Il fait lourd, pourtant

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nous ne sommes qu’en février C’est comme si l’air n’avait plus d’oxygène. Nous allons nous asseoir à l’ombre d’un eucalyptus, il fait trop chaud pour jouer à la marelle, et nous nous contentons de commenter le « jeu de la bête ». Au fond nous n’osons pas nous l’avouer mais cette histoire nous fait vraiment peur. Nous imaginons une sorte de monstre à cornes, tellement énorme qu’il nous est difficile de nous le représenter. Arkiya me dit que pour jouer avec le monde entre ses cornes il faut que sa tête soit au moins dix fois plus grosse que notre planète, et rien que cette évocation nous terrifie !

À dix-huit heures quinze il ne fait toujours pas plus frais. Nos mères respectives nous appellent pour manger.

Des amis, des voisins, sont venus apportant chacun un plat pour partager cette soirée de Ramadan, comme c’est la tradition. Les familles se reçoivent à tour de rôle, donc demain ou un autre soir, nous serons invités chez ces mêmes amis et ma mère fera du pain ou des galettes, un tajine, qu’elle apportera à son tour pour partager le repas.

Il est vingt-et-une heures trente et ma mère m’envoi au lit car demain il faut se lever pour aller à l’école. Notre maison n’est pas grande, elle est juste composée de la cuisine où trône en permanence le grand Tajine sur le kanoun. Ma mère ne cuisine que très rarement au gaz, juste et surtout pour les plats à cuire au four lorsque celui du vieux Youssef n’est pas libre.