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DUT Information – Communication, option Journalisme École publique de journalisme de Tours Mémoire universitaire de fin d'études La presse de jeux vidéo et YouTube, un exemple de la convergence médiatique ? Par Jérôme Collin Sous la direction de Nicolas Sourisce Page 1

La presse de jeux vidéo et YouTube, un exemple de la convergence médiatique ?

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A l'heure où la presse magazine de jeux vidéo est en grande difficulté, avec la concurrence des sites Internet, un autre acteur apparaît : le YouTubeur. Il publie ses vidéos sur YouTube, se filme en train de jouer, donne son avis... Un vrai travail de journaliste.

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DUT Information – Communication, option Journalisme

École publique de journalisme de Tours

Mémoire universitaire de fin d'études

La presse de jeux vidéo et YouTube,

un exemple de la convergence médiatique ?

Par Jérôme Collin

Sous la direction de Nicolas Sourisce

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Remerciements

Je tiens à remercier mon tuteur de mémoire, Nicolas Sourisce, directeur de l'École publique de

journalisme de Tours. Ses interventions ont été précieuses afin de donner à ce travail une vision

plus globale sur les évolutions du métier de journaliste avec l'arrivée d'Internet.

Mes remerciements vont également à Laurent Deheppe, rédacteur en chef du magazine

Videogamer, qui a généreusement pris sur son temps libre pour discuter avec moi de la situation

de la presse spécialisée de jeux vidéo en France. Bon vent à Videogamer dont l'aventure ne fait

que commencer !

Je remercie Martin Lefebvre, journaliste pigiste pour Games et directeur de la publication du site

de jeux vidéo MerlanFrit.net. Ses réponses extrêmement détaillées en un laps de temps très court

m'ont été vraiment utiles.

Je salue Léo Schmitt et Étienne Escuer, étudiants en deuxième année de l'École publique de

journalisme de Tours, dont la relecture attentive, les précieux conseils et les nombreuses

corrections ont rendu ce mémoire plus abouti encore.

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TABLE DES MATIÈRES

Introduction 5

I / DE LA PRESSE DE JEUX VIDÉO EN FRANCE

A – Le jeu vidéo : une vieille industrie 8

1 – La naissance du jeu vidéo dans les années 1950, la référence Pong 8

2 – La place du jeu vidéo aujourd'hui 11

B – Le succès de la presse magazine dans les années 1990 13

1 – Une presse florissante 13

2 – Les clés du succès de la presse de jeux vidéo 15

C – Le déclin de la presse magazine et la concurrence par et sur Internet 17

1 – Déclin de la presse magazine 17

2 – Avènement de la presse sur Internet 21

II / ÉTUDE DE CAS : LES YOUTUBEURS GAMERS

A – Une audience exceptionnelle pour une « offre nouvelle » 24

1 – Un créneau quasi exclusif : le gameplay 24

2 – Le besoin d'une communauté 29

B – L'influence des YouTubeurs sur les sites spécialisés 33

1 – Le live comme nouveau rendez-vous 33

2 – Le journaliste est-il encore utile ? 35

C – Des problèmes cependant identiques 36

1 – Des liens avec les éditeurs… 36

2 – Des répercussions sur le contenu des vidéos 43

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III / LE JOURNALISME À L'HEURE DE LA

CONVERGENCE MEDIATIQUE

A – Le besoin d'une communauté pour transmettre l'information 48

1 – L'importance grandissante des réseaux sociaux… 48

2 – Les excès liés aux réseaux sociaux 53

B – La possibilité d'un rapprochement entre les différents médias 55

1 – L'importance des transmedia 55

2 – Une expérience : le journalisme participatif 57

C – Les limites de la convergence médiatique 59

1 – Le journalisme professionnel a du mal à accorder du crédit à cette nouvelle forme de

journalisme 59

2 – Des difficultés d'intégration : deux modèles différents 63

BIBLIOGRAPHIE 68

ANNEXES 72

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INTRODUCTION

epuis huit ans, le monde vidéoludique n'avait jamais été aussi agité qu'en 2013. Deux

évènements majeurs ont fait de cette année un cru exceptionnel. Dans un premier

temps, le 17 septembre, le cinquième opus de la fameuse licence1 Grand Theft Auto

(GTA) a enfin été commercialisé. Le jeu était extrêmement attendu, cinq ans après la sortie du

précédent. Une longue attente savamment orchestrée par Rockstar Games, le développeur et

éditeur de GTA. À coup de bande-annonce, d'extraits de plusieurs minutes, de présentation dans

les plus grands salons de jeux vidéo à travers le monde, l'attente des joueurs – les gamers – s'est

muée en impatience. Phénomène culturel de masse, Grand Theft Auto n'a pas seulement été suivi

par la presse spécialisée, des magazines aux YouTubeurs, en passant par les sites Internet. Les

médias généralistes ont également couvert la sortie du jeu : TF12, France 23, Libération4, Le

Figaro5, France Info6…

D

Le second événement a été la sortie des consoles dites de « nouvelle génération » (next-gen en

anglais). Si la Wii U, du constructeur Nintendo, a marqué en novembre 2012 le début de cette

nouvelle ère du jeu vidéo, ce sont bien les commercialisations de la Xbox One et de la

PlayStation 4 (PS4), un an plus tard, qui ont retenu l'attention et définitivement sacré les consoles

next-gen. Cela faisait huit ans qu'une nouvelle génération n'avait pas été mise au point. Beauté

graphique, fluidité du jeu, capacité à supporter des jeux de plus en plus aboutis : telles étaient les

promesses de la Xbox One et de la PS4. La première est fabriquée par Microsoft, la seconde par

Sony. L'évènement a doublement fait date auprès de la communauté des gamers, le 22 novembre

2013 pour la sortie de la Xbox One et le 29 novembre pour celle de la PS47.

La première moitié de l'année 2014 a également été riche en actualités dans le domaine du loisir

vidéoludique. La sortie de Titanfall8 le 13 mars 2014 en Europe a mis fin à un suspens de près

d'un an. Et à la fin du mois de mai doit sortir Watch Dogs, développé et édité par Ubisoft. Un jeu

également très attendu puisqu'il doit être celui qui illustrera au mieux toutes les possibilités

offertes par les consoles next-gen.

1 En 2011, l'éditeur de GTA avait vendu plus de 110 millions de jeux à travers le monde. À cela s'ajoute les 30 millions d'exemplaires de GTA V qui ont trouvé preneur depuis septembre 2013. Source : « Grand Theft Auto : une franchise à 125 millions », jeuxvideo.fr, 28 novembre 2012.

2 « GTA V : derrière le sexe et la violence, la critique sociale », TF1.fr, 18 septembre 2013. 3 Journal télévisé de 20 heures, France2.fr, 20 septembre 2013.4 « GTA V, claque majeure », Libération.fr, 15 septembre 2013.5 « GTA V, le retour du roi », Le Figaro.fr, 2 octobre 2013.6 « Grand Theft Auto V : un monstre du jeu vidéo », France Info.fr, 17 septembre 2013. 7 Le 29 novembre 2013 est la date de commercialisation en Europe. Elle a été commercialisée dès le 15 novembre

au Canada et aux États-Unis. 8 Littéralement, « la chute des titans ». Il s'agit d'un jeu d'action où les joueurs peuvent incarner s'ils le souhaitent

des titans blindés une fois un score imparti atteint.

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Ces évènements majeurs montrent la dimension internationale du jeu vidéo et l'importance prise

par le secteur en très peu de temps. Selon le cabinet d'études Gartner, le marché mondial du jeu

vidéo devait s'élever en 2013 à hauteur de 93 milliards de dollars, loin devant la musique et le

cinéma notamment.

Alors que ce marché se porte bien, qu'en est-il de la presse spécialisée dans le secteur ? Après

une décennie 1990 très vive, la donne n'est plus la même depuis maintenant le milieu des années

2000. À l'image de la presse généraliste, la presse écrite est la plus menacée. En l'occurrence, les

magazines – car il n'existe pas de publication quotidienne traitant exclusivement de jeux vidéo –

sont en difficulté. La majorité des titres se sont rabattus sur Internet, avec la domination de trois

sites que sont jeuxvideo.com, Gamekult et Gameblog, où ils ont rapidement trouvé leur place.

L'audience de jeuxvideo.com, par exemple, le situe parmi les dix sites les plus consultés de

France, toutes catégories confondues. Cette statistique permet de mesurer l'ampleur prise par

l'activité vidéoludique au sein de la population. Plus ou moins jeune, le consommateur de jeu

vidéo devient parfois également un producteur d'informations et de contenus. C'est le cas des

YouTubeurs. Ces amateurs passionnés se filment en train de jouer et donnent leur avis sur leurs

jeux favoris. Ils publient ensuite leurs vidéos sur YouTube, le site de partage de vidéo en ligne,

où leur audience est considérable. Quelles sont les clés du succès de ces amateurs ? En quoi sont-

ils différents des journalistes ? Peuvent-ils à terme concurrencer et remplacer les journalistes ?

Parviennent-ils à éviter les écueils dans lesquels sont tombés par le passé la presse magazine et

les sites Internet ?

Cette place acquise par les YouTubeurs rappelle l'expérience du journalisme participatif. Une

tendance extrêmement visible aujourd'hui dans les médias généralistes sur Internet. Plusieurs

publications se sont construites sur cette promesse d'une plus grande coopération et d'une plus

grande écoute entre les journalistes et les lecteurs. C'est le cas de Rue89 ou de Street Press. Est-

ce que l'on retrouve les raisons du succès des YouTubeurs dans celles expliquant le plébiscite fait

au journalisme participatif de nos jours, même si ce concept est sans doute un peu galvaudé ?

YouTube est aujourd'hui un média à part entière. Les contenus publiés sont souvent repris et

intégrés dans les articles sur Internet, les médias utilisent de plus en plus les nouvelles

technologies pour communiquer, le rapprochement se fait plus présent maintenant entre

information et divertissement. De sorte qu'on peut se demander si YouTube n'est pas un exemple

supplémentaire de la convergence médiatique, en marche depuis plusieurs années. Celle-ci

désigne plusieurs phénomènes : la constitution de grands groupes de presse couvrant tous les

médias (télévision, presse écrite, radio, Internet), l'utilisation de plus en plus importante des

nouvelles technologies de communication, l'apparition des amateurs dans le processus de

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production de l'information.

Nous répondrons à ces différentes questions dans ce mémoire construit en trois parties :

• Étude historique de l'évolution de la presse de jeux vidéo. Nous y analyserons les

raisons de la chute de la presse magazine de jeux vidéo en France, conjuguée à la montée

en puissance d'Internet.

• Étude de cas et observation empirique des activités des YouTubeurs gamers. Nous

entrerons en détail dans l'univers de ces « journalistes en herbe » qui réalisent des

audiences exceptionnelles pour certains. Utilisation habile des réseaux sociaux, gestion

d'une communauté, influences sur les rédactions professionnelles : les raisons du succès

sont nombreuses. Et les écueils à éviter le sont tout autant.

• Étude de la convergence médiatique dans les médias. Ce rapprochement entre les

amateurs et les professionnels n'est pas propre au domaine de la presse de jeux vidéo.

C'est aujourd'hui une composante non-négligeable revendiquée par les journalistes.

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I / De la presse

de jeux vidéo en France

A – Le jeu vidéo : une histoire ancienne

1 – La naissance du jeu vidéo dans les années 1950, la référence Pong

our évoquer la création du jeu vidéo, deux dates font aujourd'hui référence : 1958 et

1973. 1958 voit la sortie du jeu Tennis for Two. C'est la première expérience de jeu

vidéo à part entière. Ce jeu ne retiendra guère l'attention de la foule. L'invention de

William Higinbotham percera plus de vingt ans après sa première commercialisation, en 1981. Il

sera alors considéré comme le premier jeu vidéo inventé connu.

PLe magazine américain Creative Computing Video and Arcade Games9, dans son premier numéro

sorti au printemps 1983, revient d'ailleurs sur cet épisode dans l'éditorial de David Ahl, qui

commence ainsi : « 1958. Vingt-cinq ans plus tôt. Une année décisive pour le jeu vidéo. “Tu

plaisantes ?” dîtes-vous. “Ah, tu es à côté de la plaque. Nolan Bushnell n'a pas inventé Pong

avant 1973. C'est la vraie année décisive”. C'est assez vrai, mais faites-moi confiance ». 10

Dans le même magazine, un article intitulé « Who really invented the video game 11? » revient

sur le processus de création de Tennis for Two par William Higinbotham. Le scientifique travaille

au laboratoire national de recherche nucléaire de Brookhaven, à Upton aux États-Unis. Lors

d'une journée de découverte organisée pour le public, il veut rendre la visite plus attractive et

plus attrayante. Il a l'idée de programmer un jeu de tennis sur ordinateur. C'est un succès,

l'opération est même renouvelée l'année suivante sur grand écran et avec des choix de terrain

différents.

Pour Erwan Cario, journaliste à Libération et auteur de « Start ! La grande histoire des jeux

vidéos », Tennis for Two ne peut cependant pas être considéré comme un jeu vidéo à part entière.

Il inclut plutôt le jeu de William Higinbotham dans la « période de pré-jeux vidéo » comme

9 Creative Computing Video and Arcade Games, Printemps 1983.10 « 1958. Twenty-five years ago. A landmark year for video and computer games. "Are you kidding?" you say. "Ahl, you're off your rocker. Nolan Bushnell didn't invent Pong until 1973. Now that was a landmark year. True enough, but bear with me ». 11 Who really invented the video game ? (Qui a vraiment inventé le jeu vidéo?), Creative Computing Video and Arcade Games, Printemps 1983.

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« véritable précurseur du jeu vidéo ».

Pong, le début de la révolution numérique

La véritable création du jeu vidéo intervient aux États-Unis en 1973, avec la mise en vente de

Pong. Erwan Cario rappelle que « Pong n'est donc pas sorti de nulle part ». En effet, entre-

temps, d'autres expériences américaines de jeux vidéo sont développées, parmi lesquelles on peut

citer Spacewar12 en 1962 ou même la Brown Bow en 1966, première console permettant de jouer

à un jeu vidéo sur son écran de télévision.

Mais Pong marque un tournant dans l'histoire du jeu vidéo. « Il est le jeu qui a fait naître

l'industrie du jeu vidéo », explique Jean Zeid, journaliste à France Info13. Le jeu a en effet toutes

les qualités pour participer au développement de cette industrie : des graphismes corrects,

permettant de s'approprier rapidement ce à quoi on joue ; la possibilité d'affronter un adversaire

humain ; une prise en main rapide mais aussi la possibilité d'observer une marge de progression.

« C'est un credo du jeu vidéo : “Facile à apprendre, difficile à maîtriser” », résume Erwan

Cario.

Dans un premier temps, Pong n'est accessible que sur des bornes de jeux dans des bars et des

cafés. Mais le succès est fulgurant. Paradoxalement, la société Atari, qui produit le jeu et les

bornes, en pâtit. En effet, les concurrents n'auront aucun mal à copier le processus de fabrication.

De sorte que plusieurs jeux reposant exactement sur le même modèle que Pong sortent au cours

de l'année 1973 : Winner, Table Tennis, Paddle Balls ou encore TV Ping Pong.

Après les jeux sur bornes, le jeu vidéo franchit une nouvelle étape avec celle des consoles de jeu,

dont le principe est d'amener ce divertissement au sein du foyer familial. Comme pour les jeux,

les constructeurs de consoles vont se livrer une véritable guerre : on en retrouve encore l'écho

aujourd'hui dans la diversité des consoles disponibles sur le marché. Non contente du succès de

Pong, la société Atari décide de se lancer à son tour dans le marché de la console. Pour un

résultat tout aussi satisfaisant : en 1976 sort la Atari 2600 qui dominera le marché pendant de

longues années. En France, cette console ne sort qu'en 1981.

Le krach de 1983 : l'industrie japonaise supplante les développeurs américains

Dans le même temps, le jeu vidéo commence à se diversifier. Finis les jeux de tennis qui se

ressemblent, terminées les intrigues se déroulant toutes dans l'espace. À la fin des années 1970,

12 Le jeu propose au joueur de livrer des batailles dans l'espace.13 « Jeux vidéo : de Pong (1972) aux jeux 3D », FranceInfo.fr, 7 novembre 2011.

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l'heure est à l'imagination. Parmi les jeux les plus connus, on peut citer Pac Man14 en 1980 ou

encore Donkey Kong15 en 1981. Un renouvellement néanmoins insuffisant en contenu : face à la

croissance exceptionnelle de la demande, il faut répondre très rapidement. Ce qui n'encourage

pas les créateurs et producteurs à réaliser des jeux de qualité.

En 1979, la console de référence, l'Atari 2600, possède un catalogue très restreint de cinq jeux.

Trois ans plus tard, pas moins de 135 jeux sont commercialisés, et 174 en 198316. Adoptant une

stratégie à outrance, la société Atari produit deux fois plus de jeux Pac Man qu'il n'y a de

consoles Atari. L'entreprise est alors persuadée que ses clients achèteront une deuxième console :

l'air du temps est à la consommation domestique, ce qui confirme l'effondrement d'un secteur

jusque là prospère : celui des salles d'arcade. Dans la seule année 1984, près de 3000 d'entre elles

disparaissent sur les 12 000 qui existent aux États-Unis17.

Cette frénésie des consoles sera cependant de très courte durée. Ce qui s'est produit avec Pong à

son époque va se reproduire avec Pac Man : copies grossières, faible originalité, graphismes

médiocres. Parallèlement, un événement majeur se fait jour avec l'apparition du marché de

l'informatique et la production croissante d'ordinateurs.

1983 marque donc la chute vertigineuse du marché du jeu vidéo, qu'on peut assimiler à

l'explosion d'une bulle, confirmée par les résultats de 1984, où le chiffre d'affaires de cette

industrie ne s'élève qu'à 900 millions de dollars18. Un troisième élément intervient : la prise de

pouvoir par les Japonais dans l'industrie du jeu vidéo.

Nintendo ou le modèle à suivre

Fondée en 188919, le constructeur japonais de consoles résiste à la crise. Mieux encore, c'est la

console qui va relancer l'industrie du jeu vidéo, dont on ne donne plus que quelques mois

d'existence lors de la crise traversée en 1983 et 1984. On parle alors seulement d'une mode

éphémère qui doit rapidement prendre fin.

Nintendo réussit donc à relancer l'industrie du jeu vidéo… en allant à contre-sens de tout ce qui a

été fait précédemment. La firme déclenche ce mouvement en dévoilant la NES (Nintendo

Entertainment System) en 1983. La console sort deux ans après aux États-Unis et à partir de

1986 sur le marché européen (en 1987 en France). Devant le succès énorme de sa toute nouvelle

14 Le joueur incarne un personnage en forme de boule jaune. Son but est d'échapper à plusieurs monstres qui le poursuivent.

15 Donkey Kong introduit une nouvelle expérience du jeu vidéo : le personnage principal doit délivrer sa femme, kidnappée par un singe répondant au nom de Donkey Kong.

16 « Les premiers frémissements du krach du jeu vidéo de 1983 », Scrolling,fr.17 « 1984, quand le jeu vidéo a évité le K.O », dossier dans JV, n°3, pp 84-92.18 « L'histoire des consoles, 1983-1984: le krach des consoles, jeuxvideo.com », 24 juin 2011.19 À l'origine, la société japonaise commercialisait des cartes à jouer.

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console, avec 56 millions de modèles écoulés20 au total, Nintendo prend une mesure tout à fait

originale : il décide de se rapprocher des éditeurs et d'imposer des conditions. Pour qu'un jeu ait

la chance d'être compatible et commercialisé sur la NES, il faut qu'il y ait un travail d'équipe

entre Nintendo et les studios de développement du jeu. Ce mode d'organisation en intégration

verticale servira de modèle à une autre entreprise de technologie qui, à la même époque, prend

son envol : Apple. Il s'accompagnera d'une gestion malthusienne des stocks destinés à susciter

l'envie des clients et justifier la hausse des prix. En outre, il permettra d'assurer pendant

longtemps la haute qualité d'ensemble de la production.

Nintendo et Shigeru Miyamoto : le développeur hors-pair

Pour Erwan Cario, « Shigeru Miyamoto est le plus grand créateur de l'histoire du jeu vidéo ». Il

est vrai que son parcours et ses productions parlent pour lui : Donkey Kong, Zelda mais surtout

Mario sont devenus des icônes du jeu vidéo, qui continuent, pour les deux dernières licences

citées, de toucher un large public aujourd'hui. Ainsi, pas moins de trois jeux Nintendo présentant

le personnage de Mario ont été commercialisés sur la seule année 2013.

Miyamoto répond parfaitement aux standards imposés par Nintendo, que relaie Erwan Cario :

« les mécanismes de jeu doivent être huilés, et les défis proposés aux joueurs se révéler variés,

imaginatifs et d'une difficulté croissante sans jamais devenir un obstacle infranchissable ». En

somme, le créateur japonais mise sur une chose : le gameplay21, en d'autres termes le ressenti du

joueur, essence même du jeu vidéo. « Les bases du succès du jeu seront la richesse de ses

niveaux et de son gameplay pour l'époque et peut-être également le fait que pour la première

fois, la notion de quête du héros prend tout son sens » écrit jeuxvideo.com dans un article22

consacré aux grands noms du jeu vidéo.

2 – La place du jeu vidéo aujourd'hui

Le plus gros marché du divertissement

Le marché mondial du jeu vidéo émargeait en 2013 à un chiffre d'affaire de 93,8 milliards de

dollars selon Gartner, cabinet d'étude spécialisé dans les techniques avancées. En augmentation

de plus de 18 % par rapport à 2012, les ventes ont été dopées par la sortie de deux nouvelles

consoles, la PlayStation 4 et la Xbox One, événement sur lequel on reviendra lors de notre étude

20 Nintendo Co. Consolidated Sales Transition by region.21 Voir l'index à la fin de ce travail pour une définition plus complète.22 « Les grands noms du jeu vidéo, Shigeru Miyamoto: du banjo à Mario », jeuxvideo.com, 13 janvier 2006.

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de cas. Ces chiffres sont recoupés par l'Idate, un think-tank français de l'économie numérique,

qui cite un chiffre d'affaire de l'ordre de 66 milliards d'euros, soit environ 91 milliards de dollars,

et évoque une évolution annuelle de 17 %. De telles statistiques font du jeu vidéo l'industrie

culturelle la plus puissante au monde23 selon l'Association française du jeu vidéo (AFJV), devant

la musique et la vidéo. Dans ces études, Gartner précise que ces consoles porteront le marché au

moins pour les deux prochaines années. Le marché des consoles de salon et des jeux dédiés à ce

support est dynamique avec 47,4 % du chiffre d'affaire total du secteur du jeu vidéo. Au total, le

chiffre d'affaire du jeu vidéo devrait s'élever respectivement à 101 et 115 milliards de dollars en

2014 et 2015.

Dans son livre blanc « Éléments clés du jeu vidéo en France en 2013 24», le Syndicat national du

jeu vidéo (SNJV) détaille la situation en France. Le marché du jeu vidéo en France atteignait un

chiffre d'affaires de 2,5 milliards d'euros en 2012 et devait s'élever à 2,6 milliards en 2013.

Le jeu sur mobile : le futur du jeu vidéo ?

Les consoles de jeux devraient donc permettre d'accompagner la croissance du marché du jeu

vidéo. Mais plus que cet événement conjoncturel, lié à la sortie de la PS4 et de la Xbox One, le

secteur devrait être soutenu dans le moyen terme par le mouvement de fond que constitue le

développement des jeux sur les tablettes et les smartphones.

Selon IDC, en 2013, sur le milliard de téléphones vendus dans le monde, plus de la moitié était

des smartphones, ce qui démontre le potentiel énorme de ce marché. Plusieurs éditeurs en sont

les acteurs. Nous pouvons notamment citer Rovio Entertainment, créateur et distributeur du jeu

Angry Birds, qui fait un véritable carton sur les smartphones et tablettes. Lancé en 2009, le jeu a

ainsi dépassé la barre du milliard de téléchargements en mai 2012.

Le succès de Candy Crush Saga a également été massif. Aujourd'hui encore, sa popularité ne se

dément pas. L'entreprise King revendiquait 93 millions de joueurs quotidiens25.

Plus récemment, le marché du jeu vidéo sur portable a été marqué par l'explosion de Flappy

Bird. Arrivé dans l'anonymat le plus complet en mai 201326 sur l'App Store – la plate-forme

d'applications d'Apple – le jeu a atteint des chiffres de téléchargements exceptionnels au début de

l'année 2014 : plus de 50 millions ! Et selon son créateur indépendant, Dong Nguyen, le jeu lui

rapporte 50 000 dollars par jour27, grâce aux bandeaux publicitaires.

23 « Le jeu vidéo conforte sa place de première industrie culturelle », LesNumériques.com, 23 novembre 2013.24 « Le jeu vidéo en France, Rapport du Syndicat national du jeu vidéo.25 « Les bonbons de Candy Crush bientôt à Wall Street », LeMonde.fr, 19 février 2014.26 « Flappy Bird: phénomène du moment ou arnaque ? », Gamekult.com, 7 février 2014.27 « Indie smash hit 'Flappy Bird' racks up $50K per day in ad revenue », TheVerge.com, 5 février 2014.

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Le cabinet statistique Statista prévoit une augmentation importante des revenus liés aux ventes

de jeux sur mobile. Ils représentaient 4,7 milliards de dollars en 2000 et 5,6 milliards en 2009.

Pour 2014, Statista estime que les revenus devraient grimper à 11,4 milliards de dollars. Soit une

augmentation de 103 % en cinq ans seulement.

Le support physique amené à disparaître ?

Ce n'est pas une tendance propre à l'industrie du jeu vidéo, elle se retrouve également dans

l'univers de la musique ou du cinéma. Mais les chiffres sont réellement impressionnants : en

France, les ventes de jeux vidéo sur CD ont reculé de 13 % en un an, même si ce support

physique totalise encore 60 % des ventes.28

En parallèle, ce déclin profite à l'offre dématérialisée, qui a cru en 2013 de 13 %. Une croissance

amenée à se poursuivre avec la sortie des consoles nouvelles générations – PlayStation 4 et Xbox

One – qui proposent chacune un service d'achat en ligne.

Petite sociologie du joueur de jeux vidéo

Le cliché de l'adolescent boutonneux, cloîtré toute la journée dans sa chambre, est très éloigné de

la réalité. Il y a trente ans, cela pouvait être vrai, c'était en tout cas le groupe dominant.

Aujourd'hui, une sociologie plus précise du joueur de jeu vidéo français a été réalisée par le

Syndicat national du jeu vidéo (SNJV). Les femmes âgées entre 30 et 50 ans sont les plus

actives. D'une manière générale, l'âge moyen d'un joueur est de 41 ans et ne cesse d'augmenter.

Toujours selon la même étude, il y a en France 31 millions de joueurs de jeux vidéo. Et plus

largement, 8 Français sur 10 auraient joué au moins une fois dans l'année 2013, sans forcément

ensuite s'y adonner régulièrement.

B – Le succès de la presse magazine dans les années 1990

1 – Une presse florissante

À la lecture du livre de Jean-Marie Charon La presse magazine, on se rend compte que la presse

de jeux vidéo a vécu avec un effet retard deux évènements communs à la presse magazine dans

son ensemble : d'une part son âge d'or et d'autre part sa chute liée notamment à la crise de la

publicité que l'on examinera plus longtemps.

28 Le jeu vidéo en France, Rapport du Syndicat national du jeu vidéo.

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Les années 80, apogée de la presse magazine généraliste

L'apogée de la presse magazine est atteinte au cours des années 1980. Si nous remontons aux

années succédant à la fin de la guerre, nous constatons que le contexte est extrêmement favorable

à son développement.

En effet, l'État dirige une politique de soutien, ayant pour but notamment de réduire toutes les

charges pouvant empêcher la conception et la distribution d'un magazine. Ainsi, sont décidées

une aide postale, une aide aux transports par la SNCF, une réduction du taux de TVA. Enfin, le

secteur profite de la loi Bichet, votée en 1947, qui encadre la distribution de la presse en France.

Une autre raison de cet âge d'or des magazines dans les années 1980 est la constitution de grands

groupes de presse ou de leur renforcement : les rédactions disposent ainsi de moyens budgétaires

et humains supplémentaires. Parmi eux, Prisma Presse (groupe allemand fondé en 1978) retient

l'attention avec ses nombreux titres :

• Mars 1979 : version française de Géo (Prisma Presse). Ce magazine qui existait déjà en

Allemagne dépasse les 100 000 abonnés en seulement deux mois.

• 1981 : Ça m'intéresse.

• 1982 : Prima

• 1984 : Femme Actuelle

• 1986 : Télé-Loisirs

• 1987 : Voici

À l'époque de leur création, Prima, Femme Actuelle et Télé-Loisirs dépassaient régulièrement le

million d'exemplaires vendus.

Entre-temps, des magazines d'envergure rejoignent d'autres groupes de presse : L'Express est

repris en 1977 par Générale Occidentale, dirigée par Jimmy Goldsmith. Le Point, créé par

Hachette à sa naissance en 1972, est revendu en 1982 au groupe de cinéma Gaumont.

Ces grands groupes deviennent si puissants qu'ils engagent une orientation vers l'étranger. Si la

presse magazine s'adapte aussi bien à l'international, c'est parce que « chacun reconnaît le

contrat de lecture qui lui est proposé et peut l'adopter sans avoir le sentiment d'adhérer à une

culture, un mode de vie, des valeurs qui seraient importés d'un autre pays ou d'un autre

continent »29.

29 Jean-Marie Charon, La presse magazine, Paris, La Découverte, 2008.

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Décennie 90 : apogée de la presse de jeux vidéo

L'extrême-fin des années 1980 ou le début des années 1990 voient l'arrivée de magazines

spécialisés dans le jeu vidéo :

• 1988 : Joystick

• 1990 : Player One

• 1991 : Joypad et Consoles +

La création tardive, en 1992 seulement, du groupe de presse français Edicorps Publication –

premier nom de la maison d'édition Mer 7, aujourd'hui disparue – montre bien cette entrée

tardive mais néanmoins efficace du jeu vidéo sur le marché de la presse magazine. Edicorps

Publication est la maison d'édition qui a permis l'éclosion de très nombreux magazines et

malheureusement leur disparition avec sa liquidation judiciaire ultérieure. Quoiqu'il en soit, les

magazines de jeux vidéo vont connaître avec ce groupe de presse un succès dont les ingrédients

méritent d'être détaillés.

2 – Les clés du succès de la presse de jeux vidéo

Une maquette très colorée

Suivant une habitude fréquente

à l'époque dans les magazines

pour jeunes, les maquettistes ne

lésinent pas sur les couleurs, sur

les grandes images au détriment

d'une partie de texte plus

réduite.

Cette présence d'images, qui

parle d'elle-même, à chaque

page rend agréable la lecture

d'une presse qui comme on l'a

vu plus haut s'adresse à

l'époque en priorité aux enfants

et aux adolescents.

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La Une du premier numéro de Consoles +, sorti en Août/Septembre 1991

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Un ton très libre, très jeune

Les rédactions étaient composées de rédacteurs très jeunes globalement, dont beaucoup de

pigistes, généralement de jeunes journalistes commençant dans le métier. Le tutoiement était de

rigueur, la familiarité aussi.

Ancien rédacteur à Joystick, Grégoire Hellot insiste sur le fait que « les magazines de jeu vidéo

étaient à l’époque l’une des seules presses véritablement “ado” avec Mad Movies par exemple.

Soit on avait des magazines ciblés “enfants”, ou bien “adultes”, mais pas franchement de

magazines destinés aux collégiens / lycéens, mises à part bien sûr des choses comme Okapi, qui

étaient beaucoup plus austères que nous avec nos couvertures ».30

Aujourd'hui, cette jeunesse d'écriture a partiellement déserté les magazines survivants ainsi que

la plupart des sites Internet et ne se retrouvent que sur les chaînes des YouTubeurs.

La démocratisation du jeu vidéo

Cet âge d'or est marqué par une diversification des genres de jeux vidéo. L'offre s'élargit et ne se

résume plus comme aux débuts du vidéoludisme aux intrigues dans l'espace. Erwan Cario l'écrit :

« Tous les genres majeurs du jeu vidéo moderne trouvent leur origine (ou leur confirmation)

dans ce début des années 1990. Le jeu n'est plus du tout un loisir monolithique, et un peu comme

un amateur de polar peut n'aimer ni la science-fiction ni les romans d'amour, un joueur peut se

“spécialiser“ dans un style bien particulier ».

Les jeux de sports et de combat se développent, ce qui permet de toucher une nouvelle

communauté de joueurs :

• 1987 : Street Fighter31

• 1994 : International Superstar Soccer (devenu Pro Evolution Soccer32)

• 1995 : FIFA

• 1997 : Age of Empire33

• 1999 : Grand Theft Auto

On peut donc parler de démocratisation des jeux vidéo, qui passe également par un phénomène

dit de « casualisation », à savoir une baisse drastique de leur difficulté : le but est d'ouvrir les

jeux vidéo au plus grand nombre.

Le nombre de joueurs s'accroît. Les prix baissent. Le jeu vidéo est devenu un produit culturel

30 « Années 90, l'âge d'or de la presse du jeu vidéo », Scrolling.fr, 30 juillet 2012.31 Jeu de combat. Aujourd'hui encore, des compétitions internationales entre joueurs professionnels se déroulent sur

ce jeu.32 Jeu de football édité par Konami. Il est le concurrent principal de FIFA.33 Le joueur doit faire évoluer une civilisation à travers les différentes périodes historiques.

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Page 17: La presse de jeux vidéo et YouTube, un exemple de la convergence médiatique ?

accessible.

C – Le déclin de la presse magazine et la concurrence par et

sur Internet

1 – Déclin de la presse magazine

L'offre rédactionnelle sur Internet s'est rapidement développée vers la fin des années 1990 et au

début du XXIe siècle. En ce sens, il n'y a aucune différence avec la presse française dans sa

globalité. Les effets de ce passage à l'ère numérique ont été catastrophiques, entraînant la

disparition de dix magazines de jeux vidéo en un laps de temps très court.

Mais la situation n'est cependant pas comparable avec celle des quotidiens nationaux et

régionaux. D'une part : la cible n'est pas la même et est considérablement plus faible. D'autre

part, cette presse de jeux vidéo prend uniquement la forme de magazines, dont la périodicité n'a

jamais été quotidienne.

La crise de la publicité et son impact dans la presse magazine

La presse magazine, dans sa globalité, a été affectée par la crise de la publicité dès les années

1990 : ralentissement de la croissance des recettes publicitaires, puis récession. Le marché

publicitaire, qui avait connu une croissance soutenue et régulière dans la décennie 1980 (le taux

de croissance annuel moyen des recettes publicitaires était de 10 %), s'inverse à partir de 1993

(chute de 14 % des recettes liées aux publicités).

La crise du marché publicitaire s'intensifie par la suite. Selon l'Institut de recherche et d'études

publicitaires34, les recettes liées en 2013 à la publicité dans les magazines ont reculé de 9,6 %,

atteignant un total d'un milliard d'euros. Une tendance à la baisse qui s'accentue par rapport à

2012 (-5,5 %).

La quasi-disparition de la presse écrite magazine de jeux vidéo : une « faillite »

économique

Le 8 novembre 2012, la maison d'édition Mer 7 est mise en liquidation judiciaire, presque 20 ans

après sa création. Cette faillite s'accompagne de la disparition de dix titres en deux ans entre mai

34 Institut de recherche et d'études publicitaires.

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Page 18: La presse de jeux vidéo et YouTube, un exemple de la convergence médiatique ?

2011 et mai 201335. Un seul de ces titres du groupe subsiste : Jeux Video Magazine, sauvé grâce à

la reprise en main de ses salariés. « Il y a eu une concentration au sein d'un même groupe de

presse de tous les titres papiers. Avec la fin du groupe Mer 7, toutes les personnes qui n'étaient

pas encore parties se sont retrouvées sur le carreau », explique Rodolphe Donain36.

Cette faillite est celle d'un modèle économique tout entier, fondé essentiellement sur les recettes

publicitaires. Dans la presse spécialisée, qui inclut les titres de jeux vidéo, l'ampleur est plus

forte que dans l'ensemble de la presse magazine : -11,5 % en 2013 après - 7 % en 2012.

Pour Jean-Marie Charon, cet effondrement affecte « les méthodes de vente forcée, dopée par des

cadeaux et des remises très substantielles, l'essentiel étant de gagner de l'audience pour la

vendre au mieux aux annonceurs ».37 La presse de jeux vidéo en est d'autant plus touchée que

cette pratique était systématique.

Face à cette situation, la stratégie de Canard PC mérite qu'on s'y arrête. En effet, malgré des

débuts extrêmement difficiles en 2003, tant sur le plan des ventes que sur un plan économique,

ce bimensuel est devenu aujourd'hui, avec un tirage affiché de 30 000 exemplaires, une force

vive dans son secteur. Ce statut, il le doit au pari réussi de fonder ses revenus dès l'origine sur les

abonnements plus que sur la publicité. Comme nous le verrons ultérieurement, Canard PC a

ainsi acquis son indépendance sur un plan économique mais aussi sur le plan de sa ligne

éditoriale. Pour mieux mettre en valeur cette démarche originale, Ivan Gaudé, rédacteur en chef

de Canard PC, critique ses confrères38, qui ont toujours privilégié des « stratégies mercantilistes

bas-de-gamme » plutôt qu'un projet rédactionnel pouvant empêcher un trop fort exode des

lecteurs vers Internet.

« Arc-boutés sur une logique de "plus-produit" qui devait

pousser les lecteurs à se procurer non un journal mais un

bonus (jeux complets, CD exclusif pour les magazines

officiels…), ces dirigeants visionnaires vantaient une

presse qui n'en avait plus que le nom et qui s'est retrouvée

balayée par le triomphe de la dématérialisation, leur

laissant sur les bras des magazines aux équipes réduites

dont le prix élevé n'avait plus aucune justification ».

35 Il s'agit de : Joypad, Joystick, PC Jeux, Consoles +, PC4War, IG Magazine, Playstation Magazine, Xbox 360 Magazine, Nintendo Magazine, Kid Paddle.

36 Rodolphe Donain est l'ancien rédacteur en chef de JVN.com, aujourd'hui disparu. « On ne peut pas tout dire! Jeu vidéo: les journalistes servent-ils encore à quelque chose ? », Vidéo YouTube, 25 octobre 2013.

37 CHARON Jean-Marie, La presse magazine, Paris, La Découverte, 2008.38 « Non, la presse de jeux vidéo n'est pas morte », CanardPC.com, 3 décembre 2012.

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Canard PC et ses concurrents : deux modèles opposés

Longtemps et encore aujourd'hui, la raison d'être des magazines papiers est le test de jeux vidéo.

Ce principe a été repris tel quel par les sites Internet, qui en ont fait leur ligne éditoriale. Ce

parallélisme des lignes éditoriales joue contre la presse magazine. Face à Internet, celle-ci ne

peut pas soutenir la course à l'information, comme l'explique Ivan Gaudé,39directeur de la

rédaction du magazine Canard PC :

« Aujourd’hui, pour un site web, il n’y a pas d’autre

solution qu’être à l’heure T, à la minute M et à la seconde

S sur la sortie d’un article ou d’un test. Parce que les

premiers arrivés sur le net sont les premiers servis, à

cause de Google, à cause du référencement et à cause des

lecteurs qui sont très volatiles. Donc celui qui sort son test

en premier, c’est celui qui rafle le maximum de

l’audience. Et il a besoin de cette audience et de son

nombre de pages vues pour vendre ses bannières

publicitaires ».

De son côté, Rodolphe Donain 40 insiste: « Il y a une absurdité des dirigeants dans la presse

écrite. Le Net a été très mal anticipé. On est sur des modèles ancrés dans les années 1990, qui

ne sont pas géniaux. Je ne sais pas si c'est notre jeunesse ou si c'est l'envie de rester dans le

modèle news / previews / tests qui commencent à lasser. C'est clairement trop figé ».

Les magazines ne sont donc pas – encore ? – parvenus à renouveler leur contenu pour attirer de

nouveaux lecteurs et pouvoir tenir sur le long terme. Le cas est le plus flagrant est celui de JV Le

Mag et Videogamer : ils continuent de consacrer plus du quart de leurs pages aux tests de jeux

vidéo.

Même les magazines qui ont tenté de se démarquer n'y sont pas parvenus. C'était notamment le

cas de IG Magazine– pour In Game – dont le premier numéro est paru au mois de mars 2009.

Bimestriel, ce « mook », dont le format long se situait entre un livre et un magazine, voulait

39 « "On ne s'est pas fait que des amis" : Entretien avec Ivan Gaudé, cofondateur de Canard PC », Ragemag.fr, 2 décembre 2013.

40 « On ne peut pas tout dire! Jeu vidéo: les journalistes servent-ils encore à quelque chose ? », Vidéo YouTube, 25 octobre 2013.

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toucher une audience différente en se détachant du traditionnel modèle des tests et des previews.

Pour Bounthavy Suvilay, ancienne rédactrice en chef d'IG Le Mag41, « c’est avant tout essayer

de faire autre chose que la sempiternelle série de preview-review des magazines d’alors. En

outre, je voulais essayer une approche plus neutre pour parler du média jeu vidéo ».

Bruno Rocca, journaliste à IG pendant quatre ans, renchérit 42: « Il fallait casser les codes, mettre

en avant les acteurs (petits ou grands) du milieu ainsi que les jeux rétro, faire des dossiers de

fond, ne pas noter les jeux comme de simples machines à laver mais faire de véritables critiques,

etc. » Au total, la nouvelle ligne éditoriale visait un nouveau public, « celui qui s’intéresse aux

jeux vidéo de manière globale au lieu de ne jouer qu’à un titre par an de façon monomaniaque.

Il n’y a pas d’âge pour les esprits curieux », expliquait Bounthavy Suvilay.

Malheureusement, IG était sans doute allé trop loin en terme de prix (8,50 euros le numéro, soit

deux fois plus que la moyenne) comme en terme de cible. Julien Pirou, ancien journaliste au

magazine expliquait à la veille de sa disparition en juillet 2013 d'IG 43: « On pouvait vraiment

soumettre des idées d’articles sur des sujets pointus, voire obscurs. Il y avait toujours une petite

place pour eux dans le magazine ». Laurent Deheppe, rédacteur en chef de Videogamer, n'a

jamais été intéressé par IG : « Ça n'était pas ludique, tu avais l'impression d'être en cours

d'histoire en terminale. Il ne faut pas oublier qu'on est une presse de loisirs, où on doit s'éclater

un minimum. Moi, l'interview d'un développeur chinois, j'en ai rien à foutre !44 ».

À l'inverse de ses confrères, Canard PC a véritablement changé sa ligne éditoriale sans tomber

dans l'excès. Ce magazine n'a pas attendu la montée en puissance d'Internet pour faire le pari

d'une ligne décalée : peu de tests mais une grande place accordée à des dossiers autour du jeu

vidéo, abordés sous un angle économique, historique, technique… Cette ligne rappelle celle

d'Edge, magazine britannique fondé en 1993. Si de la place est faite pour les tests de jeux, Edge

prend le contre-pied du secteur en allant à la rencontre des développeurs en train de créer un jeu

pas encore commercialisé, toujours au stade de projet. Chaque numéro est aussi l'occasion de

réaliser un focus sur un jeu en développement, de retracer l'évolution du projet et de recueillir le

témoignage des créateurs et des designers… Cette ligne éditoriale d'Edge est certes très pointue

mais a le mérite de se distinguer de ce qui se fait ailleurs. La réussite est totale : le magazine a

dépassé en décembre 2013 les 260 numéros. De son côté, Canard PC peut se prévaloir d'un

succès comparable avec plus de 280 numéros vendus à la même date.

41 « IG Magazine s'éteint, les (vieux) joueurs sont un peu orphelins », GameOver.fr, 1er août 2013. 42 « IG Magazine, interview post-mortem de Bruno Rocca », Bounthavy.com, 4 juillet 2013.43 « IG Magazine, interview post-mortem de Julien Pirou », Bounthavy.com, 10 juillet 2013. 44 Tous ses propos sont tirés de l'interview téléphonique réalisée le 12 mai 2014.

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2 – Avènement de la presse sur Internet

Aucun des magazines de jeux vidéo appartenant à la maison d'édition Mer7 – anciennement

Edicorps Publication – ne disposait de sites Internet avant la création de JVN.com en juin 200945.

Ces publications n'avaient même pas un site purement promotionnel, pour annoncer la sortie de

leur prochain numéro et leur contenu, comme le font aujourd'hui des magazines comme Canard

PC, Videogamer voire JV Le Mag, qui présente quelques brèves supplémentaires.

Sites Internet : des audiences conséquentes

Aujourd'hui, trois sites web de jeux vidéo se dégagent très clairement : jeuxvidéo.com, Gamekult

et Gameblog. Trois sites aux lignes éditoriales différentes sans être opposées46 qui dégagent des

audiences importantes.

Dans ce domaine, jeuxvidéo.com est incontestablement le plus consulté. Selon les chiffres de

l'OJD, il arrive au septième rang en France toutes catégories confondues, soit en février 2014,

plus de 50 millions de visites. Ces chiffres se situent loin derrière ceux d'Orange et du Bon Coin,

mais relativement proche de L'Équipe.fr, troisième au classement, qui comptabilisait le même

mois 65 millions de visites. Si l'on tient compte du classement en fonction du nombre de pages

vues, jeuxvidéo.com se classe quatrième en France – 401 millions de pages vues en février 2014

– et présente 7,93 pages vues par visite.

Certains de ces sites appartiennent ou ont appartenu à de grands groupes de presse, ce qui leur a

permis de disposer d'une audience plus large et de moyens accrus. Comme on l'a vu, c'est

exactement ce qui a permis à des magazines de jeux vidéo de se développer dans les années

1990.

C'est notamment le cas de jeuxvideo.com, créé en 1997, dont le capital est détenu par le groupe

télévisuel M6. Gamekult, lancé en décembre 2000, appartenait jusqu'en décembre 2013 à CNET

Networks, lui-même racheté en 2008 par CBS Interactive, grand groupe américain de

divertissement et d'information. Depuis, et même si l'annonce a été tardive – seulement révélée le

3 février 201447 – le site appartient à CUP Interactive, entreprise créée par d'anciens responsables

de CNET France.

Seul Gameblog s'est lancé sur ses fonds propres. Mais le site a depuis été en partie racheté par

Ankama48, une société française spécialisée notamment dans le domaine du jeu vidéo.

45 Canal Jeux Vidéo annonce le lancement de JVN.com, son premier portail Internet destiné à tous les joueurs, Afjv.com, 11 juin 2009.

46 Se reporter à la grille de lecture de l'étude de cas, disponible en annexes, pour des explications plus complètes.47 « Du changement chez Gamekult », Gamekult.com, 3 février 2014.48 « Gameblog.fr s'adosse à Ankama », Gamekult.com, 5 novembre 2011.

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YouTube : nouveau média roi sur le secteur des jeux vidéo

YouTube est devenu un média à part entière. Nous y retrouvons de tout : divertissement le plus

souvent, information dans une moindre mesure, contenus personnels… La grande majorité des

contenus ne perce pas et n'y parviendra jamais. Certains YouTubeurs cependant réussissent à

séduire des internautes, à progressivement les fidéliser, à créer autour d'eux des communautés.

Nous verrons au cours de notre étude de cas l'ensemble des raisons expliquant le succès de ces

YouTubeurs.

Ce qui est certain, c'est que le contenu déposé sur YouTube est presque irrationnel en terme de

volumétrie. Les chiffres avancés par la firme américaine font état de 100 heures de vidéos

postées chaque minute sur le site de partage qui leur est consacré. Les chiffres de consultation

sont encore plus démesurés : 4 milliards de vues chaque jour ! Pour bien situer ces statistiques, il

faut les comparer à celles de Dailymotion. L'entreprise française s'est crée, à quelques semaines

près, au même moment que YouTube, en 2005, mais ne revendique que 2 milliards de vues par

mois : son audience est soixante fois inférieure à celle de la firme américaine.

Des audiences énormes

Dans ce raz-de-marée de chiffres, les vidéos des gamers visibles sur YouTube se distinguent

particulièrement, que ce soit en France ou dans le monde. Le Suédois PewDiePie49, par exemple,

cumule plus de 26 millions d'abonnés sur sa chaîne YouTube. Il totalise plus de 4 milliards de

vues sur sa chaîne depuis sa création. La recette de son succès, qui a fait ses preuves depuis

plusieurs années maintenant sur YouTube, est d'avoir su combiner habilement humour et gaming.

En France, aucun YouTubeur n'atteint de tels chiffres. Mais certains réalisent tout de même des

audiences conséquentes. Et surtout à des fréquences assez régulières.

Les exemples ne manquent pas, mais le plus marquant est sans doute Squeezie. Il est

particulièrement intéressant de s'attarder sur ses statistiques. En effet, Squeezie a atteint au mois

d'avril 2014 la barre des 2 millions d'abonnés sur sa chaîne YouTube. Afin de voir son évolution,

nous avons décidé de commencer la période d'étude à partir du 18 septembre, soit un jour après

la sortie de Grand Theft Auto V, jeu dont il sera souvent question dans notre étude de cas. De

cette date jusqu'au 1er mai, date à laquelle nous mettons fin à notre étude, Squeezie a publié au

total 97 vidéos. En sept mois et demi, il a publié 22 % du total de productions réalisées sur sa

chaîne. À titre de comparaison, entre le 3 février et le 18 septembre 2013, soit une période

49 PewDiePie est son pseudo.

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également de sept mois et demi, Squeezie avait publié 93 vidéos. Il a donc légèrement augmenté

le rythme de publications. Surtout, c'est le nombre de vues qui connaît une croissance très forte,

en corrélation avec l'augmentation du nombre d'abonnés à sa chaîne. Ainsi, le 2 mars 2013,

Squeezie fêtait ses 300 000 abonnés. Aujourd'hui, il a donc dépassé le cap des 2 millions. Entre

le 3 février et le 18 septembre 2013, Squeezie a réuni plus de 73 millions de vues en 97 vidéos,

soit une moyenne de 750 000 vues par vidéo. 28 vidéos dépassent le million de vues, une barre

extrêmement symbolique sur YouTube. Parmi ces vidéos, 3 dépassent les 2 millions de vues,

dont une frôle les 4 millions de vues.

Mais les chiffres sont réellement impressionnants depuis le 18 septembre, et ce jusqu'au 1er mai

2014 : en 93 vidéos, Squeezie atteint 133 000 000 de vues, soit une augmentation de 77 %.

Surtout, 81 de ses 93 vidéos dépassent le million de vues, et 9 franchissent le seuil des 2 millions

de vues – sans aucune pointe au-delà des 3 millions.

Ce tableau récapitule les principales statistiques des YouTubeurs sur lesquels nous nous

pencherons en priorité. À noter que le relevé des chiffres s'est arrêté le 1er mai 2014.

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Nom du YouTubeur

Diablox9 MrLEV12 Naito75 VodK Squeezie

Nombre de vidéos postées

588 459 441 411 437

Nombre de vues

234 000 000 125 000 000 66 000 000 26 000 000 280 000 000

Vues par vidéo (en moyenne)

398 000 272 000 150 000 63 000 640 000

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II / Étude de cas

Les YouTubeurs gamersPrécisons avant de commencer que cette étude de cas50 se limite à quelques YouTubeurs et à

quelques sites de jeux vidéo et qu'elle tourne autour de trois évènements majeurs du jeu vidéo en

2013 et 2014.

A – Une audience exceptionnelle pour une « offre nouvelle »

1 – Un créneau quasi exclusif : le gameplay

armi l'offre de sites de jeux vidéo figurent le gameplay, c'est-à-dire la sensation du jeu

apportée par les images et les extraits de jeux. Les gameplays sont principalement mis

en ligne par les éditeurs ainsi que par les YouTubeurs, qui en représentent une part non

négligeable, et les sites de jeux vidéo eux-mêmes.

PLe problème est que ces images et extraits qu'on trouve sur les sites de jeux sont souvent ceux

des éditeurs sans être différenciés des gameplays réalisés par les journalistes. Il n'y a donc

aucune distinction de faite entre les contenus à valeur ajoutée et les vidéos seulement relayées

par le site.

Seuls les YouTubeurs se distinguent par une production personnelle, intégrant une valeur ajoutée.

Le gameplay a été une véritable révolution pour le lecteur habituel de magazines de jeux vidéo,

en tant que joueur et en tant que client. Avant qu'Internet existe, il n'y avait aucun moyen de se

faire une idée du jeu autrement que par les critiques des journalistes ayant pu le tester avant sa

sortie commerciale. Il fallait donc se fier à la note, lire le test et ensuite faire son choix, avec

forcément le risque d'une déception.

Avec l'arrivée d'Internet, les éditeurs de jeux vidéo ont pu relayer des images de leurs

productions, puis des vidéos et enfin de courts extraits. Cependant au début, il n'y avait le plus

souvent pas de commentaires ni de mise en valeur particulière : seul l'avis du créateur du jeu était

avancé, de sorte que l'incertitude était toujours de mise pour le client potentiel.

Évidemment, cette incertitude n'a pas disparu avec la mise en ligne d'images de jeux et de tests

en vidéo. Pourtant, l'énorme avantage du gameplay apporté par le YouTubeur est qu'il représente

50 La grille de lecture totale de l'étude de cas est disponible en annexes.

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fidèlement de multiples aspects du jeu : qualité graphique, fluidité, interface et surtout but du jeu.

En outre, il réserve une part de surprise en ne montrant pas volontairement toute la richesse et les

aspérités du jeu. Nous voyons donc que le gameplay d'un YouTubeur n'a rien à voir avec celui

d'un éditeur ou d'un site en ligne.

Évidemment, au final, seul le gameplay et l'expérience personnelle du joueur importent.

Commenter et se filmer : la recette du succès

Les YouTubeurs qui réalisent les meilleures audiences ne se contentent pas d'enregistrer leurs

parties disputées. Ils y ajoutent, pour la plupart d'entre eux, deux éléments majeurs que sont leurs

propres commentaires et leur habilité à se filmer en train de jouer.

Le commentaire est essentiel, car le YouTubeur y décrit le jeu et délivre ses sentiments, ses

impressions. Il explique ce qu'il fait à l'écran et détaille ce qui est en train de se dérouler.

« Beaucoup passe par la voix, la vidéo n'est pas forcément intéressante. Ces gens là s'expriment

bien. L'aspect commentaire est extrêmement important »51, explique Ivan Gaudé, directeur de la

rédaction de Canard PC. Ce que réalise le YouTubeur s'apparente à de la radio. Il est à l'aise à

l'oral, clair et précis. Ceci contribue encore plus à lui donner de l'importance chez les internautes

qui font de l'avis du bon YouTubeur une condition d'achat du jeu.

Outre le commentaire, la vidéo ajoute elle un supplément d'âme, une impression de proximité,

une présence. On voit le YouTubeur, on peut s'identifier à lui.

La spontanéité comme maître-mot

Éviter à tout prix la télévision et ses carcans est un discours qui revient très régulièrement chez

les YouTubeurs. Au passage, nous pouvons souligner que cette position n'est pas seulement celle

des gamers : ainsi, de nombreux humoristes refusent de céder aux nombreuses sollicitations des

chaînes de télévision. En restant sur YouTube, ils souhaitent garder leur liberté, car ils

bénéficient d'une plus grande indépendance au niveau de la fréquence de création de contenus,

des sujets traités… En août 2012, sur Europe 152, Norman Thavaud, humoriste sur YouTube53

s'expliquait : « Faire du web et faire de la télévision, c'est très différent. Donc en effet, je ne suis

pas tout à fait d'accord pour passer du web à la télévision. Ce n'est pas mon truc, je n'ai pas

d'affinité avec ça ».

En ce qui concerne les gamers sur YouTube, ce refus – temporaire parfois – de la télévision et de

51 « Un Youtubeur, c'est Monsieur Tout-le-monde en train de jouer. Comment quelques adolescents fans de jeux vidéo enfoncent la vieille télé », Arrêt sur Images, 26 juin 2013.

52 « Cyprien et Norman ne seront pas sur Canal », Europe 1.fr, 7 août 2012.53 Sa chaîne compte plus de 370 millions de vues en trois ans d'activité.

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ses codes est également revendiqué. Pomf, YouTubeur et organisateur d'évènements autour du

jeu vidéo, indique :

« YouTube va à 180 degrés de ce qu'on voit à la télé, des

normes. Il faut avoir le sourire bright, il ne faut pas dire

de gros mots. Heureusement, sur le Net, on n'a pas ces

contraintes. Les gens attendent quelque chose de pointu et

d'authentique. On refuse les codes de la télévision ».54

Le risque de la télévision est en effet de perdre ce qui fait la force et la caractéristique des vidéos

de YouTubeurs, à savoir la spontanéité et le naturel du propos.

Certes, l'écriture dans la presse magazine et sur les sites de jeux vidéo est très particulière et reste

proche du ton des magazines pour adolescents : un style plutôt familier, de l'humour, des articles

décalés… Mais de par sa plus grande diversité de contenus, avec par exemple des dossiers sur

des créateurs indépendants de jeux vidéo, l'écriture du site Internet comme Gamekult demeure

plus conventionnelle que le style des vidéos postées par les YouTubeurs. Les dossiers et même

les tests y sont plus réfléchis dans l'écriture pour gagner en crédibilité.

YouTubeur, MrLEV12 aime placer des bêtisiers à la fin de certaines de ses vidéos, comme en

novembre 2013 dans son « unboxing 55» du jeu Call of Duty56. Son langage, parfois grossier,

s'adresse clairement à des adolescents ou à de jeunes adultes. Il a par exemple publié une vidéo

dans laquelle il se faisait insulter par d'autres joueurs en ligne. Succès garanti, cette vidéo a

réalisé plus d'1 800 000 vues.

De même, Squeezie se situe constamment aux frontières entre l'humour et le gaming. Sur sa

chaîne de gaming, il réalise aussi des podcasts humoristiques qui sont d'ailleurs les vidéos les

plus vues et les plus plébiscitées. À l'inverse, sur la chaîne Cyprien Gaming, il collabore avec un

autre humoriste du Web, Cyprien, pour proposer des vidéos sur des jeux. L'expérience de

Cyprien Gaming montre la force de la combinaison entre l'humour et le gaming : d'une part,

l'humoriste Cyprien veut s'ouvrir aux jeux vidéo ; d'autre part le gamer Squeezie veut s'ouvrir à

l'humour.

Ne pas se restreindre, parfois aller dans l'excès, telles sont les possibilités offertes par YouTube et

souvent utilisées par les YouTubeurs. Ceci peuvent ainsi s'affranchir du ton plus policé de la

54 « Un Youtubeur, c'est Monsieur Tout-le-monde en train de jouer. Comment quelques adolescents fans de jeux vidéo enfoncent la vieille télé », Arrêt sur Images, 26 juin 2013.

55 L'unboxing consiste en fait à se filmer en train de déballer la console et de présenter les caractéristiques principales du produit testé. Voir l'index.

56 Unboxing Prestige Edition Call Of Duty Ghosts, 25 octobre 2013.

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presse magazine et des sites de jeux vidéo qui n'est naturellement pas adapté au média YouTube.

Pomf résume ainsi l'essence d'un YouTubeur : « C'est un mec qui ne prépare pas son émission,

c'est un mec qui est spontané ». Un état d'esprit parfaitement illustré par VodK. Le YouTubeur

spécialisé dans le jeu Grand Theft Auto V est incontestablement celui qui improvise le plus dans

ses vidéos, parmi les YouTubeurs que nous étudions. L'immense majorité de ses vidéos se fait en

compagnie de sa bande d'amis, la « Team Powa ». Les échanges sont vifs – parfois même

brouillons avec les voix de toutes les personnes participant à la vidéo qui se confondent – et

permettent de donner une spontanéité naturelle à la vidéo. Insultes, langage très familier, blagues

osées : tout est réuni pour que la vidéo se déroule dans la bonne humeur et plaise aux internautes,

friands de ce type de contenus.

Peu de dossiers sur YouTube par rapport aux sites Internet…

Si la force du YouTubeur est le gameplay, c'est aussi l'une des seules choses qu'il est capable de

proposer à son audience. Il a très peu de possibilités pour varier les types de contenus, comme

par exemple faire des enquêtes et proposer des dossiers complets, même si, comme le dit Ivan

Gaudé, « il y a de tout sur Youtube. Des contenus avec beaucoup d'ambition dans le ton, la

production, l'écriture, dans le discours». Mais précisément, la préparation formelle du contenu

affecte l'aspect naturel et direct du propos d'une vidéo et enlève une part de son intérêt, comme

nous le verrons par la suite. En définitive, ce qui différencie les contenus se situe uniquement

dans la présentation et le traitement de l'image : parodie, humour, détournement, simple

commentaire constituent les critères de différenciation des gameplay les uns par rapport aux

autres. La base est la même, à savoir l'image d'un jeu vidéo.

De fait, les reportages ou les tests de matériels sont très rares sur les chaînes de YouTubeurs. À

l'occasion de la sortie en novembre 2013 des nouvelles consoles – la Xbox One et la PlayStation

4 (PS4) – peu ont réalisé de vidéos à leur sujet. Montrer une console à l'écran et décrire des

fonctionnalités n'est pas suffisamment intéressant pour l'internaute. L'image ne constitue pas

toujours un apport au regard du support écrit.

MrLEV 12 a été le plus productif, avec seulement deux vidéos publiées à la suite : le 26

novembre 2013, « unboxing » de la PS4 (Sony) ; le 27 novembre, déroulé quasi identique avec la

Xbox One (Microsoft). Même acolyte pour la présentation, même longueur globalement, même

introduction avec une incrustation de MrLEV12 dans l'arrière-plan grâce à un fond vert… Ces

deux vidéos très ressemblantes ont en plus le désavantage de paraître dans un intervalle de temps

trop court. Sur ce plan, l'approche de MrLEV12 a été une erreur de marketing : l'observation

empirique sur YouTube appuie en effet l'idée que les vidéos paraissant d'un jour sur l'autre

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réalisent beaucoup moins de vues. Dans ce cas précis, la vidéo du 27 novembre a connu une

chute d'audience par rapport à celle de la veille (-27 %). Pourtant, il faut souligner que, en dépit

du caractère très sommaire de l'« unboxing » de MrLEV12, celui-ci a intéressé les internautes

qui ont été aussi nombreux à voir ces deux vidéos que les gameplays proposés au cours de la

même période. Il y a donc une attente du public que les YouTubeurs sont peu nombreux à

satisfaire : ainsi Diablox9 n'a réalisé qu'une seule vidéo (sur la Xbox One, provoquant une

nouvelle fois des rumeurs de contrats avec Microsoft, donc un comportement anti-

déontologique) et Naito75 aucune. Ces sorties étaient pourtant très attendues par toute la

communauté des joueurs, la précédente génération de consoles remontant à plus de sept ans.

Seulement montrer la console à l'écran et décrire les fonctionnalités n'est pas suffisamment

intéressant pour l'internaute. Tout au plus, le YouTubeur peut réaliser une vidéo sur le sujet. Mais

il ne peut pas décliner le concept en plusieurs productions. En parallèle, les sites spécialisés ont

été beaucoup plus actifs sur la question. Gameblog a réalisé plusieurs dossiers autour de cette

nouvelle génération de consoles : le plus récent date du mois de mars57 et revient sur les

différents défauts observés après plusieurs mois d'utilisation ; deux dossiers très fournis ont été

consacrés respectivement à la Xbox One et à la PS4 lors de leur commercialisation. Enfin, on

peut sans doute y rattacher un dossier sur les dernières innovations apportées aux anciennes

générations de consoles (notamment la Xbox 360 et la PS3) qui continuent de se vendre sur le

marché. Sans compter les très nombreuses brèves publiées sur le site et traitant de l'actualité de la

console.

Sur Gamekult, la découverte en live (donc un peu à la manière d'un YouTubeur) a été privilégiée.

Deux « GK Live58 » ont été réalisés pour la découverte des deux consoles.

Enfin, jeuxvideo.com a abordé l'évènement sous un angle plus commercial avec le détail des

offres proposées par la Xbox One et la PS4. La rédaction avait néanmoins dès l'annonce, en

juillet 2013, de la sortie des consoles réalisé un dossier sur les deux consoles. Mais le site ne

néglige pas non plus les nouveaux outils vidéos, avec plusieurs « Direct » : une découverte d'une

heure pour la Xbox One et la PS4, mais aussi deux très longues émissions de quatre heures sur

chacune des deux consoles citées précédemment.

57 « PS4, Xbox One, Wii U : fini de rire ! », Gameblog.fr, 14 mars 2014. 58 Le GK Live est un live proposé par des journalistes de la rédaction de Gamekult. Nous y reviendrons plus

longuement par la suite.

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…et peu de reportages sur le terrain

Les reportages des YouTubeurs sur le terrain sont également assez rares. Certes, les opportunités

sont peu nombreuses, mais plusieurs salons du jeu vidéo se tiennent en France, en Europe, voire

dans le monde. Le plus grand d'entre eux, l'E3 (Electronic Entertainment Expo), se déroule

chaque année à Los Angeles et plusieurs YouTubeurs se sont rendus sur place, notamment

Diablox9 et MrLEV12. Si les audiences du second ont été ordinaires, voire passables pour un tel

événement, celles de Diablox9 se démarquent très nettement de ses standards de vues habituels :

ses quatre vidéos sur l'E3 ont respectivement réalisé 680 000, 368 000, 504 000 et 531 000 vues,

soit plus de deux millions de vues en seulement quatre jours.

Mais la réalisation de ces reportages demande du temps. Certes, ils ne représentent pas de coûts

pour les YouTubeurs puisque les plus influents d'entre eux détiennent des pass presse et sont

invités par les grands studios d'édition. Néanmoins, l'enregistrement d'un gameplay est par

comparaison beaucoup plus simple et nécessite moins d'implication.

S'agissant des sites de jeux vidéo, ceux-ci disposent d'un avantage considérable comme

l'explique Rodolphe Donain, rédacteur en chef de feu JVN.com : une rédaction peut se détacher

beaucoup du simple modèle « preview-test-note » qu'un YouTubeur, qui fait des images du jeu

son fond de commerce. La presse a donc tout intérêt à « s'écarter de l'actualité du produit en lui-

même ».59

2 – Le besoin d'une communauté

La création, la gestion et la propagation d'une communauté sont les raisons incontestables du

succès de certains Youtubeurs. Une communauté solide et bien entretenue permet de sortir du lot

et de la la masse indénombrables de gamers sur Youtube.

De nombreux YouTubeurs rappellent dans leur vidéo la nécessité de les accompagner sur les

réseaux sociaux. Et ce n'est pas une situation propre aux Français : le YouTubeur et joueur

professionnel du jeu vidéo Call of Duty « Optic Scumper » - Seth Abner de son véritable nom –

termine toujours ses vidéos en demandant à sa communauté de le suivre sur Twitter. En France,

MrLEV12 parle de « défendre sa communauté » dans une de ses vidéos.

Aujourd'hui, parmi les YouTubeurs les plus influents, aucun ne peut se passer de ces outils. Le

but est de construire une communauté qui amènera de l'audience mais fera également part de ses

critiques et de ses conseils. De surcroît, qui dit audience dit également capacité à intéresser les

éditeurs et avoir des liens privilégiés avec eux.

59 « On ne peut pas tout dire! Jeu vidéo: les journalistes servent-ils encore à quelque chose ? », Vidéo YouTube, 25 octobre 2013.

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Nom Diablox9 MrLEV12 Naito75 VodK Prod

Jeuxvideo.com

Gameblog Gamekult

Nombre de « J'aime » sur Facebook

466 000 125 000 33 000 25 000 316 000 46 000 65 000

Nombre de followers sur Twitter

348 000 287 000 31 000 9 500 38 000 36 000 42 000

Abonnées sur la chaîne YouTube

1 600 000 1 200 000 389 000 190 000 31 500 Pas de chaîne YouTube

21 000

L'abonnement YouTube…

À la création de YouTube en 2005, les réseaux sociaux n'étaient pas aussi développés. Facebook

était juste né, en 2004, et Twitter n'existait pas encore60. La création d'une communauté était dès

le début considéré comme le moyen d'encourager les internautes à s'abonner aux différentes

chaînes de leurs YouTubeurs préférés. Le moyen de créer une communauté était alors

d'encourager les internautes à s'abonner à leur chaîne YouTube. En retour, l'abonnement permet à

l'internaute d'être tenu au courant lors de chaque publication, à travers une forme de newsletter

qui paraît selon la fréquence de publication de vidéos.

L'abonnement YouTube constitue donc un indicateur significatif de la puissance d'une chaîne de

YouTubeur, de son influence, de son poids. Cependant, un problème récent avec l'abonnement

YouTube est que, depuis début 2013, il ne semble plus remplir son rôle. Les YouTubeurs s'en

sont plaints à de très nombreuses reprises.

…ne suffit plus : l'ère des réseaux sociaux

Les YouTubeurs n'ont pas attendu les lacunes de YouTube pour développer leur communauté sur

les réseaux sociaux. Les chiffres qui reflètent la vitalité d'une communauté (nombre de « J'aime »

sur Facebook ou de « followers » sur Twitter) montrent un réel décalage entre certains

YouTubeurs et les sites de jeux vidéo. Même jeuxvideo.com, pourtant premier site européen de

jeux vidéo en terme d'affluence et septième site Internet le plus consulté en France tous secteurs

confondus, ne rivalise pas vraiment. Hormis sa page Facebook particulièrement suivie, avec plus

60 Le réseau social dit de « micro-blogging » n'a été créé qu'en 2006.

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de 316 000 « J'aime », son compte Twitter reste confidentiel par rapport à ceux des principaux

YouTubeurs.

Les réseaux sociaux leur servent à trois choses en général :

• Promouvoir leurs vidéos parues sur leur chaîne. Le rapport entre le réseau social et un

contenu est à double sens : d'une part, le contenu peut émerger des réseaux sociaux et

devenir une idée de vidéo pour le YouTubeur ; d'autre part le réseau social peut véhiculer

une vidéo proposant un certain contenu.

• Discuter avec leurs « followers ». Le but est de savoir quels contenus plaisent, quelles

améliorations apporter, quels contenus éviter. Le réseau social a un véritable pouvoir de

feedback. Les commentaires YouTube sont encore couramment utilisés par les

YouTubeurs pour avoir un retour sur leur travail. Mais les réseaux sociaux sont désormais

privilégiés. Ainsi, lorsque MrLEV12 organise une Foire aux questions (FAQ), il lance le

hashtag #FAQMrLEV12 pour recueillir toutes les questions de ses abonnés. Un exemple

encore plus convaincant est sans doute celui de Squeezie. Ce YouTubeur français a

réalisé sur sa propre chaîne YouTube dix épisodes intitulés « Question Time » depuis

septembre 2013. Il y invite ses abonnés à lui poser toutes les questions de leur choix. Il

est intéressant de noter que durant les sept premiers épisodes, ces questions provenaient

systématiquement de commentaires YouTube, mais que depuis lors, c'est Twitter qui lui

sert de support.

• Prendre contact avec d'autres YouTubeurs. Une communauté ne se compose pas

seulement d'internautes anonymes : YouTube est aussi un monde où les YouTubeurs

réalisent entre eux des vidéos et collaborent à la production de contenus. En cela, le

réseau social est une force, puisque cela leur permet de dialoguer entre eux, de se tenir

mutuellement au courant de leurs projets en cours. Twitter peut leur permettre de

rencontrer d'autres YouTubeurs.

Les sites Internet ont compris également ce pouvoir des réseaux sociaux. S'ils sont encore

largement en retard par rapport aux plus gros YouTubeurs comme le montre notre tableau (page

30), ils tendent de plus en plus à communiquer via ces outils. Anecdotique peut-être, mais

néanmoins révélateur de ce besoin d'une communauté : lorsque l'on suit Benjamin Cornu,

« responsable vidéo » du site Gameblog, sur Twitter, il répond par le message privé suivant :

« Merci de me suivre et bienvenue :) N'hésite pas à Retweeter ou bien commenter si un tweet te

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Page 32: La presse de jeux vidéo et YouTube, un exemple de la convergence médiatique ?

plaît pour faire vivre la communauté ;) ».

Contrairement aux YouTubeurs, Twitter et Facebook sont utilisés par les rédactions

professionnelles uniquement dans un but de promotion de leurs articles. Mais leurs journalistes

sont souvent présents sur ces réseaux sociaux et contribuent, eux, à assurer le lien entre le média

et le lecteur en discutant, en répondant à des questions d'internautes.

Chacun son expression

Certains YouTubeurs rivalisent d'idées pour fidéliser leur communauté. Le but est de lui donner

une identité, un nom qui permettra de la reconnaître aisément :

• Diablox9 aime appeler sa communauté la « Dx9 Family ». À priori, ce n'est qu'une

expression, mais elle a le pouvoir de rendre plus proche encore le rapport entre le

YouTubeur et les internautes qui le suivent. Ce terme n'est évidemment pas choisi par

hasard. Il fait référence à ce que l'on a vu précédemment, à savoir le naturel, la

convivialité et la spontanéité.

• De manière originale, MrLEV12 n'a pas décliné son nom mais sa « famille » a pour

référence sa propre femme, sous le pseudonyme de MmeV12. Celle-ci compte plus de

12 000 followers sur son compte Twitter qu'elle alimente pourtant relativement peu –

seulement 665 tweets au 2 avril 2014. Même si ces chiffres peuvent paraître dérisoires

par rapport au nombre de followers de MrLEV12 en personne (292 000 au 1er mai 2014),

la présence de MmeV12 sur Twitter répond à une stratégie : rendre encore plus proche

MrLEV12 de ses abonnés à travers des thèmes liés à la vie de sa femme et de ses enfants.

La « transparence » est donc une notion capitale pour expliquer le succès des YouTubeurs

en général, et de MrLEV12 en particulier. En outre, MmeV12 participe aux vidéos de son

mari. Celui-ci est même allé jusqu'à inventer son propre maillot pour se distinguer de la

foule lors de grands évènements.

• VodK, comme on l'a vu précédemment, a fondé sa propre équipe composée d'amis

et de connaissances sur Internet. Il l'a appelée la « Team Powa ». Régulièrement, il

organise des campagnes de recrutement pour intégrer son équipe auprès des internautes

qui le suivent. Dans chacune de ses vidéos, il invite également – souvent par un message

Twitter – les internautes à le rejoindre pour jouer. Si la logique de VodK est donc plus

sélective que la notion de communauté conçue par MrLEV12 ou Diablox9, elle s'inscrit

dans la même démarche.

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• Enfin, Squeezie a intitulé sa communauté la « Huss Family 61». La chaîne de Squeezie

culmine à plus de 2 millions d'abonnés. Un chiffre considérable dans le secteur, qui fait

de sa chaîne la leader du gaming en France. Son compte Twitter est suivi par plus de 230

000 personnes et sa page officielle sur Facebook réunit 340 000 fans.

B – L'influence des YouTubeurs sur les sites spécialisés

1 – Le live comme nouveau rendez-vous

Les sites de jeux vidéo proposent de plus en plus de contenus audiovisuels. Cela répond à une

volonté de ne pas voir Internet comme un support mais comme un média à part entière. C'est

d'ailleurs aussi en ce sens que l'on voit se développer les infographies, l'utilisation de timelines

(frises chronologiques) également, et pas seulement sur les sites de jeux vidéo.

D'un simple relais des éditeurs…

Pendant longtemps, les sites Internet se sont contentés de relayer les vidéos promotionnelles des

éditeurs : trailers, interview de producteurs ou de développeurs… Certes, il pouvait y avoir un

contenu informationnel, mais sans aucune valeur ajoutée de la rédaction. Nous le constatons

aujourd'hui encore sur l'ensemble des sites de jeux vidéo : ainsi, pour la sortie de Titanfall,

jeuxvideo.com propose une interview de plusieurs acteurs clés dans le développement, la

production et la distribution du jeu. La vidéo est résumée ainsi par le site : « L'équipe de

développement de Titanfall revient dans ce making-of pour évoquer avec nous le parcours

l'ayant conduite à façonner son FPS 6263». À en croire l'intitulé de la vidéo, la rédaction du site a

eu un accès privilégié au studio de développement et eu l'opportunité de s'entretenir avec ces

acteurs présentés au cours de la vidéo. Mais il n'en est rien : celle-ci reprend en réalité les mêmes

passages de gameplays diffusés dans d'autres vidéos de promotion, les interviews sont réalisées

en anglais et n'ont même pas été sous-titrées en français…

61« Huss » pour l'un des sons qu'il profère au cours de ses vidéos. Le concept s'est également décliné en vente de t-

shirts, les « Huss' Shirts ».

62 « L'équipe de développement de Titanfall revient dans ce making-of pour évoquer avec nous le parcours l'ayant conduite à façonner son FPS », jeuxvideo.com, 18 février 2014.

63 Un FPS (First Personnal Shooter) est un jeu de tir à la première personne.

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… à une véritable production journalistique

Cependant, jeuxvideo.com ne s'est pas arrêté à cette seule approche. Toujours à l'occasion de

Titanfall, un reportage a été réalisé à l'occasion d'un event organisé par les studios Respawn

Entertainment64 – auquel de très nombreux YouTubeurs se sont rendus comme nous le verrons

plus tard – ainsi que deux « Gaming Live » et un « Direct ». Lors d'un « Gaming Live », qui n'est

pas toujours une partie disputée en direct, un journaliste peut enregistrer à l'avance un gameplay

puis le décortiquer en l'analysant avec un autre journaliste. En l'occurrence, l'un des « Gaming

Live » était réalisé avec des commentaires en direct, l'autre portait sur un gameplay enregistré.

D'une durée moyenne de 20 minutes chacune, ces « Gaming Live » ont permis de faire le tour

des éléments principaux du jeu.

Encore plus intéressant pour le site, le « Direct » offre une heure entière de gameplay aux

personnes qui assistent au live. D'autre part, il permet une interaction internautes permise par

l'intermédiaire des réseaux sociaux, notamment Twitter. Surtout, l'atmosphère y est plus

détendue, le ton moins conventionnel. Certes, un journaliste est présent à côté de celui qui joue

pour recentrer les débats quand il le faut et aborder tous les points importants mais il y a une

évolution par rapport au simple test par écrit d'un jeu. De fait, le « Direct » favorise des

explications plus élaborées, le journaliste s'attardant plus longtemps sur un point de son choix.

Celui-ci peut également être interpellé par les internautes, quoique de manière indirecte puisqu'il

revient à un autre journaliste la tâche de lire et de sélectionner les questions.

Sur Gamekult, le live - « GK Live » - qui existe depuis l'été 2013 se rapproche de la logique du

YouTubeur. L'ambiance y est encore plus détendue et légère que sur jeuxvideo.com. Durant

certains lives, il n'est pas rare d'y voir les journalistes passer une commande de pizzas pendant le

déroulement du programme. Généralement, on se chambre, on s'insulte, on parle d'un tout autre

sujet que le jeu en lui-même. Et le concept plaît, à tel point que Gamekult a mis en place un

programme très chargé : chaque jour, du lundi au vendredi, il y a un live, en principe de 18 à 20

heures. Seul le jeudi fait exception, avec l'autre production de Gamekult, « GK l'émission »,

créée en 2007 (durée moyenne de 1 heure et 45 minutes) se compose de deux parties :

• Une première, longue d'une heure, aborde un thème : par exemple, discuter de la sortie

d'un jeu ou procéder à l'analyse du secteur du jeu vidéo en France. Parfois, l'émission

rebondit et approfondit des papiers publiés sur le site.

• Une deuxième, longue de 45 minutes, consiste en une libre antenne : les journalistes

reçoivent des appels par Skype (ou passent par Twitter) et discutent en direct avec les

64 Le studio a été créé par deux anciens salariés licenciés d'Activision, studio réputé notamment pour produire la licence Call of Duty.

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internautes sur un jeu vidéo en particulier.

Cette émission diffusée en direct ressemble donc beaucoup à un live. C'est seulement par son

déroulement, beaucoup plus structuré et thématique, qu'il s'en distingue d'un « GK Live ».

« GK l'émission » datant de 2007, il serait légitime de penser que les YouTubeurs n'ont en aucun

cas influencé les sites spécialisés, puisqu'une interaction avec les internautes existait déjà à

l'époque. En réalité, tout l'apport des YouTubeurs a été de modifier l'approche de la vidéo, en

rendant bien plus vivante et pertinente les émissions grâce aux commentaires en direct sur les

images du jeu, le scénario et le ressenti.

2 – Le journaliste est-il encore utile ?

La question est certes provocatrice. Mais elle peut se poser au vu de l'audience réalisée

aujourd'hui par les YouTubeurs et de leur positionnement éditorial qui se rapproche parfois des

sites Internet et des magazines spécialisés.

Martin Lefebvre porte un regard critique sur son métier : « Le problème est de savoir ce que les

journalistes apportent. C’est vrai qu’à l’époque du web et des réseaux sociaux, ce n’est pas

toujours évident. Une réponse possible, pas forcement la meilleure mais la plus facile, c’est de

considérer que les journalistes disposent, par leurs relations avec les éditeurs, d’un temps

d’avance, qui leur permet d’avoir du contenu exclusif que n’auront pas les gens sur Twitter ou

sur les forums ». Il enchaîne : « Le modèle du “preview-tests-notes” est dépassé, pour le print

notamment. Personnellement je consomme assez peu de previews, je n’ai pas besoin qu’on me

vende du rêve basé sur du vent, il y a déjà bien assez de jeux qui sont là pour me tenir

occupé »65.

Pour Emmanuel Villalba, dit « Manu », journaliste et chroniqueur, le problème vient clairement

de la ligne éditoriale :

« Le boulot qu'on fait était trop facilement remplaçable

avec les nouvelles technologies. Ce que faisait un

journaliste, tout le monde pouvait le faire. Certains

YouTubeurs sont très passionnés, et ils peuvent être aussi

bons que des journalistes. Et ils le font gratuitement.

Donc ça détruit la presse ». 66

65 Tous ses propos sont tirés de l'entretien réalisé par mail, disponible en intégralité en annexes.66 « On ne peut pas tout dire! Jeu vidéo: les journalistes servent-ils encore à quelque chose ? », Vidéo YouTube, 25

octobre 2013.

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Un avis que ne partage pas entièrement Laurent Deheppe, rédacteur en chef du magazine

Videogamer, fondé en janvier 2013 : « Evidemment, sur un test de jeu, ils peuvent faire aussi

bien que nous. Un test, c'est tellement subjectif ! Mais on ne fait pas le même métier. Moi je

donne des informations que le net n'a pas et les YouTubeurs encore moins ». Il rappelle la

différence entre un magazine et les sites Internet, auxquels on peut rattacher les YouTubeurs :

« Je propose un condensé d'un mois de l'actualité du jeu vidéo. Si tu ne te connectes pendant un

jour, tu loupes tout sur Internet ».

Le problème pourrait venir essentiellement des éditeurs qui « ont pris des habitudes avec les

YouTubeurs » comme l'explique Damien Menuet, fondateur du Portail du Jeu Vidéo. De sorte

que les journalistes ne sont plus en position de force et doivent parfois, eux aussi, se plier aux

exigences des éditeurs. « La dernière fois, je suis allé voir Forza, invité par Microsoft. C'était un

peu limité, mais sympa quand même. Quelques jours après, j'ai le copain de ma nièce qui va au

Xbox Tour. Et il essaie la même démo que j'ai testé. À quoi ça sert de m'appeler alors ? Je ne

suis pas un communicant, je ne suis pas ta pute », s'emporte Manu. Damien Menuet partage le

même avis : « Que veux-tu faire quand tu veux écrire un article sur des images que tu as vu et

qui ont ensuite été balancées avant la publication de ton papier? ».

Plus que la disparition à terme du métier de journaliste de jeux vidéo, c'est son évolution et sa

nécessaire transformation qui devraient intervenir. Depuis plus de vingt ans, la presse de jeux

vidéo s'enferme dans une logique de preview, de tests et de notes des jeux. Or, les YouTubeurs

sont eux aussi parfois dans cette logique, au-delà du simple fait de réaliser des vidéos pour

s'amuser et amuser les internautes. Nous le verrons, ils sont de plus en plus sollicités par les

éditeurs pour tester les jeux en avant-première, un privilège autrefois exclusivement réservé aux

journalistes. Ils sont donc exactement dans la même situation et peuvent tout autant délivrer leurs

impressions. C'est en ce sens que les sites et les magazines essaient de varier leur ligne éditoriale.

Sans toujours beaucoup de succès. Damien Menuet est partisan de cette évolution de la ligne

éditoriale des magazines et des sites de jeux vidéo : « Les interviews de développeurs ne sont

regardées par personne. Mais c'est important de le faire. Ça fait ton image, tu apportes plus de

choses que l'actu brute. Mais c'est vrai que tout le monde s'en fiche 67». Un constat que partage

Laurent Deheppe et qui le pousse, lui, à ne pas vouloir révolutionner la presse de jeux vidéo :

« De toute manière, si on enlève les notes pour les jeux, ça ne marche plus ! Il faut des points de

repère pour le lecteur, on ne peut pas les lui enlever comme ça ».

67 « On ne peut pas tout dire! Jeu vidéo: les journalistes servent-ils encore à quelque chose ? », Vidéo YouTube, 25 octobre 2013.

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C – Des problèmes cependant identiques

1- Des liens avec les éditeurs…

C'est quelque chose qui fait fantasmer la presse, les YouTubeurs et les internautes : les relations

entre les critiques de jeu vidéo d'un côté et les éditeurs et développeurs de l'autre. Sur YouTube,

la notion d'argent est bien souvent tabou. Le domaine du gaming n'y échappe pas, d'autant que le

secteur de la presse de jeu vidéo est réputé pour être extrêmement dépendant des annonces

publicitaires des éditeurs. D'où de nombreux soupçons de liens trop proches entre les deux

parties. L'affaire du « Doritos Gate » a été un révélateur de possibles dérives. Ce scandale, qui a

éclaté en Grande-Bretagne en 2012, concerne des journalistes de jeux vidéo qui n'ont pas hésité à

participer au concours organisé par l'éditeur du jeu Halo 4 pour gagner une console, sans penser

une seconde au conflit d'intérêt provoqué par la situation.

Le cas « Ronku » : une pratique courante ?

Ces rumeurs et ces doutes quant à l'intégrité des journalistes frappent également les YouTubeurs.

Les commentaires, les forums sur les sites de jeux vidéo, les réseaux sociaux sont autant

d'espaces générateurs de rumeurs. Il sera difficile de démontrer ici les liens réels qu'entretiennent

les YouTubeurs avec les éditeurs. Mais plusieurs exemples mettent en lumière les problèmes

déontologiques liés à certaines pratiques.

Très rapidement, les éditeurs de jeux ont compris l'intérêt d'avoir des relations privilégiées avec

les YouTubeurs. Le statut de ces derniers parle pour eux : des communautés de plusieurs

centaines de milliers de personnes passionnées par les jeux vidéos, une parole souvent écoutée et

respectée, une audience très large. Pour un éditeur, s'assurer d'avoir un YouTubeur comme

facteur de promotion de ses jeux est donc un coup de communication parfait.

Certains éditeurs et YouTubeurs semblent avoir franchi le pas, à l'instar du programme

confidentiel « Ronku », stratégie de l'éditeur Electronic Arts à l'attention des YouTubeurs : si

ceux-ci réalisent une vidéo en faveur du jeu en respectant un certain nombre de critères, alors ils

peuvent prétendre à être rémunéré dans le cadre d'un contrat en bonne et due forme.

Les rémunérations promises étant élevées, les contraintes le sont également. Ainsi, pour le jeu

Battlefield 4, sorti en octobre 2013, il faut évidemment en dire du bien, parler des nouvelles

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armes disponibles et ne surtout pas citer ses défauts… Il s'agit là d'un travail de communication

et non de journalisme. La rémunération peut aller jusqu'à 2 dollars pour 1000 vues, soit le double

par rapport à la norme en vigueur sur YouTube.

Le constructeur Microsoft a été accusé de pratiques similaires pour la sortie de sa nouvelle

console, la Xbox One. L'idée est la même : vanter ses qualités avec une contre-partie pécuniaire.

Pour Manu, chroniqueur sur JVN.com, cette dépendance de certains YouTubeurs est une cause

du problème actuel de la presse de jeux vidéo et de ses difficultés à garder ses distances

acceptables avec la stratégie de communication des éditeurs : « Même s'il y a un front uni des

journalistes, je ne vois pas ce qu'ils vont proposer de différent, de mieux, de plus que le premier

Youtubeur venu. Il y aura toujours des Youtubeurs qui seront à la botte des éditeurs. Et toi,

journaliste, que fais-tu ? Aujourd'hui, on accepte les choses parce qu'on sait que la concurrence

va le faire », explique-t-il dans une vidéo-débat68.

Certains YouTubeurs qui se targuent parfois d'être journalistes sont donc loin d'être

irréprochables. En tant que joueurs comme les autres, ils pourraient être animés d'une volonté de

ne pas mentir à leur audience, ou du moins de ne pas être contrôlés par les éditeurs. Les

alternatives au journalisme traditionnel, produit par une rédaction professionnelle, ne sont donc

pas toujours exemptes de tout reproche.

Gameblog, Gamekult, jeuxvideo.com contre YouTube : des moyens de résister ?

Les YouTubeurs ont pourtant bien plus de marge de manœuvre que les sites spécialisés pour

critiquer des jeux et repousser les approches des éditeurs.

• Une logique publicitaire différente. Sur les sites Internet des jeux vidéos, la quasi-

totalité des publicités concerne ce secteur. C'est une réalité tout à fait logique, même si

Rodolphe Donain, rédacteur en chef de feu JVN.com rappelle que « jeuxvidéo.com

n'arrive pas, avec son audience monstrueuse, à attirer des annonceurs d'autres

industries ». Pourtant, la sociologie du joueur est connue, comme nous l'avons analysée

au cours de notre première partie. Nous pourrions imaginer voir des bandes-annonces de

films ou des constructeurs de téléphonie mobile afficher leurs annonces publicitaires. Il

n'en est rien, excepté à de très rares occasions. Là est quasiment la seule recette des sites.

C'est d'ailleurs pour échapper au risque de perdre des recettes en cas de rétorsion d'un

éditeur que commence à se développer une offre basée sur le modèle économique du

« freemium » : une partie du site, comme l'a fait récemment Gameblog, est en accès

68 « On ne peut pas tout dire! Jeu vidéo: les journalistes servent-ils encore à quelque chose ? », Vidéo YouTube, 25 octobre 2013.

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gratuit, d'autres contenus devenant payants .

Gamekult a également décidé en juin 2013 de relancer son offre Premium, à trois euros

par mois. La logique de ce site est de s'appuyer sur les internautes acceptant de payer non

pas pour un contenu différent et exclusif mais pour soutenir la rédaction dans l'évolution

de sa ligne éditoriale : se déplacer sur le terrain, réaliser des reportages, prendre le temps

pour investiguer.

Le YouTubeur, lui, n'a pas ce problème. Il n'a aucun pouvoir de choisir son annonceur

avant ou pendant sa vidéo ni le moment de l'annonce (avant ou pendant la vidéo) ni la

forme qu'elle prendra (bandeau, interruption momentanée de la vidéo). Le choix de

l'annonceur est une décision prise par un network69 ou par YouTube. Ce qui explique

qu'on ne retrouve pas uniquement des publicités en rapport avec le jeu vidéo sur les

chaînes de gaming. De ce fait et de manière assez paradoxale, les YouTubeurs ont un

avantage sur les sites de jeux vidéo en étant moins dépendants financièrement des

éditeurs.

• Une temporalité différente. Expliquons-nous : un journaliste doit absolument réaliser le

test d'un jeu avant sa sortie. De sorte qu'il peut ensuite publier son article le jour même de

la commercialisation du jeu. Cela lui permet d'être le premier sur l'information, d'avoir la

faveur des agrégateurs (portails du type Google News) et des moteurs de recherche. On l'a

vu, un bon référencement est aujourd'hui indispensable pour un site. Réaliser le test avant

la sortie du jeu suppose donc son envoi par l'éditeur avant sa sortie. Or, cet envoi du jeu

n'est en rien obligatoire pour l'éditeur et encore moins aujourd'hui, puisque le YouTubeur

se charge lui aussi de réaliser ce travail. Comme l'explique Rodolphe Donain, « les

éditeurs n'ont plus besoin des journalistes », ce qui signifie que ces derniers doivent

conserver de bons rapports avec les éditeurs s'ils veulent encore recevoir les jeux en

avant-première pour réaliser leur test. La recherche de bons rapports peut donc impliquer

une certaine forme d'auto-censure.

Le site Internet JVN.com avait essayé de s'affranchir des relations et de possibles

pressions des éditeurs. Ouvert en juin 2009, le site a aujourd'hui fermé. À la suite du

scandale du Doritos Gate en octobre 2012, la rédaction s'était engagée à changer ses

méthodes de travail. Quatre règles avaient été établies : refus de réaliser le test d'un jeu

en-dehors des locaux de la rédaction afin d'éviter toute pression ; transparence totale lors

des voyages de presse avec la précision de la prise en charge ou non des frais de voyage

69 Un network est une entreprise notamment chargée de négocier des contrats avec les éditeurs de jeux, afin qu'un YouTubeur puisse utiliser, en toute légalité, les images d'un jeu vidéo et puisse être rémunéré à partir de l'exploitation de ces images.

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par les éditeurs70 ; refus d'interviews groupées avec d'autres journalistes de rédactions

concurrentes ; interdiction formelle pour les journalistes de participer à des évènements

promotionnels. Le site précise à la fin de son engagement : « Cela nous permettra

également d’avoir des bases saines pour travailler avec les éditeurs de jeux vidéo qui

restent nos interlocuteurs privilégiés, situation qui sera également bénéfique pour eux,

selon nous ». La rédaction ne nie donc pas le fait d'avoir encore besoin des éditeurs. Mais

au final, l'expérience a tourné court, forçant le site à fermer ses portes. Le référencement

du site était mauvais et jamais la rédaction n'a pu trouver un groupe auquel se rattacher

sans compromettre sa charte déontologique. Par conséquent, plutôt que de renier à ses

principes, la rédaction a préféré arrêter son activité.

En principe, le YouTubeur n'a pas le même rapport au temps : pour lui, réaliser une vidéo

sur un jeu le jour de sa sortie n'est pas la condition sine qua non de bonnes audiences. Les

chiffres affichés par Naito75 en attestent : le 17 septembre 2013, lors de la sortie de

Grand Theft Auto V (GTA V), il touche plus de 300 000 personnes. Mais quatre jours plus

tard, une nouvelle vidéo en touche 700 000. Deux raisons peuvent expliquer cette

différence notable : la première est que le 17 septembre, la plupart des acheteurs du jeu

sont en train d'y jouer ; la deuxième, plus plausible, est que la surabondance de l'offre, un

jour de sortie, fait que les gamers s'éparpillent entre plusieurs dizaines voire centaines de

contenus (multimédia, vidéo, papier, télévision) traitant du jeu.

Le YouTubeur peut donc intervenir autant de fois qu'il le souhaite et de manière beaucoup

plus réactive qu'un site Internet. Ceci tient au fait que, contrairement à un journaliste qui

note le jeu à l'issue d'un test complet, le YouTubeur ne se soumet pas à la contrainte de

l'exhaustivité. Le principe du gameplay est de pouvoir revenir plusieurs fois sur un sujet

pour aborder des aspects différents. Cela permet au YouTubeur de consacrer chaque fois

un temps limité (de l'ordre d'une journée de travail) à ce qu'il veut communiquer. Ainsi, le

17 septembre 2013, après s'être rendu dans un magasin spécialisé le matin, puis de retour

chez lui pour jouer rapidement et s'enregistrer en vidéo, il avait théoriquement encore le

temps de publier celle-ci le soir sur sa chaîne YouTube, tout en s'assurant une audience

conséquente.

Le YouTubeur est donc objectivement en mesure d'être beaucoup moins dépendant de

l'éditeur, dès lors qu'il achète le jeu comme n'importe quel client.

70 Il est précisé : « JVN.com n’a pas les moyens de payer des déplacements à l’étranger à ses journalistes et nous devons composer avec la réalité économique de notre média. Vous informer des conditions de reportage est un risque que nous prenons et c’est à nous de l’assumer, en toute transparence »

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Le cas Squeezie : le rôle des networks

Ces conditions objectives de l'indépendance des YouTubeurs ne sont cependant pas remplies, du

fait même des YouTubeurs. Rares sont ceux qui acceptent de résister aux pressions des éditeurs.

Ceux qui sont dans ce cas préfèrent, comme Squeezie, privilégier les jeux indépendants. Encore

leur liberté n'est-elle pas aussi réelle qu'on pourrait le penser : le système est ainsi fait que le

meilleur moyen d'assurer la viabilité de sa présence sur Internet sur le long terme est de se

rattacher à un

network, comme l'a

fait Squeezie. Un

network est une

entreprise de

communication dont

les rôles sont

multiples : permettre

aux YouTubeurs

d'accroître leur

audience sur leur

chaîne YouTube ;

négocier des

contrats publicitaires

plus rémunérateurs ;

apporter une

couverture juridique aux YouTubeurs leur permettant d'utiliser en toute légalité les images de

jeux ; faciliter les vidéos pour les marques, le « brand-content ». Squeezie a pour network

Wizdéo, l'un des plus influents en France avec Machinima. D'autres YouTubeurs influents

appartiennent à ce network, et pas seulement dans le domaine du gaming : humour et mode sont

les deux autres piliers du divertissement sur YouTube. Et le fond de commerce de Wizdéo est de

servir d'intermédiaire entre les éditeurs et les YouTubeurs. En effet, les services que rend ce

network se font avec une contrepartie financière, entre 15 et 50 % des revenus du YouTubeur.

Marc Valentin, dirigeant de Wizdéo, explique quelles sont les interventions de son entreprise

dans le contenu de Squeezie : « Trouver des opportunités pour travailler avec des marques, ou

avec des autres Youtubeurs », « exploiter de manière détaillée et automatisée les statistiques »,

« savoir ce qu'aiment les gens qui vous regardent, savoir à quel moment ils décrochent ».71 S'il

71 « “Parfois, il m'arrive de faire un travail journalistique“. Jeux vidéo : des sites sous pression », Arrêt sur Images,

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Capture d'écran d'un tweet de Squeezie. On y voit le long travail de montage sur l'une de ses vidéos.

Page 42: La presse de jeux vidéo et YouTube, un exemple de la convergence médiatique ?

affirme que les YouTubeurs peuvent suivre ou pas les conseils de Wizdéo, le visionnage sur

l'ensemble de l'année 2013 des vidéos de Squeezie semble prouver que le network a eu une

influence sur lui : Squeezie a en effet introduit de l'humour dans ses vidéos, il les a raccourcies

(elles dépassent rarement les 8 minutes), enfin il s'est efforcé de les rythmer grâce à un long

travail de post-production (coupes, montage, effets spéciaux…). Nous pouvons donc penser

qu'en procédant ainsi, Squeezie a répondu aux souhaits de Wizdéo. Les networks sont donc

probablement en mesure, eux aussi, d'imposer leurs conditions.

Le cas Diablox9 et le changement de ligne éditoriale

À l'origine de sa chaîne YouTube, Diablox9 avait deux jeux favoris : Zelda et Call of Duty. Le

premier est une série unanimement saluée par la presse pour son inventivité, sa beauté graphique

particulière (sous forme de dessin animé) et son histoire captivante. Le second bénéficie, lui, d'un

succès populaire. Il est l'une des licences les plus vendues de l'histoire du jeu vidéo. À chaque

année son nouvel opus de la série, et même lorsque la qualité n'est pas au rendez-vous, les ventes

se maintiennent sur des bases élevées.

De sorte que Call of Duty dope véritablement les audiences. Beaucoup de YouTubeurs l'ont

compris et parient sur ce jeu pour percer, acquérir une certaine notoriété. La chaîne de Diablox9

s'est particulièrement illustrée par la publication de très nombreuses vidéos sur la série.

Un choix payant, puisque certaines de ses vidéos ont dépassé les 2 millions voire les 3 millions

de vues. Mais soudainement, sans prévenir, le YouTubeur suisse a décidé courant 2013 de

franchir un pas que peu de ses confrères réalisent : cesser de jouer à son jeu favori pour lui en

préférer un autre, en l'occurrence passer de Call of Duty à son immense rival Battlefield. C'est

une décision importante de sa part dans la mesure où tout les oppose par la qualité graphique et

le gameplay. D'une année sur l'autre, les deux jeux se livrent bataille pour le titre de meilleur FPS

(First Personnal Shooter, jeu de tir à la première personne). Par ailleurs, ils sont développés et

édités par deux rivaux, respectivement Activision et Electronic Arts, deux studios américains

parmi les plus grands du monde. Enfin, la communauté des gamers qui s'attache souvent pour la

vie à une seule et même licence ne vit pas bien ces changements d'orientation. Dans le cas de

Diablox9, cela a fortement contribué à l'effondrement de sa communauté.

Pourquoi donc Diablox9 a-t-il changé son fusil d'épaule ? Même si la réponse n'est qu'une

supposition, son statut de précurseur des vidéos sur les jeux vidéos et de gestionnaire d'une

importante communauté sur YouTube a pu fortement intéresser l'éditeur de Battlefield.

Face aux critiques acerbes de son ancienne communauté et aux allégations de nombreux

30 novembre 2012

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journalistes spécialisés, Diablox9 a du réfuter l'existence d'un contrat avec Electronic Arts (EA),

sans réussir à convaincre des raisons de son changement brutal de goût. Pourtant, plusieurs

éléments étayent l'existence de relations entre le YouTubeur et le studio de jeu vidéo : par

exemple, la possibilité qui lui a été accordée de réaliser un reportage à l'intérieur des studios de

développement du jeu Dead Space 3 dont l'éditeur n'est autre qu'EA, ou encore sa rencontre avec

Karim Benzema, égérie de la série FIFA, éditée là aussi par le studio américain.

Le fait que les YouTubeurs aient des relations privilégiées avec les éditeurs n'est donc pas une

vue de l'esprit. À preuve, Diablox9 n'a pas que des liens avec Electronic Arts mais aussi avec

d'autres fabricants et acteurs du marché du jeu vidéo, comme l'explique le magazine Canard PC,

reprenant l'exemple de l'entreprise Gamoniac : « Après un accord avec Diablox9, d'un simple

tweet disant « Je suis partenaire avec Gamoniac », il a fait sauter notre serveur », explique

Stéphane Bouillet, son patron.72

2 – Des répercussions sur le contenu des vidéos

La fin du naturel

C'est une évolution globale sur YouTube, une tendance que l'on constate chez de très nombreux

YouTubeurs : la professionnalisation. Et avec cette réalité disparaît progressivement le ton

naturel qui faisait la réussite de nombre de ces YouTubeurs.

Pour étayer notre propos, appuyons-nous sur deux exemples : ceux de MrLEV12 et de Diablox9.

La grande majorité des YouTubeurs ne font pas de leur activité un métier. C'est un passe-temps,

éventuellement une passerelle, un tremplin vers un futur statut professionnel dans cette branche

d'activité. Ici, les cas de MrLEV12 et de Diablox9 sont particuliers : le premier consacre tout son

temps à l'activité de sa chaîne et en fait un réel travail, en en tirant ses revenus ; le second a

arrêté ses études pour également se concentrer sur sa chaîne YouTube. Mais nous allons voir que

leurs objectifs professionnels sont différents.

MrLEV12 a ouvert sa chaîne en 2010, y postant sa toute première vidéo le 13 juin de la même

année. Au départ, rien ne le prédestinait à la réussite qu'il connaît aujourd'hui, d'autant qu'il ne

prenait pas la peine de commenter ses vidéos. Progressivement, il a compris les rouages de

YouTube pour en devenir aujourd'hui l'un des plus influents en France dans le domaine du jeu

vidéo. Depuis l'année 2013, MrLEV12 a fait évoluer l'orientation de sa chaîne non pas dans le

contenu, où il privilégie toujours autant les gameplays de Call of Duty, mais dans la manière de

72 « YouTubeurs. Des influenceurs sous influences », Canard PC, 15 juin 2013, pp 40-53.

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présenter ses vidéos. Plusieurs éléments en attestent :

• Un équipement en constant renouvellement. MrLEV12 est loin de se contenter de sa

console et de sa manette. Il y ajoute d'autres équipements, plus ou moins importants : un

boîtier permettant de capturer et d'enregistrer des images du jeu, un fond vert, des

webcams, des appareils photos, des micros, des logiciels de montage… Bref, toute une

panoplie permettant de réaliser des vidéos beaucoup plus professionnelles, parce que bien

mieux réalisées. Cette évolution se remarque à travers les multiples vidéos de MrLEV12

où apparaissent les matériels utilisés.

• Plus de reportage. Cette partie est encore peu représentée dans le total de vidéos postées

par MrLEV12. Mais les reportages sont en augmentation sur un an : deux ont été réalisés

aux Call of Duty Championships 2013 et 2014, un autre aux qualifications européennes

de ce championnat du monde en 2014, plusieurs présentant la Paris Games Week (plus

grand salon du jeu vidéo en France, qui accueille plusieurs stands d'éditeurs de jeux et

des compétitions mondiales professionnelles). MrLEV12 a également réalisé un

reportage chez le fabriquant de manettes de consoles Burn Controller, à la Gamescom de

Cologne et à l'E3 de Los Angeles, un reportage sur l'Oculus Rift. On peut également

noter une interview de Sébastien Chabal… Au total, 15 vidéos entre le 26 mars 2013 et le

17 avril 2014, soit 14 % de ses productions, ce qui pour un YouTubeur est une quantité

loin d'être négligeable.

• Un ton beaucoup plus convenu. De fait, en voulant professionnaliser sa présentation,

MrLEV12 a également professionnalisé son ton. Il a moins laissé de place à

l'improvisation et à l'humour au profit de l'analyse et de la description de ce que l'on voit

à l'image. Le commentaire s'éloigne du registre de l'insulte qui est pourtant encore la

marque de fabrique de nombreux YouTubeurs.

MrLEV12 s'est tellement pris au jeu qu'il a même fait une vidéo présentant à ses abonnés

comment réaliser une vidéo sur des logiciels de montage, dans laquelle il explique vouloir aider

les « petits YouTubeurs » souhaitant se lancer plus sérieusement dans cette activité.

De son côté, même si Diablox9 alimente moins sa chaîne que par le passé, il a également

professionnalisé ses interventions. Il en a sans doute été précurseur de ce mouvement du fait de

sa popularité et de son statut de « premier YouTubeur connu » en France. Il possède l'une des

communautés les plus importantes. Au départ, Diablox9 faisait comme MrLEV12, à savoir un

post de gameplay. S'étant toujours attaché à poser sa voix au cours de ses différentes

publications, il a fait évoluer de manière flagrante le ton de ses vidéos. Lui aussi a développé les

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reportages, profitant de ses liens privilégiés avec de grands éditeurs et notamment Electronic

Arts. Ses vidéos réalisées lors de l'E3 montrent le jeune homme se mettant réellement en scène

comme les journalistes ont de plus en plus coutume de le faire.

Il ne l'a jamais caché : son but est de devenir journaliste comme ses parents. Pour cela, il

multiplie les expériences : chroniqueur dans une matinale en Suisse (son pays d'origine),

réalisateur de vidéos pour le site Internet TV Mag. Il a ainsi fait une courte vidéo de cinq minutes

en compagnie du journaliste Pierre Ménès sur un jeu vidéo. Récemment, il a animé avec un autre

YouTubeur, CodJordan23, la suite d'une série sur le jeu vidéo Fifa 2014. La première saison était

parue en 2013 sur sa chaîne, le but étant alors d'organiser une petite compétition sur le jeu entre

différents concurrents. Il en a fait de même en 2014 pour la saison 2. Mais une chose très

importante a changé : Diablox9 n'est plus derrière leurs ordinateurs à commenter les matchs des

participants à la compétition. Il est désormais au côté de CodJordan23 dans un studio, avec un

fond vert derrière. En outre, ils se sont soumis à une contrainte de temps pour le tournage des

vidéos et ils se sont assistés de professionnels pour les aider. Bref, la spontanéité a bien disparu.

La manière de commenter de Diablox9 a également évolué en l'espace de deux saisons

seulement : son style très libre, familier et chambreur en 2013 est passé à une expression plus

soignée, laissant moins la place à l'improvisation et à la plaisanterie. Cependant, afin de ne pas

décourager les gamers habitués à plus de spontanéité, son acolyte se permet d'enchaîner blagues

sur blagues pour conserver un minimum de naturel et de maintenir l'intérêt de l'auditoire.

Un manque d'originalité et une focalisation sur les grandes licences

Concrètement, les jeux proposés par les YouTubeurs sont généralement les mêmes que ceux des

rédactions. Il y a même une moins grande diversité qui s'explique par une différence de taille en

terme de moyens humains : quand le YouTubeur est seul pour jouer, enregistrer son commentaire

dans une vidéo, éventuellement la couper, la monter – ce qui enlève du naturel d'ailleurs – puis la

publier et la promouvoir sur les réseaux sociaux ; le journaliste, lui, peut compter sur une

rédaction plus fournie et dont les sujets et les tâches sont administrés à l'avance.

Les YouTubeurs ont donc parfois tendance à tomber dans la facilité en cherchant à faire des

vidéos sur des jeux connus et parmi les plus populaires. Parmi les YouTubeurs que nous

analysons dans cette étude de cas, deux se concentrent exclusivement sur un jeu chacun : pour

MrLEV12, il s'agit de Call of Duty, pour VodK, il s'agit de Grand Theft Auto. Certes, ils ont

tendance à ouvrir de temps à autre leur chaîne sur d'autres jeux, mais cela reste rare.

Enfin, il faut citer Naito75 dont le travail est le plus proche de celui d'une rédaction

professionnelle : test de nombreux jeux, analyse et explications sur la qualité du jeu, détails

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présents sur la fiche technique du jeu (éditeur, date de sortie du jeux, développeurs, prix)… Sa

variété de vidéos, réelle en ce qui concerne la forme - « Vidéo-délire », « Découverte » ou

« Test » sont les trois catégories de vidéo proposées – est à nuancer en ce qui concerne le nombre

de jeux testés. En effet, depuis la sortie de Grand Theft Auto V, dernier opus de la mythique saga

de jeu vidéo la plus vendue de toute l'histoire du secteur, le 17 septembre 2013, plus de 14 % des

vidéos postées par Naito75 sont réalisées sur GTA V, soit 11 des 77 vidéos. Surtout, ces 11 vidéos

représentent une audience très importante : plus de 3,5 millions de vues, soit un tiers du total de

vues sur la période donnée, entre le 17 septembre 2013 et le 1er avril 2014.

Cette prépondérance des grandes licences, comme Grand Theft Auto V, chez les YouTubeurs se

retrouve aussi sur les sites spécialisés. Ainsi, jeuxvideo.com a consacré onze « Gaming Live » au

jeu, prenant le temps de détailler de fond en comble les innombrables possibilités qu'il offre aux

joueurs, sa qualité graphique. Attendu depuis plus de cinq ans, le jeu a été énormément relayé par

les sites de jeux vidéo.

Gamekult n'est pas en reste : le site a proposé un récapitulatif du jeu en entier, donnant pour

chaque mission, même les plus courtes et sans importance pour l'histoire, des astuces pour les

réussir et remplir tous les objectifs annexes proposés par le jeu. En outre, plusieurs dizaines de

news ont été proposés, faisant la plupart du temps seulement état de rumeurs. Ainsi, dès le mois

d'octobre 2013, soit à peine un mois après la sortie du jeu sur PlayStation 3 et Xbox 360,

Gamekult s'interroge sur l'arrivée imminente d'une version sur les nouvelles consoles – pourtant

pas encore sorties à ce moment-là – et sur PC. Avant la sortie du jeu, la communication de

l'éditeur fonctionne également parfaitement, les trailers et extraits de gameplay diffusés font

beaucoup écrire : GTA V serait le jeu le plus cher au monde, les codes de triches disponibles

avant même la sortie du jeu, les ratés du jeu en ligne… Les brèves se multiplient sur le site. En

outre, deux « GK Live » sont organisés par le site : un le 18 septembre, soit le lendemain de la

sortie officielle du jeu en France puis le 10 octobre afin de réaliser un premier bilan du jeu.

Le cas Titanfall

C'est sans doute l'exemple le plus frappant de cette convergence des YouTubeurs vers les jeux les

plus connus. Titanfall est sorti en mars 2014 après plus d'une année d'attente fébrile de la part de

la communauté des gamers. L'éditeur du jeu avait promis une révolution, une nouvelle

expérience de jeu, de nouvelles sensations.

Plusieurs YouTubeurs ont été invités à un event organisé par l'éditeur Respawn. Pendant trois

heures, ces YouTubeurs ont pu tester le jeu et capturer des images et des gameplays. En-dehors

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des grands salons de jeux vidéo, tels que la Gamescom de Cologne ou l'E3 de Los Angeles, il

s'agissait de la première expérience de jeu pour des personnes n'appartenant pas au studio de

développement. En invitant ces YouTubeurs, le jeu s'est offert une campagne de communication

totalement gratuite un mois avant sa commercialisation.

Surtout, de très nombreux YouTubeurs se sont rendus à cette découverte du jeu : Diablox9,

MrLEV12, Squeezie (avec Cyprien dans le cadre de la chaîne Cyprien Gaming), MrBboy45,

Dark Funeral… Et tous ont scrupuleusement respecté l'embargo mis en place par l'éditeur, fixé

au 12 février à 18 heures précises. Sitôt cet embargo levé, les vidéos sont presque toutes parues

en même temps. Ce raz-de-marée n'a pas profité aux YouTubeurs (MrLEV12 ne rassemble que

187 000 personnes, Diablox9 un peu plus de 200 000) mais a totalement servi le jeu : on ne peut

pas manquer ce 12 février et dans les jours qui suivent l'actualité de Titanfall.

Aucun YouTubeur n'a réussi à se démarquer des autres : tous montraient des images du jeu, se

filmant en train de jouer, s'interrogeant entre eux et faisant part de leurs impressions sur le jeu.

MrLEV12 a eu beau parler d'une « exclusivité », ce n'était absolument pas le cas.

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III / Le journalisme à l'heure

de la convergence médiatique

I / Le besoin d'une communauté pour transmettre

l'information

On a vu que le succès des YouTubeurs en matière de jeux vidéo s'explique en partie par une

capacité à établir une communauté et à la fidéliser grâce aux réseaux sociaux notamment. Cela

ne concerne pas seulement les YouTubeurs mais aussi les sites Internet de jeux vidéo. On

constate que les sites Internet de journaux de la presse quotidienne nationale observent la même

évolution, en étant présents à leur tour sur Twitter ou sur Facebook.

1 – L'importance grandissante des réseaux sociaux…

ujourd'hui, les sites de jeux vidéo ne sont pas les seuls à vouloir utiliser la puissance

des réseaux sociaux. Un média ne peut presque plus se passer de Facebook, et encore

moins de Twitter dont l'utilisation est à la fois personnelle et professionnelle. AC'est d'ailleurs ce qu'a compris le New York Times. En 2010, le quotidien américain comptait plus

de « followers » que de lecteurs de son édition papier73. Certes, la statistique est à nuancer,

puisque le fil Twitter du journal est évidemment gratuit, tandis que son édition distribuée aux

abonnés ou vendue dans les kiosques a un coût. Mais elle marque une évolution du

comportement des individus dans leur lecture et leur consommation d'informations.

Dans un article sur Rue 89 consacré à cette information, Pierre Haski ne délivre pas un discours

pessimiste. Au contraire, il se satisfait de cette tendance. « Dans le chaos créatif d’internet, cet

outil est assurément l’un de ceux qui permettent de mesurer la confiance que font les internautes

aux différents médias, puisque Twitter est l’un des outils de la “recommandation” », explique le

cofondateur du site de journalisme participatif. Pierre Haski n'utilise pas le terme de

« recommandation » par hasard : l'économie médiatique aujourd'hui repose essentiellement sur

73 « Le New York Times a plus de lecteurs sur Twitter que d'exemplaires », Rue 89.fr, 23 octobre 2010.

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cette notion de suggestion et non plus sur une logique d'attention comme par le passé.

Plus globalement, Twitter n'est pas seulement un réseau social utilisé par les journaux et les

organes de presse. C'est surtout le lieu où les membres d'une rédaction, les journalistes eux-

même, transmettent des informations, contactent des sources, interagissent avec leurs lecteurs…

L'extension de l'utilisation de Twitter par les journalistes ces dernières années illustre ce que

Dominique Piotet et Francis Pisoni expliquent dans leur ouvrage « Comment le web change le

monde, L'alchimie des multitudes » :

« Notre hypothèse est que, depuis 2004, le web a donné

lieu à l'émergence d'une nouvelle “dynamique

relationnelle”, dans laquelle les vieilles appartenances se

dissolvent, les hiérarchies disparaissent pour un

fonctionnement en réseau où le plus important est

désormais le nombre de connexions de liens, qu'on

établit ».

Melissa Bounoua, journaliste à Slate.fr et ancienne responsable du site Le Plus du Nouvel Obs,

prenait l'exemple de Nicholas Kristof, envoyé spécial à Bahreïn pour le New York Times, qui s'est

appuyé sur les conseils de ses nombreux followers – plus d'1,47 millions aujourd'hui – pour

trouver les bons contacts, se rendre aux bons endroits et écrire un papier reconnu comme

excellent. Pour la journaliste, « Twitter est aujourd'hui un outil comme l'AFP 74».

Une pratique encadrée

De confidentiel dans un premier temps – Melissa Bounoua emploie le terme de « microcosme » –

l'usage des réseaux sociaux s'est banalisé aujourd'hui chez les journalistes.

À tel point que le réseau social est devenu pour certains journalistes une sorte de deuxième

rédaction, un endroit où l'on délivre ses informations, où l'on entretient ses contacts, ses sources,

où l'on précise ses pensées. Une pratique qui a contraint certaines directions d'organe de presse à

prendre les devants et à encadrer l'utilisation des réseaux sociaux tels que Twitter et Facebook.

C'est notamment le cas de l'Agence France Presse (AFP). Un « guide de participation des

journalistes AFP aux réseaux sociaux 75» a été dévoilé le 7 octobre 2010. L'agence de presse

encourage les journalistes à posséder leur propre compte Twitter notamment pour « y effectuer

74 « Les réseaux sociaux sont-ils compatibles avec le journalisme ? », France Culture, 12 novembre 2011.75 « Guide de participation des réseaux sociaux », AFP.fr.

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une veille, rechercher de l'information et enrichir leur carnet d'adresses ». Néanmoins, la

direction demande à ses journalistes de respecter certaines règles d'usage.

L'autre grande agence de presse dans le monde, Thomson Reuters, consacre également un

paragraphe à l'utilisation des réseaux sociaux dans le « Reuters Handbook of Journalism 76» :

« Pour résumer, soyez prudents. Dans tous les cas, explorez les voies vous permettant d'être aidé

dans votre métier par les réseaux sociaux. Mais avant de tweeter ou de poster, pensez que ce que

vous faîtes reflètera votre professionnalisme et notre réputation collective. En cas de doutes,

parlez avec des collègues, votre éditeur ou votre superviseur ».

À l'étranger, le New York Times est donc l'un des journaux les plus influents sur les réseaux

sociaux, et notamment sur Twitter. Liz Heron, qui est social media editor, encourage aussi

l'utilisation des réseaux sociaux, sans contrôle. Mais son discours est clair : « Nous n'avons pas

vraiment de guide d'utilisation des réseaux sociaux. Nous demandons juste aux personnes de les

utiliser avec leur sens critique et de ne pas être stupide 77».

Alan Murray, éditeur du Wall Street Journal Online, explique lui aussi aux journalistes78 de sa

rédaction de « ne pas être stupide ». Il détaille sa pensée : « Si vous couvrez une élection

politique, vous ne devriez pas dire que vous venez de voter pour John McCain ». Ce qu'il redoute

surtout avec Twitter, c'est l'effet d'engrenage avec les réactions en chaîne des internautes : « Le

problème avec une grande organisation comme le Wall Street Journal est qu'il y a inévitablement

quelques personnes qui font des choses stupides, et alors il y a un autre groupe de personnes qui

pensent que si certains gens font des choses stupides, ils doivent aussi copier cette stupidité ».

Les nouveaux sites se construisent à travers les réseaux sociaux

L'importance des réseaux sociaux se remarque aussi à travers la stratégie de communication de

nouveaux médias qui se présentent sur Internet comme des pure-players. Deux exemples : la

version française du Huffington Post et la création du e-magazine Ragemag. Deux lignes

76 « Reuters Handbook of Journalism », Reuters.com. « In other words, be careful. By all means, explore ways in which social media can help you do your job. But before you tweet or post, consider how what you're doing will reflect on your professionalism and our collective reputation. When in doubt, talk to colleagues, your editor or your supervisor. »77 « We don’t really have any social media guidelines. We basically just tell people to use common sense and don’t

be stupid » 78 « That memo was a revision of a memo that has come out every 10 years since the beginning of time. And the

basic message is: Don't be stupid. If you cover the Supreme Court, you probably shouldn't tweet that you're going to an abortion-rights rally. If you cover politics, you probably shouldn't tweet that you just voted for John McCain. If you're Bob Woodward and you're going to meet Deep Throat in the garage, you probably shouldn't be tweeting about it. The problem is when you have a big organization like The Wall Street Journal, inevitably there are a few people who do stupid things, and then there's another group of people who feel that if there are a few people doing stupid things, they have to try to codify stupidity. And that's what that memo's about. »

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éditoriales totalement différentes, deux situations différentes aussi : le Huffington Post peut

s'appuyer sur une image de marque puissante avec son équivalent aux États-Unis ; tandis que

Ragemag n'a aucune base pré-existante. Il n'empêche, les deux sites font le pari des réseaux

sociaux pour se développer et s'installer dans le paysage médiatique français. C'est ainsi que Paul

Ackermann, dans une courte vidéo introduisant le lancement du site, explique que le

« Huffington Post aura une connexion aux réseaux sociaux qui sera unique en France ». Il en

fait un défi. Invitée par l'émission « Buzz Média », organisée par Le Figaro en partenariat avec

Orange, Anne Sinclair, actuelle directrice éditoriale du pure-player, confirmait cette volonté

d'utiliser massivement Twitter et Facebook pour se démarquer d'autres sites concurrents 79:

« Nous, nous traitons l'actualité comme un site d'information presque classique mais avec cette

double détente, l'info et la distance avec la réflexion, avec également un ton un peu impertinent

sans oublier la présence très forte sur les réseaux sociaux ».

Du côté de Ragemag, aucun réseau social n'a été oublié : Twitter évidemment, Facebook aussi,

mais également YouTube. Dans une interview pour le blog de David Abiker, le fondateur de

Ragemag Arthur Scheuer répond ainsi à la question posée sur le ramdam fait par le magazine sur

Twitter : « Ah oui… Twitter, on fait du bruit, pardon, on va baisser le son. » Une stratégie qui

leur a permis de faire parler d'eux auprès de nombreux médias : la revue de presse de Natacha

Polony sur Europe 1, Pascal Riché sur Rue 89…

79 « Anne Sinclair invitée du buzz-media Orange / Le Figaro », Le Figaro.fr, 19 février 2013

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Plus anciennement, le pure-player Mediapart a construit son audience et sa popularité, outre

l'image apportée par Edwy Plenel et les nombreuses affaires dévoilées, sur une gestion

intéressante des réseaux sociaux. Selon l'étude d'Alice Antheaume, Mediapart serait aujourd'hui

le pure-player français dont la proportion du trafic en provenance des réseaux sociaux est parmi

les plus fortes (voir page 51). Seul le Lab, le site d'Europe 1, aurait une part plus forte, de l'ordre

de 41 % selon la même étude.

Infos 140 : Twitter comme support de l'information

Les réseaux sociaux ont pris une telle ampleur que des médias se sont désormais créés

directement sur ces plateformes. C'est le cas, en France, d'Infos 140. Il s'agit d'un compte Twitter

piloté par deux journalistes, Philippe Gault – actuellement rédacteur en chef de la tranche horaire

19/20 heures sur France Culture – et Karim Hacène – passé entre autres par Radio France et

Europe 1 – et créé le 9 avril 2013, d'abord sous le nom @140infos. Depuis, le site a migré sur un

nouveau compte baptisé @infos140. D'abord ayant pour but de donner les informations les plus

importantes, le compte s'est progressivement structuré de sorte qu'aujourd'hui, le fil s'impose

comme une agence de presse à lui seul. Les informations les plus récentes y sont relayées en 140

signes maximum. Ce sont 26 000 tweets qui ont été postés en un an seulement. Devant le succès

du fil, avec plus de 16 000 followers au total, @infos140 s'est décliné aussi dans le domaine du

sport.

@infos140 s'est inspiré de ce que fait également @LesNews. Créé en 2009, ce fil Twitter

s'appuie sur une base d'abonnés bien plus importante – 284 000 en mars 2014 – et un nombre de

tweets plus élevés. Le fil est actualisé par neuf rédacteurs et quatorze correspondants sur la base

du volontariat80. Certes aujourd'hui, le compte Twitter est accompagné d'un site Internet, mais la

rapidité du relais de l'information reste encore

majeure sur le fil Twitter.

Certains journalistes ne publient plus, ou très

occasionnellement, dans des publications.

Désormais, ils privilégient les réseaux

sociaux pour faire leur métier et transmettre

l'information. C'est le cas d'Andy Carvin,

journaliste aux États-Unis. Sur sa biographie

Twitter (voir image ci-contre), il se décrit

comme un « DJ de l'information en temps

80 « A propos », Les Newsfr.com.

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réel et journaliste occasionnel ». Il a rejoint en février 2014 First Look Media, nouveau site

Internet revendiquant un journalisme à l'ère digitale, « combinant la promesse de l'innovation

technologique avec le pouvoir du reportage hardi ». Mais il est surtout très présent sur Twitter,

avec déjà plus de 181 000 tweets postés, ce qui est considérable pour un seul homme. Il s'est fait

connaître pour sa faculté à avoir repéré les prémisses de la révolution tunisienne et sa couverture

pointue des évènements81.

Les réseaux sociaux : un moyen de lutter contre la volatilité de la communauté ?

Comme le confirme Bernard Poulet, rédacteur en chef de l'Expansion et auteur de « La fin des

journaux et l’avenir de l’information », le système de l'information sur Internet fonctionne

aujourd'hui selon une logique de communautés. « Ce sont des communautés ad hoc, bâties

autour d'un centre d'intérêt commun, d'un hobby, d'une croyance partagée. Les communautés

réticulaires sont “fluides“. On en sort en un clic et elles sont peu compromettantes. » Il parle

clairement ici d'une fluidité, d'une liberté d'entrée et de sortie à l'information, ce qui fait que le

public est beaucoup plus volatile de nos jours. Un phénomène très bien expliqué par Nicholas

Carr, cité par Bernard Poulet toujours : « Avec la diffusion numérique, tout change. Les lecteurs

ne feuillettent plus un ensemble qui va de la première à la dernière page et où tous les encarts

publicitaires sont distribuées entre les articles : ils vont directement à l'histoire qui les intéresse,

ignorant souvent sur quel site ou dans quel journal elle se trouve ».

Avec son système d'abonnement, le réseau social est donc particulièrement intéressant pour

essayer de maintenir un contact, certes fragile, avec son lecteur. Fragile car le follow sur Twitter

ou l'abonnement à une page Facebook n'engage en rien sur la durée, ce lien pouvant être rompu à

tout moment. Néanmoins, pendant le temps de son existence, ce lien exerce une forme de rappel

quotidien de l'information disponible sur le site de presse dont il est question.

2 – Les excès liés aux réseaux sociaux

Lee Rainie et Barry Wellman expliquent dans leur ouvrage commun « Networked, The New

Social Operating System » la manière dont l'information circule de nos jours sur Internet, et

notamment du fait des sites de réseaux sociaux 82: « Beaucoup d'observateurs ont décrit le

81 « Portrait d'Andy Carvin, le twitter-journaliste des révolutions arabes », Rue 89.fr, 24 juin 2012. 82 « Many observers described the Susan Boyle phenomena as an example of « viral media », a term whose

popularity has been fueled by the rapid rise of social networks sites alongside declining advertisings rates and an extremely fragmented audience for broadcast media. One of the most common explanations is that media content now disseminates like a pandemic-spreading through audiences by infecting person after person who comes into contact with it. »

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phénomène Susan Boyle comme un exemple des “médias viraux”, un terme dont la popularité

s'est propagée avec la rapide montée des réseaux sociaux, en opposition avec le déclin des

publicités et avec la grande fragmentation de l'audience pour les médias. L'une des plus

communes explications est que le contenu du média se dissémine désormais comme une

pandémie à travers une audience qui infecte personne après personne venant au contact de ce

contenu d'information ».

Réseaux sociaux et information : bon ou mauvais ménage ?

Sans généraliser, nous pouvons nous demander si l'utilisation aujourd'hui importante des réseaux

sociaux, à la fois comme source d'informations et vecteur de communication des articles propres

à un organe de presse, ne contribue pas aussi à la

propagation de l'information virale.

Internet a évidemment contribué à ce foisonnement

d'informations, parmi lesquelles on en retrouve

certaines sans aucune légitimité et crédibilité.

Nous allons étudier l'exemple du blog « Big Browser »

sur le Monde.fr.

Certes, c'est un blog et donc sa ligne éditoriale peut se

démarquer sous certaines angles des papiers écrits par

la rédaction web du quotidien, mais il apparaît

régulièrement sur la page de Une du site Internet, et régulièrement sous le titre principal de

« Une ». Le slogan « Quand LeMonde.fr surveille le Web pour vous » retranscrit assez

fidèlement à la fois les contenus que l'on retrouve sur Internet et ceux qui sont traités par le blog.

La qualité et l'intérêt des articles sont inégaux : d'une revue de presse sur l'accident du Boeing

MH370 à l'implantation réussie d'un crâne humain imprimé en 3D, le blog relaie aussi la vidéo

de deux jeunes russes grimpant une tour de plus de 500 mètres de haut, encore en travaux à

Pékin et sans aucune sécurité, ou encore l'annonce du retrait d'une blague Carambar faisant

référence à Michael Schumacher, le pilote de Formule 1, avant son grave accident de ski.

Difficile d'y voir un réel intérêt, si ce n'est pour tenter de gagner de l'audience.

Kelly McBride, professeure à l'école de journalisme américaine Poynter, explique83 dans un

article d'Alice Antheaume, que les algorithmes « contrôlent qui voit quoi sur les plates-formes

comme Facebook ou YouTube, ou même sur le New York Times avec ses listes des contenus les

83 « Les tendances issues de South by Southwest », Slate.fr, 16 mars 2014.

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plus partagés et les plus commentés, de même que sur Yahoo ! News ». Dans le même article,

David Carr, journaliste médias du New York Times, juge « les petits bouts de code [les

algorithmes] bien plus puissants que les plus puissants des directeurs des rédactions ».

Nous retrouvons de très nombreux articles de Big Brower parmi les contenus les plus partagés

sur les réseaux sociaux, donc potentiellement parmi les plus lus sur LeMonde.fr (voir image

page 54, capture d'écran prise le dimanche 30 mars 2014, à 10 heures. Les troisième et

cinquième articles proviennent du blog Big Browser). Cependant, ces articles relèvent davantage

de l'information annexe voire une forme de communication plutôt que du journalisme.

B – La possibilité d'un rapprochement entre les différents

médias

L'expérience de Diablox9 et de Naito75 comme chroniqueur sur des sites « professionnels » de

jeux vidéo montrent les passerelles existant entre les YouTubeurs et les médias d'information et

les relations d'influence entre ces deux milieux. Cette situation se retrouve plus largement dans

tous les médias et pas seulement dans la presse vidéo-ludique. L'une de ses incarnations la plus

remarquée est le journalisme participatif.

1 – L'importance des transmedias

Transmedias, cross-medias, convergence médiatique : les termes sont nombreux pour montrer les

relations de plus en plus poussées entre les différents médias. Ce fait n'est pas forcément

nouveau, mais il s'est amplifié de plus en plus ces dernières années du fait de la diversification de

ces médias.

Une stratégie de grands groupes

La caractéristique principale de cette convergence médiatique, entre les différentes expressions

de la production journalistique, est qu'elle est initiée, alimentée et approfondie par les grands

groupes de presse.

Plusieurs exemples, français ou étrangers, en attestent. Certains même sont internationaux,

poussant encore plus loin cette logique de transmedia. Henry Jenkins explique que ce

phénomène est animée par un désir d'accroissement de la rentabilité économique des groupes de

presse concernés. Cette observation souligne bien l'importance que les groupes de presse

attachent à l'affluence mais également à l'influence.

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La convergence médiatique va de pair avec la concentration médiatique. Cette concentration

remonte déjà à plusieurs décennies, notamment en France. Néanmoins, elle n'en possédait pas les

mêmes caractéristiques que celle que nous pouvons observer aujourd'hui. En effet, cette

concentration se faisait principalement alors dans un seul média, la presse quotidienne régionale

en l'occurrence. C'était par exemple le cas du groupe Hersant. Séparé en deux entités – la

SocPresse et France-Antilles – le groupe possédait en immense majorité des journaux : Le Bien

Public, La Voix du Nord, Le Midi Libre ou encore Le Figaro. Le but n'était pas alors, au cours

des années 1980, de se diversifier dans plusieurs médias. Mais ce phénomène va se développer

en revanche par la suite. Le groupe français Lagardère Active en est le meilleur exemple :

Internet, télévision, presse écrite, radio, aucun secteur n'est oublié. Parmi les publications ou

médias les plus connus, on peut citer : Le Journal du Dimanche, Europe 1, Gulli, Elle,

Doctissimo… Des médias différents et des cibles différentes également : publications

généralistes (JDD et E1), presse spécialisée (Elle), télévision pour enfants (Gulli) ou encore site

Internet spécialisé dans la santé (Doctissimo). Lagardère Active balaye tous les secteurs pour

essayer d'accroître son influence et son audience.

Lier information et divertissement

L'émergence de YouTube prend tout son sens dans cette observation que l'on peut faire du milieu

médiatique actuellement : le divertissement tend à se mêler à l'information. À une heure où la

segmentation des contenus est de plus en plus forte, la logique semble inversée dans le cas de

cette relation entre divertissement et information. Les nouvelles technologies ont érigé le modèle

d'« infotainment ». Si aujourd'hui, le YouTubeur en lui-même n'est pas encore un membre à part

entière d'un site de jeux vidéo, les recettes de son succès ont été reprises par les rédactions de

sites Internet spécialisés comme nous l'avons vu dans notre étude de cas. De sorte que,

aujourd'hui, le divertissement a sa place dans la presse de jeux vidéo. Surtout, le YouTubeur peut

tout à fait allier information et divertissement, comme le fait très bien Naito75 par exemple.

Le modèle « infotainment » se remarque aussi dans différents types de presse. C'est le cas du

groupe Amaury, qui détient notamment le quotidien sportif L' Équipe ou encore le journal de

presse quotidienne nationale Le Parisien. Il est intéressant de noter dans cet exemple le fait que

le groupe Amaury soit aussi l'organisateur d'évènements sportifs, comme le Tour de France ou la

Coupe du monde de ski. Certains y voient l'aspect compétition, le besoin de résultats. Pour

d'autres, c'est un divertissement, une passion. Le Tour de France, notamment, est devenu un

événement qui fait date chaque année. Pour le journal L' Équipe, cela permet de dynamiser les

ventes un peu plus faibles au mois de juillet du fait de l'absence de grandes compétitions

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sportives. Pour le groupe, l'organisation de cet évènement mondialement retransmis permet de

mettre en valeur le journal.

À l'étranger, Rupert Murdoch a sans doute été l'homme de presse qui a réalisé le lien le plus

abouti entre industrie de l'information et industrie de divertissement. Il est le dirigeant de News

Corporation, un groupe qui possède plusieurs centaines de médias à travers le monde. Parmi les

plus connus, on peut citer la chaîne de télévision Fox, le journal New York Post ou encore le

tabloïd anglais The Sun. Des titres qui délivrent un contenu plus ou moins proche de

l'information – car soit du people, soit une information politiquement très orientée notamment

aux États-Unis – et qui appartiennent au même groupe possédant des acteurs majeurs du

divertissement comme la société de production de films Twentieth Century Fox.

Cependant, comme l'explique Henry Jenkins84, la convergence résulte « à la fois d'un processus

top-down animé par les corporations et un processus bottom-up animé par les consommateurs ».

Les grands groupes de presse, les actionnaires, les dirigeants (processus top-down) ne sont donc

pas les seuls à avoir une influence dans ce lien de plus en plus fort entre le producteur de

l'information et son consommateur. Nous allons le voir avec l'exemple du journalisme

participatif (processus de bottom-up).

2 – Une expérience : le journalisme participatif

Le 5 octobre 2006, l'institut d'études d'audience des radios et télévisions françaises Médiamétrie

dévoilait un document intitulé « Première synthèse dédiée au web 2.0 ». Etait écrit en

introduction : « Création de contenus, partage de fichiers, personnalisation de pages web,

collaboration en ligne : une révolution prend forme sur internet au fur et à mesure que les outils

et les sites du web 2.0 se démocratisent. L'internaute n'est plus un simple utilisateur, il devient

acteur du web et participe au développement de la “deuxième génération“ d'internet ».

Cette notion d'acteur est importante dans la définition du journalisme participatif, où une

coopération existe entre des journalistes professionnels, souvent titulaires de la carte de presse, et

des citoyens. C'est d'ailleurs pour cela que l'on appelle le journalisme participatif également

journalisme citoyen. Franck Rebillard en donne une définition assez proche 85: « Le journalisme

participatif est l'intervention de non-professionnels dans la production et la diffusion

d'informations, d'actualité sur l'Internet. » Dans son acception la plus large, la notion de

journalisme participatif regroupe les blogs, les sites Internet personnels. Elle doit son

84 JENKINS Henry, La convergence culturelle, Armand Colin, 2013. 85 « Création, contribution, recommandation : les strates du journalisme participatif », Les Cahiers du journalisme,

n° 22/23, Automne 2011

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développement à l'émergence de l'Internet haut-débit en 2004. Nous nous intéresserons plus

particulièrement à la notion de journalisme « participatif encadré ».

En France et à l'étranger, de très nombreuses expériences ont été lancées depuis le milieu des

années 2000 pour essayer de raffermir ces liens entre le producteur et le « consommateur » de

l'information.

Le journalisme participatif fait partie intégrante de ce que Franck Rebillard appelle le « Web

2.0 », qu'il oppose au « Web 1.0 » :

« Les médias 1.0 sont descendants, centralisés, fermés.

L'information y est hautement filtrée. Ils s'adressent à des

consommateurs passifs : les médias s'adressent à vous, ils

ne vous impliquent pas. Ils ne cherchent pas les retours

des lecteurs, au contraire, cela leur fait perdre du temps.

Les médias 2.0 sont ceux que produit la révolution des

médias personnels. L'audience devient le contenu. C'est le

royaume de la conversation : on veut commenter, évaluer,

recommander. Les valeurs-clés sont les histoires

individuelles, les expériences, l'implication et

l'engagement. Nous sommes les médias ».86

Bernard Poulet, auteur de « La fin des journaux et l’avenir de l’information », partage le même

avis : « Chaque individu devenu internaute peut exprimer son droit à la parole. Les maîtres

anciens, experts, journalistes professionnels, savants, auteurs et surtout les hommes politiques,

sont ramenés à la condition ordinaire de leurs semblables, dans un monde où tous les

internautes sont égaux. Les réseaux rendent obsolètes toutes les hiérarchies ».

Différents manières de faire du journalisme participatif

Le terme de journalisme participatif est en fait très large. Franck Rebillard revient sur la

chronologie de cette notion aujourd'hui adoptée par de très nombreux médias. Il explique ainsi

que « la notion de journalisme participatif aura d'abord été employée pour désigner la

production directe, par des non-professionnels, d'écrits ou de documents audiovisuels en lien

avec l'actualité ».

86 REBILLARD Franck, Le Web 2.0 en perspective. Une analyse socioéconomique de l'internet, Paris, L'Harmattan, 2007.

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Regagner la confiance des lecteurs ?

Cette manière d'intégrer le lecteur, de l'impliquer peut permettre aux journalistes de gagner,

regagner ou maintenir la confiance des lecteurs dans la production journalistique. C'est ce

qu'explique Bernard Poulet : « Il est de surcroît certain que l'intervention des citoyens peut

contribuer à rendre sérieux et vigilance aux “professionnels“ ». Il nuance cependant son avis, en

montrant que le journalisme professionnel n'a pas besoin d'être complété par le journaliste

participatif lorsque les règles déontologiques sont respectées, et qu'un efficace travail

d'explication, de vérification, de justification est réalisé.

La confiance du lecteur, c'est une quête éternelle du web depuis sa création. Le sondage annuel

pour le journal La Croix sur la confiance des citoyens français à l'égard des médias montre que le

web est encore très en retard et ne bénéficie pas d'une côte de confiance élevée : seulement 37 %,

contre 50 % à la télévision, 56 % aux journaux et 58 % à la radio. Surtout, l'évolution récente est

faible : depuis cinq ans, cette marque de confiance n'est passée que de 34 % à 37 %. Un

sentiment partagé par le rédacteur en chef de Videogamer Laurent Deheppe : « Nous avons fait

plusieurs enquêtes d'opinion pour notre magazine. Les résultats montrent que les gens pensent

que les informations ne sont pas vraiment fiables sur Internet ».

C – Les limites de la convergence médiatique

Après des années de développement et d'engouement, le journalisme participatif semble marquer

le pas. À la fois du fait de la professionnalisation de certains de ces blogueurs et contributeurs,

mais aussi parce que les médias traditionnels ont tendance à prendre la main et à diriger les

collaborations.

1 – Le journalisme professionnel a du mal à accorder du crédit à cette nouvelle forme de journalisme

Si le journalisme participatif a séduit certains sites, d'autres se sont créés sur cette nouvelle

pratique. C'est notamment le cas de Rue89, de StreetPress ou encore du Post, aujourd'hui

renommé Le Huffington Post. À travers certains de ces exemples, nous allons voir que ce

journalisme n'a de participatif que le nom.

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Un déclin de la participation ?

Quelques acteurs et une observation attentive permettent de constater une baisse d'engouement

de la participation des citoyens dans la production journalistique. Certes, ceci est difficile voire

impossible à quantifier. Dans la diffusion, c'est moins le cas du fait de la puissance des réseaux

sociaux.

Michel Lévy-Provençal, co-fondateur du site Rue89, motivait dans un post de blog87 son départ

de la rédaction par la disparition totale de l'information à trois voix, celles des experts, des

internautes et des journalistes, une notion aujourd'hui « vide de sens. Dès la semaine qui a suivi

le lancement du site je leur faisais part de mon étonnement de voir Rue89 se transformer en un

journal d’opposition constitué presque exclusivement d’articles ou d’éditos émanant de la

rédaction ou d’amis de la rédaction, souvent journalistes ».

Rares sont aujourd'hui les contributions de citoyens sur Rue89. Aujourd'hui, le site racheté par Le

NouvelObs préfère mettre en avant les témoignages qui sont en réalité des formes de tribunes.

Ces témoignages peuvent parfois être le fait de citoyens lambdas. Mais en quoi retranscrire le

témoignage d'une personne relève du journalisme participatif ? Certes, la personne est à l'origine

de la contribution, c'est elle qui prend contact avec la rédaction. Mais on ne peut pas assimiler

cela à du journalisme participatif, car il n'y a pas de collaboration. Il y a certes un travail de

relecture, de vérification des faits dans la mesure du possible – un témoignage n'est jamais une

garantie – mais le journaliste ne collabore pas avec le citoyen. Rue89 cache en fait la faiblesse

des interventions et des collaborations journaliste-citoyen par la retranscription de témoignages

parvenus à la rédaction.

Plus à la marge mais néanmoins phénomène intéressant, le nombre de commentaires écrits par

les lecteurs du site du journal Le Monde ne cesse de diminuer selon un article du blog du

médiateur du Monde88, Pascal Galinier, intitulé « Où est passé le journalisme participatif ? ». Il

termine son papier en citant un commentaire d'un internaute : « Il faut venir faire un tour sur les

fils de discussion du Facebook du Monde. Là, ça vit, ça s'anime, et ça échange à la vitesse du

câble ! Au revoir le print... ».

Le chercheur Franck Rebillard pense lui que le journalisme participatif est amené à

progressivement se marginaliser, du moins conserver le caractère minoritaire qui lui sied

aujourd'hui. Une étude du Cevipof (Centre de recherche politique de Sciences-Po) montre ainsi

que « les nouveaux utilisateurs d'Internet se dirigent essentiellement vers les grands sites

87 « Pourquoi je veux (à nouveau) quitter Rue 89 », mikiane.com, 21 février 2008.88 « Où est passé le journalisme participatif », Le Monde.fr, 22 mars 2013.

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portails et d'agrégation de nouvelles, au détriment des sites de journalisme participatif ». Il

reprend à son compte une enquête publiée par Médiapolis, montrant que seulement 6 % des

personnes se rendent sur des sites comme Mediapart et Rue89.

Les blogs du Monde.fr : un certain type de contributeurs

Les sites participatifs peuvent alors, pour contrer cette idée d'un recul de l'interaction entre le

lecteur et le journaliste dans le cadre d'un article, montrer qu'ils accordent de la place aux

citoyens à travers les blogs. C'est certes vrai, dans la mesure où tout lecteur peut en principe

ouvrir un blog sur le site d'un journal, mais en pratique le journal cherche souvent à mettre en

avant par divers moyens les blogs de ses propres journalistes. De ce fait, l'idée du journalisme

participatif ne remplit pas vraiment son objectif.

Dans sa contribution pour Les cahiers du journalisme, Franck Rebillard explique que cette

pratique « reste confinée à l'intérieur d'une frange intellectuelle de la société, une frange

extrêmement resserrée ». Le chercheur avance plusieurs caractéristiques propres aux

contributeurs : possession d'un fort capital culturel, intérêt marqué pour la vie publique et les

médias.

Il cite également une étude montrant que 8 % des contributeurs sur le site de journalisme

participatif Agoravox sont des journalistes, soit « la profession la plus représentée sur cette

plateforme initialement vouée à accueillir des non-professionnels du journalisme ».

Ces blogs sont souvent le fait d'un certain type de citoyens. Sur LeMonde.fr, il y a plusieurs

catégories de blogs.

• Les « blogs du Monde » sont ceux tenus par des journalistes professionnels faisant partie

de la rédaction du journal. Ce sont ceux qui sont le plus mis en avant sur la page d'accueil

du site, qui recense sur la page de Une non seulement les meilleurs articles mais aussi les

posts de blogs de chaque catégorie ou chaîne (Politique, International, Culture, Idées,

Sport…).

• Les « blogs invités » sont ceux de journalistes du Monde ou de journalistes indépendants

et de pigistes. Parmi ces blogs invités, on retrouve par exemple celui des étudiants de

l'Ecole publique de journalisme de Tours sur les élections municipales à Château-Renault.

• Les blogs sélectionnés sont au nombre d'une vingtaine parmi les blogs abonnés que

compte Le Monde.fr. Ces blogs sélectionnés ne sont pas tous régulièrement alimentés en

contenu et ils restent très peu mis en valeur.

• Tous les blogs abonnés, au nombre de 746 donc selon le dernier recensement du Monde

(mars 2014) peuvent être créés par les seules personnes abonnées au journal. Cependant,

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ces blogs ne sont visibles qu'en actionnant le volet « Blogs » leur charte graphique (police

différente, mise en page différente…) est distincte de celle des blogs du Monde et seule

l'URL indique qu'ils sont rattachés au Monde.

Le cas particulier des blogs du Monde Académie et de la « Street School »

Lancée en 2012, cette initiative a pour but d'offrir un espace rédactionnel à une soixantaine de

jeunes entre 18 et 25 ans, qu'ils soient étudiants en journalisme ou dans une filière totalement

différente et a priori sans liens avec le travail d'un journaliste. Tout au long de l'année 2013, 69

jeunes ont eu l'occasion d'écrire des articles sur les sujets de leurs choix. Le but pour la rédaction

est de s'ouvrir sur de nouveaux horizons, d'aborder des thèmes intéressant les jeunes mais peu

traités par le journal. Certaines contributions de ces blogs peuvent être publiées sous forme

d'articles sur la page d'accueil du Monde.fr, d'autres étant même retenus par la rédaction pour

être publiés dans la publication papier du quotidien ou ses suppléments, comme ce fut le cas dans

le cahier « Le Monde Télévision » avec l'article « L'invasion des drones 89». Mais ces articles

promus sur le site, voire sur le papier, restent rares.

Le lancement de la troisième campagne de la « Street School » en 2014 ressemble à ce que fait

Le Monde Académie, qui s'en est d'ailleurs inspiré. Cependant, cette opération ressemble à un

aveu d'échec du journalisme participatif, du moins tel que les rédactions professionnelles

l'entendaient. En effet, dans sa présentation90, StreetPress, un site de journalisme participatif,

veut « insuffler une nouvelle énergie à nos rédactions et encourager l'arrivée d'une nouvelle

génération de journalistes, moins formatés et surtout plus en phase avec les réalités de notre

société ». Nous voyons donc clairement que la démarche vise avant tout un renouvellement

professionnel, même si elle est justifiée par « la crise de confiance entre journalistes et citoyens

qui aggrave la crise de la presse ».

Certes, pour Johan Weisz, rédacteur en chef de StreetPress, « l'idée n'est pas forcément de

former des journalistes qui auront la carte de presse et travailleront à Mediapart. Mais ça n'est

pas impossible non plus ». Nous pouvons donc considérer que pour lui, la forte demande de

participation des citoyens dans la production et la distribution de l'information doit servir à

transcender le métier. Cette démarche n'est pas dénuée d'ambiguïté dans la mesure où Johan

Weisz souhaite « outiller les personnes désireuses de réaliser des reportages et des enquêtes ».

Mais alors, quel est leur statut : simple citoyens ou déjà journalistes ?

89 Article paru le 3 mars 2014. 90 « Street School: présentation », StreetPress.fr.

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Mediapart et Le Huffington Post

Médiapart est dans la même logique. Le pure-player fondé par Edwy Plenel a établi une nette

séparation entre les articles de la rédaction et les contributions des internautes, avec

respectivement « Le Journal » et « Le Club ». Franck Rebillard parle91 d'« une frontière autant

symbolique que pécuniaire puisque l'accès aux pages du Journal est payant tandis que le reste

est gratuit ».

Sur d'autres sites, nous constatons une autre tendance : les blogs les plus régulièrement épinglés

en tête d'un site sont le fait d'experts. C'est ce qu'explique Bernard Poulet : « L'idée qu'une autre

information est possible s'est en réalité beaucoup affaiblie. Les blogs d'information ont tendance

à se professionnaliser – Huffington Post aux USA, Le Post en France – , souvent autour de

thèmes pointus ; en particulier des nouvelles technologies et de la communication ».

L'observation empirique montre que les blogs à la Une du Huffington Post par exemple sont ceux

d'auteurs présents dans de grands groupes ou dans des fonctions élevées : un professeur à

Sciences-Po, ou encore des médecins, des architectes, des patrons d'entreprises… Le profil des

contributeurs est d'un rang assez élevé. Certes, cela reste du journalisme participatif, mais les

rédactions essaient progressivement de fidéliser une base de rédacteurs et de contributeurs. Paul

Ackermann, lors du lancement du Huffington Post, parlait92 de « contributeurs qui sont vraiment

experts ou témoins privilégiés, c'est-à-dire des contributeurs vraiment à valeur ajoutée ».

Finalement, cette opposition constante faite entre les amateurs et les professionnels est peut-être

peu pertinente. Les premiers sont probablement des amateurs de journalisme qui souhaitent

apporter leur expertise et le faire dans un cadre professionnel, avec des exigences élevées.

Charles Leadbetter et Paul Miller parlent de la « révolution des pro-am », faisant référence d'un

côté aux professionnels du métier et de l'autre aux amateurs.

2 – Des difficultés d'intégration : deux modèles différents

C'est notamment vrai dans le milieu des jeux vidéos. Entre les magazines ou sites Internet d'une

part, et les YouTubeurs d'autre part, les exigences ne sont pas les mêmes. Plusieurs points

diffèrent et posent des limites à la relation entre les rédactions professionnelles et les internautes.

91 « Le journalisme participatif : définition, évolutions et état des lieux », INA.com, octobre 2012.92 « Notre HuffPost », vidéo YouTube, 22 janvier 2012.

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Une hiérarchie différente

Nous pouvons dire que le YouTubeur dispose quand même d'une marge de manœuvre plus

importante dans ses différents processus de productions : choix des jeux testés ou sur lequel on

fait des vidéos, ton adopté, fréquence de publication. Certes, l'exemple de Diablox9 qui a perdu

sa communauté à force de promesses de vidéos non-tenues, de changement soudain de « ligne

éditoriale » comme nous l'avons vu dans notre étude de cas, nuance cette liberté, cette marge de

manœuvre offerte aux YouTubeurs. Il ne peut pas faire entièrement ce qu'il veut, il doit aussi

savoir être à l'écoute de ses internautes, de ceux qui lui assurent une audience plus ou moins

importante et fidèle.

Le YouTubeur doit suivre un contrat de lecture au sens d'Eliséo Veron : il fixe lors de l'ouverture

de sa chaîne une ligne éditoriale et doit la respecter, la suivre à la règle. Il peut évidemment de

temps à autre s'en écarter, essayer d'innover. Mais cela doit le plus souvent répondre à un souhait

des internautes, une demande qui se fait justement soit à travers l'espace des commentaires soit

par le biais des réseaux sociaux. Mais cette prégnance du contrat de lecture n'est pas aussi forte

que pour les journalistes de la rédaction. Un journaliste est un pion dans un ensemble de

journalistes, un regroupement qui forme une rédaction. Il doit donc tenir compte de deux choses :

l'organisation horizontale, à savoir les relations entre les journalistes (comme ne pas faire le

même travail, le même article), et l'organisation verticale avec la répartition des responsabilités

(respecter ce qui est demandé par le rédacteur en chef par exemple ou le chef de rubrique…). Le

YouTubeur, de son côté, travaille seul et sans aucune commande, si l'on part du principe qu'il est

indépendant et qu'il ne développer pas de relations de dépendance à l'égard des éditeurs et

développeurs de jeux vidéo. Par conséquent, il est libre d'agir à sa guise, sans avoir à rendre de

compte à sa hiérarchie. Il est son propre rédacteur en chef, son propre rédacteur, son propre

modérateur éventuellement des commentaires, son propre community manager…

Pas de charte déontologique

Les sites Internet de jeux vidéo n'ont pas de chartes déontologiques. Mais ils font le métier de

journalistes, ils doivent donc respecter certaines règles. C'est ce qu'explique Rodolphe Donain,

ancien rédacteur en chef de JVN.com : « La charte de Munich régit notre métier ».

De leur côté, les YouTubeurs n'ont pas autant de règles à respecter. Rien ne les oblige à recouper,

vérifier et sourcer leurs informations. Ils ne sont pas journalistes à part entière. Logiquement, les

relations avec les éditeurs ne posent pas de problèmes comme cela peut être le cas avec les

journalistes de magazines ou de sites Internet spécialisés. Laurent Deheppe, rédacteur en chef de

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Page 65: La presse de jeux vidéo et YouTube, un exemple de la convergence médiatique ?

Videogamer, précise : « Nous, on a une carte de presse donc on ne peut pas faire ni écrire ce

qu'on veut ».

Sur Internet, aucun contributeur n'est tenu de respecter une forme d'éthique, contrairement à un

journaliste. Cela peut donc poser des problèmes au moment de la collaboration et de la

coopération entre un citoyen et un journaliste. Ils n'ont pas le même rapport, en théorie du moins,

à la vérification de l'information, à son recoupement entre plusieurs sources et à sa justification.

Les méthodes de travail ne sont donc pas forcément les mêmes. Or, dans le cadre d'une

publication sur un site comme Rue89 d'un article collaboratif, c'est le journaliste et la rédaction

qui restent responsables du contenu publié, et non pas le citoyen qui a participé à l'enquête ou la

rédaction du contenu. C'est donc un frein à l'expansion encore plus importante du journalisme

participatif.

CONCLUSION

Nous avons abordé dans ce mémoire trois points importants :

• L'évolution de la presse de jeux vidéo, avec dans un premier temps la prégnance des

magazines puis leur effondrement du fait de problèmes liés notamment à la crise du

secteur publicitaire. En lieu et place se sont développés de très nombreux sites de jeux

vidéo, parmi lesquelles : jeuxvideo.com, Gamekult et Gameblog. Tous trois s'appuient sur

leur appartenance à un groupe de presse qui leur assure des moyens humains et

budgétaires supplémentaires. Ils ont fait du test de jeux leur principale activité. Nous ne

l'avons pas étudiée ici, mais une chaîne de télévision, Game One, s'est également lancée

sur ce domaine et bénéficie aujourd'hui d'une belle audience.

• Une activité néanmoins menacée aujourd'hui par les YouTubeurs. Des internautes,

plus ou moins jeunes, se filment en train de jouer et donnent leur avis sur une licence. Ils

font du test leur ressource ultra majoritaire. Les plus connus d'entre eux sont ceux qui ont

réussi à se constituer une communauté. Pour cela, ils se sont appuyés sur un ton très libre

et très spontané afin de devenir plus proches de leur audience. Ils l'ont fidélisée à travers

l'utilisation massive et habile des réseaux sociaux, comme Twitter et Facebook.

Le succès des YouTubeurs a progressivement convaincu les rédactions web de suivre la

même voie. L'avènement sur certains sites comme Gamekult du live appuie cette idée que

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les YouTubeurs ont eu une influence sur les journalistes professionnels et encartés. Au

point que certains journalistes pensent que le YouTubeur est en train de prendre leur

place, du moins avoir la faveur des éditeurs, acteurs incontournables de la presse de jeux

vidéo.

• Nous avons enfin élargi notre analyse à la presse en général et observé la présence de

plus en plus forte des journalistes sur les réseaux sociaux et le relais indispensable qu'ils

sont devenus. Un relais parfois même utilisé à tort et à travers et qui aboutit sur des choix

éditoriaux discutables. C'est un premier exemple de la convergence médiatique. Un autre

est celui de la double révolution : à la fois en provenance des dirigeants, avec la

constitution de grands groupes de presse et des amateurs avec le rôle des YouTubeurs.

Les YouTubeurs gamers sont le prolongement de la convergence médiatique :

• En tant que non-professionnels, les YouTubeurs exercent une influence auprès des

consommateurs d'information. En un certain sens, on peut les assimiler à des leaders

d'opinion. Ils parviennent aujourd'hui, pour certains, à aller dans des salons autrefois

réservés aux journalistes et peuvent obtenir certaines exclusivités, donc des informations

qu'ils sont les seuls à posséder et à pouvoir dévoiler. En ce sens-là, ils sont maîtres d'une

information qu'ils peuvent diffuser ensuite à leur communauté.

En outre, sans forcément toujours disposer d'informations exclusives, leur relative

spontanéité, parfois leur jeunesse, parlent pour eux : leur communauté peut se sentir

proche et leur faire confiance. Ils sont là pour donner un conseil, pour expliquer ce qu'ils

pensent d'un jeu. Un travail pas si différent finalement de celui d'un journaliste, puisque

Laurent Deheppe, rédacteur en chef de Videogamer, explique que son job « c'est de te

dire “Ça c'est cool, on a bien aimé, vas-y ! » ou bien « Ça c'est de la merde, n'y va

pas !” ».

• Les YouTubeurs ont compris le pouvoir des réseaux sociaux et pas seulement dans

leur utilisation professionnelle ayant pour but de mettre en avant une publication.

Ils en ont assimilé l'importance pour fidéliser leur communauté, la suivre et avoir un

retour bien plus pertinent de ses attentes et de ses désirs pour les prochaines vidéos. Les

journalistes de sites de jeux vidéo ou de magazines commencent seulement à entrevoir à

leur tour l'intérêt des réseaux sociaux pour leur travail. Un avantage en termes d'audience

évidemment mais également pour contacter des sources pour des articles et échanger

avec leurs lecteurs.

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• Cette convergence médiatique s'accompagne d'une professionnalisation des

nouveaux acteurs, autres que les journalistes déjà professionnels. YouTube semble

être en passe de franchir également ce cap avec des acteurs comme Diablox9 ou encore

MrLEV12 s'écartant progressivement du modèle de base du YouTubeur et réalisant des

vidéos aux procédés purement journalistiques : reportages, voix off, préparation et

écriture avant l'enregistrement de la vidéo…

Il n'est pas impossible que certains YouTubeurs deviennent un jour des journalistes influents dans

des rédactions de la presse spécialisée. Plus qu'une passion, YouTube aura alors été une

passerelle.

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Page 68: La presse de jeux vidéo et YouTube, un exemple de la convergence médiatique ?

BIBLIOGRAPHIE

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« “Parfois, il m'arrive de faire un travail journalistique“. Jeux vidéo : des sites sous pression , Arrêt sur Images, 30 novembre 2012, 1 heure et 42 minutes.

« Les réseaux sociaux sont-ils compatibles avec le journalisme ? », France Culture, 12 novembre 2011, 48 minutes.

« Jeu vidéo : les journalistes servent-ils encore à quelque chose ? », JVN.com, 25 octobre 2013, 49 minutes.

• Chartes

Charte de l'agence de presse Thomson Reuters

Charte de l'Agence France Presse (AFP)

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• Entretien

Laurent Deheppe, rédacteur en chef de Videogamer Magazine, 45 minutes (Entretien téléphonique)

Martin Lefebvre, directeur de la publication de MerlanFrit.net et pigiste à Games (Entretien par mail)

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ANNEXES

GRILLE DE LECTURE DE L'ETUDE DE CAS

Dans le cadre de mon étude de cas, il m'a fallu cadrer mes recherches, mes comparaisons. J'ai

donc procédé en trois temps.

D'abord s'est fait le choix des actualités à traiter. Trois évènements m'ont paru majeurs :

• La sortie de Grand Theft Auto V. Cinquième opus d'une saga mythique du jeu vidéo,

GTA V présente plusieurs intérêts : l'attente a duré cinq ans entre le précédent épisode et

celui-ci, les images et trailers du jeu communiqués par l'éditeur laissaient présager une

grande beauté graphique, la communication très massive faisait de GTA V un jeu attendu

au tournant. Sorti le 17 septembre 2013, le jeu a eu droit à un suivi médiatique énorme,

bien au-delà des simples médias spécialisés. Par exemple, le journal télévisé de 20

Heures de France 2 consacrait un reportage à la sortie du jeu le 20 septembre. Et ce n'est

qu'un exemple parmi d'autres. Libération a consacré un long dossier de deux pages sur la

sortie du jeu.

• La sortie des nouvelles consoles. Après une longue attente de plus de sept ans, Sony et

Microsoft ont enfin lancé leur console nouvelle génération (next-gen) au mois de

novembre 2013. D'abord la Xbox One de Microsoft, puis une semaine après la PS4 de

Sony. Outre la très longue attente et les promesses nombreuses en terme de qualité

graphique, ces nouvelles consoles ont l'intérêt d'être étudié dans la comparaison du

traitement fait par les YouTubeurs d'une part et les journalistes spécialisés d'autre part.

L'actualité est assez peu traitée par les premiers nommés, puisqu'il n'y a pas d'images de

jeu à commenter.

• La sortie de Titanfall. L'année 2014 est très chargée en actualité vidéo-ludique. De très

nombreux jeux sont attendus : The Division, Watchdogs, Dishonored… Parmi ces jeux,

on retrouve Titanfall dont on a commencé à parler plus d'un an avant sa

commercialisation. Présenté comme le jeu qui allait régénérer les FPS et obliger les

éditeurs de ses rivaux Call of Duty et Battlefield à revoir leur médiocre copie, Titanfall

n'a finalement pas entièrement répondu aux attentes. Néanmoins, l'excès de

communication et de couverture médiatique restent intéressants à décortiquer.

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Ensuite, j'ai décidé de cibler quatre YouTubeurs pour cette étude de cas :

• Diablox9. Le Youtubeur originaire de Suisse a été l'un des pionniers du gaming sur la

plateforme de mise en ligne et de partage de vidéos. Il peut se targuer d'avoir 1,5 millions

d'abonnés, plus de 220 000 000 de vues cumulées sur sa chaîne YouTube et plus de 560

vidéos postées. Diablox9 est intéressant pour plusieurs choses mais notamment une :

l'effondrement de sa communauté. Même avec 1,5 millions d'abonnés, le YouTubeur

peine à dépasser les 150 000 vues pour une vidéo. Très loin de ses standards (autour de

300 – 400 000) et encore plus de ses vidéos les plus populaires (sa meilleure vidéo en

terme d'audience remonte à 2011. Elle avait recueilli plus de 3 000 000 de vues). Un

effondrement lié à un changement brutal de ton et de contenu sur sa chaîne. Autrefois, le

jeune YouTubeur ne jurait que par quelques jeux, dont la licence Call of Duty, éditée par

Activision, et jeu de guerre le plus populaire dans le monde. Changement brutal autour de

2012, avec désormais plusieurs gameplays sur la licence Battlefield et presque plus aucun

sur Call of Duty. On soupçonne très fortement le YouTubeur d'avoir un contrat avec

Electronic Arts, l'éditeur de Battlefield.

• MrLEV12. MrLEV12, c'est plus d'un million d'abonnés sur sa chaîne YouTube. Là aussi,

une audience conséquente avec plus de 118 millions de vues cumulées sur 442 vidéos

postées. MrLEV12 a également perdu beaucoup de son audience. Mais ce qui en fait un

cas d'étude intéressant, c'est son professionnalisme de plus en plus abouti. Même s'il ne se

fait pas d'illusion sur son avenir sur YouTube (il l'a répété plusieurs fois sur son Twitter,

l'a également dit dans sa vidéo FAQ), MrLEV12 s'implique énormément. Il est l'un des

rares à réaliser des montages aboutis : incrustation sur fond vert, intervention type plateau

pour reportage télé, scénarisation d'un évènement... Cela lui a notamment valu l'intérêt de

TF1. Cette professionnalisation en cours sur YouTube est donc parfaitement illustrée par

MrLEV12.

• Naito 75. 370 000 abonnés au compteur, plus de 60 millions de vues cumulées, Naito75

ne boxe pas dans la même catégorie que les deux précédents YouTubeurs. Mais il a un

parcours tout aussi intéressant. Pour deux raisons. La première est qu'il est ce qu'on peut

appeler un vidéo-testeur. Lui ne se limite pas à un seul jeu, ou une seule licence : il

préfère tester de très nombreuses sorties. Fait particulier : il demande souvent à ne pas les

recevoir en avant-première de la part des éditeurs. C'est pour cela qu'il a souvent un

temps de retard par rapport aux sites de jeux vidéo ou aux autres YouTubeurs. Autre

raison : Naito75 a débuté sa « carrière » sur jeuxvidéo.fr. Il y a fait ses gammes, s'est fait

connaître là-bas, aussi comme testeur. Il prouve qu'il y a un lien possible entre les deux

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mondes de la presse spécialisée et des YouTubeurs.

• VodK. 63 000 abonnés, près de 20 millions de vues, et une chaîne quasi exclusivement

dédiée à Grand Theft Auto. VodK a tout du YouTubeur « de base » : la spontanéité, la

liberté de ton, proximité avec le public, le délire... Il est intéressant à analyser, car même

s'il vit de son activité sur YouTube, il parvient à proposer un contenu similaire à ce qu'il

faisait avant sa reconnaissance dans le gaming sur YouTube. Il se construit de jour en jour

une communauté de plus en plus importante. Leader d'un groupe d'amis (la « team

PowA »), il invite régulièrement certains de ses abonnés à jouer avec lui.

Enfin, j'ai étudié les trois sites web de jeux vidéo les plus importants en France :

• jeuxvidéo.com. Il est important de par son audience – septième site français le plus

consulté – mais aussi de par sa proximité avec les internautes. En effet, le site est réputé

pour ses blogs et ses forums, notamment le « Blabla 15-18 ans » qui réunit de très

nombreux adolescents. Ils y parlent de jeu vidéo mais pas que : on y retrouve

épisodiquement les fuites des sujets de baccalauréat par exemple. Cette large

communauté assure au site une audience régulière.

• Gamekult. Il est sans doute le site le plus réputé pour son indépendance et ses distances

avec les éditeurs de jeux vidéo. Mais Gamekult est également intéressant pour son attrait

pour la vidéo et notamment le live. Peu de sites font autant de lives que Gamekult : on en

retrouve un tous les jours, du lundi au vendredi de 18 à 20 heures.

• Gameblog. L'intérêt du site se lit à travers son nom : il fait la part belle à l'esprit des

blogs. Charte graphique différente des autres, mise en avant des blogs des internautes :

tout ressemble à un blog. Son rédacteur en chef, Julien Chièze, refuse de se considérer

comme un journaliste. De quoi alimenter la mauvaise réputation qui l'accompagne dans le

milieu du journalisme de jeux vidéo.

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MÉTHODOLOGIE

Contrairement à d'autres travaux, je n'ai pas décidé de cibler des vidéos en particulier. Le travail

de visionnage de vidéos a donc été conséquent : j'ai pu visionner l'ensemble des vidéos de

Squeezie, MrLEV12, Diablox9, VodK et Naito75, ainsi que leurs interventions dans des vidéos

d'autres YouTubeurs. Ce travail a été facilité par mon intérêt pour ce monde des YouTubeurs

depuis plusieurs années maintenant.

En outre, j'ai acheté l'ensemble des numéros de Canard PC, de Videogamer et de JV Le Mag

pendant le temps de mon étude de cas. Afin de compléter mes observations et prendre du recul

sur le paysage de la presse de jeux vidéo en France, je me suis également procuré plusieurs

magazines étrangers, notamment Edge et PC Gamer. Deux magazines dont les lignes éditoriales

sont très différentes, le premier se rapprochant de ce que fait Canard PC en France, tandis que le

second adopte le même modèle que l'ensemble des autres magazines français.

Dans le cadre de mon mémoire, j'ai également été amené à prendre contact avec des YouTubeurs.

J'avais déjà essayé de rentrer en contact avec ces personnes avant même la validation de mon

sujet, conscient de l'extrême difficulté pour joindre ces YouTubeurs. Malheureusement, je n'ai

pas pu avoir de réponses positives. Même s'ils se disent proches de leur communauté, les

YouTubeurs refusent souvent les sollicitations de ce genre. Dans le cadre de son dossier sur les

YouTubeurs, la rédaction de Canard PC a également rencontré cet écueil. Cependant, cela

n'enlève en rien la pertinence de l'étude de cas. De plus, j'ai pu m'appuyer sur les rares

apparitions médiatiques de ces YouTubeurs, notamment à l'émission Arrêt sur Images.

Certains YouTubeurs se montrent réticents à toute publication par crainte que l'on aborde des

thèmes sensibles, tels que leurs relations avec les éditeurs, leur manque d'indépendance, l'argent

gagné grâce à leurs activités. YouTube est un média qui fait fantasmer aujourd'hui puisqu'il

permet aux personnes déposant un contenu d'être rémunéré, parfois dans des proportions

considérables. Or, l'argent est généralement tabou, et YouTube n'y échappe pas.

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RETRANSCRIPTION DES ENTRETIENS

Interview de Laurent Deheppe, rédacteur en chef de Videogamer

Pour vous introduire le sujet, je travaille

sur l'évolution de la presse de jeux vidéo.

Et j'essaie notamment d'analyser

l'émergence de YouTubeurs…

Laurent Deheppe (il coupe) : On ne les

connaît pas ces gens là. En gros, pour vous

la faire courte, les YouTubeurs font un

travail sans contrepartie éditoriale. Ils disent

des jeux qu'on leur donne à tester « Tout est

bien, tout est génial ». L'industrie est

caressée dans le sens du poil avec eux.

Comme ce sont des jeunes, ils ne sont pas

rémunérés, on leur file un jeu pour dire il est

génial. À partir du moment où ils se mettent

sur le devant de la scène, ça va dans le sens

de l'éditeur. À l'éditeur, ça ne lui coûte pas

un rond et il est content.

Est-ce que pour certains YouTubeurs, on peut quand même assimiler leur travail à celui

réalisé par un journaliste ?

L. D : Nous, on a une carte de presse donc on ne peut pas faire ni écrire ce qu'on veut. Certains

font leur job, mais à parti du moment où il y a un retour pécunier, bon…

Nous, c'est pas un sujet qu'on maîtrise très très bien. Moi, en tant que Laurent Deheppe, je suis

au courant mais ça ne m’intéresse pas. Ils font leur truc comme quand on est jeune et qu'on a une

possibilité de dire des choses sur ce que l'on veut. Moi je fais du print avec une carte de presse et

une équipe où tout le monde a une carte de presse. On a pas les mêmes informations et on ne

retranscrit pas de la même manière les informations que l'on a.

Après, évidemment, sur un test de jeu, ils peuvent faire quelque chose d'aussi bien que nous. Un

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Couverture du n°2 de Videogamer

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test, c'est tellement subjectif !

Ces deux milieux n'ont donc rien à voir selon vous…

L. D : Par éthique et par respect pour le lecteur, il n'y a aucune connivence. Les éditeurs nous

appellent pour avoir de la visibilité. Ça n'a rien à voir avec un petit jeune de 18 ans qui fait 2 à 3

millions de vues sur YouTube, à qui EA demande de faire des vidéos en allant à l'E3 (salon de

jeux vidéo qui se tient chaque année à Los Angeles). Moi, les gens qui font la démarche d'acheter

mon magazine, c'est pas du tout la même activité. C'est logique pour les éditeurs, ils sont dans le

marketing. Pour eux, ça représente une audience énorme. Mais encore une fois, on ne fait pas le

même boulot.

Videogamer existe depuis plus d'un an maintenant. Vous allez ouvrir cette semaine un site

Internet. En quoi cela consistera exactement ?

L. D : Ça sera un accompagnement au print, rien de plus, ça sera un soutien au magazine. Par

exemple, quand on se déplace à l'étranger, on peut faire des interviews en vidéo. Dans ce cas-là,

on peut la publier sur notre site. Mais ça reste juste un complément d'information par rapport au

papier.

Quels étaient les objectifs au moment de la création de Videogamer ? Est-ce qu'il y avait

une volonté de bouleverser un peu les habitudes prises par les magazines de jeux vidéo,

essayer de changer la ligne éditoriale ?

L. D : Pas du tout ! L'objectif, c'est de faire un magazine multi-plateforme, généraliste et pour

passionnés. Rien de nouveau. De toute manière, si on enlève les notes pour les jeux, ça ne

marche plus ! Il faut des points de repère pour le lecteur, on ne peut pas lui enlever comme ça.

Au petit jeu des comparaisons, où vous situez-vous par rapport à Canard PC et JV ?

L. D : Ça n'a rien à voir. Canard PC, eux ils sont 100 % PC (en réalité, Canard PC consacre la

fin de son magazine aux tests de jeux sur consoles). Donc ça n'est pas la même cible. D'autant

que eux s'appuient sur une communauté. C'est l'ancienne rédaction du magazine Joystick. Ils ont

récupéré la génération qui a grandi avec Joystick. Ce sont des professionnels, mais le ton est

quand même différent. Et puis, c'est que dalle en diffusion…

Quant à JV, pareil, ça n'a rien à voir avec nous. Je les connais bien, c'est mon ancienne équipe

quand j'étais à Joypad. Ce sont des mecs qui maîtrisent complètement le sujet. Mais ça s'adresse

à vraiment des gamers, c'est « hardcore » (le vocabulaire employé est plus technique et s'adresse

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à un public déjà familier avec ces termes). Au niveau du rubriquage, il n'y a rien d'exceptionnel.

Mais ce sont les choix de Une qui sont différents et qui leur permet de se démarquer.

On dit souvent que la presse de jeux vidéo a besoin de se renouveler, de ne plus seulement

faire du simple « preview-tests-notes ». Vous êtes de cet avis ?

L. D : Moi, j'ai essayé quand j'ai repris Joypad de faire quelque chose de différent de ce modèle

que l'on retrouve partout sur le web. On faisait des interviews de développeurs parce qu'on les

connaît bien, on essayait de mener des sujets de « réflexion ». Mais ça intéresse pas le lecteur !

Un peu sur le modèle de ce qu'a fait IG Magazine ?

L. D : Mais IG, c'était du geek ! C'était totalement à la marge, et ça n'intéresse pas du tout. Ça

n'était pas ludique, tu avais l'impression d'être en cours d'histoire en terminale. Il ne faut pas

oublier qu'on est une presse de loisirs, où on doit s'éclater un minimum. Moi, l'interview d'un

développeur chinois, j'en ai rien à foutre !

Mais Edge, c'est pareil, ça intéresse personne ce qu'ils font. Moi je les lis parce que je connais les

gars qui écrivent ça. Mais Edge, c'est 30 000 exemplaires partout dans le monde. Nous, à

Videogamer, c'est 42 000 rien qu'en France.

La presse papier de jeux vidéo est-elle morte ?

L. D : En 2012, quand Mer7 (maison d'édition détenant l'immense majorité des titres de presse

de jeux vidéo) ferme ses portes, tout le monde est pessimiste. Aujourd'hui, notre parcours, et

j'englobe aussi celui de JV évidemment, parle de lui-même. La presse papier est loin d'être

morte. Le magazine, ça me permet de savoir ce qui va m'intéresser. C'est un condensé de

l'actualité d'un mois. Et puis, on donne quand même des informations qu'il n'y a pas sur le net, et

que les YouTubeurs ont encore moins. Le problème d'Internet, c'est que si on n'est pas connecté

un jour, on loupe tout. Moi, mon job, c'est d'écrire des articles qui intéressent les gens qui sont

passionnés. Ça s'arrête là. Il faut que j'ai un lectorat qui s'attache au mag du fait de son

exhaustivité et de son honnêteté. Mon job, c'est de te dire « Ça c'est cool, on a bien aimé, vas-

y ! » ou bien « Ça c'est de la merde, n'y va pas ! ». Mais des sites comme Gameblog ou

Gamekult, ils font pareil que moi ! Ils sont juste sur Internet et n'ont pas à se soucier de la

diffusion dans les kiosques. C'est un flux tendu pour eux. Mais ils font la même chose. Un site,

c'est un vecteur d'information.

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C'est plus un support qu'un média…

L. D : Voilà, c'est ça. C'est un vecteur de communication, rien de plus. Mais eux, ils ont un

problème qu'on a pas : la publicité. Eux, c'est leur seule ressource. Nous, cela vient

majoritairement des ventes. Je ne vais pas vous dire pour nous, mais les ventes et les

abonnements sont suffisants pour vivre.

Entretien par mail de Martin Lefebvre, directeur de la publication de

Merlan Frit.net et pigiste à Games

On a coutume de dire que la presse de jeux vidéo n'a pas vraiment d'avenir en France. Est-

ce que vous partagez cet avis ?

J’espère qu’elle a un avenir, mais qui ne ressemblerait pas à son passé. De manière générale, la

presse est en crise, entre le web dont le modèle économique reste fragile et le papier qui doit

trouver des moyens d’intéresser les lecteurs autrement que par l’actualité à flux tendu. Sur le

web, je pense qu’à part jeuxvideo.com il n’y a pas énormément de sites qui soient très

profitables. Certains comme Gamekult essayent de trouver un modèle économique basé sur les

abonnements, mais je ne sais pas si cela fonctionnera, parce que malheureusement les lecteurs du

web ne sont pas habitués à payer.

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Capture d'écran du site Merlan Frit

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Mais après la faillite de M.E.R.7 on a vu un renouveau de la presse papier, avec JV le mag et

Games, qui sont encore fragiles, mais qui sortent un peu du modèle de la presse purement

consumériste. Et le succès durable de Canard PC prouve que des lecteurs sont prêts à payer pour

un magazine qui a une voix, même si cette voix n’est pas toujours à mon goût.

En tout cas, il me semble qu’il existe un public qui a envie de lire des choses intéressantes ou

drôles sur le jeu vidéo. Il y a aussi de plus en plus de joueurs, dont certains commencent à avoir

de la bouteille et cherchent du contenu de qualité, donc il n’y a pas raison qu’ils ne puissent pas

constituer un lectorat.

Pour Laurent Deheppe, rédacteur en chef de Videogamer, il n'est pas impossible que la

presse print de jeux vidéo atteigne de nouveau le seuil symbolique des 100 000 exemplaires

vendus au numéro. Est-ce réellement envisageable ?

Peut-être, je ne sais pas, je ne me rends pas vraiment compte des chiffres de diffusion. Quoiqu’il

en soit à ce niveau de ventes, j’ai peur que l’on trouve des magazines qui s’adressent au plus

petit commun dénominateur, auquel cas la concurrence avec le web risque d’être assez ardue. Je

suis plus intéressé par des projets qui cibleraient moins large, mais qui proposeraient un contenu

de qualité. C’est ce que nous essayons de faire à Games.

Emmanuel Villalba, qui chroniquait sur JVN.com, disait dans une émission que « l'on ne

peut pas faire du journalisme au sens noble du terme dans le secteur de jeux vidéo ». Est-ce

vraiment le cas ? Est-ce que le journaliste de JV est amené finalement à être un simple

relais des éditeurs, en ajoutant tout au plus son expérience de gamer, ses analyses, ses

propres impressions sur un jeu ?

C’est une question compliquée. Le rapport avec les éditeurs, j’y reviendrai puisque vous posez la

question après, mais il ne faut pas entrer dans une définition trop étroite du journalisme. C’est

quoi « journaliste au sens noble » ? Je ne sais pas si le journalisme est une noblesse, un bon

journaliste est plutôt au service de la démocratisation des connaissances, non ?

Au minimum, on peut dire qu’un bon journaliste se tient à la charte de Munich, et qu’il a des

devoirs envers ses lecteurs, puisqu’il est à leur service. Le premier devoir est d’être clair, de dire

d’où l’on parle.

Mais le journalisme ne se limite pas à l’investigation, comme on l’entend trop souvent. On peut

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très bien faire du journalisme d’investigation sur le jeu vidéo : parler des conditions de travail, de

la dimension économique, etc. Cela me paraît même nécessaire. Et en effet fort compliqué pour

un tas de raisons. D’abord parce que ce n’est pas forcément rentable ni vendeur : un site web va

avoir du mal à justifier un papier de fond qui immobilise un journaliste interne pendant des

semaines ou qui demande de payer correctement un pigiste, si ledit papier fait dix fois moins de

vues qu’une news évoquant la date de l’annonce du prochain GTA... La presse premium, qui

fonctionne sur abonnements, a sans doute plus les moyens de se tourner vers cela, mais

l’investigation coûte cher, et pour le moment il ne me semble pas qu’en France on ait les moyens

de payer des reporters de terrain.

Pour prendre un exemple concret : pour Games, je voulais écrire quelque chose sur les écoles de

jeu vidéo : mais il aurait fallu aller à Angoulême, prendre le temps de rencontrer des gens,

travailler le sujet... On a fini par laisser tomber parce que je n’ai pas le temps, vu que je ne vis

pas du journalisme et que ce n’était pas compatible avec le travail qui me fait vivre. Après il y a

des sites et des mags qui font du bon boulot, comme Gamekult sur les sujets écos et les dossiers

avec des gens comme mon pote William Audureau ou plus récemment Virginie Malbos, ou bien

Canard PC avec certains dossiers... Mais je pense que c’est compliqué même pour eux, et je

crains qu’ils ne vivent pas de cela.

Ensuite parce que les éditeurs détiennent beaucoup de clefs en effet, ont des moyens de pression,

et que le milieu n’est pas toujours ouvert à qui voudrait poser des questions. C’est d’autant plus

compliqué en France où l’on est loin des centres majeurs de production, et où on peut

difficilement envoyer quelqu’un pour interviewer les gens d’Irrational qui viennent de se faire

licencier par exemple.

Mais la critique, l’éditorial, avec leur part de subjectivité, l’analyse depuis son canapé ont

toujours fait partie du journalisme. Ce n’est pas moins « noble » que l’investigation, c’est un

aspect différent, qui demande d’autres qualités (d’écriture, de mise en perspective). Les deux

dimensions peuvent cohabiter.

Le scandale du Doritos Gate a mis en lumière les problèmes entre les éditeurs et les

journalistes. Est-ce qu'un journaliste peut aujourd'hui se passer d'un éditeur ?

Un journaliste peut difficilement se passer des développeurs. Enfin il le peut, s’il se limite à la

critique et à l’éditorial, et qu’il a les moyens de se payer les jeux. Ce qui n’a rien d’évident quand

on connaît le tarif des piges. Mais les développeurs sont des interlocuteurs obligés si l’on veut

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avoir des informations, des entretiens...

Pour les gros studios, si on veut avoir accès aux développeurs, il faut passer par les éditeurs. En

soi ce n’est pas anormal, même si cela implique la prudence de la part du journaliste. Et

d’ailleurs c’est souvent plus facile de travailler avec un éditeur qui a un RP (un RP est une

personne chargée des relations avec la presse) compétent en France que de décrocher une

interview d’un développeur indépendant un peu coté, qui risque de ne pas répondre aux mails.

Mais bon ça c’est de la cuisine interne.

Le problème, ce n’est pas tant de travailler avec les éditeurs que la connivence qui peut

s’instaurer, et aussi le fait que par leur dimension économique ceux-ci ont la main haute... Ils ont

les moyens de payer des voyages à l’autre bout du monde, ils organisent des soirées, etc. Il n’y a

pas longtemps, une agence de com’ organisait autour d’un gros jeu une soirée concours réservée

à la presse, avec comme premier prix un voyage au Japon. Ce genre de terrain est vraiment plus

que glissant.

Le voyage presse c’est un sujet sensible. Games participe à des voyages presse, mais en gros

l’idée c’est d’être transparent : expliquer au lecteur qu’on a été invités par Konami (studio de

développement de jeu, notamment de Pro Evolution Soccer) au Japon, que Wargaming nous a

baladés à Chypre et en Biéolorussie. Personnellement ça ne m’intéresse pas de faire ce genre de

choses, mais je me demande si ce n’est pas justifié d’y aller, si l’on dit ce que l’on a vu... De

toutes manière, sans cela, impossible d’avoir accès à certaines choses. Après on peut tout à fait

dire que même si l’on parle de ces événements avec de la distance critique, le fait de les

rapporter est une manière de se faire dicter la ligne éditoriale par les éditeurs...

Si on envoie quelqu’un à l’autre bout du monde, on va parler du jeu.

Dans un monde idéal, on aurait les moyens de voyager à nos frais et à nos conditions. Mais on en

est loin.

Et puis il y a aussi la question primordiale de la publicité, notamment pour le web où elle est

vitale... On a vu par exemple avec Gamekult que marcher sur les pieds d’un éditeur risquait de

couper une source de revenu. Personnellement je suis un grand utilisateur d’ad-block (ad-block

est un logiciel que l'on peut installer sur son navigateur Internet. Il supprime alors tous les

espaces publicitaires), et je déteste l’omniprésence de la publicité. Il me paraît urgent de trouver

des sources de revenu alternatives, d’autant que la presse se trouve alors dans une situation de

double dépendance vis à vis des éditeurs, qui non seulement ont la main sur le contenu, mais

aussi sur les revenus potentiels des sites...

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Après il ne faut pas s’étonner qu’on peine parfois à distinguer certains « journalistes » des RP. Et

je dis ça alors que je n’ai rien contre les RP, qui font leur boulot, eux.

Est-ce que ce scandale ne doit pas amener les journalistes print et du web à faire évoluer

leur ligne éditoriale et se détacher du simple modèle « preview-tests-notes » ?

Ce modèle est dépassé, pour le print notamment. Personnellement je consomme assez peu de

previews, je n’ai pas besoin qu’on me vende du rêve basé sur du vent, il y a déjà bien assez de

jeux qui sont là pour me tenir occupé. Et je préfère les critiques anglées aux tests, même si ces

derniers sont parfois utiles pour se faire une idée sur un jeu avant de l’acheter. Mais encore une

fois, il est parfois judicieux de parler à un développeur avant la sortie du jeu, tout simplement

parce que c’est le seul moment où il sera disponible. Essayez d’avoir Neil Druckmann (Neil

Druckmann est le directeur de développement du jeu The Last of Us, considéré par les

journalistes et la communauté des gamers comme l'un des meilleurs jeux de l'année 2013) hors

des périodes de promo, si vous n’êtes pas Gamasutra ou Game Informer, c’est pas donné...

Disons que le côté preview-test a le mérite d’être facile, ça ne demande pas trop de se casser la

tête sur la cohérence éditoriale... :) Et puis il faut avouer que les lecteurs sont habitués à cela, et

qu’ils sont souvent demandeurs de couvertures avec un gros titre, de previews, de tests

exclusifs... Il suffit de voir tout le barouf qu’avait fait Gamekult quand ils avaient publié le test

de GTA V avant tout le monde en achetant le jeu à République... Du coup le testeur avait dû

« s’enquiller » le jeu vitesse grand V, et même si c’était de bonne guerre, je ne suis pas certain

que ça ait été spécialement au service du lecteur. Et puis évidemment, en général, ce mécanisme

a tendance à renforcer l’emprise des éditeurs, puisque ce sont eux qui ont la clef des preview

builds et des copies test...

Après on peut toujours refuser... Pour Lightning Returns, on m’avait proposé de jouer au jeu

quelques heures chez Square Enix (Square Enix est un studio de développement). Ca ne

m’intéressait pas pour plein de raisons, du coup je n’ai pas fait de test dans Games (plus tard j’ai

fait une chronique sur le web après avoir joué au jeu chez moi), j’ai écrit un papier sur la série,

en interviewant des joueurs et des universitaires. Je ne sais pas si le papier est fort réussi, mais

j’ai essayé de contourner le problème.

Mais en même temps, les magazines qui essaient de se différencier ont du mal, avec

l'exemple d'IG Magazine…

Je n’ai jamais lu IG, pour tout un tas de raisons, et même si des gens que j’apprécie y ont

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contribué. Mais d’après ce que j’ai lu, le mag avait tout de même quelques défauts.

J'ai lu les deux interviews sur Merlan Frit de Gaël Fouquet et de Cédric Mallet. Elles sont

très intéressantes, et notamment, on remarque que les deux réfutent le terme de

journalisme d'investigation. Gaël Fouquet parle de « papiers un peu plus fouillés », et

Cédric Mallet, lui, dit que ses journalistes font seulement du « journalisme sur canapé ». A

les entendre, on a un peu peur que la presse de jeux vidéo n'évolue jamais…

Il faut au moins leur reconnaître une certaine franchise. Il me semble que la ligne éditoriale de

Gamekult a un peu changé depuis le départ de Gaël Fouquet, que j’estime par ailleurs même si je

ne suis pas toujours d’accord avec lui. Il a un côté un peu old school qui n’est pas sans

cohérence.

Mais plus qu’une question de personnes, c’est une question économique... Tant que la presse web

fonctionne au clic, elle doit privilégier le clic... Surtout en France où le lectorat est réduit par

rapport au web anglo-saxon où des sites plus pointus (style Gamasutra ou RPS, qui font tout de

même de la news à clic cela dit) peuvent atteindre une masse critique.

Le problème ce n’est pas tant que ça l’existence de cette presse que l’absence d’une alternative.

Quand on voit que même les grands quotidiens nationaux ont de plus en plus de mal à payer des

journalistes d’investigation, il ne faut pas trop en attendre de la presse JV grand public. C’est

déplorable, mais il ne faut pas non plus oublier que si les lecteurs ne sont pas prêts à payer pour

du journalisme d’investigation, celui-ci ne peut pas vivre.

Sans non plus basculer dans un tel extrême, un site comme JVN.com a essayé justement de

moins dépendre des éditeurs. C'est ce qui du moins était expliqué dans la charte

déontologique du site. Malheureusement, le site a fermé ses portes il y a peu. C'est donc

mission impossible de se détacher un maximum des studios d'édition ?

Je pense que c’est une bonne idée d’avoir une charte. On n’en a pas à Games, je le regrette,

même si comme je l’expliquais on essaye d’être assez transparents, du moins pour ce que j’en

sais en tant que pigiste. On se fait payer des voyages presse parce qu’on n’a pas les moyens. On

parle de jeux fournis par les éditeurs. On travaille avec eux parce qu’on a besoin de leurs

« artworks ».

Pour JVN je ne connaissais pas bien le site, mais je ne sais pas si c’est la charte qui les a fait

couler... Sans vouloir blesser personne, je pense que le site ressemblait pas mal, du point de vue

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du lecteur, aux autres sites jeu vidéo grand public, structurés principalement autour de l’actu

pure, des tests et des news. Je ne suis pas certain qu’il y ait la place pour plus de quelques sites

sur ce modèle.

Question un peu « forte », mais je la reprends volontairement d'une émission débat

organisée en octobre 2013 par JVN.com, afin d'avoir plusieurs avis sur la question :

aujourd'hui, est-ce que les journalistes de jeux vidéo sont encore utiles ?

Le problème est de savoir ce qu’ils apportent. C’est vrai qu’à l’époque du web et des réseaux

sociaux, ce n’est pas toujours évident. Mais la question n’est plus tout neuve, quand on pense

que Kieron Gillen se la posait déjà, certes pour la presse papier essentiellement, il y a dix ans

dans son manifeste du « New games journalim ».

Une réponse possible, pas forcement la meilleure mais la plus facile, c’est de considérer que les

journalistes disposent, par leurs relations avec les éditeurs, d’un temps d’avance, qui leur permet

d’avoir du contenu exclusif que n’auront pas les gens sur Twitter ou sur les forums.

Pour tout vous dire, si je veux un avis sur un jeu, je vais plutôt voir les forums que les tests. Ou

bien je demande à mes followers sur Twitter. C’est le pouvoir formidable d’Internet, qui permet

aux avis de s’exprimer, et qui offre aux lecteurs la possibilité de comparer des points de vue, de

discuter entre eux, etc.

De même, on trouve de très bons contenus gratuits sur le web, dans le blogs, dans les let’s play...

Moi-même je fais de la concurrence aux « journalistes » avec un site amateur comme Merlanfrit.

Paradoxalement c’est une manière de dévaloriser le métier, en faisant une forme de concurrence

déloyale, en offrant gratuitement des textes. Mais je pense que la libre circulation des idées n’a

pas de prix.

Après, j’ose croire que l’écriture a encore une valeur, ce qui n’est pas si évident de nos jours...

Déjà parce qu’à mon sens, contrairement à ce que l’on dit souvent, de plus en plus de gens

écrivent et écrivent bien. C’est une des conséquences de l’allongement des études, il y a de plus

en plus de gens qui ont fait des études de sciences humaines ou de journalisme, qui ont appris à

rédiger, à exprimer leurs opinions, à apporter des idées au débat... Et qui du coup ne trouvent pas

de travail, vu que la concurrence est d’autant plus vive.

Mais tout de même, il reste une différence entre ce que peut écrire un critique qui maîtrise ses

effets, qui a une bonne connaissance du sujet, qui fait un travail de mise en perspective, et l’avis

de Cloudstrife666 sur Sens Critique. Bref une façon de justifier le journaliste critique par rapport

à la simple agrégation des avis (qui a aussi son intérêt), c’est le fait que le critique va éclairer le

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jeu dont il parle, qu’il va synthétiser ses idées, qu’il va toucher juste, qu’il va chercher des angles

ou des sujets originaux. Ce n’est pas toujours facile à faire, surtout avec régularité, mais il me

semble que ce n’est pas totalement dépourvu de valeur.

Est-ce qu'on peut, dans certains cas, assimiler le travail d'un YouTubeur à celui réalisé par

un journaliste ?

Je connais très mal le sujet. Il n’y a pas a priori de raison qu’on ne le puisse pas...

Ce que je connais c’est surtout les youtubers que regarde mon fiston, la coop team sur Minecraft

par exemple. Ce ne sont pas des journalistes, mais ils ont du talent, un talent d’animateur... Ils

expliquent les mécanismes du jeu, ils sont amusants, ce qu’ils font est parfaitement légitime.

Dans un autre genre, Usul fait un bon boulot de pédagogue et a l’air plutôt fin dans ses analyses

même si j’ai pu être en désaccord avec lui.

Un site comme Gamekult a décidé de réellement lancer la mode des lives. Est-ce que ça n'est

pas quelque part une nette influence des YouTubeurs, qui font de l'exploitation et du

commentaire sur des images de jeux leur fond de commerce ?

Pareil je ne suis pas client, donc je ne regarde pas. C’est surtout une question de goût personnel.

Une chose qui me frappe tout de même, et j’espère ne vexer personne... Mais l’animation c’est

un métier, qui me semble assez différent de l’écrit. Certains s’en tirent bien, mais on sent que

d’autres ne sont pas à l’aise au commentaire ou devant la caméra, mais qu’ils font cela parce que

ça fonctionne, parce qu’il y a un public pour la vidéo. Moi personnellement je ne m’y risquerais

pas, même si j’ai depuis quelques temps un projet de podcast un peu différent, très écrit... je ne

me sens pas à l’aise devant un micro, mon élément c’est le texte.

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INDEX

Développeur : Un développeur est une personne qui créé un jeu. Les développeurs ont des

tâches différentes : design des personnages, scénario de l'intrigue du jeu, mise en action des

personnages…

Éditeur : Un éditeur est une entreprise qui commercialise un jeu. Les plus connus sont

Electronic Arts, Ubisoft, Activision…

Gameplay : C'est un terme aux significations multiples.

• Le gameplay peut désigner la sensation de jeu, les éléments d'un jeu : beauté graphique,

fluidité…

• Il peut désigner un extrait d'un jeu, présenté par exemple sous la forme d'une bande-

annonce ou bien dans le cas d'une vidéo sur YouTube.

Gamer : Joueur de jeux vidéo.

Network : Un network est une entreprise dont les objectifs sont multiples. Tout d'abord, il doit

assurer une couverture juridique aux YouTubeurs, leur permettant d'exploiter en toute légalité des

images de jeux dans leurs vidéos et de pouvoir être rémunéré après la publication de ces vidéos.

Ensuite, le network peut négocier des contrats publicitaires plus avantageux pour un YouTubeur

en terme de rémunération. La norme sur YouTube définit la rémunération pour mille vues à un

euro pour un YouTubeur. Avec le network, celui-ci peut gagner plus d'argent s'il parvient à

convaincre un annonceur de payer plus cher l'espace du spot publicitaire choisi (avant, pendant,

sous forme de bandeaux, ou bien à la fin de la vidéo) en échange d'une plus grande audience. Un

YouTubeur comme Squeezie a plus de chances de négocier, par l'intermédiaire de son network,

un contrat publicitaire plus intéressant pour lui en terme de revenus, puisqu'il dispose de 2

millions d'abonnés et dépasse régulièrement le million de vues sur ses vidéos. Enfin, le network

peut mettre en lien plusieurs YouTubeurs afin qu'ils élaborent ensemble des contenus. Il peut

également servir à rapprocher une marque souhaitant apparaître dans la vidéo d'un YouTubeur.

C'est ce que l'on appelle le « brand-content ».

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Unboxing : Un YouTubeur – ou un journaliste – se filme en train de déballer un produit qu'il a

testé. Cela peut se faire pour un jeu, plus souvent pour une console ou pour un test de matériel. Il

présente alors les principales caractéristiques du produit testé. La rédaction de Gameblog.fr avait

réalisé un unboxing de la Wii U, la nouvelle console de Nintendo. « Un exercice qui n'a aucun

intérêt » selon Ivan Gaudé, directeur de la publication du magazine Canard PC.

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